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Descente panoramique Ă la sortie du plus haut couloir des Pizes da Le (2 730 m) avec, au fond du vallon, le refuge de Fanes (2 060 m).
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Ski dans le parc naturel de Fanes
Les Dolomites versant confort À quelques encablures de la célèbre station de Cortina d’Ampezzo, le parc naturel de Fanes-Senes-Braies cache dans ses plis dolomitiques de belles randonnées à skis, loin des foules. Avec ses couloirs, ses grandes pentes débonnaires et son paysage varié, ce coin discret des Dolomites se prête parfaitement à un séjour en étoile depuis le très confortable refuge Fanes. TEXTE ET PHOTOS : ULYSSE LEFEBVRE.
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A
près huit heures de route, l’humeur en berne charbonnée par l’industrie italienne qui défile de la plaine du Pô à la vallée du Haut-Adige, on en viendrait presque à broyer du noir. Si on a vu périple plus exaltant, il faut bien admettre que les Dolomites conservent malgré tout le charme des montagnes qui se méritent, des Préalpes orientales dont « l’éloignement augmente le prestige », aurait dit le cisalpin Tacite. Force est de se réjouir en retrouvant le monde rassurant des sommets, en arrivant à San Vigilio, petite station de ski et porte d’entrée dans le parc naturel de FanesSenes-Braies. S’en suit alors un long vallon de
Page de droite : section ludique dans la forêt située au-dessus du refuge de Fanes. À droite : retour bucolique au refuge de Fanes, dominé par les tours sud du Furcia dai Fers (2 489 m). Ci-dessous : belles courbes dans les dalles couchées du Neunerspitze (2 968 m). Au fond, le Zehnerspitze (3 026 m) dresse sa muraille sommitale au-dessus d'une grande pente très abordable.
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quelque dix kilomètres, corridor progressif qui mène au refuge-hôtel de Pederü, point de départ vers les hauteurs. Le délai d’incubation automobile arrive à terme et le virus des Dolomites prend toute son ampleur une fois sur les skis, face aux parois et aux tours orangées qui se dressent. Une ligne de faîte qui rassasie l’esprit, avant d’en parcourir les pans à skis.
Süd Tyrol La mythologie des Dolomites s’est forgée autour des escalades sur les murailles constituées par ce double carbonate de calcium et de magnésium, auquel le géologue français
Déodat Gratet de Dolomieu donna son nom à la fin du XVIIIe siècle. Et pour l’alpiniste, ces Monti Pallidi, « montagnes pâles » comme on les appelait autrefois, résonnent du nom chantant de ses plus augustes représentants: Tre Cime di Lavaredo, Campanile Basso, Marmolada, Civetta, Sassolungo… Dans ce vallon discret des Dolomites, le skieur aura pourtant vite fait de perdre le fil de ces sonorités méridionales : tantôt appelée Trentin-HautAdige par les italophones, tantôt Sud-Tyrol par les germanophones, cette région voit la langue de Goethe prédominer, et les sommets n’échappent pas à la règle des spitze et autres
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Sasso della Croce : un peu d’histoire Du refuge Fanès, quand on se tourne vers l’ouest, une vague de calcaire compact capte les lueurs matinales. Elle émerge de longues pentes neigeuses, presque incongrue dans cet univers hivernal. Un coup d’œil sur une photo accrochée à un mur de la salle à manger révèle l’existence de nombreuses voies d’escalade, pour la plupart de difficulté modérée, sur ce profil incliné plutôt rare dans les Dolomites. Cette crête est un cadran solaire pour les habitants du Val Badia, situé sur l’autre versant. Les pointes ont pour nom Sasso delle Nove, delle Dieci (rocher de Neuf Heures, de Dix Heures…) puis culminent au Sasso della Croce. Parmi les voies classiques du versant est, trois portent la griffe de Reinhold Messner. Sans doute les plus faciles tracées par celui qui, on l’oublie, a bousculé l’escalade dans les Dolomites avant de faire de même dans le Mont-Blanc puis l’Himalaya. Une bonne raison d’aller voir ces dalles: une voie Messner, même en V+ (ici on cote UIAA!), ça fait toujours bien dans un CV. Si on taquine des difficultés supérieures, on pourra passer côté Val Badia. Le Sasso della Croce y élève une paroi de 850mètres, dont les 350 mètres supérieurs, accessibles par une vire au-dessus du socle, deviennent le terrain de jeu des grimpeurs modernes. Georges Livanos y avait tracé sa voie, croyant gravir le Monte Cavallo. Le rocher de la voie Livanos n’avait pas laissé un gros souvenir au Grec, et c’est encore Messner qui mettra un coup de flash sur cette paroi. Il y ouvre deux voies en 1968: le Grand Mur cote VII- soit 6b, ce qui n’est déjà pas si mal pour l’époque, et le Pilier central, qui oppose un passage de VIII, soit 7a. Un problème de bloc, engagé et hors de vue de l’assureur, d’après Nicola Tondini, un des meilleurs spécialistes actuels de cette paroi où il a ouvert plusieurs voies. Heinz Mariacher avait trouvé une façon de faire moins difficile (VII, soit 6c), mais il reste que Messner, en 1968, pourrait bien avoir ouvert le premier 7a de l’histoire, en grande voie, s’il vous plaît. Claude Gardien
Ci-dessus : ambiance et vue sur la complexe face nord du Piz de Lavarela (3 055 m, à gauche) et les couloirs des Pizes da Le (à droite). À gauche : derniers rayons de soleil à la sortie du couloir des Pizes da Le.
