B NQ Quaterly 26/03/2015

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Quarterly

PERSPECTIVES ON BANKING

La quête de la nouvelle culture de l’innovation Michèle Sioen : « Rien n’est impossible » Une initiative de BNP Paribas Fortis en collaboration avec Echo Connect


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édito

« Toujours aller de l’avant ! » Michèle Sioen

L'innovation est sur toutes les lèvres, mais elle reste, dans le fond, assez méconnue. Je remarque que, souvent, on la confond avec la créativité. Être créatif, c'est inventer la nouvelle pièce d'un puzzle ; innover, c'est réaliser un puzzle avec les nouvelles et les anciennes pièces. En d'autres termes, l'innovation ne crée pas la nouveauté, mais la met en œuvre. L’inventeur doit se convaincre lui-même de changer sa façon de penser. L’innovateur, lui, doit convaincre – selon les cas – les clients, les partenaires, les fournisseurs, les régulateurs, les gouvernements, de changer leur façon de faire. Des entreprises comme Microsoft et Samsung ont construit leur succès sur la mise en œuvre réussie des idées des autres : c'est la preuve que l'on peut propager l'innovation sans être créatif ! J'entends les entreprises invoquer l'innovation presque comme une incantation. Mais quand je leur demande pourquoi elles veulent innover, elles « calent ». Or, c'est la première question à se poser. L'innovation est un moyen, pas une fin. Selon les cas, elle sert à s'adapter aux mutations de l'environnement, pour éviter l'obsolescence, ou à différencier son offre, pour offrir plus de valeur que la concurrence. Vous voulez augmenter vos profits, assurer votre croissance, améliorer les conditions de travail de votre personnel, diminuer votre empreinte carbone, limiter vos coûts ? Autant d'objectifs très différents, nécessitant des types bien distincts d'innovation. Par exemple, une firme comme Ferrero (Nutella) fonde son succès sur une petite gamme très stable. Ses innovations ne sont pas perceptibles pour le consommateur, qui veut un produit inchangé. En informatique, l’approche est tout autre : il est normal de lancer un produit pas complètement fini, on envoie un patch aux clients et le tour est joué. En revanche, impossible d'appliquer ce genre de méthode dans le secteur de la santé ! Bref, être au clair avec ses objectifs est la première clé de l'innovation. Ensuite, les obstacles que les sociétés rencontrent dépendent souvent de leur taille. Typiquement, les petites structures sont plus douées pour voir la nouveauté, les grandes pour la mettre en œuvre. Les premières auront donc intérêt à nouer des partenariats, les secondes à disposer d'entités dédiées (à l'instar de Google X) et d'une politique de ressources humaines adaptée. Et l'idée qu'il faut « pousser les gens à prendre des risques » est simpliste. Vous voulez favoriser l'innovation ? Créez un climat où on tolère l'erreur, où l'apprentissage par expérimentation est encouragé, où les services internes échangent, et où les idées nouvelles peuvent remonter facilement jusqu'à la hiérarchie. || Benoît Gailly, professeur en gestion de l'innovation à la Louvain School of Management et auteur du livre Developing Innovative Organization.

B NQ B NQ est une plateforme de contenu de cross médias consacrée à la banque socialement responsable et moderne. Au travers de la diffusion d'informations, B NQ entend ouvrir le débat et le dialogue sur la base de récits remarquables, innovants et concrets. Ce magazine a été publié le 26 mars 2015 www.lecho.be/bnq

8 Table ronde : « Nous sommes à l’aube d’une ère fantastique ».

Pattie Maes, chercheuse au MIT : « Les ordinateurs sont des prothèses pour notre cerveau ».

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20 Le secret de Google.

22 Les innovations qui vont changer votre monde.

28 Martin Hinoul et Peter De Keyzer : « On ne crée pas d’emplois en bloquant les industries innovantes ».

Ours Une initiative de BNP Paribas Fortis en collaboration avec Echo Connect. Coordination : Veronique Soetaert Lay-out : Christine Dubois, Laure Jans-Cooremans Photos : Frank Toussaint E.R. : WalterTorfs, rue des Sols 2, 1000 Bruxelles

Echo Connect offre aux entreprises, organisations et organismes publics l’accès au réseau de L’Echo, pour partager leur vision, CONNECT leurs idées et leurs solutions avec la communauté de L’Echo. Le partenaire impliqué est responsable du contenu.


Toujours aller de l’avant ! Michèle Sioen, CEO de Sioen Industries - présidente de la FEB


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On a déjà tant écrit sur l’innovation, raconté tant de choses plus ou moins sensées, qu’y ajouter une nouveauté semble presque mission impossible. Pourtant, rien n’est impossible. C’est d’ailleurs le point de départ de ma vision de l’innovation.

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orsque mes parents ont décidé d’entreprendre dans les années 60, c’était également leur conception. Et aujourd’hui, 50 ans plus tard, rien n’a changé. C’est le choix du changement, de l’inconnu. La volonté de s’engager totalement dans cette direction. Chez mes parents, c’était l’innovation avant la lettre, avant qu’elle devienne un vocable à la mode. Tout simplement leur manière de travailler, leur – et donc mon – parcours. Parfois capricieux, parfois stimulant, parfois par grands bonds, parfois avec des chutes dont il fallait se relever, mais toujours : aller de l’avant. Cette progression n’est possible qu’à condition d’avoir l’esprit ouvert, un sens affûté des affaires et une volonté de réaliser ses rêves. Innovation, selon certains. Créativité, selon d’autres. Je m’en tiens à un cocktail de nombreux ingrédients qui font le succès d’une entreprise. C’est oser être différent. Oser changer. Oser tout court. Cela demande à chacun une grande flexibilité au sein de l’entreprise. Depuis des décennies, le slogan de Sioen Industries est « Innover pour protéger ». C’est inscrit dans nos gènes. Nous sommes comme ça. C’est un état d’esprit, un choix. Le chef d’entreprise doit créer un environnement propice à l’innovation et à la créativité. Laisser ses collaborateurs penser librement et formuler des solutions et des propositions. Même si celles-ci peuvent parfois paraître totalement utopiques. Et leur laisser de l’espace – c’est peut-être la mission la plus délicate pour un entrepreneur innovant. Être intimement convaincu que rien n’est impossible. Et peut-être encore plus important : transmettre cette conviction et l’entretenir chez tous les collaborateurs. Naturellement, il ne suffit pas d’avoir suffisamment d’idées créatives. La sélection des meilleures idées et leur concrétisation correcte sont tout aussi cruciales. Cela comporte des risques et exige une vision de long terme. Chez Sioen Industries, l’innovation est par conséquent un pilier de notre stratégie. Elle dépasse les départements, elle vit chez chacun d’entre nous. Nous pratiquons ensemble une innovation ouverte dans le cadre de laquelle nous collaborons avec des clients, des fournisseurs, des associations professionnelles, des universités et hautes écoles, des think tanks et des services publics.

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Dans un contexte plus large, l’innovation est un ingrédient incontournable de la compétitivité des entreprises. Surtout en Belgique, où les optimisations technologiques et organisationnelles sont indispensables afin de compenser dans la mesure du possible des charges salariales et énergétiques élevées. La politique d'innovation couvre de nombreux domaines et se montre d’une grande complexité. Et la distribution des compétences liées à l’innovation sur plusieurs niveaux de pouvoir ne facilite pas les choses. En tant que présidente de la FEB, je souhaite œuvrer à un climat favorable aux innovations. Assister et participer au développement d’une politique de long terme et cohérente. Réduire les règles et barrières qui barrent la route des nouvelles technologies. Favoriser des mesures qui rendent plus attrayants le risque et l’innovation. Et je collaborerai activement à des réseaux « apprenants », dans lesquels les organisations à forte intensité de connaissances, comme les universités et les entreprises, échangent des expériences. Faisons de l’innovation une priorité absolue. Osons. Choisissons. Et soyons convaincus que rien n’est impossible. C’est l’avenir. || Michèle Sioen, CEO de Sioen Industries - présidente de la FEB

INNOVER, C’EST OSER ÊTRE DIFFÉRENT. OSER CHANGER. OSER TOUT COURT. Michèle Sioen


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Innovation : menace ou Votre job en danger ?

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es ordinateurs menacent la moitié des emplois en Belgique », pouvait-on lire récemment à la Une d’un quotidien. La conclusion de l’article ? Seules les personnes hautement qualifiées et celles qui n’ont aucune qualification ne pourront pas être remplacées. Toutes les autres fonctions pourront, d’une manière ou d’une autre, être exécutées par des ordinateurs : des avocats aux journalistes, des comptables aux notaires. Sous cet angle, on pourrait déduire que l’innovation et la technologie constituent une menace pour la société et la prospérité. En parcourant l’Histoire, vous découvrez où ce raisonnement s’effondre. Au 19e siècle, avant l’arrivée du tracteur et autres machines agricoles, la moitié de la population belge environ travaillait dans l’agriculture. La mécanisation a entraîné une augmentation spectaculaire de la productivité, et donc réduit le nombre de personnes nécessaires pour effectuer le même travail. Aujourd’hui, à peine 3 % de la population belge travaille encore dans l’agriculture – une perte de millions d’emplois par rapport au 19e siècle. Mais personne ou presque ne considère cette destruction d’emplois comme une perte. Au contraire, l’industrialisation a permis et entraîné la création d’emplois à plus forte valeur ajoutée. En d’autres termes, l’innovation dans l’agriculture a certes coûté des millions d’emplois agricoles, mais elle a engendré la création de millions d’autres emplois et nous a tous rendus plus prospères. Prenez la photocopieuse. Son apparition a mis de nombreuses dactylos au chômage, car elles n’étaient plus indispensables pour recopier des lettres et des documents. Le moteur à combustion a rendu les chevaux de trait superflus et s’est avéré source de pertes d’emplois chez les maréchauxferrants et les fabricants de selles. Les exemples sont innombrables. Bien que les innovations aient déstabilisé certains secteurs, elles ont également créé de nouvelles chances, des opportunités d’emploi et des manières neuves de créer de la prospérité au sein de la société. L’innovation procède par à-coups et se heurte souvent à la résistance sociale. Ce n’est qu’en regardant dans le rétroviseur de l’Histoire que l’on peut prendre conscience du progrès qu’elle a apporté. La déstabilisation de certains secteurs est temporaire. L’augmentation de la prospérité pour l’ensemble de la société est permanente. Peter De Keyzer Chief Economist - BNP Paribas Fortis

Monastères

6e siècle

Au Moyen-Âge, les monastères sont devenus des centres importants de culture et de sciences. Les moines étaient les premiers à apprendre à lire et à écrire. En voyageant, ils diffusaient leurs connaissances. Les écoles cathédrales ont ensuite composé les premières universités. Les monastères ont également introduit de nouvelles techniques agricoles comme le changement de culture tous les trois ans (l’assolement triennal), la production de fromages et de la viande fumée.

