Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat. Le Sénat et la chambre des députés ont adopté, Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit : Titre Ier : Principes. Article 1 La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. Article 2 La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes. Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. Les établissements publics du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l’article 3. Titre II : Attribution des biens, pensions. Article 3 Les établissements dont la suppression est ordonnée par l’article 2 continueront provisoirement de fonctionner, conformément aux dispositions qui les régissent actuellement, jusqu’à l’attribution de leurs biens aux associations prévues par le titre IV et au plus tard jusqu’à l’expiration du délai ci-après. Dès la promulgation de la présente loi, il sera procédé par les agents de l’administration des domaines à l’inventaire descriptif et estimatif : 1° Des biens mobiliers et immobiliers desdits établissements ; 2° Des biens de l’Etat, des départements et des communes dont les mêmes établissements ont la jouissance. Ce double inventaire sera dressé contradictoirement avec les représentants légaux des établissements ecclésiastiques ou eux dûment appelés par une noti�ication faite en la forme administrative. Les agents chargés de l’inventaire auront le droit de se faire communiquer tous titres et documents utiles à leurs opérations. Article 4 Dans le délai d’un an, à partir de la promulgation de la présente loi, les biens mobiliers et immobiliers des menses, fabriques, conseils presbytéraux, consistoires et autres établissements publics du culte seront, avec toutes les charges et obligations qui les grèvent et avec leur affectation spéciale, transférés par les représentants légaux de ces établissements aux associations qui, en se conformant aux règles d’organisation générale du culte dont elles se proposent d’assurer l’exercice, se seront légalement formées, suivant les prescriptions de l’article 19, pour l’exercice de ce culte dans les anciennes circonscriptions desdits établissements. Article 5 Ceux des biens désignés à l’article précédent qui proviennent de l’Etat et qui ne sont pas grevés d’une fondation pieuse créée postérieurement à la loi du 18 germinal an X feront retour à l’Etat. Les attributions de biens ne pourront être faites par les établissements ecclésiastiques qu’un mois après la promulgation du décret en Conseil d’Etat prévu à l’article 43. Faute de quoi la nullité pourra en être demandée devant le tribunal de grande instance par toute partie intéressée ou par le ministère public. En cas d’aliénation par l’association cultuelle de valeurs mobilières ou d’immeubles faisant partie du patrimoine de l’établissement public dissous, le montant du produit de la vente devra être employé en titres de rente nominatifs ou dans les conditions prévues au paragraphe 2 de l’article 22. L’acquéreur des biens aliénés sera personnellement responsable de la régularité de cet emploi. Les biens revendiqués par l’Etat, les départements ou les communes ne pourront être aliénés, transformés ni modi�iés jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la revendication par les tribunaux compétents. Article 6 Les associations attributaires des biens des établissements ecclésiastiques supprimés seront tenues des dettes de ces établissements ainsi que de leurs emprunts sous réserve des dispositions du troisième paragraphe du présent article ; tant qu’elles ne seront pas libérées de ce passif, elles auront droit à la jouissance des biens productifs de revenus qui doivent faire retour à l’Etat en vertu de l’article 5. Les annuités des emprunts contractés pour dépenses relatives aux édi�ices religieux, seront supportées par les associations en proportion du temps pendant lequel elles auront l’usage de ces édi�ices par application des dispositions du titre III. Article 7 Les biens mobiliers ou immobiliers grevés d’une affectation charitable ou d’une toute autre affectation étrangère à l’exercice du culte seront attribués, par les représentants légaux des établissements ecclésiastiques, aux services ou établissements publics ou d’utilité publique, dont la destination est conforme à celle desdits biens. Cette attribution devra être approuvée par le préfet du département où siège l’établissement ecclésiastique. En cas de non-approbation, il sera statué par décret en Conseil d’Etat. Toute action en reprise, qu’elle soit quali�iée en revendication, en révocation ou en résolution, concernant les biens dévolus en exécution du présent article, est soumise aux règles prescrites par l’article 9. Article 8 Faute par un établissement ecclésiastique d’avoir, dans le délai �ixé par l’article 4, procédé aux attribu attributions ci-dessus prescrites, il y sera pourvu par décret. A l’expiration dudit délai, les biens à attribuer seront, jusqu’à leur attribution, placés sous séquestre. Dans le cas où les biens attribués en vertu de l’article 4 et du paragraphe 1er du présent article seront, soit dès l’origine, soit dans la suite, réclamés par plusieurs associations formées pour l’exercice du même culte, l’attribution qui en aura été faite par les représentants de l’établissement ou par décret pourra être contestée devant le Conseil d’Etat, statuant au contentieux , lequel prononcera en tenant compte de toutes les circonstances de fait. La demande sera introduite devant le Conseil d’Etat, dans le délai d’un an à partir de la date du décret ou à partir de la noti�ication, à l’autorité préfectorale, par les représentants légaux des établissements publics du culte, de l’attribution effectuée par eux. Cette noti�ication devra être faite dans le délai d’un mois. L’attribution pourra être ultérieurement contestée en cas de scission dans l’association nantie, de création d’association nouvelle par suite d’une modi�ication dans le territoire de la circonscription ecclésiastique et dans le cas où l’association attributaire n’est plus en mesure de remplir son objet. Article 9 1. Les biens des établissements ecclésiastiques. qui n’ont pas été réclamés par des associations cultuelles constituées dans le délai d’un an à partir de la promulgation de la loi du 9 décembre 1905, seront attribués par décret à des établissements communaux de bienfaisance ou d’assistance situés dans les limites territoriales de la circonscription ecclésiastique intéressée, ou, à défaut d’établissement de cette nature, aux communes ou sections de communes, sous la condition d’affecter aux services de bienfaisance ou d’assistance tous les revenus ou produits de ces biens, sauf les exceptions ci-après : 1° Les édi�ices affectés au culte lors de la promulgation de la loi du 9 décembre 1905 et les meubles les garnissant deviendront la propriété des communes sur le territoire desquelles ils sont situés, s’ils n’ont pas été restitués ni revendiqués dans le délai légal ; 2° Les meubles ayant appartenu aux établissements ecclésiastiques ci-dessus mentionnés qui garnissent les édi�ices désignés à l’article 12, paragraphe 2, de la loi du 9 décembre 1905, deviendront la propriété de l’Etat, des départements et des communes, propriétaires desdits édi�ices, s’ils n’ont pas été restitués ni revendiqués dans le délai légal ; 3° Les immeubles bâtis, autres que les édi�ices affectés au culte, qui n’étaient pas productifs de revenus lors de la promulgation de la loi du 9 décembre 1905 et qui appartenaient aux menses archiépiscopales et épiscopales, aux chapitres et séminaires, ainsi que les cours et jardins y attenant, seront attribués par décret, soit à des départements, soit à des communes, soit à des établissements publics pour des services d’assistance ou de bienfaisance ou des services publics ; 4° Les biens des menses archiépiscopales et épiscopales, chapitres et séminaires, seront, sous réserve de l’application des dispositions du paragraphe précèdent, affectés dans la circonscription territoriale de ces anciens établissements, au paiement du reliquat des dettes régulières ou légales de l’ensemble des établissements ecclésiastiques compris dans ladite circonscription, dont les biens n’ont pas été attribués à des associations cultuelles, ainsi qu’au paiement de tous frais exposés et de toutes dépenses effectuées relativement à ces biens par le séquestre, sauf ce qui est dit au paragraphe 13 de l’article 3 ci-après. L’actif disponible après l’acquittement de ces dettes et dépenses sera attribué par décret à des services départementaux de bienfaisance ou d’assistance. En cas d’insuf�isance d’actif il sera pourvu au paiement desdites dettes et dépenses sur l’ensemble des biens ayant fait retour à l’Etat, en vertu de l’article 5 ; 5° Les documents, livres, manuscrits et oeuvres d’art ayant appartenu aux établissements ecclésiastiques et non visés au 1° du présent paragraphe pourront être réclamés par l’Etat, en vue de leur dépôt dans les archives, bibliothèques ou musées et lui être attribués par décret ; 6° Les biens des caisses de retraite et maisons de secours pour les prêtres âgés ou in�irmes seront attribués par décret à des sociétés de secours mutuels constituées dans les départements où ces établissements ecclésiastiques avaient leur siège. Pour être aptes à recevoir ces biens, lesdites sociétés devront être approuvées dans les conditions prévues par la loi du 1er avril 1898, avoir une destination conforme à celle desdits biens, être ouvertes à tous les intéressés et ne prévoir dans leurs statuts aucune amende ni aucun cas d’exclusion fondés sur un motif touchant à la discipline ecclésiastique. Les biens des caisses de retraite et maisons de secours qui n’auraient pas été réclamés dans le délai de dix-huit mois à dater de la promulgation de la présente loi par des sociétés de secours mutuels constituées dans le délai d’un an de ladite promulgation, seront attribués par décret aux départements où ces établissements ecclésiastiques avaient leur siège, et continueront à être administrés provisoirement au pro�it des ecclésiastiques qui recevaient des pensions ou secours ou qui étaient hospitalisés à la date du 15 décembre 1906. Les ressources non absorbées par le service de ces pensions ou secours seront employées au remboursement des versements que les ecclésiastiques ne recevant ni pension ni secours justi�ieront avait faits aux caisses de retraites. Le surplus desdits biens sera affecté par les départements à des services de bienfaisance ou d’assistance fonctionnant dans les anciennes circonscriptions des caisses de retraite et maisons de secours. 2. En cas de dissolution d’une association, les biens qui lui auront été dévolus en exécution des articles 4 et 8 seront attribués par décret rendu en Conseil d’Etat, soit à des associations analogues dans la même circonscription ou, à leur défaut, dans les circonscriptions les plus voisines, soit aux établissement visés au paragraphe 1er du présent article. 3. Toute action en reprise, qu’elle soit quali�iée en revendication, en révocation ou en résolution doit être introduite dans le délai ci-après déterminé. Elle ne peut être exercée qu’en raison de donations, de legs ou de fondations pieuses, et seulement par les auteurs et leurs héritiers en ligne directe. Les arrérages de rentes dues aux fabriques pour fondations pieuses ou cultuelles et qui n’ont pas été rachetées cessent d’être exigibles. Aucune action d’aucune sorte ne pourra être intentée à raison de fondations pieuses antérieures à la loi du 18 germinal an X. 4. L’action peut être exercée contre l’attributaire ou, à défaut d’attribution, contre le directeur général des domaines représentant l’Etat en qualité de séquestre. 5. Nul ne pourra introduire une action, de quelque nature qu’elle soit, s’il n’a déposé, deux mois auparavant un mémoire préalable sur papier non timbré entre les mains du directeur général des domaines qui en délivrera un récépissé daté et signé. 6. Au vu de ce mémoire, et après avis du directeur des domaines, le préfet pourra en tout état de cause, et quel que soit l’état de la procédure, faire droit à tout ou partie de la demande par un arrêté. 7. L’action sera prescrite si le mémoire préalable n’a pas été déposé dans les dix mois à compter de la publication au Journal of�iciel de la liste des biens attribués ou à attribuer avec les charges auxquelles lesdits biens seront ou demeureront soumis, et si l’assignation devant la juridiction ordinaire n’a pas été délivrée dans les trois mois de la date du récépissé. Parmi ces charges, pourra être comprise celle de l’entretien des tombes. 8. Passé ces délais, les attributions seront dé�initives et ne pourront plus être attaquées de quelque matière ni pour quelque cause que ce soit. Néanmoins, toute personne intéressée pourra poursuivre devant le Conseil d’Etat statuant au contentieux, l’exécution des charges imposées par les décrets d’attribution. 9. Il en sera de même pour les attributions faites après solution des litiges soulevés dans le délai. 10. Tout créancier, hypothécaire, privilégié ou autre, d’un établissement dont les biens ont été mis sous séquestre, devra, pour obtenir le paiement de sa créance, déposer préalablement à toute poursuite un mémoire justi�icatif de sa demande, sur papier non timbré, avec les pièces à l’appui au directeur général des domaines qui en délivrera un récépissé daté et signé. 11. Au vu de ce mémoire et sur l’avis du directeur des domaines, le préfet pourra en tout état de cause, et quel que soit l’état de la procédure, décider, par un arrêté pris en conseil de préfecture, que le créancier sera admis, pour tout ou parti de sa créance, au passif de la liquidation de l’établissement supprimé. 12. L’action du créancier sera dé�initivement éteinte si le mémoire préalable n’a pas été déposé dans les six mois qui suivront la publication au Journal of�iciel prescrite par le paragraphe 7 du présent article, et si l’assignation devant la juridiction ordinaire n’a pas été délivrée dans les neuf mois de ladite publication. 13. Dans toutes les causes auxquelles s’appliquent les dispositions de la présente loi, le tribunal statue comme en matière sommaire, conformément au titre 24 du livre II du Code de procédure civile. Les frais exposés par le séquestre seront, dans tous les cas, employés en frais privilégiés sur le bien séquestré, sauf recouvrement contre la partie adverse condamnée aux dépens, ou, sur la masse générale des biens recueillis par l’Etat. Le donateur et les héritiers en ligne directe soit du donateur, soit du testateur ayant, dès à présent, intenté une action en revendication ou en révocation devant les tribunaux civils, sont dispensés des formalités de procédure prescrites par les paragraphes 5, 6 et 7 du présent article. 14. L’Etat, les départements les communes et les établissements publics ne peuvent remplir ni les charges pieuses ou cultuelles, afférentes aux libéralitéseà eux faites ou, aux contrats conclus par eux, ni les charges dont l’exécution comportait l’intervention soit d’un établissement public du culte, soit de titulaires ecclésiastiques. Ils ne pourront remplir les charges comportant l’intervention d’ecclésiastiques pour l’accomplissement d’actes non cultuels que s’il s’agit de libéralités autorisées antérieurement à la promulgation de la présente loi, et si, nonobstant l’intervention de ces ecclésiastiques, ils conservent un droit de contrôle sur l’emploi desdites libéralités. Les dispositions qui précèdent s’appliquent au séquestre. Dans les cas prévus à l’alinéa 1er du présent
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Numéro unique réalisé par la 36e promotion d'ipj paris Dauphine
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luttes et antagonismes entre institutions et confessions
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Le labyrinthe des aspirations identitaires et confessionnelles
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l'édito par Anne Tézenas du Montcel
Laïcité. Le sujet du magbook s’est imposé à nous au lendemain des attentats de janvier. Comme un ultime hommage aux amis blessés ou assassinés. Comme une nécessité éthique. Une catharsis aussi. Dans le sillage du traumatisme, il nous est apparu essentiel d’enquêter sur cette valeur fondatrice. Sans démonstration ni discours, juste avec l’envie de contribuer au débat collectif.
Comme chaque année, les élèves ont choisi leurs sujets et leurs rencontres. Lorsque leurs enquêtes ont été rassemblées, nous avons réfléchi à ce qu’elles racontaient de l’évolution du monde.
Et découvert qu’elles montraient une vision de la laïcité partout en déséquilibre, dans le monde du droit comme dans celui de la vie quotidienne. Déplacements de lignes d’un côté à l’Onu ou aux Jeux Olympiques, aspirations nouvelles de l’autre, au cinéma comme dans l’entreprise... Toutes ces enquêtes laissent à penser que notre vision classique de la laïcité a vécu. « Il n’y aura pas de retour à l’état antérieur », insiste Jean-Pierre Obin, auteur en 2004 d’un rapport qui a fait date sur le fait religieux à l’école.
C’est en partant de la vie réelle que le droit pourra retrouver son rôle pacificateur face à des aspirations contradictoires.
Ici vous avez choisi d’entrer dans le magbook par la loi.
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ours Direction de la publication: Laurent Batsch Responsables pedagogiques: Pascal Guénée et Eric Nahon Conception et rédaction en chef: Anne Tézenas du Montcel Coordination de l'édition: Patrick Chatellier Conception de la maquette: Vincent Poumier, Aude Massiot, Cyril Camu Réalisation de la couverture: Patrick Chatellier, Cyril Camu, Kozi Pastakia et Jamal El Hassani Making-of: Elodie Branson, Maud Damas, Aude Massiot Création des sommaires: Aude Massiot, Jacques-Alexandre Essosso Iconographie: Amira Bouziri Rédaction: Amira Bouziri, Elodie Branson, Cyril Camu, Thomas Chenel, Maud Damas, Benjamin Derveaux, Jamal El Hassani, Jacques-Alexandre Essosso, Vincent Kranen, Morgane Le Cam, Aude Massiot, Kozi Pastakia, Vincent Poumier, Hélène Sergent. Impression: Imprimerie Champagnac
l’Observatoire
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état/religions
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un dialogue mal assumÉ Une manifestation entre laïcs modérés et radicaux dérape, devant Notre Dame des Champs, en 1904.
En janvier, un avis de l’Observatoire de la laïcité a réveillé un vieux débat, celui de la séparation des Églises et de l’État. Enquête autour d’un problème insoluble. par morgane le cam
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u premier étage de l’hôtel de Broglie, rue Saint Dominique, à Paris, le téléphone sonne et resonne. Derrière son écran d’ordinateur labellisé « propriété de l’État », la secrétaire décroche et raccroche de façon mécanique. Après trente années de fidélitéausecrétariatdeMatignon,on
lui avait fait miroiter un poste au calme au sein de l’Observatoire de la laïcité. Raté. « Depuis les événements des 7 et 9 janvier, le téléphone, certains jours, sonne en continu », glisse-t-elle entre deux appels. Créée en 2007 par Jacques Chirac pour conseiller le gouvernement et devenu active il y a moins de deux ans sous
l’égide de François Hollande, l’instance deréflexionsurlalaïcitéestenpleine ébullition. Depuis son spacieux bureau meublé d’ébène, Nicolas Cadène, son rapporteur général, assène : « Les terroristes ont pris pour cible des gens qui critiquaient les religions, notamment l’islam. Or, la laïcité suppose ce droit-là. » Le 14 janvier dernier, à peine cinq jours après l’attentat de Charlie Hebdo, l’Observatoire publiait un avis « sur la promotion de la laïcité et du vivre ensemble ». Soit onze mesures en faveur d’une laïcité mieux appliquée pour une cohésion nationale renforcée (voir encadré). Le texte insiste sur le nécessaire « enseignement laïc du fait religieux » et se penche sur la place de l’islam. Au sein même de l’institution, le rapport
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a déclenché une fronde. Et réveillé au passage un débat vieux de plus d’un siècle sur la séparation de l’Église et de l’État. Au lendemain de sa publication, trois des membres de l’Observatoire — et non des moindres : Jean Glavany (ministre de l’Agriculteur dans le gouvernement de Lionel Jospin, actuellement député PS des Hautes-Pyrénées), Françoise Laborde (sénatrice PS de Haute-Garonne) et Patrick Kessel (ancien grand maître du Grand Orient de France) — ont dénoncé dans un communiqué un texte dont ils jugent les propositions « angéliques », « pusilanimes », « cosmétiques », voire « anti laïques ». Dans leur ligne de mire : le fait que l’État outrepasserait ses prérogatives fixées par la loi de 1905 de séparation de l’Église de l’État.
