L'intensité et son expression en français, C. Romero - Editions Ophrys

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Clara ROMERO est maitre de conférences en Sciences du langage à l’Université Paris-Descartes et membre du laboratoire MoDyCo (UMR 7114). Spécialiste de l’intensité, elle a également publié sur la complexité des comparaisons figurées ainsi que sur la variété des formes et des fonctions de la répétition dans le discours publicitaire.

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ISBN 978-2-7080-1497-8 ISBN 978-2-7080-1497-8

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Clara ROMERO

iel fran çais

Manuel de référence incontournable, cet ouvrage permettra aux étudiants de linguistique et de lettres modernes ainsi qu’aux apprenants de français d’identifier et de comprendre toutes les formes exprimant l’intensité dans ses multiples dimensions. Il fournira aussi aux professeurs des outils pour décrire et enseigner ces formes.

L’INTENSITÉ ET SON EXPRESSION EN FRANÇAIS

l’essent

Le lecteur y découvrira que l’intensité est un phénomène omniprésent dans la langue, touchant aussi bien la morphologie (hyperchaud) que le lexique (chaleur torride, étouffante, caniculaire), la syntaxe (Fait-il chaud !, Il fait chaud, chaud… !) que la prosodie (Il fait CHAAAUUUD !). Il appréhendera également la complexité de ce phénomène, que la notion de degré ne suffit pas à expliquer. Parmi les questions d’ordre sémantique ou énonciatif en jeu, figurent en effet celles de la structure informative de la phrase (C’est qu’il fait chaud !), de la modalité (Qu’est-ce qu’il fait chaud !), des tropes (C’est un vrai sauna, On crève de chaud, Il ne fait pas vraiment froid) ou encore des actes de langage (On pourrait peut-être ouvrir une fenêtre ?).

L’INTENSITÉ ET SON EXPRESSION EN FRANÇAIS

Si la question des degrés d’intensité (Il fait un peu / assez / très / extrêmement chaud) est traitée par toutes les grammaires, la réelle variété des formes d’intensification et d’atténuation n’est nulle part explorée ni exposée systématiquement. En présentant une recension complète des marqueurs et constructions dédiés à l’expression du degré d’intensité ainsi que, plus largement, des nombreux procédés de modulation de l’intensité des messages (Crois-moi, il fait chaud), le présent ouvrage vient combler ce manque.

Clara ROMERO

L’INTENSITÉ ET SON EXPRESSION EN FRANÇAIS

06/10/2017 09:58



COLLECTION L’ESSENTIEL FRANÇAIS

L’INTENSITÉ ET SON EXPRESSION EN FRANÇAIS Clara Romero


Collection L’Essentiel français, dirigĂŠe par Catherine Fuchs Formes et notions L'expression de la manière en français, par Estelle Moline et Dejan Stosic La ponctuation en français, par Jacques DĂźrrenmatt La comparaison et son expression en français, par Catherine Fuchs Les dĂŠterminants du français, par Marie-NoĂŤlle Gary-Prieur Le discours rapportĂŠ en français, par Laurence Rosier Les verbes modaux en français, par Xiaoquan Chu Les temps de l’indicatif en français, par GĂŠrard Joan BarcelĂł et Jacques Bres Le nom propre en français, par Sarah Leroy Le gĂŠrondif en français, par Odile Halmøy La prĂŠposition en français, par Ludo Melis Le conditionnel en français, par Pierre Haillet La rĂŠfĂŠrence et les expressions rĂŠfĂŠrentielles, par Michel Charolles La construction du lexique français, par Denis ApothĂŠloz Le subjonctif en français, par Olivier Soutet Les noms en français, par Nelly Flaux et Danielle Van de Velde La cause et son expression en français, par Adeline Nazarenko L’intonation : le système du français, par Mario Rossi Les stĂŠrĂŠotypes en français, par Charlotte Schapira L’adjectif en français, par Michèle Noailly Les constructions dĂŠtachĂŠes en français, par Bernard Combettes L’espace et son expression en français, par AndrĂŠe Borillo Les formes conjuguĂŠes du verbe français, oral et ĂŠcrit Les adverbes du français : le cas des adverbes en -ment, par Claude Guimier par Gaston Gross Les ambiguĂŻtĂŠs du français, par Catherine Fuchs La concession en français, par Mary-Annick Morel La consĂŠquence en français, par Charlotte Hybertie