Poudre à canon

9e siècle

Avec l’imprimerie, le papier et la boussole, la poudre à canon figure dans le célèbre quatuor d’innovations apporté par l’Empire de Chine. Quatre siècles après son invention en Extrême-Orient, le mélange explosif arrive en Europe avec les conquêtes mongoles. Il va profondément modifier l’art de la guerre dans le monde entier.

Électricité

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Benjamin Franklin découvre l’électricité. Ce scientifique, homme politique et écrivain est le Léonard de Vinci de son époque. Il prouve que l’éclair est une forme naturelle d’électricité en faisant voler un cerf-volant équipé d’un câble métallique pendant un orage. Sans sa découverte, notre société actuelle n'aurait probablement pas le visage que nous lui connaissons.

Organisation du travail Dans son chef-d’œuvre La Richesse des nations, l’économiste Adam Smith explique les avantages de la spécialisation associée à la coopération dans l’intérêt propre de chacun. Un homme seul ne peut fabriquer qu’une épingle par jour. Mais un groupe de personnes au sein duquel chacun se spécialise dans une seule tâche permet de multiplier la productivité par un facteur 10.000.

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Bakélite Le Gantois Leo Baekeland fait breveter la bakélite aux États-Unis, le premier plastique entièrement synthétique. La bakélite est un matériau résistant à la chaleur, isolant électrique et résistant aux produits chimiques. L’expiration du brevet en 1927 permet la production de masse de nombreux produits, des interrupteurs aux téléphones en passant par les sèche-cheveux.

Pénicilline

1928

Parfois, la chance joue un rôle énorme dans l’innovation. Ainsi le scientifique écossais Alexander Fleming a-t-il découvert le premier antibiotique par hasard dans une boîte de Petri alors qu’il rangeait son laboratoire. Il constate en effet qu’une souche de champignons secrétait une substance qui tue les bactéries. La pénicilline n’est devenue un véritable médicament qu’en 1942, et a depuis sauvé au moins 200 millions de vies.

Pilule

1960

Le 9 mai, ironiquement le jour de la fête des Mères aux États-Unis, on annonçait que l’Enovid était sûre et pouvait donc être commercialisée. Selon John Rock, un gynécologue qui a participé à sa conception, la pilule contraceptive permettrait d’éviter une catastrophe : « Ce qui menace le plus la paix mondiale et le mode de vie convenable n’est pas l’énergie atomique, mais l’énergie sexuelle. »

Ordinateur quantique

2011

D-Wave présente le premier superordinateur qui, selon le comité Nobel, « pourrait apporter à notre vie quotidienne un changement aussi radical que l’ordinateur classique au siècle dernier ». Dans un ordinateur classique, chaque « bit » peut être 1 ou 0 ; dans un ordinateur quantique, chaque « qubit » peut être les deux au même moment. Les ordinateurs quantiques n’effectuent donc pas une opération après l’autre, mais toutes les opérations simultanément. Ils pourraient ainsi ouvrir une nouvelle ère pour les Big Data.

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Saviez-vous que… … Charles Duell, qui dirigeait le Bureau américain des brevets en 1899, n’a jamais dit : « Tout a déjà été inventé, nous ferions mieux d’arrêter » ? Au contraire, il a affirmé : « Selon moi, toutes les inventions d’aujourd’hui sembleront totalement insignifiantes lorsqu’elles seront comparées aux découvertes qui verront le jour au 20e siècle. » … bien que le premier avion ait pris son envol en 1903, la construction aéronautique n’a réellement décollé que 11 ans plus tard, lorsque l’on s’est aperçu que ces caisses à savon volantes pouvaient être utiles à la guerre ? ... Albert Einstein avait tort lorsqu’il a affirmé que « ceux qui n’ont pas apporté de contribution importante à la science avant trente ans ne le feront plus jamais » ? Selon une récente étude, la cinquantaine est la période la plus féconde. Steve Jobs, par exemple, a certes fondé Apple Computer à 21 ans à peine, mais il n’a connu sa période la plus innovante qu’après avoir passé le cap des 50 ans. … le graphène était surnommé le « plastique du 21e siècle » ? Découvert en 2004, ce matériau miracle 100 fois plus solide que l’acier, plus rigide que le diamant et meilleur conducteur que le cuivre, n’a qu’un atome d’épaisseur. Les applications concrètes du graphène n’en sont cependant qu’à leurs balbutiements. ... la NASA avait développé, pour ses projets spatiaux, de nombreux produits innovants qui se sont également avérés très utiles sur Terre ? Pensez aux panneaux solaires, à la navigation par satellite, à la mousse à mémoire de forme, au téflon, aux lentilles résistantes aux griffes, etc.


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« Nous sommes à l’aube d’une ère fantastique » Dans notre monde globalisé et numérisé, un rôle-clé est réservé aux sociétés innovantes. Comment les entreprises peuvent-elles se réinventer ? Et où se situent les opportunités pour l’avenir ? Sept spécialistes ont confronté leurs réflexions.

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ans un monde qui évolue aussi vite, l’innovation n’est rien de moins que le principal moteur de la croissance économique. Pour autant, l’innovation ne se nourrit pas d’elle-même, même si notre pays est un sol fertile en la matière. Les entreprises, l’État et la société doivent contribuer à la création d’un environnement qui favorise l’innovation. Il faut surtout développer une culture profonde de l’idée que tout est possible et que l’erreur est humaine. C’est la conclusion d’un débat animé entre sept experts d’horizons très différents : Luc de Brabandere (Boston Consulting Group), Thierry Geerts (Country Director de Google), Tom Heyman (CEO de Janssen Pharmaceutica), Max Jadot (CEO de BNP Paribas Fortis), Veerle Lories (administratrice générale de l’IWT), Jean-Pierre Marcelle (directeur général de la Wallonia Foreign Trade and Investment Agency) et José Zurstrassen (président de MyMicroInvest).

Veerle Lories, IWT Max Jadot, BNP Paribas Fortis José Zurstrassen, MyMicroInvest


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Luc de Brabandere, Boston Consulting Group Jean-Pierre Marcelle, Wallonia Foreign Trade and Investment Agency Tom Heyman, Janssen Pharmaceutica Thierry Geerts, Google

Tout d’abord, comment pourrait-on définir l’innovation ? Veerle Lories : « L’innovation est nécessaire pour créer de la valeur ajoutée, à la fois dans le domaine économique et dans le domaine social au sens large. Elle peut prendre la forme du développement de nouveaux produits et services, du déploiement de modèles d’affaires originaux, de l’application d’une organisation du travail novatrice. L’innovation dépasse donc le simple aspect technologique. Malheureusement, le terme y est trop souvent limité. » Luc de Brabandere : « Il est pourtant parfaitement possible de dissocier l’innovation et la technologie. Si Earl Tupper a fait de Tupperware un tel succès, ce n’est pas en développant un nouveau type de plastique mais en appliquant une stratégie marketing novatrice et en créant un nouveau canal de distribution. En fin de compte, l’innovation est la capacité d’une entreprise à changer les choses. Toutefois, il ne suffit pas de mettre une idée sur la table ou d’imaginer un nouveau produit. Les ingénieurs de Kodak ont été à l’origine d’une foule d’innovations dans la photographie. Cela n’a pas empêché l’entreprise de faire faillite. Pourquoi ? Parce qu’ils ne sont jamais parvenus à rompre avec leur modèle de pensée initial. Fondamentalement, ils ont toujours continué à considérer Kodak comme une entreprise chimique et ont ainsi laissé passer de nombreuses opportunités. » Quelle est l’importance de l’innovation dans notre économie ? Jean-Pierre Marcelle : « Pour notre pays, l’innovation est une condition de base pour rester en tête du peloton économique, conquérir de nouveaux marchés et développer un avantage concurrentiel. L’innovation dynamise une économie. Non seulement par la plus-value et l’emploi qu’elle crée, mais aussi par les économies qu’elle permet de réaliser. C’est une évolution dont profite l’ensemble de la société. Des développements technologiques permettront bientôt aux patients de mieux suivre leur état de santé, et donc aux médecins de dépister les maladies à un stade beaucoup plus précoce. Cette innovation pourrait représenter d’énormes économies pour un système de soins de santé que nous éprouvons de plus en plus de difficultés à financer. » Tom Heyman : « L’importance de l’innovation dépasse les aspects économiques. Une combinaison de nouveaux médicaments, d’une alimentation plus saine et de meilleurs diagnostics nous a permis d’allonger notre espérance de vie de 35 ans en à peine un demi-siècle. Aujourd’hui, une petite pilule par jour suffit pour maintenir une maladie comme le sida sous contrôle, et nous sommes capables de guérir l’hépatite C. C’était impensable il y a 10 ans. Cela aussi est la conséquence de l’innovation. »

NOUS DEVONS ÉVOLUER VERS UNE CULTURE OÙ IL EST POSSIBLE DE SE PERDRE DANS LE BROUILLARD. José Zurstrassen, MyMicroInvest

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Luc de Brabandere, Boston Consulting Group

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TRÈS PEU D’INNOVATIONS SONT NÉES À L’INITIATIVE DE L’ÉTAT.

Max Jadot : « De ce fait, l’innovation présente surtout une opportunité très élevée. Ne pas innover entraînera à terme un recul très rapide de notre prospérité et de notre bien-être. C’est précisément pour cela que notre société doit être ouverte au changement dans toutes ses articulations – secteur privé, État, enseignement, etc. » De quoi notre pays a-t-il besoin pour stimuler encore plus cette volonté d’innover ? Thierry Geerts : « Nous devons être plus ouverts à l’idée qu’il est possible de réaliser de grandes choses dans notre petit pays. En 1958, nous étions convaincus que nous améliorerions le monde à partir de la Belgique, et cette mentalité a été la base du succès d’une entreprise comme Janssen Pharmaceutica. Comme aujourd’hui, le monde changeait très rapidement sous l’effet de l’arrivée de la télévision et du développement de l’électronique. Malheureusement, nos réactions actuelles aux innovations technologiques liées à la connectivité et à la numérisation sont beaucoup plus conservatrices. Le problème n’est pas que de nombreux CEO belges n’ont pas conscience de l’opportunité de la numérisation, mais qu’ils sont souvent incapables de mener à bien cette transformation. C’est un mismatch auquel il est urgent de remédier. » José Zurstrassen : « Notre pays est pourtant un sol fertile en innovations. Non seulement de nombreuses spin-offs à succès ont été créées autour de nos universités, mais nos organismes publics se montrent également très ouverts