Modérés vs radicaux : le remake, un siècle plus tard
Ce face-à-face entre partisans d’une laïcité « radicale » et adeptes d’une laïcité « modérée » ressemble à un remake d’une opposition qui a eu lieu dès l’origine. La loi du 9 décembre 1905 n’était pas encore couchée sur le papier que déjà deux camps s’affrontaient, comme le rappelle Nicolas Cadène. « En 1905, le conflit était le même au sein des républicains. Avec d’un côté Émile Combes, Maurice Allard, Charles Chabert, et de l’autre Aristide Briand, Jean Jaurès, Francis de
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Jean Glavany et Nicolas Cadène : deux visions de la laïcité au sein de l’Observatoire.
Pressensé et Georges Clemenceau. » À l’époque, les premiers défendent ardemment une laïcité dite de combat. Selon celle-ci, « tout ce qui a une vague connotation religieuse représente une “menace à la laïcité” », synthétise Alex de Valera, créateur du site de réflexion Questions de sociétés et professeur à l’université Paris-VIII. Face à ce camp partisan d’une religion strictement cantonnée à l’intimité, Aristide Briand, Jean Jaurès, Francis de Pressensé et Georges Clemenceau. Juifs et protestants accueillent positivement leur détachement de l’État. Mais
L'avis du 14 janvier en six points 1. Recruter des aumôniers musulmans supplémentaires dans les prisons. Ils sont actuellement au nombre de 182 (contre 700 aumôniers catholiques) pour plus de 200 établissements pénitentiaires. 2. Créer des conseillers humanistes, toujours en milieu carcéral, pour ne pas laisser les non croyants seuls face à leur athéisme. 3. Déployer le service civique pour plus de cohésion nationale et de mixité sociale.
4. Développer un enseignement laïc du fait religieux à l’école. Et donc former les enseignants à la laïcité. 5. Prendre davantage en compte toutes les cultures convictionnelles et confessionnelles présentes en France, en particulier dans les programmes scolaires. 6. Soutenir la création d’établissements privés de théologie musulmane, pour inciter les imams à s’y former.
pour le camp catholique, c’est le grand drame : l’alliance entre l’Église et l’État, scellée 1 400 ans plus tôt, précisément en 496 par le baptême du roi Clovis, est enterrée. Pire, les catholiques voient la loi de 1905 comme une déclaration de guerre. L’aboutissement d’un combat mené contre leur religion depuis le retour des républicains au pouvoir, en 1879. Dans ce contexte, c’est finalement la laïcité défendue par Aristide Briand, Jean Jaurès, Francis de Pressensé et Georges Clemenceau qui l’emporte. Leur conception libérale s’inscrit dans le marbre de la loi de 1905.
les conseillers humanistes, proposition « délirante »
Pour les politiques de l’époque, l’important est d’asseoir l’autorité de cette loi, comme l’explique Mathilde Guilbaud dans La Loi de séparation de 1905 ou l’impossible rupture : « Si la rupture est présentée comme “radicale”, ce ne peut être que d’un point de vue symbolique et politique. La loi de séparation, loin de rendre l’Église catholique étrangère à l’État, obligera finalement celui-ci à légiférer plus que jamais, pour établir de nouveaux liens entre les deux institutions… En pratique la séparation ne pouvait être absolue. » Encore aujourd’hui, elle ne le peut pas. Voilà pourquoi perdure plus d’un siècle plus tard, le débat autour des limites
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à poser à l’État et à l’Église. Leur séparation restera une discussion sans fin tant qu’un accord n’émergera pas autour de la notion même de laïcité. Une entente qui, comme le vulgarise Jean Glavany, n’est pas près d’émerger. « La laïcité fait l’objet d’un grand consensus, mais dans le même temps, si vous interrogez 65 millions de Français sur ce qu’est cette valeur, vous aurez 65 millions de réponses différentes ». Cette absence de définition au singulier ouvre la voie à un boulevard d’interprétations. Y compris au sein de l’Observatoire de la laïcité. Pour les trois opposants à l’avis du 14 janvier, l’idée de recruter des « conseillers humanistes » et davantage d’aumôniers musulmans dans les prisons est une aberration. Selon Jean Glavany, la proposition revient à mettre sur le même plan la laïcité et les religions. Dans son lumineux bureau du troisième étage de l’Assemblée nationale, le parle-
mentaire s’insurge : « Il y a une grande privés de théologie musulmane. Pour confusion idéologique. Avec cette dispol’Observatoire, il s’agit là d’encourager sition, l’Observatoire est entré dans une les réflexions autour de l’islam et d’incilogique qui n’est pas républicaine, c’est ter les imams à se former au sein de ces un échec terrible ! » établissements. « Ce n’est pas à l’État Nicolas Cadène comme Jean-Louis d’aider à la définition de la théologie Bianco, président de l’Observatoire de musulmane ! Qu’il y ait de tels instituts, la laïcité, ne comprennent pas cette optrès bien, mais sans le concours de position. « Aul’État », s’emporte jourd’hui, les Jean Glavany. Pour croyants bénéfile « frondeur », « Qu’il y ait des instituts cient du support cette disposition de théologie musulmane, d’aumôniers, ceux est une intrusion qui ne croient pas inacceptable de très bien, mais pas avec n’ont pas de soul’État dans les afle concours de l’État ! » tien psychologique. faires de l’islam. Le mettre en place Alors qu’en cette est dans le respect période de crise, le même de la laïcité », justifie le rapporfait religieux est exacerbé, la Réputeur général, avec le ton d’un homme blique laïque ne serait-elle pas tentée lassé de répéter un discours bien maîde chapeauter la religion musulmane ? trisé. Dans le camp des laïcards, certains Deuxième source de fracture : la propohochent la tête, citant les deux disposisition de soutenir la création d’instituts tions évoquées précédemment.
L'observatoire à la loupe
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9 La montée redoutée d’un islam radical semble être à l’origine de cet élargissement du rôle de l’État. Bien loin de toute langue de bois, Jean Glavany assène : « Pour la laïcité, l’islam est l’enjeu principal. » Autour de cette question, Nicolas Cadène pèse au contraire chacun de ses mots. Aussi, à la question « L’islam est-il l’enjeu principal de l’Observatoire de la laïcité ? », la réponse estelle, pour lui, négative. Le rapporteur général enchaîne toutefois sur la nécessaire instauration d’un islam de France. Mais là encore, quel rôle l’État doit-il s’attribuer ? « Ce n’est pas à lui de le mettre en place, mais il peut apporter son soutien pour faciliter la démarche », précise Nicolas Cadène, tout en insistant : « Nous avons besoin d’un islam organisé, avec des gens réellement représentatifs des musulmans. »
(Centre historique de archives nationales.)
la notion de chef du culte musulman, un non-sens En théorie, cette organisation existe : il s’agit du Conseil Français du Culte Musulman(CFCM). Le cas de cette institution censée représenter les musulmans de France est révélateur du débat sur le rôle et la place de l’État vis-à-vis des religions. Retour en 2003. Alors ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy fait aboutir une réflexion entamée treize ans La loi de séparation de l’Église et de l’État du 9 décembre 1905. plus tôt par Jean-Pierre Chevènement. mander leur avis lorsque certaines L’islam n’a pas de clergé, la notion de Celle de donner aux musulmans un questions les concernent. chef du culte musulman est donc un conseil représentatif capable de diaLa raison de l’absence des trois reprénon-sens. « Il y a autant d’islam que loguer avec les pouvoirs publics. Le sentants religieux est avant tout polid’imams », tranche le député des CFCM était né, avec l’État français pour tique. Si François Hollande s’est absteHautes-Pyrénées. père. nu de toute réforme de l’organigramme La question de l’absence des représenPour Jean Glavany, c’est précisément de l’institut, c’est pour « ne pas politiser tants des cultes en créant cette le sujet » et afficher l’image d’un institut autour de la table institution que « transpartisan ». Au nom de la sade l’Observatoire l’État a franchi la « Nous avons besoin d’un cro-sainte loi de 1905, l’État n’assume de la laïcité en est ligne rouge. « Les islam organisé, aves des gens l’illustration. Nico- pas toujours clairement le dialogue musulmans ne qu’il pratique avec les cultes. l a s C a d è n e expeuvent pas se reréellement représentatifs plique que la préconnaître dans une des Français musulmans. » sence de Dalil organisation qui Boubakeur, Roger leur a été imposée aller plus loin Cukierman et par un pouvoir ci• www.gouvernement.fr/ Georges Pontier, respectivement reprévil. Ce n’est pas au président de la Répuobservatoire-de-la-laicite sentants des cultes musulman, juif et blique ni au ministre de l’Intérieur d’orcatholique, ne serait pas une mauvaise ganiser le culte musulman », affirme le • Mathilde Guilbaud, La Loi de idée. Le rapporteur précise qu’il diadéputé. Et il est d’autant plus difficile séparation de 1905 ou l’impossible logue avec les trois représentants de pour l’État de le faire que cette religion rupture, Revue d’histoire manière « très régulière », pour leur deest par essence même désorganisée. du XIXe siècle, no 28, 2004 laïc 2015
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10/école privée
Dans une école privée catholique attachée à son « caractère propre », la Charte de la laïcité lancée il y a deux ans par l’Education nationale a bien du mal à se faire une place.
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par vincent poumier
eptembre 2013. A la veille de la rentrée scolaire, Vincent Peillon, le ministre de l’Éducation nationale, dévoile la Charte de la laïcité à l’école. Quinze articles pour réaffirmer l’attachement de l’École à ce principe fondateur de la République. Protection contre les prosélytismes, rejet des comportements discriminatoires, neutralité des programmes et du corps enseignant,… Autant de règles qui devront désormais être affichées ostensiblement et respec-
tées scrupuleusement dans tous les établissements scolaires de France. Plus exactement, dans tous les établissements publics de France. En effet, les règles sont différentes pour l’enseignement privé sous contrat : l’affichage de la Charte y est certes encouragé, mais il est entièrement laissé à la discrétion des directeurs. Difficile en effet d’imposer un tel texte dans des écoles à 95 % catholiques. Deux ans plus tard, la Charte est aujourd’hui absente de l’immense majorité des écoles privées catholiques.
(Ecole catholique de Wasselonne/1925.)
La charte qui ne passe pas L’école libre a ainsi affirmé son particularisme sur la question de la laïcité, dans un souci constant de préserver son identité spécifique en terme d’enseignements et d’organisation. « Nous adhérons sans réserve à la laïcité républicaine. En revanche, nous ne pouvons souscrire à la laïcité de nos établissements. » Dès septembre 2013, Pascal Balmand, le secrétaire général de l’enseignement catholique, donnait le ton. Oui à la laïcité dans l’espace public, oui au respect de toutes les religions et à la liberté de conscience, mais non à la dilution de l’identité catholique des écoles, collèges et lycées privés. Cette position a trouvé un écho favorable parmi l’immense majorité des chefs d’établissement. « Certains des principes posés par la Charte sont difficilement compatibles avec la manière dont nous menons nos enseignements et dont
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11 nous encadrons la vie scolaire, explique un directeur de lycée installé en région parisienne. Nous n’avons aucun problème avec la séparation de la religion et de l’État, ou avec la liberté de conscience. Mais notre école reste catholique dans son identité. L’enseignement que nous dispensons aux élèves, notamment sur un plan moral, est intimement lié aux enseignements de l’église catholique. » De fait, l’enseignement privé sous contrat dispose de certaines latitudes dans l’application des règles scolaires mises en place par l’État. Des latitudes permises par le code de l’Éducation, qui garantit le respect du « caractère propre » des établissements privés. Liés à l’État par un contrat d’association, ils sont tenus de respecter les programmes édictés par l’Éducation nationale, de n’employer que des enseignants titulaires d’un concours d’État et d’appliquer un certain nombre de règles liées notamment à la non-discrimination des élèves. (Ecole apostolique de Chicoutimi/1938.)
une vocation pastorale
Mais le « caractère propre » de l’enseignement privé catholique laisse une liberté d’action aux chefs d’établissement dans de nombreux autres domaines. Parmi ceux-ci, le choix des supports pédagogiques, dont fait partie la Charte de la laïcité, ne peut leur être imposé. Au contraire, par exemple, de la Déclaration des droits de l’homme et du De fait, par l’établissement de ce statut, citoyen, dont l’affichage est obligatoire l’Église a réaffirmé le caractère spécidans tous les établissements scolaires, fique de l’enseignement catholique au sans distinction entre privé et public. sein de l’école de la République, ainsi Par ailleurs, l'enseignement catholique que sa vocation pastorale. Ainsi, l’arest réglementé par un statut officiel ticle 40 affirme dont la dernière que « l’école cathomouture a été lique est au service adoptée en 2013 « Notre école reste de tous en s’inscripar les responcatholique dans vant résolument sables scolaires et son identité. » dans le projet de ecclésiastiques. Un Dieu qui, depuis la statut qui ne fait création du monde, pas une fois menappelle l’humanité entière à l’amour tion du terme « laïcité » en une cinquandans la liberté et la vérité, dont la beauté taine de pages. « Les règlements auxest le sceau ». quels nous sommes soumis sont explicites Dans sa dernière version, le texte est aussur ce point, confirme le directeur si marqué par un retour au premier plan d'école francilien. Notre projet d'établisde la hiérarchie religieuse au sein de l'ensement doit reposer sur les principes seignement catholique. Pour la première d'amour et de vérité qui sont au coeur de fois, il accorde un rôle spécifique au la Bible. »
prêtre détaché par le diocèse dans « la mise en oeuvre du projet éducatif et la vie de la communauté éducative », au-delà des missions pastorales qui lui étaient confiées jusqu'alors. De même, les directeurs d'établissements, qui étaient nommés par l'évêque, sont depuis 2013 placés directement sous son contrôle, et doivent répondre de leur gestion, notamment sur le respect de l'identité confessionnelle de leurs établissements.
Les enseignants entre deux feux
Cette évolution du statut de l’enseignement catholique s’est accompagnée d’une évolution sur les parcours de formation des enseignants du privé, liée à la mise en place à la rentrée 2013 des ESPE (Ecoles supérieures
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12/école privée 8 970
établissements catholiques en France
2 millions
d’élèves scolarisés dans le privé catholique
134 503
enseignants dans l’école catholique en 2014
614 €
de contribution annuelle moyenne par élève dans un collège catholique privé
et de l’éducation) >pourdu laprofessorat préparation des concours de
l’enseignement public. Désormais, le concours spécifique de l’enseignement de second degré privé, le Cafep (Certificat d’aptitude aux fonctions d’enseignant dans les établissements d’enseignement privé sous contrat) est uniquement préparé dans des établissements eux-mêmes confessionnels, les Isfec (Instituts de formation de l’enseignement catholique), qui dépendent généralement des universités catholiques. La CGT-enseignement privé dénonce ainsi « une ségrégation des parcours de formation des enseignants, contraire aux principes d’unité de l’Ecole de la République ». Selon ses responsables, cette sépara-
beaucoup d’autres, refuse de promoution entre les enseignants du public et voir clairement la laïcité républicaine. du privé est accentuée par la tradition « Afficher la Charte de la laïcité, ça nous du « préaccord collégial », un entretien permettrait de rappeler que l’on fait parproposé à tous les aspirants enseitie de l’école de la République, et que nos gnants du privé pour s’assurer de leur élèves ne sont pas à part », affirme-t-elle. motivation et de « l’adéquation entre le « Mon directeur ne veut rien entendre. Le projet personnel du candidat et le projet mot ‘’laïcité’’ fait peur à certains. » de l’enseignement catholique ». En tant qu’agents publics, les enseiMalgré ce parcours de formation diffégnants du privé sont tenus d’applirencié, les enseignants de l’école cathoquer les programmes de l’Éducation lique restent des agents de droit public nationale. Ce qui n’empêche pas, au (mais pas des fonctionnaires), délégués nom du « caractère propre » de l’enà l’enseignement privé par leur minisseignement catholique, des variations tère de tutelle. Ils sont entièrement résur les supports et les contenus précis munérés par l’État et ne peuvent faire de ces programmes. l’objet de discriminations sur leur « On suit les mêmes programmes que nos croyances ou leurs opinions. collègues du public, confirme Alice. Pour certains enseignants, cette double Mais, je vais être allégeance, aux volontairement caprincipes de la Ré« Comment faire ricaturale, là où ils publique laïque étudient Rostand, d’une part et au comprendre la laïcité nous étudions projet éducatif aux élèves quand vous faites C l a u d e l . Fo r cé confessionnel de ment, on ne passe leur établissement cours jour après jour pas le même mesd’autre part sous un crucifix ? » sage aux élèves. » constitue une vériUn problème qui table difficulté. se pose également « Ça devient de dans les disciplines scientifiques, dont plus en plus difficile à gérer, surtout dans une partie des programmes est incomle contexte actuel, raconte Alice, 32 ans, patible avec le contenu des cours faculqui enseigne le français dans un lycée tatifs de pastorale ou de catéchisme. privé breton. Je suis attachée à la laïcité, « Affirmer qu’il y aurait des mathémaaux valeurs de la République, comme tiques catholiques n’aurait bien sûr aubeaucoup de mes collègues. Mais comcun sens, admettait Pascal Balmand au ment voulez-vous faire comprendre aux journal La Croix, en 2013. […] [Mais] je élèves que la religion relève de leur vie crois possible de réfléchir à des contenus privée quand vous devez faire cours jour cohérents avec notre projet chrétien après jour sous un crucifix ? » d’éducation. Un professeur de maths Elle-même catholique, elle ne comprend peut prendre le temps d’expliquer que pas que son établissement, comme
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et la loi sur le voile ?
