Prix de la viande, les marges de la distribution au menu

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Prix de la viande : les marges de la Une nouvelle flambée des prix des céréales étrangle les éleveurs, qui réclament une hausse des prix de la viande. Un an et demi après un premier accord entre représentants de la distribution, de l’élevage et de la transformation, le gouvernement remet le couvert avec les mêmes invités, ce 21 novembre. Par Tatiana Kalouguine PHILIPPE HUGUEN/AFP

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neus, fumier et parpaings bloquent l’entrée de l’hypermarché Carrefour Saint-Serge, près d’Angers, ce vendredi 5 octobre. « Les producteurs sont dos au mur, la grande distribution au pied du mur », proclame une banderole. Confrontés à la hausse de leurs charges, les éleveurs des Pays de Loire et de Bretagne enchaînent les opérations « commando » depuis la fin septembre. Les syndicats d’agriculteurs du Maine-et-Loire n’ont pas l’intention de fléchir : « Nous effectuons des blocages de supermarchés tous les week-ends. Lorsque l’on contacte les sièges pour négocier, la plupart acceptent de discuter avant même le début des opérations », relate Jean-Marc Lézé, président de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) du Maine-et-Loire. L’objectif des éleveurs : obtenir des grandes enseignes de distribution une renégociation des prix de vente, comme le prévoyait un accord signé par toutes les parties, le 3 mai 2011, en cas de flambée des matières premières. Pour la FNSEA, les seuils d’alerte tels que définis dans cet accord sont dépassés depuis le mois de juillet. « Cet accord, conclu sous l’égide du précédent ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire, n’a, pour ainsi dire, jamais été appliqué, abonde Guy Vasseur, président de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (Apca). Il faut se remettre autour de la table, sous la responsabilité des pouvoirs publics, puisque c’est sous leur responsabilité que cet accord a été signé. » Pour les éleveurs, les données du problème sont simples : les aliments de base des animaux d’élevage,

composés essentiellement de céréales et de soja, représentent environ 60 % du coût de production de la viande. Or, depuis un an, les cours des matières premières ont littéralement flambé sur les marchés internationaux : +23 % pour le maïs en octobre sur un an glissant, +43 % pour le blé, +32 % pour le soja. Et, sur la même période, le prix de vente de la viande, lui, n’a pas suivi la même tendance : le prix de la boucherie en rayons dans les grandes et moyennes surfaces (GMS) a progressé de 5,4 %. Celui de la volaille en libre-service de 0,05 %.

Afin de préserver leurs revenus, les éleveurs réclament que les prix de vente au détail soient relevés, afin qu’eux-mêmes puissent vendre plus cher aux abattoirs et autres intermédiaires (entreprises laitières, transformateurs, salaisonniers pour le porc), sans que ceux-ci aient à rogner sur leurs marges. « En faisant cette action, on a donné un coup de main aux transformateurs pour qu’ils puissent augmenter leurs prix d’achat. Eux ont plus de difficultés que nous à discuter de façon ferme avec la distribution car ils prennent le risque de se faire déréférencer », souligne Jean-Marc Lézé.

Le poulet français bat de l’aile Facteur aggravant pour les volaillers français, notre poulet national est désormais fortement concurrencé par les poulets européens, principalement allemands, belges ou hollandais. Dans une note datée de septembre 2012 de l’Agreste, le service des statistiques du ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, on apprend que « l’excédent des

échanges de viande de poulet de la France ne cesse de diminuer depuis 2000 ». Entre 2000 et 2011, cet excédent a été divisé par quatre. C’est un fait, aujourd’hui, « un quart des poulets de chair consommés en France est importé », résume Thierry Pouch, économiste de l’Apca. Et c’est avec nos voisins européens que notre situation se dégrade le plus : « Sur son marché intérieur, la France est concurrencée

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par la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne, qui représentent 69 % des importations de viande de poulet », précise l’Agreste. Le poulet bleublanc-rouge peut-il relever la tête ? Depuis 1997, l’appétit des Français pour le poulet est resté au beau fixe, autour de 1,5 million de tonnes. Mais durant la même période, la production hexagonale s’est contractée, passant de 2,2 à 1,8 million de tonnes par an.

L’HÉMICYCLE NUMÉRO 456, MERCREDI 21 NOVEMBRE 2012

Une situation d’étranglement La filière porcine est en situation critique. Le prix de la viande en rayons a certes légèrement augmenté ces derniers mois, mais pas suffisamment pour compenser les hausses de coûts de production, affirment les représentants d’éleveurs. « Il faudrait une hausse d’au moins 15 à 20 centimes le kilo pour retrouver un minimum de rentabilité », estime la Coordination rurale (CR), un syndicat agricole indépendant. Mais c’est sur la volaille que la pression est la plus forte. Ce que réclament les éleveurs : « 16 % de hausse, soit quelque 10 centimes du kilo pour absorber la hausse des aliments volaillers ces derniers mois », précise M. Lézé. Mais « la grande distribution refuse de passer les augmentations nécessaires vis-à-vis de la transformation. Pire, en novembre, il y a eu une baisse du prix d’achat de la volaille, qui ne s’explique pas et qui est injustifiable », s’alarme Guy Vasseur. Affectés par la hausse des matières premières mais aussi par la concurrence étrangère, les éleveurs porcins et les volaillers sont de plus en plus nombreux à jeter l’éponge. Résultat : la production

