Les métaux rares : opportunité ou menace ?, F. Fizaine - Editions Technip

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Les métaux rares : opportunité ou menace ?

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Chez le même éditeur Collection Géopolitique L’Afrique : nouvelle frontière de la croissance, B. Rahmouni Benhida Paradis fiscaux. Enjeux géopolitiques, V. Piolet L’enjeu énergétique dans les balkans, M. Glamotchak Géopolitique de la France, O. Kempf Le nouvel équilibre mondial et les pays émergents, S. Coulom Politique et géopolitique de l’ énergie, S. Furfari Géopolitique du Caucase, S. Lussac Géopolitique de l’ énergie – Besoins ressources, échanges mondiaux, J.-P. Favennec Géopolitique du pétrole, C. de Lestrange, C.-A. Paillard, P. Zelenko Hydrocarbures et conflits dans le monde, F. Ardillier-Carras, P. Boulanger, D. Ortolland

Suivi éditorial et mise en pages : Tiffany Thomas Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays. Toute représentation, reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. Par ailleurs, la loi du 11 mars 1957 interdit formellement les copies ou les reproductions destinées à une utilisation collective. © Éditions Technip, 2021 ISBN 978-2-7108-1192-3

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Les métaux rares : opportunité ou menace ? Enjeux et perspectives associés à la transition énergétique

Florian Fizaine Deuxième édition

2021 2014

Editions Technip 5 avenue de la République – 75011 Paris

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Remerciements Cet ouvrage est partiellement issu de mes travaux de thèse que j’ai menés pendant trois ans de 2011 à 2014, et d’articles que j’ai rédigés dans la période qui a suivi la soutenance de ma thèse jusqu’à la révision de cet ouvrage. Dans ce cadre, je tiens tout d’abord à remercier les membres du Laboratoire d’Économie de Dijon (Lédi) pour m’avoir accueilli au sein de leurs unités durant mes trois années de thèse, mais également les chercheurs du laboratoire RITM à Paris-Sud pour leur accueil durant l’année qui a suivi ma thèse. Je salue également les chercheurs de l’IREGE pour leurs commentaires durant ces trois années de séminaire en tant que maître de conférences à l’Université de Savoie Mont Blanc. J’adresse aussi mes remerciements à mes directeurs de thèse universitaire, Catherine Baumont et Frédéric Lantz, pour leurs précieux conseils, leur encadrement, et leurs éclairages au cours de ma thèse. En outre, je remercie tout particulièrement Patrice Geoffron et Jacques Percebois qui ont accepté d’être les rapporteurs de ma thèse ainsi qu’Alain Ayong Le Kama et Patrick Criqui qui ont offert une partie de leur temps précieux pour me faire l’honneur de participer à mon jury de thèse. Je tiens à exprimer ma reconnaissance envers Marie-Claude Pichery pour m’avoir guidé et fait partager son savoir dans les premiers mois de ma thèse. Je souhaiterais aussi communiquer toute ma gratitude envers Sébastien Ganneval et Grégory Jannin de l’université Paris Panthéon-Sorbonne, pour leur aide précieuse sur un chapitre de cet ouvrage. Je remercie également M-M. Quemere, F. Catier, M. Bordigoni et l’ensemble des chercheurs du département EPI du centre EDF des Renardières pour m’avoir fait bénéficier de nos échanges particulièrement profitables, sans oublier les apports

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Les métaux rares : opportunité ou menace ? des recherches salutaires et fructueuses d’Amélie Schell menées dans le cadre de ces rencontres. Mes échanges avec les chercheurs d’autres horizons disciplinaires réalisés dans le cadre du projet CNRS ReMinER (ressources minérales pour l’énergie renouvelable) piloté par O. Vidal ont aussi largement alimenté mes réflexions, je les en remercie pour cela. Par ce biais, je remercie également F. Ricci de m’avoir permis d’intégrer ce groupe de travail particulièrement stimulant. Par ailleurs, cet ouvrage n’aurait sans doute pas été possible sans le soutien et les encouragements quotidiens de ma compagne Sonia Momplot, mais aussi sans ses nombreuses et incessantes relectures. J’aimerais remercier tout autant mes parents pour m’avoir soutenu et financé pendant une partie de mes études. Mon amitié va également à l’ensemble des doctorants du laboratoire du Lédi, du CREGO, du RITM, et de l’association des économistes de l’énergie (AEE) pour leur accueil, leur sympathie et leur disponibilité. Je dois reconnaitre aussi à mon passif, l’aide inestimable et absolument non monétarisable fournie généreusement par Gwendoline Fizaine, Victor Court, Nicolas Dufour, mes parents, Monica, Alain, Cyril et Sonia Momplot, et sans qui ma thèse, et donc une partie des chapitres de cet ouvrage, n’aurait pas vu le jour. Plus généralement, je suis reconnaissant envers toutes les personnes ayant collaboré à mes travaux ainsi qu’à la totalité des enseignants et professeurs m’ayant transmis la passion de l’économie et qui ne seraient pas cités dans ces remerciements. Ma façon d’appréhender les problèmes complexes liés à la transition énergétique a bénéficié également des multiples conférences scientifiques, échanges avec les entreprises et avec le grand public auxquels j’ai pu participer de 2013 à 2020. Pour finir, je souhaite remercier chaleureusement les Éditions Technip de m’avoir fait confiance et laissé écrire en totale indépendance.

