mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique mai 2010 • numéro 306
éditorial Israël. L’impunité jusqu’à quand ?
Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - mensuel (sauf juillet et août)
HENRI WAJNBLUM
D
epuis le début de la deuxième Intifada, fin 2000, Israël interdit aux Palestiniens originaires de Gaza de séjourner en Cisjordanie pour des « raisons sécuritaires ». Des restrictions encore renforcées depuis la prise de pouvoir du Hamas à Gaza en juin 2007 et le blocus de cette mince bande de territoire par Israël. Depuis quelques jours, Israël a encore durci son arsenal répressif. Un décret militaire vient en effet d’inventer une nouvelle catégorie de Palestiniens : les « infiltrés ». Quelque 25.000 habitants de Cisjordanie sont ainsi menacés de retour forcé, que leur carte d’identité indique une adresse dans la bande de Gaza ou qu’ils
y soient nés. Jusque-là, la politique d’expulsion n’était appliquée qu’au compte-gouttes, en raison notamment des possibilités de recours devant des tribunaux civils. Dorénavant, les dossiers d’expulsion relèveront de la seule juridiction des tribunaux militaires. Les personnes visées sous le vocable d’« infiltrés » sont susceptibles d’être expulsées immédiatement vers le pays ou la région d’où elles sont venues « illégalement ». Le décret vise également les Palestiniens nés en Cisjordanie qui ont perdu leur statut de résident à la suite, notamment, de séjours à l’étranger, ainsi que les conjoints étrangers de Palestiniens de Cisjordanie qui ne disposeraient pas du précieux permis. Pourraient également être
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BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511
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sommaire
éditorial ➜
éditorial
1 Israël. L’impunité, jusqu’à quand ? ......................................... Henri Wajnblum
histoire
4 Le Vel d’Hiv français dans la solution finale en Europe.....Maxime Steinberg 10
brèves de diasporas lire
11 Les derniers jours de Stefan Zweig ................................Tessa Parzenczewski
lire, regarder, écouter
12 Notules d’avril ............................................................................ Gérard Preszow
diasporas
14 Wilders, les musulmans, les Juifs et la méritocratie ......... Laurent Chambon
israël-palestine
17 Dar El-Hanoun, un village israélo-palestinien en danger Appel à solidarité
mémoire
18 Juifs et Tsiganes, destins croisés ................................................. Jacques Aron 20 Pologne : la mort et ses rites ................................................. Roland Baumann
yiddish ? yiddish !
! widYi ? widYi
24 Di mame kokht varenikes — Maman prépare des varenikes.Willy Estersohn
humeurs judéo-flamandes
26 Le plat pays qui est le nôtre ........................................................Anne Gielczyk
le regard 28 Magistrats « assis » et « debout ». Une collaboration discrète. Léon Liebmann 30
activités upjb jeunes
32 D’un samedi à l’autre ............................................................. Noémie Schonker
écouter 34 Tout le monde en parle, moi aussi ! ............................................................. Noé 36
les agendas en pages centrales : supplément « Parcours d’artistes »
1 Artistes participants 2 Le peintre, le poète et la cinéaste............................................Gérard Preszow 4 Activités
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visés les « Internationaux », en ce compris les Israéliens qui participent régulièrement à des actions de soutien contre l’occupation, la colonisation et la construction du mur en territoire palestinien. La belle affaire, vous direz-vous, les activistes israéliens seraient tout simplement ramenés en deçà de la Ligne verte… Les autorités israéliennes y ont pensé… le décret prévoit également des peines pouvant aller jusqu’à sept ans de prison, assorties d’une amende de 7.500 shekels (1.500 euros). Un nouveau moyen pour tenter de briser les mouvements de