Blue society - WE DEMAIN N°6

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chamPigNoNs « Élixirs de vie »

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N 6

shiitaké, matsutake, reishi, les nouvelles solutions santé

Printemps 2014

une revue pour changer d’époque

Nue coNtre le racisme le défi d’ayana v. Jackson

une revue pour changer d’époque

J’ai refait ma maiN eN 3d la prothèse high-tech née dans un fab lab

tous Promoteurs ! reprenez le pouvoir sur l’immobilier

Neuf obJets coNNectÉs À essayer dès maintenant

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l’avenir est dans la mer énergie, aliments, santé : vive la « blue society » !

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hubert reeves – JeaN-louis ÉtieNNe une rencontre énergisante

Écoutez les lithoPhoNes premier concert depuis 10 000 ans

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cetTE inconnue aux ressources infinies Antoine Lannuzel

© Alexis Rosenfeld /ESA

• L’océan recouvre près des trois quarts de la surface de la Terre. Les côtes, où se concentre 90 % de la vie marine, abritent la moité de la population mondiale. Des centaines de millions d’humains travaillent en lien avec la mer, d’où provient une part croissante de notre nourriture, de notre énergie ou encore de nos médicaments. Régulateur du climat, puits de carbone, producteur d’oxygène, l’océan fait aussi face à des menaces : réchauffement, acidification, pollutions, surpêche… Comment concilier la fragilité de cet espace, dont on ignore encore beaucoup, et la nécessité d’en faire un vivier d’activités et de ressources ? C’est tout le sens de la « blue society ». Porté par Nausicaa, Green Cross, Tara Oceans, SeaOrbiter ou encore par le Global Forum, ce concept promeut un équilibre vertueux entre l’homme et l’océan. Il invite à préserver la mer, à prendre la mesure de l’infini panel de solutions qu’elle renferme, puis à se les approprier et à en partager les bénéfices. Les enjeux sont colossaux : on estime à 17 000 milliards d’euros la valeur des ressources et services océaniques, là où celles de la Terre ne représenteraient « que » 9 500 milliards d’euros.

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l’astronaute français Jean-François Clervoy teste un programme spatial au large de Marseille.

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Espérer

blue society, l’avenir est dans la mer

Moins de 2 % des fonds océaniques ont été explorés à ce jour Quelque 250 000 espèces animales marines sont aujourd’hui recensées, sur un à deux millions existantes. De même, nous ne connaîtrions que de 20 % à 30 % du plancton et 1 % des bactéries marines. Le projet européen Oceanomics, lancé en mars 2013, analyse actuellement les échantillons prélevés par l’expédition Tara Oceans, qui pourraient receler des composés bio-actifs utiles à la recherche en aquaculture, pharmacie, cosmétologie… Ce projet vise aussi à répartir équitablement les bénéfices de cette nouvelle économie.

La génétique marine est de fait l’un des secteurs où l’on brevète le plus aujourd’hui. Quatre-vingt-dix pour cent des 5 000 brevets déposés l’ont été par dix États, dont la France, et plus particulièrement trois : les États-Unis, l’Allemagne et le Japon. Les dépositaires sont souvent des multinationales du médicament, parfois de plus petites entreprises comme Hemarina, en Bretagne, qui a isolé dans l’eau de mer des composants permettant de doubler la durée de conservation des greffons humains. La moitié des traitements anticancer sont tirés de la mer. Mais ce n’est qu’un début : seuls 2 % des fonds ont été explorés à ce jour et, dans un seul litre d’eau de mer, on peut compter jusqu’à 38 000 micro-organismes ! Conséquence de cette extraordinaire biodiversité, le taux de découverte de molécules marines d’intérêt scientifique est 500 fois supérieur à celui des molécules terrestres.

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© Mike Watson/Moodboard/Yay Images

L’Hippocampe pygmée se camoufle en s’accrochant à des coraux cornés (ou gorgones).

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Vous mettrez des microalgues dans votre moteur

L’entreprise française Ennesys expérimente de son côté des bacs de phytoplancton qui, intégrés demain aux façades des bâtiments, pourraient purifier l’eau et produire une biomasse transformée en un biocarburant destiné aux chaufferies. Cela permettrait de réduire de 80 % la consommation en eau et la facture énergétique des bâtiments ! En vue de vols spatiaux de longue durée, les agences spatiales américaine, russe et européenne travaillent, elles, sur des microalgues qui pourraient fournir de l’oxygène et de l’eau aux astronautes, tout en purifiant leurs déchets liquides et gazeux. Le plancton abrite, enfin, des milliers de molécules qui pourront demain être utilisées pour produire des bioplastiques, dans les nanotechnologies ou pour des opérations de dépollution.

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© xoxoxoxoxoxoxoxoxoxoxoxoxoxo

La recherche n’en est qu’à ses débuts et les investissements nécessaires sont lourds. Mais le National Renewable Energy Laboratory, aux États-Unis, a déjà rassemblé 3 000 souches d’algues, et isolé parmi elles la cinquantaine ayant le plus fort potentiel énergétique. Le premier véhicule hybride fonctionnant avec des hydrocarbures raffinés à partir d’algues vertes est, lui, déjà prêt à rouler. Présenté en 2009 à San Francisco, Algaeus – c’est son nom – est capable de parcourir 60 km avec un litre de bio-essence. Cultivées sur des supports marins, puis disposées dans des bioréacteurs, les microalgues sont également capables de stocker le carbone, qui pourrait demain être transformé en matériaux après sa reminéralisation. S’il est aujourd’hui possible de capter le CO2 rejeté par les usines polluantes, il pourrait devenir possible de le capter dans l’air ambiant, à grande échelle.

