A RT FA S HION CULTUR E ART
HORST P. HORST LE MUSÉE PICASSO AT T R A P E - CŒUR
LES MÉTIERS D’ART ZEBULE N°7 - 9Fr€ - 8 £ Octobre - Novembre - Décembre 2014
L 11780 - 7 - F: 9,00 € - RD
N°7 DÉDALE
Thibault Grabherr
Sarah Conil-Guerra
Fondateur de ZEBULE Magazine, Directeur de la publication
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Ont collaboré : Andrew Arthur, Tom Chambers, Emily Cheng, Tiffani Chynel, Yesenia Cuevas, Céline De Cruz, Saurabh Dua, Daniela Eschbaker, Grissel Esparza, JNSN, Christophe Lunn, Liza Gladkaya, Lena Gehrig, Destinee Handly, Hiroyuki Kikiuchi, Kai Kilian, Audrey Krawczyk, Albina Kireeva, Sébastien Lang, Mario Lollia, Maniacha, Raphaël Mariage, Laura Merle, Julien Morris D, Sylvie Neves Da Costa, Laetitia Plantier, Emilie Plume, Marie Revelut, Ravi & Dilip, Vincent Rochette, Mylene Rouveure, Camille Siguret, Nikola Selezinko, Amber Tikari, Vangelis Tzimikas, Stéphanie Volpato, Alanna Whittaker, Anouchka de Williencourt.
ZEBULE est une publication trimestrielle éditée par la société Le Pub des Créateurs - N°7 de octobre, novembre, décembre 2014
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ÉDITO BY MARIE JUNCKER-COTTEN
Se perdre dans un labyrinthe de pensées, sculpter ses rêves et se noyer dans un dédale de souvenirs… Dès le moment où l’on a imaginé ZEBULE, Dédale nous a inspirés : l’envie de maîtriser un projet, de trouver des solutions sans prétendre au contrôle permanent et total de notre environnement. Selon François Jacob dans La
Souris, la mouche et l’homme, Dédale “ne cherche pas le pouvoir. Il ne se laisse jamais emporter par ce que les Grecs appelaient l’hubris. L‘hubris, c’est la démesure qui entraîne le désordre. C’est l’ardeur frénétique qui engendre querelles et confusion ”. Aucune révolte sournoise dans notre démarche éditoriale et artistique, juste une volonté affirmée de bousculer certaines idées reçues et de voler toujours plus près de notre esthétisme idéal.
To wander the labyrinth of thoughts, sculpt ones dreams and sink into the maze of memories... From the moment we imagined ZEBULE, Daedalos has been an inspiration to us. We were keen to master a project and to find solutions. Never did we expect permanent, total control of our environment. As François Jacob puts it in his Of Flies, Mice, and Men, Daedalos 'does not crave power. He wouldn't let himself be carried away by hubris. Hubris is the immoderation that leads to disorder. Frenetic ardour is that which brings about quarrel and confusion.' Regarding our editorial policy as well as our choice of art, do not mistake for a sly revolt what is just the unwavering determination to rethink some given ideas and rise ever closer to our aesthetic ideal. Translation by Adelheid Blankestijn
SOMMAIRE COVER
Sur le fil © Audrey Krawczyk
001
Jacket, MM6 by Maison Martin Margiela - Dress, Karl Lagerfeld Gloves, Maison Causse - Clutch bag, Unique Allure
Horst P. Horst, une vie sous toutes les coutures Le Musée Picasso Niki de Saint Phalle au pays des revendications Alberto Garcia Alix
008
RENCONTRES
Lucien Clergue, l’Arlésien Sylvain Le Guen, l’Éventailliste
032
MODE
Sur le fil © Audrey Krawczyk Park © Sebastien Lang Nymphe © Stéphanie Volpato Jaisalmer © Saurabh Dua
048
La malade imaginaire © Mylene Rouveure Vénus © Andrew Arthur
090
Les Métiers d’Art
106
Les songes mexicains de Tom Chambers
120
ART
BEAUTÉ
ATTRAPE-CŒUR VOYAGE
ART
ILLUSTRATION BY HIROYUKI KIKUCHI
HORST P. HORST UNE VIE SOUS TOUTES LES COUTURES TEXT BY SARAH CONIL-GUERRA PHOTOS COURTESY OF VICTORIA AND ALBERT MUSEUM TRANSLATION BY MARIA LEVANT
Au Victoria and Albert Museum, à Londres, il y a une exposition qui attire le passionné de photographie de mode, attise la curiosité de l’amateur et incite le curieux à passer les portes pour (re)découvrir Horst, Photographer of Style, du 6 septembre 2014 au 5 janvier 2015. Au début de la photographie de mode, il y a le noir et blanc, à
directeur du studio de photographie de Vogue Paris, mentor, amant et
l’ambiance romantique, aux modèles aux poses sages, dans des intérieurs
ami. C’est en pleine période surréaliste, années du commencement de
de maison impeccables. Et si elle se dirige lentement vers les studios, c’est
l’histoire d’amour de Horst avec la photographie et la mode, que débute
la tornade allemande Horst Paul Albert Bohrmann, devenu Horst P. Horst,
l’exposition consacrée à Horst P. Horst. Là, sont regroupés deux cent
qui bouleverse les codes. La révolution en couleur et en structure prend le
cinquante photographies, dessins et autres créations autour desquels
nom du révolutionnaire. Aujourd’hui, c’est sa vie sous toutes les coutures
gravitent manuscrits, pièces de haute couture et scrapbooks, autant de
qui s’expose au cœur du Victoria and Albert Museum ; rétrospective d’une
témoignages d’une vie.
vie de style. “La mode se démode, le style jamais”, disait Coco Chanel,
Dès les premiers instants, Horst transporte la photographie dans un ailleurs,
celui d’Horst a fait de lui un immortel.
immortalise un style et refonde l’approche de la photographie en studio. A l’abondance de lumière, il préfère le clair-obscur pour jouer avec les
De son travail avec Le Corbusier aux milieux bourgeois, il n’y a qu’une couture,
contrastes, transformant le noir et blanc. La couleur éclate dans ces clichés
au moment de son arrivée à Paris dans les années 1930. Et ses pas le
à l’univers unique, où la mise en scène prend de l’importance, le fond
mènent directement dans les bras du baron George Hoyningen-Huene,
étant toujours nouveau et travaillé.
Page de gauche : Summer Fashions, American Vogue cover, 15 may 1941 © Conde Nast / Horst Estate
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Horst P. Horst compose, structure, fragmente, donne une place nouvelle aux modèles, plus voluptueux que ceux de nos pages de papiers glacés, plus féminins aussi, parfois même, plus érotiques.
De gauche à droite : Installation image of Horst Photographer of Style, 2014 © Victoria and Albert Museum, London - Salvador Dalis costumes for Leonid Massines ballet Bacchanale, 1939 © Conde Nast / Horst Estate - Round the Clock New York, 1987 © Conde Nast / Horst Estate - Dinner suit and headdress by Schiaparelli, 1947 © Conde Nast / Horst Estate.
L’atmosphère devient matière, sous l’œil aiguisé du “Photographe du style”,
Rien n’échappe à l’histoire retracée au fil des photographies, son départ
du photographe de l’élégance. Les années du Surréalisme sont aussi celles
aux Etats-Unis, ses portraits de célébrités... Ainsi, aux tirages des
des collaborations de Horst avec Dalí et Elsa Schiaparelli, celles de l’âge
couvertures de Vogue, dont il en signa quatre-vingt-dix, succèdent les nus
d’or de la couture parisienne. Il ne faut pas s’étonner qu’une grande partie
masculins aux allures de statues grecques, moment de sa retraite pour un
de l’exposition s’y attarde, clichés et témoignages flambants sous nos yeux.
studio aménagé selon ses désirs. Dans ses clichés, on retrouve la structure,
Les photographies s’enrichissent de créations issues de la collection du
l’impeccable noir et blanc, son clair-obscur moderne. L’influence de ces
Victoria and Albert Museum : Lanvin, Chanel, Vionnet ou Schiaparelli.
œuvres sur des artistes tels Robert Mapplethorpe se fait sentir. Les tours et
Les clichés en couleur de l’époque, rares, sont présentés en grande taille,
détours pris par le photographe se plaquent sur les cimaises du musée,
échos aux tirages à grande échelle du groupe Condé Nast qui prête, pour
de ses voyages à travers le Moyen-Orient, à l’incursion par House and
l’occasion, une partie de son fond photographique. Ils démontrent l’habileté
Garden, aux natures mortes rendues vivantes par ses collages, jusqu’au
du coloriste ; le photographe concevait une image comme un peintre
retour à ses premiers amours à la fin des années 1970. C’est à nouveau
compose un tableau. Horst P. Horst préfère travailler de concert avec toute
Vogue, et les photographies de défilés. Horst est riche de la mode.
l’équipe du plateau photographique, mettant le modèle au cœur de son
L’existence du géant se tisse, faisant éclater son influence sur notre
travail. C’est que l’homme a ses favoris : il ne veut pas travailler avec une
conception moderne de la photographie de mode. La réimpression de
parfaite inconnue, au détour des photos, on peut reconnaître Carmen
ses travaux emblématiques, parfois renommés, en platine-palladium sont
Maxwell ou Dorian Leigh. Il magnifie le modèle dans ses images aux couleurs
de véritables trésors de nuances et de tons, ne semblant être que plus
parfaites. L’exigence qu’il apporte à la préparation d’une séance de poses,
éclatants : fulgurance de son génie.
des croquis à l’installation des lumières, concorde à enrichir ses clichés. Comme pour souligner l’attention que le photographe apporte à son travail,
Horst P. Horst se dessine et devient l’Immortel, le génie de la mode. Le
son célèbre Mainbrocher Corset, datant de 1939, se présente en deux
photographe du style, colosse aux pieds d’argile, naît durant l’enfance
exemplaires. L’original, aux lacets savamment relâchés, l’autre retouché grâce
de l’industrie de la mode. Pour Horst, “Fashion is an expression of the
aux jeux de lumières et de développement, utilisé par Vogue ; prémices de
times. Elegance is something else again”, plus qu’une époque, c’est une
notre Photoshop moderne.
histoire de style qu’il crée dans ses clichés, celle de sa légende.
Page de droite : Muriel Maxwell American Vogue cover, 1 July 1939 © Conde Nast / Horst Estate
At the Victoria and Albert Museum there is an exhibition attracting fashion photography fans, stirring the curiosity of amateurs, and inciting the inquisitive to push open the doors to (re)discover Horst, Photographer of Style, from 6 September 2014 to 5 January 2015.