solidarité. Face au tollé provoqué par ce durcissement de la politique israélienne d’expulsions, à la fois en Israël (dix organisations des droits de l’homme israéliennes ont en effet adressé une lettre au ministre de la Défense, Ehud Barak, lui demandant d’annuler les deux décrets militaires qu’ils qualifient d’illégaux), mais aussi à l’étranger, au sein des sociétés civiles à défaut d’émouvoir les gouvernements, les lobbys proisraéliens se sont mis en mouvement. C’est ainsi que l’on peut lire sur le site JSSnews.com, un site d’une agressivité rare : « La planète entière en a entendu parler. La vague d’indignation a touché le monde civil et politique et on comprend pourquoi. Les journaux titraient tous « Israël va déporter les Palestiniens ». Horrible. Innommable. La déportation est un terme tellement vilain. Tellement affreux. Tellement connoté nazi. Et quand on sait que la diffamation antijuive compare l’État Juif au nazisme, tout fait lien. Sauf que…
Tout cela n’est que propagande. En fait, tout part d’un mauvais article, d’un mauvais journal – israélien de surcroît –, le Ha’aretz, traduit en français par les sites antijuifs, qui rend compte de mauvaise manière d’une ordonnance sécuritaire de Tsahal ». De quel mauvais article de ce mauvais journal qu’est Ha’aretz s’agissait-il donc ? Tout simplement de l’éditorial de sa rédaction, daté du 14 avril, publié sous le titre : « Un pas trop loin » et qui mettait son lectorat en garde… « Un nouveau décret militaire permettra (dorénavant) à l’armée d’expulser des dizaines de milliers de Palestiniens de la Cisjordanie et de les poursuivre pour infiltration, ce qui est passible de longues peines de prison. La formulation vague du décret permettra aux officiers de l’armée de l’exploiter arbitrairement pour procéder à des expulsions de masse, conformément à des ordres militaires donnés dans des circonstances floues. Les premiers candidats à l’expulsion seront les gens dont la carte d’identité porte une adresse dans la bande de Gaza, y compris les enfants nés en Cisjordanie et les Palestiniens vivant en Cisjordanie qui ont perdu le statut de résident pour diverses raisons. Ce serait là une décision grave et dangereuse, sans précédent dans l’occupation israélienne. Appliquer ce nouveau décret militaire ne risque pas seulement de déclencher une nouvelle conflagration dans les territoires mais aussi d’apporter au monde la preuve claire que l’objectif d’Israël est une expulsion massive des Palestiniens de Cisjordanie. Alors que tous les Juifs peuvent s’établir là où ils le souhaitent, en Israël ou dans les territoires, Israël
tente de priver les Palestiniens de ce même droit minimal à choisir à quel endroit de la Cisjordanie ou de Gaza ils veulent vivre ». Et dans ce même mauvais journal daté du 15 avril, la mauvaise journaliste qu’est Amira Hass en rajoutait une couche, dans ce style antijuif qui la caractérise si bien, sous le titre « Le droit d’expulser »… « Les objectifs (de ce décret) visent à limiter l’expansion démographique des Palestiniens en Cisjordanie ; à ’achever le processus de séparation de la population de Gaza de celle de la société cisjordanienne (en violation des accords d’Oslo) ; et à empêcher les Internationaux de se joindre à la lutte populaire contre l’occupation. Le nouveau mot clé du décret est « permis », permis sans lequel tout individu sera considéré comme un « infiltré ». Durant les vingt dernières années, Israël a institué un système compliqué de permis de circuler et de séjour pour les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. « Permis » est un euphémisme pour désigner interdiction. Au plus les politiciens israéliens parlaient d’une solution à deux États, au plus ce régime de restrictions au droit de circulation entre Gaza et la Cisjordanie devenait compliqué. Le décret induit que de nouveaux permis/interdictions pourraient être inventés afin de désigner de nouvelles catégories d’« infiltrés ». Cette politique est devenue la marque de fabrique de l’armée israélienne. Elle confère ainsi aux officiers le droit, généralement réservé aux leaders autoritaires ou aux dictateurs militaires, de déterminer quelles personnes ont le droit d’étudier et les endroits où elles peuvent travailler, vivre ou se déplacer. Elle leur accorde même le droit de dé-