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Sommaire Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 ■ ■ ■

Qu’est-ce que la transition énergétique ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 Pourquoi les métaux rares poseraient-ils problème ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 En 2010, la géopolitique et la crise des terres rares s’invitent dans le débat énergétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

Introduction à la 2e édition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

Les métaux rares, un sujet « à la mode ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 La conjoncture des métaux, une actualité en dents de scie. . . . . . . . . . . . . . . . . 12 ■ ■ ■

Le lithium, un métal en mutation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 La décarbonation, un mode d’action toujours incontesté . . . . . . . . . . . . . . 15

Ce qu’entreprend cette deuxième édition. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

Chapitre 1 Réchauffement climatique et raréfaction des hydrocarbures : la nécessité d’une transition énergétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 ■ ■ ■

Les enjeux du réchauffement climatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 Où est le dispositif de freinage ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 L’épuisement des hydrocarbures pourrait-il nous sauver ? . . . . . . . . . . . . . 25

La transition énergétique : scénarios multiples pour un objectif unique . . . . 29

Chapitre 2 La transition vers les énergies décarbonées : une voie soutenable ? . . . 33 ■

La transition énergétique et les énergies décarbonées : un débat axé sur l’offre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 VII ■

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Les métaux rares : opportunité ou menace ? ■ ■

Énergies renouvelables (ENR) et matières premières : l’envers du décor . . . 35

Principales problématiques associées à l’usage des métaux dans les énergies décarbonées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39

Chapitre 3 Métaux majeurs, mineurs et précieux : vers une classification économique des métaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 ■ ■ ■

Les métaux : classification statistique d’un groupe hétérogène d’éléments. . 41 Analyse des principales caractéristiques des métaux rares . . . . . . . . . . . . . 51

Rôle des métaux rares dans notre système énergétique . . . . . . . . . . . . . . . . 53 Amont du secteur énergétique : décarbonation des énergies carbonées . . . . . . . 54 Amont du secteur énergétique : développement des énergies alternatives . . . . . 55 Aval du secteur énergétique : stockage, transport et distribution de l’énergie . . . . 57 Aval du secteur énergétique : usage de l’énergie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59

Chapitre 4 Contrainte de sous-produit dans le développement des Nouvelles Technologies de l’Energie (NTE) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 ■ ■ ■

La production des métaux : une économie de sous-produit et les sous-produits de cette économie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62 Conséquences liées à la production en sous-produit des métaux rares . . . . 64

Application au secteur photovoltaïque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72 Estimation de l’offre potentielle de sous-produit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72 Extrapolation sur la disponibilité future . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73

Chapitre 5 Absence de marché organisé : causes et conséquences pour les NTE . . 81 ■ ■ ■

Principales causes de l’absence de marché organisé . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83

Vers la création d’un marché organisé ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85 Conséquences liées à l’absence de marché organisé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86 Spécificités des marchés organisés du molybdène et du cobalt . . . . . . . . . . . . . 90

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Sommaire Chapitre 6 Quelle place pour le recyclage des métaux ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 ■ ■ ■

L’économie circulaire et le recyclage : priorisations théoriques et priorisations du public et des politiques. . . . . . 100 Les avantages du recyclage sur l’extraction primaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . 101

État des connaissances sur le recyclage des métaux : études centrées sur l’étape de la collecte et données lacunaires sur les métaux . . . . . . . . . . 103 La littérature liée au taux de recyclage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103 Les données sur le taux de recyclage des métaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106

Les principaux obstacles à l’augmentation du taux de recyclage des métaux. 108 Obstacles socio-économiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109 Obstacles socio-écologiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109 Contraintes techniques et réglementaires. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112 Effets d’interaction/neutralisation avec d’autres leviers de l’économie circulaire 112

Les pistes pour renforcer le recyclage. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113

■ Conclusion. .

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116

Chapitre 7 De l’épuisement quantitatif à l’épuisement qualitatif des métaux . . . 119 ■

■ ■

L’épuisement quantitatif des métaux menace-t-il notre transition énergétique ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les études de criticité réalisées sur le sujet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La substitution comme solution à court-moyen terme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Quelques mots sur les concepts de réserves, de ressources et leurs usages. . .

120 120 123 127

Les conséquences énergétiques de l’épuisement qualitatif des métaux. . . . 131

Impact de l’épuisement des métaux sur le secteur de l’énergie : une approche par l’Energy Return On Investment. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134

■ Conclusion

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142

Chapitre 8 Rente énergétique et transition énergétique : vers une nouvelle donne ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145 ■ ■

Rente énergétique et transition énergétique : disparition contre redistribution. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146 Gagnants et perdants de la transition énergétique : une première approche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150

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Les métaux rares : opportunité ou menace ? ■

Quelle politique de la rente pour l’Union européenne dans un futur post-transition énergétique ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159

Chapitre 9 Principaux axes de recommandations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163 ■ ■

Principaux risques et conséquences associés à la liaison métaux-transition énergétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164

Les leviers d’action possibles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les différents niveaux d’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Étage inférieur : atténuer les conséquences d’une consommation accrue de métaux (facteur D) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Étage inférieur : les solutions relevant du progrès technique (facteur C) . . . . . . . . Étage supérieur : enterrer le CO2 et refroidir la planète (levier 5) . . . . . . . . . . Étage supérieur : décarboner l’énergie oui, mais avec quelle technologie ? (levier 4) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Étage supérieur : moins d’énergie pour faire la même chose (levier 3) . . . . . . . Étage supérieur : développement durable, croissance verte, état stationnaire et décroissance (levier 2). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Étage supérieur : démographie, qui surcharge la barque ? (levier 1) . . . . . . . . . Autre levier d’action : développement d’une information fiable et disponible pour une prise de décision éclairée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