kofel : Neunerspitze, Zehnerspitze, Heiligkreuzkofel… Plus encore, les premiers coups d’œil aux cartes topographiques pourront semer davantage le trouble, une troisième langue venant enrichir la toponymie : le ladin. Cette langue romane fait partie des plus rares en Europe et n’est parlée que dans quatre vallées de la région : Val Badia, Val Gardena, Val di Fassa, Livinallongo ainsi qu’à Cortina d’Ampezzo. Et ne demandez surtout pas à Max, le propriétaire du refuge Fanes, si le ladin est un dialecte folklorique : ce dernier revendique la vigueur d’une langue que les enfants apprennent toujours à l’école et qui est encore parlée quotidiennement par 98 % de la popula-
tion de la vallée. Pour le skieur, la différence se joue au moment de repérer un itinéraire sur la carte ou lors d’une conversation avec un local : à la question de l’intérêt de monter à skis au Sasso delle Dieci, un skieur du coin répond que c’est effectivement une très bonne idée de skier le Sas dales Diesc, tout en pointant sur la carte le Zehnerspitze. À dix kilomètres à peine de l’agitation feutrée et aménagée de Cortina d’Ampezzo et du relief tourmenté typiquement dolomitique des Tofane plus au sud, le discret parc naturel de Fanes-Senes-Braies présente un relief doux et propice au ski de randonnée. La première impression pourrait presque s’avérer déroutante lorsque, des pistes de fond de Pederü, le skieur suit un itinéraire damé et en épingles pour rallier le refuge Fanes sur 400 mètres de dénivelé interminables. Heureusement, de nombreux couloirs apparaissent rapidement aux yeux du curieux sur les versants voisins, faisant passer la pilule de ce départ aménagé. De part et d’autre de cette approche, les versants est et sud du Furcia dai Fers (2 534 m) et ouest du Ciamin (2 610 m) permettent du beau ski de couloir, mais une bonne quantité de neige est indispensable dans ces goulets pierreux. Le secteur sud du parc est sans doute le plus proche du relief classique des Dolomites, dominé par le Piz dles Conturines (3064 m) et le Piz de Lavarella qui, du haut de ses 3 055 mètres, représente un bel objectif, avec un final alpin sur arête, skis sur le dos. Sur son flanc nord, striant les Pizes da Le (2 730 m), une série de petits couloirs permettent de trouver un peu de pente sous de belles tours dolomitiques. À l’inverse, la partie nord est plus étonnante : constitué d’un rocher gris formant de grandes dalles, le Neunerspitze (ou Sasso delle Nove, ou Sas dales Nu, 2 968 m) est une immense dalle couchée parsemée de
voies d’escalade en IV et V, dont deux signées Reinhold Messner lui-même, originaire de la région. En hiver, les parties les plus enneigées de ces dalles se transforment en grands pans neigeux où les belles courbes sont de rigueur. Entre deux, les vastes pâturages de Fanes forment un joli terrain de jeu débonnaire distribuant vers les différents points culminants du grand synclinal perché. Les grimpeurs noteront que sa muraille occidentale constituée par le Heiligkreuzkofel (ou Santa Croce, ou Sas dla crusc, 2 907 m) a vu le même Messner et son frère Gunther gravir le premier 7a de l’histoire de l’escalade (voir encadré ci-dessus).