cider qui elles peuvent épouser ». Si la plupart des États arabes ont fermement condamné ce décret, on n’a pas entendu grand chose du côté des États-Unis ni de l’Union européenne. Or, si nous sommes bien informés, l’État palestinien dont le principe, mais le principe seulement, est défendu par la Communauté internationale devrait englober la Cisjordanie ET Gaza. De quel droit Israël peutil dès lors qualifier d’« infiltrés » les Gazaouis qui ont choisi de vivre, de travailler ou d’étudier en Cisjordanie ? Les seuls infiltrés que nous connaissons, ce sont les colons. Les colons qu’Israël n’a pas la moindre intention de contrarier et encore moins d’expulser en deçà de la Ligne verte. Jusqu’à quand va-t-il ainsi continuer à bafouer le droit international et le droit tout court en toute impunité, sans encourir la moindre sanction ? Il y a pourtant urgence. Pendant tout un temps, nous avons misé dans ces colonnes sur un sursaut de la société civile israélienne pour faire pression sur ses dirigeants. Nous pensons aujourd’hui qu’il ne faut plus beaucoup compter sur elle… Car, comme le dit Gideon Levy, un autre mauvais journaliste de ce mauvais journal qu’est Ha’Aretz, dans une interview à Baudouin Loos publiée par Le Soir du 13 avril, « la société israélienne devient de plus en plus intolérante. Beaucoup d’Israéliens trouvent que Barack Obama flirte avec l’antisémitisme, les associations qui défendent les droits de l’homme sont traitées de nazies, il y a de moins en moins de contrepouvoirs, la société civile est dans le coma… ». Un bien triste constat. ■
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histoire Le Vel d’Hiv français dans la solution finale en Europe MAXIME STEINBERG*
L
a rafle du Vélodrome d’hiver est, en France, un point d’ancrage du discours mémoriel sur la Shoah ou l’Holocauste1. Le film de Roselyne Bosch, sorti en mars 2010, son titre en particulier, illustre ce phénomène. Ce film de fiction se veut une reconstitution historique. Il bénéficie de l’érudition de Serge Klarsfeld, le spécialiste incontournable de la solution finale en France. Des acteurs, de renom en l’occurrence, y jouent des rôles véridiques. Le film est bien promotionné. En avant-première, il est montré dans 27 salles en France pour les professeurs disposant d’un document pédagogique envoyé à 11.000 collèges et lycées. Surtout, la veille de sa sortie en salle, il est vu à la télé. Sur France 2, il fait 3,5 millions de téléspectateurs, le 9 mars. En salle, son audiométrie comptabilise plus de deux millions de spectateurs fin mars2. Si l’accueil est favorable, la critique est plus mitigée3. La tentative de reconstituer au cinéma un événement historique qui n’a laissé aucune image4 est fort discutable. Au fil des pellicules, elle risque l’anachronisme, plus encore dans sa réalisation portée par l’air du temps et son questionnement. Du point de vue mémoriel, l’intérêt du film est ailleurs. Le film n’a généralement pas été apprécié par les critiques, mais ils s’en moquent visiblement, remarque judicieusement Jean-
Paul Duchâteau à propos de jeunes spectateurs captivés qu’il a observés pendant la projection. C’est que le film parle au public. Très significativement, il porte le titre tout simple de la rafle comme si, de connivence, on sait déjà de quoi il s’agit. La rafle du Vel’ d’Hiv est, en effet, une référence. Depuis les années ‘70 et plus encore dans la dernière décennie du 20e siècle, films6, documentaires, BD et livres d’histoire ou de témoignages abordent la « rafle du Vel’ d’Hiv ». Sur la toile, aujourd’hui, pas moins de 164.000 pages s’y réfèrent sous cette appellation. C’est dire que l’événement historique – et il est considérable – est