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JUIN 2020

NO 3089 – JUIN 2020

GRAND FORMAT

GUINÉE Interview exclusive Alpha Condé : « Mes adversaires ont une mentalité de putschistes » ALGÉRIE Tebboune et l’armée : l’heure de la reprise en main

SOPHIE GARCIA/HANSLUCAS.COM

Pour tout comprendre de l’évolution d’un pays

BURKINA FASO Mobilisation générale

S’il maintient un haut niveau de vigilance face à la pandémie, mais aussi contre le terrorisme, le pays tout entier se concentre désormais sur la relance de l’activité économique et la préparation de la présidentielle et des législatives du 22 novembre. no3089H

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BURKINA FASO Spécial 30 pages

BTP

CES GRANDS

CHANTIERS QUI VONT CHANGER LE CONTINENT

CAMEROUN Le crépuscule des Fotso

JEUNE AFRIQUE N ° 3 0 8 9

Si la pandémie est encore loin d’être vaincue, le continent, contrairement aux prévisions catastrophistes, s’est distingué dans bien des domaines. Réactivité, solidarité, élaboration de solutions locales, implication de ses élites… En ces temps où tous les sujets sont sur la table et où le monde entend se réinventer, l’« Afrique d’après » semble porteuse de promesses.

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Une nouvelle Afrique ?

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SPÉCIAL COVID-19

France 7,90 € Algérie 420 DA Allemagne 9 € • Belgique 9 € Bénin 7,32 € • Congo 7,30 € • DOM 9 € Espagne 9 € • Guinée 7,30 € Italie 9 € Maroc 50 DH • Pays-Bas 9,20 € • RD Congo 10 $ US Royaume-Uni 8,5 £ Rwanda 7,30 € • Sénégal 2000 XOF Suisse 15 CH • Tunisie 8 DT • Zone CFA 4800 F CFA ISSN 1950-1285

RD CONGO Marthe Tshisekedi, la gardienne du temple



Marwane Ben Yahmed

ÉDITORIAL

@marwaneBY

JA de retour en kiosque… dans une nouvelle Afrique

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epuis maintenant dix semaines, les dispositifs de confinement adoptés en France, où se trouve notre siège, mais aussi dans de nombreux pays africains, nous ont imposé une décision inédite : la suspension, le temps que ces mesures soient levées, de la publication de l’édition papier de Jeune Afrique. Que nos fidèles lecteurs et abonnés se rassurent, ce numéro spécial, en vente quatre semaines, consacré essentiellement à la crise engendrée par le Covid-19, à ses conséquences pour l’Afrique et aux leçons que nous devons en tirer, signe le grand retour de JA en kiosque. Une édition repensée, dans son contenu comme dans la forme, avec une nouvelle maquette, et particulièrement riche (196 pages). La crise sanitaire qui s’est subitement abattue sur nos têtes, faisant voler en éclats nos certitudes, nos habitudes et nos repères, a mis en lumière un fait nouveau, source d’espoir : contrairement à ce que nous annonçaient les habituels haruspices des temps modernes, qui n’aiment rien tant que prévoir le pire pour l’Afrique, notre continent s’est illustré positivement dans bien des domaines. Il a fait preuve d’une résilience incontestable et d’une réactivité que nous ne lui connaissions guère. À l’exception de l’Asie, il s’en tire mieux sur le plan sanitaire que la plupart de ses prospères partenaires

internationaux, qui en ont subitement oublié leur pavlovienne condescendance. Mieux, tout le monde a pu constater que, une fois n’est pas coutume, l’Afrique a su se mobiliser tout entière pour parler d’une même voix, faire preuve de solidarité, explorer ses solutions, ouvrir le débat, y compris sur des sujets jusqu’ici tabous, par exemple celui de la dette. Last but not least, l’implication inédite de nos experts et de nos intellectuels. Qui

CETTE PÉNIBLE ET ÉTRANGE PARENTHÈSE A ÉTÉ UNE VÉRITABLE LEÇON D’HUMILITÉ POUR TOUS. n’ont cessé de remettre en question les dogmes jusqu’ici en vigueur et de pousser nos dirigeants à chercher des réponses sur le continent, sans attendre que le reste du monde nous vienne en aide. Pour faire émerger du cloaque dans lequel nous avons été précipités une Afrique nouvelle, souveraine, innovante et responsable. Tous les sujets sont sur la table, de la démocratie au rôle des femmes, de l’apport des nouvelles technologies à l'élaboration d'un modèle de développement qui nous soit propre. Débarrassée des fers aux pieds et des carcans qui l’ont trop longtemps contrainte à l’inertie, cette « Afrique

d’après » qui s’esquisse semble riche de promesses. Il nous a donc semblé indispensable, notamment pour que cette dynamique se poursuive et s’étende à d’autres champs, de lui consacrer une large part de ce numéro de reprise. Cette pénible et étrange parenthèse, véritable leçon d’humilité pour tous, a été l’occasion d’une réflexion globale. Pour revenir à l’essentiel. S’interroger sur la place de notre entreprise dans la société, de manière concrète (son utilité) mais aussi plus émotionnelle (les liens que nous tissons avec vous). Repenser notre mission. Mais aussi notre engagement à vos côtés qui, évidemment, ne peut plus être identique à celui qui présida, il y a soixante ans de cela, à la création de votre hebdomadaire. L’Afrique évolue, Jeune Afrique aussi. Depuis l’émergence de cette crise, nous avons mis en place un dispositif online de grande envergure, à la mesure de notre audience, en forte croissance: 2,3 millions d’utilisateurs, 5,3 millions d’abonnés sur les réseaux sociaux (2,5 millions sur Facebook et 2,8 millions sur Twitter). Ce faisant, nous accélérons un mouvement stratégique – notre transformation digitale – lancé il y a déjà plusieurs mois. Malgré la pandémie et les contraintes qu’elle impose, l’ensemble de la rédaction de Jeune Afrique est pleinement mobilisée pour vous offrir en temps réel, sur notre site et notre application mobile,

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SOMMAIRE 3

Éditorial par Marwane Ben Yahmed

PROJECTEURS 6

L’homme du mois Akinwumi Adesina sur la sellette 8 10 choses à savoir sur… Moncef Slaoui 10 Comme le temps passe… 19 Le match Idriss Déby Itno vs Abubakar Shekau 20 Esprits libres

en accès totalement gratuit, l’information la plus complète et approfondie possible sur une crise qui nous concerne tous.

L’ENQUÊTE 22

Offre éditoriale renforcée

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AFRIQUE SUBSAHARIENNE 48

Guinée Interview du président Alpha Condé 56 Côte d’Ivoire Beaux-frères jumeaux, beaux-frères rivaux? 60 RD Congo « Maman Marthe », gardienne du temple 67 Cameroun Le crépuscule des Fotso 70 Gabon L’enfant déchu de la République

MAGHREB & MOYEN-ORIENT

74 80 86 88

Algérie Valse militaire Tunisie On l’appelle Robespierre Arabie saoudite MBS, modèle réduit Maroc Z comme Zaoui

DOSSIER

116 BTP & infrastructures Ces grands chantiers qui doivent changer la donne

CULTURE

128 Science-fiction Ils nous disent l’avenir 134 Interview Abdennour Bidar, philosophe 138 Médias Scénaristes en série 140 Histoire Mis sous l’éteignoir par le FLN 142 Cinéma Le Normand et le Guinéen

GRAND FORMAT

143 Burkina Faso Mobilisation générale

VOUS & NOUS

192 Le courrier des lecteurs 194 Post-scriptum

Abonnez-vousà

INTERNATIONAL

92 Union européenne-Union africaine D’égal à égal

ÉCONOMIE

102 Finance Les sentinelles du Trésor 107 L’infographie Hydrocarbures: 30 projets à l’épreuve de la crise

ILLUSTRATION RAFAEL RICOY POUR JA; VINCENT FOURNIER/JA

Ce n’est bien sûr pas tout, car l’actualité du continent ne se limite évidemment pas aux affres du Covid-19. Les enjeux politiques et économiques, dans les jours et les semaines à venir, sont légion. D’Alger au Cap, en passant par Abidjan, Dakar ou Kinshasa, notre réseau de correspondants et nos spécialistes continueront de vous informer, de vous dévoiler l’envers du décor, de décrypter les trajectoires de nos pays et de nos dirigeants. Dans ce contexte, nous renforçons notre offre éditoriale. Nos abonnés ont bien évidemment accès à l’intégralité de nos contenus et, surtout, aux plus exclusifs d’entre eux. Ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à nous rejoindre : + 50 % de nouveaux abonnements sur le seul mois d’avril. Votre fidélité et votre confiance sont les moteurs de notre engagement, notre raison d’être. La pratique d’un journalisme rigoureux et indépendant, qui prenne du recul et privilégie le temps long, celui de l’enquête, du reportage et de l’analyse, en ces temps troublés où il devient de plus en plus ardu de démêler le vrai du faux alors qu’il est essentiel de savoir et, surtout, de comprendre ce à quoi nous sommes confrontés et ce qui nous attend, est un impératif. Hier, les fake news brouillaient votre compréhension des vrais enjeux et votre lucidité de citoyens du monde. Aujourd’hui, dans un tel contexte, elles vous intoxiquent, au sens littéral du terme. Notre mission en devient, plus que jamais, indispensable. Et le lien qui nous unit chaque jour, plus fort.

Coronavirus Et si l’Afrique en sortait renforcée?

108 Transport aérien Interview de Tewolde GebreMariam, DG d’Ethiopian Airlines 111 Tech Andela à la recherche d’un nouveau modèle 112 Décideurs Isabel dos Santos mobilise son dernier carré de fidèles 114 Débats

Fondateur: Béchir Ben Yahmed, le 17 octobre 1960 à Tunis bby@jeuneafrique.com

Directeur de la publication: Marwane Ben Yahmed mby@jeuneafrique.com

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PROJECTEURS L’HOMME DU MOIS

Akinwumi Adesina sur la sellette

En raison de la crise sanitaire, le Nigérian ne saura qu’à la fin du mois d’août s’il est réélu à la tête de la BAD. S’il demeure le seul candidat en lice, il fait toujours face à de graves accusations.

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VINCENT DUHEM, à Abidjan

epuis le 19 mars, les employés de la Banque africaine de développement (BAD) ont délaissé le siège d’Abidjan et sont en télétravail. Personne ne sait encore quand ces conditions particulières imposées par la pandémie de Covid-19 prendront fin, mais, à mots couverts, certains salariés reconnaissent qu’ils aimeraient bien qu’elles se prolongent encore un peu tant ils redoutent les retrouvailles avec leur président, Akinwumi Ayodeji Adesina. « L’ambiance est très tendue », explique l’un d’eux. Depuis près de cinq mois, l’institution financière multinationale est le théâtre d’une grave crise interne. Des documents censés demeurer confidentiels font les choux gras de la presse. Son président est contesté. En janvier, un groupe de lanceurs d’alerte a déposé une plainte devant le comité d’éthique de la BAD pour dénoncer la gestion de l’ancien ministre nigérian

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de l’Agriculture et du Développement rural. Vingt cas détaillant ce que ces « salariés inquiets » considèrent comme des violations des règles statutaires et éthiques de l’institution dans les domaines des ressources humaines, de la passation des marchés ou du management.

Pressions de Washington

Le 26 mai, au terme d’une longue réunion en visioconférence, le conseil des gouverneurs de la banque a annoncé l’ouverture d’une enquête indépendante. Un mois plus tôt, Adesina avait pourtant été blanchi de ces graves accusations par le comité d’éthique de la banque, au motif notamment qu’elles n’étaient pas accompagnées de preuves. Mais la pression des ÉtatsUnis a fait pencher la balance. Dans son courrier adressé le 5 mai à Kaba Nialé, la ministre ivoirienne du Plan et du Développement, présidente du bureau des gouverneurs de la BAD, le secrétaire d’État américain au Trésor, Steven Mnuchin, remettait en cause le travail du comité d’éthique. « Compte tenu de la portée, de la gravité et du détail des allégations à l’encontre du seul candidat à la direction de la banque pour les cinq prochaines années, nous pensons qu’une enquête plus approfondie est nécessaire pour s’assurer qu’il bénéficie d’un large soutien, de la confiance et d’un mandat clair des actionnaires », poursuivait-il. Depuis le début de la crise, certains proches du président de la BAD avaient pointé du doigt le rôle du représentant américain au sein de

IL BÉNÉFICIE ENCORE D’UN FORT SOUTIEN EN AFRIQUE DE L’OUEST. MAIS IL VOIT SA POSITION FRAGILISÉE PAR L’OUVERTURE D’UNE ENQUÊTE INDÉPENDANTE.

l’institution, Steven Dowd, l’accusant de collusion avec les lanceurs d’alerte. Le courrier du secrétaire au Trésor vient confirmer la défiance de l’administration de Donald Trump envers Adesina. « L’ouverture d’une nouvelle enquête était inévitable. C’est le seul moyen d’y voir clair », estime une source interne au sein de la BAD, qui précise qu’Adesina pourrait être suspendu dans l’attente de ses résultats. À 60 ans, cet agroéconomiste vit aujourd’hui la période la plus délicate d’une carrière rondement menée. Son travail lors de ses quatre années au ministère de l’Agriculture et du Développement rural (entre 2011 et 2015), qui avait permis de replacer le secteur agricole au cœur du développement économique du Nigeria, lui avait même valu d’être élu en 2013 « Africain de l’année » par le magazine américain Forbes. Homme de réseaux, plus politique que ses prédécesseurs, Adesina a imposé ses méthodes dès son arrivée au sein de la BAD. Sa gouvernance a parfois été jugée autoritaire, et les premières années de son mandat ont été marquées par le départ de trois vice-présidents, le Ghanéen Solomon Asamoah, l’Ivoirien Albéric Kacou et la Tanzanienne Frannie Léautier – qui avaient pourtant été nommés, dans le cas de ces deux derniers, par Adesina.

Volontiers offensif

Depuis le début de la crise, ce technocrate moderne connu pour ses talents d’orateur dément avec vigueur les accusations portées contre lui. D’abord dans un long mémorandum confidentiel envoyé le 8 avril au comité d’éthique, puis dans un courrier, adressé le 15 mai aux gouverneurs de la banque, que Jeune Afrique a pu consulter : « Je crois fermement que vous êtes trompés par un groupe malveillant et déterminé à discréditer tout ce qui est bon pour cette banque […]. Leur intérêt est de continuer à utiliser la désinformation pour me dénigrer ainsi que la banque », écrit-il.


VINCENT FOURNIER/JA

À Paris, en mars 2015.

LES QUATRE PILIERS DE SA DÉFENSE Depuis qu’il est visé par les accusations d’une frange de salariés de la BAD, Adesina est défendu par le cabinet d’avocats américains Arnold & Porter, basé à Washington. L’un de ses conseils, Elie Whitney Debevoise, qui fut le directeur exécutif américain de la Banque mondiale de 2007 à 2010, n’a pas hésité à écrire à deux reprises, le 1er février et le 10 mars, au président du comité d’éthique de la banque, le Japonais Takuji Yano. Adesina peut également compter sur le soutien de Victor

Oladokun. Avant son départ à la retraite, le 31 mars, l’ancien directeur de la communication de la BAD était considéré comme un des lieutenants du président. Cet Anglo-Nigérian a travaillé pour la chaîne CBN International et enseigné en Virginie, aux États-Unis, avant de rentrer au Nigeria. Il a connu Adesina à l’université. Quant à Vincent Nmehielle, secrétaire général de la BAD depuis 2016, il n’hésite jamais à monter au front pour défendre son patron. Ancien

avocat, ce Sud-Africain a exercé à la Cour suprême du Nigeria. Enfin, Jennifer Blanke, vice-présidente de l’agriculture et du développement humain et social depuis novembre 2016, a aidé Adesina à récuser certaines des accusations portées contre lui. Une note interne de cette ancienne chef économiste et membre du comité exécutif du Forum économique mondial, datée du 20 mars, figure dans le mémorandum fourni par Adesina au comité d’éthique. V.D.

Volontiers offensif, Adesina n’a pas pour habitude de se démonter lorsqu’il est attaqué. Il l’a plusieurs fois prouvé depuis qu’il dirige la BAD. Lorsqu’il s’est adressé au comité d’éthique, il n’a pas hésité à menacer ses adversaires de représailles, appelant à ce que leurs identités soient dévoilées et qu’ils soient sanctionnés. Des propos qui ont poussé les lanceurs d’alerte à suspendre leurs activités. « Le président a été très explicite sur le fait que [nous ne bénéficierions plus d’aucune protection] et qu’il s’en prendrait à nous. Bien que nous ayons été extrêmement prudents dans la protection de nos identités, nos familles et nous-mêmes ne pouvons plus être soumis à de telles menaces », écrivent-ils dans un mémorandum transmis aux gouverneurs de la BAD le 9 mai. Initialement prévue en mai, l’élection du président de la banque a été reportée à la fin du mois d’août pour cause de crise sanitaire. Adesina demeure l’unique candidat à sa propre succession. Au moment de boucler l’augmentation du capital de la BAD, entérinée le 31 octobre 2019, il avait d’ailleurs effectué un intense lobbying dans plusieurs capitales africaines afin de s’en assurer. Proche du président ivoirien, Alassane Ouattara, ou de l’ex-chef d’État nigérian Olusegun Obasanjo, Adesina bénéficie toujours d’un fort soutien en Afrique de l’Ouest. Mais il voit sa position fragilisée par l’ouverture d’une nouvelle enquête. De plus, il est acté que l’élection ne se déroulera pas par acclamation, comme ce fut le cas pour ses deux prédécesseurs, le Rwandais Donald Kaberuka et le Marocain Omar Kabbaj, mais par un vote. Pour être réélu, il devra recueillir une double majorité, auprès des actionnaires africains (60 % du capital) et des actionnaires non africains. En cas d’échec, à l’issue de cinq tours, il sera éliminé, et un intérimaire sera désigné pour un an au maximum. Un scénario redouté par certaines capitales africaines. « C’est une affaire compliquée, conclut un ministre des Finances ouest-africain. Le problème est que nous n’avons pour le moment pas d’alternative à Adesina. Et l’hypothèse d’une direction intérimaire serait dommageable pour l’image de la BAD. »

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PROJECTEURS

10 choses à savoir sur…

MONCEF SLAOUI

Ce chercheur d’origine marocaine s’est vu confier par le président américain, Donald Trump, la direction scientifique d’un ambitieux programme destiné à trouver un vaccin contre le Covid-19.

SAUVEUR DE L’AMÉRIQUE?

C’est à cet homme de 61 ans, détenteur de la triple nationalité, marocaine, belge et américaine, que Donald Trump vient de confier la direction scientifique de l’opération Warp Speed. Son but? Développer rapidement un vaccin contre le coronavirus, de manière à ce que des millions de doses soient disponibles avant la fin de l’année.

MILLIONNAIRE

Après près de trente ans au sein du groupe pharmaceutique GSK, il est entré au conseil d’administration de Moderna en 2017. Cette société mène aujourd’hui des essais cliniques pour un vaccin contre le Covid-19. Pour éviter tout conflit d’intérêts, il a dû vendre, pour plus de 10 millions de dollars, les 156000 stockoptions de Moderna qu’il détenait encore.

MENTOR ET CONCURRENT

HISTOIRE BELGE

médecine de l’ULB se souviennent du jeune docteur brillant et avenant qui leur a rendu de nombreux services.

Après avoir obtenu son bac au lycée Mohammed-V, à Casablanca, il tarde trop à s’inscrire à la faculté en France et doit donc se résoudre à rejoindre l’Université libre de Bruxelles (ULB). Il ne pense alors rester qu’une année, mais il achèvera finalement ses études dans le pays et obtiendra la nationalité belge.

VIRUS DE L’AMOUR

À la fin des années 1990, alors qu’il est enseignant universitaire en Belgique, il décide de suivre aux États-Unis la virologue qui deviendra son épouse, Kristen Belmonte (recrutée outre-Atlantique pour travailler sur un vaccin contre le sida). Les premières années, il en profite pour approfondir ses études post-doctorat à Harvard puis à l’université de Boston.

ESPOIRS DÉÇUS

En 1986, il tente de revenir s’installer au Maroc, mais les facultés de médecine de Rabat et de Casablanca se montrent peu intéressées par sa spécialisation en immunologie et en biologie moléculaire. Dès lors, il comprend que sa place est ailleurs.

UNE POINTURE

Chercheur de renom, il compte une centaine d’articles et de présentations scientifiques à son actif. Il est également membre de plusieurs conseils d’administration et de comités consultatifs de différentes fondations s’intéressant à la recherche médicale. Parmi elles, le National Institutes of Health américain.

SOLIDARITÉ

De retour en Belgique, il ne rompt pas les liens avec son pays d’origine. Les nombreux étudiants marocains de

Chez GSK, il présidait le département vaccins – un poste auparavant occupé par Jean Stéphenne, son mentor – avant de devenir numéro deuux du groupe. Figure du monde pharmaceutiqque, Stéphenne dirige actuellement CureVac, un laboratoire allemand qui cherche égaleement un vaccin contre le coronavirus.

Natif d’Agadir, il assiste, enfantt, au décès de sa sœur, qui a succcombé à la coqueluche. C’est à ce moment-là que naît sa vocation. Son paalmarès en recherche et développement est impressionnant: il a contribué au dévelloppement de quatorze vaccins, y compris coontre le cancer de l’utérus ou la gastro-entéritee infantile à rotavirus.

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ALEX BRANDON/AP/SIPA

SUPERCHERCHEUR

FUTUR PRIX NOBEL?

En 2016, le magazine Fortune le plaçait déjà 29e dans son top 50 des « personnalités qui changent le monde ». En 2021, le prix Nobel de médecine lui serait tout destiné s’il parvenait à être le premier à mettre sur pied un vaccin contre le coronavirus. FAHD IRAQI, à Rabat


COMMUNIQUÉ

République du Bénin

Innovation « made in Bénin » et retour à l’effervescence démocratique Prévues de vieille date, les élections communales sont désormais un rendez-vous constitutionnel au Bénin. Mais qui dit élections dit interactions entre le peuple et les candidats. Seulement, comment le contexte du COVID-19,réussir à tenir des élections ? Le Bénin a trouvé et expérimenté sa formule. Qui pourra, demain, en inspirer d’autres

> M. Patrice Tallon, Président de la République du Bénin

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ue faire donc lorsque l’exigence légale se heurte à une contingence imprévue, qui s’impose par son caractère apparemment insoluble ? Les Béninois, qui ne manquent pas de ressources, ont su répondre à cette problématique. Sous la responsabilité de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication pour garantir aux cinq partis en lice une égalité de traitement, la campagne électorale a été exclusivement médiatique pour les cinq partis engagés dans la compétition. Exit les traditionnels meetings géants et autres contacts directs entre candidats et électeurs. Le jour du vote proprement dit, le dimanche 17 mai 2020, chaque électeur a reçu de l’Etat, son masque de protection et, sur les lieux de vote, le dispositif de lavage ou d’aseptisation des mains était déployé, assorti de l’observance globalement satisfaisante de la distance de sécurité sanitaire.

Trois jours après ces élections, la CENA a procédé à la proclamation des résultats. Ils consacrent l’apaisement politique dans le pays, après les querelles de l’année dernière lors des législatives et de la première expérimentation des réformes politiques. Cette fois-ci, plusieurs listes sont qualifiées pour prendre part à la compétition. Mais l’électorat se structure de plus en plus, renforçant la rationalisation du paysage politique et l’émergence de partis véritablement nationaux. Avec un taux de participation s’élevant à 49,14%, ces élections permettent vraiment de tourner la page des législatives. L’Union progressiste (UP) reste la première force politique du pays avec 39,97% des suffrages exprimés et 820 sièges de conseillers, soit près de la moitié des 1815 sièges en jeu. Le Bloc républicain (BR) engrange pour sa part 37,38% des suffrages pour 735 sièges et la Force Cauris pour un Bénin émergent (FCBE),

> Affiches des candidats en lice

parti d’opposition, tire son épingle du jeu avec 14,98% des suffrages pour 260 sièges de conseillers répartis dans le pays, avec notamment un ancrage dans certains de ses anciens bastions dans le nord et le centre du pays. Manquent à la répartition des sièges, le Parti du Renouveau démocratique (5,47%) et l’Union démocratique pour un Bénin nouveau (2,17%), tous deux se réclamant de la mouvance présidentielle, mais qui n’ont pu franchir la barre des 10% nécessaires pour avoir droit à des sièges. La clarification et la rationalisation du paysage politique béninois sont donc en marche pour soutenir la nécessaire mutation de cette démocratie qui entend se consolider pour faire enfin jouer aux partis politiques, leur rôle d’animateurs principaux de la vie politique, et de gestionnaires de la cité à travers leurs élus. In concreto, l’effervescence démocratique qui a tant manqué en avril 2019 était de retour à l’occasion de ces législatives. De bon augure…I

JAMG - Photos : Présidence du Bénin sauf mention

Les réformes politiques produisent leurs effets

© Prostock-studio / AdobeStock

Élections Communales du 17 Mai 2020


PROJECTEURS

Comme le temps passe…

VINCENT FOURNIER/JA

UN PHOTO/RICK BAJORNAS

Ils étaient sur le devant de la scène. Que sont-ils devenus?

MOHAMED OULD ABDELAZIZ

Confiné en famille dans son campement de Bénichab (Inchiri), Mohamed Ould Abdelaziz, qui a quitté le pouvoir en juin 2019, n’a pas réapparu en public depuis décembre dernier. Très discret, l’ex-président mauritanien ne reçoit personne. Il attend d’être convoqué devant la Commission d’enquête parlementaire, qui travaille sur des attributions de marchés effectuées lorsqu’il était au pouvoir. « Aziz » a fait savoir qu’il souhaite que son audition, si elle a lieu, soit retransmise en direct. Entre lui et le président Mohamed Ould Ghazouani, le contact est « presque » rompu. Même s’il n’y a plus aucune médiation en cours, chacun prend soin de ne jamais attaquer publiquement l’autre. Aziz met tout en œuvre pour rebondir: avec son ami Seyedna Ali Ould Mohamed Khouna, qui fut son ministre de la Fonction publique, Aziz n’exclut pas de rejoindre Boydiel Ould Houmeid, qui s’apprête à reprendre en main son parti, El Wiam, qu’il avait quitté en 2018. Ensemble, ils pourraient aussi créer une toute nouvelle formation.

Dans l’œil de Après soixante-quatorze années d’existence, le franc CFA vient de connaître sa « fin symbolique », selon la porte-parole du gouvernement français. Le 20 mai a été adopté à Paris un projet de loi sonnant le glas de cette monnaie, pour l’instant dans les huit pays francophones de la zone ouest-africaine. Souvent dénoncé comme « colonialiste », le franc CFA deviendra l’eco. Il conservera, jusqu’à nouvel ordre, une parité fixe avec l’euro, mais les États concernés n’auront plus l’obligation de déposer la moitié de leurs réserves de change auprès du Trésor français.

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KAMISSA CAMARA

En 2018, la nomination de cette jeune conseillère diplomatique du président malien au poste de ministre des Affaires étrangères avait créé l’événement. À 35 ans, Kamissa Camara succédait à un poids lourd du marigot politique local: Tiéman Hubert Coulibaly, président de l’Union pour la démocratie et le développement (UDD). Détentrice des nationalités malienne, française et américaine, elle a su trouver sa place au sein du gouvernement. Certes, elle n’est pas restée longtemps aux Affaires étrangères, mais elle est, depuis mai 2019, ministre de l’Économie numérique et de la Prospective. Moins exposée médiatiquement, elle n’en demeure pas moins active. Dès le début de l’épidémie de Covid-19, elle a mis la technologie au service de la riposte. C’est elle aussi qui a coordonné la mise en place des Conseils de ministres par visioconférence. Ses services ont développé des applications et créé Le Petit Guide du digital au Mali, qui recense les applications locales pour sensibiliser aux gestes barrières (telle SOS Corona), l’administration en ligne ou encore des statistiques sur l’évolution de la maladie en langues locales (DoniFab).


La Côte d’Ivoire aujourd’hui La

© RENAUD VAN DER MEEREN/LES ÉDITIONS DU JAGUAR

Le long chemin vers l’émergence

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n un peu moins de 10 ans, sous la Présidence d’Alassane Ouattara, la Côte d’Ivoire s’est transformée, elle a retrouvé la paix et la sécurité, s’est lancée sur les chemins d’une croissance accélérée. Elle a rétabli ses institutions et confirmé le processus de la vie institutionnelle. En 2016, lors du deuxième mandat, une nouvelle constitution introduit, plus de justice et a essayé d’éliminer les clauses identitaires. Elle met l’accent sur la protection et la promotion de la femme dans tous les domaines. La création d’un poste de Vice-Président vise à garantir la continuité de l’exécutif. Autre innovation importante, la création d’un Sénat qui a pour rôle de représenter les collectivités locales décentralisées ainsi que les Ivoiriens établis hors du pays.

Abidjan capitale économique porte d’entrée du continent, symbole de l’Afrique audacieuse.

Une vraie mutation s’est opérée dans le domaine économique avec des investissements lourds qui ont des répercussions sociales, culturelles et politique. On est loin de la Côte d’Ivoire du 7 décembre 1993. À la mort du Président Félix Houphouët-Boigny, le pays était dans une profonde instabilité, affaibli par la crise économique et le concept d’ivoirité qui allait conduire à une quasi-guerre civile.

I - COMMUNIQUÉ


© RENAUD VAN DER MEEREN/LES ÉDITIONS DU JAGUAR

La Côte d’Ivoire aujourd’hui L

Croître L’agro-industrie représente 75 % de la valeur ajoutée du secteur manufacturé et 370 000 emplois directs. COMMUNIQUÉ - II


Partager Conjuguer la croissance avec le bien-être des citoyens, la solidarité, sans oublier la protection de l’environnement.

Aujourd’hui, avec un taux moyen de croissance entre 7 et 10 % par an, la richesse nationale de la Côte d’Ivoire a plus que doublé sur la décennie. C’est l’un des pays les plus performants dont l’économie repose sur les secteurs solides, du cacao, de l’agriculture et des produits agricoles, les ports d’Abidjan et de San Pedro, très compétitifs et le développement de l’énergie. Abidjan, sa capitale économique est une ville de près de 5 millions d’habitants. Elle concentre presque 60 % des richesses du pays. La ville s’est agrandie et étendue sur les vieux quartiers, dont certains ont été rasés. Les ponts ont été rétablis, d’autres ont été bâtis pour une meilleure circulation. La Côte d’Ivoire a fait un retour remarqué sur la scène internationale, donné à sa diplomatie une dimension régionale et encouragé les partenariats sud-sud. Ouverte sur le monde avec une société civile active bien que naissante, avec une jeunesse qui en veut, la Côte d’Ivoire s’apprête à franchir un nouveau cap. En 2020, elle fête ses 60 ans d’indépendance et se trouve face à une élection présidentielle en octobre qui marquera son passage à la démocratie.

@JACQUES TORREGANO/DIVERGENCE

Mais ce scrutin est aussi une épreuve. Les vieux schémas électoraux ont la vie longue et la Côte d’Ivoire n’est probablement pas sortie de tous ses prismes ethniques ; bien qu’elle soit plus ouverte, plus moderne, plus métissée. La classe moyenne qui s’est créée assure une certaine stabilité liée à ses besoins. Elle est connectée sur les réseaux sociaux et le citoyen nouveau est aussi l’électeur de demain. Les électeurs de cette nouvelle génération, plutôt actifs dans les villes, ne veulent plus s’embarrasser du passé. Ils ont besoin de paix, de plus de justice sociale et de bonne gouvernance, de vivre ensemble mieux. Ils ont besoin aussi de se débarrasser des anciennes habitudes, d’avoir des critères de sélection basés sur la compétence et non pas sur des liens ou des connivences. Ils ont des exigences pour l’éducation, la santé et veulent un travail décent et un logement accessible. Ils veulent aussi la sécurité. III - COMMUNIQUÉ


© MINERVA STUDIO/STOCK.ADOBE.COM

© JACQUES TORREGANO/JA

© DANIEL ERNST/STOCK.ADOBE.COM

L La Côte d’Ivoire aujourd’hui

COMMUNIQUÉ - IV

Éduquer L’enseignement obligatoire et gratuit de 6 à 16 ans et demain une jeunesse connectée.

Industrialiser Le cacao, une production de 2 millions de tonnes par an dont 500 000 tonnes transformées sur place.

Lutter Combattre l’ennemi invisible Covid-19.


Le pays a une longue frontière avec le Mali, le Burkina. Il a été attaqué en 2016 et reste une cible pour les mouvements djihadistes. C’est donc une préoccupation importante. La Côte d’Ivoire dialogue avec le G5 sur la stratégie et le rôle de la CEDEAO dans cette lutte contre le terrorisme. Elle doit aussi se préoccuper de la criminalité qui augmente avec la croissance, lutter contre la piraterie qui se développe dans le golfe de Guinée très convoité, contrôler ses frontières. La sécurité c’est aussi la santé. Or dans ce pays qui se croyait peut-être épargné est arrivé un hôte que l’on n’attendait pas le Covid-19. Cet infiniment petit virus a bouleversé le monde.

et former les jeunes au monde de demain

Décembre 2019 dans la ville de Wuhan en Chine une épidémie de coronavirus se déclare dans cette métropole de 11 millions d’habitants. Les chinois l’annoncent officiellement le 7 janvier 2020, le 30 janvier l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclare une urgence de santé publique de portée internationale. Le 11 février, l’OMS donne à la maladie causée par ce virus le nom de Covid-19. Le 11 mars l’OMS requalifie l’épidémie en pandémie. Dès le 11 mars, les autorités ivoiriennes vont réagir, pour briser la chaîne de la contamination et mettre en place © PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE DE CÔTE D’IVOIRE

Coopérer

les mesures nécessaires, les mesures barrières, celles que l’on répète dans le monde entier : se laver les mains régulièrement, tousser dans son coude, pratiquer la distanciation mais aussi limiter les déplacements, pas de rassemblement, fermeture des lieux publics (maquis, restaurants...) confinement, dépistages sélectifs et couvre-feu. Autre décision, l’isolement du grand Abidjan où sont créés 13 centres de dépistage, 45 autres à l’intérieur. Le port du masque est recommandé, voire

obligatoire. Les masques sont disponibles et gratuits avec une priorité pour les services de santé, de la défense et de la sécurité. Ces mesures sont accompagnées par une communication ciblée, notamment auprès des populations vulnérables et dans les campagnes, pour sensibiliser les habitants et expliquer le bien-fondé de ces mesures. V - COMMUNIQUÉ


Développer Performances et modernité.

© JACQUES TORREGANO/JA

© PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE DE CÔTE D’IVOIRE

© RENAUD VAN DER MEEREN/LES ÉDITIONS DU JAGUAR

La Côte d’Ivoire aujourd’hui

Dynamiser Au top des classements Doing business, Trade20 Index, …

COMMUNIQUÉ - VI


Le Président Alassane Ouattara appelle au passage de témoin à la nouvelle génération pour qu’à son tour elle poursuive le changement et conduise la Côte d’Ivoire sur la voie de la modernité

En mai, les autorités ivoiriennes annoncent 2 231 cas confirmés, dont 1 083 guéris et 29 décès. Depuis le 14 mai, le gouvernement ivoirien a décidé d’alléger les mesures de confinement à l’issue du conseil de sécurité tout en recommandant aux populations d’intégrer dans leurs habitudes quotidiennes les mesures barrières et le port du masque pour se protéger et protéger les autres. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire fête 60 années d’indépendance et affronte une étape majeure dans le processus de modernisation politique et de démocratie, l’élection présidentielle d’octobre 2020. Pour le chef de l’État, Alassane Ouattara, qui depuis 20 ans se bat pour transformer le pays et qui a annoncé qu’il ne se représentait pas, c’est la confirmation de tout ce qu’il a entrepris depuis sa venue au pouvoir pour remettre le pays en marche, former une génération d’hommes et de femmes politiques, créer un parti qui rassemble et non pas divise : le RHDP (Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix). © THIERRY GOUEGNON/REUTERS

Rassembler

Un fonds de solidarité est débloqué pour la distribution de vivres. Les engagements financiers sont importants, lourds. Des aides et des prêts supplémentaires sont accordés notamment par la banque mondiale et l’AFD.

Comme il l’avait annoncé, il passe le flambeau à la nouvelle génération. Le Premier Ministre, Amadou Gon Coulibaly, membre fondateur du Rassemblement Des Républicains (RDR), apparaît comme l’héritier naturel. Originaire de Korhogo, aux côtés du Président depuis la fin des années 1980, compétent, travailleur au service de l’État, c’est le numéro deux du régime. Il incarne, avec des hommes fidèles à ses côtés, la continuité et la poursuite des réformes entamées. Ensemble ils travaillent déjà à l’horizon 2030.

VII - COMMUNIQUÉ


3˚ O

8˚ O

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Napié

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5˚ N

Autoroute Route principale Route secondaire Voie ferrée Aéroport international

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COMMUNICATIONS

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Sassandra

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GOLFE DE GUINÉE

8˚ O

Parc national

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moins de 20 000

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de 20 000 à 50 000

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de 50 000 à 100 000

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de 100 000 à 1 000 000

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plus de 3 500 000

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ALTITUDES en mètres

© RENAUD VAN DER MEEREN/LES ÉDITIONS DU JAGUAR

RELIEF

3˚ O

0

100 km

Rapide

La Côte d'Ivoire en bref Superficie

322 462 km²

Population

25,8 millions d’habitants

Densité

80 hab/km 2

Principales villes

Abidjan, Bouaké, Daloa, Yamoussoukro, Korhogo, San Pédro

Capitale politique

Yamoussoukro

Capitale économique

Abidjan

Langue officielle

français

Principales langues nationales

baoulé, dioula, bété, sénoufo, yacouba, agni, attié, guéré…

COMMUNIQUÉ - VIII

© JAMG - D.F

DONNÉES ADMINISTRATIVES


PROJECTEURS

TCHAD

Le match

IDRISS DÉBY ITNO

ABUBAKAR SHEKAU

n l’a dit fou, excentrique, mort même. Pourtant, à la fin du mois de mars, lorsque Abubakar Shekau enregistre un message qui sera diffusé le 1er avril, le leader historique de Boko Haram est toujours menaçant. S’adressant en haoussa à Idriss Déby Itno, le Nigérian met en garde le président tchadien, l’estimant incapable de « combattre ceux qui ont choisi de se battre pour le jihad ». « Il fanfaronne », commentera auprès de JA un haut responsable à N’Djamena. Au même moment, l’armée tchadienne lançait une offensive de grande envergure sur le nord du lac Tchad. Objectif : anéantir les jihadistes et laver l’affront de l’attaque du 23 mars à Bohoma, dans laquelle au moins 98 soldats tchadiens ont été tués. Martial, Idriss Déby Itno a endossé ses habits de chef de guerre. Ses cibles : les combattants de Boko Haram, aujourd’hui affiliés à l’État islamique et divisés en deux groupes dans la région du Lac. Le premier, et le plus important en nombre, est mené par Abou Abdullah Ibn Umar al-Barnaoui et opère sous le nom d’État islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap). Le second, qui a aussi prêté allégeance à l’EI mais refuse de se soumettre à Barnaoui, se fait appeler Jama’tu Ahlis Sunna Lidda’awati wal-Jihad (JAS). Il est mené par Ibrahim Bakoura, un vétéran de Boko Haram dont les hommes occupent des territoires aux alentours de Nguigmi (Niger) et mènent des attaques dans toute la zone du Lac. Déclaré mort par l’armée nigérienne en février, Bakoura pourrait en réalité avoir survécu – une de nos sources fait état d’une preuve de vie en mars. Fidèle de Shekau, qu’il a choisi de suivre au détriment de Barnaoui, il aurait lui-même planifié l’attaque sur Bohoma qui a provoqué l’ire d’Idriss Déby Itno.

Lorsque ce dernier vient passer ses troupes en revue, à la fin de mars, aux confins du lac, c’est bien Shekau, replié dans la forêt nigériane de Sambisa, et son bras armé, Ibrahim Bakoura, qui occupent ses pensées. Le Tchadien est agacé. Environ 6 000 de ses soldats sont engagés contre Boko Haram, dont 3 000 au sein de la Force multinationale mixte, qui regroupe le Nigeria, le Niger, le Cameroun et le Tchad. Mais il fustige le manque d’implication d’Abuja et de Niamey. « Le Tchad est seul face à Boko Haram », déplore-t-il.

Président du Tchad

Chef de Boko Haram

MATHIEU OLIVIER

O

« Résilience extraordinaire »

A-t-il encore en tête le cri qu’Abubakar Shekau a lancé en janvier 2015: « Idriss Déby, je vous défie! »? Le président avait répondu deux mois plus tard : « Nous allons anéantir Boko Haram ! » Cinq ans après, le voilà dans la même situation. Le 4 avril, il félicitait ses « forces de défense et de sécurité », « qui ont nettoyé toute la zone insulaire ». « Déby n’aime rien tant que revêtir son habit de chef de guerre. Il s’en sert à merveille diplomatiquement, notamment dans sa relation avec la France, et politiquement, en tablant sur une union sacrée derrière lui », analyse un spécialiste de la zone, qui rappelle que la présidentielle tchadienne doit se tenir en 2021. « Il préfère que les Tchadiens aient le regard tourné vers l’ennemi de l’extérieur plutôt que sur les crises internes. Quant à Shekau, invectiver les présidents de la région fait partie d’une stratégie de communication qui lui permet de rester sur le devant de la scène », ajoute un diplomate sahélien. Le match pourrait donc encore durer. « Boko Haram a une résilience extraordinaire », reconnaissait le président dans nos colonnes en novembre 2019. Et ce n’est pas Shekau qui le contredira.

no3089 – JUIN 2020

19


PROJECTEURS

ESPRITS LIBRES

Faisons humanité ensemble Souleymane Bachir Diagne

Directeur de l’Institut d’études africaines Columbia University, à New York

L

a crise du Covid-19 a mis à nu ce qui n’allait pas dans le monde, qui s’est arrêté. Et elle nous somme maintenant d’imaginer « l’après » lors même que nous n’avons pas encore pris toute la mesure de ce qui nous est arrivé, de tout ce qui a basculé dans nos existences. Cela arrivera sans doute après le choc et ses répliques, bien plus tard, lorsque, avec le recul, nous réaliserons l’énormité du fait que le cours des affaires humaines s’est tout simplement arrêté à un moment donné. S’il est une chose que nous comprenons d’ores et déjà, c’est que « l’après » ne sera pas un simple retour au monde d’avant. Et nous réalisons également que ce n’est pas quand nous ignorons comment les choses vont se passer cet été, ni à quoi va ressembler l’hiver prochain que nous allons imaginer dans le détail de quoi les lendemains de Covid, dont on sait malgré tout qu’ils finiront bien par arriver, seront faits. Il est cependant évident que cette crise sanitaire et la crise économique et sociale qui l’accompagne comme une seconde vague tout aussi mortifère imposent de revisiter les présupposés du « monde d’avant ». Et que tirer les leçons de la dévastation qui continue c’est prendre conscience de la nécessité de faire advenir un monde autre, dont la base sera une politique d’humanité. Ce nouveau coronavirus, à peine né, a fait le tour du monde en un rien de temps. Et, puisque pour lui la terre n’est qu’un seul pays, notre réponse doit tenir compte du fait que oui, la terre n’est qu’un seul pays. Voilà

20

no3089 – JUIN 2020

le premier principe d’une politique d’humanité. Il est vrai que ce n’est pas cette direction que les réponses paniquées à la crise ont d’abord prise. Elles sont allées au contraire dans le sens du repli sur soi. Le premier mouvement, c’est le réflexe, l’instinct. Or, comme le dit Henri Bergson, ce qui constitue la tribu, c’est la force de l’instinct. Il faut souhaiter que se dessine le second mouvement, celui de la réflexion. Il faut espérer que cette crise nous pousse à penser davantage la construction d’une citoyenneté mondiale et la manière de faire humanité ensemble. Et cette réflexion prendra le pas sur l’instinct

HABITER LA TERRE, C’EST, POUR L’HOMME, À QUI SEUL INCOMBE CETTE RESPONSABILITÉ, VEILLER SUR LE VIVANT. de fermeture sur soi et d’érection de murs dont l’exemple nous est donné par une Hongrie populiste, qui agite encore plus fort qu’avant l’épouvantail de l’autre qu’est l’étranger, le migrant, ou les « élites cosmopolites ». « Une vie voit le jour avant une autre, c’est vrai, pourtant nulle vie n’a le droit d’aînesse sur une autre vie, nulle vie ne vaut mieux qu’une autre vie » : ainsi parle un des articles du « serment » des chasseurs du Mandé, dont l’origine, dit la tradition, remonte à Soundiata Keïta, fondateur au XIIIe siècle de l’empire

du Mali. Pour traduire cela en action, sur le plan mondial, il faudra mettre en place une politique de santé pour tous, afin de corriger les inégalités devant la maladie et la mort qui ont été mises à nu dans cette crise particulièrement dévastatrice pour les plus pauvres et les plus âgés.

Annulation de la dette

Les religions ont plutôt su manifester qu’elles sont faites pour l’humain et non pas pour les institutions qu’elles sont souvent devenues. Si, aux ÉtatsUnis, certains fondamentalistes ont manifesté pour l’ouverture des églises, brandissant leur liberté de conscience et refusant de savoir si celle-ci signifiait aussi la liberté de contaminer son voisin, beaucoup de lieux de culte ont été transformés en centres de tests du Covid-19. Ainsi, à New York, un des responsables d’une association de pasteurs a-t-il magnifiquement déclaré que la fonction d’une église n’est pas suspendue si elle continue de remplir de cette autre manière sa mission, qui est avant tout d’être au service de l’humain et de la vie. Les mosquées qui ont préféré rester prudemment fermées, même lorsque les pouvoirs publics ont autorisé leur réouverture, ont également rappelé le sens de la parole prophétique selon laquelle c’est la terre tout entière qui est une mosquée pour la prière de l’humain, partout où il se trouve. Une politique d’humanité obéira à la double exigence de faire humanité ensemble et de savoir ensemble habiter la terre. Faire humanité ensemble? Le sens nous en est donné par Jean Jaurès lorsque, dans le


L’insulte faite à Achille Mbembe Sophie Bessis

premier éditorial du journal qu’il venait de fonder, il lui assignait comme finalité de contribuer à faire « de chaque nation enfin réconciliée avec elle-même une parcelle » de cette humanité solidaire qu’il faut continûment travailler à réaliser. Concrètement, la solidarité s’exprimera, pour ne prendre qu’un aspect, à travers l’annulation de la dette des pays les plus pauvres. Ce qui ne sera pas pure générosité mais nécessité bien comprise de se développer ensemble. Il faudra en effet continuer de parier sur cette Afrique qu’on disait émergente et dont on glorifiait les importants taux de croissance dans le monde d’avant la crise.

À l’écoute de la nature

Il s’agit enfin d’habiter la terre ensemble, c’est-à-dire, pour l’humain, à qui seul incombe cette responsabilité, de veiller sur le vivant. Nous ne serons sortis de cette crise sanitaire que lorsque nous aurons résolu les désordres écologiques qui l’ont précédée – et dans lesquels on voit qu’elle s’inscrit. Du reste, la nature semble, au cœur de la crise, montrer elle-même dans quel sens agir. Car voici qu’aujourd’hui, après que les activités qui provoquent les changements climatiques ont dû s’arrêter par la force des choses, l’air de notre planète est devenu plus pur et plus transparent, dans un monde qui reprend des couleurs, et où les animaux sauvages s’aventurent aux abords des villes. C’est comme si un futur souhaitable, que nous devrons tous ensemble travailler à réaliser, nous faisait ainsi signe depuis l’avenir.

D

«

ieu, gardez-moi de mes amis, mes ennemis, je m’en charge. » Jamais cette phrase, attribuée à un roi de France à la veille d’une bataille cruciale, ne m’a paru aussi appropriée quand, revenant de deux mois de confinement sans internet, j’ai pris connaissance de l’« affaire Mbembe ». Une fois de plus, un intellectuel du Sud qui s’attache depuis des années à défendre le droit de tous les humains à une égale reconnaissance en dignité a été taxé d’antisémitisme pour avoir à juste titre condamné la politique d’Israël. En Allemagne cette fois-ci, des procureurs autoproclamés ont qualifié de haine antijuive sa critique de la dérive suprémaciste d’un État dont les gouvernants assument publiquement leur volonté de priver les Palestiniens de ce qui leur reste de terre et de droits. Au-delà de l’inadmissible insulte faite à Achille Mbembe, que rien dans ses écrits ni dans ses positions n’autorise à traiter d’antisémite, l’affaire est grave, pour plusieurs raisons. D’abord parce que les Européens qui ont perpétré ou laissé faire le génocide hitlérien persistent à se défausser de leur culpabilité historique en s’érigeant en protecteurs d’une politique israélienne qui foule aux pieds tous les principes dont ils se veulent les garants. Ensuite parce qu’en confondant Israël et les juifs ils se font des facilitateurs

Historienne

objectifs d’un antisémitisme qui n’a pas désarmé et que nourrit de plus en plus la dérive israélienne. Celle-ci représente désormais un danger pour les juifs, souvent assimilés à la cinquième colonne d’un État qui prétend les représenter tous. En avalisant cette fiction, les gouvernements occidentaux ne protègent pas les juifs, ils les fragilisent et, subliminalement, ils continuent au fond à les considérer comme des « autres », éternels étrangers. Enfin, parce qu’ils n’ont combattu qu’avec mollesse la montée de l’extrême droite dans leurs propres pays, reprenant bon nombre de ses rhétoriques et laissant s’installer chez eux un racisme qui autorise toutes les haines. Or la haine ne se divise pas. Quand on déteste les nègres et les Arabes, on déteste les juifs tout autant.

Il sait ce qu’est le racisme

Alors, de grâce, puisque les circonstances m’obligent hélas à m’exprimer en tant que juive, qu’ils cessent de nous soutenir de cette façon. Je préfère être défendue par un Achille Mbembe, qui sait ce que le racisme veut dire, que par ceux qui, en Allemagne, en Autriche et ailleurs, nouent des alliances délétères avec les formations néofascistes ayant, elles, l’antisémitisme dans leur ADN. Il est encore fécond le ventre de la bête immonde, pour reprendre la fameuse phrase de Bertolt Brecht, mais qu’ils la combattent chez eux plutôt que de la chercher là où elle n’est pas.

no3089 – JUIN 2020

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L’ENQUÊTE CORONAVIRUS

Bien que la pandémie soit loin d’être vaincue, on a vu fleurir, sur le continent, nombre d’initiatives originales, et pas seulement sur le plan sanitaire. Dirigeants politiques, chefs d’entreprise ou acteurs de la société civile, tout le monde s’y est mis. De quoi inciter à un certain optimisme.

D

PAR OLIVIER MARBOT, avec FATOUMATA DIALLO et THALIE MPOUHO epuis l’apparition des premiers cas de Covid19 sur le continent, rapidement suivie des premières mesures de contrôle aux frontières, puis de tests et parfois de confinement, les connexions internet chauffent aux quatre coins de l’Afrique. Télétravail, enseignement à distance, échange de messages… Comme le reste du monde, le continent s’adapte,

parfois de façon spectaculaire, et beaucoup découvrent les vertus – et les défauts – de la visioconférence. C’est le cas des chefs d’État et de gouvernement qu’on a vus se parler, se concerter, élaborer des stratégies de riposte communes par webcam interposée. Une première pour certains d’entre eux, tout du moins à une échelle aussi large. Le 23 avril, par exemple, ils étaient une douzaine à se réunir, à l’initiative du président nigérien, Mahamadou Issoufou, dans le cadre de la Cedeao, rejoints par

Et si l’Afrique renforcée?


RAFAEL RICOY POUR JA

en sortait


L’ENQUÊTE CORONAVIRUS

Moussa Faki Mahamat, le président de la Commission de l’UA, et par Mohamed Ibn Chambas, le représentant spécial de l’ONU en Afrique de l’Ouest, pour évoquer la propagation du virus. Un tel panel se serait-il réuni aussi rapidement sans visioconférence ? Il est permis d’en douter. Au début de mai, c’était au tour d’Andry Rajoelina de convier, toujours grâce à la vidéo, huit chefs d’État venus chanter les louanges du Covid-Organics, la décoction anticoronavirus à base d’artemisia que les Malgaches ont mise au point. Bel exemple, là encore, de collégialité, voire de panafricanisme, mis en musique cette fois par le président malgache, qui a répété que, face à la crise, l’heure était à la « solidarité africaine » et à l’adoption de « solutions africaines ». « Nous pouvons révolutionner et faire bouger le monde », a-t-il insisté. Faire bouger le monde ? Une chose au moins est certaine : près de trois mois après l’irruption du virus sur le continent, quatre mois après que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré l’urgence sanitaire mondiale, l’Afrique résiste bien mieux que les autres continents. Nul ne songe cependant à crier victoire, avec presque 120 000 malades recensés (dont déjà presque 50 000 guéris). Et si le nombre de morts, qui vient de dépasser les 3 500, paraît modeste, des pays comme l’Égypte, l’Afrique du Sud, le Cameroun, le Ghana, le Nigeria ou la Guinée sont encore loin d’avoir enrayé la propagation de la maladie et continuent à annoncer des centaines de nouveaux cas quotidiennement. Ces points étant précisés, le constat demeure: pour un continent de plus de 1,2 milliard d’habitants, l’Afrique est relativement moins touchée que le reste du monde. Difficile d’en déterminer précisément les raisons, mais l’action des populations et de leurs dirigeants a forcément pesé. Surtout, beaucoup de mesures originales, adaptées au contexte local, ont été imaginées et semblent avoir porté leurs fruits. Parmi elles, l’adoption très précoce de mesures de précaution, à l’heure où les États-Unis et certains pays européens se refusaient encore à intervenir, pariant sur le fait que leurs populations allaient contracter des formes bénignes de la maladie et développer une immunité collective. De nombreux pays d’Afrique ont également imaginé des mesures d’accompagnement, qui semblent avoir limité les dégâts. Aide

AIDE ALIMENTAIRE, VISIOCONFÉRENCES, DÉSENGORGEMENT DES PRISONS, ENSEIGNEMENT À DISTANCE… TOUTES LES IDÉES ONT ÉTÉ LES BIENVENUES.

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no3089 – JUIN 2020

alimentaire en Afrique du Sud, au Sénégal et en Mauritanie. Aide financière au Congo, allègement ou paiement de certaines factures par l’État en Mauritanie ou au Gabon (qui a également décrété un moratoire sur les loyers). En Côte d’Ivoire, en Éthiopie et au Nigeria, les autorités ont décidé de désengorger les prisons, qui risquaient de se transformer en bombes à retardement virales. Au Kenya, le gouvernement a lancé un programme de nettoyage des bidonvilles. Baptisé Kazi Mtaani et confié aux habitants, il a vocation à lutter contre les risques de propagation et à assurer un revenu aux populations les plus vulnérables. Quant au président burkinabè et à ses ministres, ils ont renoncé à une partie de leur salaire pour financer la lutte contre le Covid-19. Difficile, dans cette liste hétéroclite, de faire la part entre les vraies bonnes idées et les mesures cosmétiques, les promesses sincères et la démagogie. Il n’empêche, ces annonces, cette capacité des dirigeants à se mobiliser dans l’urgence dit quelque chose de l’état d’esprit avec lequel l’Afrique a décidé de faire face à la crise. Et la raison de cette mobilisation est peut-être, justement, à chercher du côté de son caractère planétaire. Souvent, c’est l’Afrique qui souffre et le monde qui vient à son aide, ou prétend le faire. En cette année 2020, la donne a changé.

Caméras thermiques

La réaction des milieux économiques illustre elle aussi ce changement d’ère. Bien sûr, on a beaucoup entendu parler de la générosité du milliardaire chinois Jack Ma et de ses dons de matériel médical à l’Afrique. Mais les entreprises du continent n’ont pas été en reste. À se demander si certaines n’ont pas été piquées au vif par l’initiative chinoise… Alors que la Chine, partenaire incontournable du continent, se confinait et fermait ses frontières, l’Afrique décidait qu’elle ne pouvait pas (ou plus) tout attendre de l’aide internationale, d’autant qu’avec la tentation du « chacun pour soi », celle-ci aurait pu faire défaut. Dans la foulée de « l’opération Jack Ma », on a ainsi vu des stars africaines – Sadio Mané, Paul Pogba, Magic System – offrir de l’argent à leur pays d’origine. Les groupes marocains Bank of Africa, BMCE, OCP et Afriquia ont fait des donations. Arise et ses partenaires ont envoyé des millions de masques, des blouses, des gants, du gel hydroalcoolique, des respirateurs ou des caméras thermiques un peu partout sur le continent. Aliko Dangote a fédéré un


groupe de grands patrons nigérians, donnant naissance à la Private Sector Coalition Against Covid-19, tandis que son compatriote Tony Elumelu disait voir dans la crise « une opportunité pour réinitialiser l’Afrique » et appelait à un nouveau plan Marshall. En Afrique du Sud, les riches familles Rupert et Oppenheimer promettaient quant à elles des millions pour soutenir les petites entreprises. Appelés à « penser » cette situation inédite et à imaginer des scénarios, les intellectuels ont eux aussi privilégié des « réponses africaines », engageant leurs compatriotes à cesser de tout attendre de l’aide étrangère et à ne pas sombrer dans un « mimétisme » qui n’aurait consisté qu’à importer des moyens de riposte inadaptés aux réalités du continent. Au sein de la société civile, beaucoup ont appelé à la rescousse les nouvelles technologies et internet. Livraison de fournitures médicales par drones, écrans et lunettes de protection produits en impression 3D dans les fablabs, systèmes de diagnostic à distance, de télésanté, prépositionnement des ambulances pour faire face aux urgences : les réseaux ont été mobilisés sur le front de la santé, mais pas uniquement. Comme le souligne l’universitaire tunisien Kaïs Mabrouk, l’enseignement à distance a lui aussi pris son essor, même si toutes les tentatives n’ont pas été des succès flamboyants. « Beaucoup d’instituteurs et de professeurs se sont résolus, faute de mieux, à utiliser des moyens rudimentaires », note-t-il. En Tunisie, beaucoup ont utilisé les solutions de visioconférence Zoom ou Team, et le ministère de l’Éducation nationale a mis sur pied une chaîne de télévision éducative. « Archaïque, regrette l’universitaire, mais la crise nous a au moins fait comprendre que nous avons manqué un cap et que nous devons nous rattraper. » C’est d’ailleurs l’un des points positifs que beaucoup soulignent : le coronavirus a fait surgir ou resurgir des débats de société parfois enterrés depuis longtemps, refixé certaines priorités. Le sort des enfants, des malades ou des migrants, notamment. Celui des femmes, aussi, qui, dans un grand nombre de pays, sont au cœur de l’activité économique, en particulier dans l’agriculture et le secteur informel, et qu’il est plus que temps de soutenir financièrement. « Un discours féministe

CONSTATANT QUE LE NOMBRE DE MORTS RESTE TRÈS LIMITÉ SUR LE CONTINENT, MÉDECINS ET SCIENTIFIQUES AFRICAINS PERDENT LEURS COMPLEXES.

émerge à la faveur de cette crise, assure l’Ivoirienne Aïssatou Dosso, experte des questions de genre, sélectionnée dans le programme Africa Leaders de la Fondation Obama. Bien sûr, cela varie d’une région à l’autre, et la prise de conscience reste très relative, mais tout le monde comprend que l’autonomisation économique des femmes est une priorité et qu’on ne peut plus penser le développement sans en tenir compte. »

Les leçons d’Ebola

Le volet sanitaire et médical de la lutte contre la pandémie, enfin, n’échappe pas non plus à cette africanisation. Constatant que le nombre de malades et de décès reste très limité en Afrique par rapport à ce qu’il peut être en Europe ou en Amérique du Nord, certains médecins et scientifiques du continent, sans chercher à nier les problèmes, perdent leurs complexes. À l’image du Dr Ibrahima Soce Fall, directeur général adjoint de l’OMS: « Après Ebola, il y a eu un renforcement important des capacités. Des centres de coordination des urgences sont apparus dans les ministères africains de la Santé, et nous avons mis en place des systèmes de type communautaire. L’Europe et l’Amérique vont devoir réapprendre à faire face à ce type de situation. Quand on parle de pandémie dans ces pays, il faut remonter à la grippe espagnole, il y a un siècle! Ils ont oublié, cela fait trop longtemps. » Le médecin se félicite aussi du nombre croissant de jeunes spécialistes africains – épidémiologistes notamment – formés sur le continent, mais souligne un paradoxe: « Nous nous étions promis d’investir dans les systèmes de santé de nos pays au lendemain des dernières épidémies, et cela n’a pas été fait. » Même constat chez le professeur en cardiologie Aimé Bonny, de l’université de Douala. Réagissant à la polémique qu’avait suscitée, en avril, la proposition de médecins français de « tester » des traitements contre le Covid sur les Africains, le médecin camerounais rappelle que « derrière chaque médicament ou vaccin qui sauve au quotidien un malade africain, il y a des études internationales auxquelles l’Afrique participe moins de trois fois sur cent ». « Il est donc urgent, poursuit-il, que nous nous mobilisions pour mieux nous approprier notre destin scientifique. L’Afrique n’est pas suffisamment entrée dans l’histoire scientifique de l’humanité. » La crise actuelle, aussi dramatique et meurtrière qu’elle soit, pourrait être une chance de changer tout cela.

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L’ENQUÊTE CORONAVIRUS SÉNÉGAL 1,15

Pourquoi l’Afrique résiste Pour expliquer le faible nombre de victimes du Covid-19 en Afrique, de nombreuses hypothèses sont avancées. Mais aucune n’est encore validée scientifiquement.

GAMBIE 4,00

La densité de population L’habitat reste moins dense en Afrique qu’en Europe ou en Amérique du Nord

Moins de déplacements En moyenne, les voyages sont moins nombreux en Afrique, surtout par voie aérienne

L’expérience Les épidémies sont fréquentes, si bien que le personnel soignant, les autorités et les populations sont habitués à prendre des précautions

Des protections indirectes Certains traitements ou vaccins administrés en Afrique pourraient être en partie efficaces contre le virus La piste génétique Il est possible que certains Africains aient développé une résistance plus importante et/ou que la version du virus qui sévit sur le continent soit moins virulente qu’ailleurs Des mesures de protection précoces Le Covid-19 est arrivé tardivement en Afrique, et les autorités ont su prendre très tôt des mesures préventives

Des compétences locales Le dynamisme de l’industrie, textile en particulier, a permis de limiter les pénuries de masques ou de blouses

26

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MAROC 2,70

48,40

63,40

68

BURKINA FASO 6,10 82

Le climat Le virus serait affaibli par la chaleur et l’humidité

La jeunesse de la population Le Covid-19 est plus dangereux pour les personnes âgées

GUINÉE-BISSAU 0,50 3,50 GUINÉE 0,60

CAP-VERT 0,76 39,70

MAURITANIE 3,40 5,70

51,20

SIERRA LEONE 5,70 39,80

LIBERIA 9,80 53,20

CÔTE D’IVOIRE 1,24 51,90 GHANA 0,50 30,40 TOGO 3,30

UNE CONTAMINATION ENCORE LIMITÉE Trois mois après les premiers cas africains d’infection au Covid-19, le continent, qui représente 17 % de la population mondiale, ne compte que 1,89 % des malades et 0,9 % des décès. Même si la maladie est arrivée plus tardivement qu’en Asie ou en Europe, difficile de ne pas parler de meilleure résistance, voire d’exception. Les chiffres ci-contre le montrent, tous les pays ne sont toutefois pas logés à la même enseigne. Et n’ont pas appliqué les mêmes mesures de précaution. Chiffres au 26 mai 2020 De 0 à 500 cas

De 2 000 à 5 000

De 500 à 1 000

Plus de 5 000

De 1 000 à 2 000 Pays qui appliquent ou ont appliqué des mesures de confinement Taux de létalité (% de décès par rapport au total des malades) Taux de guérison (% par rapport au total des malades)

Moyenne mondiale 6,54 38,10

BÉNIN 1,50

41,70

43,80

SÃO TOMÉ-ET-PRÍNCIPE 4,00 1,30 GUINÉE ÉQUATORIALE 1,15 15,80

GABON 0,65 26,30

CONGO 3,20 29,20


TUNISIE 4,50 87,40

LIBYE 4,00

ALGÉRIE 7,16 55,80

NIGER 6,50 MALI 6,30

82,60

ÉGYPTE 4,35 28

53,30

TCHAD 8,80

57,00

ÉRYTHRÉE 0

SOUDAN 4,30 12

35,50

DJIBOUTI 0,50 43,70

NIGERIA 2,90 28,60 CENTRAFRIQUE 0,15 3,37

CAMEROUN 3,39 38

0

SOMALIE 3,90 13,90

ÉTHIOPIE 0,70 24,20

SOUDAN DU SUD 1,00 0,70

100

• 0

OUGANDA

KENYA 4,00 31,20

30,60

SEYCHELLES 0

TANZANIE 4,10 32,30

ZAMBIE 0,80 36,50

BOTSWANA 2,80 57,10

NAMIBIE 0 66,60

MALAWI 4,00 33,00

100

COMORES 1,15 24,10

MOZAMBIQUE 0,47 33,90 ZIMBABWE 7,10 44,60

MADAGASCAR 0,37 27,10

ESWATINI 0,80

AFRIQUE DU SUD 2,00 50,40

70,80

BURUNDI 2,30 47,60

RD CONGO 2,90 14,60

ANGOLA 5,70 25,70

RWANDA

• 0 0

LESOTHO

61,70

MAURICE 3,00 96,40

SOURCES : OMS / AFP / GOUVERNEMENTS ET AUTORITÉS SANITAIRES DES PAYS CONCERNÉS

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L’ENQUÊTE CORONAVIRUS

Rajoelina ou la science infuse

Le président malgache (au centre) dans une usine de fabrication du Covid-Organics, à Forello Tanjombato, le 19 mai.

Le Covid-Organics, décoction inventée à Madagascar, rencontre un vif succès en Afrique. Le chef de l’État s’en est fait le héraut. Pari politique risqué, ou coup de maître?

L

undi 20 avril. Dans les jardins de l’Institut malgache de recherches appliquées, Andry Rajoelina présente « son » remède « préventif et curatif » contre le coronavirus : une tisane (tambavy, en malgache) à base d’artemisia et de plantes endémiques de Madagascar, dont la composition exacte est gardée secrète. Pour convaincre son auditoire, le président malgache avale une généreuse rasade de la potion miracle. Est-il conscient, à ce moment précis, de la notoriété que va acquérir ce breuvage ? D epuis ce fameux 20 avril, Rajoelina a fait du Covid-Organics (CVO) le pivot de sa stratégie sanitaire face au coronavirus. Il l’évoque dans toutes ses prises de parole publiques et s’en est fait l’infatigable VRP. Une opération marketing qui, pour l’heure, donne d’excellents résultats. Il a déjà vanté les mérites de son traitement auprès de nombreux chefs d’État du continent, et même au-delà puisque Moïse Jovenel, le président haïtien, s’est lui aussi laissé séduire. Des palettes entières de CovidOrganics ont été offertes à une vingtaine de pays, parmi lesquels le Congo-Brazzaville, la Guinée-Bissau, les Comores, le Tchad (qui a intégré le CVO dans sa stratégie sanitaire).

Sur les réseaux sociaux, l’accueil réservé au CVO est enthousiaste, et les commentaires des internautes sont majoritairement dithyrambiques. Beaucoup se disent fiers d’Andry Rajoelina, qui, selon eux, redore l’image de l’Afrique. Et même lorsque, au début de mai, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a mis en garde contre l’absence de preuve scientifique établissant l’efficacité et l’innocuité du CVO, le chef de l’État malgache a tourné la situation à son avantage, s’érigeant en défenseur de la fierté continentale. « Le problème du Covid-Organics, c’est qu’il vient d’Afrique », a-t-il contre-attaqué, le 11 mai, sur la chaîne France 24.

« Doute occidental »

Une manière d’esquiver la question de fond, mais pas seulement. En tenant ce discours, Rajoelina se démarque fondamentalement de la pensée occidentale et rallie à sa cause nombre de panafricanistes. « Quand quelqu’un dit : “On n’est pas sûr que le CVO guérisse”, il exprime le doute occidental, décrypte Me Nji Modeste Mfenjou, responsable de la Convention internationale Kamite. Nous, Africains, ne sommes pas parmi le “on”. Nous sommes déjà sûrs que le CVO fonctionne. » L’organisation « afrocentrique » dont

« SÛR DE L’EFFICACITÉ DE SON REMÈDE, ANDRY AVANCE SEUL. IL EST COURAGEUX MAIS S’EXPOSE AUX CRITIQUES », ESTIME UN PROCHE. 28

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TONI RASOAMIARAMANANA/PRÉSIDENCE MADAGASCAR

EMRE SARI, à Antananarivo

cet avocat français d’origine camerounaise est le porte-parole n’a pas ménagé sa peine, sur les réseaux sociaux, pour faire la promotion du remède malgache. De quoi renforcer la confiance d’Andry Rajoelina. Les autorités se sont d’ailleurs empressées de préciser que les deux premiers morts du Covid officiellement recensés sur la Grande Île, les 17 et 19 mai, n’avaient pas pris de CVO. La stratégie de communication du chef de l’État ne varie pas : il utilise le poids de la parole présidentielle pour louer l’efficacité de ce remède et égrène ses arguments. Commerciaux, d’abord, en faisant la promotion de la potion et des autres huiles essentielles produites à Madagascar. Scientifiques, ensuite, en affirmant que le CVO soigne le Covid et que la majorité des patients malgaches


des courtisans malgaches. Ils sont dévoués… mais toujours prêts à retourner leur veste », analyse froidement un membre de la société civile. Mialy, son épouse, se montre beaucoup plus impliquée. Issue de l’une des grandes familles d’Antananarivo, les Razakandisa, elle a accompagné l’ascension de son époux depuis leur mariage, en 2000: de la conquête de la mairie de la capitale (2007) à celle de la Haute Autorité de transition (2009) puis de la présidence (fin 2018). Son influence sur son mari n’est pas un secret. Aujourd’hui, elle le soutient par le biais de Fitia, son association caritative. Lors de la présentation du CVO, le 20 avril, elle a goûté le breuvage devant les caméras et poursuit depuis son action en faveur des plus démunis : « 2 500 repas servis en une semaine », pouvait-on lire sur sa story Instagram, le 15 mai, au terme d’une nouvelle distribution de nourriture.

guéris s’en était vu administrer, ce qu’aucun article scientifique ne vient encore confirmer. Politiques aussi, en attaquant ceux qui doutent. Religieux, enfin, quand il rappelle que Dieu est le créateur des plantes médicinales, et donc du Covid-Organics. Concrètement, le chef de l’État communique presque toujours seul. À la télévision ou en visioconférence, il pose face aux caméras. Un plant d’artemisia et un assortiment de la gamme Covid-Organics (en bouteille et en infusettes, format individuel et familial) trônent sur son bureau. Christian Ntsay, le Premier ministre, ne se montre que rarement, et le Pr Ahmad Ahmad, le ministre de la Santé, est effacé. « Le président est tellement convaincu de l’efficacité du remède qu’il avance seul, en oubliant parfois de laisser les spécialistes

RIJASOLO / AFP

Bon timing

Récolte d’Artemisia annua, près d’Antananarivo.

monter en première ligne, confie l’un de ses proches. Il est courageux, mais il s’expose ainsi directement aux critiques venant de toutes parts. » Son entourage appuie-t-il sa démarche ? « Ils observent et voient venir, comme le veut la tradition

Une communication « familiale » qui accrédite encore un peu plus l’impression que le président a fait de la pandémie un problème personnel. Au risque, peut-être, d’y engager sa propre crédibilité et celle de Madagascar. La démarche paraît risquée, mais, à ce jour, elle est un succès. « Rajoelina a saisi le bon moment », analyse Karine Johannes, une consultante en communication d’origine malgache, qui réside au Burkina Faso. « Les Africains ont assez mal pris les prévisions apocalyptiques annonçant des millions de morts sur le continent, ainsi que les propositions de certains scientifiques de tester les vaccins en Afrique », résume-t-elle. Or c’est justement après ces annonces que le président malgache a présenté son remède. « Soudain, l’Afrique est apparue capable de se prendre en charge, poursuit Karine Johannes. Le CVO a forgé une identité africaine face à une double adversité : le Covid-19 et ceux qui ont dénigré le continent. » Membre de l’ONG La Maison de l’artemisia, sise en France, le Dr Luisa Dologuélé se montre, elle aussi,

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L’ENQUÊTE CORONAVIRUS

enthousiaste, même si elle préfère se cantonner au terrain médical : « L’artemisia est utilisée depuis plus de deux mille ans. On a suffisamment de recul pour savoir que la tisane tirée de cette plante est sans risques ni effets secondaires. Mais il aura fallu cette crise mondiale pour que des chercheurs de premier plan commencent à s’y intéresser. L’opération malgache aura été un formidable coup de projecteur. » En RD Congo, Félix Tshisekedi est allé jusqu’à envoyer un avion au Dr Jérôme Munyangi afin de l’intégrer à sa task force présidentielle. Ce

médecin spécialiste de l’artemisia, qui disait avoir été persécuté dans son pays, vivait jusque-là en exil en France. À peine revenu à Kinshasa, il s’est dit prêt à lancer un essai clinique afin de valider scientifiquement l’efficacité de l’artemisia – mais pas spécifiquement du CVO malgache – sur les patients atteints du coronavirus. « Les Malgaches n’ont pas de protocole clinique, rappelait-il le 14 mai. Leur solution, connue sous le nom de Covid-Organics, est une tisane. Nous proposons pour notre part un protocole qui respecte les normes de la recherche clinique. »

UN SECRET BIEN GARDÉ Le 8 avril, Andry Rajoelina lâche une bombe: « Le 24 mars, j’ai reçu une lettre indiquant que Madagascar possédait le remède qui pourrait – au conditionnel, car on doit encore le prouver – guérir du coronavirus. » Comme le révélera Jeune Afrique, ladite lettre émane d’une ONG française, La Maison de l’artemisia, et a été envoyée à tous les gouvernements d’Afrique. Mais ce sont les Malgaches qui réagissent le plus promptement, et pour cause: en dehors de la Chine, c’est chez eux que se trouve le seul gros producteur d’artemisia au monde, Bionexx. Fondée et dirigée par le Français Charles Giblain – diplômé de l’université de Columbia (États-Unis), il s’est installé sur l’île au début des années 2000 –, l’entreprise fait travailler près de 16000 cultivateurs et produit chaque année 25 tonnes d’artémisinine, l’un des principes actifs de la plante (soit 10 % de la production mondiale). La molécule sert à fabriquer des traitements antipaludiques, les ACT (Artemisinin-Based Combination Therapy), bon marché et très utilisés en Afrique. Ce sont les chercheurs de l’Institut malgache de recherches appliquées (Imra) qui ont conçu le Covid-Organics. Aux dires de Charles Andrianjara, son directeur général, la tisane est composée d’artemisia à 62 %, de stevia (un édulcorant) et d’autres plantes médicinales endémiques de Madagascar tenues secrètes. Les feuilles de ces plantes sont envoyées directement à des entreprises locales: le groupe agroalimentaire Taf s’occupe de la production des infusettes; le producteur de rhum et de boissons gazeuses Vidzar met en bouteilles la version décoction du remède. Le budget nécessaire à la production de départ a été pris en charge par l’État, selon la présidence, qui, malgré nos sollicitations répétées, n’a souhaité donner aucun chiffre. Le président Rajoelina a aussi annoncé la création d’un nouveau laboratoire pour les tests de dépistage et celle d’une usine pharmaceutique pour produire, entre autres, le CVO. E.S.

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Paradoxalement, c’est peut-être à Madagascar qu’on rencontre aujourd’hui le plus de sceptiques africains. Très enthousiastes au départ, certains commencent à s’interroger en constatant que le nombre de malades, certes réduit, continue d’augmenter, et que les premiers morts sont recensés, alors que le CVO a été largement distribué, qu’une partie des écoles a rouvert et que le confinement a été allégé.