En 2004, dans un contexte d’intenses débats dans la société civile sur la question du voile islamique, le gouvernement Jean-Pierre Raffarin fait voter la loi interdisant les signes religieux ostentatoires à l’école publique. Adoptée à 494 voix pour (36 contre et 31 abstentions) par l’Assemblée nationale, elle fait l’objet de débats parlementaires très courts. Seuls 27 propositions d’amendement sont déposés. L’un d’entre eux, déposé par Jean-Pierre Brard, député communiste de la Seine-Saint-Denis et maire de
Montreuil. Il est largement rejeté, y compris par certains élus communistes. En réaction à la loi, le Secrétariat général de l’enseignement catholique, bien qu’il se disait prêt à accueillir tous les élèves « sans distinction d’origine, d’opinions ou de croyance », assurait qu’il était solidaire de la lutte de l’Etat « contre la montée des communautarismes et de l’intolérance », et que les écoles privées catholiques ne souhaitaient pas devenir des « établissements refuges » pour les parents et les élèves frustrés par la laïcité.
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13 la charte de la laïcité à l’école Lancée à la rentrée 2013 par Vincent Peillon, qui était alors ministre de l’Éducation nationale, la Charte de la laïcité à l’école doit être af�ichée de manière visible dans tous les établissements d’enseignement publics, de l’école primaire au lycée.
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La Nation con�ie à l’école la mission de faire partager aux élèves les valeurs de la République. La République est laïque. L’école est laïque.
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La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi, sur l’ensemble de son territoire, de tous les citoyens. Elle respecte toutes les croyances.
La laïcité permet l’exercice de la liberté d’expression des élèves dans la limite du bon fonctionnement de l’École comme du respect des valeurs républicaines et du pluralisme des convictions.
La République laïque organise la séparation des religions et de l’État. L’État est neutre à l’égard des convictions religieuses ou spirituelles. Il n’y a pas de religion d’État.
La laïcité implique le rejet de toutes les violences et de toutes les discriminations, garantit l’égalité entre les �illes et les garçons et repose sur une culture du respect et de la compréhension de l’autre.
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Il appartient à tous les personnels de transmettre aux élèves le sens et la valeur de la laïcité, ainsi que des autres principes fondamentaux de la République. Ils veillent à leur application dans le cadre scolaire. Il leur revient de porter la présente charte à la connaissance des parents d’élèves.
La laïcité garantit la liberté de conscience à tous. Chacun est libre de croire ou de ne pas croire. Elle permet la libre expression de ses convictions, dans le respect de celles d’autrui et dans les limites de l’ordre public.
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Les personnels ont le devoir de stricte neutralité : ils ne doivent pas manifester leurs convictions politiques ou religieuses dans l’exercice de leurs fonctions.
La laïcité permet l’exercice de la citoyenneté, en conciliant la liberté de chacun avec l’égalité et la fraternité de tous dans le souci de l’intérêt général.
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La République assure dans les établissements scolaires le respect de chacun de ces principes.
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Les enseignements sont laïques. A�in de garantir aux élèves l’ouverture la plus objective possible à la diversité des visions du monde ainsi qu’à l’étendue et à la précision des savoirs, aucun sujet n’est a priori exclu du questionnement scienti�ique et pédagogique. Aucun élève ne peut invoquer une conviction religieuse ou politique pour contester à un enseignant le droit de traiter une question au programme.
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Nul ne peut se prévaloir de son appartenance religieuse pour refuser de se conformer aux règles applicables dans l’École de la République.
La laïcité de l’École offre aux élèves les conditions pour forger leur personnalité, exercer leur libre arbitre et faire l’apprentissage de la citoyenneté. Elle les protège de tout prosélytisme et de toute pression qui les empêcheraient de faire leurs propres choix.
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La laïcité assure aux élèves l’accès à une culture commune et partagée.
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Dans les établissements scolaires publics, les règles de vie des différents espaces, précisées dans le règlement intérieur, sont respectueuses de la laïcité. Le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.
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Par leurs ré�lexions et leurs activités, les élèves contribuent à faire vivre la laïcité au sein de leur établissement.
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(Pensionnat de Louiseville/1933.)
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sa discipline est […] une construction de l’esprit et qu’elle évolue, avec ses avancées et ses controverses. Il s’agit donc d’apprendre aux élèves le sens critique pour les affranchir d’une culture matérialiste. »
« laïcité de bonne intelligence » Les hésitations sur l’affichage ou non de la Charte de la laïcité à l’école privée traduisent un questionnement plus large, que les responsables éducatifs des deux « camps » ne sont pas parvenus à trancher : qu’est-ce que la laïcité, et quelle forme doit-elle prendre dans les enseignements et la vie scolaire ? Deux visions s’affrontent sur la question. L’une, prédominante dans l’école publique, considère qu’être laïc, c’est cantonner la religion dans le strict domaine privé. « Cela ne signifie pas que l’on ne parle pas de religion en cours, nuance Emmanuel, professeur d’histoire-géographie dans le public. Les programmes en parlent évidemment, mais sous l’angle historique et culturel, pas sous celui du dogme ou du catéchisme. » L’autre, défendue par les responsables
de l’enseignement catholique, définit la laïcité comme l’affirmation de la liberté de conscience et du dialogue apaisé entre les religions. Une laïcité que Mgr André Vingt-Trois, archevêque de Paris et ex-président de la Conférence des évêques de France, appelle « laïcité de bonne intelligence ». Et que d’autres ont pu nommer « laïcité positive ». L’enseignement privé en général, et catholique en particulier, dispose d’un autre avantage pour faire valoir sa spécificité : le fait d’être une école en grande majorité choisie par les parents et les élèves, contrairement à l’école publique, qui est imposée par l’État. Choisir son école, c’est aussi choisir les contenus de l’enseignement, et donc accréditer a posteriori les orientations du chef d’établissement. Par ailleurs, la dimension confession-
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Les lois Jules Ferry imposent la laïcité de l'instruction
1959
La loi Debré crée l'école privée sous contrat d’association
nelle de l’école catholique, qui n’était qu’un critère de choix marginal pour les parents il y a une vingtaine d’années (comme l’avaient montré les travaux du sociologue Alain Léger, notamment), aurait pris une nouvelle importance depuis quelques années. Désormais, choisir l’enseignement privé, ce n’est plus seulement choisir un enseignement présumé de meilleure qualité ou un encadrement considéré comme plus présent, mais aussi choisir une vision particulière de l’école et de l’éducation. Une réelle mutation des comportements amplifiée par les crispations de plus en plus violentes autour de la question de la laïcité dans la société française. « Depuis la loi sur le voile, il y a plus de dix ans, l’État n’a cessé de vouloir imposer une laïcité coercitive, voire de faire des choix qui
2004
Interdiction des signes ostentatoires à l’école
2013
Vincent Peillon lance la Charte de la laïcité à l’école,
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15 n’est qu’une manière de stigmatiser Autant de problématiques que le texte heurtent les sensibilités des croyants, anal’islam et les croyants. Nous avons eu cherche à résoudre « sans renoncer à ce lyse le père Novi, prêtre référent de l’Insun débat sur la Charte de la laïcité au qui donne sens au projet éducatif des titut de l’Alma, à Paris. Les parents qui sein de l’école, et les parents musulétablissements : la foi chrétienne, l’Evannous sollicitent cherchent aussi à donner mans se sont exprimés clairement gile. » des repères, des valeurs à leurs enfants. Et contre son affichage, même s’ils acDifficile de connaître avec certitude les c’est valable aussi bien pour les jeunes caceptent très bien que nous interdisions raisons qui poussent ces familles mutholiques que pour les jeunes musulmans. » le voile, par exemple. C’est sans doute sulmanes à se Le récent débat sur la goutte de trop. » tourner vers l’enla supposée théorie Les attentats de janvier ont remis la seignement cathodu genre, notam« Les parents, catholiques question de la laïcité au cœur des délique. Il est certain ment, semble avoir comme musulmans, bats, y compris au sein de l’école cathoque le manque de particulièrement marqué l’imagiqui sollicitent l’école privée choix (seule une lique. Pour lancer la réflexion, l’Institut catholique de Paris a organisé le 16 trentaine d’écoles naire des parents, cherchent à donner avril dernier un débat public sur la forp r ivé e s m u s u l qu’ils soient habides repères à leurs enfants. » manes existent en mation à la laïcité et à la citoyenneté tués de l’école cadans l’école privée confessionnelle. Un France, dont une tholique ou nounouveau pas dans le bon sens. seule dispose du veaux venus. contrat d’association avec l’État, le lycée Il n’existe aucune statistique sur le Averroès de Lille) joue un rôle. Mais nombre d’élèves musulmans dans l’école catholique leur permet égalel’école privée catholique. Le secrétariat aller plus loin ment de placer leurs enfants dans un général de l’enseignement catholique • Le nouveau Statut de l’enseignement cadre où le sacré a sa place, où la laïcité (Sgec), sollicité, considère par ailleurs catholique, publié en juin 2013. n’est pas aussi contraignante, et où les que la diversité des situations, entre http://bit.ly/1LOKktX débats qui secouent l’école publique certains établissements situés en péri• Musulmans en école catholique, n’ont pas cours. phérie des grandes villes, qui peuvent texte d’orientation du Sgec sur l’islam « Chez les élèves et les parents musulaccueillir une très large majorité dans les établissements catholiques. mans en particulier, explique le père d’élèves de confession musulmane, et http://bit.ly/1FUu05C Novi, il y a ce sentiment que la laïcité d’autres où les musulmans sont totalement absent, rendrait d’éventuelles statistiques inutilisables. Néanmoins, au sein des établissements, le constat est une école, trois modèles clair : de plus en plus de familles musulmanes croyantes se tournent vers Il n’y a pas qu’une école privée. Trois catégories différentes l’école catholique. d’établissements cohabitent au sein de l’enseignement libre. Trois catégories qui diffèrent essentiellement par leurs relations avec l’État, et le niveau de contrôle que ce dernier exerce sur eux. donner une place La première catégorie, la plus rare, est celle des établissements dits aux musulmans « hors contrat ». Ils n’ont aucun lien direct avec l’État. Le niveau de diplôme exigé des enseignants, le respect des principes de l’obligation En 2010, le Sgec a d’ailleurs publié un scolaire, la protection de l’ordre public et la prévention des risques document d’orientation s’adressant aux sanitaires et sociaux font tout de même l’objet de contrôles réguliers enseignants et aux encadrants de ses par des agents publics. étavblissements, intitulé Musulmans en Les établissements sous contrat simple, uniquement des écoles école catholique. Composé de 106 primaires, ont d’autres obligations vis-à-vis de l’État. La plus importante pages, il vise à offrir à la communauté est le respect des programmes de l’Éducation nationale. Leur gestion éducative catholique une connaissance financière est également surveillée. minimale des principes et des rites de Ce sont les établissements sous contrat d’association, de loin les plus l’islam. Dans une seconde partie, il prénombreux, qui ont les relations les plus étroites avec la puissance publique. sente un certain nombre de cas praEn plus des obligations imposées aux autres types d’établissements, ils tiques dans lesquels la confession mudoivent suivre d’autres règles. Leurs enseignants doivent être soit sulmane d’un élève a pu poser fonctionnaires, soit agents contractuels de l’état et titulaires du Cafep, le problème, et propose des solutions. concours spécifique de l’enseignement privé. La création d’une école Conflits entre parents musulmans et privée doit par ailleurs répondre à un « besoin scolaire reconnu ». Enfin, femme chef d’établissement, absences ces établissements partagent un lien financier avec l’État, puisqu’ils sont non-autorisées au moment de l’Aïd, en partie financés par lui (à hauteur de 6 à 7 milliards d’euros par an). questionnements autour des menus de la cantine…
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A l'école,
la laïcité
souffre, les profs
aussi
une enquête d' aude
massiot
Depuis l’attentat du 7 janvier, les instituteurs peinent à faire face aux réactions de leurs élèves. Au Ministère, on planche studieusement sur l’enseignement des valeurs républicaines.
L
«
es attentats ont été un coup de massue. Ils ont créé un affolement autour de la question de l’enseignement de la laïcité. On s’est rendu compte qu’on n’avait pas assez fait d’efforts jusqu’à maintenant », lâche Michel Maille, responsable de la Ligue de l’enseignement de l’Hérault. Le 13 mars dernier, il a créé le diplôme « Laïcité et multiculturalité en situation professionnelle » à la faculté d’éducation de l’université de Montpellier. Au lendemain de l’attaque du 7 janvier à Charlie Hebdo, les rectorats ont inondé de documents les boîtes e-mails des enseignants pour les aider à organiser des
mesures pour une grande mobilisation de l’Ecole pour les valeurs républicaines» . À la rentrée 2015, 1 000 premiers membres du personnel enseignant devraient être formés pendant deux jours sur la laïcité et l’enseignement moral et civique. Ils seront alors renvoyés dans leurs académies et chargés d’aider leurs collègues. La nouvelle débats dans les écoles. Si ces attentats réforme prévoit aussi qu’à la rentrée, ont déclenché un branle-bas de combat l’enseignement de la laïcité dans les au ministère de l’éducation nationale, écoles primaires fera l’objet d’une ils ont aussi révélé le décalage entre les heure et demie de prescriptions des cours par semaine. rectorats en maPour les aider, une tière de laïcité et la « Dans le quartier, dire je de livres et de réalité du terrain. suis Charlie, c’est dire je suis liste films est proposée Un problème dedu côté des Français. » aux enseignants. puis longtemps Les instituteurs poussé sous le tapis sont confrontés au mais dont les quotidien à des situations auxquelles ils conséquences refont abruptement surne savent pas comment réagir. face. Des cantines sont désertées quand elles Pour répondre aux inquiétudes des proservent du porc. Des parents réclament fesseurs, Najat Vallaud-Belkacem, mique leurs filles portent le voile à l’école. nistre de l’Éducation nationale, a préDes drapeaux français sur des dictionsenté le 22 janvier dernier, « onze
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naires sont lacérés au compas. Des insultes sont proférées à la récréation. Au lendemain de l’attentat, des enfants ont refusé de respecter la minute de silence. Or si les programmes scolaires prévoient l’enseignement de la laïcité, aucun moyen concret n’était jusqu’alors donné aux instituteurs par les rectorats. Seuls certains enseignants, disséminés en France, ont lancé des initiatives isolées. Au nord de Montpellier, à la Paillade, classée Zone urbaine sensible, les tensions autour des questions de religion sont courantes. « Les enfants répondent aux réflexes du quartier, raconte le directeur de l’école Heidelberg. Par exemple, dès qu’on dit le mot “juif ”, ils ont un mouvement de méfiance. Et dès qu’on leur parle des catholiques c’est pareil, pour eux, c’est les Français. Il y a des amalgames comme ça. » Les enseignants de cette école se disent dépassés quand il s’agit de parler de laïcité à leurs élèves, quasiment tous issus de la communauté musulmane.
Montrer la laïcité comme le moins mauvais modèle
Au lendemain de l’attentat, le directeur de l’école, Philippe Barbera, a mis en place une stratégie pour éviter les débordements. Un débat a été organisé séparément, dans chaque classe, puis les enfants ont été emmenés « en procession » dans la cour pour écouter le discours du directeur. « J’avais ouvert le portail de l’école pour que les parents rentrent. Mais aucun n’a osé. Dans le quartier, dire je suis Charlie, c’est dire je suis du côté des Français, relate l’homme sur un ton très calme. Pour contourner cela, c’est moi qui suis sorti. J’ai lu un texte sur les valeurs républicaines, puis on a fait une minute de silence. Je suis passé un peu en force, mais les parents l’ont respectée. »
2004
Juin Remise du rapport Obin à François Fillon.
2005 Lancement des Classes de la laïcité à Montpellier.
(Aude Massiot)
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Philippe Barbera montre fièrement les drapeaux fabriqués par ses élèves de l’école de Montpellier.
baillent, regardent par la fenêtre de la Pour Valérie Poureau, institutrice dans classe. Ils ne savent même pas s’ils ont un village au sud de Nantes, où la majoune religion. Alors Valérie travaille sur rité des parents sont athées, ces notions les stéréotypes que pourraient véhicude morale civique sont trop complexes ler les parents. « J’ai expliqué à mes et abstraites pour être enseignées telles élèves ce que sont les quelles à des élèves cinq piliers de l’isde moins de « Plutôt que de plaquer lam, et que les reonze ans. « On nous vendications des terdemande d’enseila laïcité avec des fiches n’étaient gner beaucoup trop en classe, cette démarche roristes pas écrites dans le de choses. À chaque permet de faire émerger Coran. » fois qu’on découvre un problème, c’est à cette idée dans la tête des À l’école Heidelberg, le choix s’est l’école de le régler. enfants. » porté sur un projet Mais les politiques de grande ampleur. ne se rendent pas Les enseignants ont compte de l’état des décidé de participer aux Classes de la connaissances d’un élève de primaire. » laïcité, menées par la Ligue de l’enseiValérie prône, elle, un traitement au cas gnement, une confédération de 30 000 par cas des questions religieuses : « Dès associations françaises d’éducation qu’il y a un conflit entre des élèves, quel laïque. Philippe Barbera explique: « Pluqu’il soit, j’organise un débat en classe tôt que de plaquer la laïcité avec des pour en discuter. J’essaie d’apporter ma fiches en classe, cette démarche ludique pierre à l’édifice, mais de là à faire compermet de faire émerger cette idée dans prendre une valeur comme la laïcité à la tête des enfants. » mes élèves, il y a un monde. » Depuis Pendant quatre jours, les enfants videux ans, elle enseigne l’histoire de l’issitent de Montpellier. Des animateurs lam à ses élèves, après leur avoir enseide la Ligue leur racontent parmi les épigné celle du christianisme. Les enfants sodes de l’histoire locale, les guerres de religion, le développement du commerce avec l’Orient, la persécution des Cathares (une religion « hérétique » du S u d d e l a Fra n c e ré p r i m é e a u Affichage de la Début des XIII e siècle). D’après le directeur de Charte de la mesures de La l’école, « la laïcité est présentée comme laïcité dans les grande remobiliun des moins mauvais modèles pour faire écoles. sation de l’Ecole vivre les citoyens ensemble. »
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Les enfants se familiarisent avec les sy m b o l e s d e l a Ré p u b l i q u e . I l s fabriquent eux-même le drapeau français tel qu’il existait au moment de la Révolution française. Le dernier jour, ils assistent à un procès au tribunal, puis mettent en scène une affaire de vol de vélo où un enfant joue le rôle du voleur et d’autres enfants, jouent le rôle des juges. Ils organisent même un débat comme s’ils étaient à l’Assemblée nationale. « Ils se constituent comme des petits costumes de citoyens et avec des repères nouveaux dans la société. À la fin du projet, on le sent, ils sont plus tolérants. » Le projet n’a pas eu lieu cette année, par manque de subventions. Philippe Barbera espère donc beaucoup des mesures proposées par la ministre. Elles prévoient, entre autres, de donner plus de moyens à ce type de projets. Cinq professeurs sur dix dans l’école se sont déjà inscrits à la formation sur l’histoire de la laïcité, mise en ligne en mars par le ministère.