VariĂŠtĂŠs du français Les parlers jeunes dans l'ĂŽle-de-France multiculturelle, par Françoise Gadet DĂŠcrire le français parlĂŠ en interaction, par VĂŠronique Traverso Le français au contact d'autres langues, par Françoise Gadet et Ralph Ludwig Les crĂŠoles Ă base française, par Marie-Christine HazaĂŤl-Massieux Approches de la langue parlĂŠe en français, nouvelle ĂŠdition, par Claire BlancheBenveniste (ĂŠpuisĂŠ) Les variĂŠtĂŠs du français parlĂŠ dans l’espace francophone. Ressources pour l’enseignement, par Sylvain Detey, Jacques Durand, Bernard Laks et Chantal Lyche (dir.) , par BĂŠatrice Lamiroy (dir.) La variation sociale en français, par Françoise Gadet Le français en diachronie, par Christiane Marchello-Nizia

Outils et ressources Lire un texte acadĂŠmique en français, par Lita Lundquist Dictionnaire des verbes du français actuel, par Ligia-Stela Florea et Catherine Fuchs RĂŠdiger un texte acadĂŠmique en français, par Sylvie Garnier et Alan D. Savage Construire des bases de donnĂŠes pour le français, par BenoĂŽt Habert Dictionnaire pratique de didactique du FLE, par Jean-Pierre Robert Les dictionnaires français, outils d’une langue et d’une culture, par Jean Pruvost Instruments et ressources ĂŠlectroniques pour le français, par BenoĂŽt Habert


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© Editions Ophrys, 2017 Editions Ophrys, 5 avenue de la République, 75011 Paris www.ophrys.fr ISBN 978-2-7080-1497-8


TABLE DES MATIÈRES Abréviations et symboles utilisés.................................................... 10 Introduction .................................................................................... 13 Chapitre I : L’expression grammaticale de l’intensité ................... 23 1. Les adverbes grammaticaux ........................................................... 25 1.1 Les adverbes d’intensification................................................................ 26 1.2 Les adverbes d’intensification plus faible ............................................ 40 1.3 Les adverbes d’atténuation : peu (de) et un peu (de)............................... 42 1.4 Les adverbes d’atténuation plus faible : presque et à peine ................... 44 1.5 Les adverbes de négation et de quantité nulle..................................... 47 1.6 Tableaux récapitulatifs des adverbes .................................................... 49 2. Les adjectifs grammaticaux ........................................................... 50 3. Les affixes ....................................................................................... 55 3.1 Les préfixes............................................................................................... 55 3.2 Les suffixes ............................................................................................... 63 4. Les marqueurs discursifs................................................................ 66 4.1 Même, même si et autres adverbes concessifs ......................................... 66 4.2 D’ailleurs..................................................................................................... 67 4.3 Décidément .................................................................................................. 68 4.4 Forcément .................................................................................................... 68 4.5 Justement ..................................................................................................... 68 Pour approfondir ............................................................................................. 69


Tables des matières

Chapitre II : L’expression lexicale de l’intensité ............................ 71 1. Les adverbes lexicaux ..................................................................... 72 1.1 Classement selon les traits sémantiques ............................................... 73 1.2 Classement selon le type d’inférence .................................................... 76 1.3 Limites de ces classements ..................................................................... 76 1.4 Contraintes distributionnelles ................................................................ 78 1.5 Les adverbes intensifieurs sans −ment .................................................. 80 1.6 Les adverbes atténuateurs ...................................................................... 80 2. Les adjectifs lexicaux...................................................................... 81 2.1 Les constructions avec adjectif .............................................................. 81 2.2 Morphologie des adjectifs ...................................................................... 82 2.3 Orientation argumentative des adjectifs atténuateurs ........................ 83 3. Les syntagmes à valeur adverbiale ou adjectivale .......................... 84 3.1 Les syntagmes introduits par la préposition à ..................................... 85 3.2 Les syntagmes introduits par la préposition de.................................... 85 3.3 Les autres syntagmes............................................................................... 86 4. Les noms......................................................................................... 86 5. Les verbes ....................................................................................... 89 6. Les locutions verbales .................................................................... 90 7. L’expressivité dans le lexique ......................................................... 95 8. Les interjections ............................................................................. 98 Pour approfondir ............................................................................. 100 Chapitre III : L’expression de l’intensité à l’aide de structures phrastiques ............................................................................... 103 1. L’exclamation ............................................................................... 103 1.1 Définition des exclamatives ................................................................. 103 1.2 Le sens des exclamatives ...................................................................... 106 1.3 Les constructions exclamatives directes............................................. 107 1.4 Les constructions exclamatives indirectes ......................................... 116 2. La focalisation « forte »................................................................. 124


