Le dossier Mitterrand, Editions de la République - Editions Ophrys

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LE DOSSIER

MITTERRAND


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Table des matières Préface

par Michel Winock

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1916 -1958 Comment on devient Mitterrand

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Sous l’Europe, la Saintonge

15

De Vichy à la Résistance

21

Le plus jeune ministre de France

33

Guerre d’Algérie : 45 exécutions capitales

41

Coupable ou manipulé ? Que s’est-il passé à l’Observatoire ?

53

1958 -1981 Mitterrand et la gauche

63

Comment il a amené la gauche au pouvoir

65

Petits arrangements avec l’argent

81

A-t-il converti la gauche à l’économie de marché ?

89

Par Franz-Olivier Giesbert Par Jean-Pierre Azéma Par Michel Winock

Par Benjamin Stora

Par Jean Garrigues

Par Michel Winock

Par Jean Garrigues

Par Alain Bergounioux


1981-1995 Président : le bilan

107

10 mai 1981 : la victoire

109

Le prince de la manipulation

119

Deux septennats

125

La première mesure : l’abolition de la peine de mort

135

Décentralisation, la grande affaire

143

Politique étrangère : peser sur les affaires du monde

149

Par Ludivine Bantigny

Par Jean-Michel Gaillard Par Mathias Bernard Par Robert Badinter

Par Jean-Luc Bœuf et Yves Léonard Par Édouard Vernon

Construction européenne : oui à l’Europe… des États 157 Par Jean-Michel Gaillard

Économie : l’âge d’or des capitalistes

165

Fin de règne

169

Chronologie

177

Les auteurs

185

Les photos

189

Par Jacques Marseille Par François Bazin



Préface par Michel Winock Il y a vingt ans, le 8 janvier 1996, François Mitterrand mourait en nous laissant encore aujourd’hui l’image d’une personnalité indéchiffrable. Certains ne veulent voir en lui qu’un assoiffé de pouvoir, dont toute la vie fut orientée par sa conquête inlassable et son exercice impérieux. Il n’est pas niable que le très jeune ministre de 1947 avait l’ambition de parvenir au sommet de l’État, qu’il s’y est employé au long des années qui ont suivi, et qu’il a fini par y parvenir, au gré d’un changement de République. On ne saurait cependant réduire cet homme et cette vie à une ambition effrénée. Deux convictions au moins l’ont habité : l’amour de sa patrie et le désir d’Europe. Né pendant la Grande Guerre, soldat humilié du second conflit mondial, il a éprouvé un attachement profond au sol et à l’âme de la France, à ses paysages autant qu’à sa littérature, à ses provinces comme à ses genres de vie. Il ne connaissait guère qu’une langue, qu’il parlait avec soin et écrivait avec talent. Un Français à l’ancienne, en somme, amoureux de 9


sa petite patrie – la Saintonge – et fier de la grande. En même temps, la guerre lui avait enseigné que la paix nécessaire entre les nations ne pouvait être que le résultat d’une volonté politique. C’est de là que vient son adhésion précoce à l’idée européenne, dont il fut, une fois au pouvoir, l’un des artisans les plus résolus. Cette Europe, elle devait passer d’abord par la réconciliation définitive entre la France et l’Allemagne : ce qu’avait entrepris le tandem de GaulleAdenauer, ce qu’avait continué le tandem Giscard-Schmidt, il le poursuivit avec H ­ elmut Kohl. Le reste chez lui a moins d’arête. On a pu le sacrer « roi de l’ambiguïté », car il était secret et contradictoire, se réservant le malin plaisir de surprendre. Son socialisme est resté un sujet d’interrogation. Son honnêteté également. Son rapport à l’argent n’est pas aussi simple qu’il a voulu le montrer. Il a été un grand stratège, mais non sans petitesses manœuvrières. Son sens de l’amitié l’a éloigné parfois de ses devoirs de citoyen. Sa vie privée – sa seconde vie – a bénéficié de la protection de l’État. Ses mensonges sur son passé ont dérouté ses premiers biographes. Au total, rien d’un héros de La Légende des siècles, à la manière – pour ce qui est du xxe – d’un Clemenceau ou d’un de Gaulle. Pourtant, la mémoire collective, que révèlent les sondages d’opinion, lui accorde l’attachement rétrospectif des Français – comme s’il incarnait plus l’histoire de la France que l’histoire de la gauche. Pourtant, cette histoire-là, il l’a portée, du programme commun aux réformes parfois décisives des années 1980. La cire du musée Grévin nous éloigne de la politique. 10


Peut-être, les Français éprouvent-ils le sentiment qu’avec lui s’est achevé le cycle d’une autre époque, encore épargnée par les bouleversements de la mondialisation économique et culturelle. Le jardinier de Latche, l’excursionniste de Solutré, l’homme à « la force tranquille » sont des images qui évoquent un temps qu’embellit le travail du tri mémoriel. Images d’une autre France et d’un autre temps forgées par la nostalgie de ce qui n’est plus. François Mitterrand, c’est un hier regretté par le morne aujourd’hui.

