Le changement crée des opportunités

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Quarterly

PERSPECTIVES ON BANKING

Le changement crée des opportunités Entreprendre dans un monde en évolution constante Une initiative de BNP Paribas Fortis en collaboration avec Echo Connect


4 Le changement à l’ère de l’entreprise agile

6 Quel regard portez-vous sur le changement?

8 Débat: ‘Toute entreprise se doit de remettre en cause son modèle économique’

26 Herman Daems: ‘Le timing est crucial’

16 Du Web aux magasins ‘physiques’

Ours Une initiative de BNP Paribas Fortis en collaboration avec Echo Connect. Coordination : Veronique Soetaert Lay-out : Christine Dubois, Björn De Greef Photos : Frank Toussaint E.R. : WalterTorfs, rue des Sols 2, 1000 Bruxelles

Echo Connect offre aux entreprises, organisations et organismes publics l’accès au réseau de L’Echo, pour partager leur vision, CONNECT leurs idées et leurs solutions avec la communauté de L’Echo. Le partenaire impliqué est responsable du contenu.


Steven Van Belleghem et Peter De Keyzer: ’La technologie aide la société à aller de l’avant’

Luc de Brabandere, Fellow du Boston Consulting Group

B NQ B NQ est une plateforme de contenu de cross médias consacrée à la banque socialement responsable et moderne. Au travers de la diffusion d’informations, B NQ entend ouvrir le débat et le dialogue sur la base de récits remarquables, innovants et concrets. Ce magazine a été publié le 18 décembre 2015 www.lecho.be/bnq

édito

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Toute démarche de changement repose sur deux piliers: la créativité et l’innovation. Mon métier consiste à distinguer les deux, et j’incite entrepreneurs et managers à faire de même. Si l’on se réfère aux travaux de l’école dite de “Palo Alto”, le changement est double, opérant à la fois dans la réalité et dans la perception. Le changement de type 1 se produit à l’intérieur d’un système qui reste le même. Ses éléments sont modifiés, mais pas ses règles de fonctionnement. Le système dispose de mécanismes de rétroaction qui le protègent, voire le renforcent, et le ramènent à l’équilibre. En revanche, le changement de type 2 en arrive à modifier les règles de transformation du système. Il passe nécessairement par une illumination soudaine et par une nouvelle représentation de la réalité. Un exemple? Quand deux entreprises fusionnent, il faut construire un seul système comptable, imaginer une architecture informatique unique, etc.; c’est un changement de type 1. Mais tant que les membres du personnel se voient comme des anciens de A ou de B, la nouvelle entité C n’existe tout simplement pas, parce qu’il n’y a pas eu de changement de type 2. Le message de Palo Alto est clair: seule une nouvelle perception peut rendre durable le changement des choses. D’où la conclusion: changer, c’est changer deux fois. Dans le cas particulier des idées nouvelles, cette recommandation permet de bien distinguer les deux mécaniques au coeur de l’invention. La créativité est donc bien de type 2, l’innovation de type 1. La première veut changer la perception, la deuxième la réalité. Les deux démarches sont bien distinctes, même si créativité et innovation ont quelques points communs importants. Ni l’une ni l’autre ne doivent être limitées à la technologie - un nouveau type de formulaire est parfois plus efficace qu’un nouveau composant électronique! Un climat propice est indispensable à la créativité, mais pour garantir l’innovation permanente dans l’entreprise, il faut une véritable charte. Elle précisera, par exemple, le pourcentage de temps que le personnel peut passer sur ses propres projets, un montant annuel de capital-risque interne, etc. Bien construite, une telle charte peut entraîner une rupture culturelle étonnante, grâce à laquelle innover devient le centre de gravité de toute l’organisation. La créativité est l’étincelle, l’innovation le mélange gazeux. La première est le fait d’un instant, la deuxième se réalise dans le temps. C’est toute la différence entre l’inspiration et la transpiration, entre la trouvaille et le travail.


Le changement à l’ère de l’entreprise agile

Alain Vas © Olivier Polet


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Votre entreprise opère-t-elle dans un environnement VUCA – acronyme en anglais de volatile, incertain, complexe et ambigu? C’est plus que probable. Un tel contexte nécessite de cultiver une forte capacité d’adaptation. L’approche “systémique” peut s’avérer très utile.

otre mode de pensée cartésien habituel est utile face à des situations compliquées (difficiles à comprendre, à exécuter), mais s’avère inadapté aux situations complexes (composées de plusieurs éléments imbriqués). La gestion du changement en entreprise est souvent dominée par des méthodes analytiques, fragmentées, dotées d’un fonctionnement en silos: projets technologiques, projets RH, projets commerciaux, etc. Il est nécessaire d’introduire de la pluridisciplinarité et du décloisonnement intellectuel. Pour cela, nous prônons une approche “systémique”. Son principe? Fonder les actions sur des problèmes ouverts et interdépendants au sein de systèmes sociaux. Elle est adaptée aux problèmes complexes, subissant l’influence de nombreux facteurs interdépendants, pouvant évoluer de multiples façons et être résolus de plusieurs manières.

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Les travaux menés au sein du CRECIS de la Louvain School of Management (UCL) ont mis en évidence quatre conditions favorisant la capacité à changer des organisations: Identifier les besoins de changer. Pour se mobiliser, chacun doit être convaincu que le statu quo est impossible. Pour cela, un diagnostic partagé de l’environnement concurrentiel et du fonctionnement interne est indispensable. On peut dans ce but recourir à la méthode des scenarii (réfléchir à ce qui pourrait advenir dans le secteur dans les 10 ans), ou faire témoigner des intervenants extérieurs (clients, fournisseurs). Construire une vision partagée et des objectifs “smart”. Il s’agit là de co-construire une description de l’avenir visé, en étant ambitieux, réaliste et souple. L’essentiel? Répondre à la question: “Vers quoi se dirige-t-on?”. Cette vision partagée doit se décliner en objectifs “smart” (Simples, Mesurables, Ambitieux, Réalistes et Temporels). Mobiliser des agents de changement complémentaires. Aucun manager ne rassemble, à lui seul, les ressources nécessaires pour mener à bien le changement de façon systémique. Il faut former des agents de changement à tous les niveaux de l’organisation, regroupant un ensemble de compétences complémentaires (pouvoir, expertise et leadership).

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Élaborer une stratégie de changement multiniveaux. La capacité à changer se construit au niveau des individus, des groupes et de l’organisation. Les managers doivent recourir à une approche individuelle, tout en veillant à faire évoluer les normes de groupe lorsque cela s’avère nécessaire. La culture d’entreprise doit, quant à elle, introduire le changement et la confiance dans ses hypothèses fondamentales, ses routines et ses artefacts. À ces quatre points, on pourrait en ajouter un cinquième: la nécessité de célébrer les premiers succès concrets. Pour que l’immobilisme devienne impossible, célébrez ces “quick wins”, directement liés aux changements, et reposant sur des indicateurs mesurant les progrès réalisés. En résumé, l’approche systémique permet d’appréhender la complexité sans s’y perdre, de mettre l’accent sur les résultats attendus plutôt que sur les problèmes. Elle s’efforce, en outre, de ne pas porter de jugement sur les acteurs impliqués. C’est pourquoi je suis convaincu qu’elle ouvre une voie prometteuse d’amélioration de la capacité à changer au cœur des organisations agiles. Alain Vas, Professeur de stratégie et gestion du changement Louvain School of Management Université catholique de Louvain

IL EST NÉCESSAIRE D’INTRODUIRE DE LA PLURIDISCIPLINARITÉ ET DU DÉCLOISONNEMENT INTELLECTUEL.

Alain Vas


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Quel regard portez-vous sur le changement? En novembre 2015, le bureau de recherche InSites a sondé des dirigeants d’entreprises, administrateurs, cadres supérieurs et moyens sur leur vision du changement. Voici un aperçu des résultats.

Le plus grand défi est le talent En faire plus avec moins de budget Lorsqu’on les interroge sur leurs objectifs concrets pour 2016, près d’un quart des participants à l’enquête répondent qu’ils vont surtout économiser: en faire davantage avec moins de budget. La numérisation et la réaction aux changements des clients et des marchés arrivent en deuxième position. Pourtant, la numérisation n’arrive qu’à la dixième place dans la liste des principaux défis. L’un des moyens de conserver les collaborateurs dans l’entreprise consiste à développer une culture d’entreprise ouverte, motivante. Or, cette proposition n’apparaît qu’en quatrième position dans le classement des objectifs pour 2016. Il semble donc que de nombreuses entreprises ne comptent pas s’attaquer à leur plus grand défi dans l’immédiat.