effectivement entré dans la mémoire collective en France. Si le Vélodrome d’Hiver a disparu depuis 1959, la plaque commémorative y apposée en 1946 fixe désormais le lieu du souvenir au numéro 8 du boulevard de Grenelle, dans le XVe arrondissement. En 1992, avec le 50e anniversaire, elle devient un haut lieu mémoriel en France. Pour la première fois en un demi-siècle, un président de la République se joint à la commémoration de la grande rafle organisée par les Français et exécutée par leur police nationale pour le compte des officiers SS allemands. Le discours du président socialiste François Mitterrand est pourtant hué, le 17 juillet7. Le président français dénonce le gouvernement de Vi-
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chy, mais n’impute aucunement la responsabilité de la France. Une pétition d’intellectuels, journalistes et artistes en avait pourtant fait un enjeu de l’idée même de la République française, fidèle à ses principes fondateurs8. Mais le chef de l’état persiste comme ses prédécesseurs. Le décret de 2 février 1993 instaure le 16 juillet en journée commémorant les persécutions racistes et antisémites commises sous l’autorité de fait dite gouvernement de l’État français (1940-1944). En 1995, son successeur, le gaulliste Jacques Chirac, à peine élu et qui a manqué les grandes commémorations du cinquantième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, saisit l’occasion du 16 juillet pour lui imprimer sa marque et inaugurer ainsi le temps de la repentance officielle. Il y a 50 ans, proclame ce président français, la France, patrie des Lumières et des Droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. Le discours de Chirac aura un impact au-delà de l’hexagone, porté par le procès Papon qu’il aura rendu possible en France9. * Du point de vue historique, c’est-à-dire aussi dans le contexte de la solution finale en Europe, la
rafle du Vel’ d’Hiv mobilise, les 15 et 16 juillet, 7.000 policiers, gendarmes français et autres fonctionnaires, pourvus des adresses et qui s’emparent de plus de treize mille Juifs, exactement un total de 13.152 personnes. Ces deux journées de rafle sont essentielles10. D’un coup, elles rassemblent entre un cinquième et un sixième des Juifs qui auront été déportés de France de l’été 1942 à l’été 1944. S’agissant d’une entreprise démographique à solde négatif, cette action d’envergure, nom de code Vent printanier, réduit la population juive de Paris et du département de la Seine de près de 10%. Le Vélodrome d’Hiver qui donne son nom à la rafle de la mémoire ne peut en contenir que 8.000, précisément les familles raflées, femmes et enfants compris. Le propos d’une rafle pour la déportation des Juifs est de s’attaquer à toute une population, des hommes certes, mais en plus grand nombre – et pour la première fois en France – des femmes et des enfants. Dès 1941, les hommes, quant à eux, font l’objet d’arrestations massives. Le 14 mai, 3.710 Juifs parisiens, des hommes uniquement, tous étrangers, sont arrêtés sur convocation personnelle dans les commissariats de quartier. Du 15 au 20 août, une deuxième rafle de la police parisienne, plus classique, se saisit à leur domicile légal de 4.232 Juifs des XIe et XIIe arrondissements. Toujours des hommes juifs, toujours des étrangers. Le camp de Drancy, ouvert à cette fin dans la banlieue nord de Paris, leur est réservé. Jusqu’en 1943, il relève des seules autorités françaises et fonctionne comme centre d’internement juif à l’instar des camps dits de concentration de la zone non-occupée, dans le Sud de la France. Dès mai 1940, plusieurs milliers de « sus-