Installation image of Horst Photographer of Style, 2014 Š Victoria and Albert Museum, London
Page de gauche : Dress by Hattie Carnegie, 1939 Š Conde Nast / Horst Estate
Figures au bord de la mer, 12 janvier 1931 Š Succession Picasso 2014
PICASSO CHOIX D’ŒUVRES PICASSIENNES, SERVIES SUR LEURS SEGMENTS BIOGRAPHIQUES, AGRÉMENTÉES D’UN RÉDUIT D’ANALYSE TEXT AND TRANSLATION BY ADELHEID BLANKESTIJN PHOTOS COURTESY OF MUSÉE PICASSO
C’est finalement le 25 octobre que le Musée Picasso Paris rouvrira ses portes. Après cinq ans de travaux de rénovation et d’extension, l’hôtel Salé, situé rue de Thorigny, dans le Marais, est fin prêt pour accueillir les créations de Pablo Picasso. Certaines des cinq mille œuvres que compte la collection reviennent de lointains voyages, car un Picasso, cela s’exporte à merveille. L’accrochage nous sera dévoilé le jour J, à la date anniversaire de l’artiste. Il fait état de cinq cents œuvres.
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Parmi elles, l'Autoportrait de 1901. Premier des quatre autoportraits réalisés sur une période précise de soixante et onze ans, il appartient à la première période personnelle, la période bleue (1901-1904). Celle-ci s'amorce à la mort tragique, dans un café du boulevard de Clichy, de l'ami avec qui Picasso était venu d'Espagne à Paris. À l'instar de La mort de Casagemas, les tableaux de cette période présentent un camaïeu de bleus, reflétant ses sombres dispositions et sa peine. Le jeune homme que l'Autoportrait dépeint a 20 ans, il est blême et creusé. Toutefois, la quête est portée moins sur la ressemblance que sur la vérité. L'œuvre est en effet le sobre constat d'une réalisation : les émotions sont semblables aux verres qui teintent tout ce qui est vu et vécu. Si pour les impressionnistes, le bleu est la couleur de l'ombre, il s'exprime, pour Picasso, au-delà des formes et des contextes. La flûte de Pan, été 1923 © Succession Picasso 2014
Le jeune homme que l’Autoportrait dépeint à vingt ans, il est blême et creusé. Toutefois, la quête est portée moins sur la ressemblance que sur la vérité. L’œuvre est en effet le sobre constat d’une réalisation : les émotions sont semblables aux verres qui teintent tout ce qui est vu et vécu. Avec la Grande Guerre et après plusieurs voyages en Italie, l'artiste revient
En 1925, une rupture survient avec l'art des anciens et des puissants.
à l'art figuratif. Ceci est étonnant vu l'important contraste avec l'esprit
L'intérêt de Picasso s'éveille aux idéaux du Surréalisme, affirmés par son
novateur du cubisme (1912-1916). Lors d'un séjour estival au Cap
ami André Breton dans le Manifeste du Surréalisme (1924). Suite aux
d'Antibes en 1923, il compose La flûte de Pan (205 cm x 174,5 cm),
travaux de Freud sur l'inconscient, les surréalistes exaltent l'expression
œuvre pompéienne phare de la période néoclassique, qui s'étend jusqu'en
inaltérée du mouvement de la pensée, libérée de la contrainte de la
1925. Le thème est antique, comme l'annonce le titre et l'indiquent les deux
raison. À bannir : toute préoccupation esthétique ou morale. A posteriori
personnages à l'allure de statue grecque. Le mot “panique” nous vient de
sont vus, de toute part, les signes annonciateurs des atrocités de la
Pan, le protecteur des poètes pastoraux qu'il était très dangereux
Seconde Guerre mondiale. C'est en effet une rare violence qui émerge
d'apercevoir à la pleine lumière de midi. Les deux hommes, pourtant,
en janvier 1931 des Deux figures au bord de la mer. Convulsées, les
restent de marbre. La structure du tableau est éminemment académique,
figures se dévorent ou presque, entrelacées près des cabines blanches
avec ses lignes de force dirigeant la configuration spatiale du tableau. Si
posées sur une plage calme. Les corps, mis en pièces, se rassemblent
Picasso est le représentant indiscutable de la modernité dans l'art du XXe
autour d'une paire de seins sphériques. L'étreinte est sauvage. Mais les
siècle, il est, depuis l'enfance, un dessinateur et un peintre d'une grande
passions du peintre se consument et il se distancie, à terme, du courant
virtuosité, maîtrisant les diverses techniques à la perfection. La fillette aux
pour suivre sa voie personnelle. La période surréaliste du peintre
pieds nus date de début 1895, il n'a alors que 13 ans.
espagnol aura duré six ans, de 1924 à 1930.
Autoportrait, fin 1901 Š Succession Picasso 2014
Buste de femme au chapeau rayé, 3 juin 1939 © Succession Picasso 2014
Alors que la Seconde Guerre mondiale se déclenche, en 1939-1940, Picasso peint, à Royan, la séquence des Femmes au chapeau. C’est un jeu de lignes parallèles, de rayures et de stries qu’il déploie pendant cette période sombre. Il la traverse en compagnie de Dora Maar, photographe et peintre surréaliste envers qui il n’est pas toujours tendre. Alors que la Seconde Guerre mondiale se déclenche, en 1939-1940, Picasso peint, à Royan, la séquence des Femmes au chapeau. C'est un jeu de lignes parallèles, de rayures et de stries qu'il déploie pendant cette période sombre. Il la traverse en compagnie de Dora Maar, photographe et peintre surréaliste envers qui il n'est pas toujours tendre. “Je n'ai pas été la maîtresse de Picasso, il était seulement mon maître.” Bien que leur relation de dix ans ait éclipsé la carrière de la jeune femme, elle finit par devenir son modèle le plus constant. Le premier
Portrait de Dora Maar (1937) évoque un sentiment amoureux. Vive et colorée, Dora est encore belle, mais très bientôt elle ne sera plus pour le peintre qu'une Femme qui pleure (1937). “Pendant des années, je
l'ai peinte en formes torturées.” Peu étonnant donc de la retrouver ainsi dans Buste de femme au chapeau rayé (1939), toujours enfermée dans un espace sombre et confiné, comme pour se cacher de la guerre. Dans cette même atmosphère sépulcrale de Paris sous l'Occupation, Picasso conçoit, sur plus d'un an, un nouveau projet. Entre 1942 et 1943, il trace plus de mille esquisses sur le thème de L'homme au
mouton (1943). Il réalisera le projet en l'espace d'une seule après-midi. Fondu et moulé selon les techniques traditionnelles, le bronze est un grand format (209 cm). Il personnifie la paix et la liberté auxquelles aspire l'artiste et dont le bon berger, appartenant à l'iconographie du début de l'ère chrétienne, est l'allégorie. Enfin, ce n'est qu'au Musée Picasso Paris que l'on peut voir La chèvre (1950) originale. D'autres grands musées possèdent des reproductions en bronze de cette sculpture-assemblage, qui a la particularité d'être constituée de morceaux de bois, de plâtre, de cartons et d'objets divers. Les pis de cette bête facétieuse sont faits de bouteilles, une feuille de palmier reproduit la texture rêche du poil. L'artiste fait appel au pouvoir évocateur des matériaux choisis, à tel point qu'il est difficile de les identifier. La Chèvre, elle, est reconnaissable entre mille.
La chèvre, 1950 © Succession Picasso 2014
Femme au jardin, printemps 1929 © Succession Picasso 2014
L’homme au mouton, février 1943 © Succession Picasso 2014
It’s finally on October 25th the Picasso museum in Paris will reopen its doors. After five years of renovation and expansion, the hôtel Salé, on the rue de Thorigny in the Marais quarter, is all ready to welcome back the museum’s collection. Some of its 5 000 works are now returning from faraway travels. As it turns out, a Picasso is a great candidate for export. The installation will be revealed to us on D-day, the artist’s birth date. It will count 500 works.
TEXT BY SOPHIE FAUCILLION PHOTOS COURTESY OF RMN, GRAND-PALAIS TRANSLATION BY MARIA LEVANT
Du 17 septembre 2014 au 2 février 2015, c’est face à la stratégie frénétiquement, mystiquement et infernalement redoutable du jeu de vie de Niki de Saint Phalle que la grande nef de verre du Grand Palais devra divinement se répandre et s’harmoniser ! Photographie de Harry Schunk, 1963 © 2014 Niki Charitable Art Foundation, All rights reserved.
Dans mes plus tendres et radicaux souvenirs d’enfance, c’est avant tout
est invité à tirer sur des ballons remplis de peinture qui maculent des
l’ardeur féministe de Niki de Saint Phalle qui m’a marquée comme une
reliefs en plâtre ou des objets de récupération. Le geste créateur de
évidente attraction terrestre : “Les mecs, ils sont tellement jaloux, ils
l’artiste est au centre du questionnement du mouvement des Nouveaux
peuvent pas piper le fait que la femme mette au monde… Ils ont fait des
Réalistes, rassemblant Pierre Restany, Yves Klein, Ben et Jean Tinguely.
fusées, des gratte-ciel, des villes, n’importe quoi, pour essayer d’oublier que la femme peut créer. Mais, maintenant, les femmes aussi veulent
L’année du baccalauréat arriva vite, Saint-Michel de Picpus essaya de
faire de l’art ! La seule possibilité que j’aurais de ne pas être artiste serait
ceinturer les portes de mes “maudites pensées”. Mais rien ni personne ne
d’être enceinte tous les neuf mois, parce que je suis tellement obsédée
put s’y opposer ! Bien au contraire, mon prof de philo, un vieux de la vieille
par la création que c’est la seule chose que je pourrais faire !”
de la pensée m’y précipita ! D’abord, ce fut Beaubourg et ses alentours :
Dans mon adolescence, Pollock et son divin hasard explosant de mille
j’ai toujours aimé la fontaine Stravinsky, on peut y passer des heures et ne
couleurs me fascinait. Exultant les muses, fermant les yeux, je tentais,
voir que formes, couleurs, mouvements et n’entendre que les bruissements
moi aussi, d’accéder à la roue du destin en m’exerçant à la carabine à
de l’eau… Elle paraît seule et paisible dans la foule incessante !
plomb pour être en plein dans le mille de ce cercle infernale. Des
Puis j’ai vagabondé jusqu’à Milly-la-Forêt espionner d’un œil le cyclope
créations flinguées se restreignant au noir et blanc ! Niki, alors,
et découvert, autre part, dans un ailleurs, le Jardin des Tarot : “Moi, je
réapparaît dans ma vie, seule femme réanimant au hasard et à la
m’appelle Niki de Saint Phalle et je fais des sculptures monumentales.
violence d’un théorique projectile meurtrier l’harmonie improvisée de la
Moi, je m’appelle Jean Tinguely et je fais des machines qui ne servent
couleur. Elle réalise des tableaux assemblages comme Portrait of my
à rien.” J’aurais tellement aimé vivre dans cette gigantesque et généreuse
Lover (1961) : une chemise est surmontée d’une cible sur laquelle les
impératrice, et jouer au destin du tarot avec cette femme sortie tout droit
spectateurs sont invités à jeter des fléchettes. Elle conçoit ensuite une
d’un conte qui aurait dû être réel dans ce jardin mystique à la Lewis
série d’installations, les Tirs à la carabine (1961-1963), où le spectateur
Carroll, ou plutôt à la Saint Phalle !
Left: Dady, 1972
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Ses célèbres Nanas aux couleurs vives de vivre et aux rondeurs d’un
Les Nanas de Niki de Saint Phalle dansent. Ont-elles d’ailleurs le choix ?
