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Issue d'une famille de guides et de gardiens de l'Oisans, Brigitte Turc perpétue « un métier de passion transmis par ses parents ». Après de nombreuses années au Soreiller, elle garde aujourd'hui le refuge du Chatelleret.

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Gardiens de refuge

Une vie panoramique Dans la grande famille des cabanes et autres abris en montagne, le refuge est toujours un soulagement au terme d’une longue marche. Une fois franchi le seuil, il devient l’antre du très méconnu gardien de refuge, que l’on rencontre le temps d’une soirée, avant de repartir vers les sommets. Ces hommes et ces femmes (de plus en plus nombreuses), qui ont choisi un mode de vie souvent rude, ont la passion de la montagne chevillée au corps. Témoignages. TEXTE ET PHOTOS : ULYSSE LEFEBVRE.

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a vie d’un gardien est d’abord une histoire de saisons. Dans son refuge, qui varie de la rustique cabane de bois au bâtiment high-tech et durable, en passant par la confortable bâtisse de pierre, il est amené à s’adapter au rythme du tourisme. L’été est la principale période d’activité, mais l’hiver peut être aussi une période de travail dans les refuges moins hauts en altitude. « L’été, je travaille au refuge Temple-Écrins et l’hiver, à celui des Feneys dans le Vercors. Ce dernier a l’avantage d’être situé à proximité d’Autrans et d’être accessible en ski de fond ou en chiens de traîneau », explique Guillaume Bailly. Plus rarement, certains refuges restent ouverts toute l’année. C’est souvent le cas dans le Mercantour, comme en témoigne Charly, aidegardien au refuge de Nice : « La saison y est plus longue et complémentaire d’un logement dans la vallée. » Et comme beaucoup de refuges fonctionnent sur réservation l’hiver, le gardien et ses aides peuvent redescendre chez eux et ne remonter que lorsque des clients les appellent. De cette saisonnalité découle une pluriactivité nécessaire pour assurer des revenus à l’année. Les salaires sont d’ailleurs très variables d’un refuge à l’autre, selon la clientèle et le mode de gestion. Un gardien peut espérer gagner jusqu’à 2 000 € par mois. « Mais en travaillant sept jours sur sept, de 5 heures à

23 heures pendant cinq mois », pondère Brigitte Turc, gardienne du refuge du Chatelleret (Oisans). Il ne faut pas oublier que les conditions de vie au quotidien ne sont pas toujours des plus confortables. « On a vu des gardiens dormir par terre dans la cuisine et des aide-gardiens sous tente près du refuge », ajoute Pierre-Jean Pradalier, gardien du refuge d’Ayous (PyrénéesAtlantiques). Quant à l’intimité, elle est évidemment limitée. Si les dépenses sont quasi nulles durant la saison de gardiennage, une autre activité s’avère nécessaire pour ne pas subir de trop longues intersaisons. Brigitte Turc est aussi monitrice de ski à l’Alpe-d’Huez en hiver ; Pierre-Jean Pradalier est quant à lui guide de haute montagne, et près de la moitié des gardiens sont accompagnateurs en montagne1. Liée au contexte économique actuel, cette tendance est encore plus forte chez les jeunes prétendants, la plupart étant déjà diplômés et forts d’une expérience professionnelle complémentaire.

Les axes du métier Le travail du gardien s’articule autour de trois grands axes2. La première mission est le gardiennage et la surveillance du refuge, sous le contrôle du propriétaire. C’est à ce titre qu’il ne tire pas ses revenus des nuitées facturées au client. Par exemple, dans le cas où la FFCAM