française est en recul. Les volumes de porc « made in France » devraient baisser de 3 % cette année et de 5 % à 6 % en 2013, affirme la Fédération nationale porcine (FNP). La production de volaille s’est quant à elle stabilisée au premier semestre mais les éleveurs s’inquiètent de l’augmentation des importations de poulet (lire encadré), tandis que la production nationale d’œufs et de pintades recule inexorablement. Guy Vasseur, qui représente les chambres d’agricultures, se dit très pessimiste : « Les marges sont faibles, les éleveurs n’investissent plus. C’est une situation d’étranglement. Pour nous les choses sont claires : si la pression est trop forte, ils vont disparaître. » Dans un communiqué du 29 octobre, le Syndicat national de l’industrie de la nutrition animale (Snia) adopte le même ton catastrophiste : « Un pan entier de l’économie est en train de se fissurer et menace de s’écrouler, entraînant avec lui la disparition de dizaines de milliers d’emplois et la dévitalisation des campagnes françaises. » L’organisation professionnelle s’inquiète en particulier d’une augmentation des retards de paiements qui grèvent les comptes


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distribution reviennent au menu distributeurs. Nous attendons des pouvoirs publics qu’ils fassent respecter un équilibre entre les trois acteurs et qu’il n’y en ait pas un qui écrase les autres. »

Retour à la table des négociations

L’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, créé par le ministère de l’Agriculture et FranceAgriMer et dirigé par l’universitaire Philippe Chalmin, démontrait dans son premier rapport annuel, en juin 2011, un très clair basculement du rapport de force en faveur des distributeurs au cours de la période 19982011. L’auteur notait en particulier « une augmentation de 6 points de la part de la marge brute agrégée [de la transformation à la distribution, NDLR] et une réduction équivalente de la part de la matière première », dans la filière bovine. À partir de la mi-2010, la marge des GMS s’est stabilisée, quand celle des transformateurs a décru. Concernant les éleveurs de bovins, le rapport notait « une nette diminution du résultat courant avant impôts, liée à une certaine stagnation des prix des bovins alors que les charges d’élevage (alimentation, autres consommations intermédiaires) augmentent » depuis 2002. Et concluait que « le supplément notable de recettes apporté par les aides directes ne permet de couvrir que partiellement la rémunération du travail familial calculée sur la base de 1,5 Smic ». Dans son rapport remis le 13 novembre dernier, l’Observatoire démontre que la part de la valeur ajoutée revenant à l’agriculture sur 100 euros de dépenses alimentaires est de seulement 7,60 euros contre 11 euros aux industries agroalimentaires, et 21 euros aux distributeurs. Si les enseignes de distribution enregistrent des marges nettes négatives dans la boucherie, elles se rattrapent sur la charcuterie et la volaille. Cette dernière leur procurant une marge nette de 5,90 euros pour 100 euros de chiffre d’affaires, la plus élevée des cinq étudiés. L’Observatoire est parvenu à décortiquer la formation des prix pratiqués dans les rayons des distributeurs, de la marge brute à la marge nette, en se fondant sur les déclarations de sept enseignes – Carrefour, Casino, Leclerc, Auchan, Intermarché, Système U, Cora – qui ont accepté de partager leurs données : coût d’achat des produits, frais de personnel, maintien des rayons, foncier… De quoi aller vers plus de transparence, même si des améliorations peuvent encore être apportées.

Montrée du doigt, la distribution est moins diserte sur ces questions. Serge Papin, président de Système U, n’est cependant pas prêt à endosser le rôle du bouc émissaire. « Si cette revendication est justifiée, il faut en discuter, concède-t-il. L’augmentation des cours des céréales représente forcément un coût à répercuter, et je tiens à préciser que Système U a été la seule enseigne à augmenter les prix de la volaille cet été. » Toutes les chaînes d’hypers n’ont pourtant pas réagi de la même façon depuis le début de la grogne, au printemps dernier. « Certaines ont montré un esprit d’ouverture, mais d’autres, comme Leclerc, ne mettent en avant que le pouvoir d’achat des consommateurs, sans prendre en compte la situation des producteurs. Ils se comportent en cow-boys ! » s’énerve Guy Vasseur. Contactée par la rédaction de l’Hémicycle, la direction de Leclerc n’a pas donné suite à nos demandes d’interview. Pour ces distributeurs réfractaires aux hausses de prix, il va pourtant falloir se remettre à la table des négociations. Un an et demi après le premier accord infructueux, le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, a annoncé la tenue, ce 21 novembre, d’une table ronde sur les relations commerciales entre producteurs, transformateurs et distributeurs. Avec pour objectif affiché d’améliorer les relations contractuelles dans les filières animales. « Franchement, en France, il y a de quoi améliorer les choses », constatait le ministre le 4 octobre, lors du Sommet de l’élevage à Clermont-Ferrand, comparant les pratiques françaises et euro péennes. Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l’Agroalimentaire, se dit lui aussi favorable à une remise à plat de l’accord de 2011 : « Cet accord n’est pas satisfaisant, car incomplet. Il ne fixe aucun terme à la négociation », déclarait-il en octobre dans l’Usine Nouvelle. Mais l’annonce d’une nouvelle réunion laisse déjà certains sceptiques. Débouchera-t-elle cette fois sur des engagements contractuels ? « Il y a déjà un accord, il faudrait commencer par l’appliquer, objecte Guy Vasseur. La loi de modernisation de l’économie n’a rien changé des rapports entre les producteurs, transformateurs et