166 166

169 170 173 174 174 176 177 178

Le difficile choix d’une transition énergétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181 ■ ■ ■

Pour une place de l’énergie et des ressources naturelles au cœur de l’analyse économique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182

Pour une science interdisciplinaire et une analyse systémique . . . . . . . . . . 183

Pour une transition énergétique misant sur la sobriété et sur l’efficacité énergétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184

Table des notations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187 Glossaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193 Liste des figures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211 Liste des tableaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215

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Introduction L’engagement du débat sur la transition énergétique en 2013, marque la volonté du gouvernement français de replacer l’économie nationale sur une trajectoire plus vertueuse et en accord avec les principes du développement durable. Ce débat national entre l’ensemble des acteurs de la société civile a donné lieu en 2014 à un projet de loi sur la transition énergétique qui permettrait à la fois de mieux lutter contre le réchauffement climatique tout en nous soustrayant progressivement à l’épuisement économique des énergies fossiles. Ce volontarisme politique contraste fortement avec l’inefficacité des négociations climatiques internationales menées jusqu’ici pour relancer un accord mondial permettant de limiter le réchauffement climatique à une hausse de 2 °C d’ici 2050. Cette initiative nationale traduit peut-être l’aspiration française à décrocher la place de premier élève dans la lutte contre le réchauffement climatique alors qu’elle s’apprête à recevoir la conférence internationale « Paris Climat 2015 » ; négociations souvent qualifiées de dernière chance par bon nombre d’experts de la communauté scientifique. Sur ce point, le GIEC a clairement insisté dans son dernier rapport sur l’indéniable influence de l’homme sur le réchauffement climatique. Celle-ci étant maintenant clairement établie (probabilité comprise entre 95 et 100 %), tandis que le scénario du « laissez-faire » impliquerait, d’ici la fin du siècle, une hausse des températures à la surface du globe de 3 à 4 degrés minimum. D’autres organisations internationales comme le Conseil Mondial de l’Énergie et l’Agence Internationale de l’Énergie nourrissent des visions plus sombres encore, puisqu’elles ont indiqué lors d’une conférence en décembre 2013, qu’elles percevaient le scénario de 2 °C à 2050 (450 ppm) comme très fortement improbable, même dans le cas d’une gouvernance mondiale mue par le respect de l’environnement. Probable ou pas, le combat livré contre le réchauffement climatique au travers de la transition énergétique suscite d’importants questionnements attachés à sa mise en œuvre. 1 ■

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Les métaux rares : opportunité ou menace ?

n  Qu’est-ce que la transition énergétique ? Si la transition énergétique a été maintes fois utilisée lors du débat public, ce terme revêt, à l’instar du développement durable, un sens particulier suivant celui qui en fait usage. La transition énergétique peut alors, selon les scénarios, représenter un développement généralisé des mesures de sobriété et d’efficacité énergétique (redéfinition des besoins en termes d’énergie, isolation et rénovation des logements…) ou une décarbonation intense de l’offre énergétique passant par des investissements massifs dans les énergies renouvelables, les énergies alternatives (nucléaire) voire les hydrocarbures avec stockage et séquestration du CO2. Il n’appartient pas à ce livre de délimiter, pour l’instant, ce que sera la transition énergétique, d’autant que ce débat est avant tout normatif. Toutefois, dans un premier temps, nous pouvons retenir trois définitions attachées à celle-ci. Si l’on suit la définition simple proposée par Fouquet et Pearson (2012), la transition énergétique s’apparente, pour un système économique, au basculement d’une ou plusieurs technologies et sources énergétiques vers un autre ensemble de solutions énergétiques. En d’autres mots, la transition relève à la fois de l’introduction réussie de nouvelles sources d’énergies, de technologies et d’institutions ainsi que du déclin simultané des options concurrentes1. La définition de Smil (2010), plus complexe, identifie la transition énergétique à un changement dans la composition (la structure) de l’offre d’énergie primaire, mais aussi comme le basculement progressif d’un système particulier d’approvisionnement en énergie vers un nouvel état du système énergique. Cette évolution peut s’établir d’une échelle couvrant un spectre allant du local au global. Mettre l’accent sur les prime movers2 permet d’assimiler aussi la notion de transition à un processus d’innovations techniques et organisationnelles réussies, les transitions énergétiques pouvant alors être perçues comme l’un des sous ensembles spécifiques de deux processus globaux : le progrès technique et la substitution. Enfin si on reprend les mots du gouvernement, « la transition énergétique c’est : • Consommer mieux en économisant l’énergie (moins de carburants fossiles, moins de transport, plus de confort thermique, plus d’efficacité dans l’industrie). • Produire autrement en préservant l’environnement (plus de ressources locales, plus d’énergies renouvelables, moins de déchets). 1. La traduction est de la responsabilité de l’auteur. 2. Les prime movers sont l’un des éléments principaux de la pensée de Smil, ils représentent les supports et moyens de conversion de l’énergie dans des formes utiles à l’homme.