José Zurstrassen, MyMicroInvest

Thierry Geerts, Google

aux idées innovantes. Lorsque les autorités belges ont donné le feu vert à MyMicroInvest – une plateforme d’entreprises permettant de collecter l’épargne d’un très large public par crowdfunding – nous nous sommes entendu répondre au Luxembourg que le projet était trop innovant et qu’il était refusé. Cela en dit long sur l’esprit d’innovation dans les deux pays. Aujourd’hui, la question est surtout de savoir si nous pouvons encore accroître la culture de l’innovation dans nos frontières. Les près de 260 milliards d’euros parqués sur nos comptes d’épargne peuvent certainement y contribuer. Si une très petite partie de ce montant était investie dans des startups, cela donnerait un énorme coup de fouet à la culture de l’innovation en Belgique. » Ne faudrait-il pas encourager davantage l’entrepreneuriat, comme c’est le cas aux États-Unis ? Tom Heyman : « En Europe, nous devons adopter la mentalité américaine selon laquelle il est aussi louable de réussir que d’échouer. Chez nous, ceux qui réussissent sont encore trop souvent jalousés. Et ceux qui échouent suscitent le mépris. Cette culture européenne très négative est à l’origine du départ de nombreux jeunes vers la Silicon Valley. Il y est beaucoup plus aisé de décrocher un financement pour un projet, parce que les sociétés de capital-risque ont une plus grande tolérance à l’échec. Plus encore, elles sont particulièrement bienveillantes vis-à-vis de ceux qui ont déjà échoué, parce que cela signifie qu’ils ont également commis des erreurs dont ils ont pu tirer des enseignements. » José Zurstrassen : « La stigmatisation de l’échec demeure un gigantesque problème. Le chemin à parcourir est encore long. Nous devons évoluer vers une culture où il est possible d’essayer

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surtout se limiter à optimiser le cadre qui entoure l’innovation, par exemple en favorisant fiscalement la recherche ou le capital-risque. L’État ne doit pas perdre son temps à travailler pendant des années à des plans fourre-tout sur l’innovation. De toute manière, ils seront vite dépassés, parce que l’évolution numérique se développe à un rythme extrêmement rapide. »

de nombreuses choses et de se perdre à l’occasion dans le brouillard. C’est un moteur incroyablement puissant pour l’innovation. Heureusement, la jeune génération évolue peu à peu dans cette direction. » Tom Heyman : « C’est vrai, mais le cadre réglementaire doit encore soutenir cette évolution. Chez nous, un échec est toujours sanctionné par une législation sur les faillites particulièrement rigide. Aux États-Unis, il en va tout autrement. Et cela ne contribue naturellement pas, ici, à un climat ouvert à l’expérience de l’échec ni à la promotion de l’innovation. » De nombreuses entreprises essaient de protéger leurs innovations par des brevets. N’est-ce pas un frein à l’innovation ? Tom Heyman : « La commercialisation d’un nouveau médicament coûte 2,6 milliards de dollars. Sans brevet ou autre forme d’exclusivité, aucune entreprise pharmaceutique ne pourrait encore développer des médicaments, parce que les coûts sont tout simplement trop élevés. Il faut avoir suffisamment de temps pour rentabiliser le nouveau médicament afin de pouvoir réinvestir dans de nouveaux développements. L’industrie pharmaceutique a besoin d’oxygène pour amortir ses investissements. » José Zurstrassen : « La situation est quand même un peu plus compliquée pour les petites entreprises. Les brevets sont nés pendant la révolution industrielle afin de protéger les inventions de jeunes ingénieurs contre des entreprises beaucoup plus grandes, et surtout beaucoup plus riches. Entre-temps, ils sont devenus un système extrêmement complexe et coûteux, dont seules les grandes entreprises ou presque peuvent bénéficier. La demande de brevet compte parmi les priorités d’un grand nombre de jeunes entrepreneurs… jusqu’à ce qu’ils se rendent compte du prix que cela coûte. Ils préfèrent alors différer la demande jusqu’à ce qu’ils aient engrangé leurs premiers bénéfices. Mais c’est souvent trop tard. C’est pourquoi nous devons à nouveau réformer le système afin qu’il protège mieux les petits inventeurs. Et qu’il facilite ainsi à nouveau l’innovation. » Que peut faire l’État pour stimuler l’innovation ? Thierry Geerts : « Très peu d’innovations sont nées à l’initiative de l’État. Ce sont les entreprises qui doivent innover, alors que l’État doit d’abord leur laisser la voie libre – afin que les entreprises aient le temps et la possibilité d’innover. L’État doit

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Veerle Lories : « Il est évident que les entreprises jouent un rôle central dans le développement des innovations. Elles disposent à la fois des connaissances et du savoir-faire en ce sens. L’État peut cependant être un catalyseur, créer l’environnement adéquat pour ces entreprises. En commençant par inciter les jeunes à opter pour une formation scientifique et l’entrepreneuriat. L’État remplit également un rôle important dans l’aide aux jeunes entreprises. Dans une première phase, celles-ci ont souvent besoin de subsides qui peuvent créer un effet de levier et leur permettre d’attirer plus aisément du capital-risque dans une phase ultérieure. L’État a donc certainement sa place dans le débat sur l’innovation. Il suffit pour s’en convaincre d’évoquer les nombreux programmes de soutien au secteur des biotechnologies dans les années 80, dont nous récoltons toujours les fruits aujourd’hui. » Jean-Pierre Marcelle : « Les grandes entreprises peuvent souvent se reposer sur un écosystème dans lequel il est beaucoup plus facile d’innover. Ceci dit, notre pays compte également de très nombreuses petites entreprises qui ont des idées extrêmement novatrices, mais pas le capital pour pouvoir les élaborer. C’est pourquoi il est vraiment crucial que les petites entreprises puissent compter sur l’aide du secteur public. Ce dernier doit également identifier les tendances et les innovations qui recèlent un caractère durable. » Que doivent faire les entreprises pour créer un environnement optimal pour l’innovation ? Luc de Brabandere : « Les entreprises doivent surtout avoir conscience qu’aucune idée n’est bonne et utile dès le départ. Mais cela exige un bouleversement culturel. Cela signifie que la culture du “oui, mais” doit laisser la place à une culture du “oui, et”. La première se concentre uniquement sur les obstacles auxquels se heurte l’idée, alors que la seconde tente précisément de réaliser l’impossible. C’est vraiment crucial, car la véritable innovation nécessite d’abandonner les anciens systèmes de pensée. Il n’y aurait jamais eu de lampes à incandescence si Thomas Edison n’avait pas eu l’idée folle de développer une forme d’éclairage sans

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processus de combustion. Pourtant, c’était l’hypothèse de travail classique depuis des milliers d’années. Et c’est vraiment le point central : créer quelque chose de neuf en quittant totalement le regard habituel que l’on a sur les choses. » Max Jadot : « Pour cela, l’entreprise doit surtout faire appel aux jeunes générations, par définition plus créatives et innovantes. Bien entendu, la direction de l’entreprise doit faire office de locomotive et souligner sans cesse l’importance de l’innovation. Toutefois, les jeunes sont familiers des évolutions technologiques les plus récentes, et ils ont reçu la formation adéquate. C’est une combinaison très puissante qu’une entreprise ne peut ignorer. Ensuite, les organisations ont besoin de plateformes d’innovation pour avoir une vue sur tous les projets novateurs, et d’un Innovation Manager qui veille à créer une nouvelle dynamique. En outre, l’entreprise doit être ouverte à ce qui se passe à l’extérieur, en développant un écosystème centré sur l’innovation. » Thierry Geerts : « L’innovation traverse toute l’organisation. Il ne suffit pas de développer un département Innovation, car chaque collaborateur doit être encouragé à se montrer innovant personnellement. Pour cela, il faut un CEO inspirant, qui crée un climat où tout est possible et où les travailleurs ont la possibilité de commettre des erreurs. Il faut également encourager les jeunes collaborateurs en leur soumettant des projets stimulants. Personne n’est enthousiaste à l’idée de réduire la consommation de papier de 10 %. C’est ennuyeux et cela engendre des idées sans inspiration. Mais demandez de ramener la consommation de papier à zéro, et vous donnerez des ailes à des collaborateurs passionnés qui imagineront automatiquement des idées novatrices pour atteindre cet objectif ambitieux. De toute façon, il est plus facile de réinventer totalement quelque chose que de chercher à l’améliorer. »

treprise pharmaceutique ne pourra plus se contenter de développer des médicaments innovants. Nous devrons fournir des solutions thérapeutiques totales, dont le médicament ne sera qu’une composante. L’accent est de plus en plus placé sur la prévention et le suivi proactif de la santé, un domaine dans lequel nous collaborons avec des entreprises technologiques extérieures au secteur pharmaceutique traditionnel. Car il existe de nombreuses applications qui permettent au patient de mesurer lui-même divers paramètres de sa santé. Nous nous rapprochons ainsi un peu plus encore des médicaments personnalisés. » Max Jadot : « L’arrivée de nouveaux acteurs extérieurs au secteur met les activités traditionnelles des banques sous pression. Le crowdfunding est un phénomène relativement récent qui peut constituer une possibilité de financement pour les entreprises à un stade très précoce. Il a inévitablement un impact sur le modèle bancaire traditionnel qui consiste à attirer les dépôts d’épargne pour les convertir en crédits. Dans le flux de paiements et le transport de fonds, les banques sont confrontées à l’arrivée d’applications mobiles et de monnaies virtuelles. Si nous n’y prenons garde, nous n’aurons plus besoin de banques à terme. Dans la nouvelle réalité, nous devons réinventer notre place. Et ce, en développant des idées novatrices pour tous les domaines où les banques sont actives. » Thierry Geerts : « Nous n’avons encore découvert qu’une fraction des possibilités de l’internet, alors que le développement mobile provoque déjà une deuxième vague d’innovations. Nous ne sommes cependant qu’au début d’une nouvelle ère qui va vraiment changer notre monde. Comparez cela à l’arrivée de l’électricité, responsable d’une deuxième révolution industrielle à la fin du 19e siècle. Comme à l’époque, tout est à réinventer. C’est donc une période fantastique qui nous attend. »

Enfin, quelles sont les innovations qui auront le plus lourd impact sur votre secteur au cours des années à venir ? Tom Heyman : « Dans un futur proche, une en-

L’ARRIVÉE DE NOUVEAUX ACTEURS MET LES ACTIVITÉS TRADITIONNELLES DES BANQUES SOUS PRESSION.

Max Jadot, BNP Paribas Fortis

Max Jadot, BNP Paribas Fortis

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LES ENTREPRISES DOIVENT AVOIR CONSCIENCE QU’AUCUNE IDÉE N’EST UTILE DÈS LE DÉPART. Luc de Brabandere, Boston Consulting Group

Veerle Lories, IWT

NEST’UP, NID D’INNOVATION WALLON « Nest’Up est le seul accélérateur de start-ups gratuit au monde, assure Olivier Verbeke, l’un de ses ‘organisateurs’. Nous ne demandons pas d’argent aux entrepreneurs et ne prenons pas de parts au capital des sociétés. » Nest’Up, qui vient d’emménager dans 3 000 m² à Mont-Saint-Guibert, propose trois mois d’accompagnement intensif aux startups sélectionnées (six à neuf équipes à chaque session). L’accélérateur en est à sa cinquième édition. « Pour être sélectionné, il faut être prêt à tout recommencer à zéro, reprend Olivier Verbeke. C’est l’un des secrets de l’innovation réussie : sortir de sa zone de confort, en utilisant toutes les ressources de notre ‘trousse à outils’, notamment les principes du Business model Canvas et les méthodes Agile et Lean Startup. On accompagne les équipes sur le terrain pour tester et valider les hypothèses les plus risquées, avant d’imaginer les meilleures solutions. » Aujourd’hui, 19 des 24 start-ups accompagnées au fil des deux ans et demi écoulés sont encore en activité, une centaine d’emplois ont été créés, 4 millions d’euros levés.

