FAYA DAYI FILM
© Mubi
Difficile, sans y avoir goûté, d’imaginer les effets que peut produire le khat sur le corps et l’esprit. Mais l’on se dit qu’il est possible que mâcher cette plante cultivée en abondance dans les forêts d’Éthiopie exalte certaines sensations communes à celles éprouvées par le spectateur devant Faya Dayi. Si la caméra de Jessica Beshir ne perd jamais de vue le réel, la narration porte constamment vers un au-delà. Aux histoires vécues par les différents personnages, se mêle la légende de Maoul Hayat, l’élixir permettant d’accéder à la vie éternelle, qui, dans la tradition soufie, n’est autre que la feuille de khat. Ce récit, narré en voix off dès le début du film, tandis que la caméra s’attarde sur des volutes de fumée d’encens semblant se mouvoir au ralenti, est très vite rattrapé par des scènes on ne peut plus concrètes de récolte laborieuse. On suit alors avec intérêt le chemin de cette feuille – qui fait vivre une grande partie de la population éthiopienne – jusqu’aux entrepôts où les branches sont rassemblées
en fagots avant de repartir en camion vers les marchés du pays. Mais la dimension onirique, renforcée par un magnifique noir et blanc et une bande-son méditative, habite chaque plan. Pour supporter ce travail harassant, pas d’autre choix que de mâcher ces feuilles aux vertus stimulantes et euphorisantes proches de l’amphétamine. Et de s’approcher ainsi d’un état de transe facilité par la répétition des mouvements. L’histoire intime de l’exil de jeunes hommes vers l’Europe, ou de celle d’un père de famille ravagé par l’addiction au khat (l’un des maux du pays), croise la colère de l’ethnie musulmane oromo, en conflit avec le gouvernement. L’enchevêtrement complexe de ces récits, entrecoupés par des scènes aux allures de rêves (baignade d’enfants, chants religieux…), est propice au lâcher-prise, pour mieux perdre le fil et laisser venir les sensations. Ce beau film entre documentaire et fiction marque aussi le retour de la réalisatrice dans le pays, que ses parents ont dû fuir lorsqu’elle était adolescente en raison des pressions politiques. Sélectionné à Sundance en 2021, Faya Dayi a reçu le Grand Prix du festival suisse Visions du réel la même année. Faya Dayi de Jessica Beshir, à partir du 10 août sur Mubi
TRISTAN BROSSAT
© Mubi
En Éthiopie, l’addiction au khat fait des ravages. Dans un somptueux noir et blanc, ce film planant entre documentaire et fiction part à la rencontre de destins bouleversés par la mastication de cette feuille spirituelle devenue le poumon de tout un pays.
© Camera One
© Centre audiovisuel Simone de Beauvoir
© 1958 Les Films de Mon Oncle – Specta Films C.E.P.E.C
Les sorties du mois
72
MON ONCLE
LE FILMEUR
de Jacques Tati (1958), sur LaCinetek
d’Alain Cavalier (2005), sur CinéMutins
Difficile de ne pas succomber au charme fou de l’indémodable chef-d’œuvre de Jacques Tati sorti en 1958. Un film rempli de tendresse, porté par un Monsieur Hulot au meilleur de sa maladresse. Constamment à contretemps, notre héros tâche de faire bonne figure dans une villa ultra moderne et aseptisée, à laquelle il tente d’apporter un peu de vie. • T. B.
Dans ce journal filmé, Alain Cavalier (Le Plein de super, Thérèse) nous offre dix ans de sa vie (1994-2005), condensés en 1 h 40. Des corps qui vieillissent, des mésanges qu’on nourrit, des chambres d’hôtel qui se succèdent, le « filmeur » ne lâche jamais sa caméra numérique, avec laquelle il tente d’immortaliser ces instants de vie profondément poétiques. • T. B.
no 190 – été 2022
CALAMITY JANE & DELPHINE SEYRIG. A STORY de Babette Mangolte (2020), sur Tënk
Chamboulée par la lecture des lettres de Calamity Jane à sa fille, l’actrice Delphine Seyrig projette d’adapter cette correspondance en film et part, dans les années 1980, enquêter sur les traces de cette figure mythique de la conquête de l’Ouest. Le regard d’une féministe sur une femme libre, sous l’œil de Babette Mangolte. Passionnant. • T. B.