Jugement du TGI de Perigueux - fevrier 2011 - Quiétude

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Jugement n° DOSSIER N° : 09/00685 NATURE DE L’AFFAIRE 50A AFFAIRE : Monsieur Thierry Marcel BILLION Madame Nathalie Yvette Marie Jeanne GUILLET épouse BILLION C/ Maître LEVY de la SELAFA MJA mandataire judiciaire de la Société GROUPE QUIETUD SELAFA MJA Prise en la personne de Me Frédérique LEVY, es qualité de liquidateur de la Sté NONTRON EXPLOITATION Maître Michel CHAVAUX Société GROUPE QUIETUDE Société SELAFA MJA pris en la personne de Me Frédérique LEVY mandataire Judiciaire agissant es qualité de mandataire liquidateur de la Société GROUPE QUIETUDE Société THESAURUS Société NONTRON EXPLOITATION Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUELLE D’AQUITAINE TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PERIGUEUX

JUGEMENT PRONONCE LE 01 Février 2011

Les parties ayant été avisées de la date du délibéré, par mise à disposition au Greffe conformément aux articles 450 alinéa 2 , 451 du Code de Procédure Civile Après l’audience de plaidoiries tenue en audience publique le 07 Décembre 2010 par

Président : Christine ROY, Présidente (rapporteur) Assesseur : David RIVET, Vice-Président * Assesseur : Laetitia BOURACHOT, Juge Greffier : Cécile du PASSAGE

Après que, conformément aux dispositions de l’article 786 du N.C.P.C, Madame Christine ROY, Vice-Présidente, Juge Rapporteur, ait, les avocats ne s’y opposant pas, entendu les plaidoiries à l’audience du 07 Décembre 2010, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré à ce jour et après qu’il en ait rendu compte au Tribunal dans son délibéré. ENTRE : PARTIE DEMANDERESSE :


Monsieur Thierry Marcel BILLION 508 Ancien Chemin d’Aix Haut 13122 VENTABREN Rep/assistant : la SCP PERRET-BIRABEN, avocats au barreau de PERIGUEUX Rep/assistant : la SCP LECOQ VALLON FERON POLONI, avocats au barreau de PARIS Madame Nathalie Yvette Marie Jeanne GUILLET épouse BILLION 508 Ancien chemin d’Aix Haut 13122 VENTABREN Rep/assistant : la SCP LECOQ VALLON FERON POLONI, avocats au barreau de PARIS Rep/assistant : Me Michel NUNEZ, avocat au barreau de PERIGUEUX ET : PARTIE DEFENDERESSE : Maître LEVY de la SELAFA MJA mandataire judiciaire de la Société GROUPE QUIETUD 64 rue Tiquetonne 75002 PARIS Rep/assistant : la SCP TAILHADES JAMOT, avocats au barreau de PERIGUEUX SELAFA MJA Prise en la personne de Me Frédérique LEVY, es qualité de liquidateur de la Sté NONTRON EXPLOITATION 102 rue du Faubourg St Denis 75479 PARIS CEDEX Rep/assistant : la SCP TAILHADES JAMOT, avocats au barreau de PERIGUEUX Maître Michel CHAVAUX 11 Rue de Sontay 75116 PARIS Rep/assistant : la SCP TAILHADES JAMOT, avocats au barreau de PERIGUEUX Société GROUPE QUIETUDE 64 rue Tiquetonne 75002 PARIS Rep/assistant : la SCP TAILHADES JAMOT, avocats au barreau de PERIGUEUX Société SELAFA MJA pris en la personne de Me Frédérique LEVY mandataire Judiciaire agissant es qualité de mandataire liquidateur de la Société GROUPE QUIETUDE 102, rue du Faubourg SAINT DENIS 75479 PARIS Rep/assistant : Me Jean Michel TAILHADES, avocat au barreau de PERIGUEUX Société THESAURUS 235 rue Louids de Brogolie 13100 AIX EN PROVENCE Rep/assistant : Me Catherine CHEVALLIER, avocat au barreau de PERIGUEUX Société NONTRON EXPLOITATION


28 rue Jean Perrin 17000 LA ROCHELLE Rep/assistant : la SCP TAILHADES JAMOT, avocats au barreau de PERIGUEUX Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUELLE D’AQUITAINE 304 Bd du Pdt Wilson 33000 BORDEAUX Rep/assistant : Me Gérald GRAND, avocat au barreau de PERIGUEUX

