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II/ L’utopie chez les paysagistes et concepteurs contemporains

Dans cette seconde partie, nous analyserons différents travaux de paysagistes et de concepteurs contemporains en essayant de mettre en lumière les aspects utopiques qu’ils sont susceptibles de contenir à partir des caractéristiques soulevées dans la première partie. Il s’agira dans un premier temps de justifier le choix du corpus et d’expliciter la méthodologie de recherche qui s’est appliquée.

1 - Méthodologie de recherche et choix du corpus

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A partir du travail réalisé en première partie du mémoire, une liste de question a émergé. Il s’agit dans cette deuxième partie de confronter ces questions à une sélection de travaux de paysages contemporains. L’objectif étant de faire ressortir les caractères utopiques de ces derniers s’ils existent.

Qui est le concepteur ? Quel est son métier ? De quand date le concept ? Quel est le contexte historique ? Quel est l’objectif principal du projet ? Le projet critique-t-il quelque chose ? Quel est le contexte de publication ? Quelle forme prend le projet ? (Discours, représentation, réalisation ?) De quel type d’espace s’agit-il ? (Bâtiment, ville ?) Quelles sont ses formes matérielles ? Graphiques ? Le projet est-il pensé pour un lieu en particulier ? Y-a-t-il une prise en compte du paysage existant ? Le projet doit-il servir d’exemple, de modèle ? Le projet s’est-il réalisé ? Si non, qu’est-ce qui empêche le projet de se réaliser ?

La sélection de concepts et projets contemporains qui suit ne s’est pas faite au hasard. Il a été nécessaire d’étudier un grand nombre de travaux sous le prisme du bilan bibliographique et historiographique établi en première partie de ce mémoire. Le choix des travaux sélectionnés a été orienté par trois thématiques dégagées grâce à l’état de l’art que sont la question sociale, la question écologique ainsi que la question de la représentation.

Le corpus choisit fait appel à des approches différentes du paysage. Dans un premier temps, nous nous intéresserons au « paysage écrit », celui de l’auteur et paysagiste Gilles Clément qui développe des concepts tels le jardin en mouvement, le jardin planétaire ou encore le Tiers-Paysage. Ces concepts relèvent de la question écologique soulevée par Thierry Paquot. Gilles Clément est comme les concepteurs de projets utopiques du XIX ème et XX ème siècle un personnage charismatique porté par un optimisme débordant et ses concepts sont longuement décrits dans des ouvrages. Ensuite, nous étudierons ce que nous appellerons le « paysage parlé », autrement dit nous nous pencherons sur la pratique de la médiation liée au paysage à travers le projet de la ZEN de Palerme porté par l’agence de paysage Coloco puis à travers les ateliers d’urbanisme utopique organisés par le collectif Bruit du frigo à Bordeaux. Les projets de médiation relèvent de la question sociale et font écho à la notion abordée par Friedman, la participation habitante. On y trouve aussi la volonté de créer du lien social, une des priorité de Fourier. Rappelons également que c’est un des aspects soulevés dans l’article sur le retour des utopies urbaines publié dans la revue Futuribles dont nous avons parlé en introduction. Le troisième aspect que nous aborderons sera le « paysage dessiné » et questionnera la thématique de la représentation en nous intéressant à l’œuvre de Luc Schuiten. Son travail est lié à celui de Friedman puisqu’on y retrouve des idées venues d’ailleurs parfois sur un fond imaginaire et d’autres fois ce sont des villes existantes qu’il s’amuse à transformer pour donner des idées aux décideurs, pour montrer que c’est possible. Dans cette sélection de concepts, de projets et de représentations, tous ont pour objectif de faire évoluer le système dans lequel nous vivons, certains ont la volonté de changer le monde, d’autres veulent simplement rapprocher les habitants les uns des autres autour d’un atelier sur leur cadre de vie.

Rappelons que le paysage existe à travers l’espace et le temps et que ce sont les Hommes qui le modèlent en plus des phénomènes naturels. Des interrelations passées, présentes et futures entre l’Homme et le naturel composent le paysage. Cela crée un tout, une diversité dans un perpétuel mouvement. Chaque individu perçoit le paysage de façon différente en fonction de son origine, son vécu, son expérience, sa sensibilité. La place de l’Homme est très importante dans le concept de paysage, tout comme dans celui de l’utopie. Le paysagiste quant à lui tente de rendre meilleur les interrelations entre les Hommes et leur environnement dans l’objectif d’améliorer le cadre de vie des populations tout en préservant la richesse des milieux, d’un point de vue paysager et écologique. Par des interventions plus ou moins importantes, le paysagiste vise à inventer le futur de demain.

Figure 21 : Cette représentation schématique du mot « paysage » a été imaginée par un groupe d’étudiants paysagistes de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Bordeaux en 2017. L’idée était de simplifier la complexité du terme sans perdre sa richesse.