Faire face aux bulldozers des réseaux sociaux
7 720 €
par élève en 2013
6,1 % du pib
en 2011 pour l’Education
18,9
écoliers par enseignant en moyenne en 2012
laïcité. Un blog a été créé, sur lequel ils sont libres d’écrire ce qu’ils veulent. Après les attentats, Iyad et Marius ont posté: « Mercredi 7 janvier, il y a eu un attentat au journal Charlie Hebdo. Ce qui s’est passé est grave. Des terroristes ont tué des dessinateurs et d’autres gens. Le 11 janvier il y a eu la grande marche à Paris pour qu’il n’y ait plus de terroristes. » « La laïcité » a inspiré André et Gaspard: « La laïcité est inscrite dans une loi française qui a été votée en 1905. En France, on a le droit d’avoir une religion ou
Des initiatives isolées Dans cette école cosmopolite, l’enseignement de la laïcité est pris très au sérieux. Le 9 décembre dernier, une jeune fille souriait aux caméras en brandissant un cahier coloré. Najat Vallaud-Belkacem et Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, sont venus leur rendre visite, pour l’anniversaire de la loi de 1905, devenu la journée nationale de la laïcité. Dans la classe aux murs recouverts d’affiches, les enfants ont travaillé sous le regard approbateur des ministres. Ils ont découpé, collé, colorié la Charte de la laïcité, affichée dans les écoles depuis 2013. L’institutrice précise que pour elle, la sensibilisation des enfants passe surtout par un travail quotidien sur le respect de la culture de chacun. Ces initiatives restent des cas isolés en France. La plupart des instituteurs se cantonnent à leur programme et évitent de se heurter au casse-tête de la laïcité. Difficile de les blâmer quand, dès le départ, leur formation ne leur donne pas les compétences pour s’y atteler. Beau-
(Aude Massiot.)
En Seine-Saint-Denis, à l’école Louis Aragon de Pantin, les enseignants ont misé sur Internet pour sensibiliser à la
6 760 600
écoliers en France
non. » Nathalie a choisi, elle, de parler de liberté: « On a le droit d’exprimer ses idées et on a le droit de ne pas être d’accord avec les idées de quelqu’un. »
Les Classes de la laïcité de la Ligue de l’enseignement de l’Hérault coûte 1 000 € par classe.
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À Montpellier, les barres d’immeubles décrépies de la Paillade encerclent l’école Heidelberg.
30 ans. Le diplôme qu’il a ouvert à Montpellier s’adresse à quiquonque s’intéresse au sujet : enseignants, éducateurs, agents des administrations territoriales, ou militants. Le but est de redonner un cadre et des idées à ces professionnels, les aider à répondre aux une formation lacunaire revendications quotidiennes auxquels ils se trouvent confrontés, portant sur Avec les différentes réformes, le pasles vêtements, la nourriture, les desage à un diplôme en 5 ans et le changemandes d’absences lors des fêtes reliment des Instituts universitaires de forgieuses, et certains enseignements mation des maîtres (IUFM) en Écoles comme la théorie supérieures du de l’évolution. professorat et de « On n’a aucun moyen de Pour la première l’éducation (ESPE) en 2013, on poursavoir ce qu’il se passe dans fois, la formation comprend enseirait croire que ces les écoles de formation. » gnements théoidées auraient été riques et mises en intégrées aux proJean-Pierre Obin s i t u a t i o n s grammes. Il n’en concrètes. Si le diest rien. plôme n’attire pas encore beaucoup Les changements qu’ont connus les d’étudiants, une dizaine pour ce preécoles de formation ne les ont rendues mier semestre, Michel Miaille attend un ni plus performantes ni plus transpagros afflux à partir de Septembre. rentes. Comme le regrette Jean-Pierre Saint-Etienne, Lyon, Paris... Depuis les Obin, formateur de conseillers princiattentats, ce professeur de droit parpaux d’éducation, « on n’a aucun moyen court la France pour aider les enseide savoir ce qui se passe dans l’ensemble gnants à transposer ses initiatives chez des ESPE ». eux. Ses Classes de la laïcité, lancées Michel Miaille, l’instigateur des Classes pourtant en 2005, font l’objet d’un surde la laïcité, travaille sur le sujet depuis coup de textes et d’études existent sur le sujet, mais lorsque les jeunes enseignants sont confrontés à des problèmes concrets, ces textes ne leur servent à rien.
saut de demandes depuis janvier. Plusieurs collèges et lycées ont déjà demandé à y participer. « On a pris du temps à réagir mais il n’est jamais trop tard. Le ministère de l’Education nationale est une lourde machine qui met du temps à s’enrayer, reconnaît Michel Miaille. J’ai peur que le mouvement s’essoufle avant que les mesures, qui sont de bonnes mesures, ne soient appliquées. » Les premières devraient être mises en place à la rentrée 2015. Une respiration pour les enseignants.
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aller plus loin
• Rapport Obin sur les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires (2004): bit.ly/1BUeG7K
• Rapport du CNESCO sur l’apprentissage de la citoyenneté dans les écoles (2015): bit.ly/1xTEDz2 • Onze mesures pour un grande mobilisation de l’Ecole pour les valeurs de la République: bit.ly/1G3ITmp
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Les jeunes sont
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En 2004, Jean-Pierre Obin, inspecteur général de l’Éducation nationale, a remis un rapport alarmiste au gouvernement sur « les signes et manifestations d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires ». Dix ans plus tard, son diagnostic est encore plus inquiétant. propos recueillis par aude massiot
Les récentes dérives observées dans des écoles après les attentats de janvier (apologies du terrorisme, refus de faire la minute de silence) sont-elles le reflet de ce que vous décriviez dans votre rapport ? Jean-Pierre Obin : J’évoquais ce qui s’était passé après les attentats de Washington, puis de Madrid en 2001 et 2004. A l’époque, il y avait eu des minutes de silence dans les établissements scolaires. Des incidents aussi. La différence aujourd’hui, c’est qu’à la place du chahut non assumé de l’époque, des élèves assument leur refus de la minute de silence, et en donnent explicitement la raison : « Je suis pour le terrorisme », « Je m’identifie aux terroristes », ou « Ils l’avaient bien mérité ».
Ce que vous aviez dit il y a plus de dix ans dans votre rapport a été pris en compte ? Non, le rapport a été publié mais l’Éducation nationale ne l’a pas pris en compte. Ce sujet dérange. C’est la politique habituelle de la poussière sous le tapis. La poussière, ça embête, on veut la retirer alors on la met sous le tapis en espérant que personne ne va le secouer… Aucun ministre n’a eu le courage de reprendre mes conclusions. Le sujet n’était pas politiquement porteur à l’époque. Les hommes politiques avaient d’autres priorités. Pour François Fillon, alors ministre de l’Éducation nationale à qui le rapport a été remis, c’était la loi de 2004 sur le port du voile à l’école. Puis le référendum sur l’Europe, en 2005. Mais un
sujet aussi difficile que celui-là, personne n’ose s’y atteler.
Votre rapport avait suscité beaucoup de réactions. Comment expliquez-vous que les hommes politiques n’aient rien fait ? Eh bien, il faudrait le leur demander. (Rires.) Gilles de Robien, ministre de l’Éducation nationale sous Jacques Chirac, a été jusqu’à répondre à la Licra [Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme, ndlr.], qui lui demandait de publier le rapport que celui-ci était obsolète. Circulez, il n’y a rien à voir. Le rapport ne met pas en cause uniquement l’école, mais aussi l’intégration des immigrés et l’ensemble des politiques publiques. Avec, en plus, quelque chose de bien plus grave : les questions de sécurité publique. Il y a dix ans, je dénonçais l’existence d’élèves juifs qui ne pouvaient plus être scolarisés dans certains établissements, à cause du harcèlement. Mais maintenant, on les tue. Mohammed Merah a tué des élèves juifs dans des écoles. On n’en est plus au harcèlement ou à la stigmatisation, on en est arrivés au meurtre. Pourquoi l’antisémitisme se déve-
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« Ce phénomène évolue avec une telle rapidité que nous ne savons pas le gérer. » Jean-Pierre Obin
Pensez-vous que les enseignants ont perdu toute eur légitimité ? Alors là, sur cette fraction de la jeunesse, c’est vraiment époustouflant. Et c’est décourageant pour ces enseignants qui ont cru qu’ils allaient enseigner la rationalité, et qui se retrouvent face à toute une partie de leur classe qui dit de telles choses. C’est étonnant. Moi, j’ai assisté à des C’est-à-dire ? interviews d’adoD’après une étude « D’après la ministre lescents, de 16, 17, présentée par la 18 ans complèteministre de l’Edude l’Education nationale, ment crédules viscation nationale, un collégien sur quatre croit à-vis de cette proun collégien sur pagande. Et tout quatre croit à la à la théorie du complot. » ce que disent les théorie du comgens sensés est plot. Je ne sais pas faux. Les journalistes sont des mensi vous avez vu ces reportages sur teurs. Les profs sont des menteurs. France 2 avec ces lycéens qui expliquent que ce que les profs disent est faux, que Qu’est-ce qui a fait défaut ce que dit la télévision est faux, mais que pour qu’on en arrive là ? ce que dit internet est vrai. « Tout ce Nous sommes face à un phénomène qu’on nous raconte c’est de la propacomplètement nouveau : l’emprise d’ingande. Mais ce que disent les djihadistes ternet sur l’enseignement des jeunes. c’est vrai. Les gens de Charlie Hebdo L’école n’est plus le lieu de la connaisn’ont pas été tués. Il n’y avait pas de sang sance. Mais il faut mettre des guillemets qui coulait. On n’a pas vu les photos. » au terme « connaissance ». Ce sont des Tout ça, ils y croient. loppe-t-il ? Les mouvements géopolitiques du monde arabo-musulman jouent énormément. C’est aussi le fait du développement d’internet et des réseaux sociaux dans la transmission de ces idées, dans la propagande et dans les phénomènes de rumeurs. Les réseaux complotistes, on n’en entendait pas parler il y a dix ans.
pseudo-connaissances. Ce phénomène évolue avec une telle rapidité que nous ne savons pas le gérer. Les jeunes sont tellement persuadés qu’on peut tout faire en matière de manipulation d’images, de sons, qu’ils n’ont plus aucune croyance dans ce qu’on montre à la télévision. C’est flagrant, les jeunes regardent très peu la télévision. Alors pourquoi ont-ils cette crédulité par rapport à internet ? Parce que c’est une contre-culture. C’est leur culture.
Est-ce que c’est à l’école de s’adapter ? Je ne sais pas. S’adapter… nous sommes bien obligés d’en tenir compte. Mais je ne sais pas si l’école est encore en mesure de faire revenir ces jeunes à la maison. Je ne sais pas comment ça va se passer. La déligitimation de l’école au profit d’internet est-elle une conséquence de la montée du prosélytisme musulman dont vous parliez dans votre rapport ? Le prosélytisme musulman a considérablement changé. Il y a dix ans, des groupes se faisaient concurrence sur une cité, sur un quartier : les Frères
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musulmans, quelques groupes salafistes, le Tabligh (voir page 6)… Ils se radicalisaient petit à petit pour recruter. Gilles Kepel, un politologue spécialiste de l’islam, a écrit un excellent ouvrage sur le sujet, 93. Cette très bonne étude corrobore ce qu’on avait pressenti : qu’il y avait des groupes qui travaillaient les jeunes pour s’accaparer un quartier, avec des mouvances opposées. Les discours radicaux sur la pureté des vêtements ou de la nourriture étaient des gages de la foi pour certains d’entre eux. Maintenant c’est le recrutement pour le djihad qui se fait via internet. Les réseaux qui travaillent les jeunes les envoient en Syrie. A Lunel, pour ne prendre qu’un exemple, une dizaine de jeunes ont été recrutés, une dizaine sont morts. Et il reste des cellules de passage actives. Vous dites dans le rapport que ce n’est pas tant un rapprochement religieux, qu’identitaire ou communautaire. La religion sert d’identité. La religion musulmane leur apparaît… pas positive, c’est plus que ça… parfois c’est terrorisante. « Vous avez fait peur à nos parents, nos grands-parents. Maintenant c’est à nous de vous faire peur. » Pour prendre un autre exemple, j’ai visité une bourgade de l’Ardèche pour le rapport et j’ai été très surpris. Le principal du collège me dit à la fin de l’entretien : Monsieur l’Inspecteur, il y a quelque chose que je ne vous ai pas dit : « Il y a
deux élèves juifs dans le collège. Mais je dois le garder secret sinon ils ne pourraient pas rester. » Tout le territoire est concerné. Dans certains établissements ruraux, j’avais aussi été étonné de la séparation entre les jeunes issus de l’immigration maghrébine, ici marocaine, et les autres, qui dans ces régions soutiennent majoritairement le FN. C’est une population contre l’autre.
çaise et une autre s’identifie non seulement comme “non-française” mais aussi comme hostile à la France. Nous sommes face à des risques d’affrontement et de guerre civile.
Vous pensez vraiment, à la guerre civile ? Oui, j’ai écrit quelque chose sur l’école ou la guerre civile, dans mon avant-dernier livre sur le métier d’enseignant, il y a quelques années. Nous allons vers la Comme une vengeance contre la communautarisation. Et cela signifie France ? toujours la violence et l’affrontement Un retournement plutôt. C’est très prédes communautés. sent dans le disLa logique de difcours de certains « Une population s’identifie férenciation enadolescents, implitraîne la hiérarchicitement ou explinon seulement comme sation. Ils citement. “non-française” mais aussi n’envisagent pas la Etes-vous comme hostile à la France. » s o c i é t é c o m m e égalitaire. Leur pessimiste sur le combat n’est pas futur de l’enseiun combat pour l’intégration mais pour gnement ? la domination. « Vous nous avez domiOui, je ne vois pas bien comment endinés, c’est maintenant à nous de vous doguer la situation. En tous cas, nous ne miner. » reviendrons jamais à l’état antérieur. Nous sommes sur un devenir complèteCette évolution de la société ment incertain sur la vie en société en ne signifie-t-elle pas un échec de France, et plus généralement en Eul’école ? rope. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe au Dans un certain sens, oui. L’école franDanemark, ou en Allemagne. La séparaçaise est l’une des plus inégalitaires au tion s’accentue entre une population de monde. Parmi les pays de l’OCDE, c’est souche et d’immigrés intégrés. Parce celui où la distinction entre l’origine soque “ de souche ”, on ne sait pas ce que ciale des élèves et leurs résultats est la ça veut dire, étant donné qu’un Français plus grande. Les jeunes, même s’ils ne sur quatre a un grand-parent étranger. connaissent pas l’enquête Pisa [ProUne population s’identifie comme fran-
une voix reconnue dans le monde de l'éducation
Un diplôme d’ingénieur et un doctorat en mécanique des solides en poche, Jean-Pierre Obin a décidé de changer de voie pour se consacrer à l’école. Il devient inspecteur général pour l’Education nationale. En 2004, il donne son nom au rapport sur Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires. François Fillon, alors ministre de l’Education nationale, refuse de publier le rapport à cause de ses conclusions alarmantes. La loi sur l’interdiction des signes religieux ostentatoires venait de passer, on voulait étouffer l’affaire. Il faudra attendre un an pour que, sous la pression d’associations et de journalistes, le rapport soit rendu public. Ses auteurs ont observé une inquié-
tante montée de ces tensions. « Dans certains quartiers, qui sont loin, répétons-le, de se cantonner aux banlieues des grandes villes, se sont déjà édifiées des contre-sociétés closes dont les normes sont le plus souvent en fort décalage voire en rupture avec celles de la société moderne et démocratique qui les entoure », conclue le rapport. Jean-Pierre Obin a aujourd’hui 72 ans, il reste une figure centrale des questions d‘éducation. Spécialisé dans la formation des chefs d’établissements et des conseillers prioritaires d’éducation (CPE), il enseigne dans les universités de Cergy-Pontoise (95) et de Versailles-SaintQuentin-en-Yvelines (78).
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23 gramme international pour le suivi des acquis des élèves ndlr.] et ses résultats, se rendent compte qu’ils n’ont pas les mêmes chances s’ils sont issus de tel ou tel milieu. Et le fait d’avoir une origine immigrée accroit encore ce phénomène. Cela dit, l’école n’est pas responsable du djihadisme, de ce qui se passe en Libye. La ségrégation devant l’emploi ou l’habitat jouent aussi un grand rôle dans ces questions d’intégration.