EXPOSE DU LITIGE : Dans le cours du mois de février 2004, Monsieur et Madame BILLION ont été démarchés par la société THESAURUS qui leur a proposé de procéder à un investissement locatif par l’acquisition d’un appartement dans une résidence de tourisme en construction par la société QUIETUDE SA, devenue la société GROUPE QUIETUDE, sur la commune de NONTRON (24), dénommée Le Domaine des Nouailles, ouvrant droit à des avantages fiscaux notamment par le fait que la résidence était construite dans une zone de revitalisation rurale ou ZRR sous réserve de respecter certaines conditions de durée et de location. Par acte sous seing privé signé le 24 février 2004, Monsieur et Madame BILLION ont signé un contrat de réservation aux termes duquel la société GROUPE QUIETUDE s’engageait à leur vendre un appartement de 45, 90 m² et une place de parking dans la résidence de tourisme pour un prix global de 132 756 € TTC. Par acte sous seing privé du même jour, les époux BILLION ont signé un contrat de bail commercial avec la société LES GENETS, qui devait prendre en charge l’exploitation de la résidence de tourisme, pour la location de leur appartement moyennant le versement de la somme annuelle de 5 855, 25 € TTC. Les époux BILLION ont contracté un prêt immobilier d’un montant de 140 636 € destiné à financer l’intégralité de l’opération auprès de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d’Aquitaine (ci-après dénommée le Crédit Agricole), la formalisation ayant lieu par acte authentique le 27 mai 2004 dressé par Maître BARON, notaire associé à MAREUIL-SUR-LAYDISSAIS. La vente de l’appartement a été formalisée par acte authentique dressé le 27 mai 2004 par Maître BARON, notaire associé à MAREUIL-SUR-LAY-DISSAIS aux conditions énoncés dans le compromis de vente du 24 février 2004. Le bail commercial a également été réitéré sous la forme d’un acte authentique dressé par Maître BARON, notaire associé à MAREUIL-SUR-LAY-DISSAIS, le 26 août 2004. Par courrier en date du 23 septembre 2004, la société LES GENETS a informé les époux BILLION de sa substitution par la société NONTRON EXPLOITATION pour l’exploitation de la résidence de tourisme et donc de leur appartement. Ces deux sociétés faisaient partie de la société EUROGROUP.


L’immeuble a été livré le 26 décembre 2004. Les loyers n’ont pas été régulièrement réglés par la société NONTRON EXPLOITATION. Par acte d’huissier en date du 08 novembre 2006, la société NONTRON EXPLOITATION a délivré congé aux époux BILLION pour le 24 décembre 2007, ne souhaitant pas le renouvellement du contrat de bail commercial aux mêmes conditions. Par un courrier en date du 13 novembre 2006, elle expliquait aux époux BILLION les raisons de la délivrance du congé. Par acte sous seing privé en date du 18 avril 2007, l’intégralité du capital social de la société NONTRON EXPLOITATION a été cédé à la société QUIETUDE EVASION, constituée par le GROUPE QUIETUDE qui était son unique associé. Par acte sous seing privé en date du 04 mai 2007, les époux BILLION consentaient un nouveau bail commercial à la société NONTRON EXPLOITATION comprenant un loyer réduit de 40 % par rapport au bail antérieur ainsi que l’abandon de créances des loyers impayés. Par actes d’huissier en date des 23 février, 06, 09 et 10 mars 2009, les époux BILLION ont fait assigner la société GROUPE QUIETUDE, la société THESAURUS, la société NONTRON EXPLOITATION et le Crédit Agricole pris en la personne de leurs représentants légaux devant le Tribunal de Grande Instance de PERIGUEUX afin notamment d’obtenir la nullité de la vente immobilière ainsi que celle du contrat les liant à la société THESAURUS et celle du prêt immobilier, et la condamnation des défendeurs à leur verser certaines sommes. Par jugement en date du 28 juillet 2009, le Tribunal de Commerce de PARIS a prononcé la mise en redressement judiciaire de la société GROUPE QUIETUDE, convertie en liquidation judiciaire par jugement en date du 15 juin 2010, la SELAFA MJA étant désignée en qualité de liquidateur. Par jugement en date du 10 septembre 2009, le Tribunal de Commerce de PARIS a prononcé la mise en redressement judiciaire de la société NONTRON EXPLOITATION, convertie en liquidation judiciaire par jugement en date du 10 novembre 2009, la SELAFA MJA étant désignée en qualité de liquidateur. Par actes d’huissier en dates des 25 septembre 2009, 04 janvier 2010, 02 février 2010 et 26 juillet 2010, les époux BILLION ont assigné les organes des procédures collectives en intervention forcée. Les différentes procédures ont fait l’objet de jonctions par ordonnances rendues par le Juge de la mise en état le 19 novembre 2009, le 25 mars 2010 et le 02 septembre 2010. Le Juge de la mise en état, dans son ordonnance du 25 mars 2010, constatait également le désistement d’instance des époux BILLION de leurs demandes envers la société NONTRON EXPLOITATION. Suivant dernières conclusions régulièrement signifiées le 23 novembre 2010, Monsieur et Madame BILLION demandent au Tribunal de : - fixer leur créance au passif de la liquidation de la société GROUPE QUIETUDE à la somme de 209 158, 63 € se décomposant comme suit : - 139 186 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice matériel, - 41 756 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice économique, - 28 116, 63 € au titre des intérêts moratoires et de la capitalisation, - condamner la société THESAURUS solidairement (sic) avec la société GROUPE QUIETUDE) au paiement de la somme de 233 350, 38 € se décomposant comme suit : - 139 286 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice matériel avec