(Fédération française des clubs alpins et de montagne) est propriétaire, c’est cette dernière qui encaisse la totalité du montant des nuitées avant de reverser 1 € par nuitée au gardien. C’est donc dans sa deuxième mission que le gardien tire l’essentiel de ses revenus, à savoir celle de prestations de service. Autrement dit, c’est en vendant des repas et des boissons qu’il gagne sa vie. Enfin, il exerce une mission de service public pour la surveillance de la zone, la collaboration avec les secours, l’information au public et la protection de l’environnement. Dans cette dernière mission, celle de la sécurité ne doit pas être confondue avec le travail des secouristes et des guides de haute montagne. Fin connaisseur de son environnement, le gardien fournit un nombre important d’informations utiles mais qui doivent rester de l’ordre du conseil, complémentaires aux indications d’un guide ou d’un bulletin météo. Dans les faits, Frédi Meignan, gardien du Promontoire (Écrins), rappelle cette fonction de vigilance implicite : « Quand on ne voit pas arriver un client qui avait réservé, ou bien revenir un autre qui nous avait avertis de sa course, on se pose forcément la question de prévenir les secours. On a une mission de surveillance par la force des choses. » Le métier de gardien ne cesse de se professionnaliser et ne relève plus du seul accueil

Pierre-Jean Pradalier : toute une vie de gardien L’histoire de Pierre-Jean, gardien du refuge d’Ayous (Pyrénées-Atlantiques), s’écrit depuis cinquante-sept ans dans la vallée d’Ossau. Lui qui a grandi dans la région de Pau est pétri de culture pyrénéenne. « Mes premières découvertes comme gamin avaient pour cadre les Pyrénées. À treize ans, mes parents m’ont inscrit au club Pyrénéa Sport, dont le camp de base était situé au lac de Bious-Artigues. C’est là que j’ai découvert l’escalade, l’alpinisme et le ski de randonnée. La graine était semée. » La graine du pyrénéisme certes, mais aussi la passion de la vallée d’Ossau qu’il ne quittera plus. Alors qu’il poursuit ses études pour devenir enseignant, le jeune étudiant de vingt et un ans travaille deux étés durant au refuge de Maupas, dans le Luchonnais. Devenu bon grimpeur, il pense pouvoir assouvir sa passion de la montagne en y passant deux mois dans l’année. Mais à vingt-cinq ans, après avoir obtenu son diplôme et avoir enseigné un an, le verdict tombe : sa place est en montagne, et à plein-temps. « L’appel de la montagne était trop puissant. Il fallait que j’y vive et que j’y travaille », explique-t-il. Au moment de donner sa démission, le jeune Palois entend parler du départ en retraite du gardien du refuge d’Arémoulit : « À l’époque, peu de monde cherchait à garder un refuge. En plus, j’avais de l’expérience. » Il sera

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embauché et y restera vingt-huit ans. Il a du temps pour équiper les falaises environnantes avec ses copains Joan Carles Griso et Philippe de Gelis. C’est d’ailleurs cette frénésie d’escalade qui le pousse, à vingt-sept ans, à prolonger l’expérience du métier de gardien par celle de guide de haute montagne. « La première saison, j’ai travaillé au refuge et comme guide. J’ai rapidement compris qu’on ne pouvait pas être au four et au moulin. » Pierre-Jean exercera ponctuellement en été, lors de stages d’escalade pour jeunes autour du refuge. L’essentiel de son activité de guide sera reporté sur l’hiver, avec le ski de randonnée et les voyages. Depuis deux ans, il garde le refuge d’Ayous, toujours en vallée d’Ossau, avec femme et enfants. « Je pense que c’est l’harmonie du couple et non les caractéristiques du métier qui font que ça marche. » Aujourd’hui, la seule contrainte pour scolariser sa petite fille de cinq ans réside dans les allers-retours en vallée aux mois de juin et de septembre, lorsque l’année scolaire chevauche la saison en refuge. Cette longue expérience lui donne pas mal de recul sur le métier et son évolution, liée pour beaucoup à celle de la clientèle : « Ces quinze dernières années, on a vu arriver une clientèle bien moins ancrée dans la culture montagnarde. C’est très bien

