Lobi

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LOBI

Lobbying Observatory Bureau

of

Investigation

Numéro unique réalisé par les étudiants d’Institut Pratique du Journalisme. Tirage limité non destiné à la vente.


Jean-Baptiste B et Thibaut S

Bertrand V, Emilie H et Ronand F

Philippe S et Julien D

Manu S et Tristan V

Elodie G et Evelyne O

Paul B, Aurore L et Pauline T

Anne T et Anne-Laure N

Jean-Marc D et Viviane B

Ioris Q et Emiilie L

Pierre A et son dessin

Florian M et Mustapha S


E D I TO

Déplacer le curseur

P

par

Anne Tézenas du Montcel

ourquoi s’intéresser aux lobbies ? Parce qu’avec leur multiplication, le temps et les lieux où se jouent des enjeux importants pour les citoyens se sont déplacés en amont des débats traditionnellement couverts par les médias. Que ce soit en France ou à l’étranger, ces acteurs interviennent souvent des années avant que n’intervienne le temps des votes et des décisions. Ils sont autant de sources d’expertise, d’études, de propositions destinées à générer ou à faire évoluer les normes en fonction des intérêts qu’ils défendent. Aux Etats-Unis, leur présence est spectaculaire, puisqu’il y a près de 35 000 lobbyistes à Washington. A Bruxelles, ils sont officiellement 15 000 et participent au processus d’élaboration des directives. En France, ils sont moins d’une centaine mais pèsent au Parlement en dépit d’un statut non officiel. Ce que voit le citoyen de cet amont? Au mieux l’écume, s’il est utile pour les intérêts en présence de le poser en arbitre. Sinon, pas grand-chose, précisément parce que l’action des lobbies est souvent très technique. Extrêmement ardue à décrypter, elle nécessite de la part des journalistes un travail d’analyse de documents et une connaissance des rouages institutionnels impressionnants. Donc du temps. Avec les 22 élèves de techniques d’écriture avancée d’IPJ, nous avons justement essayé pendant cinq mois de déplacer le curseur. Enquêter sur ces acteurs nous a obligé très vite à sortir des visions binaires pour intégrer la notion de « parties prenantes », mais aussi à quitter autant que faire se peut celui de nos préjugés - le travail fait en atelier d’écriture par la journaliste Maya Blanc sur l’imaginaire véhiculé par le mot lobby en témoigne. Chacun a choisi son sujet –un organisme, l’AMF ou l’UFC, un produit, le lait ou l’eau minérale, un secteur – pour s’atteler à une tâche parfois ingrate : comprendre son histoire, le jeu des parties prenantes puis identifier ceux qui ont pour métier d’influencer. Un travail d’enquête à deux étages : d’abord appréhender le contexte, ensuite, comprendre qui cherche à obtenir quoi. Enfin, chacun a défini la forme de son article. D’où leur variété. Tous sans exception nous donnent à penser. Ce travail se veut également une contribution à une réflexion plus large sur le journalisme et la démocratie. Tout simplement parce que parler de lobbying amène immédiatement à réfléchir à la façon dont sont élaborées les normes. Et les normes concernent l’ensemble des citoyens et dessinent notre avenir. Et si le journaliste, en particulier celui de la presse écrite, homme de l’enquête, du papier long et de l’analyse, consacrait plus de temps au décryptage de cet amont des votes pour mieux informer le citoyen sur le monde qui se dessine ? Les journaux ont été précisément créés aux Etats-Unis à la fin du XIXè siècle pour suivre et informer les citoyens sur ce qui se passait au Congrès. Et cette demande est toujours d’actualité. Pour accomplir leur devoir d’information au service d’un citoyen qui pourra faire en conscience ses choix économiques ou politiques, les journaux pourraient investir ce champ pour mieux comprendre ces acteurs qui, cinq ou dix ans plus tard, donneront naissance de par leur travail d’influence et d’expertise à autant de lois, donc de réalités applicables à nos vies. Informer sur l’action des lobbies, c’est donner la possibilité au citoyen de participer et de peser sur les décisions à l’heure où elles se font. Cela suppose évidemment de donner aux journalistes du temps pour enquêter et réfléchir.

Remerciements Merci à Pascal Guénée et Thierry Guilbert, d’avoir accompagné avec enthousiasme ce projet et rendu possible sa publication au sein d’IPJ. Merci à Elisabeth Nivert, ma complice des Editions de l’Alliance, d’avoir éclairé les élèves lors d’une session intitulée «Parole de l’un, parole de l’autre» sur ce qui se passe lors d’une interview. Avec elle, ils ont pris conscience de cet équilibre si délicat à trouver pour respecter la parole de la personne interviewée et, ce faisant, de l’engagement que revêt leur signature au bas d’un article vis-à-vis

des personnes qui leur ont consacré du temps et vis-àvis d’eux-mêmes. Merci à Xavier Guizot d’avoir permis aux élèves de comprendre à partir d’un travail collectif autour de la question des OGM l’importance de la notion de «parties prenantes» et d’interactions complexes. Merci à Maya Blanc, Marc Fernandez et Jean-Christophe Rampal d’avoir en tant qu’enseignants de deuxième année coordonné leurs efforts pour que l’équipe puisse se concentrer sur le thème des lobbies. Merci aux 22 élèves d’avoir pris le pari d’un travail au long cours et de l’avoir réussi. LOBI - Avril 2010

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SOM MA I R E

3 Editorial 6 Interview

Pour Philippe Maze-Sencier, directeur du cabinet APCO Worldwide, le lobbying «participe à la démocratie.»

Emilie Helmbacher

Approche

8 Portrait

© SER-FEE

Thierry Coste, chasseur et lobbyiste embusqué.

Consommation

16 L’UFC-Que choisir 11 Onu

De Copenhague à la création d’une agence pour le droit des femmes, le lobbying est intégré aux prises de décision.

12 Europe

L’exercice des 15 000 lobbyistes présents à Bruxelles, partie intégrante du processus décisionnel, n’est pas encore réglementé.

14 Etats-unis

DR

Les lobbies gagnent une nouvelle bataille et affirment leur domination sur le pouvoir politique.

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LOBI - Avril 2010

influence parlementaires et conseillers pour traduire ses idées dans la loi.

24 Face à la crise, l’historique

Environnement

Maison du lait est mise en péril par des producteurs indépendants.

36 Les opérateurs mobiles

de leurs ventes, les marques d’eau en bouteille mettent la pression sur les collectivités locales.

42 Anti-éoliens et partisans

28 Confrontées à la chute

32 Les exploitants de salles de cinéma remettent en question leurs représentants alors que la profession est en pleine mutation.

sont en passe de remporter la guerre face aux associations d’usagers. du nucléaire s’allient pour mettre un terme à la propagation des éoliennes.

46 Même dénoncée par

les associations écologistes, l’huile de palme continue d’inonder l’Europe.


DR

IPJ-Dauphine 24, rue Saint-Georges 75009 Paris tél : 01-72-74-80-00 fax : 01-72-74-80-01 www.ipj.eu

Politique

50 Le secteur de la vidéo-

surveillance souhaiterait que la future loi sur la sécurité intérieure booste son activité.

56 Les associations d’élus locaux, comme celle des maires de France (AMF), ont du mal à rester unis et à défendre leurs intérêts.

Société

74 Les homosexuels se mobilisent en France et en Europe pour obtenir l’égalité des droits.

82 Pourtant présents depuis

60 Trente-cinq ans après la

longtemps à Bruxelles, les groupes d’intérêts chrétiens se cherchent encore.

66 Energie nucléaire fran-

18 - 25 ans sans emploi, pas même les grandes organisations étudiantes, syndicales et familiales.

70 La mobilisation des as-

crédibilité, l’Eglise de Scientologie joue la carte du politiquement correct.

loi Veil, les militants anti-IVG n’ont pas baissé les bras, mais les associations de défense résistent.

çaise : militants et élus dénoncent un domaine réservé du gouvernement.

AFP / Fred Dufour

sociations en faveur d’une gestion publique de l’eau bouscule l’hégémonie de Veolia et Suez.

88 Personne ne défend les

92 En quête d’une nouvelle

96 Le football, véritable bu-

siness, est très lucratif pour les chaînes de télévision.

Directeur de la publication : Pascal Guénée Conception et rédaction en chef : Anne Tézenas du Montcel Responsable d’édition : Marc Fernandez Coordination de l’édition : Florian Mahé, Bertrand Volpilhac Conception de la maquette : Tristan Vey Conception de la une : Pierre Ancery, Thibaut Schepman, Tristan Vey, Ronand Fiolet llustrations : Pierre Ancery Infographies : Jean-Marc Delaunay, Ioris Queyroi (tags) Iconographie : Viviane Bach, Thibaut Schepman Equipe «pastilles» : Ronand Fiolet, Emmanuel Salloum, Pauline Théveniaud Equipe sommaire : Elodie Guignard, Anne-Laure Naymark, Philippe Schaller Rédaction : Florian Mahé, Bertrand Volpilhac, Tristan Vey, Pierre Ancery, Thibaut Schepman, Ronand Fiolet, JeanMarc Delaunay, Ioris Queyroi, Viviane Bach, Emmanuel Salloum, Pauline Théveniaud, Elodie Guignard, Anne-Laure Naymark, Philippe Schaller, JeanBaptiste Baretta, Paul Blondé, Julien Duriez, Emilie Helmbacher, Emilie Lopez, Aurore Lartigue, Evelyne Orman, Mustapha Sandid. Secrétaires de rédaction : Jean-Baptiste Baretta, Paul Blondé, Julien Duriez, Emilie Helmbacher, Emilie Lopez, Aurore Lartigue, Evelyne Orman, Ioris Queyroi, Mustapha Sandid, Bertrand Volpilhac Imprimerie : RouleCopy - RCI Numérique LOBI - Avril 2010

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AP P R O C H E

« Notre métier participe à la

vie démocratique »

Philippe Maze-Sencier est directeur général d’APCO Worldwide Paris, un cabinet généraliste indépendant. Avec près de 600 consultants dans le monde, sa société offre des services de conseil en affaires publiques et communication stratégique. Son bureau parisien effectue de la veille législative et réglementaire ainsi qu’un accompagnement institutionnel des projets des entreprises. par Jean-Baptiste Comment devient-on directeur général de l’un des bureaux du plus grand cabinet de lobbying au monde ?

Comment le métier de lobbyiste est-il perçu en France ?

Notre métier est très mal connu. C’est quelque chose de culturel. Cela remonte à la loi Le Chapelier de 1791. Celle-ci interdisait les corporations et les groupements d’intérêts particuliers. Alors qu’aux Etats-Unis, l’intérêt général est perçu comme la somme des intérêts particuliers. Ce sont deux conceptions différentes de la société. Je suis intimement persuadé que l’intérêt particulier peut avoir un impact sur l’intérêt général. Quand une législation peut mettre à la porte des dizaines d’employés ou pousser à la délocalisation et nous faire ainsi perdre du tissu industriel, je pense que cet intérêt particulier à le droit de se faire entendre. Cette conception « à la française » est-elle

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LOBI - Avril 2010

en train de changer ?

La tradition et la culture des réseaux en France a fait que l’on a pu vivre heureux, vivre caché. Un ancien énarque ayant quitté le service public et travaillant dans un cabi-

DR

Par hasard et par volonté. J’ai une licence anglaise, une maîtrise américaine et un DEA allemand. Je suis chez APCO depuis environ dix ans. J’ai auparavant travaillé chez LVMH en France et en Allemagne en communication marketing, au Commissariat des droits de l’homme à Genève, à la délégation de la commission européenne à Washington, au département affaires politiques d’EADS et dans un cabinet conseil spécialisé en réputation. Lobbyiste, c’est un métier fascinant à la confluence du public et du privé. Le lobbying n’est qu’un outil de communication vers un public particulier, un levier avec des codes de langage particuliers. Aujourd’hui, je fais un métier passionnant et j’adore ce que je fais.

Baretta

«

La réalité de la profession a bien évolué en dix ans »

net ou en interne dans une grande entreprise, appelait son condisciple, encore aux affaires, et réglait ainsi le problème. Il y avait cette impression que c’était une affaire d’initiés et que cela se réglait en catimini. C’est de moins en moins le cas. Les choses ont bien évolué en dix ans sur la réalité du métier et ce qu’il apporte. Nous faisons désormais ouvertement partie de la vie politique et démocratique du pays. Qui sont vos principaux clients ?

APCO Paris est un cabinet généraliste avec un portefeuille d’une trentaine de clients. Nous sommes par exemple présents dans le secteur des énergies renouvelables, dans le transport aérien et aéronautique avec l’Américain FedEx. Nous avons également pour clients des fédérations professionnelles comme Group’ Hygiène, ou bien encore des entreprises telles eBay ou Leroy Merlin. Les parlementaires français devraient-ils être suivi par des lobbyistes comme au Parlement américain ?

Non. On a la chance dans notre pays de ne pas avoir besoin d’énormes sommes d’argent pour être élu par-


lementaire. Donc j’espère que ce ne sera jamais le cas. Mon travail n’est pas de suivre un parlementaire mais de pouvoir présenter une problématique au législateur. Comment définiriez-vous votre rôle ?

Nous avons un rôle de traduction. Une passerelle entre un monde politique et un monde économique où les langages, les codes, l’agenda et le temps ne sont pas les mêmes. Nous devons jouer avec un curseur, de manière à ce que l’objectif ultime soit atteint le plus vite possible. Mais également avoir cette souplesse de l’échine pour pouvoir s’adapter de la manière la plus intelligente possible. Le législateur doit prendre la décision mais elle doit être prise à la lumière d’une bonne compréhension de toutes les problématiques. Peser le pour et le contre et décider dans un sens ou dans l’autre car il y a un arbitrage qui doit être réalisé en toute connaissance de cause. Quels problèmes rencontrez-vous avec le législateur ?

Nous avons en France un Parlement où la fonction publique est sur-représentée. Nous avons le plus souvent affaire à des parlementaires provenant de l’administration et s’appuyant sur celle-ci. Ces personnes sont extrêmement qualifiées mais elles ne touchent pas forcément du doigt la réalité de la vie en entreprise. Elles se tournent naturellement vers les services de l’Assemblée et vers l’administration qui vont leur fournir une partie du prisme, une vérité parmi d’autres. Or, il me paraît nécessaire de pouvoir expliquer aux décideurs politiques le point de vue, l’impact, que telle ou telle décision peut avoir, comment elle peut être améliorée. Comment intervenez-vous auprès de ces parlementaires ?

Cela se fait sur le long terme et des allers-retours. Avant que la loi ne soit votée, des rapporteurs débroussaillent le terrain puis il y a un travail en commission très important, des auditions et le vote en plénière. Nous pouvons faire bouger les choses en essayant de convaincre. Jusqu’au vote final, tout est possible. Sur des sujets contentieux, nous tentons d’influencer les parlementaires jusqu’au dernier moment. Mais nous intervenons, en général, avant et pendant le travail en commission.

«

Influencer n’est pas un vilain mot »

Vous parlez sans gêne d’influencer les parlementaires.

Pour moi, influencer n’est pas un vilain mot. Influencer, c’est convaincre. Essayer de convaincre du bien-fondé de la position que l’on défend pour que le législateur ait tous les éléments de contexte à l’esprit. Avez-vous déjà rencontré des conflits d’intérêts entre vos différents clients ?

Si une entreprise réclame notre aide mais que nous dé-

fendons déjà la cause d’une entreprise concurrente à celle-ci, notre relation avec l’entreprise pour laquelle nous travaillons primera et nous refuserons de collaborer avec l’autre. Mais il peut y avoir des « Chinese Wall », c’est à dire deux équipes complètement séparées qui peuvent travailler sur la même problématique si les deux clients défendent la même position. Si les entreprises sont concurrentes, ce n’est pas faisable pour une raison très simple. Quelle crédibilité aurez-vous devant un parlementaire si lundi un de nos associés vient défendre une cause et que le lendemain il vient en défendre une autre totalement opposée ?

«

Nous déclarons toujours pour qui nous travaillons »

Concrètement, quelle est votre mission pour eBay ?

eBay est accusé par de grandes marques de luxe françaises de contrefaçon. En France, depuis juin 2008, une personne n’a plus le droit de vendre sur eBay un parfum de marque alors que dans les autres pays européens, cela n’est pas illégal. Nous sommes là pour sensibiliser les parlementaires et le groupe « Contrefaçon » au Parlement sur la réalité de ce que fait eBay. eBay, c’est chaque jour 1,2 milliard de listings. C’est plusieurs millions d’euros investis depuis de nombreuses années pour lutter contre la contrefaçon, des milliers de personnes qui travaillent sur des problèmes de contrefaçon, des filtres avec des mots-clés mis en place. On ne peut pas dire qu’eBay ne fait pas ce qu’il faut. Notre mission, encore une fois, est de donner les deux versions de l’histoire aux médias et au législateur. Pourquoi APCO Worldwide Paris est-il membre de l’AFCL (Association française des conseils en lobbying) ?

L’AFCL est notre organe de représentation. En tant qu’acteur de la vie française des affaires publiques, c’est tout à fait naturel de faire partie de notre fédération professionnelle. L’AFCL tente de regrouper des acteurs qui ont une vue commune du métier, une démarche qui s’appuie sur des critères déontologiques forts. Nous respectons toutes les chartes élaborées par l’AFCL. Même celle de toujours déclarer votre identité ainsi que ceux de vos clients ?

Quand un courrier est envoyé, il porte toujours l’entête d’APCO. Nous déclarons toujours pour qui nous travaillons. Notre métier repose sur notre crédibilité. Si je mens, je le ferai une fois, mais ce parlementaire ne voudra pas me revoir. La relation doit être légitime. Cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas y avoir de confidentialité. Tout n’est pas écrit. On peut partager avec le parlementaire des informations mais certaines ne se feront pas par écrit car c’est le secret des affaires. LOBI - Avril 2010

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AP P R O C H E

Lobbyiste

Embusqué

Réseaux opaques, stratégies d’influence, manipulations tous azimuts... Les fantasmes qui entourent les chasseurs ne manquent pas. Thierry Coste défend les intérêts du monde cynégétique au sein de son cabinet Lobbying et Stratégies et ne veut rien cacher de ses méthodes.

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LOBI - Avril 2010

Pierre Ancery

chasseurs, la FNC se trouve en situation de monopole total. En tout, elle regroupe près d’1,3 million de chasseurs, soit davantage que dans tout autre pays européen, même si leur nombre diminue chaque année. Son système pyramidal très structuré lui confère une force de frappe incomparable, jusque dans les plus hautes sphères de l’État. Ses intérêts financiers sont énormes : la chasse fait circuler beaucoup d’argent. En moyenne, un tireur français dépense 1500 euros par an en achat de fusils, de cartouches, de chiens, de gibier d’élevage, de taxes liées à la validation du permis et en location du territoire giboyeux. Si on multiplie ces dépenses individuelles par 1,3 million, le chiffre total avoisine les 2 milliards d’euros. C’est pourquoi le lobby des chasseurs intervient au plus haut niveau de décision. Thierry Coste sert d’intermédiaire, de « sous-traitant », quand il s’agit d’influencer les cercles de pouvoir nationaux. Dès que la FNC estime que la loi ou la réglementation sur la chasse doit être modifiée, elle fait appel à ses services. Le ministre de l’Environnement ne se montre pas assez favorable aux chasseurs ? Il fera tout pour le faire changer d’avis. Un projet de loi entend appliquer plus strictement une directive européenne visant à protéger les oiseaux migrateurs ? Il usera de toute son influence pour en faire modifier le contenu par les parlementaires. © Lobbying et Stratégies

E

n France, les lobbyistes ont souvent l’image d’hommes de l’ombre. Thierry Coste, lui, est un adepte de la lumière. Ce quinquagénaire charmeur au regard bleu perçant et aux allures de félin n’apprécie rien tant que de parler de son métier, dont il révèle les mécanismes avec délectation. « Je suis un vrai mercenaire », aime-t-il à déclarer, depuis son petit cabinet de lobbying situé rue de Varenne, dans le septième arrondissement de Paris. Pour installer les locaux de sa société fondée en 1994, Lobbying et Stratégies, cet ancien agriculteur a choisi un emplacement stratégique : la même rue que le ministère de l’Agriculture et que Matignon, à deux pas de l’Assemblée nationale. Un luxe à la hauteur de la réputation du personnage : si son nom n’évoque rien au grand public, Thierry Coste est connu comme le loup blanc dans les couloirs du palais Bourbon et au sein des cabinets ministériels. Son visage souriant s’y voit immédiatement associé au puissant lobby de la chasse, dont il est le tireur de ficelles attitré. « Le chef d’orchestre », comme il se présente lui-même, « celui qui ne joue d’aucun instrument mais qui dirige tous les musiciens pour atteindre un but précis ». Car Thierry Coste est payé pour servir « sans état d’âme » les intérêts de ses clients. En l’occurrence, 20% de son chiffre d’affaires provient de son contrat avec le lobby de la chasse. Derrière cette dénomination floue se cache une organisation bien précise : la toute-puissante Fédération nationale des chasseurs (FNC), dirigée par Charles-Henri de Ponchalon. Celle-ci occupe une place unique en Europe, puisqu’en France, tous les détenteurs du permis de chasser sont contraints d’adhérer à la fédération de leur département. Et comme chacune d’entre elles est intégrée à l’organisation nationale, aux côtés de quelque 70 000 associations de

par

« Il faut connaître tout le monde » L’organisation est si puissante qu’elle peut se permettre de freiner l’application française du droit communautaire. Le 14 février 1998, le lobby de la chasse réunit 150 000 personnes dans les rues de Paris pour une manifestation monstre. Ils réclament le droit de tirer les oiseaux migrateurs au mois de février, une période de chasse menacée par un projet de loi de Dominique Voynet, alors ministre de


Tous les chasseurs français (1,3 million environ) font partie de la Fédération nationale des chasseurs. © AFP Photo Pascal Guyot l’Écologie. Résultat : le 3 juillet, une nouvelle loi est votée, allongeant la durée de chasse de deux mois et demi et légalisant l’infraction à la directive « Oiseaux » datant de... 1979. « Mes clients ne me demandent pas d’être gentil, ils me demandent d’avoir des résultats, explique Thierry Coste. Donc toute la gamme de moyens de pression peut être utilisée. Mais toujours en restant dans la légalité ». Organisation de manifestations, opérations coup de poing, appel à des « people », rendez-vous avec des ministres, création de polémiques médias au moyen de « fuites » savamment distillées... Tous les moyens sont bons. Mais le principal atout de ce spécialiste de l’influence est son réseau, qu’il a patiemment construit au cours des années. « C’est un véritable travail de fourmi, mais pour être efficace, il faut connaître tout le monde. Pas seulement dans le camp au pouvoir : je travaille aussi avec l’opposition, car ce sont des gens qui seront un jour aux affaires. » La chasse est l’un des rares sujets capable de réunir des hommes politiques diamétralement opposés : ainsi, le groupe « Chasse » de l’Assemblée nationale, le plus important de l’hémicycle, compte 183 membres de tous bords, celui du Sénat en comporte 75. Thierry Coste, qui a accès aux salles du Palais Bourbon interdites au public, est proche aussi bien de Maxime Gremetz, député PCF de la Somme, que de Charles de Courson, député UMP de la Marne. Tous deux défendent la cause des chasseurs. Pour entretenir l’influence du lobby cynégétique au sein du Parlement, il n’hésite pas à y diriger des colloques, l’occasion de mobiliser les parlementaires tout en attirant l’attention des médias. En décembre 2008, c’est en tant que vice-président de l’association Ruralité et Société, un collectif créé par le sénateur UMP Ladislas Poniatowski pour défendre le monde agricole et les chasseurs, qu’il anime à l’Assemblée une rencontre sur le thème de la chasse. Le

débat, organisé par Jérôme Bignon, président du groupe «Chasse » à l’Assemblée nationale, est financé par le ministère de l’Écologie... D’ailleurs, aujourd’hui, Thierry Coste cumule les fonctions de lobbyiste pour le compte de la FNC et de conseiller politique de Jean-Louis Borloo sur la chasse et la ruralité, une double casquette qui fait grincer des dents du côté des anti-chasse.

Des pratiques contestées Mais le directeur de Lobbying et Stratégies s’en moque. Son impressionnant réseau lui permet d’obtenir facilement des informations confidentielles. Toutefois, celui-ci ne se limite pas au cénacle politique. Au fil de ses contrats pour des organisations issues d’univers très différents – professions libérales, industrie, dentistes, eau, déchets... -, il a tissé une gigantesque toile de connaissances qui lui permet de garder une oreille partout. « Mon premier boulot, c’est le renseignement, raconte-t-il avec un sourire méphistophélique. Avant, j’avais des espions rémunérés un peu partout, mais aujourd’hui, grâce à ma notoriété, je n’ai même plus besoin de payer. J’ai des « taupes », chez tous mes adversaires. C’est indispensable, car ce qui compte, c’est ce qui se dit une fois que la porte est fermée ». En bon stratège, il est aussi capable de démultiplier son influence en reliant ses connexions entre elles : en 1999, il a créé le comité Guillaume Tell, unissant chasseurs, tireurs sportifs, collectionneurs d’armes anciennes, fabricants et distributeurs d’armes dans une même organisation. Soit potentiellement deux millions de personnes. Évidemment, il ne s’est pas attiré que des amis. Même parmi les chasseurs, il ne fait pas l’unanimité. « Seul l’argent l’intéresse », prétendent les uns. Il est vrai qu’une campagne de lobbying rapporte à son cabinet entre 100 000 et 500 000 euros, avec intéressement au résultat. « Il mange à tous les râteliers », grognent les autres. Pas tout à fait faux : il a été le conseiller politique de Jean Saint-Josse

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APP R O C H E

au sein du parti Chasse, pêche, nature et traditions (CPNT) pendant cinq ans, dirigeant leur campagne des européennes de 1999 et de la présidentielle de 2002. Tout en continuant à travailler pour la FNC, qui ne voyait pas d’un très bon œil les trublions de CPNT venus chasser sur leurs terres. « Si je dérange, c’est sans doute parce que je suis efficace, se justifie-t-il. Il est vrai que je suis réputé pour être un peu brutal dans la façon d’obtenir des résultats ». Mais c’est surtout parmi les écologistes et les associations de protection de la nature qu’il compte le plus d’ennemis. Parmi ses détracteurs, on s’accorde tout de même pour lui reconnaître un réel talent de lobbyiste. Pierre Athanaze, président de l’Association pour la protection des oiseaux sauvages, admet qu’« il est très fort dans son domaine. Mais c’est aussi un champion de la désinformation ».

L’avenir de la démocratie ? En janvier 2009, lorsque Chantal Jouanno est nommée secrétaire d’État chargée de l’Écologie, la FNC, sur le conseil de Thierry Coste, publie aussitôt un communiqué se félicitant de cette arrivée au gouvernement. Dans la même dépêche, la fédération des chasseurs regrette de n’avoir jamais

feu sur les directives européennes !

L

e 2 avril 1979, l’Union européenne, décidée à prendre en charge la protection des oiseaux migrateurs, vote la directive « Oiseaux », qui génère un contentieux surabondant avec la France. La directive prévoyait de protéger les oiseaux pendant leur période de nidification, en février: malheureusement pour les volatiles migrateurs, le chasseur aime tuer les oiseaux au moment où ils reviennent des pays chauds. Les arrêtés préfectoraux autorisant la chasse après le 31 janvier se succèdent, rendant caduque l’application de la directive, sans que le Parlement ne réagisse. Les recours déposés auprès du Conseil d’État par les associations de protection de la nature au cours des années suivantes ne parviennent pas à venir à bout de la résistance législative. En 1994, la Cour de justice des Communautés européennes réussit finalement à faire appliquer le droit européen en France. Désormais, les chasseurs ne peuvent plus tirer les oiseaux au mois de février. C’est compter sans la persévérance de la Fédération et les subtilités du droit français : la loi du 15 juillet 1994, qui fixe les dates de clôture de la chasse jusqu’à fin février, laisse aux préfets la possibilité d’anticiper cette clôture, par simple arrêté... Un retournement de situation qui pousse Pierre Lang, le député UDF de la Moselle, à commettre un lapsus resté célèbre juste après le vote de la loi : « Les protecteurs de la nature devront reconnaître que les chasseurs ont bien légiféré... Non, je voulais dire les députés ! ». Il faudra attendre la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme en 1999, puis la loi du 26 juillet 2000 pour que la fameuse directive soit appliquée... plus de vingt ans après !

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LOBI - Avril 2010

© Céline Aussourd

été consultée par Nathalie Kosciusko-Morizet, la secrétaire d’État précédente. « C’était très habile de sa part, juge Pierre Athanaze. En publiant cette dépêche, Thierry Coste a cherché à monter les associations écologistes contre Chantal Jouanno, alors qu’en réalité, elle n’était pas spécialement pro-chasse. Beaucoup y ont cru ». Le lobbyiste de la rue de Varenne, qui se dit « expert en manipulation », assume complètement. « J’adore la polémique », confie-t-il, l’œil pétillant. Surtout, il croit en son métier, qu’il défend bec et ongles face aux contempteurs d’un système que beaucoup jugent opaque : « Ici, le lobbying est tabou à cause de notre culture judéo-chrétienne. Mais à Bruxelles ou dans les pays anglo-saxons, ses vertus démocratiques sont parfaitement acceptées. » Lui plaide pour davantage de transparence dans des pratiques qui, « qu’on le veuille ou non, font partie de la réalité. Même si ça peut choquer beaucoup de gens ». Il a d’ailleurs écrit un livre sur sa profession, Le vrai pouvoir d’un lobby, paru en 2006, dans lequel il prône un encadrement strict de ces organisations. Les lobbies incarneraient-ils l’avenir de la démocratie ? « C’est évident. Avant, le lobbying était réservé aux riches, aujourd’hui il est complètement démocratique. N’importe quelle association écologiste ou de protection des consommateurs le pratique. Regardez des gens comme Nicolas Hulot ou Yann Arthus-Bertrand : ce sont des gens qui n’ont aucune structure derrière eux mais qui sont des pros du lobbying. Au final, ils sont dix fois plus influents que les Verts ». Thierry Coste va même plus loin : il considère que les lobbies ont vocation à se substituer aux partis politiques : « Dans un pays comme le nôtre où tout le monde, dans les sphères politiques et économiques, est issu du même sérail, où la technocratie n’écoute que la technocratie, il faut que les moyens d’expression et d’influence soient autres. Les lobbies sont des contre-pouvoirs ». Dans une société où les stratégies d’influence organisées dicteraient leur loi, il est certain que Thierry Coste aurait encore quelques cartouches à vider.

Pour en savoir + Thierry Coste, Le vrai pouvoir d’un lobby. Bourin Editeur, 2006. Hélène Constanty, Le lobby de la gâchette. Seuil, 2002.


APPROCHE

Action

tout-terrain à l’ONU

Quel que soit le sujet ou le domaine d’application, le lobbying fait partie intégrante du système onusien.

L

par

Elodie Guignard

’agence onusienne pour la défense des droits des femmes va-t-elle enfin voir le jour ? Si le vote d’une résolution par l’Assemblée générale, le 14 septembre 2009, a entériné le principe de sa création, l’agence n’est pas encore née officiellement. Le flou qui persiste sur la mission de la future organisation pourrait retarder le processus. Alors, à l’image d’Oxfam International, les organisations non gouvernementales (ONG) opèrent un lobbying intense pour maintenir le vote prévu en décembre 2010, qui doit entériner le mandat de l’agence. L’ONG ne se cache donc pas de « chercher à influencer les plus puissants », comme les membres de représentations permanentes. A l’Organisation des Nations Unies (Onu), les États et les ONG sont les pierres angulaires du lobbying. L’influence se joue soit en coulisses, soit de manière assumée entre les délégations et les ONG. Au siège de l’institution, à New York, chacun des 192 États membres compte une représentation permanente, composée d’un ambassadeur, d’un premier conseiller et de divers autres conseillers. Les membres de ces représentations font du lobbying tout au long de l’année pour tenter de rallier à leur cause le maximum d’États.

En coulisses ou en réunion Le Vienna Café est un des principaux points de rencontre des délégués onusiens. Bien qu’il y ait, à l’Onu, de très nombreuses salles de réunion et de conférence, « il est le lieu où s’opère la diplomatie la plus efficace et l’endroit où se nouent les contacts de manière plus officieuse », selon les propos mis en ligne par un membre d’une représentation permanente européenne. Il est situé au sous-sol du bâtiment de l’Assemblée générale, comme un symbole du lobbying discret mais néanmoins efficace. A l’Onu, le lobbying est également intégré au processus de décision. Le sommet de l’Onu sur le climat, qui s’est tenu à Copenhague (Danemark) en décembre dernier, fut un rassemblement incontournable pour les lobbyistes. Parmi les 32 000 personnes qui l’ont fréquenté, seules 15 000 étaient des délégués. Ceux-ci ont rencontré leurs homologues au sein de réunions informelles (non ouvertes aux ONG et aux journalistes).

Le reste du temps, ils ont discuté avec les ONG au sein de « groupes de contact ». Pour faire pression sur les délégués, quelque 17 000 membres d’ONG se sont mobilisés. D’un côté, les experts ont fait du lobbying au siège de la conférence. De l’autre, les militants ont multiplié les manifestations, et ils ont tenté de pénétrer dans l’enceinte du Bella Center, où se tenait la conférence. Les ONG, qui disposaient d’un statut d’« observateur », ont eu accès aux deux séances plénières (d’ouverture et de fermeture), ainsi qu’aux groupes de contact. « On a essayé d’organiser une réunion formelle par semaine (2000 étaient prévues) avec les délégations sur la baisse des émissions ou sur le financement », expliquait ainsi Morgane Creach, d’Action climat, peu après le sommet.

Un vote en décembre ? « L’agence sur les droits des femmes peut s’imposer à condition de bénéficier d’un mandat transparent », estime Daniela Rosche, la responsable de la campagne de lobbying menée par Oxfam International, sur le site de l’ONG. Daniela Rosche y met aussi en garde contre les risques de blocage liés à la bureaucratie : « Les défis sont énormes en ce qui concerne les droits des femmes et le renforcement de leur pouvoir. L’absence d’un système coordonné et effectif obligera les organisations à consacrer inutilement leur énergie à des activités de lobbying auprès de leur gouvernement et moins d’attention sera consacrée aux activités auxquelles elles doivent leur existence. La situation restera inchangée jusqu’en décembre 2010, date à laquelle l’Onu votera à nouveau pour le mandat de l’agence pour les femmes. » Mais le processus est ralenti par les désaccords entre les pays du Nord et ceux du Sud. La création de l’agence faisait partie d’un rapport qui formulait des propositions sur une meilleure efficacité de l’institution, sur la gestion des fonds et sur la gouvernance de l’agence onusienne. Daniela Rosche compte sur des leaders puissants pour obtenir gain de cause. Et notamment sur l’action de Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’Onu : « Nous insistons auprès de M. Ban Ki-moon pour le démarrage immédiat du processus de nomination d’un leader puissant, qui a fait ses preuves au niveau des droits des femmes et de l’équité entre les sexes. Car le nouveau sous-secrétaire général devra assembler les quatre agences pour femmes déjà existantes de l’Onu. » La nomination de ce sous-secrétaire général permettra de se faire une idée des ambitions de l’Onu pour cette agence, qui pourrait être dotée d’un budget de 500 millions d’euros. LOBI - Avril 2010

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AP P R O C H E

Europe

bien intégrés, mal encadrés. Les 15 000 lobbyistes présents à Bruxelles influencent au quotidien la législation communautaire. Partie intégrante du processus de décision, l’exercice de leur métier n’est pourtant pas encore règlementé. L’unique registre mis en place en 2008 ne répertorie que 23% d’entre eux.

A

par

gir pour ne pas subir. Tel est le mot d’ordre des groupes d’intérêts présents à Bruxelles qui, depuis les années 1970, sont arrivés parallèlement à la montée en puissance des institutions européennes. Aujourd’hui, ils font couloir commun avec les fonctionnaires de la Commission et du Parlement européens. Ils seraient désormais plus de 15 000 lobbyistes (c’est-à-dire autant de personnes qu’au sein de l’administration d’une ville française de 100 000 habitants) à avoir investi les quatre kilomètres carrés de l’ancien quartier bourgeois, renommé quartier européen, de la capitale belge. Parmi eux, des représentants des acteurs économiques, publics, syndicaux ou associatifs, des consultants et des experts en communication réunis pour une seule et même cause : influencer les décisions communautaires en leur faveur.

Evelyne Orman

A titre d’exemple: alors que la Commission européenne entame des travaux préparatoires en vue d’établir une nouvelle directive visant à introduire des matières grasses végétales dans le chocolat en 1996, les groupes d’intérêt sont conviés à une première réunion à l’initiative d’un parlementaire. Suspect ? Pas tant que ça.

Des partenaires indispensables Car dans la capitale européenne où (presque) tout se décide, les lobbyistes sont des partenaires indispensables aux fonctionnaires européens parfois surchargés de travail. « A Bruxelles, le lobbying fait partie d’un système accepté et intégré, précise Daniel Guéguen, PDG du cabinet de lobbying CLAN Public Affairs basé à Bruxelles. Les lobbyistes sont des représentants de la société civile et sont surtout une

LES LOBBIES LORS DE L’ELABORATION D’UNE DIRECTIVE :

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source non négligeable d’information pour les fonctionnaires de la Commission et les députés européens.» Au fil des traités et de la montée en puissance des institutions communautaires dans le processus décisionnel, les groupes d’intérêt européens se rendent compte de la nécessité d’entretenir des contacts privilégiés avec les décideurs. Pour trouver leur place au sein du système, certaines entités ont décidé de se réunir. Tel est le cas de 270 régions européennes représentées par l’Assemblée des régions d’Europe (ARE). « L’ARE et son personnel ont une connaissance approfondie des institutions européennes et un réseau bien constitué, ce qui leur permet de parler à la bonne personne au bon moment pour obtenir la bonne information », explique Klauss Klipp, secrétaire général de l’ARE.

Une réglementation insuffisante Pourtant, avec l’équivalent d’un lobbyiste pour un fonctionnaire, la question de la transparence est au centre des préoccupations du président de la Commission européenne, le Portugais José Manuel Barroso. En 2009, il lance l’année de la transparence, confiée à Sim Kallas, commissaire européen chargé de l’administration de la lutte anti-fraude. « Les décideurs politiques sont en fin de compte responsables devant le public », rappelle Sim Kallas. A l’exception d’un registre mis en place en 2008 par la Commission européenne, aucun document officiel ne définit précisément les règles de conduite imposées aux lobbyistes. Selon un rapport publié par l’asso-

ciation Alter-Eu, seuls 23% des lobbyistes présents dans la capitale européenne figurent sur cette liste, qui ne dévoile d’ailleurs pas leur activité financière. « Le registre ne nous apprend rien sur leur nombre, qui ils sont, ce qu’ils dépensent et ce pour quoi ils font pression », confirme Olivier Hoedeman, coordinateur de recherche pour Corporate Europe Observatory. Pour Daniel Guéguen, il est improbable que la corruption puisse exister au sein des institutions. « Les lobbyistes européens sont influents par leur compétence et non pas par le sponsoring, contrairement à ce qui peut se passer aux Etats-Unis. De plus, les eurocrates sont bien payés et n’ont pas besoin de ça ». Le spécialiste des affaires publiques européennes milite malgré tout pour un encadrement plus strict afin d’éviter les préjugés. « Le système de décision européen est très compact. Il est donc nécessaire de savoir qui fait quoi. Je propose que l’on établisse un ordre pour les lobbyistes, tel qu’il existe pour les avocats ou les architectes, afin d’obtenir une transparence complète. »Aujourd’hui, la famille des lobbyistes d’origine purement européenne s’est élargie. Des lobbies internationaux se sont établis à Bruxelles. A l’image de la Chambre de Commerce américaine (AmCham Eu), regroupant une centaine de grandes entreprises américaines. Par le biais de l’Europe, celles-ci peuvent non seulement défendre les intérêts des succursales qu’elles possèdent en Union européenne, mais aussi intervenir dans les négociations des traités internationaux comme à l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Glossaire Directive

Acte pris par les institutions européennes. ll s’applique indirectement. Les Etats membres doivent d’abord la transposer dans le droit national.

Codécision

Le Conseil (ensemble des ministres compétents des Etats membres) et le Parlement sont à égalité, le second ayant les moyens de bloquer une décision du Conseil qu’il désapprouve. Cette procédure (3 lectures maximum) est née en 1992 du traité de Maastricht.

Coreper

Institution exécutive de l’Union européenne possédant le monopole de l’initiative législative.

Commission européenne

Institution exécutive de l’Union européenne possédant le monopole de l’initiative législative.

Conseil de l’Union euro-

Réunion des ministres des Etats membres compétents dans le domaine précis qui concerne le texte soumis au vote.

ACTEURS PRESENTS A TOUTES LES ETAPES :

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APP R O C H E

une affaire américaine Depuis leurs origines, les Etats-Unis d’Amérique ont tenté d’allier la défense des intérêts privés, fondement de liberté, au dynamisme de la démocratie, émanation du peuple. Aujourd’hui, cet équilibre semble en suspens tant l’emprise des lobbies est importante au pays de l’Oncle Sam.