Attirer le talent et conserver des collaborateurs compétents demeure le principal défi des entreprises belges pour les trois à cinq années à venir. L’évolution des attentes et le comportement du client et du marché recueillent également des scores élevés. À court terme, on peut ajouter la pression croissante sur les prix et la réduction des budgets. Autre défi majeur, bien que moins urgent pour les entrepreneurs belges: l’effondrement des barrières entre les secteurs, avec la concurrence de nouveaux acteurs venant de l’extérieur.

L’État doit changer Près de trois quarts des personnes interrogées trouvent que la Belgique doit changer fondamentalement pour pouvoir mieux appréhender le changement. Elles pensent surtout à une baisse de la pression fiscale, à une simplification de la réglementation et à une flexibilisation du marché de l’emploi. Notre pays ne fournit pas un encadrement suffisant pour plus de la moitié des personnes interrogées.

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Le plan d’action est prêt Trois quarts des dirigeants d’entreprises interrogés disposent d’un plan d’action concret pour s’adapter au changement. Quelque 63% des participants à l’enquête pensent qu’ils sont suffisamment armés contre la transformation. En Wallonie, ils ne sont cependant que 49% à répondre positivement à cette question. Et moins de la moitié des dirigeants d’entreprises belges estiment que le changement est inscrit dans l’ADN de leur entreprise.


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“Changer!”

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Clients satisfaits, bénéfices comptés Comment mesurez-vous le succès d’un changement? La satisfaction des clients arrive en tête, juste devant la rentabilité. Laquelle décroche cependant la première position si nous ne nous intéressons qu’aux fonctions dirigeantes. En Wallonie, 45% des personnes interrogées accordent de l’importance aux critères de réputation. Sur l’ensemble de la Belgique, ce n’est le cas que de 21% des participants. La diversification des produits et services, la croissance et la satisfaction des collaborateurs complètent le Top 5. Ce dernier aspect – pourtant un facteur-clé pour la réussite d’un changement – n’apparaît qu’en quatrième position, avec 57%.

hanger! Le slogan fait mouche. Prononcez ce verbe avec enthousiasme et voyez les regards s’allumer. Voici, dans l’histoire politique récente, l’expression qui a rencontré le plus vif succès. Ces dernières années, tous les vainqueurs d’élections ont utilisé ce vocable. Transformez-le à l’impératif et voyez la peur s’insinuer chez vos interlocuteurs. “Changez!” éveille des idées de contrainte, de malaise et d’abandon forcé du monde familier. C’est le paradoxe. Collectivement, nous voulons le changement; individuellement, nous préférons le statu quo. C’est le cas des chefs d’entreprises et des travailleurs, des citoyens et des dirigeants politiques. L’opposition entre “Changer!” et “Changez!” a été admirablement résumée par l’économiste autrichien Joseph Schumpeter lorsqu’il évoque la “destruction créatrice”. Selon lui, c’est précisément cette “tempête perpétuelle de destruction créatrice” qui explique le dynamisme d’une économie de marché. Des entreprises, des professions et des activités disparaissent au profit d’entreprises, de professions et d’activités nouvelles. Ce processus continu de progrès trouve son origine dans le changement ininterrompu. Aujourd’hui aussi, nous remarquons que les forces du changement s’abattent sur notre économie, nos entreprises et nos métiers. Des firmes mastodontes sont de plus en plus concurrencées par de nouvelles sociétés et autres start-ups en croissance rapide. Les plus petites entreprises peuvent désormais s’attaquer à des valeurs établies. Il n’a jamais été aussi aisé d’entreprendre et de concurrencer. On en aurait presque l’impression que les possibilités de changer sont partout, à portée de main. La tempête de la destruction créatrice souffle également dans la globalisation de l’économie mondiale. Des nations que nous qualifiions encore de “pays en voie de développement” voici une génération fabriquent aujourd’hui des quantités croissantes de produits dont la qualité s’améliore sans cesse. Souvent aux dépens d’entreprises occidentales établies et d’emplois occidentaux. Simultanément, les plus pauvres comme les plus riches de la planète ont accès à des produits et services du monde entier. Des camions allemands en Chine ou des T-shirts chinois en Allemagne… On détruit et on crée à un rythme effréné – collectivement, le monde n’en est devenu que plus riche. Collectivement, nous voulons tous la création de nouvelles entreprises, opportunités et sources de prospérité. Individuellement, la destruction qui accompagne cette création fait frémir. Pourtant, création et destruction sont le yin et le yang de l’augmentation de la prospérité et des opportunités ouvertes à tous. Mais seuls ceux qui sont le plus à même de traverser cette tempête de changement réussiront.

Le succès est déterminé par les travailleurs En matière de changement, le succès est surtout déterminé par des travailleurs motivés et compétents. C’est du moins ce que pensent la moitié des personnes interrogées. L’expertise est également importante, parallèlement à une bonne connaissance du marché et du client. Malgré l’importance qu’attachent les entreprises belges aux clients et aux travailleurs, un quart d’entre elles seulement considèrent que le dialogue entre ces deux parties constitue un facteur de succès important. Le financement n’est un facteur-clé de réussite que pour 13% d’entre elles. Enfin, à peine 7% des personnes interrogées trouvent que l’éthique est un facteur de succès significatif.

Le changement est inévitable Le changement est un processus continu: les répondants sont presque unanimes sur ce point. La moitié des entrepreneurs belges considèrent que le changement est toujours disruptif – c’est même le cas de 80% des entrepreneurs wallons. Et la moitié seulement des entrepreneurs et managers interrogés estiment qu’un changement graduel, incrémental, permet d’éviter la disruption.

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Peter De Keyzer, économiste en chef de BNP Paribas Fortis


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“Toute entreprise se doit de remettre en cause son modèle économique” Plus que jamais, les entreprises doivent se réinventer pour se développer et survivre. Comment mener à bien cette transformation? Cinq spécialistes en abordent les facteurs de réussite.

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ucune entreprise n’échappe aux retombées d’une économie en pleine mutation. Multinationales et PME sont confrontées au défi immense de se réinventer. Et ce défi dépasse largement le développement de nouveaux produits ou services. Revoir son modèle économique, explorer de nouveaux canaux de vente, élaborer une politique de personnel flexible: telle est la transformation totale exigée. “De nombreuses entreprises, lorsqu’elles envisagent l’avenir, entrevoient surtout les risques. Elles commettent là une grave erreur, et cette projection négative est un risque en soi. Car l’avenir déborde de nouvelles possibilités.” Voici un simple extrait du regard que portent

cinq experts sur la “nouvelle économie”, chacun à partir de sa spécialité propre: Bart Buysse (directeur général de la FEB), Herman Daems (président de BNP Paribas Fortis), Marion Debruyne (rectrice de la Vlerick Business School), Alexander De Croo (vice-Premier ministre et ministre fédéral de l’Agenda numérique) et Olivier Witmeur (professeur à la Solvay Business School). Les entreprises font-elles face à de plus grands défis qu’il y a 20 ans, par exemple? Herman Daems: “Ce n’est naturellement pas la première fois que les entreprises belges sont confrontées à un processus de transformation qui les touche au plus profond. Après la naissance de l’Espace économique européen en 1992, les entreprises ont dû trouver leur voie sur le marché unique. Ce défi, très concret, concernait toutes les entreprises. Il en allait autrement dans les années 80, où, après deux crises pétrolières, plusieurs industries – telles que les chantiers navals et les industries sidérurgique, textile et du verre – ont été rayées de la carte. Cette période est comparable à celle que nous traversons aujourd’hui. Comme à l’époque, il est impossible de réduire le changement à un seul


Marion Debruyne (Vlerick Business School), Herman Daems (BNP Paribas Fortis), Bart Buysse (FEB), Olivier Witmeur (Solvay Business School) et le ministre Alexander De Croo.

mot: il englobe non seulement la numérisation et de nouveaux modèles d’affaires, mais aussi une nouvelle attitude des collaborateurs. Cette fois, cependant, le processus de changement ne concerne pas une poignée de secteurs mais l’ensemble de l’économie. C’est ce qui fait toute la complexité de la situation actuelle pour les chefs d’entreprises.” Marion Debruyne: “Il n’y a jamais eu autant de moyens de communication, et leur vitesse dépasse tout ce que nous avons connu, ce qui a donné naissance à une foule de nouveaux modèles d’affaires. Aucun patron ne peut se permettre de ne pas réfléchir à l’impact de la numérisation sur son entreprise. Or, cette évolution est extrêmement rapide. Netflix, l’une des figures de proue de la nouvelle économie, en est à son cinquième modèle d’affaires en près de 20 ans. Cela en dit long sur la vitesse du changement aujourd’hui.”