2-

a) Des projets de paysages aux allures d’utopies contemporaines

Des concepts pour changer le monde

Gilles Clément est un paysagiste et écrivain français né en 1943. Il a étudié l’horticulture puis le paysage et enseigne aujourd’hui à l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles et intervient dans d’autres formations. C’est un personnage engagé qui n’hésite pas à donner son avis en politique en soutenant le parti écologiste. En 2019, il a été jusqu’à se présenter aux élections européennes sur la liste d’Europe Ecologie Les Verts. En parallèle de son activité de concepteur, il développe des théories à partir de trois grands axes de recherche : le jardin en Mouvement, le jardin Planétaire, le TiersPaysage.

Le jardin en mouvement est un concept né de l’observation par Gilles Clément de son jardin appelé « la Vallée » (une ancienne friche agricole) dans la Creuse où il s’est installé en 1977. Son observation fine de ce jardin au fil du temps l’a conduit au constat qu’un paysage naturel n’est jamais figé. Le hasard de la nature dessine avec le temps le jardin. Bien-sûr les végétaux poussent mais ce n’est pas tout, des graines germent, et en y regardant de plus près on se rend compte que les plantes se déplacent. A partir de son constat, Gilles Clément essayera toujours de « faire le plus possible avec le moins possible contre ». Le jardin en mouvement est donc en quelques sortes un mode de gestion où le paysagiste devient le jardinier qui accompagne l’évolution du jardin que dessine la nature. Ce jardinage par soustraction va dans le sens des dynamiques écologiques sur lesquelles on intervient légèrement pour obtenir les effets esthétiques souhaités. Ce concept est en totale rupture avec la tradition horticole puisqu’on arrête de planter, on accueille les espèces qui arrivent spontanément. A l’heure où la plupart des gens et mêmes les professionnels voient des « mauvaises herbes », Gilles Clément lui voit la biodiversité.

Gilles Clément écrit son premier ouvrage La friche apprivoisée publié en 1985 dont le titre évocateur décrivait déjà le Jardin en mouvement publié en 1991 et où l’écrivain-jardinier décriera son concept. L’un des objectifs de cette théorie est d’ordre pédagogique. Gilles Clément a la volonté de faire évoluer les mentalités et de bousculer les fondamentaux de l’horticulture. Il aimerait que l’on face davantage confiance à la nature qui par le hasard des chutes de graines et des préférences pédologiques et phytosociologiques sera capable de créer des jardins où les plantes poussent dans des milieux qui les conviennent. Gilles Clément parlera plus tard du «partage de la signature » que doivent appliquer les paysagistes puisque leurs créations ne sont jamais complètement leurs si l’on considère le travail important de la nature qui ne suivra jamais les plans sans oublier le travail d’entretien des équipes de gestion. L’objectif général est de favoriser la diversité végétale et d’obtenir des espaces riches de biodiversité. Si le jardin en Mouvement est parfois décrit simplement comme une nouvelle technique

de jardinage, Gilles Clément lui-même y voit plus largement une théorie qui vise à redéfinir la place de l’homme dans la nature.

Gilles Clément n’est dans les années 1980 pas pris au sérieux par les professionnels du milieu qui le considèrent comme un illuminé écolo tellement son concept est éloigné des standards de l’époque en terme d’horticulture. Pourtant, en 1986, un jardin en mouvement est réalisé pour la première fois dans un espace public au Parc André Citroën à Paris (figure 22). Dans une partie du futur parc, la maitrise d’ouvrage publique laisse Gilles Clément adapter son concept à la réalité. Néanmoins, elle demande au paysagiste de dessiner un plan pour pouvoir visualiser à quoi cela ressemblera. Or, le jardin en Mouvement ne peut pas être dessiné puisqu’il est libre d’évoluer à l’infini au gré des hasards de la nature. Le concept n’a jamais été illustré par un quelconque schéma. Finalement, Clément acceptera de dessiner un plan. La première expérience de jardin en Mouvement public ne sera donc pas complètement conforme au concept. Mais Clément portera son jardin en Mouvement jusqu’au point d’aller lui-même former les jardiniers du parc sur le terrain.

Figure 22 : Photographie du jardin en mouvement du Parc André Citroën (Paris). (www.gillesclement.com)

D’autres jardins en mouvement ont vu le jour par la suite et ce concept en a inspiré d’autres. La gestion différenciée est apparue peu à peu en France dans les années 1990 et on peut y voir un dérivé du jardin en Mouvement puisque ce mode de gestion implique un entretien moins importants et ou moins fréquents sur certains espaces. Néanmoins, la mobilité des espèces est rarement observée avec une gestion différenciée. L’intervention de l’Homme est certes réduite mais ici les raisons peuvent être autant économiques qu’écologiques et c’est peut-être davantage pour ces raisons budgétaires que la gestion différenciée est en train de gagner de plus en plus de villes.