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ais jusqu’où iront les lobbies dans leur quête effrénée de pouvoir aux Etats-Unis ? Telle est la question aujourd’hui posée après l’adoption par la Cour Suprême, en janvier dernier, de l’arrêt du « Citizens United v. Federal Election Commission » qui autorise désormais les entreprises privées à investir dans des spots publicitaires jusqu’au terme des campagnes électorales. Et ce dès les prochaines échéances de mi-mandat, cruciales pour Barack Obama. Cette décision divise au sein de la Cour Suprême et aux Etats-Unis de manière générale. Deux camps s’opposent : la majorité représentée par Obama, qui voit là « une victoire importante pour les pétroliers, les banques, les compagnies d’assurance et les intérêts puissants face aux citoyens américains », rejoint par le Parti démocrate, des quotidiens tel que le New York Times, des avocats ou encore le sénateur républicain John McCain. Face à eux, l’association Citizens United, organisation ultralibérale qui a mené la bataille à la Cour Suprême, soutenue par des membres du Parti républicain, des journalistes et une rangée d’avocats. Selon eux, cette décision n’est que l’émanation la plus simple du Premier amendement, qui régit la liberté d’expression. Ce nouvel arrêt peut être perçu comme un coup de force des lobbyistes qui affirme leur emprise sur le pouvoir. Il supplante une décision datant de 2002 (McCain-Feingold act), qui interdisait la publicité et la retransmission par câble de « communiqués électoraux » payés par des entreprises privées ou des syndicats avant une primaire présidentielle. C’est ainsi que Lawrence M. Noble, avocat chez Skadden Arps et ancien conseiller de la Federal Election Commission résume la nouvelle donne. « Nous avons un million (de dollars) à dépenser pour ou contre un candidat, celui que vous désirez. Ce type d’argument peut être tenu par un lobbyiste à un membre du Congrès désormais ». L’influence grandissante des lobbies a de quoi inquiéter le pré14

LOBI - Avril 2010

par

Mustapha Sandid

«

Il est temps d’exiger des lobbyistes qu’ils révèlent chaque contact avec mon administration ou le Congrès. »

sident américain. Les sommes investies par les lobbies lors de leurs activités (contributions lors de campagnes électorales, travail au Congrès et dans les agences fédérales) ont augmenté de manière vertigineuse ces dernières années : de 1,44 milliard de dollars en 1998, elles sont estimées en 2009 à 3,47 milliards de dollars. Pour mieux saisir l’impact qu’ont aujourd’hui les lobbies sur la politique américaine, il faut remonter aux fondements de l’Union. A cette époque, la Constitution s’inspire de l’idée de pluralisme défendue par les Pères fondateurs (J. Madison, J. Jay, A. Hamilton). Le principe est d’établir les bases du gouvernement sur la base des groupes et des factions en place. Face à l’influence de ces derniers, pressentie comme nuisible à la démocratie, les Pères fondateurs proposent plusieurs idées. La vision de James Madison l’emporte : selon lui, nul besoin d’agir, les groupes s’auto-régulant par le système de check and balances, qui permet à chaque groupe de contrôler et d’équilibrer les actes des autres parties en cas de désaccord, approchant ainsi l’idée de consensus. Les Pères fondateurs insistent pour que les lieux de pouvoir soient délocalisés dans des villes de moindre envergure afin d’échapper aux diverses pressions dont elles pourraient être l’objet. Ainsi Sacramento, dans le nord de la Californie, est la capitale de l’Etat alors que Los Angeles ou San Francisco concentrent une population plus importante. Ces mesures n’ont pas empêché les pouvoirs en place d’être soumis à diverses pressions. Au XIXème siècle, Mark Han-


Barack Obama a remis en cause l’emprise des lobbies lors de son discours sur l’Etat de l’Union au Capitole, le 27 janvier 2010 . © AFP Photo Chip Somodola

na, riche industriel, connu pour être l’un des premiers à avoir réuni des fonds pour la campagne de William McKinley en 1896, résumait ainsi sa conception du pouvoir. « Il y a deux choses importantes en politique : la première est l’argent, et la seconde est... je ne m’en souviens pas ». Les propos de Mark Hanna s’avérèrent assez justes dans les décennies suivantes. Après le scandale du Watergate, l’affaire d’espionnage politique qui a conduit à la démission de Richard Nixon en 1974, les membres du Congrès ont tenté d’imposer des règles plus strictes pour encadrer l’argent dans la politique américaine. Une volonté qui semble bien enterrée aujourd’hui, lorsqu’on constate le nombre de lobbyistes à Washington, au plus près des sénateurs et des membres de la Chambre des Représentants. Bien que la majorité démocrate au Sénat ait tenté de freiner l’influence des lobbies, ceux-ci se sont multipliés.

Une influence contestée par Obama 13 739 groupes officiels sont aujourd’hui recensés par le très sérieux site Opensecrets.org contre 10 403 en 1998. Des groupes d’intérêts divers et variés : que ce soit en matière économique (la Chambre de commerce des Etats-Unis d’Amérique ou National Association of Manufacturers), la défense de l’intérêt public (League of Women Voters) ou encore les groupes d’intérêts gouvernementaux (National League of Cities) : tous les sujets sont évoqués et font l’objet de tractations. Au pays de l’Oncle Sam, créer une réglementation est un travail de longue haleine : de l’ébauche initiale à la présentation de la réglementation finale en passant par les audiences et la présentation de commentaires. Les membres de groupes d’intérêts participent à toutes

ces étapes : ils témoignent devant les responsables des audiences administratives, présentent des commentaires ou déposent des mémoires et rédigent l’ébauche de la réglementation souhaitée par leurs clients. Parmi les méthodes utilisées, la plus efficace consiste à expliquer l’importance d’un projet de loi pour les électeurs d’un représentant élu ou pour son Etat. Les lobbyistes font également pression sur les organismes de réglementation, comme la Commission fédérale des communications ou la Food and Drug Administration qui prennent des décisions importantes en matière de santé publique. Parfois en y plaçant des proches ou des soutiens directs à des postesclés, comme dans «l’affaire Monsanto», du nom de cette entreprise spécialisée dans les biotechnologies végétales, et particulièrement connue pour ses OGM. Bien connu sous le nom de « triangle d’airain », cette pratique est souvent utilisée pour décrire les liens entre les comités du Congrès et les organismes administratifs, dont les ressources financières sont déterminées par les comités et les lobbyistes qui travaillent étroitement avec ces deux groupes.La proximité qu’ils entretiennent auprès de ces hommes de pouvoir (les vrais) leur confère un rôle démesuré. Dans son premier discours sur l’Etat de l’Union en janvier dernier, Barack Obama a été très clair : « Nous avons exclu les lobbyistes des postes de parlementaires ou des sièges des bureaux fédéraux et des commissions. Mais nous ne pouvons nous arrêter là. Il est temps d’exiger des lobbyistes de révéler chaque contact qu’ils ont pour le compte d’un client avec mon administration ou le Congrès. » Fin février, lors du Sommet santé organisé par Barack Obama à Washington, pas moins de 4525 lobbyistes étaient présents, soit huit par élu au Congrès. Un chiffre qui dénote la part grandissante de ces hommes de l’ombre. D’ailleurs, leur influence est telle qu’une grande partie des élus au Congrès intègrent un lobby à l’issue de leur mandat. Pour poursuivre l’aventure dans les milieux protégés ? LOBI - Avril 2010

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C O N S O M M AT I O N

UFC-Que choisir

60 millions de lobbyistes L’Union fédérale des consommateurs-Que Choisir est réputée pour ses poursuites en justice et ses enquêtes-chocs. Médiatique et crainte par les entreprises, elle traduit ses propositions dans la loi grâce à un lobbying assumé et transparent. L’UFC influence parlementaires et conseillers ministériels, pour l’intérêt général.

A

ujourd’hui, un consommateur peut rentrer dans un magasin, souscrire un crédit à la consommation et s’acheter une machine à laver. Sans qu’on lui demande s’il pourra rembourser par la suite. Cela ne devrait bientôt plus être possible. Le projet de loi sur l’encadrement des crédits à la consommation, travaillé par les parlementaires et qui sera discuté le 24 mars prochain à l’Assemblée nationale, encadrera les distributeurs : ceux-ci devront désormais « vérifier la solvabilité de l’emprunteur ». Concrètement, ils auront à consulter des pièces justificatives, comme les relevés de comptes bancaires du client, ainsi que le Fichier des incidents de paiement (FICP), géré par la Banque de France qui répertorie les incidents de paiement et les demandes de dossier de surendettement. Cette proposition est le fruit du travail de lobbying de l’UFCQue Choisir, la puissante association de consommateurs. Convaincue après avoir assisté à une conférence-débat sur le crédit à la consommation, organisée par l’association à Lyon en mars 2009, Muguette Dini, sénatrice du Rhône, a repris à son compte cette disposition sous forme d’amendement. Le projet de loi ne prévoyait qu’une « évaluation », rien de contraignant. La sénatrice a défendu son amendement, « malgré l’hostilité gouvernementale », confie-t-on à l’UFC. « Evaluation », « vérification », un transformation qui semble anodine. Mais le diable est dans les détails. Le Medef et la Cetelem, société spécialisée dans les crédits à la consommation, tentent de

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par

Ronand Fiolet

revenir dessus, eux aussi à coups de projets d’amendements. « Sur ce texte, je pense que la voix des consommateurs a été entendue. » Seulement Cédric Musso ne s’en contente pas. Le lobbyiste en chef – pardon, le directeur des relations institutionnelles – de l’UFC-Que Choisir ne chôme pas. Le projet de loi ne satisfait pas totalement l’association, par exemple sur le crédit renouvelable. L’UFC souhaiterait l’interdire sur les lieux de vente (voir encadré). Le texte sur l’encadrement des crédits à la consommation constitue un dossier de taille pour l’UFC-Que Choisir. Les lobbyistes de l’association planchent depuis presque un an sur ce sujet, auquel ils apportent leur expertise. Ces derniers ont ainsi réussi à faire passer plusieurs de leurs propositions et amendements, de la discussion du projet au cabinet du ministère des Finances à son remaniement au Parlement et au sein des commissions. L’UFC fait du lobbying, une activité que l’association assume et réalise de manière transparente. D’ailleurs, Cédric Musso est très accessible. « Nous ne sommes pas dans une logique d’instrumentalisation, insistet-il. On fait naître le débat, on fait valoir les positions de l’association et plus largement celles des consommateurs. Après c’est aux décisionnaires de trancher. » Posé et courtois, Cédric Musso sait argumenter. C’est son travail. Il part à la rencontre des parlementaires et des conseillers ministériels. Il explique, tente de convaincre ses interlocuteurs. « L’UFC défend les consommateurs. A partir du moment où la loi est mal faite, où un vide juridique existe, il y a nécessité de le combler pour que la collectivité


Deux des trois lobbyistes de l’UFC travaillaient pour des parlementaires avant de rentrer dans l’association. Projets d’amendements, questions écrites, veille politique, ils connaissent parfaitement le processus législatif.

Pour défendre les consommateurs et traduire ses propositions dans la loi, l’association a créé en avril 2009 un département consacré aux relations institutionnelles. Trois lobbyistes travaillent à plein temps. Depuis plus d’un an, ils planchent sur le projet de loi sur les crédits à la consommation qui sera discuté le 24 mars. © E. Helmbacher des consommateurs puisse bénéficier de certaines avancées législatives. C’est le prolongement naturel de l’objet de l’association. » Et d’avancées législatives, l’association en a obtenu de nombreuses ces dernières années. L’interdiction des distributeurs de boissons et d’aliments dans les collèges et les lycées en 2005, c’est eux. La gratuité du temps d’attente et la non surtaxation des hotlines en 2008, c’est encore eux. Dès sa création en 1951 (voir encadré), l’UFC, riche de 160 associations locales et 140 000 adhérents, tente d’influer les décisionnaires. Depuis, elle entretient des relations avec les pouvoirs publics, les élus locaux et discute avec les cabinets ministériels. L’association ne s’en cache pas. Un rapide tour sur son site Internet renseigne sur les actions de ce « groupe de pression » qui « met tout en œuvre pour faire modifier la législation ou la réglementation dans un sens plus favorable aux consommateurs ». Mais quand Cédric Musso arrive à l’UFC

fin 2005, aucun poste de chargé des relations institutionnelles n’existe. « L’idée était de les dynamiser pour obtenir un plus grand nombre d’avancées législatives en matière de consommation », indique-t-il. Les recrutements augmentent et, en avril 2009, un département est créé. Preuve de la montée en puissance des relations institutionnelles. Aujourd’hui, ils sont trois à plein temps, un directeur et deux chargées de mission, à œuvrer auprès des législateurs, pour le consommateur. Trois à exercer un lobbying d’« intérêt général ».

« Nous ne traînons pas dans les couloirs. Chez nous, tout est transparent » «Lobby» : Alain Bazot, président de l’UFC-Que Choisir, n’aime guère le mot. « En France, le mot ‘‘lobbying’’ a une connotation négative, qui renvoie à l’idée de ‘‘faire subir une pression’’, ‘‘s’attaquer à l’indépendance et à l’autonomie d’une personne’’ », explique-t-il lors d’un entretien paru en 2008 (voir Pour en savoir plus). Or l’indépendance est une valeur fondatrice de l’UFC-Que Choisir. » D’autant, argue Cédric Musso, que l’association n’exerce pas de lobbying « à strictement parler » : « Nous ne traînons pas dans les couloirs. Chez nous, tout est transparent, des rendez-vous avec les parlementaires aux auditions reportées dans les rapports. » Le fonctionnement de l’UFC est simple. Tout part des décisions prises par le conseil d’administration. Il se pro-

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C O N S O M M AT I O N

nonce sur un sujet, par exemple les marges importantes des grandes surfaces sut des produits alimentaires ou la taxe carbone. Ensuite, l’association communique sur ces positions auprès du grand public, via des conférences de presse, ou, parfois, via une publication dans le magazine mensuel Que Choisir. Si cette décision consiste à proposer une modification dans la loi, le service de Cédric Musso est mandaté pour rédiger des projets d’amendements ou de décrets, et pour solliciter les parlementaires et les cabinets ministériels. « Nous sommes en quelque sorte chargés du service après-vente, plaisante Cédric Musso. Mais c’est aux législateurs de décider, nous ne sommes qu’une force de proposition. » Comme tout bon lobbyiste, l’UFC fait de la « veille ». « Cela correspond au lobbying quotidien à Paris, précise Laëtitia Lemaire, chargée de mission engagée en juin 2008. On surveille, mois par mois, les ordres du jour, quand passent les lois. On identifie les décisionnaires, les présidents de commission, les membres, ainsi que les spécialistes du sujet que l’on va voir notamment pour qu’ils rédigent des amendements. »

Une puissance locale

Source : UFC-Que Choisir

L’autre versant du lobbying made in UFC correspond aux « campagnes décentralisées ». Environ deux fois par an, les associations locales sont mobilisées. Les bénévoles relèvent des prix dans des grandes surfaces ou se présentent comme clients mystère pour tester les crédits à la consommation. Pour la dernière campagne, en décembre dernier, 102 associations sur 160 se sont portées volontaires, soit environ 400 bénévoles, pour relever les prix de produits peu transformés dans des grandes surfaces. Les chiffres remontent au siège qui les classe. Sur ce sujet, l’UFC a critiqué les industriels et distributeurs qui n’ont pas répercuté la baisse des prix agricoles sur le prix des étiquettes. « Ces campagnes sont un observatoire de la réalité du terrain et appuient certaines de nos positions », raconte Cédric Musso. Autre exemple, l’UFC dénonçait depuis des années la surdistribution du crédit renouvelable. Cette forme de crédit met à disposition du client, sur un compte particulier, une somme d’argent utilisable n’importe quand, qui peut être renouvelée au fur et à mesure des remboursements. Les consommateurs remboursent des petites mensualités sans se rendre compte qu’au final, ils ne remboursent pas le capital. « On nous objectait que la réalité du terrain était

1951 Création sous forme de bureau d’études spécialisées de l’Union Fédérale de la Consommation (UFC). C’est la plus ancienne association de consommateurs en Europe.

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LOBI- -Avril Avril2010 2010 LOBI

1961 Parution du premier Que Choisir, revue mensuelle de tests comparatifs et d’enquêtes. Crainte par les entreprises, elle fournit 95% des revenus de l’association.

Nombre d’adhérents par association locale de l’UFC-Que Choisir (par région) L’UFC dispose de 160 associations locales réparties dans toutes les régions de France. 141 780 adhérents en sont membres. Au cours de « campagnes décentralisées », chacune fait du lobbying au niveau régional, interpelle la presse et envoie des questions écrites au député local.

toute autre. » 73 associations locales se mobilisent, les résultats de l’enquête sont publiés en mars 2009. « Le constat était sans appel, se satisfait Cédric Musso. A plus de 72% le consommateur était orienté vers un crédit renouvelable alors qu’au vu du scénario, c’est un crédit personnel [prêt classique, ndlr] ou affecté [attaché à l’achat d’un bien déterminé, ndlr] qui aurait dû lui être proposé. » Vient à nouveau une phase de communication. Cette fois, les associations locales interpellent les médias et élus locaux, et présentent les propositions de l’UFC. « Les parlementaires sont plus sensibles à des réclamations qui viennent de leur circonscription plutôt que de Paris », admet Laëti-

1980 Boycott du veau aux hormones. L’association protestait contre l’élevage en batterie de veaux avec injections d’hormones de croissance. En quelques mois, la consommation a chuté de 40%. En 1989, la justice a condamné cet appel suite à une plainte des éleveurs de veaux.


tia Lemaire. Certains sont jaloux de cette puissance locale. « Leurs associations sont très proches des élus locaux qui viennent discuter des textes, résume François Langlois, directeur des relations institutionnelles de la Cetelem. Ce lobbying au niveau régional leur donne une longueur d’avance sur des établissements comme le notre. » Des questions écrites sont ensuite transmises au député ou au sénateur du département, qui les envoie après aux ministères concernés. « Les questions écrites n’ont en soi pas d’impact direct car les réponses sont souvent fort générales, concède Cédric Musso. L’intérêt, c’est d’obtenir une myriade de questions. Si une série de parlementaires dépose

«

Quand un élu croit qu’il sait tout, il est dans l’erreur. Nous avons des choses à apprendre de l’UFC »

plusieurs questions allant dans le même sens, le gouvernement peut constater l’intérêt pour le sujet. » Les lobbyistes de l’UFC connaissent bien le processus législatif. Et pour cause. Cédric Musso et Laëtitia Lemaire sont d’anciens collaborateurs parlementaires, respectivement attachés à un sénateur et à un député UMP. Une reconversion courante dans ce type de profession. Ils manient donc facilement la palette d’outils qui leur est offerte pour modifier les textes. Aux questions écrites s’ajoutent les propositions d’amendements. « Ils sont bien construits, très carrés, constate Samuel Le Goff, attaché parlementaire de Lionel Tardy, membre UMP de la commission des affaires économiques et l’un des spécialistes des questions de consommation. Parfois on les retravaille, on fait la part des choses, mais souvent il n’y a plus qu’à les reprendre à l’identique et rajouter en haut le nom du parlementaire. » L’UFC accompagne ses propositions d’études, de chiffres ou des résultats de ses enquêtes, démarche classique chez les lobbyistes. Une expertise nécessaire pour les parlementaires. « Quand un élu croit qu’il sait tout, il est dans l’erreur, reconnaît Jean Gaubert, député PS, vice-président de la commission des affaires économiques. Nous avons des choses à apprendre, l’UFC, comme d’autres groupes, nous apportent des informations. Je ne suis pas toujours d’accord

1991 Vache folle : Que Choisir recommande de ne plus consommer d’abats.

la plus vieille association de consommateurs d’Europe

L

’Union fédérale de la consommation (UFC) – qui deviendra l’Union fédérale des consommateurs – est créée en 1951. C’est la première association de consommateurs en Europe. Elle sera suivie, un an plus tard, par le lancement de la Confédération nationale des associations populaires familiales, rebaptisée, en 1998, l’association Consommation logement cadre de vie (CLCV), la deuxième plus grosse association de consommateurs en France derrière l’UFC. En 1961, l’UFC publie son premier numéro de Que Choisir. Cette revue d’enquêtes et de tests comparatifs deviendra le trésor de guerre de l’association. L’UFC compte parmi les membres fondateurs du Bureau européen d’union des consommateurs (BEUC), installé à Bruxelles en 1962, qui regroupe aujourd’hui 40 associations d’une trentaine de pays européens. Elle fait également partie de Consumers International, regroupement international de 220 associations de consommateurs, créé en 1960. Enfin, elle est membre du Conseil national de la consommation, une instance étatique purement consultative. D’autres associations sont créées dans les années 19701980, la plupart liées à un syndicat. Cela porte le chiffre à 17 associations de consommateurs. Mais la plupart n’ont que très peu de moyens. Hormis l’UFC et la CLCV, elles intentent peu, voire pas d’actions en justice et ne peuvent se permettre de faire du lobbying, sauf à répondre aux auditions.

avec eux, mais leur travail est techniquement bien fait. » « Ils ont un service d’études extraordinaire ! C’est l’une de leurs forces », s’exclame Pascal Tallon, directeur général de Boury et associés, cabinet de lobbying qui travaille avec l’UFC et qui compte comme clients, entre autres, Canal Plus, Coca Cola Europe ou Bouygues Télécoms. L’UFC ne possède pas de parlementaire « cheval de Troie », qui « signerait en bas à chacune de nos propositions ». Cédric Musso n’ira évidemment pas dire le contraire. « On travaille avec une cinquantaine de députés et sénateurs. Ils déposent nos amendements s’ils sont convaincus. » Un lobbyiste ne se contente pas d’envois de mails et d’entretiens téléphoniques. « Il y a des échanges directs, assure le directeur des relations institutionnelles, il s’agit quand même de dialoguer avec les décideurs. Soit à leur

2005 Lancement de l’opération www.cartelmobile.org, suite à la condamnation pour entente illicite des trois opérateurs téléphoniques (SFR, Bouygues, France Télécom) assortie d’une amende de 534 millions d’euros. Le Conseil de la Concurrence avait été saisi par l’UFC. Trois ans avant, l’association avait dénoncé leurs modes de tarification.

2008 Désodorisants d’intérieur : parfums toxiques. Sur 39 désodorisants, aérosols et diffuseurs électriques testés par Que Choisir, sept sont jugés « acceptables ». Les autres émettent des allergènes et des polluants cancérigènes.

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certes utile de crier au scandale sur certains sujets mais ils ne sont pas dans une logique de construction de texte. » Et le même de poursuivre sa diatribe : « L’UFC est consultée pour chaque projet de loi ayant attrait à la consommation, ils fournissent de très bonnes études. Seulement dès qu’il s’agit de discuter, ils se retirent et critiquent un ‘‘texte en demiteinte’’, ou ‘‘un texte partiel’’. Leur but c’est de dénoncer les problèmes qui pèsent sur le consommateur, pas de leur offrir des avancées législatives. »

Une oreille attentive

demande, soit à la notre, des rendez-vous sont organisés. » L’UFC fait également appel à Boury et associés – et à leur carnet d’adresses pour organiser, cinq à six fois par an, des déjeuners-débats. Une vingtaine de parlementaires et de conseillers ministériels se réunissent autour d’Alain Bazot, le président de l’association, et d’un intervenant qui abordent un sujet d’actualité avant d’entamer un débat. « En discutant, on voit les objections. Cela permet d’adapter et d’améliorer notre argumentaire. » Ces dernières années, l’UFC a gagné en influence. « Si on fait le bilan, se satisfait Cédric Musso, sur nos dossiers, il y a aujourd’hui plus de questions écrites et d’amendements repris qu’il y a quatre ans. » Mais l’association ne jouit pas partout d’une bonne réputation. « C’est une organisation purement contestataire ! L’intérêt des consommateurs les intéresse beaucoup moins que leur retentissement médiatique, s’emporte un haut fonctionnaire de Bercy. Il est

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Des critiques niées évidemment par Cédric Musso. « Preuve que l’on ne s’arc-boute pas sur nos positions, concernant l’action de groupe, nous avons fait des concessions et accepté que seules les associations de consommateurs agréées puissent saisir la justice et non toutes personnes physiques ou morales, se défend-il. Seulement nous, nous voulons que quand la loi change, ce soit des changements effectifs sur le terrain, il ne s’agit pas d’habiller le vide. » Les relations avec les cabinets, assure-t-il, varient de l’un à l’autre, car l’association travaille sur des domaines qui touchent non seulement à la Consommation mais également à la santé ou à l’écologie. Avec le cabinet d’Hervé Novelli par exemple, les relations se sont tendues depuis les Assises de la consommation d’octobre dernier, « alors que nous avions eu des relations étroites et fructueuses avec l’équipe de Luc Chatel [ancien secrétaire d’Etat à la Consommation] ». L’UFC-Que Choisir reproche au ministère de ne pas avoir resserré, à l’occasion de ces Assises, le nombre d’associations de consommateurs agréées, de 17 actuellement, « trop nombreuses » selon l’UFC. Autre sujet d’énervement, l’UFC s’est exaspéré de voir le report, sine die, de l’action de groupe à la française par Christine Lagarde (voir sous-papier), contrairement à ce qui était écrit dans sa lettre de mission. Les conseillers ministériels prêtent tout de même une oreille attentive à cette association qui possède une toile de 140 000 adhérents. Qui vend son magazine à 500 000 exemplaires, dont 450 000 abonnés, des chiffres impressionnants en ces temps de crise de la presse. Cette même association qui a fait payer une amende record de 534 millions d’euros aux opérateurs mobiles (voir dates). Une première en France. « Les années 2000 ont été prolifiques pour l’UFC, reconnaît Laëti-


tia Lemaire, nous avons eu une forte progression des ventes du magazine et donc une augmentation des ressources. Nous sommes montés en puissance. Avec l’opération cartelmobile [voir dates], il y a eu beaucoup de bruit dans les médias et la justice. C’est l’heure de gloire de l’UFC dont tout le monde est nostalgique. » L’association a réussi à se créer un réseau. « Avec nos contacts, des collaborateurs parlementaires, des membres de cabinets, on a des informations sur les dates prévisionnelles de discussion d’un texte. » Le poids médiatique de l’UFC, ses enquêtes-chocs souvent reprises dans les médias, participe à cette influence. « Le mensuel marche bien médiatiquement, assure Pascal Tallon, le directeur général de Boury et associés, tous les journalistes le regardent. Et avec les émissions conso à la télévision et à la radio, l’UFC a pris du poids. » Jean Gaubert, député PS, renchérit : « Nous sommes obligatoirement attentifs à ceux qui pèsent plus, même si je pense que parfois ils aimeraient être davantage écoutés dans les cabinets. Il me semble que pour la Loi de modernisation de l’économie [LME, votée à l’été 2008, Ndlr], les grands distributeurs ont été plus influents que les consommateurs. » Selon Cédric Musso, l’influence médiatique de l’UFC constitue un atout pour « obtenir des rendez-vous, faire entendre plus facilement notre voix ». « Mais c’est notre réseau qui pèse davantage pour sensibiliser la classe politique, poursuit-il. 140 000 adhérents c’est énorme ! Même pour un parti politique c’est difficile à atteindre. » L’UFC-Que Choisir est par ailleurs la seule association de consommateurs à posséder un département consacré uniquement aux relations institutionnelles. Avec 32 millions d’euros de chiffre d’affaires, dont 95% sont tirés des reve-

nus du journal, l’association a les moyens de ses objectifs. Elle ne souhaite toutefois pas communiquer le budget qui est accordé au lobbying, d’autant que celui-ci englobe les crédits pour le Bureau européen des unions de consommateurs et Consumers International (voir encadré). Symbole de cette domination, l’association Consommation logement cadre de vie, l’autre grande association de consommateurs forte de 400 associations locales pour environ 30 000 adhérents, ne compte aucune personne spécialisée dans cette activité. Rares sont les organisations à remporter des victoires du premier coup. Les lobbyistes de l’UFC doivent parfois batailler longtemps. Pour obtenir l’office du juge en 2007, ils ont dû insister sur près de cinq textes différents ; chaque fois, le projet était annulé. « C’est une révolution législative, explique Cédric Musso. Il permet au juge, sur des questions touchant au Code de la consommation, de soulever une disposition à laquelle le plaignant n’avait pas pensé, ce qu’il ne pouvait pas faire auparavant. Le Code étant très complexe, les plaignants ignoraient les bienfaits de la loi. Nous avons voulu restaurer l’équilibre procédural. » Le lobbyiste poursuit : « On veut nous stigmatiser en ayatollah de la réglementation. Mais nous ce que l’on souhaite, c’est mettre en place les outils pour permettre que le droit de la consommation soit enfin effectif et que les dispositions allant dans le sens des consommateurs soient appliqués. » Pour faire passer ses messages, l’UFC assure ne pas faire pression. Une affirmation confirmée par Samuel Le Goff, attaché parlementaire : « Ils ne sont pas insistants. Leur combat est moral. Il est évident que quand c’est votre

L’UFC accompagne ses propositions d’études, de chiffres : une démarche classique chez les lobbyistes

Les pistes du projet de loi sur les crédits à la consommation résenté fin avril 2009 en Conseil des ministres, le projet de loi sur les crédits à la consommation sera présenté le 24 mars prochain à l’Assemblée Nationale. Il prévoit un plus grand encadrement des crédits à la consommation et une meilleure information des clients. Le texte initial transpose une directive européenne de 2008 destinée à homogénéiser les pratiques entre pays. En voici les principales pistes. Les relevés mensuels devront indiquer

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du capital emprunté. Ce qui n’est pas le cas actuellement. La publicité et l’information seront plus encadrées. La mention suggérant qu’un crédit améliore la situation financière de l’emprunteur est supprimée. Les responsabilités des prêteurs renforcées. Avec la réforme, les établissements devront obligatoirement consulter les relevés de comptes bancaires et le fichier Fichier des incidents de paiement (FICP) pour vérifier la solvabilité du consommateur, contrairement aux pra-

surendettement, contre six actuellement. Plusieurs des propositions de l’UFC-Que Choisir ont été reprises dans ce projet de loi, entre autres sur l’information et la publicité. Mais ses lobbyistes tentent d’aller plus loin. Il est parfois impossible de souscrire un prêt classique ou un crédit affecté (attaché à l’achat d’un bien déterminé) en dessous de montants qui varient de 3 000 à 6 000 €. L’UFC demande « l’interdiction de montants discriminants pour accéder à ces crédits sains ».

une estimation de la durée de remboursement du crédit renouvelable. Chaque échéance devra obligatoirement comprendre un remboursement minimum

tiques en vigueur. Un meilleur accompagnement des personnes surendettées. La Banque de France aura trois mois pour décider de la recevabilité d’un dossier de

L’association cherche aussi à interdire le crédit renouvelable hors agence ou à délier cartes de fidélité et crédits renouvelables.

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La «class action» entre parenthèses Promise par Jacques Chirac, inclue dans le programme de Nicolas Sarkozy, l’action de groupe n’a toujours pas été mise en place. Le Medef pousse de son côté pour plutôt généraliser la médiation.

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urant l’élection présidentielle de 2007, l’UFC-Que Choisir est allée consulter chacun des candidats pour leur demander leurs positions sur l’action de groupe. Ce dispositif, vieux combat de l’association, devait déjà être mis en place sous la présidence de Jacques Chirac, qui l’avait promis. Il n’en a rien été. Nicolas Sarkozy, initialement réservé sur ce sujet, a finalement inclus la création d’une action de groupe à la française dans son programme. Il l’a inscrite dans la lettre de mission donnée au début de son mandat à Christine Lagarde, ministre de l’Economie. C’est également l’une des propositions du rapport Attali.Le dispositif de l’action de groupe doit permettre à une personne ou une entité de saisir seule la justice, pour le compte d’une catégorie de personnes ayant subi le même préjudice de la part d’un même professionnel, afin que chaque individu obtienne réparation. Aujourd’hui, lorsqu’une personne subit un dommage de faible importance, le coût d’un procès civil, les honoraires d’avocat la dissuadent de demander seule réparation en justice. L’action de groupe permet de diviser les frais. Cette procédure a déjà été mise en place aux Etats-Unis, au Canada et dans quelques Etats européens, Allemagne, Suède, Angleterre et Portugal.

Un dispositif « inévitable » Seulement depuis 2007, rien n’a bougé, malgré la promesse présidentielle. Lors des Assises de la consommation d’octobre dernier, Hervé Novelli, secrétaire d’Etat à la Consommation, a préféré repousser l’instauration de ce dispositif « inévitable » selon lui mais qui, en période de crise économique, pourrait pénaliser les entreprises. Il préfère développer la médiation. Chris-

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tine Lagarde, elle, craint les dérives du type des « class action » américaines, de nombreux cabinets d’avocats s’étant enrichis par ce biais. Les détracteurs de l’action de groupe, dont le Medef et la Confédération générale des petites et moyennes entreprises figurent parmi les plus farouches, prennent souvent l’exemple des abus outre-Atlantique pour s’opposer à son instauration en France. Mais l’UFC-Que Choisir préfère comparer avec le Portugal, qui

Les détracteurs de l’action de groupe prennent comme exemple les abus du système américain a mis en place l’action de groupe et où la tradition judicaire est similaire à la France. Contrairement au système américain, les systèmes français et portugais ne portent que sur la réparation d’un préjudice et ne punissent pas les entreprises. Les victimes ne peuvent donc s’enrichir. De plus, les plaignants, par exemple des associations de consommateur, ne pourraient se financer de manière déguisée grâce aux dommages et intérêts, en fait reversés aux victimes. « Sur ce dossier crucial, nous avons fait pas mal de concessions, admet Cédric Musso, directeur des relations institutionnelles de l’UFC-Que Choisir. Initialement, nous proposions que toutes personnes physiques ou morales puissent saisir la justice sur un champ d’application comprenant aussi le droit de l’environnement et de la santé. On nous a dit que c’était trop maximaliste. Nous avons accepté de limiter cette saisine aux seules associations de

consommateurs et au droit de la consommation et de la concurrence. »

Un rapport en avril du Sénat Les lobbyistes de l’UFC tentent de faire passer l’action de groupe « à chaque fois qu’un véhicule législatif se prête à l’aborder ». D’après Cédric Musso, les parlementaires sont prêts, « pas le pouvoir exécutif ». La commission des lois du Sénat a d’ailleurs mis en place, en octobre, un groupe de travail afin d’examiner « l’opportunité et les conditions de l’introduction de l’action de groupe en droit français ». Il devrait rendre son rapport en avril. « C’est la énième tentative, s’exaspère Laëtitia Lemaire, lobbyiste de l’UFC-Que Choisir. Il faut un volontarisme politique qui est actuellement inexistant. Aujourd’hui, il y a véritablement une prime à la violation de la loi. Les entreprises savent que le préjudice pour le consommateur individuellement est si faible qu’elles n’en ont que faire. » Le Medef a, quant à lui, réinvesti le sujet. En septembre 2009, une commission Consommation est créée avec comme but de « sortir de la conflictualité » et de développer l’ensemble des moyens alternatifs de règlements des conflits. En gros, demander aux entreprises adhérentes d’adopter la médiation. Car selon le syndicat patronal, « l’action de groupe ne constitue pas une réponse efficace, la judiciarisation n’est pas la panacée. » Toutefois, « le problème » dans la médiation telle qu’elle existe aujourd’hui, selon Thierry Saniez, délégué général de l’association Consommation logement cadre de vie, « c’est que le médiateur est salarié de l’entreprise. Il n’est pas du tout impartial ». Quoi qu’il en soit, aucune date n’a été fixée pour mettre en place l’action de groupe.


chiffre d’affaires qui est en jeu, c’est par exemple le cas des grandes surfaces sur les questions de consommation, vous vous montrez plus teigneux. » Et même si l’importante diffusion du magazine et de ses enquêtes pourraient ressembler à une forme de pression, Cédric Musso infirme : « Que Choisir n’est pas un comparateur politique. Ce n’est pas parce qu’un parlementaire va adopter un amendement proposé par l’UFC qu’il va se retrouver en ‘‘Une’’. Il n’y a ni dénigrement, ni valorisation des uns et des autres. »

« Ils ont tendance à prendre des positions très dures » Toutefois, la vente de leur journal les oblige à faire du sensationnalisme, juge Elsa Chantereau, directrice institutionnelle de l’Association nationale des industries alimentaires, qui regroupe plus de 10 000 entreprises. « On discute avec eux, ils nous font parfois changer nos idées, explique-t-elle. Ils nous ont par exemple amené à adopter une position visant à interdire la diffusion à la télé de publicités alimentaires lors des programmes jeunesse. Quasiment toutes nos entreprises la respectent. Mais il faut attirer le lecteur pour vendre, l’inquiéter et l’UFC a du coup tendance à prendre des positions très dures. » Mais à l’instar d’Alain Bazot, beaucoup ne considèrent pas l’UFC comme un lobby, car elle ne défend pas des intérêts catégoriels, privés mais ceux, selon Jean Gaubert, d’« une majorité de la population ». Nicolas Pélissier, attaché parle-

mentaire de Jean Dionis du Séjour (député Nouveau Centre, vice-président de la commission des affaires économiques), est lui presque heureux de voir l’association de consommateurs toquer à sa porte : « Ils sont légitimes. Avec les lobbies privés qui sont en face, si l’UFC n’était pas là, il y aurait un gros vide en termes de démocratie. » « Démocratie », « intérêt général », l’UFC s’y réfère constamment pour justifier son action. Mais l’association reste une entreprise de presse qui doit gagner de l’ argent pour vivre et garder son indépendance. Tiraillement constant : faire des concessions pour obtenir « des avancées législatives ». Ou camper sur ses positions et crier au scandale devant les caméras. Pas sûr que le consommateur en ressorte toujours grandi.

Pour en savoir + - livre : Lobbying, portraits croisés : pour en finir avec les idées reçues, Viviane de Beaufort, novembre 2008 (Broché)

- rapport : Mission relative au mouvement consumériste, Dominique Laurent, mai 2008

- sites Internet : www.conso.net (sur le mouvement consommateur) www.assises-consommation.fr www.lexpansion.com/economie/tirs-croises-contre-lufc_23534.html http://www.assembleenationale.fr/13/rapports/ r2150-a0.asp (projet de loi sur les crédits à la consommation) LOBILOBI - Avril 2010 - Avril 2010

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Lait :

Querelles

à la «maison» L’industrie laitière française, qui pèse 24 milliards d’euros, est unie depuis trente ans dans une structure puissante : la Maison du Lait. Mais la baisse des prix qui dure depuis plusieurs années fait naître des velléités d’indépendance chez une partie des producteurs.

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aris, mars 2010, Salon international de l’Agriculture. Un cortège funèbre d’un millier d’adhérents munis d’un cercueil traverse le salon en hurlant : « Seigneur Nicolas, comment faut-il te le dire ? On crève ! » L’Apli vient de réussir son pari. L’Association des producteurs de lait indépendants a marqué le salon de son mécontentement. Une partie de ses manifestants parvient ensuite à rencontrer Pascal Viné, directeur de cabinet du ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire pour discuter de la politique laitière européenne. Pascal Massol, président de l’Apli, s’entretient lui quelques minutes avec le Président de la République, Nicolas Sarkozy. Ces deux rencontres, en marge des canaux de négociation habituels, constituent une véritable reconnaissance pour l’Apli. Car, il faut le rappeler, cette structure n’est pas un syndicat mais une simple association de producteurs. Créée en décembre 2008, elle s’est fait connaître à l’automne 2009 en organisant avec fracas la « grève du lait ». A l’époque, des éleveurs avaient déversé leur production dans les champs et même assuré des distributions gratuites devant les mairies et les préfectures afin de protester contre l’effondrement du prix d’achat du lait. Aujourd’hui, l’association fédèrerait 10 000 des 80 000 producteurs de lait français. Elle acquiert peu à peu une légitimité malgré ses méthodes virulentes. En revanche, pour la FNPL (Fédération nationale des producteurs de lait, branche laitière de la FNSEA), cette reconnaissance constitue une défaite de taille. Le syndicat

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par

Thibaut Schepman

majoritaire de la profession a non seulement été copieusement hué et sifflé par les éleveurs manifestants mais a aussi perdu, de fait, son statut d’unique représentant des producteurs. Autre camouflet pour la Fédération : les syndicats minoritaires que sont la Coordination rurale et la Confédération paysanne ont été pour la première fois invités, lors de ce Salon, à la table ronde entre les producteurs de lait et le chef de l’État. Une petite révolution qui montre la crise de légitimité que vit le syndicat majoritaire depuis quelques mois.

« Carrefour politique » Depuis le début de la grève du lait, la haine est palpable entre l’association frondeuse et le syndicat historique. Il n’y a eu aucune discussion entre les deux parties. Dans chacun des camps, les termes employés sont très durs. Les membres de l’Apli seraient des « robin des bois », « ingérables » et « absolument odieux » dirigés par un « gourou ». Côté Apli, on accuse le syndicat d’être à la botte des industriels et de pratiquer un « cumul des mandats qui tient à la consanguinité ». Au coeur de ce conflit : le CNIEL, Centre National de l’interprofession laitière. Retour sur cet organe aussi puissant que méconnu. Le CNIEL siège à la Maison du Lait, à Paris. Il fédère et défend les intérêts de tous les acteurs de la filière, du petit éleveur breton à la multinationale comme Lactalis ou Danone en passant par les coopératives, d’énormes groupements de producteurs comme Sodiaal. Chacun y est représenté par sa fédération nationale : la FNPL


D’un côté, l’historique Maison du Lait, abritant les syndicats majoritaires mis à mal par la crise. De l’autre, l’Apli, une petite association de producteurs indépendants, qui fait une entrée fracassante par ses méthodes radicales. En jeu, la survie des

Desvres, septembre 2009. Des éleveurs laitiers déversent 17 tonnes de lait dans un champ pour protester contre la baisse des prix du lait. Des centaines de manifestations de ce type auront lieu pendant tout l’automne suite à l’appel à la « grève du lait » lancé par l’Apli. © AFP Photo Denis Charlet

pour les producteurs de lait, la FNIL pour les industriels et la FNCL pour les coopératives. Le CNIEL a un budget annuel de 38 millions d’euros, alimenté intégralement par une taxe au titre étonnant : la contribution volontaire obligatoire (CVO). Elle est payée principalement par les producteurs sur chaque litre de lait collecté. De quoi financer une centaine d’employés, une revue (la Revue Laitière Française), d’immenses campagnes de publicités nationales et plusieurs centres de recherche scientifiques et économiques. « Nous avons bâti quelque chose de très efficace. C’est un outil, un carrefour politique pour l’interprofession, même si pour moi ça n’est pas un lobby », explique Yohan Moreau, directeur de l’une des trois fédérations, la FNIL, qui a ses quartiers au cinquième étage de la Maison du Lait. Selon l’interprofession, cette taxe est l’unique moyen de peser sur l’opinion et les pouvoirs publics. Mais pour l’Apli, la CVO est une rente illégitime. Volontaire pour les uns, obligatoire pour les autres, la taxe porte bien son nom. Grâce au CNIEL, l’interprofession peut réagir très rapidement en cas de menace.

Ce fut le cas en mai 2008. A l’époque, un courrier de la Direction général de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) arrive à la Maison du lait. Il enjoint aux dirigeants de l’interprofession laitière de ne plus émettre de « recommandation » sur le prix du lait. En clair, les représentants des différentes branches du secteur ne seraient plus autorisés à fixer ensemble leur tarifs d’achat comme ils le font depuis 1997.