Rodin sous extasy me rappelaient uniquement que la vie était généreuse.
Une nana qui ne saurait danser serait-elle vraiment une nana ? “ On sait
Et puis je suis allée plus loin, assez loin, près de Metz, plus précisément
faire bouger son corps, le mettre en valeur avec légèreté et
au château de Malbrouck, à Menderen, ayant l’audacieuse idée de
enthousiasme. C’est pour cela qu’on aime les nanas. Un corps vraiment
présenter presque la totalité de l’œuvre de Niki de Saint Phalle : outre
corps, ni intellectuel ni psychologique, mais esthétique : pure matière,
ses généreuses Nanas, on ne peut plus ambiguës, des assemblages (les
pure image, pur objet.”
autels, les mariés, les monstres) sont arborés. Alors arrivent les grandes
Les Nanas de Niki, ses assemblages, ses pays imaginaires sont comme
questions sur cette Bonny Parker de l’art contemporain ! La souffrance
un pied de nez à la dynastie masculine, persuadée de raisonner
vous fait frémir de douleur, d’effroi, de vide, d’écœurement : des
sagement à la place de la femme, la reproductrice, dans notre société.
fragments, des faux-semblants, des enfants sanglotants, mort-nés, des
Alors Mesdames, messieurs ne vénérant en outre que Leonard Woolf,
poussières de vie !
continuez son combat !
Alors arrivent les grandes questions sur cette Bonny Parker de l’art contemporain ! La souffrance vous fait frémir de douleur, d’effroi, de vide, d’écœurement : des fragments, des faux-semblants, des enfants sanglotants, mort-nés, des poussières de vie !
Vive l’amour,1990 © 2014 Niki Charitable Art Foundation, All rights reserved. Donation Niki de Saint Phalle - Sprengel Museum Hannover.
From 17 September 2014 to 2 February 2015, the great glass nave of the Grand Palais will take on the wildly, mystically and infernally formidable game-of-life strategy of Niki de Saint Phalle, to divinely disseminate and harmonise!
In my sweetest and most radical childhood memories, it is above all the
shotgun to hit the nail on the head of this infernal circle. Destroyed
feminist ardour of Niki de Saint Phalle which struck me as a clear earthly
creations limited themselves to black and white! Then Niki reappeared
attraction: "Guys are so jealous, they can't get over the fact that woman
in my life, the only woman reviving the improvised harmony of colour,
gives birth‌ They've made rockets, skyscrapers, cities, anything, to try
randomly and with the violence of a theoretical deadly projectile. She
to forget that woman can create. But now women, too, want to make
made assembled paintings like Portrait of My Lover (1961): a shirt was
art! The only way I could live without being an artist would be to be
covered with a target at which spectators were invited to throw darts.
pregnant every nine months, because I am so obsessed with creating
She then conceived a series of installations, the Shooting Paintings
that I wouldn't be able to do anything else!"
(1961-1963), where the spectator was invited to shoot balloons filled
During my adolescence, I was fascinated by Pollock and his heavenly
with paint which spattered plaster reliefs or found objects. The artist's
accidents exploding in a thousand colours. Rejoicing in muses, closing
creative gesture was at the centre of the reflections of the New Realism
my eyes, I tried, too, to reach the wheel of destiny by practicing with a
movement of Pierre Restany, Yves Klein, Ben and Jean Tinguely.
California Diary (Black is different), 1994 Š 2014 Niki Charitable Art Foundation, All rights reserved
Dolores̀ , 1968-1995 Š 2014 Niki Charitable Art Foundation, All rights reserved. Donation Niki de Saint Phalle - Sprengel Museum Hannover.
High school graduation came quickly; further studies at Saint Michel de
1- Bénédicte, été 1965 © 2014 Niki Charitable Art Foundationt, All rights reserved.
Picpus tried to shut the doors on my "bad thoughts." But nothing and no
2- Tree of Liberty, 2000 © 2014 Niki Charitable Art Foundation, All rights reserved / Ed Kessler
one could oppose them; on the contrary, my veteran philosophy teacher
3- La mariée à cheval, 1963 © 2014 Niki Charitable Art Foundation, All rights reserved. Donation Niki de Saint Phalle - Spren - gel Museum Hannover.
hastened their development! First it was Beaubourg, and all around: I've always loved the Stravinsky fountain, you can spend hours there and see nothing but shapes, colours, movements, and hear nothing but the rustle of water… It seems solitary and peaceful in the midst of the incessant crowd! Then I wandered all the way to Milly-la-Forêt to spy on the Cyclops and I discovered, elsewhere, in an elsewhere, the Tarot Garden: "My name
is Niki de Saint Phalle and I make monumental sculptures. My name is Jean Tinguely and I make useless machines." I would have so liked to live in this gigantic and generous empress and search fate through the tarot with this woman straight out of a tale which should have been true
1
in this Lewis Carroll-like -- or rather, à la Saint Phalle -- mystical garden! 2
3
Her famous brightly-coloured, life-filled Nanas, with curves like Rodin on Ecstasy, reminded me only that life was generous. And then I went farther, much farther -- to near Metz, to be precise, to the castle of Malbrouck, at Menderen, which had the audacious idea of presenting almost the whole of the work of Niki de Saint Phalle: in addition to her generous Nanas, which couldn't be more ambiguous, constructions (altars, brides and monsters) were on display. Then came the big questions about this Bonnie Parker of contemporary art! Suffering makes you tremble with pain, with fright, with emptiness, with revulsion of children, with semblances and shams, with fragments; sobbing, stillborn, the dust of life! The Nanas of Niki de Saint Phalle dance. And do they have a choice? A babe who doesn't dance, is she really a babe? "We know how to
move our bodies, to bring out the best with lightness and enthusiasm. That's why we like babes. A body that is really a body, neither intellectual nor psychological, but aesthetic: pure matter, pure image, and pure object." Niki's Nanas, her constructions, her imaginary countries -- all thumb their noses at the masculine dynasty, persuaded it reasons wisely in the place of woman, the creator, in our society. And so, ladies and gentlemen, since Niki venerated no one but Leonard Woolf, continue the combat!
Then came the big questions about this Bonnie Parker of contemporary art! Suffering makes you tremble with pain, with fright, with emptiness, with revulsion of children, with semblances and shams, with fragments; sobbing, stillborn, the dust of life!
Skull Meditation Room, 1990 © 2014 Niki Charitable Art Foundation, All rights reserved. Donation Niki de Saint Phalle - Sprengel Museum Hannover.
ALBERTO GARCíA-ALIX DE FAUX HORIZONS TEXT AND TRANSLATION BY CHRISTOPHE LUNN PHOTOS COURTESY OF ALBERTO GARCIA-ALIX
Autorretrato en Formentera, 2010
Comme chacune de ses images, où le cadre ne restitue qu’un fragment de la réalité, l’œuvre photographique d’Alberto García-Alix ne représente qu’un aspect de son univers artistique. Né en 1956, à Léon, l'écrivain, photographe et artiste vidéo est considéré comme l'un des acteurs culturels espagnols majeurs depuis les années 1980. Lui préfère se voir comme un photographe “de la marge”, tant il est fasciné par le monde de la nuit, des rockeurs, bikers, toxicomanes ou stars du porno.
De faux horizons tisse un récit visuel à partir d'une large sélection d'images anciennes et de travaux récents de l'artiste. Le corps et l'émotion sont au cœur de cette œuvre virile et poétique. La forme humaine rattache le spectateur à la réalité. La maîtrise du noir et blanc, du jeu entre ombre et lumière, et l'emploi subtil du flou entretiennent la rivalité entre réalité et fiction. Ses branches d'arbres se transforment en taches d'encre, paysages psychologiques. Ses personnages, âmes en quête perpétuelle d'expériences éthérés ou de métamorphoses physiques, deviennent des symboles des générations passées comme futures.
Ma?scara indeleble, 2010
MEP (Maison européenne de la photographie) 22 octobre 2014 – 25 janvier 2015 5-7, rue de Fourcy, 75004 Paris www.mep-fr.org Métro : Saint-Paul ou Pont-Marie Du mercredi au dimanche, de 11 heures à 19 h 45 Entrée : 8 euros (Plein tarif) / 4,50 euros (Tarif réduit)
031
RENCONTRES
ILLUSTRATION BY HIROYUKI KIKUCHI
LUCIEN CLERGUE L’ARLÉSIEN TEXT BY SARAH CONIL-GUERRA PHOTOS BY LUCIEN CLERGUE COURTESY OF MUSÉE RÉATTU & LUCIEN CLERGUE TRANSLATION BY ADELHEID BLANKESTIJN
Nu de la plage, Camargue, 1970, portfolio Genèse, 1973 © Clergue 2014
035
Il est l’enfant d’une mère qui n’aurait jamais dû l’être si elle s’était laissée à écouter les médecins. Fils chéri, il devient l’artiste, apprenti violoniste poussé par la volonté maternelle. Plus tard, le jeune homme veille à ses soins, la panse, la lave, la soigne ; l’accompagne dans la maladie qui finit par l’emporter. Une histoire qu’il raconte sans détour, d’une voix pleine de simplicité mais non sans émotion. Prémices d’une vie d’artiste pour Lucien Clergue.
Katharine Cooper, Lucien Clergue, Arles 2014 © by Katharine Cooper
C’est que la ville doit beaucoup à son Arlésien. L’artiste permit en effet la création du premier département dédié à la photographie en France, au cœur du musée Réattu, sous l’égide bienveillante de Jean-Maurice Rouquette, en 1965 ; collection forte aujourd’hui de cinq mille œuvres.
Un début dans la douleur pour ce jeune garçon sans diplôme, travailleur
Fervent défenseur de cet art, il contribua, il y a quarante cinq années
s’évadant en photographiant ce qui attirait son regard pendant son
de cela, à la création des Rencontres internationales de la photographie
temps libre. Lucien Clergue vit dans un Arles en ruines, détruit par les
d’Arles, devenues les Rencontres d’Arles. Deux institutions qui lui
bombardements alliés. En 1954, il déambule dans ces rues, mettant en
consacrent aujourd’hui chacune une exposition. L’une, Les Clergue
scène, dans La grande récréation, des enfants, Les Saltimbanques tout
d’Arles, courant du 5 juillet 2014 au 4 janvier 2015, l’autre, plus courte
droit sortis de la mythologie de Cocteau et de la période rose de
puisque liée au programme des Rencontres, du 7 juillet
Picasso. Les photographies devaient être rassemblées dans un livre : La
septembre 2014. Là, s’illustre la puissance de l’œil de Lucien Clergue,
grande récréation, poème photographique en 120 images,
une occasion de le découvrir.
au 21
collaboration artistique de Jean-Marie Magnan ; cet ouvrage, représentation d’un monde de silence, de poses et de temps à jamais
La série les “Charognes” ouvre le bal. Cadavres d’animaux morts dans le
figé, ne vit jamais le jour. Dans ces clichés désormais exposés dans un
sable camarguais, charriés et recouverts par les vagues, inexorable retour
musée, réalisés à l’ombre et sans projecteur, il immortalise ces enfants :
à la terre. Les charognes se métamorphosent dans un mouvement à jamais
Arlequin triste, violoniste, double rêvé du jeune Lucien Clergue, ou petite
figé par la mort. La poule morte devient “chameau dans le désert ”. Chats,
danseuse au tutu défraîchi qui “se cassait toujours quelque chose, une
raies, flamants roses… “ça devient autre chose, je trouve une magie dans
jambe ou une cheville, quand elle se mettait à danser ”. Portraits d’une
la mort ”. Cette mer qui, enfouie, donne ailleurs le jour. De la vague naît
enfance à jamais perdue. “J’étais comme un enfant qui ne voulait pas
la femme de Lucien Clergue, pleine de vie et de formes.
abandonner l’enfance et entrer dans le monde des adultes ”, raconte le
“… Au cœur de l’homme, solitude. Etrange l’homme, sans rivage, près
photographe dans la vidéo qui clôt Les hommes et les femmes de Lucien
de la femme, riveraine. Et mer moi-même à ton Orient, comme à ton
Clergue, l’exposition des Rencontres d’Arles dédiée à son cofondateur.
sable d’or mêlé, que j’aille encore et tarde, sur ta rive, dans le
En cette année 2014, Arles rend hommage à son célèbre photographe,
déroulement très lent de tes anneaux d’argile – femme qui se fait et se
tant attaché à l’art et à sa ville qu’il n’a jamais quittée.
défait avec la vague qui l’engendre.”*
* Saint-John Perse, “Etroits sont les vaisseaux”, Amers
“
Il y a sur la couverture une photo de nu qui me suffoque, m’enthousiasme.