Le deuxième axe de recherche de Gilles Clément est le jardin Planétaire qu’il a développé pour la première fois dans Contributions à l'étude du jardin planétaire en 1995 puis dans le roman Thomas et le Voyageurpublié en 1997. Une exposition y sera consacrée en 1999 dans la grande halle de la Villette. Ce concept repose sur la finitude de la planète et le brassage planétaire. L’Homme est partout sur la Terre, la planète est un espace limité, clos. Il faut donc apprendre à gérer les ressources de cet unique jardin que se partage les jardiniers que sont l’humanité. Cette comparaison a pour but d’éveiller les consciences, que l’Homme prenne soin de sa planète comme s’il s’agissait d’un jardin. C’est en quelque sorte un projet politique d’écologie humaniste qui pose les bases d’une éthique environnementale. Ce projet n’a pas pour objectif d’être réalisé, c’est une vision d’avenir qui propose un positionnement face aux défis environnementaux du XXI ème siècle. Ce concept permet d’une certain façon de donner une échelle au jardin en Mouvement qui n’est pas simplement un exemple ou un modèle à reproduire à certains endroits, mais c’est la planète entière qui devient jardin en Mouvement. Le jardin Planétaire peut être considéré comme une critique de l’évolution de notre planète et de la société qui n’a pas pris conscience de sa responsabilité sur le devenir de la Terre.

Enfin, le Tiers-Paysage est un concept que Gilles Clément a mis au point lors d’une analyse paysagère qu’il a menée en Limousin en 2003. L’analyse a abouti à une dualité sur le territoire étudié entre paysage de production sylvicole et paysage agricole. Ces deux entités qui recouvrent entièrement ou presque le territoire ne peut pas révéler la richesse spécifique qu’il existe par ailleurs sur ce même territoire. Ce sont les espaces résiduels laissés de côté et inexploités par l’Homme comme les landes, les ripisylves, les bords de routes que Clément va appeler Tiers-Paysage en faisant référence au Tiers-Etat de l’Ancien Régime et notamment à la citation de l’Abbé Siéyès : « Qu’est-ce que le Tiers-Etat ? –Tout –Quel rôle a-t’il joué jusqu’à présent ? - Aucun –Qu’aspire-t-il à devenir ? –Quelque chose. ». Clément publie en 2004 le Manifeste du Tiers-paysage. Ce sont ces espaces abandonnés (friches, marais, bords de route, rives, talus de voies ferrées, lieux inaccessibles, etc…) qui sont pourtant les plus riches en terme de biodiversité que Clément veut valoriser. L’existence et la préservation de ces délaissés sont primordiales puisqu’il s’agit du réservoir génétique du jardin Planétaire. L’objectif est de mettre en valeur la nécessité de ces espaces auprès des décideurs locaux pour qu’ils conservent sur leurs territoires des zones d’indécisions qui participent plus qu’aucune autre à la richesse de diversité floristique et faunistique. Gilles Clément appelle tout concepteur à inclure dans ses projets une part d’espace non aménagé où la nature pourrait faire son œuvre. C’est ce qu’il a fait dans la conception du Parc Henri Matisse à Lille dans le début des années 1990. Il a profité de la présence d’un tas de déblai énorme sur le site du projet qui aurait coûté trop cher à faire évacuer pour édifier l’île Derborence (figure 23). Il s’agit d’un espace surélevé de 7 mètres de haut où la végétation se développe sans intervention humaine. Cette position d’exclure volontairement l’Homme d’une partie d’un parc public peut paraitre radicale. Si le jardin en Mouvement était une façon de redéfinir la place de l’Homme dans la nature, rendre la nature inaccessible à l’Homme va peut-être un peu trop loin pour les maitrises d’ouvrages. C’est sans doute pour cette raison que Gilles Clément n’a pour le moment jamais pu reproduire un Tiers-Paysage aussi conséquent dans un de ses projets, l’île Derborence reste une exception.

Figure 23 : Photographie de l'île Derborence au parc Matisse plusieurs années après sa réalisation (www.gillesclement.com)

Gilles Clément convaincu par une écologie humaniste a développé des concepts qui vont dans le sens de « l’âge II de l’utopie» décrite par Thierry Paquot qui explique que l’utopie n’est plus aujourd’hui « une île éloignée du monde mais un monde que l’on cherche à habiter autrement » (« UTOPIE ». Dictionnaire de la pensée écologique, PUF, 2015.). Dans ces mots, on retrouve l’idée d’un jardin Planétaire qu’il faut savoir jardiner pour vivre mieux. Dans un contexte où la préoccupation environnementale est au cœur

des préoccupations dans tous les domaines, le discours de Gilles Clément a trouvé un public. Si ses concepts peuvent paraître pour certains éloignés de la réalité, Gilles Clément est devenu un personnage dont les idées sont largement répandues dans la communauté paysagistes et enseignées dans toutes les écoles du paysage. Nous allons voir dans le cas qui suit que les concepts de Gilles Clément peuvent se combiner avec d’autres facettes du métier de paysagiste, à savoir ici : la médiation.