Colère des patrons

D’autres s’inquiètent des conséquences de la crise sur l’économie et sur l’emploi. De nombreux commerçants réalisent à peine 30 % de leur chiffre d’affaires habituel, et, du côté du Groupement des entreprises de Madagascar, le syndicat patronal, on réclame sans succès des mesures de soutien face à une « situation exceptionnelle », qui se solde par « une décroissance sans précédent ». Or, si de la nourriture a été distribuée aux travailleurs du secteur informel, le plan de soutien au secteur privé qu’a annoncé le gouvernement a déjà un mois de retard. Et personne n’a indiqué comment serait utilisée l’aide d’urgence de 166 millions de dollars qu’a octroyée le FMI le 3 avril. « Rajoelina se moque de nous, s’emporte un professionnel du tourisme qui a perdu 100 % de son chiffre d’affaires. Il s’amuse avec sa tisane pendant que nous sommes forcés de licencier ! » Que se passera-t-il si, dans quelques semaines, des études concluent à l’inefficacité du Covid-Organics ? La crédibilité d’Andry Rajoelina, qui semble avoir, consciemment ou non, lié son destin à celui du remède miracle, en sera forcément entamée. Le 20 mai, le président s’est – enfin – entretenu avec Tedros Ghebreyesus, le patron de l’OMS. Les deux hommes sont tombés d’accord pour que l’organisation soutienne Madagascar dans la mise en œuvre d’observations cliniques sur le CVO, ainsi que sur « deux nouveaux médicaments injectables » évoqués par Rajoelina. Il était grand temps.


Julie Owono

« Comment guérir de “l’infodémie” » Propos recueillis par CLARISSE JUOMPAN-YAKAM

À

lafaveurdelacriseducoronavirus, les fake news prolifèrent. Nommée le 6 mai au tout nouveau conseil de surveillance de Facebook, l’avocate camerounaise, par ailleurs chercheuse au Berkman Klein Center de l’université Harvard (États-Unis) et directrice de l’ONG Internet sans frontières, en analyse les raisons. Et propose des remèdes.

ALEXANDRE GOUZOU POUR JA

JEUNEAFRIQUE:Onalesentimentque lapandémiedeCovid-19s’estaccompagnée d’une explosion des rumeurs et des fake news. Est-ce une réalité?

JULIE OWONO : Absolument. Face à la déferlante d’infox sur les réseaux sociaux, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) évoque très justement une « infodémie ». Ce phénomène conduit aussi à s’interroger sur la manière dont cette crise a été gérée, et pas seulement dans les pays où l’information circule peu. Dans les démocraties, la communication gouvernementale a été parfois calamiteuse. Or la rumeur se nourrit de l’incertitude et du flou. Et, les infox évoluant au gré de la pandémie, nous avons eu droit à tout : des publications spécialisées lues et interprétées par des non-spécialistes, des délires fantasmagoriques relatifs à l’origine du virus

LES RÉSEAUX SOCIAUX ONT ÉTÉ LE LIEU DE TOUS LES DÉLIRES, NOURRIS DE L’INCERTITUDE ET DU FLOU.

(qui se serait échappé ou aurait été créé dans un laboratoire pour décimer une partie de la population mondiale, en particulier les Noirs), la recherche de boucs émissaires (européens et asiatiques), l’existence supposée de barrières naturelles (climat et mélanine) qui protégeraient les Noirs du virus (il est apparu plus tardivement en Afrique), la multiplication des potions magiques et des remèdes de grands-mères… Pourquoi les infox ont-elles autant prospéré en Afrique ?

Pour le savoir, il faudrait identifier les profils des colporteurs de fausses nouvelles. Certains voulaient simplement se faire connaître en créant le buzz, d’autres, récolter un peu d’argent. Ce brouhaha ne doit pas nous faire oublier que l’Afrique constitue un enjeu géopolitique majeur pour ses partenaires, en particulier dans un monde de l’après-Covid qui s’annonce fragile sur le plan économique. Certains acteurs économiques avaient intérêt à prêter de funestes desseins aux partenaires occidentaux de l’Afrique. Une thèse d’autant plus facile à défendre que les Africains gardent en mémoire les multiples méfaits commis sur leur territoire au nom de la médecine. Quelle réponse les gouvernements africains doivent-ils apporter à leurs concitoyens?

Informer, communiquer, ne pas laisser le vide s’installer. D’autant que les agents de la désinformation (qui sont parfois de bonne foi) utilisent les langues locales pour contourner ce qu’ils considèrent comme de la censure. J’ai reçu une vidéo en langue béti [Cameroun] dans laquelle on fait passer les centres de tests du Covid-19 pour des lieux où des traîtres à la solde des Occidentaux vaccineraient

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L’ENQUÊTE CORONAVIRUS

les Africains de force ou leur inoculeraient différents poisons.

pandémie, en octroyant, par exemple, des espaces publicitaires à l’OMS.

Les plateformes numériques ont prouvé qu’elles aussi pouvaient contribuer à contrer ces infox…

En tant qu’Africaine, par quoi pensez-vous qu’il faudrait commencer si l’on voulait faire le ménage sur internet?

Facebook a essayé de limiter le nombre de partages sur WhatsApp, gros émetteur de fake news pendant cette crise. Pas pour supprimer les infox, mais, surtout, pour en limiter la portée. Son fondateur a aussi participé à la diffusion de l’information sur la

Il faudrait d’abord faire disparaître les contenus haineux interethniques, qui sont un fléau. Ce que nous ne pouvons pas dire impunément dans l’espace physique, nous l’exprimons de manière décomplexée sur la Toile.

Nous avons pris cette liberté parce que les plateformes font comme si ce n’était pas si grave, au fond, sans doute plus par ignorance que par désinvolture. C’est ce qui est arrivé au moment de la crise des Rohingyas, en Birmanie. Facebook a reconnu n’avoir pas vu venir la menace : l’entreprise n’avait pas assez de collaborateurs maîtrisant les réalités birmanes. Le risque est le même aujourd’hui en Afrique. Pour le pallier, Facebook devra s’appuyer sur des acteurs locaux.

QUESTIONS À

Alain Saraka « Notre devoir est de soutenir les Africains »

Avec ses actionnaires (APMC, Olam, AFC, Meridiam et STOA), le groupe Arise s’est mobilisé pour fournir du matériel médical à ses pays partenaires. Les explications de son directeur financier. Propos recueillis par FATOUMATA DIALLO

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c’est un devoir. Quels dispositifs avez-vous mis en place pour poursuivre vos activités et protéger vos employés? Sous le contrôle de notre comité de direction, que dirige Gagan Gupta, le groupe Arise s’est montré très réactif afin de limiter le risque de propagation de l’épidémie. Toute personne souhaitant accéder à nos sites est « thermoflashée ». Des milliers de masques et de gants, des litres de gel hydroalcoolique ont été mis à la disposition de nos employés – à qui nous donnons la possibilité de se faire dépister – et de leurs familles. Un centre d’isolement a été construit au sein de l’une de nos zones industrielles, au Gabon.

Cette crise a-t-elle ralenti vos activités? À l’aéroport de Libreville, le trafic a été interrompu à la suite de la fermeture des frontières. Nous avons aussi été contraints de suspendre certains travaux de

ARISE

Jeune Afrique: Arise s’est fortement mobilisé contre le Covid-19. Cela traduit-il une volonté d’apporter une « réponse africaine » à la pandémie? ALAIN SARAKA: Oui, car notre priorité est de protéger les Africains sans distinction de nationalité. Arise a mené une importante campagne de dons au bénéfice de ses pays partenaires, en Mauritanie, en Côte d’Ivoire, au Togo ou au Bénin. Plus de 7 millions de masques, 500000 paires de gants, du gel désinfectant, 143000 tenues de protection, des ventilateurs médicaux, des caméras thermiques ont notamment été offerts. D’autres dons vont suivre, en partenariat avec le fonds souverain singapourien Temasek, notamment l’envoi de 20000 tests par pays en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Togo et au Bénin. Pour nous,

construction. Cela étant, notre diversité [logistique, industrie, opérations portuaires…] nous a permis de maintenir beaucoup de secteurs en activité. Un exemple: le New Owendo International Port, au Gabon, continue d’importer et d’exporter en vrac, notamment des denrées alimentaires. Les grandes entreprises vont-elles mettre davvantage l’accent sur leur resp ponsabilité sociale et envvironnementale? Laa philosophie d’Arise, « Graandir avec notre société », s’’inscrit dans ce sens. Avec ou sans Covid, nous sommes déterminés à contribuer à créer une meilleure qualité de vie pour tous. Sur le conttinent, les entreprises accuusaient un certain retard en laa matière. Il se résorbe peu à peu.


Nkengasong, la vigie de l’UA

À la tête de l’agence de santé publique de l’organisation continentale, ce virologue camerounais a coordonné le volet sanitaire de la lutte contre le Covid-19. à faire face aux crises sanitaires qui touchent le continent. Une tâche difficile, puisque son financement ne représente que 0,5 % du budget opérationnel de l’UA, soit moins de 10 millions de dollars par an.

MICHAEL TEWELDE / AFP

Visibilité médiatique

John Nkengasong, directeur d’Africa CDC.

C

OLIVIER HOLMEY

est une figure clé de la lutte contre le Covid19 en Afrique. John Nkengasong, le directeur des Centres africains de prévention et de lutte contre les maladies (Africa CDC), est sur tous les fronts depuis le début de la pandémie. Ce virologue camerounais de 61 ans, diplômé de l’université de Yaoundé, puis formé à la médecine tropicale en Belgique, conseille les gouvernements, supervise l’acheminement des tests de dépistage et des équipements de protection, coordonne la réponse continentale au virus et vante les bienfaits des gestes barrière auprès du grand public. Prenant très tôt la mesure du risque, il écrit le 27 février dans la revue médicale The Lancet que ce nouveau coronavirus représente « une menace imminente » qui pourrait avoir « un effet dévastateur » sur l’Afrique, et

annonce des mesures fortes pour empêcher ce scénario du pire. Une stratégie qui porte ses fruits : en un peu plus d’un mois, le nombre de pays capables de dépister le virus passe de deux à quarante-huit. John Nkengasong se dit particulièrement fier de la rapidité de réaction des Africains, les ministres de la Santé du continent s’étant réunis dès le 22 février, soit huit jours après le premier cas déclaré, pour s’accorder sur une politique commune. Dans un entretien accordé à JA le 21 mars, il soulignait d’ailleurs l’importance de ne pas répéter les erreurs commises en Europe, où l’entraide entre pays a, dans un premier temps, été très limitée. Cette pandémie représente un premier test grandeur nature pour Africa CDC, une institution conçue en 2013 mais qui a vu le jour il y a seulement trois ans, en réponse à l’épidémie d’Ebola. Rattachée à l’UA, elle a pour mission d’aider les États membres

John Nkengasong, qui s’exprime aussi aisément en français qu’en anglais, est passé par l’OMS puis par les CDC américains, qui l’ont chargé de la direction du laboratoire de virologie d’Abidjan. Il a consacré de nombreux travaux scientifiques au VIH et a pris la tête d’Africa CDC depuis son lancement. Jusque-là peu connu du grand public, il a gagné en notoriété et en visibilité médiatique ces derniers mois, lançant même un podcast afin d’expliquer au plus grand nombre les mesures prises et les consignes à suivre. Ses pires craintes ne se sont pas réalisées: l’Afrique reste à ce jour l’un des continents les moins touchés par la pandémie. Mais des doutes persistent quant à la fiabilité des données fournies par certains pays, dont l’Égypte (où une journaliste du Guardian a été poussée au départ après avoir remis en question les chiffres officiels) ou la Tanzanie, dont le président, John Magufuli, dénigre la politique de dépistage d’Africa CDC. « Nous peinons à obtenir des kits de dépistage, » a quant à lui admis John Nkengasong le 14 mai, alors que seulement 1,2 million de tests avaient été réalisés en Afrique depuis février. L’Allemagne en comptait alors trois fois plus. Interrogé par JA sur les leçons à tirer de cette crise, il se montre direct: « Des milliers de milliards sont déboursés à travers le monde pour soutenir les économies. Aurions-nous pu investir une toute petite partie de cette somme pour renforcer nos systèmes de santé en amont, afin de pouvoir réagir plus rapidement? À mon avis, oui. »

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L’ENQUÊTE CORONAVIRUS

Dette: à la recherche du vaccin miracle Les pays africains craignent désormais la récession. Faut-il effacer leur ardoise? Certains le souhaitent, d’autres redoutent que cela ne nuise à leur image et à leur accès aux marchés.

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STÉPHANE BALLONG et VINCENT DUHEM

a situation n’est guère reluisante. Elle est même assez préoccupante. Depuis que la pandémie de coronavirus et le confinement planétaire ont entraîné l’arrêt soudain de la machine économique mondiale et aggravé la dégringolade des prix de nombreuses matières premières, les pays africains connaissent un tarissement brutal de leurs entrées de liquidités. Partout, de Dakar à Luanda, en passant par Kigali, dans les ministères des Finances ainsi que dans les banques centrales, le mot d’ordre est le même : il faut trouver en urgence de l’« argent frais » pour faire face aux conséquences désastreuses de cette pandémie – qui, en Afrique, seront d’abord économiques et sociales. Menacées de récession pour la première fois en un quart de siècle, les économies africaines doivent donc dénicher des ressources non seulement pour se relancer mais aussi pour honorer leurs engagements vis-à-vis de leurs créanciers institutionnels et privés. Jamais, depuis la crise de la dette des années 1980, elles n’avaient été aussi nombreuses à craindre le défaut de paiement. Le 14 avril, le président français, Emmanuel Macron, a ainsi appelé à

une annulation « massive de la dette africaine », et avant lui le Sénégalais Macky Sall était monté au créneau pour défendre la même cause. Le 20 mai, António Guterres, le secrétaire général des Nations unies, a à son tour répété que « la solidarité mondiale avec l’Afrique [était] un impératif ». Plus récemment, David Malpass, le patron de la Banque mondiale, s’est même dit favorable à ce que l’on prolonge d’un an la période de suspension des remboursements. Entre-temps, le FMI a débloqué en urgence une enveloppe de 500 millions de dollars pour aider 25 pays pauvres (dont 19 africains) à couvrir le remboursement de six mois de dette. Et les membres du G20, en accord avec la Chine et les pays du Golfe, ont décidé de geler temporairement le remboursement de prêts bilatéraux d’une valeur d’environ 20 milliards de dollars pour 76 pays pauvres, dont une quarantaine d’africains. Autrement dit, un consensus semble se dessiner autour de la nécessité d’alléger la dette des pays africains.

Trois types de situations

Sauf que l’affaire est loin d’être aussi simple. Dans cette crise, « il faut distinguer trois types de pays », explique

« PARTOUT AILLEURS DANS LE MONDE, LES ÉTATS ONT MOBILISÉ EN MOYENNE 20 % DE LEUR PIB POUR FAIRE FACE À LA CRISE. EN AFRIQUE, ON EST À 5 % DU PIB ». 34

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Romuald Wadagni, le ministre béninois de l’Économie.

Tidjane Thiam, envoyé spécial de l’Union africaine pour la lutte contre le coronavirus. « Il y a d’abord ceux dont les performances économiques sont bonnes et dont la dette est soutenable à court, moyen et long terme. Puis ceux dont la dette est soutenable à moyen terme, mais qui ont un fort besoin de liquidités à court terme en raison de la chute des prix des matières premières qu’ils exportent, de la fuite massive des capitaux investis dans les pays émergents, de la baisse des recettes fiscales, de la crise du tourisme, ou de la dépréciation de leur monnaie. Enfin, il y a ceux qui font face à ces mêmes difficultés, mais dont la dette n’est pas soutenable à moyen terme », indique l’ex-patron de Crédit Suisse. Pour chaque catégorie, précise-t-il, les réponses à apporter seront différentes. Il faut également se rappeler que si, dans les années 1980, la dette publique extérieure africaine était essentiellement institutionnelle et détenue par des gouvernements et des institutions multilatérales cette configuration a bien changé. Après la crise financière internationale de 2008, plusieurs États africains ont pu accéder au marché des eurobonds et y ont levé des sommes importantes. Ainsi, en 2019, ils étaient sept à y avoir mobilisé en tout un peu


plus de 16 milliards de dollars. Pour ces pays, dont les principaux créanciers sont désormais des investisseurs privés, un moratoire ou une annulation de la dette pourraient peser sur l’appréciation des agences de notation et compromettre à l’avenir leur accès aux marchés internationaux. Souvenez-vous de ce débat, considéré comme l’un des temps forts de la réflexion intellectuelle durant cette crise sanitaire : il a opposé Romuald Wadagni, le ministre béninois de l’Économie et des Finances, à son homologue sénégalais, Abdoulaye Daouda Diallo. Le premier, qui a piloté un emprunt obligataire international de 500 millions d’euros, a exprimé son opposition à un moratoire et à toute annulation de dette, affirmant que cela enverrait un signal négatif aux marchés financiers et engendrerait une hausse de la prime de risque et donc des taux d’intérêt pour les dettes africaines futures. Le second, dont le gouvernement doit un peu plus de 1 milliard de dollars au Club de Paris, a quant à lui défendu l’idée selon laquelle annuler la dette est fondé et même vertueux. Ce faisant, il s’est inscrit dans une approche macroéconomique dont l’objectif est d’obtenir davantage de

marge de manœuvre budgétaire dans une conjoncture difficile.

Solution équitable

Ces visions contradictoires illustrent toute la complexité de la situation. « Le Bénin est peut-être l’un des rares à s’être officiellement opposé à une annulation de dette, mais l’on peut tout à fait imaginer que d’autres pays, comme la Côte d’Ivoire, qui a régulièrement sollicité les marchés financiers internationaux ces dernières années, soient sur la même ligne », note un homme d’affaires ouest-africain. Bien entendu, il faut mettre à profit le temps gagné grâce au moratoire pour traiter, à travers des rééchelonnements et – si nécessaire – des annulations de dette, le problème des pays qui ont de grandes difficultés de trésorerie à court terme et dont la dette n’est pas soutenable à moyen terme. « Mais l’on voit bien qu’un processus global d’annulation de dette, comme ce fut le cas dans le cadre de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés [PPTE] du début des années 2000, est difficilement envisageable », fait remarquer l’économiste togolais Kako Nubukpo. Il s’agit donc de trouver des mécanismes non stigmatisants, qui ne ternissent pas l’image du continent.

ERIC LALMAND / BELGA / AFP /CHARLES PLACIDE POUR JA /BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES

Tidjane Thiam, l’envoyé spécial de l’UA pour la lutte contre le Covid.

Macky Sall, le président du Sénégal.

Et ce d’autant que le premier groupe des pays cités par Tidjane Thiam n’a pas besoin d’une aide massive. De nombreux intellectuels africains soutiennent que ce n’est pas un traitement de faveur que demande le continent, mais une solution équitable. « À quelques exceptions près, cette crise n’est pas la conséquence d’une mauvaise gouvernance, mais d’une conjoncture globale qui pénalise tout le monde, souligne Régis Immongault, ancien ministre gabonais de l’Économie. Il est donc important de ne pas remettre en question les progrès réalisés ces dernières années. » De fait, la majorité des économies africaines n’avait pas de véritables problèmes de dette avant la pandémie, et il n’y a aucune raison que leurs besoins, pour faire face à la crise sanitaire, « soient corrélés avec l’endettement », écrivaient le 23 avril dans une tribune collective les économistes Marin Ferry, Babacar Sène et Marc Raffinot. Faut-il rappeler qu’aux États-Unis le coût des mesures d’urgence s’élève déjà à plus de 3 000 milliards de dollars et que, au sein même de l’Union européenne, il se compte en centaines de milliards de dollars ? « Partout ailleurs dans le monde, les États ont

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L’ENQUÊTE CORONAVIRUS

ISSAM ZEJLY POUR JA

UNE MÉDIATRICE NOMMÉE VERA SONGWE

Quand on parle de la dette africaine en ces temps de crise, on pense aux « cinq fantastiques », ces supernégociateurs nommés par l’Union africaine: le FrancoIvoirien Tidjane Thiam, la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala, le Rwandais Donald Kaberuka, le Sud-Africain Trevor Manuel et l’Algérien Abderrahmane Benkhalfa. Mais il y a aussi… Vera Songwe, la secrétaire exécutive de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), qui s’est illustrée ces dernières semaines comme une

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médiatrice coriace dans le face-à-face qui oppose les Africains à leurs créanciers, notamment privés. Ceux qui se demandaient comment cette quinquagénaire allait incarner la fonction qu’occupait précédemment le très médiatique Carlos Lopes ont désormais leur réponse. Formée à l’Université du Michigan, aux États-Unis, et à l’Université catholique de Louvain, en Belgique, cette économiste camerounaise, que l’on dit douée avec les chiffres (elle a un doctorat en économie mathématique), a le

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profil de l’emploi. Ex-directrice des opérations de la Banque mondiale au Sénégal, en Mauritanie et au Cap-Vert, elle a une bonne connaissance des économies africaines. Elle a également été directrice régionale d’IFC (la filiale de la Banque mondiale spécialisée dans le secteur privé) pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale. Vera Songwe a par ailleurs ses entrées chez plusieurs chefs d’État africains, qu’elle peut contacter directement. « Elle a la légitimité nécessaire pour parler à la fois aux investisseurs privés et aux gouvernements », concède l’économiste togolais Kako Nubukpo. Le 11 mai, elle a ainsi coorganisé avec l’Institut de la finance internationale (IIF), sis à Washington, la première rencontre entre les Africains et leurs créanciers privés, désormais réunis au sein du Groupe de travail des créanciers privés en Afrique. STÉPHANE BALLONG

mobilisé en moyenne jusqu’à 20 % de leur PIB pour faire face à la crise, ajoute Kako Nubukpo. En Afrique, on est à 5 % du PIB. »

Création monétaire

« Aux États-Unis, en Chine et ailleurs, des moratoires destinés à aider les PME et les particuliers [remboursement de leurs prêts immobiliers] ont été mis en place, argumente Tidjane Thiam. Un moratoire est donc bien l’une des premières mesures à prendre face à un choc d’une telle ampleur. Il permet de se donner les moyens de lutter contre la pandémie, d’en amortir les effets économiques et de se donner le temps de traiter calmement les problèmes de fond. » À l’heure où tous les pays ont pris des mesures exceptionnelles, poursuit Tidjane Thiam, il serait « injuste et extraordinaire » que l’Afrique soit la seule à ne pas pouvoir le faire. Régis Immongault ne dit pas autre chose : « Nous devons nous asseoir autour d’une table avec tous nos partenaires, y compris chinois, pour défendre nos intérêts. Toutes les solutions doivent être envisagées, y compris celles qui sont peu conventionnelles. » En la matière, Dominique StraussKahn, l’ex-directeur général du FMI, a déjà formulé des propositions. « On pourrait imaginer que le FMI utilise les DTS [droits de tirage spéciaux] dont il dispose déjà pour aider exclusivement l’Afrique, expliquait-il à la fin d’avril à JA. Il ne s’agit pas de prêts qu’il faut rembourser mais d’une sorte de création monétaire, qui permettrait de renflouer les États africains. » Alors que les discussions se sont accélérées ces dernières semaines entre les représentants du continent, les créanciers institutionnels et les investisseurs privés, Tidjane Thiam assure que des options intéressantes sont sur la table : « Nous travaillons à alléger à court terme la charge de la dette de certains pays sans pour autant compromettre leur accès, durement gagné, aux marchés de capitaux internationaux. » Sans doute faudra-t-il surtout qu’à l’avenir l’Afrique mobilise davantage son épargne intérieure pour financer son développement.


Qui détient la dette africaine

INVESTISSEURS PRIVÉS

CHINE Quelle part de la dette africaine la Chine détient-elle ? Aucune statistique officielle ne permet de répondre précisément à cette question. On sait, en revanche, que le montant total des prêts que Pékin et les entreprises chinoises publiques et privées ont octroyé aux États africains s’est chiffré à 146 milliards de dollars entre 2000 et 2017. On sait aussi qu’une partie de ces crédits a été remboursée et que la Chine a effacé plusieurs autres ardoises (même si l’opération n’a souvent concerné que des prêts à taux zéro, qui représentent une part minoritaire duu total des créances). créances) Selon les calculs m, directrice de Deborah Brautigam de la China Africa Reseearch Initiative (Cari) à l’Université Johhns-Hopkins (États-Unis), la part chinoise dans la dette totale africainne serait de 17 % – un pourcenttage bien inférieur aux 40 % que la presse internationale, et notamment française, a évoqué ces dernières semaines. Parmi les paays africains les plus endetttés envers Pékin : l’Angolaa, Djibouti, le Niger, la ZZambie et le Congo.

D’après les chiffres de l’International Debt Statistics, ils représentent 40 % du total de la dette publique extérieure africaine, ce qui fait d’eux les principaux créanciers du continent. Ce ratio était de 17 % en 2009. Ces investisseurs, le plus souvent des gestionnaires d’actifs, des fonds de pension, des banques privées ou des assureurs, détiendraient, selon la Banque mondiale, quelque 116 milliards de dollars d’euro-obligations en Afrique subsaharienne. À cela s’ajoutent les prêts contractés directement par des gouvernements aauprès de groupes internationaux, comme Glencore et Trrafigura. C’est le cas, par exemple, du Tchad et du Congo. R Récemment, vingt-cinq de ces structures se ssont rassemblées au sein du Groupe de travail des créanciers privés en Afrique pour engager des discussions avec les représentants des gouvernements affricains.

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milliards de dollars Le montant que les États du continent devaient à leurs créanciers à travers le monde à la fin de 2018.

CLU UB DE PARIS

FMI ET BANQUE MONDIALE Dans la catégorie des ccréanciers multilatéraux (qui détiennent 29 % de la dette publiqque extérieure africaine), les deux institutions de Bretton Woods occupent une place centrale. montants qu’elles débloquent en faveur Et c’est moins par les m des économies du continent que par leur poids dans le système financier international qu’elles sont incontournables. Aucune opération de levée de fonds sur les marchés internationaux ne peut vraiment se faire sans la bénédiction du FMI, qui a débloqué en urgence 500 millions de dollars pour couvrir six mois de remboursement de dette de 25 pays pauvres, dont 19 africains. Selon les chiffres de Jubilee Debt Campaign, une ONG britannique qui milite pour l’annulation de la dette des pays en développement, la dette africaine vis-à-vis du FMI et de la Banque mondiale s’élevait à 84 milliards de dollars à la fin de 2017.

Présenté comme un groupe informel de créanciers bilattéraux, le Club de Paris, crééé en 1956, compte 22 m membres permanents, parmi lesquels l la France, les États-Unis, la Belgique, l’Allemagne, le Japon, la Suisse et le Brésil. Son but : permettre « de recouvrer les arriéréss et de trouver une solution efficace et rapide aux crises de la dette souveraine ». À la fin de 20 018, cette institution, dont la présidence est assurée par le Trésor français, détenait des créances sur quelque 48 pays africains pour un montant total d’un peu moins de 45 milliards de dollars. Elle vient de suspendre pour un an le remboursement de la dette du Mali (35 millions d’euros) et de celle du Cameroun. Plusieurs autres États africains vont suivre.

SOURCES : INTERNATIONAL DEBT STATISTICS, CARI (POUR CHINA AFRICA RESEARCH INITIATIVE) ET CLUB DE PARIS.

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L’ENQUÊTE CORONAVIRUS

« Dr Tedros » aux rayons X Critiqués de toutes parts, l’OMS et son patron, l’Éthiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus, ont-ils failli à leur mission ou, au contraire, évité le pire? Une enquête devra le déterminer.

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JULES CRÉTOIS et OLIVIER MARBOT

orsqu’il monte à la tribune pour clore la 73e Assemblée mondiale de la santé, organisée à Genève les 18 et 19 mai mais suivie en ligne par la plupart des délégués, Tedros Adhanom Ghebreyesus, 55 ans, arbore un large sourire. Sa tenue vestimentaire, elle, détonne : le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a délaissé ses sobres costumes gris pour leur préférer une chemise bleue à motifs bariolés. Hommage aux infirmières de l’État polynésien de Tonga, qui devaient assister à la réunion mais en ont été empêchées par la pandémie de coronavirus, explique-t-il, avant de remercier les pays membres pour leur « soutien » et de rappeler que, si « la pandémie a mis à l’épreuve et tendu les liens d’amitié entre les nations, elle ne les a pas rompus ». Un bel exercice d’unanimisme et d’optimisme. Du moins en façade. Car, en coulisse, l’assemblée virtuelle a été le théâtre d’affrontements farouches et s’est conclue sur une première : la résolution finale, élaborée en grande partie par les représentants européens, prévoit l’ouverture d’un « processus d’évaluation impartiale, indépendante et complète » sur la façon dont l’OMS a coordonné la « riposte sanitaire » à la pire crise de son histoire : celle du Covid-19. Cette décision est une tentative de réponse aux critiques – souvent américaines – qui se sont multipliées ces dernières semaines. À la mi-avril, les États-Unis ont suspendu leur contribution financière à l’OMS. Plus récemment, ils envisageaient même de la quitter au motif qu’elle aurait failli à sa tâche et, sans doute plus grave à leurs yeux, qu’elle serait

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entièrement à la remorque des autorités chinoises. Érigé en symbole de tous les dysfonctionnements et de toutes les compromissions supposés, « Dr Tedros » est naturellement au cœur des polémiques. Premier directeur général à ne pas être médecin (même s’il est diplômé en santé publique), il n’aurait, assurent certains, été élu que parce qu’il est africain. Pour d’autres, il serait de longue date inféodé à la Chine (qui avait soutenu sa candidature). La preuve : le parti au sein duquel il était encarté en Éthiopie, le Front de libération du peuple du Tigray, est un mouvement communiste. Pour d’autres encore, il est timoré. Ou carrément à la solde de « Big Pharma ». Rien n’est épargné au premier Africain élu à la tête de l’OMS, et des rumeurs malveillantes sur sa vie privée commencent même à circuler au sein de la diaspora éthiopienne.

Jeux, qui devaient se dérouler à Tokyo durant l’été 2020, étaient décalés à 2021. Très en colère, le vice-Premier ministre japonais avait alors accusé l’OMS d’être devenue « l’Organisation chinoise de la santé ». D’autres détracteurs, pas forcément les mêmes, préfèrent reprocher à l’institution onusienne une prudence exagérée. C’est par prudence que l’OMS aurait attendu de décréter l’urgence, puis de requalifier l’épidémie en pandémie. Par prudence toujours qu’elle se refuserait à autoriser l’utilisation de traitements potentiellement efficaces

Malheureuse courbette

Beaucoup de ces attaques ne reposent sur rien. Mais certaines méritent d’être examinées. À commencer par son attitude vis-à-vis de la Chine. Dès le mois de janvier, alors que le nombre de cas de coronavirus explosait dans la province du Hubei, l’OMS a travaillé avec Pékin. Ce qui était logique. Le 20 janvier, l’Organisation a envoyé une équipe à Wuhan, et, le 22, une conférence destinée à statuer sur l’opportunité de déclarer l’urgence mondiale a été décalée in extremis. Le 28, Ghebreyesus rencontrait à Pékin le président chinois, Xi Jinping, esquissant à cette occasion une malheureuse courbette qui, depuis, ne cesse d’être interprétée comme un signe de sa soumission. Le 30 janvier, enfin, l’OMS décrétait l’état d’urgence sanitaire mondial. Le 30 mars, le Comité international olympique annonçait que les

Le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, lors d’une visioconférence, à Genève, le 16 mai.


Plantes médicinales

En Afrique, certains espéraient tout de même que l’élection de Tedros Ghebreyesus, en mai 2017, conduirait l’OMS à s’intéresser de plus près aux plantes médicinales et aux techniques

traditionnelles. Leurs appels sont pour l’instant, assurent-ils, restés lettre morte. Faut-il voir dans cette indifférence l’ombre des multinationales de l’industrie pharmaceutique, qui tentent de protéger leurs profits ? Contrairement à ce que prétendent

détection de certains coronavirus. Et, en 1985, les États-Unis avaient – déjà – temporairement suspendu leur contribution à l’Organisation au motif qu’elle incitait les pays en développement à créer leur propre industrie pharmaceutique.

TIMORÉ, INSUFFISAMMENT DIPLÔMÉ, INFÉODÉ À LA CHINE, À LA SOLDE DE « BIG PHARMA »… TOUT EST BON POUR LE DÉNIGRER. certains, l’OMS n’a pas forcément l’habitude de se ranger aux côtés de « Big Pharma », rappelle-t-on à Genève. En 2013, par exemple, la Chinoise Margaret Chan, alors directrice générale de l’Organisation, avait rappelé à l’ordre des chercheurs qui, souhaitant déposer un brevet, risquaient de retarder la mise au point de tests de

Enfin, beaucoup estiment que l’OMS aurait dû déclarer plus rapidement l’urgence sanitaire puis l’état de pandémie, ce qui aurait sans doute incité certains États à décréter le confinement et, donc, à sauver des vies. Une réaction trop tardive, souvent attribuée aux pressions supposées de la Chine, mais que les responsables de l’OMS contestent. Ainsi, rappelle Michel Yao, « avant même la détection des premiers cas africains, en Égypte et en Algérie, nos équipes fournissaient aux autorités africaines des outils d’analyse de leur niveau de préparation ». Quant au Sénégalais Ibrahima Socé Fall, directeur général adjoint de l’institution, il souligne : « Nous avons déclaré l’urgence mondiale le 30 janvier, mais beaucoup de pays – notamment parmi les plus développés – ont mis du temps à réagir. Nous avons pourtant averti tout le monde très clairement, nous faisions une conférence tous les jours. »

Gestion chaotique

CHRISTOPHER BLACK / WORLD HEALTH ORGANIZATION/AFP

contre le Covid-19 ou certains de ses symptômes. Chloroquine, artemisia et Covid-Organics malgache en tête. Un reproche que rejette Michel Yao, médecin canadien d’origine ivoirienne qui coordonne les opérations de l’OMS en Afrique : « Notre rôle est d’organiser des essais cliniques dans le respect des démarches méthodologiques afin de vérifier l’efficacité et l’innocuité des traitements. Mais les médecins ont toujours pu recourir à des traitements non encore validés s’il était admis qu’ils pouvaient soulager un patient. On appelle ça “l’usage compassionnel”, et l’OMS ne s’y est jamais opposée. »

Plus amers, d’autres cadres de l’Organisation font remarquer que les principales accusations émanent de pays – États-Unis, Royaume-Uni, France… – qui se sont distingués par leur gestion chaotique des premières semaines de la pandémie. Et qu’il a fallu deux mois pour réunir les 675 millions de dollars destinés à financer la lutte contre le Covid que l’OMS avait demandés le 5 février. Malgré cela, une aide matérielle a déjà été fournie à 135 pays à revenus faibles ou intermédiaires, et, en

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L’ENQUÊTE CORONAVIRUS

Afrique, note Michel Yao, « la plupart des plans de développement sanitaires s’appuient en partie sur des protocoles, des travaux et des préconisations de l’OMS ». « La Namibie ou les Seychelles, qui ont bien suivi nos conseils de prudence, affichent zéro nouveau cas depuis un mois », souligne de son côté la Botswanaise Matshidiso Moeti, directrice Afrique de l’Organisation. Les avocats de la défense ne se recrutent pas uniquement parmi les

sans doute aussi, voire surtout, du racisme le plus tristement ordinaire. Faut-il en conclure que la gestion de la crise par l’OMS est – et a été – exempte de tout reproche ? Bien sûr que non. Mais les pays qui attaquent l’institution genevoise ne doivent pas oublier que celle-ci ne dispose que des moyens et des pouvoirs qu’ils veulent bien lui octroyer. Avec 194 États membres, 7 000 employés et 150 bureaux régionaux répartis à travers le monde, l’Organisation

L’ORGANISATION SOUFFRE D’UN CRUEL MANQUE DE MOYENS: SON BUDGET, DE 5,6 MILLIARDS DE DOLLARS, EST INFÉRIEUR À CELUI DES SEULS HÔPITAUX DE PARIS. subordonnés de Tedros Ghebreyesus: alors même que Donald Trump tempêtait devant les caméras, Bill Gates, dont la fondation est le deuxième contributeur financier de l’OMS après les États-Unis, prenait sur Twitter le parti de l’Organisation et de son patron. Dans une tribune publiée à la fin d’avril, plusieurs dirigeants d’ONG et responsables de santé publique répétaient à leur tour que l’heure était plus que jamais à la solidarité et au multilatéralisme, que l’OMS souffrait avant tout d’un manque de moyens et qu’elle ne faisait qu’appliquer les procédures définies par ses États membres, synthétisées dans le Règlement sanitaire international (RSI).

Racisme ordinaire

Face au « Tedros bashing », les pro-Tedros ont lancé la contre-offensive. D’abord dans son pays, l’Éthiopie, où plusieurs voix, dont celle d’Amir Aman, le ministre de la Santé, se sont élevées pour rappeler que, lorsqu’il dirigeait lui-même ce ministère, Ghebreyesus avait bâti un programme de santé communautaire solide et adapté à son contexte, dont les effets positifs ont pu être constatés. Pour certains de ses partisans, les attaques visant le patron de l’OMS relèvent

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semble parfois sous-dimensionnée et, surtout, sous-financée. Son budget annuel (5,6 milliards de dollars) est même inférieur à celui des seuls hôpitaux de Paris. De plus, 20 % à peine de ce budget sont constitués de contributions obligatoires, le reste étant des versements que les pays effectuent selon leur bon vouloir. Comme le souligne le Pr Marc Gentilini, ex-président de la CroixRouge française et spécialiste des maladies infectieuses, les coupes budgétaires ne sont pas rares et, « parmi les activités affectées par ces coupes dans les années 2010, figurent celles des chercheurs qui travaillaient sur les pandémies du type du coronavirus ». Contraint à plus de prudence, Tedros Ghebreyesus confiait d’ailleurs à Jeune Afrique en 2017, peu après son élection, qu’après les épidémies d’Ebola en Afrique il avait été question de mettre sur pied « des exercices de simulation à échelle régionale ». Mais, ajoutait-il, « un tel programme est très coûteux, il nous faudra obtenir des financements spéciaux. » Au-delà de ces aspects financiers, il faut aussi souligner que dès sa création, en 1948, l’OMS a été le théâtre de luttes d’influence entre grandes puissances, qui n’ont jamais cessé. Dès 1949, l’URSS et plusieurs de ses pays

satellites s’étaient mis en retrait. Ils reprochaient à l’Organisation de refuser de faire le lien entre santé et conditions socio-économiques, et d’être inféodée aux Américains. En 1978, c’était au tour des pays libéraux de protester contre la déclaration d’Alma Ata, qui évoquait des inégalités sanitaires inacceptables entre régions du monde. Certains fustigeaient alors une « vision communiste de la santé ». En 2005, les États-Unis avaient empêché le directeur général de l’époque, le Sud-Coréen Lee Jong-Wook, de prononcer un discours portant sur les conséquences de l’ouragan Katrina sur la santé publique. Aujourd’hui, c’est Pékin que l’on soupçonne de téléguider l’Organisation. Bref, quoi qu’elle fasse, l’OMS est toujours accusée d’être soit laxiste, soit alarmiste.

Second mandat?

Alors, faut-il brûler l’OMS et le « Dr Tedros » avec ? Rappelons que, jusqu’à ce début d’année 2020, l’ancien ministre éthiopien faisait l’unanimité, surtout quand on le comparait à Margaret Chan, son prédécesseur, à qui l’on a reproché d’avoir semé une panique mondiale injustifiée au moment de la grippe H1N1, en 2009. La future « enquête impartiale et indépendante » nous en apprendra sans doute plus sur d’éventuels manquements ou erreurs d’appréciation. Ses conclusions pèseront lourd sur l’éventuelle tentation de Ghebreyesus de briguer, en 2022, un nouveau mandat de cinq ans. En attendant, sans doute faudrait-il réfléchir à une réforme qui donnerait à l’OMS des moyens et des pouvoirs à la hauteur de sa difficile mission. Certains spécialistes suggèrent de créer un comité de pilotage permanent, au fonctionnement transparent et à l’indépendance garantie ; d’autres, d’allonger le mandat du directeur général et de modifier le mode de financement de l’Organisation. Le problème étant qu’une fois la pandémie sous contrôle plus personne ou presque ne voudra entendre parler de ces sujets. Jusqu’à la prochaine crise.


ANGELA WEISS/AFP

Dans les rues de New York, épicentre de la pandémie aux États-Unis, le 7 mai.

Hubert Védrine

« Le monde d’après ne doit pas être synonyme de retour à l’anormal » À quoi ressemblera notre planète après le passage de la météorite Covid? Pour l’ancien ministre français des Affaires étrangères, aucun doute: l’inquiétude aidant, elle sera gagnée par « l’écologisation ».

S

Propos recueillis par FRANÇOIS SOUDAN et JIHÂD GILLON

on prochain livre, intitulé sobrement Et après ?, sort dans trois semaines chez Fayard. Un essai sur la bataille de l’après-Covid-19, dans un monde où « rien ne sera exactement comme avant ». Secrétaire général de la présidence sous François Mitterrand, puis ministre des Affaires étrangères de Jacques Chirac avant de fonder, en 2003, son cabinet de conseil

en stratégie géopolitique, Hubert Védrine demeure, à 72 ans, une voix qui compte en France dès que l’on évoque les affaires du monde. Apprécié pour son pragmatisme et son réalisme, régulièrement consulté par Emmanuel Macron (et, avant lui, par François Hollande et Nicolas Sarkozy), ce conférencier recherché souffle aussi à l’oreille des grands patrons du CAC 40. Ni tout à fait de gauche, ni vraiment de droite, cet

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L’ENQUÊTE CORONAVIRUS

énarque pour qui l’avenir de l’espèce humaine réside dans l’« écologisation » du monde est aussi un diplomate au regard acéré. D’où l’intérêt de lui poser cette question : « Et après » ? Jeune Afrique : Dans votre livre Le Monde au défi, paru en 2014, vous écriviez que la communauté internationale était un objectif et pas encore une réalité. Diriez-vous aujourd’hui que cette cohésion est en train de se former du fait de la crise sanitaire, ou est-ce l’inverse ? Hubert Védrine : Ni l’un ni l’autre

pour le moment. C’est la première fois dans l’Histoire que l’humanité tout entière a peur de la même chose. Cette crise laissera donc des traces, bonnes ou mauvaises. Pour le moment, on a l’impression que l’impatience de redémarrer comme avant la pandémie l’emporte, mais c’est une impression superficielle : la prise de conscience écologique que j’appelais de mes vœux dans Le Monde au défi n’a cessé de progresser, et, l’inquiétude aidant, elle va faire un bond en avant. Une évaluation systématique de la façon dont tous les gouvernements et les institutions ont géré l’apparition de la pandémie, le confinement, le déconfinement, devra être faite. De même pour la coopération en matière de thérapie et éventuellement de vaccin. En tout cas, l’idée du retour à la normale, ou à l’anormal, ne passe pas. Les idéologues de la mondialisation sont fébriles à l’idée qu’on la corrige un peu, mais les praticiens ont déjà intégré la nécessité de l’écologisation. Évidemment, cela ne se fera pas du jour au lendemain, c’est un processus. La pandémie illustre-t-elle l’émergence d’un modèle chinois exportable ?

Ce qui est sûr, c’est que grâce à Deng Xiaoping, qui a libéré l’énergie phénoménale de son pays, la Chine est devenue le numéro un bis. Depuis Xi Jinping, les Chinois ont abandonné la prudence et la discrétion recommandées par Deng, et ambitionnent la première place. C’était déjà évident avant le Covid, ça l’est encore plus

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POUR LES OCCIDENTAUX, TOUJOURS ANIMÉS PAR UN ESPRIT MISSIONNAIRE ET DE SUPÉRIORITÉ, LE DÉFI QUE POSE LA CHINE EST IMMENSE. maintenant. Les Chinois prétendent même incarner un modèle alternatif. Pour les Occidentaux, toujours animés par un esprit missionnaire et de supériorité, le défi est immense. Mais si le système chinois impressionne, notamment en Afrique ou en Asie, ou parfois fait peur, il ne séduit personne, à l’exception de quelques dirigeants. Le Parti communiste chinois sort-il grandi de cette crise ?

Il est trop tôt pour le dire. À son passif, une pandémie de plus vient de Chine. On lui reproche des négligences dans sa gestion des marchés d’animaux sauvages et, peut-être, dans celle des laboratoires et des P4, mais aussi son inertie bureaucratique, et d’avoir, au début de la crise, fait preuve de dissimulation politique. Les membres de l’OMS se sont mis d’accord pour procéder à une évaluation systématique et honnête, même si Trump reste en embuscade. On verra si Pékin joue le jeu. Par la suite, la Chine a été efficace parce qu’elle pouvait imposer un confinement très strict à sa population. Mais des pays asiatiques démocratiques se sont aussi bien, voire mieux débrouillés. La Corée du Sud, le Vietnam, Taïwan, Singapour étaient préparés, ainsi par ailleurs que les Länder allemands. Cette capacité à prévoir n’est-elle pas liée à des caractéristiques culturelles asiatiques – la discipline, l’obéissance ?

Le facteur culturel a pu jouer sur la réaction, mais pas sur la prévision. Les pays asiatiques, autoritaires ou non, étaient bien préparés du fait de leur expérience du Sras. Et l’Afrique, à rebours des commentaires catastrophistes d’il y a deux mois, grâce

à son expérience du VIH et d’Ebola, résiste plutôt bien. Alors que le pouvoir chinois, qui peut penser à long terme sans être harcelé quotidiennement, n’a pas anticipé les risques que faisaient courir la déforestation – responsable du « déconfinement » d’un certain nombre de virus –, les marchés aux animaux sauvages et leur trafic. Ce n’est pas que les démocraties occidentales soient incapables de prévoir. La CIA, les livres blancs sur la défense, en France, en Europe, les analyses de Bill Gates… Une telle pandémie était prévue d’une manière précise. Mais ce discours était inaudible, par courttermisme et hédonisme. La Chine a-t-elle une ambition de leadership mondial ?

Quand la Chine s’est éveillée, les spécialistes ont longtemps affirmé qu’elle méprisait tellement le monde extérieur qu’elle n’allait pas nous faire le coup des « valeurs chinoises universelles ». Pourtant, au regard du niveau économique que ce pays a atteint, de son besoin dévorant de trouver des matières premières, des discours de Xi Jinping et des nationalistes chinois, on voit bien que quelque chose a changé. Pékin assume aujourd’hui le fait de porter un modèle spécifiquement chinois, et que ce modèle est équivalent, voire supérieur, au modèle occidental. Mais réussir à exercer un leadership, c’est une autre affaire. L’Amérique de Trump a-t-elle définitivement perdu son leadership moral ?

Pas encore. En réalité, beaucoup de ceux qui ont passé leur vie à dénoncer l’impérialisme américain ne seraient pas forcément ravis de se retrouver dans un monde où l’Amérique ne chercherait même plus à avoir


une influence globale et où la Chine imposerait son hégémonie. C’est vrai que les États-Unis défendaient ou promouvaient leurs intérêts tout en prétendant en défendre de plus larges : ceux de l’Occident ou de l’humanité. Et à plusieurs reprises cela a été le cas. Déjà, Barack Obama avait fait comprendre, de façon sophistiquée, que le grand défi du XXIe siècle, pour l’Amérique, serait la Chine. On s’en est encore mieux rendu compte depuis Donald Trump, qui tient le même discours, mais l’exprime, lui, de façon brutale. L’Amérique veut rester la puissance numéro un, mais veut d’abord protéger ses intérêts propres et ne se sent plus obligée pour cela d’être le missionnaire ou le gendarme du monde. Le système multilatéral n’est, pour Trump, qu’un ensemble d’entraves. Joe Biden adopterait sans doute un ton tout à fait différent, mais je ne pense pas qu’il prenne le contre-pied de Trump sur le fond. L’antagonisme Chine - États-Unis dominera donc les prochaines années. Ce bras de fer de titans ne fait que commencer. Vous avez toujours voulu croire que Donald Trump faisait preuve d’une forme de rationalité. Maintenez-vous votre diagnostic ?

Il est trop facile de le traiter simplement de fou. Il a sa logique, brutale, qui a sidéré parce qu’elle ne tient aucun compte des convenances diplomatiques ou internationales ni des croyances modernes des Occidentaux. Même Kissinger, le concepteur de la politique chinoise des États-Unis durant quarante ans, reconnaît qu’il fallait endiguer l’expansion de la Chine. On peut, cela dit, se demander si Trump a les moyens de sa politique, si les conséquences pour des entreprises comme Apple ou Boeing ne dissuaderont pas l’Amérique d’aller plus loin dans cette confrontation. Reste qu’il y a une forme de logique à vouloir empêcher la Chine de devenir numéro un. Si elle s’est engouffrée dans les organisations multilatérales, c’est en raison même du désengagement américain. La réélection de Trump est-elle compromise ?

Il est davantage menacé par Joe Biden qu’il ne l’aurait été par un candidat démocrate de gauche ou gauchiste. Il peut néanmoins réussir à convaincre une partie de l’électorat que tout est de la faute des Chinois. En général, les électeurs américains se déterminent au dernier moment, sur

la base de leur situation économique. Le jeu reste ouvert. Comment s’en est sorti Vladimir Poutine?

Pour le moment, ni bien ni mal. Mais, là aussi, il est trop tôt pour le dire. La Russie d’après le Covid retrouvera les mêmes handicaps économiques et sociaux, et les mêmes problèmes politiques qu’avant. En tout cas, cette crise sanitaire n’a pas fait émerger une alternative politique à Poutine. L’Union européenne a-t-elle bien résisté au « stress-test » de la pandémie?

Plutôt, oui. Beaucoup de reproches qui ont été adressés à l’UE étaient infondés puisqu’elle n’a aucune compétence sanitaire. Les propositions économiques de Christine Lagarde et d’Ursula von der Leyen ont été rapides et importantes. Celles d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel sont substantielles. Évidemment, il y a toujours des gens pour penser que l’UE doit s’occuper de tout, mais l’on a bien vu que les Européens attendaient des décisions de leur gouvernement national, voire des régions, et pas d’un Commissaire européen quel qu’il soit. Donc l’UE ne s’en sort pas mal, d’autant qu’il y aura un gros effort à faire pour la relance et qu’Ursula von der Leyen a confirmé son Green Deal. La crise peut-elle favoriser la progression des partis nationalistes anti-européens?

ERIC DESSONS/JDD/SIPA

Ce n’est pas sûr. La crise aura au contraire mis en valeur une énorme capacité de réaction des gouvernements et de l’UE. Or les anti-européens dénoncent surtout son inefficacité, par exemple en matière de mouvements migratoires. Si l’on répondait à cette question par une cogestion efficace entre pays de départ, de transit et d’arrivée, le populisme perdrait beaucoup de terrain. S’oriente-on vers une crise économique majeure?

Dans les bureaux de son cabinet de conseil en stratégie géopolitique, à Paris.

Tout dépend de la manière dont on gérera la sortie. Le fait que l’on

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L’ENQUÊTE CORONAVIRUS

n’oppose plus l’économie, le social et l’écologie, et que « l’écologisation » soit enfin perçue non comme une contrainte, mais comme un moteur de l’économie mondiale de demain est un progrès très encourageant. La crise pétrolière qu’a provoquée la crise sanitaire peut-elle durablement changer la donne entre les États-Unis et l’Arabie saoudite?

FIERTÉ AFRICAINE En comparant ses taux de mortalité à ceux des pays occidentaux, le « berceau de l’humanité » se surprend à penser que le Covid-19 a été bienveillant envers lui. Tout le continent? Pas tout à fait, si l’on considère ses extrémités « blanches » et « arc-en-ciel ». « Négrophile » alors, le virus? Non plus, si l’on en croit des études qui indiquent qu’aux ÉtatsUnis les Africains-Américains en meurent six fois plus que les Blancs. En attendant la fin de l’épidémie, une autre question affleure: moins touchée par le fléau, l’Afrique se transformera-t-elle moins que le reste de la planète, qui se promet un meilleur « monde d’après »? Parmi les conséquences positives de la pandémie, les observateurs ont noté un pic de créativité, un sursis pour certaines espèces en danger, une réflexion renouvelée sur la dette africaine, le rappel des règles d’hygiène, l’exploration de nouvelles pratiques solidaires et cultuelles… En Afrique, le mot de l’ère post-coronavirus pourrait être « fierté ». Fierté d’un continent qui, pour une fois, n’aura pas été le réceptacle de tout fléau. Fierté à relent politique, également, si l’on songe à la volonté des dirigeants de promouvoir des remèdes locaux qu’ils espèrent efficaces. L’Histoire dira si l’obstination d’un président à cogner son front contre la façade de l’OMS ne relevait que d’un trompe-l’œil populiste. Mais l’Afrique aura bombé le torse pour défendre l’art de ses tradipraticiens. À supposer que le Covid-Organics ne soigne pas, ni ne rende malade, son effet placebo sera peut-être salutaire. DAMIEN GLEZ

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Il faut distinguer le coup de poker qu’a tenté Mohammed Ben Salman [« MBS »] avec la Russie pour torpiller le pétrole de schiste américain et la question sanitaire. La pandémie a eu une conséquence immédiate : l’effondrement de la demande d’énergie. Tout cela va redémarrer. Je fais toutefois le pari que la prise en compte du risque écologique – et donc « l’écologisation » – finira par s’imposer, même aux milieux d’affaires, aux entreprises et aux pays qui y sont les plus indifférents ou les plus hostiles. Et même, un jour, aux États-Unis. La priorité, y compris pour les marchés, sera un jour de décoter toutes les activités qui émettent trop de CO2. Mais je raisonne ici sur dix ou vingt ans. Percevez-vous la pandémie comme un accélérateur des tendances géopolitiques mondiales déjà existantes?

Oui, c’est un accélérateur brutal, à la fois déstructurant et restructurant. Je suis d’accord avec Fareed Zakaria [journaliste etgéopoliticienaméricain]:noussommes dans un monde déjà postaméricain, mêmes’iln’yapasdedéclindel’Occident. C’est ce que je dis depuis vingt ans: il y a un déclin relatif depuis que l’Occident a perdu son monopole sur les affaires du monde, tout en restant riche, puissant et inventif. Tout cela a commencé bien avant le Covid. La crise sanitaire a été un test violent qui a révélé ces tendances. À l’issue de l’évaluation systématique que j’ai évoquée, les gouvernements et les institutionssortiront,selonlescas,unpeu renforcés ou un peu affaiblis. L’Afrique, elle, semble s’en sortir mieux que prévu. Les prévisions alarmantes étaient sans doute trop compassionnelles et empreintes de paternalisme. Elle a des facteurs objectifs de résilience, qui sont des atouts pour l’avenir.


TRIBUNE

Croire que rien ne va changer, voilà l’illusion! T

out le monde parle déjà de l’après-Covid, alors même que la crise est loin d’être terminée. Il est vrai que des questions se posent et que rien n’interdit de chercher à y répondre. L’une des premières concerne la nature même de cette crise, qui n’est pas seulement sanitaire et économique, mais aussi culturelle. Quelle est la narration autour de cette épidémie? Diffère-t-elle de celle qui a été élaborée lors des précédentes? On peut aussi s’interroger sur les relations internationales: avec cette crise, c’est le sort de certaines institutions – l’OMS, pour ne pas la nommer – qui se joue. Et, bien sûr, il y a des interrogations anthropologiques. Comment les sociétés ont-elles réagi, comment ont-elles décidé qui elles laissaient mourir et qui allait vivre?

Un rapport magique au temps Avant de réfléchir à l’après-crise, il faut donc penser la crise elle-même. Ce travail est difficile. D’abord, parce que la situation est d’une extrême complexité. Ensuite, parce que nous ne savons pas à quel moment commencera l’« après ». Il est nécessaire de déterminer à quelle date nous reviendrons à la normalité, mais même les experts divergent sur ce point. Certains parlent de la fin de 2020, d’autres de 2022… L’horizon de l’entrée dans l’ère post-Covid s’éloigne à mesure que nous pensons nous en approcher. Troisième difficulté, commune à toutes les situations de crise: ce n’est jamais le bon moment de dire qu’il aurait fallu anticiper. Aurait-on pu ou dû agir plus tôt? Le problème tient au fait que, lorsque tout va bien, personne ne voit pourquoi les choses iraient mal. C’est particulièrement vrai en Afrique, où nous entretenons un rapport quasi magique au temps, où l’on se refuse à envisager le pire de peur de le provoquer. Nos chefs refusent de préparer l’après-soi, personne ne veut penser la mort… Et lorsque, à l’inverse, tout va mal, le fait de réfléchir à long terme est vu comme un alibi pour ne pas gérer les urgences. La sidération des Occidentaux Ce qui restera de cette crise, c’est l’effet de sidération qui a frappé les puissances occidentales. On les a vues agir en ordre dispersé, commettre des erreurs que l’on reproche habituellement aux Africains. Lorsque les États-Unis ont décidé de fermer leurs frontières aux Européens, ces derniers ont fait l’expérience de l’ostracisme, du statut de pestiférés qu’on réserve d’ordinaire aux Africains. Nous avons regardé cela avec

un intérêt teinté d’égoïsme, et même d’un certain cynisme. Ainsi, les donneurs de leçons peuvent se trouver aussi démunis que nous! Nous avons ri, un peu, mais c’était d’un rire jaune. Néanmoins, cela a mis les Africains en position de dire aux Occidentaux qu’ils n’ont pas les réponses à tous les problèmes. Cela a rétabli une certaine égalité face à l’urgence, nous a autorisés à porter un regard décomplexé sur l’Occident. Et ce d’autant plus que l’Afrique s’est découvert un savoir-faire et un potentiel innovant. Nous avons fabriqué des robots, des respirateurs… La chloroquine, que nous connaissons bien, et certaines plantes africaines sont devenues dignes d’intérêt. Cette confiance retrouvée, cette idée que nous pouvons contribuer à quelque chose, tout cela peut avoir une influence sur nos complexes, sur notre fameuse « servitude volontaire ». Solidarité et humilité Ces réflexions nous conduisent à la question du monde d’après, qui devra forcément être plus solidaire, plus humble, plus humain. Utopie? Aujourd’hui, c’est plutôt le fait de croire que l’on pourra revenir au business as usual qui relève de l’utopie! Même si on le voulait, on ne pourrait plus revenir en arrière. Comment imaginer relancer l’économie de marché sans se poser la question de la place de l’homme? L’heure est sans doute venue de cesser de croire que nous autres, humains, représentons le nec plus ultra de la Création. Il nous faut repenser notre rapport aux biotopes, et pas uniquement sous le prisme du réchauffement climatique. Ce dernier est révélateur de ce que nous traversons, naturellement, mais c’est notre attitude vis-à-vis du vivant au sens large qu’il nous faut reconsidérer. Nous sommes entrés dans une crise de l’anthropocène, ce système qui ne fonctionne qu’en soumettant les autres formes de vie, qu’en négociant des « droits à polluer »… Qui peut croire que nous pourrions recommencer à vivre dans un monde qui a envoyé des hommes sur la Lune mais ne sait pas produire des masques pour se protéger? Ce serait ridicule. Et tragique.

Alioune Sall

Directeur exécutif de l’Institut des futurs africains

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République du Bénin

Riposte à la pandémie Covid-19

LE « REMÈDE » BÉNINOIS Confinement général, couvre-feu, instauration d’état d’urgence… Les formules employées par la plupart des États, notamment africains qui se sont inspirés de modèles européens et asiatiques, n’ont pas été appliquées au Bénin qui a préféré creuser son propre sillon plutôt que de faire du suivisme. Puisant dans son propre génie, le gouvernement béninois, sous la férule de Patrice Talon, a su trouver des réponses adaptées au contexte local, dont l’efficacité lui vaut d’être reprises un peu partout et d’engranger les bonnes appréciations des observateurs et spécialistes.

P

as de place pour la tergiversation. Le Bénin anticipe que cette crise sanitaire pourrait devenir un véritable boulet pour les pays africains. Il met en place, dès les premiers instants un protocole de traitement basé sur l’hydroxychloroquine.

Les autres, ailleurs, décrètent-ils le confinement général ? Patrice TALON a le génie d’analyser qu’en Afrique, la structure de l’économie est telle que, imposer d’un trait des mesures radicales à tout le monde en même temps pourrait être contre-productif à terme. Le Bénin opte alors pour la mise en place d’un cordon sanitaire pour isoler les communes les plus exposées à la pandémie du reste du pays. Dans le même temps, il investit le marché de fourniture des équipements et passe massivement commande là où d’autres cherchaient encore les adresses des fournisseurs. De fait, au bout de quelques semaines, le pays est capable de déployer et d’équiper des laboratoires de dépistage et des centres de prise en charge dans ses douze départements. Entre-temps, après avoir observé que les premiers voyageurs rentrés au pays ne respectaient pas la mesure d’auto-isolement qui leur est prescrite dès l’aéroport, donnant ainsi naissance aux premiers cas sur son sol, le


Les mesures évoluent en gradation ascendante. Le Gouvernement, un tantinet pragmatique, n’hésite pas à les actualiser. À une grosse campagne médiatique pour sensibiliser les populations notamment dans les langues nationales, il allie outre le cordon sanitaire, la fermeture de certains espaces jugés comme étant des vecteurs potentiels de transmission de masse. Les écoles, les lieux de cultes, les bars… Les transports en commun sont interdits. Mais le Gouvernement se veut lucide : le transport de marchandises reste autorisé, les marchés ouvrent avec obligation de respecter les mesures-barrières. Idem pour les grandes surfaces qui ne doivent pas accueillir plus de 10 personnes à la fois et, plus tard, 50. L’annonce des dernières mesures a permis la réouverture des écoles et l’assouplissement des mesures qui, quoique n’étant pas drastiques, ne manquaient déjà pas de produire leurs effets nocifs. En somme, en réponse à la crise sanitaire, les Béninois peuvent se vanter d’être des rares populations à ne pas vivre le stress inhérent au confinement absolu ou au couvre-feu et tous leurs corolaires anxiogènes. Et ceci sans comp-

ter les morts comme dans les pays du Nord, ni voir le mal se propager. Avec moins de 350 cas au moment où nous mettions sous presse, tous mis sous traitement dont près de 90 cas guéris et deux décès « seulement », le Bénin est loin de payer un lourd tribut au coronavirus. Et quand, pour faire face aux effets économiques de la crise, les pays du G20 décident de différer le remboursement du service de la dette publique des pays pauvres voire de l’annuler, peu chaud à un tel raccourci, le Bénin fait entendre sa différence à travers son argentier national. Romuald WADAGNI réclame plutôt de nouveaux financements pour contenir les impacts économiques de la crise et préserver la crédibilité des pays pauvres aux yeux de leurs créanciers. Le Bénin sera rejoint, dans cette position, par d’autres pays et institutions financières internationales qui en approuvent la pertinence. I

> Un centre de dépistage du COVID-19, à l'aéroport de Cotonou

JAMG - Photos : Présidence du Bénin sauf mention

pays décide de la mise en quarantaine systématique de tous ceux qui rentrent de l’extérieur. La mesure a l’effet de contenir un foyer potentiel de propagation. Elle fait sens car, aux résultats, plusieurs cas ont été identifiés parmi les personnes ainsi isolées. Plus tard encore, grâce aux efforts d’équipements et tenant compte de la nécessite du retour au cours normal de la vie, le Bénin a installé un centre de dépistage à l’aéroport de Cotonou. Il permet aux voyageurs de connaître leur statut dès leur arrivée et de ne plus passer par la case quarantaine de 14 jours.

© Prostooleh / Freepik

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COMMUNIQUÉ


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56 Côte d’Ivoire Beaux-frères jumeaux, beaux-frères rivaux ?


60 RD Congo « Maman Marthe », gardienne du temple

67 Cameroun Le crépuscule des Fotso

70 Gabon L’enfant déchu de la République

GUINÉE

Alpha Condé

« Mes adversaires ont une mentalité de putschistes » Crise sanitaire et conséquences économiques, scrutins de mars et d’octobre, Constitution… Le président guinéen a donné à Jeune Afrique son opinion sur les sujets brûlants de l’actualité de son pays.

VINCENT FOURNIER/JA

À

Propos recueillis par FRANÇOIS SOUDAN

moins de six mois d’une élection présidentielle à laquelle rares sont ceux qui doutent encore de sa candidature, Alpha Condé combat le coronavirus comme il avait combattu Ebola : heure par heure, le nez dans le guidon, jonglant entre appels incessants et messages répétés sur ses quatre ou cinq smartphones, jusqu’au cœur de la nuit. Officiellement, ce président étonnamment alerte pour ses 82 ans ne fait que cela : gérer la crise sanitaire et économique dans un pays de 13 millions d’habitants brusquement stoppé en

pleine phase de décollage par un virus importé. En réalité, cet ancien opposant couturé par tant de batailles a trop de politique dans le sang pour ne pas penser aussi, avec une même ardeur, aux échéances électorales à venir. Voudrait-il s’en détacher que l’opposition guinéenne, vent debout contre son projet supposé de troisième mandat, ne lui en laisserait pas le loisir. Même si Alpha Condé a réussi à passer au forceps la première épreuve, le référendum du 22 mars instaurant une nouvelle Constitution, il est clair que ses adversaires regroupés au sein du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) n’entendent pas le voir se présenter en octobre. Il suffit pour s’en convaincre de lire ou d’écouter la surenchère sémantique du principal

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AFRIQUE SUBSAHARIENNE

GUINÉE

leader du FNDC, Cellou Dalein Diallo, dénonçant sur sa page Facebook « la main meurtrière » du chef de l’État, dont seul le départ permettra selon lui de « mettre un terme au carnage » (sic). Surenchère verbale certes. Mais quand on sait qu’en Guinée toute manifestation est synonyme de violences, trop souvent de morts, et qu’aucunes prémices d’apaisement ne sont en vue tant les protagonistes semblent irréconciliables, les mois à venir risquent d’être tendus. Dans cet entretien recueilli par visioconférence, Alpha Condé se veut à la fois serein et combatif. Nul doute qu’il aura besoin de cette bipolarité pour mener ce qui pourrait être sa dernière bataille.

CELLOU BINANI/AFP

Sur un mur de Conakry, en mai 2020.

qu’Ebola nous a obligés à multiplier par deux les fonds consacrés au secteur de la santé. Aujourd’hui, toutes les sous-préfectures disposent d’un centre de soins amélioré. Ensuite parce qu’au contact de cette maladie nos médecins ont acquis de précieuses compétences qui ont fait d’eux des spécialistes dont le savoir-faire est désormais requis ailleurs, notamment en RD Congo. Et les Guinéens en général l’ont aussi compris : depuis Ebola, ils savent que se désinfecter les mains est un geste capital, nul besoin de le leur répéter. Cette expérience nous a appris à réagir vite. Dès l’apparition des premiers cas de coronavirus importés de Belgique puis de France, l’état d’urgence sanitaire, un couvre-feu nocturne et toute une série de mesures de prévention ont été décrétés. Si le nombre de cas dépistés est élevé en Guinée, c’est parce que nous multiplions les tests à l’échelon communautaire, famille par famille. Nous exigeons aussi le port du masque: j’en ai fait moi-même fabriquer 1 million et demi, distribués gratuitement. Le résultat est que la Guinée peut se prévaloir d’un taux de létalité particulièrement bas et d’un taux de guérison en hausse constante, tout en maintenant autant que faire se peut l’activité économique. Conscients du fait que beaucoup de Guinéens vivent au jour le jour, nous n’avons pas instauré de confinement mais imposé un cordon sanitaire autour de la capitale. Pour sortir de Conakry, il faut avoir été testé négatif.

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CELLOU BINANI/AFP

Jeune Afrique : La Guinée a dû faire face, entre 2013 et 2015, à l’épidémie d’Ebola, qui a fait plus de 2 000 victimes. Cette expérience vous sert-elle pour combattre la pandémie du coronavirus ? Alpha Condé : C’est évident. D’abord parce

Croyez-vous en l’existence de « réponses africaines » à la maladie, à l’instar du CovidOrganics malgache?

Une chose paraît sûre : la jeunesse de notre population, la longue présence du paludisme et d’autres maladies, ainsi que les conditions liées au climat font que l’Africain semble mieux résister au choc viral. Pour ce qui est des remèdes, je n’exclus rien, ni la médecine dite moderne, ni la médecine traditionnelle basée sur les plantes dont nos guérisseurs connaissent les secrets. Je félicite le président Rajoelina pour son courage, et je crois aux vertus de l’Artemisia. Si ce produit avait été inventé en Europe ou en Amérique, il n’y aurait pas autant de polémiques. Si la pandémie n’est pas éradiquée en Guinée, l’élection présidentielle d’octobre sera-t-elle reportée?

Je ne peux pas répondre à cette question pour l’instant, d’autant que je ne suis pas décisionnaire en la matière. Cela revient à la Commission électorale nationale indépendante [Ceni]. Ce qui m’intéresse pour le moment, ce

Dans un bureau de vote de la capitale, lors du double scrutin du 22 mars.


CELLOU BINANI/AFP

LE FNDC S’EST INSCRIT DANS UNE DÉMARCHE INSURRECTIONNELLE DE PRISE DU POUVOIR PAR LA FORCE.

n’est pas l’élection, mais comment faire en sorte que l’économie guinéenne ne s’effondre pas. Le double scrutin du 22 mars – référendum constitutionnel et législatives – a été boycotté non seulement par l’opposition regroupée au sein du FNDC, mais aussi par les observateurs de l’Organisation internationale de la Francophonie [OIF], de l’Union africaine [UA] et de la Cedeao. Comment en est-on arrivé là?

Prenons les choses dans l’ordre. Alors que nous avions fixé ensemble la date des législatives au sein de la Ceni paritaire, l’opposition a décidé de les boycotter pour une raison simple : sa stratégie était de faire exploser la Guinée en jouant sur la concomitance avec le référendum. Elle a échoué. Pour ce qui est des observateurs, je vous ferai remarquer que c’est moi qui ai demandé à ceux de l’UA et de la Cedeao de venir. Et ils sont venus à Conakry. L’UA en a dépêché une trentaine, et la délégation de la Cedeao était dirigée par l’ancien président nigérien Salou Djibo, accompagné du commissaire aux affaires politiques, le général Francis Behanzin. Brusquement, ils ont été rappelés et se sont donc retirés, sans qu’on nous en donne les raisons. Et ceux de la Francophonie?

Nous avons travaillé avec l’OIF sur le fichier électoral en 2018. Elle a fait des recommandations que nous avons suivies, et ses experts ont reconnu que le logiciel dont s’est dotée la Ceni était extrêmement performant, du jamais-vu en Afrique. Mais il n’a jamais été question que l’OIF nous envoie des observateurs. Elle était là pour un accompagnement. Le nœud du problème, c’était ce fameux stock dequelque2,4millionsd’électeursdouteuxinscrits sur les listes…

Affrontements entre policiers et manifestants dans le quartier de Wanindara, à Conakry, le 27 février 2020.

Je vous arrête: il ne s’agissait pas d’électeurs douteux ou fictifs, mais d’électeurs réels qui avaient voté en 2013 et en 2015 et à qui il manquait, pour une partie d’entre eux, la carte d’identité biométrique, qui n’était pas exigée lors des précédents scrutins, et, pour d’autres, la photo ou l’empreinte digitale. Je vais vous faire une confidence: le secrétaire général de la présidence, Kiridi Bangoura, et mon directeur de cabinet, Khalil Kaba, étaient dans ce cas. Ce ne sont pourtant pas des électeurs fictifs! Cela dit, conscients du problème, nous avons reporté les élections de trois semaines et retiré ces 2,4 millions d’électeurs des listes. C’est à ce moment-là que les observateurs de l’UA et de la Cedeao, que nous avions fait venir par esprit panafricaniste, ont été rappelés sans préavis ni explication. En voulez-vous au président en exercice de la Cedeao, le Nigérien Mahamadou Issoufou?

Je ne ferai aucun commentaire. L’Histoire jugera.

Vous dites que l’opposition, particulièrement le FNDC, voulait faire exploser la Guinée. C’est une accusation grave!

Oui, mais fondée. Ces gens étaient clairement dans une démarche insurrectionnelle de prise du pouvoir par la force. Leurs leaders l’ont dit dès avant le 22 mars: nous manifesterons lundi, mardi, mercredi, et jeudi nous serons au palais. L’un d’entre eux a même parlé de la nécessité d’une transition militaire, ce qui a donné des idées à un officier inconscient qui a entraîné une dizaine d’hommes dans un projet de coup d’État voué à l’échec. C’était oublier un peu vite que la Guinée d’aujourd’hui n’est plus la Guinée d’hier. Le FNDC a envoyé ses nervis attaquer des bâtiments publics, verser de l’huile sur les routes, manifester avec des machettes, des frondes et des fusils de chasse. Une tentative

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GUINÉE

d’attentat au véhicule piégé contre une station d’essence a été déjouée in extremis à Conakry. Dans la bouche des dirigeants du FNDC, il n’était question que de renverser le pouvoir et de rendre le pays ingouvernable. Quand Cellou Dalein Diallo dit à ses jeunes militants: « Êtesvous prêts à mourir ? » cela veut dire quoi ? La Guinée n’a jamais connu de guerre civile, et elle n’en connaîtra pas. J’ai moi-même été opposant pendant quarante-deux ans et, lorsque des militaires sont venus me voir après les élections de 1993 pour me proposer de me porter au pouvoir par la force, je leur ai répondu que je ne faisais pas de la politique pour gouverner des cimetières. Jamais je n’ai eu recours à la violence. Je suis profondément démocrate, mais mes adversaires ont une mentalité de putschistes.

[Union des forces démocratiques de Guinée] de Cellou y a multiplié les menaces envers ceux qui n’étaient pas de son camp, allant jusqu’à attaquer des bâtiments de l’État et à incendier la maison du candidat de mon parti, à Labé. Plutôt que d’aller à l’affrontement, ce que souhaitaient nos adversaires, nous avons donc décidé de fermer des bureaux de vote. Faut-il pour autant conclure à une dérive intercommunautaire ? Non. Les Guinéens ont dépassé ce stade. Ils savent faire la différence entre les deux catégories d’hommes politiques. D’un côté les hommes d’État, dotés d’un programme crédible, qui s’adressent à l’intelligence et aux facultés de raisonnement. De l’autre les politiciens démagogues, qui s’adressent au subjectif, c’est-à-dire à l’ethnie et à la religion.

L’opposition et des ONG de défense des droits de l’homme imputent aux forces de l’ordre la responsabilité des morts qui ont endeuillé le scrutin. Qu’avez-vous à répondre?

Un dialogue est-il encore possible avant l’élection présidentielle avec une opposition qui, de facto, ne reconnaît plus votre légitimité?

Partout, la démocratie, c’est la voix du peuple. Le peuple s’est exprimé. La Cour constitutionnelle a statué. La question de la légitimité ne se pose donc absolument pas. Cela étant dit, j’ai toujours été ouvert au dialogue et je souhaite qu’une discussion franche s’instaure afin que

Je ne dis pas que les forces de l’ordre n’ont aucune responsabilité. Il peut évidemment y avoir des bavures. Certains agents ont été arrêtés, et nous continuons les enquêtes. Mais il est difficile de prendre au sérieux des rapports d’ONG qui ont enquêté de façon unilatérale sans nous interroger et sans tenir le moindre compte du contexte de violence que je viens d’évoquer. C’est un peu comme si, lors de la crise des « gilets jaunes » en France, on n’avait enquêté que sur la police et pas sur les casseurs ou les black blocs – lesquels ont leurs équivalents guinéens : les « sections cailloux » du FNDC. Ma première décision, quand je suis arrivé au pouvoir, a été de réformer l’armée et la police dans un sens républicain. Le chantier était colossal, mais les progrès accomplis sur la voie du maintien démocratique de l’ordre sont palpables: plus aucun militaire ne sort de son camp avec une arme, et la police a interdiction de tirer à balles réelles lors des manifestations.

Le leader de l’UFDG et principal opposant Cellou Dalein Diallo, le 7 novembre 2019 à Conakry.

D’abord je vous rappelle que les deux scrutins ont eu lieu au niveau national, malgré les sabotages et les intimidations, avec un taux de participation honorable d’environ 58 % pour chacun d’eux. C’est exact, on a beaucoup moins voté dans le Fouta que dans les trois autres régions, et ce pour une raison évidente: l’UFDG

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CELLOU BINANI/AFP

Quand on constate que l’importante région du Fouta, qui est le fief du parti de Cellou Dalein Diallo, n’a pratiquement pas voté le 22 mars, n’y a-t-il pas lieu de redouter une dérive intercommunautaire en Guinée?


l’élection à venir soit inclusive. Mais pour dialoguer il faut être deux, or je constate que si cette opposition a refusé d’aller aux élections le 22 mars, c’est parce qu’elle était convaincue que le pouvoir serait renversé. D’un côté, il y a une logique démocratique, de l’autre une logique putschiste. Néanmoins, je suis prêt à débattre – de ma gestion, bien sûr, mais aussi de celle de ces anciens Premiers ministres du régime militaire qui dirigent aujourd’hui le FNDC. Beaucoup de jeunes ne se souviennent pas de ce qu’ils ont fait ni dans quelle situation désastreuse se trouvait la Guinée en 2010. Beaucoup ne savent pas qu’un certain Cellou Dalein Diallo était, en 2001, l’un des principaux zélateurs d’un projet de réforme de la Constitution octroyant au président de l’époque un septennat renouvelable à vie. Tout cela doit être mis sur la table, non pas afin d’éliminer tel ou tel candidat, mais pour que chacun assume ses responsabilités. Votre projet de référendum était tout de même clivant. Pourquoi l’avoir maintenu?