AUCUN PATRON NE PEUT SE PERMETTRE DE NE PAS RÉFLÉCHIR À L’IMPACT DE LA NUMÉRISATION SUR SON ENTREPRISE.

Toutes les entreprises sont-elles suffisamment conscientes des transformations qu’elles doivent affronter? Olivier Witmeur: “L’e-commerce représente un changement d’envergure et pourtant, les deux tiers des détaillants ne bougent pas. Et ils sont encore protégés par la législation. Voyez les >

Marion Debruyne, Vlerick Business School

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Herman Daems

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pharmaciens, qui se cachent derrière la déontologie et l’éthique pour ne pas lancer d’initiative novatrice. Cela ne peut pas durer. Tôt ou tard, un grand acteur étranger bouleversera d’un coup l’ensemble du secteur.” Alexander De Croo: “On observe trop de réactions défensives, à tous les niveaux. Je parlais l’an dernier à des capitaines d’industrie selon qui l’e-commerce n’était qu’une mode passagère. Heureusement, les organisations patronales ont entre-temps changé leur fusil d’épaule, même si le constat n’en reste pas moins inquiétant. En outre, je dois sans cesse dissiper les craintes de ceux qui semblent convaincus que le progrès technologique coûtera de nombreux emplois. Ces cinq dernières années, la technologie n’a fait que remplacer des postes abrutissants et risqués par des emplois sûrs et stimulants. Ignorer le changement ou s’y opposer n’a aucun sens. Nous devons y être ouverts, au contraire, et réfléchir aux compétences qui seront nécessaires dans quinze ans.” Herman Daems: “Un processus de changement doit toujours vaincre une résistance, c’est naturel. Le public voit aussi de grandes entreprises supposées indestructibles se retrouver dans la tourmente. Kodak en est l’exemple parfait. Personne n’aurait imaginé que cette société, qui faisait la pluie et le beau temps dans son secteur, coulerait aussi rapidement. Cela angoisse les consommateurs. Les pouvoirs publics peuvent dissiper cette crainte en créant un climat de confiance. Comment? En affirmant clairement que de grandes entreprises peuvent connaître des problèmes, mais qu’elles seront toujours remplacées par de nouvelles entreprises. Une meilleure compréhension de ce processus peut réduire la résistance au changement.” Olivier Witmeur: “Au niveau macroéconomique, le remplacement d’une entreprise par une autre n’a rien de grave. Ce qui compte, c’est de recréer sans cesse des emplois et d’exploiter pleinement le potentiel de notre économie.”

Pourquoi certaines entreprises parviennent-elles à se réinventer complètement alors que d’autres en sont manifestement incapables? Herman Daems: “L’un des grands problèmes, en matière de processus de changement, est

Marion Debruyne

que le secteur dans lequel vous êtes actif à l’instant T tourne encore très bien. Vous savez que cela prendra fin un jour, mais pas précisément quand. Le chef d’entreprise ou manager est donc confronté à un grand dilemme: quand faut-il tuer la poule aux œufs d’or et passer à quelque chose de neuf? La question du calendrier est cruciale. Ceux qui entament une transition trop tôt n’ont plus d’argent lorsqu’ils en ont besoin. Et ceux qui attendent trop longtemps ratent le train et doivent courir derrière la concurrence.” Bart Buysse: “Dans notre pays, ce processus est encore aggravé par une réglementation trop stricte en matière de protection contre les licenciements. Selon l’OCDE, la Belgique affiche l’un des cadres juridiques les plus rigides du monde en matière de restructuration. Cela pose un problème. Plus que jamais, les entreprises doivent s’adapter, ce qui exige parfois une restructuration en profondeur. Bien entendu, celle-ci ne peut s’effectuer n’importe comment, et les travailleurs doivent bénéficier d’une protection

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Olivier Witmeur

LA TECHNOLOGIE N’A FAIT QUE REMPLACER DES POSTES ABRUTISSANTS ET RISQUÉS PAR DES EMPLOIS SÛRS ET STIMULANTS. Alexander De Croo, ministre de l’Agenda numérique

suffisante. Mais l’objectif de cette réglementation ne peut être d’obliger les entreprises à y réfléchir à deux fois avant de mettre en œuvre une restructuration nécessaire. Car il faut opérer une restructuration lorsque les choses vont bien, pas quand on est au bord du précipice.” Alexander De Croo: “L’objectif est-il de maintenir une entreprise en vie coûte que coûte? Pour moi, il s’agit surtout de préserver les emplois. Aujourd’hui, les entreprises sont beaucoup moins structurées de manière hiérarchique et font souvent appel à des partenaires externes. Nous ne rencontrons plus des structures d’entreprise proprement dites mais des écosystèmes qui nourrissent l’innovation. Plutôt que le nom d’une entreprise, l’important est ce qu’il advient des personnes et de la technologie qui composent cet écosystème.” Marion Debruyne: “Par ailleurs, le travailleur doit accepter qu’une entreprise évolue sans cesse et voie ses besoins changer. Agfa-Gevaert, par exemple, cherchait surtout des chimistes voici 30 ans. Le groupe a avant tout besoin d’informaticiens aujourd’hui.” Comment un chef d’entreprise peut-il se réinventer en permanence, ainsi que sa société? Marion Debruyne: “Personne ne dispose d’une boule de cristal: il est préférable de ranger cette ambition au frigo. L’important est de créer un terreau favorisant l’apparition permanente de nouvelles initiatives et d’innovations. À partir de là, la tâche du management consiste à séparer ce qui est viable de ce qui ne l’est pas. C’est un processus continu. Car les avantages concur-

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rentiels acquis pour toujours n’existent plus. De ce fait, de nombreuses entreprises qui se projettent dans l’avenir y voient surtout des menaces – or, cette erreur cruciale est une menace en soi.” Olivier Witmeur: “Une telle attitude exige bien entendu une approche totalement différente, diamétralement opposée au modèle traditionnel qui a encore souvent cours. Les grandes entreprises résolvent fréquemment ce problème en créant un département distinct que l’on exonère des règles classiques. Contrairement au reste de l’entreprise, on n’y trouve plus de véritable hiérarchie mais énormément de flexibilité. Un tel contexte laisse aux incubateurs internes et externes la possibilité d’innover.” Herman Daems: “Certains dirigeants d’entreprises et managers commettent d’ailleurs l’erreur d’associer l’innovation au renouvellement des produits. Ce n’est pas le principal défi. Pour de nombreuses entreprises, la question majeure porte aujourd’hui sur la manière dont elles doivent distribuer leurs produits, car l’e-commerce va révolutionner la relation entre le client et l’entreprise. Plus aucune entreprise ne peut s’offrir le luxe de ne pas remettre en cause son modèle d’affaires. Heureusement, la plupart des dirigeants d’entreprises et managers commencent à en prendre conscience.” Qu’en est-il du vaste tissu de PME que compte notre pays? Sont-elles suffisamment préparées aux changements à venir? Ou la question est-elle moins prégnante pour elles? Marion Debruyne: “Je n’oserais affirmer une telle chose. Répondre à l’e-commerce est plus important pour le petit commerçant du village que pour une grande entreprise, car celle-ci jouit de moyens suffisants pour aménager un écosystème propice à des initiatives innovantes.” Alexander De Croo: “C’est pourquoi j’organise, avec plusieurs organisations patronales, une Tournée Digitale, dans le cadre de laquelle nous sensibiliserons les PME classiques de tout le pays à l’impact de l’e-commerce, des données mobiles, de l’Internet des objets et des Big Data.