pects » déportés de Belgique – ils sont encore plus de 3.000 en été 1942 – y sont internés, les plus nombreux sont les fugitifs juifs du Grand Reich allemand, victimes de ce chauvinisme qui donne son brevet patriotique à une xénophobie officielle, mais anticonstitutionnelle. Il en est de même en France sous la 3e république à laquelle met fin l’avènement de l’État français du Maréchal Pétain. Sous le gouvernement de Vichy, dès octobre 1940, les réfugiés de l’exode, Juifs étrangers de France ou de Belgique, rejoignent ces camps ou sont assignés à résidence dans des Groupements de travailleurs étrangers. Si la xénophobie imprime sa lourde marque à l’antisémitisme d’État pratiqué d’initiative par la France, les Juifs de nationalité française ne sont cependant pas épargnés. Le 12 décembre 1941, la troisième rafle est certes allemande, mais, assistée de la police française, elle vise de préférence des Juifs français, plutôt des notables. 743 sont arrêtés et on prélève à Drancy 300 autres détenus pour atteindre le quota des 1000 déportés annoncés. Il ne s’agit pas encore du début des évacuations des Juifs de l’Ouest11. À Berlin, elles ne sont pas encore au programme du service antijuif de la Sécurité du Reich. Pour reprendre le mot d’Eichmann à propos d’une éventuelle déportation des femmes et des enfants juifs de Serbie en octobre 1941 (les militaires allemands les fusilleront, en conséquence comme les hommes l’ont d’abord été), les moyens techniques font défaut pour une telle entreprise qui, du centre, se conçoit à l’échelle européenne, dans le cadre des plans généraux. Les déportations envisagées en France sont, par contre, une initiative du commandant militaire de ce territoire occupé. Elles vi-
sent des éléments criminels judéo-bolchevicks et proposent une alternative à la sanglante politique d’exécution d’otages, ordonnée par Berlin sur injonction du Führer, en représailles d’attentats contre des militaires allemands. Au comble de cette répression, l’occupant fusille, le 15 décembre, une nouvelle série d’otages, cette fois, ils sont officiellement 100 – 95 en fait – qualifiés de juifs, communistes et anarchistes. Au moins 53 d’entre eux sont des détenus pris à Drancy. Quant à la déportation alternative, il faut attendre trois mois pour lever les obstacles à cette initiative militaire impromptue. Du 27 mars au 17 juillet, elle concerne en tout quelque 6.000 Juifs de nationalité étrangère ou apatrides, transférés des camps français au camp de concentration d’Auschwitz, le dernier convoi quittant Drancy, le lendemain de la rafle du Vel’ d’Hiv. Dans cette première déportation hors programme qui, même au dernier convoi, ne comporte aucun enfant et très peu de femmes, les déportés de France, les « Français » comme on dit en raccourci en gommant cette problématique politique des nationalités, ne subissent pas de sélection à l’arrivée à destination. C’est l’entièreté du convoi que le camp de concentration accepte et inscrit à sa matricule. Tous les déportés deviennent des Häftlingen, le matricule tatoué sur le bras gauche. Au contraire, les convois de l’évacuation des Juifs de l’Ouest, programmée le 11 juin 1942 à Berlin sur le mode d’une mise au travail à l’Est, sont autorisés à inclure 10% d’inaptes. À l’arrivée en rase campagne entre Auschwitz et Birkenau, les déportés juifs, les seuls à l’être, sont désormais filtrés, dès la sortie des trains. Les médecins SS l’opèrent
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Le Vel d’Hiv français dans la solution finale en Europe
encore sur la rampe. Ils ne retiennent pour le camp de concentration que les déportés juifs jugés aptes au travail de forçat, du moins dans le cas des hommes. Pour les déportées joue pleinement le primat idéologique. Dans le cas d’Auschwitz-Birkenau, il subordonne l’opportunisme pragmatique des besoins en maind’œuvre de l’économie de guerre aux impératifs de la disparation de ce peuple dont les femmes et les enfants sont, en conséquence, les cibles obligées. Le 19 juillet, le premier convoi de cette série fatidique, le septième parti de France, est encore formé en grande partie de Juifs arrêtés en 1941, les femmes y sont moins nombreuses et il ne comporte pas d’enfants en dessous de 16 ans. Convoi de transition parti dans le cadre de la décision du 11 juin 1942, il subit d’office la sélection meurtrière qui, pour la première fois avec