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© peng guang Chen/yay images

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lA RéCupéRAtion dES AlguES Et du pHytoplAnCton ESt unE piStE pouR lE dévEloppEmEnt dES énERgiES REnouvElAblES.

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Du poisson pour tous, c’est possible

Alors qu’un tiers des stocks mondiaux de poisson est considéré comme surexploité, la campagne Mr. Goodfish promeut une consommation durable en établissant régulièrement la liste des poissons et autres produits de la mer que l’on peut consommer sans les mettre en péril. Conjointement menée par l’aquarium de Gênes, en Italie, l’aquarium Finisterrae, en Espagne, et le Centre national de la mer (Nausicaa), en France, cette initiative permet d’identifier les espèces dont les stocks ne sont pas menacés et sont pêchés localement, afin d’éviter le gâchis énergétique dû au transport. Des partenariats sont noués avec des supermarchés, des restaurants et des détaillants, afin de promouvoir ces espèces. Le secteur mondial de la pêche, qui génère aujourd’hui 85 milliards de dollars, en dégagerait 51 milliards supplémentaires si les pêches étaient gérées de manière optimale, selon un rapport de la Banque mondiale publié en 2009.

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En trente-cinq ans, le commerce des produits de la mer a été multiplié par treize. Plus de 10 % de la population mondiale travaille dans les secteurs de la pêche et de l’aquaculture, dont le fruit est à 80 % destinée à la consommation humaine, sous forme de produits frais ou transformés. À l’image de la Chine, premier producteur et exportateur mondial de produits de la pêche, de nombreux pays en développement en tirent des revenus vitaux, de l’emploi et une part de leur souveraineté alimentaire. Les États-Unis et le Japon sont en revanche fortement dépendants des importations, qui alimentent plus de la moitié de leur consommation.

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© Jamey Stillings

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Le Pike Place Fish Market, à Seattle, est un marché aux poissons qui attire jusqu’à 10 000 visiteurs par jour.

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30 % des produits de la mer consommés par l’homme viennent de l’aquaculture Entre 1980 et 2010, la production mondiale de poisson d’élevage destiné à la consommation a été multipliée par douze. L’élevage de mollusques, qui se développe également, permet de produire des protéines animales avec un faible impact sur l’environnement – car ces invertébrés filtrent la mer. Mais l’aquaculture de poissons et crustacés, par ses rejets, son usage de médicaments et de farines animales, peut, elle, nuire aux milieux naturels. C’est pourquoi de nouvelles fermes aquacoles se développent autour de techniques d’élevage extensives, d’une alimentation bio des poissons et d’un traitement de leurs rejets, voire du financement de programmes environnementaux et sociaux. L’élevage des crevettes de Madagascar réunit notamment tous ces critères.

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Et si l’on cultivait aussi des algues vertes pour se nourrir ? À Bangkok, en Thaïlande, la société EnerGaia cultive cette purée verte honnie des plagistes bretons sur les sommets de certains gratte-ciel. Une fois récoltée, les algues sont rincées et essorées en labo, puis tassées à la main dans des bocaux. Déjà adoptées par certains restaurateurs, elles regorgent de spiruline, une source de protéines incomparablement moins longue et moins polluante à produire que la viande. Plus proche de nous, l’association Open Odyssey fait travailler les étudiants de trois grandes écoles rennaises sur la valorisation des algues vertes en Bretagne. L’alimentation est l’une des pistes explorées.

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© Stéphan Le Gallais

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élevage de bars bio en pleine mer en Corse du Sud. 06 — we demain

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les énergies vertes de la mer sont Inépuisables

Oui, mais… aujourd’hui, ce sont les énergies fossiles que l’homme extrait de l’océan. Vingt-deux pour cent et 37 % du gaz consommés sur Terre viennent du sous-sol marin, dont l’ensemble des réserves suffirait largement à soutenir la croissance mondiale. Alors que les forages de pétrole atteignent aujourd’hui 3 000 m de profondeur en moyenne, leur frontière d’extraction est repoussée de 1 000 m tous les dix ans. Sur certains talus continentaux et dans les régions polaires, les gisements d’hydrates de méthane seraient quant à eux une source de carbone deux fois plus importante que toutes les réserves connues de gaz naturel, pétrole et charbon réunies. Les enjeux colossaux de cette économie fossile marine sont source de conflits entre États, mais aussi d’immenses dégâts potentiels sur l’environnement.