intérêts au taux légal à compter du 27 mai 2004, - 41 756 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice économique avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l’assignation, - condamner la société THESAURUS à leur rembourser la somme de 1 350 € avec intérêts au taux légal à compter du 24 février 2004, - condamner le Crédit Agricole solidairement (sic) avec la société GROUPE QUIETUDE et la société THESAURUS au paiement de la somme de 233 350, 38 € se décomposant comme suit : - 139 286 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice matériel avec intérêts au taux légal à compter du 27 mai 2004, - 41 756 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice économique avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l’assignation, - dire qu’ils seront déchargés des intérêts produits par la somme prêtée par le Crédit Agricole à titre de dommages et intérêts, - ordonner l’exécution provisoire de la présente décision, - condamner les sociétés THESAURUS et Crédit Agricole à leur verser chacune la somme de 8 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile, - ordonner l’inscription au passif de la liquidation de la société GROUPE QUIETUDE des entiers dépens, dont distraction au profit de Maître NUNEZ. Au soutien de leurs prétentions, les époux BILLION exposent avoir été victimes d’un dol de la part de la société GROUPE QUIETUDE qui a trompé leur consentement en leur assurant que l’opération produirait une rentabilité de 5 %, élément qui a été essentiel dans leur consentement, alors qu’une telle rentabilité n’a jamais été atteinte et ne pouvait pas l’être compte tenu du mécanisme employé. En effet, la société GROUPE QUIETUDE n’a jamais fait état de ce qu’elle devait verser à la société d’exploitation de la résidence de tourisme des fonds de concours pendant les trois premières années, fonds qui étaient destinés à compenser le différentiel entre les bénéfices réellement produits par l’exploitation et la rentabilité qui leur avait été promise. Les époux BILLION estiment qu’il y a eu collusion entre le constructeur, la société GROUPE QUIETUDE, l’exploitant, la société NONTRON EXPLOITATION, et le conseil en gestion de patrimoine, la société THESAURUS, pour surévaluer le montant des loyers, ce qui avait pour but de tromper les acheteurs sur la rentabilité du bien proposé. Ils en concluent donc qu’en cachant l’existence de cette pratique de versement de fonds de concours, et ce dans le but de tromper les investisseurs, la société GROUPE QUIETUDE a commis un dol par réticence, la rentabilité économique du contrat étant un élément déterminant de leur consentement, et s’ils avaient été parfaitement et complètement informés de la situation, ils n’auraient pas acheté, même pas à un prix inférieur. Cette attitude fautive de la part des participants de cette opération immobilière et financière justifie l’allocation de dommages et intérêts, les époux BILLION ne sollicitant plus l’annulation de la vente. Ils précisent que la valeur vénale de leur appartement ne correspond plus du tout à sa valeur d’achat, le bien n’étant plus loué, de sorte qu’ils se trouvent dans l’impossibilité de le mettre en vente alors qu’ils doivent toujours assumer le remboursement du crédit. Leur préjudice matériel est donc constitué par l’intégralité du prix d’achat qu’ils ne pourront jamais retrouver. Par ailleurs, compte tenu de l’absence de location, ils ne peuvent plus bénéficier des avantages fiscaux qui étaient liés à l’opération immobilière et seront donc tenus de rembourser la TVA sur le prix d’acquisition, le différentiel entre l’impôt payé au titre des années 2005 à 2008 et celui qu’ils auraient dû payer sans les avantages, et les intérêts de retard et éventuelles majorations, soit une somme de 41 756 €. Pour le contrat passé avec la société THESAURUS, ils estiment qu’elle a participé aux manoeuvres dolosives ayant vicié leur consentement en présentant l’opération immobilière comme très intéressante et totalement sans danger, alors qu’elle ne pouvait pas ignorer l’impossibilité pour l’exploitant d’offrir la rentabilité annoncée. Ils ajoutent que, si elle n’était