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Bart Buysse

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> Car ne vous y trompez pas: ces domaines présentent d’énormes possibilités pour les petites entreprises. Du moins si elles en prennent conscience suffisamment tôt, sans quoi ces opportunités se transformeront en menaces. Et les dirigeants de PME traditionnelles le comprennent très bien, même si cela nécessite presque de s’adresser à eux personnellement. Car nos chefs d’entreprises travaillent si dur qu’ils en perdent parfois de vue ce qui se passe autour d’eux. Cela me préoccupe. Les PME aussi doivent se réinventer. Auparavant, seules les grandes entreprises avaient besoin de Product Managers maîtrisant tous les canaux de distribution. Désormais, une telle personne serait très utile à une PME.” Les entreprises doivent faire preuve de flexibilité, d’agilité. Mais le cadre législatif dans notre pays est-il adapté? Alexander De Croo: “Je suis le premier à reconnaître le travail qu’il nous reste à accomplir. Notre législation est fondée sur le principe que tout est interdit, sauf ce qui est explicitement autorisé. Nous devons renverser ce raisonnement. Un service de taxi alternatif comme Uber est cloué au pilori alors que nous devrions analyser comment encourager cette initiative. Cela ne signifie pas qu’il faille jeter toutes les règles pardessus bord! Une personne active dans un système peer-to-peer doit aussi respecter la législation sociale et fiscale. Simultanément, nous devons oser adapter cette législation à de nouveaux services comme Uber. Car ce débat révèle toutes les faiblesses de notre économie classique: des charges de travail trop élevées, un manque de flexibilité et beaucoup de protectionnisme. Le secteur du taxi est un beau petit monopole où les prix sont élevés, l’innovation faible et le marché réduit. Mais ce n’est pas tenable. Et ces problèmes voient leur poids s’accroître dans l’économie numérique.” Herman Daems: “Une bonne part de cette réglementation est prétendument destinée à protéger le client. Pourtant, l’économie peer-topeer prouve que les clients n’en ont pas besoin. Trop souvent, une réglementation rigide ne protège pas le client: elle sert surtout à maintenir un monopole.” Bart Buysse: “Une réglementation obsolète a également un impact sur la politique de l’emploi. Les abus du passé, la crainte d’excès nous ont

L’ÉCONOMIE PEER-TO-PEER PROUVE QUE LES CONSOMMATEURS N’ONT PAS BESOIN DE TOUTE LA RÉGLEMENTATION ACTUELLE. Herman Daems, BNP Paribas Fortis

poussés à bétonner certaines règles – pensez à la réglementation en matière de temps partiel. Cependant, nous avons atteint un point où les travailleurs sont demandeurs d’une plus grande flexibilité, et où les employeurs ne peuvent les satisfaire en raison d’une batterie de lois extrêmement complexes. Nous devons réellement rompre avec cette idée. C’est la seule manière d’autoriser les entreprises à mener une politique de l’emploi proactive qui facilite le travail sur mesure.” Alexander De Croo: “Pour cela, nous devons également repenser certains concepts fondamentaux de notre économie. Nous parlons encore de secteurs, un concept totalement dépassé! Plus aucune entreprise leader n’est active dans un secteur unique. Or, la concertation sociale est encore très sectorisée. Cela perd peu à peu tout son sens.” Les changements profonds qui touchent le marché de l’emploi n’exigent-ils pas également une autre politique de ressources humaines? Herman Daems: “Les jeunes ne veulent plus travailler dans un environnement très hiérarchisé. Cette époque est révolue. Ils souhaitent désormais opérer dans un environnement stimulant où ils puissent évoluer autant que possible en autogestion. Il sera très difficile d’attirer les plus grands talents sans leur offrir la perspective d’une carrière internationale dans laquelle les jeunes bénéficient d’une grande autonomie, surtout pour les plus grandes entreprises.”

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Alexander De Croo

“SUPPRIMEZ LES PROGRAMMES SCOLAIRES DÉTAILLÉS” Une économie transformationnelle est très exigeante pour l’enseignement. Mais celui-ci répond-il suffisamment à l’évolution des besoins du marché de l’emploi? Le ministre Alexander De Croo privilégie en tout cas un resserrement des liens entre professeurs et entreprises. Et prêche l’abandon de la tyrannie des programmes scolaires.

Bart Buysse: “Quel sera le grand défi? Créer des entreprises agiles et flexibles… mais aussi permettre aux travailleurs de l’être. La génération qui débarque sur le marché de l’emploi est surtout à la recherche d’autonomie, d’autogestion et d’épanouissement de soi. L’image de l’employeur – le leadership, la qualité du management, les valeurs de l’entreprise – devient un pôle d’attraction important, ou au contraire un facteur de répulsion. La question ne se limite donc pas à quelques aspects de l’organisation du travail. Et les entreprises doivent investir beaucoup plus dans ces domaines.” Olivier Witmeur: “Je rencontre de nombreux dirigeants d’entreprises qui investissent surtout pour attirer des collaborateurs compétents et les conserver sur le long terme. Il s’agit de l’approche classique: nous engageons des personnes avec l’ambition de les lier aussi longtemps que possible à l’entreprise. Cette approche ne fonctionne plus, parce que les jeunes recherchent beaucoup plus vite de nouveaux défis. Il importe surtout de faire en sorte que les travailleurs puissent se développer et que les entreprises profitent de leur talent pendant un temps avant qu’ils continuent leur carrière ailleurs. Cela nécessite toutefois de nouvelles structures opérationnelles. Malheureusement, ces entreprises raisonnent toujours comme il y a 20 ans. Les ressources humaines aussi doivent se réinventer. Preuve que, dans le monde d’aujourd’hui, les entreprises doivent être innovantes dans plusieurs domaines simultanément.” ||

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BART BUYSSE: “L’enseignement joue un rôle important dans la compétitivité. Si nous n’avons guère de matières premières, notre pays déborde de talents. Nous devons veiller davantage à ce que ceux-ci soient guidés dans la bonne direction et à l’âge le plus adéquat possible. Nous pourrons ainsi continuer à faire la différence. En outre, il s’agit moins d’enseigner des professions que d’affiner des compétences. Car dans le monde actuel, si les professions évoluent très rapidement, les compétences ad hoc permettent de continuer à travailler plus longtemps. Dans ce contexte, il faut privilégier les relations entre les entreprises et les étudiants. C’est possible en mettant les jeunes en contact avec des CEO pour les inspirer, en ouvrant les laboratoires et les ateliers aux écoles, en mettant du matériel à disposition d’écoles qui n’ont pas les moyens financiers de les acquérir. Cela enrichira la formation des jeunes, accroîtra l’expérience professionnelle et facilitera ensuite l’entrée des étudiants sur le marché de l’emploi.”

ALEXANDER DE CROO: “Nous ne devons pas nous contenter de mettre les jeunes en contact avec l’entreprise. La première étape consiste à impliquer les professeurs dans les entreprises. Sans quoi cela n’a aucun sens. Je ne comprends pas pourquoi nous ne faisons pas systématiquement travailler les professeurs dans des PME locales pendant quelques semaines par an, afin qu’ils ressentent mieux ce qui se passe au sein des entreprises. Il faut également cesser de faire confiance à des programmes scolaires détaillés. Si nous leur donnons suffisamment d’autonomie, les professeurs opéreront les bons choix. Énormément de jeunes professeurs passionnés se voient refuser certaines choses parce que le programme le leur interdit. C’est regrettable. Dans un monde qui évolue très rapidement, il est illusoire de penser que l’on peut tout résumer dans un programme scolaire.”