Parce que c’était devenu indispensable. Nous vivions depuis dix ans avec une Loi fondamentale promulguée dans l’urgence après

les accords de Ouagadougou et adoptée sans référendum par une Assemblée non élue. On ne peut pas vouloir être un État de droit et accepter ce genre d’anomalie. La Constitution que nous venons d’adopter est une avancée historique. Elle instaure la parité de genre, interdit les mutilations génitales et les mariages précoces, abolit la peine de mort, abaisse l’âge de l’éligibilité, protège l’environnement, consacre 15 % des ressources minières aux collectivités territoriales, etc. Je pense que c’est l’une des meilleures d’Afrique. Cette Constitution vous donne le droit d’être à nouveau candidat pour un troisième mandat, et c’est d’ailleurs pour cela que l’opposition la rejette. Le serez-vous?

Pourquoi poser cette question quand il s’agit de la Guinée et ne pas la poser dans d’autres pays où les chefs d’État peuvent être réélus indéfiniment ? Donc, quand il s’agit d’Alpha Condé, le traitement devrait être particulier ? Donc certains présidents seraient autorisés à modifier la Constitution et à se présenter trois, quatre, six fois, et pas celui de la Guinée? Cette forme de géométrie variable qui prétend se substituer à la volonté populaire n’est pas acceptable. Vous n’avez pas répondu à ma question…

POURQUOI CERTAINS PRÉSIDENTS SERAIENT-ILS AUTORISÉS À SE REPRÉSENTER TROIS, QUATRE, SIX FOIS, ET PAS CELUI DE LA GUINÉE?

Mon opinion sur une éventuelle candidature importe peu. C’est le Rassemblement du peuple de Guinée, ou plus exactement la mouvance RPG–Arc-en-Ciel, dans laquelle siègent d’anciens leaders de l’opposition, comme les ministres Aboubacar Sylla et Mouctar Diallo, qui décidera le moment venu de l’identité de son candidat. Au lendemain du double scrutin du 22 mars, le ministère français des Affaires étrangères a évoqué le caractère « non inclusif » de ces élections, ainsi que le rôle « excédant la simple sécurisation du processus » joué par les forces de l’ordre. Y a-t-il une crise de confiance entre Paris et Conakry?

Ce type de communiqué démontre une évidente méconnaissance de la situation. Je n’y prête guère d’attention. Je connais bien la France. J’y ai suivi mes études, j’y ai enseigné, j’y ai des relations dans tous les milieux politiques. J’ai aussi de très bons rapports avec le président Macron, que j’ai été le seul chef d’État africain à recevoir alors qu’il était en campagne électorale. Et je me félicite que l’intervention de l’AFD [Agence française de

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développement] en Guinée, qui était de l’ordre de 8 à 10 millions d’euros par an avant mon accession au pouvoir, ait régulièrement augmenté depuis, pour atteindre 140 millions d’euros en 2019. Nos relations avec la France doivent être basées sur le respect mutuel que se vouent des partenaires majeurs. Chacun doit respecter la souveraineté de l’autre. Lorsque j’ai expliqué lors d’un discours tenu à Abidjan qu’il fallait « couper le cordon ombilical », c’est à cela que je faisais allusion.

elle dispose de sa propre monnaie, mais, en tant que panafricains, nous sommes prêts à nous fondre dans un ensemble plus vaste. Je crois en l'eco, tout comme je rêve qu’un jour l’ensemble de l’Afrique ait une monnaie unique.

Lors de la dernière crise électorale en GuinéeBissau, vous n’étiez pas sur la même longueur d’onde que le président sénégalais Macky Sall. Ce différend est-il résorbé?

Je n’ai jamais perdu confiance. Depuis dix ans et malgré Ebola, notre taux de croissance moyen avoisine les 6 %. La Guinée possède des richesses minières, agricoles et énergétiques considérables, trop longtemps inexploitées ou trop souvent gaspillées par cupidité et incompétence. En 2010, le taux d’inflation était de 21 %, le déficit budgétaire de 12 % et la Banque centrale n’avait pas de quoi couvrir trois semaines d’importations. En 2010, la Guinée produisait 13 millions de tonnes de bauxite par an. Aujourd’hui, elle en produit 100 millions. Idem pour le fer: l’appel d’offres pour l’exploitation de Simandou 1 et 2, qui en recèle la plus importante réserve au monde et le minerai le plus riche, a été lancé avec succès. Lorsque je suis arrivé, l’économie de ce pays, c’est à la petite cuillère que j’ai dû la ramasser, comme tout le reste d’ailleurs. À moins d’être d’une totale mauvaise foi, qui oserait dire que la Guinée n’a pas changé en dix ans?

Un récent rapport du FMI prédit que si la pandémie du coronavirus s’arrête avant la fin de 2020 la Guinée fera partie des cinq pays du continent qui résisteront le mieux en 2021, avec un taux de croissance de 5,6 %. Cela a dû vous rassurer…

Je considère Macky Sall comme un jeune frère. Le fait que nous soyons amis n’empêche pas que nous ayons parfois des divergences d’analyse, comme à propos de la GuinéeBissau, où j’étais le médiateur de la Cedeao. Mais je n’ai aucun problème avec lui. À preuve, tout le monde sait le rôle que j’ai joué auprès de l’ancien président Wade, que j’ai fait venir à Conakry, afin que l’élection présidentielle sénégalaise de 2019 se passe bien. Il y a tout un débat autour de l’eco, la future monnaie unique d’Afrique de l’Ouest, entre le NigeriaetlaCôted’Ivoire.Au-delàdelaquerelle de leadership régional, où vous situez-vous?

VINCENT FOURNIER POUR JA

Il ne devrait pas y avoir débat. Cette monnaie sera celle des quinze États de l’espace Cedeao, ainsi que nous l’avons décidé lors du dernier sommet de la Cedeao. Elle sera une monnaie basée sur un panier de devises et pas uniquement sur l’euro. Telle est notre position. La Guinée n’a jamais fait partie de la zone franc,

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Lors de l’entretien par visioconférence, le 14 mai.

Et vous-même, avez-vous changé ? On vous reproche parfois votre tendance au micro­ management, votre accessibilité aussi, laquelle n’est pas sans risques : certains peuvent en profiter pour vous influencer…

Je ne suis pas quelqu’un à qui on peut venir raconter n’importe quoi, et vous ne verrez pas un seul membre de ma famille se mêler de politique. Je sais vérifier et je ne suis pas influençable, les Guinéens le savent. Pour le reste, j’ai toujours été un militant, et le fait d’être devenu le chef de l’État n’a rien changé à ma façon de vivre. Si vous me coupez les veines et que vous coupez celles d’un paysan, c’est le même sang qui coulera. En tant que président, j’estime que je dois m’intéresser à tous les dossiers, et cette attention de tous les instants me semble indispensable aujourd’hui, tout comme elle a été précieuse à l’époque de l’épidémie d’Ebola. Alors va pour micromanagement si vous voulez. Après tout, dans « micromanagement », il y a « management ». C’est ce mot que je retiens.



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CÔTE D’IVOIRE

Beaux-frères jumeaux, beaux-frères rivaux ?

D

ANNA SYLVESTRE-TREINER

ans chaque clan, il y a des rituels. Chez les Gomis, c’est le porcelet du samedi. C’est joyeux, un peu bruyant aussi. On s’apostrophe en français ou en anglais, que chacun parle avec un très bel accent. Ici, tout le monde partage sa vie entre Cocody, les États-Unis et les plus beaux quartiers de Paris. On a la tête bien faite, les manières soignées et l’attitude délicieuse des gens bien nés. Depuis toujours, la table est dressée sous les ors de la République. Traditionnellement, autour du petit cochon rôti, il y a bien sûr le patriarche : Charles Gomis, 79 ans. Il était déjà censé avoir pris sa retraite lorsqu’en 2012 Alassane Ouattara l’a rappelé pour occuper le poste convoité d’ambassadeur de Côte d’Ivoire en France. Huit ans plus tard, nommé sénateur par le président, il devait enfin rentrer au pays à la fin du mois de mars. Tant d’années à surveiller les incartades des pro-Gbagbo réfugiés à Paris, des mois à devoir s’occuper du cas Guillaume Soro, installé en France avec ses proches après être devenu persona non grata à Abidjan… Il y a quelques semaines, Charles Gomis assurait se réjouir d’être remplacé. Mais l’épidémie de Covid-19 en a décidé autrement, et voilà le diplomate bloqué à Paris, son mandat encore prorogé. Il trépigne en espérant rejoindre sa joyeuse tablée. Et quelle tablée !

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Charles Gomis n’a eu que des filles: Henriette, Sylvie, Évelyne et CamilleAlexandra, la plus jeune. Toutes mènent une brillante carrière, leurs époux aussi, qui ne sont pas tout à fait des inconnus : Henriette est mariée à Jean-Louis Billon ; Sylvie s’est unie à Thierry Tanoh. Côte à côte, aux déjeuners de famille, deux anciens ministres, également hauts cadres du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et grands patrons. « On me dit : “Tu as bien marié tes filles”, aime raconter Charles Gomis. Mais non, ce sont eux qui ont fait un beau mariage : mes filles ont fait d’eux ce qu’ils sont aujourd’hui ! » En un demi-siècle de carrière à la tête des ambassades les plus prestigieuses, Charles Gomis ne compte plus le nombre de chefs d’État qu’il a salués. Mais là, c’est différent : il y a peut-être, autour de sa table, le prochain président de la Côte d’Ivoire. C’est un secret de polichinelle. Jean-Louis Billon et Thierry Tanoh se verraient bien occuper le poste. Depuis des années, ils s’y préparent. Si Henri Konan Bédié n’est pas candidat en 2020, pourquoi ne le seraientils pas ? Le renoncement d’Alassane Ouattara à un troisième mandat, au début de mars, redonne au fantasme de la réalité. Maintenant que le président ivoirien a choisi de se retirer, un ultime combat d’Henri Konan Bédié aurait la couleur sépia et le ton désuet des choses du passé. À 85 ans, le Sphinx prendrait le risque de se ringardiser. L’heure du passage de

ISSAM ZEJLY POUR JA ; BRUNO LEVY POUR JA

Tous deux anciens ministres, grands patrons et gendres de l’ambassadeur Charles Gomis, ils se verraient bien porter les couleurs du PDCI à l’élection présidentielle d’octobre. Encore faut-il qu’Henri Konan Bédié y renonce…

témoin est arrivée, clame le chef de l’État. Comme au Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), cela fait des années qu’au sein du PDCI la nouvelle génération trépigne. Jean-Louis Billon, 55 ans, et Thierry Tanoh, 57 ans, sont persuadés d’en faire partie. Et puis, d’un président, n’ont-ils pas l’étoffe, l’expérience, le réseau et l’argent ?

Coups bas et manigances

Serait-ce à cause du brouhaha qui règne dans la salle à manger lors de leurs déjeuners communs ? « JeanLouis et Thierry ne m’écoutent jamais », regrette Charles Gomis. Le vieil homme est inquiet. « Abidjan est méchant. On y coupe les têtes ! » s’obstine-t-il à répéter. Il a survécu à cinq changements de régime et à tout autant de présidents: des coups bas et


BILLON, C’EST LE FRANC-TIREUR, LE VERBE HAUT ET LES PHRASES PIQUANTES. TANOH, LE TECHNOCRATE, LISSE ET DISCRET.

Jean-Louis Billon (à g.), patron du groupe Sifca, et Thierry Tanoh, ex-dirigeant d’Ecobank.

des manigances, il en a vu tellement… Chez ces happy few ivoiriens, on a pour soi l’expérience. Tout le monde semble être tombé en politique quand il était petit. « Mais moi, c’était un hasard ! Je ne voulais pas faire de politique », plaide celui qui a été le benjamin du bureau du PDCI, comme si ces choses pouvaient arriver sans qu’on les provoque. Depuis peu, Charles Gomis est passé au RHDP, ou, du moins, d’autres l’ont décidé pour lui : « On m’a donné ma carte, et c’est tout ! » s’amuse-t-il. Ce changement d’étiquette, conséquence de la nouvelle rivalité entre le PDCI et le RHDP, fait rire en famille. Reste qu’il faut se méfier des tensions politiques du moment. Les beaux-fils semblent avoir accepté de se plier aux injonctions du patriarche et se font discrets. Fil Twitter au

ralenti, page Facebook policée, c’en est fini des déclarations tonitruantes. Alors que se rapproche l’élection, prévue en octobre 2020, il faut faire profil bas. Le brouillard est encore trop dense, les intentions des dinosaures ivoiriens restent obscures, il ne faudrait pas les froisser. Une ambition, cela ne se dit pas, et, lorsque cela se montre, c’est à ses risques et périls. « Pour l’instant, mieux vaut laisser les autres s’entre-tuer », pense le patriarche. Sans doute est-ce ce qu’il souffle à Jean-Louis, entre deux buts, lorsqu’ils regardent ensemble un match de football. Son gendre est bien placé pour connaître les risques du métier. Combien de contrôles fiscaux l’héritier de Sifca, la plus grande entreprise privée du pays, a-t-il subis ces derniers mois ? Il y a aussi les menaces, visant

parfois même sa famille. Cela fait des années qu’Henriette, sa femme, tente de le convaincre qu’il serait plus sage d’arrêter la politique. L’argent, le succès, des enfants en pleine forme, n’ont-ils pas tout pour être heureux ? « Ministre, c’était déjà très bien », soupire-t-elle devant des proches. Mais c’est plus fort que Jean-Louis.

Franc-tireur

Billon, c’est le franc-tireur, le verbe haut et les phrases piquantes. Tanoh, le technocrate, lisse et discret. Cet homme élancé, à l’allure stricte, fuit la presse, affecte la distance et le ton froid des puissants. Porte-parole du PDCI, Billon, lui, mène au pas de charge l’offensive de son parti pour la reconquête du pouvoir, cultive ses relations et multiplie les contacts, tout en bonhomie et en rondeur. Libre, il l’a toujours été, clame-t-il. Un peu trop d’ailleurs, au goût de certains hommes forts du régime avec lesquels il entretenait des relations tendues lorsqu’il était au gouvernement, de 2012 à 2017. Avec Amadou Gon Coulibaly, alors secrétaire général de la présidence et favori pour porter les couleurs du RHDP en octobre 2020, les tensions et les divergences étaient de notoriété publique. À tel point que Billon a débouché le champagne quand il a été débarqué du gouvernement. À l’époque, l’un des plus proches collaborateurs de Gon Coulibaly s’appelait… Thierry Tanoh.

Partie de tennis

Secrétaire général adjoint de la présidence à partir de 2014, puis ministre du Pétrole jusqu’en 2018, Tanoh ne manque pas une occasion de vanter les « excellentes relations » qu’il entretient avec l’actuel Premier ministre et son premier cercle. Il suffit d’aller à l’hôtel Ivoire pour le voir disputer une partie de tennis avec Adama Bictogo, directeur exécutif du RHDP et l’un de ses hommes clés pour la présidentielle. Après la rupture entre le RHDP et le PDCI, Thierry Tanoh a été le dernier ministre PDCI à quitter l’exécutif : « J’ai toujours été clair, et il n’a jamais

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CÔTE D’IVOIRE

été question pour moi de passer au RHDP. Parmi les ministres issus du PDCI, j’ai été le seul à dire non. » Impossible pour cet homme qui a été élevé par Henri Konan Bédié de trahir son deuxième père. « Mais je crois qu’Alassane Ouattara et Amadou Gon Coulibaly appréciaient mes qualités et mon travail », confie-t-il. Jean-Louis Billon était alors l’un des plus critiques à l’égard du gouvernement. De tensions entre les deux beaux-frères, il n’y en a jamais eu, jurent-ils en écho. « On ne parle pas de politique », assure l’un. « On s’aime beaucoup », dit l’autre. Toutefois, ils ne dédaignent pas de se lancer quelques piques. Alors, alliés ou rivaux ? « Sans cesse, on cherche à nous monter les uns contre les autres », s’agace l’épouse de l’un des ambitieux. « Tout cela nous amuse », conclut l’autre. Si leurs noms reviennent avec insistance à quelques mois de la présidentielle, rares sont les observateurs à vouloir les départager. « De toute façon, ce sera ni l’un ni l’autre! » s’esclaffe l’un de leurs adversaires au PDCI. « Ni Billon ni Tanoh n’a

« ON CHERCHE À NOUS MONTER LES UNS CONTRE LES AUTRES », S’AGACE L’ÉPOUSE DE L’UN DES AMBITIEUX. « TOUT CELA NOUS AMUSE », RENCHÉRIT L’AUTRE. l’ombre d’une chance d’être élu en octobre. Qui les connaît ? » renchérit un cacique du RHDP. Originaire de Dabakala, dans le nord du pays, Billon s’est fait ravir ses fonctions de président du conseil régional en 2017 au cours de la guerre qui opposait le RHDP au PDCI. « Il n’a jamais été un homme de terrain et, sans nous, il n’aurait jamais été élu », persifle-t-on au RHDP. « C’est un héritier », aiment dire ses détracteurs, soulignant que Sifca est l’œuvre de son père, Pierre, plus que la sienne. Ce n’est en tout cas pas un domaine dans lequel Tanoh peut rivaliser. Il n’a jamais été élu, et pour cause, il n’a jamais été candidat. « Ouattara, Macron, Kagame l’ont-ils été avant d’être président ? » rétorque l’intéressé.

S’ils ont des handicaps, les deux hommes ont aussi quelques atouts. Des diplômes prestigieux, de solides CV (patron de Sifca et ministre du Commerce pour l’un, vice-président de la Société financière internationale et directeur général d’Ecobank pour l’autre) et des comptes en banque bien garnis. Billon est l’une des premières fortunes ivoiriennes, Tanoh a gagné 12 millions de dollars au terme de son conflit avec Ecobank. Reste un homme à convaincre : Henri Konan Bédié, le Sphinx du PDCI. Combien de fois l’a-t-on dit sur la touche, combien de fois a-t-il repris la main ? À cinq mois de la présidentielle, il est le seul à décider de l’avenir du parti dont il a hérité il y a vingt-sept ans. Le chef, les deux beaux-frères le

ISSOUF SANOGO/AFP

Nommé sénateur par le président Ouattara et désormais membre du RHDP, Charles Gomis devrait bientôt rentrer à Abidjan.

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connaissent depuis leurs plus jeunes années. Pierre Billon, le père de JeanLouis, était l’un de ses amis intimes. Peut-être Jean-Louis a-t-il croisé Thierry Tanoh très tôt, dans la cour présidentielle de Daoukro. Ce dernier, qui a très tôt perdu son père, a été quasiment adopté par Bédié. Si tant est que l’on puisse cerner ce vieil homme réputé indéchiffrable, Billon et Tanoh font sans doute partie des mieux placés pour le décrypter. Pourtant, ils l’assurent, aucun ne sait ce que le Sphinx a dans la tête. Cela fait bien longtemps que Charles Gomis, lui, a pris ses distances. Bien sûr, ces derniers temps, il continuait à discuter avec l’ancien président dans la berline noire qui filait au petit matin entre Roissy et Paris. C’est le travail d’un ambassadeur que d’aller accueillir les personnalités. Mais leurs échanges n’étaient plus que des banalités. Ces deux hommes se connaissent trop bien pour encore s’apprécier.

Zizanie dans la tribu

Gomis n’était que stagiaire lorsqu’il fut embauché par un certain Henri Konan Bédié, alors ambassadeur de Côte d’Ivoire à Washington. Il n’avait que 27 ans quand il devint son chef de cabinet – Bédié avait alors été rappelé par Houphouët-Boigny pour être ministre des Affaires économiques. Mais, au sein de la vieille garde du PDCI, Gomis fait partie des contempteurs du Sphinx. Après le coup d’État qui l’a renversé, en 1999, Bédié ne lui a, dit-on, jamais pardonné d’avoir intégré le gouvernement du putschiste Robert Gueï. Il y a des rancunes qui ne passent pas. À tel point que Gomis, qui, dans les années 1970, avait installé la maison du PDCI à Cocody, évoque sans regret son départ du vieux parti. Le malicieux Bédié pourrait-il jouer de la rivalité entre les deux beauxfrères ? « Il n’y aura pas de face-à-face entre nous », assure l’un des deux. Avant de semer la zizanie dans la tribu, il faudra en tout cas se confronter au patriarche. Dans la belle résidence de la rue

« TONTON » ADO ET « PAPA » BÉDIÉ « Je ne veux pas de membre du RHDP chez moi! » lançait, il y a quelques mois, Jean-Louis Billon à son beau-père, Charles Gomis. C’était dit avec le sourire, il ne pouvait s’agir que d’une blague. Certes, le premier est l’un des caciques du PDCI tandis que le second est un sénateur du RHDP, mais les rivalités politiques sont parfois secondaires. « Même au plus fort des tensions entre ces deux partis, autrefois alliés, on n’a jamais entendu Jean-Louis ou Thierry critiquer le président », affirme un proche des deux beaux-frères. Comment l’imaginer, quand on sait que leurs épouses respectives appellent Alassane Ouattara « Tonton » et que la Première dame a été le témoin de mariage d’Henriette Gomis et de Jean-Louis Billon? Depuis trente ans, Alassane et Dominique Ouattara sont des intimes de la famille. Quand, au début des années 1990, le couple était de passage à Washington, Charles Gomis, alors ambassadeur aux États-Unis, les accueillait chez lui. Cela, disait-on, faisait enrager Henri Konan Bédié, dont Alassane Ouattara était le rival pour la succession de Félix Houphouët-Boigny. Si les relations de Bédié avec Gomis sont aujourd’hui compliquées, celles qu’entretient le premier avec les gendres du second sont bien plus apaisées. Jean-Louis Billon a connu le patron du PDCI dès son plus jeune âge – Pierre, son père, était l’un de ses amis et financeurs. Quant à Thierry Tanoh, il entretient un lien quasi filial avec Bédié. Si Billon et Tanoh revendiquent une grande proximité avec le Sphinx, aucun n’a réussi à le percer à jour. C’est pourtant cet homme, mystérieux et retors, qui tient entre ses mains leur destin. A.S.-T.

de Lota, à Paris, les photos ont été décrochées, les malles bouclées, et les premiers effets ont été embarqués avant qu’arrive l’épidémie de Covid19. Quand le danger sera éloigné et que les frontières seront rouvertes, Charles Gomis devrait retrouver sa villa de Cocody et de nouveau déguster un porcelet en famille, le samedi. Il sera à deux pas de chez Thierry et Sylvie. Bientôt, tout aussi près, il y aura Jean-Louis et Henriette – ils déménagent de leur maison de l’Indénié pour se rapprocher. Plus proches, et toujours aussi soudés. Pourtant, de fauteuil présidentiel, il n’y en a qu’un. Si un jour il faut choisir, lequel de ses beaux-fils Gomis poussera-t-il ? « Pourquoi faudrait-il que ce soit l’un ou l’autre, a-t-il un jour soufflé. Ce pourrait être l’un, puis l’autre. »

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RD CONGO

« Maman Marthe », gardienne du temple Elle a fait face à l’adversité aux côtés d’Étienne Tshisekedi, son défunt mari et éternel opposant. Aujourd’hui, elle veille sur son président de fils.

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ROMAIN GRAS

es doigts croisés, enfoncé dans le canapé, le regard fuyant l’objectif, Jean-Marc Kabund-a-Kabund, président intérimaire de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), et Augustin Kabuya, son secrétaire général, ont presque l’air intimidé. Ce 4 mai, ils ont rendez-vous rue Pétunias, dans le quartier de Limete, fief kinois de l’UDPS. Une commune où se situe aussi la résidence de l’influente « Maman nationale » – le surnom dont les militants affublent Marthe Tshisekedi. Confortablement installée dans son fauteuil, la veuve d’Étienne Tshisekedi se prête au jeu de la photo. Rien d’autre ne filtrera de ce rendez-vous, dont le timing est loin d’être anodin. La direction de l’UDPS est confrontée à la fronde de certains de ses cadres, qui contestent la légitimité de Jean-Marc Kabund-a-Kabund, et le soutien de « Maman Marthe » serait un atout non négligeable. Pourrait-elle mener une médiation ? « Elle milite pour l’unité du parti et reçoit ceux qui demandent à la voir », assure Peter Kazadi, l’un des frondeurs. « Même si elle n’exerce pas de fonction officielle, elle a la légitimité politique pour intervenir », ajoute un cadre de l’UDPS. Ces derniers mois, Limete est devenu un point de passage stratégique pour qui souhaite prétendre à un poste à responsabilités. « Si Marthe Tshisekedi ne vous a pas à la bonne, elle peut s’arranger pour vous bloquer », affirme un ancien proche collaborateur de son mari. « Elle peut transmettre des dossiers au président,

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mais n’a pas de droit de regard sur les nominations », tempère Peter Kazadi, qui juge excessive l’influence prêtée à Marthe Tshisekedi. De fait, « Maman Marthe » joue pourtant, depuis plusieurs décennies, un rôle discret mais central dans le clan Tshisekedi. Née en 1937 à Mikalayi, près de Kananga, dans le KasaïCentral, Marthe Kasalu Jibikilayi rencontre Étienne Tshisekedi au milieu des années 1950. Issue d’un milieu modeste, elle a une formation d’infirmière. Lui étudie le droit à l’Université de Lovanium, à Léopoldville (aujourd’hui Kinshasa). C’est un ami d’enfance d’Étienne, Kizito Kalala, alors inscrit en médecine à Lovanium, qui les présente.

Infirmière en province

« Un jour, Étienne a vu un film qui montrait les conditions de travail des infirmières en province, raconte sa sœur cadette, Eugénie Tshika Wa Mulumba. Marthe y apparaissait, et Kizito, qui est lui aussi originaire de Mikalayi, la connaissait. Il les a présentés à la sortie de la messe, c’est Dieu qui a fait en sorte qu’ils se rencontrent! » Ils se marieront en 1957. L’indépendance ouvre les portes d’une ascension rapide à Étienne Tshisekedi, devenu en 1961 le premier

docteur en droit du pays. Lorsque Mobutu prend le pouvoir en 1965, Tshisekedi n’a que 32 ans. Il intègre le gouvernement de Léonard Mulamba comme ministre de l’Intérieur et participe, en 1967, à la rédaction du Manifeste de la N’Sele, qui deviendra le socle du Mouvement populaire de la révolution (MPR), le parti unique. Installé sur le boulevard du 30-Juin, à Kinshasa, le couple Tshisekedi connaît alors l’aisance de la vie de ministre au Zaïre. « Ils s’entendaient bien avec le couple Mobutu et se fréquentaient. Marthe avait de bonnes relations avec Marie-Antoinette [la première femme du chef de l’État] », précise Eugénie Tshika. Étienne Tshisekedi est à l’époque un fidèle du « maréchal-président ».

« SI ELLE NE VOUS A PAS À LA BONNE, ELLE PEUT S’ARRANGER POUR VOUS BLOQUER », ASSURE UN ANCIEN COLLABORATEUR DE SON ÉPOUX.


Marthe Tshisekedi (au centre) avec sa famille lors d’une cérémonie d’adieu à son mari, à Kinshasa, le 31 mai 2019.

occasionnellement essayer d’arrondir les angles et pousser certaines décisions », résume un ancien homme de confiance du Sphinx. Lorsque s’organisent, en 2006, les premières élections pluralistes du pays, Étienne Tshisekedi refuse d’y participer, convaincu que la communauté internationale a pris le parti de Joseph Kabila. Ce faisant, il renonce à exercer une influence au sein des institutions. « Marthe n’était pas particulièrement favorable au boycott de ces élections, se souvient Kazadi. Elle l’a poussé à faire, à certains moments, des compromis. Mais il imposait toujours ses choix. »

KENNY KATOMBE/REUTERS

Général de corps d’armée

Mais leurs relations finissent par se détériorer. En 1979, l’armée massacre des dizaines de mineurs de diamants à Katekelayi, au Kasaï. Tshisekedi se lance dans un mouvement de contestation aussi audacieux qu’inédit. En 1980, il signe, avec douze autres parlementaires, une lettre ouverte pour dénoncer les dérives du régime, puis cofonde l’UDPS. Du cœur de la République zaïroise, le couple Tshisekedi bascule dans la clandestinité. Traqué, Étienne gagne en notoriété et s’impose rapidement comme un opposant charismatique. Il doit redoubler de discrétion et peut compter sur son épouse. « «Maman Marthe » était déjà très politisée. Elle n’était pas impliquée dans les décisions, mais elle gérait les questions logistiques et organisait des réunions », indique Isabelle Kibassa-Maliba, la femme de Jean-Claude Tshisekedi, le fils aîné du couple. « Comme les douze autres épouses des parlementaires, Marthe Tshisekedi est considérée comme cofondatrice du parti », complète Eugénie Tshika, également

engagée au sein de l’UDPS. Les Tshisekedi sont placés en résidence surveillée au Kasaï. « C’était le retour aux conditions de vie du village, raconte la sœur d’Étienne. Toute la famille vivait dans un stress permanent. » Mobutu autorise finalement Marthe et ses enfants, parmi lesquels Félix, à se rendre en Belgique. Marthe revient aux côtés de son époux au début des années 1990, alors que le pays s’ouvre au multipartisme. Mais Étienne ne s’est pas assoupli. En septembre 1991, il est nommé Premier ministre, mais l’expérience ne dure pas. Désigné de nouveau en août 1992, à l’issue de la Conférence nationale souveraine, il ne tient que quelques mois. La cohabitation du « Monsieur Non » de la politique congolaise avec le pouvoir ne se passera guère mieux sous Laurent-Désiré Kabila, puis sous Joseph Kabila. Tshisekedi confirme sa réputation d’opposant tenace et têtu – autoritaire même, selon ses détracteurs. « Personne ne pouvait se targuer d’avoir une influence totale sur lui, mais Marthe pouvait

En 2011, le scénario est différent. Après une longue convalescence, Tshisekedi mène une campagne tambour battant, mais perd dans les urnes. Convaincu que la victoire lui a été volée, il interdit aux parlementaires de siéger à la nouvelle Assemblée. La rupture avec certains cadres « indisciplinés » est consommée, mais Étienne peut encore compter sur son clan et sur Marthe. « Lorsqu’il recevait dans son bureau, elle était toujours là, raconte Peter Kazadi. Elle pouvait filtrer les gens et même recadrer ceux qui tenaient un discours qui lui déplaisait. » Son influence grandit à mesure que la santé d’Étienne Tshisekedi décline. Une querelle de succession s’engage doucement dans une UDPS affaiblie par les divisions internes. Déterminée à imposer son fils Félix, Marthe Tshisekedi mène une campagne discrète mais efficace digne de son surnom : « le général de corps d’armée ». « L’ascension de Félix a en partie été rendue possible par l’envergure prise par sa mère », explique un proche. Cette « reprise en main » n’est toutefois pas du goût de tous. En février 2014, un séminaire de la diaspora de l’UDPS convoqué à Bruxelles par Félix Tshisekedi, alors secrétaire national chargé des relations extérieures, tourne au débat sur l’aprèsÉtienne. « Maman Marthe », présente ce jour-là aux côtés de son fils, se trouve confrontée à une assistance

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AFRIQUE SUBSAHARIENNE

RD CONGO

hostile. « En coulisses, elle nous demandait de soutenir notre « frère » Félix, mais ce n’était pas sa place, lâche un ancien collaborateur du Sphinx. Nous ne souhaitions pas adhérer à ce projet dynastique et communautaire. » « Félix Tshisekedi s’est bâti tout seul, rétorque Peter Kazadi. Il n’a été imposé par personne, et Marthe s’est comportée comme une mère. Elle ne pouvait que soutenir son fils. » Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Quelques semaines plus tard, elle interrompt une réunion entre Étienne Tshisekedi et son fidèle directeur de cabinet Albert Moleka, opposé à l’idée

de promouvoir Félix. Alors que les deux hommes parlent d’une reconfiguration du bureau politique, Moleka est chassé de la résidence. Il n’y remettra plus les pieds. Pour Tshisekedi, les années suivantes seront une alternance de périodes de convalescence en Europe et de tractations vaines avec Kinshasa à l’approche de la fin du mandat de Kabila. Il finit par revenir au pays en juillet 2016. Mais sa santé ne suit plus et le prive de son baroud d’honneur, alors qu’il avait été désigné pour assurer le suivi de l’accord politique de la SaintSylvestre, censé encadrer la transition.

L’emblématique opposant s’éteint à Bruxelles le 1er février 2017. Le clan Tshisekedi s’engage sans le savoir dans d’interminables négociations, sur fond de tractations politiques, pour faire rapatrier le corps. Mgr Gérard Mulumba, frère cadet d’Étienne, est chargé de représenter la famille auprès du pouvoir, mais la voix de Marthe Tshisekedi reste prépondérante : c’est elle qui s’oppose à l’idée d’un enterrement dans le Kasaï. « Il était essentiel pour elle que les Congolais puissent avoir un accès facile à la sépulture », justifie un membre de la famille.

JUNIOR D.KANNAH

Pas dupe

Au siège de l’UDPS, dans la commune de Limete.

QUI POUR APAISER LES TENSIONS? Regroupés au sein du collectif Sauvons l’UDPS, plusieurs cadres contestent la légitimité et la gestion de Jean-Marc Kabund, nommé en janvier 2019 par Félix Tshisekedi pour assurer son intérim à la tête du parti. Emmenés par Paul Tshilumbu, démis de ses fonctions de porte-parole en avril, Jacquemain Shabani, évincé de la Commission électorale permanente (CEP) en mars, et Peter Kazadi, conseiller juridique de l’UDPS, les frondeurs réclament notamment l’organisation d’un congrès pour clarifier la situation. Félix Tshisekedi avait déjà dépêché son haut représentant, Kitenge Yesu, pour tenter d’aplanir les divergences en mai 2019. Mais la situation semble s’être dégradée depuis. Un groupe de parlementaires UDPS a évoqué la question avec Félix Tshisekedi au début de mai. Selon nos informations, des consultations seraient en cours avec les différentes parties. R.G.

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no3089 – JUIN 2020

Dans l’appartement familial de Woluwe-Saint-Pierre, dans la région de Bruxelles, elle apparaît très affectée. « Elle a vraiment vécu son deuil selon nos coutumes: tant que le mari n’est pas enterré, on dort par terre. Ça a duré des semaines avant que ses fils ne parviennent à l’en dissuader », raconte Isabelle Kibassa-Maliba. Le 27 juillet 2017, les yeux humides retranchés derrière de larges lunettes, Marthe Tshisekedi intervient sur le plateau de TV5 Monde pour partager sa colère contre « monsieur Kabila », qu’elle accuse de faire obstacle au rapatriement du corps de son mari. « Dans notre coutume bantoue, je n’ai jamais vu ça », lance-t-elle d’une voix tremblante. « Ya Tshitshi » aura finalement droit à des obsèques nationales, à la fin de mai 2019. Un « soulagement » pour la famille. « Pendant tout le vol qui la ramenait à Kinshasa, Marthe a prié, se souvient Isabelle Kibassa. Elle était enfin apaisée. » Une issue rendue possible par la transition inattendue qui a vu Félix Tshisekedi succéder à Joseph Kabila en janvier 2019. Par un hasard de l’Histoire dont seule la politique congolaise semble avoir le secret, son fils doit partager le pouvoir avec celui que son père a toujours combattu. « Marthe n’est pas dupe, conclut Isabelle Kibassa. Elle connaît ce milieu et sait qu’elle doit suivre de près ce qu’il se passe. Mais Félix est comme son père, il n’écoute pas toujours. »


DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

Le Togo mise sur ses femmes et ses jeunes

D

epuis plus d’une décennie, le

par le gouvernement à travers la mise

gouvernement togolais met

en œuvre du Plan national de déve-

en œuvre des programmes et

loppement (2018-2022). En plus des

projets dédiés à l’émancipation des

mécanismes institutionnels d’accom-

femmes et des jeunes. Ces deux caté-

pagnement existants, c’est dans tous

gories sont davantage marquées que le

les projets et programmes de dévelop-

reste de la population par le chômage,

pement du Togo que la dimension

les difficultés d’accès aux crédits ou

femme et jeunesse est

encore à la terre. En les autonomisant

intégrée.

et en leur donnant la place qui leur revient dans la société, l’ambition des autorités est d’en faire un véritable levier de développement du Togo. C’est aussi de faire émerger des générations responsables, éprises de valeurs de paix, de solidarité et engagées dans le développement durable de leur pays. D’importants progrès ont été enregistrés ces dernières années, notamment en termes de création d’opportunités d’emplois, mais de nombreux défis demeurent

COMMUNIQUÉ

posés. Ils sont relevés


Jeune femme entrepreneure dans le domaine de la transformation.

Formation, entrepreneuriat, emplois L’emploi, l’un des principaux outils d’autonomisation des femmes et des jeunes, permet aussi à ces derniers de contribuer au développement de leur pays. Une enquête réalisée en 2017 indique une légère hausse du taux de chômage entre 2015 et 2017 (3,4 % à 3,9 %), et en même temps, que le sous-emploi a baissé significativement (25,8 % à 16,1 %), mettant ainsi en exergue le caractère décent des emplois créés. Les taux de chômage et de sous-emploi des jeunes qui atteignaient 8,1 % et 20,5 % en 2015 sont passés à 6,8 % et 18,9 %.

Accès à la terre et aux financements : améliorer la condition des femmes

COMMUNIQUÉ

74,6 % des togolaises en âge de travailler (15-64 ans) sont actives, contre 79,1 % pour les hommes. Mais elles exercent en majorité leurs activités dans l’agriculture (51,1 % des effectifs), un secteur qui relève essentiellement de l’informel. En conséquence, elles ont une productivité et un accès limité aux facteurs de production nécessaires à l’entrepreneuriat rentable : la terre et le financement, ainsi que la technologie. Seulement 20 % des femmes âgées entre 45 et 49 ans possèdent des terres (enquête 2013-2014). Elles ont essentiellement recours à la microfinance, laquelle ne peut couvrir que des micro-projets à des taux d’intérêt souvent élevés. L’une des initiatives phares qui concoure à l’autonomisation de la femme en milieu rural est le Programme national de développement de la Plateforme multifonctionnelle (PTFM). Lancé en 2011, il permet d’installer des infrastructures énergétiques de base,

Commerçante bénéficiaire du FNFI, devant son étal de céréales au marché.

Faure Gnassingbé, président de la République Togolaise visite un magasin de l’entreprise JCAT, spécialisée dans la production et l’exportation de soja biologique.

donnant aux communautés rurales les moyens de faire de la transformation agroalimentaire et de mener ainsi des activités génératrices de revenus. 336 PTFM ont ainsi été installées permettant l’augmentation des revenus des femmes bénéficiaires de 25 à 50 % et l’alphabétisation de 1420 membres de groupements porteurs de PTFM en 2019.

Des « solutions jeunes » sur mesure Les autorités déploient depuis une demi-douzaine d’années plusieurs programmes, dont les piliers sont la Politique nationale de l’emploi et le Plan Stratégique National pour l’Emploi des Jeunes (PSNEJ), tous deux adoptés en 2014. Dans cet esprit, le niveau des dépenses budgétaires consacrées à l’emploi et à l’employabilité des jeunes a été multiplié par trois passant d’une moyenne de 5 milliards FCFA entre 2013-2014 à près de 15 milliards FCFA en 2018. Les mesures ainsi prises concernent aussi bien la réduction du sous-emploi que le renforcement de l’employabilité, la promotion de l’entrepreneuriat et l’amélioration des mécanismes de coordination. Le Fonds National de Finance Inclusive (FNFI), le Fonds d’appui aux initiatives économiques des jeunes (FAIEJ) et des projets tels que le Programme d’appui au développement à la base (PRADEB), le Projet d’appui à l’employabilité et à l’insertion des jeunes dans les secteurs porteurs (PAEIJ-SP) et le Projet national de promotion de l’entreprenariat rural (PNPER), quant à eux, améliorent l’accès aux crédits auprès des institutions de microfinance, ainsi qu’à des formations en entrepreneuriat et en éducation financière. Dans le même temps, l’innovation des jeunes togolais a été fortement appuyée notamment à travers la mise en place de l’incubateur Nunyalab pour les accompagner dans l’éclosion de leur potentiel, et la réserve d’un quota de 25 % de marchés publics aux jeunes entrepreneurs qui a permis d’attribuer plus de 28 milliards de marchés publics entre 2018 et 2019 à 4 372 jeunes dont 1 886 femmes. Les jeunes en situation de vulnérabilité ne sont pas oubliés. Plusieurs mesures spécifiques sont mises en œuvre à leur profit, à l’instar du projet « opportunités

Le PAEIJ–SP, un projet innovant créateur d’emplois durables pour les jeunes intervenant sur toute la chaîne de valeur agricole d’emploi pour les jeunes vulnérables » (EJV) et le Volontariat d’engagement citoyen (VEC) qui vise les jeunes déscolarisés ou qui n’ont pas eu l’opportunité d’acquérir une formation professionnelle. Ces jeunes sont mobilisés pour intervenir dans les milieux ruraux et péri urbains. Près de 30 000 jeunes ont ainsi été mobilisés dans le cadre de ces programmes au service des communautés dans une centaine de villages. Grâce à ces efforts les résultats suivants ont été obtenus : • Environ 30 000 volontaires ont été mobilisés dont environ 30 % de femmes et 16 000 VEC. Par ailleurs les EJV ont mobilisé un peu plus de 8 000 jeunes dont près de 45 % de femmes. • Plus de 250 000 emplois temporaires ont été créés pour les femmes et les jeunes à travers les travaux à haute intensité de main d’œuvre (THIMO) promus par l’Agence nationale de développement à la base. • Un peu plus de 200 000 emplois directs et indirects créés par les jeunes ayant bénéficié des formations et des mécanismes de financement mis en place. • Le PAEIJ-SP a permis quant à lui de créer près de 125 000 emplois directs et indirects et d’engager les jeunes agriculteurs dans une dynamique de transformation des productions locales. Le Togo a bénéficié d’un fonds de 11,935 milliards de FCFA de la Banque africaine de développement (BAD) pour exécuter le Projet d’Appui à l’Employabilité et à l’Insertion des Jeunes dans les Secteurs Porteurs (PAEIJ-SP). Mis en œuvre selon l’approche chaîne de valeurs agricoles, le projet met tous les acteurs travaillant sur une même chaîne de valeur agricole ensemble, dans une relation d’affaire, afin de produire pour un marché.


DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE :

Le Togo mise sur ses femmes et ses jeunes

Il apporte ainsi une solution structurelle à l’emploi des jeunes en développant des outils de prospection et d’adaptation aux besoins du marché du travail. À terme, il permettra de réduire la pauvreté et le chômage des jeunes togolais.

Au-delà des résultats escomptés Le projet visait à moyen terme une amélioration des revenus des bénéficiaires de l’appui à l’entreprenariat de plus de 25 % et la création d’au moins 20 000 emplois directs en cinq ans. Trois ans déjà, le projet a généré plus de 30 000 emplois directs et plus de 121 000 emplois saisonniers au premier trimestre 2020. Plus de 20 entreprises du secteur de l’Agrobusiness ont bénéficié des accompagnements techniques en termes de structuration et de formation et des appuis financiers pour booster leurs activités.

70 000 jeunes formés, 20 000 entreprises, 60 000 emplois durables créés, 30 230 127 021 FCFA de financement accordés aux jeunes C’est l’exemple de l’entreprise JCAT, basée à Atakpamé dans la Région des Plateaux, et spécialisée dans la production et la commercialisation du soja biologique qui exporte aujourd’hui plus de 15 000 tonnes de soja par an vers la France et l’Italie contre une capacité d’exportation de 1 000 tonnes en 2017. Son cluster a généré plus de 4 milliards FCFA de chiffre d’affaires pour la campagne 2019-2020 ; 11 200 emplois directs et 44 500 emplois saisonniers dans les services production, approvisionnement, transformation et distribution. Pour sa part, l’entreprise AGROKOM basée à Lomé, avant le début de son partenariat avec le PAEIJ-SP en 2016, ne transformait ou ne commercialisait que 200 tonnes de soja par an ; aujourd’hui elle commercialise plus de 6 000 tonnes de soja par an, et génère plus de 1,680 milliard FCFA de chiffre d’affaires annuel. Son cluster a pu créer 7 464 emplois

LES FEMMES DANS L’ÉCONOMIE : LES OBJECTIFS CHIFFRÉS DU PND

Jeune entrepreneur en élevage présentant ses produits lors d’une foire agricole.

directs et 43 694 emplois saisonniers dans les services production, approvisionnement, transformation et distribution. Sur la même période, 13 500 jeunes ont été mobilisés et déployés en qualité de volontaires nationaux sur toute l’étendue du territoire. Le FNFI a permis d’atteindre 706 330 bénéficiaires. L’AGRISEF (Accès des agriculteurs aux services financiers) et l’AJSEF (Accès des Jeunes aux Services Financiers), deux programmes déployés par le FNFI, ont accompagné 152 188 bénéficiaires dont 76 414 jeunes. Depuis 2017, les bénéficiaires du fonds ont par ailleurs droit à une assurance maladie (assurance FNFI).

Le gouvernement poursuit la promotion de l’équité et de l’égalité de genre, tout en œuvrant pour la promotion de entrepreneuriat des femmes. Il vise ainsi à : • accroître la proportion des femmes propriétaires d’entreprises de 22,42 % en 2015 à 28 % en 2022 ; • porter la proportion des femmes ayant accès au crédit de 44,36 % en 2015 à 60 % en 2022 ; • porter la proportion des femmes salariées agricoles de 58,11 % en 2015 à 80 % en 2022 ; • porter la proportion des femmes propriétaires de terre dans l’agriculture de 19,9 % en 2015 à 26 % en 2022.

Le PND pour aller plus loin Des initiatives sont développées pour mieux connaître les besoins dans les pôles de croissance et des réflexions se poursuivent avec le secteur privé pour combler les gaps éventuels. Six objectifs majeurs continuent de guider les efforts du gouvernement togolais en matière de promotion de l’emploi des jeunes, à travers la mise en œuvre du Plan national de développement (PND) : - L’amélioration du cadre institutionnel et l’environnement macroéconomique ; - La mise en place en place d’un système efficace d’information (collectes fiables et données sur l’impact des initiatives dédiées aux jeunes) : - L’amélioration de l’offre de formation technique et professionnelle, en adéquation avec les offres d’emploi ; - Le soutien à la création et au développement de PME ; - L’accroissement de l’accès des jeunes au crédit et à la technologie ; - La construction d’un cadre partenarial cohérent public et privé.

Lucia Allah-Assogba, la championne de la promotion des produits locaux

Lucia Alla-Assogba, lauréate du prix meilleure jeune entrepreneure francophone 2017 et f igurant parmi les 10 femmes noires les plus inspirantes en 2019 selon les résultats de la 1re édition du concours international des femmes inspirantes, dirige la plateforme Togossimé, un cadre de promotion des produits naturels locaux dont le succès ne se dément pas. Depuis 2019 une seconde boutique Togossimé approvisionne les consommateurs en produits locaux. Ce sont ainsi 600 produits bio, provenant de 150 producteurs répartis sur l’ensemble du territoire, qui sont référencés dans les boutiques de la jeune entrepreneure.


DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE :

Le Togo mise sur ses femmes et ses jeunes

Femmes-hommes : mêmes droits, mêmes chances, mêmes opportunités Le principe selon lequel « l’homme et la femme sont égaux devant la loi », inscrit dans l’article 11 de la Constitution, est appliqué à travers de nombreuses avancées institutionnelles, notamment portées depuis 2011 par la Politique Nationale d’Equité et d’Egalité (PNEEG).

COMMUNIQUÉ

La double révision du code des personnes et de la famille, en 2012, puis en 2014, ont permis notamment de définir le même âge nuptial pour les deux sexes et de rétablir l’égalité entre les époux. Cette révision a aussi permis la suppression du statut de « chef de famille », jusqu’alors réservé au mari. Le Code pénal révisé en 2015 renforce la protection juridique des femmes et des filles en prévoyant des dispositions spécifiques sur les mutilations génitales, le viol, la pédophilie et les violences à l’égard des femmes.

Jeunes femmes entrepreneures exposant leurs productions lors d’une foire.

Le code électoral de 2012, révisé en 2013, intègre des mesures exceptionnelles pour améliorer la participation des femmes à la gouvernance politique. La caution des candidatures féminines aux élections législatives est par exemple réduite de moitié, alors que le principe de la parité des listes de candidatures aux élections législatives est consacré, concrétisant la volonté politique du chef de l’État, affirmée dès 2012, même si beaucoup reste à faire concrètement.

Les femmes et les filles jouissent de l’égalité des droits fonciers et de l’égalité d’accès aux terres, aux pêches et aux forêts. Même lorsque les terres sont détenues suivant les règles du droit coutumier, l’égalité homme-femme à l’accès à la terre doit être respectée Les principes généraux du nouveau Code foncier et domanial, adopté en juin 2018, assurent que l’État veille au respect de l’égalité de l’homme et de la femme dans l’accès au foncier. Il doit « faire en sorte que les femmes et les filles jouissent de l’égalité des droits fonciers et de l’égalité d’accès aux terres, aux pêches et aux forêts ». Même « lorsque les terres sont détenues suivant les règles du droit coutumier, l’égalité homme/femme à l’accès à la terre doit être respectée. », précise-t-il, ce qui n’était pas forcément le cas auparavant.

Éducation :

faire plus pour les filles Les disparités de genre sont aussi observées dans l’éducation. Bien que la parité soit quasiment acquise au cours primaire, les filles sont très peu scolarisées dans le secondaire et encore moins dans le supérieur et la formation professionnelle. Moins du tiers des femmes ont le niveau secondaire (enquête 2014*), alors que plus de la moitié des hommes ont ce même niveau. Les hommes ayant le niveau universitaire sont même trois fois plus nombreux que les femmes. *INSEED enquête régionale intégrée sur l’emploi et le secteur informel

DIFCOM/DF -PHOTS : DR.

Faure Gnassingbé rencontre des femmes bénéficiaires des différents produits du FNFI, réunies au sein de la Fédération des Bénéficiaires des Services Financiers (FEBESEF).


AFRIQUE SUBSAHARIENNE

JEAN PIERRE KEPSEU

CAMEROUN

De g. à dr.: Victor Fotso, Lydie Hanffou et leur fils Yves-Michel, le 14 juillet 2001.

Le crépuscule des Fotso Avec le décès du patriarche, survenu à la fin de mars, s’achève le long déclin d’un empire familial jadis tout-puissant qui n’a pas fini de s’entre-déchirer.

C

GEORGES DOUGUELI

est une lettre, publiée sur les réseaux sociaux, qui dit la douleur mais aussi l’amertume d’une fille qui pleure son père, Victor Fotso, décédé le 20 mars dernier à l’âge de 94 ans. « Papa, tu n’as pas eu la fin que tu méritais, écrit Christelle Nadia Fotso. Mourir dans un hôpital parisien en pleine pandémie du coronavirus, loin du Cameroun, de Bandjoun et des tiens, agonisant seul, mal entouré tel

que tu l’étais depuis que l’âge t’avait rattrapé… » Bien sûr, Christelle Nadia Fotso rend hommage au patriarche révéré et à l’oligarque admiré, qui bâtit un empire industriel et financier classé, jusqu’à son déclin, parmi les plus grandes fortunes d’Afrique subsaharienne. Mais elle ne peut cacher son ressentiment à l’égard de ce père absent, polygame, fondateur d’une famille comptant une centaine d’enfants. À l’égard aussi de ceux qui ont accompagné ses dernières

années, à Bandjoun – fief des Fotso où il passait le plus clair de son temps – et en France. Directement visés: sa demisœur Laure et le mari de cette dernière, l’ancien footballeur Geremi Njitap. Le poids de cette filiation, de cette famille et de ses querelles est si lourd que Christelle Nadia Fotso a choisi d’aller exercer son métier d’avocate à Washington, aux États-Unis. « [Victor Fotso] est mort de chagrin, dévasté par la destruction de l’œuvre de sa vie, en spectateur désespéré de l’explosion de sa famille », ajoute un membre du clan. Il faut dire que tous les ingrédients étaient réunis pour que la saga des Fotso se finisse en tragédie grecque : beaucoup d’argent, un portefeuille d’entreprises amaigri mais convoité, une liste interminable d’héritiers, et ce qu’il faut de sordide, avec l’incarcération puis la maladie d’Yves-Michel, ce fils adoré dont Victor avait rêvé qu’il lui succède. Elle avait pourtant bien commencé, l’histoire de ce self-made-man issu d’un milieu modeste, qui a grandi dans l’ouest du Cameroun « sans électricité, sans voiture, presque sans médecin, sans moyen de communication », ainsi qu’il le racontait luimême dans un livre qui lui avait été consacré (Les 36 Conseils secrets de

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AFRIQUE SUBSAHARIENNE

Victor Fotso). « Nous vivions dans le dénuement le plus total! » insistait-il. Ce jeune homme ambitieux quitte l’école sans autres savoirs que ceux de lire et de compter pour se lancer dans le commerce de détail. Il passe à l’import-export, puis, ses bonnes relations avec le président Ahmadou Ahidjo aidant, le pouvoir lui ouvre les portes de l’industrie. Il fabrique des piles (Pilcam), des insecticides (Moon Tiger), des allumettes, cultive des haricots verts et, belle revanche pour cet entrepreneur autodidacte, produit des cahiers qu’il vend dans toute l’Afrique centrale (Safcam). Puis le voilà qui se diversifie, se lance dans l’industrie culturelle et inaugure plusieurs cinémas dans les grandes villes du pays. Sa force ? Il la tirait des règles qu’il s’appliquait dans la conduite de ses affaires : « Il faut être reconnaissant, ne jamais lâcher ses amis », aimait-il à répéter. Sa proximité avec le grand patron français Pierre Castel ? « Elle vaut plus que l’intérêt et le gain », assurait-il. Les affaires marchent, l’influence croît. L’ex-petit commerçant devint l’ami des puissants. En 1999, lors d’une tournée à Bandjoun, le président Paul Biya déjeune même à sa table – fait rarissime.

Sens de la démesure

Avec le succès se révèle son goût pour les femmes. À ceux qui lui demandent pourquoi il juge bon d’en épouser autant, Victor Fotso répond que c’est pour lui une manière « de faire du social ». Parmi ses très nombreux enfants, ses aînés étaient ses préférés. À commencer par Yves-Michel : « L’emprisonnement de son fils, en décembre 2010, fut le drame de sa vie », confie un journaliste qui l’a fréquenté. Le père est en admiration devant ce fils qui, physiquement, lui ressemble tant. Il se retrouve en ce golden boy à la personnalité dominatrice, nanti d’un MBA obtenu dans une université américaine, jusqu’à déceler chez lui une version plus aboutie de lui-même. À ce fils ambitieux et décomplexé, il offre les clés de son empire non sans avoir, au préalable, confié à son ami et

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VINCENT FOURNIER/JA

CAMEROUN

Yves-Michel Fotso, en 2000. Cette année-là, il est nommé à la tête de la Camair.

bras droit, Jacques Lacombe, le soin d’initier le novice aux vicissitudes du monde de l’entreprise. Le jeune apprend vite. Il voit grand et loin. Même lorsqu’il construit une luxueuse villa au sommet d’une colline à Bandjoun, son père, ce besogneux qui ne croit qu’aux vertus du travail manuel, applaudit son sens de la démesure. Ne faut-il pas un peu de folie pour développer un empire ? Avec Yves-Michel, Victor voit son horizon s’agrandir. Le fils veut sortir de l’industrie pour se lancer dans la finance. Un groupe bancaire est créé avec, pour fleuron, la Commercial Bank, qui ouvre sa première agence à Douala en 1994 puis essaime dans la sous-région. Cette reconversion dans le tertiaire ravit le vieil industriel. On y emploie moins de salariés, il n’y a pas d’outils de production coûteux à

LE PÈRE, VICTOR, SE RETROUVE EN YVES-MICHEL, CE FILS AMBITIEUX ET DÉCOMPLEXÉ, CE GOLDEN BOY À QUI IL OFFRE LES CLÉS DE SON EMPIRE.

entretenir et l’on réalise rapidement de jolies plus-values. Les clignotants sont au vert, le patriarche peut prendre du recul. Mais quand, en juin 2000, Yves-Michel est nommé à la tête de la Cameroon Airlines, Victor, pris de court, écarquille les yeux. Il a beau être un ami de Paul Biya, il a beau avoir longtemps financé le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir) et avoir publiquement apporté son soutien au chef de l’État, il n’a pas été prévenu. Multitâche, gros travailleur, Yves-Michel le rassure : il pourra conserver en parallèle la direction du groupe familial.

Ennuis judiciaires

Mais les Fotso déjà se déchirent. Chez les Bamilékés, on ne désigne pas son successeur de son vivant. Yves-Michel est soupçonné par ses frères et sœurs de manipuler le patriarche pour mieux s’approprier son patrimoine considérable (en 2008, le chiffre d’affaires du groupe sera évalué à 450 milliards de FCFA, soir 686 millions d’euros, un montant impossible à vérifier). L’aîné des Fotso passe pour être arrogant, et une partie de la fratrie jubile lorsqu’il est limogé de la direction générale de la Camair, en 2003, et que son nom apparaît dans l’affaire Albatros (scandale de corruption lié


mon père n’a plus agi dans le sens de ma libération, mais plus grave encore, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, il a, sous l’emprise et la menace de plusieurs de ses enfants et avec l’appui de quelques-unes de ses épouses, fait volte-face et déposé une plainte contre mes cinq frères et sœurs enfants de sa défunte épouse, pour se voir restituer l’immeuble en question. » Pendant ce temps, les affaires plongent. En septembre 2013, le juge d’instruction ordonne que les comptes bancaires des sociétés commerciales dans lesquelles l’accusé dispose de la signature soient bloqués. Le vaisseau amiral de l’empire, la Commercial Bank of Cameroon (CBC), est placé sous administration provisoire par la Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac). Devant les juges, les dirigeants de la CBC et de Capital Financial Holding accablent leur patron déchu. Attirés par l’odeur du sang, les milieux d’affaires se ruent sur les entreprises Fotso. En recherche de liquidités, le patriarche vend plusieurs d’entre elles. Son empire n’est déjà plus.

DES HÉRITIERS À COUTEAUX TIRÉS La succession de Victor Fotso se jouera en grande partie devant les tribunaux. Bloquée en France à cause du coronavirus, la dépouille du milliardaire n’a même pas encore été mise en terre que ses héritiers s’invectivent déjà à coups de menaces de procès. L'un d'eux, Roger Fotso, a annoncé dans un message à sa famille le dépôt d’une plainte en France pour « faux et usage de faux, déclarations frauduleuses de date de décès et lieu de décès ». En 2017, Christelle Nadia Fotso avait déjà déposé au tribunal de grande instance de Nanterre, en région parisienne, une plainte pour « abus de faiblesse » contre Yves-Michel Fotso, Lucie Fotso et Laure Toukam Fotso. La procédure avait été classée sans suite par la justice française.

Élu sur un lit d’hôpital

Victor Fotso fut effondré d’apprendre l’aggravation du cancer dont souffrait Yves-Michel. Conscient que son fils, condamné à la prison à perpétuité, mourrait s’il ne recevait pas les soins appropriés, il plaida sa cause auprès de Paul Biya et obtint qu’il soit évacué vers un hôpital marocain en août 2019. En gage de loyauté, le nonagénaire accepta de se représenter à la mairie de Bandjoun, en février 2020, pour éviter que la commune ne tombe entre les mains de l’opposition, et fit campagne sur un lit d’hôpital. Il fut élu, bien sûr, et après son décès c’est une autre de ses filles, Nicky Love, qui fut choisie pour le remplacer avec l’appui du chef de l’État (elle était jusqu’à présent l’une des adjointes au maire). Quant à Yves-Michel, pas encore remis, il est toujours soigné à Casablanca. « Victor voulait faire libérer son fils et partir avant lui », conclut un proche de la famille. C’est chose faite.

G.D.

DR

à l’achat avorté d’un avion présidentiel). Ses accointances politiques avec Marafa Hamidou Yaya, le secrétaire général de la présidence présenté comme un potentiel candidat à la succession de Biya, font la une des journaux et embarrassent son vieux père, dans un pays où il ne fait pas bon faire étalage de ses ambitions. Les rumeurs d’arrestation se multiplient. Victor Fotso, inquiet, saisit le chef de l’État, qui lui donne l’assurance qu’il n’arrivera rien à YvesMichel « s’il n’a rien à se reprocher ». Les promesses n’engageant que ceux qui y croient, l’aîné des Fotso est accusé de détournement d’argent public et arrêté à son domicile de Douala le 1er décembre 2010. Anéanti, le père accourt dès le lendemain à la prison de Yaoundé. « Le président est son meilleur ami, mais celui-ci a mis son fils en prison », chuchote-t-on à Bandjoun, cette ville dont Victor a construit la mairie, à laquelle il a offert un institut de technologie et dont il est le maire RDPC sans discontinuer depuis 1997. Aux ennuis judiciaires s’ajoutent les querelles familiales. « Je l’ai appris à mes dépens : au sein de ma propre famille, nombreux étaient ceux qui espéraient ma disparition, nous expliquera Yves-Michel dans une interview accordée en 2015 depuis sa cellule du Secrétariat d’État à la Défense (SED). Certains de mes jeunes frères et sœurs qui travaillaient déjà à des postes de direction dans certaines de nos sociétés n’ont pas hésité à saisir l’opportunité de ma détention pour essayer de m’évincer définitivement. » Luimême n’a-t-il pas tenté de dépouiller la famille d’un immeuble de douze étages situé dans le centre-ville de Douala et estimé à plusieurs milliards de francs CFA? « Non, notre père avait volontairement et publiquement fait don de cet immeuble aux six enfants de sa regrettée épouse, Lydie Hanfou, ma mère, lors de l’oraison funèbre prononcée en ses obsèques en septembre 2009. » Victor et Yves-Michel s’éloignent. « Des aigrefins sont parvenus à nous brouiller ! dira le fils. Non seulement

Christelle Nadia Fotso, l’une des filles de Victor.

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AFRIQUE SUBSAHARIENNE

GABON

L’enfant déchu de la République

Depuis six mois, Brice Laccruche Alihanga est incarcéré à la prison de Libreville. Après avoir tenu les rênes du pays, le voilà accusé de tous les maux. Chronique d’une descente aux enfers.

A

MATTHIEU OLIVIER

battu. Le 13 décembre 2019, dans un couloir de la prison de Libreville, Brice Laccruche Alihanga a les épaules voûtées et l’air accablé. Arrêté dix jours plus tôt, l’ancien directeur de cabinet du président Ali Bongo Ondimba attend le bon vouloir des autorités pénitentiaires, qui s’apprêtent à l’envoyer en cellule. Cruelle image que celle de cet homme en survêtement vert qui, le front dans la main, paraît encore se demander comment il en est arrivé là. Depuis plusieurs semaines, l’ancien banquier se savait en sursis. Il a senti l’étau se resserrer sur lui. La confiance du chef de l’État s’est étiolée, comme celle de son conseiller et fils, Noureddin Bongo Valentin, et de la première dame, Sylvia Bongo Ondimba. Le couperet a fini par tomber, le 7 novembre 2019, avec son éviction du poste de directeur de cabinet. Le même jour, il a été nommé ministre chargé du Suivi de la stratégie des investissements humains et des objectifs de développement durable, mais la chute était amorcée.

Boîte de nuit

Six mois ont passé depuis son arrestation. Accusé, entre autres, de détournements de fonds publics et de blanchiment d’argent en relation avec le secteur pétrolier et la Gabon Oil Company (dont l’ancien administrateur, Christian Patrichi Tanasa, est incarcéré), l’ancien directeur de cabinet vit sa détention à l’isolement.

Affaibli, il a vainement tenté d’obtenir sa mise en liberté provisoire. Il clame son innocence, affirmant qu’il n’a jamais détourné d’argent public et qu’il n’avait pas la main sur les comptes de l’État, rôle dévolu aux directeurs du Budget et du Trésor. Mais les semaines passent sans que la perspective d’un procès ne semble se rapprocher. Devant l’impasse, Brice Laccruche Alihanga a, selon son avocat, tenté de mettre fin à ses jours, le 21 mai. Retrouvé par ses gardiens avec des entailles sanglantes aux poignets, il a été soigné à l’infirmerie de la prison. Avant d’être remis en cellule, toujours à l’isolement. Au Palais du bord de mer, où il s’était imposé comme l’homme fort du pays, on n’a pas souhaité réagir à cette tentative de suicide et on s’efforce aujourd’hui d’oublier son influence. Noureddin Bongo Valentin a repris les rênes, en tant que coordinateur général des affaires présidentielles, aux côtés d’un nouveau directeur de cabinet, le discret Théophile Ogandaga. Il faut refermer la parenthèse du banquier aux dents longues, ambitieux parvenu pour les uns, habile jeune loup pour les autres. C’est à Marseille, sur les rives françaises de la Méditerranée, que Brice vient au monde le 1er juillet 1980. Ses parents, Norbert Fargeon et Elizabeth Dupont, vivent à Libreville depuis quatre années déjà mais ont préféré que leur enfant voie le jour en France. Au Gabon, le couple a trouvé du travail à la Société nationale des bois du Gabon (SNBG). Elizabeth est

CRUELLE IMAGE QUE CELLE DE CE DÉTENU EN SURVÊTEMENT VERT QUI SEMBLE SE DEMANDER COMMENT IL EN EST ARRIVÉ LÀ. 70

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la secrétaire du directeur général, Louis André Laccruche Alihanga, ingénieur de formation et notable du Haut-Ogooué, proche des cercles du pouvoir d’Omar Bongo Ondimba. Norbert, lui, est embauché à la comptabilité. Il trouve ses marques au sein de la communauté d’expatriés français et devient un habitué de la nuit librevilloise et du bar d’Ange Damiani, Le Son des guitares, financé par la communauté corse. En 1984, il ouvre avec des amis son propre établissement, le 1584. Mais son union avec Elizabeth se fissure. La vie nocturne de l’un et le rapprochement de l’autre avec le patron de la SNBG les éloignent. En 1984, le couple divorce. Le 26 octobre, Elizabeth Dupont, 31 ans, épouse en secondes noces Louis André Laccruche Alihanga, de cinq ans son aîné, en présence de Jeanne Foudou, la mère de ce dernier, et de Roland Bru, ancien sénateur français du Gabon et conseiller d’Omar Bongo Ondimba.

Cité phocéenne

Les nouveaux mariés s’installent avec le jeune Brice au cœur du quartier d’Okala. De son côté, Norbert Fargeon accumule les ennuis. En 1987, dans des circonstances troubles, il est expulsé du pays, tandis que Louis André Laccruche Alihanga est nommé conseiller d’Omar Bongo Ondimba. De retour à Marseille, Norbert engage une procédure pour obtenir la garde de son fils. Celle-ci n’aboutit qu’en 1992: Brice quitte alors le Gabon pour la cité phocéenne, où il passe les six années suivantes. En juin 1998, il obtient de justesse son baccalauréat au lycée Montgrand. Le français n’est pas son fort, pas plus que l’histoire ou la philosophie. La physique et la chimie sauvent son année.


le patron de cette dernière, HenriClaude Oyima, qui le recrute. Peu à peu, Brice Laccruche Alihanga devient le bras droit du chef. Habile collaborateur, il le convainc de débaucher ses proches, dont Tony Ondo Mba et Justin Ndoudangoye. Il rencontre également Ike Ngouoni Aïla Oyouomi, le directeur de la communication de la filiale gabonaise de la BGFIBank, qu’il contribuera plus tard à faire nommer porte-parole de la présidence. La galaxie est en place, mais l’aventure ne dure guère. Brice Laccruche Alihanga (qui a pris le nom de son beau-père et obtenu la nationalité gabonaise) est l’homme des opérations en eaux troubles, dans les secteurs de l’hôtellerie ou du bâtiment notamment.

PLACÉ À L’ISOLEMENT DEPUIS LE MOIS DE MARS, IL AURAIT TENTÉ DE METTRE FIN À SES JOURS LE 21 MAI.

DAVID IGNASZEWSKI POUR JA

Poste stratégique

Le 1er juillet, Brice atteint sa majorité. Direction le Gabon de son enfance. Poussé par son beau-père, il intègre l’Institut national des sciences de gestion de Libreville et en sort diplômé en 2004, en ayant rencontré plusieurs de ses futurs partenaires en affaires, à commencer par Tony

Ondo Mba et Justin Ndoudangoye, qui deviendront ministres. Il parvient en 2006 à décrocher un poste chez PricewaterhouseCoopers (PWC), cabinet de conseil aux entreprises. Parmi les clients, une banque toute-puissante en terres gabonaises: la BGFIBank. En 2011, il est repéré par

En 2011, il pilote le rachat de l’entreprise Soco BTP par Hestia, filiale de la BGFIBank. Mais des soupçons de malversations émergent, et le ministre de l’Économie de l’époque, Magloire Ngambia, se saisit du dossier. Il prévient Oyima, lequel réclame une enquête interne et dépose une plainte. Placé en garde à vue, Brice Laccruche Alihanga nie toute responsabilité. L’affaire n’ira pas plus loin, mais il est prié de quitter son poste de directeur général de BGFIBank en juin 2013. Le banquier ne met pas longtemps à rebondir. Jouant de ses connaissances, il s’est rapproché d’Ernest Mpouho Epigat, cousin d’Ali Bongo Ondimba. En janvier 2014 puis en septembre 2015, lorsque Mpouho Epigat est nommé ministre de la Défense puis des Transports, Brice Laccruche Alihanga le suit en tant que conseiller financier. Il obtient ensuite le poste de directeur de la puissante Compagnie nationale de navigation intérieure et internationale (CNNII). Il se retrouve une nouvelle fois dans une position

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AFRIQUE SUBSAHARIENNE

GABON

stratégique, d’autant plus appréciable que la présidentielle de 2016 approche à grands pas. « Il avait compris que le fossé se creusait entre les barons du parti au pouvoir [le Parti démocratique gabonais, PDG] et Ali Bongo Ondimba », explique un cadre du PDG de l’époque. Après avoir créé en 2015 l’Association des jeunes volontaires émergents (Ajev), Brice Laccruche Alihanga publie en 2016 L’Or jeune, ode au renouvellement de la classe politique. Fort des relations qu’il a tissées à la BGFIBank, il parvient à se rapprocher de Noureddin Bongo Valentin, alors directeur adjoint d’Olam Gabon. Les deux hommes s’apprécient. Tout au long de l’année 2016 et au début de 2017, alors qu’Ali Bongo Ondimba a été réélu dans la tourmente, il insuffle l’idée d’une opération « mains propres » qui écarterait de la présidence les réseaux du directeur de cabinet Maixent Accrombessi. Le message passe. Mais lorsque ce dernier est éloigné du Palais à la faveur d’ennuis de santé en octobre 2016, le président préfère à Laccruche Alihanga l’ancien gouverneur de Port-Gentil, Martin Boguikouma, plus consensuel. Un an plus tard, Boguikouma, finalement jugé trop discret, est limogé.

Franc-maçon

L e 25 août 2017, soutenu par Noureddin Bongo Valentin et par la première dame, séduits par son discours volontaire, le Marseillais est nommé directeur de cabinet d’Ali Bongo Ondimba. Comme son père adoptif avant lui, le voilà au plus près du chef de l’État. Très vite, il noue une relation quasiment exclusive avec Ali Bongo Ondimba. À l’aise avec ce trentenaire qui lui assure être en mesure de donner un nouvel élan à sa politique, ce dernier délègue volontiers. Le secrétaire général de la présidence (Guy Rossatanga-Rignault puis Jean-Yves Teale), constitutionnellement patron du Palais du bord de mer, passe au second plan.

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Brice Laccruche Alihanga (à dr.) aux côtés d’Ali Bongo Ondimba (au centre) et du secrétaire général de la présidence, Jean-Yves Teale, le 25 février 2019, à Libreville.

Le franc-maçon de la Grande Loge du Gabon (dont le grand maître n’est autre qu’Ali Bongo Ondimba) ne quitte plus le chef, du petit-déjeuner, qu’il prend avec lui à la présidence, au débriefing du soir, souvent fait sur une terrasse du palais. À ses collaborateurs, il vante des méthodes issues du monde de l’entreprise et leur déconseille de rentrer chez eux avant 21 heures. Plus encore que Maixent Accrombessi avant lui, il fait le vide autour du chef de l’État, provoquant

TROP PUISSANT, TROP BRUTAL POUR BEAUCOUP, IL FAIT DÉSORMAIS FACE À LA PIRE DES ACCUSATIONS SUR LES RIVES DE L’ESTUAIRE: LE CRIME DE LÈSE-MAJESTÉ.

l’ire de certains anciens, agacés de leur impuissance. « Il a réussi à obtenir la confiance du chef de l’État en s’appuyant sur une bonne relation avec la première dame et son fils », confie l’un d’eux. Les premiers mois, certains tentent bien de se confronter à lui. « Mais on s’est vite rendu compte que la relation qu’il avait nouée avec le chef de l’État et ses proches lui donnait carte blanche. Si on avait un problème avec lui, il allait leur en parler et leur disait qu’on faisait obstacle à sa mission », se souvient l’un de ses anciens adversaires. Un peu plus d’un an plus tard, au soir de l’AVC du président, le 24 octobre 2018, les réticents ont été écartés ou se murent dans le silence. Brice Laccruche Alihanga est devenu incontournable. Tour à tour, il éloigne le Premier ministre, Emmanuel Issoze-Ngondet – tout en suggérant au président la nomination de l’un de ses proches, Julien Nkoghe Bekale –, et les


GABONESE PRESIDENCY/AFP

ministres Étienne Massard Kabinga Makaga, Ali Akbar Onanga Y Obegue et Christian Magnagna. Ses frères intègrent le cœur du pouvoir, Grégory à la mairie d’Akanda et Régis Landry à la tête de l’Office des ports et des rades du Gabon. Tony Ondo Mba et Justin Ndoudangoye, par ailleurs cadres de l’Ajev, entrent au gouvernement, tandis qu’Ike Ngouoni Aïla Oyouomi gère la communication du Palais.

Ovation, protestations

En juillet, en août et en septembre 2019, il entame une tournée, au nom du PDG, notamment dans le Haut-Ogooué, fief des Bongo mais aussi de son père adoptif, dont il met en avant la filiation. On l’accueille comme un vice-président, tandis que le chef de l’État poursuit sa convalescence. Brice Laccruche Alihanga paraît grisé. Ovation des foules. Protestation des opposants. À l’Assemblée nationale, où l’ancien patron du PDG Faustin

Boukoubi a trouvé refuge, on commence à s’inquiéter. Même chose à la Cour constitutionnelle : sa présidente, Marie-Madeleine Mborantsuo, est prudente mais n’apprécie guère le directeur de cabinet. Jusqu’où Laccruche Alihanga souhaite-t-il aller ? S’il n’a jamais clairement affiché d’ambitions politiques et ne s’est jamais présenté à une élection, d’aucuns l’accusent de confisquer le pouvoir et de profiter de la situation particulière du président. Trop puissant, trop brutal pour beaucoup, le directeur de cabinet fait désormais face à la pire des accusations sur les rives de l’Estuaire : le crime de lèse-majesté. Les couteaux s’affûtent en coulisses. La suite est connue. Arrêté le 3 décembre 2019, Brice Laccruche Alihanga voit sa galaxie s’écrouler. Ses proches – son frère Grégory, Tony Ondo Mba, Justin Ndoudangoye, Ike Ngouni Aïla Oyouomi… – sont eux aussi placés en détention. Son beaufrère, Raphaël Nze Minko, prend la fuite et se retrouve sous le coup d’un mandat d’arrêt. Son épouse, Sonia, mère de ses deux enfants, soupçonnée de complicité, est inculpée mais demeure en liberté. A-t-il payé une ambition politique démesurée ? « D’un côté, il a utilisé

l’Ajev pour noyauter le PDG et s’est mis à dos les barons. De l’autre, il a profité de l’AVC du président et du soutien d’une partie de la famille pour imposer ses hommes dans l’appareil d’État », explique un ancien du Palais. La confiance de la première dame et de Noureddin Bongo Valentin a fini par s’éroder, tandis qu’Ali Bongo Ondimba reprenait peu à peu les rênes, confiant à son fils la charge de surveiller de plus près « BLA ». « Il a été exfiltré de la présidence au gouvernement. Et quand l’affaire a pris trop d’ampleur, ils ont décidé d’en faire un exemple et de lui retirer toute protection », explique un diplomate à Libreville. Depuis sa cellule, Brice Laccruche Alihanga croit-il encore en ses chances de contrecarrer ce funeste destin ? Sa tentative de suicide a mis en lumière un épuisement en grande partie dû à son isolement en détention. Mais il a aussi, par intermédiaires interposés, fait comprendre qu’il n’envisageait pas de tomber seul. En juin 2018, dans un entretien à Jeune Afrique, il déclarait au sujet des affaires de détournements : « [Elles] ressemblent à une pelote de laine : plus on tire de fil, plus il en vient. » Enfant déchu d’une République qui l’a porté au sommet, le voilà au cœur de l’un de ces jeux de piste.

