Copropriétaires en résidences de tourisme : le scandale couve

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Copropriétaires en résidences de tourisme : le scandale couve Depuis cinq ans, des faillites en cascade de résidences de tourisme ont asphyxié des milliers de petits épargnants copropriétaires. La possibilité d’une vaste tromperie organisée se fait jour. Députés et sénateurs en appellent au gouvernement. Par Tatiana Kalouguine

IGNATIUS WOOSTER/FOTOLIA

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epuis des mois, plusieurs centaines de particuliers ayant acheté des appartements en résidences de tourisme inondent leurs élus de lettres de protestation et de pétitions. Estimant avoir été floués par les promoteurs immobiliers et les exploitants de ces résidences, ils se sont regroupés en associations disséminées sur le territoire. Une fédération nationale de quelque 2 000 adhérents est en train de voir le jour pour demander réparation et faire connaître l’affaire auprès du public. Ces propriétaires ont souscrit un investissement dit « locatif », le type de produit « béton », présenté par de nombreux experts comme une valeur sûre. Mais qui dans bien des cas s’avère un piège redoutable. Sur le papier, le produit en question ne présente que des avantages. En achetant dans une résidence de tourisme classée ou « RC », vous bénéficiez d’une déduction de TVA (19,6 %) sur le prix d’achat, voire d’une réduction d’impôt de 25 % supplémentaire si la résidence se trouve en zone de réhabilitation rurale (loi Demessine). Ensuite, plus rien à faire. Une société d’exploitation spécialisée se charge de commercialiser l’appartement. Elle vous verse un loyer fixe garanti par un bail commercial irrévocable de neuf ans au minimum. La rentabilité offerte est alléchante : environ 4 à 5 % par an. Cerise sur le gâteau, vous êtes libre d’occuper votre logement plusieurs semaines par an pendant vos vacances.

Mais le rêve tourne bien souvent au cauchemar. À la mi-octobre 2012, les propriétaires d’une résidence située à Morgat (Finistère) s’étonnent de recevoir sans explication un chèque de loyer trimestriel de… 48 euros de la société exploitante, Soderev Tour. « Pour la même période de l’année précédente, le chèque était de 1 421 euros »,

Un pan considérable de l’économie française Les résidences de tourisme représentent un patrimoine évalué à 33 milliards d’euros, essentiellement financé par l’épargne privée. Ce patrimoine appartient pour 85 % à des particuliers, pour 5 % à des exploitants individuels, et pour 10 % à des investisseurs institutionnels. Parmi les principaux exploitants de rési-

dences de tourisme en France figurent Pierre & Vacances, Néméa, Odalys, Eurogroup, Dom’Ville Services, Goélia, Groupe Lagrange, Maeva, MGM, Park & Suite Group. Le chiffre d’affaires de ce secteur, qui emploie 28 000 personnes (dont 6 000 saisonniers), s’est élevé à 2,9 milliards d’euros en 2011. (Source SNRT)

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se souvient un des copropriétaires. Une semaine plus tard arrive un courrier de Soderev Tour, qui annonce à tous ses propriétaires son placement sous procédure de sauvegarde en raison de graves difficultés financières.

Faillites en cascade Si l’exploitant ne peut rompre le bail commercial, il peut fort bien… mettre la clé sous la porte. Dans ce cas le deal est simple : soit les propriétaires acceptent de revoir les loyers à la baisse, soit le bail est rompu. Avec dans ce cas le risque pour le propriétaire de perdre tous ses revenus et de devoir rembourser au fisc les 20 % de TVA sur le prix d’achat du bien. Sept mois avant Soderev, la société Résitel, en difficulté elle aussi, avait également demandé sa mise en procédure de sauvegarde, après six mois de loyers impayés. Se tournant vers ses propriétaires, elle réclamait alors des réductions pouvant aller jusqu’à

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70 % du montant des loyers garantis et le déplafonnement des charges. 75 résidences étaient touchées, les propriétaires pris à la gorge. « Personne n’avait terminé de payer son crédit, précise Thien An Hoang, l’une d’entre eux. Certains ont encore 1 000 euros à rembourser chaque mois et un manque à gagner de 700 euros de loyer. » Ce n’est pas une première. Depuis 2007, de nombreuses sociétés d’exploitation ont ainsi été placées sous administration judiciaire, mettant généralement les propriétaires au pied du mur. Citons la déroute d’Antipodes, Oléa, Mona Lisa, Quiétudes, Transmontagne, Maisons de Biarritz, Résid’Hôtel ou encore Rhodes Tourisme au printemps dernier… la liste est longue.