”
Ces nus dans la mer, ces nus de la mer succèdent aux charognes.
mouvement plus rapide pour finir.” La tête coupée qui s’était imposée
1953, découverte de Nude, cliché d’Edward Weston réalisé en 1936,
dès la première photo de nu, gage d’intemporalité, s’ajoute parfois au
couverture de Photo Monde, une revue toulousaine. “Il y a sur la
fil des années. Et puis il y a les taureaux. Toros muertos, à l’agonie sublime
couverture une photo de nu qui me suffoque, m’enthousiasme.” Pour lui,
et à la force poignante, majestueux de douleur. Il y a les gitans. Il y a tant
“ça a été un choc capital. Bach, Picasso, Weston ! Voilà mon trio ”.
de choses dans le travail de Lucien Clergue qu’il est impossible de tout
Bach et ses sonates, son premier amour musical ; Picasso, le grand
dire de lui. Les artistes ponctuant son parcours, Cocteau, Picasso, Manitas
peintre, son maître, celui qui l’a découvert et aidé ; Weston, la révélation
de Plata… et les thèmes qu’il a abordés se retrouvent dans Les Clergue
photographique et le nu. Des femmes au corps voluptueux dansent dans
d’Arles, très juste hommage du musée Réattu.
ses clichés – comme une réaction à celui, décharné, de sa mère – frappées par les vagues en mouvement, aux têtes coupées : véritable
Lucien Clergue, l’Arlésien, est le trésor de cette ville. A l’âge de 80 ans,
poésie. En 1957, ces photographies de corps féminins illustrent les
l’artiste, qui compte dans son atelier arlésien quelque huit cent mille
poèmes de Paul Eluard, dans Corps mémorables, avec une préface de
négatifs, salue encore cette lumière – “la photographie s’écrit avec la
Jean Cocteau, son ami, et une couverture signée Picasso, maintes fois
lumière ” – qui illumine ses œuvres. Izis lui a dit : “Jeune homme, je ne
réédités depuis. A cela, s’ajoute Née de la vague ou encore l’illustration
sais pas où vous voulez en venir, mais je vous supplie de continuer.”
photographique d’“Etroit sont les vaisseaux”, poème d’Amers, du prix
Nous supplions que cela ne s’arrête jamais.
Nobel de littérature Saint-John Perse. L’artiste insiste sur la “qualité de
mouvement ” des nus clerguiens. Et, encore et toujours, les modèles se succèdent dans les grands espaces, les corps deviennent immortels
Son univers artistique
dans ces clichés qui passent du noir et blanc à la couleur. Le nu devient une constante, un thème que l’artiste décline tout au long de sa vie. Il y a les Géantes, mais aussi son triptyque : Nus de la mer, naissance d’Aphrodite ; Nus de la forêt, Eve dans le jardin d’Eden ; et Nus de la
ville, femme dans la maison d’architecte. “Les Trois mouvements sont orchestrés comme une sonate“ le musicien en lui parle toujours. ”Un mouvement un peu rapide, un mouvement lent et puis un De gauche à droite : Robert Mapplethorpe, Untitled, 1981 © Robert Mapplethorpe Foundation. Used by permission. Emmanuel Rudzitsky, dit Man Ray, Sans titre, Nush Éluard nue, photographie illustrant le recueil de poèmes de Paul Éluard intitulé Facile publié en 1935 © 2014 Man Ray Trust / ADAGP Edward Steichen, Marlène Dietrich, 1934 © The estate of Edward Steichen / ADAGP, Paris, 2014
Nu de la mer, 1958
Page de gauche : Nu de la mer, 1956
Vent sur les sables, Camargue, 1972, portfolio Langage des sables, 1975 Š Clergue 2014
Née de la vague, 1968 © Clergue 2014
He is the son of a mother who'd never have become one, had she listened to the doctors. This favourite child of hers would become an artist. He learned to play the violin, driven by strong motherly resolve. Later, the young man would take care of her, tend to her needs, wash and nurse her; staying by her side as illness ran its course till the end. Unaffectedly, he tells the story with a voice full of candour yet not lacking emotion. These are the premises to Lucien Clergue's becoming an artist.
It was a rough start for a youth without a degree. When off work, his way of escaping was to take pictures of whatever attracted his gaze. Lucien Clergue grew up in Arles, a city in the south of France devastated by allied air raids during the war. In 1953, wandering these streets, he gathered children for a series of shots. The little jesters fit right in with Cocteau's mythology and Picasso‘s Rose Period: The Great Recreation. The pictures were to be published in The Great Recreation, a
Photographical Poem In 120 Images, in collaboration with artist Jean-Marie Magnan. The book, which was to reflect a world of silence, of poses fixed in time for all eternity, never came into being. Shot in the shade with no lighting, the photographs that made immortals of these children have now found their way to museums. Young Lucien Clergue pursued both dreams of playing the sad harlequin and the violin. And on the side, he liked dancing dressed in a worn old tutu, playing a girl. “Always breaking something, a leg or an ankle, as soon as she started
dancing.” Memories of a youth forever gone. “I was one of those children who don't want to grow up into the world of adults “, the photographer shared in the video ending The Men and Women of Lucien Clergue. The Rencontres d’Arles exhibition is a tribute to its cofounder. Now, in 2014, the city of Arles pays homage to its most famous photographer, who was so very fond of his hometown he never left it. The fact is, the city owes a lot to its citizen. The artist enabled the establishment of the first section in France entirely consecrated to photography. It happened in 1965 at the heart of the Réattu museum, under the dedicated supervision of Jean-Maurice Rouquette. The collection now counts five thousand works. Forty-five years ago, Clergue, a fervent champion of the art of photography, contributed to organising the International Photography Meeting of Arles, which later became known as the Rencontres d’Arles. Not one but two institutions have dedicated exhibitions to him this year.
Genèse n°61, 1973 © Clergue 2014
The first is Les Clergue d’Arles, which opened on 5 July 2014 and
True poetry. In 1957, these same shots of feminine bodies come to
will go on till 4 January 2015. The second is a fleeting exhibition as
illustrate the poems of Paul Éluard‘s Corps Mémorables, prefaced by his
it is concomitant to the Rencontres, which are held from 7 July to 21
friend Jean Cocteau with a cover signed by Picasso. Since, there have
September 2014. Here, where the power of Lucien Clergue‘s eye
been many reprints. Also remarkable, Née de la vague and the photo
beams, a marvellous opportunity presents itself to discover his work.
illustration of the poem “Étroits sont les vaisseaux”, by Nobel laureate
The series headed “Charognes” opens the show. Animal carcasses lying
movement.” The succession of models in wide, open spaces seems never-
in the sands of the Camargue wetlands, carried along and covered by
ending. Bodies reach immortality in shots that evolve from black-and-white
waves in their inescapable return to dust. The carrion undergoes a
to colour. Nudes become the norm, as the artist explores the theme over
metamorphosis that is set in death's eternity. A dead chicken becomes a
an entire lifespan. There are les Géantes, but also his triptych Nus de la
Saint-John Perse. He insisted Clergue's nudes had a rare “quality of
“Camel In the Desert ”. Cats, fish, flamingos; “They change into something
mer, depicting Aphrodite's birth, Nus de la forêt, with Eve in the garden
else, I find death somewhat magical ”. The same sea that engulfs all
of Eden, Nus de la ville, a woman encompassed by modern architecture.
elsewhere brings daylight. Born from sea foam, Lucien Clergue‘s curvy
“Three movements are orchestrated like a sonata.” It is still a musician
woman is full of live.“... In man‘s heart lies solitude. Strange is this man
speaking. “A movement that is only slightly fast, a slow one and then a
with no shore, close to the riparian woman. And sea, myself, to your
faster movement to finish with.” Over the years, the severed head, bearer
East, like your sand alloyed with gold, may I return and linger on your
of immortality, becomes something of a leitmotiv. And then, there are the
shore, in the very slow revolving of your rings of clay—a woman once
bulls. Toros muertos in sublime agony show a poignant force and majesty
made, comes undone with the wave that conceived her.”*
in their suffering. And the gipsies... There is so much to discuss, it is impossible to tell the photographer‘s full story. Many artists have crossed
These nudes in the sea, Nus de la mer, nudes of the sea, supplant the
his path, Cocteau, Picasso, Manitas de Plata… The themes he has
carrion. In 1953, Nude, a photograph taken in 1936, makes the
explored are presented in Les Clergue d‘Arles, a well-deserved tribute
cover of a periodical from Toulouse, Photo Monde. “The nude on that
rendered by the Réattu museum.
cover overpowers me with enthusiasm ”, to him, “it was a crucial moment. Bach, Picasso, Weston! My trinity.” Bach and his sonatas
Lucien Clergue is Arles‘ very own gem. The artist has gathered in his
were his first musical love. Picasso, the great master; was his master,
studio, still in the city of Arles, some 800 000 prints on photographic
the one who discovered his talent and helped him along. Weston
paper. Aged eighty, the light shining in his work is ever so bright.
incarnates the revelation of photography and particularly nudes.
“Photography is written in light.” Izis had told him, “Young man, I don't
Voluptuous women dance in his pictures- as if in reaction to his mother's
know what you are getting at exactly, but I beg you, keep going.”
emaciated body- hit by the pounding waves, heads chopped right off.
Well, we certainly hope it will never stop.