L’ANCIEN DIRCAB CONTRE-ATTAQUE L’avocat gabonais Anges Kevin Nzigou assure la défense de Brice Laccruche Alihanga. Il a réclamé sa mise en liberté provisoire, puis une amélioration des conditions de détention de son client, qui est privé de visites depuis le 16 mars. Sans succès. Il tente aujourd’hui d’obtenir de la juge d’instruction qu’elle auditionne les responsables du Trésor (Franck Yann Koubdje) et du Budget (Fabrice Andjoua Bongo Ondimba, demi-frère du président) et met en avant le fait que Laccruche Alihanga n’avait pas, en tant que directeur de cabinet, la main sur les comptes publics. En vain également. Comme son frère Grégory, le Franco-Gabonais a porté plainte contre X le 21 janvier en France pour « atteintes à la liberté individuelle, violences volontaires et menaces de mort commises en bande organisée ». Binational, il bénéficie de la protection consulaire de Paris. M.O.

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MAGHREB & MOYEN-ORIENT

ALGÉRIE

Valse militaire

Depuis son élection à la présidence, en décembre 2019, Abdelmadjid Tebboune procède à une refonte progressive de l’armée et des services de renseignements. Simples ajustements ou révolution de velours?


86 Arabie saoudite MBS, modèle réduit

88 Maroc Z comme Zaoui

Le chef de l’État saluant, lors de sa prestation de serment, le 19 décembre 2019 à Alger, Ahmed Gaïd Salah, alors tout-puissant chef d’état-major de l’armée, qui décédera quatre jours plus tard.

BILLAL BENSALEM/NURPHOTO/AFP

8O Tunisie On l’appelle Robespierre


MAGHREB & MOYEN-ORIENT

ZEBAR

ALGÉRIE

FARID ALILAT

Le nouveau patron de l’armée, Saïd Chengriha, chef d’étatmajor par intérim.

ndisaitTebboune entre les mains des militaires, il se révèle plutôt b on stratège, capable de composer avec eux », souffle, un brin admiratif, un fin connaisseur du sérail. Ces dernières semaines, profitant de la torpeur liée au ramadan et à la lutte contre le Covid-19, le président algérien a procédé, par touches successives, à des changements d’ampleur dans l’appareil sécuritaire. Nominations, mises à l’écart, incarcérations, refonte des missions et des prérogatives… Au rythme des décrets disparaissent les hommes et le système installés par son prédécesseur. Dernière personnalité à en faire les frais : le général-major Ammar Boussisse, directeur de la justice militaire au ministère de la Défense nationale (MDN). Le Journal officiel du 14 mai annonce son remplacement par le colonel Achour Bouguerra. Changement de génération… Auparavant, le général Belkacem Laribi s’était vu promu directeur général de la sécurité et de la protection présidentielle (DGSPP). Exit Nacer Habchi (lire p. 79), étroitement lié à la fin de règne du président déchu. Au cours du mois d’avril, les attributions du secrétaire général du MDN ont aussi été rognées pour limiter son pouvoir de signature. Et la direction générale de la sécurité

AU RYTHME DES DÉCRETS PRÉSIDENTIELS DISPARAISSENT LES HOMMES ET LE SYSTÈME INSTALLÉS PAR ABDELAZIZ BOUTEFLIKA.

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intérieure, celle de la sécurité extérieure et celle de l’armée ont changé de responsable. Le départ probable du général de corps d’armée Ali Benali, doyen des officiers supérieurs encore en activité, serait un pas supplémentaire dans cette opération de refondation. Plus que nul autre haut gradé, Benali, qui dirige la Garde républicaine depuis juillet 2015, est l’un des derniers vestiges de cet ancien système que Tebboune s’est engagé à remiser. Aidé, dès le début de son mandat, par l’une de ces circonstances inattendues, exceptionnelles, qui changent le destin d’un président de la République. Le 22 décembre 2019, trois jours à peine après la prestation de serment du chef de l’État, un conclave houleux se tient entre gradés. Réuni avec ses pairs, le chef d’état-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah (AGS), exige les noms de ceux qui, au sein de l’institution, ont bravé ses ordres et soutenu le candidat Azzedine Mihoubi, concurrent de Tebboune. Dans la nuit, Gaïd Salah décède d’une crise cardiaque. La disparition de celui qui fut le seul décideur depuis la chute d’Abdelaziz Bouteflika est un tournant capital pour le locataire d’El-Mouradia. Solitaire, brutal, ne souffrant aucune contestation, AGS s’était montré, d’avril à décembre 2019, intrusif, omnipotent, maladroit, anxiogène. D’arbitre de la transition, le général était devenu, au fil de ses interventions incendiaires, un facteur aggravant de la crise. Au point que l’institution qu’il dirige


Mue graduelle

Le tandem formé par le président et le chef d’état-major a un soutien de taille en la personne du général Abdelaziz Medjahed, nommé en février conseiller à la présidence chargé des questions de défense et de sécurité. Ancien directeur de l’Académie interarmes de Cherchell, homme de terrain, intellectuel, son expertise militaire et sa longue expérience dans les arcanes de l’armée sont de précieux atouts. Sa proximité avec Chengriha, qui a servi sous ses ordres dans les années 1990 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, vient huiler les rouages entre la présidence et les Tagarins. Cette lune de miel se traduit dans l’éditorial du mois d’avril de la revue El Djeïch, organe officiel du MDN, qui évoque une « cohérence totale » et une « pleine confiance » entre le chef de l’État et l’armée. Si les propos relèvent de la langue de bois, ils n’en expriment pas moins une détente entre les deux institutions. Les relations étaient plus conflictuelles, teintées de défiance, du temps de Bouteflika. L’ex-raïs nourrissait de la rancœur à l’encontre de ces militaires qui lui avaient barré la route en 1979, alors qu’il prétendait prendre la succession de Houari Boumédiène. Tebboune, lui, ne cultive

RÉENGAGEMENT INTERNATIONAL L’avant-projet de réforme constitutionnelle rendu public le 7 mai propose une évolution majeure de la doxa algérienne en matière de défense. Le collège d’experts chargé par le président Tebboune de réécrire la Loi fondamentale suggère d’autoriser le chef de l’État à envoyer des unités de l’armée à l’étranger, après un vote des deux chambres du Parlement. Si elle venait à être adoptée, cette disposition permettrait à des militaires algériens de participer à des opérations de maintien et de restauration de la paix de l’ONU, de l’UA ou de la Ligue arabe. Rupture majeure avec la doctrine de non-intervention de l’ANP? En réalité, l’armée algérienne est intervenue à plusieurs reprises dans des conflits internationaux ou dans des opérations de maintien de la paix. Lors de la guerre des Six-Jours, en 1967, le président Boumédiène avait envoyé plus de 1500 soldats et des Mig-21 pour se battre aux côtés des Égyptiens. Cinquante-six militaires y avaient laissé la vie. L’engagement est encore plus important durant la guerre du Kippour, en 1973. Plus de 3000 hommes, 50 avions, 128 chars, ainsi que la fameuse 8e BB (brigade blindée) sont mobilisés en Égypte. Khaled Nezzar, qui deviendra plus tard ministre de la Défense, et Saïd Chengriha, aujourd’hui chef d’état-major par intérim, participent aux combats. À l’époque aussi, Alger avait financé à hauteur de 200 millions de dollars l’achat d’armes soviétiques par Le Caire et Damas. Plus tard, l’Algérie refusera de participer à la coalition internationale lors de la guerre du Golfe de 1991 et de l’intervention contre l’Irak en 2003. Sollicitée en 2015 pour prendre part à la force arabe qui combat au Yémen, Alger décline aussi l’invitation. Aujourd’hui, le terrorisme au Sahel et le chaos en Libye, qui mettent les frontières algériennes sous tension permanente, constituent des menaces suffisamment importantes pour inscrire dans le marbre constitutionnel ces nouvelles missions de l’armée. F.A.

MOHAMMED KADRI

alors d’une main de fer devienne l’objet de contestations aussi bien chez des manifestants qu’au sein de la classe politique. «Sansfrais,grâceàuncoupdusort,Tebboune a été délesté du poids écrasant de celui à qui il pouvait être redevable de son accession à la présidence, décrypte un familier des arcanes du pouvoir. Gaïd Salah aurait été un boulet pour le président, lui qui veut faire de son mandat celui de la transition démocratique. » Le nouveau patron de l’armée, Saïd Chengriha, semble plus enclin que son prédécesseur à accompagner ce mouvement. Âgé de 75 ans, le chef d’état-major par intérim est un homme pondéré, discret, sans être effacé. « La cohésion parfaite entre Tebboune et Chengriha est un gage de succès de la refondation, avance un officier à la retraite, qui a requis l’anonymat. Contrairement à Gaïd Salah, Chengriha ne nourrit aucune ambition. Il s’attelle à recentrer l’armée sur ses seules missions constitutionnelles, bien loin des démons de la politique. » Sera-t-il le général qui renvoie l’armée dans les casernes? Son refus d’occuper le poste de vice-ministre de la Défense – poste trusté par AGS depuis septembre 2013 – est un indice de sa volonté d’éloigner la grande muette des joutes partisanes.

La sacro-sainte doctrine de non-intervention est en passe d’être abandonnée.

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MAGHREB & MOYEN-ORIENT

ALGÉRIE

aucun contentieux et n’a pas de comptes à régler avec l’armée. Le nouveau président n’est pas non plus adepte des coups d’éclat, contrairement à son prédécesseur, qui opérait les changements avec fracas. La méthode Tebboune, plus douce, repose sur la discrétion, la mue graduelle, jusqu’au verrouillage de l’information. Les mouvements apparaissent au Journal officiel plusieurs jours après leur entrée en vigueur. Le ton est donné à la fin de mars avec le retour du général Sid-Ali Ould Zmirli à la tête de la Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA), d’où il avait été évincé en novembre 2019 sur ordre de Gaïd Salah. Rattachée à l’état-major, la DCSA en est le serC’est le montant des budgets vice de renseignement interne. Un redoutable instrument aux mains de alloués au ministère de la l’ancien vice-ministre de la Défense! Défense nationale entre 2016 Département sensible, il était donc et 2020, hors loi de finances impératif d’en récupérer les clés. Le complémentaire pour l’année deuxième changement est le rem2020, prochainement placement, le 13 avril, du patron de la Direction générale de la sécurité présentée à l’Assemblée. intérieure (DGSI), le général Wassini Bouazza, aussitôt mis aux arrêts à Blida, par le général Abdelghani Rachedi, ex-attaché militaire aux Émirats et jusque-là directeur de l’Institut des hautes études de sécurité nationale.

43,66 MILLIARDS D’EUROS

Réhabilitation des compétences

L’ascension de Bouazza aura été aussi rapide que sa disgrâce. Installé à la tête de la DGSI en avril 2019, cet ancien directeur des infrastructures militaires avait tellement consolidé son influence que plus d’un jurait qu’il était derrière la nomination de ministres, d’ambassadeurs ou de hauts gradés de l’armée et durenseignement. Protégé par AGS, le puissant Bouazza avait mis en place une police politique dont certains agissements étaient à la lisière de l’illégalité. « Je ferai des services encore plus puissants que ceux de Toufik [ex-patron du renseignement, aujourd’hui en prison] », promettait en privé le général. L’absence d’explications officielles sur les motifs de son arrestation alimente toutes les spéculations. Trahison, complots, ambition démesurée ? Le sérail lui attribue la paternité des coups tordus assénés durant la campagne présidentielle. L’arrestation de deux hommes d’affaires proches de Tebboune, à un mois du vote? Bouazza. Les photos du candidat en compagnie de businessmen sulfureux durant un séjour privé en Europe? Encore Bouazza. L’exchef de la DGSI est soupçonné d’avoir cherché

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à saboter la candidature du futur président pour faire élire Azzedine Mihoubi, qui avait sa préférence. « Tebboune a une vision d’ensemble sur la démarche à observer vis-à-vis de l’armée et des services, renchérit un haut gradé à la retraite. C’est une démarche gradualiste pour une prise en main déterminée des leviers de commande. Les responsables jugés hostiles sont mis à la retraite, ou incarcérés. Dans le même temps, on installe un nouvel appareil en piochant parmi les victimes de la période ancienne ou en choisissant des figures nouvelles plus compétentes et non compromises. » Aussi le troisième changement significatif touche-t-il la Direction générale de la documentation et de la sécurité extérieure (DGDSE), désormais pilotée par le général Mohamed Bouzit, dit Youcef. L’homme est si secret qu’il n’existe pratiquement aucune photo de lui. Mais sa nomination n’a pas surpris. C’est un spécialiste de la Libye, du Sahel et des questions terroristes, régulièrement sollicité sur ces sujets par Tebboune. Pour les spécialistes des questions de défense et d’intelligence, le retour de Bouzit à la DGDSE, qu’il a dirigée de septembre 2013 à mars 2019 avant d’en être écarté par Saïd Bouteflika, frère et conseiller de l’ex-président, est un juste retour des choses. « Tebboune est en train de réhabiliter les compétences marginalisées par Gaïd Salah », analyse un familier des Tagarins, pour corriger des erreurs de casting. En huit mois, AGS avait écarté des compétences et promu des hommes à des postes pour lesquels ils n’étaient ni formés ni outillés. Le chef de l’État s’attache à solder ce passif. Et à corriger l’hypertrophie du renseignement, conséquence du démantèlement du Département du renseignement et de la sécurité (DRS) à partir de septembre 2013 et de l’éviction deux ans plus tard du général Mohamed Mediène, dit Toufik.

Autonomisation des directions

Ahmed Gaïd Salah en avait profité pour mettre la main sur plusieurs structures dépendantes du DRS (finalement dissous en janvier 2016). Résultat: le MDN est devenu une mégastructure concentrant presque tous les pouvoirs et les directions de l’armée et des services, avec à sa têteunchefimpitoyablequiécoutaitpeuetdéléguait encore moins. « L’objectif de la nouvelle organisation est d’accorder plus d’autonomie de décision et d’action aux responsables des différentes directions»,expliqueAkramKharief,spécialiste des questions militaires et sécuritaires.


La nouvelle architecture mise en place par Tebboune vise aussi à rectifier les erreurs commises à partir de mars 2016, après la mise sous tutelle de la présidence des trois services de renseignements. L’homme qui coordonnait l’ensemble, le général major Athmane Tartag, purge aujourd’hui une peine de quinze ans de prison à Blida, tout comme Saïd Bouteflika. Il est reproché à l’un comme à l’autre d’avoir dévoyé les missions du renseignement au service de l’ambition politique du clan présidentiel, de façon à imposer une période de transition qui aurait permis à l’ancien chef de l’État de se maintenir le plus longtemps possible à la tête du pays. À l’époque, les interférences, voire les divergences entre la présidence et l’état-major pouvaient provoquer des dégâts

considérables et nuire à la solidité des institutions lorsqu’elles atterrissaient sur la place publique, comme ce soir de novembre 2018 quand cinq généraux sont remis en liberté vingt et un jours à peine après leur incarcération pour « bien mal acquis », sur instruction d’AGS. Au téléphone, la source de JA insiste : « L’information, c’est que l’ordre vient de la présidence. » C’est Saïd Bouteflika lui-même qui restituera ensuite aux gradés les passeports qui leur avaient été confisqués. Ces situations ne se reproduiront plus, promet un proche de Tebboune : « À travers les derniers changements, il y a une logique d’ensemble visant à s’assurer de la soumission à l’ordre institutionnel de l’ensemble de l’armée et des services avec une plus grande efficacité. »

Belkacem Laribi, l’ange gardien présidentiel

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Le directeur de la sécurité et de la protection présidentielle (à dr.), au côté du chef de l’État, le 22 décembre 2019, à Alger.

en 2013 de l’ordre national du mérite au rang d’achir. À la DGSPP, Laribi remplace Nacer Habchi, lui aussi général et familier des Bouteflika. Réputé proche de Saïd, frère-conseiller de l’ancien raïs, et d’Ahmed Gaïd Salah, le défunt chef d’état-major, Habchi avait été propulsé directeur de la sécurité présidentielle en juillet 2015, quelques jours après que des coups de feu eurent retenti dans la résidence ultraprotégée de Zeralda, dans ce qui s’apparentait à une présumée tentative d’intrusion d’un groupe armé. Les

ZEBAR

dmis d’office à la retraite à l’âge de 58 ans, le général Belkacem Laribi est apparu pour la première fois aux côtés d’Abdelmadjid Tebboune à l’inauguration de la Foire de la production d’Alger, le 22 décembre 2019. Il venait alors d’être nommé directeur du protocole à la présidence. Un prélude à sa promotion à la tête de la sécurité et de la protection présidentielle (DGSPP). Natif d’El-Kala, dans l’Est, fils d’un ancien maquisard qui a fait carrière dans la police après 1962, Laribi, lui, fait ses armes au sein du Groupement d’intervention spéciale (GIS), une unité d’élite spécialisée dans la lutte contre le terrorisme. Il en est membre jusqu’en 1992 et l’assassinat du président Mohamed Boudiaf. Repéré pour ses compétences, sa rigueur et sa loyauté, ce père de trois enfants intègre la garde présidentielle en 1999, à l’arrivée au pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika, qu’il ne quittera pas d’une semelle pendant vingt ans, le suivant jusqu’à la résidence médicalisée de Zeralda, sur le littoral ouest d’Alger, que le vieux raïs ne quitte presque plus depuis qu’il est cloué dans un fauteuil roulant. Très estimé par le clan Bouteflika, le général est décoré

sanctions n’avaient pas tardé : les généraux Djamel Kehal Medjdoub et Ahmed Moulay Meliani, respectivement chefs de la DGSPP et de la garde républicaine, avaient été aussitôt remerciés. Jugé en décembre 2015 par un tribunal militaire pour « négligence » et « infraction aux consignes militaires », Medjdoub écopera de trois ans de prison ferme. Lui a toujours clamé son innocence. Réhabilité depuis, il pourrait se voir confier de nouvelles missions dans le cadre de la réorganisation opérée par Tebboune. F.A.

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TUNISIE

On l’appelle Robespierre « Monsieur Propre » du nouveau gouvernement, Mohamed Abbou veut non seulement en finir avec la corruption, mais aussi taxer davantage les riches. Panique dans les milieux d’affaires!

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FRIDA DAHMANI, à Tunis

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Constituante, le cofondateur du Congrès pour la République (CPR) – aux côtés notamment de Moncef Marzouki – est nommé l’année suivante ministre de la Réforme administrative au sein du gouvernement de la troïka, la coalition formée par Ennahdha, le CPR et Ettakatol. Bouillonnant, présent sur tous les fronts, Abbou prend la lumière et finit par agacer le chef du gouvernement. « On aurait dit qu’il voulait prendre ma place », s’agacera Hamadi Jebali quelques années plus tard. Les relations tournent au vinaigre, Abbou claque la porte du gouvernement et du CPR pour fonder son propre mouvement, le Courant démocrate (Attayar, en arabe), qui voit le jour le 30 mai 2013.

Samia, épouse et porte-voix

Des années durant, Abbou soigne sa visibilité médiatique. Au point de briguer la présidence en 2019, après le décès du chef de l’État en exercice, Béji Caïd Essebsi. Pari gagnant : si la candidature de l’avocat ne recueille que 3,6 % des voix, elle lui permet de mettre sur orbite Attayar aux législatives. Le parti décroche 22 sièges à l’ARP. Samia, son épouse, son portevoix, sa plus fidèle alliée et la mère de ses trois enfants, est élue. Elle est son talon d’Achille, persiflent ceux qui jugent madame aussi outrancière que monsieur est acerbe. « Les critiques

HICHEM

epuis sa nomination, Mohamed Abbou est le souffre-douleur préféré de la Coalition Al Karama. Sous la coupole du Bardo, le 28 avril, Abdellatif Aloui, député du groupe ultraconservateur, multiplie les harangues fielleuses à l’encontre du ministre d’État auprès du chef du gouvernement chargé de la fonction publique, de la gouvernance et de la lutte contre la corruption, l’accusant de fermer les yeux sur les nominations de complaisance dans l’administration et d’avoir la main qui tremble lorsqu’il s’agit de sévir. Quinze jours plus tard, le même s’en prend à l’épouse du ministre, elle-même membre de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). « Pourquoi a-t-elle a arrêté ses attaques contre la corruption depuis la nomination de son mari? » ironise Aloui. Chaque fois, Mohamed Abbou est resté de marbre. Le quinquagénaire en a vu d’autres. Avocat et défenseur des droits de l’homme, ce farouche opposant au régime de Ben Ali avait été arrêté en 2005. Incarcéré, il s’était agrafé la bouche pour protester contre la dictature qui tentait de le museler. Abbou ne devra sa libération, deux ans plus tard, qu’à la mobilisation de l’opinion internationale et à l’intervention de Kofi Annan, alors secrétaire général de l’ONU, et de Nicolas Sarkozy, président français. Ce passé proche en bandoulière, l’homme s’est depuis engagé en politique, avec comme marque de fabrique la lutte contre la corruption. Candidat à la présidentielle de 2019, il martelait que la corruption s’était « généralisée depuis 2011 ». Abbou est un révolutionnaire indigné. Élu en 2011 député à la

Le ministre d’État et leader du parti Attayar, en janvier, à Tunis.

[visant son mari et ses prérogatives] émanent de ceux qui rêvent d’une personnalité qui obéisse à leurs exigences », rétorque Samia Abbou. « Ce couple de Jacobins se croit revenu au temps de la Terreur », s’étrangle un ancien député, qui compare le ministre d’État à l’intransigeant Maximilien de Robespierre, « l’Incorruptible »

INCARCÉRÉ EN 2005, IL S’ÉTAIT AGRAFÉ LA BOUCHE POUR PROTESTER CONTRE LA DICTATURE QUI TENTAIT DE LE MUSELER.


révolutionnaire français. La comparaison ne déplairait pas à Mohamed Abbou, qui a intégré, à la fin de février, le gouvernement d’Elyes Fakhfakh, qu’il a connu au ministère des Finances du temps de la troïka. Depuis, le Tunisois martèle que nul n’est au-dessus des lois. Son plan pour sortir de la crise économique, aggravée par la pandémie de Covid-19? Une fiscalité qui permette de « prendre aux riches pour redonner aux pauvres ». Panique dans les milieux d’affaires, qui dénoncent un amalgame dangereux entre investisseurs et hors-laloi. Mohamed Larbi Jelassi, ancien directeur de campagne de Mohamed

Abbou, plaide la communication maladroite. « Il ne s’agit pas de jouer aux Robin des Bois, mais d’établir plus de justice fiscale, explique le dirigeant d’Attayar. Cette taxe ne doit pas s’attaquer aux entreprises, à ceux qui investissent, mais à l’accumulation de richesse non productive. » « La solidarité ne saurait être confiscatoire, elle doit savoir ce qu’elle finance et ne pas simplement punir ou désigner à la vindicte ceux qui se sont enrichis par leur mérite, réplique Nafaa Ennaifer, chef d’entreprise, très actif au sein du patronat. S’il y a des contrevenants, allez les chercher ! Mais cessons d’allumer des contre-feux pour masquer

l’incapacité de gouverner et de fournir des revenus décents et pérennes à ceux qui n’en ont pas. » Le principal écueil pour Mohamed Abbou reste sa capacité à affronter ses propres collègues. « À chaque affaire suspecte, les Tunisiens se disent : “Où est Mohamed Abbou” ? » résume Nabil Halli, député Attayar. En pleine pandémie de Covid-19, une commande publique de masques vire au scandale pour « conflit d’intérêts » et « soupçon de corruption ». Car une première commande d’un montant de 4 millions de dinars (1,5 million d’euros) est envisagée, de gré à gré, à une société appartenant au

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FETHI BELAID/AFP

TUNISIE

Sit-in pour la libération de Mohamed Abbou, à la Maison des avocats, en 2005. Debout à g., la militante des droits de l’homme Radhia Nasraoui.

député Jalel Zayati, alors que la loi interdit aux parlementaires d’avoir des relations commerciales avec l’État. Surtout, le cahier des charges pour une commande complémentaire a fuité avant même sa publication officielle, permettant à un groupe d’industriels de faire main basse sur

l’ensemble du tissu requis pour la fabrication des masques et disponible sur le marché. Face à la levée de boucliers, la transaction est annulée. Dans cette affaire, le ministre de l’Industrie, Salah Ben Youssef, a pu compter sur le soutien sans faille de son collègue Mohamed Abbou.

Une attitude qui a semé le trouble, y compris dans les rangs d’Attayar. « L’affaire relève a minima d’une mauvaise gouvernance. Il y a eu une erreur de communication du chef du gouvernement, du ministre de l’Industrie et de Mohamed Abbou », se désole Nabil Halli.

Image écornée OÙ EN EST L’AFFAIRE CHAFIK JARRAYA? Il avait fini par indisposer grand nombre de dirigeants à force de claironner qu’il avait des députés et des journalistes à sa botte. Arrêté le 23 mai 2017 pour atteinte à la sécurité de l’État, le sulfureux Chafik Jarraya est trois ans plus tard toujours en prison. Si l’homme d’affaires a bénéficié, en 2019, d’une relaxe qui lui a permis d’échapper à la justice militaire, il reste poursuivi par le pôle judiciaire et financier de Tunis dans trois autres affaires, pour falsification de documents, fraude et escroquerie. La première audience, fixée au 14 mai 2020, a été reportée au 2 juillet, pandémie de Covid-19 oblige. Entre-temps, d’autres condamnations ont été prononcées dans des affaires de corruption dans lesquelles il était aussi cité. F.D.

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« Il ne faut pas se mentir : dans cette lutte contre la corruption, il y a clairement deux poids, deux mesures », accuse l’universitaire Skander Ounaies. L’image du ministrejusticier est écornée par deux autres dossiers. À commencer par celui des nominations de complaisance. L’arrivée à la Kasbah de nouveaux conseillers sans compétences avérées, comme Oussama Ben Salem, fondateur de la chaîne Zitouna TV, a semé le trouble. Mohamed Abbou, l’un des premiers à pourfendre les abus et les passe-droits dans l’audiovisuel, rétorque que



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TUNISIE

« les recrutements ne sont pas finalisés ». Le ministre d’État se voit aussi reprocher son silence après l’accident impliquant la voiture du ministre du Transport. « C’est à la justice d’établir qui, du chauffeur ou de la fille du ministre, était au volant », se défend Abbou. Son ministère a depuis émis une circulaire sur les véhicules de fonction dont disposent les ministres.

Le 14 mai, c’est la mise à la retraite d’office de 21 agents de la Douane, pour soupçons de complicité dans un détournement de 6 000 tonnes d’acier, qui interpelle. Aucune procédure n’a été respectée, les dossiers n’ayant pas été examinés au préalable par la direction de l’inspection et le conseil de discipline de la Douane. Dans le lot des congédiés, le colonel-major Jamel Chakhari

rappelle que Mohamed Abbou lui avait adressé les mêmes accusations en 2012 et qu’il a depuis été blanchi par la justice. « Avant de s’attaquer à la corruption dossier par dossier, il faut instaurer une bonne gouvernance, mettre en place des process plus transparents dans l’administration publique pour limiter l’intervention humaine », recommande Mohamed Larbi Jelassi.

QUESTIONS À

Habib Karaouli « La mauvaise gouvernance est plus onéreuse que la corruption » Propos recueillis à Tunis par FRIDA DAHMANI

Jeune Afrique: Quel est l’impact des campagnes « mains propres » sur le climat des affaires? Habib Karaouli: Le climat de suspicion n’est pas de nature à rassurer les investisseurs, d’autant que l’argent est comme les rats: au moindre bruit, il se cache. Dans le contexte actuel, qui viendrait régénérer son investissement? « Avant de s’indigner, il faut s’assurer que l’on est digne », recommandait l’abbé Pierre. On ne le dira jamais assez: l’exemplarité de l’État est fondamentale. Or il ne respecte pas lui-même la réglementation en vigueur. Le ministre des Finances a annoncé, sans ambiguïté, que les fournisseurs de l’État ne seraient pas payés; si cela avait été le fait d’entreprises ou de citoyens, ces derniers auraient été immédiatement condamnés. Cette dichotomie est difficilement tenable. Que l’État n’honore pas ses engagements est même un pousse-au-crime. C’est à lui, en premier lieu, de respecter les règles! D’autant que ce même État est présent dans plus de secteurs qu’il ne faut. Il doit veiller à ne pas créer des distorsions sur le marché. Le discours anticorruption s’appuie ici sur l’idée de prendre aux riches pour donner aux pauvres… C’est un discours extrêmement dangereux qui ostracise ceux qui peuvent investir, excluant par conséquent toute possibilité de relance économique. À vrai dire, cela est révélateur d’une incapacité à répondre aux réels enjeux socio-économiques. On installe un amalgame pernicieux entre affairisme et entrepreneuriat: toute réussite ou création 84

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d’entreprise et de richesse sont suspectes, donc potentiellement condamnables. D’où l’idée aussi de cet impôt de solidarité qui frapperait les plus aisés. Or l’augmentation de la pression fiscale, qui est à 23 % du PIB et caracole entre 40 % et 42 % en incluant le parafiscal, n’est pas une bonne chose par temps de crise. Ensuite, comment envisager de lever cet impôt quand la collecte fiscale n’est pas optimale? En inhibant l’investissement et en installant la défiance, cette contribution finira par coûter plus cher que ce qu’elle rapporte. En outre, plus les systèmes sont sophistiqués et complexes, plus ils ouvrent la voie aux évitements et à la corruption. Ce n’est pas ainsi que l’on récompense la vertu. Quel est votre message aux gouvernants? Que la mauvaise gouvernance est plus onéreuse que la corruption. Et qu’il est de leur devoir d’inciter l’État à être stratège et bienveillant. Des pans entiers de l’économie seraient inexistants sans l’appui de l’État, qui veille à la situation de l’emploi. Cela dit, trop d’État encourage la rente. Ce n’est pas le cas avec l’entreprise privée. Les dispositifs législatifs actuels permettent de circonscrire les contrevenants. Aussi, je demande que l’on en finisse avec cette culture bien ancrée de la punition collective, qui fait que le dérapage de l’un entraîne la sanction de tous les autres. Dans une fonction de production, il y a un capital et un travail, mais aucun n’est efficient sans la confiance. Demain, qui va relancer l’économie si ce n’est le privé?

NICOLAS FAUQUE

Économiste, PDG de Cap Bank



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ARABIE SAOUDITE

MBS, modèle réduit

Crise sanitaire, effondrement des cours du pétrole, enlisement au Yémen… Le prince héritier doit revoir ses ambitions pharaoniques à la baisse. Mais garde la haute main sur le pays.

D

«

JIHÂD GILLON

’ici à 2020, si le pétrole s’arrête [sic], j’estime qu’on sera en mesure de vivre. » La petite phrase prononcée par le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane (MBS) en 2016 sur Al-Arabiya lui revient aujourd’hui comme un boomerang. Si le pétrole ne s’est pas « arrêté » en 2020, la chute du prix du baril, elle-même liée à l’effondrement de la demande, menace les espoirs de transformation rapide du royaume – le projet Vision 2030 porté par MBS. C’est là tout le paradoxe de la diversification de l’économie saoudienne, le cheval de bataille du prince depuis son avènement, en 2017: elle est nécessairement financée par la manne pétrolière, qui représente encore plus de 70 % des revenus publics. Frôlant les 65 dollars en début d’année, le prix du baril a connu une chute vertigineuse et se stabilise aujourd’hui entre 30 et 35 dollars. Pour le seul mois de mars, ce sont l’équivalent de 25 milliards de dollars qui ne sont pas rentrés dans les caisses de la banque centrale saoudienne. Sans compter les pertes liées à la suspension, depuis, des pèlerinages dans les villes saintes de La Mecque et Médine, deuxième source de revenus de l’État. Les Saoudiens s’apprêtent aujourd’hui à se familiariser avec l’austérité, un concept plutôt inconnu jusqu’ici sous ces latitudes. Parmi les mesures chocs : triplement de la TVA (de 5 % à 15 %), autorisation de coupes salariales à hauteur de 40 % dans le secteur privé, suspension de certaines allocations gouvernementales et interruption de nombre d’investissements publics. « Ces mesures sont douloureuses mais nécessaires

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pour maintenir une stabilité économique et financière à moyen terme et à long terme », plaidait le ministre des Finances, Mohammed al-Jadaan, le 11 mai. Le prince héritier ne pouvait prévoir en 2016 qu’une crise sanitaire mondiale allait, quatre ans plus tard, plonger son royaume dans l’incertitude du lendemain. Pour autant, certains des choix de Riyad ne sont pas étrangers à la situation. Comme la décision d’engager un bras de fer avec la Russie après un coup de fil houleux, au début de mars, avec Vladimir Poutine. Ce dernier ayant refusé de baisser la production russe pour limiter la casse, l’Arabie saoudite a annoncé une augmentation de sa production pour préserver ses parts de marché. Les cours, déjà à la baisse, se sont logiquement effondrés. C’est Donald Trump, inquiet du sort des producteurs américains de gaz de schiste à quelques mois de la présidentielle de novembre, qui a sifflé la fin du match en lançant, au téléphone, une nouvelle mise en garde à MBS : si l’Opep, largement sous contrôle saoudien,

25 MILLIARDS DE DOLLARS C’est le manque à gagner pour la banque centrale du royaume wahhabite sur le seul mois de mars sous les effets conjugués de la crise de l’or noir et de la pandémie de Covid-19.

Mohammed Ben Salmane, à Alger, le 2 décembre 2018.

ne se décidait pas à freiner la production, la Maison-Blanche ne serait plus en mesure d’empêcher le Congrès de retirer les troupes américaines du territoire saoudien. La crise sanitaire et économique a ainsi approfondi les dissensions avec Washington, déjà perceptibles en octobre 2018. « Vous [les Saoud] ne seriez peut-être pas là plus de deux semaines sans nous », avait lancé Donald Trump, fort peu diplomatiquement, lors d’un meeting dans le Mississippi, alors qu’il tentait d’obtenir… une augmentation de la production saoudienne pour faire baisser le prix du baril. L’accueil en grande pompe à Riyad d’un Trump fraîchement élu semble aujourd’hui bien loin. « Les Saoudiens, d’une certaine manière, ont traité Trump comme un émir du Golfe, explique Stéphane Lacroix, spécialiste de l’Arabie saoudite à Sciences Po-Paris. Dès lors qu’ils étaient en phase avec la famille Trump, ils ont pensé que tout leur était


finalement très peu appliquées, ou à la marge, affirme Stéphane Lacroix. Mais le pacte “autoritarisme contre prospérité” peut être menacé si la situation perdure. » Le développement d’une société de loisirs et du tourisme, l’une des lignes de force du projet de diversification de MBS, devra encore attendre, et pas seulement du fait de la réduction des liaisons aériennes dans le monde. Le projet futuriste de la ville nouvelle de Neom, estimé à 500 milliards de dollars, pourrait être fortement freiné les prochains mois.

RYAD KRAMDI/AFP

État policier

accessible. Mais les États-Unis restent une démocratie, avec des contre-pouvoirs, des élections… » Et un éventuel changement d’administration ne serait pas forcément synonyme d’un réchauffement des relations. « L’establishment américain, par réaction au trumpisme, est devenu très antisaoudien, alors qu’il était jusqu’alors plutôt favorable à Riyad », poursuit Lacroix. Les réductions consenties par l’Opep à la mi-avril, peu après l’intervention de Trump, n’ont pas empêché les Américains d’annoncer, en mai, le démantèlement sur le territoire saoudien de plusieurs systèmes de missiles Patriot. Officiellement, aucun lien avec la politique énergétique saoudienne. Mais le timing de la décision permet d’en douter.

Le tourisme attendra

Cinq ans après l’avènement de MBS, la popularité du prince héritier – bien réelle auprès d’une partie de la

jeunesse – ressortira-t-elle indemne de cette période délicate ? Force est de constater que la plupart des dossiers sur lesquels il a la haute main n’avancent guère comme espéré. L’opération militaire au Yémen devait ainsi démontrer que Riyad était en mesure de faire régner l’ordre dans son pré carré. Mais non seulement la rébellion houthie n’a pu être réduite, mais l’Arabie saoudite doit maintenant composer avec les ambitions sécessionnistes du Sud. À la fin d’avril, les séparatistes, rassemblés au sein du Conseil de transition du Sud (STC), ont purement et simplement proclamé l’autonomie après l’échec d’un accord de paix avec le gouvernement yéménite officiel, protégé par Riyad. Sur le front intérieur, la hausse de la pression financière sur les ménages pourrait bien faire pâlir davantage l’étoile du jeune prince. « Jusqu’alors, MBS s’était abstenu de trop toucher la population au portefeuille. Les mesures d’austérité qu’impliquait Vision 2030 ont été

« MBS a vendu la promesse d’un pays prospère, à l’économie solide, qui ne dépendrait plus du pétrole. Il a beaucoup promis, et à très court terme, souligne Lacroix. Mais la situation fait qu’il peut moins que jamais tenir ses engagements. » Pourtant, le prince héritier a encore de la ressource. L’action de l’Aramco a ainsi retrouvé sa valeur pré-Covid en mai, avec la reprise de la demande. Côté américain, MBS s’attache à renouer les fils avec le camp démocrate. C’est l’une des missions de la princesse Rima Bint Bandar, ambassadrice à Washington depuis février 2019. À l’intérieur, la remise en question de sa gouvernance à court terme ou à moyen terme est peu probable. Car son diagnostic d’un pays qui court à sa perte si rien n’est fait pour diversifier son économie demeure valide. Et le leadership saoudien peut inscrire à son crédit sa réaction à la pandémie, ayant pris très tôt des mesures drastiques pour contrer la propagation du virus. Relativement au nombre d’habitants, l’Arabie saoudite est l’un des pays qui s’en sort le mieux dans la région. « Sur le plan financier, et pour faire face à ses difficultés, le royaume peut encore contracter de la dette », relève Stéphane Lacroix. Surtout, conclut le chercheur, « MBS a veillé à se prémunir contre une éventuelle contestation en mettant en place un État policier d’une ampleur jamais connue en Arabie saoudite, une surveillance tous azimuts et un appareil de propagande performant, en particulier sur internet ».

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MAROC

Z comme Zaoui

Né à Fès, ce banquier d’affaires surdoué qui fit les beaux jours de Morgan Stanley est chargé, avec d’autres, d’élaborer le futur modèle de développement du royaume.

I

ALEXANDRE AUBLANC, à Casablanca

l devait parcourir le Maroc comme on ausculte un patient pour en déceler les forces et les faiblesses, mais la pandémie de Covid-19 est passée par là. Rabat a fermé ses frontières le 15 mars, et c’est depuis New York, où il est confiné, que Michael Zaoui a exposé au cours des dernières semaines sa vision de la crise. Le 6 mai, en direct sur Facebook, installé à un bureau et tournant le dos à une lithographie de Georges Dayez, Orchestre de chambre, qui rappelle sa passion pour la musique classique, il a enjoint au gouvernement marocain de ne pas jouer la partition de l’austérité et de « mobiliser tous les moyens en sa possession » pour encourager l’épargne et inciter les grandes entreprises à se diversifier. Annoncée par le cabinet royal en décembre 2019, la nomination de Michael Zaoui comme membre de la commission spéciale sur le modèle de développement en a surpris plus d’un. L’instance est chargée d’identifier les voies devant « permettre au Maroc d’accéder au rang de pays avancé » et doit remettre son rapport au roi Mohammed VI dès cet été. Que vient y faire le natif de Fès, banquier d’affaires à Londres? À entendre les membres de la commission, au nombre de trentecinq, l’homme est « humble » et prend son rôle « avec sérieux ». Pour d’autres, il est « hors-sol », peu au fait du terrain.

« Il est conscient d’être déconnecté de la réalité du pays, mais il fait des efforts pour s’en imprégner », rassure Karim Tazi, patron de l’enseigne d’ameublement Richbond.

Décoré par le roi

Après avoir conseillé pendant trois décennies des PDG dans des deals XXL, voilà donc Zaoui, 63 ans, de retour au pays, qu’il avait quitté pour l’Europe à l’âge de 8 ans. Dans ce Maroc qu’il trouve « formidable » et auquel son amie Anne Méaux, communicante des puissants et du CAC 40, le sait « très attaché », il revient à plusieurs reprises visiter la famille de son épouse, marocaine, et se recueillir à Fès, où repose une partie de ses proches, dont son père, disparu en 2006. « Je fais le tour du cimetière juif au bord de l’ancien mellah, avec ses petites tombes blanches et simples. C’est comme un retour aux sources », explique-t-il. Au panthéon de ses souvenirs, il y a aussi un « appel à la population israélite du Maroc » rédigé en 1933 par son grand-père maternel, qui y exhorte les Juifs à apprendre l’arabe : « Ce document m’a marqué, car il est significatif de l’amitié entre les deux communautés. » Avec sa terre natale, tout n’est pas qu’affaire de mémoire. Zaoui y a autant de soutiens que de clients. C’est lui qui a accompagné LafargeHolcim en 2016 dans la restructuration de de son

EN 2013, LUI ET SON FRÈRE CRÉENT LEUR PROPRE « BOUTIQUE », QUI S’ARROGE DANS LA FOULÉE QUELQUE 110 MILLIARDS DE DOLLARS DE TRANSACTIONS CONSEILLÉES. 88

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partenariat avec le holding royal SNI (actuel Al Mada), une transaction à 3,6 milliards d’euros. « En récompense de ses mérites civils », Mohammed VI lui a remis, en 2014, la médaille d’officier du Wissam Al-Arch. Depuis sa désignation à la commission, il se murmure que le géant des phosphates OCP pourrait faire appel à ses services pour le projet, maintes fois annoncé, d’ouverture de son capital. Une rumeur invérifiable mais révélatrice du degré d’influence prêté à Zaoui. Né en 1956, année de l’indépendance, il passe la seconde partie de son enfance à Rome, où son père, proche collaborateur du futur président du Conseil, Abdallah Ibrahim, puis directeur du service topographique chérifien, avait rejoint la FAO. Ce sera ensuite l’Unesco à Paris, où l’adolescent entre à Sciences Po. Frais émoulu de la rue Saint-Guillaume, son chemin est tracé: London School of Economics, Panthéon-Sorbonne, Har vard, conseiller à B anque Rothschild, puis Mac Group et enfin Morgan Stanley, où il débute en 1986, à New York. Formé par Robert Greenhill, un pionnier des fusions-acquisitions, Zaoui a 34 ans quand il est envoyé à Londres, transformé en centre financier mondial à la faveur du Big Bang de Margaret Thatcher, pour conquérir le Vieux Continent. À 40, il chapeaute les opérations M&A de Morgan Stanley en Europe. À 50 ans, il cumule plusieurs centaines de milliards d’euros de transactions conseillées. La presse se pique de curiosité pour ce rainmaker, évoquant des bonus annuels de plusieurs millions de livres. Chiffres invérifiables, encore. Seule certitude: Zaoui a acquis, en 2006, pour 10 millions de dollars un appartement de 290 m2 au 15 Central Park West, à New York, dans un immeuble luxueux construit par le magnat israélien de l’immobilier Eyal Ofer. À Londres, il est aussi propriétaire d’un townhouse à The Vale, l’une des rues les plus huppées de la ville. À quoi Zaoui doit-il cette ascension spectaculaire ? Le président du directoire de Wendel, André



MAGHREB & MOYEN-ORIENT

MAROC

se poursuivent sous l’étiquette de « consultant indépendant ». Outre les grands-messes dont la finance raffole, Zaoui participe à l’occasion à des événements plus « politiques ». Membre fondateur de la Fondation France-Israël, voulue par Jacques Chirac et Ariel Sharon, il est à l’affiche en 2007 du Saban Forum, un raout créé par l’homme d’affaires Haim Saban, où dialoguent experts américains et israéliens.

JULIAN BENJAMIN

FRANÇOIS PINAULT, QU’IL A SOUTENU DANS Irrésistible duo L’aventure en solo s’arrête SA BATAILLE en 2013, quand Michael CONTRE LVMH, décide de s’allier à un autre Zaoui, son plus grand rival LE CONSIDÈRE et désormais associé : Yoël, COMME LE de quatre ans son benjamin, passé chez Goldman « MEILLEUR DE et impliqué, comme SA GÉNÉRATION ». Sachs lui, dans les principales

François-Poncet, qui l’a accompagné dans la mise en place de la structure parisienne de Morgan Stanley, le décrit comme « un chirurgien du cerveau. Il saisit très vite l’essentiel et comprend les rapports de force ». Sa maestria tient aussi à sa gestion des tempéraments. Un ex-collaborateur confirme : « Il est capable d’intégrer des paramètres humains et émotionnels en jonglant avec des dynamiques contraires. Tout le monde n’a pas ce talent. » Pas avare de compliments,

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François Pinault, qu’il a soutenu dans la bataille épique qui l’opposa à LVMH pour le contrôle de Gucci, le considère comme « le meilleur de sa génération ». « Morgan Stanley a permis à Zaoui d’être au contact de nombreux dirigeants », confie l’avocat d’affaires Jean-Michel Darrois, qui siège à ses côtés au conseil d’administration du groupe de gestion genevois Decalia. Quand il quitte la banque, en 2008, ses activités de conseil

fusions-acquisitions des vingt dernières années. Pressentie depuis longtemps, l’association des deux frères fait mouche. Avec une équipe de dix personnes, logées dans des bureaux à Hill Street, dans le très chic Mayfair de Londres, Zaoui & Co s’arroge en 2014 quelque 110 milliards de dollars de transactions. Leur cabinet est notamment l’un des conseillers d’un « méga-deal » à plus de six milliards d’euros entre L’Oréal et Nestlé. Les exercices suivants confirment la tendance: le marché n’est plus réservé aux seules grandes banques. Salaires et dividendes, mais aussi versements via les comptes de la société mère Zaoui & Co S.A., immatriculée au Luxembourg, assurent depuis au duo de confortables revenus. Et la retraite ? En 2017, Michael Zaoui a créé Diadochi Ltd., propriétaire de la moitié de Zaoui & Co S.A. Le nom renvoie aux Diadoques, les généraux d’Alexandre le Grand, qui se disputèrent son empire après sa mort. Un signe ? Un banquier qui le connaît bien prévient : « Les Zaoui ont créé une boutique de haute couture qui disparaîtra certainement avec eux. Quand on fait appel à Zaoui & Co, on embauche les deux frères. »


COMMUNIQUÉ

AVIS D’EXPERT

Union Européenne En savoir plus sur :

ec.europa.eu/eu-eip

Plan d’investissement externe de l’Union européenne Faire face à la crise du Covid-19 en Afrique

L’

Union européenne soutient la lutte contre la pandémie du Covid-19 en Afrique. L’un des principaux moyens mis en œuvre a consisté à réorienter les 4,6 milliards d’euros du Plan d’investissement externe (PIE) pour permettre notamment de maintenir à flot les petites et les moyennes entreprises ou d’installer des laboratoires d’essais contre le coronavirus. Stimuler l’investissement et l’emploi Nous avons conçu ce Plan pour aider les pays africains à attirer davantage d’investissements qu’ils ne pourraient le faire autrement, en particulier en provenance du secteur privé, local et international. Il s’agit de favoriser la création d’emplois et la croissance économique, tout en créant de nouvelles opportunités pour les individus comme pour les investisseurs. Une approche en trois volets Avec ce Plan, nous fournissons un appui financier, nous apportons notre expertise et nous soutenons la mise en place d’un climat favorable aux investissements. 1. Finance Nous apportons deux types d’appuis financiers, susceptibles de générer davantage d’investissements que l’argent de l’Union européenne ne pourrait le faire seul. Le premier appui est une garantie. Nous partageons le risque d’investir pour que les banques de dévelop-

pement et les investisseurs privés prêtent aux entrepreneurs locaux ou financent les projets de développement. Le second appui est constitué de subventions. La plupart combine les aides européennes avec des prêts ou d’autres apports financiers d’investisseurs privés ou publics. La subvention couvre une partie des coûts qui va permettre à un projet de voir le jour. Ces financements ciblent essentiellement les secteurs de l’énergie, des transports, de l’eau et de l’assainissement, ainsi que le soutien aux petites entreprises. Par exemple, nous aidons à : • créer/soutenir 5 millions d’emplois ; • prêter 2 milliards d’euros aux petites entreprises ; • produire chaque année 15 000 gigawatts d’énergie renouvelable. 2. Expertise Nous fournissons également une assistance technique. Nos experts, en ingénierie comme en comptabilité, aident les promoteurs à développer des projets de qualité ou les gouvernements avec leurs réformes. 3. Soutenir un climat favorable aux investissements Les gouvernements d’Afrique améliorent le climat des investissements pour renforcer l’attractivité de leurs pays aux yeux des investisseurs et des entrepreneurs. Nous les aidons

Kay Parplies Chef de l’Unité investissements et financements innovants, Direction générale de la coopération internationale et du développement, Commission européenne, Bruxelles

dans ces efforts. Nous réunissons également les pouvoirs publics et le secteur privé pour échanger sur les défis liés aux investissements. Faire face ensemble à la crise L’UE a déjà alloué 4,6 milliards d’euros à ce Plan pour mobiliser à terme jusqu’à 47 milliards d’euros d’investissements. A présent, pour faire face au Covid-19, nous recentrons les garanties vers les chefs d’entreprises, les femmes et les jeunes. Nous encourageons les banques locales à prêter davantage aux petites et aux microentreprises pour les aider à surmonter leurs difficultés. Nous contribuons à améliorer les conditions financières qui leur sont faites pour leur faciliter les emprunts auprès des banques locales, y compris en devise locale. Nous redoublons également d’efforts pour investir dans la santé, en particulier dans les laboratoires d’essais. Ces évolutions reflètent notre souplesse et notre détermination à aider à protéger les populations dans toute l’Afrique et à rester à leurs côtés pour faire face à cette crise sans précédent.


INTERNATIONAL UNION EUROPÉENNEUNION AFRICAINE

D’égal à égal Prévu en octobre, le 6e sommet UE-UA devait entériner un partenariat renouvelé entre l’Europe et l’Afrique. Mais la crise du Covid-19 est venue perturber le calendrier… et les relations entre Bruxelles et Addis-Abeba.

F OLIVIER CASLIN

idèle à son agenda, l’UE avait prévu de consacrer l’année 2020 à ses relations diplomatiques, politiques, économiques et culturelles avec l’Afrique. La nouvelle Commission a pris ses fonctions le 1er décembre 2019. Une semaine plus tard, sa présidente, l’Allemande Ursula von der Leyen, se rendait à Addis-Abeba pour rappeler devant Moussa Faki, son homologue de la Commission de l’UA, à quel point « le continent africain compt[ait] pour l’UE ». Dès le 13 mars, Josep Borrell, vice-président de la Commission et haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, présentait, avec la commissaire aux Partenariats internationaux, Jutta Urpilainen, la nouvelle stratégie européenne pour l’Afrique, censée dépoussiérer la précédente, datant de 2007. Juste avant cette communication, une vingtaine de commissaires n’avaient pas hésité à faire un déplacement inédit jusqu’à la capitale éthiopienne pour s’enquérir des attentes et des propositions africaines. Les négociations promettaient de durer au cours de l’été avant qu’un accord émerge avec l’automne et qu’un « nouveau partenariat d’égal à égal » soit adopté en octobre lors du 6e Sommet UE-UA, organisé à Bruxelles.

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La fin d’année pouvait même se conclure en beauté avec la signature des accords Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP), destinés à prendre la suite de ceux de Cotonou – signés en 2000 entre l’UE et 79 pays – et objet d’âpres négociations depuis plus de deux ans.

Rencontres annulées

Mais la crise du Covid-19 a grippé le calendrier européen et bouleversé l'ordre des priorités chez les deux partenaires. Épicentre de la crise sanitaire dès avril, l’UE post-Brexit a dû faire face à l’urgence de sa propre situation, ainsi qu’à la remise en question de certains principes de solidarité interne par quelques-uns de ses pays membres. L’Afrique, de son côté, continue de se mobiliser en attendant un possible pic à venir. Les rencontres prévues sont annulées les unes après les autres, et, même si les vidéoconférences se multiplient, « les discussions n’avancent pas », regrette un négociateur africain. Au point de se demander, aussi bien au siège de l’UE qu’à celui de l’UA, « s’il est bien nécessaire d’organiser un sommet qui n’aurait qu’une valeur symbolique ». Le sujet est pour l’instant tabou à Bruxelles, où l’on attend toujours de connaître la vision africaine pour donner un contenu « au cadre général » dévoilé dans la capitale belge en mars.


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TIKSA NEGERI/REUTERS

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, au côté de Moussa Faki, son homologue de l’UA, le 7 décembre 2019, à Addis-Abeba.

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INTERNATIONAL

UNION EUROPÉENNE-UNION AFRICAINE

La Commission n’en démord pas: son document n’a rien perdu de sa pertinence, et les cinq axes de sa stratégie – transition verte, transformation numérique, croissance soutenable et emploi, paix et gouvernance, migration et mobilité – demeurent prioritaires sur le continent. Les circonstances rendent le discours inaudible en Afrique et renforcent l’impression héritée du sommet de 2017 à Abidjan d’une Europe déconnectée de ses réalités. D’autant que l’UE n’a pas su profiter de la crise pour souligner la particularité de ses relations avec le continent. Elle s’est même fait ravir la vedette par la Chine, qui, pendant quelques semaines, semblait voler au secours de l’Afrique quand Bruxelles peinait à rassembler une quinzaine de milliards d’euros pour parer au plus pressé. « Une bataille des narratifs » qui a mis dans une colère noire Josep Borrell à mesure qu’elle soulignait les limites politiques de l’UE. Justement, l’Afrique aussi entend changer de discours et

LA MISE EN PLACE DE LA ZLECA VA ÉLARGIR LE POUVOIR DE NÉGOCIATION DE L’UA, QUI POURRAIT ÊTRE TENTÉE D’ALLER VOIR AILLEURS.

semble prête à prendre au mot son partenaire lorsqu’il lui propose de sortir de la traditionnelle relation donneur-receveur. Le camp africain n’a peut-être pas encore présenté sa stratégie, mais il fait entendre ses arguments, comme la mise en place de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca), « qui va nous donner le pouvoir de négocier avec tous les partenaires du monde », estime la présidence de l’UA. Lassée d’attendre le partenariat équilibré que l’Europe lui promet depuis des années, l’Afrique pourrait être tentée d’aller voir ailleurs. « L’UE prendrait alors le risque de n’apparaître que comme un bailleur de fonds ou un opérateur sécuritaire », craint déjà l’un de ses diplomates. Une éventualité dont ne veut pas entendre parler Ursula von der Leyen, qui va devoir convaincre les pays membres et l’institution communautaire de lui accorder les moyens de « faire plus pour l’Afrique ». Si l’Europe ne veut pas voir quelqu’un d’autre s’en charger à sa place.

Jutta Urpilainen

Commissaire aux Partenariats internationaux de l’Union européenne

« L’Afrique veut un partenariat équilibré, c’est ce que nous lui proposons »

S RONI REKOMAA/BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES

Propos recueillis par OLIVIER CASLIN

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i elle n’est pas officiellement la « Madame Afrique » de la Commission von der Leyen, Jutta Urpilainen est au cœur de nombreuses négociations avec le continent, à commencer par celles qui concernent les accords commerciaux post-Cotonou avec les pays ACP. C’est également cette Finlandaise de 44 ans, ancienne vice-ministre, qui a présenté, le 13 mars, la très attendue nouvelle stratégie européenne pour l’Afrique. Quelques jours seulement avant l’arrivée de la pandémie…

Jeune Afrique: Quelle est la principale évolution apportée par la nouvelle stratégie européenne?

Jutta Urpilainen: Avec seulement trois mois pour préparer ce document, nous n’avions pas l’ambition de tout réinventer. Les priorités définies lors du sommet d’Abidjan de 2017 restent valides, qu’il s’agisse de la transition écologique, de la transformation numérique, de la croissance soutenable et de l’emploi, de la paix et de la gouvernance, et enfin des questions de migration et de mobilité, qui sont les cinq domaines clés, identifiés par la Commission, de notre future coopération avec l’Afrique. Le principal changement vient peut-être du discours lui-même. Nous voulons faire comprendre en Afrique, mais également en Europe, qu’il est temps de sortir du prisme donneur-receveur pour mettre en place des partenariats équilibrés dans le monde en général et avec l’Afrique en particulier.


TASK FORCE DE CHOC Personne ne sait encore si le prochain sommet UE-UA pourra avoir lieu physiquement à la date prévue, mais tout le monde s’accorde à dire que l’Afrique n’a jamais semblé aussi bien préparée que pour ce 6e rendez-vous. « La présidence de l’UA joue toujours un rôle majeur dans ces rounds de négociations », précise l'un de ses conseillers, et beaucoup reconnaissent aujourd’hui le leadership de Cyril Ramaphosa en la matière. « La voix de l’Afrique du Sud porte beaucoup plus que celle d’autres pays à Bruxelles », confirme un diplomate africain. Le président en exercice depuis le 10 février peut compter sur le soutien de celui qui a occupé la fonction en 2018, Paul Kagame, aujourd’hui président du comité d’orientation de la future agence de développement de l’UA – créée sur

La pandémie actuelle ne rend-elle pas déjà cette nouvelle stratégie caduque?

Le contexte a significativement changé ces deux derniers mois, mais cette stratégie n’a rien perdu de sa pertinence. Les tendances de fond concernant les questions climatiques ou l’innovation digitale restent les mêmes. Bien entendu, l’urgence de la situation nous demande de nous concentrer sur la lutte contre le virus, mais les besoins d’une politique de coopération au sens large demeurent en Afrique. La présentation de notre stratégie n’est que le début du processus, et nous avons lancé de vastes consultations auprès de nos partenaires africains, de nos pays membres et de nombreuses organisations présentes en Afrique et en Europe. Malgré les difficultés liées à la pandémie, ces consultations se poursuivent, et nous attendons de connaître les positions africaines pour pouvoir présenterunelignepolitiquecommune lors du sommet que nous prévoyons toujours de tenir à Bruxelles en octobre. Cette pandémie n’aurait-elle pas été l’occasion pour l’UE de confirmer qu’elle est bien le partenaire particulierqu’elleprétendêtrepourl’Afrique?

L’A f r i q u e e s t u n e p r i o r i t é pour Bruxelles, et nous sommes

les cendres du Nepad – et grand architecte des réformes en cours au sein de l’organisation panafricaine. Moussa Faki, le président de la Commission de l’UA, profite justement de ces changements profonds pour mieux mobiliser son administration. Les dirigeants de l’UA n’ont pas hésité cette fois à faire appel aux meilleurs économistes du continent. Carlos Lopes conseille depuis deux ans les présidents qui se sont succédé. Et si la mission officielle des « envoyés spéciaux » nommés le 12 avril par Cyril Ramaphosa porte sur les conséquences de la pandémie en Afrique, Ngozi Okonjo-Iweala, Donald Kaberuka, Tidjane Thiam et Trevor Manuel ne manqueront pas de porter à Bruxelles les propositions de l’UA. O.C.

entièrement mobilisés, aux côtés de nos partenaires africains, pour traverser cette crise ensemble, sur le court terme, le moyen terme et le long terme. Je rappelle que nous avons distribué, depuis 2014, un total de 1,1 milliard d’euros pour renforcer les systèmes de santé dans quinze pays du continent. Et je considère personnellement que les 15 milliards d’euros que nous venons de réorienter pour aider en urgence l’Afrique sont un exemple significatif de notre solidarité envers nos pays partenaires. Avez-vousdéjàuneidéedesattentesdu côté africain?

Avant de présenter notre stratégie, l’ensemble ou presque du collège de commissaires s’était rendu à Addis-Abeba pour justement écouter les propositions de l’UA. Nous nous entretenons beaucoup avec les différents leaders du continent ces derniers mois, et leur attitude me semble très constructive envers cette nouvelle stratégie. Ils veulent un partenariat équilibré, et c’est ce que nous leur proposons. Beaucoup demandent une simplification des instruments de financements européens pour plus de clarté et d’efficacité.

C’est en effet nécessaire. Le budget européen en cours de négociation pour le prochain cycle financier de sept ans contient justement la proposition émise par la Commission en 2019 de regrouper onze instruments financiers existants en un seul. Si le principe de cet Instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (Ndici) est accepté, ce sera une énorme évolution dans le financement de notre coopération extérieure, dont l’architecture deviendra ainsi plus lisible pour nos partenaires. Le Ndici pourrait voir le jour dès la confirmation du nouveau budget et démarrer l’année prochaine. Faut-il s’attendre également à une réorientation des investissements européens en Afrique ?

Nous sommes un investisseur de premier plan sur le continent et nous voulons le rester. Notre objectif est de développer l’investissement privé en Afrique. Nous ne pourrons pas atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) sans le secteur privé. Pour investir plus, dans davantage de projets, il nous faut le soutien des entreprises, en Europe comme en Afrique.

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INTERNATIONAL

UNION EUROPÉENNE-UNION AFRICAINE TRIBUNE

Cinq axes pour une refondation

L

LES DIRECTEURS DES ORGANISATIONS MEMBRES DU EUROPEAN THINK TANKS GROUP (ETTG)

actuelle crise sanitaire représente un défi extraordinaire pour notre monde globalisé. À commencer par l’Union européenne (UE), qui, face à cette pandémie, doit impérativement regarder au-delà de ses frontières, en direction notamment de son partenaire le plus proche, l’Afrique. Au nom de la réciprocité des intérêts. Juste avant la pandémie, en mars, l’UE avait dévoilé sa nouvelle stratégie africaine, bâtie justement avec l’ambition de forger « un partenariat d’égal à égal ». L’apparition du Covid-19 risque déjà de la rendre obsolète, et la lutte contre le virus constitue même un test majeur quant à la volonté européenne de respecter ses orientations. « Si nous ne réglons pas le problème en Afrique, nous ne pourrons pas le régler en Europe », affirme Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne. L’Europe doit donc penser à sa sortie de crise en se préparant à accompagner l’Afrique dans la sienne. L’UE doit travailler avec l’Afrique dans sa lutte contre le virus, mais également dans l’élaboration d’un nouveau partenariat sur le long terme. Les crises majeures sont propices aux changements historiques et peuvent être un formidable accélérateur de réformes sociales, économiques et politiques. Cette crise nous fournit l’occasion de sortir de notre politique d’aide traditionnelle pour inaugurer un modèle de coopération sincère entre l’Europe et l’Afrique. Pour poser de telles fondations, l’UE doit: 1 Appuyer les programmes de reprise économique de l’Afrique Le coût de la pandémie s’annonce déjà très lourd pour les économies africaines. Les ministres des Finances du continent doivent trouver plus de 100 milliards de dollars pour espérer réduire l’impact du virus. Les 15 milliards d’euros annoncés récemment par le Conseil européen des Affaires étrangères ne peuvent constituer dans ce contexte qu’un premier pas. L’UE devra faire beaucoup plus et s’associer aux efforts multilatéraux entrepris par le G20, le FMI et la Banque mondiale. Soutenir pleinement les initiatives de l’Union africaine (UA) et de la Banque africaine de développement (BAD). 2 Participer à la reconstruction d’une économie plus respectueuse de l’environnement Il est de notre devoir et de notre responsabilité envers les générations futures d’avancer vers un avenir écologicocompatible. Les programmes de relance économique à venir doivent tenir compte d’objectifs environnementaux. Réconcilier

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impératifs climatiques, croissance économique et politiques de développement, la tâche s’annonce compliquée pour l’Afrique. À trop vouloir imiter la Chine, l’UE a surtout investi ces dernières années dans les industries extractives et les infrastructures en Afrique, accroissant l’endettement des pays et leur vulnérabilité. Il faut désormais investir dans la diversification des économies locales, dans la recherche de nouvelles chaînes de valeur écologiquement acceptables. Porter une attention particulière aux PME, génératrice d’emplois. Soutenir l’innovation en généralisant l’accès digital pour les populations et éviter de nouvelles inégalités. 3 Agir contre les aspects négatifs de la mondialisation La crise actuelle nous a rendus conscients des vulnérabilités créées par la globalisation de l’économie. Malgré ses réussites incontestables, elle n’a pas pu empêcher les pénuries de matériel sanitaire de première nécessité constatées dans de trop nombreux pays. L’intégration économique semblant devoir se poursuivre, il pourrait être sage pour l’Europe et l’Afrique de développer une approche plus régionale, moins liée aux dépendances externes. 4 Investir dans des secteurs publics efficaces et performants Les difficultés affichées par de nombreux systèmes de santé à travers le monde soulignent l’importance de secteurs publics efficaces. Certaines questions de gouvernance ayant été négligées ces dernières années, elles doivent retrouver leur place dans l’agenda des relations entre l’Afrique et l’Europe. L’UE devra avoir une approche plus sensible des réalités et des différents contextes politiques locaux. Avec la réciprocité comme modèle à suivre. 5 En finir avec la relation de dépendance entre le Nord et le Sud L’Afrique et l’Europe doivent rééquilibrer leur relation. C’est en partageant les connaissances et les expériences qu’ensemble elles réduiront l’impact sanitaire et économique de cette pandémie. Le soutien financier européen et l’annulation de la dette sont cruciaux pour l’Afrique, mais les élites du continent doivent éviter de tomber dans le piège de l’aide extérieure. L’UE doit les aider à mobiliser leurs ressources domestiques et à lutter contre les flux financiers illégaux. Sur les cendres de cette crise doit émerger un partenariat d’un nouveau genre entre l’Afrique et l’Europe.


COMMUNIQUÉ

AVIS D’EXPERT

Proparco

151, rue Saint-Honoré - 75001 Paris - FRANCE Email : severacc@proparco.fr

www.proparco.fr

Grâce à son partenariat avec l’UE, Proparco diversifie ses activités et augmente ses impacts D ans les pays en développement et émergents, les petites et moyennes entreprises (TPME) constituent 90% du tissu entrepreneurial et créent 60 % des emplois formels. Ces acteurs clés ont besoin de ressources financières pour développer leur activité mais leur accès au financement reste très limité, souvent parce qu’ils sont perçus comme une clientèle risquée par les banques.

Pour faciliter l’accès au crédit des TPME dans les pays en développement ou émergents, le Groupe AFD a lancé en mars 2019 avec le soutien de l’Union européenne (UE) et du Groupe des États d’Afrique,des Caraïbes et du Pacifique, un nouveau mécanisme de garantie : Euriz. Sur le terrain, les banques, vers lesquelles les PME s’adressent pour obtenir un prêt en monnaie locale, peuvent désormais faire appel à Proparco pour garantir une partie du risque lié au prêt. Proparco a ainsi signé en mai 2019 une opération avec la United Bank for Africa (UBA), afin d’accroître l’accès au crédit des TPME opérant dans des secteurs à fort impact social et sociétal au Nigéria. Ce projet soutient notamment des start-up - dans le cadre de Choose Africa, une initiative de la France mise en œuvre par le Groupe AFD pour accompagner et financer 10 000 start-up et TPME africaines d’ici 2022- et finance des projets d’énergies renouvelables et d’efficacité

énergétique.Un autre projet ayant bénéficié de la garantie Euriz a été signé en Mauritanie,en décembre 2019,avec un acteur majeur du financement de l’entrepreneuriat, Attijari Bank Mauritanie (ABM).Proparco a octroyé une garantie de portefeuille qui cible les secteurs de l’agriculture, de la pêche, de l’éducation et de la santé.

Proparco parvient ainsi, grâce à l’UE qu’elle mobilise depuis son accréditation en 2015, à soutenir davantage d’opérations que ce que sa propre structure financière et organisationnelle lui permet. Proparco peut ainsi aujourd’hui appuyer le financement de nouveaux types de clientèles, plus risquées pour les banques mais porteuses d’impacts positifs majeurs.

Camille Severac, Responsable de la cellule Accompagnement Technique et mixage des ressources

Groupe AFD soutenu par l’UE dédié au financement des énergies renouvelables hors réseau en Afrique. En investissant dans Rensource,Proparco grâce à l’appui de l’UE contribue à faciliter l’accès à l’énergie dans un contexte de déficit énergétique important et croissant au Nigéria, une priorité commune.

Grâce à Euriz, un nouveau mécanisme de garantie mis en place avec l’Union Européenne (UE), plus de 6 200 PME africaines - dont 1 200 dans les pays fragiles - devraient bénéficier dans les prochaines années de prêts pour créer leur projet ou développer leur activité. C’est aussi avec le soutien de l’UE que Proparco a investi en fonds propres dans la société Rensource, une entreprise spécialisée dans les énergies renouvelables au Nigeria. Une opération réalisée dans le cadre de la facilité Africa Renewable Energy Scale-up (ARE Scale-up), un outil du

Pourl’accès à ces outils,pourla mise en place de mécanismes innovants mais aussi pour la richesse des échanges techniques et la complémentarité de nos différentes actions, Proparco souhaite poursuivre et approfondirson partenariat avec l’UE afin de renforcer l’impact de ses activités.


INTERNATIONAL

UNION EUROPÉENNE-UNION AFRICAINE

Carlos Lopes Conseiller à la présidence de l’UA

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ERIC PIERMONT/AFP

« L’Europe doit traiter l’Afrique en adulte » Propos recueillis par OLIVIER CASLIN

epuis le 2 juillet 2018 et le sommet de Nouakchott, l’Union africaine (UA) a t rè s o f f i c i e l l e m e n t appointé Carlos Lopes pour l’épauler lors des délicates négociations avec la Commission européenne. En tant que conseiller à la présidence, l’économiste bissau-guinéen dispose de l’oreille attentive de Cyril Ramaphosa et travaille en étroite collaboration avec la commission dirigée par Moussa Faki.

Un avis qui compte à Addis-Abeba et irrite parfois Bruxelles. Jeune Afrique: Qu’attend aujourd’hui l’Afrique de l’Europe ? Carlos Lopes : Nous voulons sortir

d’une relation asymétrique, entre une partie qui a les moyens, et donc décide des priorités, et une autre qui doit s’adapter. La relation doit changer de mode de fonctionnement. Et nous attendons pour cela de disposer d’un instrument de gouvernance de

continent à continent qui aujourd’hui n’existe pas. Nous ne voulons plus d’une relation centrée sur l’aide mais sur les intérêts communs en matière de commerce, de paix et de sécurité, de migration et de changement climatique. Dans ces quatre domaines sur lesquels nous pouvons introduire des conditionnalités nouvelles, nous devons pouvoir discuter en direct, sans intermédiaire, dans un cadre aux responsabilités bien établies, avec des obligations de part et

VERS UN REGROUPEMENT DES INSTRUMENTS FINANCIERS Contrairement aux idées reçues, l’UE reste bien le premier partenaire économique de l’Afrique. Le rythme n’est peut-être pas aussi soutenu qu’avec Pékin, mais Bruxelles fait toujours la course en tête (voir infographie). C’est justement pour accélérer la cadence et « inverser les narratifs », explique un fonctionnaire européen, que les deux dernières Commissions tentent d’accorder les nombreux instruments financiers à leur disposition pour mettre en musique la politique d’action extérieure communautaire. En 2018, l’UE a débloqué, tous mécanismes et tous pays confondus, plus de 74 milliards d’euros, soit 57 % du montant total investi dans la coopération, contre à peine 10 % pour la Chine. Et personne ne le sait. Alors, pour apporter un peu de cohérence, comme demandé par le « comité des sages » en décembre 2019, et tisser « ce nouveau partenariat avec l’Afrique », la Commission a repris à son compte la proposition émise en juin 2018 de regrouper ses instruments financiers de coopération extérieure en un seul. Si son principe était entériné lors des négociations en cours sur le prochain budget communautaire 2021-2027, ce nouvel Instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (Ndici) disposerait

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d’une enveloppe globale de 32 milliards d’euros pour l’Afrique subsaharienne, plus 22 milliards pour la politique de voisinage, qui concerne le nord du continent. Cette possible réorganisation des fonds a déjà rallumé la vieille querelle institutionnelle entre la Banque européenne d’investissement (BEI) et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) que certains rêvent d’éteindre avec la création d’une « super-banque européenne de développement », également suggérée par les sages. L’arrivée d’un tel bras financier permettrait de renforcer le volet externe de l’ambitieux Plan européen d’investissement (PIE), adopté en 2017 par la Commission Juncker, qui, pour la première fois, place le secteur privé au rang des priorités. En plus de vouloir contribuer à l’amélioration du climat des affaires dans les pays partenaires, le PIE apporte la garantie communautaire aux projets soutenus par les agences de développement des différents pays membres, ainsi que par les institutions financières internationales. Doté d’un fonds de démarrage de 4,1 milliards d’euros dès cette année, il doit permettre de mobiliser jusqu’à 44 milliards d’euros. O.C.


COMMUNIQUÉ

African Trade Insurance Agency (ATI) /Assurance

AVIS D’EXPERT

Kenya ReTowers, 5th Floor, Off Ragati Road, Upperhill P.O. Box 10620, G.P.O. 00100 - Nairobi, Kenya Tél. : +254 (0)20 272 6999 Email : info@ati-aca.org

www.ati-aca.org

Promouvoir l’énergie propre en Afrique en encourageant l’investissement privé L

a population en Afrique augmente rapidement ; elle attein-

Ici, l’assurance a un rôle à jouer. Les

dra deux milliards d’habitants en

investisseurs privés peuvent être at-

2040.La faim d’énergie augmente en

ténués par l’Agence pour l’Assurance

conséquence.Aujourd’hui, 600 mil-

du Commerce en Afrique (ATI). L’ATI

lions d’Africains n’ont pas accès à

est une institution panafricaine d’as-

un approvisionnement énergétique

surance contre les risques d’entreprise

Obbie Banda,

Thomas Pohl,

moderne. Souvent l’électricité est

en Afrique, entre autres dans le sec-

Assurance du Commerce en Afrique (ATI-ACA)

KfW Banque de Développement Projets d’énergie Afrique australe

risques auxquels sont confrontés les

disponible quelques heures par

teur de l’énergie. Fondée en 2001, elle

jour seulement. L’Afrique est donc

compte aujourd’hui 17 États membres,

déjà confrontée à un grave déficit

dont l’Éthiopie, le Kenya, le Nigeria et

énergétique et la demande va encore

le Rwanda, et 10 actionnaires institu-

augmenter. Cette demande supplé-

tionnels dont la Banque africaine de

mentaire peut et doit être couverte

développement.

par des sources d’énergie largement renouvelables.

L’ATI ne peut cependant pas prendre l’intégralité du risque des projets, ce

Toutefois, cela nécessite des investis-

qui surchargerait son bilan.Pour cette

sements d’environ 20 milliards USD

raison elle collabore avec des compa-

par an, qui ne peuvent être couverts

gnies de réassurance et des donateurs

par les seuls budgets publics. Mais

publics pour transférer le risque. La

« Nous fournissons des solutions innovantes permettant davantage d’investissements dans les énergies renouvelables en Afrique. » John Lentaigne, Directeur Général Intérimaire, ATI-ACA

l’engagement des investisseurs privés dans des projets d’énergie renouvelable est souvent entravé par des restrictions de la capacité de crédit des gouvernements et opérateurs africains. Les risques entrepreneuriaux sont donc perçus comme élevés. Pour lever cet obstacle structurel, une action vigoureuse s’impose.

KfW, banque de développement allemande,ensemble avec Munich Re et la Banque européenne d’investissement, permet à l’ATI d’offrir exactement les régimes d’assurance requis pour des investissements privés à long terme. La KfW apportera 50 millions USD comme garantie de deuxième perte pour couvrir des projets d’une valeur

supérieure à 1 milliard USD. Ceci est rendu possible par une garantie de l’Union européenne, à savoir le Fonds européen pour le développement durable. Ainsi, des risques sont éliminés qui freinent les investissements privés dans l’expansion des énergies renouvelables. En fait, le potentiel est gigantesque : l’Afrique vient juste de commencer à utiliser ses vastes ressources. En outre, le projet approfondit le partenariat entre les institutions et les investisseurs européens et africains - un objectif déclaré de l’UE et du gouvernement allemand. Une atténuation adéquate des risques décide souvent de la réussite d’un projet.Or,l’ATI et ses partenaires fournissent des solutions innovantes pour promouvoir les investissments dans les énergies renouvelables en Afrique.


INTERNATIONAL

UNION EUROPÉENNE-UNION AFRICAINE

d’autre selon des engagements mutuels. Et je constate avec satisfaction qu’après avoir longtemps résisté la Commission européenne semble prête à en accepter le principe. Que pensez-vous justement de cette nouvelle commission ?