mais pour nous, cela implique des efforts d’explications plus nombreux. Sur l’environnement bien sûr mais aussi sur le fonctionnement du refuge : l’économie d’espace qui implique que tout le monde mange ensemble à une même table ou encore l’économie d’énergie synonyme de moins de confort, etc. C’est d’autant plus vrai que le refuge n’est plus seulement une étape mais un objectif en soi. » Cela fait trente ans cette année que PierreJean regarde les Pyrénées d’en haut, qu’il vit au rythme de la montagne et de ses pratiquants. « Je ne sais plus ce que c’est de passer l’été en plaine. Lorsque je serai à la retraite, je m’adapterai ! Et puis, place aux jeunes ! », s’exclame-t-il. Il sait de quoi il parle, lui qui participe à la formation des gardiens. Il ajoute, ironique, en direction de ses successeurs : « Laissez-moi tout de même finir ma carrière ! » C’est tout le mal qu’on lui souhaite, au plus haut évidemment.


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La formation de gardien de refuge inclut les bases de recherche de victimes d’avalanche qui donnent lieu à des exercices grandeur nature, comme ici devant l'imposante face sud de la Meije.

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Refuges hôtelier. Devant l’essor d’un tourisme plus grand public, notamment avec le développement des sports de nature, les propriétaires de refuges jouent de plus en plus la carte de la spécialisation. Ils font désormais du diplôme universitaire (DU) de gardien de refuge l’un des critères essentiels de recrutement, privilégiant de plus en plus le précieux sésame plutôt que l’expérience d’aide-gardien. Le fait que les propriétaires, FFCAM, communes ou parcs nationaux, soient membres du comité de pilotage de la formation, est une forme de reconnaissance du diplôme et du métier. Le CETIA à Toulouse (Centre d’études du tourisme et des industries de l’alimentation), l’AFRAT à Autrans (Association de formation des ruraux aux activités de tourisme), le SNGRGE (Syndicat national des gardiens de refuge et des gîtes d’étape) ainsi que les trois régions qui apportent des financements (Midi-Pyrénées, Rhône-Alpes et ProvenceAlpes-Côte-d’Azur) font également partie du comité de pilotage de la formation.

Être gardien, ça s’apprend ! Dispensée par l’Université de Toulouse-Le Mirail, cette dernière dure quatre mois, dont un mois en stage de terrain. Elle se déroule alternativement à Foix dans les Pyrénées et à Autrans dans les Alpes, comme ce fut le cas cette année pour les quatorze étudiants retenus (sur une quarantaine de postulants). Les grands axes de cours théoriques abordent la connaissance du milieu montagnard, la comptabilité, mais aussi les outils de communication et de promotion des refuges indispensables à l’heure où les premiers pas d’un randonneur se font sur l’Internet. L’anglais est aussi au programme pour accueillir au mieux les étrangers qui représentent près de 30 % du total des pratiquants en France3, mais également pour travailler à l’étranger, le référentiel de la formation étant adopté en Espagne et bientôt en Suisse et en Italie. Le stage d’un mois en refuge est le point d’orgue de la formation sanctionnée par un examen et un rapport de stage. La formation est gratuite pour les étudiants. Les régions et le Pôle Emploi peuvent les soutenir financièrement dans leurs frais d’hébergement et de restauration. S’ils sont salariés, les étudiants peuvent demander à suivre la formation dans le cadre d’un Congé individuel de formation (CIF). Depuis 2005, près de 70 gardiens ont été formés, à raison d’une douzaine par an. Environ 80% d’entre eux trouvent à terme un refuge, même si cela peut prendre un peu de temps car les départs de gardiens ne sont pas si fréquents. Les profils sont variés et, si tous n’ont pas un fort enracinement en montagne, leur point commun est celui d’un « projet professionnel globalement tourné vers la montagne », comme l’explique Sophie Loos, vingt-cinq ans, qui a déjà travaillé plusieurs saisons en tant qu’aidegardien. Elle souhaite aujourd’hui obtenir le diplôme pour pouvoir, un jour, garder son propre refuge. C’est le cas également de Charly Barcelo, trente-quatre ans, et Mouloud Caddo, trentesept ans: les deux copains ardennais se sont retrouvés par hasard dans le Mercantour. Ils y