De gauche à droite :
Maïs après la tempête, série Les marais d’Arles, Camargue, 1960 © Clergue Flamant mort dans les sables, Camargue, 1956 © Clergue 2014 Nu de la mer 320, 1958 © Clergue
* Saint-John Perse, “Etroits sont les vaisseaux”, Amers
L’éventailliste “ Le vent se lève… Il faut tenter de vivre ! ”
(Paul Valery)
TEXT BY JULIEN MORRIS D. ILLUSTRATION BY HIROYUKI KIKUCHI TRANSLATION BY MARIA LEVANT
045
Sylvain Le Guen
L’éventailliste Offrez-vous un voyage à travers les modes et les temps par le biais de ce petit objet au charme sans limite, qui a su s’adapter et compléter les tenues des élégantes ; l’éventail. Mélange de technique, de magie et de poésie, déposé entre un “bidouilleur de génie” touche à tout aux idées fécondes et prolixes. Je m’engage alors dans une petite cour au charme tout aussi magnifique que
“J’aime les défis techniques, utiliser des contraintes précises pour me sur-
la rencontre que je vais faire avec l’enfanteur de rêves : Sylvain Le Guen.
passer, créer des fantasmes tirés d’univers multiples, mais nouveaux en
Les modes se suivent et se ressemblent. Comme des cerceaux qui courent
même temps.” Il est le point de rencontre d’anciens métiers qui emplissent
les uns après les autres, mais que la mémoire éphémère efface à chaque
ma tête d’images fantasmagoriques. Plumassiers aux influences diverses,
révolution. Un nouveau millénaire, celui où l’accessoire devient roi, ne
sculpteur de volume, coloriste. Il s’est résigné gaiement à s’appuyer sur
pouvait se passer de son plus subtil attrait ; vaporeux, léger. Epoustouflant
le savoir de ses contemporains, après avoir, pendant longtemps, fabriqué
moulin à main de sensuelle pudeur. Qui peut tout aussi bien attiser les
de A à Z les montures, les feuilles et rivures de son œuvre. Il avoue avec
envies que protéger les vertus. Il fallait, pour cela, trouver l’éventailliste !
le sourire que, sans cette condition, il lui serait impossible de faire tout
Six ans sera l’âge du déclic, l’âge de sa rencontre avec l’objet magique
ce qu’il a dans la tête. Dans un grand classeur, où il note l’ensemble des
qu’il nous retransmet, l’âge de son premier essaie de transformation de la matière : du bois de cagette. De l’observation, de l’envie. Il suffit de peu quand les fées se penchent sur un berceau. A son tour de fournir de la magie, même pour les cabarets demandant un éventail de deux mètres. Pour ce faire, il aura fallu passer par un long chemin de connaissances, d’expérimentations. Restauration de pièces anciennes, fabrication de minuscules éventails de deux centimètres. “On
méthodes qu’il crée ou recrée, il extrait son travail
Un nouveau millénaire, celui où l’accessoire devient roi, ne pouvait se passer de son plus subtil attrait ; vaporeux, léger. Epoustouflant moulin à main de sensuelle pudeur.
ne connaît plus grand-chose sur la fabrication des éventails, le savoir était transmis oralement.” L’éventail existe depuis
de tabletier, ses esquisses, corne, écailles de tortues et bien d’autres matières nobles qui font rêver. Mais pour une question d’éthique, il refuse d’utiliser l’ivoire des éléphants. La marqueterie de paille, d’une finesse incroyable, témoigne de son respect pour la matière, l’amour qu’il éprouve à s’y confronter. Il me semble alors être dans le laboratoire d’un alchimiste de l’ère moderne. Nylon, acétate, papier, soie complètent mon émerveillement. “Ce qui m’a toujours séduit dans
l’éventail, c’est le fait qu’il offre un champ d’application quasi infini.
des siècles et des siècles mais les Français y amènent de la fantaisie.
A l’image de la diversité des savoir-faire qu’implique la fabrication d’un
Catherine de Médicis l’importe à la cour de France, Marie de Médicis
éventail, le choix des matériaux et les techniques de traitement et de trans-
en fait un objet de bienséance. L’éventail fait du vent, mais est aussi
formation sont immenses. Au-delà même de cette formidable liberté lais-
spectaculaire. “Sortir sans son éventail, c’est comme un chevalier qui
sée à l’artiste, l’éventail présente d’innombrables intérêts.”
sortirait sans son épée.” A travers les époques, il s’harmonise toujours avec les costumes, sa taille variant sans cesse. A la fin du XVIIIe siècle
Sylvain Le Guen joue sans cesse avec la matière, la lumière. Dans une
siècle, il embellit les robes justaucorps surmontées de diadèmes, que
vie précédente, il devait être l’un de ces maîtres éventaillistes japonais
les femmes portaient parfois seins nus. Le corps de l’éventail devient,
qui a tant époustouflé les explorateurs portugais. Il en garde la capacité
lui aussi, petit, transparent mais clinquant. Sylvain Le Guen a le regard
stylistique, les possibilités infinies de design. Mais je me dois d’arrêter
passionné en me comptant ce bref historique. Son enchaînement n’en
là car comme aurait dit Audinie “dans toute magie, il faut garder des
est que beaucoup plus clair.
secrets pour garder l’illusion ”.
Offer yourself a voyage through time and fashions with this little object of unlimited charm, one which has known how to adapt and complement the clothes of countless elegant women: the fan. With a mixture of technique, magic and poetry, a kind of “genius experimenter” who tries everything, a voyage with a fan maker of fertile and prolific ideas. I make my way into a courtyard whose magnificent charms reflect
myself, to create fantasies drawn from many universes -- and yet
those of the dream maker I am about to meet: Sylvain Le Guen.
entirely new at the same time.” He is the meeting point of ancient
Fashions follow and resemble each other, like hoops running one after
crafts which fill my mind with phantasmagorical images. Diversely
another, but that ephemeral memory erases at each revolution. A new
influenced by plumassiers, a sculptor of volume, a colourist, he
millennium, the one where the accessory becomes king, could not do
cheerfully resigned himself to relying on his contemporaries’
without its most subtle attribute, vaporous and light. A breathtaking
knowledge after a long period spent making all his own structures,
hand mill of sensual chastity, able both to awaken desires and protect
papers and rivets. He admits with a smile that, without this help, he
virtues. For that, a fan maker had to be found! Six years old was the
would be unable to complete all the ideas he has in his head. In a
age of discovery, the age of his encounter with the magical object he
large binder he makes note of all the methods he creates or recreates,
reworks for us, the age of his first attempt to
and he records the noble materials he uses for
transform matter: wood from packing cases.
his frames, such as horn and tortoise scales –
Observation, desire. Little is needed when fairies lean over and bless the cradle. His turn now to provide the magic, even for the inventor of a two-metre-long fan. But a long road of knowledge and experimentation had first to be travelled. Restoring ancient works, creating minuscule fans barely two centimetres long.
A new millennium, the one where the accessory becomes king, could not do without its most subtle attribute, vaporous and light.
“We do not know much about the construction
dream. However, as a question of ethics, he refuses to use elephant ivory. Straw marquetry, an incredibly delicate process, is witness to his respect for the material and the love he finds in using it. I seem to be in the laboratory of a modern-day alchemist. Nylon, acetate, paper and silk fulfil my wondrous gaze. “What has
of fans anymore; the knowledge was passed down orally.” The fan has existed for centuries and centuries but the
among the many others of which one can but
always appealed to me about fans is the fact that they offer an almost infinite scope of use. As in the diversity of
French brought to it whimsy. Catherine de Medici imported it into the
expertise implied in creating a fan, the choice of materials and the
French court and Marie de Medici made of it an object of propriety.
techniques for treating and transforming them are immense. Even
The fan not only creates a breeze, it is also spectacular. “Going out
beyond this wonderful freedom for the artist, the fan presents
without a fan is akin to a knight going out without his sword.”
innumerable interests.”
Throughout the ages, the fan has worked in unrelenting harmony with various fashions, its size changing constantly. At the end of the 17th
Sylvain Le Guen plays constantly with matter, and with light. Surely in
century it embellished diadem-covered jerkin dresses, at times worn
a previous life he was one of those Japanese master fan makers who
breasts exposed. Progressively, the fan’s structure also became small,
so impressed the Portuguese explorers. He retains their stylistic
transparent but eye-catching. Sylvain Le Guen’s face fills with passion
capacities, their infinite design possibilities -- but I must stop here,
as he tells me this brief history. The rest of the story is made all the
because as Audie would have said, “all magic must keep a few
clearer. “I like technical challenges, using established limits to outdo
secrets to preserve the illusion.”