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“Un CEO doit afficher une certaine vulnérabilité” Autrefois, la culture d’entreprise se fondait principalement sur le pouvoir. Elle repose désormais sur des valeurs partagées, des règles de comportement claires et un leadership par l’exemple inspirant. Dans cet entretien, le CEO Wim Hoeckman (56 ans) revient sur les raisons qui ont poussé son entreprise à opter pour un changement culturel stratégique, et sur la manière dont il a procédé.

la fois chef d’entreprise et philosophe, Wim Hoeckman braque un objectif grand angle sur l’avenir de Victor Buyck Steel Construction. Cette entreprise basée à Eeklo est le leader européen de la conception et de la réalisation de structures complexes et lourdes en acier. Alors que tout allait bien, Wim Hoeckman, qui n’est pas actionnaire, a réfléchi à l’évolution de l’entreprise dès 2004: “Un

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changement de leadership s’imposait. L’ancien style était surtout basé sur le pouvoir et le patriarcat, ce qui ne permet pas de remporter l’adhésion des travailleurs sur la durée. J’y vois une culture en toile d’araignée, où le patron est au courant de tout et résout tous les problèmes. Dans une entreprise de croissance, c’est intenable. De plus, on n’apprend pas aux travailleurs à prendre des responsabilités, car le patron finira de toute façon par résoudre le problème”. “Nous voulions nous redécouvrir”, poursuit Wim Hoeckman. “Nous demander qui nous étions, et non ce que nous avions. Que voulons-nous que les autres pensent de nous, pourquoi nous levonsnous chaque matin pour nous rendre au travail? Début 2008, nous avons formulé de nouvelles mission et vision communes. Désormais, nous voulons incarner la ré-

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férence en matière de création de valeur et de responsabilité sociale dans l’univers de la construction en acier.”

Des valeurs aux règles comportementales Wim Hoeckman se base sur les quatre valeurs de l’économiste-philosophe Richard Barrett (Building a Values Driven Organization: A Whole System Approach to Cultural Transformation, 2006). Il distingue sept niveaux de conscience, de la survie au service. Pour une entreprise, la conscience de la survie se traduit en bénéfice et en valeur actionnariale (intérêts propres). Parvenue à la conscience du service, elle pense aux générations futures, se montre attentive à la communauté locale et à l’environnement (intérêt général).


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Wim Hoeckman: “Nous voulons incarner la référence en matière de création de valeur et de responsabilité sociale dans l’univers de la construction en acier.”

yeux.” Autre règle de comportement liée à une communication claire et transparente: “Ne demandez pas à un collègue à la machine à café: comment ça va? Cette banalité tue tout espoir de conversation réelle. Demandez plutôt: qu’as-tu fait la semaine dernière dont tu es particulièrement fier? Ou: qu’est-ce qui s’est bien passé, et comment pourrais-tu amplifier encore cet effet positif par la suite?”

Inspirer “En fait, il s’agit toujours d’une évolution des intérêts propres vers l’intérêt général, ces deux aspects étant en confrontation constante”, prolonge Wim Hoeckman. “Après avoir formulé nos valeurs, nous avons voulu les concrétiser par des règles de comportement. A partir de 60 ‘moments de vérité’ dans lesquels notre comportement peut s’exprimer, nous avons établi un Top 5, tels le contact avec un client et la discussion avec un collègue à la machine à café. Nous y avons à chaque fois associé une quinzaine de règles de comportement concrètes.” Parmi ces 75 règles de comportement: fournir une qualité supérieure dans la discussion avec le client. “Concrètement, on peut y parvenir en sondant ce dernier, quelques jours avant une réunion, sur les questions qu’il désire aborder et sur ce qui fera de la réunion un succès à ses

“À mes yeux, nous devons surtout veiller à inspirer plutôt qu’à communiquer. Donnez l’exemple et mobilisez votre entourage. On peut également utiliser son environnement pour communiquer avec soi-même. Je demande parfois à un collègue: quelle a été ma plus grosse gaffe la semaine dernière? Pour un CEO, c’est une manière de montrer sa vulnérabilité, ce qui est crucial. Il n’est pas non plus

interdit de dire de temps à autre qu’on n’a pas de solution. Afficher sa vulnérabilité en reconnaissant avoir commis une erreur force le respect.” Wim Hoeckman considère le changement culturel dans l’entreprise comme un voyage qui ne serait pas encore arrivé à son terme. Le transfert de connaissances de la génération des plus de 55 ans à celle des moins de 35 ans via le mentorat est vital. “Les jeunes managers sont l’avenir. Ils débordent d’ambition et d’idées. L’art consiste à dompter cette dynamique et à veiller à ce qu’ils développent une vision partagée.” Son dernier conseil à destination des dirigeants d’entreprises qui envisagent un processus de changement? “Créez un sens de l’urgence. Sinon, les travailleurs penseront: tout va bien, pourquoi changerions-nous? Dites-leur plutôt qu’ils travaillent pour leur propre avenir, afin de personnaliser votre message.”||

IL N’EST PAS INTERDIT DE DIRE DE TEMPS À AUTRE QU’ON N’A PAS DE SOLUTION. Wim Hoeckman, Victor Buyck Steel Construction

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Du Web aux magasins “physiques” De la communication au Web, puis du Net aux télécoms, et enfin des télécoms à un réseau de distribution “physique” pour son nouveau produit: la société beCHARGE by Primmo Conseil a prouvé son aptitude à flairer les évolutions porteuses pour sa croissance et son développement.

e jury de la Change League de BNP Paribas Fortis, qui distingue les entreprises capables de s’adapter le plus efficacement aux changements de leur environnement, ne s’y est pas trompé: beCHARGE fait partie de ses 10 lauréats pour 2015. Fabrice Rotstein, son fondateur et administrateur délégué, revient sur cette belle évolution. “À l’origine, je développais une société de communication, Alta”, relate Fabrice Rotstein. “C’était l’époque où tout le monde voulait un site ‘carte de visite’. Nous avons donc créé une filiale dédiée au Web. En 1995, pour simplifier les

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ventes, nous avons lancé une offre ‘pack’: un site Internet incluant tous les besoins du client (hébergement, DNS et accès Internet) grâce à un accord avec Skynet, dont nous sommes devenus le distributeur.” En 2005-2006, les ventes en ligne explosent. Devenu entretemps distributeur de Belgacom, Fabrice Rotstein lance Besttelecom.be pour vendre les produits et services de l’opérateur. “Ce qui constitue la force d’un site, cependant, c’est son trafic”, reprend Fabrice Rotstein. “Or, une fois qu’on a vendu à un client Internet le mobile, le fixe et la télévision, il n’a plus de raison de revenir. Pour créer des flux de clients récurrents, nous avons donc créé beCHARGE fin 2009.” Le site se spécialise dans le prépayé, notamment les produits de téléphonie mobile (nationaux et internationaux) et la monétique. Le taux de fidélité des clients atteint 75%. “Et nous venons de conclure un partenariat avec le n°2 mondial du transfert d’argent, MoneyGram. D’une part, nous offrirons leur service de transfert d’argent sur beCHARGE, et de l’autre, nous distribuerons notre nouveau produit myBecharge dans leurs magasins.” MyBecharge a été développé pour donner accès au service de recharges internationales dans le réseau physique (librairies, night shops, etc.), permettant aux clients de recharger les mobiles de leurs proches dans 120 pays sans nécessairement disposer de carte bancaire. MyBecharge est un “portefeuille” de 5, 10 ou 25 euros qui permet de réaliser une ou plusieurs recharges sur un ou plusieurs mobiles vers les 400 opérateurs repris dans l’offre. Le client peut désormais acheter un code chez MoneyGram ou dans plus de 1.000 magasins les distribuant en Belgique. Les récipiendaires n’ont aucune manipulation à effectuer – ils peuvent même recevoir un SMS gratuit de leur correspondant. “Nous avons ‘bouclé la boucle’ en revenant dans le monde physique”, sourit Fabrice Rotstein. Plus de deux millions de codes ont été vendus, pour un montant de 11 millions d’euros.


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© Shutterstock

L’entreprise espère décupler son chiffre d’affaires dans les années à venir.