Table des matières

2.1 Le clivage ................................................................................................ 125 2.2 Le pseudo-clivage .................................................................................. 130 2.3 La prosodie focalisante (associée à une structure phrastique non canonique) .............................................................................................. 131 2.4 Les mots focalisants .............................................................................. 134 Pour approfondir ........................................................................................... 135

Chapitre IV : Les figures et les tropes exprimant l’intensité ........ 137 1. Les figures d’amplification ........................................................... 138 1.1 La répétition ........................................................................................... 138 1.2 L’énumération ........................................................................................ 146 1.3 La gradation............................................................................................ 149 1.4 La périphrase .......................................................................................... 150 2. Les tropes d’intensité ................................................................... 150 2.1 L’euphémisme ........................................................................................ 151 2.2 La litote ................................................................................................... 153 2.3 L’hyperbole............................................................................................. 158 3. Les tropes de comparaison ............................................................161 3.1 Les comparaisons avec un mot comparatif grammatical ................ 163 3.2 Les comparaisons avec d’autres mots comparatifs .......................... 172 3.3 Les comparaisons complexes .............................................................. 173 3.4 Les comparaisons sans mot comparatif (métaphores) .................... 174 4. Les tropes de contigüité ............................................................... 176 4.1 La métonymie ........................................................................................ 177 4.2 L’expression de l’intensité par une conséquence ou une cause ...... 180 5. Les tropes d’implicite ................................................................... 187 5.1 La question rhétorique.......................................................................... 187 5.2 L’antiphrase et l’ironie .......................................................................... 190 5.3 La fausse tautologie et le faux paradoxe ............................................ 191 6. Les formes brèves ......................................................................... 192 Pour approfondir ........................................................................................... 194


Tables des matières

Chapitre V : Les procédés interactionnels d’expression de l’intensité .................................................................................. 197 1. Les actes illocutoires et leur intensité .......................................... 198 2. La politesse verbale ou la nécessité de moduler l’intensité des énoncés ......................................................................................... 200 2.1 La norme polie ....................................................................................... 201 2.2 L’art difficile d’être poli ........................................................................ 203 2.3 Le rapport intensité / politesse ........................................................... 204 2.4 L’impolitesse .......................................................................................... 205 3. Les procédés d’intensification et d’atténuation des énoncés....... 206 3.1 Les procédés centrés sur le contenu propositionnel (CP)............... 207 3.2 Procédés centrés sur le locuteur .......................................................... 208 3.3 Procédés centrés sur l’allocutaire ........................................................ 213 Pour approfondir ........................................................................................... 220

Chapitre VI : Les procédés prosodiques, mimico-gestuels et scripturaux exprimant l’intensité ............................................. 221 1. La prosodie ................................................................................... 222 1.1 Aspect sémantique ................................................................................ 223 1.2 Aspect expressif ..................................................................................... 225 1.3 Aspect conatif ........................................................................................ 226 2. La mimique-gestuelle ................................................................... 227 2.1 Aspect sémantique ................................................................................ 228 2.2 Aspect expressif ..................................................................................... 229 2.3 Aspect conatif ........................................................................................ 230 3. L’écrit ............................................................................................ 230 3.1 L’intensité à l’écrit ................................................................................. 231 3.2 L’intensité de l’écrit ............................................................................... 234 Pour approfondir ........................................................................................... 235

Conclusion .................................................................................... 237


Table des matières

Table des fiches ............................................................................ 243 Glossaire........................................................................................ 249 Repères bibliographiques ............................................................. 263 Table des illustrations................................................................... 268 Index des notions et formes ......................................................... 270 Index des noms propres ............................................................... 279


Avertissement : Cet ouvrage observe les dernières recommandations orthographiques, diffusées au Journal Officiel n°100 du 6 décembre 1990. On ne s’étonnera donc pas de rencontrer les graphies comme magrébin ou à priori. Dans le même esprit, les mots empruntés au latin ne sont pas en italiques. La graphie d’origine est en revanche conservée dans les exemples cités.

ABRÉVIATIONS ET SYMBOLES UTILISÉS Dans les constructions : [x] (x) {x / y} {x + y}

x : construction x : élément facultatif x et y : éléments interchangeables (= « x ou y ») x et y : éléments permutables (= « xy ou yx »)

Catégories : Syntaxiques : N N1, N2 NAdj. Ngrad. Nquant. Np Adj. Adj.gramm. Adj.quant. nul Adj.N Adv. Adv.Adj. Adv.−ment Adv.quant. nul Dét. Dét.déf. Dét.ind.