pas informée de cette situation, elle a commis une faute en ne se renseignant pas sur ce sujet capital à leurs yeux. Concernant le contrat de prêt, les époux BILLION estiment que le Crédit Agricole a commis une faute en n’ayant pas exécuté correctement son devoir d’information élargi portant sur les capacités financières des emprunteurs non avertis au vu de la viabilité financière du projet alors que le prêteur ne pouvait ignorer l’ampleur des risques pris par ses clients en procédant à une telle acquisition, à tel point que le Crédit Agricole a pris des garanties exorbitantes dans le cadre du crédit. En défense et suivant dernières conclusions régulièrement signifiées le 26 novembre 2010, la SELAFA MJA es-qualités de mandataire liquidateur de la société GROUPE QUIETUDE s’oppose à ces prétentions au motif qu’il n’y a eu aucune réticence dolosive et que la rentabilité qui était annoncée dans la plaquette publicitaire ne faisait état que d’un maximum de 5, 40 % sans s’engager sur ce point, et qu’il s’agissait d’un simple argument commercial. Elle ajoute que les parties n’ont pas érigé la rentabilité de l’opération comme une condition essentielle de la vente, à tel point que les époux BILLION ne sollicitent plus son annulation, et avaient accepté la signature d’un nouveau bail commercial prévoyant une diminution significative des loyers. Elle soutient également que les époux BILLION ne peuvent invoquer l’existence d’aucun préjudice particulier puisqu’ils conservent leur appartement et qu’ils sollicitent deux fois l’indemnisation de leur prétendu préjudice. En défense et suivant dernières conclusions régulièrement signifiées le 15 septembre 2010, la société THESAURUS s’oppose aux prétentions des époux BILLION au motif qu’elle n’a commis aucune faute et les a correctement conseillés sur l’opération immobilière. Elle confirme qu’elle n’était pas informée de l’existence de la pratique de versement de fonds de concours par le constructeur à l’exploitant d’une résidence de tourisme. Elle ajoute que les époux BILLION ne rapportent pas la preuve que la rentabilité de l’opération était un facteur déterminant de leur consentement alors qu’il existait d’autres incitations fortes, et notamment les avantages fiscaux qui, en dehors de toute considération de rentabilité, permettent la constitution d’une épargne et d’un patrimoine foncier en franchise partielle d’impôt sur le revenu ou l’acquisition à très bon prix d’une résidence secondaire. Elle précise que la demande au titre du préjudice économique n’est pas recevable puisqu’un tel préjudice n’est pas certain ni actuel, aucune réclamation administrative n’étant produite aux débats. Concernant le contrat de patrimoine immobilier, son exécution a été correcte, aucune faute ne peut lui être reprochée et la société THESAURUS rappelle qu’elle n’a jamais été le mandataire de la société GROUPE QUIETUDE. Elle sollicite en tout état de cause l’allocation de la somme de 4 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile avec distraction au profit de Maître CHEVALLIER. En défense et suivent dernières conclusions régulièrement signifiées le 23 septembre 2010, le Crédit Agricole s’oppose aux prétentions des époux BILLION et rappelle qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur l’existence d’un dol dans une opération qui le ne concerne pas. Il rappelle qu’en sa qualité de prêteur, ne pèse sur lui qu’un devoir de mise en garde envers des emprunteurs non avertis, et non une obligation d’information et de conseil. En l’occurrence, les époux BILLION ne peuvent être considérés comme des emprunteurs non avertis car ils étaient conseillés par une société en gestion de patrimoine, et dans ce cas le devoir de mise en garde de la banque disparaît. Il ajoute que le montant du prêt accordé n’était nullement excessif au regard des revenus des demandeurs. Il sollicite l’octroi de la somme de 3 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile. Dans l’hypothèse où le contrat de prêt serait annulé, il demande au Tribunal de dire que les dispositions de l’article L. 311-21 du Code de la Consommation sont inapplicables et de condamner solidairement Monsieur et Madame BILLION au paiement de la somme de 92 338, 33 €, les hypothèques et sûretés subsistant jusqu’au règlement intégral de la créance.


