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Mohamed Bazoum
Abdoulaye Wade, à Dakar, le 10 juillet 2017.
SÉNÉGAL LE DERNIER COMBAT DES WADE
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Le fils est exilé au Qatar, le père retiré dans sa résidence versaillaise. Ofciellement, pourtant, Karim et Abdoulaye dirigent ensemble le Parti démocratique sénégalais (PDS). Mais avec quel projet, et dans quel but ?
MARIÈME SOUMARÉ, À DAKAR
Après une telle carrière politique, que peut-on encore désirer ? Ténor du barreau reconverti en opposant acharné, il est le premier à avoir réussil’exploit demenerson pays à l’alternance démocratique, en 2000. Chef de l’État pendant une décennie, il a même su faire oublier sa tentative avortée de conserver le pouvoir au-delà du temps imparti. Patriarche respecté, monstre politique, Abdoulaye Wade a-t-il déposé les gants? Ou joue-t-il, depuis sa résidence versaillaise, la dernière manche d’une interminable partie?
Stratégie jusqu’au-boutiste
En juillet 2020, Gorgui (« le Vieux ») taillait à Karim Wade un parti à son image. Propulsant son fils secrétaire général adjoint du Parti démocratique sénégalais (PDS), il en faisait le numéro trois. Aujourd’hui, travaille-t-il encoreàlefairerevenirauSénégal,aprèscinq années d’exil au Qatar, au risque de nuire aux intérêts de la formation qu’il a fondée il y a presque un demi-siècle?
Le 2 septembre dernier, le PDS s’est retiré avec fracas de la coalition censée faire front commun face à Macky Sall lors du scrutin municipal du 23 janvier prochain. Une décision officiellement prise à la suite de désaccords avec le Pastef, le parti d’Ousmane Sonko. Mais la stratégie d’Abdoulaye Wade interroge. « Cela semble insensé que l’opposition éclate à ce stade, soupire un membre de la coalition. Wade est le plus expérimenté d’entre nous. Ce n’est pas à lui que l’on va apprendre àfaire delapolitique. Ilsaitbience que son départ aura comme conséquence. »
Tous rechignent à critiquer ouvertement le patriarche, mais, en coulisse, ils s’étonnent quelePDS,pourladeuxièmefoisconsécutive après les législatives de 2017, fasse voler en éclat la perspective d’une alliance. Ils espéraient profiter de ce scrutin local pour déstabiliser Macky Sall puis renverser la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale lors des législatives prévues en juillet 2022. « On pourrait penser que pour réhabiliter son fils il aurait intérêt à fragiliser Macky Sall, ajoute ce responsable politique. Mais, comme en 2019, il a choisi la voie inverse. »
La stratégie jusqu’au-boutiste d’Abdoulaye Wade, qui, faute d’avoir pu imposer la candidaturedesonfils,avaitappeléauboycottdela dernière présidentielle, continue de susciter le trouble. « C’est un homme qui ne veut rien faire comme les autres, explique l’un de ses alliéshistoriques.Iladoresesingulariser. »Au risque de s’exclure? Pour cet opposant, le
MAROC MAKHZEN, MODE D’EMPLOI
Les confidences exclusives d’Abdelhak El Merini, historiographe et porte-parole du Palais
Les codes complexes de la Maison royale n’ont aucun secret pour lui. Mémoire du Royaume, d’ordinaire très économe de sa parole, ce gardien du temple makhzénien s’est longuement confié à JA.
PROPOS RECUEILLIS PAR FADWA ISLAH
Historiographe du Royaume et porte-parole du Palais, après avoir été pendant de longues années directeur du Protocole royal, Abdelhak El Merini est l’un des gardiens du temple makhzénien. Si elle n’est pas directement politique, sa mission n’en est pas pour autant anecdotique : préserver, par la mémoire des rites séculaires et le compte rendu méticuleux des activités royales, l’ancrage historique de l’une des plus anciennes dynasties encore régnantes.
Rbatipurjus,ayantgrandidansunefamille aux traditions ancestrales, descendant de la dynastie mérinide, celui qui a commencé sa carrière comme professeur d’arabe est entré au service de la monarchie alaouite presque par hasard. Féru de littérature et d’histoire militaire,ilparticipeenjuillet1965àuneémission télévisée sur les Forces armées royales (FAR) qui lui vaut d’être repéré par Moulay Hafid El Alaoui. Désireux, au lendemain de l’indépendance, de généraliser l’usage de l’arabe dans les échanges avec la direction du Protocole royal et de la Chancellerie, qu’il chapeaute, le général décide de prendre sous son aile ce jeune homme érudit aux manières policées, parfait représentant d’une forme d’aristocratie marocaine.
Abdelhak El Merini entre alors au Palais royal comme on entre en religion, en faisant vœu d’abnégation et de discrétion pour le reste de sa vie. Persévérant et méticuleux, attentif aux moindres détails, il apprend peu à peu les us et coutumes de cette illustre maison et gagne la confiance du défunt roi Hassan II, qui le nomme directeur du Protocole royal en 1998.
Aujourd’hui, à 87 ans, il continue de servir avec dévouement le trône alaouite, mais cette fois en tant que porte-parole du Palais et historiographe du Royaume, missions qui lui ontétéconfiéesparMohammedVIàpartirde 2010. Exceptionnellement, cet homme d’État àlaréservelégendaireabienvoulunousrecevoir, à Rabat. Entretien.