Surexploitation La crise du tourisme suffit-elle à expliquer ces faillites en cascade ? Certainement pas, affirme Georges Guérin, le président de la Fédéra-

tion nationale des propriétaires de résidences de tourisme. Pour lui, la faute incombe partiellement aux promoteurs qui « construisent en dépit du bon sens, encouragés par des fiscalités avantageuses comme la loi Demessine ». Il s’agit pour lui « d’une crise de la gestion des résidences ». À Saint-Lary-Soulan (Hautes-Pyrénées) comme dans d’autres zones touristiques, le problème de surexploitation est manifeste, selon Thien An Hoang, qui a acheté son appartement 180 000 euros en 2007. « L’offre y a explosé ces dernières années. On a construit quatre résidences au même endroit récemment. La ville de Saint-Lary comprend aujourd’hui 50 000 lits, ce qui est totalement disproportionné. » La chose est entendue. Même Pascale Jallet, la directrice générale du Syndicat national des résidences de tourisme (qui représente les entreprises du secteur) le reconnaît : « Il y a eu une euphorie et puis la crise est arrivée, tout ça est allé


Dossier trop loin. » Reste à savoir pourquoi la construction de résidences de tourisme se poursuit à un tel rythme. Au pire de la crise en 2009, les capacités d’hébergement en résidences de tourisme ont augmenté de 12 % puis encore de 7 % en 2010 selon l’Insee (chiffres contestés par le SNRT, qui constate un ralentissement). La France compte désormais 2 067 résidences au total pour 669 343 lits.

Opération viciée La concurrence mortifère que se mènent les opérateurs ne serait toutefois qu’une partie d’un problème bien plus complexe. Lorsque l’on se penche sur les nombreux litiges depuis cinq ans, on est étonné de retrouver à chaque fois le même modus operandi, quels que soient les protagonistes en présence. Côme Idrac, avocat spécialisé dans ce type de contentieux, qui a eu à défendre près d’un millier de propriétaires piégés, le résume ainsi : « Dès le départ, le fond de l’opération est vicié. Le promoteur vend un logement à un prix supérieur au marché en échange de loyers garantis et de rendements très élevés, de l’ordre de 5 % par an. Mais il sait que c’est impossible sur le long terme, compte tenu de la concurrence. » « Il lui faut alors trouver une société de gestion pas trop regardante, qui accepte ce deal bancal », poursuit-il. Pour le convaincre, le promoteur

promet à l’exploitant de lui verser pendant deux ou trois ans une subvention appelée « fonds de concours » qui lui permettra de verser le différentiel de loyers surévalués. Ce que le propriétaire ne sait pas au moment de signer c’est que la rentabilité promise n’est donc pas « garantie » sur la durée de son bail, mais uniquement sur deux ou trois ans, le temps pour l’exploitant d’épuiser ce fameux fonds de concours. Si les revenus de sa résidence ne sont pas suffisants pour générer ce niveau élevé de rentabilité, il l’apprendra à ses dépens au moment où la subvention arrivera à sa fin. « L’expression “loyer garanti” est une hypocrisie extraordinaire, il n’y a rien de garanti ! », conclut l’avocat.

