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gare AU FUTUR !
Ulysse Lefebvre est un passeur. A travers ses clichés, il témoigne du quotidien d’un petit train de l’est et de ses voyageurs. Un train-train lancinant, coincé entre hier et demain. Et l’avenir ? Une bataille duraille. Par Pascale Godin Photos Ulysse Lefebvre
Ulysse Lefebvre
Sud de la Bulgarie, au cœur des massifs montagneux du Rila, du Pirin et des Rhodopies.
lysse Lefebvre déplie la carte de la Bulgarie. Son doigt trace une ligne minuscule entre 3 massifs montagneux tout au sud, aux frontières de la Grèce et de la Turquie. Une enclave. C’est que le jeune photographe, chambérien d’origine lilloise, est d’abord géographe historien. Et s’il se focalise sur les territoires de l’est, chahutés par le temps, c’est pour en exhumer les étonnants contrastes. Un reportage au Kosovo l’ouvre sur la communauté rom de la banlieue de Pristina. Où l’image d’Epinal du tzigane, chapeau, chansons mélancoliques et brasero, s’effrite sous les clichés d’une population retournée vivre dans un pays qui n’est plus le sien. Premier chapitre d’un point de vue, loin des cartes postales. Le second s’écrit en 2011, quand la Mladejki Dom (maison de la jeunesse) de Pazardjik, en Bulgarie, l’invite à poser son regard sur la petite voie ferrée d’un territoire du sud. Et pour Ulysse, pendant un mois, le train sifflera 30 fois.
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Sur cette voie ferrée d’une centaine de kilomètres, la Tesnolineika serpente et draine la population entre plaine et montagne.
DU TRAIN FANTOME AU POLE EXPRESS Le convoi cahote. Entre les massifs montagneux du Rila, du Pirin et des Rhodopies, la Tesnolineika étire ses wagons colorés. Une centaine de kilomètres à peine, 4 à 5 heures de voyage. Le minuscule trait d’union relie Septemvri, une triste ville industrielle presqu’à l’abandon, à Bansko, station de ski tendance et chic : “Ici, on change de monde”, s’étonne encore Ulysse. “Septemvri végète dans une morne plaine et soudain, le train passe une petite gorge et débouche sur un univers totalement opposé. C’est une région qui vit comme au siècle dernier, l’agriculteur travaille au soc tiré par des chevaux, c’est une histoire figée. Et 4 heures plus tard, Bansko et ses immeubles chics, ses télécabines «made in France» et sa clientèle huppée apparaissent au bout du chemin !” Comme une lente transition, du train fantôme au Pôle Express.
La locomotive diesel continue tant bien que mal de rallier la ville industrielle et décadente de Septemvri, à Bansko, fleuron du tourisme hivernal bulgare.
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C’est dans cet environnement reculé et peu connecté au reste du pays que la jeunesse évolue entre modernité urbaine et ruralité traditionnelle.
GARE DE TRIAGE Tous les matins, Ulysse monte à bord. Et s’installe dans une routine tranquille, son mythe de Sisyphe intime. Il traque et épie les visages d’une jeunesse, cueillie à fleur de montagnes : “Mon reportage devait raconter la vie des enfants et des ados qui prennent ce train pour aller à l’école, vus de mon regard d’étranger. Mais, il ne se passe pas grand-chose, aucun scoop. J’ai donc choisi l’angle d’une histoire qui suit son cours tranquille, à travers la diversité des populations qui la composent”. Ici, le brassage des cultures se calque sur l’histoire entière du pays. Dont les frontières, de ce côté-ci de la Bulgarie, sont particulièrement poreuses depuis des siècles. Musulmans venus de Turquie, chrétiens orthodoxes et gitans s’éparpillent en villages perchés, ruraux, anciens. Soufflés comme des confettis en lisière de nature. Avec un petit train pour les relier tous. Parfois, la Tesnolineika s’arrête en plein nulle part. Une gare est posée là, les habitations sont ailleurs. Il faudra traverser la forêt pour rejoindre l’humain. Le spectre du chômage est omniprésent dans les ruelles. Ceux qui prenaient le train pour Septemvri sont désormais oisifs. Ils discutent, jouent aux cartes. Certains parlent fort. Et lèvent le coude pendant qu’un peu plus loin, au bord des voies, des tziganes coupent, débitent, entassent et rabotent des piles de bois. Le point de vue du photographe passe difficilement. Et quand elle découvre son travail, la maison de la jeunesse tique. Elle voudrait
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Si les modes de vie de ces jeunes varient selon les religions, les cultures ou les villages,
la Tesnolineika continue de les réunir et de rythmer leur quotidien à tous.
gommer ces gitans, masquer la diversité, travestir la pluralité des cultures. Cacher les mosquées et les raboteurs, l’oisiveté. Et l’instant volé par Ulysse dans un atelier de confection déguisé en cours de couture. Officiellement, c’est un centre de vacances.
UNE BRUTALE MUTATION GENERATIONNELLE Pourtant, Ulysse immortalise aussi cette jeunesse prise entre 2 réalités. Mur de vieilles pierres et mur de Facebook, la tradition et la modernité se confondent en ces adolescents vivant à 2 vitesses : “Beaucoup de jeunes passent leur semaine en pension à Razlog, le bourg principal”, explique Ulysse. “Là-bas, ils ont un compte
Facebook, mais à quoi leur servent ces connexions vers l’extérieur s’ils ne peuvent pas s’offrir ce qu’ils y découvrent ?” Une autre fracture numérique : “Cette génération possède une ouverture sur le monde, quand la précédente vivait encore comme au début du 20ème siècle. Et la mutation est brutale. J’ignore comment cette enclave va évoluer. Peut-être y aurat-il un exode rural, comme en France après la guerre…”, s’interroge le photographe. D’ici quelques années, il retournera à bord de la Tesnolineika. Pour épier à nouveau, transmettre et témoigner. Et si le petit train existe encore, ses voyageurs et ses aiguillages seront sans doute bien différents. + d’infos www.ulysselefebvre.com
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