Ce n’est pas ce dont parlait déjà Bourdieu dans Les Héritiers (1964) ? Non, il parlait de la reproduction, du fait que la société a tendance à reproduire les inégalités et que les écoles jouent un rôle crucial dans ce processus. Mais ce qu’il ignorait complètement et qu’on a découvert en 2009 avec l’enquête Pisa, c’est que la France était la dernière de la classe dans cette reproduction des inégalités par l’école.
Il n’y a pas eu de prise de conscience depuis ? En France, très peu. Il faut lire la presse spécialisée. Il y a des politiques qui ont repris ces thèmes. L’information circule. Mais il n’y a eu que quelques textes timides. Par Vincent Peillon, alors ministre de l’Éducation nationale par exemple. C’est une question difficile. Il y avait une journaliste, l’autre jour, qui me demandait : « pensez-vous vraiment que les Français vont voter pour la mixité ? Ils ne veulent pas vivre avec les immigrés. » Je ne pense pas que ce soit le cas. Ah bon ? Pourtant on n’arrête pas de se séparer. Les ouvriers français de souche partent dans le périurbain. Ils laissent les banlieues aux immigrés.
Je ne sais pas si c’est vraiment une revendication… Non, mais c’est une dynamique sociale. Les gens cherchent à tout prix l’entre-soi. La ségrégation dans les écoles est par conséquent toujours plus importante que dans les quartiers dans lesquels elles se trouvent. On est obligés d’habiter dans ce quartier parce qu’on n’a pas les moyens de déménager mais au moins il faut que nos enfants soient avec les meilleurs.
C’est le problème de la carte scolaire… Oui, mais pas seulement. C’est aussi une question de gestion. Il existe dans les établissements des outils discriminants pour attirer des élèves brillants, de classe moyenne : les options, les classes Européennes etc. Mais pour créer de la mixité il ne suffit pas de supprimer ces outils. C’est un ensemble de mesures dont on a besoin. Et celles annoncées par la ministre sont bien, mais ne vont pas assez loin.
plus gros coefficient. En théorie, le chef d’établissement a la possibilité de confier cet enseignement à d’autres enseignants. Pourquoi ne le font-ils pas ? Parce que le lobby des historiens veut absolument en garder le monopole.
Au niveau de l’enseignement de la laïcité dans les écoles, le gouvernement propose un nouveau socle commun où la laïcité devrait avoir un horaire renforcé. Est-ce que c’est la solution ? On attend le programme de l’enseignement moral et civique qui remplacera l’enseignement civique.
Sur quel point avez-vous l’impression qu’il y a eu des avancées ? Sur la conscience d’être dans un métier de l’éducation. Ce que les enseignants n’ont pas la conscience ou la volonté d’être. Ils sont plus informaticiens ou historiens qu’éducateurs. Sous la III e République, les instituteurs étaient légitimes en tant qu’hussards de la République. Ils ne le sont plus. Avant, ils avaient la vocation et la légitimité sociale. L’instituteur était une personnalité, il enseignait une certaine morale, c‘est-à-dire la manière de se comporter en dehors de l’école. Aujourd’hui, ce qui motive les enseignants, c’est l’amour de la discipline, et beaucoup moins le travail avec les jeunes. Je milite pour que le métier d’enseignant devienne un métier d’éducateur. Pour cela, je vous le dis, il faut soulever des montagnes. •
Pourquoi ? Ce sont des horaires donc des postes, l’équivalent de plusieurs milliers de postes au plan national. Il y a un lobby disciplinaire, comme il y en a dans toutes les matières. Ils restent crispés sur une chose : leurs horaires.
Est-ce qu’il n’y a pas une prise de Vous avez passé beaucoup de temps conscience des professeurs sur le à essayer d’influencer terrain, de cette nécessité de créer l’enseignement. Est-ce de la mixité ? qu’aujourd’hui vous avez D’abord, il faut savoir que les profesl’impression d’avoir échoué ? seurs sont ceux qui profitent le plus du J’ai peu travaillé auprès des enseisystème de dérogation pour leurs engnants. J’ai surtout travaillé auprès des fants. Ils peuvent donner des conseils CPE [Conseillers Prioritaires d’Education aux autres mais eux, ils choisissent de ndlr.] et des chefs bons établissed’établissements. Là, ments pour « La ségrégation dans les j’ai eu l’impression leurs enfants. d’avoir eu, et d’avoir Même en tant écoles est toujours plus toujours, un certain qu’enseignants, importante que dans les impact. Mais pas sur ils préfèrent traquartiers dans lesquels elles les enseignants. Je vailler avec des suis largement inclasses homose trouvent. » connu parmi eux, gènes, parce alors que je suis très qu’ils n’ont pas connu parmi les chefs d’établissements acquis les compétences pour enseigner et les CPE. dans des classes hétérogènes.
Est-ce qu’il y a un défaut dans ce type d’enseignement ? Le défaut est dénoncé par le Cnesco [Conseil national de l’évaluation du système scolaire, ndlr.] dans un rapport sur l’éducation civique. L’enseignement civique sert de variable d’ajustement pour l’Histoire. Et tant que ce sont les professeurs d’Histoire qui s’occuperont de ça, ils seront tentés de s’en servir pour enseigner leur matière qui a un
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(Diocèse de Strasbourg)
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À l'est, on délie le blasphème Les responsables religieux d’Alsace réunis le 28 octobre 2014 lors de la marche interreligieuse de la fratérnité à Strasbourg.
Héritage du droit germanique, le délit de blasphème existe toujours en Alsace et en Moselle. Le 6 janvier, les responsables des cultes de la région demandaient son abrogation.
A
par benjamin derveaux
u rez-de-chaussée d’un hôtel particulier parisien, le 6 janvier 2015, dans le quartier de l’Assemblée nationale, cinq hommes bavardent dans une ambiance décontractée. Ils sont chrétiens, musulman et juif.. Comme souvent lorsqu’ils sont réunis, la discussion tourne autour de l’interreligiosité. Une sixième personne est attendue. Le chanoine Bernard Xibaut, adjoint de l’archevêque de Strasbourg, qui arrive de la Gare de l’Est. Autour d’une table sont regroupés les principaux responsables religieux d’Alsace et de Moselle, dont Monseigneur Jean-Pierre Grallet pour les
catholiques, le grand Rabbin de Strasbourg René Gutman, le président des Églises protestantes de la région Christian Albecker et Abdelhaq Nabaoui, qui représentera le Conseil régionnal du culte musulman (CRCM). D’ici quelques minutes, ils seront questionnés par une dizaine de membres de l’Observatoire de la laïcité, cette jeune instance qui conseille le gouvernement depuis 2013. « Au départ, nous avions été invités à nous exprimer un par un à des horaires différents », se rappelle le chanoine. L’idée ne les séduit pas vraiment. « Nous avons estimé qu’il serait bien plus sympathique d’y aller ensemble. » Contactés fin 2014, ini-
tialement pour être auditionnés sur l’exercice des cultes dans leur région (voir encadré), Ils ont eu le temps de préparer leur plaidoyer. Mais ce jour-là, ils décident de glisser une surprise dans le texte qu’ils soumettent à l’Observatoire : une proposition d’abrogation du délit de blasphème qui, on l’ignore bien souvent, est encore appliqué en Alsace. Imaginée en amont par les deux chrétiens de la bande, qui cherchent à dépoussiérer le droit local, l’idée a été approuvée sans réserve par leurs homologues juif et musulman. Et serait sans doute passée totalement inaperçue si l’Histoire ne lui avait donné une tragique résonance. Car, le lendemain de leur passage à Paris, deux frères sortent du 6 rue Nicolas Appert, kalachnikov à la main, en criant « on a tué Charlie Hebdo ». Quand la communauté religieuse apprend la nouvelle, elle est « comme tout le monde ». Choquée. Rapidement, les médias tentent un rapprochement entre les at-
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tentats et la demande d’abrogation. « On n’y a même pas pensé sur le moment. », témoigne le chanoine. « Ce qui s’est passé en janvier n’était pas un blasphème, c’était le massacre de journalistes, consécutif à ce que certains ont jugé blasphématoire. » À savoir les unes de Charlie représentant le prophète Mahomet. Les jours passent. À l’émotion succè dent les grand discours. Une semaine après les attentats de Paris, l’Assemblée nationale se lève pour ovationner Ma nuel Valls. Le Premier ministre vient de prononcer le discours le plus fort de son mandat. « Il y a une différence fondamentale entre la liberté d’impertinence — le blasphème n’est pas dans notre droit et il ne le sera jamais — et l’antisémitisme, le racisme, l’apologie du terrorisme, le négationnisme qui sont des délits, qui sont des crimes et que la justice devra sans doute punir avec encore plus de sévérité. », s’exclame Ma nuel Valls devant des députés debout. Le parcours du chef du gouvernement est sans faute. A un détail près. Le blas phème fait encore partie du droit d’une région et d’un département français.
une loi devenue inapplicable Dans le droit alsacien et mosellan, il reste pénalement répréhensible. Sur le papier, sur ces terres, « celui qui aura causé un scandale en blasphémant publiquement contre Dieu par des propos outrageants » peut écoper d’une peine de trois ans de prison. Sauf qu’en réalité,
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Hôtel de Broglie, VIIe arrondissement de Paris, siège de l’Observatoire de laïcité.
insulter le SaintPère dans la rue n’est plus si risqué que cela. « C’est un peu comme cette loi qui interdit aux femmes de porter le pantalon [implicitement abrogée en 2013, ndlr]. Elles sont tombés en désuétude », observe le chanoine Bernard Xibaut. L’adjoint de l’Arche vêque de Strasbourg est pragmatique. « De toute façon, aucun juge ne les applique. Il y a deux manières de voir les choses : soit on les laisse sommeiller au grenier, soit on les abolit. » Le chanoine dit vrai. La dernière condamnation pour blasphème re monte à 1918. Depuis, rien n’a abouti, même si quelques associations ont ten
té leur chance. Les deux dernières sont Avenir de la culture, un groupe chré tien, et la Ligue de défense judiciaire des musulmans, respectivement en 2012 et 2013. La première avait saisi le tribunal de Strasbourg après la repré sentation d’une pièce de Romeo Castel luci dans laquelle le visage du Christ apparaissait couvert d’excréments. La deuxième avait attaqué sans succès de vant le même tribunal de Strasbourg, Charlie Hebdo pour sa une « Le Coran c’est de la merde, ça n’arrête pas les balles ». En vain, pas plus que la précé dente, cette demande sera rejetée pour vice de forme.
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Le statut à part de l'Alsace-Moselle L’Alsace et la Moselle ont gardé un statut juridique particulier., souvenir de leur annexion entre 1871 et 1918 par l’Empire allemand, Parmi ces textes, certains datent du droit français antérieur à 1871 et d’autres du droit allemand. Ce statut à part est très apprécié par la population alsacienne puisqu’il régit entre autres les questions de remboursement de la sécurité sociale ou de l’aide aux démunis. Ce droit a aussi permis le maintien de ce qu’on appelle le « régime concordataire ». Daté de 1801, il pose une exception à la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État. Dans la région, les ministres du culte (à l’exception des musulmans, l’islam
ne faisant pas partie du Concordat) sont rémunérés par l’État et l’enseignement religieux est obligatoire à l’école. C’est dans le code pénal local que se trouve l’article 166 concernant le blasphème. « Celui qui aura causé un scandale en blasphémant publiquement contre Dieu par des propos outrageants, ou aura publiquement outragé un des cultes chrétiens ou une communauté religieuse établie sur le territoire de la Confédération et reconnus comme corporation, ou les institutions ou cérémonies de ces cultes ou qui, dans une église ou un autre lieu consacré à des assemblées religieuses, aura commis des actes injurieux et scandaleux, sera puni d’un emprisonnement de trois ans au plus. »
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26/alsace Quand bien même cette loi serait ap>pliquée, d’autres problèmes se pose-
2012, le Conseil constitutionnel a rendu contestable tout texte du droit local d’Alsace-Moselle qui n’aurait pas été raient. Et le premier serait sémantique. traduit officiellement en Français. ProQu’est-ce que le blasphème ? Pour qui blème : une bonne partie de ces textes en est-il un ? « Cela dépend de chaque reviennent du droit local germanique, qui ligion. Aujourd’hui nous sommes dans un a prévalu entre 1871 et 1918, période contexte de pluralité religieuse. Donc où la region était théoriquement allemande. « A quand un chrétien l’époque de la décidit “Jesus est fils de « Si un chrétien dit “Jésus sion du Conseil Dieu”, c’est un blasest le fils de Dieu”, c’est constitutionnel, le phème pour les un blasphème pour les ministère de l’Intémusulmans, pour qui il n’y a de dieu musulmans. Et vice-versa. » rieur s’est dépêché de traduire un cerq u ’A l l a h . E t tain nombre de vice-versa si un textes. Mais pas celui là, indique le chamusulman ou un juif affirme le noine Xibaut. Si un tribunal voulait contraire », explique Bernard Xibaut. condamner quelqu’un sur la base de cet «Au sens strict, chaque religion est déjà article, il pourrait y avoir une question un blasphème pour la religion voisine », prioritaire de constitutionnalité, pour résume Christan Albecker, président du contester cet article. » Conseil de l’Union des églises protestantes d’Alsace et de Lorraine (UEPAL), qui se trouvait aux côté du chanoine le « Nous ne sommes pas 6 janvier. Aussi, pour les chrétiens, le candidats au blasphème » temps a eu raison de la rigidité des censeurs ajoute Bernard Xibaut. « À une L’histoire du 6 janvier aurait pu être époque, le simple fait de tutoyer Dieu belle. Formulée un jour avant les attenétait considéré comme blasphématoire tats, la demande des responsables du alors qu’aujourd’hui les chrétiens culte ne pouvait être taxée d’opportupasssent leur temps à le faire. » nisme. « C’était une coïncidence absoluAvec le temps, cette loi a fini par être ment imprévisible, rappelle Christian Alconsidérée comme juridiquement intebecker. Avec un peu de recul, nous nable. L’origine allemande de ce délit sommes bien contents de l’avoir fait vient aussi compliquer l’application. En avant. Sans quoi, on aurait pu nous soup-
un délit très encadré Le délit de blasphème tel que posé par l’article 166 est juridiquement très difficile à établir. D’où la rareté de sa mise en œuvre. En 1954, les perturbateurs d’un office de la cathédrale de Strasbourg avaient ainsi été sanctionnés pour trouble à l’exercice des cultes (art. 167), le tribunal ayant rejeté le recours à l’article 166. Soixante ans plus tard, ce sont les Femen qui, après avoir dénoncé, seins nus, dans la même cathédrale, la visite du Pape au Parlement européen, risquent le recours à l’article 167. En 2012, à l’occasion d’une première plainte contre Charlie Hebdo, des spécialistes du droit local avaient également estimé impropre le recours à l’article 166, le culte musulman n’étant pas reconnu par le régime local des cultes. La procédure n’aboutira pas pour vice de forme. Tout comme un an plus tard, lorsque le délit de blasphème a été de nouveau invoqué à Strasbourg contre Charlie Hebdo à la suite de sa couverture intitulée : « Le Coran, c’est de la merde, ça n’arrête pas les balles ! » Pour d’autres juristes, ce délit n’aurait aucune existence juridique dans la mesure où il n’aurait pas été traduit du code pénal allemand dans le droit français.
çonner d’intentions plus ou moins avouées ou claires. » Mais quelques jours plus tard, la situation s’envenime du côté des responsables musulmans. Alors qu’Abdelhaq Nabaoui, vice-président du CRCM, l’instance qui représente en France le culte musulman, avait approuvé cette demande « au nom de la liberté d’expression », le président de l’institution, Eyup Sahin, s’est désolidarisé de la demande faite à l’Observatoire. En cause : la couverture de Charlie Hebdo post-attentat sur laquelle Mahomet tient une pancarte « Je suis Charlie ». « Le CRCM Alsace s’insurge contre ces représentations imagées du Prophète de l’islam jugées insultantes par plus de cinq millions de citoyens sur le territoire national [...] Ce pourquoi il ne se prononce pas en faveur de l’abrogation du délit de blasphème », écrit alors le président du CRCM dans un communiqué sur Facebook. Mais le malaise ne s’arrête pas là. M. Sahin poursuit en souhaitant voir « son extension à tout le territoire national. » Des propos qu’ont peu goûté ses homologues chrétiens. « C’est un peu embêtant, on pensait que les musulmans étaient tous d’accord à travers la voix de leur vice-président, regrette M. Albecker. Étendre ce délit à tout le territoire serait catastrophique. Ça serait jeter de l’huile sur le feu. » Le président de l’association strasbourgeoise Laïcité d’accord, Bernard Anclin, y voit une « provocation ». « C’est une aberration complète d’entendre ce genre de choses. Il n’y a aucune réflexion sur la laïcité, se désole M. Anclin. Mais il y n’ a aucune chance que ce soit repris. » Trois jours plus tard, le CRCM fait machine arrière et dans un autre communiqué affirme se réserver « dans un esprit d’apaisement [...] le temps de la réflexion » sur le sujet. L’histoire semble désormais close. « Ils ont eu une réunion en interne pour prendre un peu recul sur l’émotion, témoigne M. Albecker. Et il est prévu que nous ayons une réunion interconfessionnelle pour reparler de tout ça. Mais je ne pense pas que notre demande sera remise en question. » Et ce d’autant, que la démarche n’a pas pour objectif d’appeler à une liberté d’expression débridée. « Un certain nombre de personnes s’imaginent qu’en proposant l’abolition de cette loi, nous
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Rassemblement le 11 janvier sur la place Kleber, à Strasbourg, en hommage aux victimes des attentats survenus quelques jours plus tôt.