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Introduction • Faire progresser la société grâce à des projets mobilisateurs (projets coopératifs de production d’énergie, services innovants). • Créer des emplois dans de nouveaux métiers d’avenir et dans le bâtiment. Dans les trois ans qui viennent, la transition énergétique pour la croissance verte peut générer 100 000 emplois nouveaux. »

n  Pourquoi les métaux rares poseraient-ils problème ? Jusqu’ici, cet ouvrage ne se démarque pas vraiment de l’importante littérature existante sur la transition énergétique. Pourtant, le sujet de ce livre n’est pas d’analyser la transition énergétique, du moins pas dans sa totalité, mais de porter des éclairages nouveaux sur les acteurs agissant en arrière-plan des nouvelles technologies de l’énergie : les métaux rares (puis plus largement sur la sphère des métaux). En effet, ces métaux, dont les applications sont encore relativement récentes en comparaison d’autres métaux historiquement anciens comme le cuivre ou le fer, ont rapidement envahi les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) mais aussi les nouvelles technologies de l’énergie (NTE). Ils deviennent alors par ce biais, l’un des points d’ancrage de la transition énergétique mais aussi la manifestation d’intérêts stratégiques, économiques, et financiers sans que les individus n’en prennent forcément conscience. Car tout cela se passe en arrière-plan du débat sur la transition énergétique qui a eu lieu principalement sur le terrain de l’énergie3 et du fond socio-économique de cette (r)évolution (en particulier la précarité énergétique). Les écologistes n’ont d’ailleurs pas toujours conscience des problématiques transversales issues du lien entre l’énergie et les matières premières. À ce titre, j’ai été particulièrement frappé par les mots tenus lors d’un débat organisé par Greenpeace en 2013 auquel j’ai participé en tant qu’observateur. Après avoir pointé du doigt les limites de la pérennisation du système énergétique actuel, nucléarisé et toujours basé sur les hydrocarbures, les intervenants de la conférence (des experts des énergies renouvelables) ont appelé à un basculement généralisé du mix énergétique vers les énergies renouvelables. S’en suivent quelques questions du public, dont une portée par un étudiant curieux : « que pensez-vous des problématiques soulevées par l’usage des métaux rares dans les panneaux solaires ? ». Les modérateurs, embarrassés, se sont alors retournés 3.  En particulier sur les dimensions technico-économiques de la transition énergétique : énergies renouvelables, efficacité énergétique, Smart Grids, capture du carbone et séquestration, stockage… 3 ■

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Les métaux rares : opportunité ou menace ? vers un des experts en photovoltaïque. Que pensez-vous qu’ait répondu l’expert ? Tout simplement que les tensions sur les matières minérales étaient ponctuelles, qu’elles devraient être résolues sous peu et qu’il n’y avait aucune menace de pénurie à moyen terme. Cette réponse comporte une part de vérité, en particulier lorsque l’on réduit cette question à la crise des terres rares, mais cela reste un discours plutôt surprenant de la part d’un écologiste ayant juste auparavant souligné les limites finies en ressources épuisables de la planète. Il y a, je crois, un certain malaise pour les écologistes, militant pour la croissance verte, à évoquer la problématique des métaux rares rentrant dans la construction des systèmes d’énergie renouvelable, car elle soulève avec elle, des logiques parfois antagonistes avec le principe même du développement durable et plus encore avec l’écologie. Autant dissiper le malentendu tout de suite, cet ouvrage n’a pas vocation à discréditer la transition énergétique mais vise plutôt à préciser le contexte et les conditions les plus favorables à celle-ci. La question des métaux rares et des métaux en général doit être abordée car elle implique des enjeux conséquents, et il ne faut pas évacuer celle-ci sous crainte qu’elle rende le message de la transition énergétique inaudible ou conflictuel. Il y a, au contraire, un intérêt à ce que les acteurs de la société civile se saisissent de la problématique et qu’ils en débattent sereinement avec des arguments factuels. Le risque serait de voir cette question passée sous silence par les écologistes ou utilisée comme faire-valoir d’une transition pro-hydrocarbures par les grands groupes pétroliers. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, revenons rapidement sur les évènements avec lesquels tout a débuté.

n  En 2010, la géopolitique et la crise des terres rares s’invitent dans le débat énergétique Tout commence en septembre 2010. La baisse soudaine des quotas à l’exportation des terres rares par la Chine - comme principale mesure de rétorsion à l’encontre du Japon suite à un différent territorial - provoque un accroissement des prix de ces métaux mineurs compris entre 400 % et 800 % de leur valeur initiale. Cet évènement marquant et les ruptures d’approvisionnement en résultant - faisant suite à d’autres entorses commises par la Chine aux règles de libre-échange4 - font alors prendre conscience aux principaux pays de l’OCDE de la vulnérabilité de nombreuses technologies de pointe (NTIC et NTE) face à la disponibilité d’un 4.  L’Europe et les États-Unis avaient déjà porté plainte à l’OMC en 2009 contre la Chine pour l’application de quotas à l’export sur le phosphore jaune, l’antimoine, la bauxite, le coke, le spath fluor, l’indium, le carbonate de magnésium, le molybdène, les terres rares, le silicium, le talc, l’étain, le tungstène et le zinc.