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Éolienne, houlomotrice, marémotrice, énergie thermique exploitant les différences de températures de l’eau, énergie osmotique jouant sur les différences de concentration en sel lorsqu’un fleuve se jette dans la mer… Les énergies marines renouvelables sont multiples. Le réseau européen Marine Renewables Infrastructure Network (Marinet), coordonné depuis Cork (Irlande), vise à partager gratuitement les ressources et les connaissances mondiales sur ces énergies. Si elles émergent déjà dans plus d’une centaine d’îles où le potentiel est important et l’énergie coûteuse, leur odyssée industrielle ne devrait débuter qu’à l’horizon 2020, lorsque leur rendement aura augmenté et que leurs coûts auront rejoint celui des énergies conventionnelles. Selon le Comité de prévision marine britannique, 0,1 % de l’énergie renouvelable produite par l’océan pourrait couvrir cinq fois les besoins énergétiques mondiaux !

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© ingo Wagner/Afp

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SuR lA CÔtE noRd du dAnEmARk, lES vEntS mARinS font touRnER lES éoliEnnES dE RingkØbing à plEin RégimE.

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80 % des ressources minérales de la planète dorment sous l’océan Avec la raréfaction et la hausse du cours des ressources terrestres, de plus en plus d’États, dont la France, prospectent dans leurs eaux territoriales, mais aussi en haute mer, au delà des 200 milles nautiques. Ces recherches répondent à un enjeu stratégique : On estime par exemple que les sites d’encroûtement de cobalt – riches également en titane, nickel et platine –, couvrent 6 350 000 km², soit 1,7 % des fonds océaniques, et renferment près d’un milliard de tonnes de cobalt. Regroupés sous le terme de « terres rares », des métaux précieux comme le scandium, l’yttrium ou le lutécium sont aussi présents sous l’eau et génèrent un marché exponentiel. On les utilise dans la fabrication d’ordinateurs, d’éoliennes ou de téléphones. Mais les conséquences de leur exploitation sur les écosystèmes pourraient être importantes, d’où l’inquiétude des spécialistes de l’environnement.

Le dessalement de l’eau de mer, dont les capacités augmentent de 10 % par an, constitue un autre enjeu écologique majeur dans les régions arides. En Australie, l’entreprise Carnegie Wave Energy développe une version inédite de ce processus très énergivore. Elle projette d’ouvrir la première centrale de désalinisation alimentée à 100 % par l’énergie des vagues. L’île de Garden Island, où elle est installée, pourrait ainsi devenir autosuffisante en eau potable, mais aussi en électricité. Qu’ils fonctionnent à l’énergie solaire ou grâce au vent, des systèmes comparables sont développés un peu partout dans le monde – à La Réunion, une centrale thermique EDF produit déjà sa propre eau douce. Mais ces projets doivent prendre en compte l’utilisation de la saumure afin qu’elle ne soit pas rejetée dans le milieu marin.

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© Brian Skerry/National Geographic/Getty Images

Un sous-marin explore un évent vocanique au large du Costa rica.

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La moitié du potentiel économique marin se trouve dans les récifs coralliens, mangroves et estuaires Les milieux littoraux ne représentent que 6,3 % de la superficie du monde marin. Et pourtant, ils abritent 43 % du potentiel économique de la mer. Ce potentiel va du tourisme à la pêche, en passant par les services naturels comme le recyclage des eaux, le stockage du carbone ou la lutte contre l’érosion. Un hectare de récifs coralliens recèlerait un potentiel de 1 000 à 6 000 dollars par an. Et un hectare de mangrove, de 2 000 à 9 000 dollars. Protéger 1 km2 de récif coûte 1 000 dollars par an, soit de 100 à 600 fois moins que sa valeur annuelle. L’une des priorités de la « blue society » est de préserver et restaurer ces espaces, dont la surface diminue de 2 % à 7 % chaque année. La solution ? Développer des mix d’activités à la fois profitables à l’homme et à l’environnement.

À Madagascar, par exemple, un projet porté par une association et un opérateur privé, avec l’appui d’universités locales et belges, propose aux pêcheurs d’élever des concombres de mer dans des parcs. En limitant la pêche sauvage de ces animaux qui filtrent l’eau de mer, on protège le récif, tout en générant des revenus stables pour les pêcheurs. Bien géré, le tourisme offre aux territoires côtiers les moyens de restaurer et protéger leurs espaces naturels. Aux Maldives, une partie de l’argent des hôtels de luxe finance la restauration de récifs coralliens dégradés. Pour ne pas reprendre d’une main ce qu’il donne de l’autre, le tourisme se doit de minimiser ses impacts sur l’environnement : recyclage des déchets, filtration des eaux usées par des systèmes biologiques de traitement (comme par exemple des noix de coco, transformation des déchets organiques en compost et énergies renouvelables…

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© David Doubilet / National Geographic

Pêcheur du détroit de Dampier, en Indonésie.

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le fret maritime représente 90 % du transport de marchandises… … tout en émettant cinq fois moins de CO2 que les voitures et treize fois moins que les avions à la tonne transportée. Néanmoins, plusieurs projets visent à rendre les bateaux plus verts en modifiant les carènes, les hélices, en s’appuyant sur les énergies renouvelables comme le vent, la houle, ou encore en traitant les rejets à bord. Promu par le navigateur Yves Parlier, le projet Beyond The Sea propose par exemple une solution dérivée du kitesurf, qui permettrait d’économiser de 20 % à 30 % d’énergie sur tout type de navire, du porte-conteneurs au chalutier en passant par le navire faisant la liaison entre la côte et les champs d’éoliennes offshore. L’innovation se situe aussi dans les ports, où l’on installe des structures abritant la biodiversité, et dans la facilitation des liens fleuve-mer, qui constituent une alternative à la route.