Réaliser une veille quasi permanente Une démonstration de plus de la capacité d’adaptation de beCHARGE: “Dans notre secteur, les technologies évoluent très rapidement: moyens de paiement, solutions mobiles, nouveaux produits et services, lutte contre la fraude, etc.”, énumère le chef d’entreprise. “Je réalise une veille nationale et internationale, je me rends dans les foires de mon secteur, je cultive mon réseau et je lis tous azimuts. Et bien sûr, nous avons la culture de l’écoute des clients, qui nous ont suggéré l’idée de myBecharge.” Plus largement, Fabrice Rotstein juge qu’intégrer la notion de changement est vital pour les entreprises, peu

importent sa taille et son secteur. “Quand les clients se détournent de votre produit, ne vous obstinez pas: adaptez-vous immédiatement. Mieux vaut se couper un doigt que le bras! Cette philosophie doit être présente à tous les niveaux. Lorsque je recrute quelqu’un, je lui déclare: ta tâche, c’est ça, mais pas seulement. J’apprécie d’ailleurs les profils ‘multifonctions’! L’évolution du personnel contribue à celle de la société.” Selon Fabrice Rotstein, tout entrepreneur doit se poser sans cesse la question: comment faire pour être encore là demain? “Ne la percevez pas uniquement comme une contrainte, imprégnez-vous du côté défi, adrénaline, du plaisir de tester un produit, de se confronter au marché. Bien sûr, vous vous ‘planterez’ parfois, ou vous n’atteindrez pas les objectifs fixés. Ce ne serait un échec que si vous n’en tiriez pas les leçons!” ll

“QUAND LES CLIENTS SE DÉTOURNENT DE VOTRE PRODUIT, NE VOUS OBSTINEZ PAS: ADAPTEZ-VOUS IMMÉDIATEMENT. MIEUX VAUT SE COUPER UN DOIGT QUE LE BRAS!” Fabrice Rotstein, beCHARGE

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Mieux servir la nouvelle génération de pensionnés Ce qui a motivé l’Office national des pensions à adopter une stratégie de changement aussi ambitieuse? “Tout simplement le monde dans lequel nous vivons, un monde qui change de plus en plus vite”, résume Sarah Scaillet, son administratrice générale. “Offrir le meilleur service au citoyen nécessitait, pour une administration publique telle que la nôtre, d’adopter les moyens les plus modernes, tant dans la communication avec les citoyens que dans le traitement des dossiers et l’amélioration de son efficience propre.” La méthode? Numériser et virtualiser au maximum les dossiers: “Tout est devenu électronique, mais avec la même force probante que le papier”, souligne Sarah Scaillet. “L’occasion de proposer, à la nouvelle génération, des services pour l’informer mieux encore. En janvier prochain, un ‘moteur des pensions’ permettra, sur base des informations individuelles, de déterminer quand on pourra prendre sa pension. Puis, en 2017, d’évaluer le montant de sa future retraite.” ll


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The Change League à la Silicon Valley BNP Paribas Fortis a envoyé des CEO belges dans le plus grand centre de l’innovation high-tech au monde. Quels enseignements tirés dans la Silicon Valley pourront-ils mettre en pratique chez nous?

Nous pouvons changer le monde Yvan De Cock, BNP Paribas Fortis

he Change League est un concours organisé par BNP Paribas Fortis et chapeauté par un jury indépendant. L’enjeu? Un voyage-découverte dans la Silicon Valley, l’eldorado de l’innovation, des technologies et de l’esprit d’entreprise. Une destination somme toute évidente dans la mesure où le concours s’adressait aux entreprises confrontées à la concurrence par les nouvelles technologies, les changements de schémas de consommation et les évolutions réglementaires. Entre le 1er juin et le 31 août, les entreprises intéressées ont introduit un dossier auprès de BNP Paribas Fortis pour y exposer leur manière de répondre au changement, l’impact de ce dernier sur leur entreprise et la façon dont elles continueront de gérer les changements à l’avenir. Dix gagnants ont pu aller puiser leur inspiration en Californie la semaine du 29 novembre 2015. Les visites de plusieurs entreprises, petites et grandes, connues et moins connues, étaient accompagnées de Peter Hinssen et de Steven Van Belleghem, professeur de marketing à la Vlerick Business School, mais aussi d’Yvan De Cock, responsable Corporate & Public Bank chez BNP Paribas Fortis.

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Il règne dans la Silicon Valley une confiance absolue dans la technologie et la manière dont celle-ci doit être utilisée. Ce qui frappe aussi est l’ambiance générale de positivisme, d’enthousiasme et de foi en ses propres capacités qui prévaut au sein de start-ups. C’était vraiment impressionnant de découvrir comment tout l’écosystème de la Silicon Valley encourage chaque année 20.000 start-ups à tenter leur chance.

Focus sur les opportunités Lard Vanobbergen, Brontec Le monde change à toute vitesse. Les chefs d’entreprises flamands ont la juste mentalité mais ils pensent encore trop souvent en termes de risques et de limitations potentiels. Nous devons oser nous concentrer davantage sur les opportunités. Le changement est nécessaire et est également parfaitement réalisable. Soyez clair dans vos objectifs et recherchez des solutions aux vrais problèmes.

Des innovations pour le plaisir Stefaan Vanfleteren, Piano’s Maene Le changement est perceptible à tous les niveaux: la rapidité à laquelle tout évolue, l’impact de l’Internet mobile, la puissance des Big Data et les acteurs qui supportent effectivement le changement. Les innovations se suivent à un rythme effréné. Elles ne sont plus dirigées par de lourdes structures directionnelles mais par des jeunes qui le font avant tout par plaisir.

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Testez chaque idée sur vos clients

La Silicon Valley prouve que tout est possible

Dirk Clement, CED

Pierre Flamant, dcinex

Dans la Silicon Valley, les innovations disruptives émanent souvent de nouvelles entreprises qui ont en fin de compte tout à gagner. “It is never too late to be early”: tel est leur leitmotiv. Il est toutefois important de tester vos développements sur les clients. S’ils ne constituent pas une amélioration en termes de confort, de prix ou de concept, votre fournisseur ne s’y intéressera pas.

La technologie n’est qu’un enabler (facilitateur) d’idées innovantes qui semblent infinies. L’écosystème de la Silicon Valley prouve que tout est possible. Les programmes de recherche et d’innovation doivent être adaptés à un monde en mutation du fait des applications mobiles et des réseaux sociaux. De même, les initiatives de community et de crowd doivent être encouragées.

Les problèmes seront résolus demain Dirk Van Lerberghe, Corilus Pour chaque nouvelle idée, il faut d’abord pouvoir étudier les possibilités: placez le client au centre et recherchez les opportunités. Ensuite seulement vous partirez en quête d’investisseurs et penserez à résoudre les éventuels problèmes. C’est le seul moyen pour qu’un plus grand nombre d’idées disruptives deviennent des produits finaux. Dans notre culture actuelle, les réserves sont trop souvent un obstacle auquel les idées se heurtent dès le départ.

Un seul mot d’ordre: rester alerte Fabrice Rotstein, beCHARGE De plus en plus d’objets sont connectés. La surabondance de données collectées par les nouvelles technologies est impressionnante. Le monde est de plus en plus mobile, et de nouveaux produits et services continueront de voir le jour dans les secteurs les plus divers. Il convient dès lors de rester alerte afin ne pas manquer les principaux changements de caps.

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Quand banques et entrepreneurs apprennent les uns des autres Comment soutenir au mieux les porteurs de projets, les entreprises innovantes, bref une activité économique dynamique? Les banques muent pour accompagner les profonds changements de l’environnement des affaires. Les neuf Innovation Hubs de BNP Paribas Fortis constituent des avant-postes de ce que seront les banques de demain, assurent Catherine Delforge et Delphine Dupuis, qui ont mis leurs compétences au service de ces entités voici un an.

es secteurs économiques entiers apparaissent, tandis que d’autres disparaissent, et l’innovation se place au cœur de ce processus de création-destruction”, déclare Catherine Delforge, gestionnaire de clientèle chez BNP Paribas Fortis et volontaire pour participer au projet Innovation Hubs. Sa collègue Delphine Dupuis, également volontaire, est spécialiste crédits au sein de l’établissement financier. Elle renchérit: “Les sociétés innovantes ont des attentes bien spécifiques par rapport aux banques, et contrairement à ce que l’on croit souvent, le financement n’est pas la première d’entre elles.”

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NOUS NE JOUONS PAS LES MARIEUSES, MAIS AGISSONS LORSQUE NOUS DÉTECTONS Delphine Dupuis UN BESOIN. I 20 I

Ce constat a incité BNP Paribas Fortis à créer un service spécialement dédié à ces entreprises innovantes: les Innovation Hubs. On en compte 9 à travers le pays. “Pour être au plus près de leurs attentes et de leurs besoins, nous sommes partis du terrain”, relate Catherine Delforge. “Nous avons rencontré des entrepreneurs et des personnes issues de tout l’écosystème qui les entoure et les soutient: organismes d’accompagnement et de coaching comme InnovaTech, pôles, incubateurs, accélérateurs, investisseurs locaux, sociétés parapubliques d’investissement, Awex, business angels, private equity, etc.” Cette démarche a permis de poser les bases d’un réseau et de lancer un cercle vertueux fort efficace. “Nous sommes désormais bien identifiés comme une banque impliquée auprès des entreprises innovantes, et les informations


Catherine Delforge et Delphine Dupuis: “Les entrepreneurs ignorent à quel stade intervient la banque. À nous de leur faire comprendre qu’on n’investit pas l’épargne des familles dans du capital-risque.”