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Introduction certain nombre de métaux. Au-delà du simple conflit géopolitique illustrant la « guerre stratégique » des matières premières, cette crise des terres rares met l’accent sur un autre point déterminant de notre futur énergétique : il devient difficile de dissocier la disponibilité énergétique de la disponibilité des matières premières. En effet si certaines analyses ont relayé l’image d’un monde futur dématérialisé où les matières premières ne joueraient plus aucun rôle (Rifkin, 2014), il faut tout de même remarquer que dans le présent immédiat, les matières premières attisent toujours les convoitises justifiant la guerre économique (la crise des terres rares) ou la guerre tout court (voir les conflits armés autour du coltan en république du Congo5). Nous sommes encore loin d’un futur hypothétique (utopique ?) où les matières premières n’auraient plus aucune valeur et deviendraient des biens quasi gratuits. Il suffit d’observer pour cela la cristallisation des tensions autour de zones jusqu’ici inexploitées comme les fonds marins ou les zones polaires, et qui pourraient s’ouvrir à l’exploitation de l’homme dans la prochaine décennie. L’Arctique par exemple, qui regorge de métaux rares et d’hydrocarbures, constituerait une excellente voie maritime. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant de savoir que celle-ci est revendiquée par pas moins de six pays : le Canada, les États-Unis, la Russie, le Danemark, la Norvège, et l’Islande (Alex et Matelly, 2011). La guerre juridique a d’ailleurs déjà commencé puisque la question est maintenant de déterminer où se termine le plateau continental de chacun, afin de bénéficier de la zone économique exclusive la plus importante (jusqu’à 350 miles marins). Autre enjeu territorial géopolitique motivé par les ressources naturelles, l’exploitation des gisements de nodules polymétalliques dans les fonds marins internationaux appelle de plus en plus à la création d’un pouvoir supranational respecté par tous, que peine à remplir pour l’instant l’International Seabed Authority (ISA) créée en 1994 par l’ONU. Observons que les protocoles établis par cette organisation autonome n’ont pour l’instant pas été ratifiés par les États-Unis. Ce jeu de cavalier seul des États est aussi présent dans le cas des terres rares. En effet, si les barrières commerciales employées par la Chine ont autant d’impact sur le commerce mondial des terres rares, c’est que cette nation détient encore un monopole sur plus de 95 % de la production mondiale. Une position dominante en partie consentie par les autres États qui ont abandonné progressivement la production domestique des terres rares, très polluante et alors peu rentable. Le gisement de Moutain Pass aux États-Unis a assuré par exemple l’approvisionnement en terres rares d’une part majoritaire de la production mondiale jusqu’au milieu des années 80 puis a perdu des parts de marché jusqu’à sa fermeture en 2002. 5.  Ces conflits armés ont fait plus de 6 millions de morts depuis leur lancement. 5 ■

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Les métaux rares : opportunité ou menace ? Suite au différentiel de compétitivité introduit par des quotas et des taxes à l’exportation sur les terres rares, le Japon, les États-Unis et l’Europe ont déposé une plainte à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) à l’encontre de la Chine en 2012 pour violation des règles du commerce internationale. En réalité, la pénurie artificielle des terres rares porte en elle les germes de sa disparition programmée puisque la flambée du prix des terres rares a motivé l’exploration mais surtout la rentrée sur le marché (avec un délai cela dit) d’autres gisements concurrents hors Chine comme Moutain Weld (Australie) et Moutain Pass (États-Unis). La hausse des prix encourage également des effets de substitution du côté de la demande. Dans cette optique, le Japon a lancé un important programme de recherche pour substituer les terres rares, notamment dans les aimants permanents. D’autres initiatives comme des projets de recyclage des terres rares ont également vu le jour en Europe. Finalement, en 2014, l’OMC a tranché en faveur des pays plaignants et demandé à la Chine de supprimer ces quotas à l’exportation6. Cette mesure destinée à supprimer les entraves aux règles du marché, semble pourtant impliquer un paradoxe : elle va probablement conforter la position dominante de la Chine. En effet, la suppression progressive des quotas à l’exportation pourrait provoquer une chute importante du prix des terres rares et mettre en difficulté les nouveaux producteurs de terres rares aux coûts de production plus élevés. Par exemple, le cours de l’action de Lynas Corporation, propriétaire du gisement de Moutain Weld, n’a pas cessé de baisser depuis 2011, compte tenu des mauvais résultats de son activité entrainés par la baisse du prix des terres rares. Le maintien de la position dominante de la Chine semble donc inexorable à moins que la relance de la demande en terres rares ne soit suffisamment dynamique pour faire repartir les prix à la hausse. Du côté de l’offre, le salut des entreprises minières hors Chine pourrait aussi venir de la chasse aux mines illégales présentes sur le territoire du géant asiatique en réduisant considérablement l’offre minière chinoise de terres rares. Il n’en demeure pas moins que la crise des terres rares n’est qu’un épiphénomène d’une problématique plus vaste, plus pérenne et plus épineuse que recèle l’usage accru en matières premières des énergies décarbonées. En souhaitant basculer d’une société basée sur les hydrocarbures vers une économie bas carbone, nous allons en effet stimuler le développement des énergies décarbonées. Or, nous allons voir que ces énergies font usage en moyenne d’une quantité beaucoup plus importante de matières premières, de métaux de base et de métaux mineurs que ne le font les énergies traditionnelles. Cela peut s’avérer compliqué si les maux 6.  Les critères de protection de l’environnement et d’une politique de conservation des ressources naturelles évoqués par la Chine pour justifier cette barrière n’ont pas été considérés comme recevables dans la mesure où ils ne s’appliquaient pas aux entreprises présentes en Chine.