b) La médiation au service du lien social

De plus en plus d’agences de paysage font de la médiation leur spécialité. C’est le cas de l’atelier Coloco fondé en 1999 qui compte aujourd’hui une dizaine de paysagistes, architectes et urbanistes dans son équipe. Dans chacun de ses projets, Coloco accorde une place centrale aux habitants qui sont les premiers concernés par les réaménagements de leur environnement. Coloco voit le paysage comme un bien commun qu’il faut aménager ensemble ; en aucun cas les concepteurs ou bien les élus peuvent décider seuls des projets d’aménagement. C’est grâce à un processus pluridisciplinaire en collaboration avec les différents acteurs et une forte implication des habitants qu’un projet sera le plus abouti possible selon le manifeste de l’atelier Coloco. L’agence intervient dans le monde entier sur de multiples types de projets différents, se jouant des cloisonnements professionnels et institutionnels. Leur objectif est clair, ils ont l’ambition de « créer des lieux dont la qualité se mesure à leur capacité à accueillir la formidable diversité de la vie » (www.coloco.org). Pour y arriver, ils mettent en œuvre des ateliers participatifs dans lesquels les échanges vont permettre de faire émerger des idées, des concepts, des projets communs. La co-construction est l’outil de travail principal de Coloco. Le point de départ de chaque projet mené par l’atelier Coloco est « l’invitation à l’œuvre » qui a pour objectif d’interpeler les différents acteurs du territoires concernés.

C’est donc par une invitation à l’œuvre qu’a débuté le projet de création d’un jardin collectif dans la banlieue de Palerme. Le projet a été commandé dans un contexte particulier pour la 12 ème édition de la Biennale Manifesta qui s’est déroulée à Palerme en 2018. Manifesta est une Biennale européenne nomade qui cherche à explorer des nouveaux horizons culturels. Chaque édition propose au public de découvrir de nouvelles formes d’expression artistique. La thématique de l’édition de 2018 était « Jardin planétaire : cultiver la coexistence » qui nous rappelle le concept de Gilles Clément qui fera également partie de l’équipe pour la réalisation de ce jardin qu’il voudra en Mouvement.

C’est une parcelle délaissée au milieu du quartier de logements sociaux nommé ZEN (Zona Espansione Nord) construits dans les années 1975 qui a fait l’objet du projet. L’enjeu de celui-ci n’est pas d’ordre esthétique mais a une portée sociale. L’objectif principal est de créer du lien entre les habitants du quartier autour d’un projet commun, à long terme tout en favorisant un sentiment d’appropriation des espaces libres en encourageant les habitants à prendre soin de leur environnement, ce qui n’est pas sans nous rappeler la notion de jardin Planétaire de Gilles Clément vue précédemment. Le lieu n’est pas choisi au hasard, cette banlieue au nord de Palerme se retrouve délaissée par les pouvoirs publics qui font preuve d’une grande négligence de ce territoire. Ce projet est une critique de ce manque d’implication des décideurs envers les banlieues.

C’est un projet concret qui dans la réalité du terrain n’occupe qu’un petit peu plus de 1000 mètres carrés dans ce quartier aux 16000 habitants mais il a une visé théorique bien plus importante que sa surface par le message qu’il veut faire passer. Coloco a réussi à réunir de nombreux résidents et des associations (figure 24) pour penser et réaliser l’œuvre collective de jardin qui était la mission donner par la Biennale Manifesta. Tous ont pris part aux travaux et se sont réapproprier leur environnement. Les habitants ont pu se rencontrer et construire ensemble une œuvre collective ; les enfants, les adultes et les retraités se sont impliquer à chaque étape du projet et ont créé un jardin ouvert à la biodiversité. Depuis, le jardin évolue et les habitants continuent d’en profiter pour se réunir et échanger.

Figure 24 : Photographie au moment des travaux et photographie après travaux qui montrent l’engouement des habitants pour le jardin qu’ils ont réalisé eux-mêmes au milieu des immeubles de la ZEN de Palerme. (Instagram : @ateliercoloco)

Le projet est pensé pour un lieu en particulier puisqu’il s’appuie sur le contexte urbain et social du quartier de la ZEN de Palerme mais la démarche de projet peut être reconduite et c’est d’ailleurs un des objectifs puisque ce projet a été « exposé » lors de la Biennale Manifesta. Il y a donc bien une volonté de démocratiser ce type de méthode alternative de projet de paysages.