Rbati pur jus, issu d’une famille aux traditions ancestrales, il est entré au service de la monarchie alaouite presque par hasard.

L’émir du Qatar, cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani (à g.), reçu par le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman, le 10 mai, à Djeddah.

REUTERS VIA COURT /HANDOUT RO YA L SA UDI OF AL GAL OUD/COURTESY BA ND AR
GOLFE
MBS, MBZ, TAMIM : LA GUERRE DES TROIS
Malgré la fin ofcielle de la brouille, en janvier 2021, la rivalité entre le Qatar et les autres pétromonarchies continue, en coulisses, de battre son plein, tandis que Riyad a tempéré son alliance stratégique avec Abou Dhabi.
LAURENT DE SAINT PÉRIER
Jourhistorique,ce3octobre,auQatar:unmoisaprès avoir célébré ses 50 ans d’indépendance, l’émirat organise ses premières législatives. La Choura qui enseraissueresteraunorganeconsultatif,cescrutin ayant une portée essentiellement symbolique. Et pédagogique,soulignentlesautorités.Maisdemauvaises ondes sont venues de l’étranger perturber l’événement national, qui ont mis sur les dents les services qataris.
Dès le début d’août, le réseau Twitter a commencé à gazouiller quotidiennement des centaines de hashtags appelantauboycottélectoraletàun« printempsqatari » sur le modèle des printemps arabes de 2011. Beaucoup étaient illustrés de captures d’écran d’une rare manifestation, le 9 août, de membres de la tribu des Al-Murrah, dont une partie a été exclue du scrutin par la loi électorale, laquelle n’accorde le droit de vote qu’aux seuls citoyens dont les ascendants étaient qataris en 1930.
La déferlante de tweets hostiles au pouvoir a conduit les services qataris à s’intéresser à leur origine, pour constater qu’ils avaient été diffusés via une cohorte de comptes robots (bots) depuis, essentiellement, les Émirats arabes unis (EAU) et l’Arabie saoudite, mais aussi l’Égypte, les trois grands États qui, en juin 2017, avaient rompu tout lien avec l’émirat et, empêchés par l’administration américaine de l’envahir, lui avaient imposé un blocus total. « Huit mois après que le Qatar
OBJECTIF AFRIQUE CENTRALE
ÉCONOMIE MI Desprogrès àpas comptés

ALAIN FAUJAS


Malgréune croissancefragile liée àquelques problèmes chroniques –intégration laborieuse,grandes disparités entreÉtats membres,économies insufsamment diversifiées –, les pays de la Cemac remontent la pente, lentement mais sûrement.

Site d’extraction de pétrole, le long du fleuve Ogooué, au Gabon.


Le Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez (à dr.), et le président du Ghana, Nana Akufo-Addo, au palais de La Moncloa, à Madrid, le 29 mars 2021, avant le lancement de Focus Afrique 2023.
ESPAGNE-AFRIQUE Àl’aube d’une décennie dorée