Fanes de luxe Un grand moment de solitude attend celui qui, habitué au confort sommaire de certains refuges, aura limité au maximum l’encombrement des vêtements, se promenant du premier au dernier jour avec le même costume de skieur malodorant. Le Fanes Hütte relève plus de l’hôtel que du refuge et, lorsque les portes automatiques s’ouvrent, c’est pour laisser place à un monde confortable et cossu, tapissé de moquette épaisse et doté de douches chaudes à volonté. C’en est presque gênant. Ici, on boit une grosse bier après s’être parfumé, et on assiste au concert de Max à l’accordéon dans une ambiance aussi chaleureuse que douillette. Et si l’on refuse de vous servir davantage de spaghetti alla bolognese après une énorme mais néanmoins insuffisante assiette, pas de panique : c’est qu’il s’agit simplement d’un copieux antipasti, une entrée. Une fois n’est pas coutume : ces agréables conditions de vie en montagne ne font que renforcer l’intérêt d’un séjour en étoile depuis ce refuge, dans un massif mythique inscrit au Patrimoine mondial de l’humanité par UNESCO en 2009. i
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Dolomites itinéraires
Cinq itinéraires aux quatre coins du parc de Fanes Les dénivelés, relativement modestes dans le secteur, vous feront le plus souvent enchaîner deux courses pour dépasser les 1 000 mètres. Heureusement, le paysage prend vite le pas sur les statistiques, et les itinéraires trouvent leur ampleur dans un relief original, ponctué de tours typiquement dolomitiques, mais aussi de vastes dalles grises beaucoup plus étonnantes.
1. Couloirs des Pizes da Le, 2 730 m
de cette randonnée ne réside pas uniquement dans la descente de ce couloir plutôt court mais aussi dans la découverte de l’ensemble du vallon.
En arrivant au refuge Fanes, la vue porte d’emblée vers le fond de vallée et les couloirs rayant le contrefort nord du Piz de Lavarela (3 055 m). Cette muraille, appelée Pizes da Le, est constituée de plusieurs sommets séparés par de petits couloirs plus ou moins hauts et raides. Le plus évident d’entre eux est aussi le plus large et le plus raide, sans excéder les 40°. L’intérêt
en forêt puis à travers un chaos de blocs, rester à main gauche et longer le Val Paromi. Le large couloir est alors évident. Plus au nord, un couloir plus court et moins raide (30° max.) mène au col 2 683 m.
D+ : 760 m. Orientation : est. Difficulté : 40° max pour le couloir sur 150 m. Itinéraire: du refuge Fanes, partir droit vers le fond de vallon et les couloirs bien visibles au sud-ouest. Après une section
2. Piz Lavarella, 3 055 m Le point culminant du massif s’atteint par son versant sud. D+ : 1 100 m. Orientation : sud. Difficulté : 35° max.
Itinéraire : du refuge Fanes, monter plein sud vers le col de Limo (2 174 m) par le chemin damé. Poursuivre sud-ouest vers le col dal’Ega. Peu avant
N
0 km
env. 2 km
Neunerspitze ou Cima delle Nove 2 968 m Refuge Pederü 1 545 m
Zehnerspitze ou Cima Dieci 3 026 m Heiligkreuzkofel ou Santa Croce 2 907 m
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Plan dles Sarenes
Refuge Lavarella 2 042 m
Col de Limo 2 174 m
1 Pizes da Le 2 697 m
Google™ Earth
La Varella 3 055 m
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Col Bechei Dessora ou Pareispitze 2 794 m
Refuge Fanes 2 060 m
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5. Zehnerspitze, 3 026 m Ce grand cône blanc chapeauté d’une crête rocheuse est lui aussi caractéristique. Il offre un beau panorama sur le Val Badia.
le col, prendre plein ouest dans le vallon de Busc da Stlü que l’on suit jusqu’au bout, sous les falaises du Piz Parom (2 953 m) Vers 2 885 m, déchausser pour remonter plein nord l’arête finale avant de rejoindre la croix sommitale (3 034 m) à l’ouest ou le point culminant à l’est. Retour par le même chemin.