MODE
ILLUSTRATION BY HIROYUKI KIKUCHI
PHOTOGRAPHER: AUDREY KRAWCZYK STYLIST: MARIE REVELUT
Fur waistcoat, Karl Lagerfeld - Dress, Martin Grant - Necklace, Goossens Paris - Belt, Azzedine Alaïa
051
Left: Dress, Fatima Lopez - Necklace, Patrick Moulin - Purse, Xenia Biegler Right: Overalls and skirt, Repetto - Belt, Azzedine AlaĂŻa - Shoes, Mellow Yellow
Wool sweater, Courrèges
Fur coat, On Aura Tout Vu Dress, Oscar Caravello Shoes, Minna Parikka Necklace and bracelet, Goossens Paris
Jacket, MM6 by Maison Martin Margiela Dress, Karl Lagerfeld Gloves, Maison Causse Bag, Unique Allure
Pants and shawl, Issey Miyake - Top, Acne - Hat, Maison Michel Collar, Xenia Biegler - Ring, Bernard Delatrez - Necklace, Paule Ka
Dress and shoes, Paule Ka - Pants, Acne - Belt, Dsquared2 Bag, Karl Lagerfeld - Glasses, B.Barn's - Bracelets, Le Gramme
Top and skirt, Azzedine AlaĂŻa Shawl, Barrie Knitwear Shoes, Mellow Yellow Gloves, Maison Causse Glasses, Burberry
Fur coat, On Aura Tout Vu - Dress, Oscar Caravallo Necklace, Goossens Paris - Earring, Mellerio dits Meller
MODELS: VIRGINIA @ NEW MADISON & PARIS @ NEXT HAIR STYLIST: CELINE DE CRUZ MAKE-UP ARTIST: DANIELA ESCHBAKER WITH LAURA MERCIER COSMETICS MAKE-UP ASSISTANT: LAURA MERLE PHOTO ASSISTANT: SYLVIE NEVES DA COSTA STYLIST ASSISTANTS: LAETITIA PLANTIER & MARIO LOLLIA
Dress, Clarisse Hieraix - Shoes, Mellow Yellow - Belt, Azzedine Alaïa - Bracelet, Goossens Paris
P ST HO YL TO IS G T: R KA AP I K HE ILI R: AN S EB
AS
TI
EN
LA
N
G
Vest and pants, Hannes Roether - Shirt, COS - Shoes, Michalsky - Shirt cuffs, Stylist own
065
Left: Suit, Drykorn - Pull, COS - Glasses, Porsche Design Right: Jacket, Drykorn - Shirt, Karl Lagerfeld
Coat, Strellson - Jacket, Hannes Roether - Pants, Lacoste - Polo, COS - Shoes, Michalsky
Shirt, Hannes Roether - Vest, Hannes Roether - Pants, Mchalsky - Chain, Patrick Muff
MODEL:Â HENRY @ RED NYC HAIR & MAKE-UP: VANGELIS TZIMIKAS @ FAME-AGENCY WITH CHANEL & BUMBLE&BUMBLE PRODUCTS HAIR & MAKE-UP ASSISTANT: LENA GEHRIG @ FAME-AGENCY
Suit, Drykorn - Pull, COS - Shoes, No Brand - Glasses, ByWP
PHOTOGRAPHER: STÉPHANIE VOLPATO STYLIST: JNSN
Pull, Avant Toi / L’Eclaireur - Headband, Rosantica
073
Fur jacket, Giorgio&Mario - Pull, Avant Toi / L’Eclaireur Embroidered legging, Augustin Teboul - Headband, Rosantica
Headband, Rosantica
Left: Top, Defined Moment Right: Dress, Clarisse Hieraix
Pull, Avant Toi / L’Eclaireur - Embroidered legging, Augustin Teboul - Headband, Rosantica
MODEL: NIKOLA SELEZINKO @ CRYSTAL MODELS MAKE-UP ARTIST: CAMILLE SIGURET HAIR STYLIST: RAPHAËL MARIAGE SPECIAL THANKS: MAÏTÉ JACQUIER & MADRUGADOR
JAI SAL MER
PHOTOGRAPHER: SAURABH DUA STYLIST: AMBER TIKARI
Shredded waistcoat, Rohit Gandhi & Rahul Khanna Velvet pants with Gott and Zardozi embroidered border, Harpreet & Rimple Narula Coral earrings, Outhouse
081
Pearl and rhinestone shoulder necklace, Outhouse - Tulle skirt, Harpreet & Rimple Narula
Tulle and lycra body suit, Rohit Gandhi & Rahul Khanna Silk flower belt used as head accessory, Sonam Dubal - Bracelet with attached ring, Outhouse
Printed lycra swin suit, Shivan & Naresh - Bird cage earrings, Outhouse
Sequinned bra top, woven Ikat print belt over wrap pants and fabric bead necklace, Sonam Dubal - Coral earrings, Outhouse
Tulle embroidered jacket with peacock motif, Harpreet & Rimple Narula Lycra body suit, Rohit Gandhi & Rahul Khanna - Belt and necklace, Outhouse
Tulle poncho embroidered, Harpreet & Rimple Narula Chocker and metal cuffs, Outhouse
MODEL: ALBINA KIREEVA @ TOABH MANAGEMENT INDIA HAIR & MAKE-UP: MANIACHA @ B4 AGENCY PHOTO ASSISTANTS: RAVI & DILIP
BEAUTÉ
ILLUSTRATION BY HIROYUKI KIKUCHI
LA MALADE IMAGINAIRE PHOTOGRAPHER: MYLENE ROUVEURE MAKE-UP ARTIST & MANICURIST: EMILIE PLUME MODEL: LIZA GLADKAYA @ CRYSTAL MODELS
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PHOTOGRAPHER: ANDREW ARTHUR STYLIST: TIFFANI CHYNEL MODEL: ALANNA WHITTAKER @ HOLLYWOOD MODEL MAKE-UP ARTIST: EMILY CHENG HAIR STYLIST: GRISSEL ESPARZA NAIL ARTIST: DESTINEE HANDLY STYLIST ASSISTANT: YESENIA CUEVAS
Dress, Amen Couture
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Left: Jumpsuit, Alexis - Right: Dress, Guishem
Left: Bodysuit, Alon Livne - Right: Jacket, Phoung My
ATTRAPE-CÅ’UR
ILLUSTRATION BY HIROYUKI KIKUCHI
LES MÉTIERS D’ART
Paris fait plus que la loi, il fait la mode.
Victor Hugo
TEXT BY MARIE JUNCKER-COTTEN PHOTOS BY ANOUCHKA DE WILLIENCOURT TRANSLATION BY MARIA LEVANT
Qu’il fût doux, pluvieux et frénétique, ce jeudi 10 juillet 2014 ! Au départ de cette place mythique qu’est la place Vendôme, nous allons à la découverte des Métiers d’Art, rue du Cheval Blanc, à Pantin. Le nom de cette rue nous transporte déjà dans un autre temps tandis que le calme des ateliers nous transperce dès que nous y entrons.
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Le calme avant la tempête, car rien ne semble plus vivant que ces lieux où les ouvriers du groupe Paraffection sont bien loin d’un travail derrière un ordinateur planté au beau milieu d’un open space… Bientôt les
Maisons Lesage, Michel, Lemarié et Massaro n’auront plus de secret pour nous, ou presque. La charismatique Suzy Menkes fait son entrée, la visite peut commencer. “Sans cette garantie sensible et sûre que me
donnent mes yeux”*, je n’aurais pu croire à un tel labyrinthe d’établis de toutes tailles, formes et fonctions. Ici, les “petites mains” tissent, brodent, crochètent, modèlent, cousent, créent, dessinent, s’inspirent, découpent, encollent, recherchent, imaginent ! Nous sommes dans l’antre du “tout est possible” et du made in France. Une atmosphère quasi magique est palpable et, à peine sommes nous arrivées que nos yeux s’écarquillent. J’entends des “je voudrais rester plus longtemps”, “aucune envie de
partir”, car nous savons déjà qu’une seule journée ne suffira pas à satisfaire cette soif de connaître l’envers du décor. Merveilleux savoirfaire, inimitables créations, noble façonnage, multiples techniques, infime précision : voilà pourquoi bon nombre de maisons de couture font appel à leur talent, telles Chanel, Saint Laurent Paris, Hermès,
Mary Katrantzou, Balenciaga, Dior, Bouchra Jarrar, Rochas, Valentino, Louis Vuitton, Julien Fournié, Givenchy, Christophe Josse, Didit Hediprasetyo, Alexandre Vauthier, Lanvin… Ouvrons grand les portes de cet incontournable lieu de la mode et revenons sur un peu d’histoire. Les archives des broderies Lesage sont le premier temple dans lequel nous pénétrons, toutes plus ébahies les unes que les autres (ce jour-là, les journalistes étaient uniquement féminines, pas forcément féministes). D’innombrables tiroirs en bois avec poignées en bronze regorgent d’échantillons. Tous les tissus archivés sont différents car, depuis sa création en 1858 par monsieur Michonet, la Maison Lesage ne reproduit jamais un tissu pour un autre créateur. 1858, année du premier défilé de Couture, cela peut donner le vertige ! En 1924, et à cent deux ans !, monsieur Michonet cède son atelier à l’assistante de Madeleine Vionnet et à son mari, le couple Lesage. Depuis cet “atelier des
soixante”, comme il est surnommé – puisque soixante personnes y travaillent, soixante tonnes de fournitures et soixante mille échantillons sont conservés –, ne cesse de conquérir l’univers exigeant de la mode et produit au moins huit collections par an. Satisfaire tous les créateurs qui ont foulé le sol de ce laboratoire à idées et butiné dans les tiroirs fétiches (John Galliano, par exemple, s’intéressait exclusivement aux archives de 1858 à 1924) représente un travail considérable, car tout y est fait à la main, à l’aiguille ou au crochet de Lunéville. A partir de 1983, la Maison Lesage collabore étroitement avec Karl Lagerfeld et rejoint, en 2002, la Maison Chanel. La rencontre avec les artisans de cette Maison, dirigée artistiquement par Hubert Barrère, nous évoque cent vingt ans d’histoire de la mode mais surtout l’art d’appliquer n’importe quel matériau sur tout type de tissus.
* Hamlet, de Shakespeare
Ici, les “petites mains” tissent, brodent, crochètent, modèlent, cousent, créent, dessinent, s’inspirent, découpent, encollent, recherchent, imaginent ! Nous sommes dans l’antre du “tout est possible” et du made in France.
Une fois la minutie de la broderie admirée et les artisans brodeurs épiés,
nandou ou faisan. A partir de 1946, pour palier à une perte de vitesse
nous rejoignons à pas feutrés le chapelier de la Maison Michel. Dans
significative, André Lemarié aura l’idée de développer le savoir-faire de la
son atelier, un amoncellement de formes apparaît, pas moins de trois
Maison en créant des fleurs en tissus (à la boule ou au fer à gaufrer chauffé
mille bois différents sont entreposés sur ces étagères… N’oublions pas
à blanc). Le petit-fils de la fondatrice aura alors l’occasion de façonner le
qu’avant la fin de la Seconde Guerre mondiale aucune femme
célèbre camélia de Gabrielle Chanel, dans les années 1960. Un nouvel
bourgeoise ne sortait sans son chapeau, seules les plus pauvres sortaient
essor prend forme grâce à cet accessoire et s’amplifiera avec l’arrivée de
“en cheveux”. Plusieurs modistes coiffent ainsi la haute société : Caroline
Karl Lagerfeld chez Chanel en 1983, d’Alexander McQueen chez
Reboux, Esther Meyer, Suzanne Talbot, Madame Agnès, Madeleine
Givenchy en 1996, et de John Galliano chez Dior en 1997. Les parures,
Panizon, Rose Descat ou encore Rose Valois et, bien sûr, Auguste
ornements et incrustations sont alors remis sur le devant de la scène de la
Michel, qui va ouvrir sa boutique à Paris, rue Sainte Anne, en 1936.
Haute Couture. Lemarié, repris par Chanel en 1996, est aujourd’hui le
Même en ces temps difficiles, de nombreux modèles de chapeaux,
fournisseur attitré des plus grands noms de la mode “où se côtoient les tours
capelines, bibis, cloches et turbans voient le jour pour la plus grande
de main ancestraux et les technologies les plus modernes”*.
satisfaction des religieux catholiques qui l’imposaient en signe de servitude à Dieu. Le feutre, quant à lui, en poils de lapin (ou plus
Nous revenons sur nos pas, direction rue de la Paix, pour découvrir
rarement de castor) conquiert la mode du temps de guerre. Ces codes
l’atelier du bottier Massaro. Les chaussures : l’accessoire de mode
disparaîtront après les années 1950. En 1968, Pierre Debard et sa
préféré des femmes devant les bijoux et les sacs ! Depuis 1894, la
femme Claudine rachètent la Maison Michel tandis que de nombreux
Maison Massaro est donc dédiée au bonheur des femmes et encore
chapeliers ferment. Mais, en 1975, monsieur Debard découvre dans
plus depuis 1915, date à laquelle les jupes se raccourcissent, laissant
ses cartons – ce qui sauvera la Maison – des machines à coudre
apercevoir la beauté des escarpins, bottes, sandales, bottines, derbies.
