Rythmes scolaires : les petites villes optent pour 2014

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Rythmes scolaires : les petites villes optent pour 2014 Dans les petites communes, surtout rurales, le manque d’infrastructures et de personnel qualifié renchérit le coût de la réforme. La grogne monte chez les élus, qui veulent se donner du temps et réclament le maintien de la dotation d’amorçage au-delà de 2013. Par Tatiana Kalouguine

PIERRE ANDRIEU/AFP

L

a réforme des rythmes scolaires devient un casse-tête pour le gouvernement Ayrault. Avant même la date limite du 31 mars, qui leur a été fixée pour se décider, plusieurs grandes villes et une majorité de petites communes annoncent qu’elles demanderont une dérogation pour ne la mettre en pratique qu’à la rentrée 2014. C’est le cas de Lille, Marseille, Lyon, Montpellier, Bordeaux, Nice, Perpignan, Chalon-sur-Saône ou Auxerre. Au sein des villes de 3 000 à 20 000 habitants, 280 communes sur 500 (soit 56 %) se sont d’ores et déjà prononcées pour 2014, selon une enquête de terrain menée par l’Association des petites villes de France (APVF). Mais c’est à la campagne que la défiance est la plus forte. En attendant les résultats de l’enquête actuellement menée parmi ses 11 000 adhérents – communes de moins de 3 500 habitants –, l’Association des maires ruraux de France (AMRF) confie que « 80 % à 90 % » des maires ruraux de l’Indre se prononcent en faveur de 2014. Le gouvernement a senti le vent tourner. Mardi 12 mars, à l’occasion de la première conférence des finances locales, le Premier ministre a dû intervenir en pompier pour calmer la grogne qui monte parmi les élus. Les motifs d’insatisfaction sont nombreux, entre les

transferts de nouvelles compétences et un rabotage historique de trois milliards d’euros des dotations de l’État aux collectivités d’ici à 2015. La réforme des rythmes scolaires, dont le coût est estimé à quelque 600 millions d’euros en année pleine, arrive au pire moment.

La dotation « d’amorçage » sera-t-elle pérennisée ? Dédier un fonds spécifique de 250 millions d’euros aux communes qui engageraient la réforme des rythmes scolaires dès 2013 : la manœuvre trouvée pour éviter d’avoir à passer en force semblait habile. Sûr que les maires se laisseraient tenter. Las, non seulement la liste des villes repoussant la réforme à 2014 ne cesse de s’allonger, mais les élus de tous bords, de communes de toutes tailles, réclament désormais la pérennisation de cette aide au motif que

« les difficultés seront encore présentes en 2014 et 2015 ». Or, selon nos informations, le Premier ministre ne serait plus opposé à un prolongement de l’aide, et attendrait début avril pour en faire l’annonce afin d’éviter d’encourager les reports. Interrogé par l’Hémicycle, le cabinet du Premier ministre dément, mais celui du ministre de l’Éducation se contente d’affirmer que « la question ne se pose pas à ce stade ».

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« On est dans l’ingénierie » Le passage aux neuf demi-journées dans les écoles libérera quatre plages horaires de 45 minutes, qui devront être occupées par des activités périscolaires. Coût total : environ 150 euros par enfant et par an. Les maires ont sorti leur calculette. Lyon annonce qu’il lui en coûtera cinq millions d’euros la première année, puis sept millions la deuxième année et huit millions la troisième, Marseille avance pas moins de 15 millions par an, Montpellier deux millions, Perpignan un million et Bordeaux quatre millions. Dans les communes rurales, ces activités se chiffrent certes en dizaines de milliers d’euros annuels, mais elles seraient proportionnellement plus lourdes, fait valoir l’AMRF. Principale raison, la plupart des villages n’ont aucun système périscolaire. Pour eux, il ne s’agit pas de déployer des activités, mais de les créer de toutes pièces. « Il nous faut recruter un directeur, des animateurs, trouver des locaux. On est dans l’ingénierie, ce qui coûte beaucoup plus