Tom Heyman, Janssen Pharmaceutica

Nest’Up a lancé un cercle vertueux, s’enthousiasme Oliver Verbeke : « L’investissement public de départ a permis la création d’un fonds d’amorçage privé – ces 30 000 à 100 000 euros qui manquent si cruellement avant de réaliser la première levée de fonds. Et de grands entreprises nous contactent pour développer des accélérateurs internes. » Le serial entrepreneur salue le rôle déterminant du programme-cadre public Creative Wallonia et de l’Agence pour l’entreprise et l’innovation (AEI).

Jean-Pierre Marcelle, Wallonia Foreign Trade and Investment Agency

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Et vous, comment innovez-vous? Trois top managers parlent de l’innovation et de ses effets sur leur entreprise, leur secteur et leur avenir.

« L’innovation est liée à la prise de risque » Loin de chercher le ‘risque zéro’, des start-ups comme Take Eat Easy (une plateforme qui permet de commander des plats, cuisinés par des restaurants à proximité) innovent… et acceptent de se tromper, lance Adrien Roose, son CEO. Quelle est l’importance de l’innovation pour Take Eat Easy ? Adrien Roose : « Cruciale, car seules les avancées technologiques liées aux smartphones ont rendu notre business viable. Take Eat Easy est née d’une envie de faire mieux que ce qui existait alors : des sites recensant les restaurants qui assuraient eux-mêmes la livraison. Nos clients ont accès à de bien meilleurs plats ! » Comment élaborez-vous votre stratégie et votre politique d’innovation ? Adrien Roose : « Nous sommes quatre associés aux compétences complémentaires, tout a été construit en interne. Le moteur de recherche et le système gérant les commandes en ligne ont été rapidement conçus. Le plus complexe – nous nous en sommes rendu compte plus tard – était la livraison, et notamment la gestion des coursiers à vélo. » Comment se déroule l’application concrète d’une technologie innovante ? Adrien Roose : « Nous sommes au début de notre histoire. Nous assurons des centaines de livraisons chaque jour à Bruxelles et Paris : nous visons plusieurs milliers. Cela implique d’adapter nos technologies au facteur humain

et d’innover au quotidien. Par exemple, optimiser les tournées de livraisons en fonction des localisations de nos coursiers entre deux courses. » Comment stimuler l’innovation ? Adrien Roose : « Nous devons faire comprendre aux Belges que c’est "OK" d’échouer ! L’innovation est étroitement liée à la prise de risques. Nous avons travaillé sur plusieurs projets gourmands en temps et en énergie… pour rien, car ils n’apportaient finalement pas de vraie valeur. Nous les avons laissés tomber. L’échec est un facteur d’expérience, qu’il faut absolument dédramatiser ! » Attendez-vous aussi quelque chose de votre banque ? Adrien Roose : « En tant que start-up, nous avons surtout des relations avec elle en matière de flux financiers. »

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« Chercher des alternatives à des produits populaires » Airopack développe des diffuseurs innovants à base d’air. « Une bonne idée seule ne suffit pas », selon Erwin Boes, Commercial Technology Director. Quelle est l’importance de l’innovation pour Airopack ? Erwin Boes : « Quelle que soit la situation de l’entreprise, nous restons fidèles à la devise “Innovate or die”. Quand tout va bien, il y a assez de ressources à investir dans de nouvelles technologies. Et quand les résultats sont décevants, il est d’autant plus indispensable d’innover. » Comment élaborez-vous votre stratégie et votre politique d’innovation ? Erwin Boes : « Une bonne idée seule ne suffit pas. Les innovations à succès reposent aussi sur la passion, les bonnes personnes, un leadership visionnaire et la volonté d’investir. Un sage m’a dit un jour : “Jusqu’à la mise en production, l’innovation n’est qu’un loisir très onéreux”. » Comment se passe l’application concrète de la technologie innovante ? Erwin Boes : « Nous commençons par identifier des problèmes, pour les transformer ensuite en “poil à gratter”. C’est ainsi que nous avons développé nos diffuseurs qui utilisent

de l'air, en réponse, en réponse aux aérosols traditionnels qui utilisent des gaz. » Comment stimuler l’innovation ? Erwin Boes : « En observant les entreprises à succès qui occupent une position de monopole, et en imaginant des alternatives à leurs produits. Ou en combinant plusieurs techniques ou marchés. C’est aussi un défi créatif consistant à adapter une version d’un produit à des cultures, des habitudes ou des religions spécifiques. » Attendez-vous également quelque chose de votre banque ? Erwin Boes : « Pour des projets de grande ampleur, des financements et des bailleurs de fonds supplémentaires sont sans doute nécessaires. Mais jusqu’à présent, nous sommes toujours parvenus à financer nos processus innovants par nous-mêmes. »

« Chaque idée doit être encouragée » « Nous innovons en continu pour répondre à l’évolution des conditions de marché », résume Hans Huyghe, Development Manager de Verstraete IML in mould labels (étiquetage et emballage dans un moule)». Quelle est l’importance de l’innovation pour Verstraete IML ? Hans Huyghe : « Nous sommes leader mondial sur le marché de l’étiquetage (préimprimée en polypropylène) dans l’industrie de l’emballage. C’est le résultat de longues années de recherches et d’optimisations. Pourtant, il reste des parts de marché à gagner si nous continuons à innover. En outre, nous devons être attentifs aux innovations “disruptives” radicales et inattendues. » Comment élaborez-vous votre stratégie et votre politique d’innovation ? Hans Huyghe : « L’innovation en matière de produits, de processus et d’organisation relève de la responsabilité de notre équipe de direction. Chaque idée est

évaluée selon sa faisabilité technique, son marché potentiel, son retour sur investissement et son coût maximal. » Comment se déroule l’application concrète d’une technologie innovante ? Hans Huyghe : « En matière d’innovation produits, nous répondons en continu à l’évolution des conditions de marché. C’est le cas de notre étiquette recto-verso qui accroît l’espace disponible pour le marketing au verso, car les informations légales obligatoires occupent de plus en plus de place. En achetant une machine adaptée – c’est le processus d'innovation – nous pouvons imprimer ces étiquettes recto-verso. » Comment stimuler l’innovation ? Hans Huyghe : « Chaque idée est une bonne

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idée, nous encourageons donc tout le monde à introduire des propositions. Ceux qui le font reçoivent un feed-back détaillé sur la raison pour laquelle leur idée a été retenue ou non. Tous les succès innovants sont communiqués à nos collaborateurs, par le biais d’échantillons et de lettres d’information. » Attendez-vous aussi quelque chose de votre banque ? Hans Huyghe : « Peut-être les banques pourraient-elles donner des conseils plus précis sur la protection de la propriété intellectuelle. En outre, réunir des personnes issues de différents secteurs peut contribuer à l’innovation. Et les banques peuvent constituer un catalyseur idéal dans ce domaine. »


Pattie Maes, chercheuse au MIT Media Lab

« Les ordinateurs sont des prothèses pour nos cerveaux » Il ne faut pas avoir peur des nouvelles technologies mais les intégrer à notre organisme, affirme la chercheuse belge Pattie Maes. « La technologie peut améliorer à la fois nos sens et notre corps. »

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près son doctorat en informatique à la VUB, Pattie Maes a eu l’occasion de travailler au Massachusetts Institute of Technology, une opportunité qu’elle a saisie des deux mains. Il y a 20 ans, les États-Unis étaient la Mecque de l’innovation, explique la chercheuse belge du MIT Media Lab. « En Belgique, nous avions deux ans de retard sur ce qui se passait aux États-Unis. La conséquence des délais de publication des revues professionnelles. » « Aujourd’hui, tout est accessible en temps réel ou presque, que vous soyez étudiant en Inde ou chercheur en Belgique », remarque-t-elle, louant ainsi la démocratisation du savoir apportée par l’internet. « Cette accessibilité facilite la recherche et l’innovation. Et avec les imprimantes 3D, on construit rapidement un prototype. » Pattie Maes cite l’exemple de Quirky, une startup new-yorkaise qui permet à chacun de proposer un nouveau produit. « Les membres élisent ensemble les meilleures idées en ligne, après quoi un prototype est construit en vue de sa commercialisation. Ce sont de grands partenaires comme General Electric qui assurent la mise en rayon. L’inventeur perçoit un pourcentage sur les ventes. » Bien qu’elles n’aient plus le monopole de la recherche et développement, les interactions restent nombreuses entre des universités et de grandes entreprises aux poches bien garnies. Un bon exemple est celui de Sixth Sense, un petit appareil portable développé par le MIT et qui permet à l’utilisateur de commander certaines tâches par des gestes de la main. Il suffit ainsi de former un triangle avec les pouces et les index pour prendre une photo. De dessiner un cercle sur le poignet pour faire apparaître une montre. De regarder un produit au supermarché pour découvrir des informations supplémentaires sur l’emballage. Les possibilités sont presque infinies. La standing ovation reçue par Pattie Maes en 2009, au terme de la présentation de Sixth Sense lors d’une conférence TED, s’explique d’autant mieux. La séquence a été visionnée plus de 1,3 million de fois sur YouTube. Mais qu’en est-il six ans plus tard ? Pourquoi n’avons-nous toujours pas de version commerciale de ce prototype autour du cou ? « Une version commerciale, pratique, n’est pas toujours réalisable », reconnaît Pattie

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NOUS, HUMAINS, SOMMES EN TRAIN DE FUSIONNER AVEC LES MACHINES. NOUS RESSEMBLONS DE PLUS EN PLUS À DES CYBORGS. Pattie Maes, chercheuse au MIT Media Lab