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nom deux noms différents nom de forme adjectivale nom gradable nom quantifieur nom propre adjectif adjectif grammatical adjectif de quantité nulle adjectif de forme nominale adverbe adverbe de forme adjectivale adverbe en –ment adverbe de quantité nulle déterminant déterminant défini (en particulier le, la, les) déterminant indéfini (en particulier un, une, des)


Abréviations et symboles utilisés

Dét.poss3. Prop. PPa PPé Prép. SN V Vinf.

déterminant possessif de 3e personne (son, sa, ses, leur, leurs) proposition participe présent participe passé préposition syntagme nominal verbe verbe à l’infinitif

bcp, bcp Ca Cé CP GR Mot. MC qqc., qqc. qqn., qqn.

beaucoup comparant comparé contenu propositionnel Grand Robert motif de la comparaison mot comparatif quelque chose quelqu’un

Autres :

Registres linguistiques et restrictions d’emploi : (arch.) (arg.) (fam.) (péj.) (vulg.)

archaïque argotique familier péjoratif vulgaire, grossier

NB : L’absence d’indication correspond en principe à un registre « courant ». Surtout destinées au lecteur non natif – certaines formes étant à manier avec précaution –, ces indications ne sont toutefois pas systématiques.

Jugements d’acceptabilité : Jugement acceptable possible, mais non préféré étrange, sans être impossible impossible

devant un exemple aucun symbole ? ??

*

dans un tableau + ? ?? − ou case vide

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Abréviations et symboles utilisés Renvois à l’intérieur de l’ouvrage : Ils sont matérialisés de différentes manières selon le cas : Exemple IV, § 3.1.3 fonction conative* •Bacha (2000) Bacha (2005) f Fiche 1

Partie de l’ouvrage à laquelle on renvoie Chapitre IV, paragraphe 3.1.3 Glossaire (à l’entrée Fonction conative) Repères bibliographiques (en fin de volume) Rubrique « Pour approfondir » (en fin de chapitre) Répertoire d’expressions (en cours d’élaboration) Table des fiches

NOTE TERMINOLOGIQUE Nous avons opté pour les séries suivantes : – intensifier, intensifieur, intensifieuse, intensification ; – quantifier, quantifieur, quantifieuse, quantification1 ; – atténuer, atténuateur, atténuatrice, atténuation ; – renforcer, renforçateur, renforçatrice, renforcement. Attention : le terme intensif* (opposé à extensif*) n’est pas synonyme d’intensifieur. Par ailleurs, les termes suivants sont susceptibles d’être employés indifféremment : – force, intensité et leurs dérivés : renforcer, intensifier, etc. ; – atténuer, désintensifier et leurs dérivés ; – énoncé, message, discours ; – affect, émotion, sentiment ; – marqueur, forme ; – qualité, propriété ; – construction, structure. 1 Plutôt que : intensif, intensifiant(e), intensificateur/-trice, quantifiant(e), quantificateur/-trice, etc.

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INTRODUCTION Où l’on répond aux questions que le lecteur se pose

Qu’entend-on par intensité dans le domaine de la langue ? On entend par intensité la plus ou moins grande force associée à un message. Lorsque l’on dit de quelqu’un qu’il « ne mâche pas ses mots », qu’il « dit haut et fort », « n’envoie pas dire », « en rajoute », « insiste », etc., on signifie qu’il donne davantage de force que d’ordinaire à son propos. Si, au contraire, il dit « à demi-mot » ou « timidement », qu’il « avoue du bout des lèvres », « reste poli »…, c’est qu’il en donne moins. On peut donc renforcer ou atténuer son message, dire avec plus ou moins d’intensité. Pourquoi a-t-on besoin de renforcer ou d’atténuer ce que l’on dit ? Le locuteur qui intensifie ses paroles vise peut-être avant tout à en accroitre l’efficacité. Il veut être entendu et éviter d’ajouter au « bruit de fond »… Mais si naturelle et légitime que soit cette attitude, pour que la communication ait quelque chance de durer, il devra aussi prendre garde à ménager toujours son interlocuteur. C’est là une des raisons qui peuvent l’amener à atténuer son dire, à en diminuer la portée. Ceci étant, l’intensité des paroles peut aussi être conçue comme la manifestation de l’intensité des émotions du locuteur. C’est plutôt à cet aspectlà des choses que renvoie le fait de parler « avec véhémence » ou « avec retenue ». L’intensité revêt donc à la fois une dimension conative* et une autre, expressive*.