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Introduction engendrés par cet usage accru de métaux posent plus de difficultés qu’il n’en résout. Nous allons donc explorer dans cet ouvrage, quels sont les effets secondaires d’une économie bas carbone trop intense en matières premières. Nous verrons que tout ne repose pas sur un problème de quantité et que les difficultés relèvent de natures bien différentes et sont souvent liées aux spécificités des matériaux employés comme les métaux rares. Dans le chapitre un, nous verrons pourquoi le changement climatique entraine avec lui la nécessité impérieuse d’une transition énergétique. Le chapitre 2 visera à dresser un bilan complet sur la dépendance accrue des énergies décarbonées aux matières premières et métaux de base. Nous montrerons dans le chapitre 3, pourquoi les métaux rares sont différents des autres métaux et comment ils interviennent dans quasiment tous les systèmes énergétiques bas carbone. Les chapitres 4 et 5 analyseront l’impact de certaines spécificités des métaux rares (la production en sous-produit et l’absence de marché organisé) sur le déploiement d’un mix énergétique décarboné faisant appel à eux. Un nouveau chapitre 6, s’intéressera au levier potentiel du recyclage qui manque cruellement aux métaux rares. Les chapitres 7 et 8, plus larges, offriront une vision des contraintes physiques (épuisement) et géopolitiques (redistribution de la rente énergétique) dues aux métaux et suscitées par la transition énergétique. Enfin, nous proposerons dans le chapitre 9, la hiérarchisation d’un ensemble de mesures susceptibles d’atténuer ces problématiques lors de notre transition vers une économie bas carbone.

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Introduction e à la 2 édition De l’eau a coulé sous les ponts depuis la première version de cet ouvrage publié en 2015 et qui s’appuyait sur mes travaux de recherche débutés en 2011. De nombreux facteurs ont évolué depuis, ce qui a naturellement conduit à la remise en question d’une partie des éléments présentés dans ce livre. Fort heureusement, il existe aussi de puissantes forces de stabilité. Ainsi, d’autres conclusions sont toujours fondées, en particulier celles ayant attrait aux fondamentaux de l’économie des métaux rares. Cependant, avant d’entrer au cœur de l’ouvrage, cette introduction à la deuxième édition est l’opportunité de revenir sur les grands événements ayant secoué la scène des métaux mineurs et de la transition énergétique sur ces cinq dernières années.

n  Les métaux rares, un sujet « à la mode » Un élément vraiment frappant est la montée en puissance de la problématique des métaux rares pour la transition énergétique et plus généralement des matières premières pour l’énergie. Ramant à contre-courant au début des années 2010, je suis maintenant entouré d’une multitude de collègues qui travaillent désormais de près ou de loin sur cette thématique. La plupart des grands organismes internationaux ont également intégré un volet matières premières à l’instar de ce récent rapport de la banque mondiale (2017) ou de nouvelles analyses du Joint Research Centre (JRC) européen (2016). 9 ■

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Les métaux rares : opportunité ou menace ? Au niveau français, l’ouvrage du journaliste G. Pitron (2018) La guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique a connu un succès grandissant dans la sphère médiatique et publique là où la plupart des études scientifiques antérieures étaient restées relativement anonymes. Reconnaissons que celui-ci est, sur les aspects géopolitiques, bien documenté et a le mérite d’apporter un éclairage conséquent sur la thématique des métaux rares auprès du grand public. Il y a pourtant des limites importantes au discours retranscrit dans cet ouvrage7 : la remise en cause du bilan environnemental des énergies renouvelables, les raccourcis déconcertants au sujet des logiques d’épuisement (notamment au travers de la mésinterprétation du ratio de réserves sur production) et surtout, bien que le constat dressé soit très critique envers la croissance verte (constat que je partage), l’absence de préconisations ou d’ouvertures vers des ébauches de solutions affaiblissent considérablement la portée du message. Certes, le recours généralisé aux métaux rares dans le cadre de la transition énergétique (sous son volet de décarbonation) comporte des risques (Fizaine, première édition de cet ouvrage) mais de là à dire que l’impact environnemental des énergies vertes est aussi mauvais que le bilan des énergies fossiles : c’est une erreur factuelle qui est balayée par les études d’analyse de cycle de vie (ACV) les plus récentes comme celle publiée par l’équipe de T. Gibon dans la revue prestigieuse du PNAS et celle de la Renewable and Sustainable Energy Reviews (Hertwich et al., 2015, Gibon et al. 2017). Bien entendu, on ne peut pas nier que les énergies renouvelables, compte tenu de l’extraction des matières premières qu’elles nécessitent, peuvent avoir des impacts locaux importants, en particulier sur la faune, la flore et les populations vivant à proximité des sites d’extraction. Mais au niveau général, le bilan est positif et mettre en balance la pollution charriée par l’extraction des terres rares indispensables aux aimants permanents utilisés dans les éoliennes offshore avec les impacts environnementaux des énergies fossiles, c’est confondre les ordres de grandeurs. Quelques chiffres pour l’illustrer. Concernant les gaz à effet de serre, l’éolien émet de 6,4 à 8,5 g de CO2 par kWh sur l’ensemble de son cycle de vie selon les chiffres des études précitées8. Ce chiffre monte à 530 g CO2/kWh pour le gaz et à 930 g CO2/kWh pour le charbon (un constat aussi partagé par le GIEC). Bien sûr, certains lecteurs à l’œil avisé pourront rétorquer que l’environnement ne se réduit pas au réchauffement climatique et que l’impact de la production d’énergie peut avoir des effets diverses. C’est pourquoi les ACV quantifient aussi les impacts sur d’autres indicateurs comme l’écotoxicité pour l’eau, l’eutrophisation des eaux, la 7.  Pour un bilan critique détaillé de l’ouvrage c’est par ici : https://www.linkedin.com/pulse/ vers-la-vraie-face-cach%C3%A9e-de-transition-%C3%A9nerg%C3%A9tique-florian-fizaine/ 8.  Les 150 kg de néodyme (terres rares) ne pèsent qu’environ 0,05g CO2 par kWh d’éolien produit soit moins d’un pourcent du bilan global de l’éolien.