presque à une manoeuvre. Ils préfèrent invitons les gens à blasphémer à tour de se séparer de quelque chose qui de toute bras. Ce n’est pas notre propos. Nous ne façon n’était plus vraiment défendable. sommes pas candidats au blasphème », Tout ça pour protéger certains privilèges indique le père Xibaut. Lui prône plutôt comme le statut scolaire local, l’enseiun savant mélange de liberté d’expresgnement religieux dans les établissesion et de respect. « Il faut absolument ments publics ou la rémunération des combiner les deux. Dans le cadre d’une ministres du culte. En gros, ils lâchent famille, par exemple, on ne peut pas vivre sur l’accessoire avec un fils qui pour garder l’estous les matins « J’ai le droit de représenter sentiel. » traiterait son père Christian Albecker de connard, caricaMahomet de façon n’ a p p ré c i e q u e ture-t-il. J’ai le provocante, mais est-ce bien moyennement le droit de l’insulter, terme de « mamais ai-je pour aude le faire ? » noeuvre ». Et se tant raison de le montre quelque faire ? C’est pareil peu irrité par les propos de M. Anclin. pour la religion. J’ai le droit de représen« Leur seul objectif est de faire suppriter Mahomet d’une façon provocante mer le droit local. Nous ne sommes bien mais est-ce que c’est bien de le faire ? » sûrs pas d’accord là dessus. Chacun a ses A priori, la nouvelle aurait pu faire bonarguments, nous ne les partageons pas, dir de joie les défenseurs de la laïcité. Si voilà tout », expédie-t-il. Pour lui s’il n’y Bernard Anclin ne s’y attendait pas fora aucune raison de supprimer des discément, pour lui, l’annonce n’en depositions « ancrées dans la vie coumeure pas moins anecdotique et il prérante », remettre un coup de neuf dans fère se méfier des motivations des la mais,,on n’est pas exclu. « Nous religieux. « Ils savaient qu’avec l’audisommes ouverts à la modernisation dans tion à l’Observatoire, il fallait faire des la mesure où cela ne remet pas totaleconcessions. Et encore, ils ont attendu ment en question ce statut auquel les Allongtemps pour le faire, lance le présaciens sont extrêmement attachés, insident de l’association. Ça ressemble
dique-t-il, voyant dans la suppression du délit de blasphème un symbole. Cette demande est une façon de montrer que nous ne sommes pas arc-boutés sur toutes les dispositions. » L’Observatoire devrait rendre son avis en avril. Et selon les auteurs de la demande, le verdict s’annonce favorable. « L’idée que l’on puisse condamner des gens pour des opinions religieuses n’est plus du tout dans l’air du temps. Surtout au regard des principes de liberté d’expression que l’on développe aujourd’hui. Il n’y a aucune raison qu’il n’aille pas dans notre sens », confirme le chanoine Xibaut. Suite aux attentats, les responsables politiques locaux se sont aussi emparés de la question. Le 17 janvier, les sénateurs François Grosdidier et Guy-Dominique Kennel ont déposé une proposition de loi pour abroger le délit. En attendant une décision, Christian Albecker rappelle que pour arriver à prendre ce genre de décisions, un dialogue interreligieux soutenu est nécessaire. « Notre relation à Dieu n’est pas la même. Mais cela n’empêche pas d’être fraternels et de travailler ensemble sur des projets, souligne-t-il. Nous ne sommes pas un club de gens passéistes qui défendent leurs propres intérêts. »
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le voile agite le sport Le 8 août 2012, à Londres, Sarah Attar est devenue la première athlète saoudienne à représenter son pays lors de Jeux Olympiques.
Le voile fait débat dans les sociétés occidentales et le sport n’y fait pas exception. Objet de soumission de la femme ou symbole de pudeur, deux visions s’affrontent dans les stades. par kozi pastakia
v
êtue de blanc de la tête aux pieds, une jeune femme mène une délégation d’hommes dans un stade olympique bondé. Ses mains sont protégées par des gants et sa tête recouverte d’un voile islamique (ou hijab). Sous les applaudissements des spectateurs et devant les caméras de télévision du monde entier, Lyda Fariman défile en tant que porte-drapeau de la République islamique d’Iran. Cette scène inédite a eu lieu le 16 juillet 1996 lors de la parade des nations et la cérémonie
d’ouverture des Jeux Olympiques (JO) d’Atlanta, aux États-Unis. C’est la première fois de son histoire que l’Iran autorise une femme à participer à des olympiades. Un progrès. Et en même temps l’apparition d’un objet controversé qui n’a pas depuis cessé de faire de vagues. Un problème. Lyda Fariman, tireuse à la carabine, prendra également part aux épreuves avec son foulard islamique sur la tête. La jeune femme, 24 ans à l’époque, ne décrochera pas de médaille mais ce qu’elle a déclenché se jouera sur un autre terrain, beaucoup plus politique.
Depuis ces Jeux de 1996, l’Iran est à l’avant-garde d’une revendication des pays du Golfe qui militent pour la levée de l’interdiction du port du voile dans les arènes sportives. Une bataille menée avec succès pendant deux décennies. En 2008, à Pékin, le nombre de délégations défilant avec des femmes arborant un hijab monte à quatorze. Quatre ans plus tard, à Londres, le Comité international olympique (CIO) a définitivement cédé sur la question. Malgré les plaintes de nombreuses associations, le CIO n’a pas sanctionné les athlètes aux têtes couvertes et a décidé de laisser faire. En 2012, on dénombre dix-huit sportives voilées dans les rangs des délégations olympiques. Ainsi l’Arabie Saoudite, le Sultanat de Brunei et le Qatar ont permis à des femmes de prendre part à des olympiades. Une grande première pour ces pays qui constituaient les trois dernières nations à ne pas envoyer d’athlètes féminines aux JO. Dans un entretien accordé à Libération
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29 en 2012, l’historien Patrick Clastres explique le changement de stratégie opéré par le CIO depuis les Jeux d’Atlanta. « Sur le voile islamique, le Comité se plie désormais aux décisions fédérales internationales, indique-t-il. À partir du moment où les instances du football ou de l’athlétisme l’autorisent, le CIO n’a jamais rien à redire. » Et pour cause, les boucliers semblent tomber les uns après les autres. L’Association internationale d’athlètisme a autorisé les sportifs à couvrir leur tête depuis de nombreuses années. Y compris d’un voile. On se souvient notamment de la sprinteuse australienne Cathy Freeman et de sa combinaison intégrale aux Jeux de Sydney, en 2000. Le judo et le football ont commencé à lever l’interdiction du voile en 2012. Un an plus tard, c’est la Fédération internationale de karaté qui supprime cette règle.
une Charte olympique dépassée ?
(Pascal Rondeau/ Allsport via Olympic.org.)
Mais l’acceptation du voile par le Comité international olympique ne passe pas auprès des associations féministes, notamment en France. « On a vidé le sport de sa dimension émancipatrice », déplore Annie Sugier, présidente de la Ligue du droit international des femmes (LDIF). « Et pour les femmes, l’oppression passe par le corps. On les
« Aussi vrai qu’il est impossible de se rendre à la mosquée en short, il est impossible de courir en hijab » - Hassiba Boulmerka (1992).
évolution du nombre de délégations sans femmes
Et c’est précisement cet argument que considère comme des pantins, on les met en avant le CIO pour faire une infantilise », poursuit-elle. Selon Annie entorse à son Sugier, dans le propre réglesport moderne, ment : autoriser le religion et poli« Le stade est un espace hijab permettrait tique doivent neutre où il ne doit y avoir p l u s d e m i x i té rester au vestiaire. dans les délégaEt pour appuyer ni religion ni politique » tions grâce à une ses propos, celle participation plus qui est également importante des l’auteure du livre femmes (voir infographie). « C’est une Femmes voilées aux Jeux Olympiques, bonne chose de voir plus de femmes aux s’appuie sur la loi 51-3 de la Charte Jeux mais la plupart des fédérations ont Olympique : « Aucune sorte de démonscédé à la revendication du port du voile. tration ou de propagande politique, Il suffit de regarder les JO de Londres », religieuse ou raciale n’est autorisée regrette Annie Sugier. dans un lieu, site ou autre emplacement olympique. » Annie Sugier veut placer le CIO devant un objet culturel ses incohérences. Selon la présidente de et non religieux la LDIF si le Comité estime que la règle est dépassée, il doit tout simplement la Aux attaques, le Comité olympique supprimer. « Mais je pense qu’on rétorque avec une parade qui joue sur trahirait alors les pionnières musulla signification du foulard : « Le voile manes comme la Marocaine Nawal El n’est pas un signe religieux mais Moutawakel [aujourd’hui viceculturel. » Une défense qui peine à présidente du CIO ndlr.] ou l’Algérienne convaincre. Dans son entretien à Hassiba Boulmerka qui concouraient Libération, Patrick Clastres tacle sans voile ». Le directeur adjoint du sévèrement l’argument et déclare que think tank européen Sport et citoyennepour l’utiliser, il faut être « soit inculte, té, Sylvain Landa, abonde : « Le stade est soit hypocrite ». Le CIO a en fait repris à un espace neutre où il ne doit y avoir ni son compte un raisonnement avancé religion ni politique. Des textes défendent par le prince jordanien Ali Bin-Hussein. cette position légaliste. Sinon il faut En 2011, celui-ci est nommé à l’un des changer ces textes ». Le directeur adjoint six postes de vice-président de la Fédéde ce groupe de réflexion œuvrant pour ration internationale de football (FIFA). la neutralité dans le sport tempère par Soutenu par la confédération asiatique, la suite. Il estime que les décisions Ali Bin-Hussein va faire bouger les doivent être prises au cas par cas et en lignes. Il parvient notamment à trouver fonction du contexte national. « Autoriun terrain d’entente avec l’International ser le voile peut permettre à certaines football association board (IFAB) sur le femmes de pratiquer du sport et à des port du voile, lors d’une assemblée jeunes filles d’avoir des modèles ». générale à Amman, en Jordanie. Un
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30/stades revirement à 180 degrés pour >l’instance suprême du football qui lance
Mais l’instance suprême du ballon rond est, elle aussi, en contradiction avec ses propres textes. D’après la loi n°4 de son une période d’essai du port du voile de règlement, « l’équipe d’un joueur (ou deux ans. L’année précédente, la FIFA d’une joueuse) dont l’équipement de avait pourtant exclu d’une compétition base obligatoire présente une inscription l’équipe de football féminine de l’Iran ou un slogan politique, religieux ou en raison de ses joueuses voilées. personnel sera sanctionnée par l’organiEn mars 2014, après ces deux années sateur de la compétition ou par la FIFA ». d’expérimentation, l’IFAB, le bureau de C’est au nom de la FIFA chargé de cette loi, par régir les lois du e xe m p l e , q u ’ u n football à l’inter« Il ne faut pas exclure attaquant du club national autorise ou stigmatiser une catégorie i s r a é l i e n d e définitivement le l’Hapoël Tel Aviv p o r t d u vo i l e . de personnes » avait été sanctionL’ é t u d e a u ra i t né d’un carton démontré que les jaune, en août 2010. La raison ? rè g l e s d e s a n té e t d e s é c u r i té Itay Shechter avait célébré un but qu’il nécessaires au bon déroulement d’un venait de marquer contre les Autrimatch étaient bien respectées. « C’était chiens de Salzbourg en enfilant une une requête qui venait d’un groupe de kippa sur la tête. Le footballeur avait pays et de joueuses qui disaient que cela dissimulé l’objet dans l’une de ses contribuerait au développement du chaussettes. Toujours en application football, avait alors justifié Jérôme avec sa loi numéro 4, la FIFA ferait réValcke, président de l’IFAB, lors d’une gulièrement pression sur la Fédération conférence de presse. Et ce fut le princibrésilienne pour éviter que les joueurs pal argument qui nous a poussés à dire auriverdes ne relèvent leur maillot oui ». Après une polémique concernant dans le but de dévoiler un t-shirt avec des joueurs sikhs au Québec, la FIFA a l’inscription « I belong to Jesus » également autorisé le port du turban.
(« J’appartiens à Jesus », en français). Si la FIFA autorise le port du voile lors des rencontres officielles, la Fédération française de football (FFF) a fait savoir, via un communiqué, qu’elle était toujours hostile à cette nouveauté. « La France est un pays laïc. Il faut respecter cela, avait déclaré le président de la FFF, Noël Le Graët. En ce qui concerne, la Fédération [française], je souhaite que les jeunes filles puissent jouer partout sans qu’on ne leur impose le port du voile. »
La france tient à son principe de laïcité Dans l’Hexagone, les arbitres sont appelés à appliquer le règlement français. Le 20 mars 2013, le FC Petit Bard, une équipe amateur de Montpellier, a été renvoyé au vestiaire pour la deuxième fois de la saison. Une poignée de leurs joueuses portaient le hijab et les arbitres ont refusé de donner le coup d’envoi dans ces conditions. Les filles sont autorisées par le club à porter le voile durant les entraînements mais pas pendant les rencontres officielles. De son côté, la FIFA et son président Sepp Blatter campent sur leur position.
Depuis 1968, de très rares manquements à la Charte Olympique
Mexico 1968 : le poing levé Sur le podium du 200 mètres, les sprinteurs américains Tommie Smith et John Carlos transforment les Jeux en tribune politique. Ils lèvent un poing ganté noir et gardent la tête baissée alors que résonne l’hymne des États-Unis. Les deux hommes dénoncent ainsi la ségragation raciale instaurée dans leur pays. Pour ce geste, ils seront suspendus à vie des JO. L’Australien Peter Norman, médaillé d’argent, appuiera la démarche des athlètes américains en portant un badge. Il sera lui aussi sanctionné et ne pourra participer aux JO de 1972.
barcelone 1992 : Le retour « arc-en-cieL » Après 28 ans d’exclusion pour sa politique d’apartheid, l’Afrique du Sud fait son grand retour lors des JO de 1992, à Barcelone. L’olympiade espagnole est même la première depuis 1972 à ne souffrir d’aucun boycott. Cette édition des Jeux sera marquée par l’épreuve du 10 000 mètres féminin. Derartu Tulu, Éthiopienne de 20 ans, remporte la course et emmène sa dauphine sud-africaine Elana Mayer dans un tour de piste symbolique : la première athlète africaine noire à décrocher un titre olympique enlace une citoyenne blanche d’un pays qui vient de sortir de la ségrégation raciale.
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31 Ils tentent même de faire pression sur l’instance du football français. « La FFF fait partie de la FIFA. (...) Si les gardiens de la loi disent que les filles peuvent porter un voile, la Fédération française ne peut pas dire non », avait rétorqué Sepp Blatter en réponse aux déclarations de Noël Le Graët.
changer les règles du jeu
La revendication du port du foulard islamique dans la pratique sportive dépasse les terrains du football. En octobre 2013, quatre basketteuses d’une équipe amateur de la banlieue du Mans ont été autorisées par leur club à jouer avec un chèche sur leurs cheveux. Sauf qu’en France, c’est la réglementation de la Fédération internationale de basket-ball (FIBA) qui s’applique. L’article 4.2.2 de son règlement interdit le port « de coiffe, chapeau, d’accessoires pour les cheveux et de bijoux ». Les joueuses du Mans n’ont donc pas obtenu la permission de disputer de rencontres officielles avec le voile. En 2014, la basketteuse bosnienne Indira Kaljo a lancé une pétition sur le site change.org pour que la FIBA lève
pékin 2008 : le badge humaniste à la trappe Lors du passage de la flamme olympique à Paris, des athlètes français entendent dénoncer les conditions de droits de l’Homme en Chine. Ils souhaitent porter un badge qui reprend un slogan de la Charte Olympique, « Pour un monde meilleur », accompagné des anneaux olympiques. Le CIO s’opposera à l’initiative et interdira aux sportifs d’arborer l’objet.
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l’interdiction sur le port du voile. La requête de la joueuse de 26 ans a recueilli près de 70 000 signatures et convaincu l’instance suprême du b a s ke t - b a l l d e d é m a r re r, l e 1 6 septembre 2014, une période d’essai de deux ans pour statuer sur la question. L’expérimentation se limitera néanmoins aux compétitions nationales. Pour les autres rencontres, l’article 4.2.2 restera en vigueur. Dernier incident en date : le 25 septembre 2014, le Qatar a retiré son équipe féminine de basket-ball des Jeux Asiatiques, en Corée du Sud. Empêchées de jouer avec leur foulard sur la tête, les joueuses qatariennes ont dû sortir de la compétition. Les arbitres se sont appuyés sur la réglementation internationale. Pourtant, dans d’autres disciplines de cette compétition en Asie, le port du voile était admis. Les règles varient d’un sport à un autre. Coiffées d’un hijab, quatre rameuses iraniennes ont, par exemple, remporté une médaille de bronze en aviron lors de ces mêmes Jeux Asiatiques 2014. Accepter le voile dans les arènes sportives, c’est ouvrir la porte à
Londres 2012 : le tweet raciste À deux jours de l’ouverture des Jeux Olympiques de Londres, une athlète grecque est exclue pour avoir tenu des propos racistes sur le réseau social Twitter. Paraskevi Papachristou, 23 ans à l’époque, a accepté sa sanction et a présenté des excuses pour ses propos discriminatoires.
d’autres entorses aux réglements. En tout cas c’est ce que redoutent les associations, les féministes et certains acteurs du sport. Annie Sugier, elle, ne comprend pas la posture ambigüe du Comité international olympique. « En 1968, deux athlètes américains Tommie Smith et John Carlos avaient été exclus pour non-respect de la loi 51-3, rappelle-t-elle. Ils avaient levé leur poing pour signifier leur solidarité avec les Blacks Panthers » (voir infographie).
universalisme et traditions Pour la présidente de la LDIF, la présence d’athlètes voilées ne peut constituer une réelle avancée par rapport à l’époque des délégations sans femmes. « Lorsqu’un débat concerne les femmes, on adopte un discours compassionnel, juge-t-elle. Comme si on devait s’accommoder du fait que le droit des femmes est soumis à conditions. » Anne-Cécile Naves, vice-présidente du think tank Sport et citoyenneté, a un avis plus nuancé. Pour elle, il faut dédramatiser les questions autour du hijab et ne pas toujours considérer les femmes comme des victimes. À l’entendre, certaines femmes - ou adolescentes - arborent le voile d’abord par conviction ou rébellion et surtout de leur plein gré. « Il faut faire attention à ne pas exclure ou stigmatiser une catégorie de personnes en adoptant une posture fermée », prévient-elle. Marie-Cécile Naves préconise qu’un débat soit organisé autour de ces questions et que chacun puisse exprimer ses positions. Elle souhaite notamment que les règlements soient adaptés et que la politique soit la même pour tous. « Le sport reste encore aujourd’hui un outil d’insertion sociale. Il faut une même politique pour tous et retrouver une sorte d’universalisme ». Il faut donc retrouver une unité dans les réglements internationaux. Ce qui est certain, c’est que les pays du Golfe amorcent une politique de soft power en investissant notamment dans le sport pour défendre leurs valeurs. Le Qatar, par exemple, va organiser la Coupe du monde de football 2022 et candidate également pour accueillir les Jeux Olympiques 2024.