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Introduction

Y a-t-il un rapport entre cette intensité et les « degrés d’intensité » des grammaires ? L’expression du degré n’est que la forme la plus saillante que prend le phénomène d’intensité que l’on vient de définir. Comme il existe un certain nombre de marqueurs spécifiques de degré, toutes les grammaires comportent une rubrique qui leur est consacrée. Le terme de « degrés d’intensité » y est utilisé à propos de l’expression subjective* de la quantité*, lorsque celle-ci s’applique non pas à une réalité concrète, extensive* (beaucoup de touristes), mais à une qualité, à un sentiment (très beau, assez honteux). C’est le plus souvent par le biais des adverbes quantifieurs que la question est abordée, même si l’expression du degré ou de la quantité ne se limite pas aux adverbes. Par ailleurs, comme l’illustre la comptine que l’on récite en effeuillant une marguerite : Je t’aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout. le haut et le bas degré ne disposent pas de moyens d’expression équivalents. L’expression du haut degré est même foisonnante comparée à celle du bas degré. Ainsi, pour exprimer son amour avec force, on peut encore dire : Je t’adore. C’est fou ce que je t’aime ! Je t’aime {à mourir / plus que tout / comme un fou}. etc. Mais comme le souligne •Kleiber (2013) avec justesse, il n’est pas certain qu’il s’agisse toujours – ou, en tout cas, seulement – de quantité. De la quantité, on glisse en effet sans rupture vers la qualité : si aimer beaucoup semble bien renvoyer à une quantité d’amour, qu’en est-il d’aimer {tendrement / passionnément} ? Quoiqu’elles dénotent plutôt des manières d’aimer, il est incontestable que ces expressions intensifient également l’amour dénoté. La notion de « degré d’intensité » n’est donc pas aussi précisément définie que l’on pourrait le croire et amène nécessairement à dépasser l’aspect purement quantitatif. On notera que cet aspect qualitativo-quantitatif de l’intensité, le plus typique et le plus représentatif du phénomène auquel on s’intéresse, relève, lui, de la dimension référentielle* des énoncés. Or il faut à présent comprendre que l’intensité dont nous parlons (la force du message) ne se confond pas avec cette intensité « grammaticale », ces

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Où l’on répond aux questions que le lecteur se pose

« degrés ». L’expression d’une quantité peut n’avoir aucun rapport avec la force du message. Ainsi J’ai acheté trois (kilos de) pommes. Il fait de l’{hyper / hypo}tension. expriment bien une quantité de quelque chose, mais cela ne renforce ni n’atténue en rien le message. Il se peut même que la force du message soit à l’opposé de la quantité exprimée. Par exemple, dans Je ne t’aime plus du tout. la quantité d’amour est certes nulle, mais le message, qui exprime le désamour, est justement intensifié par du tout ! À l’inverse, un énoncé comme : Je t’aime, crois-moi. qui ne dénote ni une majoration de la quantité d’amour, ni même une manière particulière d’aimer, exprime pourtant l’amour avec force. Pour résumer le rapport entre les deux « intensités », on peut donc dire que si l’intensité-force d’un message passe souvent par l’expression d’une intensité-quantité, elle englobe des notions et des faits de langue bien plus divers. Inversement, l’expression d’une intensité-quantité ne contribue pas nécessairement à l’intensité-force du message. Comment reconnait-on qu’un message est renforcé ou atténué ? Comme le montre l’exemple ci-dessus avec hyper–, préfixe « intensifieur » par excellence, le fait qu’un message contienne une forme particulière n’implique pas qu’il soit renforcé ou atténué. Même si la prosodie* – d’ailleurs capable à elle seule de (dés)intensifier n’importe quel message – peut apporter des indices fiables à cet égard1, c’est d’après un critère sémantique, et toujours en envisageant des énoncés, que le phénomène de l’intensité doit être appréhendé. Un énoncé intense est reconnaissable à ce qu’il peut former une « paire minimale » avec un autre énoncé qui dit la « même » chose de façon neutre, c’est-à-dire sans intensité. De même, un énoncé qui dit avec moins d’intensité la même chose qu’un énoncé neutre est considéré comme 1 Comparer : Il est hypertendu (= « Il a de l’hypertension ») et Il est HYPER tendu (= « Il est extrêmement stressé »).