Il existe d’autres méthodes pour faire du projet de paysages avec les habitants. Le collectif Bruit du frigo s’estfondé en 1997 et compte aujourd’hui une dizaine de membres permanents aux profils différents : architectes, artistes, photographes, médiateurs, auxquels viennent s’ajouter des intervenant ponctuels. Cette structure qui intervient dans tout le pays se revendique comme étant inclassable, à la croisée entre un bureau d’études urbain, un collectif de création et une structure d’éducation populaire. Bruit du frigo teste les possibles et se donne les moyens d’essayer de nouvelles façons de faire la ville à travers un urbanisme laboratoire. Le collectif travaille à concevoir et à mettre en place des dispositifs de prospective urbaine sur fond d’aménagements temporaires, d’art et d’actions collectives. L’objectif principal est d’impulser de nouvelles idées de transformation urbaine qui viennent de la créativité des habitants eux-mêmes. L’implication et l’appropriation collective des habitants sur leur cadre de vie est le moyen choisi par Bruit du frigo pour réinventer des espaces communs désirables. Les projets du collectif ont tous l’ambition de proposer des alternatives à la fabrique de la ville classique. Pour se faire, l’équipe de concepteurs et de médiateurs place les citoyens au centre du processus de projet puisqu’ils sont les premiers concernés par la modification de leur cadre de vie. En impliquant davantage les habitants, Bruit du frigo souhaite réunir ceux qui vivent le lieu avec ceux qui planifient et ceux qui gèrent les espaces urbains tout en rendant le processus de projet plus conviviale. Pour y parvenir, la structure développe plusieurs activités dont des interventions artistiques dans l’espace public, des résidences d’artistes, des workshops et des ateliers d’urbanisme participatifs qui portent le nom révélateur d’Ateliers d’urbanisme utopiques. C’est ce type d’intervention qui a eu lieu en 2006 à Bordeaux dans les quartiers de Saint Michel et de Queyries. En partenariat avec les Centres Socioculturels des deux quartiers et avec le soutien financier de l’Union Européenne, de la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC), de la région, du département et de la ville de Bordeaux, Bruit du Frigo a organisé des séances de travail avec les habitants pour imaginer de nouveaux espaces communs dans leurs quartiers. Attention, il s’agit d’utopie assumée et même proclamée, l’objectif est donc que les habitants se livrent sur les rêves qu’ils font pour leurs quartiers sans aucune réserve. Le dispositif prévoit plusieurs déambulations pour repérer sur le terrain les espaces qui pourraient faire l’objet d’un aménagement nouveau puis ces sorties sont compléter par des séances de travail en atelier (figure 25). Les ateliers sont ouverts à tous et doivent permettre de faire émerger des projets fous, incroyables, poétiques, concrets ou pas du tout. La démarche est très ouverte et libre et ne contraint en rien la créativité des habitants. L’idée est que dans ces nombreuses propositions toutes différentes les unes des autres, il peut y avoir des concepts très intéressants qui pourraient par la suite intéresser les décideurs. Ce temps d’écoute où les concepteurs prennent le temps de recueillir les besoins, les envies et les rêves des habitants est la partie la plus importante du travail de cet atelier d’urbanisme utopique.

Figure 25 : A gauche, une photographie montrant les habitants à l’œuvre lors d'un atelier de travail organisé par le Bruit du frigo à Bordeaux en 2006 ; à droite, un exemplaire d’une fiche à remplir par les habitants participant à l'atelier d'urbanisme utopique pour qu’ils y écrivent leurs idées les plus folles, sérieuses, poétiques ou rigolotes. (www.bruitdufrigo.com)

Les concepteurs de l’équipe viennent ensuite mettre en image les projets imaginés par les habitants dans le cadre de cette fabrique d’imaginaires urbains (figures 26 à 28). Sous la forme de photomontages, les architectes et artistes retranscrivent visuellement les discours des citoyens sur les espaces en question. Ces images sont ensuite imprimées sur des panneaux qui seront directement accrochés à l’endroit du projet (figure 29). Ces panneaux permettent d’attirer l’attention des passants sur le devenir des espaces dans leur quartier et de montrer qu’une autre vision de la ville est possible.

Figure 26 : A gauche, photographie de l'allée Serr à Bordeaux avant-projet ; à droite : photomontage de l'allée Serr illustrant le projet imaginé par des habitants. Le projet consiste à aménager deux terrains de pétanque à l’ombre des arbres et d’installer des bancs et fontaines à eau afin de faire davantage vivre cette place. (www.bruitdufrigo.com)

Figure 27 : A gauche, photographie de la rue du Maréchal Niel à Bordeaux avant-projet ; à droite : photomontage de la rue du Maréchal Niel illustrant le projet imaginé par des habitants : un passage abandonné transformé en terrain de sports. (www.bruitdufrigo.com)

Figure 28 : A gauche, photographie de l’espace sous la flèche Saint Michel à Bordeaux avant-projet ; à droite : photomontage de l’espace sous la flèche Saint Michel transformé en air de jeux avec balançoires imaginé par des habitants. (www.bruitdufrigo.com)

Figure 29 : Photographie des habitants qui viennent eux-mêmes installer le panneau du projet qui s’inspire de la forme d'un panneau d'affiche obligatoire d'un permis de construire. (www.bruitdufrigo.com)

Grâce à ce type de démarche, les citoyens se sentent plus concernés par la transformation de leur cadre de vie et ils peuvent réellement s’impliquer dans le devenir de leur quartier et ainsi faire valoir leurs propres intérêts. Un des objectifs est également de montrer que tout est possible, que les citoyens sont écoutés, encore faut-il que les élus donnent suite à ces graines de projets directement issues de leur électorat. En ce qui concerne cette étude sur deux quartiers à Bordeaux, aucune suite concrète n’a été donnée aux projets imaginés par les habitants. On peut imaginer que le coût du foncier en centreville de Bordeaux donne davantage de poids à des projets immobiliers par exemple. Pourtant, les espaces concernés sont souvent des lieux dépourvus d’usages, délaissés par l’urbanisation, des lieux où justement tout est encore possible.