L’HÉMICYCLE NUMÉRO 461, MERCREDI 20 MARS 2013

cher mécaniquement », observe Cédric Szabo, directeur général de l’association. « Si même les grandes communes ont du mal, alors que dire de nous ? Plutôt que de la faire mal cette réforme, attendons 2014 ! », lâche Philippe Dubourg, maire de Carcarès-Sainte-Croix et président de l’Association des maires ruraux des Landes. Les élus des petites communes en difficulté voient mal comment respecter à la lettre les conditions exigeantes du projet de loi du ministre de l’Éducation, Vincent Peillon. À la Fercé-sur-Sarthe, petite commune qui compte quatre classes et 87 enfants au total, le maire, Dominique Dhumeaux, se trouve face à un choix cornélien. Pour respecter les termes de la loi, il lui faut embaucher quatre adultes tous les soirs pendant 45 minutes. Mais faudra-t-il recruter des animateurs qui donnent des cours de peinture à 40 euros de l’heure, ou des employés communaux à 17 euros, qui se contenteront de donner des feuilles et des crayons aux enfants ?

Pas assez d’animateurs qualifiés Le problème se pose dans toutes les communes avoisinantes, précise-til. « Dans notre communauté de communes de 28 000 habitants, il faudrait 170 adultes disponibles chaque jour de 15 h 45 à 16 h 30. C’est sûr, on ne les trouvera pas. Dans le meilleur des cas on pourra en détacher 10 à 15, les 150 autres seront des personnes non qualifiées. » Dans la Sarthe, qui compte 60 000 enfants en primaire, il faudrait 3 500 intervenants. « Je me demande si les responsables de cette réforme ont pris leur calculette, parce que ça ne colle pas. C’est ça qui nous met en rogne », tempête le maire. « Cette réforme des rythmes, c’était une opportunité pour nos enfants d’accéder à l’éveil musical, à l’art plastique. Mais dès qu’on a vu les mises en application, les mises en effectifs, on a su que ça allait coincer. On nous a un peu leurrés », regrette Dominique Dhumeaux. Le maire de la Fercé-sur-Sarthe en est persuadé, d’ici à 2014 il peut « proposer mieux » : « Programmer


Dossier les stages de formation des personnels en amont, prévoir leur remplacement, travailler en parallèle avec les associations, monter un cahier des charges pour conserver ces compétences tout du long de l’année scolaire. » L’équation économique semble impossible pour des communes qui consacrent parfois jusqu’à 40 % de leur budget aux écoles. À Moncel-sur-Seille (Meurthe-etMoselle) chacun des 200 enfants scolarisés coûte 980 euros à la commune. Une somme « financée habituellement par les impôts locaux », précise le maire, Ennio Bazzara. Où trouver les 225 euros supplémentaires qu’il estime nécessaires pour mettre en place les activités culturelles et sportives ? « Vais-je devoir augmenter les impôts ? » s’interroge-t-il. Pour lui c’est clair, ce sera 2014.

Dotations insuffisantes La dotation « d’amorçage » de l’État, d’un montant de 250 millions d’euros, censée encourager les communes à passer dès cette année à la semaine de quatre jours et demi, est elle aussi devenue un

point de discorde. Toutes les associations d’élus réclament sa pérennisation au-delà de 2013 (lire encadré). Certains maires de villages, très remontés, qualifient cette aide de 50 euros par enfant d’« aumône » et le principe du « chantage à la carotte » n’est pas du goût des élus ruraux. « On nous donne 50 euros par enfant la première année, et après ? Il faudra pérenniser, sinon ce n’est pas jouable ou alors cette réforme se fera au rabais », s’agace Philippe Dubourg. « Je ne vois pas comment l’État demanderait aux collectivités de faire certaines choses sans prendre ses responsabilités », abonde Pierre-Alain Roiron, maire de Langeais (Indreet-Loire), qui, quant à lui, a tout de même opté pour 2013. Face à ces revendications, le gouvernement fait valoir qu’une dotation supplémentaire de 40 euros par élève est prévue pour les communes urbaines et rurales éligibles aux dotations de solidarité « DSU cible » et « DSR cible ». Insuffisant, répondent encore les maires concernés. À la Fercé-surSarthe, l’aide au titre de la DSR