Maes. « Il faut facilement 10 ans pour qu’un prototype fonctionnel débouche sur un produit commercial utilisable. » Pranav Mistry, le chercheur qui a élaboré Sixth Sense à l’époque, travaille aujourd’hui chez Samsung. Une bonne chose, selon Pattie Maes. « Nos possibilités sont limitées au MIT. L’essentiel de notre travail consiste à développer de nouvelles idées et à construire des prototypes. Ces recherches sont en grande partie financées par de grandes entreprises, il n’est donc pas étrange qu’elles les utilisent comme base pour tenter de développer des applications commerciales. » N’est-elle pas déçue de ne pas pouvoir finir elle-même le travail ? « Non, pas du tout. C’est surtout la phase initiale qui me plaît. Imaginer un nouveau concept et construire un prototype qui ne tient pour ainsi dire que par quelques bouts de ruban adhésif… Ce n’est que 5 % du travail total, mais c’est la partie la plus intéressante. Les 95 % restants portent sur des aspects plus théoriques comme une consommation d’énergie plus optimale ou une baisse du prix de revient. Des sujets qui m’interpellent beaucoup moins. » Pattie Maes a entre-temps ajouté une liste impressionnante d’innovations à son palmarès. Elle est ainsi à l’origine d’une foule de start-ups. N’a-t-elle jamais eu envie d’abandonner l’université pour devenir chef d’entreprise ? De vivre son rêve américain ? « Ces start-ups passent beaucoup de temps et déploient beaucoup d’efforts pour attirer du talent et développer le logiciel adéquat. Je préfère me consacrer à la recherche. En tant que chercheuse, je suis régulièrement à la base du brevet, je perçois donc des droits de propriété intellectuelle. »

Deux univers « La façon dont nous gérons nos informations et applications numériques jusqu’à présent n’est pas la meilleure manière d’intégrer la technologie dans nos vies », constate Pattie Maes. >


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nous commandons avec deux doigts. Nous perdons alors tout contact avec notre environnement. Au MIT, nous réfléchissons aux possibilités de placer simultanément les utilisateurs dans l’univers physique et l’univers numérique. » C’est le principal défi, selon elle. « Nos appareils actuels sont assez bêtes. Ils n’essaient pas de prévoir ce qui est utile ou intéressant pour nous. Dans un magasin, ne serait-il pas pratique d’avoir un appareil qui sache qui vous êtes et ce qui importe à vos yeux, et sélectionne le produit le plus adapté sur cette base ? Voire qui apprend à partir de votre comportement ou de vos préférences ? » Le risque n’existe-t-il pas de galvauder notre vie privée si nous continuons à divulguer de plus en plus d’informations ? « Une technologie conçue avec de bonnes intentions peut toujours être détournée », reconnaît Pattie Maes. « C’est pourquoi j’incite toujours mes étudiants à ne pas se contenter du quoi ou du comment, mais aussi à s’interroger sur le pourquoi. » « Si les ordinateurs prennent le contrôle, nous ne le récupérerons peut-être jamais », déclarait Marvin Minsky, le père de l’intelligence artificielle, en 1970. « Nous ne survivrions que par leur grâce. Avec beaucoup de chance, ils nous garderont comme animaux domestiques. » Pattie Maes éclate de rire. « Je n’ai pas aussi peur des ordinateurs. À mes yeux, ce ne sont pas des objets étranges avec lesquels il faut garder ses distances, mais des outils complexes qui nous permettent d’en faire plus. Des prothèses pour notre cerveau, en quelque sorte. Nous, humains, sommes en train de fusionner avec les machines. Nous ressemblons de plus en plus à des cyborgs. » C’est notamment le cas des exosquelettes grâce auxquels nous courons plus vite, sautons plus haut et portons des charges plus lourdes. Mais aussi des petits appareils qui renforcent ou complètent nos sens. Pattie Maes donne l’exemple du FingerReader, une innovation du MIT qui ressemble à une grosse bague. Une caméra intégrée lit aux aveugles et aux malvoyants le texte qu’ils parcourent du doigt. Il remplace donc en partie le sens dont la nature les a privé. L’innovation est aussi utile pour les dyslexiques, surtout les enfants. Malgré une intelligence moyenne supérieure à leurs compagnons de classe « normaux », ils accumulent souvent un gros retard scolaire en raison de leurs problèmes de lecture. Marvin Minsky a d’ailleurs fini par reconnaître l’apport positif de la technologie. Un quart de siècle après sa sombre prophétie, on lui a demandé si les robots hériteraient de la Terre : « Oui, mais comme nos enfants. » ||

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> « Nous nous penchons sur de petits écrans que

DES REGARDS VISIONNAIRES SUR UNE RÉALITÉ EN DEVENIR Depuis 1999, la revue MIT Technology Review décerne chaque année le titre d’« Innovators under 35 » à de jeunes penseurs qui contribuent à façonner notre avenir. Ils le font en développant des technologies qui résolvent des problèmes dont souffrent parfois des millions de personnes. En Europe, le label existe déjà en France, en Espagne, en Italie et en Allemagne. Cette année, la Belgique et la Pologne s’ajouteront à la liste. L’objectif est de créer un réseau européen de jeunes innovateurs. Dans ce cadre, la MIT Technology Review travaille en collaboration avec BNP Paribas et L'Atelier BNP Paribas. En Belgique, le partenaire est BNP Paribas Fortis. Les lauréats proviennent de différents domaines liés à l’innovation. Ils peuvent être inventeurs mais aussi entrepreneurs, esprits visionnaires et pionniers. Parmi eux figurent de grands innovateurs comme Max Levchin, David Karp, Sergey Brin et Linus Torvalds. Si ces noms ne vous disent rien, vous connaissez sans doute les entreprises qu’ils ont fondées : le service de paiement PayPal, le réseau de blogging Tumblr, le moteur de recherche Google et le système d’exploitation Linux. Parmi les membres de ce petit club sélect, on trouve aussi des universitaires célèbres comme Konstantin Novoselov, qui a reçu le prix Nobel de physique en 2010 pour sa découverte du graphène, un matériau miracle. Tous ont un point commun : ils œuvrent à un monde en devenir, dont ils ont déjà le résultat devant les yeux. En Belgique, dix nominés ont été sélectionnés, parmi lesquels seront élus deux lauréats : l’« Innovator of the Year » et le « Social Innovator ». Les deux vainqueurs seront présentés le 20 mai et repris dans la liste des 800 lauréats dans le monde.

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Co.Station Brussels : l'« écosystème » des entreprises innovantes

Bien plus qu'un simple espace de co-working, Co.Station Brussels propose un véritable écosystème pour les entreprises de l'ère numérique. Un environnement où elles sont soutenues, entourées, et ont accès à des experts reconnus dans tous les domaines nécessaires à leur développement : financement, marketing et communication, coaching, aspects légaux,... Tour d'horizon.

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es entreprises technologiques disposent d'un nouveau hub : Co.Station Brussels. Un espace « physique », d'abord : près de 3.000 m2 au cœur de Bruxelles, place Sainte-Gudule. Pas moins de 2.200 m2 sont consacrés à une aire de co-working modulable, dont un cinquième d'open space flexible réservé aux starters. Le reste sera occupé par des sociétés en phase de décollage (« scale-up »). Le ticket d'entrée est à 50 euros mensuels, offrant l'accès au workcafé, au restaurant, à l'amphithéâtre, ainsi qu’aux événements organisés au sein de Co.Station. « Et comme il n'y a pas qu'en matière d'espace que les startups et les scale-ups ont des besoins distincts, notre offre est entièrement à la carte », lance Baudouin de Troostembergh, CEO de Co.Station. « Les entreprises y piochent en fonction de leurs besoins, déterminés par l'audit que nous les aidons à réaliser. » Parmi les déclinaisons possibles : un espace de travail partagé, un bureau fermé ou ouvert. Les sociétés peuvent payer par personne ou par mètre carré. Toutes les charges sont

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incluses : énergie, nettoyage, internet, salles de réunion, espace de brainstorming, etc. Au-delà de l’espace de bureau, les starters bénéficient également de son académie, Virtuology University@Co.Station, se réjouit le CEO : « Des cours et du coaching pour les entreprises – comment trouver des financements, développer sa force de vente, être efficace dans sa communication et son marketing, maîtriser son environnement juridique – dispensés par des experts reconnus, avec qui nous créons des partenariats. Et aussi des formations pour les investisseurs souhaitant devenir business angels. » « Je crois beaucoup à cette notion d'écosystème », enchaîne Oliviers Peeters, président du CA de Co.Station, et qui se définit comme un 'intrapreneur' au sein de BNP Paribas Fortis (partenaire du projet). « Faire collaborer de petites sociétés, pragmatiques et agiles, avec de grandes entreprises riches d'implantations internationales et d'une base de clientèle considérable, cela crée de la valeur ajoutée pour tout le monde. » La banque apporte également son expertise en matière de financement des entreprises, un atout précieux pour des firmes prometteuses en pleine croissance. À la fois espace de travail partagé, incubateur, accélérateur, académie et réseau, le concept a déjà fédéré une vingtaine d'entreprises, et quatre ou cinq demandes parviennent chaque semaine à Co.Station. ||


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Le secret de Google Si une entreprise ne vit que pour et par l’innovation, c’est bien Google. Le célèbre moteur de recherche entretient son pouvoir créatif grâce à une organisation originale. Thierry Geerts, Country Director de Google Belgique, lève un coin du voile de cette usine à idées.

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ourrait-on se parler via Google Hangouts ? » La question est posée par Thierry Geerts, Country Director de Google dans notre pays. Google Hangouts est la plateforme de messagerie instantanée, de téléphonie par internet et de vidéoconférence lancée par le géant du Web en 2013. Et nous voilà à préparer une conversation vidéo aux premières lueurs d’un mercredi nuageux. L’idée est efficace et permet d’éviter les embouteillages. « L’innovation, ce n’est pas une question d’invention, mais d’application de nouveautés dans les entreprises », assure Thierry Geerts. « Si les vidéoconférences n’ont rien de neuf, l’usage que les PME belges pourraient en faire serait très innovant, voire révolutionnaire. » Google a naturellement une réputation à défendre. Un jour de 1997, Sergueï Brin et Larry Page, alors étudiants de Stanford, commencent à travailler sur un nouveau moteur de recherche. Pour les besoins de leur projet, les deux fondateurs de Google utilisent les moyens du bord, à savoir de simples briques de... Lego (d’où les couleurs actuelles du logo). Alors que les moteurs de recherche existants affichaient presque exclusivement leurs résultats en fonction du

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nombre d’occurrences d’un terme sur une page Web, les deux Américains ont imaginé un algorithme capable de classer les pages internet selon leur pertinence. En quelques mois, les autres moteurs sont balayés. Le nombre de recherches mensuels atteint les 100 milliards en 2011, et le chiffre d’affaires franchit pour la première fois le cap des 50 milliards de dollars un an plus tard. Aujourd’hui, 30 milliards de milliards de pages sont indexées par Google et 3,3 milliards de requêtes sont effectuées chaque jour. « Pour les collaborateurs de Google, développer des produits qui ont du succès dans le monde entier est plus important que de gagner beaucoup d’argent », poursuit Thierry Geerts.

Tomber et se relever La barre est placée très haut pour une entreprise comme Google, dont on attend que chaque service


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Thierry Geerts

un service qui permettait aux utilisateurs d’appeler Google pour obtenir le résultat d’une recherche par téléphone. Un flop énorme, même si Google a eu la bonne idée de conserver une base de données de critères de recherche prononcés dans à peu près tous les accents américains. Elle serait bien plus tard la base de « voice search », une manière de piloter le moteur de recherche Google par la voix.

