Agriculture biologique : Stéphane Le Foll fera t-il mieux que ses prédécesseurs?

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Agriculture biologique : Stéphane Le Foll Dans son plan Ambition bio 2017, Stéphane Le Foll se fixe des objectifs plus raisonnables que son prédécesseur. Peut-il faire mieux que le plan précédent, qui avait déçu les professionnels de la filière ? Par Tatiana Kalouguine

«C

e plan a pour objectif de voir la surface agricole utile cultivée en bio doubler », a annoncé Stéphane Le Foll, le ministre de l’Agriculture, vendredi 31 mai, à l’occasion du lancement du plan Ambition Bio 2017. Ses six axes prioritaires : augmenter la production notamment en sollicitant le deuxième pilier de la PAC, structurer les filières de transformation et de distribution, inciter les consommateurs à s’orienter vers les produits bios, développer la recherche en agrobiologie et adapter la réglementation. Un objectif jugé « raisonnable » par certains experts compte tenu de l’accroissement actuel moyen des surfaces agricoles biologiques. De fait, trop d’« ambition » aurait pu paraître déraisonnable en cette période clairement peu propice à la conversion des agriculteurs au bio. Malgré 1 000 nouvelles conversions de producteurs dits « conventionnels » à l’agriculture bio depuis le début de l’année, la période n’est pas à la fête pour les défenseurs du bio. Malgré un triplement des surfaces cultivées depuis 2000 (plus 85 % depuis 2007), la France reste très en retrait comparée à ses grands voisins européens. En 2012, seulement 3,72 % de la surface agricole (SAU) française était cultivée en biologique. À titre de comparaison, ce taux est de 6,1 % en Allemagne, de quelque 7 % en Espagne, de plus de 9 % en Italie ou encore de 15 % en Suède. Après plus de 10 ans de politiques incitatives au développement de l’agriculture bio en France, ce retard a de quoi surprendre. D’autant que le précédent plan, « Agriculture biologique : horizon 2012 », lancé dans le cadre du Grenelle de l’environnement en 2007, se fixait pour ambition de tripler les surfaces cultivées en bio pour les porter de 2 % à 6 % de la surface agricole française. Élisabeth Mercier, directrice de l’Agence BIO (groupement d’intérêt public qui promeut l’agricul-

Stéphane Le Foll, le ministre de l’Agriculture, visitant une ferme à Le Drennec. PHOTO FRED TANNEAU/AFP ture biologique française) se focalise sur la dynamique enclenchée : « L’intérêt de se fixer des objectifs ambitieux c’est de mobiliser les énergies. Sur la période il y a eu un doublement des surfaces en bio, mais aussi un doublement du nombre de fermes, des transformateurs et distributeurs, des marchés. Pas un pays n’a connu un tel développement au cours de cinq dernières années. » Mais pour Stéphanie Pageot, présidente de la Fédération nationale de l’agriculture bio (FNAB), « la France vient seulement de franchir le seuil du million d’hectares de surface agricole utile en bio. Au regard des objectifs du plan précédent, c’est un échec ». La présidente de la FNAB explique cette situation par des conditions économiques défavorables à la conversion des paysans au bio. En 2007, la demande des consommateurs en produits bios était forte et le Grenelle a renforcé la dynamique. Parallèlement, la faiblesse des prix agricoles incitait certains agriculteurs à effectuer la bascule. Mais

depuis 2010, le contexte est tout autre. L’engouement des consommateurs est retombé tandis que les prix des produits agricoles s’emballent. Résultat, les conversions d’exploitations agricoles au bio ont subi un coup de frein. Mais le politique a aussi sa part de responsabilité dans ce ralentissement, précise Stéphanie Pageot : « Derrière les annonces il n’y a pas forcément eu de mise en place d’une vraie politique publique. On a laissé faire les acteurs et le marché. »

Les filières se développent À quel niveau le précédent plan quinquennal du ministre Michel Barnier a-t-il failli ? Ce plan reposait sur cinq axes, pas si éloignés de ceux d’Ambition Bio 2017 : structurer les filières, encourager la recherche-développement et la formation, développer le bio dans la restauration collective, adapter la réglementation, faciliter la conversion et la pérennité des exploitations bios.