On remarque que la quasi-totalité des projets imaginés par les habitants porte sur la créations d’espaces où il est possible de se réunir, de partager ensemble des moments, de faire des rencontres, de faire du sport, de rire, etc… Ce sont des images à la connotation très positive qui ressortent de ce travail et c’est ce sens du positif, de l’optimisme qui fait aussi partie des caractéristiques de l’utopie. Les ateliers

d’urbanisme utopique mettent également en avant la création de lien social à travers des projets imaginés pour et par la communauté. La démarche de projet elle-même est vecteur de lien social grâce à ces déambulations et ateliers de travail collectifs.

Cette démarche participative a été conduite par le Bruit du frigo à plusieurs reprises dans plusieurs villes (notamment dans l’agglomération nantaise), c’est donc une méthode qui peut être répétée sans difficultés même si elle n’a pas été créée pour servir de modèle. Les ateliers d’urbanisme utopique semblent faire une critique de la non-prise en compte ou de la fausse prise en compte des habitants dans des projets concernant leur cadre de vie. On est ici loin de la simple consultation publique d’avantprojet, c’est un travail réalisé bien en amont qui cherche à faire remonter les idées de projets directement du terrain. Le travail de conception et d’animation de cette démarche de concertation réalisé par le Bruit du frigo est un projet de paysage à part entière puisqu’on vient questionner le paysage du quotidien auprès des premiers concernés. Etonnamment, cette démarche utopique revendiquée n’attire pas les paysagiste puisqu’aucun n’est représenter dans l’équipe de Bruit du frigo ni dans leurs proches collaborateurs.

c) La prospective par la représentation graphique

Nous allons maintenant nous intéresser à la question de la représentation. La première chose qui nous vient à l’esprit quand on associe les mots « utopie » et « paysage » ce sont des dessins aux allures futuristes qui représentent des villes qui ne ressemblent pas à celles que nous connaissons. L’auteur s’est lui-même essayé à ce type de représentation (annexe 2) mais on a tous forcément en tête le Paris 2050 de l’architecte Vincent Callebaut qui a dessiné en 2015 des perspectives où des tours végétales ont envahi le paysage de la capitale (figure 30). Cette série de représentation faisait suite à la commande de la mairie de Paris qui a lancé le Plan Climat Energie dont le but est de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 75% d’ici 2050. L’équipe de Vincent Callebaut a donc mené un travail de réflexion et de recherche sur l’intégration d’Immeubles de Grandes Hauteurs à énergie positive (BEPOS) dans Paris. C’est une réponse technique à une demande concrète de la maitrise d’ouvrage. Finalement, ces images que l’on associait à première vue à de l’utopie n’en est pas.

Le travail de Luc Schuiten est différent. Cet architecte et scénariste de bande dessinée (en collaboration avec son frère dessinateur François Schuiten) est né en 1944 à Bruxelles. Il a construit des maisons, des immeubles et toute autre architecture mais depuis plus de 40 ans, il imagine des cités végétales. Il a toujours été attiré par le vivant et plus particulièrement par le végétal. Ses premières réalisations étaient des maisons isolées dans des paysages forestiers et tendaient à créer une harmonie entre l’Homme et la nature. Avec le temps, il a compris que le véritable enjeux se situait dans les villes, là où il y a le plus d’hommes et le moins de végétal. Il est passionné par l’archiborescence, tout son travail est inspiré par les formes organiques du végétal et c’est pour cela qu’il a nommé ses créations les Cités archiborescentes (néologisme construit avec « architecture » et « arborescence » pour désigner l’architecture qui trouve son inspiration dans les formes du vivant).

Figure 30 : Perspective futuriste de la ville de Paris en 2050 par l'architecte Vincent Callebaut. La mise en page de la présentation reprend les codes de l’univers de science-fiction. (www.vincent.callebaut.org)

Ces villes imaginaires qu’il s’amuse à dessiner (figures 31 à 33) sont des villes où la matière première des constructions est le vivant et dont les formes sont directement inspirées de la nature. Dans ces univers biomimétiques, les arbres servent de structures aux immeubles, des coquillages sont utilisés pour fabriquer du biobéton et les vitres sont fabriquées à partir d’insectes. L’architecte espère qu’à partir de son imaginaire débridé qu’il s’efforce à représenter, il peut y avoir une part de vérité. Grâce au dessin, les idées peuvent se rapprocher de la réalité. C’est ce moyen qu’à trouver Luc Schuiten pour communiquer son regard du monde qui l’entoure et ses idées pour l’avenir. Son travail est une critique de la ville d’aujourd’hui, la ville morte où la vie n’est représentée que par la présence de l’Homme ou presque. Sa cité archiborescente est quant à elle bien vivante et elle tente de faire réfléchir son spectateur, de le questionner sur les besoins fondamentaux de l’être humain. Schuiten dénonce un système qui selon lui n’est en aucun cas durable et qui court vers la catastrophe. C’est pour cela qu’il propose une alternative.