Pour aller plus loin • Atlas mondial de l’océan, pour une politique durable de la planète mer, de Philippe Vallette et Jean-Michel Cousteau, éditions Autrement, 2007. • Îles pionnières, de Philippe Vallette et Christine Causse, éditions Actes Sud, 2013. • Tara Oceans : chroniques d’une expédition scientifique, d’Erik Karsenti et Dino Di Meo, Actes Sud, 2013

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© xoxoxoxoxoxoxoxoxoxoxoxoxoxo

Le développement d’activités dans un milieu aussi sensible que l’océan nécessite une surveillance accrue. Des outils de plus en plus perfectionnés évaluent l’état de l’environnement marin, assurent la sécurité des activités, suivent et préviennent les pollutions… La société française Aero-Nautic Services & Engineering (A-NSE) a développé un ballon dirigeable motorisé capable de décoller par grand vent et d’amerrir, avec une autonomie de vingt heures de vol. Utilisé pour surveiller le trafic et les opérations en mer, mais aussi pour prendre des mesures, filmer ou photographier en position stationnaire, cet appareil coûte dix fois moins cher qu’un hélicoptère. Des engins comparables sont développés aux États-Unis et en Israël, afin d’accroître les moyens de surveillance de la mer.

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© philip plisson

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Philippe Vallette « ON CONNAÎT BEAUCOUP MIEUX LA LUNE QUE LA MER » © Nausicaà

Interview : Antoine Lannuzel et François Siegel

Océanographe de formation, Philippe Vallette est aujourd’hui directeur général de Nausicaa, le Centre national de la mer. Installé depuis 1991 à Boulogne-sur-Mer, dans le Pas-de-Calais, ce complexe scientifique invite le grand public à « vivre en meilleure intelligence avec l’océan ». Philippe Vallette est aussi vice-président du Réseau océan mondial, qui promeut dans soixante pays une meilleure gestion de l’écosystème marin. Il nous explique comment la « blue society », véritable trait d’union entre ses différents engagements, peut assurer un avenir désirable à l’homme et durable à la planète. WE DEMAIN : quel nouveau modèle de société la « BLUE SOCIETY » propose-t-elle ? PHLIPPE VALLETTE : L’ouverture du champ

des possibles ! Sur Terre, nous sommes un peu au bout de nos possibilités, de nos ressources, de nos matières premières… Quand on regarde une mappemonde, presque les trois quarts sont en bleu. Que pouvons-nous en faire ? La « blue society », c’est changer de point de vue. C’est un peu comme dans le film Le Cercle des poètes disparus, où Robin Williams lance à ses élèves : « Regardez bien votre environnement. » Les jeunes le regardent puis il leur dit : « Eh bien, maintenant, montez sur la table. » Ils le font et il leur demande : « Votre environnement a-t-il changé ? » « Non », répondent-ils. Il relance : « La perception de votre environnement a-t-elle changé ? » « Oui, totalement », reconnaît toute la classe. De la même façon, la « blue society » consiste à regarder notre planète différemment ; à prendre conscience que nous, Terriens, avons toujours utilisé les choses de la Terre, mais sous-utilisons les océans. On affirme toujours qu’ils

sont surexploités. En fait, nous surexploitons – ou exploitons mal – le peu que nous exploitons. Le champ des possibles va bien au-delà de ça. Debout sur la table, on voit des possibilités : en énergie, en matière vivante, en molécules, en gènes encore non identifiés… LA « BLUE SOCIETY » EST-elle DONC AVANT TOUT UNE éCONOMIE ? PV : Pas seulement. Elle s’appuie sur les

trois piliers du développement durable : économie, société, environnement. Nous y ajoutons un quatrième : la culture, c’est-à-dire l’appropriation de ces éléments par le grand public. Si tout cela n’est pas porté par la société civile, rien ne se fera, ou en tout cas très peu, parce que le grand public est l’acteur et le consommateur final. Nous sommes enfin très attachés à l’équité, de façon à ce que les pays en développement ne voient pas le train passer, une fois de plus. QUE CONNAÎT-ON AUJOURD’HUI DES RESSOURCES OCÉANIQUES ? PV : Assez peu de choses. On connaît

mieux ce qui est à notre échelle, comme

le poisson, que ce qu’on ne voit pas : les bactéries, les virus… On ne sait pas non plus comment utiliser tout ce qu’on connaît : les propriétés de certaines molécules, la possibilité de capter le CO2, de nourrir les hommes… Certaines cellules de phytoplancton, alors qu’on estime que ce sont des plantes, sont plus riches en protéines que certains animaux de la mer. Aujourd’hui, nous sommes en pleine phase de découverte. Il ne faut pas oublier qu’on a dû explorer environ 2 % du fond des océans seulement. On connaît beaucoup mieux la Lune ! LA FRANCE, avec ses territoires d’outre-mer, POSSèDE LA DEUXIÈME PLUS GRANDE SUPERFICIE MARINE AU MONDE : 11 MILLIONS DE KM2. COMMENT NOTRE PAYS PEUT-IL MONTER EN PUISSANCE en UTILISAnt cet espace ? PV : Notre zone économique exclusive