L’ordonnance de clôture est intervenue le 02 décembre 2010 et a renvoyé l’affaire à l’audience du 07 décembre 2010 au cours de laquelle elle a été plaidée puis a été mise en délibéré au 1er février 2011, la décision étant rendue ce jour par mise à disposition au greffe. MOTIFS DE LA DECISION : Sur l’existence d’un dol : Les époux BILLION soutiennent avoir été victimes de manoeuvres dolosives consistant à proposer une rentabilité de l’opération immobilière faussée par la pratique pour l’opérateur immobilier de verser des fonds de concours à l’exploitant de la résidence hôtelière, ce qui avait pour effet de surévaluer les loyers. A cet égard, il convient de rappeler qu’en application des dispositions de l’article 1116 du Code Civil, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par une des parties sont telles qu’il est évident que, sans ces manoeuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé. En outre, il est nécessaire d’établir le caractère intentionnel de ces manoeuvres et d’une erreur déterminante provoquée par ces dernières. Ainsi, un simple mensonge, non appuyé d’actes extérieurs, peut constituer un dol, et il peut aussi être constitué par le silence d’une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s’il avait été connu de lui, l’aurait empêché de contracter. En l’occurrence, comme le rappelle la société THESAURUS dans ses écritures, les époux BILLION ont fait l’objet d’une information à propos du programme immobilier Domaine des Nouailles, proposé par la société GROUPE QUIETUDE, car ils étaient désireux de procéder à un investissement immobilier leur permettant de bénéficier d’un régime fiscal de faveur. Ce programme devait effectivement être éligible à la loi dite DEMESSINE puisqu’il s’agissait de la construction d’un ensemble immobilier à usage de résidence de tourisme destiné à la location saisonnière. S’il n’est pas contestable que les avantages fiscaux que les époux BILLION devaient retirer de cet investissement constituaient pour eux un élément déterminant du contrat, il en allait de même pour la rentabilité qu’ils comptaient tirer de l’opération. En effet, outre les réductions d’impôt attendues, les loyers encaissés devaient être utilisés pour rembourser partiellement l’emprunt souscrit auprès du Crédit Agricole, le surplus devant être pris sur leurs revenus. Et pour que les époux BILLION puissent avoir une juste idée de l’effort d’épargne qu’ils devaient consentir, ils devaient être certains de la rentabilité de l’opération. Contrairement à ce que soutient le mandataire liquidateur de la société GROUPE QUIETUDE dans ses écritures, les époux BILLION ne reprochent pas à l’opérateur immobilier de ne pas avoir respecté la rentabilité de 05, 40 % qui avait été annoncée dans la plaquette publicitaire, puisqu’effectivement il ne s’agissait que d’une rentabilité maximale, mais de ne pas avoir respecté la rentabilité promise par la fixation d’un loyer commercial suffisant pour permettre le remboursement des échéances de l’emprunt. Le mécanisme, non connu des époux BILLION lorsqu’ils ont contracté, selon lequel l’opérateur immobilier versait pendant les trois premières années à l’exploitant de la résidence de tourisme des fonds de concours lui permettant de combler les déficits d’exploitation et de verser aux