des déportés juifs de France en dirige en l’occurrence 35%, dès leur descente du train, vers le centre de mise à mort12. À cette date, le lieu d’extermination n’est pas dans un camp, il est dissimulé dans la forêt de bouleaux hors du périmètre du camp de Birkenau, l’annexe du camp principal d’Auschwitz. Deux fermes paysannes, distantes l’une de l’autre, le constituent. Appelées bunkers 1 ou 2 dans le jargon SS, elles sont aménagées en chambres à gaz, mais ne sont par pourvues d’installation de crémation13. Les chambres à gaz-crématoires dont les ruines sont visibles sur le site muséal de Birkenau, mais en bordure du camp, ne fonctionnent qu’à partir de mars 1943 et ne concernent pas les déportations de l’été à l’automne 1942. Cette période-ci est cependant véritablement capitale. Le sort des Juifs de l’Ouest se joue dans ce court espace-temps des cent jours
de 1942. Des 73.853 Juifs de France acheminés vers l’Est, la plupart à Auschwitz-Birkenau, 56,8% – 41.951 personnes – y parviennent encore en 1942. Et, dans cette première année de l’extermination des Juifs de l’Ouest, 21.000 au moins – soit 50% – sont gazés dès l’arrivée. Le taux d’extermination immédiate est, dans le cas français, relativement bas, si l’on ose dire. La raison en est une déportation qui ne prend pleinement son caractère génocidaire qu’avec l’arrivée à Birkenau des enfants du Vel’ d’Hiv. Par contre, dans le cas belge, où la déportation est plus tardive et ne débute que le 4 août avec le départ du convoi n°1, le taux moyen d’extermination immédiate se situe à 64,4%, soit 10.708 gazés sur les 16.625 déportés de 1942. Proportionnelle plus qu’en France, les deux tiers des Juifs déportés de ce pays à Auschwitz-Birkenau le sont en cette année fatale. Les recherches effectuées pour le nouveau mémorial de la déportation des Juifs de Belgique permettent, grâce à l’informatisation des données, d’affiner cette approche statistique qui, trop globale, gomme les différences pourtant significatives, avec ses moyennes surfaites14. Si la mise à mort des déporté(e)s en atteint près des deux tiers, il faut, en effet, en rechercher l’explication dans la logique génocidaire des chiffres. Comme l’expose le chef des tueurs SS, Heinrich Himmler dans son fameux discours aux chefs du parti nazi le 6 octobre 1943 à Posen, c’est l’ordre de tuer les femmes et les enfants juifs qui fait la grave décision de faire disparaître ce peuple de la terre15. S’agissant du massacre au gaz à l’arrivée à Birkenau, l’historien ne dispose pas de données chiffrables pour ventiler le sort des déportés selon l’âge, mais il peut
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distinguer selon le sexe, c’està-dire les hommes et les garçons de moins de 15 ans d’une part, les femmes et les filles de l’autre. Dans le cas ‘belge’, à cet égard le plus finement analysé, le taux moyen d’extermination immédiate dépasse les 64% parce que systématiquement les hommes d’Himmler sélectionnent les femmes et les filles juives pour la chambre à gaz. En 1942, ce sont 79,8% des déportées de Belgique qui disparaissent à jamais après leur débarquement. La différence est considérable avec le sort des hommes et des garçons dont, en totalité, un sur deux est reconnu apte au travail de forçat et entre comme détenu dans le camp de concentration. Dans le cas belge aussi, c’est l’arrivée des enfants du Vel’ d’hiver qui fait la différence. Il n’y a bien sûr pas de Vélodrome d’Hiver ayant servi en Belgique de lieu de rassemblement. Mais les rafles de la solution finale se déroulent à Anvers sur le modèle du Vel’d’Hiv français16. En deux nuits, les 15-16 et 28-29 août, les SS allemands s’emparent, avec l’appui de la Feldgendarmerie et grâce à la coopération de la police belge, de 10% des Juifs d’Anvers, plus qu’à Paris, toutes proportions gardées. Il est vrai que dans la capitale belge, plus peuplée de Juifs que la métropole anversoise, les Allemands ne peuvent monter qu’une seule opération d’envergure avec leurs seules forces dans la nuit du 3-4 septembre, les bourgmestres bruxellois ayant refusé de prêter leurs agents à des arrestations illégales en regard du code pénal belge. Quelles qu’en soient les modalités, c’est la rafle qui fait la différence dans la solution finale. Avec l’arrivée des raflés d’Anvers à Birkenau, la mise au travail des Juifs de Belgique à l’Est bascule dans le judéocide. Le convoi