Réactivité La décision, qui provoque un séisme dans la profession, émane du ministère des Finances. Beaucoup y voient la main de Nicolas Sarkozy, engagé depuis son élection sur le thème du pouvoir d’achat et bien décidé à faire baisser le prix de la très symbolique brique de lait, qui atteignait des sommets à l’époque. L’interprofession laitière passe très vite à l’action. Elle s’adresse à un autre ministère, celui de l’Agriculture, plus proche de ses positions. « Nous sommes allés voir Michel Barnier et nous lui avons dit que la DGCCRF nous empêchait de travailler. Nous lui avons donc demandé d’être de notre côté pour déposer un amendement dans la loi de finances et nous laisser faire ce que l’on veut ». Johan Moreau, décrit ainsi « le fort lobbying » exercé à l’époque par l’interprofession. Il précise aussi avoir « appelé deux ou trois députés pour leur dire de voter l’amendement ». Et l’amendement fût. Aujourd’hui, l’interprofession laitière continue, avec quelques petits artifices techniques, de fixer les

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prix de lait. Elle n’émet plus de recommandation mais des « indices de tendance des marchés nationaux » dont les acteurs de la filière sont « autorisés » à tenir compte « dans leurs relations contractuelles ». Dans les faits, tout le monde s’empresse de suivre l’interprofession pour déterminer le prix du litre de lait collecté. Ce tour de passe-passe est contraire à toutes les règles de la concurrence européenne mais est toléré par l’Etat français. C’est dire toute l’attention portée par les pouvoirs publics à l’unité de la profession. Cette relation privilégiée remonte à 1974. Une grave crise frappe alors ce secteur dont les différentes professions se déchirent. Le gouvernement de l’époque somme donc les acteurs de la filière (producteurs, coopératives et industriels) de s’unir. L’argument qui va les convaincre de se fédérer est justement l’instauration de la contribution volontaire obligatoire (la CVO). Les trois familles unies sont depuis chargées d’organiser la filière et son marché. Elles s’accordent à l’unanimité sur de très nombreux points techniques : quantité de protéines dans le lait, gestion des contrats de la filière, montant de la contribution volontaire obligatoire… Ces accords ont alors force de loi après une simple homologation du ministère de l’Agriculture. Selon Gilles Psalmon, directeur de la

Fédération des producteurs de lait (FNPL), cette importante délégation des pouvoirs en faveur du CNIEL permet de « ne pas être en guerre permanente sur le prix du lait et de trouver un équilibre entre les différentes parties afin d’assurer le développement de la filière ». A la fois organisation syndicale agricole et groupe de défense du secteur laitier, le CNIEL est un ovni institutionnel. Pendant vingt ans, cette structure a permis à des acteurs aux intérêts divergents de s’organiser. Mais des changements industriels, en particulier l’augmentation de la taille des coopératives, a poussé deux fédérations, la FNCL et la FNIL à se rapprocher. Coopératives et industriels pèsent ensemble à la Commission européenne grâce à leur propre lobby, l’ATLA, crée en 1993 (voir encadré). Une situation qui met forcément à l’écart les producteurs dans le trio du CNIEL. La perte d’influence des éleveurs est très nette au sein des coopératives. A l’origine, ces coopératives regroupent des producteurs qui ont choisi de collecter et transformer euxmêmes leur lait. Mais elles ont atteint des tailles très importantes - comme l’immense Sodiaal qui possède notamment Candia - et leurs intérêts tendent à se rapprocher de ceux des industriels bien plus que ceux des producteurs. « On a une relation de "je t’aime moi non plus" avec les coopéra-

Un tour de passe-passe contraire à toutes les règles de la concurrence européenne

L’ATLA, un lobby industriel

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epuis 1993, le lobbying industriel prend de plus en plus de place dans la Maison du Lait avec la création de l’ATLA, l’Association des transformateurs laitiers. Les coopératives et les transformateurs ont en effet mis en commun une grande partie de leurs moyens pour défendre les intérêts de « l’aval laitier », c’est-à-dire la transformation et la commercialisation des produits, devant les instances européennes. L’ATLA répond à tous les critères de définition du « lobby européen ». Jehan Moreau, qui est aussi directeur de la FNIL, emploie volontiers le mot pour désigner l’organisation dont il est le vice-président. Plusieurs de ses collaborateurs, spécialistes de la réglementation de l’Union européenne, sont présents très régulièrement à Bruxelles. « Ils rencontrent ceux qui font les lois, les technocrates de la Commission, et ceux qui les votent, les politiques du Parlement », précise-t-il. « Si une position de Bruxelles

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nous dérange, comme c’est le cas pour l’étiquetage des produits par exemple, on se mobilise et on va faire du lobbying. » Deux collaborateurs de l’ATLA sont régulièrement mandatés dans des colloques pour s’opposer aux idées contraires aux intérêts du secteur. Ils sont alors accompagnés de représentants des entreprises de transformation. A la Commission européenne, les négociations sont souvent très longues et portent sur la définition de seuils, de normes. Elles nécessitent des rencontres régulières entre lobbyistes et membres de la Commission. « On essaye de bâtir une position commune des industries transformatrices réunies au sein du lobby de l’EDA (European Dairy Association) pour négocier ces points », explique Jehan Moreau. L’ATLA et l’EDA ont deux autres cibles : la direction générale de l’agriculture, appelée « DG Agri » par les initiés et la Direction géné-

rale de la santé et de la protection du consommateur, ou « DG Sanco ». « La première est plus favorable à nos thèses, la seconde un peu moins », précise Jehan Moreau. Les dirigeants de l’ATLA rencontrent également les parlementaires européens pour qu’ils déposent des amendements, et les ministres français pour qu’ils soutiennent leurs positions au Conseil des ministres. Ce lobbying n’est pas sans faille. Alors que l’EDA défendait le maintien des aides au marché, la Commission a opté pour des aides directes aux producteurs (DPU) en 2003. Pour autant, beaucoup s’accordent à reconnaître une montée en puissance des transformateurs, et donc une perte de vitesse des producteurs à l’échelle française et européenne. Le phénomène serait en partie responsable de la désaffection d’une partie des éleveurs pour leur syndicat et de la montée en puissance des organisations alternatives.


Le CNIEL rassemble trois fédérations et une association dans son siège de la Maison du Lait. tives », reconnaît Gilles Psalmon, directeur de la Fédération des producteurs de lait. Le directeur reconnaît qu’il n’a pas l’ascendant au sein de l’interprofession et souhaite renforcer ces liens avec les coopératives. Ce rapprochement pourrait lui permettre de peser davantage, notamment dans l’ajustement des prix, au risque toutefois de séparer un peu plus la FNPL de sa base.

« Nous sommes gênés par l’Apli » L’Apli pourrait profiter de ce désamour. Les méthodes actives voire agressives de l’Apli bousculent déjà un monde habitué à agir avec plus de retenue ou à concentrer les actions sur des temps courts. « Nous sommes gênés par Apli », reconnaît Yohan Moreau, directeur de la Fédération nationale des industries laitières (FNIL). Elle exerce déjà une pression visible sur les autorités : réunions publiques, manifestations, pétitions européennes mais aussi grâce à son lobbying interne avec la proposition d’amendements à Bruxelles et à l’Assemblée nationale. L’association souhaite la création d’un Office européen du lait auquel adhéreraient plusieurs dizaines de milliers d’éleveurs de l’Union européenne. Il serait chargé de négocier au nom de tous ses membres les prix du lait avec un rapport de force qui leur serait favorable. La solution est jugée « irréaliste » par Gilles Psalmon, directeur de la FNPL. Les deux parties sont irréconciliables. L’association indépendante rejette même l’autorité du CNIEL. Elle se base sur les résultats des dernières élections aux chambres régionales d’agriculture qui ont vu la FNSEA cré-

ditée de 55%, contre 20% pour la Confédération paysanne et 19% pour la Coordination rurale, et s’offusque que ces deux dernières ne soient pas représentées dans l’interprofession. La FNPL rétorque que laisser s’exprimer d’autres représentants d’éleveurs au sein de l’interprofession reviendrait à diviser les producteurs et à amoindrir encore leur poids par rapport aux transformateurs. Les prochaines élections en 2013 aux chambres régionales agricoles, auxquelles ne participera pas l’Apli puisqu’elle n’est pas un syndicat, pourraient être décisives. En cas de montée en puissance des syndicats minoritaires, c’est un équilibre de trente ans qui s’effondrerait.

Pour en savoir + - site internet : http://www.cniel.com/chiffres/PDF/Chiffre_cles_2008.pdf : Les chiffres-clés de l’industrie laitière mis en ligne par le CNIEL

- lien vidéo : http://www.ina.fr/economie-et-societe/vie-sociale/video/ CAF95055736/fin-de-la-greve-du-lait.fr.html: Archives de la première grève du lait, en 1964.

- livre : Thierry Souccar, Lait mensonge et propagande. Thierry Souccar Editions, 2008.

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Eau :

la pression

des marques Inquiètes de la chute continue de leurs ventes depuis cinq ans, les marques d’eau en bouteille accentuent le lobbying sur les collectivités locales et les administrations. Leurs méthodes deviennent de plus en plus directes et agressives.

L

par

’eau en bouteille boit la tasse. Après quatre

décennies de croissance du marché de l’or bleu, la tendance s’est inversée en 2005. En 2008, la chute des ventes a atteint un record : - 7,8 % par rapport à l’année précédente. Les raisons du déclin de cette industrie sont connues : baisse du pouvoir d’achat et prise de conscience écologique. Sa concurrente, l’eau du robinet, ne fait plus peur aux Français. En 2008, 84 % d’entre eux lui faisaient confiance, selon le baromètre TNS – Sofres. Autant de facteurs qui pèsent lorsqu’un consommateur fait face à un pack de neuf litres qu’il faudra transporter à bout de bras. Inquiets, les entreprises d’eau en bouteille et les lobbies qui défendent réagissent selon trois axes : mise en cause de la qualité de l’eau du robinet, marketing visant à faire croire qu’ils vendent autre chose que de l’eau et pressions directes sur les associations, les collectivités locales et l’administration. Ces dernières années, « ce dernier type de pression s’accentue », selon Clara Osadtchy, coordinatrice des campagnes pour l’ONG Agir pour l’environnement. « C’est très 28

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Paul Blondé

net, ils sont plus agressifs qu’avant », confirme Rémi Guillet, spécialiste de la question de l’eau au ministère de l’Economie et ancien président du comité de pilotage du Plan de prévention des déchets. Parfois même ultra-sensibles. Le 14 mars 2009, le quotidien local L’Union annonce une manifestation apparemment anodine, qui doit se dérouler le 24 mars, à l’occasion de la journée mondiale de l’eau. Sébastien Foy, alors enseignant en physique au collège de Fismes (Marne), souhaitait organiser avec ses élèves une opération de sensibilisation à la pollution par les bouteilles plastiques. A priori, « une opération de collégiens assez modeste », résume aujourd’hui Sébastien Foy. Une opération qui a pourtant fini par être annulée... Explication : Cristaline possède une source et une usine sur la commune de Fismes. L’entreprise a usé de son influence et de son poids dans l’économie de la ville. Selon Sébastien Foy, qui enseigne aujourd’hui dans un lycée de Reims, JeanPierre Pinon, le maire de Fismes, aurait reçu un appel furieux de Pierre Papillaud, le président de Roxane, maison mère de Cristaline. Celui-ci se souvient avoir

Cristalline a usé de son influence et de son poids dans l’économie de la ville.


En mars dernier, Cristaline fait annuler une banale manifestation de sensibilisation à la pollution par les bouteilles plastiques, prévue dans un collège de Fismes (Marne). Une ville où l’entreprise possède une usine. Cette affaire révèle la sensibilité des marques d’eau, inquiètes de l’effondrement de leur Le développement de l’eau en bouteille comme mode de consommation se heurte à la prise de conscience écologique générale. Depuis les années 2000, l’impact polluant des bouteilles est pointé du doigt. © AFP Photo Jean-Pierre Clatot

« passé un coup de fil au politicien du coin » et reçu ses excuses. « Monsieur Foy n’a rien vu et il ne sait rien », conteste aujourd’hui Jean-Pierre Pinon. Pourtant, l’enseignant affirme que le maire lui avait montré une lettre signée par Luc Baeyens, le directeur général du groupe Roxane. Dans ce courrier, l’entreprise aurait évoqué ironiquement sa prise de conscience d’être une industrie polluante, précisant qu’elle envisageait en conséquence la fermeture de l’usine.

Extrême sensibilité « Je n’ai pas subi de pressions, rectifie aujourd’hui le maire de Fismes. Cristaline m’a simplement fait part de son émoi et de son interrogation sur la démarche du professeur. Il n’y a jamais eu de problèmes entre la ville et Cristaline, qui emploie dix-sept des habitants de la commune. » « Je voulais y aller, raconte aujourd’hui le truculent Pierre Papillaud, mais mon entourage m’en a dissuadé. Mon poing dans la gueule, je

lui aurais foutu, à l’enseignant. Je trouve relativement malsain que des gens qui travaillent dans cette usine permettent à leurs gamins de ramener des bouteilles et applaudissent des deux mains. C’est lamentable d’embrigader les cerveaux des gamins pour les enfermer dans une pensée congelée. » Peu de temps après, dans le bulletin municipal, deux pages étaient consacrées aux efforts de la marque en matière de développement durable. Cette affaire est loin d’être anecdotique. Elle révèle l’extrême sensibilité, voire la susceptibilité, des marques d’eau qui voient leur marché reculer. Auparavant, en juin 2008, une autre collectivité locale, plus puissante et moins vulnérable qu’une petite ville dépendante des emplois d’une source telle que Fismes, avait subi les pressions du lobby de l’eau en bouteille. La Communauté d’agglomération d’Angers, Angers Loire Métropole, avait mis en place, avec le soutien du Plan de prévention des déchets du ministère de l’Ecologie, une campagne d’affichage sur les bouteilles plastiques. Au-dessus du slogan « Buvons l’eau du robinet », une bouteille pleine et une bouteille vide, compressées, agrémentées du texte : « 1,5 litre d’eau par jour = 365 bouteilles jetées par an ». Dénonçant une diffamation, la Fédération nationale des eaux conditionnées et embouteillées, dépendante de la chambre syndicale des eaux minérales naturelles, avait menacé par courrier la communauté d’agLOBI - Avril 2010

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Une distribution d’eau en bouteille le 26 janvier 2009 après la tempête dans le sud-ouest de la France. Certaines ONG et défenseurs de l’eau du robinet estiment que l’usage de l’eau en bouteille devrait être réservé aux cas d’urgences : catastrophes naturelles et pollutions ponctuelles de l’eau du robinet. © AFP Photo Jean-Pierre Clatot

glomération : « Nous vous mettons en demeure de justifier auprès de nous, sous huit jours au plus tard, des mesures prises pour la cessation de la campagne litigieuse ». Les pressions, cette fois-ci, ne donnèrent pas de résultat. La prise de conscience écologique de l’empreinte des bouteilles plastiques et de leur transport sur l’environnement est la première raison de la chute des ventes de Cristaline, Evian et autres Vittel. Cette prise de conscience découle notamment d’une volonté politique plus globale de sensibilisation de la population aux problématiques environnementales.

1838 Auguste Badoit est le premier à avoir l’idée d’embouteiller l’eau de source, réservée jusqu’alors au thermalisme. Il capte la source de SaintGalmier (Loire) et la commercialise. Il répond ainsi aux désirs de la bourgeoisie, qui commence à s’inquiéter de sa santé. Vingt ans plus tard, 1,5 million de bouteilles de Badoit est vendu chaque année. Parallèlement, en 1850, le robinet supplante peu à peu fontaines et puits dans les habitations. Dès la naissance de son industrie, l’eau en bouteille n’a qu’un argument de vente : son apport bénéfique pour la santé. 30

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Les marques d’eau craignent que le fait de boire de l’eau du robinet ne devienne un geste écologique « à la mode », comme celui de trier ses déchets ou d’éteindre ses lumières.

Supprimer une bouteille sur deux Elles emploient donc les grands moyens. En 2006, Cristaline affichait sur les murs de Paris une publicité montrant une cuvette de toilette assortie du slogan « Je ne bois pas l’eau que j’utilise ». Alors président du Co-

1960 Première révolution du plastique : le PVC remplace le verre, qui s’était substitué à la terre cuite. L’évolution du marché de l’eau en bouteille est désormais liée à celle de son contenant. Léger, économique et incassable, le PVC lance l’âge d’or de l’eau en bouteille. La production et la consommation s’envolent. En 1992, deuxième révolution : le PET (polyéthylène téréphtalate) est la nouvelle matière plastique utilisée. L’eau en bouteille et l’eau du robinet deviennent des modes de consommation opposés, farouchement défendus par leurs partisans.

2004 Selon le ministère de l’Ecologie et du Développement durable, on a consommé en France 6,2 milliards de litres d’eau plate en bouteille, soit environ 96 litres par habitant. C’est le premier marché alimentaire français. Mais les années 2000 marquent, selon certains, la fin de l’« or bleu ». Pénalisée par une prise de conscience écologique et par son prix élevé (de 100 à 300 fois plus chère que l’eau du robinet), l’eau en bouteille périclite. Après des décennies de hausse, la courbe se renverse et les ventes diminuent, de 5 à 7 % par an.


pil (Comité de pilotage du Plan de prévention des déchets initié en 2004 par Roselyne Bachelot, à l’époque ministre de l’Environnement), Rémi Guillet avait bondi. Dans une lettre adressée le 23 janvier 2007 à Nelly Olin, devenue ministre de l’Environnement, ce haut fonctionnaire affirmait son soutien aux critiques de la ministre contre cette campagne d’affichage agressive. Et lui faisait part de son vœu de « supprimer une bouteille d’eau plate sur deux d’ici 2012 ». Le début d’un long bras de fer avec les marques d’eau et leurs lobbyistes. Rémi Guillet était devenu leur cible. Roxane, à nouveau, s’est montrée la plus agressive.

En 2004, l’eau est le premier marché alimentaire français. © AFP Photo Jean-Pierre Clatot

En février, Pierre Papillaud signait une lettre et dénonçait le zèle de Rémi Guillet, accusé d’« abuser de la présidence d’un comité qui lui a été confié ». Le courrier s’adressait à tous les députés et sénateurs issus de circonscriptions concernées par l’industrie de l’eau minérale.

Un fonctionnaire « placardisé » Récemment, une feuille de route pour l’application des engagements pris au Grenelle de l’Environnement était adressée aux collectivités locales par l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). Si le document mentionne bien le devoir de favoriser l’eau du robinet, il comporte une clause précisant que « le travail sur cette thématique peut toutefois s’avérer optionnel pour les collectivités sur le territoire desquelles sont implantés des minéraliers. » « Pierre Papillaud et la Chambre syndicale des eaux minérales ont une certaine oreille au niveau politique », avance aujourd’hui Rémi Guillet. Ce que confirme le premier nommé : « Oui, on est écouté. Quand on s’adresse à des gens qui ne sont pas orientés, on se fait entendre. » Estimant ne pas recevoir « un très gros soutien » de la part de son ministère de tutelle, Rémi Guillet a fini par démissionner en septembre 2008. Au moment de la conception des deux campagnes télévisées publiques sur les bons réflexes à acquérir pour contribuer à sauver la planète, il s’était battu pour que tourner le robinet soit inclus. Sans succès. Le haut fontionnaire confesse aujourd’hui avoir « beaucoup moins de poids » dans son nouveau poste au ministère de l’Economie. « Quasiment plus rien, en fait ». Chez Agir pour l’environnement, Clara Osadtchy considère que Rémi Guillet a été « placardisé ». Sur le sujet de l’eau du robinet, les pouvoirs publics sont « soit frileux, soit pas convaincus, soit influencés par du lobbying », analyse-t-il. « Notre lobbying, c’est que les gens restent en bonne santé, coupe le PDG de Cristaline. On se bat pour que notre commerce reste vivant ».

Pour en savoir + - sites Internet :

www.eaumineralenaturelle.fr Site de la Chambre syndicale des eaux minérales, principal lobby du secteur www.efbw.eu Site du lobby européen des entreprises de l’eau www.agirpourlenvironnement.org/campagnes/ c23.htm La dernière campagne d’Agir pour l’environnement

- études et rapport : www.guerir.org/dossiers/ alimentation-cancer/eaucancer/eau-cancer/eau-potable-et-le-cancer-servanschreiber www.springerlink.com/ content/515wg76276q18115/

- documentaire L’eau en bouteille : le prix à payer, réalisé par Tom Heap, 2008

- livres et revues Jacques Neyrinck - Les scandales de l’eau en bouteilles - Pourquoi l’eau en bouteille est-elle mille fois plus chère que l’eau du robinet ? Editeur : Favre, 2009, 125 p.

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Les écrans

de la discorde Les cinémas français n’ont jamais autant attiré de spectateurs et pourtant, les exploitants traversent une période d’inquiétude. Avec le passage au numérique, de nouveaux investissements et de nouvelles habitudes s’imposent. La Fédération nationale des cinémas français (FNCF) représente les intérêts de tous ces professionnels, du multiplexe au cinéma de quartier. Ce choix de représentatitvité globale ne fait pas que des heureux.

M

ême les familles les plus unies connaissent des crises aiguës. Dans les coulisses du cinéma français, le torchon brûle entre les exploitants de salles et les autres acteurs économiques de cette industrie du divertissement populaire. L’humeur devrait pourtant être à la célébration, après une année 2009 record. 200,85 millions d’entrées ont été vendues, soit le meilleur résultat de fréquentation depuis vingt-sept ans. Cette tendance positive ne suffit pourtant pas à apaiser les craintes des propriétaires de salles obscures vis-à-vis des évolutions en cours. La numérisation d’un maximum de lieux de projection représente le grand défi technique et économique du moment. D’autant que l’intérêt suscité par la 3D (merci Avatar !) impose de s’équiper au plus vite, afin de ne pas passer à côté des bénéfices générés par de futurs blockbusters hollywoodiens. Si le passage au numérique paraît inévitable à l’avenir, la question du financement de ce nouveau matériel pose problème. Qui doit payer ? De toute évidence, les exploitants vont devoir mettre la main à la poche, mais tous n’ont pas les mêmes moyens que les grandes chaînes de multiplexes. A la Fédération nationale des cinémas français (FNCF), on signale que pour un seul écran, l’acquisition d’un équipe-

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par

Florian Mahé

ment adapté coûte près de 70 000 euros. « Avant même que l’investissement dans le numérique ne se fasse, les petites salles sont en difficulté », déplorait il y a quelques mois Jean Labé, le président de la FNCF depuis vingt-et-un ans. Cette fédération, créée en 1945, joue un rôle clé dans les négociations qui impliquent les exploitants de cinémas. La FNCF est une union de syndicats professionnels, qui regroupe la quasi totalité des 5 000 salles de cinéma nationales. Elle joue un rôle de porte-parole face aux syndicats de distributeurs et de producteurs et aux pouvoirs publics (ministère de la Culture, Centre national de la cinématographie ou le Conseil supérieur de l’audiovisuel). Avec un tel taux de représentativité, cet organisme fait figure de poids lourd dans l’industrie cinématographique, alors que son existence reste méconnue du grand public.

La colère des producteurs En novembre dernier, la fédération a pourtant choisi de rompre avec ses habitudes discrètes. Au début du mois, la plupart des enseignes de cinéma ont été éteintes pendant une heure afin d’attirer l’attention sur les difficultés récentes du secteur. La loi Hadopi 2 a inquiété les exploitants, déjà


Toutes les enseignes de cinéma éteintes pendant une heure en novembre dernier. Les propriétaires de salles protestaient contre le manque d’aides financières pour passer au numérique. L’action a « consterné » les producteurs de films.

Dopée par des films-événements, comme Avatar, la fréquentation nationale a atteint un nombre d’entrées record en 2009. Plus de 200 millions de Français se sont rendus au cinéma. Un score inégalé depuis 1982 ! © F.M.

confrontés au défi du numérique. Depuis l’adoption de la loi à l’automne, le délai entre la sortie d’un film en salles et sa distribution en DVD est passé de six à quatre mois. Cette nouvelle « chronologie des médias » risque de limiter les profits garantis par les films à succès, qui restent plusieurs mois à l’affiche. Cette disposition n’a pas été du goût des producteurs français. Le 16 novembre, l’Association des producteurs de cinéma (APC) et le Syndicat des producteurs indépendants (SPI) ont fait part de « leur consternation » dans un communiqué adressé au ministère de la Culture. Les deux organismes ont notamment critiqué la demande de la FNCF de remettre en cause « le partage des recettes avec les ayants droit provenant de l’exploitation des œuvres en salles, sous le prétexte fallacieux d’une modification de la chronologie des médias entrée en vigueur il y a à peine trois mois. » Les producteurs français n’ont pas manqué

d’épingler les multiplexes au passage, en leur reprochant implicitement de bénéficier des actions de lobbying de la FNCF, alors même que leurs situation financière ne peut se comparer à celle des petits cinémas de campagne. « L’exploitation ne participe pas au préfinancement des films, et une large partie de celle-ci fait payer, à des niveaux de plus en plus élevés, les bandes-annonces et plus généralement les instruments de promotion des films dans les salles », relève le communiqué.

« Tout le secteur doit participer » Cette réponse plutôt sèche n’a pas vraiment étonné du côté de la fédération des exploitants. « Les relations [avec les producteurs, ndlr] ont été particulièrement tendues au cours des deux dernières années », confie Marc-Olivier Sebbag, délégué général de l’organisation. Selon lui, la contradiction ne se trouve pas du côté de sa fédération, mais de celui de ses accusateurs. Tout se joue sur cette question cruciale du numérique. « Ils disent que tout le monde doit contribuer, mais ils ne veulent pas mettre la main au porte-monnaie », considère cet ancien responsable du SPI. « Ils veulent

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que ce soit les cinémas les plus riches qui apportent l’argent. Le problème n’est pas de savoir qui doit payer, tout le secteur doit participer. » Sans ambiguïté, la FNCF joue la carte de l’unité face à l’adversité. Cette attitude peut étonner, alors que la dichotomie entre les gros exploitants et les plus petits s’accentue à vue d’œil. En témoignent les procès intentés par UGC à des petites salles, parisiennes ou lyonnaises par exemple, accusées de « concurrence déloyale ». Difficile de croire que les conflits d’intérêts n’agitent pas les réunions du conseil fédéral de la fédération. Il existe, au sein de la FNCF, des « commissions de branches » qui repré-

«

Les relations avec les producteurs ont été tendues ces dernières années »

sentent respectivement la grande exploitation, la moyenne exploitation et la petite exploitation. Mais elles n’en font pas moins toutes partie de la même structure. Pour prendre l’exemple des distributeurs de films, différentes fédérations prennent en charge les intérêts de leurs membres selon leur importance sur le marché. C’est également le cas chez les producteurs. Plus qu’un mastodonte, la FNCF commence à faire figure de dinosaure. Son modèle, qui existe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ne reflète plus idéalement les réalités d’un métier en pleine transformation.

Le petit Méliès ne veut rien lâcher

L

a cohabitation entre multiplexes et petites salles suscite parfois des frictions. Le cas du Méliès, ce cinéma d’art et essai située à Montreuil (93), en est un exemple frappant. Il y a deux ans, ce cinéma municipal envisageait de doubler son nombre d’écrans, passant de trois à six, grâce aux aides de la mairie. UGC et MK2 ont rapidement déposé des plaintes distinctes pour « concurrence déloyale », jugeant que les tarifs subventionnés du Méliès porteraient préjudice aux autres lieux de projection de l’est parisien. Ce conflit n’a pas manqué d’agiter le petit milieu du cinéma. Une pétition contre ces recours en justice a réuni plus de 19 000 signatures, dont celles des réalisateurs Jacques Audiard et Laurent Cantet (Entre les murs). Le 9 mars dernier, les deux gros exploitants ont finalement renoncé à passer devant le tribunal administratif, sans commenter la situation. Après son extension, le Méliès deviendra le plus grand cinéma municipal de France.

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La FNCF est à l’initiative d’événements ponctuels tels que la Fête du cinéma ou le Printemps du cinéma, qui visent la promotion de l’industrie cinématographique. © F.M. Cette remise en question prend d’autant plus de poids que la FNCF vient de subir un semi-échec dans son accompagnement des exploitants vers la numérisation de tout le champ des salles françaises. Le Centre national de la cinématographie (CNC) envisageait depuis plusieurs mois de créer un fonds de mutualisation ayant pour « objet de collecter les contributions des distributeurs et de les redistribuer auprès des exploitants pour couvrir une part de leurs investissements ». Une aubaine pour les salles les plus modestes, puisque le fonds aurait pu couvrir jusqu’à 75 % dudit investissement.

Les plus modestes prêts à se défendre seuls Cette idée, proposée par Jean Labé, avait fait son chemin et semblait satisfaire le plus grand nombre. Début février, le couperet est tombé : l’Autorité de la concurrence a rejeté le projet, arguant que ce fonds mettrait le CNC « en concurrence directe » avec des opérateurs privés. D’autant que parmi ces derniers, certains avaient déjà négocié des contrats avec plusieurs multiplexes, en particulier ceux de la chaîne UGC, dont aucune salle n’a proposé Avatar en 3D, et qui doit donc s’équiper très vite. En attendant, le CNC prépare un nouveau projet d’aide, qui devrait être annoncé d’ici peu. En réaction à ces événements, le Collec-


La popularité soudaine du cinéma 3D a motivé tous les exploitants à accélérer la mise en place de matériel de projection en numérique. Pas question de rater la manne que représentent des films comme le dessin animé Dragons ou le récent blockbuster planétaire Avatar. © F.M.

tif des indépendants pour le numérique (CIN) fait entendre sa voix. Cette association, créée il y a un an et demi, réunit des exploitants, des distributeurs et des producteurs issus de huit syndicats différents. « Nous sommes la seule organisation transversale à tenter une approche globale sur ce sujet, commente Martin Bidou, le président du CIN. Nous voulons saisir le problème à bras-le-corps pour ne pas subir le passage au numérique. Aucune autre organisation ne l’a fait », ajoute-t-il. Cette petite structure ne montre aucune ambition de concurrencer la FNCF, mais elle réussit pourtant à fédérer différents membres du secteur, parmi les plus modestes, autour d’une même table. Peut-être faut-il y voir le signe d’une scission qui s’amorce en douceur entre les différentes catégories d’exploitants. La décision des propriétaires de petites salles de prendre en main leurs propres combats semble même s’imposer d’elle-même. Début janvier, Jean Labé, le président de la FNCF, a pris la tête pour l’année à venir du

Bureau de liaison des industries Cinématographiques (Blic), un organisme qui réunit quasi exclusivement les représentants des gros circuits de salles. Un choix surprenant quand on voit une crise de légitimité frapper la fédération. Mais pas si surprenant si on l’envisage comme une prise de position pour l’avenir. Quels que soient les différents points de vue sur la situation, 2010 devrait marquer un tournant dans la vie de cette fédération. Voire sa fin.

Pour en savoir + - études et rapport : http://www.cnc.fr/CNC_ GALLERY_CONTENT/ DOCUMENTS/statistiques/frequentation_mensuelle/2009/Freq_2009.pdf

- liens vidéos

- sites internet : www.fncf.org www.cnc.fr www.lemediateurducinema.fr

http://www.cnc-webtv.fr/ index.php?option=com_co ntent&view=category&la yout=blog&id=55&Item id=167 LOBI LOBI --Avril Avril 2010 2010

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ENVIRONNEMENT

Antennes

Allo David ? Ici Goliath. L’interdiction imminente du téléphone portable au sein des écoles primaires et des collèges sonne comme une victoire des associations de protection des usagers face aux géants de la téléphonie mobile. Mais il reste bien d’autre batailles. Et les opérateurs téléphoniques semblent plutôt en passe de remporter la guerre.

L

par

Emilie Helmbacher

découvre, au hasard d’articles publiés sur Internet, l’exis’Eglise-aux-bois, ses hameaux dispersés, son paytence de l’association Priartém (Pour une réglementation sage de moyenne montagne caractéristique et… son des implantations des antennes relais de téléphonie mobile). antenne-relais. A l’image d’une grande partie des « J’ai adhéré à l’association pour obtenir de l’aide et j’ai petits villages de Corrèze, cette commune nichée continué à contrer les demandes de Bouygues », expliquedans le parc naturel de Millevaches dans le Limout-elle. Opération réussie. Aujourd’hui l’Eglise-aux-bois est sin, n’était pas couverte par le réseau de téléphonie tout de même connectée. L’antenne-relais a finalement été mobile. Pas étonnant. Avec une moyenne de deux installée dans la montagne toute proche, moyennant un inhabitants au kilomètre carré, l’Eglise-aux-Bois vestissement supplémentaire pour la raccorder au réseau n’intéressait pas les opérateurs téléphoniques. Et puis Bouélectrique. ygues Télécom s’est infiltré dans la brèche. Catherine Gane s’en souvient encore. Cette institutrice domiciliée à La Bordeaux possède une maison dans le bourg. Ce sont les opérateurs qui Il y a deux ans, elle apprend que l’opéralégitimité ont le dernier mot teur souhaite installer une antenne-relais scientifique est au sur sa propriété. Dans son pré. « BouMême si les abandons de projets et les coeur de ce débat. Les ygues m’a proposé un loyer annuel, démantèlements d’antennes-relais se opérateurs mobiles se réfèrent à en me précisant qu’il n’y avait aucun multiplient, les riverains sont loin un rapport de l’Agence française autre endroit envisageable pour la d’avoir gagné le bras de fer qui les construction de l’antenne. » Début de sécurité sanitaire selon lequel oppose aux opérateurs mobiles. Les de la pression psychologique et preles antennes-relais sont inoffensives médias se sont tout de même emmier refus de Catherine. Bouygues parés du sujet en relayant les cas de pour la santé. Les associations revient alors à la charge, revoyant au mise en échec des opérateurs. En ocse fondent, elles, sur le rapport passage à la hausse le montant de l’intobre 2008, par exemple, Bouygues BioInitiative, contesté par demnité. « J’étais très embêtée, je me Télécom était condamné par le tribunal sentais coupable de priver le reste du hades scientifiques. de grande instance de Nanterre à retirer meau d’une telle opportunité », se rappelle des antennes-relais de téléphonie mobile, l’institutrice. Quelque peu désemparée, elle au nom du principe de précaution et des effets

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Le 28 septembre 2002, à Paris, des personnes manifestaient déjà contre l’installation d’antennes sur le toit d’écoles franciliennes. A l’échelle locale, les riverains réussissent à se mobiliser efficacement par le biais d’associations de protection des usagers. © AFP Photo Mehdi Fedouch

néfastes sur la santé. Trois familles du Rhône avaient alors porté plainte contre l’entreprise. Plus récemment, le 16 février 2009, la justice obligeait SFR à démonter une antenne sur la commune de Carpentras (Vaucluse). Des petites victoires pour les riverains puisque la plupart du temps, « les jugements de ce type sont cassés en appel », rétorque Eric de Branche de l’Association française des opérateurs mobiles (Afom). Mais ces décisions de justice traduisent une réalité : l’activisme des associations de protection des riverains fonctionne bien surtout à court terme et à petite échelle. « Dès qu’il y a une forte mobilisation des riverains, les opérateurs laissent tomber. Parce que dans 99% des cas, il existe une alternative à leur projet », confirme Régine Fernandes, secrétaire permanente de l’association Priartém. Mais que le grand public ne s’y méprenne pas. Le plus souvent, les opérateurs ont le dernier mot. Les chiffres le prouvent. En quinze années d’existence, la téléphonie mobile a séduit quelque 56 millions de Français. Soit huit Français

sur dix. Les antennes-relais se sont multipliées, poussant comme des champignons, en haut des immeubles ou même cachées dans des clochers d’églises. Aujourd’hui, près de

«

Dès qu’il y a une forte mobilisation des riverains, les opérateurs laissent tomber »

55 000 antennes tissent leur toile sur le territoire français. L’attribution de la 4e licence 3G à Free, le 18 décembre dernier et le succès des smartphones nécessitant l’installation de nouvelles antennes-relais de type UMTS (Universal mobile telecommunications system) vont encore augmenter le nombre d’équipements. Une tendance qui va complètement à l’encontre des demandes des associations d’usagers. Une seule solution pour Priartém, Agir pour l’environnement, Robin des toits et les autres : recentrer le débat autour des effets nocifs des antennes-relais sur la santé. « Nous défendons avant tout la sécurité sanitaire. Et le seuil symbolique des 0,6 volts par mètre comme valeur limite d’exposition du public aux champs électroma-

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ENVIRONNEMENT

gnétiques », assure Etienne Cendrier, le porte-parole de Robin des toits. « Nous ne sommes pas contre les téléphones portables. Nous souhaitons simplement prévenir le public des comportements à risques, en particulier chez les femmes enceintes et les jeunes enfants », poursuit cet artiste-peintre, ardent défenseur de l’encadrement des technologies sans fil. Même discours du côté de Priartém : « Nous réclamons coûte que coûte les 0,6 volts par mètre recommandés notamment par le rapport BioInitiative. Selon nous, c’est un seuil de consensus. Etabli par des scientifiques, il a été reconnu comme non nocif. Or aujourd’hui les seuils avoisinent les 40 voire 60 volts par mètre car ils ne tiennent pas compte de toute la partie thermique de la nocivité. » Oui mais, la France a adhéré à la recommandation 1999/519/CE du Conseil de l’Union européenne, transposée par décret le 3 mai 2002 et relative aux valeurs limites d’exposition du public. Or pour l’UMTS, le seuil est fixé à 61 volts par mètre. Les opérateurs sont donc dans leur bon droit. Ils s’empressent d’ailleurs de communiquer à ce sujet. Présente lors des tables rondes organisées par le gouvernement au printemps dernier, l’association qui les représente, l’Afom a créé en janvier 2010 un site Internet intitulé « mobile et santé ».

Le lobbying intensif des opérateurs « Nous fonctionnons comme un syndicat professionnel classique », détaille Eric de Branche, son directeur de la communication. L’association regroupe tous les opérateurs français et remplit sa mission d’information en matière de santé auprès des usagers. « Nous ne sommes pas des scientifiques et la santé n’est pas un secteur concurrentiel pour nos membres puisque tout le monde s’accorde. Nous nous fions aux rapports et aux études réalisés par des experts. Ce qui guide notre choix, c’est la prise en compte, ou pas, d’études par les autorités sanitaires compétentes. C’est pourquoi nous nous référons au consensus de l’Afsset qui n’a pas changé. » La transparence. L’Afom brandit ce principe dès qu’on l’attaque au sujet de la nocivité des champs électromagnétiques. Pour preuve : son site « mobile et santé » se veut complètement interactif et répond à toutes les questions que les usagers peuvent se poser. Et quand les réponses ne sont pas directement disponibles sur le site, un forum est là pour pallier ce manque. « Tout comprendre aux ondes », « questions réponses », « l’actualité », « près de chez vous », autant d’onglets intuitifs pour les Français. Le site reprend les études scientifiques disponibles tout en jouant la proximité. Un micro-trottoir révèle les lacunes des Français en matière de connaissances des antennes-relais. Même Jérôme Bonaldi, simple journaliste et pas expert, est mis à contribution. « Il offre un éclairage. Si on avait que des interviews de scientifiques, les internautes décrocheraient. Une approche grand public passe forcément par des personnes grand public. D’autant que le discours technique n’est pas forcément bien compris », soutient Eric de Branche. A l’image de l’Afom, Priartém, Robin des toits et Agir pour

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l’environnement ont également investi la Toile. Ironie du sort, alors qu’Internet est aujourd’hui aussi au cœur du dossier des ondes du fait de l’utilisation exponentielle du wifi. Pourtant, malgré le développement de sites Internet, les associations peinent à se faire entendre face au lobby des opérateurs mobiles. Leur dernière campagne via Internet, astucieusement intitulée Tchermobile, joue encore une fois sur les inquiétudes latentes de la population. Mais, regrette Régine Fernandes de Priartém : « on n’est rien face aux opérateurs.»

Conflit d’expertises En attendant, les associations poursuivent leur action plutôt efficace à l’échelle locale, celle des communes et des quartiers. Et elles persistent à défendre le « 0,6 volt par mètre », usant largement du principe de précaution. Pourtant, Régine Fernandes l’avoue : « peu de médecins soutiennent l’action de l’association ». La position défendue par Priartém et ses homologues relève donc parfois davantage de la théorie du complot. Selon ces associations, les chercheurs se verraient privés de ressources financières dès lors qu’ils soutiendraient une action de santé publique

«

Pendant un temps nos expériences ont été financées, au moins en partie, par les opérateurs eux-mêmes »

allant dans leur sens. Le rapport alarmiste du BioInitiative Working Group, fustigé par des scientifiques de tous bords, sert notamment de dernière référence scientifique en date à leur combat. « Il n’a jamais été publié et n’est pas sérieux. Il y avait par ailleurs un conflit d’intérêt sous-jacent », objecte Bernard Veyret. Chercheur au CNRS, il travaille depuis 25 ans sur les effets biologiques des ondes électromagnétiques. Un travail de grande envergure, en particulier depuis l’apparition des téléphones portables en 1993. « Il était absolument nécessaire d’inclure cette nouveauté à nos recherches », souligne-t-il. Dans son laboratoire, il enchaîne les expériences sur des rats, des souris et des cellules. « Nous les soumettons à des niveaux de champs électromagnétiques bien plus élevés que ceux observés dans la réalité. Grâce à toutes nos expériences et à une intense concertation avec nos collègues du monde entier, nous pouvons affirmer que les niveaux d’exposition actuels ne sont pas nocifs. Ils ne modifient pas nos paramètres biologiques, n’ont pas d’effet sur la barrière hémato-encéphalique, et ne provoquent pas de lésions sur l’ADN », affirme le professeur Veyret. Selon lui, la personne à l’origine du rapport possèderait une entreprise aux Etats-Unis spécialisée dans la vente de câbles


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« Il faut fermer ce dossier » André Aurengo est membre de la commission Cancérologie et technologies biomédicales à l’Académie de médecine. Ce chef du service de médecine nucléaire au groupe hospitalier La Pitié-Salpêtrière a quitté, il y a quelques mois, son poste de collaborateur au Conseil scientifique de Bouygues Télécom. Quelles sont selon vous les « bonnes » études en matière de santé et de téléphonie mobile ? Le rapport de l’Afsset, publié en 2005 et plusieurs fois mis à jour est excellent. L’Académie renvoie à ce rapport, parce qu’elle l’a lu en détail. Le problème aujourd’hui c’est que les gens retiennent ce que l’Afsset a communiqué en l’absence des scientifiques à l’origine de ce rapport. Or sa direction a dit tout à fait le contraire de ce qui y est écrit ! Pourquoi aurait-elle fait cela ? Je pense qu’elle n’a pas voulu attiser le mécontentement des associations. Les scientifiques, eux, n’ont d’abord pas réagi lors de la conférence de presse, tant ils étaient abasourdis. La presse, elle, a changé son fusil d’épaule. Alors qu’elle se voulait rassurante sur ce sujet de santé publique, elle a commencé à entretenir la peur des usagers. Cet épisode ne vous fait-il pas avoir des doutes concernant la nocivité des ondes électromagnétiques ? Onze études démontrent des effets biologiques indiscutables sur la santé. Et l’Afsset a effectivement fait part dans son rapport de « signaux importants ». Mais parmi ces onze études, au moins deux sont hors sujet tant les niveaux d’énergie n’ont rien à voir avec la réalité. Preuve de ma bonne foi, les scientifiques de l’Afsset ont finalement réagi et publié un article dans La Lettre de l’Académie. Que répondez-vous aux associations, qui se fondent notamment sur le rapport BioInitiative pour tirer la sonnette d’alarme ? BioInitiative c’est du pipeau ! Les

arguments du rapport BioInitiative sont démontés point par point par le rapport de l’Afsset. Le problème dans cette affaire c’est que le positionnement des associations est largement idéologique. Les associations ne font-elles pas que remonter les inquiétudes des riverains et des gens qui se plaignent de symptômes médicaux comme des maux de tête chroniques ou même des cancers ? Peu de sujets ont été autant étudiés que celui des effets de la téléphonie mobile et des antennes-relais sur la santé. Il y a eu une accumulation d’expériences et de recueils de données. Force est de constater que rien n’a été prouvé. Les ondes électromagnétiques, telles qu’elles existent aujourd’hui, ne sont pas nocives pour l’homme. Le degré de preuve est extrêmement élevé. Il y a un moment où il faut savoir fermer les dossiers. Qu’en est-il du principe de précaution brandi par les associations ? Il faut vivre avec des incertitudes. Il y a dix ans on m’opposait déjà ce principe. Dix ans plus tard, nous n’avons toujours pas de preuve de la nocivité des ondes électromagnétiques. Certes, nous avons décelé des effets tromoteurs (les ondes pourraient accélérer certains cancers déjà déclarés), mais nous avons surtout prouvé que les champs ne sont pas génotoxiques. Le Ministère de la Santé organise des tables rondes dans le cadre du Grenelle des ondes. Pourquoi ne figurez-vous pas sur la liste des invités ? Les différents ministères ne m’ont pas sollicité. A l’inverse des opérateurs

téléphoniques qui m’avaient demandé de m’exprimer sur le sujet. Mais j’ai préféré décliner leur offre. Justement, que répondez-vous aux associations qui vous accusent de collaborer au Conseil scientifique de Bouygues Télécom ? J’ai quitté mes fonctions de collaborateur il y a quelques mois. Les associations utilisaient continuellement cet argument pour me décrédibiliser et fustiger mon manque d’indépendance. Dans les faits, une telle collaboration n’est pas source de conflits d’intérêts. Je n’étais pas rémunéré pour cette activité. Mon départ du conseil n’a toutefois pas suffi à laver l’opprobre. Je suis toujours la cible des mêmes attaques, mais je constate que les associations ne me contredisent jamais sur le fond. Elles vont même jusqu’à vous traiter de négationniste… Je trouve l’usage de ce terme plutôt malheureux dans la mesure où je suis le fils de parents déportés. En fait, je suis avant tout un opposant dangereux pour les associations, parce qu’elles ne peuvent pas me coincer sur le plan de la physique ou de la biologie. Le scientifique c’est moi, j’ai la double formation. Mais alors pourquoi priver prochainement les enfants de téléphones portables ? Ce positionnement du gouvernement me paraît très sain et équilibré. En l’absence de recul par rapport à l’usage du téléphone portable chez les jeunes enfants, c’est très raisonnable. Des études sont en cours dont on connaîtra les résultats dans les années à venir. Cette mesure est donc proportionnée.

