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Éditorial mars 2013
Distance(s) D
u point A au point B, on prendra garde d’éviter la ligne droite, chemin le plus court vers un ennui certain. Le ski de montagne, à l’honneur dans ce numéro, n’est rien d’autre que l’apologie de la courbe, un coup de carre dans une perpétuelle fuite en avant. Entre le va-et-vient indécis d’une godille réglée comme une horloge et de grandes courbes tendues et impatientes, une descente à skis est une revanche de cancre en géométrie, un détournement de la droiture mathématique. Le degré de subversion se mesure alors au rayon de courbure des planches, à leur capacité à refuser la ligne droite. Banni soit le schuss. La rébellion du skieur-voyageur consistera à aller tracer sa route un peu plus loin, dans des pentes étrangères. La neige est souvent plus belle dans la combe
moins que 1 645 mètres de dénivelé positif dans les jambes. Droit dans la pente tels de rigoureux géomètres, les deux Français sortent de leur chapeau une règle de trois inattendue et renversent l’ordre initial pour monter sur les deux plus hautes marches du podium. Bon-Mardion en tête, le prodige espagnol est relégué à la troisième place. On pourrait se demander ce qui peut bien rapprocher les formules 1 du ski-alpinisme du skieur du dimanche. Loin de l’esprit « montagne » ? Pas si sûr. Sur le chemin de la reconnaissance olympique, le skialpinisme longtemps confidentiel a tout intérêt à gagner en visibilité sur la scène médiatique et sportive. Fédérations et clubs sont toujours les portes d’entrée privilégiées pour les débutants vers une discipline qui requiert un bagage technique, des notions de sécurité et un matériel conséquents. L’apprenti skieur ne fera peut-être jamais de compétition mais profitera des feux nouveaux braqués sur la discipline grâce à ses plus forts représentants, lors d’une sortie encadrée par son club, d’une initiation DVA ou simplement du prêt de matériel. Ce matériel bénéficie lui aussi de l’engouement du public et de l’élargissement d’un marché convoité par les fabricants. Le skieur en retour est doté d’un équipement de plus en plus fiable et confortable. Le grand écart entre les hérauts du « collantpipette » et le randonneur contemplatif est certainement moins large que ce que l’on veut bien croire. Et pour le montagnard solitaire, bougon devant le nombre croissant de pratiquants, il restera toujours un coin de montagne pour faire une trace loin des foules et garder ses distances vis-à-vis du monde d’en bas. Finalement, c’est peut-être l’essence même d’une virée à skis en montagne : prendre du recul, appareil photo ou chronomètre en main, seul ou en groupe, au bout du monde ou dans le vallon d’à côté, mais toujours en mouvement, bien sur l’avant.
Le ski de montagne n’est rien d’autre que l’apologie de la courbe, un coup de carre dans une perpétuelle fuite en avant du voisin. De la poudreuse du Kaçkar turc aux neiges bosniaques des hauteurs de Sarajevo, en passant par les grandes étendues du Groenland et les couloirs dolomitiques, le ski devient prétexte à l’échappée. On n’oubliera heureusement pas que l’aventure peut également poindre dans nos contrées, et qu’un coin des Alpes tel que la haute vallée de l’Ubaye n’a pas à rougir face aux destinations plus exotiques, tout aussi sauvage, les kilomètres en moins. La distance, le favori des Championnats du monde de ski-alpinisme de Pelvoux, Kilian Jornet-Burgada, n’aura pas su la tenir face à deux concurrents tricolores calés comme des métronomes. Au jeu du chat et de la souris, William Bon-Mardion et Matheo Jacquemoud, respectivement troisième et second durant les troisquarts de la course individuelle, sont parvenus à démontrer leurs qualités de descendeurs après rien
4- Montagnes Magazine
Ulysse Lefebvre