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travaillent aujourd’hui à l’année au refuge de Nice en tant qu’aide-gardiens et visent le diplôme pour pouvoir reprendre la gestion d’un refuge. Beaucoup d’étudiants sont également en réorientation professionnelle. Cela peut être un moyen de compléter d’autres emplois saisonniers, comme Romuald Aribert, vingt-neuf ans, qui est déjà pisteur l’hiver et moniteur de kitesurf l’été. C’est aussi une alternative à un emploi stable, comme c’est le cas pour Mathieu Jaudon, vingt-six ans, électrotechnicien, ou encore David Lecomte, vingt-neuf ans, aide-soignant. Quoi qu’il en soit, une première expérience d’aidegardien ainsi qu’un projet motivé sont les critères principaux pour espérer intégrer la formation4. Parce que son métier évolue de manière

quantitative et qualitative, le gardien de refuge est aujourd’hui en mesure d’assurer l’accueil dans de bonnes conditions, tout en répondant aux besoins variés et parfois nouveaux d’une clientèle en évolution. Si la tendance de fréquentation des refuges FFCAM (propriétaire majoritaire avec 128 refuges sur les 250 gardés) est à la baisse depuis 2000 (-13 % entre 2000 et 2010)5, c’est surtout la recomposition de la clientèle qui implique une évolution du métier. Aujourd’hui, les randonneurs représentent l’essentiel de la clientèle et les alpinistes deviennent minoritaires. Le rythme des refuges s’en ressent (heures de repas et de lever plus tardives par exemple) et le gardien prolonge la durée de présence des clients. Même si « les qualités de

Sophie Loos: le calme et la tempête Des Mont-d’Or au Mont-Blanc, il y a tout le chemin parcouru par Sophie, étudiante à la formation des gardiens de refuge mais déjà forte de trois saisons sur le terrain. La jeune femme de vingt-cinq ans qui « n’aime pas perdre une journée de beau temps », entretient sa passion de la montagne avec une énergie débordante. C’est en participant à des voyages organisés en montagne, au départ de Lyon, et en écoutant les récits de montagne de son père, que le goût des sommets commence à l’habiter. Il ne la quittera plus. Même s’il est encore tôt pour envisager un projet professionnel précis, la jeune étudiante part à Grenoble à dix-neuf ans : « J’ai décidé d’y aller pour la montagne. J’ai choisi la formation ensuite », confie-telle. Elle y suivra les deux premières années de licence en géosciences, nécessaires pour intégrer ensuite un cycle licence et master en équipement, protection et gestion des milieux de montagne à Chambéry. Elle mène alors de front sa formation, axée sur la montagne, et son temps libre, en grande partie dédié à parcourir les sommets. À vingt ans, elle est sélectionnée avec ses amis du club de montagne universitaire au Millet Expedition Project. Grâce à cette bourse, ils s’envolent pour l’Inde et y ouvrent un nouvel itinéraire sur le Mulkila IX, à 5 819 mètres d’altitude. Plus tard, Sophie intégrera l’équipe nationale d’alpinisme féminine jeune de la FFME et participera à plusieurs expéditions, au Canada, aux États-Unis, et en octobre prochain au Népal. Pourtant, parallèlement à cet intense besoin d’action, la jeune femme apprécie sans commune mesure le calme et la tranquillité en refuge. C’est pourquoi, durant ses études, elle travaille les étés comme aide-gardien aux Cosmiques (Mont-Blanc), puis au refuge des Écrins et à Adèle Planchard (Oisans), sans voir aucune contradiction entre son