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Introduction à la 2e édition toxicité générée pour l’homme, l’impact sur l’épuisement des métaux, la formation de particules, la formation d’oxydants photochimiques (O3), l’acidification des sols et l’empreinte au sol. Sur l’ensemble de ces indicateurs, l’éolien fait mieux que les énergies fossiles (un facteur 10 à 100!) à l’exception de l’épuisement des métaux car l’énergie du vent est en moyenne plus intensive en métaux que ne le sont les énergies fossiles (figure 0.1).

Figure 0.1 Impact relatif des énergies fossiles vis à vis de l’éolien. Source : données de Gibon et al. 2017.

Par ailleurs, comme je le maintenais en 2015, je ne crois pas non plus, comme on l’entend de plus en plus souvent, qu’une production nationale de métaux (rares et majeurs) soit un bon moyen de limiter le coût environnemental de l’extraction minière. Tout d’abord, l’argumentation logique qui voudrait que la modération de notre mode de consommation passe par un contact plus important avec une pollution visible me parait dangereuse. En effet, avons-nous besoin de brûler nos forêts pour nous sensibiliser aux incendies, ou que le plastique pollue notre eau et notre nourriture pour renoncer aux sacs jetables ? Pour continuer, s’il pourrait exister un bénéfice environnemental à la production minière nationale, il y a fort à parier qu’elle se conjuguerait avec une forte iniquité car les projets à forts impacts environnementaux sont quasiment toujours placés à proximité des populations 11 ■

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Les métaux rares : opportunité ou menace ? pauvres (on peut penser aux nationales, autoroutes, décharges et autres projets d’enfouissement de déchets nucléaires). Or, les empreintes matière, CO2 et écologique sont corrélées au revenu. On n’incitera pas, par conséquent, à la modération des populations riches métropolitaines en truffant les zones rurales pauvres de mines « vertes ». Les États-Unis et le Japon incarnent également deux contre-exemples de la modération du mode de vie par la proximité aux mines. Si l’on suit l’assertion décrite plus haut, le Japon qui n’est plus un pays minier majeur depuis la fin du xixe siècle devrait consommer plus de matière par habitant que les États-Unis, le Canada ou l’Australie qui sont au contraire d’importants producteurs miniers. Or nous observons exactement l’inverse, en 2015 le Japon possédait une empreinte matière de 23 tonnes par habitant contre 30, 34 et 42 tonnes respectivement pour les trois pays miniers (UNEP, 2016). Il pourrait être contesté que ces trois pays miniers sont beaucoup moins denses que ne l’est le Japon, ce qui implique plus de consommation pour la construction et l’entretien des infrastructures. C’est vrai, mais ce dernier pays ne reflète-il pas mieux justement le cas des pays Européens ? Décidément les faits sont têtus car une étude publiée là encore par le PNAS (Wiedmann et al., 2015) montre au travers d’une analyse statistique réalisée sur 137 pays, et contrôlant la densité du territoire, que le volume d’extraction minière par habitant est corrélé positivement à l’empreinte matière par habitant et la consommation intérieure par habitant. En d’autres mots, les pays qui extraient plus de minerais et de ressources sur leur territoire consomment également davantage de matières (l’étude le montre aussi pour le sousensemble des métaux). Cela n’est en effet pas surprenant de constater que l’abondance d’une offre minière pousse l’économie du pays à consommer davantage de ces ressources. Il faudra donc chercher ailleurs d’autres solutions, et cesser de raisonner systématiquement en termes d’offre pour résoudre nos problématiques socio-environnementales.

n  La conjoncture des métaux, une actualité en dents de scie La conjoncture des métaux est aujourd’hui plutôt dans une phase de stabilisation des prix avec un léger rebond depuis 2015 (figure 0.2). Nous sommes loin des pics de prix atteints lors de la bulle des matières premières de 2006-2007 ni même du renchérissement qui eu lieu en 2011-2012. Sur la dynamique de long terme, on observe que les niveaux de prix actuels des métaux restent tout de même caractérisés par un niveau proche de la phase haute du cycle des prix (en termes réels). Ainsi, les prix de 2019 correspondent assez bien aux prix de 1960 mais demeurent largement supérieurs aux niveaux prévalant durant la phase de plancher des années 1990. ■ 12

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Chapitre 9 Principaux axes de recommandations Nous avons pu voir à quel point la transition énergétique soulevait des problématiques différentes ne serait-ce que par la relation étroite qu’elle entretient avec le secteur des métaux. Chaque chapitre de cet ouvrage a pu montrer la facette multirisque que pourrait entraîner une décarbonation trop poussée et trop rapide du mix énergétique dans les conditions actuelles. Néanmoins, les différents risques exposés au fil des chapitres précédents ne sont pas équivalents et n’interviendront pas dans les mêmes délais. Probablement que les contraintes les plus susceptibles d’apparaître rapidement seront aussi celles dont la résolution et les moyens d’atténuation seront les plus aisés. À contrario, certaines contraintes de long terme voire de très long terme liées aux métaux requerront des investissements importants et des facultés d’adaptation plus poussées pour voir leurs conséquences considérablement amoindries. L’objectif n’étant pas de prédire d’éventuels lendemains qui déchantent mais bien de modifier les trajectoires actuelles pour proscrire la réalisation de tels scénarios. Compte tenu de la multiplicité des problématiques livrées au fil des chapitres, le lecteur se doutera qu’il ne peut exister de réponse unique et suffisante à la dépendance entre les métaux et l’énergie. Non seulement il faudra mobiliser plusieurs leviers d’action, mais il sera aussi nécessaire de connaître les interactions existantes entre ces moyens pour éviter d’éventuels effets de retour annihilant en 163 ■