Weissmann qui permettent de créer des chapeaux de paille d’un seul
Les créateurs rivalisent d’ingéniosité pour allonger la jambe de ces
tenant et dont la couture est invisible. Il n’en reste qu’une seule au monde
dames… De nouvelles formes, matières et talons voient le jour. C’est en
à ce jour en état de marche, toujours utilisée dans leur atelier. Laetitia
1957 que Massaro petit-fils excelle en fabricant, pour Chanel, la
Crahay, directrice artistique depuis 2006, réaffirme les classiques et
sandale bicolore à petit talon : la jambe est affinée et le pied paraît
modernise les collections ; la griffe reste une référence internationale et
plus petit grâce à ce contraste chromatique. Le modèle devient
incontournable en matière de chapeaux, accessoires et bijoux de tête.
emblématique et Massaro assied sa notoriété avant de rejoindre la
Maison Chanel en 2002. Philippe Atienza, successeur de la marque Les plumes Lemarié sont tout aussi réputées que les boutons Desrues, les
depuis 2008, dirige une douzaine d’artisans formiers, coupeurs,
chapeaux Michel ou les broderies Lesage. Pourtant, au début du XXIe
piqueurs et ouvriers de pieds et se consacre à l’élaboration de nombreux
siècle, à Paris, les plumassiers ne sont plus qu’une dizaine alors qu’ils
modèles féminins et désormais masculins. Les collaborations avec
étaient plus de cinquante en 1960 et trois cents dans les années 1900 !
Christian Dior, Paco Rabanne, Christian Lacroix, Jean Paul Gaultier ou
Rares sont les artisans d’art qui sont sauvés de la faillite. Le fait main est
Thierry Mugler sont toujours empreintes de succès.
fragilisé par le nouveau luxe et une mode démocratisée : cette dernière n’est plus aux chapeaux volières comme en 1880, date à laquelle Palmyre
Emerveillement après émerveillement, nous quittions ces lieux pleines
Coyette ouvre sa “fabrique de plumes pour parures”. Les plumes les plus
d’enthousiasme ; plusieurs d'entre nous, dont Suzy, demandant même à
raffinées, combles du chic parisien, sont nettoyées, teintées, affinées,
revenir “as soon as possible”. Ces métiers d'art sont précieux et rares,
découpées, encollées et frisées dans son entrepôt. Elles deviennent un signe
absolument pas poussiéreux ni uniquement exécutés par des “seniors” :
distinctif de la personnalisation et d’une pièce qui devient unique grâce
ces petites mains en or ayant, en moyenne, une trentaine d’années.
aux différentes robes de cygne, paon, autruche, héron, coq, vautour,
C’est alors que je pensais à une reconversion…
Rares sont les artisans d’art qui sont sauvés de la faillite. Le fait main est fragilisé par le nouveau luxe et une mode démocratisée : cette dernière n’est plus aux chapeaux volières comme en 1880, date à laquelle Palmyre Coyette ouvre sa “fabrique de plumes pour parures”.
* Entrée des fournisseurs, éditions Assouline
Les chaussures : l’accessoire de mode préféré des femmes devant les bijoux et les sacs ! Depuis 1894, la Maison Massaro est donc dédiée au bonheur des femmes et encore plus depuis 1915, date à laquelle les jupes se raccourcissent, laissant apercevoir la beauté des escarpins, bottes, sandales, bottines, derbies.
sixty thousand samples are conserved – ceaselessly conquers the demanding fashion universe and produces at least eight collections a year. Satisfying all of the designers who have tread the floor of this idea laboratory and foraged in the fetish drawers (John Galliano, for example, was exclusively interested in the archives from 1858 to 1924) represents considerable work, because everything is handmade, by needle or with a Lunéville crochet hook. Since 1983, the Maison Lesage has been collaborating closely with Karl Lagerfeld and in 2002 joined the Maison
Chanel. Our meeting with Chanel’s artisans, under the artistic direction of Hubert Barrère, evokes 120 years of fashion history, but above all the art of doing appliqué with any material on any type of fabric. Once the meticulousness of the embroidery has been admired and the The calm before the storm, because nothing seems more alive than this
embroiderers observed, we proceed quietly to join the hat maker of the
place where the artisans of the Paraffection group work, far from the world
Maison Michel. In this workshop we come upon a pile of hat forms: no
where a computer is planted in the middle of an open space office…
less than three thousand different kinds of wood are stored on these
Very soon, the Maisons Lesage, Michel, Lemarié and Massaro will have
shelves… Let us not forget that before the end of WWII no middle-class
no secrets from us, or almost. The charismatic Suzy Menkes makes her
woman went out without her hat; only the poorest went out bare-headed.
entrance and the visit can begin. “Without the sensible and true avouch
of mine own eyes,”* I could never have believed in such a labyrinth of workbenches of all sizes, shapes and uses. Here workers weave, embroider, crochet, shape, sew, create, draw, take inspiration, cut out, glue, research, and imagine! We are in the belly of “anything is possible,” and of Made in France. A palpable atmosphere that is almost magical: we’ve barely arrived and our eyes open wide. Around me I hear, “I want to stay longer,” “I don’t want to go,” because we know already that our one day’s visit will not be enough to satisfy our thirst to see behind the scenes. Marvellous craftsmanship, inimitable creations, the finest finishing, multiple techniques, and infinitesimal precision: this is why so many fashion houses call on their talent, houses such as Chanel, Saint Laurent Paris,
Hermès, Mary Katrantzou, Balenciaga, Dior, Bouchra Jarrar, Rochas, Valentino, Louis Vuitton, Julien Fournié, Givenchy, Christophe Josse, Didit Hediprasetyo, Alexandre Vauthier, and Lanvin… Let us open wide the doors of this indispensable fashion address and review a bit of history. The archives of the Lesage embroiderers are the first temple into which we enter, each of us more astounded than the next (that day, the journalists were all female, though not necessarily feminist). Innumerable wooden drawers with bronze handles brim with samples. All the archived fabrics are different because, since its creation in 1858 by Mr Michonet, the Maison Lesage has never produced the same fabric for more than one designer. 1858, the year of the first Couture fashion show, enough to give you vertigo! In 1924, at the age of 102!, Mr Michonet ceded his workshop to the assistant of Madeleine Vionnet and to the assistant’s husband, the Lesage couple. Ever since, this “workshop of sixty,” as it is called – because sixty people work here, sixty tonnes of supplies and
* Hamlet, William Shakespeare
Here workers weave, embroider, crochet, shape, sew, create, draw, take inspiration, cut out, glue, research, and imagine! We are in the belly of “anything is possible,� and of Made in France.
Shoes: the fashion accessory women prefer over jewellery and purses! Since 1894, the Maison Massaro has thus been dedicated to women’s happiness and all the more so since 1915, the year dresses became shorter, allowing the beauty of pumps, boots, sandals, ankle boots and derby shoes to be seen.
Several milliners dressed High Society: Caroline Reboux, Esther Meyer,
(with a ball or a white-hot waffle iron). The grandson of the founder had
Suzanne Talbot, Madame Agnès, Madeleine Panizon, Rose Descat or
the opportunity to make the famous camellia of Gabrielle Chanel, in the
Rose Valois and, of course, Auguste Michel, who opened his boutique
1960’s. A new boom arrived thanks to the accessory and was amplified
in Paris, rue Sainte Anne, in 1936. Even in those difficult times, many
with the arrival of Karl Lagerfeld at Chanel in 1983, of Alexander
models saw the day-- wide-brimmed capeline hats, pill box hats, cloche
McQueen at Givenchy in 1996, and of John Galliano at Dior in 1997.
hats and turbans -- to the great satisfaction of practicing Catholics who
Adornments, ornaments and incrustations were thus put front and centre
imposed hats as a sign of servitude to God. Felt, made of rabbit hair
by Haute Couture. Lemarié, purchased by Chanel in 1996, is today the
(or, more rarely, beaver), conquered fashion in war time. These dress
official furnisher of the greatest names in fashion, “where ancestral
codes disappeared after the 1950’s. In 1968, Pierre Debard and his
techniques and the most modern technologies are found side by side.”*
wife Claudine bought the Maison Michel at a time when numerous hat makers were closing their doors. But in 1975 Mr Debard discovered in
We retrace our steps and head to the rue de la Paix, in Paris, to discover
his boxes – and this is what saved the company -- Weissmann sewing
the workshop of the boot maker Massaro. Shoes: the fashion accessory
machines which permitted the creation of straw hats in a single piece,
women prefer over jewellery and purses! Since 1894, the Maison
and with invisible seams. Only one working model is left in the world,
Massaro has thus been dedicated to women’s happiness -- and all the
still used in their workshop. Laetitia Crahay, artistic director since 2006,
more so since 1915, the year dresses became shorter, allowing the
reaffirms the classics and modernises the collections; the company
beauty of pumps, boots, sandals, ankle boots and derby shoes to be
remains an international reference and indispensable when it comes to
seen. Designers rivalled each other in ingenuity to lengthen these ladies’
hats, accessories and hair ornaments.
legs... New shapes, fabrics and heels saw the day. It was in 1957, for
Chanel, that the Massaro grandson excelled in making the small-heeled The feathers of Lemarié are as highly renowned as the buttons of
bicolour sandal: the leg is made thinner and the foot appears smaller
Desrues, the hats of Michel or the embroideries of Lesage. And yet, at
because of the chromatic colour contrast. The model became
the beginning of the 21st century in Paris, no more than ten plumassiers
emblematic and Massaro confirmed its prominence before joining the
remain, though there were more than fifty in 1960 and three hundred in
Maison Chanel in 2002. Philippe Atienza, successor to the brand in
1900! Rare are the artisans who have been saved from bankruptcy.
2008, directs a dozen artisans -- form-makers, cutters, assemblers, and
Sales of handmade items have been weakened by newer luxury goods
shoe workers -- and consecrates himself to the elaboration of numerous
and democratized fashion, which no longer wears “bird’s nest” hats as
women’s and now men’s models. Collaborations with Christian, Dior,
in 1880, the year Palmyre Coyette opened her “feathers for finery”
Paco Rabanne, Christian Lacroix, Jean Paul Gaultier or Thierry Mugler
factory. The most refined feathers, the height of Parisian chic, were
are always stamped with success.
washed, dyed, aged, cut out, coated and curled in her warehouse. They became a distinctive sign of personalisation and of a piece which
Marvel after marvel, we leave these places full of enthusiasm; several of
became unique through the use of layers of swan, peacock, ostrich,
us, including Suzy, ask to return “as soon as possible.” These fine crafts
heron, rooster, vulture, rhea or pheasant feathers. As of 1946, to make
are precious and rare, not in the least old-fashioned nor made only by
up for a significant slow-down, André Lemarié had the idea of
older workers: these talented hands are, on average, only 30 years old.
developing the Maison’s savoir-faire by creating flowers out of fabric
That has made me think of changing professions…
* Entrée des fournisseurs, published by Assouline
VOYAGE
ILLUSTRATION BY HIROYUKI KIKUCHI
SONGES MEXICAINS TEXT BY SARAH CONIL-GUERRA PHOTOS BY TOM CHAMBERS TRANSLATION BY MARIA LEVANT
Dans les temps immémoriaux, selon les croyances aztèques, il était un dieu, Ometeotl, qui se trouvait à l’origine de toute chose. Le couple Tonacatecuhtli et Tonacacihuatl est parfois associé à Ometeotl, dont le nom renvoie au dualisme, notion fondamentale pour les croyants. Les divinités qui conçurent les mondes précédant notre Terre sont leurs descendants.