« Réticence dolosive » Dans un jugement de février 2011, le TGI de Périgueux a assimilé le mécanisme du fonds de concours à une tromperie, le qualifiant de « réticence dolosive ». Quiétude, le groupe concerné, exploitait alors 55 résidences. Trois mois avant son placement en redressement judiciaire, il avait racheté 16 résidences au groupe Résid’Hôtel. « Le fonds de concours est une pratique ancienne censée permettre de lancer la résidence, d’arriver à un rythme de croisière, explique Pascale Jallet. Mais elle s’est trop généralisée. On ne

peut pas utiliser ce genre d’artifice sans mettre en action les mesures nécessaires pour démarrer une exploitation. » Force est de constater que les bonnes recettes perdurent. Thien An Hoang, qui a eu accès aux comptes de Résitel en tant que représentante des copropriétaires et contrôleuse judiciaire, a constaté l’existence de versements de sommes conséquentes provenant du promoteur Lagrange, qui pourraient être des fonds de concours. Pourquoi ces pratiques s’arrêteraient-elles aujourd’hui ? « Le promoteur gagne de l’argent, précise Côme Idrac. Il lui faut juste un exploitant un peu voyou qui accepte de se charger de l’exploitation, en échange du versement du fonds de concours, le temps que les lots soient tous vendus. » Le scénario est imparable, sans être illégal. Si bien rôdé que certains, comme l’UFC Que choisir, vont jusqu’à soupçonner les promoteurs de programmer à l’avance la défaillance de l’exploitant et son placement en sauvegarde. Les soupçons sont d’autant plus sérieux lorsque le promoteur et l’exploitant ne sont qu’une seule et même entité, ce qui est le cas pour Soderev Tour et Résitel, toutes deux filiales du Groupe Lagrange. Le même Groupe Lagrange, troisième opérateur du secteur des résidences en France, qui commercialise les appartements Résitel et

Soderev Tour et contrôle même la société de syndic qui gère le quotidien de toutes les résidences.

Tromperie manifeste Le résultat, pour Côme Idrac, c’est une tromperie manifeste des petits épargnants : « On fait rêver des gens à petit revenus qui s’endettent sur vingt ans pour un studio invendable à Gémenos, persuadés qu’ils seront remboursés par les revenus locatifs. On leur dit qu’ils investissent dans la pierre donc qu’il n’y a pas de risque, or il ne s’agit pas d’investissement dans la pierre, mais dans du commerce hôtelier, ce qui est bien plus risqué. » Pas question de parler d’escroquerie pour Pascale Jallet, tout au plus d’un « manque de professionnalisme des gestionnaires. Les pratiques malsaines ont bien existé, mais elles sont en voie d’extinction », constate-telle. Fermez le ban. Aujourd’hui « les promoteurs ne s’intéressent plus au tourisme côtier ou de montagne, ils préfèrent construire dans les centresvilles, où les capacités d’hébergement sont moins importantes et la rentabilité plus élevée », promet la représentante des grandes enseignes. Mais est-ce vraiment rassurant ? Les signaux économiques ne sont pourtant pas très enthousiasmants. Certes l’Insee a jugé l’année 2011 « excellente » pour le secteur des résidences de tourisme, tout comme le premier semestre 2012. Mais les opérateurs ne redressent

pas la tête, bien au contraire. « Le rythme des faillites s’est considérablement accru depuis deux ans », observe Côme Idrac. Pire, le Groupe Pierre & Vacances, leader du secteur, qui n’est pas en sauvegarde, tenterait actuellement de renégocier les loyers à la baisse en fin de bail, dans des proportions allant de 20 % à 65 %, en menaçant les propriétaires de se retirer. « Tous les investissements ne tournent pas à la catastrophe, mais voir Lagrange et Pierre & Vacances en difficulté, c’est un mauvais signe », souligne l’avocat. Claude Guibal, député-maire de Menton et signataire d’une proposition de loi sur la protection des propriétaires en résidences partagées, est lui aussi inquiet. « J’ai été alerté par des gens de la classe moyenne qui ont acheté en multipropriété au centre-ville de Menton pour préparer leur retraite et qui ont tout perdu par la faute de groupes qui n’honorent plus leurs baux et le paiement des loyers. » Comme une dizaine de députés, il demande au gouvernement de « prendre des mesures » pour assurer la protection des propriétaires et « lutter contre ces dérives qui mettent en péril de modestes investisseurs ». Car, selon lui, de nombreuses résidences en situation précaire, pas toutes en zone touristique, menaceraient de mettre la clé sous la porte. La balle est maintenant dans le camp des politiques.