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‘remontent’ facilement jusqu’à nous”, assure Delphine Dupuis. “Concrètement, nous n’avons aucun besoin d’aller démarcher des entreprises, elles viennent jusqu’à nous grâce au boucheà-oreille!”

Quand la banque s’inspire des start-ups Ce choix de partir du terrain rappelle, de plus, le fonctionnement des start-ups. Les personnels de la banque peuvent se ‘mettre dans la peau’ des entrepreneurs qu’ils vont accompagner, comprendre leur mode de pensée, et donc les soutenir de façon encore plus ciblée. Une approche complétée par un coaching d’une semaine avec le serial entrepreneur et business angel Cédric Donck. “Là encore, cela bat en brèche l’image traditionnelle des banques”,

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Catherine Delforge

sourit Delphine Dupuis. “Nous bénéficions d’une grande marge de manœuvre, ne subissons aucune pression du marketing, et on ne nous demande aucunement de ‘faire du chiffre’. Nous expérimentons un fonctionnement nouveau, appelé à devenir central à l’avenir. Et par le passé, nous avions constaté que nous ‘perdions’ les porteurs de projet entre l’ouverture du compte et la phase commerciale, notamment par méconnaissance de leurs besoins et de leur secteur. Nous en avons tiré les leçons, et aujourd’hui, nous sommes persuadés que nous avons à apprendre des entrepreneurs autant qu’ils ont à apprendre de nous!”

Et le champ s’avère vaste, même si les secteurs des biotech, medtech (technologies touchant à la santé), cleantech (pour l’environnement) et ICT (technologies de la communication et de l’information) sont très représentés, ainsi que quelques projets industriels. “Les sociétés font parfois déjà partie d’un pôle d’innovation, comme l’Aéropôle de Gosselies”, précise Catherine Delforge. “Dans le fond, toutes ont en commun un projet disposant d’un potentiel disruptif. Et on en découvre tous les jours; en octobre, au Salon de l’innovation de Gembloux, 56 projets étaient présentés!”

Un rôle d’intermédiaire d’un nouveau genre

LE FINANCEMENT N’EST PAS LA PREMIÈRE ATTENTE DES PORTEURS DE PROJET VIS-À-VIS DES BANQUES.

Les Innovation Hubs permettent aussi de faciliter le précieux travail de mise en relation de BNP Paribas Fortis. “Nous ne jouons pas les marieuses, mais agissons lorsque nous détectons un besoin ou recevons une demande”, résume Catherine Delforge. “Ainsi, nous organisons des événe-

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UNE ASPIRATION PROFONDE DES ENTREPRISES Les initiatives telles que les Innovation Hubs correspondent aux nouveaux modes de fonctionnement des entreprises. En lançant de tels projets, les banques se préparent aussi à la mutation de leurs métiers et de leur rôle.

Delphine Dupuis

ments et des petits déjeuners en coopération avec certains pôles, pour que les fonds d’investissement spécialisés, les capital-risqueurs, les business angels, mais aussi nos clients en banque privée et en Wealth Management qui le souhaitent rencontrent des entrepreneurs.” Le rôle de conseil s’avère aussi important pour le personnel de BNP Paribas Fortis. Les entrepreneurs, et particulièrement les jeunes, ont rarement une idée très précise des moyens de financement à leur disposition. “Ils ne savent pas à quel stade intervient la banque: à nous de leur faire comprendre qu’on n’investit pas l’épargne des familles dans du capital-risque”, souligne Catherine Delforge. “Souvent, nous leur recommandons de mûrir leur projet, de terminer leur prototype, de valider d’abord les aspects légaux, et bien sûr d’aller voir, selon les cas, les réseaux d’entrepreneurs, les incubateurs, les accélérateurs, les fonds… De tels entretiens servent dans une perspective de long terme: en sortant, le porteur de projet sera mieux armé pour poursuivre son chemin.” ll

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Aujourd’hui comme hier, la fonction des banques est de soutenir l’économie, en permettant aux entreprises de croître et de créer de la valeur ajoutée. Si le fond reste le même, la forme est appelée à changer pour s’adapter aux mutations incessantes de l’économie. “Nous serons de plus en plus des partenaires pour les entreprises”, assure Catherine Delforge, chez BNP Paribas Fortis. “L’image de la banque, simple guichet où l’on vient demander un financement, et qui, après analyse de votre dossier, vous répond par oui ou par non s’estompe au profit d’une organisation plus proactive et surtout plus accessible.” Un nouveau fonctionnement où l’accent est placé sur l’écoute et la disponibilité. “C’est un schéma nouveau, que les porteurs de projet apprécient beaucoup; un premier entretien prend généralement plus de deux heures, et souvent, la question du financement n’y est même pas encore abordée!” relève Catherine Delforge. “On s’attache à comprendre le projet, le cheminement de l’entrepreneur, l’environnement dans lequel il se situe.” Après ce premier contact, la banque peut jouer à plein son rôle de facilitatrice et de conseillère. La transversalité joue à plein, à travers, notamment, la mobilisation de ses collaborateurs spécialisés: chargés de clientèle disposant d’une expertise dans le ou les secteur(s) concerné(s), corporate account managers capables de livrer une pré-analyse du projet, etc. Ces derniers aident l’entrepreneur à affiner son positionnement, à évaluer ses éventuels concurrents, etc. “Là encore, comme vous pouvez le constater, on est loin des clichés où le banquier épluchait les trois derniers bilans et convoquait le client pour lui faire part de sa décision concernant son crédit!”, conclut en souriant Catherine Delforge. “Ma conviction profonde est que les Innovation Hubs sont des précurseurs, et offrent un aperçu du nouveau visage des banques. C’est là que notre valeur ajoutée sera la plus utile à l’économie. Elle n’est pas autant mobilisée, il me semble, lorsqu’il s’agit d’accorder un crédit auto de 48 mois; cela peut se faire en quelques clics!”


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“La technologie aide la société à aller de l’avant” L’Europe a tout intérêt à embrasser davantage le progrès technologique. Et oui, tout bouleversement dans ce domaine a sa part d’ombre. Mais celle-ci est largement compensée par les nouvelles possibilités qui améliorent fondamentalement notre société. C’est la conviction profonde de Steven Van Belleghem, consultant numérique et professeur à la Vlerick Business School. Il est interviewé par Peter De Keyzer, économiste en chef de BNP Paribas Fortis.

La robotisation et l’intelligence artificielle sont souvent considérées comme des menaces pour de nombreux emplois. Quel est votre regard sur la technologie? Est-elle, à vos yeux, une force positive de changement ou une menace pour l’avenir? “Je suis très positif. Le passé nous apprend que toute nouvelle technologie comporte effectivement des inconvénients, mais qu’ils sont largement contrebalancés par les avantages qu’elle fournit. Au moment de la révolution industrielle, on a cru qu’un grand nombre d’emplois seraient menacés au motif que la machine avait vaincu les limites physiques de l’homme. Pourtant, l’économie a commencé à enregistrer une croissance substantielle, qui a créé une énorme quantité d’emplois neufs. Il en a été de même après la Deuxième Guerre mondiale, lorsque les femmes ont fait leur entrée sur le marché du travail: le chômage des hommes n’a pas explosé! La puissance économique et créative qu’elles ont apportées a donné naissance à de nouvelles possibilités qui ont, à leur tour, débouché sur une croissance économique sensible. La technologie crée toujours des opportunités qui aident la société à aller de l’avant.” Comment voyez-vous l’économie évoluer aujourd’hui? “Nous vivons une époque où la machine surpasse les limites mentales, et non plus