S’affranchir du corset

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ou produit devienne un succès planétaire. « Du fait de cette pression, nous sommes une entreprise très turbulente », observe Thierry Geerts. « Nous savons que nous ne pourrons pas vivre indéfiniment de la même technologie. Nous devons innover sans cesse, d’autant que la concurrence est vive dans ce monde en évolution constante. La technologie actuelle permet à une petite start-up de deux personnes de développer des concepts incroyablement innovants.» Google continue donc à miser sur l’innovation. « Ceci n’est possible qu’en créant la culture d’entreprise adéquate, ce à quoi veille soigneusement le CEO de Google. Nous cherchons à développer une culture ouverte, qui laisse beaucoup d’espace au débat, mais aussi la possibilité d’échouer. » Tous les projets de Google ne deviennent pas des succès économiques. Prenez Google Glass, les lunettes « intelligentes » reliées à l’internet. Le nouveau produit Google suscitait d’énormes attentes lors de son lancement public en mai dernier. Le consommateur n’était manifestement pas encore disposé à avoir une caméra et un ordinateur en permanence devant les yeux. La production pour le grand public a donc été arrêtée au début de l’année. « C’est une illustration parfaite de la manière dont fonctionne l’innovation », analyse Thierry Geerts. « Google Glass n’a pas été un succès immédiat, mais la technologie sous-jacente subsiste et pourra mener à de nouvelles innovations dans d’autres applications. » Bien avant l’ère du smartphone, la société de Mountain View avait par exemple lancé

Pareille culture, dans laquelle les esprits les plus créatifs se sentent chez eux et où personne n’a peur de se prendre une gamelle, ne naît pas d’elle-même. Avec plus de 50.000 employés à travers le monde, Google est connu pour rendre ses lieux de travail aussi divertissants que possible, avec des salons de détente, des équipements de sport et des salles de jeux. « Donner aux collaborateurs la liberté d’être créatifs » est peut-être la meilleure définition de la stratégie de ressources humaines du géant de l’internet. Et il ne s’agit pas uniquement de l’aménagement des bureaux. « Les structures de gestion du personnel mises en place dans notre pays ont été imaginées pendant la révolution industrielle », s’exclame Thierry Geerts. « Aujourd’hui, elles sont complètement dépassées. Il s’agit désormais d’encourager la collaboration et la créativité dans l’entreprise. Il y avait un sens à imposer des moments de présence à l’usine aux ouvriers de l’époque. Mais dans le monde d’aujourd’hui, cela n’a plus aucun intérêt. » C’est pourquoi Google n’applique que très peu de règles, voire aucune, dans ce domaine. « L’entreprise doit permettre aux collaborateurs de gérer leur temps différemment, plus efficacement », insiste Thierry Geerts. Ils peuvent arriver et partir plus tôt pour éviter les embouteillages. Ceux qui doivent travailler quelques jours seuls sur leur ordinateur portable peuvent tout aussi bien le faire de chez eux. Ils ne doivent pas nécessairement venir au bureau. Les vidéoconférences permettent également d’éviter les déplacements inutiles pour des réunions. « On bride la créativité quand on impose des corsets. Cela ne fonctionne pas », insiste le Country Director. C’est aussi la raison pour laquelle la 2ème capitalisation boursière mondiale après Apple a instauré la règle des 20 %, une référence au temps de travail que les collaborateurs peuvent consacrer à leurs propres projets professionnels. Gmail, l’un des services les plus populaires du groupe, est le résultat de l’un de ces projets personnels. « La manière la plus efficace d’encourager l’innovation consiste encore à laisser des personnes plancher sur des projets auxquels ils croient eux-mêmes beaucoup. C’est une source d’inspiration inépuisable », conclut Thierry Geerts. ||

LORS DE LA RÉVOLUTION INDUSTRIELLE, IL CONVENAIT D’IMPOSER UN HORAIRE AUX OUVRIERS DE L’USINE. AUJOURD’HUI, CELA N’A PLUS AUCUN SENS. Thierry Geerts

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Les idées qui bousculent le statu quo peuvent aussi bien provenir d’entreprises qui existent depuis plus de 100 ans que de start-ups qui n’étaient encore que des projets voici 100 jours. La preuve par ces quelques innovations remarquables qui pourraient changer notre vie au cours des années à venir.

Des innovations

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qui changent le monde

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1 La force

du carton

Les palettes en carton pourraient déclencher une petite révolution dans le secteur des transports. Elles sont 80 % plus légères que leurs pendants en bois, et tout aussi robustes. Palletkraft, société fondée par le Belge Wiet Van de Velde et deux entrepreneurs slovènes, produit des palettes en carton grâce à une technologie de pliage brevetée. Le modèle standard pèse à peine 4 kg et peut aisément supporter une tonne. De plus, la palette est entièrement recyclable. De grands noms de la logistique comme DHL et Kuehne + Nagel les utilisent déjà. Rien d’étrange à cela : tous les transporteurs tentent d’éviter au maximum les poids morts. De plus, grâce aux côtés latéraux biseautés, il est possible d’entasser 16 palettes en carton sur la plateforme de chargement d’un avion, au lieu de 10 europalettes classiques. Le

tout pour 320 kilos de moins. L’entreprise prévoit de produire 3,5 millions de palettes avec à peine une dizaine de travailleurs. Il faut 10 fois plus de personnes pour fabriquer le même nombre de palettes en bois.

2 Une touche

de bling-bling pour les bolides

Des films autocollants permettent aux fanatiques de voiture de personnaliser leur bolide. De quoi séduire les amateurs d’émissions télévisées du type Pimp My Ride. « Personne dans l’histoire n’a encore nettoyé de voiture de location », ironisa un jour l’économiste américain Larry Summers. En revanche, les propriétaires de bolides met-

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tent souvent un point d’honneur à les montrer sous leur plus beau jour. C’est à cette demande que répond Grafityp. L’entreprise limbourgeoise est active depuis 45 ans dans le développement, la production et la vente de films autocollants utilisés notamment dans le lettrage publicitaire de voitures et de camions. Grafityp a développé une technologie de carwrapping permettant d’apposer une seconde peau sur une carrosserie, qu’il s’agisse d’un noir parfaitement mat ou d’une teinte qui change selon la lumière. L’idée suscite un vif intérêt en Chine, où nombre de nouveaux riches souhaitent manifestement une voiture « unique ». Par ailleurs, le plaisir du collage n’est pas réservé aux voitures : un F16 a ainsi eu droit à une seconde peau personnalisée.


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Les matériaux aussi ne cessent d’évoluer. Le spécialiste louvaniste de l’impression en 3D Materialise produit depuis peu des implants chirurgicaux en titane, implants qui n’étaient jusqu’à présent disponibles qu’en plastique. Une innovation parfaite pour les patients qui ne supportent pas les prothèses standards. Par exemple, une nouvelle cavité oculaire après l’extraction d’une tumeur, ou une plaque de protection à même de remplacer une partie du crâne. Materialise fait également des recherches sur l’impression 3D à l’aide de « matériaux résorbables » autorisant une dissolution progressive de l’implant dans le corps. Dans le cas d’une fracture complexe, le support pourrait ainsi disparaître à mesure que les fragments d’os se solidifient à nouveau.

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5 Le plastique de l’avion

3 Un burger aux

insectes, sauce mammouth

Peut-être ne sont-ils pas très appétissants, mais les insectes demeurent des aliments très sains. Les présenter sous forme de viande est donc utile. L’entreprise limbourgeoise Damhert est un pionnier de l’alimentation spéciale. Elle commercialise plus de 300 produits sans sucre, sans gluten, sans lactose et végétariens, dont du pain, du chocolat et de la pâte à tartiner. En octobre dernier, Damhert a lancé un schnitzel, un burger et des nuggets garnis d’une croûte croquante réalisés à partir d’insectes. De petites bêtes riches en vitamines et en minéraux comme le fer et le zinc, et bourrées d’oméga 3, des acides gras très sains. Ces substituts à la viande contiennent notamment des vers Buffalo, des vers de farine, des sauterelles et des grillons. Ces petits animaux sont totalement invisibles dans les produits finaux.

La viande aux insectes de Damhert est déjà disponible dans des magasins bio et des supermarchés exploités par des indépendants.

4 Prothèses

imprimées sur mesure

Les implants imprimables changent le visage de la chirurgie. Des prothèses sur mesure peuvent améliorer le bienêtre des patients. L’impression 3D recèle d’énormes possibilités dans le monde médical. Un exemple ? Sur la base d’un scanner en deux dimensions d’une partie du corps, il est désormais possible de produire un modèle tridimensionnel qui aide les chirurgiens à préparer une opération.

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Le Solar Impulse 2 parvient à voler uniquement grâce à l’énergie solaire. Une performance qu’il doit en partie aux plastiques haute technologie de Solvay. L’entreprise chimique belge a inventé d’innombrables polymères depuis sa création en 1863. Aujourd’hui, elle en produit encore quelque 1.500 variétés. Un récent plastique très prometteur est le polyétheréthercétone ou PEEK. Cette résine est utilisée dans plusieurs composants du Solar Impulse 2, projet dont Solvay est l’un des principaux sponsors. Le PEEK est à la fois léger et robuste, ce qui s’avère essentiel pour un avion devant peser le moins lourd possible tout en restant suffisamment solide afin de supporter une envergure presque équivalente à celle d’un Airbus A380. De plus, ce plastique à la pointe de la technologie résiste aux températures élevées et peut donc être employé également dans des applications spatiales. Le PEEK est d’ores et déjà présent dans des équipements médicaux, des pièces d’avion, l’industrie automobile et l’iPhone 6.


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« Tout ne doit pas être plus petit et plus proche » Les voitures autonomes seront-elles la solution pour donner aux habitants des périphéries urbaines l’espace qu’ils souhaitent et la mobilité dont ils ont besoin ? Le Belge Alexander D’Hooghe, professeur d'architecture et d'urbanisme au MIT, y croit...