4, parti le 18 août – on gardera en mémoire ce temps de la mi-août – est exterminé le 20 août à 82,5% en moyenne, 86,5% des filles et des femmes étant gazées. La rafle avait livré 70% du convoi à la caserne Dossin, faisant grimper à 23,4% le pourcentage des enfants de moins de 15 ans. Cette présence massive d’enfants est la marque de la solution finale. Au départ de la déportation occidentale, les SS des affaires juives à l’Ouest n’ont pas été autorisés à incorporer les enfants en dessous de 16 ans même dans la tranche des 10% d’inaptes au travail. D’où la prudence inhabituelle du capitaine SS Dannecker, le frénétique Judenrefent de Paris, quand le maréchal Pétain et son vice-chef de gouvernement, Pierre Laval, proposent aux Allemands de prendre les enfants des Juifs étrangers à arrêter dans la grande rafle en préparation. 4.051 enfants seront pris avec leurs parents de nationalité étrangère ou apatrides pendant la grande rafle parisienne. Ils sont la monnaie d’échange pour le refus des Français de laisser la police nationale arrêter des Juifs de nationalité française et les livrer à l’occupant allemand. Le Maréchal Pétain préfère, selon ses termes, discriminer les Juifs français des Juifs étrangers. Le chef de l’État français juge que cette distinction est juste et, pariant sur la xénophobie – mais il se trompe –, il pense qu’elle sera comprise de l’opinion. Le 6 juillet, Dannecker, pris au dépourvu, s’en réfère d’urgence à Eichmann. Ce dernier met pourtant quinze jours pour trouver une réponse appropriée à cette demande inattendue, s’agissant de la déportation occidentale. Le 21 juillet, il autorise d’incorporer les enfants à partir du quinzième convoi de Juifs expédiés de Fran-
ce18. Le convoi n°15 quitte, le 5 août, la gare de Beaune-la-Rolande. Les raflés du Vel’ d’Hiv ont été internés dans le camp établi dans cette commune du Loiret, au sud de Paris, ainsi que dans celui de Pithiviers. Ce convoi de Beaunela-Rolande qui comprend des familles avec des enfants et plus de femmes que d’hommes est le premier parti de France dont le taux d’extermination à l’arrivée est de 69,5%, soit 704 personnes gazées sur les 1.014 déportés. Les enfants dont la déportation était attendue sont annoncés au service d’Eichmann au départ de Drancy du convoi 19 du 14 août, pour la première fois, signale le télex réglementaire adressé à la Sécurité du Reich. A l’arrivée, 871 déportés, les enfants compris, sont gazés sur 991 déportés, un taux d’extermination immédiate de 88,3. C’est le tournant de la déportation des Juifs de l’Ouest dont l’arrivée des convois à Birkenau précipite la plupart dans leur génocide et son immédiateté. * La disponibilité des autorités françaises et celles de leur police, engagées dès 1941 dans des arrestations massives expliquent, dans le cas de la France, l’option de la coercition pour la mise en route des trains à partir de ce pays. Aux Pays-Bas et en Belgique, le modus operandi est plus modulé, s’il comporte aussi le recours à la rafle. Celle-ci intervient en seconde instance. D’emblée, on table sur l’obéissance. La rafle aussi : elle implique que les Juifs restent à leur domicile légal inscrit au registre qui identifie leur race selon sa définition nazie. La rafle par contre, s’attaquant à tous, anonyme et aveugle, a l’effet pervers, du point de vue de son efficacité ultérieure, de généraliser