Les positions prises par Ursula von der Leyen sont très encourageantes. Elle a réservé son premier déplacement officiel à l’UA et elle est venue à Addis-Abeba avec 23 commissaires, ce qui n’était encore jamais arrivé, pas même à Bruxelles. Les déclarations de Josep Borrell vont également dans le bon sens en ce qui concerne la mobilité et la relation politique entre les deux continents. Maintenant, il reste à mesurer cette évolution de manière concrète. Et la stratégie africaine présentée à Bruxelles au début de mars ?

Ils ont fait leurs propositions, nous ferons les nôtres, et nous trouverons le meilleur chemin entre les idées des uns et des autres. L’histoire entre nos deux continents est toujours très émotionnelle. Et cela peut rapidement provoquer un déficit de confiance. Pour éviter cela, il faut traiter l’Afrique en adulte, et j’espère que la nouvelle commission le fera. L’Afrique peut-elle se passer du soutien de l’UE ?

Les Africains ont toujours regardé ailleurs. C’est dans leur intérêt. L’Afrique a actuellement de fortes relations d’un point de vue économique avec la Chine. Et il est dans son intérêt de maintenir ces relations fortes qui injectent beaucoup de capital et provoquent donc d’importantes transformations à travers le continent. Mais cela ne se fait pas au détriment de l’Europe. Au contraire, nous

aimerions qu’elle soit, en matière de progression de ses investissements et de ses échanges commerciaux, au même niveau que la Chine. Qu’est-ce que l’Europe devrait faire pour redonner confiance à l’Afrique et montrer qu’elle est bien le partenaire particulier qu’elle assure être ?

Elle semble déjà ne pas saisir l’opportunité apportée par la pandémie pour voir au-delà. Peut-être devrait-elle simplement écouter les dirigeants de certains de ses pays membres, partager par exemple l’enthousiasme pour l’Afrique que semblent vouloir communiquer Mme Merkel et M. Macron aux acteurs économiques de leurs pays. Même si le rôle le plus important reste tenu par la Commission. C’est la direction que prendra Bruxelles qui permettra de combler ou non ce déficit de confiance.

UE, premier partenaire de l’Afrique 235 Échanges commerciaux avec l’Afrique en 2018 (en milliards d’euros)

222

Stock des investissements directs étrangers en 2017 en Afrique (en milliards d’euros)

125

Aide publique au développement en 2018 (en milliards d’euros)

19,6

Union européenne

Part des échanges commerciaux (en %)

38 46 % du total reçu par l’Afrique

Chine

32 %

46

42

États-Unis 6%

SOURCE : UE

100

no3089 – JUIN 2020

17 %


COMMUNIQUÉ

AVIS D’EXPERT

Banque européenne d’investissement (BEI) 98-100, boulevard Konrad Adenauer L-2950 Luxembourg, Luxembourg E-mail : barragam@eib.org

www.eib.org

La crise du Covid-19 est une opportunité pour relancer une économie plus verte Quelle a été la réponse de la Banque européenne d’investissement (BEI) à la crise sanitaire liée au Covid-19 en Afrique ? La réponse de la BEI a été rapide et d’envergure. L’objectif est de lutter à la fois contre la crise sanitaire et la crise économique qui en découle. Dès le 8 avril, nous avons annoncé une enveloppe de 5,2 milliards d’euros consacrée aux pays situés en dehors de l’UE, dont 3 milliards pour l’Afrique. Il s’agit d’une première réponse destinée à : • soutenir les États africains en matière de santé mais également d’eau et d’assainissement ; • appuyer ces États pour leur permettre d’aider les entreprises victimes de la crise et ainsi préserver les emplois ; • travailler étroitement avec les banques et les institutions financières africaines avec la mise en place de nouvelles lignes de crédit destinées principalement aux PME et un mécanisme renforcé de partage des risques. Nous accélérons également le déboursement de lignes de crédits existantes pour donner de la liquidité aux entreprises en difficulté ; • prêter directement aux grandes entreprises locales des secteurs de la santé et du digital. Nous accordons une attention particulière à la question du genre afin

de soutenir les entreprises dirigées par des femmes et/ou employant un nombre élevé de femmes. Comment intervenez-vous dans la lutte contre le changement climatique ? En tant que banque du climat,le développement durable et la lutte contre le changement climatique sont au cœur des priorités de la Banque de l’Union européenne. D’ici 2025,nous y consacrerons 50 % de nos financements. Nous intervenons dans des projets en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (transports urbains, énergies renouvelables, systèmes solaires off-grid, etc.) et d’adaptation au changement climatique (agriculture, prévention des crues, etc.).

Maria Shaw Barragan, Directeur des Prêts Afrique, Caraïbes, Pacifique,Asie et Amérique latine à la Banque européenne d’investissement (BEI)

Comment voyez-vous l’avenir du partenariat avec l’Afrique ? Nous sommes tous confrontés aux mêmes défis. L’UE et la BEI souhaitent travailler avec l’Afrique pour élaborer ensemble des réponses communes. Ce partenariat se traduit par une coopération étroite avec

Nous apprenons beaucoup des Africains grâce à leur dynamisme et à leur capacité à nous aider à trouver des solutions concrètes. C’est un partenariat dans les deux sens. Le Covid-19 ne doit pas conduire à relâcher nos efforts dans ce domaine. Bien au contraire. La crise sanitaire doit être une opportunité pour agir autrement, intensifier la lutte contre le changement climatique et promouvoir un développement durable et responsable.

toutes les parties prenantes (gouvernements, entreprises privées, etc.) dans la mise en œuvre des projets. En retour, nous apprenons beaucoup des Africains grâce à leur dynamisme et à leur capacité à nous aider à trouver des solutions concrètes. C’est un partenariat dans les deux sens.


ÉCONOMIE

ENQUÊTE / L’INFOGRAPHIE / STRATÉGIE / DÉBATS

FINANCE

Les sentinelles du Trésor Face aux crises et à leur lot de sombres conjectures, les gouverneurs de banques centrales doivent se montrer réactifs, tout en veillant à préserver les fondamentaux. Plongée, de Rabat à Dakar, au cœur d’un métier à très haute responsabilité. JOËL TÉ-LÉSSIA ASSOKO, EL MEHDI BERRADA, à Casablanca, NADOUN COULIBALY, à Ouagadougou, et OMER MBADI, à Yaoundé 102

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108 Ethiopian Airlines Interview du DG, Tewolde GebreMariam

111 Andela La start-up à la recherche d’un nouveau modèle

112 Isabel dos Santos La milliardaire mobilise son dernier carré de fidèles

« Il existe un principe en économie, connu sous le nom de “modèle de Dornbusch”, selon lequel une crise prend plus de temps à se produire que vous ne le pensez, mais se produit ensuite plus vite que vous ne pouvez le croire », avertissait en mars Lesetja Kganyago, gouverneur de la South African Reserve Bank. Depuis, les prévisions de croissance ont toutes basculé dans le rouge. Le FMI prévoit un recul de 1,6 % du PIB en Afrique subsaharienne en 2020, après une hausse de 3,1 % l’an dernier.

De g. à dr.: Abbas Mahamat Tolli, gouverneur de la Beac; Abdellatif Jouahri, gouverneur de Bank Al-Maghrib; Tiémoko Meyliet Koné, gouverneur de la BCEAO.

S

igne : ferme. Ascendant : méthodique. De Rabat à Dakar et à Yaoundé, cette image revient régulièrement lorsqu’il s’agit de décrire ces gardiens du temple de l’économie que sont les gouverneurs des banques centrales des pays africains. Le grand public connaît généralement leurs noms mais ne les observe qu’à distance, lors d’épisodiques conférences de presse où ils annoncent de cryptiques ajustements de divers taux d’intérêt et autres outils de politique monétaire. Ces influents mais souvent discrets serviteurs de l’économie ont rarement occupé une place aussi importante qu’en ce moment, alors qu’une triple crise – sanitaire, économique et énergétique – ébranle les fondements des pays du continent. Et leur mission paraît plus compliquée que d’ordinaire : réagir promptement à la crise tout en veillant à préserver les grands indicateurs économiques (monnaie, niveau des prix, réserves de devises…)

FERNAND KUISSU POUR JA ; YOUSSEF BOUDIAL/REUTERS ; CLÉMENT TARDIF

Outils ajustés et vannes ouvertes

Qu’ils se nomment Abdellatif Jouahri (gouverneur de Bank Al-Maghrib, au Maroc – BAM), Tiémoko Meyliet Koné (BCEAO), Abbas Mahamat Tolli (Beac), Marouane Abassi (Tunisie), ou encore Godwin Emefiele (Nigeria), Patrick Ngugi Njoroge (Kenya) ou Lesetja Kganyago, tous sont très vite montés au créneau face à la crise actuelle. « La BCEAO a lancé une fenêtre de refinancement, “Covid-19 T-Bills”, qui permet à chaque État de l’Uemoa d’émettre un nombre limité de bons du Trésor spéciaux que les banques pourront utiliser en garantie pour obtenir un refinancement à un taux fixe de 2,5 % », note un économiste ouest-africain qui salue l’intervention de Tiémoko Meyliet Koné (71 ans). « Nos États avaient besoin de renfort face au Covid. Et le gouverneur Koné a répondu en ajustant les outils pour permettre à nos pays de respirer », explique notre source. Au Maroc, Abdellatif Jouahri (80 ans), longtemps sceptique quant à une révision du taux directeur – le taux d’intérêt auquel les banques commerciales obtiennent des liquidités –, a acquiescé, le 17 mars, à une baisse de 25 points de base à 2 % de cet indicateur, désormais à son plus bas niveau depuis 1996! Une semaine auparavant, le 9 mars, celui dont le mandat à la tête de BAM, entamé en 2003, a été renouvelé ce même mois par Mohammed VI, avait approuvé un relâchement de la bande de flottement du dirham élargi de ±2,5 % à ±5 %. « Cela permettra non seulement de contribuer au développement du marché des changes marocain, mais également de renforcer la résilience de l’économie et sa capacité à absorber les chocs externes », a expliqué Abdellatif Jouahri. Le 30 mars, BAM a aussi « ouvert les vannes », triplant la capacité de refinancement offerte aux banques commerciales pour soutenir l’accès au crédit des ménages et des entreprises. Un choix salué par l’économiste marocain Nabil Adel, pour qui des solutions telles que le financement direct de la dette du Trésor auraient été néfastes.

no3089 – JUIN 2020

103


ÉCONOMIE

FINANCE

Si, en Afrique centrale, Abbas Mahamat Tolli (48 ans) a peut-être accusé un certain retard à l’allumage dans la réponse au Covid19, le Tchadien s’est repris. La baisse du taux directeur est intervenue le 27 mars, ainsi que la décision de doubler à 500 milliards de F CFA (762 millions d’euros) le volume hebdomadaire de liquidités injectées dans l’économie. La Beac a mis 90 milliards de F CFA à la disposition de la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC) et repoussé d’un an le remboursement de 2770 milliards de F CFA de créances des États prévu pour la fin de 2021.

Maintien de la stabilité des prix

« Dans toute l’Afrique, les banques centrales ont réagi de manière assez rationnelle », estime David Cowan, économiste en chef Afrique de Citi. Ces réactions promptes suffiront-elles à mitiger les effets de la crise ? Selon cet expert passé par la Banque centrale du Botswana, dans plusieurs pays du continent : « Les taux directeurs étaient déjà bas, or avec une crise comme celle du Covid-19, nous sommes confrontés à un choc de la demande, et la politique monétaire n’aura qu’un impact limité. Ce qu’il faut maintenant, c’est un stimulus budgétaire, mais peu d’États de la région disposent de la latitude fiscale nécessaire. » Pour Tarik El Malki, enseignant-chercheur en économie, les mesures d’assouplissement

LE SPECTRE DE L’HYPERINFLATION DU ZIMBABWE ET DE L’EXZAÏRE OU LE CHOC DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA DE 1994 N’ONT JAMAIS DISPARU.

FRANC CFA ET BEAC: CAFOUILLAGE À YAOUNDÉ La Banque des États de l’Afrique centrale (Beac) se serait bien passée d’une nouvelle polémique sur le risque de dévaluation du franc CFA. À cette différence près qu’une « bourde » est cette fois venue de l’intérieur, mettant les médias de la région en ébullition. S’inquiétant d’une « propagation rapide et de grande ampleur de la crise du Covid-19 », le dernier rapport sur la politique monétaire mentionne clairement – un passage ayant échappé à la vigilance des relecteurs de la banque centrale – que « la Beac serait de nouveau soumise aux mêmes risques sur la parité de sa monnaie qu’à la fin de 2016 » en l’absence d’une cure d’austérité des États membres et de nouveaux financements extérieurs. Abbas Mahamat Tolli a tenté d’éteindre l’incendie le 12 mai, en insistant sur la consistance des réserves de change, qui représentent cinq mois d’importation. Omer Mbadi, à Yaoundé

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no3089 – JUIN 2020

prises par Bank Al-Maghrib ne sont que « d’ordre conjoncturel ». Selon le directeur de l’Iscae Rabat, les « missions dévolues à la banque centrale sont très réduites et se limitent au maintien de la stabilité des prix », sans intégrer les objectifs du plein-emploi, ou de la croissance économique. Il voudrait que la monnaie soit un levier, avec d’autres outils, au service du développement économique des pays. Dans l’entourage des gouverneurs africains, nombreux sont ceux qu’exaspère la mécompréhension générale des limites des instruments de politique monétaire, mais également des dangers inhérents à leur mauvaise utilisation. Autrement dit : si les capacités des banques centrales à booster la croissance sont restreintes, les dangers posés par un relâchement incontrôlé des instruments monétaires demeurent immenses et sous-estimés. « Malgré la nécessité d’un stimulus monétaire, le Comité de politique monétaire de la Banque centrale du Nigeria doit maintenir des taux stables pour protéger la monnaie d’une nouvelle dépréciation après que la devise nationale s’est affaiblie sur le marché parallèle. Et que l’inflation a atteint 12,34 % », rappelle pour sa part Murega Mungai, analyste chez le courtier en devises AZA. Pour beaucoup de gouverneurs, le spectre de l’hyperinflation du Zimbabwe et de l’ex-Zaïre ou le choc de la dévaluation du franc CFA de 1994 n’ont jamais disparu. D’où un mélange de prudence et de flegme – voire d’indifférence, c’est selon – vis-à-vis de leurs détracteurs. Le profil des gouverneurs africains ne serait pas pour rien dans leur approche plus modérée. Ils sont en effet nombreux à être passés par la recherche (Abassi, économiste de métier) ou la haute administration publique (Koné, Jouahri, Kganyago, Abbas Tolli), plus rarement par les banques privées (Godwin Emefiele, ex-patron de Zenith Bank) ou les institutions financières internationales (Patrick Ngugi Njoroge, ancien du FMI). « Un gouverneur de banque centrale ayant une expérience du secteur financier [privé] est associé à trois fois plus de mesures de déréglementation qu’un gouverneur n’ayant pas cette expérience », notent Prachi Mishra (FMI) et Ariell Reshef (Paris School of Economics) dans une étude de mai 2018.


PATRICK MEINHARDT POUT TAR ; CHRIS J. RATCLIFFE/GETTY IMAGES

Patrick Ngugi Njoroge (à g.), gouverneur de la banque centrale du Kenya, et Godwin Emefiele, son homologue de la Banque centrale du Nigeria.

Au cœur du système depuis près de soixante ans, Abdellatif Jouahri connaît parfaitement les arcanes du pouvoir et peut compter sur la confiance du roi. Il a intégré la première fois la banque centrale à l’âge de 23 ans, en 1962, avant de rejoindre, en 1978, le gouvernement formé par Ahmed Osman, qui le prend sous son aile et lui confie la Réforme des entreprises publiques. Il devient ensuite ministre des Finances, pour cinq ans, avec les gouvernements de Maati Bouabid et de Mohamed Karim Lamrani.

Équation, sacerdoce, obsession

À sa sortie, on lui confie les clés de BMCE, qu’il remet en forme avant sa privatisation, en 1995, avant de diriger la Caisse interprofessionnelle marocaine de retraite puis d’être promu à la tête de BAM. Aussi accueille-t-il avec détachement les frondes d’où qu’elles viennent. Critiqué récemment par le haut-commissaire au Plan, Ahmed Lahlimi, pour sa politique conservatrice et sa volonté de maintenir l’inflation à des niveaux bas, le gouverneur de la banque centrale s’est borné à rappeler à l’ex-ministre de l’Économie sociale la « complexité » de l’équation et la nécessité de veiller aux autres équilibres. « C’est lui [ministre des Finances entre 1981 et 1986] qui a géré le plan d’ajustement structurel que nous avaient imposé le FMI et la Banque mondiale, en 1983. C’était une période

très difficile pour tous, mais il a eu le dos large », rappelle l’ex-dirigeant d’une banque marocaine, qui préfère garder l’anonymat. Selon lui, la fermeté du wali de la Banque centrale viendrait précisément de la hantise de revivre cette époque où le royaume était en cessation de paiements. Il en va ainsi également du gouverneur Koné – à l’origine de la création de l’agence UmoaTitres qui a aidé les pays de la zone à mobiliser 12000 milliards de F CFA –, décrit comme un dirigeant réservé mais généreux avec ses équipes et pour qui, selon un fin connaisseur de l’institution régionale, sa fonction est « un sacerdoce ». L’Ivoirien a passé l’essentiel de sa carrière à la BCEAO, dont il a gravi tous les échelons (contrôleur général, conseiller du gouverneur, directeur national, directeur du patrimoine…). « C’est un gouverneur au service de l’union », insiste un de ses proches, pour qui le patron de la BCEAO inscrit son mandat dans la continuité de ses devanciers – souvent illustres, tels qu’Alassane Ouattara, futur chef de l’État, et Charles Konan Banny (futur Premier ministre et candidat à la présidentielle de 2015). Ce haut fonctionnaire de métier, longtemps détaché des joutes politiques hormis un bref passage au gouvernement, est un ami de longue date d’Abdellatif Jouahri. Comme son homologue marocain, il peut se montrer impassible face

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ÉCONOMIE

FINANCE

Limites de la politique monétaire

Malgré ces réussites, les motifs d’insatisfaction demeurent. Comme le rappelle David Cowan, « généralement les banques centrales du continent font de bonnes analyses et adoptent de bonnes politiques, mais leur succès demande une forte coordination avec le volet fiscal. Et c’est là qu’il reste beaucoup de travail à faire ». À preuve, la lutte menée par Marouane Abassi contre l’inflation a été longtemps contrecarrée par un déficit public persistant. Pour David Cowan, une meilleure coordination entre les politiques monétaires et fiscales existe au Maroc, tandis que l’adhésion aux restrictions sur le déficit du franc CFA limite les divergences dans la zone Uemoa. La situation est un peu plus problématique dans la zone Cemac, où les États ont par le passé eu recours au financement de la Banque centrale. Une pratique à laquelle Abbas Tolli aurait mis un frein. « Nous devons prendre conscience des limites de ce que la politique monétaire peut faire pour la croissance », insistait au début de mars Lesetja Kganyago, réfutant « un malentendu de longue date » selon lequel « il suffirait de réduire les taux d’intérêt pour avoir plus de croissance ». Il a plaidé au contraire pour des réformesmacroéconomiquesprofondes,devant encourager « l’épargne, l’investissement, les exportations et accroître la productivité ». « Cela ne se fera pas sans peine, mais plus nous tarderons, plus ce sera douloureux », avait-il insisté. Un plaidoyer auquel se joindraient nombre de ses homologues, praticiens du métier le plus mal compris de la finance africaine.

LA FERMETÉ ET L’INDÉPENDANCE SONT INDISPENSABLES À LA RÉUSSITE D’UNE MISSION QUE LA PRESSION REND QUASI IMPOSSIBLE.

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CORIS BANK

ILS ONT DIT D’EUX

IDRISSA NASSA Président du CA de Coris Bank, au sujet de Tiémoko Meyliet Koné, gouverneur de la BCEAO « C’est un rénovateur qui a le courage de ses idées. Sous son mandat, les rapports avec les banques commerciales se sont améliorés. » H. KANG/REUTERS

supérieure à 6 % entre 2015 et 2019 et une inflation maintenue au-dessous de 2 %. Preuve s’il en fallait, selon eux, de l’absence d’une contradiction entre dynamisme économique et maîtrise de l’inflation. À Rabat, les partisans d’Abdellatif Jouahri pointent pêle-mêle la mise en place réussie de la flexibilité du dirham en janvier 2018, l’entrée en vigueur en juillet dernier de nouveaux statuts pour la banque centrale assurant son indépendance financière et administrative. « BAM a continué à renforcer et à moderniser le cadre de la politique monétaire […], en accordant une attention particulière à la satisfaction des besoins des PME », soulignaient, en janvier, les équipes du FMI.

RIGOBERT ROGER ANDELY Ancien ministre congolais de l’Économie, au sujet d’Abbas Tolli, gouverneur de la Beac: « Plus que tout, son intelligence et son management collaboratif le qualifient pour ce poste. »

DR

aux critiques – acerbes, constantes et parfois déraisonnables –, notamment dans le cas du franc CFA. « Un banquier central dans un régime de change fixe doit avant tout veiller à la stabilité extérieure de la monnaie. Ainsi, le niveau des réserves et le taux de couverture extérieur de la monnaie sont les indicateurs qu’il surveille quasi quotidiennement, au point d’en faire une obsession », martèle pour sa part un proche d’Abbas Mahamat Tolli, gouverneur de la Beac. Pour le dirigeant tchadien, ancien ministre des Finances de son oncle le président Idriss Déby Itno, dont il fut également directeur de cabinet, la fermeté et l’indépendance sont indispensables à la réussite d’une mission quasi impossible tant les pressions aussi bien externes qu’internes sont pléthore. « La Beac ne saurait s’afficher comme un îlot de prospérité et d’opulence dans une sous-région en crise », clamait-il dès sa prise de fonctions, en février 2017, avant d’engager une intense réduction du train de vie de l’institution. Malgré la grogne du secteur privé et en particulier de l’industrie extractive, l’ancien patron de la BDEAC fait appliquer la réglementation sur la domiciliation des réserves de change, approuvée des années auparavant. « Il a mis les banquiers et les patronats au pas par rapport à l’application de cette réglementation, et continue de tenir tête au lobby pétrolier sur ce dossier, en dépit du manque de soutien de certains ministres des Finances », se réjouit un cadre de la banque régionale. Preuve de l’efficacité de l’approche du gouverneur: « Les marchés interbancaires et ceux des titres publics ont véritablement pris leur envol sous son impulsion », soutient notre interlocuteur. Une réussite qui dénote « son intelligence et son management collaboratif », que lui reconnaît Rigobert Roger Andély, ancien ministre de l’Économie du Congo, qui fut le numéro deux de la Beac. Même son de cloche depuis Dakar parmi les proches de Tiémoko Meyliet Koné, qui demandent à juger son action au vu des résultats de la zone. Les professionnels du marché Uemoa lui reconnaissent le mérite d’avoir découragé les recours inconsidérés aux financements de la banque centrale. Tandis que ses équipes soulignent les performances économiques de la zone, avec une croissance

TARIK EL MALKI Chercheur en économie, directeur de l’Iscae, au sujet de Bank Al-Maghrib « Les missions dévolues à la Banque centrale sont très réduites et se limitent au maintien de la stabilité des prix. »


L’INFOGRAPHIE HYDROCARBURES

30 projets à l’épreuve de la crise

Retardés, suspendus, voire risquant l’annulation, les plus grands chantiers d’extraction de pétrole et de gaz du continent connaissent des situations contrastées. Alors que le cours du baril a fondu de moitié depuis le début de 2020 et que les compagnies réduisent leurs investissements, Rystad Energy a mis à jour pour JA ses données et prévisions pour ces projets cruciaux. Projet pétrolier

Projet gazier

taille des réserves en millions d'équivalents barils

Seuil de rentabilité : prix de vente du pétrole brut par baril ( $ ) prix de vente du gaz naturel par millier de pieds-cubes ( $ )

Sangomar Phase 1 (Woodside) 55,60 225 projet

ALGÉRIE

exploitant

Hassi Messaoud (Sonatrach) 39,34 225 2022 Hassi R’Mel Phase 3 (Sonatrach) 65,50 270 2023

seuil de rentabilité

2027

date estimée de l'entrée en exploitation

ÉGYPTE

Tinrhert (Sonatrach) 5,42 175 2021

Atoll Phase 2 (Pharaonic) 5,99 110

Gassi Touil (Sonatrach) 4,80 120 2023

2021

Raven (WND) (BP) 14,60 300 2021

Ain Tsila (Sunny Hill) 2,40 480 2023

MAURITANIE

OUGANDA

Grand-Tortue Ahmeyim (BP) 5,50 495 2023

Tilenga (Total) 40,35 825 2027

GTA LNG Hub (BP) 7,30 1 420 2027

Kingfisher Sud (CNOOC) 48,00 195

2027

SÉNÉGAL Sangomar Phase 1 (Woodside) 55,60 225 2023

KENYA

Yakaar (BP) 5,32 220 2025

Lokichar Sud Phase 1 (Tullow Oil) 60,65 215 2025

GHANA MTAB (Mahogany Est & Teak) (Tullow Oil) 34,55 70

2017

Pecan (Aker energy) 49,00 300 2027

MOZAMBIQUE NIGERIA

Coral FLNG (Eni) 6,50 440

2023

Anyala et Madu (OML 85) (First E&P) 49,83 170

2021

Area 4 LNG (T1-T2) (ExxonMobil) 6,00 2 325 2027

Preowei (Egina FPSO) (Total) 43,30 145

2027

Area 1 LNG (T1 - T2) (Total) 6,00 3 590 2024

2030

Etan - Zabazaba (Eni) 41,95 510

2032

ANGOLA Zinia 2 (Total) 50,30 75

2021

ANOH Phase 1 (Shell)

4,36

330

2022

Platina (BP) 32,60 100 2022

NLNG Seven Plus (NNPC)

8,40

1 450

2025

PAJ (bloc 31) (BP) 47,80 150 2025

HA (Shell)

6,00

210

2026

Agogo FFD (Eni) 44,80 180 2025

SOURCE : RYSTAD ENERGY / JA

Bonga Sud-Ouest - Aparo (Shell) 58,75 630

no3089 – JUIN 2020

107


ÉCONOMIE

TRANSPORT AÉRIEN

Le DG (ici, le 21 avril) a en janvier dernier entamé sa dixième année à la tête de la compagnie.

Tewolde GebreMariam Directeur général

« Nous voulons devenir la compagnie officielle d’Alibaba en Afrique » Futur aéroport d’AddisAbeba, extension de la flotte et du réseau, diversification… Malgré la crise, le patron de la première compagnie du continent maintient le cap sur ses objectifs et, fort de liens toujours plus privilégiés avec la Chine, affiche de grandes ambitions.

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MICHAEL TEWELDE/AFP

ETHIOPIAN AIRLINES

de guerre » contre l’épidémie. Sur les tarmacs de nombreux aéroports africains, mais aussi en Espagne, en Italie ou au Portugal, c’est en effet l’une des premières à avoir livré du matériel sanitaire en provenance de Chine. Une souplesse dans la reconversion temporaire de ses activités qui, si elle ne l’éloigne pas des difficultés qui frappent l’ensemble du secteur aérien, ne fait que l’encourager à poursuivre la diversification de ses activités engagée depuis une dizaine d’années. Alors qu’il ignore la date et l’ampleur de la reprise, Tewolde GebreMariam maintient son cap sans ciller. Reste à savoir si, dans un ciel africain où les victimes s’annoncent nombreuses, Ethiopian Airlines peut être l’architecte de la reconstruction du secteur. Jeune Afrique : Votre compagnie a perdu 500 millions de dollars entre janvier et avril. À combien s’élèvent ses pertes aujourd’hui ? Tewolde GebreMariam : Ce ne sont

pas des pertes financières mais plutôt un manque à gagner, car nos avions sont cloués au sol. C’est ce que nous aurions généré si nous avions opéré avec nos pleines capacités. On peut estimer que ce manque à gagner s’élève à 1 milliard de dollars au 15 mai. Nous ne connaissons pas l’ampleur de nos pertes. C’est au mois de juin que sera clôturée notre année financière.

Propos recueillis par RÉMY DARRAS

est un Tewolde GebreMariam se décrivant comme « très combatif » qui s’est entretenu avec Jeune Afrique. Après l’épreuve du crash du Boeing 737 Max en 2019, c’est la crise du coronavirus « d’une magnitude sans précédent » que doivent affronter Ethiopian Airlines et son DG. Si la compagnie a continué de voler vers la Chine, épicentre de l’épidémie, alors que la plupart des grands acteurs avaient interrompu leurs liaisons, ses avions-cargos sont apparus sur les écrans du monde entier pour avoir participé à « l’effort

Vous avez affirmé qu’il n’y aurait pas de licenciements. Votre trésorerie vous permet-elle de tenir ?

En effet, il n’y a pas eu de licenciement. Si nous avons pu assurer le paiement des salaires, c’est grâce à notre solide équilibre financier. Ces dernières années ont été profitables. La stratégie de diversification de nos activités dans le cargo, la maintenance ou encore l’hôtellerie démontre qu’elle est la bonne, car elle nous aide à surmonter cette période. Nous en tirons pleinement parti. Dès que l’activité de transport de passagers s’est arrêtée, nous avons pu nous tourner vers le cargo et la maintenance. Nos capacités cargo ont doublé, nous


avons converti pour le fret vingt avions de passagers [qui reviendront après la crise dans leur configuration initiale] en plus des dix Boeing 777 et des deux Boeing 737 Cargo dont nous disposions. Nous continuerons de nous développer sur ce segment. Cela nous permet de générer du cash jusqu’à ce que les activités de transport de passagers reprennent. Vous avez annoncé, le 22 avril, qu’Ethiopian Airlines « luttait pour sa survie ». Ferez-vous appel à l’État si votre situation s’aggrave ?

Nous avons engagé un programme très strict de réduction des coûts. Je n’ai jamais dit que j’en appellerai à l’État. À ce jour, nous n’avons pas besoin de lui. Nous travaillons dur pour gérer la crise en nous appuyant sur nos propres ressources. Mais si la situation empire, nous examinerons d’autres options, comme restructurer notre dette, emprunter de l’argent

United Nations

Economic Commission for Africa

pour avoir de la liquidité. Il est très difficile de savoir si la reprise sera lente ou rapide. Vous avez affirmé, en mars, que la Chine vous soutenait comme elle appuyait ses propres transporteurs. Jusqu’où va cet appui ?

Pékin a décidé d’aider toutes les compagnies qui avaient continué de voler sur son territoire parce que le secteur du transport aérien traverse une crise sans précédent. C’est un soutien très limité du gouvernement chinois, d’un montant relativement modeste, qui dépend du nombre de vols, des capacités en sièges déployées. On a reproché à l’OMS, dirigée par votrecompatrioteTedrosGebreyesus, comme à Ethiopian Airlines une trop grande proximité avec Pékin. Que répondez-vous à ces critiques ?

Elles sont parfaitement infondées !

Certes, la Chine et l’Éthiopie ont de très bonnes relations économiques et diplomatiques. Nous y volons depuis 1973, quand ce pays n’était pas aussi ouvert qu’aujourd’hui. Mais nous ne comprenons pas pourquoi nous serions les seuls à être critiqués, alors que d’autres compagnies asiatiques, comme Singapore Airlines ou Thai Airways, et du Moyen-Orient, telle Emirates, ont continué de s’y rendre. Avez-vous entretenu des échanges réguliers avec le patron de l’OMS ?

Nous avons suivi les recommandations de l’OMS. Il nous est arrivé de nous parler, d’échanger des idées… Tedros Gebreyesus fait un très bon travail !

Votre plan Vision 2025 a été accompli sept ans avant son terme et vous étiez en train de préparer Vision 2035. Allez-vous réviser vos ambitions en matière de réseau, de flotte… ?


ÉCONOMIE

TRANSPORT AÉRIEN

Nous ne changerons pas notre stratégie de long terme à cause d’une crise que nous pensons temporaire. Nous avons une soixantaine d’appareils commandés. Certains devaient arriver en 2020, d’autres en 2021. Leur livraison n’est pas suspendue mais décalée. Maintenez-vous votre commande de Boeing 737 Max ?

Nous n’avons pas encore décidé ni ne connaissons la destinée de cet avion. Cela reste en suspens. Nous entretenons de très bonnes relations avec Boeing, comme avec Airbus.

Vous conservez votre projet de construire un aéroport dimensionné pour accueillir 100 millions de passagers. Mais les prévisions de trafic sur lesquelles vous vous reposiez ne vontelles pas devenir obsolètes ?

La crise a entraîné du retard. Nous sommes tous plus ou moins en confinement. Nous allons approcher des opérateurs, des constructeurs… Peu importe le temps que prendra le rétablissement, il viendra de toute façon : nous reviendrons de manière définitive à la normale. Nous devons donc nous préparer. Notre stratégie à long terme reste inchangée. Par ailleurs, nous sommes très optimistes et pensons que le trafic entre l’Afrique et l’Asie reprendra peut-être plus rapidement qu’avec le reste du monde. Nous voulons augmenter le nombre de nos villes desservies et

NOUS ASPIRONS EN AFRIQUE À UNE INDUSTRIE AÉRIENNE DYNAMIQUE ET GÉRÉE PAR LES AFRICAINS. nos fréquences en Chine. Le trafic des commerçants africains, qui constituent l’essentiel de la clientèle sur ces lignes, sera au rendez-vous. Instaurerez-vous dans vos cabines la distanciation physique, qui n’est pas vraiment un facteur de rentabilité ?

Cette mesure n’a pas été validée. Nous attendons l’adoption d’une norme commune par l’Association internationale du transport aérien, qui ne s’y est pas montrée très favorable.

Des discussions ont été évoquées entre Ethiopian et les autorités sud-africaines pour relancer un nouveau pavillon, ainsi qu’avec Air Mauritius. Alors que beaucoup de compagnies africaines sont fragilisées, entendez-vous être l’acteur d’une certaine consolidation ?

Nous ne sommes pas en discussion avec les Sud-Africains. Car nous sommes concentrés sur la gestion de la crise. Mais quand nous serons prêts de part et d’autre, nous nous assiérons autour de la table. Il n’y a pas de négociations actives avec Air

MARIAGE QATAR AIRWAYS-RWANDAIR: « LA CONCURRENCE NE NOUS FAIT PAS PEUR » Interrogé par JA sur les ambitions de Qatar Airways en Afrique après son rachat en décembre de 60 % du nouvel aéroport de Kigali et sa volonté exprimée en février de prendre 49 % de Rwandair, Tewolde GebreMariam a affirmé: « C’est une nouvelle forme de compétition qui apparaît. Et, potentiellement, Qatar Airways est un gros compétiteur. De Kenya Airways à Egyptair, en passant par South African Airways, nous n’avons jamais manqué de concurrence en Afrique. Elle provient de toutes parts et change à toute vitesse. Nous n’en avons pas peur. La vie est ainsi faite. »

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Mauritius, mais il existe une volonté de discuter. De même, nous ne discutons pas avec Kenya Airways. En revanche, il y a des échanges continus avec Air Madagascar. Nous sommes déjà présents au capital de compagnies au Tchad, au Togo, en Guinée équatoriale, nous assurons l’assistance technique de Camair-Co, au Cameroun. Comptez-vous aller plus loin ?

Dans notre plan Vision 2025, nous voulions étendre le système de hubs en Afrique : cet objectif reste à l’ordre du jour . Notre stratégie actuelle n’est pas de prendre des parts dans tous ces transporteurs mais de les aider autant que nous le pouvons. Nous souhaitons promouvoir la solidarité parmi les compagnies africaines et entre les gouvernements. Avant la consolidation, nous devons renforcer et construire de fortes compagnies, régionales comme nationales, pour faire croître leur part de marché tout en créant des économies d’échelle. Environ 80 % du trafic en Afrique est détenu par des compagnies non africaines. Notre stratégie immédiate serait de porter la part des acteurs africains à 50 %. Nous aspirons en Afrique à une industrie aérienne dynamique et gérée par les Africains. Vous avez travaillé avec Alibaba et la Fondation Jack Ma pour la livraison de matériel sanitaire en provenance de Chine. Alibaba a fait d’Addis-Abeba, après Kigali, sa deuxième plaque tournante sur le continent. Est-ce une alliance appelée à durer ?

Nous voulons devenir la compagnie officielle d’Alibaba en Afrique. Alibaba est la plus importante plateforme d’e-commerce en Chine et a l’ambition de se positionner comme une plateforme africaine. Nous voulons coopérer. C’est un mariage naturel. Nous avons le réseau cargo le plus étendu, la flotte la plus large, le plus grand terminal cargo, le plus d’interconnexions. Alibaba peut rejoindre n’importe quel pays africain depuis Addis.


TECH

NOAM GALAI/GETTY IMAGES FOR TECHCRUNCH/AFP

Jeremy Johnson, cofondateur et DG de l’entreprise, lors de la dernière conférence TechCrunch Disrupt, à Berlin, le 12 décembre 2019.

Andela à la recherche d’un nouveau modèle Confrontée à de nombreuses incertitudes, aggravées par la pandémie, la start-up peine à définir une stratégie, en dépit des 180 millions de dollars levés depuis 2014.

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QUENTIN VELLUET

eul maître à bord d’Andela depuis juillet 2019 et le départ de sa présidente Christina Sass, Jeremy Johnson ne semble annoncer que des mauvaises nouvelles. Au début de mai, le cofondateur de la start-up américaine spécialisée dans la formation et le placement de codeurs africains pour le compte des géants internationaux de la tech a annoncé le licenciement de 10 % de ses équipes, soit 135 personnes au Nigeria, en Ouganda, au Kenya, en Égypte et aux États-Unis ; le Rwanda et le Ghana ont été épargnés. Le management a également réduit ses rémunérations. Créée en 2014, cette start-up a levé 181 millions de dollars auprès de dizaines d’investisseurs, dont le fonds TLCom Capital et la fondation de la famille de Mark Zuckerberg (Facebook).

La pandémie liée au nouveau coronavirus a certes réduit la demande et le portefeuille clients d’Andela. Mais le Covid-19 n’est pas la seule source des troubles de l’entreprise aux 50 millions de dollars de chiffre d’affaires en 2019.

Réduction des effectifs

Depuis le départ de Christina Sass, Jeremy Johnson, qui en est à sa deuxième start-up spécialisée dans la formation, ne cesse de remettre en question la stratégie à tenir pour Andela. Outre la réduction des effectifs, il a annoncé que la jeune pousse ouvrait désormais son carnet de commandes aux codeurs contractualisés à temps partiel. « À l’avenir, nous élargirons le réseau pour inclure les meilleurs ingénieurs de tout le continent, et éventuellement du monde entier, et nous n’exigerons pas que les ingénieurs soient des employés à temps plein pour postuler aux offres. »

Concentrée initialement sur la formation de profils juniors, Andela s’est plutôt réorienté vers les candidats seniors à partir de septembre 2019, avec la suppression de 420 postes de codeurs juniors formés. Faute de parvenir à les placer rapidement chez des clients comme Github, Microsoft, IBM ou Safaricom, le dirigeant formé à Princeton a décidé de concentrer ses efforts – hormis au Rwanda – sur le recrutement et le placement de profils adaptés à leurs commandes. Au début de 2020, une nouvelle salve de départs forcés est intervenue. Le nombre de codeurs licenciés reste inconnu, mais, selon le site spécialisé WeeTracker, il se pourrait que les profils intermédiaires soient à leur tour ciblés par les coupes dans les effectifs. Ce qui a majoritairement été présenté comme une erreur de lecture du marché peut aussi être interprété « au regard des attentes des investisseurs, qui doivent inciter l’entreprise à être plus rentable, plus vite », analyse un investisseur ayant requis l’anonymat. « Former des profils de débutants prend plus de temps et coûte donc plus d’argent. A fortiori quand trop de temps s’écoule sans mission », poursuit l’expert. Pour ne rien arranger, plusieurs défections sont intervenues ces dernières semaines. Depuis le 15 mai, Seni Suleyman, vice-président chargé des opérations au niveau mondial, a quitté le navire après quatre ans pour « prendre un congé sabbatique, réfléchir, lire, écrire et [se] ressourcer ». Il est remplacé par Omowale DavidAshiru, qui dirigeait auparavant la filiale nigériane. De son côté, Clément Uwajeneza, directeur d’Andela au Rwanda depuis 2018, très présent dans les médias est-africains, a aussi quitté la structure, en avril, pour diriger la technologie de la start-up BeneFactors Ltd, une jeune pousse de Kigali spécialisée dans les services financiers pour les entreprises. Il est remplacé par Mike B. Ndimurukundo, qui s’occupait jusqu’ici du développement de la communauté de codeurs au Rwanda.

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ÉCONOMIE

DÉCIDEURS

Isabel dos Santos mobilise son dernier carré de fidèles Visée par des enquêtes pour détournement de fonds publics en Angola et au Portugal, la fille aînée de l’ex-président José Eduardo dos Santos organise sa riposte depuis Londres et Paris.

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ESTELLE MAUSSION

algré des rumeurs la disant à Moscou et des déplacements récents à Lisbonne, Isabel dos Santos semble avoir choisi Londres, où elle s’est installée depuis son départ de Luanda à l’été 2018, comme quartier général. Son père vit, lui, depuis avril 2018 à Barcelone, où il observe le plus strict silence tout en demeurant un soutien indéfectible de sa fille aînée. La femme d’affaires, qui a fêté ses 47 ans en avril, s’appuie aussi sur son mari, le collectionneur d’art congolais Sindika Dokolo, monté au créneau à ses côtés en début d’année pour contrer les révélations du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) dans le cadre des « Luanda Leaks ». Depuis l’arrivée au pouvoir, en septembre 2017, de João Lourenço, successeur de son père à la présidence angolaise, et le début de ses tracas judiciaires, Isabel dos Santos a fait des réseaux sociaux son premier moyen de défense. Elle y travaille son image via de fréquents messages mettant en avant la réussite de ses entreprises, son analyse de la situation économique de l’Angola, ses réflexions sur le monde de l’après-coronavirus. Les contre-attaques face aux accusations, sur Twitter, et les photos de famille, sur Instagram, sont plus ponctuelles. Les autres interventions sont gérées depuis plusieurs années par l’agence de relations publiques portugaise LPM Comunicação, et plus précisément par sa directrice générale, Catarina Vasconcelos, professionnelle de la communication disposant de plus

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de vingt années d’expérience. C’est toutefois à un nouvel acteur, l’agence de relations publiques anglaise Powerscourt, spécialisée dans la gestion de crise et de réputation, qu’Isabel dos Santos a eu recours pour l’envoi, le 12 mai, d’un communiqué accusant la justice angolaise de s’être appuyée sur des documents falsifiés pour geler ses avoirs. Au sein de Powerscourt, créé en 2004 par l’ancien journaliste économique du Sunday Times Rory Godson, la directrice associée Victoria PalmerMoore, passée par UBS, Merrill Lynch et Morgan Stanley, a supervisé l’opération. Il est à noter que Rory Godson est également l’un des principaux conseillers en communication du financier franco-ivoirien Tidjane Thiam.

Pointures du droit

Sur le volet communication comme sur le volet juridique, celle qui était surnommée « la princesse » en Angola a l’habitude de s’entourer des meilleurs conseils. C’est plus que jamais le cas en cette période difficile. Un bataillon de pointures du droit est mobilisé pour la défendre. Dans le dossier le plus médiatique, celui des « Luanda Leaks », Isabel dos Santos a ainsi mandaté le prestigieux cabinet anglo-saxon Schillings, expert de la gestion de crise (cyberattaques, demandes de rançon, saisie d’actifs, campagnes de diffamation…) et connu pour ses clients VIP comme Cristiano

Ronaldo, le couple princier Harry et Meghan Markle, et la romancière J. K. Rowling (saga Harry Potter). Selon nos informations, à la fin de février, soit un mois après la publication des « Luanda Leaks », Gillian Duffy, associée du cabinet spécialisée en différends commerciaux offshore et protection de la vie privée, et Simon Brown, expert associé en gestion de la réputation, ont engagé la riposte. Dans une lettre adressée à la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAF), structure présidée par l’avocat français William Bourdon qui a permis la transmission des « Luanda Leaks », ils demandaient à avoir accès à l’ensemble des documents, invoquant l’article 15 du Règlement général sur la protection des données (RGPD) relatif au droit d’accès de la personne concernée. Un mois plus tard, ils recevaient toutefois une fin de non-recevoir de la part de PPLAF au motif que l’article invoqué ne s’applique pas aux activités journalistiques et assimilées.

Perte d’influence

En attendant d’éventuelles suites dans cette affaire, Isabel dos Santos a récemment enregistré une victoire dans un autre dossier, celui qui l’oppose au groupe brésilien Oi, ex-actionnaire à ses côtés de l’opérateur de téléphonie angolais Unitel. Les deux parties, qui s’opposent depuis plusieurs années

LE RECENTRAGE DE SA DÉFENSE JURIDIQUE ILLUSTRE LA DIFFICULTÉ DE « LA PRINCESSE » À DISPOSER DE SOUTIENS OUVERTS DANS LE MONDE LUSOPHONE.


sur le versement de dividendes, ont vu leur différend tranché en 2019 par un arbitrage en faveur d’Oi. Mais la décision est contestée par Isabel dos Santos, qui s’oppose à son exécution (règlement de plusieurs centaines de millions de dollars) et a fait appel. Dans ce cadre, un tribunal des îles Vierges britanniques, où la sentence pouvait s’appliquer, a déclaré recevable une partie de ses arguments à la fin de mars. Avant la pandémie de Covid-19, un tribunal de cette juridiction devait se prononcer en juillet et l’audience de révision de l’arbitrage, menée à Paris, était prévue pour décembre. Dans cette affaire, si des avocats aux îles Vierges britanniques (Tamara Cameron et Yegâne Güley, de Walkers) et à Londres (Jonathan Adkin, de Serle Court, et Michelle Duncan, de Joseph Hage Aaronson) sont à pied d’œuvre, c’est le bureau parisien du cabinet Quinn Emanuel Urquhart & Sullivan qui est en première ligne, préparant le recours en révision. Mandaté dès le début du différend, il avait été remercié par Isabel dos Santos en 2015 au profit de deux cabinets ibériques (le portugais PLMJ et l’espagnol Uría Menéndez), avant d’être finalement rappelé après le rendu de l’arbitrage défavorable pour le contester. Vu son importance, le dossier est conduit par deux associés chevronnés, Philippe Pinsolle, à Genève, et Isabelle Michou, à Paris, avec le concours de trois autres membres du bureau parisien du cabinet. Le recentrage de la défense juridique à Londres et à Paris illustre la difficulté d’Isabel dos Santos à disposer de soutiens ouverts dans le monde lusophone. Cette perte d’influence se double de la réduction de sa fortune,

TOBY MELVILLE/REUTERS

Depuis son départ de Luanda à l’été 2018, la milliardaire angolaise vit à Londres. Ici, en janvier 2020.

estimée par Forbes à 1,5 milliard de dollars en avril, au-dessous de son niveau de 2013 (2 milliards) – qui lui avait valu d’être sacrée par le magazine première Africaine milliardaire – et du pic de 2014 (3,7 milliards). Au Portugal, Isabel dos Santos semble encore avoir du poids dans le secteur des télécommunications. Actionnaire du groupe de premier plan NOS, elle a, au début d’avril, reçu le soutien de son coactionnaire, la société Sonaecom, qui a annoncé contester la décision du gel de ses actifs au motif que celle-ci la pénalise aussi injustement. Par ailleurs, si trois membres du conseil d’administration de NOS proches d’Isabel dos Santos ont dû quitter leur poste, les trois nouveaux entrants – José Carvalho de Freitas, Ana Rita Cernadas, Cristina Maria de Jesus Marques – ne lui sont pas étrangers, ces deux derniers ayant officié au sein de sociétés dans son giron (Santoro Finance et Fidequity).

Rares relais à Luanda

À Lisbonne, la femme d’affaires peut aussi compter depuis des années sur certains fidèles, dont le juriste José Miguel Júdice, fondateur du cabinet PLMJ qu’il a quitté à la fin de 2019 pour se consacrer à l’arbitrage international,

et sur certains alliés, notamment l’avocat Daniel Proença de Carvalho, ancien président du cabinet Uría MenéndezProença de Carvalho. Historiquement, la famille dos Santos bénéficie de sa proximité avec nombre de personnalités politiques, dont l’ex-président de la Commission européenne José Manuel Barroso, aujourd’hui président non exécutif du CA de Goldman Sachs. En Angola, la situation est moins lisible. Face à la pression des autorités, l’agence LPM Comunicação, qui dispose de relais à Luanda, et, selon des informations parues dans la presse locale, l’avocat Sérgio Raimundo, défenseur de plusieurs personnalités incriminées dans le cadre de la lutte contre la corruption, poussent discrètement leurs pions au nom d’Isabel dos Santos. Sur le plan politique, les soutiens à l’ancien président dos Santos (et par ricochet à « la princesse ») se font officiellement rares. Le général « Dino » (Leopoldino Fragoso do Nascimento), très proche de José Eduardo dos Santos, ne semble plus prendre la peine de se rendre à Barcelone. Au sein du MPLA, s’il y a de nombreux mécontents de João Lourenço, aucun n’a encore franchi le cap d’un soutien affiché aux dos Santos, devenus de quasi-opposants à l’exécutif.

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ÉCONOMIE

DÉBATS TRIBUNE

Oui, l’Algérie peut aller de l’avant si… L

e gouvernement algérien est dans la position la plus inconfortable que l’on puisse imaginer dans l’histoire d’une nation. Il doit réformer un pays qui a vécu trois crises successives: un choc économique dû à la chute des cours du pétrole à la mi-2014 et à une mauvaise gouvernance, qui se poursuit et dont on ressent encore les effets avec le creusement des déficits publics et des crispations dans la gestion des affaires du pays; une crise de gouvernance en 2019 qui a entraîné le départ du président Bouteflika et porté un coup d’arrêt aux grands acteurs économiques nationaux; un dernier choc, le plus récent, provoqué par les conséquences de la pandémie de coronavirus. Face à cette superposition de crises d’une complexité inouïe, le pouvoir et l’administration algériens affichent la volonté, certes tardive, de prendre un nouveau virage. Plusieurs bons mais timides signaux sont envoyés avec le projet de loi de finances complémentaire, qui doit être prochainement examiné par les députés. Le premier est la reconnaissance, même si l’on sent la tentation de s’en dédouaner, de la gabegie des années Bouteflika. Le deuxième est la levée de plusieurs points bloquants pour les entreprises nationales et internationales, dont l’assouplissement de la règle 51/49 et la suppression du droit de préemption de l’État. Ce sont des mesures clés pour assurer le retour des investissements directs étrangers (IDE). Troisième signal fort, la prise de conscience du retard colossal de l’Algérie en matière de digitalisation, dans le secteur public

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comme dans le privé, et la nécessité d’un plan pour redresser la barre. Si c’est l’esquisse d’un premier pas vers d’ambitieuses réformes, on est en droit de se demander si l’administration dispose de l’intelligence et des compétences pour y parvenir. Elle pourra certes s’appuyer sur des forces vives et des expertises, et il n’en manque pas, venant du monde universitaire et de la diaspora mais aussi du secteur privé. Pour ce faire, les entrepreneurs doivent

un certain affolement, elles manquent d’une cohérence globale. S’il faut évidemment redémarrer la machine économique sans tarder, il est impossible, pour réussir, de se passer de l’élaboration d’une vision pour le pays. La Malaisie a axé son développement sur l’essor de l’industrie électronique, le Costa Rica a choisi de devenir un « pays vert », la France se positionne sur l’excellence dans le luxe, la gastronomie, le terroir. Quid de l’Algérie? Elle ne peut rester un simple comptoir où l’on vient acheter et vendre des produits.

IL NE SERT À RIEN DE SOLLICITER DE L’ARGENT AUPRÈS DU FMI SI NOUS N’AVONS PAS RATIONALISÉ LE BUDGET ET DÉFINI UN PLAN DE DÉVELOPPEMENT ADOSSÉ À UNE VISION POUR LE PAYS.

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s’émanciper complètement du pouvoir, c’est-à-dire perdre cette habitude de se contorsionner pour voir leurs droits respectés et obtenir des réformes. In fine, un tel processus suppose de nouer un véritable dialogue national. Nous n’y sommes malheureusement pas encore.

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et échange sera d’autant plus nécessaire que les réformes, en l’état actuel, ne suffiront pas. Engagées dans une situation d’urgence et dans

ans un travail de marketing sur le pays, impossible de répondre à la question, impossible de changer l’image de l’Algérie à l’étranger, impossible d’ériger en priorité les secteurs où concentrer les investissements et les savoir-faire locaux à développer pour diversifier l’économie. Un exemple simple – il y en a beaucoup d’autres – mais parlant: avec le caroubier, plante très recherchée par l’industrie pharmaceutique et agroalimentaire, l’Algérie dispose d’un atout, certes modeste au regard du volume d’activité, mais lui permettant de s’inscrire dans certaines chaînes de production mondiales et d’y apporter sa valeur ajoutée. C’est un savoir-faire à soutenir mais pas forcément via des aides fiscales. En parallèle de ce travail, et avant de solliciter la moindre aide extérieure, l’Algérie doit remettre de l’ordre dans ses comptes publics, en commençant par identifier les domaines dans lesquels faire des économies. Les entreprises publiques coûtent trop cher. Les systèmes de sécurité sociale


ÉDITORIAL

L’Afrique du débat d’idées (enfin) de retour P

Slim Othmani

Président du Cercle d’action et de réflexion autour de l’entreprise (Care)

ourvu qu’elles échappent à l’extrême agressivité du débat sur le franc CFA, les lignes de fracture créées ou exacerbées par la crise sanitaire et économique liée au Covid-19 pourraient donner un nouveau souffle au débat d’idées sur le continent. Les propos embarrassés devant la dépendance croissante des économies africaines vis-à-vis des capitaux chinois cèdent le pas à une discussion plus franche sur les arbitrages à réaliser. Le choix d’Ethiopian Airlines de maintenir la desserte de la Chine (lire pp. 108-110) a fait voler en éclats le consensus mou qui existait en Afrique de l’Est, Nairobi prenant la tête de la fronde contre son allié et concurrent régional. Toujours vis-à-vis de Pékin, l’enthousiasme peut-être excessif au sujet des « 85 millions d’emplois » que l’empire du Milieu ne manquerait pas de délocaliser, à terme, vers l’Afrique a vécu. Place désormais à une réflexion plus ardue sur le développement des chaînes de valeur locales et l’approfondissement des marchés africains.

SIDALI DJENIDI POUR JA

et de retraite sont plombés par les déficits. Aussi, il convient de mesurer l’impact des réformes menées pour s’assurer de leur efficacité, une pratique qui devra se généraliser pour les réformes futures. Une fois ce processus engagé, et une fois seulement, nous pourrons nous tourner vers l’endettement international, si nécessaire. J’insiste: il ne sert à rien de solliciter de l’argent auprès du FMI ou d’autres institutions si nous n’avons pas, auparavant, rationalisé le budget et défini un plan de développement adossé à une vision. En outre, plus que d’un soutien financier, c’est d’un appui technique dont devrait davantage bénéficier l’Algérie. Une expertise pour, entre autres, mettre fin aux subventions publiques de façon progressive, pour protéger la population et le tissu industriel, pour accompagner les projets clés sur le moyen terme et le long terme. Pour enfin se débarrasser de ce qui a si longtemps entravé toute marche en avant du pays.

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algré le mutisme d’Abidjan, les positions tranchées de Dakar et de Cotonou au sujet du moratoire sur les dettes des pays africains signalent deux visions antagonistes des priorités de l’État et de son pouvoir face aux marchés. Par là, des préférences potentiellement différentes quant aux contours de l’eco, la future monnaie commune. De même, la Coalition du secteur privé contre le Covid-19 (Cocavid), lancée à la fin de mars par Aliko

Dangote avec la Banque centrale du Nigeria, traduit une évolution dans la relation entre les entrepreneurs et l’État, jusqu’ici perçu somme un simple tremplin pour le monde des affaires. Le subtil équilibre de l’économie marocaine, porté par une alliance public-privé sous l’« impulsion royale », a changé d’état dès avant la crise avec l’intervention directe du souverain dans les grands choix d’orientation du crédit en faveur des PME, des jeunes et des zones rurales. Une (r)évolution qui, le choc macroéconomique aidant, a libéré la parole des entrepreneurs. Fait rare: Chakib Alj, président du patronat marocain, a publiquement admonesté à la fin de mars le lobby bancaire sur sa lenteur à décaisser des fonds.

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e la décision du président Cyril Ramaphosa – pourtant ancien syndicaliste – de laisser South African Airways mourir de sa mauvaise mort à celle du gouvernement d’Abdelmadjid Tebboune de s’écarter du totem du « 51/49 », qui limitait l’investissement étranger en Algérie, partout apparaissent de nouveaux réalignements, de nouvelles coalitions et oppositions. En fait: un retour à de véritables débats d’idées sur les choix économiques de l’Afrique. Ce n’est pas trop tôt.

Joël Té-Léssia a Assoko Journaliste à Jeune Afrique

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DOSSIER BTP & INFRASTRUCTURES

LIONEL MANDEIX/PRÉSIDENCE DU SÉNÉGAL

Visite du chantier de la gare du TER, à Dakar, en février 2018.

Ces grands chantiers qui doivent changer la donne JA a sélectionné huit projets d’envergure en cours de construction qui, demain, structureront et développeront les économies de l’Afrique francophone.

C CHRISTOPHE LE BEC

e sont des infrastructures cruciales dont les économies de l’espace francophone ont instamment besoin. Pas des « éléphants blancs », ces mégaprojets si monstrueux qu’ils ne voient pas le jour, faute de financement, de stabilité politique ou de constructeur compétent et persévérant. JA a sélectionné huit projets majeurs de BTP déjà engagés, ayant un impact économique structurant pour leur pays et l’ensemble de la région. Du ferroviaire au portuaire, en passant par les villes nouvelles, les barrages, les axes routiers ou les pipelines, ces chantiers mobilisent des consortiums, souvent menés par des groupes internationaux, principalement chinois et européens. Mais ces derniers font tous appel à des partenaires et à des sous-traitants locaux, dont l’expertise

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technique a fortement progressé au cours des cinq dernières années. Les plus expérimentés de ces groupes africains de BTP – tels le marocain SGTM, l’algérien Cosider ou encore le burkinabè CGE – sont désormais eux aussi « chefs d’orchestre » de grands programmes d’infrastructures. L’épidémie de Covid-19, qui continue de sévir, a ralenti mais pas stoppé l’avancement de ces projets. Confinement, couvre-feu et limitation de déplacements ont entravé leur progression entre mars et mai 2020, mais aussi et surtout leur approvisionnement en matériaux et équipements, en particulier quand ceux-ci devaient être fournis par la Chine. Aujourd’hui, les ouvriers ont repris le chemin des chantiers, un retour le plus souvent facilité par le soutien des autorités locales, bien conscientes que ces infrastructures leur permettront de mieux faire face aux difficultés économiques qui s’annoncent.


GABON

La Transgabonaise, nouvel axe logistique crucial SÉNÉGAL

Dakar-Diamniadio, un TER tant attendu • Date de démarrage du chantier décembre 2016 • Date de livraison prévue début 2021 • Coût total du projet 1 milliard d’euros • Entreprises impliquées Eiffage, CSE, Yapi Merkezi, Getran, CDE, Sertem

RÉSUMÉ La première phase du Train express régional (TER) de 36 km relie le centre de Dakar à la ville nouvelle de Diamniadio, traversant toute la grande banlieue de la capitale. Un second tronçon, de 18 km, partira de Diamniadio vers l’aéroport international Blaise-Diagne (AIBD). IMPORTANCE STRATÉGIQUE D’une capacité de transport de 115 000 voyageurs par jour, le TER va constituer un axe d’urbanisation crucial et contribuer à réduire les congestions asphyxiant Dakar. Selon une étude de la Banque mondiale, ces dernières coûteraient quelque 150 millions d’euros par an à l’économie du pays. AVANCEMENT Après deux années de travaux, les deux voies ferrées aller et retour Dakar-Damniadio, bâties par le français Eiffage, le turc Yapi Merkezi et le sénégalais CSE, sont désormais terminées. Toutes les rames du train, fabriquées par Alstom, sont arrivées à Dakar, où des essais de vitesse ont commencé. Mais le TER n’est pas encore prêt à ouvrir ses portes aux passagers. Initialement prévue en janvier 2019, son entrée en exploitation commerciale a été fixée à avril 2020, puis reportée au début de 2021. En cause, les retards sur l’aménagement des 14 gares desservies et sur la sécurisation de l’infrastructure, pour séparer la voie des habitations et de la circulation piétonne et automobile. AMADOU OURY DIALLO, à Dakar

RÉSUMÉ Le projet de la Transgabonaise, qui doit relier par voie rapide Libreville (Ouest) et Franceville (Est), prévoit la réhabilitation de 780 km des routes nationales 1 et 3 pour en faire un axe logistique plus efficace. Alors que le projet était initialement piloté par l’État, qui lançait des appels d’offres de marchés publics, celui-ci a finalement opté pour un partenariat public-privé avec la SAG, détenue par Arise (groupe Olam) et le fonds d’investissement français Meridiam. La SAG finance désormais le chantier, et des péages seront installés pour en financer l’entretien. IMPORTANCE STRATÉGIQUE Avec ce projet, il s’agit non seulement de désenclaver la capitale, dont la seule voie de sortie est une RN1 mal bitumée et peu praticable, mais aussi de construire un axe logistique hautement stratégique pour écouler la production de grumes et de produits agricoles. La route desservira entre autres la Zone économique spéciale de Nkok – lieu de transformation des grumes – et le futur aéroport international de

• Date de démarrage du chantier décembre 2020 • Date de livraison prévue juillet 2023 • Coût estimé 915 millions d’euros • Entreprises impliquées Société autoroutière du Gabon SAG (Arise + Meridiam), Colas

Libreville. Elle est complémentaire au train transgabonais, exploité par Setrag (groupe Eramet), dont le principal objectif est le transport de minerai de manganèse et qui doit être lui aussi remis à niveau. AVANCEMENT DU CHANTIER Des appels d’offres sont en cours : cinq sociétés internationales ont été sélectionnées. En attendant, Colas, spécialisé dans la construction et l’entretien d’infrastructures de transports et d’aménagements urbains, exécute des travaux d’urgence entre les kilomètres 24 et 105 de la RN1. La filiale de Bouygues, qui travaille sur cet axe depuis des années, avait déjà, par le passé, dû stopper des travaux faute de financement de l’État. En 2017, par manque de budget, les autorités avaient résilié plusieurs autres contrats sur la RN1 avec le gabonais Socoba-EDTPL et les espagnols Ceddex-Entraco et Acciona. CAROLINE CHAUVET

CAMEROUN

Barrage de Nachtigal, indispensable électricité à bas coût RÉSUMÉ Ce projet hydroélectrique, qui apportera au pays une capacité de 420 MW, est constitué d’un barrage principal, sur le fleuve Sanaga, qui permet de dériver l’eau vers un canal jusqu’à l’usine. L’énergie qui sortira des sept turbines fournies par GE, dès 2023, sera transportée par une ligne construite par Bouygues Énergies & Services.

• Date de démarrage du chantier février 2019 • Date de livraison prévue 2023 • Coût 1,2 milliard d’euros • Entreprises impliquées NGE, Besix, SGTM, General Electric, Bouygues Énergies & Services

IMPORTANCE STRATÉGIQUE À 6 centimes d’euro le kWh, soit presque moitié moins qu’actuellement(11cents), ilseracapable à luiseuldecouvrirun tiersdes besoins du pays, dont la région de Yaoundé, où la demande croît de 7 % chaque année. AVANCEMENT Un quart des travaux a été réalisé, dont la base-vie des ouvriers et les installations industrielles de fabrication de béton et de concassage. L’aménagement d’un bras de la Sanaga et le creusement du canal ont démarré en décembre 2019, comme le chantier d’installation de la ligne à haute tension. OMER MBADI, à Yaoundé

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DOSSIER BTP &

INFRASTRUCTURES CÔTE D’IVOIRE

Port de San-Pédro, une plateforme pour rééquilibrer la logistique nationale

FRANCK AKPOUE POUR JEUNE AFRIQUE

RÉSUMÉ Ce chantier doit permettre à la deuxième plateforme portuaire ivoirienne, nœud de la logistique du cacao et des minerais, de doper sa capacité annuelle, • Date de démarrage du de 5 à 10 millions de tonnes chantier fin de 2019 de marchandises, et de • Date de livraison pré500 000 à 1 million de vue à la fin de 2021 conteneurs EVP (équivalent • Coût 1,37 milliard d’euros vingt pieds). Deux nouvelles • Entreprises impliinfrastructures sont préquées China Harbour vues: un terminal industriel Engineering Company polyvalent et l’extension du (CHEC), Arise (Groupe terminal à conteneurs. Olam), Snedai Energies

IMPORTANCE STRATÉGIQUE Le développement du port de SanPédro va permettre d’augmenter sa capacité, de le diversifier et de rééquilibrer les flux logistiques du pays. San-Pédro doit être relié par route bitumée au port sec de Ferkessédougou, dans le nord du pays, destiné à être une grande plateforme logistique de plus de 700 ha pour les pays de l’hinterland. Les nouveaux terminaux pourront aussi servir de hub de transbordement

pour Abidjan et les pays côtiers. AVANCEMENT Le chantier, démarré à la fin de 2019, en est à ses débuts. Le chinois CHEC, chargé du gros œuvre de l’extension et des voiries associées du terminal à conteneurs – la part la plus importante du projet, représentant 921 millions d’euros –, avait commencé à déployer ses équipes

BURKINA FASO

Yennenga, ville nouvelle attractive aux portes de la capitale

RÉSUMÉ À 15 km au sud de Ouagadougou, Yennenga – ainsi baptisée en hommage à la célèbre princesse guerrière fondatrice du royaume mossi –, mégaprojet immobilier sur 700 hectares, mené par le burkinabè CGE, doit accueillir 100 000 habitants dans dix ans. Cette agglomération, divisée en 20 000 parcelles, comprendra trois offres de logements – sociaux, économiques et haut de gamme – disponibles à des prix compris entre 8,5 millions et plus de 30 millions de F CFA (entre 13 000 et 46 000 euros), mais aussi un centre commercial, un parc d’attractions et un complexe hôtelier. Certaines parcelles sont vendues à des entreprises et à des particuliers qui mènent leurs chantiers, d’autres à la branche immobilière de CGE, qui construit et commercialise.

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et sa logistique quand est survenue la crise du Covid-19 et l’interruption de l’approvisionnement du chantier. La construction et la gestion des infrastructures du terminal industriel polyvalent – représentant 140 millions d’euros d’investissement – ont été confiées à la coentreprise entre Snedai Energies et Arise. BAUDELAIRE MIEU, à Abidjan

• Date de démarrage du chantier juin 2018 • Date de livraison prévue 2030 • Coût 1 milliard d’euros environ • Entreprise impliquée CGE

IMPORTANCE STRATÉGIQUE Yennenga entend pallier le déficit de logements, estimé par CGE à 200 000 unités à Ouagadougou. Ce chantier permet de maîtriser le développement urbain de la capitale burkinabè en planifiant bien en amont réseaux et types de bâtiment, en évitant les installations informelles mal connectées à l’eau ou à l’électricité, et en gardant le prix de l’immobilier abordable. AVANCEMENT La ville nouvelle a déjà accueilli ses premiers habitants. « Les 2600 premières parcelles viabilisées ont trouvé preneur. Désormais, la zone est en plein chantier », indique Brahima Ouattara, directeur général de CGE Immobilier. La viabilisation de la phase 2 (1500 parcelles) ainsi que les travaux de bitumage de la voie d’accès doivent démarrer dans les prochaines semaines. NADOUN COULIBALY, à Ouagadougou


NIGER-BÉNIN

Le pipeline de la croissance RÉSUMÉ L’oléoduc est destiné à faciliter l’exportation du pétrole du Niger, produit dans la région de Diffa (Sud-Est) par la China National Petroleum Company (CNPC), qui finance le projet. Il reliera les champs pétrolifères nigériens d’Agadem au port en eau profonde de Sèmè-Podji, au Bénin, suivant un parcours de 1982 km – 1298 km en territoire nigérien et 684 km sur le sol béninois. D’une capacité de transport de 4,5 millions de tonnes par an, soit 35 millions de barils, l’ouvrage comportera huit stations de

pompage, six au Niger et deux au Bénin. IMPORTANCE STRATÉGIQUE L’infrastructure devrait permettre au Niger de sextupler sa capacité actuelle d’exportation d’or noir, qui est de 20000 barils par jour, et de toucher quelque 610 millions d’euros de recettes fiscales à l’horizon 2025. Le Bénin tirera de l’exploitation de l’ouvrage plus de 300 milliards de F CFA (460 millions d’euros) comme droit de transit et recettes fiscales pour les vingt premières années d’exploitation

du pipeline. À l’instar du Niger, le Bénin bénéficiera de la construction d’infrastructures sociocommunautaires (salles de classe, centres de santé, etc.) dans les 17 communes et 152 villages et quartiers que traversera le projet sur son territoire. Dans les deux pays, environ 3 000 emplois seront créés durant la construction de l’ouvrage, et la phase de son exploitation mobilisera entre 350 et 500 agents AVANCEMENT DU CHANTIER Mis en œuvre par CPPE, filiale de CNPC, le

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• Dates de démarrage du chantier septembre 2019 • Date de livraison prévue janvier 2022 • Coût 4,5 milliards d’euros • Entreprise impliquée CNPC

chantier est en phase de démarrage depuis son inauguration officielle, en septembre 2019. Après une première livraison de tuyaux pour le pipeline, à la fin de février 2020, l’approvisionnement en matériel depuis la Chine a été interrompu par la pandémie de Covid-19. Les études ont été finalisées, mais les travaux, qui devaient commencer le 15 mars, n’en sont qu’à leurs balbutiements. FIACRE VIDJINGNINOU, à Cotonou


DOSSIER BTP &

INFRASTRUCTURES

MAROC

Nador West Med, nouveau port à la croisée des routes maritimes

ALGÉRIE

Métro d’Alger, une extension capitale RÉSUMÉ Entré en exploitation en novembre 2011, le métro d’Alger a vu sa fréquentation exploser, passant de 11,3 millions à 45,3 millions de passagers annuels entre 2012 et 2019, avec 19 stations en service actuellement. Trois chantiers d’extension sont en cours : deux vers l’est, d’El-Harrach à l’aéroport HouariBoumédiène (9,5 km, 9 stations), l’autre d’Aïn Naadja à Baraki (6 km, 6 stations) ; et une vers l’ouest, de la place des Martyrs à Bab el-Oued (1 station, 1,5 km). L’Entreprise du métro d’Alger (EMA, publique) en est le maître d’ouvrage, Cosider (public) le principal maître d’œuvre, avec notamment ses sous-traitants italiens Trevi Group et Seli Overseas, tous deux spécialisés dans l’ingénierie du sous-sol. IMPORTANCE STRATÉGIQUE Le métro est devenu un moyen de transport essentiel pour les Algérois,

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• Date de démarrage du chantier novembre 2019 • Date de fin attendue 2023 • Coût environ 1,45 milliard d’euros • Entreprises impliquées Cosider, Trevi Group et Seli Overseas

dont le réseau de bus privé, majoritaire, est atomisé et défaillant. L’extension vers l’ouest, traversant des quartiers densément peuplés et actuellement mal reliés au centre, est très attendue. À l’est, qui bénéficie de lignes de tramway, les interconnexions entre métro, tramway et train seront efficaces pour fluidifier le trafic. Ce qui désengorgera aux heures de pointe la capitale des bus, qui devraient davantage se consacrer à la desserte des stations de métro depuis les quartiers résidentiels, qui en sont éloignés.

ALEXANDRE DUPEYRON POUR JA

• Date de démarrage du chantier 2017 • Date de livraison prévue 2022 • Coût 932 millions d’euros • Entreprises impliquées Société Générale des Travaux du Maroc (SGTM), STFA, et JDN

RÉSUMÉ La première phase du chantier de Nador West Med, à 20 km de la ville éponyme, dans le nord-est du Maroc, vise à construire un terminal à deux quais, l’un de 4300 m, l’autre de 1200 m, où les plus grands porte-conteneurs pourraient accoster, ainsi que trois postes pétroliers. Outre les quais, érigés par un consortium mené par le marocain SGTM, le projet prévoit une plateforme logistique, une zone franche industrielle, et une autre réservée aux entreprises de services. En tout, une fois achevée, cette première partie de la plateforme pourra accueillir jusqu’à 3 millions de conteneurs. IMPORTANCE STRATÉGIQUE Après le port Tanger Med, le Maroc veut renforcer sa position sur le bassin méditerranéen en construisant à 350 km plus à l’est un nouveau terminal pouvant drainer le développement industriel de la région marocaine de l’Oriental, à la croisée des routes logistiques entre l’Europe et l’Afrique.

AVANCEMENT Lancé en 2015, puis suspendu en 2016 pour des raisons budgétaires, le chantier d’extension vers l’est a redémarré en 2018, et s’est accéléré en octobre 2019. Celui de l’extension vers l’ouest doit reprendre prochainement, selon l’EMA.

AVANCEMENT DU CHANTIER Au début de mars, 45 % des travaux ont été accomplis, selon Abdelkader Amara, ministre de l’Équipement, qui, à l’occasion d’une visite du chantier, avait aussi annoncé le lancement imminent des travaux d’une voie ferrée et d’un réseau autoroutier pour compléter l’offre.

SAÏD AÏT-HATRIT

EL MEHDI BERRADA, à Casablanca


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DOSSIER BTP

INFRASTRUCTURES EIFFAGE

T

JEAN CHISCANO/EIFFAGE

Présent au Sénégal depuis 1926, le groupe français a étendu sa présence en Afrique de l’Ouest, sa principale zone d’activité à l’international. Il vise particulièrement les chantiers liés à l’énergie.

OLIVIER SEIGNETTE/EIFFAGE

« Nous devons bâtir des consortiums compétitifs face aux groupes chinois »

Ludovic Duplan Directeur général international à l’énergie

Guillaume Sauvé Président de la branche génie civil

RÉMY DARRAS

roisième groupe français de BTP derrière Vinci et Bouygues, Eiffage a étendu son empreinte ouestafricaineàpartirduSénégal, où il est établi depuis près d’un siècle. Alors qu’il achève les travaux du TER Dakar-Diamniadio, il commence ceux du mégaprojet gazier de Grand-Tortue, au large du Sénégal et de la Mauritanie. À Abidjan, il poursuit ceux du pont Félix-HouphouëtBoigny, après avoir livré, à la fin de 2019, le terminal portuaire ghanéen de Tema. Pour poursuivre sa croissance, le groupe mise sur le développement d’infrastructures liéesàl’électrification, indiquent à JA les deux dirigeants. Le Sénégal constituait, il y a quelques annéesencore,leseulbastiond’Eiffage en Afrique. Estimez-vous avoir réussi votre développement au-delà? Guillaume Sauvé : La majeure par-

tie de nos revenus à l’international est réalisée en Afrique. Ces marchés sont complexes et de plus en plus concurrentiels. C’est projet par projet que nous nous développons dans les pays, chaque fois sur des ouvrages

122

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qui nous permettent de combiner une technicité particulière avec du génie civil : usines de dessalement, de traitement d’eau et de déchets, barrages hydrauliques… Les projets prospectés sont représentatifs de ceux sur lesquels nous avons déjà travaillé. Après le barrage ivorien de SingroboAhouaty, nous regardons de près tous les projets liés à l’hydroélectricité. Notre développement dépend de notre capacité à, chaque fois, associer des équipes locales avec des experts venus d’ailleurs. C’est ce que nous réalisons avec succès sur le chantier de la digue du projet gazier Grand-Tortue, pour laquelle nous devons immerger

CHIFFRE D’AFFAIRES ANNUEL EN AFRIQUE (estimation en millions d’euros)

350

Génie civil

150

Énergie

à 10 km en mer une vingtaine de caissons aussi gros que l’Arc de Triomphe. Ludovic Duplan : Les États veulent densifier les réseaux de transmission d’énergie et accélérer la distribution dans les villages. Le Sénégal, où nous venons de livrer l’une des premières fermes éoliennes d’Afrique de l’Ouest, est très avancé dans le domaine ; la Côte d’Ivoire s’est mise en ordre de marche ; le Bénin et le Togo suivent. Avec nos centrales clé en main, nous sommes bien positionnés. Pensez-vous qu’après la crise la commande publique se maintiendra? G.S. : Nous ignorons ce qui se pas-

sera dans les prochains mois et s’il y aura toujours des projets sur la table. Nous espérons qu’il n’y aura pas de pause dans les investissements. Nous cherchions à construire des hôpitaux: l’importance de ce marché va peut-être grandir. L.D. : À la différence de ce qui s’est passé en France, où l’activité s’est complètement arrêtée, nous avons maintenu nos chantiers africains, ce qui facilite le redémarrage. Nous ne sommes que sur des projets liés à


l’électricité, à l’eau, au traitement de déchets et qui, au plus fort de la crise, ont été considérés d’utilité publique. Vous avez commencé en avril le chantier de Grand-Tortue. Son entrée en exploitation devrait être retardée. Cela en affecte-t-il la construction? G.S.: Le projet continue. Nous nous

adaptons aux décisions prises par BP, notamment aux ajustements demandés. L’économie du gaz et du pétrole n’est plus ce qu’elle était. Quand vous perdez trois ou quatre mois dans un projet maritime, vous vous retrouvez avec des conditions météorologiques bien moins favorables. Et il faut attendre encore plusieurs mois. Vous détenez pour vingt ans la concession de l’autoroute DakarDiamniadio.Lesautoritéscomptaient renégocier à la baisse le prix du péage. Allez-vous accéder à leur demande?