« Le ministre de l’Économie et des Finances a accepté de faire recevoir par son cabinet une délégation de copropriétaires » Questions à

industriel du tourisme. À ce titre, j’ai récemment été mis en relation avec une association de copropriétaires d’une résidence de tourisme sur les difficultés qu’ils rencontrent face au promoteur et gestionnaire de leur résidence. Loin d’être un cas isolé, ils sont représentatifs d’un grand nombre de propriétaires vivant la même situation. J’ai donc décidé de me saisir de ce dossier au niveau parlementaire.

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Plusieurs députés ont eux aussi envoyé une question écrite au gouvernement. Y aurait-il une prise de conscience des élus face à ce problème devenu national ?

LUC CARVOUNAS SÉNATEUR PS DU VAL-DE-MARNE

Pourquoi cette question écrite au ministère des Finances ?

Je m’intéresse de près aux problématiques liées au développement

Prise de conscience je ne sais pas, mais plus largement, c’est tout à fait symptomatique de la manière dont est traité le dossier de la politique industrielle du tourisme dans notre pays. Peu de parlementaires s’y intéressent vraiment alors que pourtant l’industrie du tourisme, en France, représente 7 % de notre PIB, deux millions d’emplois directs et indi-

rects… Pour illustrer ce propos, c’est une industrie plus importante que l’agroalimentaire ou l’automobile. Alors, s’il doit y avoir une prise de conscience, c’est sur l’ensemble des problématiques liées au développement touristique, car il est temps d’offrir une vision globale et une vraie stratégie publique à cette filière. J’aurai d’ailleurs l’occasion d’y revenir prochainement avec la publication d’un rapport parlementaire à l’été.

d’autre part, évaluer la pertinence des dispositifs de défiscalisation rattachés à l’immobilier, dès lors qu’il existe un déséquilibre manifeste entre l’esprit recherché par la mesure et sa traduction dans les faits. Les dispositifs liés à la loi Demessine en font partie.

Qu’attendez-vous concrètement du gouvernement ?

Il est important de comprendre que certains de ces grands groupes fabriquent des montages très complexes pour s’exonérer de certaines responsabilités qui leur incombent. C’est pourquoi nous devons sans plus attendre revoir ces dispositifs fiscaux qui permettent à des entrepreneurs de s’enrichir sur le dos des consommateurs. J’ai toute confiance dans le gouvernement pour prendre à bras-le-corps cette question. Pour le reste, il y a de nombreuses pro-

J’ai demandé au ministre de l’Économie et des Finances de bien vouloir faire recevoir par son cabinet une délégation de copropriétaires ce à quoi il a répondu positivement. Je crois que sur cette question concrète nous avons deux objectifs à poursuivre. D’une part, renforcer la protection juridique des consommateurs dans leurs relations contractuelles avec les promoteurs-gestionnaires, et

Comment expliquer que les promoteurs, maisons-mères d’exploitants malhonnêtes, puissent continuer à construire et commercialiser des résidences après avoir floué des milliers de copropriétaires ?

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cédures judiciaires en cours à ce sujet, mais il ne m’appartient pas de les commenter ici. Comment se fait-il que des élus acceptent que se poursuive la construction de résidences de tourisme dans certaines zones touristiques manifestement surexploitées comme les Alpes ou les Pyrénées ?

Toute la difficulté consiste à savoir concilier les exigences. Elles peuvent être économiques, en termes de croissance et d’emploi, ou environnementales, en ce qui concerne la protection des sites, ou encore relatives à l’aménagement du territoire. Mais à titre personnel, je conseillerais à mes collègues de réfléchir à deux fois avant d’accorder de tels permis de construire, et d’être très à l’écoute des propriétaires qui, bien souvent, sont issus des classes moyennes et qui investissent ici les économies de toute une vie.

Propos recueillis par T.K.


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