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ENVIRONNEMENT

électriques. Et aurait donc intérêt à ce que la preuve de la dangerosité d’installer des antennes-relais trop près des habitations soit faite. Au petit jeu de la dénonciation des conflits d’intérêts, les associations comme Priartém et Robin des toits ne sont pas en reste. Elles en ont même fait leur cheval de bataille. Convaincu de l’absence de nocivité des antennes-relais et des ondes électromagnétiques, le professeur Bernard Veyret se félicite d’ailleurs d’être « l’ennemi public » des associations. Et il l’assume. « Ces associations sont des marchands de peur. Elles jouent sur les angoisses des Français et ont choisi un créneau politique pour fédérer les gens. Cela n’a rien de sanitaire. Même si le fait que les gens se plaignent de maux de têtes leur permet de le faire croire. Elles constituent une perte de temps et d’argent pour la société. » Problème : à l’absence d’effets délétères des ondes électromagnétiques constatée par Bernard Veyret, ses contradicteurs lui opposent son appartenance au Conseil scientifique de Bouygues Télécom. Et le chercheur au CNRS d’adop-

ter, comme l’Afom, la transparence. Oui, il fait partie de ce conseil depuis l’an 2000. « Nos expériences ont été un temps financées en partie par les opérateurs parce que personne ne nous aidait à l’époque. Aujourd’hui des fondations ont pris le relais. Il n’y a donc pas du tout de conflit d’intérêts », proteste le chercheur au CNRS. « Ma présence au Conseil scientifique est très intéressante. Bouygues me fait remonter les craintes des gens au sujet des ondes et nous les renseignons sur l’état de nos recherches. C’est l’histoire d’une réunion et d’un déjeuner par an. Je ne suis pas rémunéré pour cette activité », précise-t-il. Il ne subirait donc aucune pression de Bouygues pour publier des études en accord avec les volontés de son employeur. Serait-il prêt à quitter le conseil comme son confrère le professeur André Aurengo il y a quelques mois (voir l’interview) ? « Non. Une fois qu’on est grillés, c’est fini. D’ailleurs on continue bien de parler au professeur Aurengo de son appartenance passée au conseil. » A en croire les éminents professeurs, le dossier des an-

une concertation de façade Alors que la décision d’installer une antenne-relais concerne d’abord les riverains, dans les faits, ceuxci n’ont pas voix au chapitre. Dans la capitale, la Charte signée en 2005 entre la Ville de Paris et les opérateurs conduit, dans la majeure partie des cas, à l’extension du réseau des antennes-relais. u jour au lendemain, des habitants de la place des Abbesses dans le 18e arrondissement de Paris ont pu voir fleurir une antenne sur un toit d’immeuble. Pourtant la concertation avec les riverains est au cœur de la Charte signée entre les opérateurs mobiles et la Ville de Paris. Particulièrement lorsqu’il s’agit de l’installation d’antennes toutes neuves. « En accord avec la Charte, l’opérateur doit systématiquement demander un avis à la mairie d’arrondissement concernée », rappelle Baptiste Bertrand, chargé de mission en matière d’urbanisme, d’environnement et d’aménagement du territoire au cabinet du maire. « A l’échelle de la mairie, nous émettons systématiquement un avis défavorable à ce stade. Notre but étant d’avoir le temps d’organiser la concertation avec les habitants du quartier. Nous faisons alors la publicité de la réunion d’information, sur le site Internet de la mairie et via des affiches en mairie », poursuit

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L’antenne-relais de la place des Abbesses à Paris. (Emilie Helmbacher)

Baptiste Bertrand. L’opérateur fait acte de présence lors de cette réunion et présente son projet. « En général, les discussions avec les riverains sont très houleuses. Une fois les motivations de chacun exposées, nous réitérons notre avis défavorable. » Les négociations ne s’arrêtent pas là. Le dossier est ensuite porté en commission à l’Hôtel de Ville. Une commission devant laquelle les opérateurs ont encore la possibilité de se défendre.

D’ailleurs, « il arrive régulièrement que la Ville de Paris autorise quand même l’installation de l’antenne », souligne le référent téléphonie mobile du 18e arrondissement. Baptiste Bertrand reçoit alors la visite de tous les opposants au projet et est obligé d’expliquer les tenants et aboutissants de la décision finale. Très sollicité, il reçoit souvent des coups de fil d’habitants inquiets de voir des techniciens s’activer sur certaines antennes. « Les opérateurs ne sont pas tenus de nous concerter quand il s’agit de simples travaux de maintenance », rappelle-t-il. Gérer les trois dossiers en cours en moyenne et répondre aux inquiétudes des habitants constitue le lot quotidien des mairies d’arrondissement. Et à en croire Baptiste Bertrand, les 18e, 12e et 20e arrondissements seraient ceux qui regorgent le plus de riverains inquiets et mécontents. Une réaction plutôt naturelle en raison des passages en force répétés des opérateurs mobiles.


tennes-relais et des téléphones portables ne souffrirait donc d’aucune partialité. Loin d’être juges et parties, ils seraient des modèles d’indépendance. Un coup dur pour les associations, qui passent alors à l’offensive dénonçant le manque de démocratie. Et jouent la carte de la proximité avec les usagers.

L’absence de volonté politique Mais la proximité et la large place que leur accorde les médias ne suffisent plus. La Ville de Paris, par exemple, statue très régulièrement en faveur de la construction de nouvelles antennes et les mairies d’arrondissement se révèlent impuissantes face au lobby des opérateurs (voir encadré). L’absence de réelle volonté politique est flagrante. Elle est d’ailleurs sans cesse pointée du doigt par les associations de protection des usagers. « On est une anomalie. Si les pouvoirs publics faisaient leur boulot on ne se-

«

On est une anomalie. Si les politiques faisaient leur boulot, on ne serait pas là ! »

rait pas là ! », assure Etienne Cendrier de Robin des toits. Confirmation chez Priartém, où l’on réclame « une position politique forte » et où l’on regrette la mise au placard d’une proposition de loi d’encadrement des antennes-relais. Déposée en 2005 à l’Assemblée nationale et soutenue par huit députés, dont Nathalie Kosciusko-Morizet (l’actuelle secrétaire d’Etat à la Prospective et au développement de l’économie numérique), cette proposition est depuis lors restée dans les tiroirs. Selon Etienne Cendrier, de Robin des Toits, le gouvernement préfère se concentrer sur le développement du wifi. « C’est une escroquerie. L’avenir, c’est la fibre optique ! Avec cette technologie, il n’y a pas de problème d’ondes nocives. La politique du tout wifi est une politique de l’appât du gain », martèle le porte-parole de Robin des toits. Les pouvoirs publics semblent toutefois prendre le dossier des ondes au sérieux. En octobre 2009, les sénateurs sont

allés dans le sens des associations et des directeurs d’écoles et de collèges, en adoptant, à la majorité, un amendement qui devrait aboutir prochainement à l’interdiction des téléphones portables dans les établissements scolaires avant le lycée. La même année, trois ministères se sont associés pour organiser un Grenelle des ondes. Le 23 avril 2009, une table ronde intitulée « Radiofréquences, santé et environnement » réunissait toutes les parties prenantes du dossier des antennes-relais

et de la santé. Sous la houlette de Chantal Jouanno, la secrétaire d’Etat chargée de l’Ecologie, de Nathalie Kosciusko-Morizet et de Roselyne Bachelot, la ministre de la Santé. Le contexte et les enjeux ont été rappelés, ainsi que les inquiétudes au sujet des nouvelles technologies de communication sans fil. Représentants des élus, associations, opérateurs de téléphonie mobile, organisations syndicales, Etat et organismes publics, personnalités qualifiées, tous ont répondu présent à l’appel de la ministre de la Santé. Objectifs du Grenelle des ondes : faire le point sur les connaissances scientifiques et les réglementations en vigueur et identifier d’éventuelles mesures complémentaires en matière de recherche. Une gageure selon Priartém pour qui le Grenelle des ondes a eu lieu uniquement parce que le gouvernement ne pouvait plus ignorer le fait que les tribunaux statuent de plus en plus souvent, au moins en première instance, en faveur des riverains. Pour l’association présidée par Janine Le Calvez, la communication nationale n’existe pas de la part du gouvernement. « Le problème du ministère de la Santé c’est qu’il n’a pas la volonté. Madame Bachelot a bien publié un communiqué laconique mais sans plus, regrette-t-elle. Quant à Nathalie Kosciusko-Morizet, depuis son soutien de 2005, elle a bien retourné sa veste. Par trouille sans doute »

Glossaire Afsset : Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail Génotoxiques : champs qui modifient la structure de l’ADN

Pour en savoir + - sites internet : www.afsset.fr www.afom.fr www.mobile-et-sante.fr www.priartem.fr www.tchermobile.org www.robindestoits.org www.agirpourlenvironnement.org

- études et rapports : Rapport BioInitiative www.bioinitiative.org Rapport de l’AFSSET Site internet de l’AFSSET

- liens vidéos : www.dailymotion.com/ video/x8my1m_telephonie-mobile-priartem_news

www.youtube.com/ watch?v=L4h72M5RPOA www.sante-sports.gouv.fr/ table-ronde-radiofrequences. html

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ENVIRONNEMENT

Anti-éolien :

nucléaristes à

l’attaque

Depuis deux ans, la fronde éolienne gagne en visibilité. Pour cela, elle peut compter sur les puissants réseaux du lobby nucléaire. Ces deux acteurs ont décidé de faire cause commune pour atteindre leur but respectif : mettre un terme à la propagation des éoliennes en France.

L

es anti-éoliens et le lobby nucléaire feraient-ils alliance commune pour convaincre de l’inutilité des éoliennes ? Le Grenelle de l’environnement est remis en cause par Nicolas Sarkozy qui a affirmé « l’environnement ça commence à bien faire » au Salon de l’Agriculture le 6 mars. Quelques semaines plus tôt, l’ancien ministre Claude Allègre a sorti son livre L’imposture du climat remettant en cause la réalité du réchauffement climatique. Dans cette atmosphère peu favorable à l’environnement, les éoliennes paraissent en mauvaise posture. Leur développement se révèle d’autant plus délicat que ses pourfendeurs bénéficient de l’aide non négligeable du lobby nucléaire. Comme l’écrit sur son blog Guillaume Malaurie, journaliste au Nouvel Observateur : « Beaucoup de retraités d’EDF qui ont participé à l’aventure atomique française et en sont fiers, donnent très spontanément des coups de main aux anti-éoliens. » Cette aide est visible au sein du Comité d’orientation stratégique créé par Valéry Giscard d’Estaing au printemps 2008. Pour réfléchir à la question de l’énergie du vent, l’ancien président de la République s’est entouré entre autres de Marcel Boiteux, ancien président d’EDF. Jean-Louis Butré, président de la Fédération environnement durable (FED), appartient également à ce groupe. Une présence qui étaye les hypothèses de la participation

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par

Anne-Laure Naymark

d’anciens du nucléaire à la FED. « Cette association aurait été montée par des gens d’EDF », suppose Arnaud Gossement, avocat en droit de l’environnement et de l’énergie, ancien porte-parole de France nature environnement. Face aux associations pro-éoliennes, très médiatiques, « quelques partisans d’un modèle énergétique centralisé et étatisé ont décidé d’investir le terrain associatif pour conquérir le champ médiatique », confirme l’avocat.

Conserver une énergie centralisée Le terrain médiatique est capital pour les lobbyistes. Il leur permet d’orienter le débat sur les domaines qui les avantagent. Ainsi la fronde contre les éoliennes apparaît sur un plan écologique et économique. En arrière-plan se cache un enjeu politique : conserver une énergie centralisée et étatisée. Le nucléaire correspond à ces critères contrairement aux éoliennes qui mettent en péril le modèle jacobin. « Elles donnent du pouvoir aux collectivités locales par le biais de schémas régionaux de l’énergie », explique Hélène Gassin, ancienne spécialiste des énergies chez Greenpeace. Avec la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre, la question des énergies renouvelables s’est posée depuis le protocole de Kyoto signé en 1997, première prise de conscience des changements climatiques au niveau international. Mais en France, la forte présence du nucléaire


Le lobby anti-éolien cherche à tout prix à freiner les constructions de nouvelles éoliennes. Une de leurs victoires : en 2005, une loi restreint leur installation à des zones spécifiques. Sans quoi EDF n’est pas obligée de racheter l’électricité produite.

En 1999, un projet de parc éolien a vu le jour à Goulien, dans le Finistère. Cette région est exposée de forts vents rendant cette installation légitime. © SER-FEE lui donne une dimension tout à fait singulière. En 2001, les pro-éoliens marquent des points. L’arrêté Cochet fixe le tarif d’achat obligatoire de l’énergie éolienne pour EDF. En 2007, le lobby en faveur des éoliennes gagne une victoire : le Grenelle de l’environnement fixe l’objectif de 20% d’énergies renouvelables d’ici à 2020 dont 25 000 MW d’électricité produite par les éoliennes. Le Syndicat des énergies renouvelables, composé entre autres de fabricants d’éoliennes, aurait fortement influencé la rédaction de ce texte.

La spécificité énergétique de la France Dès 2008, le vent tourne. Les opposants aux aérogénérateurs – le nom savant des éoliennes – font parler d’eux. Jean-Louis Butré sort un livre, L’imposture, pourquoi l’éolien est un danger pour la France, dans lequel il alerte sur les problèmes posés par ces machines. Vincent Le Biez, polytechnicien et ingénieur, publie un rapport, Eoliennes, nouveau souffle ou vent de folie?, pour l’Institut Montaigne. Il a tiré des conclusions mitigées quant à l’opportunité d’installer des éoliennes en France. Ses résultats ont été brandis comme un trophée par les pour-

fendeurs de cette énergie. « Nous n’avons pas besoin de l’électricité fournie par l’éolien », affirmait Valéry Giscard d’Estaing lors de la conférence organisée en novembre 2008 par l’Institut Montaigne suite à la publication du rapport. Une idée partagée par Vincent Le Biez. Et pour cause. Si dans le reste de l’Europe, les éoliennes ne remportent pas non plus une adhésion unanime, l’opposition en France revêt un caractère particulier, lié aux sources de production actuelles d’électricité. Cette spécificité résulte de choix antérieurs. En 1973, suite au choc pétrolier, alors que ses voisins européens, l’Allemagne et le Danemark en tête, misaient sur l’éolien pour produire de l’électricité, la France a préféré développer le nucléaire. Les efforts de la recherche se sont concentrés sur cette énergie « qui correspond à la culture jacobine de la France », analyse Hélène Gassin. Conséquence : l’électricité provient à 78% du nucléaire et pour 10% de sources carbonées type centrale à gaz ou centrale à charbon. « Au niveau mondial, 40% de l’énergie est produite par le charbon et 7% par l’énergie nucléaire », précise Didier Wirth, viceprésident de « Vent de colère », association anti-éolienne. Actuellement, 90% de l’électricité française ne dégage pas de CO2. En grande partie grâce à l’énergie nucléaire qui possède un atout de taille : elle produit peu de gaz à effet de serre (GES). « On émet 7% de GES de moins que l’Allemagne », déclare Vincent Le Biez.

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ENVIRONNEMENT

Ce que confirme le rapport du Centre d’analyse stratégique (CAS), paru en novembre 2009 : Cette technologie rejetant peu d’émissions de CO2, la France peut se targuer d’être un des pays européens les plus performants en matière de rejets de CO2, ce qui réduit la légitimité d’une énergie verte encore coûteuse. » Dans ces conditions, « l’éolien ne répond pas vraiment à un besoin en France », conclut Vincent Le Biez. Il ajoute : « Les 10% d’énergie qui émettent du CO2 correspondent

«

L’éolien ne répond pas à un besoin en France »

aux pointes de consommation. Les éoliennes ne peuvent pas remplacer l’énergie carbonée car leur production est trop aléatoire. A l’aléa sur la demande - besoins des consommateurs - elles ajoutent un aléa sur l’offre - météo. » Les arguments contre les éoliennes gagnent du terrain. Le doute s’est installé dans l’esprit des citoyens. A tel point qu’ils se demandent si les éoliennes respectent vraiment l’écologie. Cette méfiance se perçoit dans des sondages locaux. Le 29 octobre 2009, le sondage de Nord Eclair, révèle que 60,5 % des votants s’opposent à cette énergie. L’alliance des pro-nucléaires et des anti-éoliens a marqué des points dans l’opinion publique.

Un coup d’arrêt à l’implantation Le Grenelle de l’environnement n’a pas mis en avant la seule énergie du vent. Son combat ne s’arrête pas là. Dans les couloirs du Parlement, un autre débat se joue, à la fois politique et écologique. Dans un premier temps, cette alliance aimerait remplacer l’objectif de 20% d’énergies renouvelables – demandé par le Grenelle de l’environnement et par le Paquet énergie-climat européen de décembre 2008 – par celui

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Les différentes sources de production d’électricité en France et dans le monde en 2004. de 20% d’énergies non carbonées à l’horizon 2020. Avec le nucléaire, la France remplit déjà ces objectifs. A terme, les anti-éoliens et les partisans du nucléaire souhaitent l’instauration d’un moratoire contre les aérogénérateurs. Ils s’invitent alors dans le débat législatif. Résultat : la loi Grenelle 2, discutée en ce moment à l’Assemblée nationale risque d’être défavorable aux éoliennes. A l’automne 2009, les sénateurs ont déjà voté cette loi en y incluant un amendement qui limiterait le développement des

La diversité des «antis»

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n ne peut pas réduire le lobby anti-éolien au lobby du nucléaire. Guillaume Malaurie a été très clair sur son blog. Il parle « d’un front hétéroclite ». Cela reflète bien la réalité du combat contre les éoliennes. Aux côtés des anciens d’EDF, comme Marcel Boiteux, il y a des scientifiques qui appartiennent au réseau «Sauvons le climat». C’est le cas de Didier Wirth. Avec ce réseau, il réfléchit à des solutions pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Le lobby anti-éolien compte surtout des milliers de citoyens. Ils organisent des réunions et rédigent des pétitions pour empêcher la construction d’éoliennes près de chez eux. Un de leur credo: le NYMBY, comprenez « Not in my back yard » (Pas dans mon jardin). Ils tolèrent ce type d’énergie tant qu’elle ne se trouve pas près de chez eux. Leurs arguments sont multiples et plus ou moins justifiés : le bruit, la dévaluation de leur biens immobiliers, l’esthétique. Sur ce point, ils sont rejoints par des associations de défense du patrimoine français comme Parcs et jardins de France ou Vieilles maisons de France.


éoliennes en les traitant comme les industries à risques. Ainsi, cet amendement prévoit la soumission des éoliennes au régime des ICPE (Installations classées pour la protection de l’environnement). Même si elle était adaptée aux éoliennes, la procédure d’autorisation serait alourdie par des concertations supplémentaires réclamées par les lobbies anti-éoliens. La loi du 13 juillet 2005 a déjà porté un coup d’arrêt à cette énergie avec les Zones de développement éolien (ZDE) qui règlementent les parcs éoliens. Cette législation prévoit que toute éolienne supérieure à 12 mètres doit se

Le lobby, c’est l’autre

Manifestation anti-éolienne à Paris, en octobre 2008. © FED idier Wirth, vice président de Vent de colère, définit un lobby comme « un groupe qui défend une industrie et ou un intérêt financier ». Selon cette acception, Vent de colère n’est pas un lobby car comme le clament son président et son vice-président, la Fédération n’a que peu d’argent. Elle dépend des cotisations des adhérents. Didier Wirth reconnaît tout de même que Vent de colère s’apparente à un « groupe d’influence ». Par contre, lorsqu’il désigne les partisans de l’éolien, il n’hésite pas à parler de « lobby car il y a de l’argent derrière. Vendre un permis pour éoliennes rapporte des sommes importantes ». Même son de cloche sur le site de la Fédération environnement durable où Jean-Louis Butré évoque le « lobby des promoteurs ». A l’opposé, l’activité de lobbying n’est ni taboue, ni connotée négativement pour Arnaud Gossement. Le site de France Nature Environnement, dont il a été porte- parole, revendique cette fonction. « Nous avons présenté des amendements. Ils sont envoyés à l’ensemble des parlementaires, des responsables ministériels, des journalistes. Notre travail est public. On ne fait pas de lobbying en sous-main », décrit l’avocat. Une manière de critiquer les lobbies qui ne s’affirment pas comme tels mais utilisent des sommes considérables pour faire entendre leur point de vue aux décideurs.

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construire dans une ZDE. Les éoliennes bâties hors d’une telle zone ne pourront pas prétendre au rachat de l’électricité par EDF. De quoi freiner l’ardeur des constructeurs puisque le tarif prévu par l’Etat s’avère plus qu’avantageux. Si la loi Grenelle 2 ne change pas par rapport au texte du Sénat, l’alliance des anti-éoliens et des pro-nucléaires aura fait un grand pas vers la suppression des éoliennes en France.

Et les autres énergies renouvelables ?

Les écologistes reporteront alors leur combat sur les autres énergies renouvelables. Ils craignent que les opposants aux éoliennes ne ne s’opposent aux autres énergies renouvelables. « Ça commence avec le solaire », déplore Arnaud Gossement, avocat de défense de l’environnement. Le photovoltaïque apparaît comme l’énergie en vogue. Elle se trouvait au cœur des discussions lors du dernier colloque du Syndicat des énergies renouvelables. Et des critiques fusaient. Elle est accusée de « coûter trop cher » et ses promoteurs de faire de la « spéculation ». L’Etat a partiellement arrêté ces attaques en changeant les conditions tarifaires, par un arrêté du 12 janvier 2010. Mais pour les défenseurs d’une énergie centralisée, les panneaux photovoltaïques représentent toujours une menace. Pourtant l’espoir est permis pour ces énergies alternatives. Les principaux opposants à l’éolienne y semblent favorables. « Ma fédération est pour d’autres énergies renouvelables », déclare Jean-Louis Butré, président de la Fédération environnement durable. Alain Bruguier, président de Vent de colère, apporte une nuance : « Je suis pour des énergies renouvelables à production garanties, ce que ne seront jamais les éoliennes et le photovoltaïque.» Ces querelles de chapelle sur la meilleure stratégie à mettre en place ne doivent pas masquer un problème essentiel : la demande d’énergie. Et là, tous s’accordent – en apparence du moins – sur la solution : il faut des économies d’énergie.

Pour en savoir + - sites internet : www.arnaudgossement.fr planete.blogs.nouvelobs.com www.ipjblog.com/annelaurenaymark.com

- études et rapport : http://www.strategie.gouv.fr/IMG/pdf/09_rapport_eoliennes.pdf http://www.institutmontaigne.org/medias/documents/amicus_eolien-bd.pdf

- livres et revues L’imposture, pourquoi l’éolien est un danger pour la France, Jean-Louis Butré, Editions du Toucan (2008) Eoliennes, quand le vent nous éclaire, Philippe Ollivier, Editions Privat, 2006

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ENVIRONNEMENT

Une huile (toujours plus)

essentielle

On s’en méfie autant qu’on en consomme. Dénoncée par les associations écologistes pour ses dommages certains sur l’environnement, et hypothétiques sur la santé, l’huile de palme continue d’inonder l’Europe. Les nouvelles directives européennes entérinant le passage progressif aux biocarburant ne fera que renforcer cet état de fait.

L

par

Tristan Vey

’huile de palme est partout : dans les biscuits apéarme de communication fédératrice, dont les ONG enviritifs, les viennoiseries, les glaces, les céréales ou ronnementales se sont servies pour dénoncer cette catasles produits cosmétiques. Depuis 2007, elle est trophe écologique. l’huile végétale la plus consommée au monde, devant l’huile de soja. Alors qu’elle représente plus d’un tiers de la consommation mondiale Du boycott à la transparence d’huiles végétales, l’huile de palme a L’huile En 2007, l’association Les Amis de la Terre pourtant mauvaise réputation. De de palme appelait les Français au boycott des produits nombreuses campagnes menées par les cristallise des encontenant de l’huile de palme. Dans la fouassociations écologistes, Les Amis de lée, une vaste campagne de lobbying aula Terre et le WWF en tête, ont tenté jeux d’image. Les ONG près de la grande distribution était lancée. à partir des années 2000 de mettre en dénoncent les conséquences Ses initiateurs réclamaient plus de transgarde les consommateurs européens de la surexploitation par les parence pour les produits contenant de sur les dangers de la culture intensive entreprises, quand celles-ci l’huile de palme. « Nous souhaitions que du palmier à huile. le consommateur soit mieux informé. Mais La Malaisie et l’Indonésie accaparent cherchent l’accréditation nos courriers à Auchan, Leclerc ou Caren effet près de 90% de la production « durable » pour redorer refour sont restés lettre morte. Aujourd’hui mondiale. Les surfaces cultivées ont resleur blason. encore, il n’existe aucune obligation pour les pectivement été multipliées par 22 et par industriels de mentionner la présence d’huile de 9 pour l’Indonésie et la Malaisie entre 1980 palme dans leurs produits. La simple mention « huile et 2007. Cette pression sur le milieu naturel, en végétale » est suffisante », dénonce Sylvain Angerand, particulier sur les forêts primaires, a généré d’imporchargé de la campagne Forêts Tropicales de la branche tants problèmes environnementaux. Les orang-outans, française des Amis de la Terre. privés de leur habitat naturel, ont quasiment disparu. Une

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Le manager de cette plantation philippine de palmiers montre avec fierté son produit fini : un bidon de 4 litres d’huile de palme destinée à la consommation. © AFP Photo Ted Aljibe

Tout indique que cette situation ne va pas évoluer. Le 10 août 2009, l’eurodéputée Arlène McCarthy posait la question suivante à la Commission européenne : « La Commission a-t-elle envisagé d’introduire des exigences spécifiques pour l’étiquetage de l’huile de palme et de son origine lors de l’élaboration de sa proposition de règlement concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires ? » La réponse de la commissaire européenne chargée de la santé, Andoulla Vassilliou, a été sans appel : « L’objectif de ce règlement est d’assister au mieux le consommateur dans ses choix d’alimentation, sans pour autant faire peser des charges inutiles sur les acteurs du secteur de l’alimentation. Dans cette perspective, rendre obligatoire la mention huile de palme représenterait une mesure disproportionnée en termes de coûts associés à de fréquents changements d’étiquetage. » Difficile d’être plus clair : le consommateur citoyen devra se débrouiller seul s’il souhaite éviter la désormais

diabolique huile de palme. Le lobbying des associations écologistes aurait-t-il été vain ? Pas entièrement. En 2004, l’association WWF dépose les statuts d’une toute nouvelle structure, appelée Table ronde pour une huile de palme durable (RSPO). Le constat est simple : l’huile de palme est

«

Notre premier objectif était de nous débarrasser des ONG environnementales. »

irremplaçable. Les polémiques récurrentes sur sa dangerosité sanitaire ne sont pas fondées scientifiquement (voir encadré) et les rendements à l’hectare du palmier à huile sont plus de dix fois supérieurs à ceux du soja. Dans le contexte démographique actuel, et compte tenu du manque chronique de terres arables, l’existence de ce palmier au rendement incroyable ne peut être ignorée. Plutôt que d’en bannir la culture, le WWF veut en rationaliser l’usage. Eve Fouilleux, chargée de recherche au Centre de coopération internationale en recherche agronomique

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ENVIRONNEMENT

Un produit sain ?

«L

’huile de palme n’est pas mauvaise pour la santé. » Jean Graille, ancien directeur du laboratoire de lipotechnie du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) n’a de cesse de le répéter. Mais lutter contre une idée reçue n’est pas toujours chose aisée. Surtout quand il faut quelques compétences en biochimie moléculaire pour comprendre de quoi on parle... L’huile de palme est composée de molécules appelées triglycérides, qui sont constituées de trois acides gras reliés entre eux par une extrémité. Deux de ces

acides sont insaturés, le troisième est saturé. Les acides saturés sont mauvais pour la santé quand ils franchissent notre paroi intestinale. On dit donc de manière simpliste que les lipides qui contiennent beaucoup d’acides gras saturés sont mauvais. L’huile de palme contient 52% d’acides saturés, soit un peu plus que la graisse de porc. Selon un raisonnement simpliste, on pourrait donc penser que l’huile de palme est effectivement une forme de poison végétal. « Mais c’est un peu plus compliqué que ça, prévient Jean Graille. En réalité, l’enzyme qui permet la digestion d’un triglycéride est sensible à la place occupée par

pour le développement (Cirad), travaille sur ces nouveaux standards volontaires durables. « Les quatre principaux acteurs-clés qui ont porté le projet de table ronde sont le WWF, l’entreprise d’agro-alimentaire Unilever, la banque néerlandaise Rabobank et la SFI (Société financière internationale, une institution du Groupe Banque Mondiale). Pour Unilever, Rabobank et la SFI, c’est plus une opération de management du risque, qu’une position inspirée par un réel souci environnemental. » En d’autres termes, ces acteurs ont peur que la mauvaise image de l’huile de palme ne se retourne contre eux. Les campagnes de « naming and shaming » des écologistes ont fait leur effet. Chez Unilever, cette posture est assumée. Dans l’un de ses rapports sur la mise en place des nouveaux standards durables, Eve Fouilleux cite une déclaration de l’un des responsables de l’entreprise : « Notre premier objectif était de nous débarrasser des ONG environnementales que nous avions sur le dos. Mais c’est avant tout une question de management des risques. Si vous voulez protéger votre marque, vous devez montrer que vous vous occupez de manière concrète de ces problèmes. » Peu importe le cynisme des motivations, les intérêts financiers, commerciaux et environnementaux de tous les acteurs convergent. En novembre 2008, les 500 premières tonnes d’huile de palme certifiée durable sont acheminées en Europe. Un an plus tard, le cap du million de tonnes est franchi (cela représente moins de 2% de la production annuelle mondiale mais 20% des importations européennes). Problème, en octobre 2009, seul un cinquième de cette huile durable, environ 10% plus chère que l’huile

chacun des acides gras sur cette sorte de trident que forme la molécule. Seul l’acide situé au milieu (position 2) passe dans le sang – il est « digéré », alors que les deux autres (positions 1 et 3) se retrouvent dans les selles. » Les acides gras saturés de l’huile de palme sont situés en position 1 et 3. Dans la graisse de porc, ils sont situés en position 2. « Quand on mange de l’huile de palme, 80% des acides gras effectivement digérés sont insaturés », conclut-il. L’huile de palme serait donc plutôt bonne pour la santé. A tel point que ses partisans l’érigent volontiers au rang d’ « huile d’olive des pays tropicaux ».

« normale », a trouvé preneur. Les industriels ne jouent pas le jeu. Le WWF est donc reparti à l’attaque en publiant un classement des entreprises agro-alimentaires et cosmétiques, basé sur leurs engagements futurs et leurs pratiques actuelles. Pour Boris Patretenger, responsable du programme Conversion forestière au sein du WWF France, « cela doit inciter les entreprises à acheter une huile certifiée durable, et donc bonne pour leur image. Beaucoup d’entreprises se sont engagées à renoncer à l’utilisation d’huile non certifiée à l’horizon 2015. Nous allons surveiller ces promesses et publier tous les deux ans une nouvelle Scorecard pour voir si ces engagements sont respectés. » Attirer l’attention de l’opinion publique pour faire fléchir les entreprises reste encore et toujours le principal levier de l’association écologiste. Du côté des Amis de la Terre, on se soucie peu du succès de cette certification. Elle est même qualifiée de « tromperie » sur le site de l’association. « Le Malaysian Palm Oil Council (MPOC) est l’institut qui organise la promotion et de la commercialisation de l’huile de palme, explique Sylvain Angerand. En 2007, son budget était de 5,8 millions d’euros. Il provenait d’un organisme dépendant du ministère malaisien de l’industrie et des ressources. Or des entreprises malaisiennes font à la fois partie du RSPO et du conseil d’administration du MPOC. Ces deux positions nous paraissent difficilement conciliables. Nous avons même découvert qu’une société faisant partie du RSPO, Wilmar, exploitait illégalement les forêts. » Tout cela sans compter que le cahier des charges de l’huile durable déplaît. « L’utilisation de Paraquat, un herbicide toxique interdit en Europe, est toléré par

Par quelle autre huile végétale pourrait-on la remplacer en Europe ? A priori, aucune.

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le RSPO, poursuit Sylvain Angerand. Comment peut-on prendre cette certification au sérieux ? »

Un des nombreux ouvriers agricoles qui récolte les fruits des palmiers cultivés dans une plantation malaisienne. La Malaisie produit avec l’Indonésie 90 % de l’huile de palme mondiale. © AFP Photo Tengku Bahar

Se passer d’huile de palme ? Si cette certification n’est pas entièrement satisfaisante, que faut-il faire ? Se passer d’huile de palme ? C’est ce que souhaiterait l’association Les Amis de la Terre. Mais par quelle autre huile végétale pourrait-on la remplacer en Europe ? A priori aucune. Pour une raison simple : la directive européenne du 23 avril 2009 a entériné l’objectif de 10% de biocarburant sur l’ensemble du carburant destiné aux transports. Les eurodéputés verts s’étant battus pour l’encadrement de cette directive par des critères de durabilité, les huiles végétales produites en Europe seront majoritairement utilisées. Or, la demande globale continue d’augmenter dans les pays de l’Union. Il faudra donc remplacer

ces huiles végétales destinées aux agro-carburants par des produits de substitution. Compte tenu de son prix avantageux, l’huile de palme sera forcément en première ligne. Dans cette situation, Oil World, l’observatoire de référence des industries de plantes oléagineuses, table pour 2010 sur une production de 46 millions de tonnes, soit 6% de plus qu’en 2009. Et la tendance devrait se poursuivre dans les années à venir. L’Organisation des nations unies pour l’agriculture et l’alimentation estime en effet que la production devrait dépasser les 60 millions de tonnes en 2017. Que l’huile soit étiquetée « durable » ou non.

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POLITIQUE

Vidéosurveillance

Dans l’ombre

des caméras La future loi sur la sécurité intérieure, la LOPPSI (Loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure), tend à élargir le champ d’action des entreprises de sécurité privée en matière de vidéosurveillance. Le nombre de caméras devrait tripler d’ici à 2011. Dans les coulisses de ce projet, les lobbies s’activent pour faire valoir leurs intérêts.

E

lles scrutent, toisent, dévisagent, enregistrent... Les caméras de vidéosurveillance ornent la voie publique de nombreuses communes pour en remodeler le paysage. Comme à Nice, ville la plus vidéosurveillée de France où nombre de caméras pas plus grosses qu’un demi-pamplemousse occupent les diverses avenues et autres ruelles. Le gouvernement souhaite tripler leur nombre d’ici à 2011 pour lutter contre la délinquance, soit 60 000 caméras au total contre les 20 000 actuelles. Pour atteindre cet objectif, la Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI), projet phare de la politique de sécurité jusqu’en 2013, a été adoptée à l’Assemblée nationale en première lecture le 16 février dernier. Désormais, les caméras des magasins seront autorisées à filmer la voie publique. Ces images pourront être visionnées par des agents de sécurité privée alors que la police municipale les exploitera. En cas de menace terroriste, les préfets se substitueront aux maires pour l’installation du dispositif. Autre mesure, la vidéosurveillance sera rebaptisée vidéoprotection dans tous les textes législatifs. Depuis son intronisation au ministère de l’Intérieur, Brice Hortefeux a érigé la « vidéoprotection » en priorité ministérielle et budgétaire pour l’année en cours. Ainsi 20 millions d’euros seront alloués à l’essor de ce système en 2010, afin de favoriser l’installation dans les différentes communes.

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par

Emilie Lopes

Si ce déploiement semble imputable en premier lieu au gouvernement, le lobby de la sécurité privée, qui tente depuis des années d’être « une passerelle entre les entreprises privées et les pouvoirs publics », n’y est pas étranger. Dans les couloirs de l’Assemblée les lobbyistes sont à l’affût de chaque loi et ils ne manquent jamais de glisser leur principal message : redorer le statut d’une profession encore mal perçue par l’opinion publique. La validation potentielle de la LOPPSI par le Sénat à la miavril laisserait plus de place à la sécurité privée. Le marché à pourvoir des 40 000 caméras supplémentaires constituerait, lui, un enjeu financier des plus alléchants pour les installateurs. Face à ce foisonnement, des collectifs interpellent sur les atteintes aux libertés individuelles. Pour les rassurer, les lobbyistes promettent un encadrement juridique et éthique de la vidéosurveillance.

Travailler l’image de la sécurité

Le lobby de la sécurité privée se divise en cinq domaines de compétence : l’humain, l’électronique, l’aéroportuaire, l’incendie et la formation. La vidéosurveillance relève des secteurs humain et électronique. Claude Tarlet, président de l’Union des entreprises de sécurité privée (USP), organisation patronale regroupant les deux tiers des entreprises du secteur de la sécurité privée, est l’un des lobbyistes les plus actifs. A l’origine de nombreux amendements sur les ques-


A priori, l’encadrement de la vidéosurveillance en termes de protection des libertés devrait revenir à la CNIL. Mais un article de la LOPPSI confie cette mission à une commission ad hoc. Parmi ses membres figurent des dirigeants d’entreprises de sécurité privée.

Pas plus grosses qu’un demi-pamplemousse, les nouvelles caméras de sécurité peuvent se piloter à distance. Outil favori du ministère de l’Intérieur pour lutter contre la délinquance, leur nombre ne cesse de croître. ©AFP Photos/Fred Dufour

tions de sécurité ces dernières années visant à réglementer la profession (carte professionnelle, charte de qualité), Claude Tarlet est membre de la Commission nationale de la vidéosurveillance. Créée en 2007, cette commission émet un avis consultatif au ministère de l’Intérieur sur les évolutions de la vidéosurveillance. Président d’une organisation patronale regroupant des entreprises privées et membre d’une commission publique, Claude Tarlet se défend de tout conflit d’intérêts. « Il appartient à tous les professionnels de ce secteur de mettre en œuvre une organisation qui réponde à des critères d’éthique, de compétence, mais aussi qui garantisse la liberté individuelle des citoyens. La morale, la transparence et les compétences sont au cœur de notre activité de lobbying. Nous avons un gros travail d’image à faire auprès du grand public pour clarifier nos actions souvent mal comprises. C’est pourquoi nous organisons beaucoup de colloques et de conférences ». Reconnu dans le milieu, il est très proche des politiques notamment de Jean-Marc Berlioz, conseiller de Brice Hortefeux, mais aussi d’Alain Bauer, avec lequel il siège à la Commission nationale de la vidéosurveillance (ce dernier,

conseiller en sécurité de Nicolas Sarkozy en est le président). « Nous voulons pousser et peser dans les prises de décisions et participer aux réflexions préalables concernant la LOPPSI. Nous allons aussi promouvoir le label de qualité des entreprises que nous représentons (pour l’octroi du marché des caméras) mais en aucune manière nous n’avons un quelconque pouvoir de décision », tient à préciser Claude Tarlet. S’il assure n’avoir participé à aucun amendement voté en première lecture, le président de l’USP n’exclut pas d’intervenir auprès des membres du Sénat en deuxième lecture. « Nous considérons aujourd’hui que l’Etat ne peut assurer seul la vidéoprotection. Il peut déléguer, sous réserve du respect de règles éthiques, aux entreprises de sécurité privée ».

Des maires sous pression Tanguy Le Goff, sociologue et coauteur d’un rapport démontrant l’inefficacité de la vidéosurveillance (voir Pour en savoir plus) va plus loin dans la définition même du lobby de la vidéosurveillance. « Un certain nombre de lobbies se sont constitués pour essayer d’influencer les politiques locales de sécurité. Le plus actif est l’Association nationale des villes vidéosurveillées (AN2V). Sous couvert d’informer, de diffuser des bonnes pratiques, de conseiller les élus et les professionnels des collectivités locales, via no-

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POLITIQUE

tamment une lettre d’information (Vidéosurveillance infos), cette association exerce un lobbying efficace. Il y a une réelle volonté de promouvoir les entreprises qu’ils représentent et de vendre les caméras aux élus. » «On pourrait dire que c’est un lobbying "par le bas" visant à influencer les élus locaux et "par le haut", pour peser sur les politiques nationales via des partenariats avec le ministère de l’Intérieur », finit-il par conclure.

«

Sous couvert d’informer, de conseiller les élus, l’AN2V exerce un lobbying efficace »

Le lobbying pour la vidéosurveillance ne se fait donc pas uniquement dans les hautes sphères politiques. Il se réalise aussi au travers d’actions sur le terrain. L’AN2V comprend 60 entreprises privées parmi lesquelles figurent des cabinets d’experts et des installateurs. Côté public, plus de 250 collectivités territoriales la composent. L’association a-t-elle donc pour objectif de vendre les caméras des entreprises qu’elles représentent aux élus qu’elles représentent également ? « Pour un maire, l’intérêt principal d’adhérer à l’AN2V, c’est la possibilité de partager l’expérience des élus qui ont déjà équipé leurs communes tout en les informant et en promouvant de nouvelles technologies. C’est notre argument principal pour les convaincre d’adhérer gratuitement à notre association. Pour les entreprises, nous essayons de les faire connaître aux élus », répond Rémi Fargette, chargé de mission à l’AN2V. Tout en surenchérissant. « Les installateurs adhérents viennent chercher chez nous de nou-

velles solutions et des produits qui puissent leur permettre de mieux répondre aux appels d’offres. Pour les maires, au lieu de recevoir les installateurs un à un en un après-midi, ils peuvent tous les voir lors de nos conférences. » Et les conférences sont nombreuses. En association avec le ministère de l’Intérieur, l’AN2V organise chaque année des Assises nationales de la vidéosurveillance. Elle s’associe à des organismes comme « Idéal connaissances », spécialisé dans l’organisation de grands évènements, pour en assurer l’ampleur. Depuis peu, elle s’est alliée à l’USP afin « d’ouvrir sur un réseau d’élus et d’entreprises plus large ».