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ne nouvelle vague technologique est en train de déferler. Elle m’a longtemps laissé sceptique, mais elle prend une telle ampleur que je suis désormais convaincu qu’elle va révolutionner notre paysage urbain », affirme Alexander D’Hooghe. À 42 ans, ce Grimbergenois est professeur d’urbanisme architectural au célèbre Massachusetts Institute of Technology. Il est donc parfaitement placé pour analyser les villes du futur. Là où, selon les Nations Unies, habiteront trois quarts de la population mondiale en 2050. La Flandre en est d’ailleurs presque à 100 %, souffle Alexander D’Hooghe. « Il faut reconnaître que toute la région est aujourd’hui une gigantesque agglomération, même s’il subsiste beaucoup de vert et d’autoroutes. Le carré BruxellesLouvain-Anvers-Gand, en particulier, forme une grande zone périphérique. » Il voit aussi se développer une espèce de religion de la densification. « Comme

si le fait d’habiter dans des endroits plus confinés, plus proches les uns des autres, n’avait que des avantages. Les partisans de cette théorie sont souvent ceux qui y ont le plus intérêt. Les architectes, parce que ce sont des missions intéressantes et complexes qui permettent de se faire un nom, ou les promoteurs, parce qu’il s’agit de projets coûteux. » Toutefois, cette densification ne correspond pas nécessairement aux souhaits des habitants de la périphérie, remarque Alexander D’Hooghe. « S’ils peuvent bénéficier d’une plus grande qualité spatiale dans un environnement moins dense, une partie d’entre eux va faire ce choix. Je suis partisan d’une densification ciblée, bien que la question des déplacements reste cruciale. Comment la vague technologique que vous évoquez peut-elle apporter une solution ? Alexander D’Hooghe : « Les voitures autonomes peuvent s’insérer entre les transports en commun et le transport privé. La mobilité devient ainsi un service permettant d’aller du point A au point B. Cela aura également des conséquences sur la politique de stationnement. Les voitures ne s’arrêteront pas au point B, mais continueront leur route jusqu’au prochain point A. »

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« Cette nouvelle mobilité ne sera sans doute pas uniforme. Certains voudront payer plus cher pour un service Premium qui les conduise directement à leur destination, alors que d’autres préféreront une option plus économique mais accepteront que la voiture s’arrête en chemin pour prendre d’autres passagers. » Quels autres changements prévoyezvous ? Alexander D’Hooghe : « Une évolution très intéressante est le retour de plus en plus marqué de la production dans les villes, mais à plus petite échelle. L’exemple type est l’urban farming. Des exploitations agricoles en ville, sur des toitures plates de 5.000 m2 ou plus, peuvent être commercialement rentables. Un autre exemple est la production de prototypes en petites séries en amont d’une production à grande échelle, qui peut être parfaitement effectuée en ville grâce à l’impression en 3D. » « Cela exigerait cependant une autre politique d’aménagement du territoire. Depuis les années 80, cette politique est axée sur la séparation de la production et des zones d’habitat et de vie, afin de limiter la pollution et les nuisances sonores. Mais en l’absence de tels effets secondaires, cette séparation est superflue. »


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Des exploitations agricoles en ville peuvent être commercialement rentables.

étonné que l’architecte ou le maître d’œuvre ait envisagé que la communauté des skaters s’approprie ces lieux. Mais c’est bien, cela signifie que la ville vit. »

© Reuters

« LA NOUVELLE VAGUE TECHNOLOGIQUE VA RÉVOLUTIONNER NOTRE PAYSAGE URBAIN. » Alexander D’Hooghe

Le visage de nos villes change également dans d’autres domaines. Grâce aux évolutions technologiques, nous disposons de poubelles intelligentes, de places de stationnement dotées de la voix et de réverbères qui ouvrent l’œil… Alexander D’Hooghe : « Il ne faut pas voir cette technologie intelligente comme un gadget, mais comme une manière d’améliorer la qualité de vie dans la ville. La technologie active peut favoriser l’intégration des plus faibles et des plus isolés dans le tissu économique. Ou contribuer à améliorer la collecte de données sur la pollution et partant, les actions de sensibilisation. » Avec votre bureau d’architectes Organization for Permanent Modernity, vous avez contribué à la conception de la plus grande île artificielle au monde à la demande de la Corée du Sud. Tout a été méticuleusement prévu, l’industrie au nord, le tourisme au sud. A quel point l’architecture est-elle à même de donner forme à une société ? Alexander D’Hooghe : « On crée des choses de deux manières. D’abord en les construisant, puis par l’utilisation qu’on en fait. Et cette utilisation est totalement imprévisible. Prenez l’Albertine, la Bibliothèque Royale installée sur le Mont des Arts à Bruxelles. Je serais

I 25 I

Quel est votre regard sur le défi social des grandes villes ? Alexander D’Hooghe : « De nombreux planologues estiment que des personnes dotées d’un background économique, religieux et social différent doivent se rencontrer régulièrement en ville. Or, on remarque que de nombreuses personnes n’en ont absolument pas besoin. Elles veulent habiter dans une ville qui propose la quiétude d’un village. Ce n’est pas un plaidoyer en faveur des gated communities, de quartiers privés pour les pauvres et pour les riches, mais il y a incontestablement des avantages aux “villages” dans la ville – aux zones réduites présentant une certaine homogénéité. » Est-il encore possible de mettre en œuvre de grands projets d’infrastructure ? Voyez la liaison de l’Oosterweel (bouclage du ring d’Anvers) et le RER bruxellois, reportés aux calendes grecques à la suite des protestations des habitants. Alexander D’Hooghe : « Nous nous trouvons face à une société qui fait infiniment plus entendre sa voix qu’il y a 50 ans. Lorsque l’on veut réaliser quelque chose, l’ancienne méthode bureaucratique ne fonctionne plus. Le citoyen veut intervenir dans le processus décisionnel. » Comment se mettre à l’écoute du citoyen sans sombrer dans le statu quo ? Alexander D’Hooghe : « Il y a un bel exemple aux Etats-Unis. Dans le cadre d’un marché d’un milliard de dollars destiné à protéger l’agglomération newyorkaise contre les inondations, il a été demandé aux concepteurs et aux mouvements citoyens de proposer des projets qui recueilleraient l’adhésion de la population. » ||


l Innovation l

L’innovation en 7 chiffres étonnants L’innovation a des effets parfois vertigineux sur l’économie et la société. Petite sélection parmi les plus surprenants d’entre eux.

2

Importance stratégique et ‘Chinnovation’ 1

En Occident, les entreprises prennent à leur compte 60 % des efforts en recherche et développement. Les dépenses en R&D des 2.000 entreprises les plus axées sur les R&D n’ont d’ailleurs pas diminué depuis la crise financière de 2008, constate l’OCDE. Pourtant, leurs bénéfices opérationnels se sont contractés de 10 % en moyenne. En chiffres absolus, les entreprises américaines restent les premiers investisseurs mondiaux en recherche et développement. Cela dit, les efforts en R&D des entreprises chinoises ont quintuplé en 10 ans. La Chine a ainsi doublé l’UE.

Course aux brevets

Entreprises américaines :

Nombre de demandes de brevets dans les principales économies

277

800.000 demandes

milliards de dollars en R&D

Chine États-Unis 400.000

Japon Corée Europe 0 2002

2012

En déposant un brevet sur un nouvel appareil ou processus, son inventeur acquiert un monopole pour plusieurs années. En échange, il doit publier ses connaissances, ce qui évite aux autres entrepreneurs de consentir des investissements superflus dans des recherches similaires. Les demandes de brevets ont explosé dans le monde, passant de près de 1 million en 1990 à plus de 2,3 millions en 2012, selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Cet essor est surtout à mettre au crédit de la Chine. Au cours des décennies précédentes, les brevets concernaient avant tout des logiciels et de la génétique. De manière générale, 55% des demandes de brevets sont liées à l’informatique et aux télécommunications, à la santé ou aux biotechnologies.

En 2012 la Chine a dépassé les Etats-Unis avec

652.777 brevets

2007

3

Nombreux diplômes de l’enseignement supérieur, peu de scientifiques

Selon les chiffres de l’OCDE, les Belges âgés de moins de 30 ans sont plus diplômés que la moyenne. Mais la plupart des diplômes décernés relèvent de la catégorie ‘Sciences sociales, économiques et commerciales, droit, sciences humaines, art et enseignement’. Le score obtenu par notre pays pour la branche Diplômés de l’enseignement supérieur par rapport au nombre de « Mathématiques, sciences et techjeunes du même âge (en %) nologies » est nettement moins élevé. La proportion de diplômes de ce Moyenne type dans le total des diplômes d’enOCDE Belgique seignement supérieur atteint à peine Baccalauréat 16,6 %. C’est nettement inférieur à la professionnel 14 30 moyenne européenne de 22,1 % par Baccalauréat an. En Allemagne, en France et en académique 38 19 Suède, elle dépasse les 25 %. La FinMaster 15 4 lande est hors catégorie avec 31,8 %. Doctorat 2 2

I 26 I


l Innovation l

5

Le budget innovation du secteur public préservé (provisoirement) Dépenses publiques en R&D +

Allemagne

4

Innover, c’est davantage que développer de nouveaux produits

De nombreuses entreprises innovantes ne font pas du tout de recherche et développement, constate l’OCDE. Elles innovent par le marketing ou en changeant l’organisation de leur fonctionnement, par exemple à l’aide de technologies déjà existantes. Ce type d’innovation est surtout important dans le secteur des services. En Europe, celui-ci représente 70 % de l’activité économique et les deux tiers de l’emploi privé. L’OCDE souligne l’importance de l’innovation dans le secteur des services pour le reste de l’économie. ‘Un tiers de la valeur ajoutée des exportations industrielles provient du secteur des services. L’innovation y est donc très importante pour la compétitivité de l’industrie.’

Allemagne

Canada

76%

61%

Pays-Bas

Italie

60%

57%

56%

France

Roy.-Uni

Corée

53%

44%

38%

% entreprises innovantes produit et/ou processus marketing et/ou organisation produit et/ou processus & marketing et/ou organisation (% entreprises innovantes) Sources: 1, 2, 4, 5: OCDE, Science, Technology and Industry Outlook 2014 / 3: OCDE / 6,7: OCDE, Science, Technology and Industry Scoreboard 2013

États-Unis

+13%

Espagne Roy.-Uni France

-8% -13% -18%

-

2002

2007

2012

Crise oblige, de nombreux pays ont augmenté les impôts et multiplié les coupes budgétaires. Ce phénomène menace l’innovation directement, par la contraction des budgets consacrés à la recherche, et indirectement, par une baisse de la demande due à l’augmentation de la pression fiscale, ce qui dissuade les entreprises d’investir. Si nombre d’États ont maintenu leurs budgets innovation, la discipline budgétaire pourrait changer la donne, prévient l’OCDE. Les dépenses publiques des pays riches en R&D représentaient 0,69 % du PIB en 2013, contre 0,76 % en 2008.

Depuis 2002 le budget innovation en Allemagne a augmenté

de

30%

6 7

79%

+29% +26%

0

Belgique

Suède

Belgique

L’innovation collaborative au goût des grandes entreprises

Il est fréquent que les entreprises collaborent, ou prennent des licences sur d’autres inventions pour créer leurs propres innovations. Sans surprise, les grandes entreprises ont une longueur d’avance dans ce domaine. En Belgique par exemple, plus de 70 % des grandes entreprises innovantes ont collaboré avec une autre entreprise entre 2008 et 2010. Parmi les PME, ce pourcentage ne dépasse pas 40 %. Cette collaboration peut prendre la forme de l’élaboration commune d’une innovation par une entreprise et son client/fournisseur, ou d’un partenariat avec d’autres entreprises ou organisations.