G.S. : Il peut toujours y avoir des ajustements, mais il faut que cela soit équilibré. Rien n’interdit que les deux parties fassent évoluer leur contrat, c’est habituel pour ce type de concession.

G.S.: Ce secteur est encore plus compliqué que ceux des autoroutes et de la construction. Le trafic aérien est l’une des activités qui souffre le plus de la crise. On se demande si l’équilibre économique de ce projet peut être tenu.

Regardez-vous d’autres dossiers autoroutiers? G.S. Nous serons attentifs aux oppor-

Vous avez concouru l’an dernier pour des barrages au Gabon et en GuinéeBissau remportés par Sinohydro. Comment vous positionnez-vous face à la concurrence de ces géants qui bénéficient des aides d’Eximbank? G.S . : Nous devons bâtir des

tunités dans les pays où nous sommes déjà intervenus. Cela ne peut fonctionner que si la confiance et le dialogue avec les autorités sont au rendez-vous. Le fait que nous soyons présents sur l’ensemble des segments de la chaîne de valeur, en matière de conception, de construction et d’exploitation, nous permet d’être compétitifs. Le nom d’Eiffage circulait pour une entrée au capital de l’aéroport international Blaise-Diagne, de Dakar. Êtes-vous intéressés?

consortiums capables de mobiliser des financements et d’être compétitifs. Eximbank constitue un vrai outil pour les groupes chinois. Côté français et européen, d’autres instruments peuvent être mobilisés. Mais répondre à une offre coûte plusieurs millions d’euros à chaque fois. Nous ne le ferons que si nous avons nos chances.

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DOSSIER BTP

TRANSSAHARIENNE wilayas de Blida et de Médéa, a été ouvert au public en juillet 2019.

Changement de paradigme

ANDBZ/ABACA

L’autoroute de 4500 km permettra d’augmenter sensiblement le volume des échanges intra-africains. Ici, près de la wilaya d’Aïn Defla, en Algérie.

L’Algérie ouvre la voie L’achèvement d’un tronçon stratégique dans les gorges de la Chiffa donne un coup d’accélérateur décisif au projet – né il y a plus de cinquante ans – de route reliant Alger et Lagos. En voiture!

S

SAÏD AÏT-HATRIT

ept petits kilomètres. C’est la taille du segment de l’autoroute situé entre Haouch Messaoudi et Médéa qui doit être livré dans les prochaines semaines. Si cette section focalise autant l’attention, c’est qu’elle est la dernière du tronçon Chiffa-Berrouaghia (53 km), le plus stratégique de la voie rapide en cours de réalisation entre Alger et El Menia, sur plus de 800 km, essentiellement en doublant la route nationale 1. Se ferme ainsi un chantier important de la Transsaharienne, qui doit un jour relier Alger à Lagos, grâce à une autoroute de 4500 km, dont 2500 en Algérie. Traverser cette région montagneuse, où les routes sinueuses des gorges de la Chiffa ont toujours constitué un goulot d’étranglement entre l’Algérois et le sud du pays, représentait un grand un défi technique. Pour y parvenir, 5 km de tunnels et 14 km de ponts et viaducs, dont les piles les plus hautes atteignent 70 m, ont été réalisés depuis avril 2013 par China State Construction Engineering Corporation, notamment associé aux groupes publics algériens Sapta et Engoa. Habitué de l’Algérie, le géant chinois du BTP y a conçu depuis 1982

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des dizaines de milliers de logements, des barrages, des portions d’autoroute, la grande mosquée d’Alger ou encore l’extension de l’aéroport de la capitale. Le délai de réalisation du tronçon entre Chiffa et Berrouaghia, fixé à l’origine à trente-six mois, a depuis longtemps été dépassé. Le coût du chantier – 608 millions d’euros initialement – a aussi été revu à la hausse, même si le montant de la nouvelle enveloppe n’est pas connu. Les retards et surcoûts ont régulièrement provoqué l’ire des autorités, obligeant depuis 2017 les constructeurs à livrer les segments dès leur achèvement. L’un des plus importants, entre Sidi Madani et Hamdania (12,5 km), dont les tunnels font la jonction entre les Alger

Tunis TUNISIE

1 000 km

ALGÉRIE

Bamako

Tamananrasset NIGER Agadez TCHAD

MALI Gao

N’Djaména NIGERIA

Lagos

L’achèvement du projet est une bonne nouvelle pour l’Algérie, notamment pour les automobilistes de la vallée de la Chiffa – environ 20 000 par jour –, qui vont y gagner près d’une heure. Comme prévu dans le Schéma national d’aménagement du territoire (Snat), l’autoroute nord-sud, dont 300 km sont encore en travaux, rejoint à Alger l’autoroute est-ouest (1 216 km), livrée depuis 2008, et les ports que cette dernière dessert. C’est aussi une bonne nouvelle pour l’Afrique, assure Mohammed Ayadi, secrétaire général du Comité de liaison de la route transsaharienne (CLRT), qui compte six pays, puisque si l’artère principale de cette voie traverse l’Algérie, le Niger et le Nigeria plusieurs embranchements rejoignent le Mali, la Tunisie et le Tchad. « Une étude de faisabilité montrait il y a dix ans que les opérateurs du nord du Niger et du nord du Mali, qui feraient passer leurs marchandises par la transsaharienne depuis les ports méditerranéens plutôt que par le golfe de Guinée, feraient l’économie de onze jours », indique-t-il. Le Nigeria et la Tunisie ont achevé leurs portions, parfois en double voie, et « en général sur leurs propres budgets », comme l’Algérie (où il reste 200 km de routes à bitumer en direction du Mali), précise Mohammed Ayadi, alors que le Mali, le Niger et le Tchad ont recours à des institutions financières internationales. Parmi les dernières à devoir être achevées, la section Arlit-Assamaka (225 km, Niger) devrait être livrée cette année par ETPBHGT (Algérie) et Gepco (Niger). Tout cela, veut croire Mohammed Ayadi, « vient accompagner la volonté des chefs d’État d’augmenter le volume des échanges intra-africains, qui demeure faible (3 %), au moment où l’accord portant création de la Zleca est entré en vigueur et où l’Algérie, soucieuse de changer de paradigme dans son approche du développement économique, donne les signaux d’une plus grande ouverture vers le continent ».


PORTRAIT

Mohamed Ali Hachicha, un Aigle à la conquête de l’Ouest Installé à Abidjan depuis treize ans, le dirigeant des activités internationales de Soroubat a fait de sa branche subsaharienne le vaisseau amiral du groupe familial tunisien.

n Côte d’Ivoire, le Tunisien Mohamed Ali Hachicha, directeur général de Soroubat International, est connu comme le loup blanc. Ce diplômé en génie civil de l’école polytechnique de Montréal a gagné en popularité depuis que le FC San Pedro, qu’il a racheté en 2015, vole de victoire en victoire. Promu en première division en 2016, le club de football de la capitale du Sud-Ouest a su, en seulement deux ans, se stabiliser dans le top 3 de l’élite et a, pour la première fois de son histoire, remporté la finale de la Coupe de Côte d’Ivoire et participé à la Coupe de la confédération africaine. Selon les supporters, les investissements du mécène sportif dans les infrastructures et le centre de formation du club, doté d’un budget de 1,1 million d’euros, ont changé la face du club. Mais Mohamed Ali Hachicha est d’abord un entrepreneur de BTP bien établi à Abidjan depuis 2007. Il doit cette installation à son père, Noureddine, originaire de Sfax et fondateur en 1974 du Groupe Soroubat (Société de routes et de bâtiments), implanté à Tunis, qui s’est tourné vers les marchés ouest-africains à partir de 2004. « Avec deux autoroutes et un maillage routier assez faible, le marché tunisien était devenu trop étroit pour une entreprise en plein développement », commente un spécialiste du secteur. Depuis le quartier de Cocody, où il s’est installé avec sa femme et ses trois filles, Mohamed Ali Hachicha, 45 ans, pilote la branche subsaharienne (les seize filiales que compte le groupe

familial, toujours présidé par son père, à Tunis). « Abidjan joue un rôle pivot pour l’implantation de nouvelles sociétés dans d’autres pays en Afrique de l’Ouest, mais aussi en Afrique centrale », explique le dirigeant, dont le groupe a bâti plus de 3000 km d’autoroutes sur le continent et revendique près de 10 000 salariés. Avec le génie civil routier comme métier d’origine, le dirigeant tunisien a développé ses activités depuis la métropole ivoirienne dans la fabrication de béton préfabriqué, les carrières de pierres et la construction, avec une expertise sur les bâtiments à fondations profondes. Comme son père en Tunisie, il s’est également lancé dans l’immobilier. Le patron de Soroubat International est désormais présent dans six pays subsahariens : Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Bénin, C a m e r o u n , To g o et Tchad. Dans ces États, il gagne régulièrement les appels d’offres de construction de voirie, d’ouvrages d’art et d’autres projets d’aménagement routier. Après avoir remporté en février 2020 un marché de 31 millions d’euros pour la construction et le bitumage du boulevard des Tansoba, à Ouagadougou, il vient de livrer, au début de mai, un pont à Tovegbamé, au Bénin. Il s’active aussi sur l’aménagement de 135 km de route entre SAAD POUR JA

E

FRIDA DAHMANI, à Tunis

Fadia Dougou et Boundiali, en Côte d’Ivoire, et le prolongement de 170 km de la N19 au Burkina Faso, près de la frontière avec le Bénin.

Homme d’influence

En Côte d’Ivoire, il s’est diversifié en dehors du BTP en reprenant et en développant plusieurs sociétés : dans le tourisme, avec Madaly Tours ; la santé, avec Madaly Santé; l’imprimerie et l’édition, avec SIAG CI; l’immobilier, avec La Foncière ivoirienne; et même la distribution de produits pétroliers, avec Sadep. « Nous avons profité d’opportunités, sans négliger un développement intégré pour la partie BTP », commente Issam B en Youssef, directeur général de la branche internationale. Passionné de football et pilier de la petite communauté tunisienne implantée en Côte d’Ivoire, il a, à la fin de mars, mis des logements à la disposition de ses compatriotes bloqués à Abidjan par la fermeture des frontières tunisiennes liée à l’épidémie de Covid-19. Mohamed Ali Hachicha fait jouer discrètement, mais régulièrement, ses bons offices entre son pays d’origine et les États ouest-africains. « C’est un homme d’influence ; ses amitiés avec des chefs d’État sont très utiles à la Tunisie », estime l’un de ses proches.

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République de Guinée

Infrastructures routières en Guinée

EXPÉRIENCES ET PERSPECTIVES À l’heure où tous les acteurs du développement intégré de la Guinée s’accordent sur la nécessité de soigner les secteurs

( Moustapha Naïté, Ingénieur en Génie Civil, Ministre des Travaux Publics de la République de Guinée.

Une ère d’espérance Le Programme National de Développement Economique et Social (PNDES) du Chef de l’État a fait son chemin. Lorsque nous considérons le secteur des infrastructures à portée socioéconomique, laissant volontairement de côté la locomotive minière, l’espérance d’un renouveau se traduit entre autres dans l’énergie. De 75 MW avant 2010, l’accès à l’électricité est amélioré avec la construction du barrage de Kaleta qui fournit 240 MW.

sociaux et d’assurer une plus grande inclusivité dans le partage de la prospérité, je m’en voudrais de ne pas opiner sur les réalités positives de la Guinée « physique », celle des infrastructures utiles et durables, amorcées durant la décennie écoulée.

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Barrage de SOUAPITI

ñ Le Pr. Alpha Condé sur le chantier de Coyah Mamou Dabola le 6 janvier 2020.

Le barrage de Souapiti, en cours de construction, va doubler la production énergétique. Au total, 700 MW en attendant très prochainement Amaria (300 MW). La production d’électricité a cru de 13 %, et le réseau de distribution a été développé. L’objectif du Gouvernement reste d’atteindre 1 200 MW. Dans le secteur des transports, l’impact se manifeste par la modernisation et l’extension du Port Autonome de Conakry avec des investissements à hauteur de 200 millions de dollars (dans un premier temps) dont un nouveau quai en eaux profondes. À terme, plus de navires gros porteurs pourront joindre Conakry et les revenus douaniers passeront à 13 millions de dollars par an, contre 4,5 millions de dollars en 2017. La modernisation et l’extension de l’Aéroport International de GBESSIA pour lui permettre de se doter d’un nouveau terminal ultramoderne et de devenir


PUBLI-INFORMATION

Sur le plan des infrastructures routières, à l’avènement du Pr. Alpha Condé, plus de 80 % du réseau était en dégradation plus ou moins avancée. Très peu de voiries urbaines étaient construites et la Guinée avait une densité routière en dessous de la moyenne sous régionale. La priorité a été de remettre en état les axes les plus importants via des

ñ Chantier de la route Coyah-Mamou-Dabola, long de 370 km. La fin des travaux est prévue pour 2021.

travaux de réhabilitation et de reconstruction. 10 ans plus tard, le réseau routier est passé de 43 348 km à 48 986,91 km pour 2463,5 km de routes nationales bitumées et 624,45 km de voiries urbaines. En 2018 déjà, on retenait environ 20,26 % de dégradation du réseau et la prise en compte des travaux en cours viendra bien entendu impacter ce taux à la baisse.

Dix ans d’investissement et de mutation Au moins deux-milliards-deux-cents-millions de dollars ont été investis dans le développement des infrastructures routières avec au cœur de la stratégie, la composante « Travaux à Haute Intensité de Main d’œuvre » pour favoriser l’emploi des jeunes. Des réformes ont porté sur la création d’un cadre propice à l’utilisation des financements privés pour la réalisation des infrastructures routières à travers le partenariat public-privé (PPP) avec l’adoption de la Loi N°2017‐32. Nous avons su exploiter tout l’arsenal disponible pour profiter des excellentes relations diplomatiques du Pr. Alpha Condé et les traduire en retombées concrètes : la matérialisation au niveau des travaux publics de l’Accord-Cadre avec la Chine,

le développement sensible des portefeuilles de la BAD, de la BID, de l’UE et du Fonds d’Abu Dhabi sans oublier les interventions directes du Japon, de la France, du Koweït, des Pays-Bas et bien d’autres.

Et des perspectives attrayantes Renforcer la liaison inter-régionale, notamment pour le développement du commerce et la mobilité des populations locales avec la construction et le bitumage de nouvelles routes nationales est un impératif. Ensuite, relier le pays à ses voisins par des routes sûres et praticables. Enfin, il était temps de trouver une solution définitive à ce fléau économique que constituent les embouteillages effroyables dans Conakry avec ses effets sur la mobilité et le rendement des usagers. En l’inscrivant dans la vision du Grand Conakry et du corridor Conakry-Bamako, le projet « Route du Littoral », première autoroute à péages du pays, dont la conclusion prochaine n’est qu’une question de méthode et de temps, desservira Conakry et Kindia via la Corniche Sud de Kaloum et le kilomètre 36. Cette infrastructure d’un coût global de 1,3 milliards de dollars sera entièrement portée dans le cadre d’un partenariat-public-privé innovant présentant un équilibre financier et un impact économique appréciable. La construction à venir des échangeurs du km 36 et de Kagbelen rentre dans le cadre de cet ambitieux projet. Dans un futur très proche, la nouvelle épine dorsale des transports (Port, Routes, Ponts), symbolisée par l’axe Conakry-Kourémalé vers le Mali, consacrera Conakry comme la meilleure desserte maritime en distance comme en qualité pour Bamako au Mali.

Dans un monde bouleversé par la Covid-19 Si les grands travaux se poursuivent (en respectant les consignes sanitaires), les effets pervers de cette pandémie devraient donner un coup de frein aux investissements. Encore plus accentué que l’épidémie d’Ebola que le pays a subi, l’impact sur le financement des infrastructures devra néanmoins trouver parade via des approches nouvelles comme celle déjà implémentée avec l’Accord-Cadre avec la Chine. Plus que les mécanismes traditionnels, ce type de financement devrait permettre d’injecter rapidement des fonds dans les projets d’infrastructures en latence. C’est en cela que la pandémie du Covid-19 constitue un nouveau défi pour nos pays : s’adapter, adopter ou consolider de nouveaux partenariats pour les infrastructures surtout dans une logique d’accélération de la reprise socioéconomique.

Moustapha Naïté

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@MoustaphaNaite @NaiteMoustapha

JAMG - Photos : D.R.

un hub régional avec une capacité d’1 million de passagers par an à l’horizon 2030, doublant la capacité actuelle.


CULTURE(S) & LIFESTYLE

134 Interview Abdennour Bidar, philosophe

SCIENCE-FICTION

Ils nous disent l’avenir

La crise que le monde traverse actuellement n’est pas vraiment une surprise: elle était annoncée, non par les astrologues ou les cartomanciens, mais par les auteurs de SF, parmi lesquels de nombreux Africains. Florilège d’œuvres d’anticipation édifiantes !


138 Médias Scénaristes en série

14O Histoire Mis sous l’éteignoir par le FLN

142 Cinéma Le Normand et le Guinéen est malade. Elle a la diarrhée et crotte sur le visage du dormeur, sur ses yeux, son nez ou sa bouche. Maintenant, l’homme a les deux coronavirus dans le sang et ils se multiplient dans ses voies respiratoires. Et leur matériel génétique se mélange. Un nouveau coronavirus est né – un virus qui se transmet facilement et qui cause une maladie très grave. » Cela vous rappelle quelque chose? Chez Deon Meyer, le nouveau coronavirus tuait 95 % de la population mondiale…

Octavia Butler visionnaire

R FOUND IMAGE PRESS/CORBIS VIA GETTY IMAGES

NICOLAS MICHEL

assembler les sombres éclats du présent pour imaginer le futur : nombreux sont les romanciers qui se sont glissés dans la peau de Cassandre. Franz Kafka avec Le Procès (publié en 1925), George Orwell avec 1984 (paru en 1949), Aldous Huxley avec Le Meilleur des mondes (sorti en 1932) comptent sans doute parmi les plus connus, mais il existe une vaste littérature dite de science-fiction tournant autour de la même question : de quoi demain sera-t-il fait? Riche de nombreux univers, peuplée d’êtres issus de planètes lointaines, illuminée d’incroyables fulgurances, cette littérature fut longtemps le domaine réservé d’écrivains blancs occidentaux. Et aujourd’hui encore, il est quasiment impossible de trouver dans les librairies des romans de SF ou des fictions dystopiques, pour employer un terme à la mode, écrits par des auteurs ou auteures francophones africain(e)s. Mépris pour un genre parfois méjugé, notamment en France ? Manque de vision prospective? Difficile à dire, mais les choses pourraient bien changer avec l’influence d’auteurs anglophones de plus en plus visibles sur la scène littéraire. La crise sanitaire que le monde est en train de traverser a mis en lumière le roman du Sud-Africain Deon Meyer, Fever, paru en 2016 (et traduit en français sous le titre L’Année du lion). Dans ce texte prémonitoire, l’auteur imaginait une pandémie provoquée par la rencontre entre un virus humain et un virus de chauve-souris. Il écrivait : « La chauve-souris

Deon Meyer n’est pas le seul Africain à tenter l’aventure du futur : sa compatriote Lauren Beukes (Moxyland, Zoo City, Les Lumineuses, Les Monstres) s’y essaie, elle aussi. Mais c’est surtout aux États-Unis et au Royaume-Uni que de plus en plus d’auteurs africains-américains, souvent d’origine nigériane, se propulsent vers l’avenir. Sans être exhaustif, on peut citer Tochi Onyebuchi, Nnedi Okorafor, Tade Thompson, Nora K. Jemisin et quelques autres, récompensés chaque année par les Nommo Awards depuis 2017… Parmi eux, Nnedi Okorafor comme N. K. Jemisin rendent hommage à la pionnière que fut Octavia E. Butler (1947-2006), sans doute l’une des premières auteures de science-fiction à créer des héroïnes noires sortant des stéréotypes du genre. Dans un article de l’Idaho Statement du 8 mai 2020, Hillel Italie écrit ainsi : « [Butler] est aujourd’hui considérée comme une visionnaire qui anticipa nombre des problèmes qui font l’actualité aujourd’hui, du coronavirus au changement climatique en passant par l’élection de Donald Trump. » Dans La Parabole des talents (1998), Butler imaginait ainsi un candidat à la présidentielle américaine de 2032, de droite et peu porté sur la tolérance religieuse, dont le thème de campagne était « Help us to make America great again ». Peut-être Donald Trump a-t-il lu Octavia Butler? Aujourd’hui, il faut lire la science-fiction produite par les écrivains d’origine africaine. Que ce soit l’univers politique décrit par le Français d’origine algérienne Sabri Louatah ou les mondes imaginés par les AfricainesAméricaines N. K. Jemisin et Nnedi Okorafor. Ils nous tendent un miroir, et nous mettent en garde. Sans doute serait-il sage de les écouter.


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SCIENCE-FICTION

ZBIGNIEW BZDAK/CHICAGO TRIBUNE/TRIBUNE NEWS SERVICE VIA GETTY IMAGES

d’un mélange de matière grasse et de piment ocre appelé otjize. Sauf que nous sommes dans un futur lointain où les peuples se déplacent d’une planète à l’autre…

Parcours initiatique

Féminin pluriel

Auteure de SF très en vue, la « Naijaméricaine » Nnedi Okorafor brosse le portrait d’héroïnes africaines complexes aux identités multiples, loin des stéréotypes en vogue.

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NICOLAS MICHEL

vec la traduction et la publication de trois ouvrages en 2020, les fans français de Nnedi Okorafor seront comblés. Après Qui a peur de la mort?, paru en 2018, les éditions ActuSF publient un recueil d’essais et de nouvelles (Kabu Kabu) et le premier tome de la trilogie Binti, tandis que l’École des loisirs a lancé Akata Witch. Auteure de textes pour enfants et adolescents, l’Americano-Nigériane, qui se définit elle-même comme « naijaméricaine » a aussi réalisé plusieurs scénarios de comics, comme Antar,the Black Knight (illustré par Eric Battle) et Long Live the King, épisode de Black Panther dessiné par Aaron Covington. Et si l’adaptation par la chaîne HBO de Qui a peur de la mort? ne semble guère avancer, celle de Binti par la plateforme Hulu paraît, elle, bien engagée. Ancienne tenniswoman de haut niveau, Nnedi Okorafor a dû mettre un terme à sa carrière après une opération de la scoliose qui immobilisa, pour un

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moment, ses jambes. Scientifique passionnée par l’entomologie et les mathématiques, elle confiait à JA, en 2018 : « J’ai lu les textes scientifiques d’Isaac Asimov avant de découvrir qu’il était un auteur de science-fiction (SF). » À l’hôpital, elle occupe son esprit en créant une femme en argile, à qui elle donne la capacité de voler. « Il fallait que je m’évade. Et l’écriture a pour moi une vertu thérapeutique. » Cette femme en argile, on la retrouve d’une certaine manière dans le personnage de Binti, qui, comme les Himbas de Namibie, s’enduit le corps

Kabu Kabu, traduit de l’anglais par Patrick Dechesne et Robin Remy, ActuSF, 442 pages, 18,90 euros

Refusant le qualificatif d’afrofuturiste qu’elle trouve trop vague, Nnedi Okorafor combat les stéréotypes à l’œuvre dans la SF occidentale en introduisant des personnages de femmes africaines complexes, dépositaires de savoirs millénaires. Ses sujets de prédilection? L’identité, la féminité, les traditions, les rapports avec la nature, la violence… Le tout transposé dans des paysages qui rappellent l’Afrique. Mais la question centrale du récit tourne en général autour de la capacité d’une femme à se construire et à conquérir sa liberté face aux exigences du clan, de la famille, de l’ethnie, de l’espèce ou même des pouvoirs dont elle a hérités… Le parcours initiatique de Binti illustre cette quête: Himba contrainte de se rebeller contre sa famille pour aller étudier sur la planète Oomza, elle va être symboliquement violée par une Méduse (une espèce extraterrestre), au point d’en devenir une partiellement. Puis, de retour dans son pays, elle découvrira qu’elle appartient aussi au peuple du désert, les Enyi Zinariya… Comment vivre en paix avec toutes les identités qui nous traversent et comment accepter celles d’autrui, voilà les interrogations bien actuelles qui sous-tendent la SF d’Okorafor. Et qui pourraient bien être toujours d’actualité demain…

Binti, traduit de l’anglais par Hermine Hémon et Erwan Devos, ActuSF/NAOS, 322 pages, 17,90 euros

Akata Witch, traduit de l’anglais par Anne Cohen Beucher, EDL, 370 pages, 18 euros


La révolte des magiciennes

Dans Les Livres de la Terre fracturée, N. K. Jemisin raconte le destin de femmes orogènes seules capables de protéger l’humanité d’une nature enragée. Et en lutte contre l’empire qui les asservit.

A

enfants étaient des orogènes, capables de « manipuler les forces thermiques et cinétiques, ainsi que d’autres formes d’énergie, pour influencer les secousses sismiques ». Et donc de tuer les « fixes » (ceux qui, comme Jija, sont « incapables d’orogénie ») quand, tel Uche, ils ne maîtrisent pas encore leur don. Mais aussi de protéger l’humanité des catastrophes naturelles qui l’empêchent de développer toute civilisation sur le long terme. Cette puissance aussi vitale qu’effrayante a été domptée. Des Gardiens « traquent » et mettent au pas les orogènes (ou « gêneurs ») dès leur plus jeune âge à force de sévices physiques et psychologiques. Le glaçant Schaffa dresse ainsi Damaya, une enfant que sa propre famille a rejetée lorsque son don s’est manifesté, en lui brisant la main. Au sein de cet « ordre militaire », des professeurs sans pitié lui

lors que la littérature de science-fiction reste dominée par les hommes blancs, généralement anglo-saxons, de nouvelles voix africaines-américaines émergent, qui créent des mondes parfois terrifiants mais diablement fascinants. Si l’on connaissaitdéjàl’Américano-Nigériane Nnedi Okorafor (lire page ci-contre), on ignore peut-être encore l’existence de la fabuleuse conteuse qu’est l’Africaine-Américaine Nora K. Jemisin, et notamment ses Livres de la Terre fracturée,œuvre inclassable oscillant entre science-fiction et fantasy. Dans cette trilogie violente et sombre, la nature rappelle régulièrement à l’humanité qui est le maître. Sur le Fixe, « vaste continent sans solution de continuité » d’une planète torturée par une activité sismique déchaînée, l’humanité doit survivre à d’interminables hivers de « six mois minimum », les « Saisons », provoquées par des cataclysmes tels que tremblements de terre, raz de marée, éruptions volcaniques, pluies acides. Seule capable d’apaiser la fureur de « Père Terre », la caste des orogènes est pourtant opprimée par l’Empire. Et c’est justement à l’aube d’une Saison qu’une femme, Essun, retrouve un jour son fils, Uche, « mort sous les coups de son père », Jija. Lequel a aussi enlevé leur fille, Nassun, ne supportant pas de découvrir que ses

LAURA HANIFIN

SABINE CLERC

apprendront à contrôler son pouvoir, mais surtout à devenir une « arme » docile de l’Empire.

« Bêtes noires »

Les orogènes n’ont aucun droit, ni sur leur propre vie, ni sur celle de leur progéniture imposée. On les pousse à la maîtrise parfaite de leur don « à travers des générations de viols, de coercition, de sélection tout sauf naturelle ». Malgré sa puissance et sa contribution à la stabilité de l’Empire ainsi qu’à la survie de la population, tout un pan de la société est ainsi déshumanisé – en premier lieu à ses propres yeux. « Une fillette traitée de monstre assez souvent finit par épouser cette étiquette. » Quoique tolérés pour leur utilité, les orogènes impériaux, « reconnaissables à leur uniforme noir », sont ainsi appelés des « bêtes noires ». Et ils l’acceptent. Un système esclavagiste bien huilé, en somme. Si l’humanité subit ravages après ravages, c’est parce que, dans un lointain passé dont il ne reste que quelques vestiges, elle a détourné les mystérieuses énergies qui irriguent la croûte terrestre à son profit. En asservissant la nature, elle a défié un être qui la dépassait, « Père Terre ». En proie à une rage démesurée depuis, celui-ci n’a de cesse qu’il éradique l’humanité. À l’aube de la Cinquième Saison, Essun part à la poursuite de sa fille dans un décor digne de celui de La Route, de Cormac McCarthy: elle doit marcher des jours durant au milieu de cohortes de réfugiés parfois


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hostiles. Mais elle n’a rien d’une Sarah Connor prête à organiser la résistance contre le Terminator. « Elle a 42 ans, est dotée de hanches qui ont porté deux enfants sans difficulté, de seins qui les ont nourris sans difficulté. Elle a l’air solide, bien en chair. » Une figure qui occupe rarement le devant de la scène dans les récits de science-fiction et de fantasy. Or c’est précisément ce type de personnage que Jemisin veut mettre en lumière: des femmes qui lui ressemblent et auxquelles d’autres Africaines-Américaines pourront s’identifier.

Revanche

Car les héros noirs sont rares dans le monde de la fiction, malgré une forte attente (comme en témoigne le succès de Black Panther) dont éditeurs et producteurs semblent seulement prendre conscience. Jemisin a même vu son premier roman rejeté sous prétexte qu’il n’y aurait qu’un lectorat noir pour lire l’œuvre d’un auteur noir… Mais Jemisin, qui est née dans l’Iowa en 1972, découvre à l’adolescence un roman décrivant un futur où les Noirs sont encore bien présents: Dawn (1987), de l’Africaine-Américaine Octavia E. Butler. Une révélation. Elle se sent alors la légitimité nécessaire pour écrire de la science-fiction. Rien de surprenant à ce que la têtue Essun soit aussi le personnage préféré de Jemisin. Comme la puissante orogène, l’auteure a dû se soumettre aux règles imposées par la société avant de pouvoir s’en affranchir. Bien que fille d’un artiste vivant de ses créations, Jemisin a toujours entendu sa famille lui dire qu’elle ne pouvait embrasser la carrière d’écrivain, qu’il lui fallait gagner sa vie avec un métier sérieux. Elle est ainsi devenue psychologue et éducatrice. Heureusement, elle a fini par réaliser son rêve et en a été récompensée. Chaque tome des Livres de la Terre fracturée a décroché la plus prestigieuse distinction en littérature de science-fiction, le prix Hugo du meilleur roman (en 2016,

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en 2017 et en 2018). Ce qui n’est pas un mince exploit dans un cercle non seulement très masculin, mais aussi affligé d’une aile d’extrême droite blanche ultra-raciste. Dans son discours de remerciement, en 2018, la New-Yorkaise a d’ailleurs vilipendé ceux qui prétendaient qu’un auteur noir n’avait droit aux honneurs qu’en vertu d’une bien-pensante politique identitaire – contrairement à l’homme blanc, qui, lui, serait toujours couronné pour la vraie valeur de son travail. Cette reconnaissance officielle sonne comme une revanche pour la communauté africaine-américaine en général, et pour les femmes en particulier. Dans la Terre fracturée, Jemisin, militante féministe, les montre sous un jour souvent sombre mais toujours déterminé. Loin d’être des victimes impuissantes ou des objets décoratifs, elles sont ici pleinement sujettes. Et Essun accomplira ce qu’aucun orogène avant elle n’avait pu réaliser.

LES LIVRES DE LA TERRE FRACTURÉE 1. La Cinquième Saison, traduit de l’anglais par Michelle Charrier, 2017, J’ai Lu, coll. « Nouveaux Millénaires », 448 pages, 23 euros 2. La Porte de cristal, traduit de l’anglais par Michelle Charrier, 2018, J’ai Lu, coll. « Nouveaux Millénaires », 439 pages, 23 euros 3. Les Cieux pétrifiés, traduit de l’anglais par Michelle Charrier, 2018, J’ai Lu, coll. « Nouveaux Millénaires », 445 pages, 23 euros

Mémoire à vif et fake news Avec 404, l’auteur des Sauvages, Sabri Louatah, nous plonge dans un monde futur qui ressemble cruellement à notre présent. En pire…

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MABROUCK RACHEDI

abri Louatah a explosé sur la scène littéraire en 2012 avec Les Sauvages, roman en quatre tomes adapté en minisérie sur Canal +. L’écrivain-scénariste français y imaginait l’élection du premier chef de l’État français de la même origine que lui, algérienne. Et 404 commence lui aussi lors d’une campagne présidentielle dans un futur proche. Les mirages, de fausses vidéos impossibles à distinguer des vraies, circulent sur les réseaux sociaux. L’un d’eux devient viral à quelques jours du premier tour. Il met en scène le viol de la candidate favorite par le tout nouveau chef de l’État algérien. La popularité de la candidate explose et elle est élue. Lors d’une commission d’enquête parlementaire portant sur le phénomène inquiétant de la fabrication du réel, Allia, polytechnicienne brillante et personnage principal, pose la question qui sera le fil conducteur du roman : « N’a-t-on pas sous-estimé à quel point nous étions collectivement dépendants de l’image numérique comme source d’information privilégiée, mais une source manipulable à l’envi ? » Un député interroge alors la loyauté de la jeune femme en tant que binationale franco-algérienne et introduit l’autre thème du récit, l’identité. Pour Sabri Louatah, l’anticipation est une manière d’ausculter la société.


SEBASTIEN CALVET/REA

S’il pousse le curseur un peu au-delà de l’actualité avec le faux parfait, le monde des fake news, des faits alternatifs, est déjà le nôtre. Lorsqu’un reportage dans l’Allier annonce que 40,4 % des habitants sont arabo-musulmans, « le premier mirage racial vient d’être inventé ». Tout devient sujet à caution: « On s’en prend ensuite aux vidéos montées par les journalistes méticuleux et professionnels, ceux qui s’attachent aux faits et aux vérifications et qui donnent des leçons de morale : qui certifie qu’elles ne sont pas fausses, elles aussi ? » Le doute porte sur le contenu de l’information et l’autorité de celui qui la véhicule. Pour rétablir la vérité, Allia propose 404, une application qui empêche tout enregistrement, donc toute manipulation. Quand on essaie de filmer s’affiche le message : Erreur 404. Le flux continu du direct est infalsifiable. La lutte contre la pandémie digitale passe par le confinement de l’information, réduite à un présent permanent, sans trace ni mémoire. La preuve s’efface en même temps qu’elle apparaît, et le remède provoque des réactions en chaîne susceptibles d’être pires que le mal. L’anticipation devient dystopie.

La « Porsche des immigrés »

« 404 » est donc le nom de l’application mais aussi la voiture du père de Kader: « La 404, dans sa version bâchée, représentait bien plus qu’un pick-up pour la génération de leurs parents, c’était un peu la Porsche des immigrés. »

Ami d’Allia et ancien brillant élève en prépa HEC, il en a été exclu à cause d’une rumeur de viol, aggravée par le suicide de la victime présumée. Il a déménagé en catimini, entassant ses affaires dans la Peugeot. Alors qu’il est devenu richissime aux États-Unis, ce rejet alimente sa mégalomanie et sa soif d’affirmation contre la bienséance. Il finance l’application d’Allia et se venge. Chaque personnage est affligé du fardeau de son propre « 404 », une situation vexatoire, une revanche personnelle. Sur ces failles se construisent les multiples faces d’une identité française remise en question. L’identité nourrit les débats : il existe un fossé générationnel entre les anciens, qui se revendiquent plus volontiers français, et les jeunes, qui

affirment leurs différences, jusqu’à la confrontation. L’assimilationnisme contre le différentialisme. Chacun porte une voix, et Louatah saisit les enjeux des débats en France ainsi que les hypocrisies, les zones d’ombre de camps toujours plus radicaux, sans détour, avec un sens de la formule choc. Quand il évoque « la frange la plus islamophobe de l’électorat » et les questions qu’elle soulève, dont les ressemblances avec l’actualité ne sont pas fortuites, il parle de « cette vapeur de chiottes qui a envahi tout le pays ». Il énonce que c’est l’Arabe qui est visé à travers le musulman et non l’inverse, la religion n’étant qu’un moyen détourné d’aborder un problème plus ancien et profond dans l’imaginaire français. Sa réflexion sur l’identité est indissociable de la mémoire. Une mémoire qu’il ne s’agit plus de subir. Le pouvoir passe par la narration de sa propre histoire: « Ce qui nous intéresse, c’est d’écrire l’histoire. » Un propos en forme de pied de nez à la théorie du grand remplacement. Tous les personnages ont des prénoms à consonance arabe. Les autres sont désignés par leurs titres ou fonctions. « Dans les médias, les Arabes sont depuis toujours exclus, ou tolérés à condition qu’ils ne s’expriment pas en tant que tels », écrit Louatah. L’auteur met les pieds dans le plat pour affirmer haut et fort sa voix d’Arabe et l’inscrire dans le roman national.

« CE NE SONT PLUS NOS MAÎTRES »

404, Flammarion, 356 pages, 21 euros

« Car si nous sommes pris de cette fièvre de nous réunir, d’être enfin ensemble, que ce soit dans un espace physique ou sur 404, c’est pour nous organiser politiquement, n’ayons pas peur des mots. Trop souvent on a fait pour nous sans nous, et donc contre nous. Nos ancêtres vivaient dans le désert, mais nous aussi, en un certain sens, nous vivons dans le désert. Je suis sûr que vous savez tous intimement de quoi je parle. Alors cessons d’attendre la pluie en chantant les refrains de nos maîtres. Ce ne sont plus nos maîtres, et ce ne sont pas nos chansons. Retroussons-nous les manches, munissons-nous de pelles et de pioches et faisons-le fleurir nous-mêmes, notre désert français. »

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INTERVIEW

Abdennour Bidar « Nous devons changer le désordre établi »

Philosophe dont la voix a beaucoup porté durant la pandémie, il voit dans celle-ci un espoir de réparer « le tissu déchiré du monde » et plaide plus que jamais pour la création d’une « île de tisserands » où l’on puisse cultiver une autre relation à soi, à autrui et à la nature. Propos recueillis par LÉO PAJON Jeune Afrique : Dans quelles conditions s’est passé votre propre confinement ?

Abdennour Bidar : Très bien, merci. Ce fut une période de calme, sans déplacements, alors qu’habituellement et depuis des années je suis sur les routes pour répondre aux invitations de celles et ceux que mes idées et mes livres intéressent ou interpellent. Comment avez-vous accueilli l’idée de rester isolé pendant plusieurs semaines ?

Avec une grande perplexité, car comme beaucoup je me suis demandé ce que devenait la simple liberté démocratique de circuler, d’aller et venir. Pour mon cas personnel, ce fut l’occasion de réfléchir et d’écrire, d’intervenir dans le débat public sur la pandémie, que ce soit à la télévision [émission C Politique, sur France TV] ou par des tribunes, pour Libération ou le HuffPost. Assez rapidement, vous avez proposé une conférence en ligne dans laquelle vous expliquiez que nous pouvions faire de cette épreuve une opportunité. Pouvez-vous préciser votre pensée ?

Sur le moment, c’était l’opportunité d’un retour à soi, de marquer une pause dans des vies souvent agitées voire dispersées entre mille et une choses à faire à l’extérieur. Là, en étant assigné à résidence, chacun pouvait

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prendre un peu plus le temps de réfléchir à sa vie, à ses orientations, à ses aspirations profondes et à la façon de les réaliser. Théoriquement tout au moins, cette occasion était offerte à tous, car évidemment et malheureusement pour beaucoup le confinement a été vécu comme un enfermement, faute d’espace, et, paradoxalement, comme une période où, avec le télétravail et les devoirs à faire faire aux enfants, on s’est retrouvés encore plus suroccupés que d’habitude! Vous rappelez cette phrase de Blaise Pascal: « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. » Pensez-vous que la période a permis à l’humanité de sortir du divertissement ?

Là encore, je l’espère, et j’ai confiance à terme en la possibilité d’un progrès de la conscience. Mais, pour l’heure, je vois surtout et, à l’inverse, les mêmes logiques se remettre en place : les maîtres du monde vont imposer aux masses de se remettre

NOUS N’AVONS AUCUNE POLITIQUE DE CIVILISATION AUTRE QUE CELLE DU PROFIT ET DU CONFORT MATÉRIEL.

au travail et de consommer toujours plus, donc l’aliénation va continuer et même s’aggraver, afin, dans la logique qui est celle du système en place, de recommencer à produire de la richesse matérielle. Nous n’avons aucune politique de civilisation autre que cette logique du profit et du confort matériel, aucun objectif spirituel digne de ce nom. Vous vous êtes fait le défenseur d’un rapprochement entre les peuples d’Orient et d’Occident. Cette épidémie mondiale peut-elle favoriser ce rapprochement ? Créer cette fraternité à l’échelle planétaire ?

Je l’espère, et pour cela il va falloir que de plus en plus de gens se lèvent, se mobilisent, s’engagent, changent de vie pour changer la vie et changer l’ordre en place, ou plutôt le désordre établi ! Comment ? Avec quel objectif ? Avec quel projet non seulement politique mais aussi spirituel ? Je l’ai dit souvent, ce projet sera de réparer ensemble le tissu déchiré du monde. Réparer le lien à la nature, réparer nos liens d’entraide, de solidarité, de fraternité, et réparer enfin le troisième lien, le lien à soi : réaccorder nos vies à notre moi profond, à notre intériorité, vivre selon notre cœur, qui nous éveille à la compassion, au partage, au respect, à l’émerveillement, à la sagesse, au lieu de n’écouter que nos désirs matérialistes. Devenons ensemble, à l’échelle planétaire, ce que j’appelle des « tisserandes » et des « tisserands » qui recréent et


largement partout où les besoins de base ont déjà d’habitude du mal à être satisfaits. Cela devrait nous faire réfléchir, nous contraindre à changer enfin de modèle de développement. Mais avons-nous collectivement la maturité intellectuelle, morale, politique et spirituelle pour cela ? J’en doute. Pourrons-nous alors compter au moins sur assez de résistants, d’engagés, pour mener cette insurre c tion des consciences dont parle Pierre Rabhi ? Je l’espère.

BRUNO LEVY POUR JA

DANS LES MOMENTS D’ÉPREUVE, LES SAGESSES SPIRITUELLES SONT DÉCISIVES.

L’auteur de Libérons-nous! Des chaînes du travail et de la consommation (éditions Les liens qui libèrent, mai 2018), à Paris.

réinventent tous les liens nourriciers, sacrés, fondamentaux, les liens d’interdépendance entre le vivant tout entier et la vie humaine. Dans la plupart des pays d’Afrique, le confinement est un luxe que les plus pauvres ne peuvent pas se permettre. Quand on est dans le dénuement et la

survie, peut-on néanmoins mettre aussi cette période à profit ?

La crise due à la pandémie et le confinement ont fait éclater le scandale de l’inégalité, à toutes les échelles. Comme d’habitude, la situation a été plus facile à vivre pour les nantis, et elle a été un enfer pour les plus démunis, en Afrique et plus

Quels sont les philosophes qui vous ont aidé à méditer et à sortir différent de cette épreuve ?

Ce ne sont pas des philosophes qui m’ont aidé mais plus largement des intervenants du débat public que j’ai lus avec intérêt. L’entretien d’Alain Damasio [auteur français de science-fiction] dans Reporterre, par exemple, sur un mode certes radical mais salutaire à mon sens. Et, plus profondément, ce qui m’a beaucoup apporté pendant cette période, encore plus qu’à l’ordinaire, c’est la pratique spirituelle : je suis de culture soufie, avec le dhikr quotidien matin et soir : cet exercice de concentration intérieure pratiqué en égrenant un chapelet m’a permis de goûter à une source profonde de sérénité, de détachement et de confiance en la vie, en l’avenir. La sagesse de l’islam, ou d’autres religions, peut-elle être un recours ?

Oui, dans les moments de crise et d’épreuve les différentes sagesses spirituelles sont décisives. Contrairement à ce qu’en pensent certains, ces sagesses qui nous parlent de tel ou tel dieu, ou de notre lien à l’univers, ou encore de l’immortalité qui est en nous au-delà de la vie de ce corps, ne sont pas des consolations, des refuges qui nous feraient seulement croire en

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CULTURE (S) & LIFESTYLE

INTERVIEW

des choses imaginaires et qui, ainsi, nous permettraient juste de mieux supporter la dureté de la vie. Non, l’expérience qu’elles nous offrent, à travers leur vision du monde, leurs pratiques, va beaucoup plus loin que cela. Elles éveillent notre conscience à des dimensions plus profondes et plus vastes. Elles nous font participer à l’intelligence qui anime l’univers, elles nous remettent dans le grand courant de la vie universelle. Elles nous révèlent en même temps, car le dedans et le dehors sont liés, les secrets qui dorment au fond de nous. Comme le disait jadis Socrate : « Connais-toi toi-même, tu connaîtras l’univers et les dieux. » Il semble que, dans certains cas, la foi ait aussi aveuglé des fidèles : des dizaines de pasteurs pentecôtistes américains ont par exemple péri alors qu’ils continuaient d’organiser des messes et minimisaient l’impact du virus. Ailleurs, un imam a vu dans le coronavirus « un soldat de Dieu » envoyé frapper les ennemis de l’islam. Les thèses complotistes fleurissent également autour du virus. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Cela ne m’inspire pas, cela m’atterre. Les traditions spirituelles, hier comme aujourd’hui, offrent le spectacle du meilleur comme du pire : de la sagesse d’un côté, de l’humanité, de la compassion, mais hélas aussi, chez beaucoup de croyants, de la superstition, de l’intolérance et, dans les cas que vous citez, du fanatisme. Quant au complotisme, avec toute la paranoïa qu’il peut engendrer, je crois qu’il ne mène nulle part. Au lieu de perdre son temps à imaginer des ennemis cachés quelque part ou partout et de perdre ainsi en vain beaucoup d’énergie, concentrons-nous les uns et les autres sur ce que nous pouvons faire pour changer le monde, là où nous sommes, là même où nous vivons, même si c’est à une petite échelle. Et en commençant par essayer au quotidien de se changer un peu soi-même. Faire l’exercice spirituel d’essayer de grandir en humanité, c’est-à-dire en générosité, en

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LA CRISE ET SA GESTION INTERROGENT L’ÉTAT MORAL DE NOS SYSTÈMES, L’ÉTAT MORAL DE NOS DÉMOCRATIES. désintéressement, en compassion et en miséricorde. Dans une tribune publiée dans Libération, vous avez dénoncé les mesures inhumaines et liberticides prises lors du confinement en France. Pour vous, sauver des vies ne justifie pas tout ?

Sauver le maximum de vies doit être un objectif prioritaire. La difficulté est, pour les démocraties, de concilier le maximum de sécurité avec le maximum de liberté. Or là, en cherchant à protéger les populations, ce qui était indispensable, on s’est mis dans une situation très problématique vis-à-vis des libertés publiques : non seulement la simple liberté de circuler, d’aller et venir dans l’espace public, mais aussi le droit et le devoir de visiter les malades, les personnes âgées, les souffrants, les isolés, etc. Pour moi, la crise et sa gestion interrogent donc l’état moral de nos systèmes, l’état moral de nos démocraties. Au Kenya, la police a tiré des gaz lacrymogènes dans les bidonvilles ; au Sénégal, en Afrique du Sud, d’autres violences ont été rapportées… Chaque fois justifiées par la prudence sanitaire. Pensez-vous que cette épidémie fasse le lit de régimes policiers, sur le continent, en France ou ailleurs ?

Je dis simplement qu’il faut faire très attention, être extrêmement prudents, et pour cela extrêmement avertis ou conscients des risques qu’un état d’urgence fait peser sur nos sociétés si nous voulons qu’elles restent démocratiques et pacifiques.

Le confinement a pris officiellement fin en France. Avez-vous le sentiment d’être vous-même sorti différent de cette période ?

Oui, plus conscient peut-être de l’ampleur de tout ce qu’il va falloir changer dans nos systèmes de société pour qu’ils deviennent à la fois plus humains et plus écologiques, plus démocratiques et plus spirituels. Je sors donc de l’épreuve, en admettant qu’elle soit finie, avec ce que j’appellerais un optimisme tempéré et la volonté de travailler moi-même à la création, même modeste, même à petite échelle, d’écosystèmes de vie où l’on a changé les règles pour qu’enfin ils soient consacrés à ce que j’ai appelé nos liens vitaux, nourriciers: le lien à soi, le lien à l’autre, le lien à la nature. J’invite d’ailleurs chacune et chacun à se demander comment il peut contribuer à créer, là où il vit, avec d’autres, une « île de tisserands » où l’on cultive un autre savoir-être. De telle sorte que demain, je l’espère, nos sociétés soient ainsi constituées d’une multitude de petites îles sociales reliées librement entre elles, autogouvernées pour un ensemble de décisions, indépendantes mais pas égoïstes, pas coupées les unes des autres. Comment voyez-vous l’après-Covid ?

J’espère que cette période sera l’occasion pour nos sociétés de changer de rythme, de sortir d’un mode de vie aliéné par la nécessité économique et le consumérisme. Et au-delà, donc, l’opportunité d’un changement de paradigme. Car on le voit avec la crise écologique, mais aussi avec les écarts de richesse toujours plus scandaleux, notre modèle de civilisation est mortifère : il détruit le lien à la nature, il détruit les liens de solidarité dans des sociétés où chacun est conditionné, forcé de penser d’abord à sa propre survie ou à sa réussite. Tout cela ne nous mène nulle part, si ce n’est au chaos à force de déséquilibres qui deviennent toujours plus importants et dangereux. La crise aura-t-elle permis que nous réfléchissions à cela, et que se propage une prise de conscience ? Je l’espère, mais je n’en suis pas sûr…


NOUVEAU : n° 2/2020, été 2020 COVID-19 : choc sanitaire et géopolitique Dossier

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CULTURE (S) & LIFESTYLE

MÉDIAS

Scénaristes en série

Maîtresse d’un homme marié, Célibatorium, Commissariat de Tampy… Les feuilletons africains connaissent un franc succès. Focus sur les créateurs de cinq productions phares. KATIA DANSOKO TOURÉ

Angela Aquereburu Togo

Productrice et réalisatrice de nombreux programmes courts et de séries (Zem, Palabres, Hospital IT, etc.) diffusés sur Canal+ International, TV5 Monde, A+ ou la RTI, Angela Aquereburu, 43 ans, dit s’être improvisée scénariste « pour casser les codes ». Quand la deuxième saison de Zem, diffusée sur Canal+ Afrique et consacrée aux chauffeurs de motostaxis, est mise sur les rails, elle s’attache à y intégrer un personnage féminin. « Sur nos écrans africains, les femmes sont souvent vénales ou

trompées. J’ai voulu mettre en avant ce que l’on voit au quotidien: il existe des femmes conductrices de motostaxis comme des femmes scientifiques et mères de famille. » Quand une idée lui vient, elle sait à quelle chaîne soumettre sa « bible » (synopsis, liste de personnages, thèmes des épisodes, etc.). « Un scénariste télé n’écrit pas pour le public mais pour une chaîne. » Tarifs auxquels sont payés les scénaristes ouest-africains : entre 100 000 F CFA et 1 million de F CFA (entre 152 et 1 524 euros) pour un épisode de 26 minutes selon la société de production ou le diffuseur, indique celle qui touche environ 500 000 F CFA par épisode.

OBJECTIF RAMADAN En Tunisie, les séries télévisées sont essentiellement diffusées en période de ramadan. « La plupart d’entre nous aimeraient que cela change, dans la mesure où nous sommes contraints de nous autocensurer, le public étant forcément une famille avec enfants… C’est aussi la seule période où les annonceurs s’intéressent aux productions audiovisuelles. Le reste de l’année nous sert à préparer les fictions pour le ramadan suivant. On travaille donc pour un seul mois dans l’année, et cela crée un certain encombrement », explique le Tunisien Abdelhamid Bouchnak. Acteur, il est aussi l’auteur, le réalisateur et le producteur de la série Nouba, dont la deuxième saison a été diffusée au cours du ramadan cette année. Il l’a produite grâce à sa société, Shkoon Production. Au Maroc et en Algérie, le même système prévaut. Hicham El Jebbari est connu au Maroc pour ses sitcoms humoristiques diffusées sur Al Amazighia et Al Aoula. Auteur pour le théâtre, le cinéma et la télévision tout en assurant, sans surprise, la réalisation et la production de ses œuvres, il a vu chaque épisode du Passé ne meurt pas réunir plus de 2 millions de spectateurs sur YouTube, lors du ramadan 2019. « Selon le scénario ou le casting, la rétribution peut aller jusqu’à 50000 euros », indique encore Abdelhamid Bouchnak. K.D.T.

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Kalista Sy Sénégal

La Sénégalaise Kalista Sy, journaliste de formation connue pour ses passages sur la 2sTV, est une scénariste autodidacte d’une trentaine d’années. Elle n’imaginait pas que sa toute première série, Maîtresse d’un homme marié, lancée en 2019 sur Marodi TV, connaîtrait un succès dépassant les frontières de son pays. « Encore aujourd’hui, je suis des formations afin d’affiner ma technique d’écriture. Je veux devenir scénariste professionnelle. » Tout a commencé sur Facebook, où elle publie depuis 2015 des chroniques sur le quotidien des Sénégalaises. En 2018, une amie la présente à Serigne Massamba Ndour, directeur du futur diffuseur, emballé par l’idée de produire une série. « Avant de commencer à écrire les épisodes, j’ai mené un véritable travail de recherche journalistique auprès de mon entourage mais aussi de psychologues pendant un mois. Je voulais que cette série soit humaine et montre à quel point les femmes sont versatiles. Il m’a aussi fallu apprendre comment retenir le public au fil des épisodes, jouer sur ses émotions et créer le débat. » Outre le brainstorming avec l’équipe de Marodi TV, Kalista Sy s’est attaché les services de deux autres scénaristes et affirme être « très bien payée ».

Noraogo Sawadogo Burkina Faso Pour le scénariste de séries comme Le Fauteuil ou Commissariat de Tampy, un bon auteur doit donner l’envie de suivre une histoire jusqu’au bout et être capable de s’inspirer de sa propre culture. « Dans le contexte ouest-africain, les scénaristes sont les héritiers de traditions orales. Contes et légendes pullulent dans notre imaginaire quotidien. Un scénariste africain a largement de quoi puiser dans son environnement pour réussir à écrire des histoires spécifiques au continent tout en leur donnant un caractère universel. »


La Togolaise Angela Aquereburu montre qu’il existe « des conductrices de motos-taxis comme il existe des femmes scientifiques et mères de famille ».

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Adama Roamba (à dr.), scénariste et réalisateur de Du jour au lendemain, de Petit Sergent ou encore du Célibatorium…

Brigitte Bleu est la coréalisatrice et la scénariste de la série ivoirienne Les Larmes de l’amour.

Adama Roamba Burkina Faso Adama Roamba, 51 ans, est scénariste et réalisateur, « comme la plupart des auteurs africains », notamment celui de Du jour au lendemain, de Petit sergent ou, plus récemment, du Célibatorium… Né en Côte d’Ivoire, il a vécu au Burkina à l’ère Sankara, et s’est formé sur le tas. « J’ai commencé par des stages sur des plateaux avec Issa Traoré de Brahima et Dani Kouyaté avant de réaliser mon premier court-métrage vendu, à l’époque, à CFI [Canal

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Brigitte Bleu Côte d’Ivoire

Brigitte Bleu, actrice depuis 1996, est coréalisatrice et scénariste de la série Les Larmes de l’amour, dont la saison 2 (26 épisodes de 52 minutes) sera diffusée en février 2021 sur la chaîne A+. On y suit les aventures de plusieurs personnages empêtrés dans des histoires d’amour compliquées. « Je m’inspire essentiellement d’histoires réelles entendues ou vécues. » Autodidacte, c’est en 2011 que Brigitte Bleu a commencé à écrire pour la télévision, et notamment pour la RTI, grâce à l’appui de scénaristes chevronnés. « J’étais payée 100 000 F CFA l’épisode par la RTI, se souvient-elle. Pour les Larmes de l’amour, j’ai tourné 19 épisodes avant la proposition à A+. Et ce avec mon propre budget de 118 millions de F CFA. » Pour elle, un bon scénariste doit savoir écouter et observer ce qui se passe autour de lui. « Avec le peu de moyens que nous avons en Afrique, nous sommes souvent obligés de limiter l’action quand nous écrivons. Un tournage coûte très cher, on se doit de prendre en compte la réalité. C’est la raison pour laquelle on se retrouve souvent avec des fictions où les personnages passent du salon à la chambre et vice versa. La série devient alors une pièce de théâtre filmée. »

France International]. Cela m’a permis d’effectuer un stage à Paris, chez La Luna Productions, avec qui je travaille encore aujourd’hui pour des coproductions via ma propre société, Film 21. » S’il planche actuellement sur une série policière, FSA – Forces spéciales africaines, coproduite par Canal+ International, la société marocaine Image Factory et la française Films 7, Adama Roamba soutient que le scénariste africain est forcément limité financièrement. « Si l’inspiration est grande, une fois sur le papier, on rêve moins. »

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CULTURE(S) & LIFESTYLE

HISTOIRE

Mis sous l’éteignoir par le FLN

S’appuyant sur des documents déclassifiés, quatre ouvrages récents retracent la trajectoire des vaincus de la guerre d’Algérie. Et démontrent que leur passé façonne encore notre présent.

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RENAUD DE ROCHEBRUNE

n est toujours loin d’en avoir fini avec la guerre d’Algérie, près de soixante ans après l’indépendance. L’intérêt porté en avril, des deux côtés de la Méditerranée, à l’ouverture d’archives françaises, en l’occurrence celles concernant les disparus au cours des hostilités, l’a prouvé une fois de plus. Même s’il ne s’agissait encore que d’un petit pas sur le chemin de la transparence concernant la période 1954-1962… Côté français, il reste en effet beaucoup à faire pour rendre disponibles tous les documents utiles aux historiens. Et, côté algérien, la situation est bien pire : la plupart des archives demeurent inaccessibles, et le travail des spécialistes qui refusent de s’en tenir à la seule histoire « officielle » de la guerre d’indépendance n’est guère encouragé – c’est une litote. Ne reste donc, à l’évidence en Algérie et à un moindre degré en France, que les ouvrages des chercheurs ou chroniqueurs soucieux de traquer avec acharnement la vérité historique pour découvrir de

Algérie. Une autre histoire de l’indépendance, de Nedjib Sidi Moussa, PUF, 338 pages, 22 euros (disponible chez Barzakh, en Algérie)

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Une mémoire algérienne, de Benjamin Stora, Robert Laffont, 1 088 pages, 32 euros

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nouveaux épisodes ou des versants méconnus de la guerre d’Algérie. Quelques-uns d’entre eux, sortis récemment, éclairent d’un jour nouveau tout un aspect du conflit, avant, pendant et après les hostilités proprement dites. Ils évoquent le parcours de ceux qui, parmi les Algériens, n’ont pas accepté sans réserve ou pas accepté du tout le leadership du FLN pendant la guerre. Une histoire des perdants, donc. Ceux qu’on connaît sous le nom de messalistes furent certainement les perdants par excellence de la guerre. Dans Algérie. Une autre histoire de l’indépendance, Nedjib Sidi Moussa, sociologue et politologue, a entrepris d’explorer le parcours des militants du mouvement indépendantiste algérien dirigé depuis le milieu des années 1920 par Messali Hadj, vétéran du combat anticolonial et leader charismatique du principal parti nationaliste jusqu’au déclenchement de la guerre. Ce mouvement s’appelait alors le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), vitrine politique du Parti du peuple algérien (PPA), lequel, interdit et donc clandestin, avait succédé à l’Étoile nordafricaine après sa propre interdiction

Les Communistes et l’Algérie, d’Alain Ruscio, La Découverte, 664 pages, 28 euros

L’Année des dupes. Alger 1943, de Jacques Attali, Fayard, 352 pages, 20,90 euros

par la France du Front populaire. De nouveau interdit dès 1954 par les autorités coloniales, qui lui attribuent alors la responsabilité des attentats du 1er novembre, le MTLD réapparaîtra sous le nom de MNA pendant toute la durée de la guerre, puis après 1962 sous son ancienne appellation de PPA.

Luttes fratricides

Même s’il a formé tous ceux qui ont décidé d’agir en 1954, ce n’est pas le MTLD mais les animateurs de sa branche activiste entrés en dissidence, principaux fondateurs du FLN, qui se sont lancés les premiers, armes à la main, dans la guerre contre le colonisateur. Le MNA aura beau créer à son tour des maquis, revendiquer sa part dans le combat indépendantiste, il sera assez vite marginalisé, au prix de luttes fratricides sanglantes (au moins 4000 morts), par un FLN à la volonté hégémonique. Malgré la volonté du pouvoir algérien de placer le MNA dans le camp des traîtres et de l’effacer des livres d’histoire après 1962, le parcours du mouvement messaliste et les épisodes de la véritable guerre civile qui a opposé le MNA et le FLN au temps des hostilités étaient déjà assez connus. Notamment grâce aux travaux de l’historien algérien Mohammed Harbi et du Français Benjamin Stora (dont on vient de rééditer six livres majeurs dans la collection « Bouquins », chez Robert Laffont, sous le titre Une Mémoire algérienne). L’ouvrage de Nedjib Sidi Moussa est cependant sans doute le premier à tenter de retracer aussi précisément non seulement l’histoire des militants nationalistes qui sont restés fidèles envers et contre tout à Messali, mais aussi l’évolution du programme et de l’idéologie de leur parti. Aussi bien juste avant la guerre, lors de la scission du MTLD, que pendant celle-ci, et même après puisque, malgré l’exil


UNIVERSAL HISTORY ARCHIVE/GETTY IMAGES

Défilé des troupes du FLN à Alger, en juillet 1962.

de ses dirigeants, le PPA se voudra l’un des fers de lance du combat pour la démocratie et ne disparaîtra donc pas totalement du paysage politique algérien. L’intérêt de l’ouvrage est de nous faire découvrir quantité d’archives inédites, à commencer par le journal inachevé de Moulay Merbah, qui restera jusqu’au bout l’un des principaux lieutenants de Messali, et d’innombrables comptes rendus de réunions, souvent agitées, des dirigeants messalistes. Mais également de montrer que le nationalisme algérien, même si le FLN a réussi à devenir hégémonique, fut toujours pluraliste. Ce qui n’est pas rien à l’heure où le régime algérien, directement issu de la victoire de 1962 et de l’accaparement de cette victoire par les seuls « militaires » au détriment des « politiques » du FLN, est fortement contesté et va certainement le rester quel que soit le sort final du Hirak.

Divisions communistes

Autre perdant de la guerre, puisqu’il lui a fallu abandonner son autonomie pour finalement rejoindre le FLN, le Parti communiste algérien méritait

ON DÉCOUVRE QUANTITÉ D’ARCHIVES INÉDITES, COMME LE JOURNAL INACHEVÉ DE MOULAY MERBAH, FIDÈLE LIEUTENANT DE MESSALI HADJ. également, tout comme sa « maison mère », le Parti communiste français, une tentative de reconstitution très documentée de ses actions et de ses positions très controversées avant et pendant la guerre d’indépendance. Avec son monumental ouvrage Les communistes et l’Algérie. 1920-1962, Alain Ruscio a mené cette entreprise avec minutie et une grande objectivité. Il fait apparaître comment communistes algériens et PCF ne pouvaient que diverger dans leurs trajectoires à partir du moment où le PCA avait cessé d’être dominé par les « Européens » au profit des militants « indigènes », qui n’avaient aucune raison de rester prudents

face à la perspective de l’indépendance. Il explique fort bien, ce qui va de pair, comment ne pouvaient aussi que diverger, depuis le tout début du combat pour l’indépendance, à partir des années 1920, les aspirations des nationalistes et celles des communistes, ces derniers plaçant au-dessus de tout le combat internationaliste et la révolution mondiale. Perdants encore, d’une tout autre façon, les juifs d’Algérie, qui peuplaient le territoire depuis des siècles, bien avant la colonisation, et dont Jacques Attali retrace le destin dans l’Algérie coloniale puis, brièvement, pendant la guerre dans son livre L’Année des dupes. Alger 1943. Bien que traités jusqu’au décret Crémieux de 1870 comme des non-citoyens à l’instar des musulmans algériens, ce qui se reproduira pendant la honteuse parenthèse de Vichy, ils ne se résoudront jamais, refusant les approches des indépendantistes, à rejoindre, sauf rares exceptions, le combat nationaliste. Ce qui les conduira à devoir partager le sort des pieds-noirs « européens » fuyant massivement vers la métropole en 1962.

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CULTURE(S) & LIFESTYLE

CINÉMA

Le Normand et le Guinéen Quand deux jeunes garçons d’origines différentes se rencontrent, ils jouent au foot et construisent des cabanes, jetant les fondements d’un monde meilleur.

JHR FILMS

La documentariste Ariane Doublet a rencontré Alhassane alors qu’il errait dans le port du Havre.

E

RENAUD DE ROCHEBRUNE

n ces temps où la crise sanitaire a surtout fait porter l’attention sur des films d’épouvante ou de catastrophe, voilà que vient d’être proposé en VOD, faute de salles ouvertes en France, Green Boys, un long-métrage qui ressemble fort à ce que les Américains appellent un feel good movie. Autrement dit l’un de ces films – en général des comédies – qui font du bien et ont vocation à réjouir un large public de spectateurs petits et grands. Cette sortie est d’autant plus surprenante que Green Boys ne paraissait pas a priori de nature à participer de ce genre, ni par sa production, plus que modeste, ni, moins encore, par son sujet, puisqu’il s’agit d’évoquer le sort d’un migrant africain. Le propos du film peut sembler mince. Il raconte en effet avec délicatesse, sous forme documentaire, comment Alhassane, un Guinéen de 17 ans arrivé depuis peu tout seul sur le sol français et vivant dans un petit village normand, développe pendant tout un été une relation amicale avec

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Louka, un enfant beaucoup plus jeune, d’à peine 13 ans, qui habite dans les environs. L’un et l’autre vont profiter de cette rencontre inattendue dans un environnement rural situé non loin de la mer pour jouer au foot, pêcher à l’épuisette, grimper aux arbres. Et échanger leurs savoir-faire et leurs passions. Tout particulièrement en construisant ensemble ce classique des enfants, une cabane, qui permet à la fois de s’abriter et d’abriter ses secrets. Mais pas n’importe quelle cabane puisque celle-ci va vite ressembler à l’une de ces cases qu’Alhassane connaît bien pour les avoir habitées dans son pays natal. Une construction qui va d’ailleurs attirer la curiosité de quelques villageois résidant à proximité, u n p ê cheu r, u n paysan, une retraitée Green Boys, octogénaire, qui tous d’Ariane font preuve d’une Doublet, est extrême bienveilsorti en VOD lance envers le jeune sur de Africain et son nombreuses compagnon de jeu. plateformes

Un documentaire, avons-nous dit. En effet, filmé avec la complicité des deux jeunes, Green Boys est le résultat d’une initiative qui a concerné au premier chef la réalisatrice, la documentariste Ariane Doublet. Celle-ci a cofondé il y a quelques années l’association normande Des lits solidaires, qui a pour vocation de trouver un hébergement aux jeunes en difficulté. D’où sa rencontre avec Alhassane, errant dans le port du Havre, qu’elle a aidé à entrer en contact avec des familles vivant à la campagne et prêtes à l’accueillir. Le jeune Guinéen ayant exprimé le désir d’avoir un partenaire de foot, est arrivé Louka, qui s’est porté candidat auprès de l’association pendant qu’il était en vacances et qui a fini par venir tous les jours voir ce nouveau copain atypique et attachant.

Vivre-ensemble

À la vérité, même si cela n’apparaît que par le biais d’une voix off, celle d’Alhassane parlant dans sa propre langue et sous-titrée, le film ne zappe pas complètement le contexte de cette histoire qu’on peut trouver à la fois sympathique et quelque peu édifiante. On apprend ainsi que son périple, qui a duré deux ans (il est parti de son pays à l’âge de 15 ans), a été aussi terrible que celui de la plupart des migrants. Avant de rejoindre l’Europe et finalement la Normandie, il a connu, entre autres, l’enfer des prisons libyennes et l’attente désespérante dans un camp de rétention en Sardaigne après la périlleuse traversée de la Méditerranée. Mais ce n’est pas ce sur quoi voulait insister la réalisatrice, qui entendait avant tout glorifier les vertus du vivre-ensemble et de la tolérance avec ce film très agréable à suivre et optimiste.


GRANDFORMAT

SOPHIE GARCIA/HANSLUCAS.COM

Pour tout comprendre de l’évolution d’un pays

BURKINA FASO Mobilisation générale

S’il maintient un haut niveau de vigilance face à la pandémie, mais aussi contre le terrorisme, le pays tout entier se concentre désormais sur la relance de l’activité économique et la préparation de la présidentielle et des législatives du 22 novembre. no3089 – JUIN 2020

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146 ENJEUX

Le Faso face au Covid

ÉDITORIAL

152 Exécutif

Damien Glez

La méthode Dabiré

155 En débat Montrer les muscles ou tendre la main?

158 Élections

Éloge de l’entre-deux

T

iède, le Burkinabè ? Pondéré, il avance avec autant de prudence que de résilience. Et 2021 pourrait être une année de renouveau pour le modeste Faso. Pays de consensus et de mesure, le Burkina Faso exhale, ces derniers mois, un parfum d’entre-deux. Un entredeux politique, alors que s’allonge la liste des candidats à la présidentielle et que l’insurgé assourdi se désintéresse ostensiblement des scrutins à venir ; un entre-deux judiciaire, alors que l’évolution des symptomatiques dossiers Thomas Sankara et Norbert Zongo semblent décliner un cha-cha-cha de pas en avant et de pas en arrière ; un entredeux sécuritaire, alors que de récentes attaques terroristes viennent d’infirmer la théorie d’une anesthésie du jihad par la pandémie mondiale. En matière de coronavirus, justement, le citoyen est engoncé entre pessimisme et optimisme. Comme dans la fable de l’homme qui tombe du cinquantième étage d’un immeuble en se disant, à chaque niveau, « jusqu’ici tout va bien », le Burkinabè lambda a entendu l’augure d’une hécatombe ingérable pour un système de santé indigent. Mais il écoute aussi les discours sur l’Afrique miraculée, possiblement sauvée par sa pyramide des âges ou son climat. D’entre-deux est également qualifiée la batterie de mesures prises par le gouvernement pour contrer la propagation du Covid-19 : couvre-feu sans confinement, comme pour un virus noctambule ; sévérité dans l’application dudit couvre-feu, tandis que le masque obligatoire semble être contrôlé avec laxisme ; fermeture et réouverture de lieux de commerce ou de culte, au gré des pressions de lobbyistes.

Bien sûr, tout est question de timing et de paris parfois moins populistes qu’il n’y paraît. Qui nierait qu’un masque nécessite un budget, tandis que le fait de rester chez soi n’est lié qu’à une bonne volonté justement source d’économie ? « Tâtonnement », hurlent les réseaux sociaux, qui, en matière de mesures d’accompagnement, ne voient que rarement midi à leur porte. « Amateurisme », voire « culpabilité », renchérissent ceux qui devinent plus que de l’approximation dans le compte rendu du décès d’une élue d’opposition, Rose Marie CompaoréKonditamdé, première victime officielle du Covid-19, le 18 mars.

Au carrefour de son histoire

Après tout, ces mandats présidentiel et parlementaires qui tirent à leur fin n’étaient-ils pas, par nature, ceux d’un entre-deux historique ? Après la transition inconstitutionnelle de 2015, improvisée à la suite de l’insurrection populaire, est venue une sorte de transition républicaine, avec le raccommodage de la IVe République. La page politique des années Compaoré est toujours en train de se tourner, la majorité actuelle étant largement composée de piliers de l’ancien régime tout autant qu’une partie des bancs de l’opposition. Entre-deux, entre le solde d’un passé encore vivace et le renouveau annoncé, le Burkina Faso ne doit-il pas envisager les scrutins à venir comme le véritable carrefour de son histoire contemporaine ? Considérons que le Pays des hommes intègres a eu un quinquennat pour purger et régénérer sa classe politique. Il se doit de voter massivement, en 2020, pour faire de 2021 « l’année de son année » tant fantasmée.

Un parfum de campagne

160 Vie des partis Entretien avec Simon Compaoré Président du MPP Le CDP resserre les rangs Interview de Zéphirin Diabré Chef de file de l’opposition

166 ÉCONOMIE

Comment Ouaga résiste

170 Stratégie Entretien avec Harouna Kaboré Ministre du Commerce et de l’Industrie

174 Mines L’or tient ses promesses

176 Entrepreneuriat Des patrons proactifs Le Larlé Naaba, Hamidou Ouédraogo, Inoussa Maïga

180 SOCIÉTÉ

Il était une fois… 60 ans d’indépendance Entretien avec Frédéric Titinga Pacéré Avocat et écrivain

186 Sport Ces athlètes qui gagnent Marthe Koala, Iron Biby, Hugues Fabrice Zango

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GRAND FORMAT BURKINA FASO

ENJEUX

Plus de peur que de mal


Grâce à son système de santé et à la riposte rapide de l’exécutif, le Burkina, qui est l’un des premiers pays africains à avoir été touchés par le coronavirus, semble avoir réussi à en limiter la propagation. Et s’attelle maintenant à accélérer la timide reprise de l’activité.

O Opération préventive de désinfection sur le grand marché de Rood Woko, à Ouagadougou, le 31 mars.

OLYMPIA DE MAISMONT/AFP

NADOUN COULIBALY, à Ouagadougou uagadougou a détecté officiellement le 9 mars ses deux premiers cas de Covid-19: un pasteur et son épouse ont été testés positifs à leur retour d’un rassemblement évangélique auquel ils avaient participé à la fin de février à Mulhouse, dans l’est de la France. Le Faso devenait ainsi le quatrième pays d’Afrique de l’Ouest à être touché par la pandémie, après le Nigeria, le Sénégal et le Togo. Près de trois mois plus tard, il s’en sort plutôt bien. Le nombre de cas déclarés reste inférieur à 1000 (809 au 21 mai), dont moins de 100 patients nécessitant un traitement, 661 guéris et « seulement » 52 décès. Si le pays a plutôt bien résisté à la propagation de la maladie, c’est en partie dû à la rapidité de la riposte. Dès le 3 mars, les autorités annonçaient l’élaboration d’un plan de lutte contre l’épidémie budgétisé à plus de 9 milliards de F CFA (plus de 13,7 millions d’euros). Puis, le 16 mars, elles prenaient des

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mesures drastiques pour limiter la propagation Par ailleurs, un fonds spécifique a été activé, du Covid-19 : fermeture des établissements alimenté à hauteur de 5 milliards de F CFA, scolaires, liaisons terrestres et aériennes suspour aider les PME du secteur de la pharmapendues (à l’exception du fret), déclaration de cie et du biomédical à produire localement la l’état d’alerte sanitaire, mise en quarantaine chloroquine. des villes touchées (Ouagadougou, Bobo« À ce stade, nous ne pouvons pas affirmer Dioulasso, Boromo et Dégougou), couvre-feu que le nombre de guérisons est lié à l’usage de 19 heures à 5 heures, fermeture des marchés, de l’hydroxychloroquine, précise cependant des bars, des restaurants et des Brice Wilfried Bicaba. Nous attendons les lieux de culte, restriction des rasrésultats de l’étude en cours menée par les semblements (notamment pour les chercheurs du CNRST, qui vont nous donner funérailles), des transports publics des orientations précises. » et du trafic interurbain. Les experts estimant que le pays a passé le pic de la pandémie, les mesures resLe 29 avril, le coordonnateur de la cellule de trictives sont progressivement alléréponse à l’épidémie, le professeur Martial gées, avec la réouverture des bars, Ouédraogo, a été démis de ses fonctions à la des restaurants et des maquis, la suite d’une controverse autour du décès de levée de la quarantaine et la reprise la première victime officielle du Covid-19, la du transport interurbain. députée d’opposition et vice-présidente de « Quand on observe l’évolution l’Assemblée, Rose Marie Compaoré. Pour cerROGER NEBIÉ, de la courbe de la maladie, il y a tains Burkinabè, à commencer par le mouveDÉLÉGUÉ GÉNÉRAL DU CNRST eu un moment où le Burkina était ment du Balai citoyen, c’est toute la chaîne l’un des pays les plus touchés, en de gestion de la lutte contre le Covid-19 qui nombre de cas, en Afrique de l’Ouest. Nous devrait être sanctionnée. avons pris des mesures sanitaires restrictives, « En tant qu’opposition républicaine, nous comme l’isolement des villes touchées ou avons dit notre disponibilité à apporter notre encore la fermeture des marchés. C’est l’efficacontribution pour lutter contre ce fléau qui cité de cette réponse qui a permis de contenir frappe l’ensemble de la nation et sur lequel il l’épidémie en réduisant la chaîne de transmisest hors de question de jouer un jeu politique. sion communautaire. Cela a permis de ralentir Mais, du point de vue de la gouvernance glola courbe et, in fine, de faire baisser le nombre bale de la crise, nous avons le sentiment que de nouveaux cas », explique le docteur Brice le gouvernement a voulu gérer tout seul, Wilfried Bicaba, coordonnateur du Centre des opérations de réponse aux urgences sanitaires (Corus). Un groupe d’analyse, de réflexion et de recherche composé d’acteurs éminents du Les chiffres du Covid-19 au Burkina monde médical, associé au Haut Conseil scientifique, oriente les choix stratégiques pris par Décès 52 Cas déclarés 809 Guérisons 661 l’exécutif pour infléchir la courbe de la maladie. « Nous allons soumettre de nouvelles propositions au Comité national de coordination de la lutte contre la pandémie, qui les fera valider 15 lits de réanimation par les pouvoirs publics », ajoute le Dr Bicaba. Comme le Sénégal ou le Maroc, les autorités burkinabè ont décidé de recourir à la chloroquine, à travers deux essais cliniques menés conjointement par des chercheurs burkinabè et béninois. « Les essais sur la chloroquine sont en cours, et nous attendons bientôt le rapport de l’équipe de recherche, explique Roger Nebié, délégué général du Centre national dont 8 au CHU de Tengandogo, de la recherche scientifique et technologique contre un seuil critique estimé de 79 (CNRST). Mais le protocole sur l’Apivirine a été repris à la suite des observations du SOURCES : AUTORITÉS SANITAIRES NATIONALES, OMS comité d’éthique du ministère de la Santé. »

LES ESSAIS SUR LA CHLOROQUINE SONT EN COURS, NOUS AURONS BIENTÔT LE RAPPORT DE L’ÉQUIPE DE RECHERCHE.