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Ainsi, soleil après soleil ou âge après âge, des mondes furent créés puis détruits jusqu’à Tecciztecatl et Nanahuatl. Le premier recula devant le brasier, où il devait se jeter pour féconder notre monde, et devint la lune. La seconde y plongea, devenant le soleil. De cette cosmogonie ancienne, de ces dualités signes de la complémentarité de tout ce qui existe, les Mexicains se sont nourris. Cet antique respect de la nature, l’idée ancestrale du lien qui unit vie et mort habite les rites et la pratique de la religion chrétienne de ce peuple d’Amérique du Sud. De ces stigmates et de cet héritage est né un peuple, dont la représentation dans l’imaginaire collectif se fait entre fantasme et réalité. Des photographies et images traversant les frontières mexicaines, une vision particulière voit le jour, suscitant passions et curiosités. Ainsi, il y a vingt-huit ans, le photographe
américain Tom Chambers traversait-il des barrières – presque – invisibles pour rejoindre, avec sa femme, Mexico. L’homme, alors, ne se consacrait pas entièrement à la photographie. Ce n’est qu’en 1998, après avoir travaillé plusieurs années comme graphiste, qu’il se dédie à sa passion et expérimente les possibilités que lui offre le photomontage. Il souhaite par là offrir des histoires qui naissent et s’épanouissent dans des photos aux ambiances fantasmagoriques reflétant sa manière d’appréhender le monde. Avide de découverte, il avait choisi ce pays bordant les Etats-Unis pour rencontrer ces voisins, qui semblent pourtant si loin. Le couple voyagea en bus à travers les petites villes de la province de Michoacan. Le photographe contemplait alors l’endroit pour la première fois, “J’étais frappé par le rythme simple et lent de leur manière de vivre.” Sous ses yeux défilait un monde merveilleux. C’était un autre temps, le Mexique n’était alors pas soumis à la pression des cartels et des politiques.
Les hommes et les temps passent, révolutionnant la terre qu’ils foulent. Il fallut vingt-cinq ans au photographe pour revenir sur ses pas, n’ayant jamais oublié cet endroit qui l’avait tant enchanté. Il y a eu Animals
Visions ou encore Illumination. Des histoires et des mondes ont vu le jour sous l’imagination féconde de Tom Chambers ; une vie d’artiste que son esprit vagabond a amené sur différents continents. A la Fotografica Bogota, biennale de la photographie, une rencontre, celle avec Particia Martin, détermine le retour du conteur d’histoires dans le pays des Aztèques, où le sang humain, “l’eau précieuse ”, coulait pour nourrir le dernier soleil afin de l’empêcher de s’éteindre. “Qu’est-ce que la vie ?
Une folie.”* Tom Chambers se prend à rêver de ce pays qui nourrit tant son âme : “J’étais excité par l’opportunité de rechercher le “vieux”
Mexique, qui n’avait pas été touché par le consumérisme, et qui conserve la simplicité et un sens profond de la spiritualité.” Patricia Martin, originaire de Merida, fait découvrir à Tom Chambers les merveilles du Mexique. Cette amie providentielle a conduit l’artiste jusqu’à des trésors inestimables pour son âme de photographe, des possibilités s’ouvraient alors à l’homme. Il rapporte, dans ses bagages,
Dreaming in Reverse, fruit de ces deux voyages au pays des merveilles.
Le Mexique, pour lui, celui dont il veut se souvenir, est caractérisé par la simplicité, la magie et la passion, loin du mouvement apocalyptique du monde contemporain. La série photographique, entre mouvement voluptueux et immobilisme temporel, figure un pays d’un conte fabuleux.
Les graines amassées ça et là, dans les villages poussiéreux, emplies
et la valse folle de la Terre ; intrusion dans un monde idéalisé. La poésie
d’histoires et de cultures, ont germé au gré de ses pérégrinations. “Les choses
qui se dégage de ces clichés, vivant exemple de réalisme magique,
ont une vie bien à elles ; il faut réveiller leur âme, toute la question est là ”,
s’appuie sur le photomontage pour narrer ces histoires inachevées. Les
écrit Gabriel Garcia Marquez dans Cent ans de solitude. Tom Chambers
jeunes filles et les enfants se posent là, cohabitant pacifiquement avec
s’alimente de lecture et de musique, captivé par le réalisme magique,
des animaux, vulnérables, échos de cette facilité que Tom Chambers
comme celui de Cormac McCarthy ou d’Isabel Allend, lequel semble
cherche tant à retrouver. Le spectateur voit, sous ses yeux, une histoire
aujourd’hui habiter ses photos. Il cherche, au Mexique, les sentiments qui
extraordinaire se développer dans le mouvement calibré des corps
ont fait naître sa première série photographique Ex Votos. Dans Dreaming
des personnages.
in Reverse, il livre la richesse culturelle d’un Mexique non contaminé par les cartels, le consumérisme ou les luttes politiques. Les fantômes d’un passé
Les êtres de ces images sont ces morts et ces vivants, êtres doubles dont
viennent hanter la photo, souvenir de temps plus simples.
nous parlent les histoires anciennes. Dans un pays où, selon les
La série photographique est une ode à la culture mexicaine, produit de
croyances ancestrales, le soleil qui brille pouvait s’éteindre si la mort et
ses deux expériences, entre songe et réalité. “Qu’est ce que la vie ?
le sang ne le nourrissaient pas, les peuples vivent et s’animent, entre
Une illusion, une ombre, une fiction.”* Un rêve de simplicité et de
simplicité et tourbillons. Elles sont là, toutes ces choses complexes qui
tranquillité est sis dans ces images, où des jeunes filles cohabitent avec
font la richesse de ce peuple incarné dans les photomontages magiques
des animaux ; un espoir de voir s’éloigner les souillures laissées par la
du conteur Tom Chambers, ce rêveur d’un autre monde. “Le plus grand
mondialisation. Les animaux incarnent l’innocence et la pureté que
bonheur est peu de chose, car toute la vie est un songe, et les songes
l’artiste a retrouvées dans le peuple mexicain écartelé entre ses origines
valent ce que valent les songes.”*
* La vie est un songe, de Pedro Calderon de la Barca
In ancient times, according to Aztec beliefs, there was a god, Ometeotl, who was the origin of all things. The couple Tonacatecuhtli and Tonacacihuatl is sometimes associated with Ometeotl, whose name refers to dualism, a fundamental notion for believers. The divinities who designed the worlds preceding our Earth are their descendants.
Thus, sun after sun or age after age, worlds were created and then destroyed, until Tecciztecatl and Nanahuatl. The first turned back from the inferno into which he was to throw himself, to fertilise our world, and became the moon. The second plunged in, and became the sun. From this ancient cosmogony, from these dualities which are the signs of the complementarity of all that exists, Mexicans have been nourished. The age-old respect of nature, the ancestral idea of the bond uniting life and death, lives on in the rites and the practice of the Christian religion of this people of North America. From these stigmata and this heritage was born a people whose representation in the collective imagination lies between fantasy and reality. Photographs and images crossed the Mexican frontiers and a particular vision saw the day, arousing passions and curiosity. And so, twenty-eight years ago, with his wife, the American photographer Tom Chambers crossed (almost) invisible barriers to reach Mexico. The man, then, did not consecrate himself entirely to photography. It was only in 1998, after having worked several years as a graphic designer, that he dedicated himself to his passion and experimented with the possibilities offered by photomontage. He wishes in this way to offer stories which are born and grow in the phantasmagorical atmosphere of his photographs, reflecting his way of understanding and seeing the world. Eager to discover, he had chosen this country bordering the United States to meet these neighbours, who yet seemed so far. The couple travelled by bus through small towns of MichoacĂĄn province, and the photographer contemplated the place for the first time: “I was struck by the simple, slow-paced way of life.â€? A marvellous world passed before his eyes. It was another time; Mexico was not yet under attack from the cartels and from politics.
People and time passed, revolutionizing the ground they tread. It took
Seeds gathered here and there, in dusty villages, filled with stories and
twenty-five years for the photographer to retrace his steps, having never
cultures, have sprouted through his peregrinations. “Things have a life of
forgotten this place which had so enchanted him. There were Animal
their own: you must awaken their soul, the whole question is there,” wrote
Visions or Illumination; stories and worlds which saw the light of day
Gabriel Garcia Marquez in One Hundred Years of Solitude. Tom Chambers
through the fertile imagination of Tom Chambers; an artist’s life that his
fuels himself on reading and music, captivated by magic realism, as in
wandering spirit has taken to different continents. At the photography
the works of Cormac McCarthy or Isabel Allende, which seems today
biennial Fotografica Bogota, a meeting determined the return of the
to inhabit his photographs. In Mexico he searches for the feelings from
storyteller to the country of the Aztecs, where human blood, “the precious
which his first photography series, Ex Votos, was born. In Dreaming in
water,” flowed to feed the last sun so it would not go out. “What is life?
Reverse, he reveals the cultural richness of the Mexico that does not let
Madness.”* Tom Chambers dreams of this country which so nourishes
itself be buried by the cartels, consumerism or political battles. The
his soul: “I was excited about the opportunity to seek out the ‘old’ Mexico
phantoms of a past come to haunt the photos, memory of simpler times.
which has not been touched by consumerism and which retains both
The photography series is an ode to Mexican culture, a product of his
simplicity and a deep sense of spirituality.” A photographer from Merida,
two experiences, between dream and reality. “What is life? An illusion,
met at the biennial, introduced Chambers to the marvels of Mexico. This
a shadow, make-believe.”* A dream of simplicity and of calm lies in
providential friend took the artist to treasures that were inestimable for
these images, where young women cohabit with animals; a hope to see
this photographer’s soul; possibilities opened themselves then to the man.
globalization’s stains fade away. The animals embody the innocence
In his luggage he brought back Dreaming in Reverse, the fruit of these
and the purity which the artist finds in the Mexican people, torn between
two voyages to the country of Wonderland.
their origins and the crazy waltz of the Earth; intrusion in an idealised world. The poetry which emerges in these pictures, a shining example
Mexico, for him, the one he wants to remember, is characterized by simplicity, magic and passion, far from the apocalyptic movement of the contemporary world. In this photographic series, between voluptuous movement and temporal immobility, appears a country from a fabulous tale.
of magic realism, relies on photomontage to tell these unfinished stories. The young women and the children alight here, cohabiting peacefully with the animals, vulnerable, echoes of this ease for which Tom Chambers searches so hard to find again. The spectators see, with their own eyes, an extraordinary story develop in the calibrated movement of the character’s bodies. The beings of these images are those dead and those living, double beings of which the ancient stories speak. In a country where the sun that shines could go out, according to ancestral beliefs, if death and blood did not make it live, peoples live and love, between simplicity and turbulence. They are there, all these complicated things which make up the richness of this people incarnated in the magical photomontages of the story-teller Tom Chambers, this dreamer from another world.
“The greatest joy is very little, because all of life is a dream, and dreams are worth what dreams are worth.”*
* La vie est un songe, Pedro Calderon de la Barca
PHOTO & VIDEO PARIS
En exclusivité chez MAD LORDS 320, rue Saint Honoré PARIS 1 www.madlords.com +33 (0)1 45 25 08 31 Email : contact@t-forme.com Tél. : +33 (0)1 71302003 Photographie Vincent Bousserez - Graphisme KogiProd