3. Col Bechei de Sora, 2 794 m Grandes courbes et larges pentes au-dessus du refuge. D+ : 850 m. Orientation : sud-ouest. Difficulté : 35° max. Itinéraire : du refuge Fanes, monter plein sud vers le col de Limo (2 174 m) par le chemin damé. Au col, partir directement vers l’est et les grandes pentes bien visibles du col Bechei de Sora jusqu’à une zone plus plane vers 2 565 m. Remonter ensuite plein nord la pente finale, avant de prolonger vers l’est par l’arête sommitale. Prendre garde aux corniches.
4. Neunerspitze, épaule est, 2 968 m Les belles dalles grises caractéristiques du Sasso delle Nove sont bien visibles depuis le refuge Fanes. Ces grands rideaux blancs forment des pentes parfaites pour le ski, à quelques encablures des voies d’escalade.
Ciel étoilé au-dessus du refuge de Fanes, annonçant une journée de ski ensoleillée.
infos pratiques Accès
en chenillette possible depuis Le parc naturel de Fanes-Senesle refuge de Pederü (pour Braies se trouve à l’extrême nordpersonnes ou bagages est de l’Italie. Compter 800 km et seulement). 32 € la nuit en 8 heures en voiture depuis Lyon, dortoir avec petit-déjeuner. sous réserve d’un trafic fluide sur pRefuge Pederü (1 545 m) : le contournement de Milan. L’axe +39 0474 50 10 86, à suivre, après l’entrée en Italie est www.pederue.it. Ouvert en donc : Milan-Bergame-Véronesaison d’hiver et d’été. Avec ses Trento-Bolzano. Poursuivre ensuite 20 chambres doubles à 55 € vers le col du Brenner au nord la nuit avec petit-déjeuner, mais bifurquer avant vers Bruneck. il s’agit ici d’un hôtel. Peu avant, à San Lorenzo di pRefuge Lavarella (2 042 m) : Sebato, entrer dans le Val Badia +39 0474 50 10 79, au sud puis en direction de San www.lavarella.it. Ouvert de Vigilio. Tout au fond de la vallée mi-juin à mi-octobre et de fin se trouve le refuge de Pederü. décembre à mi-avril. 31 € Informations et horaires des la nuit en dortoir avec petittransports en commun (cars déjeuner. et trains) sur www.sii.bz.it.
Contacts utiles pTourisme Sud Tyrol : www.suedtirolerland.it.
pMaison du parc naturel Fanes-
Cortina d'Ampezzo
D+ : 750 m. Orientation : sud sud-est. Difficulté : 40° max. Itinéraire : du refuge Fanes, rejoindre le refuge Lavarella et partir au dessus, plein nord, par le Plan dles Sarenes. Remonter la croupe qui part vers le nord-ouest. La pente neigeuse vient alors buter sur des barres rocheuses. Déchausser et contourner ces barres (PD) pour rejoindre un petit couloir d’accès à la grande pente de descente, orientée au sud.
D+ : 850 m. Orientation : sud-est. Difficulté : 35° max. Itinéraire: du refuge Fanes, rejoindre le refuge Lavarella et partir au dessus, en ascendance nord-ouest vers les Pices Fanes. Gagner au mieux la base du Zehner puis en remonter la grande pente sudest. Arrivé au pied de la falaise finale, il est possible de gagner le sommet par une arête rocheuse équipée d’un câble (PD).
Encadrement
Guides de haute montagne : pMax Willeit, www.mydolomitiguide.com pSimon Kehrer, www.simonkehrer.it
Senes-Braies : Via Caterina Lanz, 96 - San Vigilio di Marebbe, +39 0474 50 61 20. Topo pBulletin neige et avalanches : pPeter Kübler, Fanes - Wandern www.provinz.bz.it/valanghe durch Geschichte und ou +39 0471 27 05 55, Landschaft. Difficile à trouver. +39 0471 27 11 77. Le site Internet du refuge Fanes pSecours : 118. en propose les principaux itinéraires traduits en anglais, Refuges avec photos et tracés. pRefuge Fanes (2 060 m) : +39 0474 50 10 97, Carte www.rifugiofanes.com. Ouvert pParco Naturale Fanes-Senestoute l’année sauf en mai et les Braies (4), Carta turistica, deux premières semaines 1 : 25 000. En vente au refuge de décembre. 80 lits. Navette Fanes.
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