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l'islam
en quête de
(D.R.)
reconnaissance L’islam entend être reconnu au même titre que les religions catholique et protestante en Suisse. Tâche ardue qui cristallise de nombreuses peurs. par maud damas
C
’est une première dans le Vaud. En 2016, un carré musulman sera ouvert dans le cimetière municipal de Lausanne. Il comptera 350 places et les cercueils pourront être tournés vers La Mecque, comme l’exige la tradition islamique. Un projet qui « contribue au processus d’intégration et de consolidation du lien social », explique la municipalité. Un pas en avant dans l’acceptation de la commu-
nauté musulmane dans le canton. Pour autant, Pascal Gemperli, président de l’Union vaudoise des associations musulmanes (Uvam) ne crie pas victoire. Celui qui représente une partie des 30 000 musulmans de ce canton dont Lausanne est la capitale se bat pour la reconnaissance de l’islam comme institution d’intérêt public dans le canton de Vaud, où résident 750 000 habitants. Son levier ? Un texte de loi promulgué en novembre dernier qui lui
permettrait à terme de bénéficier des mêmes avantages que les Églises protestante et catholique. La Suisse n’est pas laïque, sa constitution fédérale n’établit pas de séparation entre l’Église et l’État. Dans son article 72, elle fixe que chaque canton est laissé libre de définir les rapports entre les deux institutions. Sur les 26 cantons suisses, seuls deux sont considérés comme laïcs : Genève et Neuchâtel. Les autres admettent l’intérêt public de communautés chrétiennes ou juives (voir infographie page 32). et leur octroient certains privilèges, financiers notamment. Le canton du Vaud a déjà deux communautés religieuses reconnues : la catholique et la protestante. En tant que telles, elles sont financées par le budget du canton – et les impôts des citoyens.
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33 8 millions
de Suisses
400 000
musulmans en Suisse
4%
de Vaudois musulmans
En Suisse, il existe deux niveaux de reconnaissance des communautés religieuses. « Il y a une “grande” reconnaissance pour les deux Églises, et une “petite” pour les autres, normalement on n’utilise pas ce terme dans le canton de Vaud mais ça explique un peu la chose », simplifie le médiateur civil. La « petite », de droit privé, est celle qui est actuellement accessible dans le Vaud. La « grande », de droit public, dont bénéficient les Églises catholique et protestante, apporte le plus d’avantages. Les ayants droit de la grande reconnaissance sont ainsi financés par le canton, les autres non. Cette différence de traitement pourrait être en partie corrigée par une petite reconnaissance. En attendant la grande, l’Uvam devra avancer comme on le fait sur la plupart des sujets en Suisse : en comptant sur l’intervention du reste de la population. Car c’est probablement par un vote – une votation, disent les Suisses – que l’Union devra conquérir ce nouveau statut. Toujours en phase de
consultation interne, l’Uvam n’a pas encore arrêté la date du lancement officiel de sa demande. La décision sera prise le 10 mai, au cours ses prochaines assises. « Il faut attendre que tout le monde soit sondé », explique Pascal Gemperli. L’Uvam regroupe quinze associations musulmanes du canton, qui ont besoin de s’accorder sur la marche à suivre. D’autant que certaines sont frileuses : la demande de reconnaissance pourrait ne pas aboutir.
préparer le terrain de la reconnaissance
Pour être reconnue au même titre que les religions catholique et protestante, la communauté devra montrer patte blanche. Son chemin promet d’être long et anfractueux. Elle devra compter avec l’opposition déterminée de l’Union Démocratique du Centre (UDC), un parti d’extrême droite qui ne croit pas à son intégration. « Un éventuel refus aurait des conséquences négatives pour toute la société vaudoise », souligne Pascal Gemperli. S’ils étaient couronnés de succès, les musulmans vaudois ouvriraient la voie aux autres communautés musulmanes suisses. 400 000 personnes au total sur huit millions d’habitants. En 2007, le Vaud avait été le premier canton à voter une loi pour encadrer la reconnaissance des communautés religieuses autres que les deux traditionnellement présentes dans le canton. Il aura encore été premier, sept ans plus tard, à adopter un règlement d’application de cette loi. Celui-ci encadre les cri-
en suisse, un impôt ecclésiastique L’article 72 de la constitution suisse établit que chaque canton régit les rapports entre l’État et les Églises. La Confédération helvétique compte 26 cantons, et autant de systèmes fiscaux. La plupart des cantons ont conféré aux Églises catholique et protestante un statut de droit public, ce qui leur donne le droit de prélever des impôts ecclésiastiques pour se financer. Certains cantons imposent également les personnes morales, c’est-à-dire les entreprises. Une dizaine de canton a accordé ce statut à l’Église catholique-chrétienne, et trois à la communauté juive. Le Vaud est différent : dans ce canton, aucun impôt écclésiastique n’est perçu, mais les dépenses des deux sont à la charge de l’État.
tères que doit remplir une communauté religieuse qui postule : l’existence d’un lieu de culte sur le territoire cantonal, une présence en terres vaudoises supérieure à trente ans ou encore un nombre minimum de fidèles vivant dans le Vaud, le respect de la paix confessionnelle ou la participation au dialogue œcuménique et interreligieux, entre autres. Cette reconnaissance offrirait à la communauté musulmane du Vaud, qui regroupe près de 4 % de la population, de nombreux avantages : être consultée sur les dossiers la concernant, et envoyer des aumôniers officiels dans les hôpitaux et les prisons. « C’est un peu du bricolage en ce moment. On fait - officieusement - de l’aumônerie dans les prisons vaudoises », révèle Pascal Gemperli. Les aumôniers musulmans sont restreints dans leurs missions. « Ils ne peuvent pas avoir de discussions bilatérales, confidentielles avec les prisonniers, n’ont pas accès aux dossiers des détenus… et c’est ça qui est important », déplore-t-il. Toutefois, cette reconnaissance ne lui permettrait pas de recevoir de financement de la part de l’Etat, mis à part dans le cadre de missions partagées avec les autres communautés, comme le dialogue interreligieux. Si de nombreux cantons suisses prélèvent un impôt ecclésiastique (voir encadré), le système est différent dans le Vaud. « En fait, que vous soyez musulman, bouddhiste ou athée, vous payez pour les Églises. », explicite Pascal Gemperli. Les dépenses du culte des communautés protestantes et catholiques, inscrites dans le budget cantonal, sont entièrement couvertes par les impôts généraux prélevés par le canton et les communes. Tous les contribuables, personnes physiques ou morales, y participent donc indirectement. Les musulmans du Vaud ne sont pas les seuls à aspirer à une reconnaissance officielle. La Fédération des organisations islamiques suisses (FOIS) songe à élargir une demande de reconnaissance à l’ensemble de la Suisse. Cet organe qui regroupe les associations musulmanes de différents cantons, a demandé en 2014 à trois professeurs de droit de l’université de Lucerne d’examiner la possibilité légale pour une nouvelle religion d’être reconnue dans le régime du droit public en Suisse. L’un
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d’entre eux, Alexander Morawa recommande d’être patient, et de procéder par étapes. D’abord, obtenir la « petite » reconnaissance, puis, après quelques années, demander la « grande ». « Il ne faudrait pas attaquer en justice pour obtenir la reconnaissance », prévient le co-directeur du Centre de droit constitutionnel et religieux comparé. Il déconseille le passage par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), bien que cette solution pourrait se révéler efficiente. « La CEDH n’a jamais encore rendu, dans l’absolu, de jugement sur le fait que la non-reconnaissance d’une communauté religieuse sous le droit public serait une violation des droits de l’homme, argue-t-il. Mais elle a déjà statué sur l’égalité, bien entendu. La Suisse devrait donner des arguments extrêmement convaincants expliquant
logue. Pour intégrer un système aussi pourquoi elle reconnaît les catholiques et compliqué, il faut du temps. » Elle comnon les musulmans. » Une discussion pare la procédure de reconnaissance à doit être initiée entre la communauté celle de demande de naturalisation, très religieuse demandeuse et la population, exigeante. Le demandeur doit prouver, afin de lui montrer qu’on entend suivre à grand renfort d’inscriptions au sein les règles, stipule l’universitaire. d’associations loIl est nécessaire de cales, qu’il est intépréparer les organi« La Suisse devrait donner gré dans la collectisations musulvité et être établi manes à la recondes arguments très dans le canton du naissance, puis de convaincants expliquant Vaud depuis au moins préparer le public à douze ans. l’accepter, expose pourquoi elle reconnaît « Les Suisses parlent Alexander Morawa. les catholiques “d’assimilation de Convaincre, donc, le et non les musulmans. » l’habitus”, qui est un reste de la populaconcept très large, tion que l’on est rapporte Elisa digne de foi. « La Banfi. C’est assez arbitraire, on peut déquestion de la confiance est importante cider que la personne est intégrée éconoen Suisse, dans tous les rapports, on a enmiquement et culturellement, mais n’a core des contrats de travail oraux ! repas participé aux associations locales. » late Elisa Banfi, islamologue et polito-
LEs communautés religieuses reconnues en Suisse
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35 De la même manière que la filiation à des associations locales est cruciale pour obtenir la naturalisation en Suisse, on demande aux communautés religieuses demandeuses d’être en contact avec les autres communautés présentes sur le territoire. C’est ce qui devra avoir lieu dans le canton du Vaud, à plus petite échelle. Le règlement d’application voté par le conseil d’État du Vaud le 17 novembre 2014 prévoit ainsi une phase de vérification de cinq ans avant de savoir si la demande sera acceptée. Cette période devra être mise a profit pour lancer une campagne de relations publiques. « Ils doivent faire comprendre les raisons pour lesquelles ils veulent être reconnus, ce qu’ils entendent par là et quelle est leur motivation, renseigne Alexander Morawa. Si vous arrivez comme une fleur et dites simplement que vous voulez être reconnu, vous n’avez aucune chance de réussir ! »
En interne, les organisations musulmanes du Vaud doivent se préparer. « Sur les quinze associations membres que nous regroupons, quatre ont un imam en train d’apprendre le français en prenant des cours intensifs, mais ils n’y sont pas pour le moment », annonce Pascal Gemperli. Les connaissances linguistiques font partie des conditions sine qua non du dossier de reconnaissance. Qui plus est, l’islam doit surmonter une difficulté que les autres religions n’ont pas. « Son cas est plus complexe, car il n’y a pas de clergé, pas d’institution de formation du clergé, sauf pour les chiites peut-être », relate Elisa Banfi. Or, une communauté religieuse a besoin d’une instance représentative lorsqu’elle va présenter son dossier devant les autorités. L’islam est composé de courants divers, il est compliqué de parvenir à les fédérer sous une même organisation. « En Allemagne ou en France, on retrouve cette variété mais à l’échelle nationale », poursuit l’islamologue. En revanche, en Suisse, cette variété se retrouve concentrée dans chaque canton. « Cette cantonalisation décompose et a un impact sur
(D.R.)
Des identités musulmanes qui restent à définir
L’UDC multiplie les campagnes d’affichage disqualifiantes. Ici, on chasse le mouton noir pour « créer la sécurité ».
cé, le statut de la femme avec le voile par ces identités cantonales musulmanes », exemple ou l’abattage rituel des aniexplique-t-elle. La nécessité commune maux » pour évoquer des références de reconnaissance contraint les identidifférentes. La bataille s’annonce éreintés cantonales musulmanes à être détante au vu du nombre d’a priori à déloterminées quelque peu artificiellement. ger. « Les musulmans sont parfois préChaque association musulmane doit sentés sous un faux jour, décrits comme composer avec les autres, dont les praviolents ou comme tiques diffèrent, afin des terroristes, rede pouvoir être re« Les musulmans sont lève Alexander Moconnues ensemble. rawa. C’est complèLes communautés parfois présentés sous tement inexact, mais musulmanes vont un faux jour, décrits ça les oblige à proudonc devoir proucomme violents ou ver qu’ils sont favover qu’elles sont rables à la démocracompatibles avec comme des terroristes » tie et aux droits de les valeurs suisses. l’homme. » La quesLes arguments en tion des femmes cristallise de nomleur défaveur sont listés par leurs adbreuses critiques. « L’État n’a pas son versaires. Claude-Alain Voiblet , mot à dire dans les dogmes religieux », membre UDC du Grand Conseil de Laupoursuit-il. Les femmes ne peuvent sanne, cite tour à tour « le mariage for-
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(Capture d’écran 24 Heures/Pascal Wassmer.)
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Pascal Gemperli, le président de l’Uvam, devant le futur carré musulman du cimetière de Lausanne, premier du genre dans le Vaud, qui ouvrira en 2016.
toujours pas être prêtres dans la reli>gion catholique, par exemple. « Mais
ment important. Pour l’UDC, le christianisme prime chez les Helvètes. Elisa Banfi considère que le risque d’échec elles devront pouvoir accéder aux plus découle des représentations collectives hautes instances décisionnelles », rapactuelles de l’islam. « On a un parti, pelle le professeur. l’Union Démocratique du Centre (UDC), Cette préparation, si elle est bien faite, qui a dépensé énord e v ra i t p o uvo i r mément de temps, aboutir à une recon« Au nom de l’héritage d’argent et de comnaissance de droit pétences techniques privé. Et faciliter les et de l’histoire, pour créer des choses au moment le christianisme doit images, des représend’une demande de tations collectives néreconnaissance toujours bénéficier gatives sur cette misous le régime du d’une primauté norité », remarque la droit public. Les collaboratrice de communautés musur les autres religions » l’université de Gesulmanes auraient nève. Ce parti, le plus prouvé leur compaà droite sur le spectre tibilité en montrant politique suisse, a multiplié depuis patte blanche pendant quelques anquelques années les campagnes disqualinées. « La population s’en rendrait fiantes à l’égard des musulmans. Elisa compte et ils seraient plus avancés pourBanfi estime que la communauté musulobtenir la reconnaissance de droit pumane suisse restait jusqu’à présent en blic. Cela éviterait une longue bataille retrait car elle craignait d’être maltraitée légale. » dans la presse. « Parce qu’il s’agit d’une Toutefois, le risque d’échec est extrême-
minorité récemment immigrée, elle n’a pas eu la force de contrer cette puissance médiatique », souligne-t-elle.
un échec entrainerait un sentiment de rejet
En 2009, l’UDC avait été l’un des deux partis suisses à faire campagne pour que l’interdiction de construction de nouveaux minarets soit incorporée à la Constitution. Le parti conservateur avait obtenu gain de cause quand les Suisses avaient voté « oui » lors du référendum, et depuis l’alinéa 3 de l’article 72 stipule que « la construction de minarets est interdite ». La direction fédérale du parti a appelé ses délégations cantonales à s’opposer à toute demande de reconnaissance cantonale de la communauté musulmane. L’UDC Vaud s’oppose d’ores et déjà à la future demande de l’Uvam. Dans un éditorial de campagne, commentaire bimensuel de l’actualité politique publié sur le site du parti, Kevin Grangier, secrétaire général
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UDC Vaud, profère que « la démarche de l’Uvam ne vise donc pas à “intégrer” les musulmans mais, au contraire, à développer une communauté parallèle ». Tout en admettant le droit des musulmans de pratiquer librement leur religion il juge qu’« au nom de l’héritage et de l’histoire, le christianisme doit toujours bénéficier d’une primauté sur les autres religions ». Claude-Alain Voiblet dévoile sa stratégie pour contrer la demande. « Nous allons utiliser les outils démocratiques à la disposition du peuple, le droit de référendum ou encore le droit d’initiative en Suisse. » Dans les deux cas, l’UDC devra récolter 12 000 signatures pour conditionner la reconnaissance des musulmans au vote des Vaudois (voir encadré ci-dessous). Le numéro deux de l’UDC a La coupole du Centre islamique de Lausanne. donc lâché le mot qui effraie certains l’impression de ne pas avoir été libres de parfaitement intégrés socialement, musulmans du Vaud : référendum. choisir », rapporte Elisa Banfi. Selon elle, culturellement et économiquement par Un rejet par voie de référendum pource risque de tensions expliquerait que ailleurs dans une rait avoir des conséseuls dix-sept cantons sur vingt-six aient Suisse « très méritoquences terribles « Le Vaud est assez mis en place une loi permettant la decrate », se sentipour la cohésion sociale suisse. « On ouvert, le canton avait été raient rejetés indivi- mande de reconnaissance. « Le Vaud est assez ouvert, se rassure de duellement. entrerait dans un un des trois seuls son côté Pascal Gemperli. Le canton L’impact peut être processus de vioà voter contre la fameuse énorme sur l’inté- avait été un des trois seuls à voter lence, analyse Elisa Banfi. Parce que s’il initiative fédérale contre gration des musul- contre la fameuse initiative fédérale contre la construction de minarets. Il en mans de deuxième y a une loi qui donne la construction avait été de même pour celle pour le génération « qui ne un droit, et qu’un renvoi des étrangers criminels de se sentent pas étranautre citoyen décide de minarets » Suisse. » Il y dispose des soutiens poligers, et qui peuvent qu’une minorité ne tiques. Ada Marra, conseillère natiose dire : “Je suis mupeut y prétendre, il nale du parti Socialiste du canton de sulman, je suis suisse, et c’est la première montre en quelque sorte une volonté de Vaud, a déposé en décembre 2014 un fois que je me sens pas reconnu“ », sugne pas l’accueillir, de ne pas s’accommopostulat auprès du Conseil fédéral gère l’universitaire. « Toutes les relader de sa diversité. » Cela pourrait affecd emand a nt d e favor i se r l e s dé tions avec les autres acteurs publics seter les membres des associations mumarches pour faire de l’islam une reraient mal vécues, car ils auraient sulmanes, qui, bien qu’ils soient ligion officielle. Derrière ce vote se joue quelque chose de beaucoup plus large. « On aura le L'initiative et le référendum populaires : tampon officiel du canton pour dire qu’on la démocratie à la suisse est compatible avec la démocratie », observe le président de l’Uvam. Un bond en En Suisse, l’initiative et le référendum populaires constituent des droits avant en terme d’image, qui permettrait civiques. Un groupe de citoyens disposant du droit de vote peut faire une de passer à la grande reconnaissance. Et, proposition, qui sera soumise au peuple et aura force de loi si elle est en servant de laboratoire, d’ouvrir la votée. Ainsi est définie l’initiative. Le référendum permet lui de voter sur voie aux autres cantons de la Confédérades décisions prises par l’appareil étatique, a posteriori. Les deux tion. « En général un canton se lance dans procédures ont des échéances propres. Dans le Vaud, il faut rassembler un changement, un autre le suit, provo12 000 signatures en quatre mois pour valider une initiative. Le vote est quant un effet boule de neige : les cantons ensuite organisé dans un délai de deux ans. Dans le cas d’un référendum, homogénéisent leur pratiques », résume tout est plus rapide : le vote s’organise dans les six mois. En contrepartie, Elisa Banfi. Elle demeure toutefois prule parti est dans l’obligation de rassembler les 12 000 signatures en dente. « Dans la sphère du religieux, ça va soixante jours. être très compliqué. »
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tu ne blasphémeras pas ! Depuis 1999, l’Organisation de coopération islamique (OCI) tente de convaincre l’Onu de pénaliser la diffamation des religions.