De nouvelles données sur les marges des GMS

« Le consommateur aussi doit accepter une augmentation du prix des produits de l’élevage » quelques années, la tendance s’est complètement inversée. Les élevages ne se créent plus, voire disparaissent. La consommation française reste forte mais on importe de plus en plus de viande. Plus grave : dans le monde, la consommation de viande explose – la FAO prévoit un doublement de la demande d’ici à 2050 –, et la France est en train de passer à côté de ce marché alors qu’elle dispose du savoir-faire, de la géographie, du climat et des infrastructures. Quelles sont les conséquences sur les entreprises de votre secteur, la production d’alimentation animale ?

La santé de notre profession dépend de celle des éleveurs, qui sont nos clients. Nos prix dépendent à 80 % des cours fluctuants des matières premières, nous n’avons donc quasiment aucune marge de manœuvre quand le prix du blé double : nous n’avons pas d’autre choix que de le répercuter sur les éleveurs. Donc, s’ils n’ont pas les moyens d’acheter nos produits, nous n’existons pas. DR

des éleveurs. « En production porcine, ces retards représenteraient 10 % du chiffre d’affaires des fabricants à fin octobre 2012 », observe le Snia, pour qui 35 % des encours chez les éleveurs sont « particulièrement préoccupants ».

Dans un communiqué vous réclamez « un plan d’aide massif » pour les éleveurs. Qu’attendez-vous concrètement du gouvernement ?

ALAIN GUILLAUME PRÉSIDENT DU SYNDICAT NATIONAL DE L’INDUSTRIE DE LA NUTRITION ANIMALE (SNIA) Vous voulez alerter le public sur la « situation d’urgence » que connaissent les éleveurs français. Comment en est-on arrivé là ?

Pour la première fois, les sources protéiques et énergétiques nécessaires à l’alimentation animale ont simultanément vu leurs prix doubler en l’espace de quelques mois. C’est une situation inédite et dramatique, et l’on peut comprendre que tous les opérateurs de la filière, des éleveurs jusqu’aux distributeurs, aient été surpris et déboussolés par cet ouragan que personne n’avait vu venir. C’est difficile à accepter mais c’est pourtant arrivé, et cela dure. Il faut donc maintenant en prendre acte, car si l’on refuse de prendre en compte cette nouvelle donne, c’est la mort de l’élevage. Comment pouvez-vous être aussi affirmatif ?

Le Snia est idéalement placé pour

observer ce qui se passe. La production d’aliments composés pour animaux est un excellent indicateur de la bonne santé de l’élevage d’un pays. Depuis toujours, la France était le premier producteur d’aliments composés pour animaux en Europe, ce qui reflétait son leadership. Or, depuis dix ans, nous constatons chaque année un recul de nos ventes d’aliments (-15 % sur la période). Et voilà que, il y a deux ans, nous avons perdu notre leadership au profit de l’Allemagne. De l’autre côté du Rhin la croissance est là, et la production de produits carnés augmente. Ce déclin est-il le résultat d’une perte de compétitivité ?

Tout à fait. L’élevage français est né d’une forte demande intérieure, mais parallèlement nos producteurs en avaient profité pour se développer à l’export. Or, depuis

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Pour que les éleveurs puissent vivre de leur métier il faut que les prix de vente augmentent et que le consommateur accepte une augmentation du prix des produits d’élevage. Ceci est indispensable si l’on veut préserver l’agriculture et les emplois français. Cela engage le monde de la distribution, mais aussi plus largement tous les citoyens. Il faut ensuite aider les éleveurs à restructurer leur exploitation pour rester compétitifs. Mais il est devenu très difficile de se mettre aux normes car il y a beaucoup trop de freins administratifs et réglementaires. À titre d’exemple, lorsque l’on souhaite installer une activité, le déclenchement d’une enquête publique se fait à partir d’une surface de 400 mètres carrés. En Allemagne, ce seuil est cinq fois plus élevé. Il est donc urgent de lever ces barrières qui rendent précaire et hasardeux le développement des élevages et l’installation de jeunes agriculteurs.


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