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Polémiques



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déplore Zéphirin Diabré, le chef de file de l’opposition (lire p. 165). Nous avons dénoncé des tâtonnements et beaucoup d’incohérences, poursuit-il. Tout d’abord, alors qu’on voyait venir la crise depuis l’Asie et l’Europe, la préparation n’a pas été optimale. Ensuite, la gestion du volet sanitaire a posé beaucoup de problèmes, notamment en ce qui concerne la détection des cas. » De son côté, Eddie Komboïgo, le président du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, lire p. 162), estime qu’en confinant les grandes agglomérations (dont Ouaga et Bobo), principaux centres de consommation, et en coupant la chaîne d’approvisionnement des opérateurs économiques dans les régions on a asphyxié les économies locales. « C’est un échec et une faillite de l’exécutif, qui doit en tirer les conséquences. Le gouvernement a agi dans la précipitation en prenant des mesures drastiques, comme la fermeture des marchés et des yaar, alors que notre économie est alimentée à plus de 80 % par le secteur informel », dénonce Eddie Komboïgo.

Fonds de relance

Alors que les indicateurs macroéconomiques du Burkina étaient au vert et que le pays affichait depuis 2016 un rythme de croissance soutenu, avec une hausse moyenne du PIB de 6 % par an (lire pp. 166-168), les prévisions et les plans établis pour les mois – voire les années – à venir sont entièrement bouleversés. Comme pour tous les pays du monde… Selon les prévisions du ministère de l’Économie, le Covid-19 devrait coûter quatre points de croissance au Faso pour l’année 2020. « Les conséquences attendues de cette pandémie sur notre économie sont la réduction du taux de croissance de 6 % à 2 % en 2020, la baisse estimée à 306 milliards de F CFA des recettes publiques, soit un déficit budgétaire de 5 %, et le ralentissement général des activités économiques, tous secteurs confondus, avec pour conséquence des tensions de trésorerie de l’État », a déclaré, le 2 avril, le président Roch Marc Christian Kaboré. Ce dernier a annoncé l’activation d’un fonds de relance pour les entreprises en difficulté doté d’une enveloppe de 100 milliards de F CFA, mais qui n’est pas encore opérationnel. L’exécutif burkinabè évalue l’effort public de soutien économique et social à plus de 394 milliards de F CFA, ce qui représente 4,45 % du PIB du pays. « Même si l’activité a repris, les conséquences de cette crise seront

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durables. D’autant que nombre de partenaires étrangers ne vont pas rouvrir leurs frontières de sitôt. Mais c’est justement l’occasion de mettre l’accent sur la production locale ! » plaide l’universitaire Seydou Ouédraogo, directeur de l’institut indépendant Free Afrik, un centre d’études stratégiques sur l’économie et la sécurité situé à Ouagadougou.

Pas de répit dans les labos

«

L

’épidémie de coronavirus a mis en première ligne la recherche burkinabè. Ses laboratoires de R&D [recherche et développement] et d’analyse sont impliqués dans notre dispositif de réponse à la pandémie et jouent un rôle central dans le rendu des résultats », explique Brice Wilfried Bicaba, coordonnateur national du Centre des opérations de réponse aux urgences sanitaires (Corus). Dès l’annonce des premiers cas, au début de mars, c’est le Laboratoire national de référence grippe (LNR-G), situé à Bobo-Dioulasso, qui a été chargé des tests. Puis les autorités sanitaires ont progressivement fait monter en puissance les capacités de diagnostic du pays. « Nous sommes passés d’un seul centre d’analyse à sept actuellement, qui sont chacun capable de réaliser plus de 190 tests par jour », précise le coordonnateur du Corus. Établissement spécialisé du Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST), l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS) abrite sur son site ouagalais le Laboratoire national de référence pour

la mise au point et la réalisation des tests de dépistage du Covid-19, lequel est en mesure d’effectuer jusqu’à 94 tests en deux heures. « S’y ajoutent le laboratoire biomédical de l’IRSS, qui a été rénové, le laboratoire du CHU [centre hospitalier universitaire] de Tengandogo et celui du CHU de Yalgado-Ouédraogo, sans oublier le Laboratoire national de santé publique (LNSP) », indique Brice Wilfried Bicaba. Bras armés de la riposte burkinabè, ces centres permettent au pays d’atteindre une capacité de réalisation de 1 000 tests diagnostiques par jour, si nécessaire. Outre ses deux laboratoires essentiels dans la lutte contre le nouveau coronavirus, l’IRSS comprend également une unité de production de chloroquine, U-Pharma, qui a repris du service à la fin d’avril après plusieurs années d’arrêt. « Quelque 500 millions de F CFA [762 000 euros] ont été mobilisés pour la fabrication locale de cette molécule, autour de laquelle des essais cliniques sont en cours, et nous attendons l’arrivée de la matière première pour démarrer la production de chloroquine », assure Roger Nebié, le directeur général du CNRST. N.C.


COMMUNIQUÉ

GROUPE KASTOR AFRICA

La cité de l’espoir, « The place to be » Au Burkina Faso, la promotion immobilière connaît un essor depuis quelques années. Au centre de la ville de Ouagadougou et dans les alentours, l’habitat illégal prolifère de façon exponentielle, les infrastructures et les équipements font défaut, les loyers s’envolent, de même que le prix des terrains.

Exerçant dans le BTP, la promotion immobilière et foncière dont les principales activités portent sur l’aménagement des sites, la construction et la commercialisation des logements collectifs et individuels ; le Groupe Kastor Africa agit pour désengorger Ouagadougou. Il s’est donné l’objectif de réduire la naissance des zones dite « non lotis », qui sont les causes d’insalu-

brités et des maux sociaux. Le but est de contribuer d’une part à l’amélioration du parc national de logements décents et d’autre part de promouvoir le développement urbain. À l’image de son fondateur et leader, la société est constituée d’une jeune équipe motivée, dynamique, créative et expérimentée. Son engagement et ses valeurs permettent aussi de d mettre à disposition des habitantts de la capitale et de sa périphérie des logements optimisés donnantt l’avantage d’un cadre de vie aménagé définit par la législation et les normes nationales.

GROUPE KASTOR AFRICA - AGENCE PRINCIPALE

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JAMG - PHOTOS: D.R.

À 33 ans, Monsieur Issouf Joseph ZAGRE est l’un des plus jeunes promoteurs de la place avec la création en 2014 du Groupe Kastor Africa.


GRAND FORMAT BURKINA FASO

OLYMPIA DE MAISMONT POUR JA

EXÉCUTIF

La méthode Dabiré

Dans son bureau, à la primature.

En poste depuis janvier 2019, le chef du gouvernement mène une politique prudente et rigoureuse. Sa feuille de route: préserver la stabilité et réussir les élections.

S

NADOUN COULIBALY

i certains analystes n’ont pas manqué de souligner son « mutisme » dans la gestion de la crise du Covid19, laissant le devant de la scène au chef de l’État (lire pp. 146-150), Christophe Joseph Marie Dabiré, 71 ans, n’en a pas moins imprimé sa marque dans la conduite de l’action gouvernementale depuis sa nomination à la primature, le 21 janvier 2019. Économiste, ancien ministre de la Santé (1992-1997), des Enseignements secondaire, supérieur et de la Recherche scientifique (19972000), puis commissaire chargé du Commerce à la commission de l’Uemoa (2007-2017), le Premier ministre burkinabè est tout aussi expérimenté

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que réservé. Pourtant, selon le ministre du Commerce, de l’Industrie et de l’Artisanat, Harouna Kaboré, Christophe Dabiré est un véritable chef d’orchestre. « Il donne des orientations précises sur le traitement de nos dossiers. Ses relations avec les différents ministres reposent sur des rapports structurés, et cela nous permet d’engranger des résultats. Dès lors qu’il considère certaines revendications comme légitimes, il nous demande d’y apporter des solutions », souligne le ministre. « Sa méthode, c’est la connaissance, le dialogue et l’écoute », ajoute l’un de ses collaborateurs.

Négociateur

Résultat, il a su contenir les grèves des syndicats qui minaient le pays depuis le début du quinquennat.

« Concernant la fronde sociale, en tenant compte des capacités réelles de l’État, je me suis engagé à ce que les protocoles d’accord déjà signés soient mis en œuvre. Et je demande à mon gouvernement de ne prendre aucun nouvel engagement tant que la remise à plat des rémunérations des agents publics de l’État n’est pas effective », explique Christophe Dabiré. Ce dernier entretient une relation empreinte de complicité avec Roch Marc Christian Kaboré. Contrairement à Paul Kaba Thieba, son prédécesseur à la primature qui était novice en politique et ne disposait que du seul soutien du chef de l’État, Christophe Dabiré bénéficie d’un réel capital sympathie auprès du parti présidentiel et des


COMMUNIQUÉ

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GRAND FORMAT BURKINA FASO EXÉCUTIF

syndicats. Ce technocrate connaît bien les acteurs et les rouages de la vie politique, économique et sociale. « On lui reconnaît aussi de solides qualités de négociateur. D’aucuns se rappellent sa gestion de la crise universitaire et de la santé en 1997, lorsqu’il était ministre de la Santé, puis de l’Enseignement supérieur », souligne un observateur politique. S’il a su apaiser le dialogue social, le Premier ministre doit encore résoudre l’épineuse question de la remise à plat des salaires des fonctionnaires et de la réduction de la masse salariale, qui a augmenté de 85 % entre 2016 et 2019, pour atteindre 836 milliards de F CFA (plus de 1,27 milliard d’euros). Il va notamment devoir convaincre les syndicats du bien-fondé de l’impôt unique sur les traitements et salaires (IUTS) dans le secteur public. Cette mesure controversée pourrait mettre fin à l’accalmie actuelle… et placer le Premier ministre face à une crise

sévère. « Dabiré est un homme de dialogue à qui on a fixé des limites objectives. Il a hérité des revendications sociales et gère la situation pour qu’elle n’explose pas. Il essaie de ne pas faire de vagues en restant dans la ligne tracée par le parti et le président du Faso », glisse un proche du chef de l’État. « Je vois mal le Premier ministre, à son âge, se mêler d’une quelconque bataille ou s’engager dans une politique volontariste pour faire bouger les lignes. Il gère les choses avec beaucoup de prudence », poursuit un patron burkinabè.

IL A SU APAISER LE DIALOGUE SOCIAL, MAIS DOIT ENCORE RÉSOUDRE LA QUESTION DE LA RÉDUCTION DE LA MASSE SALARIALE.

Alors que la plupart de ses indicateurs étaient au vert, avec un taux de croissance moyen supérieur à 6 % de 2016 à 2019, l’économie burkinabè va, comme celles de tous les autres pays, pâtir de la crise sanitaire liée au Covid-19. Aussi, au-delà des bons résultats obtenus dans la gestion des finances publiques, le chef du gouvernement sait qu’il doit désormais accélérer la concrétisation des différents volets du Plan national de développement économique et social (PNDES, lire p. 168). Son action est d’ores et déjà fragilisée par la crise sécuritaire (lire p. 155) et la fronde sociale. « La performance de Christophe Dabiré est tributaire du palais de Kosyam, décrypte le politologue burkinabè Abdoul Karim Saidou. Or le président Kaboré n’est pas dans une logique de rupture. Je pense que le Premier ministre a un agenda réaliste et modeste, son objectif est de préserver la stabilité du pays et de réussir les élections de 2020. »

CARRÉ D’AS

MWIN-NOG-TI LUC HIEN, le dircab Administrateur civil, ce commis de l’État a été chargé d’études, chef de service, puis conseiller à la présidence du Faso à partir de 2016, avant sa nomination en tant que directeur de cabinet de Christophe Dabiré, à tout juste 40 ans.

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YVONNE ROUAMBA GUIGMA, la technocrate Ex-directrice générale de la Fonction publique, la secrétaire générale a participé à la relecture des textes fondamentaux de la fonction publique et des différentes réformes de l’État, de ses sociétés, ainsi que des Établissements publics de l’État (EPE). Elle connaît bien la primature pour en avoir été la conseillère en gestion des ressources humaines.

MAGLOIRE SOMÉ, l’expert du monde syndical Professeur d’histoire contemporaine et des religions à l’université Joseph-Ki-Zerbo, Magloire Somé joue un rôle central auprès du Premier ministre en tant que conseiller spécial dans le dialogue social. Réputé pour sa rigueur et son intégrité, fin connaisseur du monde syndical, l’universitaire est au cœur des négociations avec les travailleurs sociaux.

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Le Premier ministre a réorganisé son cabinet le 6 novembre 2019 et s’est entouré d’administrateurs et de technocrates expérimentés.

DRAMANE MILLOGO, l’économiste Économiste de formation, Dramane Millogo, 56 ans, gère les dossiers relatifs à l’industrie, au commerce et à l’artisanat. En sa qualité de conseiller spécial, il préside également l’Autorité de régulation de la commande publique (Arcop), l’organe chargé de la gestion des contrats publics.


GRAND FORMAT BURKINA FASO

EN DÉBAT

Montrer les muscles ou tendre la main ? DAMIEN GLEZ

«

M

obilisation »: le terme est lâché. Quelle guerre mémorable a été gagnée sans l’engagement au front de toutes les forces vives en âge de combattre? Qu’y a-t-il de plus digne qu’un peuple agressé qui se dresse, au-delà d’un corps militaire de métier, armé d’un patriotisme enfanté par des tripes citoyennes autant que par des discours? Qui hésiterait encore à dire que le Burkina Faso est en situation de guerre après le péché terroriste originel du 15 janvier 2016 et l’inexorable dégradation sécuritaire qui s’est ensuivie? Avec plusieurs centaines de morts au compteur, au nom d’aucune idéologie recevable, n’est-il pas temps de passer de la résilience autocentrée à l’engagement solidaire? Si c’est à l’unanimité que l’Assemblée nationale adoptait, le 23 janvier, une loi permettant à tout citoyen de se porter volontaire pour lutter aux côtés des forces de défense et de sécurité, certains observateurs voient d’un mauvais œil l’armement de civils dans des régions mal contrôlées par les corps habillés. Qu’elles soient mises en place par l’État, comme les Comités de défense de la révolution (CDR) des années 1980, ou autogénérées, comme les récents groupes Koglweogo, les milices ont déjà démontré le risque que présente une autodéfense qui se mue en règlements de comptes locaux.

salvatrices – c’est selon –, la proximité bienveillante de l’ancien président du Faso avec la sphère terroriste d’alors aurait immunisé le pays de la violence. C’est au moment où la carte des zones géographiques vivement déconseillées ressemble à un buvard imbibé d’hémoglobine que Roch Marc Christian Kaboré s’apprête à remettre son pouvoir entre les mains d’un corps électoral effarouché. Dans la campagne présidentielle complexe qui se profile, en vue du scrutin du 22 novembre, l’affable « président diesel » devra proposer autre chose qu’une compassion compassée aux allures d’impuissance. Commandant en chef des armées, il devra esquisser une stratégie volontariste et ferme, depuis l’isolement qui caractérise la position d’un chef d’État en de telles circonstances décisionnelles. Et sans prospective fiable, cette quadrature du cercle sahélien soldant l’alternative « mobilisation vs négociation » en un inévitable coup de poker politique. À six mois de la présidentielle, faites vos jeux. Rien ne va plus.

Philosophie « compaoriste »

Si l’armée est fragile, et ses ersatz contestables, faut-il alors desserrer le poing pour tendre la paume? L’exemple vient du Mali – pays jumeau dans l’adversité du moment –, où le président, Ibrahim Boubacar Keïta, annonçait en février un dialogue avec certains chefs jihadistes. Même si la version burkinabè de cette tactique se heurte, selon l’opposant et politologue Augustin Loada, à l’absence d’interlocuteurs terroristes identifiés et joignables, elle fait partie intégrante d’une philosophie « compaoriste » en quête de réhabilitation. C’est précisément quelques mois après la chute de Blaise Compaoré que le débordement de la crise malienne avait conduit aux premières attaques jihadistes sur le sol burkinabè. Compromission abjecte ou « relations publiques » no3089 – JUIN 2020

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ACTEUR DU DÉVELOPPEMENT ET DE LA RÉSILIENCE DES ENTREPRISES BURKINABÈ Après trois années de plein exercice, le Plan Stratégique de la Mandature (PSM) 2016- 2021 de la Chambre de Commerce et d’Industrie du Burkina Faso connaît un niveau d’exécution satisfaisant. La revue à mi-parcours indique un taux global de réalisation de 59 %. En ce qui concerne le niveau de réalisation des activités annuelles, 2019 a connu un taux d’exécution physique de 80,46 % contre 79,68 % réalisé en 2018 et 74 % en 2017.

C

es indicateurs traduisent une avancée constante dans la mise en œuvre du plan d’actions opérationnelles et augurent de bonnes perspectives en vue d’une transformation structurelle de l’économie burkinabè. En effet, pour accompagner le développement du secteur privé, la Chambre de Commerce et d’Industrie a orienté son action vers cinq axes stratégiques que sont 1 l’amélioration de la gouvernance et la mobilisation de l’intelligence consulaire; 2 le développement du capital humain et la facilitation de l’accès au financement du secteur privé; 3 le développement de l’intelligence économique et du portefeuille de services d’appui-conseils aux entreprises; 4 le renforcement de l’accompagnement de proximité des entreprises dans les régions ; et 5 le développement et le renforcement de l’offre en infrastructures et en équipements économiques.

Le renforcement de la compétitivité des entreprises étant une priorité, de grands projets d’investissements ont été initiés sur l’ensemble du territoire national et

dans les représentations de l’Institution dans les pays voisins. Les infrastructures critiques en cours de réalisation (ou déjà achevées et en exploitation) sont :

• Le port sec multimodal de Ouagadougou dont la délimitation du site, le recensement et la sensibilisation des populations touchées par le projet sont achevés ;

Maquette de la 2e phase du port sec de Bobo-Dioulasso.

• Le port sec de Bobo-Dioulasso (Boborinter) dont les travaux d’extension et de réhabilitation (phase 2 du projet) ont été lancés le 15 octobre 2019 pour près de 10 milliards de F CFA ;

• Le campus consulaire exécuté à plus de 80 % pour un coût total de près de 4 milliards de F CFA ; • Les sièges des Délégations Consulaires Régionales (DCR de la Boucle du Mouhoun, du


COMMUNIQUÉ

• Le parking pour véhicules poids lourds d’Akassato (Abomey-Calavi/ Cotonou) pour 1,5 milliard de F CFA, etc. Au titre du développement du capital humain, l’Institution consulaire s’est investie pour la formation de plus de 906 apprenants dans ses différents centres de formation, l’information et la sensibilisation des acteurs économiques sur des thématiques d’intérêt, plus de 42 sessions de formation organisées au profit de 889 opérateurs économiques et plus de 140 sessions d’information et de sensibilisation pour environ 4 305 chefs

chefs d’entreprises ont pris part à des évènements économiques majeurs comme la TICAD 7 à Yokohama au Japon, le premier forum économique Chine-Afrique à Changsha en Chine, le forum Russie-Afrique à Sotchi, le forum d'affaires Turquie-Burkina Faso à Ouagadougou, le forum AFRICALLIA à Abidjan, le forum d’affaires du Traité d’amitié et de Coopération entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, etc. Ces manifestations ont réuni plus de 400 hommes d’affaires.

UN SECTEUR PRIVÉ RÉSILIENT Malgré la conjoncture internationale et sous- régionale difficile, exacerbée par une situation sécuritaire préoccupante, le secteur privé burkinabè s’est montré dynamique et résilient.

Le rapport sur l’état du secteur privé en 2019 a été remis officiellement au Chef de l’État (à droite) par M. Mahamadi SAVADOGO, Président de la CCI-BF.

d’entreprises, la promotion de l’entrepreneuriat avec l’accompagnement au développement de leurs entreprises de 51 promoteurs, et enfin l’alphabétisation économique de 850 commerçants. Sur le plan diplomatique, l’Institution a orienté ses actions vers les pays à fort potentiel économique tels la République populaire de Chine, la Russie, le Japon et la Turquie où des conventions de collaboration ont été signées dans l’optique de faciliter et de raffermir leurs échanges économiques et commerciaux avec les entreprises burkinabè. Dans ce registre, plus d’une centaine de

En effet, alors qu’il était annoncé une faible performance du Burkina Faso en termes de croissance économique, la contribution du secteur privé à la mobilisation des recettes fiscales et douanières a atteint le seuil de 1 500 milliards de F CFA en 2019 après 1 400 milliards de F CFA en 2018 et 1 248 milliards de F CFA en 2017. Plus de 5 920 771,35 de tonnes de marchandises dont 824 792 tonnes d’acheminement direct ont été traitées sur les différentes plateformes logistiques de l’institution. La formation brute du capital fixe du secteur privé a été de 718 milliards de F CFA en 2019 soit une variation absolue de +94 mil-

liards de F CFA par rapport à 2018. Quant aux investissements directs étrangers nets, ils se sont situés à 112,1 milliards de F CFA en 2019, en légère hausse par rapport à 2018 où ils étaient de 111,5 milliards de F CFA. Ce dynamisme a suscité la création de 13137 nouvelles entreprises contre 12511 en 2018, soit une hausse de 5 %. Dans une synergie d’actions avec le Gouvernement et l’ensemble des acteurs du secteur privé, l’année 2020 verra l’achèvement ou l’accélération des grands chantiers de la mandature et le renforcement des acquis. Le lancement officiel de la Société d’Accompagnement et de Financement de l’Entreprise (SAFINE SA), créée par la Chambre de Commerce et d’Industrie et ses partenaires, interviendra dans les semaines à venir. De même, Ouagadougou accueillera du 27 au 29 mai prochain plus de 500 chefs d’entreprises d’une vingtaine de pays d’Afrique et du reste du monde à l’occasion du 10e anniversaire d’AFRICALLIA, le forum international de mise en relations d’affaires. L'ouverture du campus consulaire et de la représentation de la CCI-BF à Dakar ainsi que le lancement des travaux de construction du siège national de la Chambre de Commerce et d’Industrie du Burkina Faso sont également des priorités pour cette année. Unis et solidaires, les acteurs du secteur privé burkinabè s’inscrivent résolument dans une dynamique de résilience et de proactivité. Pour sa part, la Chambre de Commerce et d’Industrie poursuivra la mise en œuvre de son Plan Stratégique de Mandature avec en ligne de mire le renforcement des performances des entreprises nationales en vue de leur intégration dans les chaînes de valeur internationales. w Avenue de Lyon, 01 BP 502 Ouagadougou 01 Tél. : (+226) 25 30 61 14 (+226) 25 30 61 15 Fax : (+226) 25 30 61 16 E-mail : info@cci.bf

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Centre Sud, du Centre-nord, du Plateau central et de la Maison de Commerçant de Tenkodogo. Les sièges des DCR de l’Est, du Sud-Ouest et des Cascades sont en cours pour un coût global de 2,1 milliards de F CFA ;


GRAND FORMAT BURKINA FASO

ÉLECTIONS

Comme un parfum de campagne À moins de six mois des scrutins présidentiel et législatif, les partis commencent à élaborer leurs programmes, et les états-majors à choisir leurs candidats.

S

i l’opposition a dénoncé « des tâtonnements et des incohérences » dans la gestion de la crise sanitaire et regrette que l’exécutif n’ait pas pris plus de précautions pour la reprise des activités économiques, qu’elle estimait toutefois nécessaire, la classe politique est en revanche unanime sur le maintien du calendrier électoral, qui prévoit des élections présidentielle et législatives le 22 novembre. Depuis le début de mai, l’enrôlement des électeurs a repris, et les états-majors des partis politiques préparent leurs programmes. L’opposition ira aux élections en rangs dispersés, certes, mais convaincue de rallier à sa cause les mécontents du quinquennat Kaboré, notamment les déçus de la gestion de la crise sécuritaire et, désormais, ceux de la gestion de la pandémie. Pour les deux scrutins, le président sortant et le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) devront affronter des partis et des personnalités fortes, dont Zéphirin Diabré, chef de file de l’opposition et président de l’Union pour le changement (UPC, lire p. 165), Eddie Komboïgo, président du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, lire p. 162), et Gilbert Noël Ouédraogo, leader de l’Alliance pour la démocratie et la fédération-Rassemblement démocratique africain (ADF-RDA). Sans oublier quelques individualités comme l’ex-Premier ministre Kadré Désiré Ouédraogo (CDP) ou

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SIA KAMBOU/AFP

NADOUN COULIBALY

Roch Marc Christian Kaboré, ici dans la salle d’audience du palais de Kosyam, briguera un second mandat.

encore Ablassé Ouédraogo (Le Faso autrement). Le MPP et ses alliés, qui s’appuient sur un meilleur maillage du territoire, disposent d’une longueur d’avance. Ragaillardi par un bilan économique plutôt positif (lire pp. 166-168) et un plan quinquennal qui a permis au pays d’afficher un rythme de croissance soutenu malgré la crise sécuritaire et les luttes syndicales, Roch Marc Christian Kaboré n’a pas perdu son aura. « Il apparaît plus que jamais comme le rassembleur qui, plus que les autres, est capable de réunir les Burkinabè. Donc il peut être réélu, mais il lui faudra une alliance pour gouverner », commente un observateur. Pour prétendre à un second mandat, le président sortant devra convaincre qu’il est capable de ramener la sérénité et la stabilité. « Pour l’instant, déclare-t-il à Jeune Afrique,

L’INSÉCURITÉ, LA RÉCONCILIATION ET LA CRISE SANITAIRE SERONT LES PRINCIPAUX THÈMES DE LA BATAILLE ÉLECTORALE À VENIR.

je ne suis pas sur le terrain en train de faire de la politique. Ma mission est d’être au-dessus des partis. Je dois continuer à avancer sur les questions sécuritaires et de développement. Pour le reste, il appartiendra aux Burkinabè, le moment venu, d’apprécier notre bilan. N’eût été l’insécurité, qui a chamboulé nos priorités, on aurait fait des progrès plus importants. » Si les états-majors des différents partis sont encore discrets sur leurs programmes, la campagne devrait se concentrer sur l’insécurité et la réconciliation, mais aussi sur la crise sanitaire. « Le thème des dernières journées parlementaires de l’UPC portait sur la réconciliation », confirme l’universitaire et analyste politique Abdoul Karim Saïdou. « Il ne faut pas surestimer les critiques distillées sur la gestion de l’épidémie, qui sont le fait de citadins. À l’intérieur du pays, les gens sont surtout affectés par l’insécurité », rappelle l’économiste Seydou Ouédraogo, directeur de l’institut Free Afrik. Depuis les premières attaques jihadistes à Ouagadougou, en janvier 2016, la menace sécuritaire, un temps cantonnée dans le Nord, s’est étendue à une large partie du territoire et s’est doublée d’attaques intercommunautaires. Le pays compte désormais près de 1 million de déplacés.



GRAND FORMAT BURKINA FASO

VIE DES PARTIS

Simon Compaoré Président du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP)

« Nous devons coûte que coûte organiser les élections »

Propos recueillis à Ouagadougou par NADOUN COULIBALY

C

onfirmé au début de mars à la présidence du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP, au pouvoir), dont il assurait l’intérim depuis le décès, en août 2017, de Salifou Diallo (le président de l’Assemblée nationale avec qui Roch Marc Christian Kaboré et lui-même avaient fondé le parti, en mars 2014), Simon Compaoré, 67 ans, assure vouloir aider le chef de l’État à parachever la mise en œuvre de son programme présidentiel et à briguer un nouveau mandat, mais aussi à consolider le leadership du MPP sur l’échiquier politique national à l’issue de la présidentielle et des législatives prévues le 22 novembre. Fidèle compagnon de Roch Marc Christian Kaboré, avec qui il s’engage en politique, d’abord au sein de l’Association des étudiants voltaïques en France (actuelle Union générale des étudiants burkinabè) lorsqu’il étudiait l’économie à l’université de Dijon, puis au sein de l’Union des luttes communistes reconstruites (ULCR), Simon Compaoré a été de tous les combats politiques des trente dernières années au Burkina. L’ancien maire de Ouagadougou (1995-2012) et ex-ministre de la Sécurité intérieure (2016-2019) sait que la bataille pour les scrutins de 2020 sera ardue. Jeune Afrique : Quelles sont vos priorités à la tête du MPP ?

Simon Compaoré : Mon élection est une étape de la vie de notre parti. Le bureau, mis en place en mars 2017,

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était en fin de mandat. Ce troisième congrès ordinaire [à l’issue duquel il a été élu, le 7 mars] a également pris acte de la stratégie électorale adoptée par le bureau politique national sortant. Nous avons renouvelé ce dernier, en attendant de revoir les statuts et les règlements intérieurs, après la prochaine présidentielle. Ce qui aboutira à la mise en place d’une nouvelle direction du parti. D’ici là, notre mission est d’aider le gouvernement à poursuivre et à mettre en œuvre le programme présidentiel et, surtout, de préparer la victoire du MPP aux élections couplées à venir.

se prépare sur le terrain pour relever ce défi. Nous avons également défini les critères de choix des candidats aux législatives. Pour ce scrutin, nous visons là aussi la majorité, et, pour nous permettre d’avoir les coudées franches, nous espérons avoir plus d’élus qu’en 2015 [55 députés MPP élus, sur un total de 127 sièges].

Comment comptez-vous « assurer » la réélection du président Kaboré ?

Nous les prenons l’un et l’autre très au sérieux. C’est pourquoi nous nous mobilisons sur le terrain pour maximiser nos chances de succès auprès de l’électorat. Il revient au terrain de commander la manœuvre.

Notre stratégie électorale aborde la manière dont nous devons nous organiser, la structure à mettre en œuvre pour piloter la campagne électorale depuis le niveau national jusque dans les provinces et les villages. Pour la présidentielle, nous savons qui est notre joker, à savoir le président Roch Marc Christian Kaboré. Nous escomptons faire élire notre candidat dès le premier tour. Et pourquoi pas avec un score confortable d’au moins 60 % des voix. C’est une ambition réaliste. On

NE PAS TENIR CES SCRUTINS CRÉERAIT UN VIDE JURIDIQUE À MÊME DE DÉSTABILISER LES INSTITUTIONS.

Qui est votre principal challenger, l’Union pour le progrès et le changement (UPC, lire p. 165), principal parti d’opposition avec 33 députés, ou le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, lire p. 162), qui tente de se reconstruire ?

Craignez-vous une alliance de l’opposition ?

Cela n’est pas une priorité pour nous. Nous abordons ces échéances avec sérénité et confiance. Nous nous attendons à une bataille de longue haleine. Cette campagne sera difficile pour nous. Mais nous exposerons nos acquis et nos faiblesses, nous allons nous expliquer, et ce sera aux Burkinabè de juger et de trancher. S’agissant, par exemple, de la fronde sociale, c’est sous le mandat du président Kaboré que les fonctionnaires, toutes catégories confondues, ont bénéficié d’évolutions substantielles de leurs salaires. La situation sécuritaire, qui continue de se dégrader, n’est-elle pas un frein à l’organisation des élections ?


SOPHIE GARCIA POUR JA

MALGRÉ LA MULTIPLICATION DES ATTAQUES, NOTRE PAYS A CULTIVÉ UNE RÉSILIENCE HORS DU COMMUN.

À son domicile, à Ouagadougou, le 11 mars.

Nous ne sommes pas le seul pays confronté à une telle crise. La situation est difficile, je le reconnais, mais, pour la bonne marche de notre démocratie et la stabilité du Burkina, nous devons coûte que coûte organiser les élections. Ne pas tenir ces scrutins créerait un vide juridique et institutionnel à même de déstabiliser les institutions. Nul ne peut prévoir les conséquences d’un tel scénario sur la vie politique. Que répondez-vous quand l’opposition critique la mauvaise gestion de la crise sécuritaire ?

La situation sécuritaire actuelle n’arrange personne, pas même l’opposition. Nous avons besoin de tranquillité pour que le développement soit au rendez-vous. Mais c’est de bonne guerre que l’opposition nous critique. Encore faut-il savoir apprécier les efforts consentis et les conditions difficiles auxquelles sont confrontées nos forces armées. Et malgré la multiplication des attaques meurtrières, je

dois dire que notre pays a cultivé une résilience hors du commun. Comment les déplacés internes, dont le nombre est estimé à plus de 850 000, vont-ils pouvoir participer aux scrutins ?

Je puis vous assurer que nous sommes déterminés à ne laisser personne sur le bord de la route. La participation des déplacés internes pour l’élection du président du Faso et pour celle des députés est une question dont nous discutons avec l’opposition politique. Nous sommes d’accord sur le fait que ces déplacés internes doivent voter. Le consensus est clair sur ce sujet. La grande interrogation reste de savoir comment les faire participer. Faut-il les enrôler dans leur ancienne circonscription électorale ou faut-il les enregistrer dans leur lieu de résidence actuel ? On pense majoritairement qu’il est plus simple de les faire exercer leur droit là où ils sont. Pour l’élection des députés, étant donné que les

déplacements se font d’une commune à une autre, l’incidence est marginale. Par contre, pour les élections des conseillers municipaux, prévues en 2021, l’enjeu sera important, et nous espérons donc que les choses se seront calmées. Et qu’en est-il du référendum constitutionnel censé permettre le passage à la Ve République, qui aurait dû être organisé en mars 2019 ?

L’an dernier, lors du dialogue politique, nous avions en effet convenu de consacrer la nouvelle Constitution à travers un référendum. Mais je ne sais pas quand celui-ci aura lieu. Nous avions laissé le choix du moment à la discrétion du chef de l’État. Il avisera en temps opportun. Pour l’heure, la classe politique accorde la priorité à la tenue des élections couplées de novembre. L’écriture d’une nouvelle Constitution fait partie du programme présidentiel et a été élaborée, il reste maintenant à l’adopter. Elle le sera, tôt ou tard.

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GRAND FORMAT BURKINA FASO VIE DES PARTIS

Le CDP resserre les rangs

SOPHIE GARCIA | HANSLUCAS.COM

Le Congrès pour la démocratie et le progrès, de l’ex-président Blaise Compaoré, a choisi son champion et compte bien revenir sur le devant de la scène à l’occasion des scrutins de novembre.

Eddie Komboïgo, dans son bureau, à Ouagadougou.

À

quelques mois des élections présidentielle et législatives, prévues le 22 novembre, l’horizon s’éclaircit pour le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). Affaibli par la chute et l’exil en Côte d’Ivoire de Blaise Compaoré, à la suite de l’insurrection populaire d’octobre 2014 contre la tentative de révision de la Constitution, l’ancien parti majoritaire a également été fragilisé en interne par la fronde des cadres favorables à l’ex-Premier ministre Kadré Désiré Ouédraogo (KDO), 66 ans, contre Eddie Komboïgo, 56 ans. À la tête du parti depuis mai 2015, ce dernier entend incarner le grand retour du CDP sur la scène politique burkinabè, même si le mouvement n’a jamais vraiment quitté celle-ci puisqu’il constitue encore la troisième force politique du pays, avec 18 députés élus en 2015 sur 127 sièges. Surtout, avec 9 567 comités de base et 368 sous-sections, le parti conserve de solides bases locales dans toutes

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no3089 – JUIN 2020

COMME PERSONNE AU SEIN DU RÉGIME ACTUEL N’A LE COURAGE DE NÉGOCIER AVEC EUX, NOUS ALLONS TENDRE LA MAIN AUX TERRORISTES. EDDIE KOMBOÏGO

les régions du pays et compte bien reprendre du poids dans l’hémicycle à l’occasion des prochaines législatives. Et pourquoi pas prétendre au palais de Kosyam ? Le 10 mai, c’est à une très large majorité (133 voix contre 21 à Yahaya Zoungrana), que les membres du haut conseil du parti, ceux du bureau exécutif national et les secrétaires provinciaux ont désigné Eddie Komboïgo comme candidat à la présidentielle – un choix que doit

encore entériner Blaise Compaoré, président d’honneur du CDP, avant la convocation d’un congrès du parti pour investir officiellement le candidat Komboïgo. « Avec cette désignation, le CDP laisse la tempête derrière lui. Eddie Komboïgo a su maîtriser le parti et apparaît comme l’homme de la situation. Cela ne signifie pas pour autant qu’il saura surmonter les obstacles liés au positionnement du CDP sur la scène politique nationale, notamment sur la question de la réconciliation », avertit l’analyste politique Siaka Coulibaly. Fini donc les querelles de leadership entre les partisans du président du CDP et ceux de l’ancien Premier ministre, dont le parti estime qu’il aura désormais à jouer sa carte aux législatives. « Selon moi, KDO n’est plus une option pour l’ancienne majorité présidentielle, remarque toutefois Siaka Coulibaly. En revanche, il n’est pas exclu qu’un rassemblement général de la famille politique de Blaise Compaoré s’opère d’ici aux élections couplées de novembre. »

Priorité à la réconciliation

L’expert-comptable Eddie Komboïgo, qui ne faisait pas partie des principaux cadres du CDP jusqu’en 2015, est désormais adulé par la jeunesse du parti et semble avoir réussi le pari d’unifier le CDP avant les scrutins cruciaux de cette année. Et même s’il ne dévoile pas encore son programme, qui doit être validé par le mouvement, il en livre quelques orientations : « Nous sommes prêts pour la bataille. Dès que les mesures sanitaires en vigueur seront levées, le CDP repartira de plus belle sur le terrain. La réconciliation et la sécurité seront notre priorité. Et comme personne au sein du régime actuel n’a le courage de négocier avec eux, nous allons tendre la main aux terroristes. » NADOUN COULIBALY


COMMUNIQUÉ

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COMMUNIQUÉ

SOCIÉTÉ AFRICAINE DE PRODUITS PHYTOSANITAIRES ET D’INSECTICIDES

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Formation de producteurs sur les bonnes pratiques agricoles

29 ans au service de l’Homme et de la Plante ITINÉRAIRE TECHNIQUE PLUS ADAPTÉ Au Burkina Faso, le secteur agricole, fer lance de l’économie, génère près 3 % du PIB et représente 82 % de la population active. Saphyto, acteur majeur de ce secteur, est toujours en quête de solutions innovantes. Elle a développé en 2019 quatre nouveaux insecticides et fongicides, à base de molécules nobles, respectant l’Homme et la Plante. Saphyto a également développé plusieurs programmes de fertilisation, permettant aux producteurs d’accroître significativement, et à peu de frais, le rendement jusqu’à 86 % pour la culture du cotonnier et 75 % pour la culture de la tomate. De telle performance qui lui ont valu le titre d’entreprise la plus dynamique du secteur de l’agriculture.

SAPHYTO, AUPRÈS DES COMMUNAUTÉS

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En plus de la fabrication et de la fourniture de solutions agricoles, Saphyto veille à la bonne utilisation de ses solutions, par les producteurs. En effet, elle a lancé depuis 2014, le programme de formation dénommé «Applique Bien ». Ce programme offre aux producteurs, au plus près de leurs champs, des formations sur les bonnes pratiques agricoles et la bonne utilisation des produits phytosanitaires. À travers « Applique Bien », Saphyto forme en moyenne, chaque année et gratuitement, 5 000 producteurs au Burkina et au Niger.

Désinfection du marché central de Bobo-Dioulasso en riposte au Covid-19

UNITÉ DE PRODUCTION NOUVELLE GÉNÉRATION Déjà doté d’un outil industriel unique en Afrique de l’ouest, Saphyto a décidé en 2020 d’augmenter son potentiel de production. Sa capacité passera ainsi de 6,5 millions de litre/an à plus de 10 millions de litre/an d’insecticides. Ce nouvel outil donnera à Saphyto une plus grande productivité avec une augmentation du potentiel de près de 53 %, mais surtout lui permettra de rester fidèle à l’une de ses valeurs clé, à savoir, être la plus respectueuse possible de l’Homme et de l’environnement.

À travers son département Hygiène Publique, Saphyto est engagée, avec ses partenaires, à la sensibilisation des populations rurales et urbaines sur la prévention de maladie vectorielle comme mme le paludisme ou la dengue. Elle est également aux côtés des colleectivités par la désinfection à titre gracieux d’espaaces public, en soutien au plan de riposte du Burkkina contre le Covid-19.

ƒ Trophée Entreprise la plus dynamique du secteur de l’agriculture au Burkina Faso en 2019

Avenue Gal Sangoulé Lamizana – 01 BP 1390 Bobo-Dioulasso 01 - Burkina Faso - Tél. : (+226) 20 97 20 18/36 - Fax : (+226) 20 97 13 75 - Email : saphyto@saphyto.bf

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Créée en 1991, la Société Africaine de Produits Phytosanitaires et d’Insecticides (Saphyto) est aujourd’hui leader au Burkina Faso et un acteur majeur en Afrique de l’ouest dans la fourniture de solutions agricoles et d’hygiène publique. Son expertise et son professionnalisme lui ont valu d’être désignée, en 2019, Entreprise la plus dynamique dans le secteur de l’agriculture pour la qualité de ses produits, au Burkina Faso.


GRAND FORMAT BURKINA FASO VIE DES PARTIS

Zéphirin Diabré Président de l’UPC, chef de file de l’opposition « L’alternance de 2015 n’a pas apporté de changement » Propos recueillis par AÏSSATOU DIALLO

S

elon le président de l’Union pour le progrès et le changement (UPC), principal parti d’opposition (33 députés), l’échiquier politique semble s’être clarifié. Mais pour que le pays parvienne à une réconciliation, le président Kaboré doit tendre la main à ses prédécesseurs dans le cadre d’un dialogue national inclusif.

Pourquoi faut-il une réconciliation?

Notre pays traîne nombre de vieux contentieux. Certains se sont sentis lésés par l’ancien régime et d’autres par l’insurrection. Dans le contexte actuel d’insécurité, des pans entiers de nos populations, tels les Peuls, s’estiment stigmatisés. Beaucoup de raisons nous obligent donc à aller vers cette réconciliation. Pour l’opposition, c’est une question éminemment politique, qui conditionne l’avenir du pays.

JeuneAfrique:Comptetenudelacrise sanitaire, le maintien des élections en novembre n’est-il pas risqué?

Zéphirin Diabré : Pour nous, le calendrier électoral doit être maintenu. Plusieurs indices laissent à penser que la crise sanitaire n’est pas de nature à remettre en cause les scrutins. Les gens se rendent au travail, les marchés ont rouvert, et ce sera bientôt au tour des écoles. Si on peut faire tout cela, on peut aller voter un dimanche. La Commission électorale nationale indépendante a recommencé l’enrôlement des électeurs depuis le 8 mai en prenant les mesures nécessaires – distanciation sociale, gel hydroalcoolique –, et les opérations se déroulent bien. Le même dispositif pourrait être mis en place le jour des élections.

UN PAYS NE PEUT PAS VIVRE DANS LA SÉRÉNITÉ QUAND DEUX DE SES ANCIENS CHEFS D’ÉTAT SONT EXILÉS.

Cette démarche doit être largement inclusive et associer toutes les forces vives. L’opposition à fait des propositions en ce sens. Il faut que l’on s’asseye entre Burkinabè, y compris avec les anciens chefs d’État en exil, Blaise Compaoré et Yacouba Isaac Zida, sinon cela n’aura pas de sens. Un pays ne peut pas vivre dans la sérénité quand deux de ses anciens présidents sont exilés. Il est clair que la fracture entre l’ancien système en exil et l’actuel exécutif est importante, le second passant son temps à accuser le premier d’être de connivence avec les terroristes. Ce sera l’occasion d’un grand déballage, afin que l’on sache la vérité. Et à toutes les étapes, il faudra que tous les acteurs qui ont joué un rôle important dans ce pays soient présents. Vous êtes-vous réconciliés avec le CDP et d’autres partis de l’ex-majorité, qui étaient vos adversaires en 2014?

Le conflit autour de l’ancien article 37 de la Constitution fait désormais partie du passé. Des partis de l’ancien régime siègent aujourd’hui avec l’UPC au sein de l’opposition. D’autres partis de l’ex-majorité sont aux côtés du MPP et gèrent le pouvoir. Cela veut dire que le pardon et la réconciliation sont bel et bien possibles.

SOPHIE GARCIA POUR JA

Sur quel thème allez-vous faire campagne?

Nous avons eu une alternance en 2015, mais elle n’a pas apporté de réel changement. Ce thème reste donc d’actualité, même si de nouveaux défis sont apparus : celui de la sécurité, du vivre-ensemble, etc. Aujourd’hui, je suis le seul candidat à pouvoir rassembler tous les bords politiques. Avec moi, la réconciliation est possible. Demain, je peux gouverner en invitant à mes côtés le MPP et le CDP.

Comment y parvenir?

Alors que le vote de la diaspora a cristalliséledébatpendantdesmois,comment expliquez-vous le faible taux d’enrôlement?

Les documents demandés aux Burkinabè établis à l’étranger étaient difficiles à obtenir pour la plupart d’entre eux, qui n’avaient pas la possibilité de revenir au pays. Nous pensons que cela était volontaire pour qu’il n’y ait pas une grosse affluence. Et 50 000 personnes enrôlées sur un potentiel de 2 millions d’électeurs, c’est très faible. Le pouvoir en place pensait peut-être que leur vote allait lui être défavorable.

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GRAND FORMAT BURKINA FASO

ÉCONOMIE

Elle plie mais ne rompt pas Malgré les attaques terroristes et les grèves qui l’ont contraint à des ajustements budgétaires, le pays est parvenu à maintenir une croissance soutenue, jusqu’à l’épidémie de Covid-19. Et s’emploie à franchir le cap sans trop de dégâts.

La mine d’or exploitée par le canadien Endeavour Mining, à Houndé.


C ANNE MIMAULT/REUTERS

ALAIN FAUJAS

est peu dire que la pandémie bouleverse l’économie du Burkina Faso, comme celle de ses voisins. Alors que la crise économique et sociale pointe, un retour sur la situation qui prévalait au début de mars s’impose. Malgré la dégradation du climat sécuritaire, le pays semblait alors assez résistant pour poursuivre sur sa lancée. La croissance restait forte, autour de 5,9 %, grâce à une bonne campagne agricole. L’inflation était contenue à 2,9 %. Le déficit budgétaire revenait à 3 % du PIB, tandis que la dette plafonnait à 42,5 % à la fin de 2019. Le FMI applaudissait « des performances satisfaisantes » et « des efforts louables » en matière de budget et de gestion. Le gouvernement avait notamment promis qu’il n’y aurait aucune augmentation de la masse salariale de la fonction publique, hormis celle destinée aux forces de sécurité, très sollicitées par la lutte contre le terrorisme. L’année dernière, le Burkina Faso s’était déjà illustré comme étant l’un des pays du continent qui collectent le mieux les impôts : ils constituaient 19,3 % de son PIB en 2019 (18,8 % en 2018), ce qui le classe dans le peloton de tête derrière les Seychelles, la Tunisie, l’Afrique du Sud et le Maroc. En matière de dette, l’agence Standard and Poor’s (S&P) indiquait à la fin de l’année dernière que « les notes du pays étaient soutenues par [ses] prévisions d’une activité économique vigoureuse dans les années à venir ». L’agence américaine s’attendait « à ce que les investissements publics se poursuivent dans les infrastructures. Ceux-ci dynamisent l’activité du secteur privé en décongestionnant les principaux goulets d’étranglement, tels que l’approvisionnement en électricité, et en améliorant l’efficacité des circuits

d’approvisionnement, en particulier dans les secteurs agricole et minier ». Sur la base de son hypothèse d’un maintien de la stabilité politique intérieure, l’agence S&P estimait alors « que la croissance du PIB réel resterait résiliente aux chocs sécuritaires récents ». Mais le Covid-19 est passé par là. En raison du confinement de la population et de la fermeture des frontières qui ont affecté aussi bien le tourisme que les productions minière et cotonnière, la croissance devrait perdre quatre points en 2020 et tomber à 2 %. Les autorités ont dû abandonner leur volonté d’assainir les finances publiques. La hausse des dépenses pour lutter contre le virus et contre l’aggravation de la pauvreté, au moment où les recettes fiscales et douanières se tarissent, explique que le FMI prévoie – et accepte – que le déficit budgétaire repasse de 2,7 % à 5 % du PIB en 2020. « Il faut saluer la politique du gouvernement, qui a vite pris les bonnes mesures, analyse Arthur Minsat, chef de l’unité Afrique au Centre de développement de l’OCDE. Outre le confinement, le port du masque ou encore la fermeture des écoles et des marchés, qui ont permis de limiter le nombre des décès à 52, au 21 mai, il a mis en place des politiques destinées à amortir l’impact économique et social de cette mise à l’arrêt. Le budget 2020 révisé consacre 4,5 % du PIB pour financer, par exemple, la recherche sur le Covid-19, l’exonération de TVA sur les produits et les services médicaux, l’allègement des factures d’eau et d’électricité, la suppression des taxes d’apprentissage ou encore les subventions – de 30 milliards de F CFA [près de 45,7 millions d’euros] – pour les intrants pour l’alimentation et pour le bétail. »

Le spectre de la récession

Cela ne suffira pas à éviter la crise. Pour la première fois, les émigrés burkinabè en Côte d’Ivoire ne pourront pas envoyer d’argent à leur famille. Les bras manqueront pour la récolte du coton, vitale pour le monde agricole (lire pp. 170-172). Les exportations de bétail sont entravées. Le secteur aurifère est tétanisé (lire p. 174). Dans ce contexte, la remontée des inégalités est inévitable, le gouvernement ne disposant plus des moyens de poursuivre une politique sociale vigoureuse. Le pire est donc à venir. « Avec 2 % de prévision initiale de croissance en 2020 et une croissance démographique toujours aussi forte, c’est une récession en croissance par habitant que va connaître le Burkina Faso, estime la Sénégalaise Soukeyna Kane, directrice des opérations de la Banque

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167


GRAND FORMAT BURKINA FASO ÉCONOMIE

REPÈRES

Un cadre budgétaire maîtrisé

168

no3089 – JUIN 2020

2018

2019

PIB réel (à prix constants) Inflation (moyenne annuelle)

6,3 0,4

6,0 2,0

5,9 2,9

Solde global

Total des recettes courantes dont recettes fiscales

–7,8 19,4 17,3

– 4,7 18,7 18,8

–3,0 19,9 19,3

Total des dépenses dont dépenses d’investissement

29,9 11,6

27,5 10,2

25,8 7,0

Solde extérieur courant

– 9,7

–8,1

– 8,3

Dette publique totale

38,4 24,1

42,5 24,2

42,5 23,4

(en % du PIB)

dont dette extérieure

Des IDE en forte hausse

2 707

(en millions de dollars)

1 745

Stocks Flux entrants

75 34,15 2005

(en %)

354 34,62 2010

231,80 2015

480

2018

SOURCES : AUTORITÉS NATIONALES, FMI, CNUCED

mondiale pour le pays. Face à cette nouvelle crise, nous sommes en train de rebâtir notre action autour de trois piliers: protéger les vies, protéger les moyens de subsistance et protéger le futur. » Protéger les vies signifie d’abord muscler les projets de santé en cours en les réorientant vers la prévention et la prise en charge des malades. Il s’agit aussi de soutenir financièrement les personnes confinées et les travailleurs de l’informel sans filets sociaux, ainsi que de se soucier des 2 150 000 Burkinabè qui subiront une insécurité alimentaire. « Nous adapterons notre action, explique Soukeyna Kane, car elle ciblait jusqu’à présent les zones rurales les plus pauvres. Il nous faut désormais nous tourner vers les populations urbaines et appuyer le gouvernement, qui se porte à leur secours. » Protéger les moyens de subsistance et donc les emplois, « c’est un vrai défi, poursuit-elle, car le secteur privé n’est pas assez solide pour les sauvegarder. Ce n’est pas parce que les entreprises seront dispensées d’impôts qu’elles pourront payer des salaires ». Enfin, protéger le futur demandera réflexion et imagination. « Il faut repenser le jour d’après et inventer comment remettre en marche l’économie, souligne Soukeyna Kane. Nous devons réfléchir aux apports des nouvelles technologies dans cette crise en matière d’éducation à distance. Il s’agira ensuite d’étendre cette digitalisation à la médecine ou à l’administration afin de leur donner plus d’efficacité et permettre au pays de rebondir. » Le Burkina Faso va avoir besoin d’un appui sans faille de la part de la communauté internationale. Ce soutien lui est assuré. Le FMI lui a accordé le 13 avril « une facilité de crédit rapide » de 115,3 millions de dollars (106 millions d’euros) pour soutenir sa balance des paiements, et a accepté d’alléger le service de sa dette de 11,9 millions de dollars pendant deux ans. La Banque mondiale reprogramme des ressources et a préparé un projet pour soutenir la réponse au Covid-19. L’enveloppe renforcée pour le cycle de l’IDA19 (juillet 2020 à juin 2023) permettra d’aider le pays davantage. L’Alliance pour le Sahel, la Banque africaine de développement, la Chine, la France et l’Union européenne, notamment, ont également annoncé des aides importantes sous la forme de dons ou de prêts. Le futur dépendra de la vitesse à laquelle seront tenues ces promesses et à laquelle seront réalisés les projets en cours d’élaboration pour sortir le Burkina Faso de la tourmente.

2017

UN PLAN 2016-2020 PLUTÔT CONCLUANT Le Plan national de développement économique et social (PNDES 2016-2020), d’un montant global de 15400 milliards de F CFA (plus de 23,5 milliards d’euros), a commencé à porter ses fruits puisque l’indice de pauvreté est tombé à 40,1 % en 2019, contre 43,7 % en 2017. Voici les principaux progrès réalisés en quatre ans. • ÉDUCATION Construction de quatre lycées professionnels, à Manga, Kaya, Tenkodogo et Zorgho. Ouverture de centres de regroupement des élèves affectés par l’insécurité. • EAU, ASSAINISSEMENT En milieu rural, 317 forages neufs et 158 réhabilités. En zone urbaine, 140000 ménages raccordés. • AGRICULTURE Prix subventionnés pour 7000 t d’engrais, 2300 t de semences améliorées, 6700 matériels de traitement et 35500 kits de protection contre les nuisibles. Attribution de 4000 équipements à traction animale. Aménagement de périmètres pour 94000 producteurs, dont 30400 femmes. • ÉNERGIE Achèvement de la centrale de Fada N’Gourma (7,5 MW). Installation de 14 minicentrales avec stockage dans des centres médicaux dotés d’une antenne chirurgicale. • INFRASTRUCTURES ET TÉLÉCOMS Plus de 100 km de nouvelles routes, portant à 26,2 % la proportion des routes bitumées. Déploiement de 736 km de fibre optique. A.F.


COMMUNIQUÉ

EKS ENTREPRISE KANAZOE SALIFOU - EKS SA

UNE STRATÉGIE DE CROISSANCE basée sur la diversification

Entrepreneur précoce, Salifou Kanazoé a diversifié ses activités au fil des années. Outre le BTP, il est présent dans les mines, le transport, l’immobilier et les matériaux de construction. Son prochain projet est la création d’une cimenterie de taille moyenne.

S

alifou Kanazoé est né en 1979 dans la famille du richissime El Hadj Oumarou Kanazoé. À 20 ans, il était déjà entrepreneur puisqu’il était à la tête d’une société de transport d’hydrocarbures, qu’il gérait en parallèle avec les projets de construction de routes dans l’entreprise de son père.

Un vivier de talents Cette entreprise, qui réalise un chiffre d’affaires moyens de 10 milliards de F CFA par an, fait partie des leaders du moment au Burkina Faso et a à son actif le bitumage de plusieurs routes. EKS SA emploie environ 500 personnes de plusieurs nationalités, et en particulier des cadres de haut-ni-

veau expérimentés dans leurs domaines d’activités. Ainsi, ce sont des ingénieurs tunisiens qui assurent la direction technique. L’entreprise dispose d’un parc d’engins lourds très important d’une valeur estimée à plusieurs dizaines de milliards de F CFA. Grâce à la société EKS Logistic, Salifou Kanazoé est présent dans les secteurs des mines et des transports. Cette société a un atout important : un parc diversifié d’engins lourds, particulièrement bien adapté aux besoins en transport, en levage et en manutention.

Un projet de cimenterie Salifou Kanazoé a également investi dans l’immobilier par le biais de la société EKS Immobilier qui contrôle plusieurs propriétés à Ouagadougou et à l’intérieur du pays. Enfin, il a ouvert une carrière de granite, située à Doulougou dans la province de Bazèga, et étudie un projet de création d’une cimenterie de taille moyenne d’un coût global de 12 milliards de F CFA. Cette unité verra le jour dans la ville de Bobo et sera équipée par l’espagnol Cemegal.

OUAGADOUGOU 06 BP 9211 OUAGADOUGOU 06, BURKINA FASO TÉL. : (+226) 25 43 02 25 - EMAIL : KANAZOE@EKSGROUPE.COM

JAMG - PHOTOS : ADOBESTOCK.COM

Il abandonne tôt l’école pour se concentrer sur son activité de rêve : l’entrepreneuriat dans le domaine du bâtiment et des travaux publics (BTP) avec la création de l’Entreprise Kanazoé Salifou SA (EKS SA), une société anonyme qu’il administre depuis plus 20 ans.


GRAND FORMAT BURKINA FASO

STRATÉGIE

Harouna Kaboré Ministre du Commerce, de l’Industrie et de l’Artisanat

« Le Faso Dan Fani, ce n’est pas que de la cotonnade! »

M

Propos recueillis à Ouagadougou par NADOUN COULIBALY

ême si l’or blanc reste son deuxième produit d’exportation et représente encore 4 % de son PIB, le Burkina a perdu sa place de premier producteur africain de coton et n’occupe plus que le quatrième rang à l’issue de la campagne 2018-2019, derrière le Bénin, le Mali et la Côte d’Ivoire (voir infographie p. 172). Outre les actions entreprises en amont pour remotiver les cotonculteurs, le gouvernement mise aussi sur l’aval de la filière. D’un côté, il mobilise les investissements pour accélérer l’industrialisation et, de l’autre, il valorise et protège la production textile artisanale locale, en particulier le Faso Dan Fani, le « pagne tissé de la patrie ». Et cette stratégie est en train de gagner d’autres secteurs agro-industriels.

Afreximbank et la Banque africaine de développement (BAD). Il va permettre de créer plus de 12000 emplois directs. Au-delà de cette initiative, nous préparons avec des partenaires stratégiques l’implantation d’une filature et d’un parc industriel textile dans la région des Hauts-Bassins. En parallèle, grâce à l’installation d’une deuxième usine, l’unique filature du pays, Filsah (Filature du Sahel), va doubler ses capacités pour les porter à environ 10 000 tonnes par an.

Harouna Kaboré : Le projet a atteint une maturité technique, juridique et financière suffisante. Nous sommes aujourd’hui dans la phase de mobilisation des fonds nécessaires au démarrage, cette année, des travaux de construction des trois unités industrielles prévues à Ouagadougou, à Koudougou et à Bobo-Dioulasso. Ce projet, d’un coût d’environ 200 milliards de F CFA (près de 305 millions d’euros), suscite l’intérêt de nombreux investisseurs, parmi lesquels

170

no3089 – JUIN 2020

SOPHIE GARCIA POUR JA

Jeune Afrique: Où en est l’industrialisation de la filière coton, notamment dans le cadre du projet A Star Textile, fruit d’un partenariat entre l’État burkinabè et le groupe turc Ayka Textile ?

Le 16 mars, à Ouagadougou.

Vous avez engagé en 2019 un processus de labellisation du Faso Dan Fani. Pourquoi ?

Le Faso Dan Fani n’est pas que de la cotonnade ! C’est un produit stratégique dont nous évaluons le potentiel de revenus annuels à plus de 50 milliards de F CFA. C’est un secteur artisanal pourvoyeur d’emplois et de revenus pour des millions de jeunes et de femmes qui participent à la transformation de notre coton dans l’habillement. Derrière ce pagne, il y a toute une économie. Nous nous sommes aperçus que la contrefaçon prenait de l’ampleur, et nous avons voulu recadrer cela en élaborant un cahier des charges, en organisant les artisans et, surtout, en nous entendant sur ce qui doit être considéré comme un pagne tissé burkinabè. Sur cette base, nous avons décidé de protéger le Faso Dan Fani comme une marque collective en élaborant un catalogue de 400 motifs créés par les tisseuses de toutes les régions du pays, et qui a été enregistré


COMMUNIQUÉ

Prix Africain du Développement 2019 Kigali célèbre les bâtisseurs africains

Les recipiendaires posent avec leurs trophées Padev

E

n présentant des Africains comme modèles pour d’autres Africains, à l’initiative d’organisations de la société civile réunies autour de la Fondation 225 et de Safam Com International, les Prix Africains du Développement (PADEV) se sont imposés comme un baromètre de l’excellence pour les décideurs africains. M. Kouadio Koffi, President de la fondation 225 et promoteur du prix Padev

> Le Prix Apollinaire Compaoré du Jeune Entrepreneur, du nom de l’opérateur économique et président du patronat burkinabè, Apollinaire Compaoré, a été attribué au malien Fousseyni Maïga, PDG du groupe Arc-en-ciel, et à l’ivoirien Euloge Kuyo, DG du groupe First Magazine. > Dans la catégorie du Prix des Meilleurs Maires de l’Union Africaine et de la CEDEAO, quinze personnalités ont été primées. Le vice-maire en charge du Développement économique de la ville hôte, Kigali, Parfait Busabizwa, a reçu le prix du Meilleur ManagerAfricain des Collectivités Locales. La liste des gagnants inclut également le Ministre Bacongo Cissé de la Côte d’Ivoire, dont les actions au sein de la commune de Koumassi ont permis d’assainir les finances et de résorber les questions de salubrité et de sécurité ; les maires Issouf Doumbia (Bingerville), Aboubacar Fofana (Man), Laure Baflan Donwahi (Mayo) et Chantal Fanny (Kaniasso), tous de la Côte d’Ivoire. Ont également été récompensés : Moctar Mamadou, maire de la ville de Niamey au Niger, Aboubacar Hema (Banfora) et Dissan Boureïma Gnoumou (Houndé) au Burkina Faso. Le Prix Africain du Mérite et de l’Excellence a distingué 35 lauréats dans différents secteurs d’activités. Ainsi, Daouda Azoupiou, Ministre Burkinabè des Sports et des Loisirs s’est vu décerner le titre de Meilleur Manager des Sports et Loisirs et son compatriote, l’homme d’affaires Marcel Zoma,

a été reconnu comme le Meilleur Promoteur Africain des Œuvres Sociales. De son côté, Mahamoudou Bonkoungou, PDG du groupe EBOMAF, a reçu le Grand Prix Africain du Développement. Le prix du Meilleur Artisan Africain de la Gestion Halieutique est revenu au docteur Rokia Maguiraga Kane, Ministre malien de la Pêche et de l’Élevage. Dans le domaine de l’entrepreneuriat féminin, l’ivoirienne Mariam Diaby, fondatrice de la communauté en ligne Nappys de Babi, a reçu le Prix de la Meilleure Promotrice Africaine de l’Entrepreneuriat Féminin.

BENOIT KANYANDEKWE, BENOIT KANYANDEKWE,

meilleur architecte africain 2019 meilleur architecte africain 2019 L Congola Le ais de la RDC, Benoit Kan nyandekwe, fondateur et PDG de B.K Arch d hitects a reçu le prix du Meilleur Architecte Africain pour l’année 2019. Sa A rréputattion a franchi les frontières de son pays natal. Son cabinet, qui em mploie plus de 65 spécialistes à tra avers le monde, conduit à bien des projets architecturaux de réfférence en Afrique et au MoyenOrient. La réussite de B.K Architects rep pose sur une compréhension en pro ofondeur des cultures, mentalités et compétences locales.

Au vue du succès éclatant des précédentes éditions, le Rwanda a conclu avec la Fondation 225 et son président, Koffi KOUADIO, une convention pour l’organisation de l’événement sur les 4 prochaines éditions. Le rendez-vous 2020 est pris pour Kigali du 19 au 21 juillet prochain au Marriott Hôtel Kigali.

www.fondation225.org

JAMG - PHOTOS S : D.R R.

Du 30 août au 2 septembre 2019, Kigali a accueilli la 14e édition des PADEV, décernés dans trois grandes catégories :


CHUTE DE LA PRODUCTION… ET DU PODIUM

(production de coton-graine, en tonnes, dans la zone Uemoa) Burkina Faso Bénin Côte d’Ivoire Mali 682 940

679 689

auprès de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (Oapi). Désormais, l’appellation Faso Dan Fani ainsi que les motifs sont protégés. Il n’est donc plus possible de les utiliser sur des pagnes confectionnés de manière industrielle. Il faut désormais obtenir un agrément pour produire du Faso Dan Fani labellisé et estampillé « made in Burkina ». Dans d’autres filières, certains groupes nationaux se sont dits menacés par la fraude. Que faire ?

En effet, à cause de la fraude, nos industriels rencontrent des difficultés à écouler leurs marchandises, ce qui a engendré une crise chez l’unique sucrier national, SN Sosuco, ainsi qu’au sein des huileries SN Citec. Afin de les soutenir, nous avons adopté des mesures conjoncturelles qui reposent sur l’intensification de la surveillance du marché et sur les contrôles des prix. Nous avons par exemple signé un protocole d’accord avec les distributeurs, ce qui a permis d’absorber les stocks d’invendus de SN Sosuco et de SN Citec.

588 200

548 695

Togo 728 644 611 759

647 300

678 000 656 529

597 985

513 560

468 940

451 209

446 666

Sénégal

413 238

393 367

310 081

435 265

328 155

303 320 114 500

81 000

108 291

117 167

137 255

26 545

20 300

15 160

16 380

15 121

2014-2015

2015-2016

2016-2017

2017-2018

2018-2019

Comment mobiliser les investissements industriels malgré le contexte sécuritaire ?

Nous avons fait évoluer nos instruments de promotion pour mieux accompagner et rassurer les investisseurs privés étrangers avec, entre autres, la création en 2018 de l’Agence burkinabè des investissements (ABI), l’adoption d’une stratégie nationale d’industrialisation et l’instauration d’un nouveau code des investissements qui encourage

l’installation d’unités agroalimentaires. Pour accompagner ce mouvement, nous avons octroyé en 2019 plus de 34 milliards de F CFA de financements aux PME grâce à une convention avec les banques. Nous avons par ailleurs investi 7 milliards de F CFA dans l’installation d’une usine, dans la zone industrielle de Kossodo, qui sera une référence dans la sousrégion en matière de transformation des produits agricoles et de formation pratique.

LA SONABEL RAYONNE GRÂCE AU SOLAIRE Pour la Société nationale burkinabè d’électricité (Sonabel), l’avenir s’annonce photovoltaïque. Si le solaire ne représente encore que 6 % du mix énergétique national, son développement et les importations depuis le Ghana et la Côte d’Ivoire ont permis à la Sonabel de doubler son offre entre 2015 et 2020, pour atteindre une puissance de 630 MW. « Grâce aux projets solaires en cours, notre objectif est d’atteindre une capacité installée de 1 000 MW d’ici à 2022 et d’entrevoir la fin

172

no3089 – JUIN 2020

des délestages », explique le ministre de l’Énergie, Bachir Ismaël Ouédraogo. Une première centrale solaire d’une capacité de 33 MW – l’une des plus grandes d’Afrique de l’Ouest – est opérationnelle depuis novembre 2017. Construite à Zagtouli, dans la banlieue ouest de Ouagadougou, par le français Cegelec, filiale de Vinci Énergie, et par le fournisseur allemand de panneaux SolarWorld, elle a nécessité un investissement de 47,5 millions d’euros, financé par l’Union

européenne et l’Agence française de développement (AFD). Son extension va permettre de porter sa capacité totale à 50 MW. « L’appel d’offres est lancé, et les travaux, financés par la Banque européenne d’investissement, dureront quatorze mois. Il reste désormais à savoir comment stocker toute cette énergie. Des études sont en cours », explique Baba Ahmed Coulibaly, le directeur général de la Sonabel. Au début de février ont démarré à Pâ (Ouest) les travaux d’un deuxième parc,

d’une capacité de 30 MW. Développé dans le cadre d’un partenariat publicprivé, le projet a été confié par l’État au groupe français Urbasolar, qui l’exécute avec son partenaire local, la PME Projet Production solaire. Son coût est estimé à 21,5 milliards de F CFA (32,8 millions d’euros), apportés par Urbasolar via un pool financier qui réunit notamment Proparco (filiale de l’AFD pour le secteur privé) et la Banque ouest-africaine de développement (BOAD). NADOUN COULIBALY

SOURCES : PR-PICA

GRAND FORMAT BURKINA FASO STRATÉGIE


© D.R.

COMMUNIQUÉ

UNE AMBITION PANAFRICAINE Résolument engagé dans le développement économique et industriel de la sous-région ouest africaine, CIM METAL GROUP poursuit ses investissements dans des secteurs clés de l’économie avec l’ambition d’incarner un modèle de réussite africaine dans le négoce, la logistique et l’industrie.

La logistique, un catalyseur des échanges

JAMG

Actif dans le transport routier et ferroviaire via les filiales KANIS LOGISTIQUES, SOKAF et SODI, le groupe compte aujourd’hui près de 1 000 camions et 200 wagons opérationnels. Actif dans le transport du minerais (Zinc, manganèse, clinker, etc), des hydrocarbures et les marchandises, le Groupe est un acteur régional incontournable qui assure la liaison vers les Pays de l’Hinterland et contribue à la dynamique des échanges sous-régionaux.

« Cim Metal Group, nous construisons l’avenir. »

Zone Industriel de Kossodo, BP 13140 Ouagadougou 10, Burkina Faso Email: cimfaso@cimmetalgroup.com Tél. : (+226) 25 35 50 30 / (+226) 25 35 50 40 - Mobile: (+226) 63 02 22 22

L’industrie, un vecteur de création de la valeur Convaincu que l’industrialisation du continent est un challenge prioritaire, CIM METAL GROUP a lancé un vaste programment d’investissement dans les industries du ciment et de la métallurgie. Deux unités de ciment de dernière génération sont opérationnelles au Burkina avec une capacité de production de 2,6 millions de tonnes par an, de même qu’une fonderie dans la zone industrielle de Ouagadougou. En Côte d’Ivoire, c’est la plus imposante unité de production de ciment de la sous-région qui a démarré son exploitation en 2019 avec une capacité de production de 3 millions de tonnes. D’autres projets sont en cours aussi bien dans le domaine du ciment que de la métallurgie mais pas seulement, au Togo, au Mali et au Ghana.

© Marcin Kilarski/Adobestock.com

Le négoce, un pilier fondateur À travers ses filiales KANIS COMMIDITIES, CIM METAL GROUP demeure un des principaux négociants de produits de première nécessité comme le riz et le sucre, sur toute l’étendue du Faso, et au-delà dans des Pays de la Sous-région. Fort de partenariats privilégiés avec des producteurs mondiaux, le groupe entend consolider d’avantage ses positions d’acteur de référence du secteur.

Avec des investissements de l’ordre de 400 milliards de F CFA, plus de 24000 emplois directs et indirects crées dans toute la sous-région, CIM METAL GROUP est un acteur économique de référence soucieux d’exercer ses activités selon les meilleurs standards mondiaux.

www.cimmetalgroup.com


GRAND FORMAT BURKINA FASO Lire aussi: « Or: croissance record pour les exploitations burkinabè » www.jeuneafrique.com

INDUSTRIES EXTRACTIVES

Médaille d’or de la résilience Ébranlées par l’insécurité et la crise sanitaire, les compagnies minières ont ralenti leur activité. Pourtant, les perspectives restent positives grâce à la bonne tenue des cours mondiaux.

a minima, se contentant de traiter les stocks de minerai déjà extraits sur le site, pour une production d’environ 1 t par trimestre. En raison du transport par hélicoptère des équipes sur le site depuis la ville de Fada et de la construction d’une piste d’atterrissage, les coûts d’exploitation de la compagnie ont été multipliés par six.

ANNE MIMAULT/REUTERS

Vitalité

Le gisement détenu par Endeavour Mining à Houndé (Ouest) est entré en production en décembre 2017.

C

NADOUN COULIBALY

es cinq dernières années, le Burkina Faso a considérablement augmenté sa production d’or, qui est passée de 35 tonnes (t), en 2015, à 52,6 t, en 2018, puis à 50,3 t, en 2019, hissant le pays au quatrième rang des producteurs d’or du continent. Les miniers sont cependant inquiets. « Les activités d’exploration subissent de plein fouet les conséquences de l’insécurité et du Covid-19 », explique le président de la Chambre des mines du Burkina (CMB), Tidiane Barry. La plupart des opérations d’exploration, qui sont essentielles au renouvellement du potentiel minier, sont ralenties, voire totalement gelées. Le développement de la mine de la junior canadienne Orezone Gold à Bomboré (Centre) est également freiné par la crise sanitaire, l’opérateur ayant réduit ses effectifs sur le site de 700 personnes à 30.

174

no3089 – JUIN 2020

Quant à la production de la mine de la Société d’exploitation minière en Afrique de l’Ouest (Semafo) à Boungou (Est), elle a été suspendue pendant plusieurs mois. Le 6 novembre 2019, une embuscade contre un convoi de cinq cars transportant du personnel vers la mine, et pourtant escorté par l’armée, a causé la mort de 38 personnes. Depuis, le producteur d’or canadien a été racheté par son compatriote Endeavour Mining pour 640 millions de dollars (585 millions d’euros). Au début de février, il a repris ses activités à Boungou, mais

AVEC QUATORZE MINES INDUSTRIELLES DÉSORMAIS EXPLOITÉES, LE BURKINA TABLE SUR UNE PRODUCTION DE 60 TONNES EN 2020.

Malgré ce climat d’insécurité persistant, le secteur minier burkinabè maintient sa vitalité. Il bénéficie notamment de la très bonne tenue des cours mondiaux de l’or, qui ne s’est pas démentie depuis le début de l’année. « Notre secteur minier demeure résilient. Pour 2020, nous pensons voir une hausse globale de notre production d’or, estime Toussaint Bamouni, directeur exécutif de la CMB. Celle-ci devrait atteindre environ 60 t, avec l’entrée en production des mines de Sanbrado (de l’australien West African Resources) et de Niankorodougou. » Ce dernier site – détenu à 90 % par le canadien Teranga Gold Corp., via sa filiale Wahgnion Gold Operations, et à 10 % par l’État – a nécessité un investissement de 244 millions de dollars. Sa production s’élève à 3,6 t par an. « Nous assistons à des développements importants le long des ceintures aurifères les plus prolifiques du Burkina Faso, où les sociétés ont connu de grands succès dans l’exploration, explique Adama Barry, directeur national de Teranga Gold. C’est le cas en particulier dans la ceinture de roches vertes de Houndé, où nous enregistrons de bons résultats et espérons construire notre troisième mine. » À la fin de 2019, le secteur a atteint un chiffre d’affaires cumulé de 1 540 milliards de F CFA (plus de 2,3 milliards d’euros). Le Burkina compte désormais quatorze mines d’or industrielles en phase d’exploitation, dont les plus emblématiques sont celles des canadiens Iamgold, à Essakane, et SemafoEndeavour, à Mana.