7 grandes

entreprises Belges sur

10

cherchent un partenariat en innovation. I 27 I

Capital sur pied

Le ‘capital connaissances’, critère récemment développé par l’OCDE, mesure le rapport entre les travailleurs de la connaissance et le nombre total d’emplois dans une économie. Il s’agit donc des connaissances et compétences qui franchissent les portes de l’entreprise chaque jour. Ce degré de ‘capital connaissances’ varie entre 13 % et 28 % dans les pays industrialisés. Les États-Unis disposent de l’industrie manufacturière à plus forte intensité de connaissances, alors que les pays scandinaves se montrent très performants dans le secteur des services.

Capital connaissances dans les services et l’industrie (en %) États-Unis France Roy.-Uni Allemagne Belgique Pays-Bas

Industrie 37 32 31 30 28 24

Services 28 31 32 26 28 26


l Point de vue l

Économie innovante recherche icône Une révolution culturelle est nécessaire pour retrouver le désir d’innover en Europe. « Nous devons choyer les entrepreneurs, afin que s’érigent des modèles inspirants qui montrent le succès possible pour ceux qui sortent des sentiers battus. » C’est le discours de Martin Hinoul, Business Development Manager à la KUL Research & Development. Entretien avec Peter De Keyzer, économiste en chef chez BNP Paribas Fortis.

L’innovation est une notion très vaste. Comment la définiriez-vous ? Martin Hinoul : « L’innovation est la forme la plus récente de compétitivité. Durant les Golden Sixties, la Belgique pouvait faire la différence avec sa productivité élevée. Une décennie plus tard, nous avons dû encore accroître la qualité de note production pour préserver notre avance sur la concurrence. Nous l’avons fait sans problème. Pendant les années 80, nous avons surtout dû faire preuve d’une grande flexibilité pour gérer les nouvelles formes de capitaux et de technologies. Et nous y sommes assez bien parvenus. Depuis la fin des années 90 cependant, la capacité d’innover est l’arme principale face à la concurrence. Et en Europe, cela pose quand même quelques problèmes. » « Pourtant, 90 % de la croissance économique proviendra de l’innovation au cours des années à venir. L’idée dépasse d’ailleurs largement la seule innovation technologique. La plupart des innovations ont lieu dans le marketing, l’organisation et les ressources humaines. »

Quelle stratégie mettre en œuvre pour inscrire la volonté d’innover dans l’ADN d’une société ? Martin Hinoul : « Si les grandes régions innovantes ont un point commun, c’est la présence de centres de connaissances de qualité. En outre, il faut développer des clusters autour de certains thèmes, pour ainsi créer une grande visibilité. Il est nécessaire de développer des réseaux, d’attirer les entreprises internationales et de faciliter l’accès au marché des capitaux. La qualité de vie – un bon système de soins de santé et un enseignement de haut niveau – joue également un rôle important lorsqu’il s’agit de capter des talents nationaux. Et il faut également de fortes personnalités qui, par leur succès, s’érigent en véritables modèles et stimulent l’entrepreneuriat. » N’est-ce pas à ce niveau que, fréquemment, le bât blesse chez nous ? Quand des entrepreneurs à succès vendent leur entreprise, les médias ne parlent presque que des impôts qu’ils vont payer ou non. L’Europe n’a-t-elle pas une attitude négative vis-à-vis de la réussite ?

IL EXISTE SUFFISAMMENT DE NICHES DANS LESQUELLES NOUS POUVONS APPARTENIR AU TOP MONDIAL. Martin Hinoul

I 28 I

Martin Hinoul : « En Europe, nous nous focalisons encore trop souvent sur la préservation des acquis. Voyez la manière dont l’Europe traite une entreprise comme Uber, qui remet en cause les entreprises de taxis traditionnelles. Elle affiche aujourd’hui une capitalisation de marché de 42 milliards de dollars : il n’y a donc plus aucune chance qu’elle disparaisse. Mais nous essayons quand même de lui bloquer l’accès au marché européen. C’est une grossière erreur. Nous commettons la même erreur que lorsque Google, Facebook, Apple et Amazon en étaient encore à leurs balbutiements. Les Européens observaient alors ces entreprises avec une espèce de condescendance, sans prendre conscience qu’elles donneraient naissance à des industries totalement nouvelles. Aujourd’hui, ces entreprises américaines valent plusieurs milliards et nous ne pouvons que rêver de leaders de cette envergure en Europe. » Cette attitude attentiste n’est-elle pas inspirée par la peur de voir les nouvelles industries menacer de nombreux emplois ? Martin Hinoul : « Chaque emploi à haute valeur ajoutée crée quatre à cinq emplois indirects. C’est ce que l’on peut observer dans des villes comme Louvain, où la présence de l’Université et de centres de connaissances favorise également l’emploi dans les hôtels, les restaurants et les compagnies de taxis. On ne crée pas d’emplois en bloquant les industries innovantes,


participation) est un bon outil pour investir dans des entreprises innovantes. Sauf qu’il existe encore 200 autres institutions qui doivent elles aussi contribuer à l’innovation. Et que nous ferions mieux de les liquider, car elles ont tendance à fragmenter notre politique d’innovation. »

Martin Hinoul et Peter De Keyzer : « On ne crée pas d’emplois en bloquant les industries innovantes, mais en les stimulant. »

mais en les stimulant. Nous devons accepter que notre économie change, parce que la croissance économique ne proviendra plus de l’assemblage de voitures ou de la fonte de tôles d’acier. » Quel est le rôle des pouvoirs publics ? Font-ils suffisamment pour soutenir l’innovation ?

Martin Hinoul : « Les pouvoirs publics accomplissent quelques très bonnes choses. L’IWT (agence flamande pour l’innovation par la science et la technologie) est un moteur important de la capacité d’innovation dans notre pays. Flanders Investment & Trade (FIT) s’avère un énorme soutien pour les entreprises qui veulent investir à l’étranger. La PMV (société flamande de

I 29 I

Nous savons que l’innovation est indispensable et que nous avons besoin d’une révolution culturelle dans notre société. Allons-nous y parvenir ? Martin Hinoul : « Il est minuit moins cinq. L’Europe ne peut plus se permettre de tergiverser, car la concurrence est plus intense que jamais. Mais nous avons des atouts importants : notre technologie est robuste, notre enseignement n’a pas d’égal et le monde entier envie notre système de santé. Pour autant, il est urgent de réfléchir aux domaines où nous voulons créer de la croissance économique et de l’emploi au cours des cinq prochaines années. L’eHealth, le secteur des applications de télécommunications dans les soins de santé, recèle par exemple un potentiel considérable. La mécatronique – discipline combinant mécanique, électronique et robotique – également. L’impression 3D est une gigantesque industrie en puissance, et c’est un domaine dans lequel la Belgique héberge déjà plusieurs entreprises très performantes avec Melotte, LayerWise et Materialise. Il y a donc suffisamment de niches dans lesquelles nous pouvons appartenir au top mondial. »


« Créer un véritable écosystème soutenant l’innovation sociale »

L’INNOVATION SOCIALE PRODUIT DES BÉNÉFICES DIRECTS POUR LES USAGERS, ET INDIRECTS POUR LA COLLECTIVITÉ. Bruno Gérard, conseiller économique à l'UNIPSO

Le gouvernement wallon affirme, dans sa récente déclaration de politique régionale 2014-2019, qu’il favorisera le développement de l’innovation sociale. Il précise même qu’il souhaite soutenir les projets de recherches et d’innovations sociales portés par les entreprises à profit social. Ces affirmations sont encourageantes mais n’apportent aucune précision ni sur les mécanismes qui seront mis en œuvre, ni sur leur ampleur. Actuellement, la Wallonie ne dispose pas d’une stratégie publique structurelle en recherche et innovation sociale. La politique publique en matière d’innovation est centrée sur l’innovation technologique et industrielle. Pourquoi privilégier un nouveau smartphone plutôt qu’un service innovant de garde à domicile de personnes atteintes d’Alzheimer ? Qui plus est, une ASBL développant une innovation sociale de type technologique (par exemple, un chariot de supermarché pliable et adapté aux personnes à mobilité réduite) ne peut pas bénéficier des aides prévues pour les sociétés commerciales. Ces exemples démontrent les difficultés que rencontrent de nombreuses entreprises à profit social (ASBL, SFS, etc.) pour bénéficier de l’expertise et du financement nécessaires à la recherche et au développement de leur(s) projet(s) d’innovation sociale. L’innovation sociale est un concept relativement nouveau pour nommer une réalité très ancienne. Elle permet de répondre à des demandes et à des besoins essentiels de la population insuffisamment rencontrés en matière d’éducation, d’action sociale, de santé, de culture, d’insertion socioprofessionnelle, etc. Elle vise également l’amélioration de la qualité et de l’accessibilité des services existants, de leur gestion quotidienne et de leur pratique de travail. Au niveau de l’impact social, elle produit des bénéfices directs pour les usagers et des bénéfices indirects, volontaires, pour la collectivité. L’innovation est donc sociale par son activité, son procédé et sa finalité. Outre son impact social, elle constitue un levier économique important pour le développement de nouvelles activités créatrices de valeurs ajoutées, d’externalités positives au bénéfice de la collectivité (cohésion sociale) et des entreprises (compétences et disponibilité des travailleurs), mais aussi d’emplois. Une plus-value précieuse et indispensable pour affronter une époque comme la nôtre. Forte de ces constats et de ses engagements, la Wallonie doit passer des idées aux actes en décloisonnant réellement sa vision de l’innovation et en dynamisant la recherche et l’innovation sociale, source de croissance économique durable. À ce titre, il est indispensable que le gouvernement wallon construise un véritable écosystème doté d’un espace de création et de développement détaché de toute catégorisation administrative (incubateur), ainsi que d’un cadre, légal et budgétaire, favorable et adapté à l’émergence, au changement d’échelle et à la diffusion d’innovations sociales. Cet écosystème devra tenir compte des principales spécificités de l’innovation sociale : approche collaborative et territoriale de type « bottom-up », ressources hybrides (financements publics, privés, bénévolat, etc.), statut juridique des porteurs de projet (ASBL, SFS, etc.) impliquant des réalités fiscales particulières, recherche issue pour partie des sciences humaines et sociales ; et veiller à ne pas détricoter les services existants qui bénéficient de la confiance des usagers et prouvent quotidiennement leur efficacité. || Bruno Gérard, conseiller économique à l'UNIPSO (Union des entreprises à profit social)


L’écosystème : quel intérêt pour les entreprises innovantes ? Où les entrepreneurs qui démarrent peuvent-ils avoir accès à des spécialistes ?

Chat avec Olivier Peeters, président du CA de Co.Station Brussels, et Baudouin de Troostembergh, CEO de Co.Station Brussels

Posez vos questions en ligne sur le co-working de l’ère numérique le 21 avril 2015 à 12h45 via www.lecho.be/BNQ ou suivez-nous via twitter @BNQ_Banque


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