Figure 31 : Dessin panoramique de la cité des vagues par Luc Schuiten (www.vegetalcity.net)

Figure 32 : Dessin de la cité des habitarbres par Luc Schuiten (www.vegetalcity.net)

Figure 33 : Dessin panoramique de la cité lotus par Luc Schuiten (www.vegetalcity.net)

Le travail de Luc Schuiten qui prend la forme de dessins, souvent des panoramas, tracés au crayon et colorés par l’aquarelle n’est pas seulement dédié à la représentation de villes imaginaires. L’architecte est également amené à dessiner des villes existantes transformées par ses concepts de biomimétismes (figure 34 à 36) : Bruxelles, Strasbourg, Nantes, Lyon, Genève, etc… Luc Schuiten a dessiné un avenir différent à ces villes en prenant en compte la réalité de leurs paysages. Il a imaginé qu’après s’être obstinées dans un développement urbains toujours plus minérale, les villes avaient réussi à changer de direction et s’étaient souvenues de ses ruisseaux, de ses vallées, de ses étangs pour finalement recréer une qualité de vie dans ces milieux urbains. Par cet exercice, l’architecte essaye d’injecter de l’utopie dans le monde réel dans le but de le faire douter de lui-même, et de montrer qu’un autre monde est possible.

Figure 34 : Dessin de Bruxelles en 2100 par Luc Schuiten, originaire de la ville. (www.vegetalcity.net)

Figure 35 : Dessin de Lyon en 2100 par Luc Schuiten invité par le musée des Confluences à réfléchir sur le devenir de la ville. (www.vegetalcity.net)

Figure 36 : Dessin de Nantes en 2100 par Luc Schuiten commandé par le festival de cinéma de science-fiction Utopiales de Nantes en 2007. (www.vegetalcity.net)

Toute l’œuvre de Luc Schuiten a pour objectif de convaincre les politiques et les industriels. Il dessine simplement, sans se poser les questions de faisabilités, de normes, de budgets, le monde dans lequel il aimerait vivre. Il espère que son travail permet d’encourager ceux qui ont le pouvoir de mettre en place de telles réalisations. Il ne répond pas à la question qu’il juge idiote du « comment ça marche ? », pour lui le progrès et le temps vont permettre de trouver des solutions techniques. Son rôle se limite à comme il le dit lui-même : « donner de la force à l’imagination » en montrant que d’autres chemins sont possibles grâce au dessin. L’architecte compte sur la collaboration avec d’autres concepteurs, ingénieurs, artistes ou simples citoyens pour faire avancer la réflexion dans ce domaine. C’est pour cela qu’il a cofondé en 2010 l’association Biomimicry Europa qui a pour objectif de promouvoir le biomimétisme 3 à travers l’Europe et d’encourager la recherche dans ce domaine.

Aucune cité archiborescente n’a vu le jour, et ce n’est pas l’objectif de Luc Schuiten qui sait pertinemment que jamais ce qu’il dessine ne sera réalisée tel quel. Mais pour rapprocher davantage son travail à la réalité, il a construit une micro cité végétale (figure 37) sur le site de land art d’Arte Sella en Italie où il a été invité à créer une œuvre vivante en 2012. Cet échantillon de cité végétale se compose de plusieurs tipis végétaux dont la structure est formée par des bouleaux et des sorbiers. Cette création permet au concept de mettre un pied dans le réel.

Figure 37 : Photographies de la micro cité végétale imaginée par Luc Schuiten pour Arte Sella en Italie en 2012. (www.vegetalcity.net)

Luc Schuiten s’est lancé dans cet univers par initiative personnelle. Aujourd’hui, des élus ou des organisations font appel à ses services pour dessiner leur ville du futur. Son œuvre fait régulièrement l’objet d’exposition comme à Metz en 2017 dans le jardin botanique (figure 38). L’architecte est également invité à s’exprimer lors de conférences sur les thèmes de la ville du futur ou du biomimétisme.

La démarche de Luc Schuiten rejoint, comme celle de Gilles Clément, le point de vue de Thierry Paquot sur l’utopie : il s’agit bien de trouver des solutions pour habiter la planète différemment, dans l’objectif d’équilibrer le rapport Homme / Nature et donc d’améliorer l’habitabilité de la Terre.