cible devrait s’élever à 4 000 euros, sur un total de 12 000 euros. « Ces 8 000 euros à trouver c’est l’équivalent de 6 % de notre taxe d’habitation », remarque Dominique Dhumeaux. Comment financer ces dépenses ? Pas question d’augmenter d’autant les impôts, souligne le maire de la Fercé. « Nous augmenterons la taxe d’habitation de 2 ou 3 % maximum, mais pour le reste, il va falloir réduire un peu nos investissements. » D’autres communes s’apprêtent à faire de même. « Nous ferons des économies sur le centre de loisirs du mercredi matin, le reste sera probablement financé par des redéploiements de moyens. On peut se passer d’un rond-point, ce n’est pas inenvisageable », souligne Pierre-Alain Roiron.

Appel aux bénévoles Dans les quelques villes bien décidées à passer aux neuf demi-journées dès la rentrée prochaine, on commence à s’organiser avec les moyens du bord. À Langeais, les activités seront assurées dans les deux écoles par six employés municipaux dont trois ensei-

gnants rémunérés par la communauté de communes, au barème officiel. Pour assurer le complément (10 animateurs), la mairie compte faire appel à des bénévoles, membres d’associations, parents d’élèves, ou retraités de bonne volonté. « Il y a une compagnie de théâtre qui pourrait travailler en résidence sur un trimestre, en partenariat avec d’autres collectivités. Parmi les parents d’élèves, on a un ancien basketteur qui serait partant », détaille Pierre-Alain Roiron. De cette façon, la commune pense limiter le coût à 100 euros par enfant. Mais ces arrangements ne sont pas du goût de tous. « C’est du bricolage », s’agace Philippe Dubourg. « On demande aux élus, qui n’y connaissent pas grand-chose, de prendre en charge une réforme qui porte sur l’éducation. C’est supposer que l’éducation n’est pas une affaire de professionnels, on laisse l’amateurisme s’installer. » Si cette réforme irrite autant, c’est qu’elle est perçue par les élus comme un nouveau transfert de compétences non financé. Avec,

en toile de fond, le risque d’une réforme mal ficelée qui débouchera sur une « garderie généralisée ». « L’inégalité territoriale est en marche », menace le président de l’Association des maires ruraux des Landes. Il n’est pas le seul à s’inquiéter. Certains parents font part des mêmes craintes. « On aurait voulu que l’éducation reste aux mains de l’État pour garantir l’égalité sur les territoires. Quand l’État se désengage, c’est une voie vers la territorialité, et on n’est pas sûrs qu’on aura partout un socle d’activités de qualité équivalente pour tous les enfants », se désole Fatima Hassoune, parent d’élève déléguée FCPE. L’argument a depuis été repris par l’opposition. Fin février, Philippe Dallier, sénateur de la Seine-SaintDenis et vice-président du groupe UMP au Sénat, appelait à « reporter la réforme des rythmes scolaires pour garantir l’égalité républicaine à l’école ». Dur à entendre pour le gouvernement Ayrault, qui promettait de renouer avec « la promesse républicaine de la réussite éducative pour tous ». Il reste encore 18 mois à tenir.

« Pour financer cette réforme nous devrons réduire nos investissements » Questions à

Est-ce si difficile de faire venir des animateurs culturels et sportifs en milieu rural ?

Dans certains départements il n’y a pas suffisamment de titulaires du Bafa, qui est une formation sur trois ans. Sans compter qu’il est difficile de convaincre des étudiants de se déplacer depuis les centres universitaires jusque dans des villages isolés pour animer moins d’une heure d’activité par jour en fin de journée. C’est ce qui explique que la majorité des maires ruraux souhaitent prendre le temps d’appliquer cette réforme. Je connais pourtant des maires qui vont se dépêcher de l’appliquer dès cette année pour toucher les aides de l’État. Mais faute d’animateurs les activités se résumeront à de la garderie.