Après avoir dévoilé son Plan Afrique III, Madrid afne sa stratégie. Grâceàson nouveau programme de coopération, baptisé Focus Afrique 2023, le royaume entend devenir en une dizaine d’années un partenairedepremier plan pour le continent.
Économie
FMI Les habits neufs du Fonds
Réagissant rapidement àlacrise du Covid-19, l’institution multilatérale aapporté un soutien remarqué aux pays africains,longtemps critiques àson endroit. D’aucuns la pressent désormais d’abandonner son dogmatisme fiscal et d’intégrer davantagelaquestion climatique àsafeuille de mission.
JOËL TÉ-LÉSSIA ASSOKO
Techniquement, nul État n’estobligé d’obéir au Fondsmonétaireinternational(FMI).Pareillement, aucun individu n’estobligé de subir une chimiothérapie… àmoins d’en avoirvraiment besoin. Telest le dilemme fondamental de «cette institutionimportantemaismal-aimée», selonlaformuledel’économisteDani Rodrik,qui futlongtempslecritique le plus célèbredel’organisation créée en 1945pour «assurer la stabilité du système financiermondial».
ContrairementàlaBanquemondiale, le FMIn’est pasune structure d’aide au développement ou de lutte contrelapauvreté.Samissionconsiste àanticiper lescrises financières et à interveniraux côtésd’États confrontésàune détériorationrapidedeleur situationfinancièreetcommerciale extérieure, une dégradation de leur réserves de changeetune instabilité monétaireetbancaireaccrue.« En vertudeses statuts, le FMInepeut fournirses ressources généralesque sousréservedegarantiesadéquateset seulementpouraiderles membresà résoudreleurs problèmes de balance despaiements.Laviabilitédeladette estune garantie essentiellepour les ressourcesduFMI », insistent ses équipes.
Unedichotomie fonctionnelle
Lesopérations du Fondsnese déroulentdoncquedansdescontextes équivoques. Sesactivités de surveillanceetd’assistancetechniquepassent le plus souvent inaperçu tandis que ses interventions lesplus visiblesse déploient dansdes situations d’urgence, au coursdesquellesl’institutionn’opèrequ’avecunmandatlimité, descontraintesréglementairesstrictes –ellenepeut,parexemple,annulersa créance, mais doitsolliciter dessubventionsauprèsdesdonateursaunom despaysdébiteurs –etune attention jugéeexcessiveauxniveauxd’endettement.Cettedichotomiefonctionnelle aétélongtempscoupléeàunerigidité descadres d’analyseetà unepartnon négligeable d’arrogance, particulièrement perceptiblesdans lesannées 1980 et 1990,quand leséquipes de Washington ont eu àtraiter de plusen plusdecrisesdanslesnouveauxpays membres non industriels (la phraséologie adepuisévoluévers« émergents»,« en transition », «à revenus faibles ou intermédiaires », etc.).
En Afrique,cela explique en partie le profonddécalageexistantentre la partréelle du continentdans lesopérations du FMIetlaplace
JosephE.Stiglitz Prix Nobel d’Économie, ex-économisteenchef de la Banquemondiale Àl’heure où la pandémie et ses retombées économiques ont plongé de nombreuxpaysdans une crise de la dette, le monde aplusque jamais besoindelamainfermede Mme Georgieva aux commandes du FMI.
La galaxie de Claudio Descalzi, directeur général d’ENI Transport aérien Heureux comme Air France-KLM dans le ciel africain Industrie Dessine-moi une ZES Mozambique Qui peut sauverleCabo Delgado ? Wave Mobile Money Auxsourcesd’une déferlanteouest-africaine
prépondérantequ’il occupedans lesespritsetles controverses économiques.Dupoint de vuestrictement comptable,l’Afriquenereprésente qu’une part mineureduportefeuille d’actifs du Fonds.
Àlafin d’avril2021, lesprêts consentis aux pays africains via le Compte desressourcesgénérales (GeneralResourcesAccount),principalguichetdefinancementduFonds, représentaientenviron 26 milliards dedroitsdetiragespéciaux(DTS),soit près de 37 milliards de dollars. C’està peine 30 %del’ensemble desprêts deceguichetetmoinsquelepoidsde l’Argentine (35,54 %). Au demeurant, l’Égypte compte àelle seule pour la moitié du stockafricainparmices prêts(14,75%).
Vilipendé pour ses recettes «ultralibérales»,ses«Programmesd’ajustementstructurel»(PAS)menésàcoups deréductiondesdépensespubliques, deprivatisationsaccéléréesetdelibéralisation àmarche forcéedes économiesdelafindusiècledernier,le Fondsaconnuune périodededéclin dans les années 2000,avecpeu d’interventions, deseffectifs réduits et nombred’États, dontl’Algérie, jurant de ne jamais plus faireappel àses «interventions».Laseconde moitié de la décennie 1990 estaujourd’hui encore connue sous le nom «les années FMI» parles Sud-Coréens, soumis àundraconienrégime d’austérité fiscale qui avuletaux de chômagetriplerde2%àprèsde7 %entre 1996 et 1998.
Kristalina Georgieva, Félix Tshisekedi, Emmanuel Macron et MackySall àlafin du Sommet sur le financement des économies africaines, àParis, le 18 mai 2021.
UN NOUVEAU FMI?
Les efets régénérateurs de la crise
Maisl’institutionseptuagénaireafait montred’une remarquable capacité de résilience et de réinvention, fût-ce dans un cadrelimité. La crisedes subprimesde2007-2008estvenuelui redonner une nouvelle vigueur.Sous la houlettedeDominique StraussKahnetdansuncontextedevéritable paniqueausujetdelastabilitédusystème financier mondial, lespaysdu G20,ses principaux actionnaires,