propriétaires bailleurs les loyers contractuellement stipulés, conduit effectivement à annoncer et promettre une rentabilité de l’opération qui n’est pas réaliste et qui conduit à présenter aux personnes intéressées une fausse information en leur faisant miroiter une opération financièrement équilibrée et intéressante au plan fiscal alors qu’une telle opération n’est économiquement pas viable et ne peut tenir les premières années que grâce au versement des fonds de concours. Lorsque ce versement est stoppé, le déficit d’exploitation, qui était masqué jusque là, est dévoilé et les propriétaires bailleurs sont alors face à une situation difficile, obligés d’accepter une diminution drastique du loyer commercial ou bien de subir l’arrêt de l’exploitation de la résidence touristique. Un tel mécanisme conduit donc les acquéreurs d’appartements dans une résidence de tourisme à s’engager sur un projet financier qui n’est pas réaliste et ne permet en aucun cas de remplir l’un des buts assignés à l’opération, savoir une rentabilité suffisante des sommes investies, outre les réductions d’impôt attachées à l’opération. Il en résulte que la société GROUPE QUIETUDE, en n’informant pas les époux BILLION lors de l’échange des consentements que la rentabilité annoncée de leur investissement ne pouvait être atteinte que grâce au versement de fonds de concours à l’exploitant de la résidence de tourisme dans laquelle ils devaient acheter leur appartement, et que ce versement devait cesser au bout de trois ans, s’est rendue coupable d’une réticence dolosive. Cette réticence dolosive a porté sur un élément déterminant du consentement des époux BILLION qui a donc été vicié, les époux BILLION étant trompés sur la rentabilité véritable de l’opération immobilière qui leur était proposée. La société d’exploitation de la résidence de tourisme ne pouvait pas ignorer ce mécanisme puisqu’elle recevait les fonds de concours et connaissait le caractère déficitaire de l’exploitation. Ainsi, les sociétés GROUPE QUIETUDE et NONTRON EXPLOITATION peuvent se voir reprocher ces manoeuvres dolosives. Sur les préjudices : Il convient de rappeler que le droit de demander la nullité du contrat par application des dispositions des articles 1116 et 1117 du Code Civil n’exclut pas l’exercice, par la victime des manoeuvres dolosives, d’une action en responsabilité délictuelle pour obtenir de leur auteur réparation du préjudice qu’elle a subi, de sorte que les demandes formulées de ce chef par les époux BILLION sont recevables, ces derniers renonçant dans leurs dernières écritures à solliciter la nullité du contrat de vente de l’appartement. Les époux BILLION sollicitent la réparation de leur préjudice matériel et de leur préjudice financier. - sur le préjudice matériel : Les époux BILLION soutiennent que leur appartement ne vaut plus rien et qu’il n’est plus loué, de sorte qu’ils sollicitent à titre de dommages et intérêts l’intégralité du prix de vente. Toutefois, comme le font justement remarquer les défendeurs, les époux BILLION ne versent aux débats aucun avis actuel de valeur de leur immeuble. Ils ne justifient pas non plus de l’absence de location ni de l’impossibilité de l’occuper, ne serait-ce qu’à titre de résidence secondaire.