COMMUNIQUÉ

2iE forme des ingénieur(e)sentrepreneur(e)s

Basé à Ouagadougou (Burkina Faso), l’Institut International d’Ingénierie de l’Eau et de l’Environnement (2iE) œuvre pour une meilleure adéquation entre la formation des talents, la recherche et les nouveaux besoins des économies africaines. 2IE EN BREF ཛྷ 50 ans au service de l’Afrique : plus de 8000 diplômés, dont 95 % travaillent en Afrique ཛྷ 1400 étudiants en formation dont 30 % de filles

Ses diplômes sont accrédités et reconnus en Afrique et à l’International. L’école met à disposition des élèves des possibilités de mobilité simple et de double diplôme grâce aux accords conclus avec plusieurs grandes écoles d’ingénieurs en Europe.

ཛྷ Plus de 100 partenariats académiques, scientifiques et avec les entreprises nationales et internationales ཛྷ 7 plateformes pédagogiques et de recherche ཛྷ Centre d’excellence Banque Mondiale, UEMOA, CEDEAO, NEPAD

Issu de la fusion des institutions inter-états EIER (École des Ingénieurs de l’Équipement Rural) et ETSHER (École des Techniciens Supérieurs de l’Hydraulique et de l’Équipement Rural), 2iE a une gouvernance innovante organisée autour de 16 États membres et de partenaires privés, académiques, scientifiques, financiers.

OFFRE DE FORMATION 2iE offre une gamme complète de formation : Ingénieur Bac+5 conférant le grade de master ; diplôme de bachelor en ingénierie délivré après les 3 premières années d’étude ; formation doctorale internationale ; classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE). L’école offre également des parcours professionnels en 1 an, de niveaux : Bac+6, mastères spécialisés (assainissement-noncollectif, Génie sanitaire et humanitaire) et Bac+3, bachelors technologiques (Équipement et maintenance des installations hydrauliques ; Gestion et maintenance des parc de matériels de TP ; Géotechnique ; Énergie renouvelable ; Topo-SIG-Télédétection).

RECONNAISSANCE INTERNATIONALE APPUI AUX ENTREPRISES 2iE propose aussi des formations et des prestations adaptées aux besoins des entreprises : □ Formation professionnelle en ligne : Management et gestion des infrastructures et services □ Formation professionnelle continue à la carte ou sur catalogue □ Prestations d’expertise et d’analyses de laboratoire

TROIS SPÉCIALITÉS ཛྷ

Génie de l’eau, de l’assainissement et des aménagements hydroagricoles ;

Génie civil – Bâtiments et Travaux Public ;

Génie électrique et énergétique.

Institut 2iE - 01 BP 594 Ouagadougou 01 Burkina Faso

www.2ie-edu.org – 2ie@2ie-edu.org – Tél. : (+226) 25 49 28 00

JAMG - PHOTOS : D.R.

2iE est un environnement international et multiculturel avec plus de 30 nationalités tant dans le corps professoral qu’estudiantin, avec une forte stratégie de partenariat.


GRAND FORMAT BURKINA FASO

ENTREPRENEURIAT

L’art de prendre les devants Du BTP à l’hôtellerie, en passant par l’agriculture et la microfinance, portraits de patrons emblématiques et fédérateurs qui ont toujours un temps d’avance – voire plus.

LE LARLÉ NAA AABA

Chef du développement rural

SOPHIE GARCIA / HANS LUCAS

D

éputé de 1992 à 2014, chef coutumier réputé influent et ministre du Mogho Naaba (le roi des Mossis), Victor Tiendrébéogo a célébré le 1er mars le trentième anniversaire de son accession au trône. Il est le Larlé Naaba, le chef administrateur du quartier de Larlé (dans le nord-ouest de la capitale), et, depuis qu’il a quitté les bancs de l’Assemblée, celui que l’on appelle aussi le Naaba Tigré (« chef de l’abondance ») consacre son temps à son exploitation agricole et au développement rural. Entre autres… Il est 9 heures, ce matin-là, au palais du Larlé Naaba. Comme chaque jour, le chef évacue ses dernières audiences avant d’embarquer dans un véhicule flambant neuf. Direction sa ferme, située à 50 km de Ouaga, à Dapélogo, où il improvise une visite guidée. « On produit du lait, avec un cheptel de 250 têtes, pour une capacité de 85 litres par jour, mais on envisage d’atteindre 1000 l/jour d’ici à trois ans. Cela nous permet de produire du yaourt, du beurre et du fromage “made in Burkina” », explique le Larlé Naaba. Il cultive aussi du maïs (6000 t/an), des produits maraîchers et du jatropha. « On produit aussi notre propre fourrage, poursuit-il. La principale difficulté ici, c’est l’eau. Mais, à force de persévérance, j’ai fini par en trouver, avec vingt forages solaires à très haut débit. » Et d’ajouter qu’il est en train d’investir 100 millions de F CFA (152000 euros) dans un barrage artificiel pour permettre à l’exploitation d’avoir une totale maîtrise de l’eau. Également exportateur de bétail (300 têtes par an vers la Côte d’Ivoire), le Naaba Tigré réinvestit ses revenus, estimés à environ 200 millions de F CFA par an, dans sa communauté et dans sa ferme, qui compte 150 permanents et environ 500 occasionnels. Il a par ailleurs créé Belwet Microfinance, qui a déjà permis d’octroyer 250 000 microcrédits, et prévoit d’augmenter son capital à 500 millions de F CFA. Le « chef de l’abondance » espère pouvoir bientôt mobiliser les 450 millions de F CFA nécessaires à la construction d’un centre de formation agropastoral et sylvicole. « Mon ambition, dit-il, c’est de démontrer aux jeunes que l’agriculture est un secteur rentable. » Et force est de constater que ses réalisations font école, à l’instar de son modèle d’élevage de volailles, surnommé « 10/1 », qui permet d’avoir un retour sur investissement de l’ordre de 100000 F CFA au bout de six mois d’exploitation. L’État s’en est inspiré et a injecté plusieurs milliards de francs CFA pour le vulgariser auprès des petits producteurs. NADOUN COULIBALY

Le « chef de l’abondance » dans son exploitation agricole, à Dapélogo.

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no3089 – JUIN 2020


COMMUNIQUÉ

UN GRAND INVESTISSEUR CAISSE NATIONALE DE SÉCURITÉ SOCIALE

dans la mise en œuvre de la politique de l’habitat au Burkina

La Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) est un Etablissement public de prévoyance sociale (EPPS). Sa mission essentielle est de gérer le régime de sécurité sociale applicable aux travailleurs salariés et assimilés au Burkina Faso. À ce titre, elle recouvre des cotisations sociales auprès des employeurs et paie des prestations sociales aux assurés.

Directeur Général de la CNSS

NOS PRESTATIONS Les prestations de la CNSS sont regroupées en trois grandes branches : • une branche «prestations familiales» chargée du service des prestations familiales et des prestations de maternité ; • une branche «risques professionnels» chargée de la prévention et du service des prestations en cas d’accident du travail et de maladies professionnelles ; • une branche «pensions» chargée du service des prestations de vieillesse, d’invalidité et de survivants. Le service des prestations est complété par une action sanitaire et sociale.

LA CNSS, UN GRAND BÂTISSEUR Au-delà de sa mission première, la CNSS intervient dans la construction d’infrastructures immobilières notamment les logements sociaux, les villas et les auberges. Dans la plupart des centres urbains et bon nombre de chefs-lieux de provinces, elle accompagne ainsi la politique de l’habitat définie dans le PNDES à son axe 2 : «développer le capital humain» en vue d’un accès à des logements décents et aux bâtiments publics. Nos immeubles de rapports composés de villas, d’appartements, de magasins, de stu-

Nos infrastructures réalisées pour accompagner les fêtes de l’indépendance depuis 2008 : • une auberge en cours de réalisation à Banfora pour cette année 2020 comprenant en moyenne 24 chambres, un bâtiment administratif, une salle polyvalente, un bar restaurant, un local technique et des vestiaires ; • des auberges réalisées à Tenkodogo en 2019, à Manga en 2018, à Gaoua en 2017, à Kaya en 2016 et à Dori en 2013 ; • 24 villas F4 à Dédougou en 2015 ; • 100 villas à Koudougou en 2012 ; • 150 logements sociaux à Bobo-Dioulasso en 2010 ; • 20 villas à Ouahigouya en 2009 ; • 65 villas, une salle de conférence et une auberge à Fada N’Gourma en 2008.

W Vue de profil des bungalows dans les auberges • la Direction régionale de Fada N’Gourma (en cours) ; • la Direction régionale de Dédougou (en cours).

NOS FUTURS CHANTIERS La CNSS a en projet la construction d’infrastructures au profit de la population burkinabè. Les chantiers suivants seront lancés très bientôt : • un centre de gériatrie, au profit des personnes âgées à Bobo-Dioulasso ; • un centre commercial, de 10 niveaux à la ZACA à Ouagadougou. L’objectif visé de ces investissements productifs est de renforcer la sécurité financière de l’institution afin de garantir le paiement des prestations à long terme.

NOS INFRASTRUCTURES EN COURS DE RÉALISATION Afin d’offrir un meilleur cadre d’accueil à nos partenaires sociaux tout en permettant aux travailleurs d’être dans de bonnes conditions, la CNSS a entamé la construction de nouveaux sièges pour ses directions régionales que sont : • la Direction régionale de Ouagadougou (en finition) ; • la Direction régionale du Nord (en cours) ;

W Siège social de la CNSS

La CNSS, les Vertus de la Solidarité CAISSE NATIONALE DE SÉCURITÉ SOCIALE DU BURKINA 01 BP 562 - OUAGADOUGOU 01, BURKINA FASO Tél. : (+226) 25 30 60 78 à 80

www.cnssbf.org

JAMG - Ph hotos : D.R.

W Monsieur Lassané SAVADOGO,

dios, d’espaces, de bar piscine. On dénombre entre autres : • 276 appartements et villas à la Direction régionale de Ouagadougou ; • 39 villas à la Direction régionale de Bobo-Dioulasso ; • 50 villas à la Direction régionale du Nord ; • 62 villas à la Direction régionale de Fada N’Gourma ; • 39 villas à la Direction régionale de Dédougou.


HAMIDOU OUÉDRAOGO

Businessman tous risques

S

il avoue que ses affaires ont été sérieusement affectées par l’épidémie de Covid-19 – qui a causé des pertes de plus de 400 millions de F CFA (près de 610 000 euros) en trois mois pour sa seule enseigne hôtelière, Ramada Pearl Hôtel –, Hamidou Ouédraogo veut se montrer résilient. « Depuis la fermeture des frontières, notre établissement est vide, ce qui occasionne des pertes de plus de 100 millions de F CFA par mois, mais nous continuons à supporter les charges de nos 130 collaborateurs »,

INOUSSA MAÏGA

L’agripreneur 2.0

D

onner une image moderne et positive de l’agriculture aux jeunes, tel est l’objectif que s’est fixé Inoussa Maïga. Après avoir créé, en 2014, la société de production audiovisuelle Mediaprod, le journaliste de 34 ans a lancé Agribusiness TV en mai 2016. À travers des reportages en français et en anglais, la web TV met en avant des exploitants et des transformateurs innovants de moins de 40 ans. Elle enregistre plus de 53200 abonnés sur YouTube et affiche plus de 12 millions de vues. « Beaucoup

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no3089 – JUIN 2020

explique-t-il. Malgré la crise sanitaire et économique, le PDG du groupe Ramada confirme qu’il compte investir 8 milliards de F CFA (mobilisés auprès de banques locales, dont Coris Bank et Banque Atlantique) dans un nouvel hôtel de 86 chambres, à Ouaga 2000. À la tête de la Chambre de commerce et d’industrie de la région Centre depuis novembre 2016, El Hadj Hamidou Ouédraogo, 57 ans, débute comme ouvrier du bâtiment au début des années 1980. Il se met ensuite à son compte, crée son entreprise d’importation et de négoce de carreaux pour la construction, ce qui lui vaut le surnom de HamidouCarreaux. Devenu rapidement l’un des poids lourds du secteur, son groupe s’est diversifié. Il a investi plus de 6 milliards de F CFA dans la construction de deux hôtels, l’un dans le quartier de Koulouba, à Ouagadougou, et l’autre à Manga, dans le Centre-Sud, sa région d’origine. La branche matériaux de construction du groupe a de même pâti de la crise sanitaire, qui a entraîné une chute de 30 % de la demande, mais Hamidou Ouédraogo maintient le cap et prépare l’après-crise. « Aujourd’hui, explique-t-il, j’envisage de céder le carreau à mes enfants pour me concentrer sur l’hôtellerie et l’immobilier. » Sa filiale Ramada Immobilier est engagée dans la construction d’une cité de 2500 logements sur 320 ha. Dans le cadre de ce programme de 70 milliards de F CFA, 100 maisons ont déjà été livrées, dont le coût d’acquisition est compris entre 10 et 70 millions. Autodidacte doté d’un flair certain en matière de marchés émergents, il étudie la possibilité de construire une usine d’aliments pour bétail, ainsi que des unités de fabrication de sacs pour les mines, un projet industriel estimé à 3,5 milliards de F CFA. NADOUN COULIBALY

de gens voulaient savoir où acheter les produits, l’idée nous est venue de créer Agribusiness Shop, explique Inoussa Maïga. D’une dizaine au départ, en février 2018, nous proposons aujourd’hui plus de 200 produits. » La possibilité de payer via Orange Money et de se faire livrer dans toute la sous-région séduit la clientèle. Parmi les produits phares, on trouve la poudre de cacao de Côte d’Ivoire, que la société fournit aux pâtisseries et aux supermarchés de Ouaga. Agribusiness Shop réalise un chiffre d’affaires de 4 millions de F CFA (plus de 6 000 euros) par mois, qui a chuté de 25 % en avril. « Avec la fermeture des frontières, il était devenu impossible

d’importer les prroduits ou de les livrer. Et pour la a télévision, tous les tournages à l’extérieur de Ouaga avaie ent été suspendus », explliquet-il. Mais depuiis la levée des restrrictions, il a relanc cé ses projets : le e recrutement de journalistes est en cours pour diversifier la production audiovisuelle , tandis qu’est prrév u e l ’o u ve r t u r e d’une deuxième e boutique à Ouaga. SOPHIE GARCIA POUR JA

OLYMPIA DE MAISMONT POUR JA

GRAND FORMAT BURKINA FASO ENTREPRENEURIAT

AÏSSATOU DIALLO


COMMUNIQUÉ

UNE ENTREPRISE CITOYENNE ET À RESPONSABILITÉ SOCIÉTALE

UNE MISSION DE SERVICE PUBLIC : encadrement du monde rural, appui-conseil au développement de la production cotonnière et des cultures associées ;

UNE MISSION INDUSTRIELLE ET COMMERCIALE : collecte, transport, égrenage du coton graine et commercialisation de la fibre et des co-produits. une offre de fibres aux caractéristiques technologiques prisées par les filateurs.

au plus haut point, de la préservation de l’environnement (création d’un Département en charge des Questions Environnementales et Sociales) ;

Ces deux missions principales font de la SOFITEX, une Wilfried YAMEOGO entreprise viDG de la SOFITEX tale pour l’économie et l’agriculture du Burkina Faso au vu du flux d’argent injecté en milieu rural à travers la culture du coton. La SOFITEX constitue, ainsi, un acteur majeur en tant que vecteur de monétarisation de l’économie du Burkina Faso et un puissant levier d’amélioration des conditions de vie des populations en milieu rural.

Ce label est également présent en amont de la production cotonnière, car SOFITEX dispose d’une unité de traitement des semences qui permet aux cotonculteurs d’avoir des semences de meilleure qualité.

• la culture d’entreprise et le professionnalisme ; • la bonne gouvernance, la bonne gestion et la bonne organisation de ses activités.

• une démarche qualité corroborée par une conquête permanente de la qualité pour « un label coton burkinabè » ;

Au cœur d’une économie encore largement dominée par l’agriculture, le coton ou « l’or blanc du Burkina » est le seul produit qui fait vivre directement environ 4 millions de Burkinabè. Il contribue également à 17,5 % des recettes d’exportations ainsi que à 4 % du PIB. Il demeure une culture stratégique rentable pour nos populations laborieuses en mobilisant tant en amont qu’en aval de nombreux autres secteurs d’activités qui bénéficient directement ou indirectement de ses effets induits, tels que les huileries, les filatures, les assurances, les transports, les impôts, les hydrocarbures, les finances, les fournisseurs d’intrants agricoles, etc..

• une éthique de développement durable qui place le capital humain au centre des préoccupations de l’entreprise (amélioration des revenus et des conditions de vie des cotonculteurs et développement des ressources humaines) et qui se soucie,

Il convient de souligner que depuis le retour à la culture du coton conventionnel intervenu en mars 2016, une nette amélioration de la longueur de soie du coton burkinabè se dégage et offre assurément des gages de reconquête du « label coton burkinabè ». Un label qui se distingue par

Consciente que le coton constitue le moteur du développement agricole et économique du Burkina Faso, la SOFITEX se donne comme vision les valeurs principales suivantes :

En outre, la SOFITEX dispose d’un laboratoire de classement instrumental et manuel de la fibre, le seul du genre en Afrique, accrédité à la norme ISO 17 025 par le Système Ouest Africain d’Accréditation (SOAC). Ce laboratoire assure le classement de toute la fibre produite au Burkina Faso et des sociétés cotonnières de la sous-région qui en expriment le besoin. La SOFITEX, créatrice de richesses et de la valeur ajoutée en milieu rural et partant dans ses sept régions cotonnières où sont implantées ses quinze usines d’égrenage, joue indéniablement une réelle partition dans la lutte pour la sécurisation des revenus des d cotoncult l teurs et l’amélioration des performances de la production p céréalière au Burkina Faso.

Références technologiques de la fibre SOFITEX SOIE MOYENNE

29,54

RÉPARTITION DE LA LONGUEUR DE LA SOIE

1.1/16

1.3/32

1.1/8

1.5/32

1.3/16

1.7/32

1.1/4

1.1/4

0,7

6,1

21,6

39,9

19,1

9,3

2,7

0,6

UNIFORMITÉ DES LONGUEURS

TÉNACITÉ MOYENNE

ALLONGEMENT MOYEN

81,2

30,7

5,7

MICRONAIRE MOYEN

4,3

RÉPARTITION DES MICRONAIRES

≤ 3,5

] 3,5 ; 3,6]

] 3,6 ; 4,2]

] 4,2 ; 4,9]

> 4,9

0,1

0,2

35,3

64,2

0,3

Zone Industrielle de Bobo-Dioulasso - 01 BP 147 Bobo-Dioulasso 01 - Burkina Faso Tél. : (+226) 20 97 00 25 - Fax : (+226) 20 97 00 23 - Email : dg@sofitex.bf

www.sofitex.bf

JAMG - PHOTOS : D.R.

La SOFITEX, leader de la production cotonnière au Burkina Faso a pour missions majeures :


GRAND FORMAT BURKINA FASO

SOCIÉTÉ

Frédéric Titinga Pacéré Avocat, écrivain et chef traditionnel

« Il n’y a que quelques milliers de terroristes, nous sommes 20 millions de Burkinabè » Construction de la nation, révolution de 1983, diversité culturelle, rôle de la chefferie traditionnelle, lutte contre le jihadisme… Un acteur et témoin privilégié de l’Histoire raconte soixante ans d’indépendance.

À son domicile, dans le quartier ouagalais de Tanghin.

E

Propos recueillis à Ouagadougou par AÏSSATOU DIALLO

n novembre 2019, à la suite de l’appel à la « mobilisation générale des fils et filles de la nation » lancé par le président Kaboré au lendemain d’une nouvelle attaque jihadiste, c’est un Frédéric Titinga Pacéré alors âgé de 76 ans qui a demandé son incorporation dans l’armée. Élan patriotique pour les uns, plaisanterie pour les autres tant cela paraissait insolite. Mais qui connaît le personnage ne doute aucunement de la sincérité de cette démarche. Premier avocat du pays, ancien expert indépendant des Nations unies pour la RD Congo, écrivain, poète, chef de Manéga – son village, situé à 50 km au nord-ouest de Ouagadougou, dans le PlateauCentral –, Frédéric Titinga Pacéré est un acteur et un témoin privilégié de l’histoire de la Haute-Volta, puis du Burkina Faso. Le 15 juin 2019, il a lancé l’« Appel de Manéga » pour restaurer la paix et la cohésion sociale. À ses côtés étaient présentes 100 personnalités, un hommage au centième anniversaire de la création de la Haute-Volta, en 1919. Maître Pacéré est également un fervent défenseur des valeurs traditionnelles,


notamment de la société mossi, dont il est l’un des leaders. Il a fondé le Musée de Manéga, qui met en valeur les traditions sacrées des cultures du pays et fait la part belle à la « bendrologie » (de « bendré », instrument à percussion), qui s’intéresse au langage des tam-tams. À l’approche de la célébration des 60 ans de l’indépendance du pays, le 5 août, Me Pacéré a longuement reçu Jeune Afrique chez lui, dans le quartier populaire de Tanghin, à Ouagadougou, pour raconter l’histoire de son pays et rappeler le rôle des sociétés traditionnelles dans la lutte contre le terrorisme. Jeune Afrique: Quel souvenir gardez-vous du jour de la proclamation de l’indépendance de la HauteVolta, le 5 août 1960?

FrédéricTitingaPacéré:J’ai grandi sous la colonisation. À cette époque, la formation était orientée pour servir les intérêts du colonisateur. Nous apprenions que nos ancêtres les Gaulois avaient les yeux bleus. Un jour, lorsque j’étais à l’école primaire, à Koudougou, un inspecteur français est venu pour un contrôle de connaissance. Il a demandé: « Quels sont les fleuves de Bretagne? » Nous avons répondu sans difficulté. Puis il nous a demandé de citer un fleuve de la Haute-Volta. Aucun des 60 élèves n’a pu le faire. La colonisation, c’était aussi la période 1960-2020 des travaux forcés. Une année, dans l’Oubritenga, 350 personnes furent arrachées à leur d’indépendance terre pour aller travailler dans les champs de coton du commandant du Soudan français. Seules dix sont revenues vivantes… Le jour où la Haute-Volta devait accéder à son indépendance, j’ai fait le trajet de Koudougou à Ouagadougou, malgré mon jeune âge, pour assister à la cérémonie. Sur la place, le ministre des Affaires étrangères, ou du moins celui qui avait assumé ce rôle, Moussa Kargougou, a entonné l’hymne de la Volta – qui, sous la révolution, en 1984, fut remplacé par le Ditanyè [L’hymne de la victoire, aussi appelé Une seule nuit]. Nous avons chanté et applaudi avec lui, et, à minuit, l’indépendance fut proclamée. Nous étions inquiets parce qu’on se disait qu’on était incapables de fabriquer une aiguille, à plus forte raison de nous diriger en tant que nouvelle nation. Le pays avait été partagé, et ses richesses, exploitées sous la colonisation. Mais la Haute-Volta regorgeait de compétences qui avaient occupé des fonctions importantes dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, comme Moussa Kargougou, Gérard Kango Ouédraogo ou encore Léopold Kaziendé. Il y avait donc des signes d’espoir.

SOPHIE GARCIA POUR JA

60 ANS

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GRAND FORMAT BURKINA FASO SOCIÉTÉ

La Haute-Volta regroupait des populationsaux cultures très différentes. Comment la nation a-t-elle pu être construite?

Depuis sa reconstitution, il n’y a jamais eu de conflit entre les 67 groupes ethniques du pays. Dans la vie traditionnelle, il n’y a pas de conflit possible, ni interethnique, ni interreligieux, ni interrégional. Dans le cadre d’une justice traditionnelle, il n’y en a pas un qui a raison et un autre qui a tort ; on recherche le consensus à travers une médiation. Par exemple, certaines ethnies interdisent le mariage au sein d’un même groupe, car le choix d’un ou d’une conjointe à l’extérieur instaure une fraternité entre les groupes. Et lorsque le Mogho Naaba [roi des Mossis de Ouagadougou] sort le vendredi pour la « cérémonie du faux départ », le grand imam de Ouagadougou, ou la délégation qui le représente, est là pour faire des bénédictions. À ses côtés, il y a le chef suprême des Nioniossé [pluriel de l’ethnie Nionioga], ainsi que le Baloum Naaba [ministre de l’Intérieur du Mogho Naaba] et le représentant de la spiritualité fondamentale des Mossé, qu’on appelle Mowango. Chaque vendredi, toutes ces religions se retrouvent au même endroit et participent au même rituel. Bel exemple de cohésion et d’œcuménisme…

Le problème actuel est dû à l’inféodation à des forces du mal extérieures qui, qu’elles relèvent de la religion ou non, tiennent à nous diviser. Certains, comme les Peuls ou les musulmans, sont stigmatisés. C’est dommage qu’aujourd’hui on apprenne aux Bobos qu’ils sont Bobos, aux Mossis qu’ils sont Mossis… Dans certains villages qu’ils ont attaqués, les terroristes exigent l’enseignement de l’islam et interdisent celui du français. Pourtant, au

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no3089 – JUIN 2020

XVIIIe siècle, le Mogho Naaba Roulgou, qui était musulman, continuait à respecter les religions traditionnelles. Moi-même, il y a quelques mois, à la cour de Manéga, j’ai nommé un chef peul. Il participe à tous les Conseils de ministres et aide à la médiation en cas de conflit. Vous avez connu plusieurs chefs d’État. Quels souvenirs personnels vous ont marqué?

1987, la fin de la révolution Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara est assassiné à Ouagadougou lors d’un coup d’État qui met fin à la révolution burkinabè et amène Blaise Compaoré à la tête du pays. Sénégal tourisme : état d’urgence

Hebdomadaire international indépendant • 55e année • No 2820 • du 25 au 31 janvier 2015

jeuneafrique.com

CÔTE D’IVOIRE « NOUS N’ÉPARGNERONS PERSONNE »

DOSSIER mInES Spécial 10 pages

édition AFRIQUE SUBSAHARIENNE

L’indépendance supposait d’abord la reconstitution. De 1932 à 1947, la Haute-Volta n’existait plus. Elle avait été démembrée, partagée entre la Côte d’Ivoire, le Soudan français [aujourd’hui le Mali] et le Niger. Le Mogho Naaba Saaga a été l’artisan de la reconstitution du pays. Il s’est allié aux autres chefs traditionnels – au roi du Yatenga, à celui de Tenkodogo et à ceux d’autres peuples qui composaient la Haute-Volta – et il s’est entouré d’intellectuels tels que Nazi Boni, Ouezzin Coulibaly, Maurice Yaméogo, Dim Dolobson, Philippe Zinda Kaboré, Henri Guissou… Tous ont lutté pour la reconstitution, puis contribué à l’accession à l’indépendance.

RUPTURES

France 3,50 € • Algérie 200 DA • Allemagne 4,50 € • Autriche 4,50 € • Belgique 3,50 € • Canada 5,95 $ CAN • Danemark 35 DKK • DOM 4 € Espagne 4 € • Éthiopie 65 birrs • Finlande 4,50 € • Grèce 4,50 € • Italie 4 € • Maroc 23 DH • Mauritanie 1100 MRO • Norvège 45 NK • Pays-Bas 4 € Portugal cont. 4 € • RD Congo 5,50 $ US • Royaume-Uni 3,50 £ • Suisse 6 FS • Tunisie 3,30 DT • USA 6,50 $ US • Zone CFA 1700 F CFA • ISSN 1950-1285

Quelles personnalités ont permis au pays d’accéder à l’indépendance?

BURKINA

Une interview de Fatou Bensouda, procureur de la CPI

Les mystères

de Ouaga

Trois mois après la chute de Blaise Compaoré, enquête dans les coulisses de la transition. Les grandes manœuvres en vue de la présidentielle, prévue en octobre, ont bel et bien commencé…

Janvier 2015, le début d'une longue année de transition… … après que Blaise Compaoré a été contraint de démissionner, le 31 octobre 2014, au lendemain d’un soulèvement populaire contre son projet de modification de la Constitution.

Thomas Sankara n’était pas de ma génération. Son père et moi avons travaillé ensemble pour la création d’un centre de prise en charge d’enfants abandonnés… Jusqu’au jour de l’inauguration de la dalle de Manéga, en 1996, à laquelle il était présent, il ne s’était pas remis de l’assassinat de son fils. Sankara et moi avions de bonnes relations, malgré les problèmes que j’ai eus en tant que doyen des avocats sous la révolution, qui, avec la création des tribunaux populaires, n’a pas voulu s’encombrer de la justice classique. Les avocats, les notaires et les huissiers étaient considérés comme des symboles de l’Occident chrétien et de la bourgeoisie comprador. J’ai rencontré Sankara à plusieurs reprises pour la Fédération des écrivains de l’Afrique de l’Ouest. C’était un passionné de culture. Il m’a dit un jour: « Mes devanciers ont créé le Fespaco [Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou]. Moi, Thomas Sankara, je vais créer le Fesimo, le Festival international de la musique de Ouagadougou. Pourquoi? Parce que je suis un guitariste, un musicien moderne comparé au guitariste traditionnel du Larlé Naaba. Lorsque le musicien traditionnel joue à côté d’un feu avec des enfants assis autour, on l’entend au maximum à 100 mètres. Mais moi, avec ma guitare et un amplificateur, je peux me faire entendre d’un grand public. Si en plus je fais venir la radio et la télé, on m’entendra et on me verra très loin, en temps réel. Il faut allier le moderne et le traditionnel. Vous, votre devise c’est: “Si la termitière vit, elle ajoute de la terre à la terre.” Je veux ajouter de la terre à la terre en créant ce festival. » Il m’a demandé de préparer une conférence inaugurale, mais il est malheureusement mort avant son lancement. Son successeur, Blaise Compaoré, et moimême sommes de la même région. J’ai été son avocat. C’est moi qui ai rédigé l’article 37 qui instaure la limitation des mandats présidentiels et dont la tentative de modification a conduit à la chute de Blaise Compaoré. Je ne sais pas pourquoi, mais toutes mes demandes de rendez-vous auprès du chef de l’État quand il était question de modifier cet article ont été


COMMUNIQUÉ LA SOCIÉTÉ NATIONALE BURKINABÈ D’HYDROCARBURES (SONABHY)

UNE ENTREPRISE CITOYENNE au service de l’économie et du consommateur Burkinabè

La SONABHY a plus de trois décennies d’existence (35 ans en 2020). L’entreprise est reconnue pour l’excellence de son expertise sur les marchés pétroliers internationaux. De manière très bénéfique pour l’ensemble du Burkina Faso,l’entreprise se charge de l’importation,du transport,du stockage et de la commercialisation des produits pétroliers. Au niveau régional,elle est souvent citée en exemple pour son efficacité.

MISSIONS HAUTEMENT STRATÉGIQUES

CERTIFICATION

Sur tout le territoire et aux termes de son Kiti de création, la SONABHY a pour objet :

La SONABHY est certifiée ISO 9001 – Version 2015

L’importation et le stockage des hydrocarbures liquides et gazeux ;

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Le transport, le conditionnement, la vente et la distribution de ces produits ;

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La construction d’infrastructures de stockage en vue de garantir au Burkina Faso une sécurité énergétique suffisante ;

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L’appui à la recherche d’énergie de substitution ainsi qu’à la vulgarisation des techniques d’utilisation ou de consommation d’énergie ;

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NOS PERSPECTIVES (Investissements prévus) DÉPÔT DE BINGO x

Extension du dépôt d’hydrocarbures liquides ;

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Extension du dépôt de gaz par la construction d’une sphère de 4000 tonnes.

DÉPÔT DE PENI

Et généralement, toutes opérations industrielles, commerciales, financières, mobilières ou immobilières se rattachant directement ou indirectement à l’objet ci-dessus.

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Construction du dépôt d’hydrocarbures liquides de PENI ;

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Extension du dépôt de gaz par la construction d’une sphère de 2000 tonnes.

DÉPÔTS RÉGIONAUX

L’État accorde à la SONABHY un monopole de droit pour l’importation et le stockage des hydrocarbures liquides et gazeux. Le transport et la distribution sont assurés par des sociétés privées.

VISION DE LA SONABHY

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Construction d’un 3e dépôt dans l’Est du pays ;

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Création de centres emplisseurs de bouteilles de gaz dans chacune des régions du pays.

INTERCONNEXIONS SOUS–RÉGIONALES

Un spécialiste régional de l’approvisionnement en produits pétroliers au service de l’économie et du consommateur burkinabè.

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Projets d’interconnexions par pipelines avec certains pays côtiers limitrophes (à l’étude).

01 BP 4394 Ouagadougou 01 - Tél.: ( + 226) 25 43 00 01/ 25 43 00 34/ 25 31 56 31/32 01 BP 1104 Bobo-Dioulasso 01 - Tél. : (+226) 20 97 01 97 - Fax : (+226) 20 97 12 70 E-mail : info@sonabhy.bf/sonabhy@sonabhy.bf /sonabhy.bobo@sonabhy.bf

www.sonabhy.bf

JAMG - PHOTOS : D;R.

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GRAND FORMAT BURKINA FASO SOCIÉTÉ

refusées. Mais cela tient plutôt aux initiatives de son entourage. Comme cela est arrivé à d’autres dirigeants, ce sont les personnes qui gravitent autour de lui qui, en ne voyant que leurs propres intérêts, lui ont causé du tort. Quel rôle la chefferie traditionnellepeut-ellejouerdanslarésolution de la crise sécuritaire?

IL N’Y A PAS DE CONFLIT POSSIBLE DANS LA VIE TRADITIONNELLE, NI ETHNIQUE, NI RELIGIEUX, NI RÉGIONAL.

Jadis, le mogho [« royaume », « territoire national »] était organisé de telle sorte qu’il y avait un chef de guerre tous les 50 km dont le rôle était d’assurer la protection des habitants. L’une des devises de Ouagadougou était : « On entre à Ouagadougou par la ruse et non par la force. » Au fil du temps, cette organisation a été bouleversée. Sous la colonisation, les naaba et chefs coutumiers ont été relégués au rôle d’auxiliaires de l’administration. Puis, dès les premières heures de l’indépendance, Maurice Yaméogo a supprimé la loi

Mais ils ont toujours une grande influence…

L’idée n’est pas de reconstituer la chefferie coutumière pour en faire un dédoublement du pouvoir moderne, mais qu’elle apporte son appui aux forces de défense et de sécurité dans un cadre légal. Chez moi, par exemple, comme il est de coutume dans le mogho, un étranger qui arrive doit obligatoirement loger chez une tante, c’est-à-dire chez une femme qui est originaire de son village à lui. S’il s’agit de commerçants, ils sont hébergés par le Sann Naaba, le ministre chargé des Étrangers, qui doit toujours avoir une case disponible pour les recevoir – case qu’il laisse accessible à tous pour qu’on ne puisse pas y cacher des armes. Lorsqu’un étranger arrive, le Sann Naaba le conduit chez le chef, où il doit ouvrir son sac et expliquer les raisons de sa présence. Tout cela est efficace pour contrôler les déplacements et traquer l’ennemi. Les chefs coutumiers peuvent aussi coordonner leurs actions, organiser des fouilles du territoire et faire remonter des informations aux maires ou aux préfets.

MARC VAN MUYSEN / ARCHIVES JA

Le pays subit des attaques terroristes depuis cinq ans. Craignez-vous qu’une partie du territoire n’échappe au contrôle de l’État?

4 AOÛT 1984 – UN NOM EN V.O. Le jour de la célébration du premier anniversaire de la révolution, Thomas Sankara rebaptise la Haute-Volta en Burkina Faso et les Voltaïques en Burkinabè. Il associe ainsi les trois langues qui, avec le français, ont le statut de langues nationales. En mooré, langue des Mossis, ethnie majoritaire du pays, « burkina » signifie « intègre ». En bamanankan, langue des Bambaras et des Dioulas, « faso » signifie « patrie ». Quant au gentilé « Burkinabè » (invariable, « homme intègre »), il est construit grâce au suffixe « bè », désignant « l’homme, l’habitant », en foulfouldé, langue parlée par les Peuls.

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qui organisait les chefferies des cinq royaumes du pays, en réaction à la tentative de coup d’État [en 1958] du Mogho Naaba Kougri. La révolution sankariste est ensuite venue tirer un trait sur toute la chefferie traditionnelle au motif que celle-ci incarnait le passéisme et la bourgeoisie. Aujourd’hui, les chefs traditionnels ont un rôle symbolique.

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Burkinabè signifie « homme intègre », et la devise de l’homme intègre est: « Mieux vaut la mort que l’humiliation. » Les Burkinabè se sacrifieront pour leur patrie. L’an dernier, alors que le pays était attaqué, humilié, j’ai demandé mon intégration dans l’armée, malgré mon âge. Même si les forces du mal semblent dominer la situation pour le moment, cela ne durera pas. Il n’y a que quelques milliers de terroristes, et notre pays compte 20 millions d’habitants. Comment voyez-vous l’avenir du Faso?

Il sera radieux, à condition que nous soyons humbles, tolérants et moins exigeants. Il ne faut pas que chacun tire sur la corde pour obtenir des indemnités, des avantages, etc. Nous devons permettre à nos gouvernants, quels qu’ils soient, de travailler pour le bien-être de tous.


COMMUNIQUÉ

SOCIÉTÉ NATIONALE D’ÉLECTRICITÉ DU BURKINA FASO

Comment la SONABEL démocratise l’accès à l’électricité Lancée en décembre dernier, la phase pilote du Projet de Développement des Connexions à l’Electricité a déjà engrangé des résultats encourageantts. Avec plus de 2000 branchements réalisés à Tenkodogo, la Société Nationale d’Électricité du Burkina (SONABEL) veut dupliquer à grande échelle le projet pour amener le courant électrique dans les zones les plus reculées et les moins favorisées du Pays. M. Baba Ahmed Coulibaly, Directeur Général de la SONABEL t

l’électricité, notamment pour les populations démunies qui peinent à mobiliser les sommes nécessaires pour se connecter au réseau électrique national. « Nous avions constaté que malgré le développement de la production d’électricité, des lignes de transport et de distribution, les populations pauvres étaient exclues du réseau connecté, faute de moyens financiers. Ce projet leur permet ainsi, dans sa phase 2, de financer le raccordement en payant à tempérament sur cinq voire dix ans, sans taux d’intérêt le coût de connexion au réseau électrique », souligne M. Coulibaly. Prévue jusqu’en 2030, cette initiative inédite, au Burkina, entend réaliser au moins 100000 nouveaux branchements par an. Décrit par ses concepteurs comme une réponse aux promesses présidentielles de réaliser l’accès à l’électricité pour tous les burkinabè, ce projet va catapulter les indicateurs d’accès à l’électricité marqués par des disparités criantes

55, Avenue de la Nation 01 BP 54 Ouagadougou - Burkina Faso Tél. : (+226) 25 30 61 00 / 02 / 03 / 04 - Fax : (+226) 25 31 03 40

entre les grandes agglomérations qui ont franchi le cap de 68 % de taux d’électrification contre seulement 5 % en milieu rural. Pour pérenniser le projet, la SONABEL veut lever des ressources auprès des bailleurs de fonds traditionnels comme la Banque Africaine de Développement, l’Agence Française de Développement, la Banque Mondiale, l’Union Européenne ou encore la Coopération japonaise. « Nous allons créer un fond de connexion autonome, doté d’une enveloppe de 50 milliards de FCFA, pour soutenir le projet », annonce Baba Ahmed Coulibaly. Alors que 20 % des 3,5 millions de Ouagalais vivent dans la banlieue en zones non viabilisées, le PDCEL va, de concert avec les communes, connecter ces zones à habitat spontané. Il s’agit d’offrir une réponse sur mesure à l’électrification des quartiers, non lotis en installant des minis-réseaux

qui alimenteront des compteurs électriques. « Ces installations électriques vont suivre le tracé des rues qui vont demeurer en cas de viabilisation pour alimenter les particuliers. On aura ainsi des clients ordinaires dans ces zones », assure le Directeur Général. Avec le PDCEL, les réseaux connaîtront des restructurations et des extensions. La problématique de la gestion de ce réseau se posera donc et la SONABEL est en train d’étudier des solutions « smart grid » avec des transformateurs et compteurs intelligents. « D’ores et déjà, près de 2 000 compteurs intelligents ont été installés chez les grands consommateurs permettant une facturation à bonne date et une souplesse d’exploitation. Nous allons passer progressivement aux compteurs intelligents chez les particuliers pour améliorer la qualité de services », plaide M. Coulibaly.

www.sonabel.bf

JAMG - Photos : D.R.

Pour une phase pilote ce fût un véritable succès. Cinq mois après son lancement à Tenkodogo, le PDCEL, inspiré du modèle ivoirien d’accès à l’électricité pour tous, a permis aux populations de Tenkodogo de se raccorder de façon aisée au réseau électrique national. En effet, sur un coût moyen de connection de 200000 FCFA, une avance de 3000 FCFA suffit pour obtenir le raccordement, le reste de la créance étant payable sur une période allant jusqu’à cinq ans. La pratique habituelle demandait le paiement intégral en une seule fois du montant. Cette offre fait déjà des émules. « Nous avons réalisé plus de 2 000 branchements. L’engouement est tel que nous allons faire la même chose dans d’autres localités », explique Baba Ahmed Coulibaly, Directeur Général de la SONABEL. Conçue et financée dans sa phase pilote par la Nationale de l’électricité sur fonds propres à hauteur de 12 milliards de FCFA, cette initiative vise à démocratiser l’accès à


GRAND FORMAT BURKINA FASO

SPORT

Ces athlètes qui gagnent Peu performant dans les disciplines collectives, le Faso se console avec les trajectoires individuelles de quelques champions de très haut niveau.

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DAMIEN GLEZ

epuis la qualification surprise des Étalons en finale de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) de football de 2013, les supporters burkinabè ont rarement vu leurs équipes nationales briller à l’international. En football comme dans les autres disciplines, le Pays des hommes intègres doit composer avec tant de priorités budgétaires que le ministère des Sports et des Loisirs dispose de peu de moyens pour pérenniser les infrastructures, les compétitions, les formations ou les bourses. Il reste alors l’incarnation individuelle, comme celle de l’ex-champion d’Afrique de boxe Nabaloum Dramane, dit Boum-Boum, ou celle de l’as du ballon rond Bertrand Traoré, qui figure dans l’actuel top 30 des footballeurs les mieux rémunérés de France. Pourtant, dans des sports moins médiatisés, trois athlètes burkinabè collectionnent les médailles et les records: Marthe Koala, Iron Biby et Hugues Fabrice Zango.

MARTHE KOALA

A

u début de février, au meeting Elite de Metz en salle, Marthe Yasmine Koala bat le record burkinabè du 60 mètres haies avec un temps de 8 secondes 13, remportant par la même occasion l’épreuve de la compétition. En dehors des distances en haies, l’athlète est une spécialiste des épreuves combinées, en particulier de l’heptathlon, qui, sur deux jours, associe 200 m et 800 m, saut en hauteur, saut en longueur, 100 m haies, lancer de poids et lancer de javelot. Née le 8 mars 1994 à BoboDioulasso, orientée vers l’athlétisme dès son arrivée au collège, en 2005, Marthe Koala intègre l’équipe nationale en 2009. Après le baccalauréat, elle prend la direction de l’île Maurice pour entrer au Centre international d’athlétisme, où elle bénéficie de conditions d’entraînement de haut niveau et suit un cursus universitaire dans le management des sports. Patiente et disciplinée, c’est à partir de 2014 qu’elle

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accumule les récompenses, dont des médailles d’or en heptathlon – depuis les championnats d’Afrique de Marrakech, en 2014, aux Jeux africains de Rabat, en août 2019, en passant par le TNT Express Meeting de Kladno (République tchèque), en 2018. Elle a par ailleurs décroché l’or au 100 m haies et saut en longueur lors des Jeux de la Francophonie d’Abidjan, en 2017. Parfois confrontée à des conditions décourageantes, comme l’obtention tardive d’un visa européen en 2017 ou, la même année, l’annulation d’une épreuve aux Jeux de la Francophonie d’Abidjan par manque de participants, Marthe Koala ne se laisse pas abattre. Présente dans de nombreuses compétitions internationales, elle attend toujours de décrocher un titre mondial ou olympique, mais a déjà participé aux Championnats du monde (Pékin en 2015, Londres en 2017) et aux Jeux olympiques (Rio en 2016). D.G.

HASSAN AMMAR/AP/SIPA

Coureuse polyvalente

La spécialiste de l’heptathlon lors d’une épreuve de saut en longueur.


Le champion du monde de log lift s’entraînant chez lui, à Bobo-Dioulasso.

IRON BIBY

Colosse au grand cœur

ANTHONY DIBON/ICON SPORT

D.G.

Au Meeting de Paris, en février.

OLYMPIA DE MAISMONT / AFP

P

remier Burkinabè à figurer au Guinness Book des records, en 2019, pour avoir soulevé 82 fois une personne de 60 kg en une minute, Cheick Ahmed al-Hassan Sanou, 27 ans, a remporté le 6 avril 2019 à Leeds, au Royaume-Uni, le titre de champion du monde de log lift (discipline qui consiste en un « porté d’épaule » de charges en forme de tronc d’arbre) en soulevant un poids de 220 kg, après en avoir été champion du monde ex aequo en 2018. Le colosse bobolais de 1,90 m, 187 kg et 66 cm de tour de bras espère un jour tirer un avion de la compagnie nationale Air Burkina. Complexé par sa corpulence pendant son enfance, Cheick Sanou part étudier l’administration des affaires au Canada à l’âge de 17 ans, en même temps qu’il occupe des postes de vigile. À 21 ans, il découvre le powerlifting (« force athlétique »), une discipline proche de l’haltérophilie, mais où les charges sont plus lourdes et les gestes d’une amplitude plus réduite. Rapidement, il impressionne et se qualifie pour des compétitions internationales. Devenu « Iron Biby », il domine aujourd’hui ce sport de force grâce à un entraînement quotidien de trois à quatre heures et à une alimentation aussi pantagruélique qu’étudiée – il lui arrive de dévorer huit poulets par jour. Même s’il utilise des bancs classiques de musculation, l’« homme de fer » aime construire son propre matériel d’entraînement à partir de pneus de tracteurs, de pierres d’Atlas ou de bûches démesurées. Il tient aussi à transmettre sa passion aux enfants de son quartier, et, sensible à la situation de la jeunesse du pays, « l’homme le plus fort du monde » entend ouvrir un centre sportif à Bobo-Dioulasso. D’ici là, son objectif est d’atteindre un porté d’au moins 230 kg en compétition de log lift.

HUGUES FABRICE ZANGO

Triple sauteur doctorant

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e 2 février, lors du M e eting de Paris, Hugues Fabrice Zango a réalisé une performance de 17,77 mètres, battant son propre record d’Afrique du triple saut en salle et devenant ainsi le quatrième meilleur « performeur » mondial de tous les temps dans la discipline (laquelle consiste à couvrir la plus longue distance possible en sautant à partir d’une marque fixe après une course d’élan et en exécutant une séquence de trois sauts). Ce sacre est loin d’être inédit pour l’athlète, qui a obtenu son premier titre d’envergure aux Jeux de la Francophonie de Nice, en 2013, et a été le premier Burkinabè à remporter une médaille aux Championnats du monde d’athlétisme – le bronze à Doha (Qatar), en septembre 2019. Et c’est avec l’or qu’il a conclu les Jeux africains 2019 de Rabat, les Championnats d’Afrique

2018 d’Asaba (Nigeria) et les Jeux de la Francophonie 2017 à Abidjan. Né à Ouagadougou, le sportif de 26 ans fait la fierté d’un pays qui possède très peu d’infrastructures d’athlétisme et qui n’avait jamais enfanté, dans ce domaine, de champion de niveau mondial. Réputé sérieux, rapide et « élastique », l’athlète de 1,80 m garde la tête froide. Déjà titulaire d’un master en ingénierie électrique, le sociétaire de l’Artois Athlétisme (Pas-de-Calais, nord de la France) pense à sa reconversion et prépare un doctorat à Lille dans cette discipline académique. Reste que Hugues Fabrice Zango conserve une marge de progression, incarnée par le record en salle de son coach français, Teddy Tamgho – 15 centimètres de plus que son élève –, et il espère s’imposer davantage lors des Jeux olympiques de Tokyo, en 2021. D.G.

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Concernant cette rubrique, adressez-vous à Fabienne Lefebvre Tél. : 01 44 30 18 76 - Fax : 01 44 30 18 77 - Email : f.lefebvre@jeuneafrique.com DIFCOM Régie publicitaire centrale du Groupe Jeune Afrique 57 bis, rue d’Auteuil 75016 Paris - France

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Directeur de site (centre d’appel) F/H Sénégal - CDI Vos missions comprennent : la déclinaison de la stratégie de l’entreprise sur site, l’identification des besoins clients et des solutions adaptées, le contrôle et l’analyse des indicateurs de suivi de l’activité (financiers, opérationnels et qualité), l’élaboration du forecast consolidé avec le controlling, le respect des normes d’hygiène, sécurité et environnement sur le site, ainsi que la sécurité des données. Vous justifiez d’au moins 12 années d’expérience en management d’équipe en relation service client ou centre de contact. Vous avez une bonne connaissance des normes et certifications (NF 345, RSE, etc.). D’un niveau d’anglais courant, vous êtes reconnu pour votre disponibilité, votre organisation et votre sens de la communication .

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recrute un(e) journaliste expérimenté(e) La radio panafricaine francophone AFRICA RADIO recherche un (e) journaliste expérimenté(e), ayant une capacité d’encadrement et de coordination d’une équipe rédactionnelle. Il (elle) devra bénéficier d’une expérience de présentation de journaux et d’émissions à caractère journalistique et d’une bonne connaissance et maitrise des sujets internationaux (Afrique, Europe notamment). Le poste est basé à Paris, il est pourvu en CDI à compter de septembre 2020. Le niveau de salaire sera déterminé selon le profil retenu. La radio est actuellement en fort développement géographique. Elle émet en France (Paris, Marseille, Lille, Lyon, Strasbourg, Nantes, Rouen, Le Havre, Saint-Nazaire) et en Afrique (Abidjan, Brazzaville, Kinshasa) et couvre un bassin de population de 25 millions d’habitants. Envoyez vos CV et lettre de motivation à : direction@africaradio.com AFRICA RADIO FM Paris 107.5 / Abidjan 91.1 / DAB + Marseille / Lyon /Lille /Strasbourg /Nantes /Rouen /Le Havre / Saint Nazaire www.africaradio.com + facebook / instagram / twitter

AVIS D’APPEL D’OFFRES

Société des Aéroports du Bénin (SAB) DAOI N° 2020/0000382/SAB/COO /PRMP/S-PRMP du 15 mai 2020 1. Cet Avis d’appel d’offres fait suite à l’avis général de passation des marchés paru sur le portail web des marchés publics (www.sigmap.finances.bj) le vendredi 03 janvier 2020 et dans le journal « LA NATION » dans sa parution N°7394 du jeudi 02 janvier 2020. 2. La Personne Responsable des Marchés Publics sollicite des offres sous pli fermé de la part des candidats éligibles et répondant aux qualifications requises pour l’exécution des prestations de fourniture et de pose de dispositifs d’effaroucheurs de l’Aéroport International Cardinal Bernardin Gantin de Cadjèhoun. 3. Les candidats intéressés peuvent obtenir des informations auprès du secrétariat de la Personne Responsable des Marchés Publics de la SOCIÉTÉ DES AÉROPORTS DU BÉNIN, 08 B.P. 179 Cotonou – Bénin - Tél. : + 229 21 30 25 85 - Aéroport International Cardinal Bernardin GANTIN de Cadjèhoun – Cotonou et prendre connaissance du dossier d’appel d’offres à l’adresse mentionnée ci-avant tous les jours ouvrables de 08 h à 12 h et de 13 h à 17 h. Ils peuvent également consulter et télécharger ledit dossier d’appel d’offres sur la page web de l’Aéroport : www.aeroportdecotonou.bj. 4. Les offres doivent comprendre une garantie de soumission, d’un montant de : Un million sept cent quatre-vingt mille (1.780.000) Francs CFA. 5. Une visite de site est prévue du 25 au 29 mai 2020 et conditionnée par l’établissement de badge d’accès conformément à la note de service N° 1102/ANAC/MIT/DSF/SGSF/SA du 06 juin 2019. (Fournir une photo d’identité et copie de la pièce d’identité cinq (05) jours avant la date de visite de site). La Personne Responsable des Marchés Publics Mohamed BONI BIAO

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ANNONCES CLASSÉES SOLLICITATION DE MANIFESTATIONS D’INTÉRÊT - N°05/2020-PGSM-MMP Projet de Gouvernance du Secteur des Mines (PGSM) Service de consultants pour la réalisation d’une campagne géophysique aéroportée (Magnétométrie Radiométrie et EM) sur les zones Ouest et Sud du Mali en incluant l’interprétation, l’analyse géologique préliminaire des données traitées et la préparation des produits cartographiques.

Pays : Mali - N° de CRÉDIT : 6447-ML Le Gouvernement de la République du Mali a reçu un financement de l’Association Internationale de Développement (IDA) et se propose d’effectuer les paiements au titre du contrat de services de consultant relatif à la réalisation d’une campagne géophysique aéroportée (Magnétométrie Radiométrie et EM) sur les zones Ouest et Sud du Mali en incluant l’interprétation, l’analyse géologique préliminaire des données traitées et la préparation des produits cartographiques. Le Projet de Gouvernance du Secteur des Mines (PGSM) est chargé de la mise en œuvre des activités sous la tutelle du Ministère des Mines et du Pétrole du Mali. L’objectif de cette étude est d’acquérir les données géo scientifiques de résolutions haute et moyenne et de qualité pour un but précis, la reconnaissance géologique régionale et la détection des anomalies géophysiques pouvant mener à une meilleure connaissance de la tectonique et des lithologies du soussol malien. Celles-ci pourront ainsi donner des indications sur des cibles qui pourront mener à une connaissance géologique plus approfondie du Mali et à la découverte de zones cibles ayant une relation avec de possibles gisements économiques dans des étapes de recherches géologiques plus avancées. Les Termes de Référence (TDR) détaillés sont disponibles à l’adresse ci-dessous indiquée. Le Projet de Gouvernance du Secteur des Mines (PGSM) invite les Consultants (Bureaux d’étude) admissibles à manifester leur intérêt à fournir les services décrits ci-dessus. Les Consultants intéressés doivent fournir les informations démontrant qu’ils possèdent les qualifications requises et une expérience pertinente pour l’exécution des Services (en présentant les brochures, références concernant l’exécution de contrats analogues, expérience dans des conditions semblables, disponibilité des connaissances nécessaires parmi le personnel, etc.)

A ce titre, le consultant devra présenter une brève description des prestations similaires et fournir les pièces à conviction (PV de réception ou attestation de bonne fin d’exécution). LIEU D’EXÉCUTION La campagne géophysique aéroportée survolera les zones minières de Mali Ouest et Mali Sud. DURÉE DE LA CONSULTATION La durée prévue pour la réalisation de la mission est de douze (12) mois. Il est porté à l’attention des consultants que les dispositions 3.14, 3.16 et 3.17 de la Section III relatives aux Services de Consultants et au conflit d’intérêts du nouveau Règlement de Passation des Marchés pour les Emprunteurs sollicitant le Financement de Projets d’Investissement (FPI) de juillet 2016 révisé en Novembre 2017 et Août 2018 de la Banque mondiale sont applicables. Les Consultants peuvent s’associer avec d’autres firmes pour renforcer leurs compétences respectives en la forme d’un groupement solidaire ou d’un accord de sous-traitant. Pour la présente consultation, un même candidat ne peut appartenir à plus d’un groupement (ou de sous-traitant) présentant une réponse. Un consultant sera sélectionné selon la méthode « Sélection Fondée sur la Qualité et le Coût (SFQC) » telle que décrite dans le nouveau Règlement de Passation des Marchés. Les consultants intéressés peuvent obtenir des informations complémentaires à la demande par courriel et/ou retirer les TDR à l’adresse ci-dessous et aux heures suivantes de 09 Heures 00 mn à 14 heures 00 mn du lundi au jeudi et le vendredi de 09 heures 00 mn à 12 heures 00 mn. Les manifestations d’intérêt écrites doivent être déposées à l’adresse ci-dessous par porteur ou par courrier électronique, au plus tard le 15 Juin 2020 à 09 h 00. Quartier Hamdallaye ACI 2000-Bamako, Immeuble du Conseil National du Patronat du Mali (CNPM) 3ème étage, face au Gouvernorat de District de Bamako. Tél. : 00223 76 12 41 61, M. Bakary DOUMBIA, Spécialiste en Passation des Marchés ; E-mail : pgouvernance@gmail.com, doumabou24@gmail.com M. Hamara TOURE, Coordonnateur

SOLLICITATION DE MANIFESTATIONS D’INTÉRÊT - N°06/2020-PGSM-MMP Projet de Gouvernance du Secteur des Mines (PGSM) Service de consultant pour la réalisation d’une campagne de cartographie géologique de six degrés carrés de la zone Ouest du Mali à l’échelle 1/50000.

MANIFESTATION D’INTÉRÊT

Les critères de sélection pour l’établissement de la liste restreinte de consultant (Bureau d’étude) sont : - avoir une expérience générale d’au moins Quinze (15) ans dans le domaine de la géologie, mines et cartographie géologique ; - avoir une expérience spécifique d’au moins Dix (10) ans dans le domaine des levés géophysiques aéroportés ; - Avoir réalisé, en tant que consultant principal, au moins un (01) projet de nature et de complexité comparable (pour une superficie d’au moins 80 000 km²), par projet à celles des travaux du présent projet au cours des cinq (05) dernières années, en survolant des terrains escarpés et dans des conditions météorologiques sub-sahariennes. Les copies des pages de signature des contrats ou les attestations de bonne fin devraient être jointes aux soumissions techniques ;

- avoir réalisé un volume de travaux annuel d’au moins 200 000 km linéaires au cours des cinq (5) dernières années. La liste des projets devrait préciser le (s) pays, les kilomètres linéaires, la valeur monétaire et l’adresse complète du client ;

Pays : Mali - N° de CRÉDIT : 6447-ML Le Gouvernement de la République du Mali a reçu un financement de l’Association Internationale de Développement (IDA) et se propose d’effectuer les paiements au titre du contrat de services de consultant relatif à la réalisation d’une campagne de cartographie géologique de six degrés carrés de la zone Ouest du Mali à l’échelle 1/50000. L’objectif de cette mission est de permettre à la Direction Nationale de la Géologie et des Mines (Ministère des Mines et du Pétrole) du Mali d’être doté, à terme du contrat, de connaissances mises à jour sur la zone-cible de l’Ouest du pays, concernant le « potentiel (économique) des ressources minérales présentes, de leur gîtologie, métallogénie ainsi que de leur contexte géologique régional en les dotant d’une cartographie géologique à l’échelle de base 1/50.000. La zone à couvrir porte sur six (06) feuilles topographiques ou degrés carrés qui sont : Bafing-Makana, Bafoulabé, Kayes, Sirakoro, Bamako Est et Sandaré. Il faut noter que les travaux de cartographie géologique vont bénéficier des résultats d’une campagne de levé géophysique aéroportée qui couvrira les zones Ouest et Sud du Mali. Les dossiers de manifestation d’intérêt pour cette composante sont en cours de lancement. Les Termes de Référence (TDR) détaillés sont disponibles à l’adresse ci-dessous indiquée. Le Projet de Gouvernance du Secteur des Mines (PGSM) invite les Consultants (Bureaux d’étude) admissibles à manifester leur intérêt à fournir les services décrits ci-dessus. Les Consultants intéressés doivent fournir les informations démontrant qu’ils possèdent les qualifications requises et une expérience pertinente pour l’exécution des Services (en présentant les brochures, références concernant l’exécution de contrats analogues, expérience dans des conditions semblables, disponibilité des connaissances nécessaires parmi le personnel, etc.) Les critères de sélection pour l’établissement de la liste restreinte de consultants sont : - avoir une expérience générale d’au moins Quinze (15) ans dans le domaine de la géologie, mine, industrie extractive ; - avoir une expérience spécifique d’au moins Dix (10) ans dans le domaine de la cartographie géologique levée géophysiques ; télédétection ; - avoir réalisé, en tant que consultant principal, au moins une (1) mission similaire de cartographie géologique en Afrique ou dans une zone géologique comparable à celle du Mali ; - avoir une maitrise des techniques de la géophysique aéroportée, de la télédétection, de la cartographie

géologique assistée par ordinateur. A ce titre, le consultant devra présenter une brève description des prestations similaires et fournir les pièces à conviction (pages de signature des contrats, les attestations de bonne fin, PV de réception). LIEU D’EXÉCUTION La zone minière Ouest du Mali sur six (06) feuilles topographiques ou degrés carrés qui sont : BafingMakana, Bafoulabé, Kayes, Sirakoro, Bamako Est et Sandaré. DURÉE DE LA CONSULTATION La durée prévue pour la réalisation de la mission est d’une durée de 18 mois. Il est porté à l’attention des consultants que les dispositions 3.14, 3.16 et 3.17 de la Section III relatives aux Services de Consultants et au conflit d’intérêts du nouveau Règlement de Passation des Marchés pour les Emprunteurs sollicitant le Financement de Projets d’Investissement (FPI) de juillet 2016 révisé en Novembre 2017 et Août 2018 de la Banque mondiale sont applicables. Les Consultants peuvent s’associer avec d’autres firmes pour renforcer leurs compétences respectives en la forme d’un groupement solidaire ou d’un accord de sous-traitant. Pour la présente consultation, un même candidat ne peut appartenir à plus d’un groupement (ou de sous-traitant) présentant une réponse. Un consultant sera sélectionné selon la méthode « Sélection Fondée sur la Qualité et le Coût (SFQC) » telle que décrite dans le nouveau Règlement de Passation des Marchés. Les consultants intéressés pourront obtenir des informations complémentaires à la demande par courriel et/ou retirer les TDR à l’adresse ci-dessous et aux heures suivantes 09Heures 00 mn à 14 heures 00 mn du lundi au jeudi et le vendredi de 09 heures 00 mn à 12 heures 00 mn. Les manifestations d’intérêt écrites doivent être déposées à l’adresse ci-dessous par porteur ou par courrier électronique, au plus tard le 15 Juin 2020 à 09 h 00. Quartier Hamdallaye ACI 2000-Bamako, Immeuble du Conseil National du Patronat du Mali (CNPM) 3ème étage, face au Gouvernorat de District de Bamako. Tél. : 00223 76 12 41 61 M. Bakary DOUMBIA, Spécialiste en Passation des Marchés E-mail : pgouvernance@gmail.com, doumabou24@gmail.com M. Hamara TOURE, Coordonnateur

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ANNONCES CLASSÉES

RÉPUBLIQUE TOGOLAISE Travail – Liberté – Patrie MINISTÈRE DE LA VILLE, DE L’URBANISME, DE L’HABITAT ET DE LA SALUBRITÉ PUBLIQUE Direction Générale des Infrastructures et des Équipements Urbains (DGIEU) PROJET D’INFRASTRUCTURES ET DE DÉVELOPPEMENT URBAIN (PIDU) _______________________________________________________ Crédit IDA administré par le Groupe de la Banque mondiale N° du Crédit : IDA-6298-TG

AVIS D’APPEL À MANIFESTATION D’INTÉRÊT (SERVICES DE CONSULTANT – SÉLECTION DE CABINET/FIRME) RECRUTEMENT D’UN CABINET /FIRME POUR L’ÉLABORATION DE L’AVANT-PROJET DE LOI PORTANT CODE DE L’URBANISME ET DE LA CONSTRUCTION DANS LE CADRE DU PROJET D’INFRASTRUCTURES ET DE DÉVELOPPEMENT URBAIN (PIDU) AU TOGO

(Activité n°66-2 du PPM approuvé) - AMI Nº 03/2020/MVUHSP/DGIEU/PIDU

MANIFESTATION D’INTÉRÊT

1. Le Gouvernement de la République Togolaise représenté par le Ministère de la Ville, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Salubrité Publique a obtenu de l’Association Internationale de Développement (IDA) un crédit pour le financement du Projet d’infrastructures et de développement urbain (PIDU) et a l’intention d’utiliser une partie de ce crédit pour effectuer des paiements autorisés au titre du contrat pour la mission d’élaboration de l’Avant-projet de loi portant code de l’urbanisme et de la construction du Togo. 2. Les services de consultant (« services ») comprennent (tâches spécifiques non exhaustives) : a. Tâche 1 : Recueil de la documentation et rapport de cadrage ; b. Tâche 2 : Analyse initiale et rapport d’étape 1 ; c. Tâche 3 : Diagnostic de la situation sur le terrain et rapport d’étape 2 ; d. Tâche 4 : Harmonisation des textes et présentation du rapport d’étape 3 ; e. Tâche 5 : Rédaction de l’avant-projet de loi portant Code de l’urbanisme et de la construction ; f. Tache 6 : Élaboration et présentation du rapport final (rapport d’étape 4). La durée totale prévue pour la mission est d’un an y compris le dépôt des différents rapports. Le détail des Termes de Référence (TdR) pour les prestations peut être obtenu à l’adresse indiquée ci-dessous. 3. Le Ministère de la Ville, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Salubrité Publique à travers la Personne Responsable des Marchés Publics/Secrétariat Permanent du PIDU invite les firmes de consultants (« consultants ») éligibles à manifester leur intérêt à fournir les services décrits ci-dessus. Les Consultants intéressés doivent fournir les informations démontrant qu’ils possèdent les qualifications requises et une expérience pertinente pour l’exécution des Services. 4. Les critères pour l’établissement de la liste restreinte sont : i. Expérience générale d’au moins dix (10) ans dans le domaine de la législation, de la planification et de la gouvernance urbaine ; ii. Avoir à son actif la conduite/réalisation de missions similaires. Les informations fournies doivent être précises et vérifiables (preuve à l’appui : certificat ou attestation de bonne fin d’exécution, etc.). 5. Il est porté à l’attention des Consultants les dispositions de la Section III, des paragraphes 3.14, 3.16 et 3.17 du Règlement de Passation des Marchés pour les Emprunteurs sollicitant le Financement de Projets d’Investissement (FPI) de la Banque mondiale de Juillet 2016 et révisé en novembre 2017 (‘’Règlement de Passation des Marchés’’), décrivant les politiques de la Banque mondiale en matière de conflit d’intérêt. 6. Les Consultants peuvent s’associer avec d’autres firmes pour renforcer leurs compétences respectives en la forme d’un groupement solidaire ou d’un accord de soustraitant. En cas de groupement, tous les membres du groupement seront solidairement et conjointement responsables pour le contrat dans son intégralité, si sélectionné. 7. Un Consultant sera sélectionné selon la méthode de « sélection fondée sur la qualité et le coût » telle que décrite dans le Règlement de Passation des Marchés. 8. Les Consultants intéressés peuvent obtenir des informations supplémentaires à l’adresse ci-dessous et aux heures suivantes : Personne Responsable des Marchés Publics/Point focal du Ministère de la Ville, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Salubrité Publique Rue Nicolas Grunitzky, 3ème étage Immeuble de la Direction Générale de la société des postes du Togo à Nyékonakpoè Tél. : (228) 99 55 29 60 / 90 30 69 37/ 91 94 39 81 - e-mail : sp.pidu1823@gmail.com / marchepublicmuhcv@gmail.com . Tous les jours du lundi au vendredi de 8 h 00 à 16 h 00 locales. 9. Les manifestations d’intérêt écrites doivent être déposées à l’adresse ci-dessous (en personne, par courrier postal ou par courrier électronique) au plus tard le vendredi 3 juillet 2020 à 10h00, heure locale. Personne Responsable des Marchés Publics/Point focal du Ministère de la Ville, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Salubrité Publique Rue Nicolas Grunitzky, 3ème étage Immeuble de la Direction Générale de la société des postes du Togo à Nyékonakpoè BP : 14182 Lomé-Togo - E-mail : sp.pidu1823@gmail.com / marchepublicmuhcv@gmail.com. Lomé, le 26 mai 2020 La Personne Responsable des Marchés Publics Viglo K. MENSAH

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SPÉCIAL COVID POLÉMIQUE

Vaccin pour tous!

En tant que président de la Société des sciences pharmaceutiques de Tunisie et ancien de l’Organisation mondiale de la santé, aujourd’hui à la retraite, mon attention a été attirée par la scandaleuse déclaration du PDG de Sanofi, M. Paul Hudson, qui voulait prioriser les États-Unis pour le vaccin contre le Covid-19. Cette déclaration se situe dans la pure logique qui ne cesse d’accompagner les découvertes en matière de thérapeutique, avec le risque d’une sélection par l’argent des habitants de cette planète, et même de sélection raciale. Trois mesures seraient à mon avis nécessaires pour éviter ces injustices. D’abord, décider qu’aucun produit proposé pour le Covid-19 ne pourra faire l’objet d’un brevet. Tout pays pourra le fabriquer librement. Ensuite, mettre en place un cadre de réflexion pour réfléchir sur les prix des médicaments et abolir les aspects liés à l’inaccessibilité aux produits essentiels. Et enfin, supprimer des accords de libre-échange ce qui est en rapport avec les droits de propriété intellectuelle et de secrets d’affaires liés aux médicaments. Comme disait le Dr Paul Farmer, un médecin anthropologue américain: « Plus le médicament est efficace, plus grande est l’injustice commise contre ceux qui n’y ont pas accès. » PR AMOR TOUMI, président de la Société des sciences pharmaceutiques de Tunisie, Membre correspondant de l’Académie française de pharmacie, haut fonctionnaire de l’OMS à la retraite

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PROJECTION

Pour une Organisation africaine de la santé

Alors que le monde entier reste dans l’attente d’un vaccin pour lutter contre le virus, l’Afrique a su déjouer les pronostics les plus alarmants. Au-delà de la gestion immédiate, la création d’une institution continentale dédiée à l’approfondissement de nos recherches sur la médecine traditionnelle, au travers de plantes thérapeutiques, pourrait prolonger cette tendance, faire de l’Afrique le réservoir de connaissances médicinales du monde. Notre continent serait alors au chevet du monde, et non l’inverse. Cette Organisation africaine pour la santé, portée sur les fonts baptismaux par l’ensemble de nos États, serait dotée d’une autonomie financière et d’un management tournant. En mettant en place une telle structure, l’Afrique cesserait enfin d’être spectatrice de son destin et participerait positivement au bouleversement de l’ordre mondial que provoque le Covid-19. THÉOPHANE MOKOKO, managing partner d’Infinite Capital, Brazzaville

DÉNOMINATION

Question de genre

La récente décision de l’Académie française, relative au genre de « Covid-19 », semble à la fois inutile, contre-productive et de nature à remettre en cause l’autorité même de cette institution. Fondée en 1635 par le cardinal de Richelieu, elle avait pour mission de décider du bon usage de la langue. Celui-ci étant alors, évidemment, celui de la cour royale. Mais les institutions sont le produit de leur époque et surtout de leur environnement sociopolitique. Quatre siècles plus tard, l’Académie peut-elle encore fonctionner comme dans une monarchie? Dans ce débat, il ne s’agit pas du bon usage opposé au mauvais usage. Il ne s’agit pas de distinguer le vrai du faux. Faut-il dire « le » Covid ou « la » Covid? Les deux logiques se valent. Le premier terme fait référence à un virus et le second à une maladie, l’un étant masculin et l’autre féminin.

Depuis le début de la crise, les gouvernements des pays francophones dans leur ensemble – le Québec étant l’exception – ont utilisé – à l’unanimité – le genre masculin dans leurs communications et déclarations officielles relatives à la pandémie. La langue est vivante et elle ne vit que par l’usage de ses locuteurs. Lorsque de façon spontanée un usage particulier est constaté chez la majorité des locuteurs, et que cet usage est guidé par une logique linguistique rationnelle acceptable, ne faudrait-il pas simplement l’entériner ? Il serait temps, si tel n’était pas encore le cas, que l’Académie épouse l’air du temps et se mette véritablement au service des millions de locuteurs de la langue. Elle a mieux à faire en ce moment que de débattre du sexe des anges… Pardon, du genre de la pandémie. SIRIKI GBANÉ, enseignant au Foreign Service Institute, Washington, États-Unis



POST-SCRIPTUM

Fouad Laroui

Les saboteurs de la 5G

L

e mot français « saboteur » existe tel quel dans plusieurs langues. En anglais, en afrikaans (mais oui), en allemand (avec une majuscule), en néerlandais, etc., et même dans des idiomes extraterrestres comme le basque ou le hongrois (szabotőr). Parfois, il est légèrement modifié, comme en espagnol (saboteador) ou en italien (sabotatore). Idem pour l’amharique et le grec (σαμποτέρ). Maintenant qu’on a épuisé les dictionnaires, voyons à quoi est due cette unanimité. Elle tient à une circonstance historique : des ouvriers jetèrent un jour leurs sabots dans des machines pour les détruire. Il s’agissait des fameux canuts lyonnais, d’où l’origine française du terme. (En fait, il y a tout un débat à ce sujet. On ne sait pas vraiment si l’anecdote est authentique ; et si elle l’est, on n’est pas sûr qu’il s’agissait vraiment des canuts. Mais bon, se non è vero…) D u temp s que je vivais en Angleterre, je tombais parfois sur le mot « luddite » pour exprimer la même idée. Il fait référence à un conflit violent qui opposa dans les années 1810 des artisans à des industriels qui commençaient à installer des métiers à tisser. En somme, les luddites (les artisans, donc) refusaient le progrès. Comme chacun sait, on ne l’arrête pas ; les artisans ont perdu cette bataille.

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Vous me demandez maintenant, le sourcil froncé, qu’est-ce qui a bien pu déclencher cette fureur étymologique en ce joli mois de mai où tout le monde semble n’avoir qu’un seul sujet de conversation – et ce n’est pas celui-ci. Eh bien, c’est que j’ai pêché hier dans ma boîte aux lettres un appel à refuser la 5G, un tract imprimé en lettres géantes vibrantes d’indignation. NON À LA 5G ! Le même jour, j’ai vu en ville des affichettes portant le même message. C’est un mouvement massif de protestation qui s’amorce, semble-t-il.

DES CANUTS, DES LUDDITES, DES DRUIDES… Mon premier réflexe a été de hausser les épaules. Encore des ennemis du progrès! Des canuts, des luddites, des druides… Ils veulent nous ramener à l’âge de la pierre (c’est-à-dire à la 2G). Ce sont des végans new age en sandales qui s’endorment en écoutant le chant de la baleine sur une cassette audio datant d’il y a trois papes. Tout de même, par acquit de conscience, j’ai appelé mon collègue Pieter, spécialiste de la question. Après avoir écouté calmement mes

moqueries et sarcasmes, il entreprit de m’instruire, point par point. La 5G reliera des voitures autonomes, des écrans, des drones, etc., d’où une prolifération d’objets, plus de deux cents milliards, communiquant entre eux en temps réel… Les stations de la nouvelle génération émettront des faisceaux d’ondes électromagnétiques focalisées, orientables vers tous les appareils des environs. Aucun être humain, aucun animal, aucun insecte, aucune plante sur Terre ne pourra éviter l’exposition constante, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, à des niveaux de rayonnement dix fois plus élevés que ce qui existe aujourd’hui. Quel effet aura la 5G sur le monde vivant? On n’en sait rien, au fond.

Je me suis vu en szabotőr

Pendant que Pieter déversait sur moi ces tombereaux d’informations, je me faisais la réflexion que tout cela est vraiment inquiétant ; mais surtout : ça va servir à quoi ? Encore plus de jeux abrutissants ? Plus de vidéos d’adorables chatons ? Plus de données sur l’anatomie fabuleuse de Kim Kardashian ? À quoi bon ? Bref, je ne sais plus quoi penser. Pour la première fois de ma vie, je me suis vu en saboteur, en szabotőr, en saboteador. Quelle que soit la langue utilisée, c’est profondément troublant pour un ami de la science et de la technique.



MERCI

À TOUS NOS

Dans le contexte inédit de la crise sanitaire actuelle, les collaborateurs de Bolloré Transport & Logistics ont su s’adapter pour assurer la continuité des activités et maintenir la cohésion au sein du réseau. Merci à tous nos héros du quotidien pour leur implication, leur motivation et leur efficacité malgré les conditions de travail complexes liées au Covid-19.

SC BTL-05/20

HÉROS DU QUOTIDIEN


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