L’enjeu principal consistant à renforcer les filières de la collecte, transformation et commercialisation semble avoir porté ses fruits. La faiblesse et la désorganisation de ces filières étaient considérées comme un frein à la conversion des agriculteurs au bio. L’Agence BIO, dotée à l’époque d’un fonds de 15 millions d’euros sur cinq ans pour cette mission, défend son bilan : « L’agence a accompagné 46 dossiers, prioritairement en fruits et légumes, grandes cultures, bovins, ovins. Le reste en lait, plantes à parfum et viticulture, énumère Etienne Gangneron, le président de l’Agence BIO. L’organisation s’est améliorée, les coopératives se sont bien engagées. Désormais un producteur n’est pas obligé de faire de la vente directe, il peut passer par les filières longues, en s’adressant à des transformateurs de l’agroalimentaire. » Sur ce dossier les retours des professionnels sont positifs. « Globalement nous sommes plutôt contents, concède Stéphanie Pageot. Les budgets ont été utilisés notamment pour favoriser

Associer les cultures pour éviter la chimie La plupart des producteurs bios pratiquent les associations de cultures, qui permettent l’auto-fertilisation du sol et donc l’économie d’engrais chimiques. Sur certaines parcelles de son exploitation, Benoît Biteau associe du

trèfle, du blé et des arbres : « On a des bases de productivité comparables en termes de chiffre d’affaires, car le trèfle permet aussi de faire du fourrage. En plus, l’association de ces cultures permet de mobiliser des ressources gratuites et inépuisables, car le trèfle fixe

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l’azote atmosphérique qui alimente la demande azotée du trèfle et du blé. » Pour obtenir les mêmes résultats, Raoul Leturcq mélange seigle et lentillon, ce dernier apportant l’azote nécessaire au premier. Quant à Etienne Gangneron, il affectionne

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tout particulièrement l’association du pois et du triticale. « Il est possible d’aller encore plus loin, d’imaginer mélanger trois-quatre variétés ensemble », précise-t-il. Encore faudrait-il pour cela disposer d’études scientifiques documentées.

la création d’organisations de producteurs, leur accompagnement pour leur permettre d’apporter une offre diversifiée et avec le réseau Biocoop : planifier les besoins des magasins, fixer les prix à l’avance pour assurer producteurs et distributeurs, éviter les effets de concurrence entre producteurs. » Pour Benoît Biteau, agriculteur bio et vice-président de la région PoitouCharente, ce travail était indispensable : « Les filières sont le maillon manquant, car sans elles il y a trop d’incertitudes sur les débouchés. C’est très bien qu’il y ait de l’aide publique, nous étions trop isolés en tant qu’élus à soutenir l’émergence des filières sur le territoire. » L’annonce faite le 31 mai par Stéphane Le Foll d’une augmentation de la dotation de l’Agence BIO de 3 à 4 millions par an est donc bien accueillie. Le plan Ambition bio 2017 se fixe en priorité les projets des grandes cultures, les plus en retard, et les protéagineux. Le ministre a tenu compte d’une revendication de la FNAB, qui demandait à ce que le fonds Avenir Bio serve à l’ingénierie financière, en sollicitant notamment la Banque publique d’investissement (BPI). « Les contacts ont déjà été pris », a déclaré Stéphane Le Foll.

Un déficit de recherche inquiétant Concernant la recherche-développement et la formation, les retours sont beaucoup moins encourageants.


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fera-t-il mieux que ses prédécesseurs ? « Dans le plan précédent on voit bien qu’il n’y a pas eu beaucoup d’innovation apportée aux agriculteurs, note Etienne Gangneron. Si l’on veut lever tous les freins, il est primordial que l’Inra investisse le domaine de la bio. » « Il y a toujours un vrai déficit de recherche en France, abonde Jacques Caplat, auteur de L’agriculture biologique pour nourrir l’humanité (lire interview). À chaque fois que l’on parle de développer la recherche en bio, l’Inra freine. » Le résultat selon lui d’un « formatage intellectuel » qui consiste à penser uniquement en termes d’augmentation des rendements et de variétés améliorées. Un rapport d’experts faisant le bilan du plan 2008-2012 pointe également cette « incompréhension qui tourne parfois au dialogue de sourds entre le monde de la recherche et les producteurs de l’agriculture biologique ». Interrogé sur ce point vendredi, le ministre de l’Agriculture n’a quant à lui « aucun doute » sur le fait que la recherche publique se mobilisera désormais sur la transition au bio.