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Introduction

atténué. L’intensité est donc un paramètre sémantique des messages qui peut prendre la valeur +, –, ou (0) pour les messages neutres. C’est seulement une fois repérés les énoncés renforcés ou atténués que les formes qu’ils empruntent plus particulièrement peuvent être mises au jour. Quelques exemples ? Voici un échantillon non exhaustif (Tableau 1, p. 17), que nous commentons brièvement ci-dessous. On voit immédiatement que certains énoncés (1+, 1–, 8+, 8–) expriment l’intensité de manière « analytique », pour autant qu’il est possible de séparer la forme responsable de l’intensité (l’intensifieur) et celle à laquelle elle s’applique (l’intensifié). D’autres, au contraire (3+, 11+, 12+), fusionnent ces deux éléments en un seul segment* intense, dans une expression « synthétique » de l’intensité. Mais qu’il soit possible ou non d’isoler un segment (dés)intensifieur, cela n’empêche pas d’identifier un procédé jouant ce rôle. Certains de ces procédés sont probablement déjà familiers au lecteur : comparaison (2+), métaphore* (5+), euphémisme* (5–), question rhétorique* (10+), antiphrase* (11+)… d’autres restant à préciser. Dans ces exemples on peut aussi observer comment les trois aspects mentionnés plus haut (référentiel, expressif, conatif) se manifestent, l’un d’eux prédominant généralement. Pourquoi un énoncé comme Salaud, va ! est-il intense ? Pour les énoncés tels que les propos injurieux, intuitivement considérés comme intenses, il n’est pas évident de trouver le correspondant neutre et encore moins celui qui serait atténué. En fait, pour dégager l’intensité de Salaud, va !, il ne faut pas chercher l’énoncé qui dit exactement la même chose sans intensité, il faut chercher ce que l’on aurait pu dire d’autre et de moins intense dans la même situation. Mais même ainsi, il faut bien reconnaitre qu’aucun énoncé ne s’impose et que les énoncés neutres peuvent sembler artificiels (ex. 13 et 14, p. 18). L’essentiel est néanmoins qu’une comparaison soit possible sur la base d’une certaine équivalence fonctionnelle.

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CHAPITRE II L’expression lexicale de l’intensité Outre les mots et morphèmes grammaticaux, le renforcement ou l’atténuation d’un énoncé s’appuient couramment sur l’emploi de mots lexicaux. Étant donné la nature des faits à décrire, l’exposé sera centré sur le renforcement sans, néanmoins, évacuer l’atténuation. Le renforcement passe souvent par l’expression du haut degré mais, comme nous l’avons déjà indiqué, l’intensité ne peut être envisagée exclusivement en termes de quantité. Ainsi fermement, dans refuser fermement, est un intensifieur bien qu’il dénote davantage une manière qu’une quantité de refus.1 L’intensité lexicale se présente sous deux formes possibles : – Analytique : [élément intensifié + élément intensifieur] : une chaleur {étouffante / (fam.) à crever} : chaleur élément intensifié {étouffante / à crever} élément intensifieur – Synthétique : [élément intense] contenant à la fois l’intensifié et l’intensifieur : torride (dans après-midi torride) = « très chaude » énorme (dans pieds énormes) = « très grands » à pleurer (dans une histoire à pleurer) = « très triste » Mais au fond, il s’agit plus de deux types d’emploi que de deux catégories de formes. En effet, selon le contexte, les mêmes formes sont susceptibles d’être intenses ou intensifieuses. Torride, énorme et à pleurer, intenses dans les 1 Dans les termes de la théorie de l’Argumentation dans la langue, les notions de modificateur réalisant ou déréalisant rendent bien compte de cela mais elles sont encore plus larges, amenant à considérer que efficace – en parlant d’une lessive –, aiguisé – en parlant d’un couteau – ou rapide – en parlant d’un changement – sont réalisants tandis que éloigné – en parlant d’un parent – est déréalisant. Ce n’est pas l’optique adoptée ici.