« Les amis de tes amis sont mes amis » Ainsi, le lobbying local et le national se regroupent, se confondent et s’enrichissent via divers partenariats. Tout ne devient alors plus qu’un simple jeu de réseaux. L’USP a par exemple publié en 2006 un livre blanc rédigé en collaboration avec Alain Bauer et préfacé par… Nicolas Sarkozy. Daniel Warfman, salarié d’une entreprise de sécurité et professeur à Paris IV, traduit asssez bien cette situation. « Tous les réseaux ont de l’influence dans le domaine de la sécurité, associations "d’anciens de…", francsmaçons, Comité Melchior sur la vidéoprotection, proches du Président de la République. Mais la question qui se pose est la suivante : où s’arrête le réseau relationnel et où commence le "trafic d’influence" ?» Outre la Commission nationale de la vidéosurveillance, le ministère de l’Intérieur a mis en place le « Comité Melchior », le Comité de pilotage stratégique pour le développement de la vidéoprotection. « Notre mission, qui dépend du ministère de l’Intérieur, consiste à faire progresser les textes relatifs au domaine de la vidéoprotection et aider, renseigner, orienter les maîtres d’ouvrage quels qu’ils soient, du

videosurveillance vs videoprotection

U

n amendement adopté par la Commission des lois de l’Assemblée nationale le 16 février procède à un changement sémantique. « La dénomination de vidéosurveillance est remplacée par celle de vidéoprotection. En conséquence, il est nécessaire de procéder à ce changement sémantique dans l’ensemble des textes législatifs et réglementaires, ce à quoi procède cet article. » Une modification de terminologie met-

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tant en exergue la volonté du gouvernement de protéger la population. « L’emploi du terme vidéoprotection a vocation à redonner tout son sens à ce type de dispositif. La vidéosurveillance est un moyen alors que la vidéoprotection est un objectif. En effet, sa mise en œuvre vise évidemment avant tout la protection et, pour se protéger, on installe des caméras qui visionnent ce qui se passe », résume Elisabeth Sellos-Cartel, du Comité de pilotage stratégique de la vidéoprotection, chargée par le ministère de

l’Intérieur de répondre aux problèmatiques soulevées par l’installation du système dans les villes. Eric Heilmann, universitaire et coauteur d’un rapport sur l’inefficacité de la vidéosurveillance, y voit tout autre chose : « Le fait d’imposer le terme de vidéoprotection témoigne d’une incroyable prétention de la part du gouvernement. On se croirait dans un roman d’Orwell avec la novlangue. C’est comme s’il fallait gommer les mauvaises choses. On ne peut pas jouer impunément avec les mots ! »


Développer les caméras tout en garantissant les libertés individuelles, tel est le défi de la LOPPSI. ©AFP Photos/Clemens Bilan

petit commerçant à toute autorité publique qui souhaite installer un dispositif », explique Elisabeth Sellos-Cartel, chargée de mission au Comité. Avant de préciser : « Faire progresser les textes consiste à adapter une législation qui ne correspond plus aux besoins du terrain ni à la réalité. Il y a quinze ans les Français étaient méfiants vis-à-vis de la vidéoprotection. Aujourd’hui, ils en demandent mais souhaitent que cela reste encadré et contrôlé. Donc notre rôle est de comprendre le besoin et faire en sorte qu’il puisse être satisfait tout en veillant au respect des libertés publiques. » S’ils affirment n’avoir reçu aucune pression de la part des lobbyistes, le Comité tout comme la Commission nationale de la vidéosurveillance participent tous deux au débat sur les problématiques que peut suciter le développement de la vidéosurveillance sur la voie publique.

Atteinte aux libertés publiques ? « Ceux qui n’ont rien à se reprocher, n’ont rien à craindre », assène Brice Hortefeux à ses détracteurs. Pourtant, les caméras de sécurité soulèvent des questions de libertés publiques. Et ravivent la crainte « d’une dérive à la Big Brother », comme le dénoncent les collectifs. Misant sur un discours de transparence et d’éthique, les lobbyistes se veulent rassurants. « Il est désormais capital de faire de la vidéosurveillance une technologie utile, efficace pour tous, rentable, tout en respectant les règles essentielles de l’éthique », affirme Dominique Legrand, président de l’AN2V. Autre objet de litige, la future Commission de contrôle de la vidéosurveillance reviendrait à la Commission

Les principales mesures de la loppsi

L

e 16 février dernier, l’Assemblée nationale a adopté, en première lecture par 312 voix contre 214, le projet de Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI). Voici les principales dispositions : - Remplacement du terme vidéosurveillance par vidéoprotection dans tous les textes législatifs. - Extension de la vidéosurveillance sur la voie publique, toute personne morale pourra utiliser la vidéosurveillance pour assurer la protection des abords de leurs bâtiments, dans des lieux exposés aux actes de terrorisme ou - et c’est la nouveauté aux risques d’agression ou de vol. Le maire devra toutefois en être informé. - Elargissement du champ des personnes autorisées à visionner les images. Les collectivités pourront déléguer le visionnage des images à des opérateurs privés. Une convention agréée par le préfet devra toutefois être établie. Les opérateurs ne pourront visionner que le flux d’image « en direct ». Les enregistrements seront exploités par la police municipale. - Le préfet pourra se substituer au maire pour l’installation du dispositif, en cas de risque terroriste ou de menace précise contre les intérêts de la nation. - Le contrôle de la vidéosurveillance sera confié à la Commission nationale de vidéosurveillance rebaptisée vidéoprotection.

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POLITIQUE

©AFP Photos/Patrick

Alain Bauer, maître de la securité

A

bhorré ou adulé, Alain Bauer ne laisse personne indifférent. Le Monsieur sécurité de l’Elysée est considéré par tous comme l’homme qu’il faut connaître pour oser influer sur la politique de sécurité intérieure. Né à Paris en 1962, descendant d’une famille juive ayant fui les pogroms d’Europe de l’Est, il entre au Parti socialiste à quinze ans et devient membre du syndicat étudiant de gauche l’Unef. Après des études de

droit, il enseigne la criminologie. Figure emblématique de la loge maçonnique, il est Grand Maître du Grand Orient de France de 2000 à 2003. Aujourd’hui, Alain Bauer mutiplie les rôles. Président du cabinet de conseil en sécurité AB Associates. Président de la Commission nationale de la vidéosurveillance. Président du conseil d’orientation de l’Observatoire national de la délinquance. Ce multicarte n’échappe pas à la controverse du conflit d’intérêts.

Beaucoup d’universitaires dont Laurent Muchielli ont vivement critiqué sa vision « catastrophique et faussée » du monde notamment lorsqu’il a cosigné un livre sur les violences urbaines avec Xavier Raufer, issu de l’extrême droite. Claude Tarlet, président de l’Union des entreprises de sécurité privée (USP), principal lobby de la sécurité privée, en a fait son ami. Une privilège car ses expertises sont les plus écoutées par Nicolas Sarkozy.

Les chiffres de la videosurveillance 20 000

caméras installées en France à ce jour. L’objectif du gouvernement est de tripler ce chiffre d’ici à 2011.

941 400 000 d’euros de bé-

20 000 euros pour une caméra

néfices pour la vidéosurveillance en 2008 (Atlas de la Sécurité).

et 28 000 euros pour un agent, soit 140 000 euros par an pour une commune afin d’obtenir un système composé d’une vingtaine de caméras fonctionnant 24 heures sur 24 et nécessitant donc au moins cinq agents (La Gazette des communes).

71% 28 000 000 d’euros de budget alloués au développement de la vidéosurveillance par le fonds interministériel de la prévention de la délinquance.

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des Français se disaient favorables en 2008 au développement de la vidéosurveillance (sondage réalisé par l’institut IPSOS).


nationale de la vidéosurveillance renommée Commission nationale de la vidéoprotection. « Cette Commission doit garantir un climat de transparence entre les différents acteurs. La sécurité privée, compte tenu de son rôle, peut et doit être représentée. Mais il convient que ses représentants ne soient pas des opérateurs directs de la vidéosurveillance afin d’éviter toute confusion d’intérêts », concède Claude Tarlet, président de l’USP. Mais l’indépendance de cette commission, dont certains membres appartiennent au monde de la sécurité privée et qui dépend du ministère de l’Intérieur, n’est pas effective selon la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Alex Türk, son président, n’accepte pas que cette Commission dépende du gouvernement. Il compte désormais sur le Sénat pour rectifier cette mesure. Lui-même sénateur, il a écrit début février à tous les parlementaires pour que la CNIL « soit investie du contrôle des dispositifs de vidéosurveillance et non pas la Commission nationale de la vidéosurveillance ». Car « il n’existe pas dans le dispositif législatif actuel d’organisme chargé de superviser le contrôle de la vidéosurveillance sur l’ensemble du territoire

Aux abords des grands magasins, les caméras sont légion. La loi étendrait le dispositif aux commerces exposés aux vols et aux aggressions. © Emilie Lopes

«

Ceux qui n’ont rien à se reprocher n’ont rien à craindre »

national, ayant autorité et disposant d’une véritable indépendance ». Eric Heilmann, universitaire et coauteur du rapport sur l’inefficacité de la vidéosurveillance paraît catégorique. « Je pense que la CNIL est la meilleure solution. Il faut lui donner les moyens d’agir correctement. Elle est l’autorité morale la plus compétente sur ces questions. » Il anticipe les autres problèmes sur lesquels pourrait déboucher le vote définitif de ces mesures. « Le lobby existe mais il faut noter la fonction régalienne de l’Etat dans le domaine de la sécurité. Les lobbyistes sont très actifs mais leurs capacités sont limitées. Cependant, le fait de vouloir imposer aux maires le système de sécurité (le préfet s’y substituera) est méprisant pour la démocratie locale ». Plus virulent, le collectif Souriez vous êtes filmés, constitué depuis une quinzaine d’années contre la prolifération des caméras dans les villes, met en garde contre une poussée de l’Etat sécuritaire. « Ces positions de loi amènent à une société déshumanisée et elle ne porte pas seulement atteinte aux libertés mais à la démocratie », accuse Jean-Pierre Petit, son fondateur. Le collectif mène d’ailleurs de nombreuses actions militantes comme la distribution de tracts ou l’organisation de réunions. Il invite ainsi les citoyens à se réapproprier l’espace public. Cet été, si intérêts collectifs et privés s’accordent, la LOPPSI devrait devenir loi. Les lobbyistes, eux, pourront afficher un léger sourire. Ils seront filmés...

Pour en savoir + - sites internet : http://www.assemblee-nationale.fr/13/projets/pl1697.asp http://www.laurent-mucchielli.org/public/Videosurveillance.pdf Rapport d’Eric Heilmann et Tanguy le Goff sur l’inefficacité de la vidéosurveillance http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2009/08/21/0101620090821ARTFIG00361-videosurveillance-le-rapport-quiprouve-son-efficacite-.php

- études et rapport : A.Bauer, Vidéosurveillance et vidéoprotection, PUF, Paris, 2008 L.Beddiaf, Vidéosurveillance: principes et technologies, Dunod, Paris, 2008

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POLITIQUE

Les élus locaux n’ont pas

la méthode

Un réseau solide auprès des parlementaires, des budgets importants : les associations d’élus locaux ont tout pour influencer les décisions politiques et peser dans les débats. Pourtant, elles peinent à se faire entendre. Certains pensent que la solution serait de se fédérer. Adopter les outils et la culture du lobbying serait probablement plus efficace.

L

par

e poids des associations d’élus locaux dans la décision politique n’est pas à la hauteur de ce qu’il devrait être. » Un constat lapidaire. Signé Xavier Plée, administrateur chargé de la fiscalité et des finances locales au service Finances publiques de l’Assemblée nationale. Après dix années passées entre les murs du Palais Bourbon, cet homme a développé une connaissance fine des lobbies qui hantent ses couloirs. Pour lui, à côté d’autres acteurs d’influence, tels que les banques ou les magnats du BTP, les associations d’élus locaux font figure d’amateurs. Et pourtant. L’association des maires de France (AMF), l’Assemblée des départements de France (ADF) ou encore l’Association des régions de France (ARF) ont des budgets et surtout des réseaux à faire pâlir d’envie de nombreux lobbyistes. « La moitié des parlementaires sont adhérents de notre association », assure tranquillement le vice-président de l’AMF, Philippe Laurent. Mais on sent bien, à sa voix, qu’il ne se fait pas entendre autant qu’il le voudrait. Il déplore « un manque de moyens. On n’a pas de démarche organisée et sys-

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Pauline Théveniaud

tématique de lobbying », explique le maire, qui ne cache pas que tel est pourtant bien le but de son association. Sa solution miracle ? Créer une fédération des associations d’élus locaux. « On aurait plus de visibilité », affirme-t-il. « Ensemble, on aurait une force de frappe plus importante », reconnaît également Armand Pinoteau chargé de mission à la Fédération des maires des villes moyennes (FMVM). « Sur des sujets comme l’analyse financière et la gestion locale ce serait idiot de rester cloisonnés puisqu’on a des points de convergence », renchérit-il. A l’Association des maires des grandes villes de France (AMGVF), on se dit également favorable au projet. « Notre président, Michel Destot, défend la création de cette fédération, mais les choses ne peuvent pas se faire du jour au lendemain », précise Sébastien Fournier, chargé de mission au sein de l’AMGVF. Un embryon de rassemblement existe déjà. A Bruxelles, la Maison européenne des pouvoirs locaux français rassemble cinq associations d’élus : l’AMF, l’AMGVF, la FMVM, mais aussi l’ADF et l’Association des petites villes de France (APVF). Et révèle les difficultés que pourrait rencontrer une fédération. Tout d’abord la défection d’une association,

Un embryon de rassemblement existe déjà avec la Maison européenne des pouvoirs locaux


l’ARF, qui a refusé de noyer sa spécificité dans le n’ont pas toujours les mêmes problématiques. La Les regroupement. Mais aussi le consensus (mou) réforme des collectivités territoriales a, par qu’entraîne ce type d’organisation, ennemi de associations exemple, mis en évidence ces divergences l’acteur d’influence plus enclin à défendre d’élus locaux n’ont d’intérêts quand il a fallu statuer sur la créades partis pris forts. « On fonctionne avec tion de métropoles. pas les outils du bon une présidence tournante renouvelée tous Antagonismes politiques aussi. Les lobbyiste. Leurs méthodes les ans, explique Sébastien Fournier, grandes et moyennes villes, ainsi que c’est un peu "plan-plan" car on ne veut sont souvent complexes et les départements et les régions, sont aux pas froisser les autres, sans déléguer inadaptées... Exemple emblémains de la gauche. L’AMF, comptant pour autant. » Le chargé de mission en parmi ses adhérents une majorité de commatique, le diaporama de conclut : « Du coup, il n’y a pas de goumunes rurales, à droite. Les premières l’AMF sur la taxe vernance. » Et donc pas de position claire sont clairement en rupture avec un exécutif et tranchée à faire valoir auprès de la Comprofessionnelle. Il tenu par l’UMP. La seconde tente, elle, de mission et du Parlement européens. durait... 2h30. composer avec un gouvernement de son bord

Le lobbying, pour quoi faire ? « Nous travaillons bien ensemble sur des dossiers précis, nous avons beaucoup d’intérêts communs, mais il y a des blocages et des problèmes d’ego car les associations ne veulent pas perdre leur marque », développe Sébastien Fournier avant de souligner : « Auparavant, les associations ne travaillaient pas ensemble, alors c’est déjà un progrès considérable. » « Considérable ». Tout autant que les antagonismes qui séparent des institutions créées en fonction de typologies territoriales spécifiques. Petites, moyennes et grandes villes

qui réforme parfois à l’encontre de ses intérêts. Enfin, le principe fondateur de l’AMF, selon lequel une commune, aussi petite soit elle, compte pour une voix provoque l’ire des autres associations. Dans un pays qui compte 32 000 communes rurales sur 36 000, ces voix pèsent lourd. Or, pour beaucoup, l’importance démographique et géographique d’un territoire devrait être proportionnelle à son poids dans la décision politique. Des divergences qui font dire à Xavier Plée : « Une fédération ? C’est peine perdue. Les sujets de clivage sont trop importants. » De toute façon, pour lui, le problème est ailleurs. Dans une question de culture. Celle du lobbying, qui manque cruellement à ces associations « fonctionnant comme des LOBI - Avril 2010

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POLITIQUE

Taxe professionnelle, Le cas d’école Eté 2007. Nicolas Sarkozy annonce qu’il souhaite supprimer la taxe professionnelle (TP). L’impôt contribue pour moitié à la ressource fiscale des collectivités locales. Un enjeu de taille pour les associations d’élus locaux. La gestion du dossier est emblématique de leur poids dans la décision politique. Les associations d’élus locaux anticipent... « On l’avait vu venir. » Les associations d’élus locaux savaient qu’une épée de Damoclès menaçait la taxe professionnelle (TP). Tour à tour qualifié « d’idiot » et « d’imbécile », puisqu’il taxait les investissements des entreprises, l’impôt faisait quasiment l’unanimité contre lui. Les trois principales associations d’élus locaux avaient donc pris les devants. L’Assemblée des départements de France (ADF), accompagnée de l’Association des maires de France (AMF) et de l’Association des régions de France (ARF), avaient en effet commandé, dès juin 2006, un rapport intitulé « Finances et fiscalité locale à la recherche d’une nouvelle donne » au Conseil économique et social (CES). « Les associations se sont immédiatement mises en branle pour être force de proposition », commente Xavier Plée, administrateur en charge de la fiscalité et des finances des collectivités locales au service Finances publiques de l’Assemblée nationale. « Beaucoup de ces propositions font alors consensus, se souvient quant à lui Guillaume Denis, on propose une réforme de la fiscalité locale qui tient la route mais son architecture s’effondre dès lors que l’on supprime la TP. » Or, le président de la République met sa suppression à l’agenda dès l’été 2007, par une lettre de mission. Le rapport est mis de côté et une série de consultations lancée début 2009.

... puis laissent la main Préparées de longue date, les assocations d’élus avaient l’avantage. Jusqu’en février. Et puis, plus rien. « A partir de

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ce moment-là, elles se fossilisent sur des positions floues, comme taxer les entreprises autant que les ménages. Du coup elles se font dépasser, déborder », raconte Xavier Plée. « Elles sont une première fois auditionnées par l’Assemblée et restent assez généralistes. On les rencontre à nouveau en mars 2009, elles n’ont pas avancé. Et là on se dit qu’il va falloir faire la concertation à leur place », se souvient-il.

Débordées et dépassées par le gouvernement et le Medef Mars 2009. C’est le moment que choisit le gouvernement pour se mettre en ordre de bataille. Avec le Medef, qui - à l’inverse des élus locaux- a ses entrées à Bercy, il concocte un projet dont le but principal est d’alléger les impôts des entreprises. « Là, on s’aperçoit des limites des associations pour peser dans le débat, témoigne Xavier Plée, on va au massacre parce qu’elles ne sont pas capables de se battre. » Elles ont pourtant demandé en urgence au premier ministre d’organiser une réunion de la Conférence nationale des exécutifs (CNE). La première a lieu le 8 avril 2009. « On nous expose le calendrier de la réforme, s’offusque Guillaume Denis, ce qui signifie qu’elle est déjà écrite. » La CNE est néanmoins déclinée en ateliers techniques. « On essaie de faire en sorte que nos propositions soient partagées, mais chaque réunion Etat/collectivités a son pendant Etat/entreprises. Du coup le jeu est fermé. Ils nous écoutent poliment, mais ça s’arrête là », déplore le directeur général adjoint de l’ADF. « On essaie de faire entendre notre point de vue, mais

on ne pèse pas dans la décision finale », souligne-t-on du côté de l’ARF où l’on reconnaît bien volontiers que « l’on n’avait pas forcément pris le temps de bien travailler le dossier ».

Sauvées malgré elles par l’Assemblée nationale La commission des Finances de l’Assemblée nationale s’empare alors du dossier. Et propose un scénario alternatif. La commission des Finances est seule dans les négociations. Lors d’une réunion, Gilles Carrez, le rapporteur du projet de loi de Finances 2010, qui présente le budget, commande : « On améliore le sort des collectivités locales ».

De retour dans le jeu... in extremis Début octobre 2009, on entre dans la phase du débat parlementaire. Le Medef a moins d’audience et Bercy aussi. « Là, les associations d’élus reviennent en force », s’enflamme Xavier Plée. « C’est vrai qu’on a plus d’influence auprès des parlementaires », admet Philippe Laurent, à l’époque en contact permanent avec le président et les membres de la commission des Finances. Carrez, Migaud, Balligand, Laffineur… Le vice-président de l’AMF a ses entrées auprès de nombreux députés.Ces rencontres informelles font mouche. « Instrumentalisés par les associations d’élus, les députés se disent qu’il faut aller chercher de l’argent en plus. C’est le jeu des sphères d’influence : le Medef est sorti de leur sphère, donc les membres de la commission se font les porte-parole des maires de leurs communes », décrypte Xavier Plée.


Le pouvoir des Montagnards L’Association nationale des élus de la Montagne (Anem), ça n’a l’air de rien. Et pourtant, il s’agit certainement du lobby le plus puissant à l’Assemblée nationale. Regroupant les élus de tous les massifs de France, elle puise ses sources dans la Révolution française. Les Montagnards, c’est eux. Plus de partis, ni d’affrontements régionaux qui vaillent, lorsqu’il s’agit de défendre les territoires montagneux. « Sur les amendements importants, ils ne sont plus que des montagnards », confirme Xavier Plée, administrateur au service Finances publiques de l’Assemblée nationale. « Je n’ai jamais vu un lobby aussi puissant, témoigne-t-il, ja-

mais une banque ou une entreprise de BTP ne sera capable d’en faire autant. » Cet habitué du Palais Bourbon a vu plus d’une fois l’hémicycle se garnir de montagnards pour voter un amendement les concernant. Leur solidarité, ils la puisent

Une médiatisation laborieuse Péréquation, transfert de compétences, carte intercommunale… Souvent techniques, complexes et un brin rébarbatifs, les dossiers que traitent les associations d’élus locaux ont bien peu d’atouts pour séduire les médias. « On a du mal à faire passer nos messages », déplore Philippe Laurent, le vice-président de l’Association des maires de France (AMF). « C’est plus facile auprès de la presse quotidienne régionale, ça se complique lorsqu’il s’agit de la presse nationale et c’est encore pire avec l’audiovisuel », résume l’élu. Se faire entendre. Voilà l’une des raisons qui ont poussé certaines associations d’élus (AMF, AMGVF, AdCF, ACUF, FMVM, APVF, AMRF) à former le « bloc communal » pour communiquer sur les dossiers d’envergure. « En termes de reprise des communiqués de presse, c’est beaucoup plus efficace », certifie Armand Pinoteau, chargé de mission à la Fédération des maires des villes moyennes (FMVM). « Avec le bloc communal, on a par exemple une reprise quasi-systématique de l’AFP, ce qui n’est pas le cas autrement », précise-t-il. Moniteur ou La gazette des communes restent néanmoins les principaux titres à s’attaquer à ce type de thématiques très techniques. Titres qui s’adressent majoritairement à … des élus locaux. Pas facile donc de se faire connaître auprès du grand public.

dans leur particularisme et dans une opposition aux « élus de la plaine » qui, en termes de voirie ou d’urbanisme ne rencontrent pas les mêmes contraintes. Autre atout de poids : le niveau de technicité des informations fournies aux élus. L’Anem dispose des meilleurs spécialistes de la montagne, si bien qu’elle n’a jamais prise en défaut sur les sujets dont elle traite. « Ils sont très documentés, personne ne peut les coincer », s’enthousiasme Xavier Plée,avant d’ajouter : « Ils rédigent des arguments bien meilleurs que ceux du Medef ou de la Fnaim qui sont pourtant des lobbies puissants. »

syndicats ». « Ils ne sont pas assez bons techniquement et ne sont pas pédagogues », tranche Xavier Plée. C’est bien là que le bât blesse. Notes de synthèse et rapports trop complexes, présentations Power Point inadaptées... Les associations d’élus ne sont pas assez créatives dans la forme, ni assez exigeantes sur le fond. Pour l’administrateur de l’Assemblée, « elle se sont installées dans une forme de paresse intellectuelle : comme elles savent qu’il y aura toujours des parlementaires pour défendre leurs intérêts, elles ne font pas d’efforts pour convaincre et expliquer. » Ce spécialiste de la fiscalité locale est intarissable à propos du diaporama sur le bilan de la taxe professionnelle, fournit par l’AMF. « Il dure 2h30. C’est indiffusable. A moins de vouloir endormir son auditoire, aucun parlementaire ne s’appuiera dessus pour une conférence ou une présentation. Il ne le regardera d’ailleurs même pas. » Des supports de communication efficaces et une identification claire des décideurs, tels sont les apanages de tout bon lobbyiste. « Ce n’est pas dans notre culture », reconnaît Philippe Laurent. « On ne se donne assez pas les moyens », conclut Sébastien Fournier de l’AMGVF. Pas financiers, les moyens. Mais bien intellectuels.

Pour en savoir + - sites Internet : www.amf.asso.fr www.departement.org www.arf.asso.fr

- étude : Philippe Laurent, Décentralisation : En Finir Avec Les Idées Reçues

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POLITIQUE

IVG

: toujours

en (é)veil Un effet pervers de la loi Bachelot de 2009 a été de restreindre l’accès à l’IVG. Les pro-avortement ont saisi la nécessité de remettre la question au coeur du débat politique. Les anti ne les ont pas attendus. Même sans Christine Boutin, ils s’activent au Parlement pour promouvoir la vie.

L

Les élections régionales du 14 mars 2010 ont vu la liste pro-vie créditée de 1,1 % des voix en Ile-deFrance. En dépit de la loi, les militants anti-avortement sont loin d’avoir baissé les armes. Mais ces croisés se heurtent à la vigilance des associations de défense des acquis de la loi de 1975.

e droit à l’interruption volontaire de grossesse (l’IVG), c’est fait, n’en parlons plus ? La génération de Mai 68 a déjà gagné ce combat ? Rien n’est moins sûr. Aux dernières élections européennes de 2009, un parti pour la défense de la vie, SolidaritéLiberté, Justice et Paix (SLJP) présentait, pour la première fois, deux listes : une en Ile-de-France, l’autre dans le Sud-Est. Son fondateur, Axel de Boer, 39 ans, pourrait bien être « le nouveau visage des associations anti-avortement françaises », comme le qualifiait un article publié sur un site pro-vie. Sortir de l’ombre et miser sur un message positif, voilà son idée. Ancien militant du Modem, bien loin du Front national ou de la droite conservatrice qui soutiennent habituellement ce combat, il veut bâtir une proposition politique autour du respect de la vie, à travers la lutte contre l’avortement bien sûr, mais aussi l’écologie ou l’économie solidaire. Le 11 janvier dernier, il lançait même un appel à candidatures pour trouver des candidats afin de former des listes dans trois régions, dont l’Ile de France. Il n’y aura finalement qu’une liste en Ile de France, la Liste chrétienne. 1,1 % des suffrages au premier tour des élections régionales du 14 mars. Ce dynamisme est bien la preuve que le droit à l’IVG fait encore l’objet de nombreuses attentions dans la société française, qu’il s’agisse de le défendre ou de le remettre en cause. Dans les faits bien sûr, depuis 1975 et la loi Veil, les femmes ont le droit de se faire avorter. En 2001, la loi Aubry a même fait passer le délai légal d’IVG de dix à douze se60

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par

Aurore Lartigue

maines. Mais le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) publié le 2 février dernier sur l’accès à l’IVG et la contraception en France révèle que même si « la prise en charge de l’IVG a marqué des progrès réels » depuis la loi de 2001, ces avancées « demeurent fragiles ». Les raisons sont nombreuses : diminution du nombre de centres IVG, IVG tardives. Et surtout, le nombre d’avortements ne diminue plus : 210 000 par an. Pour Caroline de Haas, la présidente d’Osez le féminisme, « le problème, c’est qu’on considère que le droit à l’avortement est acquis. Du coup, l’avortement n’est pas un sujet politique, donc on n’en parle pas. Et dès qu’il faut faire des économies, c’est l’accès à l’IVG qui en pâtit. »

Des effets négatifs sur l’accès à l’IVG La loi Bachelot, Hôpital, patients, santé, territoire (HPST) en est le meilleur exemple. Cette réforme vise à faire des économies. Premiers touchés, les services qui pratiquent l’IVG, une activité non rentable. « On ne peut rien faire de plus que ce qu’on a fait : l’interpeller, poser des questions écrites, orales, faire du ramdam, déplore Danièle Bousquet, députée et principale interlocutrice des associations. A part dire à la ministre : "vous ne pouvez pas affirmer que vous êtes pour le droit à l’IVG et après couper l’exercice des moyens du droit." La décision finale appartient à la ministre. Une fois que les lois sont votées, on ne peut plus faire grand chose. » Roselyne Bachelot est pourtant loin d’être une militante an-


« IVG t’es foutu, les cathos sont dans la rue.» Slogans syndicalistes détournés, discours anti-planning familial acharné et ambiance délibérément festive. La 6e édition de la Marche pour la Vie a attiré 9600 manifestants dans les rues de Paris. © A.L.

ti-avortement. Sa position est claire : elle est pour que les femmes aient le choix. Il n’empêche que sa loi a des effets négatifs sur l’accès à l’IVG, une question loin d’être prioritaire en ces temps de crise. Face à ces risques, les associations de défense de l’IVG ont compris l’importance de ramener la question de l’avortement sur le devant de la scène. C’est même l’essentiel de leur travail de lobbying. « Nous voulons publier un Livre Blanc de l’avortement, en 2011 pour remettre ce sujet au cœur des débats, annonce Danièle Gaudry, gynécologue obstétricienne et présidente de la commission avortement du Mouvement français pour le planning familial (MFPF). Nous avons commencé à recueillir des témoignages. » « Une très bonne idée » pour la députée socialiste Danièle Bousquet. Même si cela paraît « difficile parce qu’on n’est pas dans une période favorable aux droits des femmes ». « Faire de l’avortement une question politique, c’est un des objectifs que l’on s’est fixé, déclare Caroline de Haas d’Osez le féminisme. Pour qu’au moment des campagnes électorales, les candidats se sentent obligés de mettre la question de

l’avortement et du droit des femmes dans leur programme. C’est un cercle vertueux », analyse-t-elle. Car le lobbying se confond bien souvent avec une guerre de la communication. Pour cela, tous les moyens sont bons. « Je reviens d’Ardèche où j’ai donné une formation sur les droits des femmes à une cinquantaine d’élus de gauche, raconte la jeune féministe, également membre du cabinet de Benoît Hamon. On va dans les réunions politiques, on envoie des lettres à tous les partis. On diffuse notre journal à tous les députés, on fait paraître des communiqués pour annoncer les manifestations. Là, nous avons élaboré un cahier intitulé "Féminisme et socialisme" tiré à 5 000 exemplaires et qui sera distribué dans toutes les sections du Parti socialiste. »

Mouvement anecdotique ou véritable menace ? En face, les pro-vie ont également compris que hors politique, il n’y aurait point de salut. « Des lois pour la vie », « Des élus pour la vie », pouvait-on d’ailleurs lire sur les pancartes et entendre dans le cortège de la Marche pour la Vie dont la 6e édition avait lieu à Paris le 17 janvier dernier. 9 600 manifestants, ambiance festive, musique de boîte de nuit, jeunes en tête. Un bon moyen pour les pro-vie de faire parler d’eux. Mais dans leurs rangs, pas de Christine Boutin. « On voit de Villiers, au moment des élections », ironise Pierre Vouters, délégué général de SOS-Futures mères-Laissez les vivre, fondée en 1971. On croise bien une poignée d’élus, LOBI - Avril 2010

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écharpe tricolore en bandoulière. Toujours issus du Front national ou du Mouvement pour la France (MPF) et donc, non représentés à l’Assemblée nationale. Difficile dans ces conditions de se livrer à un véritable lobbying politique. Ce que les associations confirment quand on évoque leurs moyens d’action : « Il faut pétitionner, pétitionner, pétitionner. C’est le seul moyen qu’on a de se faire entendre », entend-on à Droit de naître. « Nos moyens de pression? Ça va aller très vite. On n’en a presque pas », sourit Pierre Vouters, de l’une des plus anciennes associations anti-IVG. Christine Boutin est la marraine d’un de ses huit enfants. Quand on la mentionne, il soupire : « Christine Boutin a été courageuse... » En 1986, la députée avait créé, avec le soutien des députés frontistes, un groupe inter-parlementaire pro-vie, baptisé Groupe parlementaire pour favoriser l’accueil de la vie. En 1988, les députés FN disparaissent de l’Assemblée. Elle refonde alors un autre groupe : Démographie et accueil de la vie. Dans Les anti-PACS ou la dernière croisade homophobe, paru en 1998, Fiammetta Venner et Caroline Fourest notaient les liens de la députée avec La Trêve de Dieu, association dont elle était membre du comité

de parrainage, ou encore l’Alliance pour les droits de la vie. Aujourd’hui, Christine Boutin est toujours présidente du Parti Chrétien-Démocrate, mais elle n’a plus de mandat politique.

Une idéologie conservatrice encore présente à l’Assemblée Il n’empêche que certains élus défendent encore des idées proches de celles de l’ancienne députée. Dans un article de Bakchich.info, publié en janvier 2009, Cécile Edel, présidente de Choisir la Vie, confiait que les trois députés, JeanFrédéric Poisson, Jean-François Chossy et Dino Cinieri étaient idéologiquement assez proches de son association. Et effectivement, on retrouve deux d’entre eux dans la proposition de loi visant à « garantir l’effectivité de la clause de conscience des professionnels médicaux », déposée en novembre 2009. De même que nombres de députés signataires de cette proposition avaient saisi le Conseil constitutionnel en 2001 contre la loi Aubry sur l’allongement des délais

« L’important, c’est d’unifier nos actions au niveau européen »

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ntretien avec Benjamin Izarn, président des Etudiants ProVie.

Pourquoi créer une association pro-vie étudiante ? Dans de nombreux pays et aux EtatsUnis surtout, il existe des associations de jeunes pro-vie. Pas en France. Pour l’instant, on est présents à Paris, Toulouse, Bordeaux, Toulon, Nîmes, Pontoise, Nanterre, Versailles. A chaque fois, il s’agit d’initiatives locales au départ. L’idée, c’est que, d’ici à la fin de l’année, on ait des équipes dans toutes les villes universitaires afin d’organiser des actions de tractage ou des marches localement. Comment comptez-vous peser dans les débats ? Pour l’instant, on n’est qu’un petit mouvement étudiant. Mais on a déjà contacté des politiques pour leur faire des propositions. Comme par exemple, créer des maisons d’accueil pour futures mères, aider financièrement les femmes enceintes en difficulté. On a eu peu de réponses. Mais pour la Marche pour la Vie, les Jeunes socialistes pour la vie étaient avec nous,

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le parti de Christine Boutin, le Modem, le Front national. Un problème pour nous car on ne suit pas forcément les convictions de ce dernier parti. Nous avons pour projet d’intégrer un lobby : l’Alliance universelle de la jeunesse, un mouvement international, qui défend l’idée qu’il faut développer une politique d’accueil de la vie. Ils nous ont contactés. Cela devrait se faire d’ici la fin de l’année scolaire. Ce qui serait bien, ce serait de regrouper toutes les associations pro-vie européennes pour devenir un lobby. Justement, en quoi consiste ce projet d’Erasmus pro-vie ? Des étudiants du Burkina Faso nous ont contactés. Et nous ont dit : « Super, votre idée d’association! Ici aussi, il y a beaucoup d’avortements. Comment peut-on faire pour inverser la tendance ? » De là est partie l’idée qu’il fallait développer une thématique internationale. Le but, c’est que des étudiants qui partent pour une année Erasmus ou un stage à l’étranger découvrent les mouvements prolife locaux. Qu’ils essaient de toucher la population du coin. Qu’ils apprennent leurs techniques. Ce qui permettra de

A 19 ans à peine, Benjamin Izarn est à la tête de la première association française de jeunes pro-vie. © D.R. comparer nos actions et de nous unifier. C’est surtout ça qui est super important pour notre projet futur. Et qu’ils importent ces techniques en France si elle sont bonnes. L’idée, c’est de s’enrichir avec les différences.


légaux de l’IVG, comme Lionnel Luca ou Loïc Bouvard. Ou encore Jean-Marc Nesme qui, en janvier 2009, avait interpellé la ministre de la santé Roselyne Bachelot, au sujet de la campagne d’affichage lancée par le Conseil régional d’Ile de France. Campagne qui, selon lui, assurait « la promotion de l’avortement ». Une idéologie conservatrice encore présente à l’Assemblée et qui permet à certaines associations pro-vie d’avoir pignon sur rue. « Il y a au sommet de l’Etat des intégristes catholiques, martèle Danièle Bousquet. Et ces gens-là ont des réseaux! » Au printemps 2009, à l’occasion des Etats généraux de la bioéthique censés préparer la révision des lois, le Planning familial, l’Association nationale des centres d’interruption de grossesse et de contraception (ANCIC) et la Coordination nationale d’associations pour le droit à l’avortement et à la contraception (CADAC) avaient été auditionnés. Malgré cela, « pas facile d’avoir une visibilité », concède Danièle Gaudry. Pourtant, ces associations sont invitées dans les débats. Ce qui n’est pas le cas des associations pro-vie... A l’exception d’une : l’Alliance des droits pour la vie, ouvertement anti-avortement, dont le délégué général Tugdual Derville est invité lors de débats télévisés, comme en 2007 à l’émission C dans l’air sur le sujet « Avorter, pas si simple ». Jusque là rien de très étonnant. Mais plus révélateur encore, l’Alliance des droits pour la vie a été auditionnée l’année dernière à l’occasion des Etats généraux de la bioéthique. Elle est la seule association pro-vie dans ce cas. Il existe donc bien du lobbying politique - indirect certes - mais bien réel. « Christine Boutin n’est plus là, mais les députés anti-IVG n’ont pas disparu pour autant », fait remarquer Danièle Gaudry du Planning familial.

Entre les lignes des lois, les anti-IVG Côté féministe, c’est la « vigilance » qui prime. Un terme souvent entendu dans la bouche des défenseurs de l’avortement. Danielle Bousquet se refuse à parler de « lobbying » puisque la loi est de leur côté. Cette ancienne militante féministe, députée des Côtes d’Armor, viceprésidente de l’Assemblée nationale et du Parlement des femmes est aussi le principal relais des associations. Elle est connue pour ses prises de position en faveur du droit à l’avortement. Et dès 2001, son nom figure dans les propositions de lois liées à l’allongement du délai d’IVG. Aujourd’hui elle continue d’être attentive et d’interpeller les associations. « Mais parfois, je peux passer à côté de quelque chose et ce sont les associations qui m’appellent. On en discute, on regarde comment ça évolue. » Car à l’Assemblée, pour débusquer les anti-avortement, il faut savoir lire entre les lignes des textes de loi. « Ces lobbies sont très organisés et ils ont les moyens, insiste la députée. Ils sont capables d’organiser des campagnes, de payer des cars. Ils ont des conseillers en communication. Mais il n’y a aucune transparence, pas de groupes officiels. » C’est pour cette raison, selon elle, que l’on ne voit pas de personnalités politiques connues dans les manifestations pro-vie. « Il s’agit peut-être d’une stratégie. Si les députés anti-IVG, s’affichaient ouvertement comme lobbyistes pro-vie, ils attireraient l’attention sur eux. Et ils ne le souhaitent pas. Ils agissent dans l’ombre. » En revanche, on observe très bien l’influence des anti-avor-

Les anti-IVG investissent la toile

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inies les actions commando violentes. Depuis les années 2000, les pro-vie changent de style. Objectif : améliorer leur image. Une opération séduction qui passe par le net. En juillet dernier, c’est en créant un groupe Facebook que Benjamin Izarn, l’un des fondateurs des Etudiants Pro-Vie a pu tester la popularité de son projet. En quinze jours, des centaines d’étudiants adhèrent au groupe. L’association est lancée. « On recevait des mails nous demandant comment créer un groupe étudiant pro-vie dans notre ville », commente le président de l’association. Aujourd’hui, le groupe compte plus de 2500 personnes. Les défenseurs de l’avortement ont conscience du pouvoir d’Internet. « Les anti-IVG sont très bien organisés, surtout sur le net », concède Danielle Gaudry du Planning familial. J’étais sur le site d’Ella One, un site qui donne des informations scientifiques sur la pilule dite du surlendemain. Et là, j’ai remarqué dans les fenêtres sur le côté, un encart qui proposait de "Voyager en lieu saint..." Pour preuve qu’Internet peut être un sacré outil de propagande dans un sens comme dans l’autre, la dernière polémique à propos du site avortement.org, déclenchée par une blogueuse. En surfant sur Internet, celle-ci avait eu la surprise de tomber sur ce site pro-vie déguisé en site d’information sur l’avortement. Confortée par le buzz qu’a créé son article sur la toile, cette blogueuse a décidé de riposter en créant un nouveau site sur l’IVG. Plus objectif selon elle. Et de le faire mieux référencer que le précédent dans Google pour qu’il apparaisse en premier. La guerre du net a commencé.

tement lorsque des questions sensibles se posent. « On fait tout pour que l’interruption volontaire de grossesse ne soit pas vécue comme un droit », s’indigne Françoise Laurant, vice-présidente du Planning familial. Dans la présentation du texte sur les lois de bioéthique par exemple, on peut lire la phrase « dans l’intérêt de l’enfant à naître », explique la députée PS. Vocable typique des anti-IVG. Si Danièle Bousquet n’accuse pas le rapporteur de la loi, Jean Léonetti d’être instrumentalisé, elle n’exclut pas qu’il puisse y avoir quelques « arrière-pensées » de certains qui ont aidé à la rédaction. Sur le texte relatif au statut de l’enfant mort-né, datant de 2008, la Garde des Sceaux de l’époque, Rachida Dati avait dû reculer, se souvient-elle. « Les anti-IVG étaient tellement forts qu’elle a été obligée de prendre un virage qui soit un moindre mal, la possibilité d’inscrire à l’Etat civil un fœtus né sans vie. Eux voulait presque qu’on reconnaissent qu’on enterrait un être humain. On voit bien à chaque fois la tentative de dire qu’il y a vie. » Au niveau européen, la montée en puissance des conservateurs a fédéré les défenseurs de l’avortement. « Nous sentons un retour en force des mouvements conservateurs et traditionalistes depuis quelques années, notamment depuis qu’au Parlement, la droite conservatrice a été élue à

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POLITIQUE

Le planning familial, un lobby financé par l’État

1967 La loi Neuwirth autorise la contraception mais elle n’est pas remboursée par la Sécurité sociale. « Lulu la pilule », un député gaulliste réussit à faire voter la loi en catimini contre sa propre majorité. La loi du 31 juillet 1920 qui interdisait toute contraception est ainsi abrogée. Mais la proposition de loi qui est définitivement votée l’est dans une version très édulcorée : elle exclut par exemple les mineures.

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bying ». Dernière victoire en date, la campagne publicitaire dans le métro et le RER. « A la station Miromesnil (la plus proche du Planning), il y a au moins trois affiches de trois mètres sur quatre », jubile Françoise Laurant, à la tête du Planning depuis plus de dix ans. En 2006, le Conseil régional d’Ile de France s’est engagé dans une campagne d’affichage sur trois ans, de 2007 à 2010. « Mais ça n’a pas été facile. Il a fallu que des élues Vertes montent au créneau et exige que la région se dote d’une véritable politique pour améliorer l’accès à l’IVG. » De quoi donner lieu à d’intenses débats au Conseil régional... C’est finalement un budget de six millions d’euros qui a été voté. « On a calculé qu’avec cet argent, on aurait pu construire une maison d’accueil pour femmes en-

ceintes à Paris ! » déplore le jeune président des Etudiants Pro-Vie. « Mais il faut toujours être vigilant, met en garde la présidente du Planning familial. «Sexualité, contraception, avortement : un droit, un choix, notre liberté», indiquent les affiches. L’année dernière, ils voulaient adoucir le message, en rajoutant un point d’interrogation ! » Une campagne qui n’a pas laissé les anti-IVG de marbre... « On a reçu des centaines de lettres, des menaces, précise Françoise Laurant. En janvier 2008, l’archevêque de Paris a publié un communiqué pour dire que cette campagne était inadmissible. Du coup, nous avons demandé à notre réseau d’envoyer des lettres aux élus pour nous appuyer et montrer que nous aussi nous étions soutenus. »

© D.R.