WAVE MOBILE MONEY Aux sources d’une déferlante ouest-africaine
Aujourd’hui populaire, la start-up américano-sénégalaise qui a défrayé la chronique par une levée de fonds record de 200 millions de dollars n’a pas surgi de nulle part. Voici son histoire.
QUENTIN VELLUET

Wave Mobile Money emploie plus de 800 personnes entre son siège social africain de Dakar, son siège new-yorkais, sa filiale à Abidjan et le reste du monde.
Unromancierpourraitfaire débuterl’histoiredeWave à peu près n’importe où au Sénégal. Sur la proue d’une pirogue de pêcheur échouée sur la plage de Soumbédioune, à Dakar. Dans les travées d’une rizière de la région de Kolda, en Casamance. Ou dans une petite boutique du marché central de Kaolack, dans le centre du pays. Le service de mobile money a en effet commencé dans ces endroits que les acteurs traditionnels du secteur ont longtemps désertés : chez les petits commerçants de l’informel ou au sein des campagnes, où nombreuses sont les personnes non bancarisées qui ne possèdent pas de smartphone. « Quand nous entrons sur le marché, en 2018, nos concurrents ne nous repèrent pas car nous ne leur prenons pas de parts de marché. Nous nous concentrons sur les filières économiques qui fonctionnent encore majoritairement au cash, comme les agriculteurs, les mareyeurs ou les pêcheurs », témoigne Coura Carine Sène, directrice générale de Wave pour l’Afrique de l’Ouest, également membre du comité de direction du groupe.
À ce moment-là, l’entreprise créée par Drew Durbin et Lincoln Quirk, deux Américains qui ont fait connaissance sur les bancs de la Brown University, aux États-Unis, est concentrée sur ses enquêtes de terrain. Objectif : comprendre ce qui éloigne certaines populations de la révolution en cours dans les services financiers sur téléphone mobile. Les ambitions du duo d’entrepreneurs dans le mobile money sont d’autant plus grandes que les deux créateurs de Sendwave, un service spécialisé danslestransfertsdefondsinternationaux, ont constaté les limites de leur modèle ouest-africain et les besoins despopulationsrurales.« Cequinous a séduits, à l’origine, c’est la quasi-obsession de l’expérience client au sein de l’équipe », explique Tidjane Dème, codirigeant du fonds d’investissement Partech Africa, qui a participé
auxdeuxtoursdetabledel’entreprise. Ce travail de terrain va aboutir à un modèle d’affaires ultra-concurrentiel et relativement indépendant des opérateurs de télécommunications, puisqueWavevacroîtrede2018à2020 sans application mobile.
5,5 millions d’utilisateurs mensuels
Un taux de commission unique de 1 % du montant de la transaction est appliqué. Surtout, l’usage est simplifié, avec un parcours client facilité pour les professionnels, notamment pourlepaiementdemasse,quiséduit desPME,commelaSociétédeculture légumière, à Saint-Louis. L’entreprise de 5 000 salariés gère sa paie avec Wave depuis 2018. En parallèle, la start-up développe un système déjà expérimenté par le français Famoco, mais promu par l’américain comme une innovation de rupture. L’idée réside dans une carte dévolue aux utilisateurs de téléphone basique sur laquelle est imprimé un code QR unique relié à un portefeuille numérique personnel. Ainsi, l’utilisateur qui souhaite effectuer une transaction dématérialisée n’a qu’à se tourner vers un agent Wave, qui se charge pour lui de l’effectuer après avoir scanné son code.
Ce n’est qu’en 2020 que Wave lance une application mobile en bonne et due forme, qui vient compléter son offre. Ces différents canaux lui permettent de revendiquer 5,5 millions d’utilisateurs actifs mensuels au Sénégal et en Côte d’Ivoire, où l’application est lancée à la mi-2021, ainsi qu’un volume de transactions de « plusieurs milliards de dollars », selon le site spécialisé TechCrunch. « Ce nombre de clients paraît aberrant au regard de la démographie du Sénégal », relativise néanmoins un bon connaisseur du mobile money continental,conscientqueWaven’est présent en Côte d’Ivoire que depuis 2019 et vient tout juste de se lancer en Ouganda et au Mali. Du reste, la start-up séduit désormais les utilisateurs urbains et plus aisés, et commence à rivaliser avec des acteurs traditionnels comme Orange Money ou MoMo, de MTN.