j
usqu’à l’attentat du 7 janvier, Charlie Hebdo croulait sous les plaintes d’organisations diverses : chrétiennes, juives, musulmanes, harkies ou encore d’extrême droite. Une cinquantaine de procès depuis 1992, pour seulement neuf condamnations. Si Charlie gagne presque à chaque fois, c’est parce qu’il est protégé par le droit à la caricature et la liberté d’expression. Mais aussi parce que certaines plaintes ne sont fondées sur aucune base légale. Comme celle de l’Association des musulmans de Meaux et sa région en 2012, suite à la une « Intouchables 2 », représentant Mahomet en fauteuil roulant poussé par un rabbin. L’organisation avait déposé plainte pour diffamation, mais le droit français ne reconnaît que la diffamation des individus, pas celle des religions ni de leurs prophètes. Contrairement aux législations pratiquées dans de nombreux pays musulmans, qui rêvent de les diffuser à l’échelle internationale. Et c’est à l’Onu, depuis 1999, qu’ils ont décidé
de porter le combat. Chaque année, malgré l’opposition des Occidentaux, qui y voient une atteinte à la liberté d’expression, une résolution non contraignante est votée par la Commission des droits de l’Homme, une enceinte où les membres du Conseil de sécurité n’ont pas de droit de veto et où les pays occidentaux sont en outre minoritaires (voir infographie pages 34-35). L’histoire d’une bataille diplomatique sur fond d’incompréhension culturelle entre Occident et pays musulmans, où s’opposent valeurs universalistes et traditions religieuses.
un texte focalisé sur l'islam
Tout a commencé en 1999. Cette année-là, le Pakistan dépose au nom des 57 pays membres de l’Organisation de coopération islamique (OCI), de l’Iran au Maroc, de la Mauritanie au Liban, une proposition de résolution non contraignante devant la Commission
(UN Photo/Ryan Brown.)
par jamal El Hassani
La résolution sur la diffamation des religions
des droits de l’Homme de l’Onu portant sur « la diffamation de l’islam ». C’est Munir Akram, représentant permanent du Pakistan à l’Onu, qui mène l’offensive. Le diplomate, petites lunettes rondes et cheveux grisonnants plaqués en arrière, est rompu au fonctionnement des Nations unies. Il y a représenté son pays pendant treize ans, d’abord à Genève, puis à New York, jusqu’à se hisser à la présidence du Conseil de sécurité en 2003. Il reconnaît volontiers que l’initiative visait directement les pays occidentaux. « Les actes antimusulmans y ont commencé bien avant le 11 Septembre 2001. Il y avait déjà
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a été adoptée pour la première fois en 1999 au Conseil des droits de l’Homme (ex-Commission des droits de l’Homme) de l’Onu à Genève (Suisse).
L'organisation de coopération islamique, puissante mais divisée Deuxième plus grosse organisation internationale après l’Onu, l’Organisation de coopération islamique (OCI) représente plus de 1,6 milliard de personnes dans le m o n d e . E l l e ra s s e m b l e 5 7 p ays m u s u l m a n s , principalement d’Afrique de l’Ouest, d’Asie du Sud-Est et du Moyen-Orient. Créée en 1969 après l’incendie de la mosquée Al-Aqsa, un lieu saint de l’islam à Jérusalem alors sous occupation israélienne, elle a trois objectifs majeurs : favoriser la coopération entre ses États membres, défendre l’islam (ses fidèles, ses lieux saints), et soutenir le peuple palestinien. Le PIB (en parité de
pouvoir d’achat) de ses membres s’élève à 7 740 milliards de dollars par an. C’est plus que celui de l’Inde ou du Japon, mais moins que celui de la Chine ou des États-Unis. Le pétrole est l’autre source de puissance de l’OCI. Dans le top 10 des réserves mondiales, on trouve sept de ses membres comme l’Arabie saoudite ou le Nigeria. Malgré ces atouts, l’influence de l’organisation demeure limitée du fait des divisions entre chiites et sunnites, mais aussi entre Arabes, Africains, Turcs ou Persans… L’islam ne suffit pas à unir de vieux ennemis historiques comme l’Arabie saoudite et l’Iran.
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des caricatures danoises qui moquaient le Prophète et plusieurs cas de discrimination contre les communautés musulmanes. » Lors des négociations qui s’en suivent, un élément de clivage apparaît rapidement : la focalisation du texte sur l’islam. L’Allemagne, qui représente l’Union européenne (ainsi que des pays d’Europe centrale et de l’Est, pas encore membres de l’UE à l’époque), propose des amendements « afin que le texte couvre les stéréotypes négatifs à l’égard de toutes les religions », rapporte un compte-rendu onusien. Mêmes demandes du côté de l’Inde et du Japon, qui soulignent que toutes les religions rencontrent ces problèmes, pas uniquement l’islam. Et en tant que pays laïc, l’Inde « s’inquiète de toute expression publique se focalisant sur une seule religion ». Le Pakistan persiste, arguant que l’islam est confronté à des formes spécifiques de discrimination. « Nous avons souligné qu’il y avait un précédent de protection de la communauté juive à l’Onu, explique Munir Akram. Nous pensions donc pouvoir en bénéficier aussi.»
la résolution s'étend aux « autres religions » Finalement, un compromis est trouvé dans la version finale de la résolution, qui est adoptée en avril 1999 sans vote (une pratique courante lorsqu’un texte fait consensus) : la mention des « autres religions » apparaît aux côtés de l’islam. « La Commission des droits de l’Homme, énonce le texte, exprime sa profonde inquiétude quant aux stéréotypes négatifs sur les religions ; quant à l’association fréquente et incorrecte de l’islam avec les violations des droits de l’Homme et le terrorisme ; quant au rôle des médias […] utilisés pour inciter à la violence, la xénophobie […] et la discrimination envers l’islam et toute autre religion.»
1999
Premier vote à la Commission des droits de l'Homme.
2002
L’OCI présente une résolution post-11 septembre musclée.
Deux ans plus tard, le monde change avec les attentats du 11 septembre 2011. La résolution aussi. La montée de l’islamophobie dans les pays occidentaux ne fait que renforcer la détermination de l’OCI.
Le consensus s'érode
mence souvent par un litige commercial. Une personne se dit : “je peux gagner si je dis qu’il a blasphémé le Prophète.” Donc les gens inventent. Et comme dans le système judiciaire pakistanais, vous êtes coupable jusqu’à preuve du contraire, on peut vous jeter en prison sans preuves. » Un faux argument pour Munir Akram. « Nous avons un problème à cause d’extrémistes intolérants, reconnaît le diplomate pakistanais. Ces lois ont été détournées pour servir des intérêts personnels ou sectaires. Mais c’est une situation propre au Pakistan que nous devons régler. Cela ne diminue en rien le devoir de protection des pays occidentaux envers les musulmans. »
« Notre résolution est devenue beaucoup plus défensive », raconte Munir Akram. En 2002, il fait inscrire de nouveaux éléments dans la résolution votée par la Commission des droits de l’Homme. Cette fois-ci, le texte affirme « l’incompatibilité de la diffamation des religions et des cultures avec […] le maintien de la paix et de la sécurité internationales » et s’inquiète des « proune remise en cause grammes d’organisations extrémistes des valeurs universalistes dont l’objectif est la diffamation des religions, en particulier lorsqu’ils ont le souMais le texte va beaucoup plus loin tien de gouvernements ». Comprendre : qu’une simple restriction de la liberté les gouvernements d’Europe et d’Améd’expression. A travers lui, c’est l’unirique du Nord, qui tolèrent ces propos versalisme, valeur fondatrice de l’Onu au nom de la liberté d’expression. chère aux pays occidentaux, qui est reFinie donc la résomis en cause. Pour lution consenNicolas Kazarian, suelle. « La plupart chercheur en géo« Après les attentats des pays étaient politique des relidu 11 septembre 2011, d’accord au départ, gions à l’IRIS, notre résolution est devenue « l’OCI faisait la mais ils n’avaient pas compris les beaucoup plus défensive. » promotion d’un conséquences léparticularisme du gales de ce texte », droit, et même d’un affirme Eric Rassbach directeur juriparticularisme des droits de l’Homme ». dique adjoint au Fonds Becket, un cabiExplications d’Eric Rassbach: « Ils vounet d’avocats américain à but non lucralaient une exception à la liberté d’exprestif qui défend la liberté religieuse sans sion pour l’islam, c’est-à-dire changer les pour autant renoncer à la liberté d’exprincipes internationaux des droits de pression. « Les ONG ont commencé à l’Homme pour y faire entrer la diffamacomprendre que la résolution soutenait tion des religions. » des lois anti-blasphème comme il en Un rejet de l’universalisme qu’assume existe au Pakistan », où les peines vont Munir Akram, surtout en matière de jusqu’à l’exécution. liberté d’expression. « Ça n’a aucun La législation pakistanaise est d’ailleurs sens !, s’écrie-t-il. L’Union européenne l’argument repoussoir des opposants interdit les discours de haine et il est ilcomme Eric Rassbach. « Là-bas, ça comlégal de nier l’Holocauste. La liberté d’expression n’est pas universelle, elle a des limites. » Ce discours rencontre un écho favorable bien au-delà du monde musulman. Notamment chez les orthodoxes. « Il y a une critique commune des Premier vote L’OCI recule : la valeurs occidentales entre musulmans et à l’Assemblée diffamation des orthodoxes, explique Nicolas Kazarian. générale des religions dispaEn Russie, la religion est centrale dans le Nations unies. raît du texte.
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41 rejet de la liberté d’expression. C’est un marqueur d’opposition à l’Occident et le ciment de l’identité russe. » La Russie, qui possède le statut de pays observateur à l’Organisation de coopération islamique, soutient d’ailleurs la résolution depuis ses débuts. Un choix cohérent, puisque le pays dispose déjà d’une législation anti-blasphème musclée. Le 26 janvier dernier, RoskKomNadzor, le gendarme des médias, adressait un avertissement aux onze organes de presse russes qui ont publié des caricatures de Charlie Hebdo, sur la base de deux textes. Le premier, qui date de 2002, permet « de couper mais également de liquider les médias en cas de diffusion de contenus incitant à la discorde ethnique ou religieuse, insultants ou humiliants, et ce, sans aucun procès », dénonce la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH). Le second est un décret opportunément publié le 16 janvier dernier par RoskKomNadzor qui « interdit aux médias de publier ou de reproduire les dessins portant atteinte aux religions ».
Fort de ces soutiens, la diffamation des religions continue de prévaloir à l’Onu jusqu’en 2011. Chaque année, malgré les efforts des ONG et des Occidentaux, la résolution est adoptée à la Commission des droits de l’Homme. Elle est même introduite à l’Assemblée générale des Nations unies à partir de 2005. Quelle différence ? La Commission des droits de l’Homme, devenue Conseil des droits de l’Homme après une réforme en 2006, est composée de 47 sièges, pour 47 pays, renouvelés tous les trois ans. Tandis que les 193 pays membres de l’Onu votent à l’Assemblée générale. Ses résolutions ont donc un poids politique beaucoup plus significatif puisque le monde entier se prononce. L’ Assemblée générale est également l’étape obligatoire à franchir pour qu’un texte arrive au Conseil de sécurité, le seul organe habilité à prendre des résolutions contraignantes. C’est justement le but de l’OCI. « Nous pensions parvenir à terme à une convention internationale qui mettrait hors
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(UN Photo/Ryan Brown.)
2005 : le début de la fin
Munir Akram, le diplomate pakistanais qui a amené la résolution à l’Onu en 1999.
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la loi ces pratiques de discrimination et de violence à l’égard de l’islam », reconnaît Munir Akram. Un objectif ambitieux quand on connaît la composition du Conseil de sécurité: La France, le Royaume-Uni, et les Etats-Unis, tous trois farouchement opposés à la résolution, y possèdent un siège permanent assorti d’un droit de veto. Ils peuvent donc torpiller n’importe quel texte qui desservirait leurs intérêts. Mais l’avocat Eric Rassbach prête d’autres intentions à l’OCI: « Dans les pays qui appliquent ces lois anti-blasphème, cela permet de dire : “regardez, même l’Onu approuve”. Et à plus long terme, imaginons que la résolution passe pendant 100 ans. L’OCI pourrait alors arguer qu’elle est entrée dans le droit international coutumier et à ce titre intégrée au droit. L’un des objectifs était donc de faire passer le texte aussi longtemps que possible. » Raté. Après un bon accueil en 2005, le mouvement se grippe à l’Assemblée générale. La résolution est votée chaque année, mais avec une majorité de plus en plus mince. Le fruit d’une « campagne concertée des grandes démocraties occidentales », accuse Munir Akram: « Plusieurs pays d’Amérique latine comme l’Argentine ou le Mexique ont changé d’avis. Même au sein de l’OCI, des petits Etats africains sont devenus moins enthousiastes suite aux pressions de la France. » Ainsi, entre 2005 et 2010, la résolution passe de 101 à 79 votes pour, de 53 à 67 votes votes contre, et de 20 à 40 abstentions.
au conseil des droits de l'homme, la guerre
l'oci capitule
Après l’adoption serrée de 2010, l’OCI veut éviter un camouflet l’année suivante. Elle présente donc une version alignée sur les demandes des Occidentaux en 2011. Le changement est frappant dès le titre. Le flamboyant « Combattre la diffamation des religions » des années précédentes est remplacé par une formule à rallonge typiquement onusienne: « Combattre l’intolérance, les stéréotypes négatifs, la stigmatisation, la discrimination, l’incitation à la violence et la violence basés sur la religion ou la conviction. » Même chose dans le texte, dont le terme « diffama-
Contrairement à l’Assemblée générale où tous les pays siègent, le Conseil des droits de l’Homme de l’Onu est composé de seulement 47 membres, renouvelés tous les trois ans. C’est l’Assemblée générale qui choisit les pays qui vont y siéger, selon une logique régionale héritée de la guerre froide. L’Europe n’y a pas d’existence propre, elle est coupée en deux : d’un côté « Europe occidentale et autres » (Europe de l’Ouest et pays anglo-saxons), de l’autre « Europe
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43 froide régit encore l'attribution des 47 sièges
tion » a été complètement expurgé. Sur le fond, la résolution passe d’une logique de protection des religions à u n m é c a n i s m e q u i p ro t è g e l e s croyants. Exactement ce que réclamaient les opposants de longue date, car « les droits de l’Homme sont basés sur les individus et non pas sur les idéologies », affirme Eric Rassbach. Pour Munir Akram, qui a ouvert ce long débat à l’Onu en 1999, la résolution est méconnaissable. « Elle a été émasculée, lâche-t-il désabusé. Notre action a été neutralisée. »
«Continuer à faire vivre le débat »
orientale » (Russie et autres pays de l’ex-bloc soviétique). Les pays baltes, la Pologne ou encore la République tchèque, pourtant membres de l’Union européenne et de l’Otan, se retrouvent donc dans le groupe « Europe orientale », aux côtés d’un grand frère russe avec lequel ils ne partagent plus rien. Avec seulement sept sièges et aucun droit de veto, les démocraties occidentales ont donc peu d’influence dans cette enceinte.
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La diffamation des religions est-elle morte pour autant ? Officiellement, l’OCI y a renoncé. Mais cela n’a pas empêché le sujet de se réinviter dans le débat international de manière sporadique. Comme en novembre 2012 après la sortie de L’Innocence des musulmans, un film américain de 14 minutes diffusé sur YouTube qui relate des passages de la vie de Mahomet. Le secrétaire général de l’OCI, le Turc Ekmeleddin Ihsanoglu, appelle alors la communauté internationale à « arrêter de se cacher derrière l’excuse de la liberté d’expression ». Et la Ligue arabe, une organisation régionale dont les 22 pays membres font également partie de l’OCI, n’a pas abandonné le combat. En septembre 2012, son secrétaire général, l’égyptien Mohamed el-Baradei, exhorte le Conseil de sécurité à adopter une résolution contraignante criminalisant le blasphème. Malgré la défaite de l’Organisation de coopération islamique à l’Onu, Munir Akram veut encore y croire, car pour lui, l’enjeu est crucial: « Il faut continuer à faire vivre le débat. Le mouvement que nous avons entamé en 1999 n’a jamais été aussi nécessaire qu’aujourd’hui, car la situation des musulmans dans le monde est bien pire qu’à l’époque. » Mais les opposants ne baisseront pas non plus la garde, prévient Eric Rassbach. « Je suis sûr que l’OCI fera d’autres tentatives. Mais nous devons rester vigilants face aux mouvements qui tenteraient de restreindre la liberté d’expression. »
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