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n janvier 2009, le gouvernement envisage de réduire de 43 % les subventions allouées aux centres de planification. Le Planning lance une pétition. « Là, nous avons vraiment joué un rôle de relais », précise la députée Danièle Bousquet. Nous avons transmis la pétition à tout notre réseau avec des notes qui précisaient l’importance de la signer. Nous avons demandé un rendez-vous à Valérie Létard, Secrétaire d’Etat chargée de la Solidarité. Nous lui avons fait nos propositions. Nous avons posé des questions d’actualité, des questions écrites. Et cela a conduit à ce que l’argent soit restauré. » Quelques milliers de signatures plus tard, la présidente du Planning familial, Françoise Laurant, rentrait de chez Brice Hortefeux, le ministre des Affaires sociales d’alors avec l’assurance du maintien des crédits jusqu’en 2011 au moins, soit 3,5 millions d’euros par an. Une aide qui a du mal à passer chez les pro-vie. « C’est inadmissible que l’Etat subventionne le planning familial. Tout le monde trouverait ça scandaleux si le lobby pro-vie était financé par l’Etat ! » s’insurge Benjamin Izarn, président des Etudiants Pro-Vie. Le planning familial, pour sa part, assume pleinement son activité de « lob-

1975 La loi Veil légalise l’interruption volontaire de grossesse. « La loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie… » Elle autorise l’avortement dans un délai de dix semaines, sur simple demande à un médecin. Mais les restrictions sont nombreuses : les médecins et les établissements hospitaliers privés peuvent refuser de pratiquer un avortement. Et Il faudra attendre 1982 et la loi Roudy pour que l’IVG soit remboursée par la Sécurité sociale.

1993 La loi Neiertz instaure le délit d’entrave à l’IVG. Dans les années 1980, les pro-vie s’inspirent des mouvements prolife américains. Des commandos anti-avortement souvent violents s’attaquent aux centre IVG, s’enchaînent aux tables d’opération et dégradent du matériel. Sollicitée par la CADAC, Véronique Neïertz adresse une circulaire aux directeurs d’hôpitaux leur demandant de prendre des mesures de sécurité et de porter plainte en cas d’actions de commandos anti-avortement. La loi met un coup d’arrêt aux commandos anti-IVG.


la majorité, s’inquiète Pierrette Pape, responsable de la politique sur la question des violences faites aux femmes au sein du Lobby européen des femmes (LEF). Ils utilisent le prétexte de la crise pour dire que l’IVG n’est pas une priorité ». Avant les élections de 2009, la députée belge Ann Van Lancker avait fait du droit à l’avortement sa spécialité. Mais elle n’a pas été réélue. Preuve que la frange conservatrice des députés européens est très active, en janvier dernier, un rapport a été voté au Parlement où certains députés voulaient inscrire le fait que l’Union européenne doit défendre la santé sexuelle des femmes. Mais les députés de droite ont demandé à ce que cette clause soit retirée.

«

Les politiques sont loin d’être harmonisées »

A Bruxelles, les lobbies s’assument, se professionnalisent et sortent de l’ombre. Le Lobby européen des femmes, fondé en 1990 et basé à Bruxelles regroupe 2 500 associations de femmes dans 28 pays d’Europe. Il joue un rôle d’interface entre les associations et les institutions européennes : Parlement européen, Commission européenne et Conseil des ministres de l’Union. Et travaille avec l’International Planned Parenthood Federation Europe (IPPFE) et l’organisation Catholics for choice. « Notre rôle consiste à récupérer les messages du terrain et à les transformer en message politique au niveau européen. On agit à la fois pour influencer les politiques européennes et donner des armes aux associations pour agir dans leurs Etats », commente Pierrette Pape. Car le problème est bien là : sur les questions liées à l’avortement, ce sont les Etats qui sont compétents et les politiques sont loin d’être harmonisées. A ce jour, en Pologne, à Malte et en Irlande le recours à l’IVG est toujours interdit. « Nous demandons à ce que les femmes aient toutes les mêmes droits reproductifs et sexuels en Europe. » Suivre ce qui se passe, contacter les députés européens, les rencontrer, voilà en quoi consiste le gros du travail de

2001 La loi Aubry fait passer le délai légal d’IVG de dix à douze semaines de grossesse. Par ailleurs, elle supprime l’autorisation parentale pour les mineures, rend facultatif l’entretien pré-IVG pour les femmes majeures et autorise la prescription de la pilule RU 489 par les médecins de ville. Enfin, la loi élimine la restriction de la loi de 1975 : l’IVG était laissée explicitement à la femme que sa grossesse « plaçait dans une situation de détresse ».

lobbying du LEF. « Pour qu’au moment des votes, ils nous soutiennent. Parce qu’on sait qu’ensuite ces députés vont débattre de nos propositions au sein de leurs groupes politiques. Par ailleurs, la Commission nous consulte sur les questions concernant les femmes. Et on va au Parlement quand le sujet nous intéresse, pour participer aux réunions de travail. » Avec le même problème qu’en France : en Europe, la question de l’avortement n’est pas à l’agenda. Et donc le même enjeu : replacer cette question dans les débats. Bonne surprise tout de même, le premier ministre espagnol, José Luis Zapatero, actuel président du Conseil de l’Union européenne, a exprimé son souhait de combattre les violences faites aux femmes et d’en faire une priorité de sa présidence. « On va profiter de cette volonté politique. Notre rôle, c’est maintenant de faire entendre que le fait de porter atteinte aux droits sexuels et reproductifs, constitue une violence. » Le travail du LEF consiste aussi à prendre des positions sur la santé, c’est-à-dire à les coucher sur papier. « Pour pouvoir dire, 2500 associations pensent que... » La force du Lobby européen des femmes réside dans sa cohésion. En France par exemple, la Coordination du Lobby Européen des Femmes (CLEF), regroupe toutes les associations membres du lobby. « Si on est interpellé par un Etat, on a plus de poids quand on envoie une lettre. » C’est le cas de cette femme polonaise, Alicia Tysiac. En 2000, enceinte d’un troisième enfant, elle désire se faire avorter car elle risque de perdre la vue. Mais les médecins rencontrés lui refusent un avortement pour motifs thérapeutiques alors que la loi le prévoit, et elle accouche finalement. Aujourd’hui elle est quasiment aveugle. En 2007, elle organise donc un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme qui lui donne raison et condamne l’Etat polonais à la dédommager. Mais depuis, sous la pression des médias catholiques, la Pologne a fait appel et les sanctions n’ont pas été appliquées. « Nous avons donc écrit une lettre au ministre de la Santé, nous publions des communiqués de presse et on essaie de sensibiliser l’opinion publique au cas d’Alicia Tysiac. » Un recours exceptionnel face à un gouvernement polonais très conservateur sur les questions sociales. Qui met en lumière le rôle clé des mouvements d’influence dans une Europe où le droit à l’avortement est encore bien loin d’être une évidence.

Pour en savoir + - sites internet : Planning familial : www.planning-familial.org Revue Prochoix : http://www.prochoix.org Alliance pour les droits de la vie : www.adv.org ANCIC : www.ancic.asso.fr

- études et rapport : Rapport de l’Igas sur l’Evaluation des politiques de prévention des grossesses non désirées et de prise en charge des interruptions volontaires de grossesse suite à la loi du 4 juillet 2001

- livres et revues L’opposition à l’avortement, du lobby au commando, Caroline Fourest et Fiammetta Venner, Berg, 1995 Menace sur la liberté d’avorter, Le Monde diplomatique, février 2007, Paul Cesbron Les acquis féministes sont-ils irréversibles, Le Monde diplomatique, juin 2007, Mona Chollet

- liens vidéos Simone Veil et IVG sur : http://www.ina.fr

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POLITIQUE

Nucléaire, le

débat confisqué

La politique énergétique française est centrée sur Derrière le lobby pro-nucléaire, le Conseil le nucléaire. Les antis accusent l’Etat d’empêcher général de l’école des Mines. le débat citoyen. Certains élus souhaiteraient eux L’énergie est son domaine de prédilection. Dans les entreprises privées aussi voir le Parlement participer à l’élaboration comme publiques, la prestigieuse école de la politique énergétique du pays, aujourd’hui d’ingénieurs a les mains libres pour placer ses anciens. Résultat ? En contrôlée par l’Etat et ses outils techniques, matière de nucléaire, elle truste les postes-clés. le CGIET (ancien Conseil général des Mines) et le Commissariat à l’énergie atomique.

L

e président de la République Nicolas Sarkozy a annoncé jeudi 29 janvier la construction d’une deuxième centrale nucléaire EPR (European Pressurized Reactor, le réacteur de troisième génération), à Penly, en Seine-Maritime. Les réactions vives des militants anti-nucléaire et d’élus ne se sont pas fait attendre. Avoir annoncé « sans concertation, ni avec les élus, ni avec le Parlement, ni avec les associations, la construction de ce deuxième réacteur nucléaire en Seine-Maritime, n’est pas une bonne méthode », a estimé Laurence Rossignol, la secrétaire nationale du parti socialiste à l’Environnement, à l’AFP. Pourtant, un débat public sur la construction d’un deuxième réacteur EPR à Penly a bel et bien été prévu. La Commission nationale du débat public (CNDP) a même publié ses dates. Il doit commencer le 24 mars 2010. « A quoi cela sert-il de débattre alors que les décisions sont déjà prises », s’interrogent élus et militants anti-nucléaire.

Décider d’abord, débattre ensuite Cette contradiction n’est pas nouvelle et rappelle aux militants un autre débat, organisé du 19 octobre 2005 au 18 février 2006, qui portait sur la construction du réacteur EPR à Flamanville. Didier Anger, président du Comité de réflexion et d’information sur la lutte anti-nucléaire de Basse-Normandie et auteur du livre Energie nucléaire, la démocratie

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par

Viviane Bach

bafouée, s’en souvient avec amertume. « Le débat public n’a eu lieu qu’après que l’Etat eut pris la décision de construire l’EPR. Il a simplement servi de caution morale », expliquet-il. Stéphane Lhomme, porte-parole du réseau Sortir du nucléaire – un collectif qui regroupe 872 associations opposées à l’utilisation du nucléaire, tant civil que militaire - ajoute : « On peut tout dire lors de ces débats publics. Toutes les sensibilités peuvent s’exprimer. Forcément, les décisions sont déjà prises et il n’y a aucune chance pour qu’on revienne sur le projet ! » La Commission nationale du débat public elle-même s’est interrogée sur l’utilité de mener un tele opération. « Dès avant la décision de la CNDP d’organiser un débat public sur l’EPR et jusqu’après la fin de son déroulement, de nombreuses remises en cause se sont exprimées. Elle ont conduit la commission dédiée à la question à s’interroger sur son propre engagement à poursuivre le débat », peut-on lire dans le compte rendu de la Commission sur les discussions portant sur la construction de l’EPR à Flamanville. « Comment concilier d’une part la position de la représentation nationale qui prévoit la nécessité "de conserver l’option nucléaire ouverte" et décide la réalisation d’un "démonstrateur", et d’autre part l’exercice de la démocratie participative qui permet de débattre de l’opportunité de cette option au travers d’un débat public ? » Elle ajoute : « La loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique a été promulguée le 13 juillet 2005 créant une certaine confu-


Les militants du réseau Sortir du nucléaire manifestent à Lyon leur opposition à la construction d’un réacteur de troisième génération, l’EPR. S’ils protestent contre l’utilisation de cette énergie, ils dénoncent également l’absence de débat citoyen sur la question. © Sortir du nucléaire/Gouverneur.

sion dans l’esprit de l’opinion. Les pouvoirs publics, en soumettant à une seconde lecture le projet de loi d’orientation sur l’énergie dès le printemps 2005, ont accepté, ou choisi, de limiter l’espace consacré à un débat public qui avait été décidé en toute légalité par la CNDP, le texte voté en première lecture au Parlement le prévoyant explicitement. En tout état de cause le projet de l’EPR ne figure pas dans la loi, mais dans son annexe, document qui n’a pas de valeur normative, la décision de réaliser l’EPR relevant d’une décision d’investissement ». De plus, « dans les vœux qu’il a présentés aux forces vives de la Nation le 5 janvier 2006, le Président de la République lui-même a, à son tour, ignoré le processus du débat public en annonçant le lancement de l’EPR à Flamanville », rappelle la Commission. La preuve, pour les militants anti-nucléaire, que l’énergie nucléaire reste un domaine réservé de l’Etat, auquel les citoyens n’ont pas accès. Ce qui expliquerait d’ailleurs le maintien d’une politique énergétique centrée sur l’atome

– le parc nucléaire français assure 78 % de la production d’électricité du pays, tandis que dans le monde, l’énergie nucléaire n’est à la source que de 15 % de l’électricité consommée – alors que le modèle est en faillite.

La « faillite » du modèle français « En France, le nucléaire est une idéologie avant d’être une énergie. C’est un mythe construit depuis De Gaulle. On nous parle de l’indépendance énergétique du pays, de la grandeur de la France. Or les faits contredisent ce discours », affirme le porte-parole du réseau Sortir du nucléaire. Il poursuit : « Déjà, la France importe de l’énergie pour couvrir ses besoins. Ensuite, les centrales nucléaires utilisent de l’uranium, un combustible que le pays doit également importer. Où est donc l’indépendance ? » D’un point de vue économique, le modèle n’est pas rentable non plus, explique-t-il : « Areva vend un EPR à la Finlande pour 3 milliards d’euros. Dans la pratique, le réacteur va coûter deux fois plus cher à produire. Qui paye la différence ? L’Etat français, c’est-à-dire les citoyens. » Le porte-parole du collectif s’indigne également de voir l’Etat considérer l’énergie nucléaire comme une énergie propre car ne rejetant pas de gaz à effet de serre : « Comment une énergie peut-elle être considérée comme propre alors qu’elle produit des déchets radioactifs dont la durée

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de vie est parfois très longue, et qu’elle occasionne des rejets dans l’environnement ? » Et pour le consommateur, cette énergie n’est pas meilleur marché. « Les prix français sont dans la moyenne européenne », regrette-t-il. Selon les militants anti-nucléaire, cette forme d’énergie ne s’impose encore que grâce aux actions d’un lobby puissant, composé de l’Etat, de l’organisme public de recherche du

ne faisons rien de tel », soutient Edouard Philippe, directeur des affaires publiques et institutionnelles de l’entreprise. « Notre travail auprès des parlementaires consiste à informer de ce que nous faisons. C’est un métier beaucoup moins glamour qu’il n’y paraît. Nous leur expliquons ce qu’est l’énergie nucléaire, l’enrichissement, comment fonctionnent les centrales », poursuit-il. En réalité dans le domaine de l’énergie, les décisions se prennent surtout au niveau de l’Etat : « De toute façon, dans notre domaine, aucune décision ne se prend sans l’aval de l’Etat », explique M. Philippe.

Un domaine aux mains des corps techniques de l’Etat

Les deux tours de refroidissement de la centrale nucléaire du Tricastin. © Dominique Pipet Commissariat à l’énergie atomique (CEA), de l’entreprise Areva, détenue par le CEA et l’Etat, qui construit les centrales françaises et se charge de l’approvisionnement et de l’enrichissement de l’uranium et d’EDF. Au Commissariat à l’énergie atomique, Jean-Pierre Vigouroux, directeur du service des Affaires publiques, s’occupe des relations avec le Parlement. Dans son bureau du centre de Saclay, il parle volontiers de son travail de lobbyiste. Mais pour lui, le terme n’est en rien péjoratif : « Il consiste surtout à informer de ce que nous faisons au CEA. Nous n’avons rien à vendre, le but n’est donc pas de conquérir des marchés. Nous demandons simplement des fonds pour nos recherches. »

Informer plutôt qu’influencer L’équipe, restreinte – quatre personnes seulement – dispose d’un budget compris entre 80 000 et 90 000 €, quand le budget global du CEA atteignait les 3,9 milliards d’euros en 2009. Cet argent sert à organiser des visites de centres, à éditer une plaquette informative, à organiser des dîners avec les parlementaires, et surtout à rémunérer la société Séance publique chargée de la veille politique pour le centre de recherche ainsi qu’un logiciel de gestion de projet. Il ne s’agit donc en aucun cas d’influencer une prise de décision institutionnelle ni de décider de la politique énergétique de la France. « On considère que les lobbyistes influencent la prise de décision au niveau institutionnel. Chez Areva, nous

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Monique Sené, ancienne physicienne des particules au CNRS et fondatrice du Groupement scientifique pour l’information sur l’énergie nucléaire, confirme : « La France n’a pas de loi nucléaire. [...] Depuis vingt ans au moins, est promis un débat sur l’énergie et donc sur le nucléaire. Cela n’a jamais abouti. Du rapport Schloesing (1977), en passant par celui de Hugon (1981) puis les rapports Castaing (1983, 1985) et Souviron (1994), cette politique énergétique, qui est passée du "tout charbon" au "tout pétrole" pour finir au "tout nucléaire", est dénoncée. Cependant rien n’a pu stopper la machinerie technique. Les gouvernements passent, les ministres changent, mais l’administration et sa composante Corps des Mines perdurent. Instaurons enfin un regard citoyen sur les décisions qui nous engagent pour des siècles. Il faut que les citoyens puissent peser dans ces décisions qui les concernent. Et pour cela il faut que l’expertise ne soit plus confisquée par un Corps trop puissant, juge et partie de surcroît. » Créé à l’origine pour optimiser l’exploitation des mines de charbon et assurer le développement industriel, le Conseil général des Mines – qui a fusionné le 1er janvier 2009 avec le conseil général des technologies de l’information pour former le Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies – dispose « de compétences variées de nature

«

Dans le domaine du nucléaire, aucune décision ne se prend sans l’aval de l’Etat » administrative, économique et technique, principalement en matière de gestion du sous-sol et d’énergie, de protection de l’environnement et de sécurité industrielle, d’innovation et de formation. Il est placé sous l’autorité directe du ministre en charge de l’Economie, qui le préside. » Nombreux dirigeants d’Areva, du CEA, de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) ou des directions régionales de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (chargées notamment de contrôler les installations nucléaires) sont issus de ce corps technique de l’Etat. « L’exemple le plus parlant est sans doute Jean Syrota », explique Didier Anger, président du Comité de réflexion et


d’information sur la lutte anti-nucléaire de Basse-Normandie. « Il a été en même temps vice-président du Conseil général des mines et président de la Cogema [une des entreprises qui a donné naissance à Areva, ndlr] ». Il cite également André Giraud, successivement directeur général adjoint de l’Institut français du pétrole, directeur des carburants au ministère de l’Industrie (1964-1969), administrateur général délégué du gouvernement auprès du CEA (1970-1978), administrateur d’EDF (1970-1978), président de la Cogema de 1976 à 1978 et ministre de l’industrie du troisième gouvernement de Raymond Barre.

Le Parlement écarté Mais dans un rapport d’information de sa commission d’enquête, paru en 1998, le Sénat se défend d’un rôle totalement passif en matière de politique énergétique : « Il est courant de dire que la filière nucléaire française s’est développée sans véritable débat public, à l’ombre des laboratoires de recherche civils et militaires. Il convient toutefois de noter que le Parlement a toujours eu la possibilité de s’opposer aux décisions effectuées en matière de politique énergétique – ne serait-ce qu’en ne votant pas les crédits du ministère de l’Industrie – même s’il ne pouvait réelle-

«

Le Parlement est devenu un interlocuteur critique. C’est un premier pas mais c’est encore insuffisant » ment revenir sur un choix qui nous engage sur le long terme, compte tenu de la lourdeur des investissements et de la durée des amortissements. » Stéphane Lhomme, le porte-parole du réseau Sortir du nucléaire, n’en est pas convaincu : « La quasi totalité des élus provient des deux grands partis au pouvoir, qui sont plutôt favorables au nucléaire. Quelques élus, notamment Claude Birraux [député UMP de Haute-Savoie, ndlr] et Christian Bataille [député socialiste du Nord, ndlr], font toute la politique énergétique de l’Assemblée et les autres la votent les yeux fermés. Il y a une sorte de consensus total sur la politique énergétique française. » Il existe bien un Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques qui joue un rôle, en amont, de contrôle de la recherche et de la sûreté en matière d’énergie nucléaire. Dirigé par Claude Birraux, son indépendance est mise en cause. « On n’imagine pas à quel point le lobby nucléaire imprègne les travaux de l’Office », s’insurgeait Michèle Rivasi, députée de la Drôme de 1998 à 2002 et fondatrice de la CRIIRAD (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité), dans l’ouvrage Députés sous influences d’Hélène Constanty et Vincent Nouzille. Christian Bataille, député socialiste du Nord, vice-président de cet office parlementaire et auteur de nombreux rapports sur l’énergie nucléaire, réfute ces analyses : « Il est juste de dire que le nucléaire est historiquement une énergie d’Etat.

Sous la IVe ou la Ve République, les décisions ont été prises au niveau du gouvernement et de son outil technique, constitué du CEA et du Corps des mines, Areva étant plutôt un exécutant. Jusque dans les années 1990, le Parlement n’y a pas été associé. Les choses se sont inversées quand la question de la gestion des déchets a suscité une angoisse parmi la population. Le gouvernement Rocard a alors commandé un rapport sur la question, et le Parlement a été amené à légiférer en 1991, sur les déchets radioactifs. A partir de ce moment, le Parlement est devenu un interlocuteur et un observateur critique. C’est un vrai pas en avant qui a été fait, même s’il est insuffisant. Nous avons besoin d’un encadrement législatif sur ces questions. » Le député du Nord défend l’indépendance de l’Office parlementaire, dont il est vice-président : « La composition de l’Office reflète les choix électoraux des électeurs. De fait, les écologistes sont peu présents au Parlement. Mais ce n’est pas parce que nous ne sommes pas éecologistes, que nous sommes forcément les représentants des lobbies du nucléaire, ou même pro-nucléaire ! » Si le Parlement a aujourd’hui un rôle plus important dans la prise de décision, l’exemple de Penly, avec l’organisation du débat public après l’annonce de la construction du réacteur EPR, montre bien, qu’en matière d’énergie nucléaire, la démocratie a encore des progrès à faire.

Pour en savoir + - ouvrages : Déchets : le cauchemar du nucléaire, de Laure Noualhat, Le Seuil/ARTE Éditions, oct. 2009. Energie nucléaire, la démocratie bafouée, de Didier Anger, Editions Yves Michel, Collection Ecologie. Députés sous influences, de Hélène Constanty et Vincent Nouzille, édition Fayard, 2006.

- études et rapports : Perspectives énergétiques de la France à l’horizon 2020-2050, de la commission énergie du Centre d’analyse stratégique. Consultable sur : www.strategie.gouv.fr/article.php3?id_article=675 Compte rendu du débat public sur le réacteur EPR à Flamanville. Consultable sur : http://cpdp.debatpublic.fr/cpdp-epr/

- sites Internet : L’énergie nucléaire : - histoire www.linternaute.com/histoire/nucleaire/67/a/1/1/3/ - fonctionnement : www.cea.fr/jeunes/themes/l_energie_nucleaire - installations : energies.edf.com/edf-fr-accueil/la-production-delectricite-edf/-nucleaire/les-centrales-nucleaires-120223.html Areva : www.areva.com CEA : www.cea.fr EDF : www.edf.fr Sortir du nucléaire : www.sortirdunucleaire.org CRIIRAD : www.criirad.org Gazette nucléaire : http://resosol.org/Gazette/

Commission nationale du débat public : www.debatpublic.fr Conseil général des Mines : www.cgiet.org

OPECST : www.assemblee-nationale.fr/connaissance/choixscientifiques.asp Député socialiste Christian Bataille : www.christianbataille.org

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POLITIQUE

Villes:

la grande

bataille de l’eau Des géants comme Veolia et Suez ont jusqu’à présent géré les régies d’eau municipales. Depuis quelques années, des associations locales qui réclament un retour à une gestion publique de l’eau mettent à mal leur domination.

A

par Julien

u cœur du quartier Saint-Germain à Paris, une quinzaine de membres bien organisés de l’association S-Eau-S investissent par surprise le siège parisien du Syndicat des eaux d’Île-de-France (Sedif). En ce vendredi froid et ensoleillé de décembre, les militants habillés de T-shirt colorés floqués de slogans et armés de porte-voix croisent peu de monde dans la rue. Mais ils font beaucoup de bruit. Le jour même, l’occupation du Sedif fera l’objet de reportages dans les journaux télé et sur les principales radios généralistes. L’objectif des pro-régie est de convaincre les membres du syndicat francilien de passer à un système de gestion entièrement publique. Ils essayent de profiter d’un évènement historique, la mise en place dans la capitale, pour la première fois de son histoire, d’une régie municipale officiellement mise en place le 1er janvier 2010. Avant elle, plusieurs villes avaient quitté les opérateurs privés, Grenoble, Castres ou Briançon. D’autres pourraient suivre. La création d’associations locales remonte aux années 1990. Une série d’affaires de corruption entachent alors l’image des entreprises délégataires. La plus saisissante se déroule à Grenoble. Le maire,

Alain Carignon, est condamné en 1996 à cinq ans de prison pour avoir accepté près de 3 millions d’euros en contrepartie de la délégation du service des eaux de la ville aux sociétés Merlin et Lyonnaise des eaux, une filiale de Suez. Les « affaires » provoquent la méfiance des usagers. Certains se constituent en associations et découvrent un système assez opaque. En plusieurs dizaines d’années d’existence, les entreprises de l’eau française sont devenues des multinationales très puissantes. Et « si un acteur apparaît pendant trop longtemps comme trop puissant dans son secteur, il risque d’être rejeté par l’opinion », explique Dominique Lorrain, chercheur spécialisé dans les politiques de la ville à l’Ecole des hautes études en science sociales (EHESS). Face à la puissance de frappe des entreprises délégataires, les militants pro-régies s’organisent. Ceux qui défendent le principe d’une gestion entièrement publique de l’eau, se structurent dans des réseaux d’associations locales comme S-Eau-S ou l’Association pour le contrat mondial de l’eau (Acme). Pour les géants de l’eau, le sujet est d’autant plus sensible que, d’ici à 2015, 75% des contrats de délégation de l’eau vont arriver à échéance. Et si rares sont les municipalités qui envisagent sérieusement de prendre à leur charge le traite-

Jusqu’à présent, 80% des communes déléguaient la gestion de l’eau au secteur privé

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Duriez


75% des contrats délégant la distribution de l’eau à des géants privés vont être renégociés d’ici à 2015. Des associations militent pour le retour à des régies municipales. Paris a déjà franchi le pas.

Le maire de Paris Bertrand Delanoë, ici lors de la visite en 2007 d’une usine d’eau approvisionnant la capitale, a fait le choix très politique de gérer la distribution et le traitement de l’eau en régie publique depuis le 1er janvier 2001. © AFP/Jacques Demarthon

ment et la distribution d’eau, celles-ci ne vont pas hésiter, pour mieux négocier les futurs contrats, à faire comprendre qu’elles pourraient avoir une autre alternative. En France, 80% des communes ont fait le choix de déléguer leur service de l’eau à un prestataire privé sous le forme d’une délégation de service public (DSP). Les maires apprécient de pouvoir profiter du savoir-faire technique d’entreprises présentes sur le secteur depuis plus d’un siècle, leur laissant le soin de gérer la distribution de l’eau et l’assainissement. Les « trois soeurs » Veolia Eau, Suez Environnement et la dernière arrivée, la Saur (Société d’aménagement urbain et rural), se partagent de fait la quasi totalité du marché français. Les pro-régies leur reprochent de tirer de véritables rentes de situation sur des marchés insuffisamment ouverts à la concurrence et de pratiquer des prix trop élevés. En dix ans, la mobilisation des pro-régies n’a pas pour autant entraîné un mouvement de remunicipalisation massif. Mais elle a augmenté la concurrence sur un marché où le duopole de Veolia eau et Suez Environnement a longtemps fait la pluie et le beau temps. Pour Igor Semo, responsable des relations institutionnelles pour la Lyonnaise des eaux

(Suez-Environnement) et vice-président de la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau (FP2E), « Le jeu est ouvert. La vision d’un marché dominé par un duopole est réductrice ». Surtout depuis le vote de la loi Sapin sur la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques votée en 1993 qui limite la durée des contrats de délégation à dix ans (voir encadré). Pour les entreprises délégataires, le passage de Paris en régie est avant tout un choix politique. De fait, les prix n’ont pas baissé depuis début janvier. La remunicipalisation de Paris a au moins le mérite de montrer à ceux qui disaient qu’il était impossible de changer d’opérateur que ça l’est.

La maîtrise des procédures juridiques Igor Semo est interpellé par les passages en régie publique. Mais pas plus que la perte d’un contrat au bénéfice d’un concurrent. Pour peser dans le débat, les partisans des régies municipales se sont organisés. « Nous nous considérons comme un lobby », considère Jean-Luc Touly, une des figures du mouvement. Après avoir été cadre pendant près de 20 ans chez Veolia, ce quadra dynamique est aujourd’hui président du réseau Acme. Il travaille également à mi-temps pour la Fondation France-liberté, dirigée par Danielle Mitterrand et très mobilisée sur la question de l’accès à l’eau. Pour ce militant, auteur en 2005 de L’eau des multinationales, le pouvoir des entreprises réside notamment

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dans la maitrise de procédures juridiques très complexes, comme les contrats de délégation ou les procédures d’appels d’offre. Alors, pour épauler l’action locale des associatifs et contrer l’influence des entreprises, Jean-Luc Touly a constitué un réseau de juristes, d’avocats et d’experts-comptables. Les associations cherchent, aussi à travers les actions médiatiques, à séduire l’opinion publique et à toucher les élus. « Il y a un très gros affect autour de l’eau. Elle n’est pas considéré comme un bien comme les autres », constate le chercheur Dominique Lorrain. Ces dernières années, le message des pro-régie commence à être entendu. « Ça avance lentement sur le terrain. Mais dans les esprits, tout va très vite », résume Gérard Borvon, membre et animateur de l’association S-Eau-S. Régis Taisne, de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) préfère, lui, tempérer la portée de l’influence des pro-régie : « Les arguments des associations et de la société civile sont souvent passionnels

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et pas toujours étayés sur des propositions concrètes ». Il n’empêche, les pouvoirs publics semblent les avoir entendus. Depuis une dizaine d’années, les collectivités s’interrogent sur leur mode de gestion. Certaines ont décidé de passer à la régie, principalement dans les régions où la res-

«

On sent bien qu’il faut faire des efforts pour la transparence » source en eau est facilement accessible et peu polluée. D’autres collectivités utilisent la régie pour mettre la pression sur leur délégataire. « Si les élus font mine de se préparer à la régie, les dossiers déposés par les délégataires lors des appels d’offres sont très différents », remarque Régis


Des hommes politiques et des entreprises délégataires très proches « Au début de ma présidence, les représentants des entreprises ont passé leur temps à m’inviter. Ils essaient d’installer une connivence, de trouver des intérêts communs avec les élus », témoigne Anne Le Strat, présidente de la société d’économie mixte Eau de Paris et principal artisan du passage à la gestion publique de l’eau dans la capitale. Pour l’élue socialiste, la puissance des grandes firmes s’explique notamment par la proximité qu’elles entretiennent avec les hommes politiques. Cette connivence est d’autant plus facile à installer que les dirigeants des entreprises chargés des relations avec les élus sont souvent euxmêmes issus du monde politique. Igor Semo, responsable des relations institutionnelles pour la Lyonnaise des eaux (Suez) et vice-président de la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau (FP2E) est l’un de ces nageurs entre deux eaux. En plus de ses responsabilités dans le privé, il est maire-adjoint de Saint-

Maurice, une petite commune du Val-deMarne. Il se défend toutefois de tout risque de conflit d’intérêts : « Je me suis fixé des règles d’éthique. Je ne prends pas part aux votes qui concernent les activités où Suez a des intérêts. Être moi-même élu me permet de mieux connaitre le fonctionnement des collectivités avec lesquelles nous travaillons. » Autre ancien au service du secteur privé, Pierre Victoria, est un ancien député du Morbihan. Encore actif au sein du Parti socialiste, le délégué aux relations institutionnelles de Veolia y a monté le groupe de réflexion « A contre courant » qui fait la promotion de la gestion déléguée. Pour les entreprises délégataires, les rapports entre politique et dirigeants sont suffisamment encadrés par la loi. Votée en 1993, la loi Sapin sur la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques votée en 1993 qui limite la durée des contrats de

Taisne. En janvier dernier, à Toulouse, sous la pression des associations et des habitants qui considéraient les prix trop élevés, Veolia a du accepter de baisser le prix du mètre cube d’eau de 25% pour garder son contrat de délégation avec la ville. L’apparition de nouveaux acteurs sur le marché contribue encore à bousculer les deux grands opérateurs Veolia et Suez. L’an dernier, Derichebourg, présent dans le secteur des déchets, s’est associé à l’allemand Remondis pour répondre pour la première fois à l’appel d’offres du marché d’Île-deFrance géré par le Sedif. Le plus gros groupe allemand du secteur, Gelsenwasser, a racheté le petit groupe Nantaise des Eaux, qui gagne des marchés (voir l’exemple de Chelles sur l’infographie). Et depuis qu’elle a changé de propriétaire, la Société d’ aménagement urbain et rural (Saur), rachetée en 2008 par le groupe de déchets Séché, compte devenir un concurrent plus sérieux et plus agressif. Même si les entreprises délégataires du service public conservent des atouts pour rester incontournables, notamment une avance en matière d’investissements dans la recherche, elles devront à l’avenir être davantage à l’écoute des usagers. « On sent bien qu’il faut faire des efforts pour la transparence. Il faut reconcevoir notre métier et notre modèle économique », consent le responsable des relations institutionnelles de Suez Igor Semo. Pas par charité, mais pour préserver leurs marchés.

délégation à dix ans prévoit ainsi que le maire ou le président de l’assemblée délibérante justifie toutes les décisions prises dans après la longue procédure de l’appel d’offre. Les collectivités sont pratiquement tout le temps consultés par des consultants indépendants, dont les conseils détermineront le choix d’un délégataire, et des membres de la commission de la concurrence participent aussi à la procédure. Les entreprises délégataires gardent toutefois ce tains arguments pour séduire les élus locaux, parmi lequel le sponsoring. « La question des subventions annuelles à des clubs sportifs ou des associations est discutée en direct au moment de l’appel d’offre et de la conclusion du contrat », explique Régis Taisne, de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). Les critères de choix d’un concurrent plutôt qu’un autre par les élus dépassent donc les seuls critères de prix et de qualité du service.

Pour en savoir + - études et rapport : Antoine Frérot, L’eau. Pour une culture de la lité, Autrement, collection Frontières, Paris, 2009

responsabi-

Marc Laimé, Le Dossier De L’eau - Pénurie, Pollution, Corruption, Le Seuil, 2003 Jean-Luc Touly, Roger Lenglet - L’Eau des multinationales, les vérités inavouables, Fayard, 2005

- film : Water makes money, réalisé par Leslie Franke et Herdolor Lorenz

- sites internet : http://www.eauxglacees.com http://www.fp2e.org/ http://www.saur.com/fr/index.html http://seaus.free.fr/ http://www.suez-environnement.fr/ http://www.veoliaeau.com/ LOBI - Avril 2010

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S O C I ET E

Homosexuels

La longue marche par

Emmanuel Salloum

Grâce Chaque nouvelle élection présidentielle comporte son lot d’esà un travail de sensibilisation de poirs. Alternance ou pas, les candidats promettent toujours longue haleine, l’opinion la lune, et les électeurs attendent qu’on la leur donne. publique a fini par basculer : les Français sont désormais faParmi eux, certains sont particulièrement impatients : vorables au mariage et à l’adoption homosexuels. Les militants les « LGBT » (lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels, LGBT espèrent bénéficier de selon l’acronyme consacré). 2012 approche à grands pas, ce revirement dès 2012. et avec elle le souhait de se voir accorder un certain nombre

de droits réclamés depuis longtemps. Notamment l’adoption et le mariage homosexuels, qui semblent désormais à leur portée. En attendant de franchir ces deux ultimes paliers, les militants LGBT s’activent sur plusieurs autres fronts. Principalement l’alignement du PaCS sur le mariage en termes de droits, et la lutte contre toutes les formes d’homophobie. Que la finalité soit l’adoption d’une loi ou la sensibilisation du public, leur action suppose toujours un long travail de conviction auprès des ministères, souvent payant. Si bien que, dans l’imaginaire collectif ou les médias, on évoque souvent le « lobby homosexuel » en fantasmant sur un réseau d’influences aussi opaque que puissant. En réalité, les militants LGBT apparaissent plutôt comme un groupe de pression empreint de transparence, très organisé, persévérant, et qui, avec très peu de moyens, se révèle d’une étonnante efficacité. À l’échelon de l’UE, l’ILGA-Europe pratique une forme encore plus aboutie de ce « lobbying démocratique », avec une capacité de mobilisation élargie. 74

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La Marche des fiertés (le nom officiel de la Gay Pride depuis 2001) représente l’alpha et l’omega des militants LGBT. Au-delà de l’aspect festif, elle constitue surtout le moment de l’année où leurs revendications sont les plus audibles, et les plus écoutées. DR

Adoption et mariage : 2012, l’année du basculement ? (1/2)

Si la gauche fait bloc en leur faveur, l’UMP apparaît tiraillée entre la frange la plus conservatrice de sa majorité, et l’évolution de l’opinion publique, que les sondages donnent désormais majoritairement favorable.

L

a hiérarchie des revendications LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels), place l’adoption et le mariage sur les plus hautes marches qu’il reste à gravir. En cas d’alternance lors de l’élection présidentielle de 2012, ces deux paliers devraient être franchis en un seul pas de géant. Le PS les avait déjà promis dans son programme de 2007, et les promettra à nouveau. Reste à savoir si, une fois au pouvoir, il honorera ses engagements. Pour Gilles BonMaury, président d’Homosexualités et socialisme (HES), une association vouée à promouvoir les questions LGBT au sein du parti socialiste, cela ne fait aucun doute : « On a

l’exemple de la gauche qui a ouvert le mariage et l’adoption aux homosexuels un peu partout en Europe. On est soutenu par toutes les familles politiques de la gauche française, et on a une majorité favorable dans l’opinion publique. Donc j’ai la conviction absolue que si nous sommes élus en 2012, cela se fera ». En revanche, en cas de victoire de la droite, l’affaire sera plus compliquée. Même si une actualité récente a donné un peu d’espoir aux militants LGBT. En novembre dernier, le Tribunal administratif de Besançon a ordonné au conseil général du Jura de délivrer un agrément d’adoption à Emmanuelle B., une institutrice qui vit ouvertement en couple avec une autre femme. L’administration le lui avait par deux fois refusé, en dépit des rapports

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positifs des commissions d’enquête chargées d’étudier le bien-être de l’enfant à venir. Et à rebours d’une décision de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) condamnant la France en janvier 2008 pour discrimination. L’affaire a permis de jeter un coup de projecteur sur le caractère contradictoire de la législation en l’état. Celle-ci interdit en effet à un couple homosexuel d’adopter ensemble un enfant, mais le permet à une personne célibataire, sans égard à son orientation sexuelle. Du coup, quand un couple de même sexe souhaite adopter, un des deux dépose seul un dossier en prenant soin de cacher l’existence de son partenaire. « La loi française est hypocrite, accuse Gérard Révérend, de l’association Les Papas = Les Mamans. On exclut spécifiquement une catégorie de personnes, et on attend qu’ils saisissent les tribunaux pour faire quelque chose ! »

d’être accueilli et de s’épanouir dans une famille composée d’un père et d’une mère », une sorte de pétition, et parvient à recueillir 316 signatures de députés et sénateurs de la majorité. La pression monte dans les couloirs du Parlement, et inexorablement, Valérie Pécresse se voit contrainte de céder : son rapport d’enquête exclut l’homoparentalité. « Elle m’en a beaucoup voulu », se souvient Jean-Marc Nesme, fier de son coup. Mars 2009, rebelote. Nadine Morano, secrétaire d’Etat chargée de la Famille, prépare l’avant-projet de loi sur le statut du beau-parent, traduction d’une promesse électoraliste du candidat Sarkozy en 2007. Le texte a pour vocation de simplifier la vie des familles recomposées, en prévoyant de pouvoir partager l’autorité parentale avec un tiers par simple voie conventionnelle, et non plus par une décision de justice. L’exposé des motifs de la loi précise que le texte pourra s’appliquer aux « foyers composés de deux adultes de même sexe ». Bronca dans les rangs de la majorité. La ministre Christine Boutin monte au créneau, les députés UMP Christian Vanneste et Jean-Marc Nesme la suivent. Ce dernier dénonce un « subterfuge destiné à la reconnaissance légale de l’homoparentalité », malgré les protestations des militants LGBT, qui expliquent que le texte ne crée aucun nouveau lien de filiation. Le député de Saône-et-Loire ressort son manifeste de 2006, mais n’obtient que 183 signatures dans la majorité. Peu importe, la fronde est suffisante, le gouvernement recule et retire le texte.

Nicolas Sarkozy a eu la démonstration par deux fois que sa majorité n’est pas disposée à toucher au modèle de l’hétéroparentalité

Homoparentalité et fronde UMP Dans les faits, une première étape a donc été franchie vers l’homoparentalité, en attendant sa reconnaissance législative. Franck Tanguy, président de l’Association des parents gays et lesbiens (APGL) assure que « c’est vers là que pointent la flèche et le sens de l’Histoire ». Toutefois, il ne voit pas cette échéance se produire au cours de cette législature. Et pour cause. Au sortir du Conseil des ministres suivant la décision du Tribunal de Besançon, Luc Chatel, porte-parole du gouvernement, avait immédiatement rappelé : « Le président de la République lui-même s’est exprimé sur le sujet. Nous ne sommes pas favorables à l’adoption d’enfants par les couples homosexuels. » Nicolas Sarkozy voulait sans doute rassurer ses partisans. Même s’ils avaient déjà eu par deux fois l’occasion de mesurer l’hostilité de la majorité à l’égard de l’adoption par un couple de même sexe. Début 2006, Valérie Pécresse, à l’époque députée UMP, est nommée rapporteuse d’une mission d’enquête parlementaire sur la famille. Jean-Marc Nesme, député UMP de Saône-et-Loire, et membre de la mission, craint que sa collègue ne lâche du lest en faveur des homosexuels. Alors il fait circuler « l’entente pour le droit fondamental de l’enfant

Le mariage, une ouverture possible de la droite Nicolas Sarkozy a donc eu la démonstration par deux fois que sa majorité n’est pas disposée à toucher de près ou de loin au modèle de l’hétéroparentalité. L’adoption par un couple de même sexe ne figurait pas dans le programme UMP de 2007, et ne figurera pas dans celui de 2012. « Trop dangereux électoralement », juge Jean-Marc Nesme. Même si l’opinion publique y est désormais favorable. Un sondage BVA pour Canal+ révélait en novembre dernier que 57% des Français en sont partisans, et 64% se décla-

Moments-clés de la législation sur l’homosexualité en France

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rent en faveur du mariage homosexuel. Ce dernier semble plus accessible. D’autant que quelques voix commencent à s’élever au sein du gouvernement (Morano, Jouanno, Morin), évoquant l’hypothèse que l’UMP le promette en 2012. Se réjouissent les militants de Gaylib, l’association homosexuelle rattachée à l’UMP, qui ont mal digéré la promesse non tenue de Nicolas Sarkozy sur l’union civile. Lors de la campagne présidentielle de 2007, celui-ci s’était engagé à créer un contrat pour les couples de même sexe, ouvrant les mêmes droits que le mariage à l’exception de l’adoption et de la filiation. Après l’élection, plus de nouvelles.