activité d’alpiniste et le travail plus statique de gardien de refuge. « Pour moi, être gardien est totalement différent d’être là-haut. Ce n’est pas du tout une frustration. Le réveil à 4 heures du matin pour accompagner les alpinistes au départ, le bruit de la quincaillerie dans la nuit, c’est un moment privilégié ! » Un engouement pour le métier si fort qu’elle décide de suivre la formation de gardien, après son master 2. « C’est important de passer le diplôme pour être reconnue et pouvoir obtenir un refuge. Et puis le métier de gardien est différent de celui d’aidegardien. J’ai encore beaucoup de choses à apprendre. » Diplôme en poche, elle ne sait pas encore très bien comment elle organisera son temps, entre un emploi dans l’aménagement de la montagne, utile en basse saison, et un poste de gardien indispensable à son équilibre. « Je sais juste que je ne suis pas capable de travailler très longtemps dans un bureau. Je ne me vois pas non plus travailler en refuge toute ma vie, alors autant le faire maintenant. C’est ma priorité ! » Cet été, elle effectuera son stage au Promontoire. Son ambition est de trouver ensuite un refuge de ce type, en haute montagne, dans un massif qu’elle apprécie particulièrement comme les Écrins ou la Vanoise. Le reste du temps, Sophie voudrait continuer à voyager, après une saison de gardien sept jours sur sept, dix-huit heures sur vingt-quatre. « Je serai juste un peu fatiguée en fin de saison », conclut-elle. À voir l’énergie qu’elle dégage, il n’y a rien de moins sûr…


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Refuges Nathalie et Frédi Meignan : des Parigots tout là-haut

commerçant restent primordiales », rappelle Pierre-Jean Pradalier, le gardien nouvelle génération doit très souvent être force de proposition, afin de prolonger son offre d’accueil par une véritable offre touristique. Randonnées à thème, ateliers de cuisine, artisanat, beaucoup de propositions sont faites au pratiquant. Elles sont autant de pistes qu’il pourra suivre lors de son séjour ou qui susciteront de futures visites. Au refuge de l’Alpe du Pin, en Oisans, c’est la montée au refuge elle-même qui est mise en scène. Sylvie, la gardienne, explique : « Afin d’agrémenter la montée et de motiver les plus jeunes, nous avons mis en place deux contes écrits par les classes de Venosc et du Freynet. Les randonneurs lisent le conte au fil de leur montée et lorsqu’ils terminent le premier conte, ils savent qu’ils sont à mi-chemin. Commence alors le deuxième, jusqu’à l’arrivée. Chaque mercredi d’été, nous organisons aussi des journées à thème. »

Une évolution du métier

Les deux gardiens du refuge du Promontoire (Écrins) s’inscrivent dans la grande tradition des Parisiens avec une double vie : celle du travail, en semaine, puis celle de l’alpinisme, le temps d’un week-end expédié dans les Alpes. À l’époque, Frédi est maire d’une commune et vice-président d’une communauté de commune en région parisienne, Nathalie est enseignante dans la capitale. Enfants, ils parcourent régulièrement les sommets avec leur famille respective, notamment en Oisans. C’est là qu’ils se rencontrent, bien des années plus tard, à un moment où un changement de vie devient nécessaire. « On s’est dit qu’on n’avait qu’une vie. On a fait le choix de partir ensemble », explique Frédi. En 2006, ils se lancent et reprennent le refuge de la Fare (2 280 m), dans les Grandes-Rousses. Le plus vieux refuge des Alpes est en perte de vitesse et les deux nouveaux gardiens veulent lui redonner un coup de jeune. « On était attaché au fait que ce soit un refuge de moyenne altitude. Il n’y a pas de hiérarchie dans l’émerveillement. En haute montagne ou en famille à la Fare, le besoin de découverte est là. On voulait reproduire ce qu’on ressentait quand on descendait de Paris. » Engagés dans une véritable démarche de développement touristique, ils créent un site web pour le refuge, et sa fréquentation repart. Frédi explique : « Le webmarketing est un premier contact important. Il met de l’humain dans l’approche, et les gens savent qu’ils sont attendus. » Forts de cette expérience et de leur connaissance des Écrins, ils postulent avec succès en 2007 pour le Promontoire (3 092 m), refuge alpin par excellence,