Au début de septembre, Wave finit par prendre la lumière et faire couler beaucoup d’encre. Émancipée de Sendwave – ses deux fondateurs ont revendu le service à WorldRemit en 2020 –, la start-up conclut la plus grosse série A de l’histoire du continent. Avec une levée de fonds de 200 millions de dollars injectés par de prestigieux investisseurs américains (l’entreprise Stripe ou le fonds Founders Fund, de Peter Thiel, qui a cofondé PayPal avec Elon Musk et figure parmi les premiers investisseurs de Facebook), la marque au pingouin s’est hissée dans le club très fermé des licornes africaines (une valorisation de 1,7 milliard), une premièrepourunesociétéd’Afriquefrancophone. Entreprise « distribuée », à l’image des big tech américaines, Wave Mobile Money emploie plus de
800 personnes entre son siège social africaindeDakar(450personnes),son siège new-yorkais, sa filiale à Abidjan et le reste du monde. « L’ingénierie et les équipes “produits” sont plus nombreuseshorsd’Afrique »,indique Coura Carine Sène. Un réseau de 25 000 agents complète ces effectifs. Le succès de ce nouveau venu étonne au sein de la tech africaine, d’autant qu’il ne communique pas volontiers ses chiffres. « C’est une levée de fonds qui a du sens. Ni la taille du ticket ni la valorisation ne sont surestimées. Autour de la table, il y a des investisseurs sérieux qui sauront accompagner l’entreprise dans sa prochaine étape de croissance », se défend l’investisseur de Partech Africa.
« L’industrie du mobile money n’est pas très rentable et met plusieurs années à atteindre l’équilibre [dix ans en moyenne] », rappelle quant à lui notre expert. Selon lui, entre les commissions reversées à son réseau d’agents (en moyenne 50 % du chiffre d’affaires, sachant que Wave indique garantir une juste rémunération de ces acteurs) et l’animation de celui-ci, sans compter les charges liées aux plus de 800 salariés et les frais de communication et de marketing pour se faire connaître des nouveaux marchés, l’entreprise dépense beaucoup. Mais l’expérience de l’équipe et le potentiel du marché rassurent les investisseurs. « Le travail effectué sur le réseau d’agents est très intéressant, et l’expérience client est réputée très bonne », indique notre source. « Avec l’expérience de Sendwave, l’équipe de Wave a l’habitude d’opérer sur plusieurs marchés. Ils ont travaillé en Tanzanie, au Nigeria et en Éthiopie. Et l’Afrique francophone est plus attrayante qu’il n’y paraît puisqu’il s’agit d’un espace de régulation homogène composé de huit pays », justifie le dirigeant de Partech Africa. Au Sénégal, en tout cas, le succès du service a dérangé Sonatel. L’opérateur a tenté de freiner le développement de Wave en lui interdisant de distribuer du crédit téléphonique via son application et le canal USSD. Le litige a provisoirement été tranché par l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes en faveur de Wave, qui est autorisé à poursuivre cette activité de manière limitée. Plus largement, les tarifs concurrentiels de la plateforme ont forcé les opérateurs à baisser leurs prix. Et Wave demeure sous bonne surveillance du premier opérateur du pays.
Son succès fulgurant a dérangé ses concurrents, qui ont été contraints de baisser leurs tarifs.
Extension régionale imminente
Le pingouin sur fond bleu n’en a que faire et continue son chemin. Ses activités seront bientôt lancées au Togo, au Burkina, au Bénin et au Niger. « La question est désormais de savoir combien de temps ils vont tenir avec ce modèle, qui semble perdre de l’argent », s’interroge l’analyste. Ce succès fulgurant n’est en effet pas sans rappeler celui de Wari, entreprise sénégalaise de services financiers autrefois active dans 62 pays et dont les clients et prestataires ne parviennent plus à récupérer leur argent. Kabirou Mbodj, son fondateur, a d’ailleurs été condamné en septembre à six mois de prison ferme pour abus de confiance. Une chute vertigineuse, qu’un romancier aurait aussi pu imaginer.