(ZEE) se situe à 97 % en outre-mer. Nous sous-utilisons ces espaces gigantesques. Nos territoires ultramarins sont considérés comme des gouffres financiers, alors qu’ils pourraient devenir une richesse extraordinaire, nourrir leurs populations et constituer un atout économique pour la métropole. Déjà, la plupart d’entre eux, comme les Caraïbes, la Polynésie ou la NouvelleCalédonie, pourraient être autosuffisants en énergie grâce à des méthodes comme l’énergie thermique des mers. Des exemples montrent que c’est possible. En Polynésie, par exemple, un hôtel de luxe vient d’être installé sur l’île Tetiaroa, propriété de la famille de Marlon Brando. Cet hôtel tire toute sa climatisation

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de l’eau de mer. Mais il n’y a pas que l’énergie. On peut mener des recherches sur de nouvelles molécules, des bactéries… L’outre-mer est une immense réserve de biodiversité. N’oublions pas que plus de la moitié des médicaments anticancéreux comportent des molécules provenant de la mer. Dans la trithérapie contre le sida, au moins un des trois médicaments est tiré de tuniciers, d’ascidies, qui sont des animaux marins. NOTRE PAYS DEPLOIE-T-IL DES MOYENS DE PROSPECTION SUFFISANTS POUR FAIRE L’INVENTAIRE DE TOUTES CES RESSOURCES ? PV : Non, jamais assez. Bien sûr,

l’Ifremer ou l’Institut de recherche pour le développement apportent beaucoup. Mais rappelez-vous qu’il faut « monter sur la table », c’est-à-dire penser différemment. Quand je vois la goélette Tara, qui est en train de révolutionner la recherche sur le plancton, je me dis que ces personnes-là ont pensé différemment, alors qu’elles disposent de tout petits moyens. L’action PUBLIQUE NE SUFFIT-elle DONC PLUS ? PV : Il faut penser autrement. Cela

ne remet absolument pas en cause les compétences scientifiques d’organismes de recherche mondialement reconnus, qui se basent sur la recherche « classique ». Mais ce que fait Tara interroge. C’est complémentaire. Il y a aussi le CNRS, qui est partout. Mais il y a un problème de coordination de tous ces labos. Cela s’arrange. Par exemple, depuis deux ou trois ans, à travers une réunion des présidents d’université. L’Alliance nationale de recherche pour l’environnement (AllEnvi) a aussi été créée. Elle fédère le CNRS, l’Ifremer… Mais nous sommes sans doute loin encore des performances que l’on peut atteindre. VOS PUBLICATIONS PRENNENT EN COMPTE LE POTENTIEL DES RESSOURCES « NON DURABLES » marines : MINERAIS, HYDROCARBURES… COMMENT ALLIER CE POTENTIEL ET LA DIMENSION DURABLE de LA « BLUE SOCIETY » ?

06 — we demain

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PV : Vous avez une voiture, une Mobylette ? Vous avez besoin d’essence. Je ne suis pas de ceux qui condamnent Total, Shell, BP… Je les condamne quand ils font mal leur travail ou qu’ils polluent. Mais notre monde est tel qu’on a besoin de ces gens-là. Là encore, si on monte sur la table, on peut considérer qu’on vit une transition. Aujourd’hui, on a besoin de ces ressources fossiles non durables, même s’il faut sûrement s’orienter vers une vision différente. C’est vrai qu’aller prospecter en Arctique, en dehors du risque que l’exploitation d’hydrocarbures représente dans ces régions, s’avère très coûteux. Et que si les grands énergéticiens investissaient cet argent dans la recherche sur les énergies renouvelables, il serait peut-être mieux utilisé. EN ATTENDANT, QUE PENSEZ-VOUS DES CAMPAGNES DE PROSPECTION MARINES DES GRANDES ENTREPRISES MINIèRES ? PV : D’emblée, cela a une connotation

un peu négative, sauf si l’on prévient : « Vous, entreprises minières qui voulez prospecter, on va vous aider à le faire d’une façon durable, sans esquinter les fonds ; ou en mettant en place des systèmes d’observation permettant d’étudier l’impact de vos actions. » Un certain nombre d’entreprises sont suffisamment matures pour cela. Lorsque l’opinion publique n’est plus négative vis-à-vis d’elles, elles peuvent travailler plus sereinement, plus proprement. Cela me fait penser à Jean-Michel Cousteau lorsqu’il a trouvé du plastique dans les estomacs de jeunes albatros morts sur les plages du nord-ouest d’Hawaii. Qu’a-t-il fait ? Il est allé voir Dow Chemical, l’une des sociétés qui, à partir de la pétrochimie, fabriquent des billes de plastique. Il leur a dit : « Bonjour, messieurs, vous avez un problème. » Eux : « Lequel ? » « Regardez ce que font vos clients. Nous pouvons vous aider en vous suggérant de faire des matériaux absorbables par le milieu marin. » Leur réponse fut : « Nous n’y avions pas pensé. »

ET ILS L’ONT éCOUTé ? PV : Ils l’ont écouté… et suivi.