physiques, des êtres humains. L’arrivée de superordinateurs entraînera sans doute la disparition d’emplois. En particulier dans les fonctions d’employés qui apportent peu de valeur ajoutée. Simultanément, je suis convaincu que de nouveaux métiers seront créés, dont nous ne pouvons encore soupçonner la nécessité. L’industrie des applications mobiles en est l’exemple parfait. Voici dix ans, personne ne savait ce qu’était une application. Aujourd’hui, des millions de personnes gagnent leur vie dans ce secteur. Beaucoup de choses sont donc appelées à changer.” Pourquoi, malgré ces exemples positifs, le changement s’oppose-t-il toujours à une résistance aussi forte? “Pour commencer, il subsiste une grande ignorance concernant les possibilités qu’il engendre. Résultat: les menaces sautent

davantage aux yeux que les possibilités. Mais il existe un problème plus fondamental: en Europe, nous souffrons trop souvent d’un état d’esprit négatif. Lorsque des entrepreneurs de chez nous se rendent aux États-Unis, ils sont toujours très impressionnés par le positivisme qui y règne. Un bus de Belges en visite chez Google ne posera de questions que sur la sécurité de la voiture sans conducteur. Un groupe d’Américains criera ‘Wow!’ et voudra savoir quand cette voiture sera mise sur le marché et quelles seront les caractéristiques du prochain modèle. En Europe, nous avons tendance à nous focaliser sur les manquements. Ce faisant, nous affaiblissons notre position.” L’Europe est-elle capable d’inverser cette tendance? “Ce n’est certainement pas une cause perdue. La seule chose qui nous manque,

UN BUS DE BELGES EN VISITE CHEZ GOOGLE NE POSERA DE QUESTIONS QUE SUR LA SÉCURITÉ DE LA VOITURE SANS CONDUCTEUR. Steven Van Belleghem, Vlerick Business School

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Steven Van Belleghem et Peter De Keyzer: “L’arrivée de superordinateurs entraînera la disparition d’emplois. Surtout dans les fonctions d’employés qui apportent peu de valeur ajoutée.”

c’est un supplément de positivisme et d’ambition. Et j’entrevois des signes prometteurs. Londres et Berlin sont déjà des hubs d’innovation très efficaces. Plus près de chez nous, Hasselt s’impose comme un centre d’innovation attrayant. Simultanément, on observe – notamment chez plusieurs grandes banques – des initiatives très louables destinées à soutenir les starters, tandis que des gens comme Marc Coucke et Duco Sickinghe investissent une part significative de leur patrimoine dans de jeunes entreprises.” La technologie entraîne des changements de plus en plus rapides. Simultanément, nous remarquons que les législateurs ne sont pas toujours prêts à embrasser ces changements. Voyez-vous un compromis entre ces deux évolutions? “Pourquoi sommes-nous si nerveux face à des entreprises comme Facebook et Uber? Parce qu’elles cherchent délibérément à identifier les zones grises du cadre

législatif. Elles forcent les pouvoirs publics à s’adapter au monde d’aujourd’hui. C’est ce qui permet à de telles entreprises de changer les choses. Bien entendu, l’objectif ne peut être que des entreprises individuelles orientent la loi à leur propre profit. D’un point de vue social et sociétal, le cadre légal doit constituer un ensemble cohérent. Mais les pouvoirs publics devraient davantage réfléchir à l’actualisation de la législation avec les entreprises. C’est pourquoi j’attends avec beaucoup d’impatience l’avènement de la jeune génération, plus ouverte aux changements qui nous arrivent. Nous devons donner aux jeunes l’occasion de faire entendre leur voix. Les débats sur l’innovation sont surtout menés par des plus de 50 ans, et non par les digital natives. Alors que c’est de leur avenir qu’il s’agit.” La technologie offre aux sociétés la possibilité de progresser très rapidement et de produire énormément de richesse. Simultanément, elle peut également ac-

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croître les inégalités. N’est-ce pas une menace pour l’adhésion sociale à la technologie? “C’est un argument majeur. San Francisco est intéressante à ce propos, car c’est là que les choses se passent aujourd’hui. La ville héberge par exemple un grand nombre d’actionnaires initiaux de Twitter qui sont devenus millionnaires avec son entrée en Bourse. De ce fait, les prix immobiliers ont explosé. Et les loyers des appartements dépassent allègrement les 4.000 euros. Ceux qui ne travaillent pas dans l’industrie de la technologie, avec les salaires élevés qui y sont liés, ne sont simplement plus capables d’acheter une maison, quand ils ne sont pas expulsés de leur logement. Il n’y a jamais eu autant de sans-abris à San Francisco. À ce niveau, nous nous heurtons sans doute au côté le plus sombre de la technologie, qui peut creuser les inégalités. C’est pourquoi nous devons absolument conserver notre système européen de solidarité, sans que cela mette un frein à notre capacité à innover.” ll


Le timing est crucial

JE VOIS LE CHANGEMENT COMME UN VOYAGE EN BALLON: ATTENDRE LA BONNE BRISE ET RÉAGIR RAPIDEMENT UNE FOIS QU’ELLE SE MET À SOUFFLER.

Changement et innovation sont nécessaires. Personne ne le conteste. Les chefs d’entreprises savent aussi que le succès d’un changement dépend de la manière dont ils abordent le processus. En revanche, ils sont moins attentifs à la nécessité d’initier ce dernier au moment adéquat. Et pourtant, en matière de changement, le timing est crucial. Ceux qui lancent le changement trop tôt ne remportent pas l’adhésion de l’organisation. “Pourquoi changer alors que tout va bien? Nos produits, nos marchés et nos canaux de distribution sont très rentables.” La réaction des clients peut s’avérer elle aussi des plus étranges. Ils ne sont pas toujours enthousiastes à l’idée d’opter pour de nouveaux produits. Pensez aux propriétaires de cinémas étrangers qui ne voyaient pas la nécessité d’installer de nouveaux projecteurs numériques. Il aura fallu plusieurs années de patience à la direction de Barco pour convaincre l’écosystème constitué des producteurs de films, des distributeurs et des exploitants de cinéma. Mais dès qu’ils eurent franchi le pas, les choses allèrent très vite… et particulièrement bien. Un manque d’adhésion au changement peut également être source de problèmes pour la direction de l’entreprise. “Quand abandonner des activités rentables pour se lancer dans de nouveaux défis?” Car vous connaissez le rendement des activités existantes, tandis que, des nouvelles activités, vous ne chiffrez que les investissements et les coûts. Personne ne peut en estimer le chiffre d’affaires et les marges avec certitude. Et comment les clients réagiront-ils? Cela non plus, personne ne peut le prédire. La vague de numérisation dans les médias en fut un magnifique exemple ces dernières années. Des éditeurs qui ont abandonné trop tôt les publications papier ont perdu des revenus, alors que les publications électroniques n’apportaient pas de compensation. Leur succès a été plutôt lent à se dessiner, et les lecteurs ne semblaient guère disposés à payer. Attendre trop longtemps avant de changer et d’innover est tout aussi dangereux, cependant: l’entreprise pionnière se forge souvent – mais pas toujours – une avance commerciale. Ceci dit, être le premier n’est pas une garantie de succès. Google n’a certes pas été le premier moteur de recherche, mais il a réussi à évincer ses prédécesseurs du marché, ou à les marginaliser. À l’inverse, un changement tardif peut parfois entraîner des investissements et des coûts supplémentaires pour combler le retard. Des efforts en sus sont nécessaires en R&D et l’organisation doit être adaptée à la va-vite, ce qui est générateur de tension et de frustration. Enfin, le sentiment d’être un loser n’est pas propice à la motivation. Réussir un changement est une question de calendrier. Ce qui ne marche pas aujourd’hui pourrait marcher demain… et ce que l’on aurait dû faire hier ne pourra peut-être plus jamais être réalisé. Quels sont les enseignements que peuvent en retirer des dirigeants d’entreprises? Primo, qu’ils doivent explicitement tenir compte du timing dans les processus de changement. Secundo, qu’une organisation doit toujours être prête à changer, ce qui nécessite une culture d’ouverture et de flexibilité. Tertio, que ceux qui manquent le bon moment doivent combler le retard rapidement et avec détermination. Pour résumer, je vois le changement comme un voyage en ballon. Il faut attendre la bonne brise, rester aux aguets, et réagir rapidement une fois qu’elle se met à souffler. || Herman Daems, Président du conseil d’administration de BNP Paribas Fortis


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