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Chapitre II

exemples ci-dessus, sont intensifieuses lorsqu’elles qualifient certains noms ou adjectifs gradables (chaleur torride, énorme envie, triste à pleurer). La priorité ira ici à la description des formes intensifieuses mais, étant donné notre définition de l’intensité, la frontière n’est pas nécessairement nette entre intensification (chaleur torride) et qualification intense (après-midi torride). Ceci est lié au fait que les intensifieurs peuvent agir de manière directe ou indirecte. Dans extrêmement rapide, aucune inférence particulière n’est nécessaire pour faire surgir le sens intensifieur d’extrêmement (adverbe scalaire* indiquant le haut de l’échelle). On n’exprime donc rien d’autre que la quantité. Dans incroyablement rapide au contraire, l’intensité découle du sens de incroyablement qui ne disparait pas dans le syntagme. On interprète : « si rapide qu’on ne peut le croire », et par conséquent « très rapide ». Incroyablement ne fait donc pas qu’intensifier, il qualifie également. Ceci étant dit, nous verrons dans ce chapitre que les adverbes (§ 1) et les adjectifs (§ 2) – ou leurs équivalents syntaxiques (§ 3) – ne sont pas les seules catégories lexicales concernées par l’intensité puisque les noms (§ 4) et les verbes (§ 5) le sont également. Les constructions particulières que toutes ces mots intègrent seront indiquées en temps voulu. Il nous faudra aussi évoquer deux catégories qui, chacune à sa façon, ont un statut lexical un peu à part : les locutions verbales (§ 6) et les interjections (§ 8). Pour ces dernières, le lien particulier qu’elles ont à cette « manière » de discours qu’on appelle « expressivité » est essentiel. Le versant véritablement lexical de cette expressivité, qui n’a pas de lien direct avec l’expression de la quantité et qui est pourtant le plus susceptible de contribuer à l’intensité des messages, sera défini et exemplifié (§ 7).

1 Les adverbes lexicaux Les adverbes intensifieurs lexicaux – dont le nombre est estimé à au moins cent cinquante – appartiennent, à quelques exceptions près (voir § 1.5), à la classe morphologique des adverbes en –ment. On les trouve principalement dans deux types de syntagmes : – [{Adv.–ment + Adj.}] : immensément riche f Fiche 11 – [{V + Adv.–ment}] : dormir profondément f Fiche 12 Or il faut noter que tous les adverbes ne sont pas également possibles dans 72


L’expression lexicale de l’intensité

les deux configurations, sans que l’on puisse donner ici davantage de détails à cet égard : [extrêmement Adj.] mais [?énormément Adj.] ; [V énormément] mais [?V extrêmement]. Par ailleurs, la structure [Adv.–ment Adv.] est possible avec certains adverbes (courts), mais pas avec un autre adverbe en –ment (extrêmement {vite / bien / loin / souvent} vs. ?extrêmement rapidement). Enfin, un certain nombre d’adverbes peuvent aussi quantifier des noms : énormément de Ngrad., vachement de Ngrad., tandis que d’autres peuvent être employés isolément pour répondre affirmativement à une question. Il s’agit alors d’adverbes assertifs, synonymes renforcés de oui (absolument, évidemment, assurément, naturellement, etc.2). L’échantillon présenté ci-après est destiné à montrer que, derrière cette homogénéité morphologique et – dans une moindre mesure – syntaxique, se cachent des fonctionnements sémantiques bien différents (•Guimier, 1996). Outre le caractère directement ou indirectement exprimé de l’intensité déjà évoqué, une partie des adverbes – surtout parmi ceux qui expriment l’intensité directement, mais pas seulement – partagent certains traits sémantiques. Deux types de classement se recoupant partiellement sont donc envisageables : selon les traits sémantiques (§ 1.1) ou selon le type d’inférence exprimant l’intensité (§ 1.2). Après avoir indiqué les limites de ces classements (§ 1.3), nous donnerons quelques indications relatives à la distribution de ces adverbes (§ 1.4), puis noterons l’existence d’adverbes intensifieurs sans –ment (§ 1.5). Nous terminerons par une note sur les adverbes atténuateurs (§ 1.6).

1.1

Classement selon les traits sémantiques

Les exemples du Tableau 10, qui ne sont pas nécessairement des collocations, sont pour la plupart authentiques.

2 D’autres adverbes assertifs intenses ne sont pas des adverbes en –ment (bien sûr, bien entendu).

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Chapitre II

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CHAPITRE IV Les figures et les tropes exprimant l’intensité Un renforcement ou une atténuation du message ressort fréquemment de l’utilisation de figures. Une figure est une « manière de dire » considérée comme marquée – ce qui suppose qu’il existe une manière de dire neutre – qui comporte des effets de sens propres. Or ces effets sont souvent associés à une (dés)intensification du message, sans s’y réduire. Chacune des figures retenues ici entretient un rapport particulier avec l’expression de l’intensité. Les unes semblent par exemple intensifier par elles-mêmes (répétition), tandis que les autres seraient plutôt le cadre formel d’une intensification (gradation, périphrase). Pour certaines, la question de l’intensité apparait constitutive (hyperbole), mais ce n’est pas le cas pour toutes (métonymie). La contribution respective de chaque figure à l’intensité sera donc précisée au cas par cas, tandis que la présentation des figures suivra sa logique propre. Nous verrons d’abord les figures s’appuyant sur des phénomènes formels (appelées aussi figures, en un sens restreint), comprenant, en l’espèce, des phénomènes d’ « amplification » (§ 1). Nous envisagerons ensuite les figures à caractère plus sémantique (appelées aussi tropes), qui peuvent prendre des formes diverses, et seront regroupées d’après leur fonctionnement (§ 2 à 5). Nous analyserons enfin les formes brèves, des manières de dire condensant différentes régularités formelles ou sémantiques à effet de renforcement particulier (§ 6).