Maintenant, Dow Chemical travaille sur des produits biodégradables. Considérer qu’il faut faire avec les gens et non pas contre eux, cela change tout. VOUS ESTIMEZ le POTENTIEL éCONOMIQUE DES RESSOURCES MARINES, EXPLOITéES OU NON, à 17 000 MILLIARDS D’EUROS. COMMENT OBTIENT-ON CE CHIFFRE ? PV : Cela reste un ordre de grandeur

obtenu par différents départements des Nations-Unies. Il recouvre l’ensemble des ressources, comme la pêche, mais aussi les services écologiques océaniques. Prenez un récif-barrière vivant. Si vous le détruisez, vous devez construire une digue pour protéger la côte. Cela vous coûte beaucoup d’argent et cette digue ne vous rend pas l’ensemble des services précédents, puisque vous avez perdu la pêche qui allait avec, le tourisme, etc. Le calcul a été fait ainsi. REVENONS AUX ÉNERGIES RENOUVELABLES, QUI ATTENDENT ENCORE LEUR ESSOR. LESQUELLES VOUS PARAISSENT-elles LES PLUS MATURES ? VERS LESQUELLES IRAIT-ON SI LA « BLUE SOCIETY » TOURNAIT À PLEIN REGIME ? PV : On s’oriente vers un mix énergétique,

selon les lieux et les conditions. Quand on croise l’efficacité avec la maturité des technologies, l’énergie thermique est plutôt en avance, à condition d’être en zone intertropicale. On sait aussi que, pour installer une hydrolienne, il faut plus de trois mètres de courant par seconde. Dans le détroit du Pas-deCalais, par exemple, une étude a montré que ce seuil de rentabilité ne pouvait être atteint. Au raz Blanchard, en revanche, on a trois fois plus de courant, et là c’est suffisant. Cela dépend aussi beaucoup des microconditions : Dans une faille de la digue de Boulogne, lorsque la rade se vide et se remplit, il y aurait suffisamment de courant pour installer une petite usine marémotrice, c’est-àdire une hydrolienne. Pour rentabiliser les investissements, il faut ainsi faire du tricotage. La bonne nouvelle, c’est que la mutation est enclenchée, contrairement à ce que j’observais il y a encore cinq ans.

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ESPÉRER

blue society, l’avenir est dans la mer

LA CONSOMMATION DE POISSON PAR êTRE HUMAIN ET PAR AN A PRESQUE DOUBLé DEPUIS LES ANNéES 1960, POUR ATTEINDRE 17 KG EN 2010. EST-CE VIABLE éCOLOGIQUEMENT DE CONTINUER AINSI ? PV : Oui, mais à condition de diversifier

les espèces, de ne pas mettre toute la pression sur cinq ou dix espèces comme la sole, le bar, le cabillaud ou le colin. Des stocks non fragilisés existent. Prenez la liste publiée sur le site de l’opération Mr. Goodfish et vous saurez lesquels, en Espagne, en Italie et en France. Il ne s’agit pas de dire « ne mangez pas tel poisson », mais de formuler une recommandation positive, en établissant la liste des espèces qui ne sont pas fragilisées selon les zones de pêche. Notez qu’on ne parle ici que des stocks pêchés au large de ces trois pays. Quand des pêcheurs européens sont au large de la Mauritanie, nous ne voyons pas ce qui se passe. Ce qui nous intéresse, c’est d’avoir suffisamment d’espèces à proposer à notre public, de façon à ce que chacun puisse manger ses 35 kg de poisson annuels. Cela allège la pression sur les stocks fragilisés et ceux dont nous ignorons l’état. Les premiers partenaires que j’ai voulu impliquer dans le cadre de Mr. Goodfish étaient les comités régionaux et nationaux des pêches. Aujourd’hui, toute la chaîne de la profession est autour de la table. FIN 2013, UNE PéTITION DE L’ONG BLOOM, PORTéE PAR UNE bande dessinée DéNONçANT LES EFFETS « DéVASTATEURS » DU CHALUTAGE EN EAUX PROFONDES, A RECUEILLI 800 000 SIGNATURES. POUR APPELER à L’INTERDICTION DE CETTE PRATIQUE, BLOOM AVANCE AUSSI QU’ELLE NE GénèRE QUE de 0,2 % à 0,5 % DES EMPLOIS DE LA PêCHE EN FRANCE, TOUT EN éTANT FORTEMENT SUBVENTIONNéE. SOUTENEZ-VOUS LA CAUSE ? PV : Non, car cette campagne

fait l’amalgame entre des éléments biologiques, économiques et techniques, ce qui permet de crier haro sur la pêche profonde, et c’est tout. La seule chose qui m’intéresse quand on parle de pêche profonde, c’est de savoir si l’on obère l’avenir et si les techniques s’avèrent destructrices ou non. La bande dessinée