Les époux BILLION ne fournissent aucun élément sur l’état actuel de leur appartement ni sur la possibilité de le proposer à la location, sans éventuellement passer par un exploitant de résidence de tourisme. Il en résulte que l’indemnisation de leur préjudice matériel, dont le principe ne peut être soumis à discussion, ne peut consister dans le remboursement intégral du prix de vente. Ainsi, il convient raisonnablement de réparer leur préjudice matériel par l’allocation de la somme de 40 000 € à titre de dommages et intérêts. Les époux BILLION se sont désistés de leurs demandes à l’encontre de la société NONTRON EXPLOITATION, de sorte que seule la société GROUPE QUIETUDE peut être déclarée responsable et supporter le coût de ces dommages et intérêts. Cette société étant en liquidation judiciaire, il y a lieu de fixer à la somme de 40 000 € la créance des époux BILLION au passif de la liquidation de la société GROUPE QUIETUDE. - sur le préjudice financier : Les époux BILLION soutiennent être propriétaires d’un bien qui ne leur permet pas de bénéficier des mesures de défiscalisation attendues, de sorte qu’ils évaluent leur préjudice financier au montant des avantages fiscaux déjà obtenus qu’ils devront restituer. Or, un tel préjudice n’est ni certain ni liquide. En effet, les époux BILLION ne produisent aucun courrier de l’administration fiscale sollicitant le remboursement des réductions fiscales pour les années antérieures, la prescription étant de trois années pour le paiement de l’impôt sur le revenu. En outre, aucun décompte des avantages fiscaux retirés de l’opération n’est produit aux débats. Il convient en conséquence de rejeter comme non fondée la demande d’indemnisation du préjudice financier. Sur la demande au titre du contrat avec la société THESAURUS : Les époux BILLION reprochent à la société THESAURUS d’avoir participé aux manoeuvres dolosives en leur ayant présenté le projet immobilier Domaine des Nouailles comme un projet sérieux et sans risque alors qu’elle ne pouvait ignorer l’impossibilité pour l’exploitant d’offrir la rentabilité annoncée. Toutefois, aucun élément versé aux débats ne permet de dire avec certitude que la société THESAURUS, qui n’était pas le mandataire de la société GROUPE QUIETUDE mais simplement une société de conseil en investissements financiers à qui la société GROUPE QUIETUDE a proposé le projet de résidence de tourisme Domaine des Nouailles, était informée de l’existence de ce mécanisme de versement de fonds de concours destiné à assurer une rentabilité surévaluée par rapport à la rentabilité véritable de l’opération. Il ne peut être reproché à faute à la société THESAURUS de ne pas s’être suffisamment renseignée sur la façon dont l’exploitant de la résidence de tourisme allait pouvoir verser chaque année les loyers contractuellement promis dans la mesure où elle n’avait pas de lien contractuel avec lui et que ce problème était de la responsabilité seule de l’exploitant.


Par ailleurs, les avantages fiscaux et les réductions d’impôt qui étaient annoncés par la société THESAURUS ont bien été réalisés au bénéfice des époux BILLION. Enfin, la société THESAURUS a respecté ses engagements puisque, lorsque des difficultés sont apparues avec la société NONTRON EXPLOITATION qui a délivré congé en 2006, elle a proposé aux époux BILLION de mandater un avocat pour étudier le dossier, le congé n’apparaissant pas valide. Ce sont les époux BILLION qui ont ensuite décidé de signer un nouveau contrat de bail beaucoup plus désavantageux avec la société NONTRON EXPLOITATION. Il en résulte qu’aucune faute ne peut être retenue à l’encontre de la société THESAURUS, de sorte que la demande d’indemnisation des époux BILLION à son encontre sera rejetée comme non fondée. Sur la demande à l’encontre du Crédit Agricole : Les époux BILLION soutiennent que le Crédit Agricole n’a pas respecté son devoir d’information et de conseil sur le montant et la viabilité de l’opération financière. A cet égard, il convient de rappeler qu’un établissement de crédit qui consent un prêt à un emprunteur non averti est tenu à son égard, lors de la conclusion du contrat, d’un devoir de mise en garde en considération de ses capacités financières et des risques de l’endettement né de l’octroi du prêt, dont elle ne peut être dispensée par la présence au côté de l’emprunteur d’une personne avertie, peu important qu’elle soit tiers. Par ailleurs, l’établissement de crédit n’est pas tenu d’un devoir de mise en garde lorsque le prêt est adapté aux capacités financières de l’emprunteur. En ce qui concerne le fait de savoir si un emprunteur est averti ou pas, il faut se livrer à une appréciation in concreto de la situation des emprunteurs. En effet, une telle distinction ne recoupe pas celle opposant les consommateurs aux professionnels. Il est tenu compte des capacités de l’emprunteur à mesurer le risque pris ainsi que de ses capacités intellectuelles, de son expérience dans le secteur considéré, de son habitude des affaires. Le critère professionnel est également pris en compte, et le plus souvent des personnes cadres ou dirigeants ne peuvent pas bénéficier du devoir de mise en garde. Il est aussi tenu compte des caractéristiques de l’opération, de sorte que plus le financement est complexe plus l’établissement de crédit est tenu à un devoir de mise en garde. Il est indifférent que l’emprunteur puisse bénéficier d’un conseil. En l’occurrence, les époux BILLION doivent être qualifiés d’emprunteurs non avertis car le projet d’investissement dans le Domaine des Nouailles faisait appel à des notions complexes relevant des réductions et déductions fiscales ainsi que de la location commerciale. Il n’est pas démontré que les époux BILLION avaient des connaissances particulières dans ces domaines ou exerçaient une profession en rapport avec ces derniers. Enfin, le fait que l’opération ait été proposée par une société de gestion de patrimoine ne peut avoir pour conséquence d’en faire des emprunteurs avertis. Toutefois, au regard de la capacité financière des époux BILLION, caractérisée par la production aux débats de leur avis d’impôt sur le revenu pour l’année 2002 de la lecture duquel il ressort que leurs revenus étaient de 178 513 € pour cette période, ainsi que de leurs avoirs au Crédit Mutuel au 13 janvier 2004, le prêt souscrit d’environ 140 000 € apparaissait tout à fait adapté à leur situation. La meilleure preuve en est qu’il n’y a eu aucun impayé et que les mensualités ont été réglées.