L’alignement du PaCS sur le mariage Pour Stéphane Dassé, le président de Gaylib de l’époque, il n’y a plus rien à en attendre : « Puisque ni les parlementaires ni le gouvernement ne souhaitent faire l’union civile, maintenant, le vrai sujet, c’est l’ouverture au mariage ». De plus, l’union civile comptait beaucoup de détracteurs parmi les intéressés. Un grand nombre d’entre eux dénonçaient une mesure « ghettoïsante », puisque seulement destinée aux homosexuels. « Il suffirait d’appuyer sur un

64% des Français sont favorables au mariage homosexuel, 57% sont pour l’adoption bouton pour savoir qui est homo », fustige Dominique de Souza Pinto, porte-parole de Gaylib. Le mariage, en revanche, fait l’unanimité. Symboliquement, il représentent beaucoup plus. Et ouvrirait directement les droits attachés à la filiation et à l’adoption. Mais ce serait sans doute aller un peu trop vite pour la classe politique de droite. Alors Emmanuel Blanc, l’actuel président de Gaylib, se veut pragmatique : « Dans une optique de réalisme politique, on ne serait pas contre une solution à la portugaise [mariage sans adoption, ndlr] dans un premier temps. » Par calcul électoral plus que par conviction, on voit bien le candidat UMP prendre cette voie médiane en 2012. Promettre le mariage sans filiation permettrait d’aguicher une large

majorité des électeurs, tout en évitant de se mettre à dos une trop grande partie de son électorat traditionnel. Quand bien même les militants LGBT obtiendraient le mariage après l’élection de 2012, ils ne souhaitent pas pour autant l’abandon du PaCS. Pour Philippe Castel, porteparole de l’Inter-LGBT, fédération qui regroupe une cinquantaine d’associations, les deux doivent cohabiter :

«

Puisque ni les parlementaires ni le gouvernement ne souhaitent faire l’union civile, le vrai sujet, c’est l’ouverture au mariage »

« Il y a de plus en plus de PaCS signés. Et 90% sont conclus par des couples hétérosexuels. Cela prouve bien qu’il répond à une demande de la société. » Même si le PaCS ne satisfait pas encore totalement. Les militants souhaitent qu’il ouvre des droits similaires à ceux offerts par le mariage. En ligne de mire figurent la signature en mairie (bien que les maires ont déjà la possibilité de la prévoir dans leur commune), et puis, à terme, le droit d’adopter un enfant. Mais le combat porte avant tout sur des questions de fiscalité et de succession. Au lancement du PaCS, en 1999, le régime juridique et fiscal était très lourd. Ces cinq dernières années, les militants LGBT sont parvenus à faire adopter un ensemble de lois qui ont progressivement rapproché ce régime de celui de mariage. Aujourd’hui une seule différence subsiste : la pension de réversion. Chaque année, lors du débat sur la loi de financement de la sécurité sociale, les militants font déposer par les députés de gauche un amendement pour l’accorder au partenaire survivant d’une personne pacsée décédée. Il n’aboutit jamais. Malgré tout, les militants s’accordent à dire que cette question devrait être réglée avant l’élection de 2012. Là, le candidat UMP devra faire un nouveau choix, promettre ou non l’alignement total des droits du PaCS sur ceux du mariage. Avec en tête le souvenir des engagements non tenus de la législature actuelle, les militants LGBT l’attendront au tournant.

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Le « lobbying démocratique » des militants LGBT (2/2)

En marge des combats législatifs, les associations luttent au quotidien contre l’homophobie. La sensibilisation de l’opinion publique passe par de longues phases de négociation avec les ministères. Du lobbying certes, mais honnête et transparent, précisent les militants.

L

e 14 février dernier, des centaines de couples gays et lesbiennes se réunissaient dans plusieurs villes de France pour un « Kiss-in » symbolique. Le principe : s’embrasser pendant cinq minutes pour banaliser le geste auprès du public. À Paris, sur le Parvis de Notre-Dame, plusieurs participants ont été victimes de violences verbales et physiques de la part de militants catholiques venus « casser du pédé ». L’action au quotidien des militants LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels) vise à lutter contre cette homophobie, et par extension contre toutes les « LGBT-phobies », encore très prégnantes en France. Un combat pas forcément législatif. Louis-Georges Tin, président et fondateur de l’IDAHO (International day against homophobia) est un de ceux qui ne se battent pas seulement pour faire passer des lois, mais aussi pour toucher l’opinion publique. « L’homophobie, c’est dans les esprits que ça se passe, explique-t-il. On ne change pas les mentalités par les lois, mais par le dialogue et la pédagogie. » La Journée mondiale contre l’homophobie, célébrée de fait le 17 mai dans une cinquantaine de pays à travers le monde, et reconnue de droit par l’Union européenne, constitue un moment-clé dans cette démarche de sensibilisation. Sa portée s’en trouve d’autant plus élargie quand l’Etat agit de concert.

Long travail de négociation Ainsi l’an dernier, la veille de la célébration, Rama Yade (alors secrétaire d’Etat chargée des Affaires étrangères et des droits de l’Homme) lançait un congrès international contre l’homophobie et la transphobie, tandis que la ministre de la Santé Roselyne Bachelot annonçait que la France allait supprimer la transsexualité de la liste des maladies mentales.

Principales avancées depuis le lancement du PaCS

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Une première dans le monde. Pour lutter à la source contre l’intolérance, les militants LGBT se tournent très souvent vers le milieu de l’éducation. A l’instar de Louis-Georges Tin, qui souhaite une réforme des programmes : « Un rapport de la Halde a montré que dans les programmes scolaires, on parle de racisme et de sexisme, mais jamais d’homophobie. Par exemple, le chapitre sur la Shoah ne dit pas toujours que les homo-

«

Les mouvements LGBT luttent pour être visibles, c’est notre premier moyen d’action. Nous agissons toujours au grand jour »

sexuels, mais aussi les handicapés ou les Roms, ont été persécutés. Il y a parfois des acrobaties extraordinaires pour contourner la réalité des faits ». L’Inter-LGBT, elle, a obtenu l’an dernier de la ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Pécresse, le lancement d’une campagne contre l’homophobie dans les universités. Elle a annoncé cette mesure le jour de la Marche des fiertés (le nom de la « Gay Pride » depuis 2001), et ce n’est pas un hasard. « Le gouvernement actuel est centré sur la communication, souligne Philippe Castel (Inter-LGBT). Pour les questions LGBT, son calendrier politique se cale sur deux moments-clés, la Marche des fiertés et la Journée de lutte contre l’homophobie, deux événements très médiatisés. Du coup, on obtient toujours quelque chose autour de ces deux dates. »


Les principaux groupes de pression sur les questions LGBT. L’action des militants se concentre sur les ministères. Quatre personnages-clés se détachent clairement. Mais, en amont, ces annonces sont toujours précédées d’un long travail de négociation entre les associations et les cabinets ministériels. Outre les courriers officiels et les communiqués de presse, Philippe Castel, comme d’autres, se rend très souvent dans les ministères (Education nationale, Enseignement supérieur, Santé, Budget, Famille, etc). En mai 2009, il a également été reçu par Emmanuelle Mignon, alors conseillère spéciale du chef de l’Etat sur les libertés publiques.

« Fantasmes sidérants » De même, plusieurs associations (l’Inter-LGBT, SOS Homophobie, HES, etc) sont régulièrement invitées à présenter leur avis d’expert lors des auditions par les commissions

parlementaires. Ce travail de conviction est souvent stigmatisé par les députés conservateurs (comme l’UMP Christian Vanneste), qui dénoncent les pressions du « lobby homosexuel ». Même si, pour certains, l’appellation n’est pas en soi péjorative. Le député UMP Jean-Marc Nesme, principal opposant des LGBT, se montre fair-play : « Qu’ils exercent des pressions, qu’ils développent leur influence pour que leurs requêtes soient prises en compte, c’est bien normal. Le mot pression n’est pas un gros mot. Ils font leur travail, et ils en ont le droit. » Malgré tout, les intéressés se hérissent à l’évocation du terme « lobby ». Car, dans l’imaginaire collectif français, il est souvent synonyme d’obscurantisme, de secret, et de malversations. Or, affirme Gilles Bon-Maury (HES),

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S O C I ET E

L’ILGA-Europe, une machine bien réglée L’association exerce ouvertement un lobbying rodé auprès des institutions de l’UE. A la fois organe de mobilisation ad hoc et partenaire de la Commission et du Parlement sur la législation européenne des questions LGBT, l’ILGA occupe une place centrale dans le microcosme bruxellois.

C

e n’est pas un hasard si l’ILGA-Europe, branche européenne de l’ILGA-Monde (International lesbian, gay, bisexuel, trans and intersex association), a implanté ses locaux à Bruxelles, à quelques pas de la Commission et du Parlement européens. Par l’emplacement géographique, il s’agit de marquer clairement l’intention de peser sur les institutions de l’UE. A la différence des associations françaises, qui redoutent la connotation négative du terme lobby en France, l’ILGA assume complètement cette appellation car elle décrit le mieux sa fonction. « Le cœur de notre travail, c’est ce qu’on appelle sans problème à Bruxelles du lobbying », résume Pierre Serne, président de la commission LGBT des Verts et trésorier de l’ILGA-Europe.

bien mobilisés, ou de faire pression, et on propose des amendements », raconte Pierre Serne. Souvent ce travail est directement réalisé par l’Intergroupe LGBT, qui rassemble une douzaine de députés européens actifs, et sert de relais avec L’ILGA. La mission des lobbyistes se poursuit même après l’adoption du texte. En 2000, la Commission européenne a chargé l’as-

mission avait été contraint de reculer. Cette affaire fut pour l’ILGA une victoire détonante. Une autre serait l’adoption de la directive horizontale, son gros chantier du moment. Elle vise à lutter contre toutes les formes de discrimination, dans tous les champs de compétences de l’UE (autres que l’emploi, seul couvert pour le moment).

En plus d’accompagner le processus de décision, elle effectue un lobbying de mobilisation efficace sociation de vérifier en son nom que la directive sur la discrimination à l’emploi soit effectivement transposée dans la législation interne de chaque pays membre.

Dialogue permanent Ce lobbying, qu’il qualifie de « routinier », prend la forme d’un dialogue permanent avec les institutions de l’UE. Celles-ci considèrent l’ILGA comme leur interlocuteur privilégié sur les questions LGBT, tout au long du processus législatif. Quand la Commission prépare un projet de texte politique, les douze salariés permanents de l’association sont reçus très fréquemment pour participer à son élaboration. Une fois engagée la discussion au Parlement, le dialogue s’instaure avec les parlementaires. « On essaie de rencontrer tous les groupes, de vérifier qu’ils sont

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Mobilisation En plus d’accompagner le processus de décision, l’ILGA effectue occasionnellement un lobbying de mobilisation efficace. Pour exemple, Pierre Serne aime raconter l’affaire Rocco Boutiglione. En 2004, José Manuel Barroso voulait présenter la candidature de ce berlusconien à la réputation d’homophobe, au commissariat délégué à la Justice et aux Libertés. Preuves en mains, l’ILGA était parvenue à convaincre une majorité de parlementaires européens de voter contre. Devant l’ampleur de la contestation, le président de la com-

Sympathie

Le texte a passé avec succès l’étape du Parlement en 2008, il ne lui reste qu’à être adopté, à l’unanimité, par le Conseil européen des ministres. Une perspective peu probable à court terme, car une poignée de pays y sont fermement opposés, parmi lesquels l’Allemagne. L’ILGA opère donc un travail de fond pour les

convaincre, au moins, de s’abstenir. Et; c’est probable, finira un jour ou l’autre par y parvenir. Car l’association ne fait pas toujours office de David face aux Goliath conservateurs. « Le rapport de forces est variable, souligne Pierre Serne. Et on oublie souvent qu’il y a toute une partie de la droite européenne très ouverte aux questions LGBT, à l’image de la droite hollandaise. » Et puis, en sa faveur, l’ILGA peut compter sur les « zones grises » du lobbying : « Les fonctionnaires européens ont plus de sympathie à notre égard qu’envers les conservateurs. Parfois ils nous préviennent quand un coup bas se prépare, où au contraire laissent traîner les choses… » Une arme de plus dans un arsenal déjà d’une étonnante efficacité.


La mètis, ou l’art du mot juste

C

ofondateur du CRAN (Conseil représentatif des associations noires), fondateur du Comité IDAHO (organisateur de la Journée mondiale contre l’homophobie), Louis-Georges Tin tire de son expérience de militant un certain pragmatisme : « Sur les questions LGBT, les conservateurs sont pour l’instant plus forts que nous ». Pour lutter contre un ennemi mieux armé, il a un mot d’ordre, la ruse : « Mon meilleur allié c’est la mètis ». Cette « intelligence rusée » chère aux Grecs de l’Antiquité, il la décline

en art du contournement par le choix du mot juste. « Si j’avais voulu lancer une journée mondiale pour la reconnaissance de l’homosexualité, personne ne m’aurait soutenu », confie-t-il. Futé, l’homme de lettres a plutôt choisi de promouvoir la lutte contre l’homophobie. Dans l’esprit de certains interlocuteurs peu commodes, la différence est énorme. Cette année, l’événement sera anglé sur les religions. Sujet délicat, tant l’histoire des homosexuels est empreinte de répressions violentes de la part des autorités religieuses de toutes

les militants LGBT agissent dans une parfaite transparence : « Les mouvements LGBT luttent pour être visibles, c’est notre premier moyen d’action. Nous agissons toujours au grand jour ». Dominique de Souza Pinto, elle aussi, tente de lutter contre cette image d’opacité qu’on lui colle souvent. En effet, parallèlement à sa fonction de porte-parole de Gaylib, elle préside les Enfants de Cambacérès, une fraternelle maçonnique dédiée aux questions liées à l’homosexualité. « Notre forme d’association crée des fantasmes sidérants, déplore-t-elle. Je n’affiche pas mon appartenance à la Fraternelle, mais ne la cache pas non plus ! D’ailleurs nous n’avons rien à cacher ! » Les membres, une centaine de maçons de toutes obédiences, se réunissent une fois par mois autour d’un dîner, pendant lequel ils abordent une question de société relative à l’homosexualité. En ce moment, ils travaillent sur le problème du suicide des jeunes homos, avec pour objectif la tenue d’un colloque en octobre prochain. Ils réagissent également à l’actualité, en envoyant des courriers officiels aux élus et aux ministres. « Certains des Enfants de Cambacérès ont des relations privilégiées avec eux (comme Roselyne Bachelot, ndlr), confie Dominique de Souza Pinto. Du coup ça attire plus l’attention qu’une simple lecture de revue de presse le matin. » Mais ces « liens de copinage » ne produisent pas plus d’effets. Rien qui accrédite la thèse d’un puissant réseau d’influences.

« Communauté hétérosexuelle » D’ailleurs, les militants LGBT fustigent également la connotation communautariste de l’étiquette « lobby ». « Ce terme laisse entendre que tous les homos formeraient une sorte d’amicale, qui parlerait d’une seule voix, et hors de cette amicale point de salut, déplore Philippe Castel. Alors que nous, nous récusons même le terme de ‘‘communauté’’ ! Si les homosexuels forment une communauté, alors existe également la communauté des hétérosexuels ! Et puis nous ne souhaitons pas faire avancer les droits parti-

confessions. Malgré l’évolution rapide de la société, les relations sexuelles entre deux personnes de même sexe restent à leurs yeux un pêché majeur. Impensable de les convaincre du contraire. Alors Louis-Georges Tin leur demande plutôt de condamner officiellement les violences homophobes et transphobes. Avec plus de succès. « Il faut trouver les mots, se mettre à la place des gens, par stratégie et politesse », explique l’activiste. La politesse non du désespoir, comme disait Coluche, mais bel et bien de l’espoir…

culiers des homosexuels, mais le droit de toute la société ! » Enfin, ils insistent tous sur la légalité totale de leurs démarches et de leur but. « Oui, nous faisons du lobbying, mais démocratique, tant par les objectifs que les moyens utilisés pour y parvenir, insiste Louis-Georges Tin. Nous essayons seulement de faire en sorte que l’agenda des gouvernants ne néglige pas les problèmes de la société civile en-dehors des échéances électorales. C’est trop grave, on ne peut pas attendre la prochaine présidentielle ! » Hors du temps électoral, les militants s’activent pour que les personnes LGBT soient considérées comme des citoyens comme les autres, au regard de la loi, mais aussi aux yeux de la société civile. Réforme après réforme, campagne après campagne, ils y parviennent de mieux en mieux.

Pour en savoir + Lesbiennes, Gays, Bis, Trans. Aimable clientèle, Gilles Bon-Maury, éd. Bruno Leprince, coll. « Café République », octobre 2008 Familles en miettes, Gilles Bon-Maury, éd. Bruno Leprince, coll. « Café République », janvier 2010 Homoparentalité, réflexions sur le mariage et l’adoption, La documentation française, Bougrab, Deschavanne, Thompson, mars 2007 L’homoparentalité en question, Et l’enfants dans tout ça?, Béatrice Bourges, Rocher Eds Du, mai 2008 Que sais-je? L’homoparentalité, Martine Gross, PUF, 2007. Que sais-je? L’homophobie, Daniel Borrillo; PUF, 2001.

Rapport 2009 sur l’homophobie, SOS homophobie Franc-maçonnerie et homosexualité, Les valeurs initiatiques à l’épreuve des préjugés, Livre blanc des Enfants de Cambacérès, juin 2006 (PDF) ILGA-Europe map on legal situation for LGB people in Europe (July, 2009) : http://www.ilga-europe.org/europe/

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S O C I ET E

Chrétiens, mais pas enfants de choeur Depuis les années 80, les groupes d’intérêts chrétiens, la Comece et la CES, veulent faire entendre leur voix au sein des institutions européennes. Etre écouté comme un autre acteur de la société civile, tout en diesposant d’un statut particulier, voilà ce que leur confère le traité de Lisbonne par l’article 17. Mais les Eglises peinent à trouver leur place. Acceptation du mot « lobbying », défense de l’intérêt commun, position consensuelle sur la bioéthique, beaucoup de sujets font encore débat.

E

par

Philippe Schaller

nfin ! «Reconnaissant leur identité et leur contri000 ans d’existence, et une organisation politique de 50 bution spécifique, l’Union européenne maintient, ans qui se cherche encore. Même si la nécessité de ce diaavec les Eglises, un dialogue ouvert, transparent logue est reconnue par l’UE comme par les chrétiens, une et régulier. » C’est ce que prévoit l’article minorité parmi les chrétiens est farouchement hostile 17 du traité de Lisbonne, entré en vià la construction européenne tandis que certains Pour gueur le 1er décembre dernier. Pour fonctionnaires refusent le dialogue avec des les catholiques, la catholique Comece (ComEglises qu’ils associent encore aux guerres « lobbying » reste un mission des épiscopats de la de religion et au refus des Lumières. » gros mot. Alors, ils se Communauté européenne) d’une part, Alors, qu’est-ce que cet article va chanpour la portestante et orthodoxe Comger ? « Les Eglises devraient avoir la sont appropriés un nouveau mission Eglise et société (CES), issue possibilité de mettre à l’agenda des suterme : « advocacy ». Sans de la KEK (Conférence des Eglises jets qui leur sont chers », estime Jérôme équivalent français, il désigne européennes) d’autre part. Désormais Vignon, directeur de la protection sol’action des formations dont considérés comme des « partenaires », ciale et de l’intégration à la Commission l’objectif fondamental est les deux groupes d’intérêts chrétiens diseuropéenne, un des pionniers du dialogue posent d’un statut unique au regard de la avec les Eglises. « On sent désormais une la recherche de l’intérêt démocratie participative. « La distinction ouverture, une volonté de poursuivre qui ne général. entre les sphères du politique et du religieux dépend plus de la sensibilité de tel ou tel interest intégrée et reconnue dans l’Union. Cependant, locuteur », répond Richard Fischer, membre de la permettre aux forces vives de la société de participer au Commission Eglise et société (CES). processus d’élaboration des décisions constitue un principe de bonne gouvernance », se réjouit Mgr Jozef de Kesel, dé« L’Eglise ne doit pas être assimilée à légué de la Conférence épiscopale belge auprès de la Con’importe quelle ONG » mece. Certains voient dans cet article 17 l’officialisation d’un état Pour Johanna Touzel, porte-parole de la Comece, l’enjeu de fait. D’autres affirment que cet article résulte d’une inest de taille : « Ce dialogue n’est pas facile car il s’étatense activité de lobbying. Comme une « revanche » après blit entre deux mondes très différents. Une Eglise aux 2

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Depuis l’arrivée de José Manuel Barroso à la Commission, les Eglises sont davantage associées à la pratique européenne. Deux fois par an, les représentants de la CES et de la Comece rencontrent le président de la Commission, du Conseil et du Parlement européens. © Commission européenne le débat, en 2005, sur le traité constitutionnel européen. La Comece et la CES avaient insisté sur l’inscription dans le préambule des « racines chrétiennes de l’Europe ». Un attachement au passé, comme pour pallier la perte de pratique actuelle (voir notre encadré, page suivante). Le débat avait fait rage et tourné à leur désavantage. Désormais, elles deviennent un interlocuteur privilégié. « L’Eglise ne doit pas être assimilée à n’importe quelle ONG car elle possède un gros poids démographique et a participé à la construction européenne », analyse Mgr Kratz, représentant des évêques de France à la Comece. Les religions sont, en effet, en lien direct avec la fondation de l’Europe. Les grands Européens convaincus étaient souvent des pratiquants, tels que l’Allemand Konrad Adenauer ou le Français Robert Schuman. Les premiers groupes d’influence religieux ont vu le jour dès les années 60. A l’époque, les Eglises se faisaient discrètes dans la mesure où la communauté naissante était essentiellement économique. Elles estimaient, au fond, que cela ne les concernait pas. A partir de la fin des années 80, les Eglises réalisent que

l’Europe s’engage dans un processus qui va au-delà. Jacques Delors, alors président de la Commission européenne, veut nouer un dialogue avec la société civile, les institutions religieuses et les mouvements humanistes pour son programme « Une âme pour l’Europe ». Une initiative censée répondre au déficit identitaire. Les Eglises s’y joignent. La Comece, née en 1980, fédère les Eglises catholiques européennes. Et la Commission Eglise et société rassemble 126 Eglises, anglicanes, protestantes et orthodoxes. « Les religions s’intéressaient depuis longtemps aux différentes facettes de l’âme des gens et à leur vie en société. Quand la dimension humaine et sociale de l’Europe a grandi, il était naturel et logique que les Eglises s’en rapprochent », explique Richard Fischer, membre de la CES.

« L’Europe est assiégée par les lobbies religieux » Chacun admet aujourd’hui le droit des Eglises à faire passer leurs idées. Surtout au plus haut point. Faut-il rappeler que la Commission (avec José Manuel Barroso), le Parlement (Jerzy Buzek) et le Conseil (Herman van Rompuy) sont présidés par des personnalités animées de convictions religieuses ? Du coup, une douzaine de personnes travaillent pour la Comece à Bruxelles, avec des experts bénévoles. Elles sont six pour la CES, installées dans le quartier des institutions européennes. Le groupe protestant est

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également présent à Strasbourg, avec deux membres, Richard Fischer et Carla Maurer. « L’Europe est assiégée par les lobbies religieux, surtout au niveau du Parlement, dénonçait l’assistant parlementaire Marcel Conradt sur Télé-Liège en 2008. Ils ont un jeu très clair, comme les lobbies pharmaceutiques ou ceux de l’automobile », martelait alors l’auteur de Le cheval de Troie. Sectes et lobbies religieux à l’assaut de l’Europe sur la même chaîne. « C’est une manière d’être en contact avec l’Union européenne et d’être associé à sa pratique politique », explique Jean-Arnold de Clermont, ancien président de la KEK, de 2003 à 2009. Une association qui tend vers le lobbying.

Lobby chrétien, un gros mot ? En 2005, le Parlement européen propose un livre vert sur les parties prenantes à Bruxelles. Il s’agit de fixer quelques règles déontologiques pour en contrôler la pratique. Parmi les groupes concernés : les Eglises… Rebelote en mai 2008, avec un nouveau texte d’encadrement des groupes d’intérêts. « L’amendement numéro trois, à l’époque, précisait que les Eglises devaient être considérées comme des lobbies. Il a été rejeté. Elles sont des « partenaires » dorénavant », rappelle Marcel Conradt. Mais sur le site du Parlement européen, la Comece et la KEK figurent dans la liste des groupes d’intérêts accrédités. Pour autant, le terme de lobbying reste encore un gros mot pour les catholiques. La Comece assure que sa mission principale est l’information des évêques dans les Etats membres (par de la veille, du « monitoring ») et leur représentation auprès de l’UE. « Nous ne défendons pas des intérêts privés, mais l’intérêt de tous. Notre action se fonde sur deux piliers : la promotion du bien commun et la dignité humaine. Nous voulons traduire le langage des valeurs morales en politique concrète », martèle Johanna Touzel, la porte-parole de la

Comece. Un mot a d’ailleurs été intronisé, c’est le terme d’« advocacy », qui n’a pas vraiment d’équivalent en français. Il désigne des formations dont l’objectif fondamental est la recherche de l’intérêt général. Cela ferait des Eglises un groupe de promotion, s’attachant à défendre les intérêts du plus grand nombre. Et non un groupe d’intérêts, qui défend la cause d’un petit groupe d’individus. A contrario, les membres de la CES admettent volontiers exercer un travail de lobbying auprès des parlementaires et fonctionnaires européens. Jean-Arnold de Clermont, l’ancien président de la KEK, est très clair sur ce point : « Nous ne représentons pas un lobby au sens classique du terme, mais nous voulons avoir une influence, attirer l’attention sur une nécessaire évolution du droit. » Une vision partagée par Richard Fischer : « Si le lobbying vise à faire valoir un point de vue qu’on estime légitime, important d’être pris en compte, de façon rationnelle, intelligente et argumentée, alors, dans ce sens, je suis fier de participer à du lobbying. » Pour Jérôme Vignon, directeur de la protection sociale et de l’intégration à la Commission européenne, « les Eglises répondent d’après l’identité qu’elles se donnent. Mais de l’extérieur, et pour quelqu’un de non pratiquant, c’est évident. Une activité de lobbying cherche à emporter des décisions favorables à son groupe. C’est ce que la Comece et la KEK font. » « Nous informons nos Eglises membres sur ce qui se passe dans les institutions européennes, et nous leur demandons leurs contributions, leurs réflexions », explique Dieter Heidtmann, qui travaille depuis dix ans à Bruxelles pour la CEPE (Communion d’Eglises protestantes en Europe), membre de la KEK. « Ensuite, nous sommes là pour défendre certains principes fondamentaux auprès de l’Union. » Une action qui n’est pas tapie dans l’ombre, mais connue et transparente. En terme de moyens, les Eglises ont des pratiques identiques aux lobbies classiques. Prises de position publiques, organisation de conférences et séminaires de

Les Eglises usent de pratiques identiques aux lobbies classiques : rapports, contacts avec des parlementaires, consultations civiles

1956 Création de l’Office catholique d’information sur les problèmes européens (OCIPE). Installation à Strasbourg en 1956 puis à Bruxelles en 1963. A l’initiative du bureau jésuite, c’est la première structure découlant d’un ordre religieux présente dans les institutions européennes. 84

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1959 Fondation de la Conférence des Eglises européennes (CEC-KEK). Née à l’époque de la Guerre Froide, la CEC-KEK incarne une volonté de réconciliation entre Est et Ouest. Les Eglises œuvrent pour promouvoir l’unité et apporter un témoignage chrétien commun aux peuples et institutions d’Europe.

1973 Création de la Commission œcuménique européenne pour Eglise et société (EECCS). Côté protestant, les premières structures confessionnelles présentes à Bruxelles doivent beaucoup plus à l’action d’Européens chrétiens engagés qu’à celle des Eglises. Justement, à l’origine de l’EECCS, se trouve l’AOES (Association œcuménique pour Eglise et société), un groupe de fonctionnaires européens.


Une Europe chrétienne ? Pas seulement.

S

elon une enquête réalisée en 2008 par l’Institut européen en sciences des religions (rattaché à l’Ecole pratique des hautes études), la démographie religieuse actuelle dans l’Union européenne serait la suivante : 245 millions de catholiques, soit 50% de la population européenne. Surtout en Italie, France, Espagne et Pologne. Mais ils sont de moins en moins pratiquants. En Italie par exemple, si 99% des habitants se disent catholiques, seuls 35% participent régulièrement à des activités religieuses. 87 millions de protestants et anglicans, soit 18 % de la po-

pulation européenne. Surtout au Royaume-Uni, en Allemagne et dans les pays scandinaves. Mais on a vu croître, ailleurs, le nombre des évangéliques et des pentecôtistes. 20 millions d’orthodoxes, soit 5% de la population européenne. Avec l’intégration dans l’UE de plus en plus de pays d’Europe de l’Est, la représentation de l’orthodoxie est de plus en plus prégnante. Néanmoins, elle se divise en plusieurs Eglises, entre Grèce, Roumanie ou pays baltes. 13 millions de musulmans, soit 3% de la population européenne. L’islam prend son essor en Europe sans y être représen-

dialogue, recommandations par l’écriture de rapports, participation aux consultations civiles, contacts informels avec des parlementaires ou commissaires européens. Ce qui peut porter ses fruits. En témoignent les nombreuses exemptions sociales obtenues, pourtant discriminatoires (voir notre encadré, page suivante).

« La parole de l’Eglise est écoutée si elle est solide et argumentée » Des juristes élaborent des propositions afin d’éclairer les politiques dans leurs décisions. Pour autant, ils n’ont pas l’initiative. Ils suivent les travaux de la Commission, l’organe principal de la pratique européenne. Deux fois par an, les représentants de la Comece et de la CES rencontrent les présidents européens de la Commission, du Conseil et celui du

1980 Fondation de la Commission des épiscopats de la Communauté européenne (Comece). Elle résulte de la volonté de certains évêques. Ses fondateurs prévoient un « mécanisme où les conférences épiscopales nationales apporteraient leur contribution aux institutions.»

tée. Une religion qui pourra, à l’avenir, aussi prétendre à faire entendre sa voix dans les institutions européennes. 76 millions d’athées ou sans religion, soit 16% de la population. Surtout au Royaume-Uni, en Belgique, France, ou aux PaysBas. La Suède serait même le pays le plus athée du monde. Selon la chercheuse britannique sur les religions Grace Davie, 85% de ses habitants ne croient pas en Dieu. Les 8% restants concernent des religions minoritaires comme le judaïsme, le bouddhisme, l’hindouisme, l’Eglise de Scientologie ou les Témoins de Jéhovah.

Parlement. Des rencontres qui « s’améliorent en qualité au fur et à mesure des années », se réjouit Jean-Arnold de Clermont. Leur engagement peut même prendre la forme d’un think tank. Lors du débat sur le réchauffement climatique, une réflexion de la Comece a rassemblé experts (dont JeanPascal Van Ypersele, le vice-président du Giec), théologiens et l’ancien commissaire européen Franz Fischer. « Des personnes « high profile » !, se plait à rappeler Johanna Touzel. Nous sommes des interlocuteurs crédibles parce que nous nous entourons d’experts. La parole de l’Église est écoutée si elle est solide et argumentée. » Par ailleurs, les Eglises disposent de deux fonctionnaires européens pour faire le lien entre elles et les institutions. Jusqu’à récemment, le Dr. Jorge Cesar Das Neves travaillait au sein du Bureau des conseillers sur la politique européenne (Bepa), qui a pour objectif d’alimenter, par des propo-

1999 Création de la Commission Eglise et société (CES). La Conférence des Eglises européennes (CEC) et la Commission oecuménique européenne pour Eglise et société (EECCS) fusionnent et donnent naissance à la Commission Eglise et société (CES). La CES est reconnue comme représentant d’intérêt accrédité au Parlement européen.

2009 La CEC-KEK fête ses 50 ans. Le groupe d’intérêt chrétien regroupe aujourd’hui 126 Eglises protestantes, anglicanes et orthodoxes. Il possède des bureaux à Genève, Strasbourg et Bruxelles.

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sitions concrètes en matière de recherche scientifique et de nouvelles technologies, les débats de la Commission. Ce bureau favorise particulièrement le dialogue avec les religions, les Eglises et les communautés de conviction. Fearghas O’Beara remplit la même mission au cabinet du président du Parlement européen, Jerzy Buzek. Une manière efficace de transmettre les inquiétudes actuelles des Eglises.

Dimanche travaillé, bioéthique et fin de vie à l’ordre du jour La Comece et la CES partagent beaucoup de leurs actions. « Parmi les dossiers sur lesquels nous travaillons, il y a la protection du dimanche non travaillé, indique Johanna Touzel. « Le septième jour, tu te reposeras », dit la Bible. C’est la première loi sociale de l’humanité ! Attention, nous refusons le travail le dimanche pour des raisons sociales et familiales (réconciliation entre vie professionnelle et vie familiale), pas pour des raisons de culte. » Une conférence, à l’initiative du député européen PPE (social-démocrate) Thomas Mann a réuni au Parlement de Bruxelles, le 24 mars dernier, Eglises, syndicats et membres de la société civile. Rencontre à laquelle a participé Laszlo Andor, le commissaire européen à l’emploi, aux affaires sociales et à l’inclusion. Ce type de conférence semble vanter une position non-religieuse qui peut surprendre. C’est surtout une manière de fédérer d’autres groupes à son action. « J’ai écrit à tous les députés européens pour leur demander de protéger le dimanche non travaillé », explique Mgr Kratz, représentant des évêques de France à la Comece. Autre enjeu, la fin de vie, entre euthanasie et soins palliatifs. « Que fait-on quand une personne en fin de vie souffre ?

Qui doit décider de la dose ? Quelle quantité de sédatif utiliser ? Il faut aller le plus loin possible dans le soulagement de la souffrance sans tuer la personne », soutient Richard Fischer, responsable du travail sur la bioéthique à la Commission Eglise et société. Son « bureau » a voulu émettre un document, pour contribuer au débat et éclairer. « Mais il n’a pas été validé car le groupe voulait une position, non une contribution », déplore-t-il. De la même manière, les Eglises sont particulièrement attachées aux questions d’immigration et de bioéthique. Mais elles sont divisées, surtout au sein de la KEK. Difficile, en effet, d’emporter l’unanimité dans un groupe qui réunit pas moins de 126 Eglises.

«

Nous ne voulons pas imposer une doctrine de l’Eglise mais plutôt faire état des débats et des discussions »

Pour Richard Fischer, « la priorité, c’est de protéger l’embryon le plus possible quand il croît, sans condamnation absolue de certains cas limites. Je le dis avec réticence, mais on pourrait utiliser les cellules-souches de manière limitée dans le temps et s’il n’y a vraiment pas d’autre possibilité. Nous prônons la recherche alternative, tout en laissant des portes ouvertes. » Sur les questions d’avortement et de contraception, il n’y a pas non plus consensus. « Si elles étaient consultées, la majorité des Eglises membres de la

La discrimination religieuse tolérée, fruit du lobbying

D

ans les années 90, tandis que s’étendaient les compétences de l’UE, les Eglises souhaitaient faire respecter leur spécificité. Ce travail se poursuit aujourd’hui. En 2006, lors des débats à propos de la directive très controversée sur les services (dite « Bolkestein »), la CES et la Comece ont mis en place un comité de travail commun. Redoutant une sorte de dumping social et souhaitant que leurs services puissent demeurer ouverts à tous,

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elles ont bataillé pour que les organismes sociaux (les écoles ou les hôpitaux, par exemple) gérés ou mandatés par les Eglises soient exclus du champ d’application de la directive. De la même manière, en juillet 2008, les Eglises ont milité pour préserver l’exception aux chefs d’établissement confessionnels d’embaucher des professeurs qui partagent la même foi. L’Eglise évangélique d’Allemagne (EKD) est particulièrement efficace. En l’an 2000, elle a ainsi obtenu

une exemption concernant son personnel, qu’elle peut continuer à recruter selon des critères spirituels. Tous ces exemples présentent, même justifiés dans une certaine mesure, une discrimination au motif de la religion. Mais la Commission européenne a fini par accepter à chaque fois. Un enjeu de taille pour la puissante Eglise d’Allemagne qui, au travers de ses œuvres diaconales, emploie près de 400 000 personnes. Le plus gros contributeur de services sociaux outre-Rhin.


Pendant le débat sur le réchauffement de la planète, une réflexion de la Comece a rassemblé experts, théologiens et fonctionnaires européens. Leurs travaux ont abouti à un rapport présentant les préoccupations chrétiennes. © Philippe Schaller

KEK seraient en faveur d’une loi Veil. Cela dit, nous ne voulons pas imposer une doctrine de l’Eglise, plutôt faire état des débats et des discussions », lâche Jean-Arnold de Clermont, l’ancien président de la KEK. Pour la Comece, l’avortement reste la suppression d’un être humain même si Johanna Touzel rappelle que ces thématiques ne sont pas de la compétence de l’Union. La Comece demande néanmoins l’application de la Doctrine sociale de l’Eglise : interdiction du contrôle des naissances, refus du droit de mourir dans la dignité, rappel qu’un couple ne saurait évidemment être autre chose qu’un homme et une femme. Un point de vue qui ne reflète certainement pas « l’intérêt commun ».

« Cela reste une vision qui ne fait évidemment pas l’unanimité »

Alors, comment justifier une légitimité universaliste de l’Eglise ? Richard Fischer prend le sujet avec ironie. « L’Eglise catholique considère qu’elle a le devoir d’exprimer la vérité dans toute sa splendeur. » « Elle estime incarner une loi naturelle à laquelle tous sont assujettis »,

confirme Jérôme Vignon. Vincent Legrand, conseiller en affaires interreligieuses auprès de la Comece apporte tout de même un point de vue critique à ce propos : « Cela reste évidemment la vision d’une Eglise, qui ne fait pas l’unanimité au sein de tous les groupes présents au sein de la société ». Une position effectivement en contradiction avec l’évolution actuelle des mœurs et du droit. Difficile à tenir pour l’Eglise. Malgré le statut qui vient de lui être octroyé.

Pour en savoir + - sites Internet : www.ceceurope.org www.comece.org www.eurel.info

www.iesr.ephe.sorbonne.fr www.arte.tv/fr/Comprendre-le-monde/ Dieu---de-quoi-j-memele-_21/2341386.html

- lien vidéo : www.dailymotion.com/ video/xbku19_sectes-eteurope-par-marcel-conradt_ news

- livres et revues Marcel Conradt, Sectes et lobbies à l’assaut de l’Europe, Editions du Grand Orient de Belgique.

- articles : Bernadette Sauvaget, Dossier « La présence des religions à Bruxelles », Réforme n°3203 (déc. 2006) Natasha Saulnier, La montée en puissance du lobby fondamentaliste chrétien, L’Humanité (24 oct. 2004)

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S O C I ET E

La jeunesse

abandonnée Les jeunes entre 18 et 25 ans à la recherche d’un emploi n’ont aucun lobby pour défendre leurs intérêts. Tout le monde reconnaît leur extrême fragilité, mais les organisations étudiantes, syndicales comme familiales préfèrent se concentrent sur leur pré carré.

D

par Jean-Marc

evant les chiffres alarmants du chômage des jeunes en avril 2009, Nicolas Sarkozy avait mis en garde : « Je ne veux pas d’une génération sacrifiée ». Le 25 février dernier, c’était au tour de Martine Aubry de demander au gouvernement « des mesures urgentes pour les jeunes ». De droite à gauche, les politiques s’accordent pour dire que la situation des 15-24 ans est intenable et qu’il est urgent de changer la donne. Les jeunes étaient déjà fortement touchés par le chômage et oubliés des aides publiques (voir encadré), la récession a encore accentué ces difficultés, portant le taux de chômage chez les moins de 25 ans à 21,2% en 2009. Pour Yannick Fondeur, économiste à l’Insee, « malgré les différentes mesures de politique de l’emploi prises par les pouvoirs publics, l’insertion des jeunes est devenue plus lente et chaotique. » Pour le sociologue Camille Peugny, « des mesures radicales sont nécessaires pour faire changer les mentalités ». Tous les experts s’accordent sur la nécessité d’une intervention publique forte pour renverser la vapeur. Le problème de l’autonomie financière des jeunes n’est pas tellement une insuffisance de l’effort public à destination des jeunes, car l’Etat débourse pour eux chaque année près de 16 milliards d’euros via les bourses, les aides aux logement, les allocations familiales et les réductions d’impôts pour les parents. Il suffirait en fait de les réorienter pour

qu’elles bénéficient réellement aux jeunes qui en ont le plus besoin. Il s’agit de la « refonte des aides à la jeunesse », selon l’expression consacrée. On a rarement vu une unanimité aussi parfaite sur les objectifs. Mais, dès qu’il s’agit de parler des moyens à mettre en œuvre pour concrétiser ces déclarations d’intention, les choses se corsent. Chacun veut garder son bout de couverture et demande poliment aux autres de faire un effort. Faute de lobby pour les défendre, les jeunes se retrouvent nus comme des vers.

Une allocation d’autonomie Martin Hirsch, Haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, est nommé à la jeunesse en janvier 2009 par Nicolas Sarkozy, avec pour mission principale de faire des propositions visant à améliorer l’autonomie des jeunes. Une commission réunissant diverses organisations de jeunesse s’est réunie durant quatre mois au printemps 2009 ; ses travaux sont résumés dans le Livre vert. La proposition phare de cette commission consiste en la création d’une allocation d’autonomie destinée aux jeunes de 18 à 25 ans, afin de combler le vide actuel, le RSA n’étant accessible qu’aux plus de 25 ans. Cette allocation d’autonomie se substituerait aux aides actuelles, et en particulier le jeune ne serait plus comptabilisé

Il suffirait de réorienter les 16 milliards d’aides publiques à la jeunesse

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Delaunay


L’Union nationale des associations familiales, qui dispose d’une structure départementale redoutable, use de toute son influence auprès des parlementaires pour sauvegarder les aides aux familles. Par exemple, faire capoter le projet de verser directement les aides aux jeunes majeurs.