Mais le gros point noir de l’action publique est le développement du bio dans la restauration collective d’État. Le plan précédent est complètement passé à côté de son objectif de 20 % de produits bios dans les cantines, puisque la proportion n’est aujourd’hui que de 2 %. « La restauration collective d’État a un chemin énorme à faire, signale Raoul Leturcq, ancien président de l’association Agriculture biologique Picardie (ABP). Les annonces c’est bien, mais encore faut-il y mettre les moyens et un engagement réel. » Stéphanie Pageot signale que la FNAB a été maintes fois sollicitée pour former des personnels, mais uniquement dans les cantines scolaires, dépendantes de collectivités territoriales, jamais pour former des professionnels de l’État. Pour les cinq prochaines années, le flou reste de mise. Le plan Ambition 2017 se contente de réitérer l’objectif de 20 % de produits bios sans décliner les moyens mis en œuvre pour y parvenir.

L’aide au maintien de la PAC sur cinq ans Les aides financières à la conversion ont donné des résultats mitigés. Un crédit d’impôt pour les producteurs bios, mis en place en 2006, a subi depuis beaucoup de changements qui ont nui à sa lisibilité. « L’avantage a été doublé à la faveur du plan 2008-2012. Puis il a été réduit en même temps qu’il devenait intégralement forfaitaire (disparition de la majoration à l’hectare), tout en pouvant se cumuler (sous plafond global de 4 000 euros) avec les aides “surfaciques” de la PAC dédiées à l’agriculture biologique. Enfin, les montants en cause ont ré-augmenté, sans toutefois rejoindre les maxima antérieurs », peut-on lire dans le rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable. En outre, précise Stéphanie Pageot, « cette aide n’a jamais été notifiée à Bruxelles. Elle est ainsi considérée comme une aide d’État et plafonnée à 7 500 euros sur trois ans. Du coup l’effet recherché est certainement limité. On n’est même

pas sûr que ce soient les plus petites fermes qui en profitent, alors qu’elles étaient la cible de cette fiscalité. » À la demande des professionnels, ce dispositif a été maintenu dans le plan Ambition Bio 2017 annoncé le 31 mai. Toutefois, Stéphanie Pageot a regretté que le crédit d’impôt ne soit toujours pas notifié auprès de la Commission malgré les demandes de la FNAB. Comme d’autres producteurs bios, Raoul Leturcq perçoit depuis cinq ans une aide de son Conseil régional d’un montant de 100 euros par hectare sur cinq ans. Cette subvention a été depuis peu relayée par l’aide au maintien pour les labellisés AB, dans le cadre du premier pilier de la Politique agricole commune (PAC). Toutefois, cette aide est moins sécurisante, précise-t-il, car elle est reconsidérée chaque année. Cette lacune, signalée par de nombreux défenseurs du bio, sera corrigée dans le plan Ambition Bio 2017. Les aides à la conversion et au maintien seront désormais inscrites dans

le deuxième pilier de la PAC et seront donc garanties sur une durée de cinq ans. Au total le ministre s’est engagé à ce que soient apportés « au moins 160 millions d’euros par an en moyenne sur la période 2014-2020 pour le financement de ces deux dispositifs ». Les agriculteurs conventionnels seront-ils plus sensibles à ces nouvelles dispositions ? Pour Etienne Gangneron, qui représente les Chambres d’agriculture, c’est surtout un regain de vigueur du marché qui pourrait les faire basculer : « Si on avait des signaux clairs d’une volonté du consommateur d’aller sur le bio cela serait clairement un appel d’air.» Mais pour Raoul Leturcq, qui a basculé au bio en 1999, les agriculteurs doivent avant tout « sortir de la peur » : « Les banques, les assurances, les coopératives, le système agro-industriel, tout vous tire vers un système existant. C’est confortable d’être un céréalier avec les prix d’aujourd’hui et les subventions de la PAC. » Pour gagner son pari, le ministre devra agir simultanément sur tous ces fronts.

« Les aides de la PAC seront désormais versées sur cinq ans, c’est positif » Jacques Caplat, agronome et géographe, est administrateur de l’association Agir pour l’environnement. Il est l’auteur de L’agriculture biologique pour nourrir l’humanité (Actes Sud). Dans votre livre vous donnez une définition à rebrousse-poil de la bio, qui ne repose pas seulement sur la non-utilisation de produits chimiques...