Figure 38 : Photographie de l'exposition des travaux de Luc Schuiten dans le jardin botanique de Metz en 2017. (www.vegetalcity.net)

3 Le biomimétisme est une démarche d’innovation durable qui consiste à transférer et à adapter à l’espèce humaine les solutions déjà élaborées par la nature (www.larousse.fr)

3- Des grandes et des petites utopies au service du progrès

L’étude de ces cas montre qu’il y a ici deux grands types d’utopie dans le projet de paysages : il y a l’utopie portée par un personnage charismatique comme Gilles Clément ou Luc Schuiten ; et il y a l’utopie portée par un collectif comme l’Atelier Coloco ou le Bruit du frigo. Les utopies portées par un seul personnage sont ici des grandes utopies qui ont pour ambition de changer le système dans lequel on vit, voire de changer le monde. L’objectif est de répandre leurs idées au plus grand nombre et d’encourager les citoyens à appliquer leurs méthodes. Gilles Clément avec le jardin Planétaire demande à chacun de devenir jardinier du jardin terrestre. Il encourage par ailleurs les concepteurs à introduire dans chacun de leurs projets des espaces délaissés pour fabriquer des Tiers Paysage. Il y a donc une volonté derrière ces concepts de les faire appliquer à d’autres projets, que d’autres concepteurs s’en saisissent. Ces grandes utopies naissent d’initiatives personnelles, c’est Luc Schuiten par lui-même qui a commencé à dessiner des cités végétales, de la même façon personne n’a passé commande à Gille Clément pour qu’il décrive ses théories dans des livres. Ces utopies se sont développées dans un contexte de crise environnementale où l’Homme a sa part de responsabilité mais continue à exploiter les ressources de la planète dans un système où la croissance économique est le seul mot d’ordre. Les travaux de Gilles Clément et Luc Schuiten sont évidemment une critique du système dans lequel on vit et dénonce notamment la non prise en compte de l’environnement dans celui-ci.

Les utopies collectives donnent la parole aux acteurs locaux et aux citoyens. Les méthodes de travail proposées par les collectifs (Atelier Coloco et Bruit du frigo) visent à faire émerger l’utopie en donnant le pouvoir aux habitants. Les collectifs qui vont à la rencontrent des habitants pour leur donner la parole et le pouvoir d’agir s’opposent à l’utopie telle qu’on a pu la décrire dans la première partie, on est loin ici de l’homme puissant qui va imposer son idéal à toute une partie de la société. Le travail collectif est un moyen d’en finir avec le côté sombre de l’utopie. Les collectifs cherchent à rendre le monde meilleur pour et avec la société et ils ne s’attachent pas à remettre en cause tout le système mais par des petites actions, permettent aux habitants de mieux vivre, de se réapproprier leurs espaces communs et ainsi retrouver du lien social dans des environnements où il n’existe plus de dialogue entre voisins. Ce sont des petites utopies, qui prennent davantage en compte le territoire réel, le paysage du quotidien, et qui petit à petit, atelier après atelier, cherchent également à améliorer le monde, peut-être de façon plus modeste que le premier type d’utopie. Si les collectifs répondent ici à des commandes, ils travaillent en y amenant leur méthode de travail bien à eux, c’est-à-dire les ateliers participatifs où la parole et l’action habitante sont les clefs du projet. Les travaux de ces deux collectifs peuvent être considérés comme une réponse à un manque de lien social dans les villes, une préoccupation qui était déjà présente dans certaines des utopies du XIX ème et XX ème siècle. D’autre part, ces utopies viennent critiquer un mode de développement de la ville qui repose davantage sur les décisions d’une poignée d’hommes au détriment des premiers concernés que sont les habitants. Les ateliers mis en place par l’atelier Coloco ou le Bruit du frigo vont bien plus loin que les simples consultations publiques qui bien souvent ne sont organisées que dans le but de faire approuver des projets déjà décidés.

Les projets que nous avons étudiés ne sont pas ordinaires jusque dans leurs façons d’être mis en œuvre ou diffusés : livres, expositions, biennale, conférence, ateliers participatifs. Et s’ils ont tous des particularités différentes, on peut néanmoins observer que la préoccupation environnementale est une notion transversale dans ces projets Elle est très claire dans les travaux de Gilles Clément et de Luc Schuiten, mais elle est aussi présente chez Coloco qui applique les concepts de Gilles Clément dans ses réalisations. D’ailleurs, les collaborations fréquentes entre Gilles Clément et l’Atelier Coloco nous permettent de nous demander si les utopistes ne s’attirent pas entre eux… En revanche, dans les objectifs du Bruit du frigo, rien n’exprime une volonté particulière d’aller dans le sens de l’écologie. Cette absence est peut-être due au fait qu’aucun paysagiste ne fasse partie de l’équipe… En effet, parmi les concepteurs étudiés, seuls Gilles Clément et l’atelier Coloco sont paysagistes. Comme on vient de l’écrire, le Bruit du frigo n’a pas de paysagiste dans son collectif et Luc Schuiten quant à lui est architecte de formation bien qu’il mette le végétal au centre de son travail. Les paysagistes, contrairement à Bruit du frigo et Luc Schuiten, n’évoquent jamais l’utopie dans leur discours. Il a fallu faire ressortir de leurs projets une utopie implicite là où chez Bruit du Frigo et Luc Schuiten elle était clairement explicite. Même si la recherche menée a permis de mettre en lumière l’utopie dans les travaux de Gilles Clément et de l’atelier Coloco, ceux-ci ne se réclament pas comme étant des utopistes.

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