Quand ils ne trouvent pas de travail, les jeunes non-étudiants n’ont droit ni aux bourses d’études, ni aux allocations chômage, ni au RSA. Et leur nombre ne cesse d’augmenter. © JM Delaunay

dans le calcul des droits familiaux à partir de 18 ans, il percevrait directement son allocation. Au total, cela correspond à un transfert de 4,5 milliards d’euros des familles vers les jeunes. A dépense égale pour l’Etat, il serait ainsi possible

d’assurer à chaque jeune de 18 à 25 ans une allocation lui permettant d’être autonome. L’allocation d’autonomie ou revenu minimal jeunes, est défendue par la commission Hirsch pour trois raisons. D’abord, pour responsabiliser les jeunes majeurs et les sortir de la relation de dépendance budgétaire à leurs parents. Ensuite, pour s’assurer que les aides iront bien au jeune et ne resteront pas dans le budget familial, comme c’est souvent le cas pour les fa-

Les 15-24 ans, la tranche d’âge oubliée

C

’est un mauvais moment à passer. Voilà ce qu’on répète aux jeunes lors des réunions de famille. L’incompréhension générationnelle s’explique par un changement complet du marché du travail depuis une trentaine d’années. Dans la période de plein emploi, quand les jeunes arrêtaient leurs études, c’était pour travailler. Aujourd’hui, le chômage de masse s’est installé, et il touche particulièrement les jeunes : 27% sont au chômage et un quart d’entre eux se situe sous le seuil de pauvreté. De fait, la vie « active » débute presque toujours par une période de chômage. Les 18-25 ans, la tranche d’âge considérée comme celle de l’autonomie et de

l’entrée dans la vie adulte, rime en réalité avec dépendance et précarité. Le travail ne joue plus son rôle émancipateur. Les politiques publiques n’ont pas pris la mesure de cette évolution. Le RMI, mis en place par Michel Rocard en 1988 en réponse à la crise et au chômage de masse, ne s’appliquait qu’aux plus de 25 ans. A l’époque, le gouvernement ne voulait pas donner une allocation aux jeunes inactifs afin de les encourager à rechercher du travail. Il était prévu de mettre en place plus tard un dispositif adapté spécialement à cette tranche d’âge, qui n’a en fait jamais vu le jour. Quant au « RSA jeunes » annoncé par Nicolas Sarkozy fin 2009, il ne concerne qu’un

nombre infime de bénéficiaires tant les conditions pour y avoir droit sont restreintes. En fait, la France a toujours compté principalement sur les familles pour subvenir aux besoins du jeune tant qu’il n’a pas de travail. Depuis 1945, la France mène une politique familialiste très importante, par le biais des allocations familiales et des réductions d’impôts en fonction du nombre d’enfants à charge. Ces aides financières à la famille perdurent y compris après la majorité de l’enfant. En effet, les réductions d’impôts sont applicables tant que l’enfant est à charge de ses parents.

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milles pauvres. Enfin, par souci de justice sociale. En effet, les allocations familiales sont attribuées en fonction du nombre d’enfants, sans condition de ressources. Une famille aisée touchera donc autant qu’une famille défavorisée. En ce qui concerne les réductions d’impôts, elles sont d’autant plus importantes que le revenu du foyer est élevé, et ne changent rien pour les familles les plus modestes, de toute façon exonérées d’impôt.

Reproduction des inégalités Or les associations familiales et en particulier l’UNAF (Union nationale des associations familiales, voir encadré) s’opposent farouchement à la mise en oeuvre de cette mesure. Bien qu’elles continuent à se positionner officiellement en faveur de l’autonomie de la jeunesse, elles freinent des quatre fers à l’idée de voir disparaître les allocations familiales et les réductions d’impôts pour les parents d’enfants majeurs, ce qui représente pour elles un manque à gagner considérable. Au contraire, l’UNAF réclame un allonge-

25 millions d’euros de subventions publiques

C

’est sous le gouvernement de Vichy que naît la Fédération Nationale des Familles. Les différents mouvements familiaux sont appelés à s’unir dans cette fédération chargée de la représentation des familles auprès des pouvoirs publics. La fédération nationale est relayée dans chaque département par une fédération départementale. En 1945, malgré certaines contestations, cette vision corporatiste de la représentation familiale est reprise par l’ordonnance du 3 mars 1945. A la fin des années 50, les associations familiales ouvrières quittent l’UNAF pour y revenir au milieu des années 1975 sous le nom de CSF (Confédération syndicale des familles). La Confédération nationale du logement quittera, elle, l’UNAF de façon définitive. Aujourd’hui, l’UNAF compte plus de 300 000 familles adhérentes et regroupe quelque 65 mouvements familiaux, comme : Familles rurales, Familles de France, la Confédération syndicale des familles... L’UNAF reçoit une dotation de 25 millions d’euros de la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF). Elle en reverse 5% aux associations familiales nationales. Le financement public va donc pour 95 % aux UDAF et à l’UNAF, qui se contentent de comptabiliser les adhérents des associations de terrain et « d’assurer la représentation des familles », c’est à dire de faire du lobbying auprès des pouvoirs publics.

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ment de la durée pendant laquelle les parents reçoivent des aides une fois que les enfants ont quitté le domicile familial. Rémy Guilleux, président du département Enfance-jeunesse pour l’UNAF, ne mâche pas ses mots : « Nous nous

«

Le gros des troupes des syndicats est composé de parents ou de grands-parents soucieux de défendre leurs intérêts »

opposons formellement aux propositions de financement évoquées et surtout, en corollaire, à l’exclusion des jeunes du périmètre familial pour le calcul des allocations, prestations et droits fiscaux. » La réduction des aides à la famille constituerait en effet un revirement de taille dans la politique publique française. Depuis la Libération, les familles ont toujours été au coeur des dispositifs d’aide aux jeunes adultes. Allocations familiales, bourses d’études sur critères de ressources des parents, réductions d’impôts (demi-part fiscale)... Les parents sont considérés comme les soutiens financiers de leurs enfants, ils sont chargés de financer la vie des jeunes adultes jusqu’à ce qu’ils gagnent eux-mêmes leur vie.

Absence de contrepoids

Mais ce qui correspondait à une volonté forte d’encourager la natalité, se manifeste aujourd’hui à la fois comme un puissant vecteur de reproduction des inégalités, et comme un frein à l’émancipation des jeunes.Les propositions de Martin Hirsch et des commissions, rassemblées dans le Livre Vert, ont été remises à Nicolas Sarkozy. C’est maintenant au chef de l’Etat et au Parlement de décider de l’application ou non de ces propositions. Le Haut commissaire aux solidarités actives, a priori soutenu dans sa démarche par le président de la République, va-t-il réussir à imposer ses vues ? Selon Yannick Miel, chargé de mission au Hautcommissariat à la jeunesse, c’est très peu probable. L’UNAF exerce un lobbying très efficace auprès du gouvernement et des parlementaires de gauche comme de droite pour faire abandonner ce projet (voir infographie). On sait déjà quel sera le verdict : pas touche aux aides à la famille. S’ils peuvent être intellectuellement séduits par l’idée de favoriser l’autonomie des jeunes, les députés ne peuvent absolument pas se permettre de s’opposer aux associations familiales. L’UNAF se montre relativement discrète sur le plan national. Elle n’a pas de leader charismatique qui aimante les médias, pas de budget pour financer des campagnes de communication, mais elle bénéficie d’un maillage territorial sans égal. Contrairement aux syndicats qui sont organisés en fédérations professionnelles de branches, l’UNAF possède une structure départementale. Et quand les syndicats sont divisés, l’UNAF présente un front toujours uni. De fait, les UDAF (Unions départementales des associations


Les associations familialistes pèsent davantage que les partisans de l’autonomie, et parviennent mieux à recueillir le soutien des partis politiques.

familiales) possèdent un poids électoral redoutable au niveau de chaque circonscription. Mais surtout, il n’y a pas de véritable contrepoids au positionnement familialiste de l’UNAF. L’UNEF (Union nationale des étudiants de France) et la FAGE (Fédération associations générales étudiantes) se cantonnent aux étudiants. Les syndicats de salariés adoptent eux une position ambiguë. A priori, ils sont favorables aux mesures allant dans le sens de l’égalité sociale. Mais les jeunes, surtout sans emploi, ne pèsent pas lourd dans leurs adhérents. Pour Thiébaut Weber, secrétaire confédéral en charge de la jeunesse pour la CFDT : « Le gros des troupes des syndicats est composé de parents ou de grands parents, soucieux de défendre leurs avantages. » Ils s’opposent donc à une réduction des allocations familiales.

La médiatisation, un moyen alternatif En somme, comme le résume Yannick Miel, du Hautcommissariat à la jeunesse : « Les jeunes adultes majeurs non étudiants et pas encore salariés ne sont représentés par personne. » C’est ce triste constat qui a amené des stagiaires exploités à fonder en 2005 le collectif Génération précaire. Diplômés, il ne trouvaient pourtant pas d’emploi et se voyaient contraints à enchaîner des stages. De leur côté, les entreprises profitaient de cette main d’œuvre

qualifiée, docile et gratuite pour ne pas embaucher. Tout le monde était au courant de cette situation, mais ni les syndicats étudiants ni les syndicats de salariés ne se sentaient concernés par ces stagiaires « entre deux ». « La grande faiblesse des jeunes entre les études et l’emploi, c’est qu’ils sont isolés, explique Ophélie Latil, de Génération précaire. On ne peut pas créer un syndicat avec une population aussi mouvante qui n’a aucun moyen de rentrer en contact les uns avec les autres. » Faute de pouvoir créer un syndicat de masse représentatif, Génération précaire s’est concentré sur l’action médiatique. A quinze, ils ont réussi à attirer l’attention sur eux et à s’imposer comme des partenaires de négociation auprès des ministères. Tout en percevant les limites de ce fonctionnement. « La com’, ça marche contre les ministres, parce qu’ils sont sous le feu médiatique. Mais que peut-on faire face à l’UNAF, qui possède des ramifications dans chaque commune, auprès de chaque député ? » s’inquiète Julien Bayou, cofondateur du collectif. Car, entre médiatisation et réseau, le rapport de forces semble bien ancré en faveur des organisations familiales.

Pour en savoir + - les lobbies : www.unaf.fr www.unef.fr www.generation-precaire.org

- les institutions : www.lagenerationactive.fr www.injep.fr www.jeunes.gouv.fr

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S O C I ET E

La Scientologie travaille

son image

L’Eglise de Scientologie, largement critiquée dans les années 1990 pour ses méthodes extrêmement agressives en France, a lentement changé de stratégie d’influence en s’appuyant sur des organisations internationales et en changeant de discours. Ses techniques favorites : se victimiser, se crédibiliser et se légitimer.

A

oût 2004. Nicolas Sarkozy, alors ministre des Finances, rencontre à Paris la star hollywoodienne, Tom Cruise. Problème : celui qui jouait Maverick dans Top Gun est, depuis déjà plus de vingt ans, membre de l’Eglise américaine de Scientologie. Mieux que cela, il a largement contribué financièrement à son expansion et se sert de son image d’icône du cinéma pour vanter les mérites de cette religion. Créée par Ron Hubbard, elle est toujours considérée comme une secte en France depuis le rapport de la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS) de 1995. Face aux levées de boucliers des associations anti-sectes, l’entourage de Nicolas Sarkozy assure qu’il a uniquement été question de « relations franco-américaines et de cinéma » lors de cet entretien. Peu importe, Tom Cruise et les scientologues ont rempli leur objectif : faire parler de leur religion en se servant de l’image d’une star internationale. Du prosélytisme à l’échelle planétaire. Cet épisode pourrait résumer presque à lui seul le renouveau du lobbying de la Scientologie. Aux vieilles méthodes d’infiltration, d’entrisme dans les sphères de décisions de l’État, de menaces et de pressions sur ses ennemis, la religion d’Hubbard préfère désormais une stratégie d’image,

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par

Bertrand Volpilhac

censée lui accorder une certaine respectabilité auprès de l’opinion publique. Son lobbying ne se fait plus seulement en coulisses, il est désormais public, visible, et parfaitement assumé. Bref, il est devenu professionnel. En France, Serge Faubert, auteur du livre Une secte au cœur de la République : les réseaux français de l’Eglise de Scientologie, date ce virage de l’année 1996, année du procès de la scientologie de Lyon. « Il y a , depuis 1996 et le grand procès contre la Scientologie de Lyon [ndlr : l’Eglise est poursuivie après le suicide d’un de ses adeptes], un recentrage de l’activité d’infiltration de la secte ». Un changement de cap « contraint et forcé » selon Serge Faubert, « ce procès marquant véritablement le creux de la vague pour eux ». Placée sur la liste noire des sectes, mise en danger judiciairement, la religion de la rue Legendre doit remettre en question ses méthodes. Roger Gonnet, créateur de la branche lyonnaise de la Scientologie et désormais militant anti-sectes, se souvient : « Nous sautions sur toutes les occasions possibles pour maltraiter nos ennemis, cela faisait partie des besoins à remplir... Tous les moyens étaient bons. » Avant de décrire : « L’objectif étant de convaincre un député, une secrétaire ou un ministre pour avoir accès à certaines données. » Dans son livre, Serge Faubert évoque, entre autres,


Les ONG, cheval de Troie de la Scientologie ? Certaines d’entre elles, comme Human rights without frontiers, défendent la liberté de culte... Mais, dans les faits, c’est l’église de Ron Hubbard qui profite de leur influence.

Le centre français de Scientologie, rue Legendre, dans le 17ème arrondissement de Paris. © AFP Photo Loïc Venance 1 l’existence de taupes scientologues infiltrées au sommet de l’Etat. Arnaud Palisson, ancien des Renseignements Généraux (RG) et auteur d’une thèse sur la Scientologie, confirme : « Pendant le procès de Paris, un tome et demi du dossier d’instruction a disparu... » La Scientologie réfute ces informations. Elles ne sont pourtant pas sans rappeler l’immense opération dite « Snow White », lancée par les scientologues américains dans les années 1970 pour faire disparaître tous les dossiers défavorables à leur Eglise. Des organismes gouvernementaux, ambassades ou consulats ont ainsi été infiltrés et se sont vu dérobés de nombreux docu2 ments précieux concernant la religion d’Hubbard . Lors de perquisitions liées à cette affaire, le FBI a par ailleurs découvert dans les bureaux scientologues des dossiers sur les ennemis potentiels de l’Eglise. Des documents ad hominem que Roger Gonnet explique : « Les ennemis de la Scientologie étaient clairement ciblés. Comme ce fut le cas à l’époque pour Georges Fenech [ndlr : aujourd’hui président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), il était le juge d’instruction à l’origine de plusieurs affaires concernant la Scientologie dans les années 1990, notamment lors du procès de Lyon de

1996]. La Scientologie s’en prend directement aux personnes en cherchant leurs faiblesses, en prônant les attaques personnelles. »

Un lobbying offensif A cause de ces procédés, l’organisation est épiée, critiquée et souvent attaquée. Jusqu’en 1996, la Scientologie était sur la défensive. « Petit à petit, les scientologues changent de discours, deviennent un peu moins agressifs et commencent à travailler le lobbying international », note Serge Faubert. Le lobbying devient alors offensif. « L’idée est de faire apparaître la France comme un bastion obscurantiste dans un océan de tolérance, poursuit-il, comme un pays où la liberté religieuse est martyrisée. » Pour cela, la Scientologie s’allie à d’autres minorités religieuses, en France – Raël, Témoins de Jéhova – ou à l’étranger – Moon. A chaque fois que le gouvernement ou le Parlement propose une nouvelle commission d’enquête sur les sectes, comme en 2006, elle dénonce la « lutte acharnée […] contre les nouvelles religions », qui serait une véritable « chasse aux sorcières ». « On dit que l’Europe est bâtie sur la non-discrimination, mais nous sommes discriminés en France comme nulle

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part ailleurs, enrage Danièle Gounord, porte-parole de la Scientologie en France. Les gens sont foncièrement anti-religieux. L’exemple le plus frappant est celui du Grand Orient de France, qui refuse même de nous parler. Il y a des lobbies anti-religieux ». « Une histoire culturelle » selon elle, qui explique l’acharnement de la France à mener une « répression totale », notamment sur les « DVD, émissions de télévision et campagnes de communication faites pour changer la société », conçus par la Scientologie. S’abritant derrière les droits de l’Homme et la liberté de religion, cette coalition de sectes est très écoutée, notamment aux États-Unis. Tous les ans, le rapport du Département d’Etat américain sur la « liberté religieuse dans le monde » et sur les « droits de l’Homme » stigmatise la politique française envers les mouvements sectaires. Ses principales cibles : la Miviludes, les commissions parlementaires et les associations de défense des victimes – UNADFI (Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes) et CCMM (Centre contre les manipulations mentales) en tête. « Il y a une action de lobbying aux Etats-Unis, où la Scientologie avance à drapeau déployé, avec notamment les figures de Tom Cruise ou John Travolta. Grâce à cela, le département d’Etat américain s’émeut tous les ans des misère faites à la Scientologie en France », analyse Serge Faubert. A l’origine de ces tentatives d’influence, on trouve des organisations non gouvernementales (ONG), qui le plus souvent ne se réclament d’aucune religion mais soutiennent la liberté de culte. La plus connue est sans doute Human Rights Without Frontiers (HRWF), qui se dit « indépendante de tout mouvement politique, idéologique ou religieux », mais dont un rapport de la Miviludes de 2007 indique « qu’elle s’applique depuis plusieurs années à dénoncer les agissements de la France dans la lutte contre les dérives sectaires ». Il en va de même

pour la Fédération Internationale Helsinki pour les Droits de l’Homme (FIH), ou encore l’Institute on Religion and Public Policy (IRPP).

Influence à l’ONU et à l’OSCE Evidemment, les religions minoritaires comme la Scientologie rejettent toute affiliation avec ces associations, qui sont leurs principaux défenseurs. « Nous leurs fournissons des informations, après ils en font ce qu’ils veulent, plaide Danièle Gounord. Mais ils ne sont pas du tout scientologues, ils sont simplement des canaux de communication contre les discriminations. » Lorsqu’il était encore président de la MILS, Alain Vivien avait déclaré, dans une interview donnée au Figaro en 2000, que l’ONG d’Helsinki, IHF, avait été « infiltrée » par des sectes « transnationales », et en particulier la Scientologie. Le lien n’a jamais pu être prouvé et l’association n’a pas tardé à répondre à l’ancien numéro un de la MILS pour nier ces accusations. Généralement, ces ONG sont accompagnées par des scientifiques ou des universitaires qui font la part belle aux minorités religieuses. Ainsi, en France, le représentant d’HRWF est Régis Dericquebourg, un universitaire lillois, sociologue des religions. Dans son dernier article posté sur son blog per3 sonnel , il assure que la France mène la « guerre aux sectes » : « La France fait exception dans la lutte contre les groupes religieux minoritaires. En effet, alors qu’en Occident celle-ci marque le pas (avec notamment la dissolution du CAN américain [ndlr : ancienne association de victime], elle reste vive en France et elle prend même actuellement de l’ampleur. » Un discours victimisateur aussi défendu devant le Bureau des Institutions démocratiques des droits de l’Homme (BIDDH), à Varsovie, comme le décrit une enquête menée

Le Département d’Etat américain stigmatise la politique française envers les sectes

Un membre des RG trop bien renseigné

«A

l’époque, Nicolas Sarkozy était déjà en campagne. Il cherchait à ne déplaire à personne et avait l’ambition de se mettre les minorités religieuses dans la poche. » Arnaud Palisson explique avec pragmatisme la raison qui a poussé Nicolas Sarkozy à le démettre de ses fonctions. Entré à la direction centrale des renseignements généraux (RG) en 1998, Arnaud Palisson se spécialise dans la surveillance de la Scientologie. En 2002, il soutient sa thèse de droit pénal sur la secte, qu’il pu-

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blie sur Internet en novembre, avec l’aide de son ami Roger Gonnet. « Pour éviter qu’elle ne disparaisse de l’étagère d’une bibliothèque. » Une mention très honorable et des félicitations du jury lui sont décernées, au même titre qu’une « mise au placard ». Ses écrits, très vindicatifs envers la Scientologie, dérangent, et l’Eglise écrit au ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy. Ce dernier souhaite avant tout « une approche douce des sectes », comme le dit Arnaud Palisson, « ne pas faire de va-

gue ». Face aux plaintes répétées de la Scientologie, Claude Guéant, alors directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, pose un ultimatum à Arnaud Palisson : ou il retire sa thèse du web, ou il ne fait plus partie des RG. Arnaud Palisson décidera finalement de laisser sa thèse sur Internet et sera « réaffecté temporairement » dans un service où il se « tournera les pouces durant quatre mois » avant de démissionner. Il travaille aujourd’hui dans le privé à Montréal.


par la Miviludes en 2007. « Le BIDDH est la principale institution chargée de la promotion des droits de l’Homme et de la dimension humaine dans l’espace OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe). La conférence annuelle fait le bilan de la mise en œuvre des enga-

«

Les portes ne nous sont pas ouvertes »

gements pris par les pays participants dans ces domaines, afin d’en dégager des orientations [...] Toute ONG, quelle qu’elle soit, est libre de s’exprimer autant de fois qu’elle le souhaite [...] Les mouvements sectaires et leurs alliés, on le sait, aiment à porter le débat sur le terrain de la liberté religieuse pour mieux renverser les rôles et se positionner comme les victimes des atteintes à cette liberté. » Le rapport de 2008 de la même Miviludes décrit des agissements similaires devant l’Organisation des nations unies, à New-York. Des ONG françaises, moins puissantes que celles précédemment citées, y participent également. On peut ainsi citer la Coordination des associations et particuliers pour la liberté de conscience (CAPLC), le Centre d’Information et de Conseil des Nouvelles Spiritualités (CICNS), ou encore la Coordination des associations et particuliers pour la liberté de conscience (CAP). S’ériger en victime, gagner en crédibilité à l’aide d’un lobbying assumé et de grands noms, et enfin se légitimer, à l’aide notamment de programmes comme Narconon – pour le traitement des toxicomanes – ou Criminon– pour réhabiliter les personnes incarcérées. Ou encore en se montrant devant les caméras de télévision en train de déblayer des ruines, lors du Tsunami en Asie du Sud-Est de 2004 ou du récent tremblement de terre à Haïti. Voilà en trois temps le nouvel agenda des lobbies pro-Scientologie. Ces efforts ne restent pas impayés. Deux sénateurs américains, convaincus par le lobbying de la Scientologie et des religions « proches », sont ainsi venus voir eux-mêmes la députée Christine Picard pour qu’elle retire son projet de loi sur « la prévention et la répression des mouvements sectaires, portant atteinte aux droits de l’Homme et aux libertés fondamentales ». Mais les députés français sont plus difficilement influençables que les membres du Congrès américain et la loi About-Picard fut adoptée en 2001. Pour Serge Faubert, cette « stratégie internationaliste vient aussi du fait que les tentatives d’infiltrations en France ne fonctionnent plus. Le lobbying à l’Assemblée nationale ne paye pas. » « Les portes ne nous sont pas ouvertes, regrette quant à elle Danièle Gounard. Quand vous voulez rencontrer un député, votre nom se trouve sur le registre de l’Assemblée et les RG se font fort de transmettre l’information que la Scientologie approche les parlementaires. On stigmatise ceux, et il y en a, qui voudraient discuter avec nous, et ainsi ils se retiennent. » Ce qui, selon la porte-parole de la secte d’Hubbard en France, explique aussi pourquoi, à l’inverse des Cruise, Beck ou Hayes

américains, aucune star française ne s’est dite scientologue. Pour autant, l’affaire de l’alinéa perdu en 2009 a ravivé la question de l’infiltration scientologue dans les sphères de l’Etat, et plus particulièrement à la Chancellerie. Jugée pour escroquerie en bande organisée, l’Eglise de Scientologie française a bénéficié de la suppression dans un texte de loi d’un alinéa empêchant toute « dissolution d’une organisation » pour ce même motif d’escroquerie en bande organisée (voir ci-dessous l’enquête de Là-bas si j’y suis). De nombreux adversaires de la secte d’Hubbard y ont vu le fait d’un lobbying auprès de parlementaires et d’un certain retour de l’entrisme. Officiellement, Jean-Luc Warsmann, rapporteur de cette loi, parle d’erreur humaine, d’un mauvais copié-collé. Pour Arnaud Palisson, il est possible que cette affaire soit « commanditée ». « La façon dont cela a été fait n’incite pas à croire à l’erreur de copié-collé. » Des doutes partagés par Serge Faubert : « Au mieux, il s’agit d’une négligence, au pire... il y a beaucoup de doutes. » « Cette affaire aura au moins le mérite de réveiller les organismes chargés de la surveillance de la Scientologie », remarque Arnaud Palisson. Cet ancien des RG regrette la « désorganisation de la lutte » anti-sectes en France. Pour Serge Faubert, c’est d’ailleurs « depuis qu’Arnaud Palisson est parti que la garde est baissée. Quant à l’OCRVP (Office Central pour la Répression des Violences aux Personnes, nouvel organisme d’enquête sur les sectes), il lui faudra plusieurs années avant d’être efficace ». Arnaud Palisson avait été débarqué, en 2002, de la section « sectes » des RG par Claude Guéant et Nicolas Sarkozy, alors qu’il refusait de retirer sa thèse d’un site internet, malgré les demandes de la Scientologie (voir encadré). « A l’époque, Nicolas Sarkozy était déjà en campagne. Il cherchait à ne déplaire à personne et avait l’ambition de se mettre les minorités religieuses dans la poche », résume ce dernier. Profiter du contexte politique, comme ici, et être capable de changer ses stratégies d’influence, la Scientologie semble avoir su s’adapter à l’adversité. Un choix gagnant : elle est aujourd’hui installée dans le paysage religieux français. 1- Serge Faubert : Une secte au cœur de la République : les réseaux français de l’Eglise de Scientologie, Calmann-Lévy, 1993, pages 15 à 51 2- http://www.voltairenet.org/article7250.html 3- http://www.regis-dericquebourg.com/

Pour en savoir + - sites internet : www.la-bas.org/article. php3?id_article=1811

www.miviludes.gouv.fr www.osce.org/publications/ odihr/2009/02/13555_54_ fr.pdf

- études et rapport : http://www.miviludes. gouv.fr/IMG/pdf/Miviludes_Rapport_2008.pdf www.antisectes.net/thesedroit.htm

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football

Les télés changent

le score

Malgré des débuts conflictuels, les chaînes investissent aujourd’hui plusieurs centaines de millions d’euros pour se payer chaque année le spectacle du football. Fédérations et clubs ne peuvent plus vivre sans l’argent des diffuseurs. Tout-puissants, ces derniers interviennent jusque dans la sphère sportive.

E

n 1927, Ernest Chamond prophétise que le football deviendra le plus grand spectacle télévisé. Intuition payante du président de la Compagnie des compteurs qui pressentait déjà les futurs intérêts communs entre le sport le plus populaire au monde et les chaînes de télévision, toujours à la recherche de nouvelles sources de recettes. Comment lui donner tort en observant les records d’audience de la télévision française. Le 5 juillet 2006, la demi-finale de la Coupe du monde de football entre la France et le Portugal est suivie par 22, 2 millions de téléspectateurs. Un score qui détrônait deux finales victorieuses de la France, face au Brésil en 1998 (20,6 millions) et lors de l’Euro 2000, face à l’Italie (21,4 millions). La télévision française doit ses trois meilleures audiences au football. Pourtant, les relations originelles entre la télévision française et le football ont été houleuses. Le 4 mai 1952, la France ouvre son antenne pour la première fois au football en programmant la finale de la Coupe de France. Mais, une première crise éclate dès décembre 1954 : la Fédération française de football (FFF) ordonne le blocage des retransmissions. La télévision réplique en ne donnant plus les résultats des rencontres. Seules les finales de la Coupe de France sont retransmises en 1955, 1956 et 1957. Même situation en Angleterre où les clubs anglais repoussent en 1956 une offre d’ITV à hauteur de 40 000 livres pour retransmettre en direct la seconde période des 35 matches de la saison. Les dirigeants du football français redoutent que la télévision ne retienne les supporters dans leur sa-

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par Ioris

Queyroi

lon. Ils s’inquiètent d’une importante baisse de l’affluence dans les stades et d’une chute des recettes de billetterie, la ressource financière première des clubs. Le 29 décembre 1956 est retransmis, pour la première fois, une rencontre en direct du championnat de France de Division 1 : Stade de Reims contre Metz. Pour contrecarrer tout refus, l’ORTF décide de payer au club rémois qui accueille la rencontre, la différence entre la recette du jour et la moyenne de ses recettes de billetterie. Le mouvement est enclenché. À la recherche de financements, les autorités du football français ouvrent, à partir de 1964, leurs stades aux caméras. Un accord est trouvé : chaque mois, deux matches du championnat sont diffusés en direct, plus trois rencontres de la Coupe de France, dont la finale. Le montant du dédommagement par match versé au club recevant est fixé à 50 000 francs (7 620 euros). L’éclatement de l’ORTF en chaînes indépendantes provoque un début de concurrence positive pour le football. L’épopée stéphanoise de 1976 exacerbe la rivalité entre TF1 et Antenne 2. Un tirage au sort est organisé pour attribuer la retransmission de la rencontre des Verts. A l’occasion de la finale de la Coupe d’Europe des Clubs Champions opposant l’AS Saint-Etienne au Bayern Munich, TF1, à l’image du pays, se met au « vert ». Patrons de chaînes, présidents de clubs, dirigeants de fédérations prennent dès lors conscience de l’incroyable et lucrative puissance du football. Tous en sont convaincus : le football professionnel a un bel avenir télévisuel. Les mesures d’audience sont à l’époque aléatoires mais ce match a


constitué, sans aucun doute, l’une des meilleures audiences de tous les temps de la télévision française. Dans la foulée du championnat d’Europe des Nations remporté en 1984 par l’équipe de France, TF1 lance une OPA sur les matches de la sélection nationale, la locomotive du football tricolore. TF1 veut s’afficher clairement comme « la chaîne foot numéro une ». C’est sans compter sur Canal Plus qui lance ses programmes le 4 novembre 1984. Présentée à l’origine comme la chaîne du cinéma, elle se mue rapidement en spécialiste éclairée du ballon rond. Seulement cinq jours plus tard, la quatrième chaîne diffuse son premier match. Avec cinq caméras présentes sur le terrain, Canal Plus amorce la révolution de la retransmission sportive à la télévision. En 1984, Canal Plus verse 250 000 francs (38 110 euros) par match pour 200 000 abonnés. Ce montant est indexé sur le nombre d’abonnements : plus la quatrième chaîne en compte, plus le coût d’une retransmission est élevé. En 1984, TF1 et Canal Plus ont versé au football français près de 65 millions de francs (9,9 millions d’euros) de droits de diffusion. Les sommes en jeu deviennent considérables. Ce n’est qu’un début. Les premiers signes de l’ingérence des télévisions se manifestent au moment de la Coupe du monde organisée par le Mexique en 1986. En dépit d’une chaleur étouffante, éprouvante pour les organismes des footballeurs, les matchs sont disputés en début d’après-midi pour assurer en Europe des diffusions en prime-time. La Ligue de football professionnel (LFP) en charge de la gestion du championnat, et la Fédération française de football (FFF), qui s’occupe de l’équipe de France vont profiter de la concurrence que se livrent TF1 la privatisée et Canal Plus l’émergente. Les deux entités dirigeantes du football français se passent de l’arbitrage de l’ex-Haute Autorité de l’audiovisuelle et fixent dorénavant elles-mêmes les règles prévalant pour l’acquisition des droits télévisés. L’ère du dédommagement est mort. Bienvenue à l’appel d’offres qui fera bientôt la fortune du football tricolore.

La bataille entre chaînes remplit les caisses

Selon Eric Maitrot dans son livre « Sport et Télé, les liaisons secrètes », plus de 200 millions de francs (30,49 millions d’euros) rentrent en 1987 dans les caisses du football français grâce aux nouveaux accords signés avec les diffuseurs. Canal Plus compte alors 1,8 million d’abonnés et doit à présent débourser entre 2 et 3 millions de francs (300 000 et 450 000 euros) pour chaque rencontre diffusée de Division 1. Quant à TF1, il dépense un million de francs (150 000 euros) pour chaque numéro du magazine hebdomadaire TéléFoot. Le prix de retransmission de la finale de la Coupe de France s’envole. Il passe de 800 000 à 7 millions de francs. Sur les 200 millions de francs engrangés pour la diffusion de saison 1987-1988, 36 sont pour la Fédération et 164 pour la Ligue de football professionnelle. Cette dernière redistribue à chaque club de Première Division, 1,5 million de francs (229 000 euros) contre 1,3 pour les équipes de Division 2 (198 000 euros). Dès lors, la part des recettes issues des droits TV dans les budgets des clubs professionnels devient énorme. Les entrées guichet concentrent, en 1975 et 1976,

80% des recettes du football professionnel, le reste provient des subventions municipales (19%) et des balbutiements du sponsoring (1%). En 1995, les spectateurs ne génèrent plus que 16% des revenus des clubs contre 20% de droits TV, 20% de recettes de sponsoring, 15% de subventions municipales et 15% d’indemnités de transfert. En 2005, d’après le cabinet Deloitte and Touch, les droits TV constituent 49% du budget de l’Olympique lyonnais, champion de France cette année-là. Une manne indispensable pour recruter des joueurs de niveau mondial et réaliser un meilleur parcours en Ligue des Champions.

Canal Plus, le grand argentier

Pour regarder les rencontres diffusées en direct le dimanche soir ainsi que le multiplex des 1er, 20e, 37e et 38e journées, le téléspectateur amateur de ballon rond doit s’abonner impérativement à Canal Plus. Son influence présumée dans le paysage footballistique français est à corréler avec la part croissante des droits TV dans le budget des clubs de Ligue1. Depuis les années 2000, ce pourcentage a explosé. Il oscille aujourd’hui autour de 50% contre 1% en 1980 et 23% en 1990. Grand argentier de la Ligue 1, Canal Plus aurait un droit de regard sur les décisions de la LFP. Comme au moment du report de l’affiche Marseille-PSG où la chaîne a demandé à la Ligue que soient pris en compte « les intérêts des abonnés de la chaîne ». Ce match à fort potentiel médiatique a été diffusé un vendredi soir, en prime time. Un jour autrement porteur en terme d’audience que les mercredis ou jeudis qui servent habituellement de secours. Codétenteur avec Orange de l’exclusivité du championnat de France de Ligue 1 pour 460 millions d’euros par an, la volonté de Canal Plus a été entendue. La qualification de l’équipe de France obtenue à l’arraché pour la Coupe du monde 2010, a soulagé les diffuseurs de la compétition. Et principalement TF1, partenaire officiel des Bleus qui a déboursé en 2005, 120 millions d’euros pour acquérir l’exclusivité des 64 rencontres de la compétition. Sans une qualification des joueurs de Domenech, TF1 aurait perdu beaucoup d’argent. Frappée par une baisse sensible de ses recettes publicitaires, la Une a dû revendre une partie de ses droits. Elle a rétrocédé 37 des 64 matches à France Télévisions et Canal Plus. Selon L’Equipe, cette cession partielle rapporterait environ 33 millions d’euros à TF1 (25 versés par le groupe public et 8 par la chaîne cryptée). Autant dire qu’à ce prix les deux chaînes n’auront pas la meilleure part du gâteau. En effet, la Une conserve outre l’exclusivité des cérémonies d’ouverture et de clôture, la diffusion en direct de 27 matches, dont le match d’ouverture, tous les matches de l’équipe de France, les deux demi-finales, le match pour la troisième place, et la finale. Absente depuis douze ans de la Coupe du monde, France Télévisions assurera la diffusion de 34 matches en direct sur France 2 et France 3. De son côté, Canal Plus retransmettra les 64 matches de la compétitionmais seulement une dizaine en prime time et 8 en exclusivité. Si l’équipe de France s’impose, le spot de pub de 30 secondes diffusé avant la remise du trophée coûterait au premier annonceur de l’écran publicitaire autour de 350 000 euros. Un record. LOBI - Avril 2010

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NUAG E S D E TAG S

Les mots du lobby En atelier d’écriture, les jeunes journalistes ont sondé leur imaginaire autour du lobby. Ils ont pu comparer leur perception avant et après leur enquête, à six mois d’intervalle.

L

e 9 octobre 2009. Les vingt-deux étudiants sont réunis pour le premier atelier d’écriture. Le thème de leur prochaine enquête se détache du tableau : LOBBY. Chacun se concentre sur le mot sans chercher à le définir. Il n’est pas question de contrôler leurs connaissances, plutôt d’explorer leur imaginaire. Commençons par la géographie. Où se situerait le lobby ? Réponses : « à Washington », « à Genève », « à Bruxelles » Paris, rayé de la carte. Le lobby ne serait pas français. Et à quelle époque vivrait-il ? « Aux XXe et XXIe siècles » Nous voici bien, en revanche, face à un sujet d’actualité. Alors poursuivons ce jeu métaphorique ! Quel serait le sexe du lobby ? « Masculin, à 100% » Le lobby aurait trait à la force, à la rationalité, à l’organisation, au pouvoir. S’il avait une couleur ? A l’unanimité, « le noir ». La nuit, la mort, le Mal. Brrr, le lobby fiche la trouille. Enfin, s’il était un animal ? « Un renard » ou « une pieuvre », hésitent les étudiants. Ruse sauvage ou puissance tentaculaire. Cette mythologie ne nous rassure pas davantage. Rien d’étonnant au fond car, en France, le lobby conserve une connotation négative. Là où un Américain se déclare fièrement membre d’un lobby, un Français s’offusque et en appelle à son titre de « conseiller » Deux traditions politiques s’opposent, Tocqueville versus Rousseau. Pour nous, la défense d’intérêts particuliers ne peut que menacer l’intérêt général. Aussitôt le mot est lâché, « antidémocratique » Le principal défaut du lobby, selon les jeunes journalistes. Parmi ses tares, le lobby compte l’« art de la persuasion » C’est aussi sa plus grande qualité… Normal, il affectionne l’ambiguïté. Mais arrêtons-nous un instant et soufflons comme ils viennent tous les mots que LOBBY nous évoque [voir tags ci-contre]. De ce fatras, plusieurs champs sémantiques se dégagent : le regroupement, la stratégie, la rhétorique, le pouvoir, la manipulation, le mystère, la criminalité même. Six mois après. Les étudiants ont fini de travailler sur 98

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par

Maya Blanc

leur enquête. Les 26 février et 11 mars 2010, les deux groupes participent aux derniers ateliers d’écriture. Le mot LOBBY s’expose au tableau et, à nouveau, les mots se tissent [ voir les tags ]. On retrouve les champs sémantiques relevés en octobre. L’image inquiétante du lobby résiste, à deux nuances près. « D’autres termes apparaissent. Plus concrets, ils désignent les institutions et surtout, les méthodes des lobbies », remarquent les étudiants du groupe 2. « Il y a toujours l’idée d’un monde entre deux mais avec moins d’images négatives. Cette fois, l’accent est mis sur l’expertise, ajoute le groupe 1. Avant d’être stratèges, les lobbies maîtrisent des dossiers pointus. Ils ne manipulent pas pour manipuler. »

Dixit le dico Une plongée dans Le Petit Larousse 2009 nous apprend que le lobby est synonyme de « groupe de pression ». Plus précisément, « une structure dont se dote une communauté aux intérêts ou convictions semblables. » Pour faire quoi ? « Pour influencer les pouvoirs publics à son avantage. » Comment ? « Notamment par des campagnes d’opinion. »

Anglicisme En anglais, lobby désigne à la fois un « couloir » et un « groupe de pression ». Il faut remonter au XIXe siècle pour comprendre ce glissement sémantique. En Grande-Bretagne, dès 1830, des pétitionnaires venaient échanger avec les députés dans les couloirs -les lobbies- de la Chambre des Communes. Puis le terme traversa l’Atlantique. Le président américain Ulysse Grant, élu en 1868, fréquentait les salons du luxueux hôtel Willard à Washington. Dans le salon du rez-dechaussée -le lobby-, il donnait rendez-vous à ceux qu’il appelait… les lobbyists. Des représentants convoitant ses faveurs pour défendre les intérêts de leur groupe.


Avant

Après

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Pratique

petit manuel de l’aspirant lobbyiste Lorsqu’on aspire à devenir un bon lobbyiste, mieux vaut avoir le don d’ubiquité. Entre méthodes classiques et procédés personnalisés, ce caméléon de l’argumentaire doit être doté de multiples compétences pour arriver à ses fins. par evelyne orman

Fréquenter les décideurs. Processus de décision

oblige, le lobbyiste se doit d’être un animal politique. S’adaptant aux calendriers exécutif et législatif, il fait de la veille et guette les occasions pour rencontrer les bons interlocuteurs. Se déplaçant seul ou en groupe, il rédige des textes à l’argumentation irréprochable, des livres blancs envoyés aux ministères pour défendre sa cause. Souvent bon orateur, il mène des meetings et des conférences devant des élus en quête d’information. A l’image de l’association AN2V (Association nationale des villes vidéosurveillées), instigateurs des Assises nationales de la vidéosurveillance, d’ailleurs parainées par le ministère de l’Intérieur.

Travailler la dialectique. Plus que les actes, face

Produire des expertises transversales. Un lobbyiste efficace est

pied face aux puissants, propices à évincer les petites structures, mieux vaut tenter de convaincre par la force du nombre. C’est l’une des solutions choisies par la Fédération nationale des cinémas français. Regroupant la totalité des syndicats des exploitants, ils maintiennent un contact régulier avec le ministère de la Culture sans s’inquiéter d’un quelconque concurrent. Du côté de l’Union européenne, la même stratégie est utilisée par de nombreuses représentations basées à Bruxelles, notamment celle de l’Assemblée des régions d’Europe, regroupant 270 régions européennes. Et pour ceux qui ne font pas du monopole un sacerdoce, reste la construction d’un réseau bien tissé à l’image de celui de l’UNAF (Union nationale des associations familliales), forte de 300 000 associations de familles adhérentes.

un professionnel de l’expertise à costume interchangeable, qu’il assume ce rôle en solo ou qu’il soit accompagné d’un cabinet de conseil. Juriste, il tente de changer les dispositions d’une loi qui ne lui convient pas ou de provoquer l’élaboration de nouvelles normes. Manches retroussées, ce scientifique averti légitime sa position à force de rapports et d’études. Mais derrière les bureaux des cabinets d’expertise, de nouveaux professionnels à compétences plus larges ont fait leur apparition. Investi dans la défense des intérêts des entreprises du transport aérien ou de l’univers numérique, le cabinet APCO Worldwide recrute aussi des journalistes, embauchés pour leur capacité à trouver les bonnes informations auprès des bonnes personnes. Communiquer tous azimuts. S’il n’arrive pas à atteindre son but ou s’il est en position de faiblesse 100

par rapport à ses concurrents, le lobbyiste doit s’assurer que son message soit bien entendu par l’ensemble de l’opinion publique. Sa stratégie sert son propos ou détruit celui de ses adversaires. Petit ou gros poisson, à lui de faire passer le message essentiel par le biais des médias. C’est ce qu’a fait l’APLI (Association nationale des producteurs de lait indépendants). Lors du Salon de l’Agriculture, cette petite structure a organisé des actions coups de poing relayées par les médias pour défendre un prix acceptable du lait.

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aux autres parties prenantes, les mots deviennent une arme redoutable. Pour avancer dans leur combat, le mouvement LGBT (Lesbian Gay, Bisexual and Transgendered people) a recours à la méthode « Métis » empruntée à la Grèce antique. Ils usent de palabres connotées dans un processus « d’intelligence pratique ». Ils ne sont pas pour l’homosexualité mais bien contre l’homophobie. Cette différence, loin d’être anodine, a pour avantage de susciter la sympathie auprès de l’opinion publique. Se rassembler pour mieux régner. Pour éviter de perdre


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P romo 2010


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