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1916 -1958

Comment on devient Mitterrand



Sous l’Europe, la Saintonge Par Franz-Olivier Giesbert C’est le paradoxe Mitterrand : ce militant européen ouvert au monde incarnait à la perfection le Français des xixe et xxe siècles. Dieu sait si des erreurs de jugement ont été proférées sur François Mitterrand. La moindre ne fut pas que c’était un cynique sans foi ni loi, Casanova du pouvoir, prêt à tout et juste bon à suivre ses intérêts du moment. Certes, Mitterrand a souvent prêté le flanc à cette critique. À la fin de l’été 1972, je m’étais permis de lui faire part de la consternation qu’avait provoquée chez moi la lecture du programme commun. Une soupe incantatoire, planificatrice et pseudo-marxiste. Un « mélange d’estrambord, de patafar et de galimatias », aurait dit Alphonse Allais. Indigne de lui. Alors, Mitterrand m’avait répondu avec un mélange d’ironie et d’étonnement : « Ah, bon, c’est aussi mauvais que ça ? Je ne peux pas vous dire, je ne l’ai pas lu. » Mais comment est-ce possible !, m’étais-je exclamé avec une indignation juvénile. Vous l’avez bien signé ! 15


» Jeune homme, les programmes sont faits pour remporter les élections, pas pour être appliqués à la lettre. L’une des meilleures définitions de la politique reste celle de Napoléon : “On gagne et puis après on voit.” » Personnage altier et sûr de lui, doté de ce que Baudelaire appelait la « double conscience », François Mitterrand aura traversé toute sa vie politique en la surplombant. Le premier degré n’étant pas son fort, il se plaçait dans une tradition française où l’on a tendance à considérer la politique comme un jeu ou un sport sans trop s’embarrasser de scrupules. « Seul l’ homme absurde ne change pas », disait Georges Clemenceau qui était l’une de ses références. Avoir beaucoup de convictions, c’est n’en avoir aucune. Mitterrand ne courait pas ce risque : il y avait peu de sujets sur lesquels il était incapable de compromis et disposé à prendre tous les risques. Après son arrivée au pouvoir en 1981, par exemple, il n’a jamais transigé sur la peine de mort. Idem sur l’Europe. Avec Valéry Giscard d’Estaing, il fut le plus européen des présidents de la Ve République, nouant les mêmes relations amicales avec Helmut Kohl, le chancelier allemand, que son prédécesseur avec Helmut Schmidt. Les convictions européennes de Mitterrand étaient nées sur les décombres de la Seconde Guerre mondiale quand il s’exclama comme tant d’autres anciens combattants : « Plus jamais ça ! » Elles sont restées immuables, jusqu’à son dernier souffle de vie. L’Europe est le fil qui donne un sens à son demi-siècle d’action politique. Un jour que je lui demandai quelle était la personnalité politique qui l’avait le plus marqué tout au long de sa carrière, Mitterrand me 16


1958 -1981 Mitterrand et la gauche



Comment il a amené la gauche au pouvoir Par Michel Winock En 1958, Mitterrand est entré dans l’opposition. Mais, déjà, il se positionne pour l’avenir. Au point de devenir le leader de la gauche et, en 1981, d’accéder aux plus hautes fonctions de l’État. Récit d’une double conquête. L’année 1958 aura été l’étape décisive de la carrière de François Mitterrand. L’opposition vertueuse et éloquente qu’il a manifestée au retour du général de Gaulle au pouvoir le positionne pour l’avenir. Il bravera l’adversité – on se demande comment il a pu surmonter le scandale de « l’Observatoire » –, il aura à affronter la virulence, souvent haineuse, de ses ennemis, mais, campé sur ses positions, il enfile résolument les habits de l’opposant majeur au nouveau régime en gardien de la démocratie et, quelques années après, il devient le patron nécessaire de la gauche. Aux législatives de 1958, il a perdu son siège de député, mais quelque chose d’important s’est produit. Déjà son 65