Ainsi, le Crédit Agricole n’avait pas de devoir de mise à garde à l’encontre des époux BILLION dont la capacité financière était largement suffisante pour rembourser le crédit souscrit. Par ailleurs, le Crédit Agricole n’avait pas à se prononcer sur la viabilité de l’opération immobilière dans la mesure où la preuve n’est pas rapportée qu’il finançait également le constructeur, la société GROUPE QUIETUDE. Enfin, le fait que le Crédit Agricole ait pris des sûretés sur l’immeuble acquis par les époux BILLION ne peut être imputé à faute à l’établissement de crédit dans la mesure où il s’agit d’une mesure habituelle dans le cadre d’une acquisition immobilière. Cette situation banale ne peut être utilisée pour justifier que le Crédit Agricole était inquiet et tenait à préserver son investissement. Il en résulte qu’aucune faute de ce chef ne peut être retenue à l’encontre du Crédit Agricole qui justifierait l’allocation de dommages et intérêts. Il convient donc de rejeter la demande des époux BILLION en ce sens. Sur l’exécution provisoire : Seule la société GROUPE QUIETUDE a été reconnue coupable de manoeuvres dolosives mais elle est en liquidation judiciaire, de sorte que l’exécution provisoire de la présente décision n’apparaît pas utile et la demande en ce sens sera rejetée. Sur les frais irrépétibles : L’équité et la situation économique des parties commandent de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile pour aucune des parties. Sur les dépens : La SELAFA MJA es qualités de mandataire liquidateur de la société GROUPE QUIETUDE succombe dans ses prétentions, de sorte qu’elle devra supporter les dépens de la présente instance qui seront employés comme frais privilégiés de liquidation. PAR CES MOTIFS, Le Tribunal, statuant par une décision contradictoire rendue en premier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi, par mise à disposition au greffe, DIT que la société GROUPE QUIETUDE a commis un dol à l’encontre des époux BILLION lorsque ces derniers ont contracté avec elle, de sorte qu’elle doit être déclarée responsable du préjudice matériel causé à ces derniers ; FIXE en conséquence au passif de la liquidation de la société GROUPE QUIETUDE la créance des époux BILLION à ce titre à la somme de 40 000 € (quarante mille €) ; REJETTE le surplus des demandes des époux BILLION à l’encontre de la société GROUPE QUIETUDE et les demandes des époux BILLION à l’encontre de la société THESAURUS et de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d’Aquitaine comme non fondées ; DIT n’y avoir lieu à exécution provisoire ;


DIT n’y avoir lieu à l’application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile ; CONDAMNE la SELAFA MJA es qualités de mandataire liquidateur de la société GROUPE QUIETUDE à supporter le coût des dépens de la présente instance qui seront employés comme frais privilégiés de liquidation, avec distraction suivant offres de droit au profit de Maître NUNEZ en application des dispositions de l’article 696 du Code de Procédure Civile. A I N S I J U G E E T P R O N O N C E P A R MI S E A DI S P O S I T I O N A U G R E F F E L E S J O U R , MOI S E T A N S U S D I T S , le présent jugement a été signé par Madame Christine ROY, Président, et par Madame Cécile du PASSAGE, Greffier. Le Greffier

Le Président


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