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Les métaux rares : opportunité ou menace ? partie ou en totalité l’effet souhaité. Il faudra aussi distinguer les moyens agissant sur les causes de ceux régulant les conséquences. À mon sens, les premiers sont supérieurs aux seconds dans la mesure où il vaut mieux éradiquer la maladie plutôt qu’en apaiser les symptômes. Bien entendu, ceci doit être tempéré par la quantité et l’importance des effets de report enclenchés par chaque « solution » au problème. Traditionnellement, nous pourrions aussi regrouper les solutions qu’elles passent principalement par une action sur l’offre ou sur la demande. Enfin, la palette de solutions que je propose et les limites qu’elles comportent m’amèneront à favoriser très logiquement un chemin de transition énergétique parmi la multiplicité des voies possibles.

n  Principaux risques et conséquences associés à la liaison métaux-transition énergétique Pour reprendre rapidement les principales conclusions étayées dans les différents chapitres de cet ouvrage : nous avons vu que les métaux rares ont investi massivement les énergies renouvelables mais aussi l’ensemble des énergies décarbonées (capture et séquestration du CO2, réseaux intelligents ou communicants, nucléaire de fusion et fission, transport et éclairage décarbonés…). Pour compléter le tableau, d’autres études scientifiques ont aussi mis en lumière une consommation globale plus importante en métaux (à puissance constante) des technologies décarbonées. Une économie plus sobre en carbone devrait donc, au vu des technologies actuelles, induire indubitablement un recours généralisé aux métaux rares et un accroissement de la consommation des métaux de base. Cette pression accrue portée sur les métaux rares et les métaux de base pose problème à plusieurs niveaux : En premier lieu, les métaux rares sont extraits principalement comme sous produits d’autres métaux de base. Cela signifie qu’en cas d’une hausse plus rapide de la demande associée aux métaux mineurs relativement à la demande exprimée pour leurs produits primaires, il risque de s’en suivre un rationnement de la demande avec une hausse parallèle de leur prix. Compte tenu de la très faible (voire l’absence) d’élasticité de l’offre minière au prix des métaux mineurs, la flambée des prix n’entraînera pas de hausse de l’offre. Il ne faut pas non plus s’attendre à ce que les métaux mineurs deviennent des produits primaires (à quelques exceptions près) car cela nécessiterait des augmentations de prix sans précédent (d’un facteur 25 à 1000). Par ailleurs, une offre inélastique face à une demande très dynamique et instable ■ 164

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Principaux axes de recommandations risque d’engendrer une importante volatilité des prix. On peut vraisemblablement s’attendre à ce que ce type de contrainte se manifeste à moyen terme. En second lieu, l’absence de marché à terme pour la plupart des métaux rares implique que les producteurs ne peuvent pas se couvrir via des contrats à terme standardisés (type futures) contre les fluctuations du prix de ces derniers. L’importante opacité régnant sur les marchés des métaux rares et l’absence d’information fiable sur les prix restreignent également l’usage de pratiques de couverture croisée. Bien entendu, les producteurs peuvent toujours se couvrir via des contrats de long terme (de type offtake) mais ces derniers comprennent souvent des clauses de révision indexées sur les prix reportés. Il se pose donc aussi bien la question de la transparence du processus établi par ces agences que celle de la validité du reporting sur des marchés aussi peu liquides. Cette question est d’autant plus problématique que nous avons montré que, globalement, les prix des métaux rares sont beaucoup plus volatils que les autres métaux ou que les hydrocarbures et que la création de marchés organisés pour de si petits marchés est fortement improbable. En troisième lieu, si elle dépend principalement des métaux pour son essor et son développement, la transition énergétique ne pourra pas cependant bénéficier dans les mêmes proportions de l’essor du recyclage pour alléger son bilan (environnemental) et sa dépendance aux mines. D’une part parce que l’économie du recyclage n’est pas généralisée aux métaux rares, il donc n’existe pas de filière mature existante de recyclage. D’autre part, contrairement aux métaux précieux et aux autres métaux majeurs, les usages restreints et particulièrement peu concentrés de ces métaux particuliers proscrivent (dans la plupart des cas) le développement d’une filière de recyclage rentable. Il y a donc un risque important que l’on ne récupère que les métaux représentant les parts en masse et en revenus les plus importantes, comme c’est le cas actuellement pour les déchets électroniques. C’est pourtant très préjudiciable à ces métaux dont certains ont une demande majoritairement associée à l’électronique et la production ou l’usage d’énergie. Il est donc fort probable que les décharges soient la destination majoritaire des métaux rares de la transition énergétique en fin d’usage à moyen terme. En quatrième lieu, il apparaît aussi que l’épuisement quantitatif, encore mal mesuré dans les études du fait de leurs limites internes, ne soit pas la principale contrainte physique induite par l’usage de métaux dans les technologies de l’énergie. En effet, la dégradation qualitative des minerais riches en métaux, tirée par une consommation toujours plus importante, provoque une hausse de la consommation énergétique unitaire des métaux. Comme nous utilisons en parallèle plus de métaux pour produire la même quantité d’énergie, on peut s’attendre à ce que nos systèmes 165 ■

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