Construction européenne : oui à l’Europe… des États Par Jean-Michel Gaillard Ah ! Ce congrès de La Haye de mai 1948 ! Combien de fois, en public et en privé, dans les années élyséennes, François Mitterrand y a-t-il fait référence ! « J’y étais » et cela valait brevet, le plaçait dans la galerie des ancêtres d’une Europe à construire dont, président de la République, il s’était fait l’inlassable avocat. Réunis sous la présidence d’honneur de l’ancien Premier ministre britannique Winston Churchill, ceux de La Haye avaient posé les principes : il fallait construire l’Europe pour surmonter le passé et peser dans un monde de géants. François Mitterrand adhérait à cette nécessité. Il ne changerait jamais d’avis. Un allié indispensable Vainqueur en mai 1981, François Mitterrand aura le temps de peaufiner son ambition européenne. Prise en otage par Margaret Thatcher et sa théorie du « juste retour » (la contribution de la Grande-Bretagne au budget de la CEE 157


devrait être compensée à part égale par ses gains financiers), l’Europe n’est alors plus qu’une assemblée de comptables délibérant à intervalles réguliers du montant d’un chèque pour le Premier ministre britannique. Or cette paralysie est, paradoxalement, une aubaine pour le président. Elle lui donne le temps de régler les difficultés intérieures et extérieures qui pourraient hypothéquer son rôle au sein des institutions européennes. Au plan intérieur, le choix (décisif) qu’il effectue en mars 1983 de rester dans le Système monétaire européen pour ne pas isoler la France de la Communauté, au prix de la rigueur économique et sociale, lui fournit un brevet de fidélité à l’Europe. Au plan extérieur, François Mitterrand apparaît comme un allié indispensable : il a, depuis juin 1981, entamé une croisade en faveur du déploiement des euromissiles de l’Otan face aux SS 20 soviétiques. Ce faisant, il a acquis un capital politique exceptionnel auprès des gouvernements européens et de celui dont il est le plus ferme soutien, le chancelier Helmut Kohl, engagé dans une bataille interne pour faire voter par le Bundestag le déploiement des fusées américaines. Lorsque ce vote est acquis, fin 1983, la présidence française de la CEE commence. En janvier 1984, François Mitterrand décide de passer enfin la vitesse supérieure pour inscrire son nom, avec Helmut Kohl, au panthéon des grands Européens. Comme le souligne Hubert Védrine, ce choix, il le fait dans le secret de l’Élysée, avec sa garde rapprochée de conseillers Jean-Louis Bianco, Jacques Attali, Hubert Védrine, Élisabeth Guigou et son ami Roland Dumas. Il confie à ce dernier, en décembre 1983 : 158


« Je vais vous nommer ministre des Affaires européennes, et nous allons désembourber l’Europe1. » C’est chose faite, plusieurs semaines plus tard. Au sommet de Fontainebleau (25-26 juin 1984), laminée par le travail de persuasion fait par François Mitterrand auprès des autres membres de la Communauté et par le ralliement d’Helmut Kohl à la fermeté française, Margaret Thatcher cède : elle accepte de recevoir de Bruxelles une « compensation » financière inférieure à ses revendications initiales. Le projet européen est relancé : l’Espagne et le Portugal vont intégrer la CEE, celle-ci verra ses ressources augmentées, un nouveau traité plus ambitieux que celui de Rome est mis en chantier, Jacques Delors prend la présidence de la Commission, le Marché unique est lancé, le futur accord de Schengen amorcé2. Un grand marché intérieur Cependant, entre l’Europe fédérale et l’Europe des États, le président ne choisit pas. D’un côté, il dit oui à l’effacement des barrières qui entravent encore la libre circulation des marchandises, des capitaux, des services, des hommes, dans le cadre du « grand marché intérieur » prévu par l’Acte unique du 17 février 1986. Il dit oui à l’Union monétaire, aux politiques communes, au renforcement des institutions et à l’Europe politique. Il dit oui enfin à la puissance européenne, comme il l’affirme clairement dans 1  H. Védrine, Les Mondes de François Mitterrand, Fayard, 1996, p. 295. 2  La France, l’Allemagne et le Benelux ont décidé en 1985 d’abolir les frontières intérieures entre les États signataires et de créer une frontière extérieure unique, instituant ainsi l’espace « Schengen ».

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