Pour comprendre l’agriculture biologique, il faut comprendre les deux systèmes de cultures en présence. Le conventionnel est basé sur un choix technique fait il y a une cinquantaine d’années, qui consiste à sélectionner une variété standard que l’on peut cultiver dans tous les milieux. Comme les conditions de cultures théoriques parfaites n’existent pas dans la nature, on est obligés de soutenir les sols par la chimie, on adapte le milieu aux plantes et non l’inverse. De plus, comme on a des plantes très fragiles, il faut les protéger par des pesticides. Le principe de la bio c’est de reconstituer un organisme agricole, un « agro-écosystème » qui se compose de trois grands domaines. Il y a d’abord l’écosystème composé du sol, des arbres, haies, points d’eau, murets, oiseaux, insectes etc. Ensuite l’agrosystème, c’est-à-dire les plantes cultivées, et enfin les humains, qui apportent

un savoir, des besoins, des envies. Bien entendu pour reconstituer cet écosystème on recommande de supprimer les produits chimiques de synthèse, mais ce n’est qu’un moyen qui permet d’atteindre l’objectif. Vous dites que les agriculteurs français pourraient s’engager massivement sur la voie du bio. Est-ce vraiment aussi simple ?

Comment passe-t-on d’un système en monoculture à un agro-écosystème ? On peut déjà commencer par reconstituer les écosystèmes que l’on a supprimés au cours des dernières décennies, comme les haies ou les arbres. Il faut aussi reconstituer un savoir humain disparu. Permettre à des paysans de se passer de chimie et retrouver un savoir faire ce n’est pas si compliqué que cela, mais ça prend du temps. Le plus difficile sera sans doute de dépasser les barrières psychologiques. Il y a un désaccord dans le monde agricole français : les Chambres d’agriculture et la FNSEA sont sur une logique de marché et limi-

tent la bio à une niche tandis que nous disons qu’il est possible de nourrir le monde (et la France) avec l’agriculture bio. Dès lors que l’on part de cette idée, on peut s’en donner les moyens. La bio ce n’est pas un bricolage, c’est un choix politique : un choix environnemental, social et sanitaire. Concrètement, quels moyens les politiques peuvent-ils mettre en place pour y parvenir ?

On peut prendre l’exemple de la Suède, qui a décrété que la bio était nécessaire pour protéger l’environnement et entrepris d’encourager les agriculteurs à se convertir massivement. Pour ce faire le gouvernement a choisi d’orienter les aides de la PAC vers les producteurs bios. Résultat : la part des surfaces cultivées en bio a dépassé les 20 % il y a cinq ans. Les fonds ont d’abord soutenu les pratiques agronomiques et environnementales, puis ont servi à construire et structurer le marché du bio. C’est le raisonnement inverse qui prévaut en France : s’il y a un marché, alors on s’engage vers la bio.

Pourtant il existe en Europe et en France plusieurs couches d’aides spécifiques pour la conversion au bio. Que faut-il de plus pour convaincre nos agriculteurs ?

tèmes de parrainage ou des dispositifs d’échanges de savoirs.

Ce qui manque aux agriculteurs c’est d’être sécurisés dans leurs choix. Cette sécurisation se décline à trois niveaux. D’abord au niveau économique. En France les aides à la bio, qui n’étaient versées que sur un an, le seront désormais sur cinq, c’est un point positif pour celui qui engage des investissements sur le long terme. Il faut des aides durables et contractualisées sur plusieurs années, il ne peut y avoir de conversion lourde avec un doute sur l’avenir. Au niveau politique, l’État et les collectivités doivent montrer une volonté claire d’aller dans vers la bio. Enfin, sur le plan technique il reste à lever le fantasme de la « béquille » chimique, auquel se raccrochent beaucoup d’agriculteurs conventionnels. Pour y parvenir, je crois beaucoup à l’accompagnement des paysans par les paysans bios, via des groupements d’agriculture bio (GAB), des sys-

C’est une question tout à fait légitime que mettent en avant les céréaliers. Or ils doivent savoir qu’ils captent moins de valeur ajoutée que les agriculteurs bios. En bio les fermes sont plus petites, mais les paysans s’y retrouvent. En Bretagne, pendant la crise laitière de 2010, les éleveurs bovins intensifs ont plus accusé le coup que les bios. Pourquoi ? Les bios qui avaient moins de vaches à l’hectare n’avaient pas besoin d’importer du soja pour les nourrir, et leurs animaux tombaient moins souvent malades. D’autre part le lait bio est vendu plus cher. Au final, diviser par deux le nombre de vaches impliquait de meilleurs revenus. Avec le gigantisme ce sont les filières qui captent la valeur ajoutée, alors qu’en bio la valeur ajoutée redescend vers les paysans. Certains d’entre eux gagnent leur vie très correctement.

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Il y a aussi la question des revenus…

Propos recueillis par T.K.


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