affirme qu’à partir du moment où les pêcheurs passent à un endroit, toute biodiversité est détruite. Ce n’est pas le cas ! Sinon, ils ne suivraient pas toujours les mêmes traits de chaluts [routes cartographiés par les pêcheurs, ndlr], qui représentent 5 % de l’ensemble des zones potentielles de la pêche profonde. Or ce n’est pas protéger ou sauver les océans que d’empêcher de continuer à pêcher sur ces 5 %. Sur proposition de la France, principal acteur européen de la pêche en eaux profondes, le Parlement européen a voté, le 10 décembre, pour le maintien de la pêche sur les traits de chalut existants. Cela paraît être une proposition équilibrée et prudente, le temps de faire la recherche nécessaire sur les 95 % restants, qui de ce fait sont protégés. Je pense que ce que font les ONG est utile en attirant l’attention sur ce qui peut s’avérer dangereux pour notre avenir. Néanmoins, il faut garder des positions équilibrées. On avance avec les gens, pas contre eux. LES REVENUS ISSUS DU TOURISME CONStITUENT UN PAN IMPORTANT DE LA « BLUE SOCIETY ». DE QUEL TOURISME PARLEZ-VOUS ? N’EST-CE PAS CONTRE-PRODUCTIF D’UN POINT DE VUE ENVIRONNEMENTAL ? PV : On parle forcément d’un tourisme

durable, qui permet aux ressources et aux fonds marins de continuer à s’épanouir. Pour les ONG environnementalistes, le bon état des océans est une finalité. Pour la « blue society », c’est un prérequis. Par conséquent, le fait qu’il faille préserver le potentiel des océans va de soi. Si l’on compare la mer à un compte en banque, il faut utiliser les intérêts et non pas le capital. PLUS PRÉCISÉMENT, ON NE PARLE PAS ICI DE TOURISME DE MASSE… PV : Ça dépend. À certains endroits,

vous devez pouvoir faire du tourisme de masse. Tout le monde a le droit à des loisirs. Il faut simplement bien organiser les choses. C’est tout le problème de ce qu’on appelle la « planification spatiale marine » : l’organisation,

notamment sur le littoral, de toutes les activités humaines sans qu’elles se contredisent et interfèrent trop entre elles. C’est la « blue society » appliquée ! JUSTEMENT, VOUS CITEZ SOUVENT EN EXEMPLE L’ÉQUILIBRE QUI COMMENCE À SE DESSINER ENTRE LE TOURISME, LA PÊCHE ET L’ENSEMBLE DES ACTIVITÉS HUMAINES DANS CERTAINS « ÉTATS INSULAIRES ». OÙ SE TROUVE L’AVANT-GARDE DE CE CHANGEMENT ? PV : Les Seychelles, par exemple, font

un travail assez remarquable. Ce sont quelque 115 îles sur 1,3 million de km2 de mer, pour 80 000 habitants, qui doivent entretenir tout cela. Ils ont décidé de « dédier » au tourisme leur île principale, Mahé, visitée par 150 000 touristes par an. C’est beaucoup par rapport à leur taille, mais c’est un tourisme très haut de gamme, dont les revenus permettent d’entretenir des sites classés au patrimoine mondial de l’Unesco comme l’atoll d’Aldabra et la forêt de Mai. Leur autre source de revenus, c’est la pêche, au thon notamment, qui est encadrée par des licences. Ces deux ressources génèrent peut-être 90 % de leurs revenus. Je ne dis pas qu’ils ont réussi, mais qu’ils ont une vraie volonté politique. Ailleurs, à Madagascar, l’un des dix pays les plus pauvres du monde, des décisions extraordinaires ont été prises, comme sur la crevette, dont les stocks sauvages sont en train d’être restaurés : on ne la pêche plus pendant les trois mois où les femelles sont grainées, on ne la pêche plus la nuit parce qu’il y a beaucoup plus de prises accessoires, les chaluts sont équipés de systèmes d’évacuation pour les tortues et les gros poissons… Presque tous les pêcheurs pratiquent aussi l’aquaculture extensive à très faible densité. La crevette est plus chère, mais lorsque vous la goûtez, vous vous dites que vous n’en n’aviez jamais mangé avant ! Pendant les trois mois sans pêche, on replante la mangrove pour abriter les juvéniles de crevettes, alors que sur les bassins aquacoles du monde entier, on la déplante. Pour faire en sorte que la population, de plus en plus

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nombreuse sur les côtes, n’extraie pas son bois de la mangrove, on plante aussi à l’intérieur des terres des arbres qui leur sont destinés pour le charbon de bois. Enfin, de l’argent va à la construction d’écoles qui serviront à former des personnes qualifiées. Il EST UN SERVICE OCéANIQUE AUQUEL VOUS CROYEZ PARTICULIèREMENT : LA CAPTATION DU CO2 PAR LE PLANCTON. EST-CE CRéDIBLE D’IMAGINER purifier AINSI L’AIR DE LA PLANÈTE ? PV : J’en suis persuadé. Le CO2, qui sert