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Pourquoi les activités périscolaires coûteraient-elles plus de 150 euros par enfant dans les communes rurales ?

VANIK BERBERIAN MAIRE DE GARGILESSE (INDRE) ET PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION DES MAIRES RURAUX DE FRANCE (AMRF)

Pour nous ce coût est plutôt compris entre 150 et 300 euros, et jusqu’à 500 euros. S’il n’existe pas de salle disponible, où va-ton organiser les activités ? On ne va pas mettre les enfants sous un préau en hiver. Il faudra donc construire des salles supplémen-

taires, investir dans du matériel, éventuellement prendre en charge la cantine le mercredi. Il y a les frais de personnel. Si on reste dans une approche de garderie ce n’est pas très coûteux, mais si on veut respecter le décret de fin janvier il faut du personnel qualifié qui coûte forcément plus cher. Il y a cependant la dotation d’amorçage de 50 euros par enfant, ainsi que 40 euros par enfant chaque année aux communes éligibles à la « DSR cible », qui manquent de moyens.

La part forfaitaire (50 euros/élève) devrait être pérennisée pour toutes les communes, y compris celles reportant l’application des nouveaux rythmes à la rentrée 2014. Quant à la dotation majorée (40 euros/élève en 2013 et 45 euros/élève en 2014), c’est un trompe l’œil. Les critères des DSR cibles sont très restrictifs et seul un tiers de nos communes y sont éligibles. Celles-ci bénéficieront de 90 euros en 2013, puis de 45 euros les années suivantes. Mais la grande majorité des communes rurales devront se contenter des 50 euros d’amorçage si elles démarrent en 2013, puis plus rien. Nous demandons que

cette dotation soit élargie à l’ensemble des communes de moins de 3 500 habitants. Comment les communes envisagent-elles de financer cette réforme ?

Dans la mesure où les dotations n’augmentent pas, il faudra faire des choix et vraisemblablement moins de choses. Ceux qui le peuvent encore feront des économies sur les frais de fonctionnement, et une fois qu’on sera à l’os, on réduira les investissements. Ce qui veut dire par exemple repousser de quelques années la réfection du toit d’une église ou la réalisation d’un projet. Ceci aura certainement des conséquences sur le tissu économique. Vous êtes sévère avec le gouvernement. Pourtant l’AMRF a signé le communiqué des associations d’élus saluant la première conférence des finances locales du Premier ministre.

Le satisfecit porte sur le fait de nous avoir réunis et sur le principe annoncé d’une concertation. Mais ce communiqué a été rédigé trop rapidement. Nous aurions préféré qu’il soit plus musclé et explicite. Si chacun doit participer à l’effort d’économie, on ne

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peut pas demander le même effort à chaque strate de collectivité. Les communes rurales sont injustement pénalisées en raison d’une dotation globale de fonctionnement par habitant de moitié moins élevée que pour un habitant d’une ville de 200 000 habitants. J’ai rappelé au Premier ministre que le prix du litre de gasoil, comme le coût horaire d’un animateur culturel n’est pas moitié moins cher à la campagne. Ce que nous réclamons c’est un soutien proportionnel aux besoins. Si les maires comme vous n’appliquent pas la réforme des rythmes scolaires cette année, croyez-vous qu’ils le feront mieux l’an prochain ?

Le calendrier imposé par le gouvernement est trop contraint par rapport aux ambitions de ce projet. On touche ici à un domaine de l’enfance qui fait consensus et notre désir est d’appliquer cette réforme au mieux. Certes on n’aura pas résolu toutes les difficultés, mais il nous faut du temps pour formaliser un projet éducatif territorial de qualité, concerté et réfléchi.

Propos recueillis par T.K.


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