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Chapitre IV

1 Les figures d’amplification En rhétorique, l’amplification se définit par l’augmentation de la quantité de signifiant, amenant souvent un renforcement du message. Un principe d’iconicité* concernant le rapport entre quantité de signifiant et quantité / intensité dans le signifié semble donc à l’œuvre. Un dictionnaire des figures illustre ainsi le phénomène : se réjouir < être joyeux < être dans la joie < être rempli de joie < sentir son cœur se gonfler de joie < sentir que son cœur s’emplit et déborde de joie < sentir que son cœur s’emplit et se gonfle ô combien de joie et de tendresse < sentir battre son cœur et préférer la joie à une vie terne et uniforme (et ainsi de suite) (DUPRIEZ Bernard (2003). Gradus, 10/18)

Mais l’amplification passe aussi par des figures précises : la répétition (§ 1.1), l’énumération (§ 1.2) et la gradation (§ 1.3).

1.1

La répétition

Parfois jugée inesthétique, voire fautive, la répétition – qu’elle soit de signes (§ 1.1.1) ou seulement de sens (§ 1.1.2) – peut remplir un rôle d’intensification.

1.1.1

La répétition de signes

Selon ce qui est répété et la manière dont cela est fait, l’effet de la répétition n’est pas le même. Différentes sortes de répétition peuvent ainsi illustrer les trois facettes de l’intensité déjà évoquées : référentielle, expressive et conative.

La répétition à effet référentiel La répétition peut s’appliquer à toutes sortes d’entités, comme l’illustre le Tableau 19.

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Tableau 19 – Effets de sens selon l’aspect et la gradabilité du segment répété

Les figures et les tropes exprimant l’intensité

139


Clara ROMERO est maitre de conférences en Sciences du langage à l’Université Paris-Descartes et membre du laboratoire MoDyCo (UMR 7114). Spécialiste de l’intensité, elle a également publié sur la complexité des comparaisons figurées ainsi que sur la variété des formes et des fonctions de la répétition dans le discours publicitaire.

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Manuel de référence incontournable, cet ouvrage permettra aux étudiants de linguistique et de lettres modernes ainsi qu’aux apprenants de français d’identifier et de comprendre toutes les formes exprimant l’intensité dans ses multiples dimensions. Il fournira aussi aux professeurs des outils pour décrire et enseigner ces formes.

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Le lecteur y découvrira que l’intensité est un phénomène omniprésent dans la langue, touchant aussi bien la morphologie (hyperchaud) que le lexique (chaleur torride, étouffante, caniculaire), la syntaxe (Fait-il chaud !, Il fait chaud, chaud… !) que la prosodie (Il fait CHAAAUUUD !). Il appréhendera également la complexité de ce phénomène, que la notion de degré ne suffit pas à expliquer. Parmi les questions d’ordre sémantique ou énonciatif en jeu, figurent en effet celles de la structure informative de la phrase (C’est qu’il fait chaud !), de la modalité (Qu’est-ce qu’il fait chaud !), des tropes (C’est un vrai sauna, On crève de chaud, Il ne fait pas vraiment froid) ou encore des actes de langage (On pourrait peut-être ouvrir une fenêtre ?).

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Si la question des degrés d’intensité (Il fait un peu / assez / très / extrêmement chaud) est traitée par toutes les grammaires, la réelle variété des formes d’intensification et d’atténuation n’est nulle part explorée ni exposée systématiquement. En présentant une recension complète des marqueurs et constructions dédiés à l’expression du degré d’intensité ainsi que, plus largement, des nombreux procédés de modulation de l’intensité des messages (Crois-moi, il fait chaud), le présent ouvrage vient combler ce manque.

Clara ROMERO

L’INTENSITÉ ET SON EXPRESSION EN FRANÇAIS

06/10/2017 09:58


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