à faire de la matière vivante se trouve dans l’air. Aujourd’hui, dans des systèmes clos, on sait cultiver de façon intensive du phytoplancton, qui capte du CO2. On sait reminéraliser ce CO2, c’est-à-dire le transformer en matière. Mais le système ne fonctionne pas encore, car il nécessite plus d’énergie que l’équivalent CO2 capté. Certains pensent pouvoir y remédier grâce à la géothermie, qui fournit une énergie inépuisable. Parallèlement, beaucoup de recherches portent sur la culture de phytoplancton pour faire des biocarburants. La combustion de ces derniers a l’avantage de ne pas libérer davantage de CO2 dans l’air, contrairement à celle du carbone fossile. Mais cela n’arrange rien. Pour faire baisser la concentration de CO2 dans l’air, il faudrait le capturer dans cette purée verte de phytoplancton, puis le reminéraliser. Ce carbone pourrait servir à fabriquer des fibres pour les vêtements, des voitures, des bateaux ou des routes. Le problème est aujourd’hui de savoir comment capter un CO2 en très faible concentration dans l’atmosphère. Ce champ d’investigation est très important, il faudra combiner plusieurs éléments, mais celui qui réussira sera sans doute plus riche que Bill Gates, parce qu’il aura sauvé la planète. À l’heure actuelle, je suis bien conscient qu’il n’existe pas de modèle économique pour cela. Mais Edison et Watt n’en avaient pas non plus quand ils ont commencé à travailler sur l’électricité. IL EST UN AUTRE AXE DE DéVELOPPEMENT QUI NéCESSITE éNORMEMENT D’éNERGIE : LE DESSALEMENT DES EAUX.

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PV : Cet axe, sur lequel les Français sont

on pourrait pêcher plus et en bénéficier en pointe, est sûrement très prometteur. plus durablement ! Mais si l’on souhaite S’il faut le développer avec les énergies que tous ces projets réussissent, vertes, il faut surtout faire attention il faut que les citoyens s’en emparent. à une chose essentielle : que fait-on du sel ? Il ne faut surtout pas le rejeter dans SOMMES-NOUS PLUTÔT DANS UNE PHASE l’eau, particulièrement dans des endroits DE DESTRUCTION OU DANS UNE PHASE peu profonds. Ce fut le cas à Bahreïn, où DE RECONSTITUTION DU MILIEU MARIN ? l’on a détruit la vie marine. Les coraux PV : Pour l’heure, globalement, disparaissent, les pêcheurs n’ont plus la destruction va plus vite que de poisson à pêcher. Le niveau de la la restauration. Toute la Méditerranée nappe phréatique dans laquelle pompe orientale est dans un état épouvantable. Bahreïn mais aussi l’Arabie saoudite ayant Dans les Caraïbes, comme dans beaucoup beaucoup baissé, Bahreïn doit trouver les d’endroits – pour ne pas dire partout –, les moyens d’avoir de l’eau douce. On ne se coraux sont affaiblis par le changement battra peut-être climatique. plus pour le Ils sont achevés pétrole à la fin par une bactérie « La captation du co2 du xxie siècle, issue de nos par le plancton n’A pas mais pour l’eau intestins, du douce. fait du manque de modèle économique. de stations Mais EDISON ET WATT N’EN QUELS SONT d’épuration, AVAIENT PAS NON PLUS voire de LES projets quand ils ont commencé certaines DE LA « BLUE à travailler sur l’ÉLECTRICITÉ. » compagnies SOCIETY » de croisières QUE VOUS qui ne font pas VOUDRIEZ VOIR fonctionner SE RéALISER leurs stations d’épuration parce que cela DANS UN AVENIR PROCHE ? coûte cher. Les pesticides issus de la PV : La « blue society » est d’abord un état d’esprit. Il faut donc, souvenezculture de la banane sont aussi en cause. vous, que tout le monde apprenne à « monter sur la table ». Ensuite, OÙ trouve-t-on dès aujourd’hui la première urgence est d’éteindre de bonnes RAISONS D’ESPéRER ? l’incendie du changement climatique. PV : Un peu partout dans le monde, Le projet prioritaire serait de réussir des décisions sont prises et peuvent à extraire le CO2 de l’atmosphère. donner de l’espoir. J’ai commencé Deuxièmement, il faut réussir à remettre à travailler dans le domaine de l’océan dans un état convenable la sensibilisation il y a trente-deux ans. pour qu’il puisse continuer à nous Pendant vingt ans, rien ne semblait rendre les services écologiques dont avancer. Ces dix dernières années, la prise ont besoin les populations. C’est de conscience est allée plus vite qu’on absolument fondamental pour maintenir ne l’aurait jamais rêvé. Dans la Manche la biodiversité. À chaque fois et la mer du Nord, des stocks de poisson qu’on perd une espèce, on perd sont en train de se reconstituer. peut-être la molécule qui nous Sur la côte méditerranéenne française, on aurait permis de guérir une maladie. dénombre plus de poissons maintenant Ensuite, c’est l’utilisation raisonnée qu’il y a trente ou quarante ans parce des ressources. Il faut, grâce à la qu’on a réussi à préserver les herbiers règlementation, à une bonne gestion le long de la côte, en équipant toutes et à de meilleures pratiques, retrouver les grandes cités de stations d’épuration. les pics de rendement que l’on a dépassés Lorsque l’environnement retrouve sa aujourd’hui. Si certains stocks bonne santé, la vie est extraordinairement de poisson n’étaient pas surexploités, forte et elle réapparaît.

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