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au pied de la Meije. Le métier est un peu différent et soumis aux contraintes de l’altitude. « Il faut être plus attentif aux contraintes matérielles du métier et être bricoleur », confie Nathalie. La clientèle est également différente, essentiellement constituée d’alpinistes. Ils restent pour autant fidèles à leur conception du métier. « Nous sommes des passeurs, avec une dimension d’accueil et de découverte essentielle. Avec la démocratisation de l’alpinisme, on passe plus de temps à donner des informations, des conseils. En Oisans, les alpinistes prennent plus de temps qu’ailleurs pour échanger. » On aura compris que leur leitmotiv est la passion, celle qui les a conduits à quitter leur première vie et qui, si elle vient à manquer, leur fera cesser l’activité sans hésitation. « On fera ce métier tant qu’on en aura envie. Il est trop chargé d’investissement personnel pour qu’on se force », confie Nathalie. « Et puis on vit en permanence la proximité avec les clients, loin de l’idée d’isolement qu’on peut se faire du métier. Ce n’est pas un vrai boulot ! », ajoute Frédi, ironique. Pour l’heure, les deux gardiens profitent pleinement de leurs saisons estivales làhaut, avec leurs deux enfants. « La grandmère prend le relais en vallée, pour qu’ils puissent aller à l’école en début et fin d’année scolaire. » À l’époque, un Marseillais du nom de Rébuffat invitait les montagnards à « entrer en Meije ». Aujourd’hui, ce sont deux Parisiens d’origine qui accueillent les alpinistes au pied de l’emblématique sommet. L’Oisans est décidément un haut lieu de convergences.

Cette évolution fait du refuge une véritable étape touristique, et son gardien en est l’animateur privilégié. Cela est d’autant plus vrai que la généralisation de la restauration en refuge dans les années 1990 a transformé la perception de ce dernier, devenant parfois un restaurant d’altitude aux yeux de nombreux randonneurs. Les activités connexes participent à leur redonner une conscience accrue du milieu montagnard. Cette évolution est avérée dans les refuges de moyenne montagne, accessibles au plus grand nombre. En haute montagne, avec une clientèle plus spécifique d’alpinistes, le gardien n’en est pas moins un médiateur qui favorise l’entrée de l’alpiniste dans un univers qu’il connaît bien : « Nous avons un rôle de passeur, et l’arrivée en refuge est une étape importante d’une course, explique Frédi. Nous devons contribuer à l’émerveillement et donner du sens. C’est d’autant plus vrai que nous avons affaire au bon côté de la relation. La plupart des gens qui passent au refuge ne sont pas dans un rapport de consommation, ils sont humbles face à la montagne et attendent une relation humaine et de proximité avec le gardien. » Le soir venu, ce dernier devient le principal référent du milieu montagnard. Ses connaissances, ses conseils sur les itinéraires ou les pièges à éviter sont appréciés. Surtout, la convivialité reste le principal carburant d’une course. On a vu des gardiens inviter des alpinistescampeurs à venir prendre le dernier verre d’hysope au coin du poêle, avant de les laisser repartir à leur fraîche nuit sous tente. C’est que, au delà du client, le gardien s’adresse avant tout au montagnard, comme gardien de son refuge, mais aussi comme gardien d’un état d’esprit indispensable pour prendre de la hauteur. i

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Syndicat national des gardiens de refuge et des gites d’étape. Répertoire national des certifications professionnelles. Chiffre de 2009, Rencontres européennes sur les refuges de montagne, Aussois. 4 Les conditions d’admission et le détail des enseignements sont consultables sur le site de l’université de Toulouse : http://www.univ-tlse2.fr/accueil-utm/formation/tous-lesdiplomes/du-gardien-de-refuge-de-montagne-640.kjs 5 Assises de l’alpinisme, Chamonix, 2011. 2 3


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