l’insécurité et de pousser les rescapés dans la clandestinité. De ce point de vue fonctionnel, même le succès de la rafle du Vel d’Hiv’ est problématique : le plan se fondait sur 27.391 fiches de Juifs de Paris et banlieue à répartir aux équipes de policiers et son taux de réalisation s’avère médiocre, situé à 40% à peine. À Amsterdam où 60% des Juifs néerlandais sont concentrés et, comme dans un piège, coupés du reste du pays par le contrôle du trafic ferroviaire de sortie, on tient à les garder sous la main. L’action démarre avec les employés du Joodsche Raad, le conseil juif, qui expédient par la poste sous recommandé les ordres individuels allemands de se présenter au camp de rassemblement pour une prestation de travail, l’Arbeitseinsatz. Le camp de Westerbork d’où le premier transport vers Auschwitz part le 14 juillet, attend ses déportés à raison de 600 par jour. Le programme ‘belge’ prévoit un rythme quotidien de 300 entrées à la caserne Dossin, le camp de rassemblement de Malines en Flandre (Mechelen en néerlandais). Les employés de l’Association des Juifs en Belgique – créée sur ordre de l’occupant et placée sous le contrôle exclusif de l’officier SS des affaires juives – distribuent à domicile pour le compte des Allemands les ordres de travail individuels. Très vite, le 1er août, les postiers de la solution finale joignent à la convocation individuelle un appel des présidents juifs de l’AJB et des communautés israélites locales invitant à obéir dans l’intérêt des familles et de la population juive toute entière. À Amsterdam, les SS ont rejeté la même suggestion du conseil juif20. Par mesure d’intimidation, la police d’ordre allemande a pris en otage 400 hommes et 240 femmes, la veille du dé-
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Le Vel d’Hiv français dans la solution finale en Europe
part du premier convoi en vue de les envoyer dans un camp de concentration en Allemagne, une menace qui parle à la mémoire des Juifs amstellodamois21. Sauf 50 déportés, la plupart des otages, y compris 31 employés du conseil juif, seront libérés. Trois semaines après, les Schupos opèrent, le 6 août, un deuxième raid d’intimidation sur Amsterdam et s’emparent à leur domicile d’environ 1.600 Juifs. A leur tour, le 9, les SS de la police de sécurité, souvent en civil, viennent en arrêter chez eux. Jouant de tous les registres, ils acceptent, à l’intervention du conseil juif, d’en libérer un millier. Le système de la convocation épuise cependant ses ressources et on passe aux arrestations systématiques sur liste, maison après maison. Elles débutent le 2 septembre, effectuées par la police municipale néerlandaise. Le malaise parmi les officiers oblige au début d’octobre à recourir à des détachements d’auxiliaires d’Ordre nouveau organisés dans les structures même de la police néerlandaise en voie de nazification. Le processus est du même ordre en France où la Milice prend bientôt le relais des arrestations que la police française négocie désormais au coup par coup depuis les protestations publiques des évêques à la fin de l’été 1942, indignées par l’arrestation des femmes et des enfants, même étrangers. En Belgique aussi, il faudra, à raison de l’insoumission des réfractaires, passer aux rafles, dès la mi-août. On connaît déjà les deux rafles nocturnes d’Anvers, le 15 août (845 raflés déportés) et le 28 (943 raflés déportés) avec le concours de la police belge. Une 3e rafle, véritable chasse à l’homme à travers la ville, se déroule en plein jour, les 11 et 12 septembre
(745 raflés déportés). Cette opération annonce la traque des clandestins qui, dès la fin de septembre, deviennent trop nombreux pour ignorer ce phénomène préoccupant. Pour les débusquer, une quatrième rafle a lieu les 22 et 23 septembre (761 raflés déportés). Les SS allemands, appuyés par la Feldgendarmerie et un renfort de SS flamands, utilisent les services de ravitaillement d’Anvers comme traquenards pour se saisir des Juifs venus retirer les feuilles de timbres mensuelles, munis de leurs papiers d’identité légaux qui, estampillés de la marque Jood-Juif les dénoncent. Cette focalisation sur Anvers qui n’est plus en 1942 la ville ‘juive’ la plus nombreuse s’explique par la disponibilité des autorités belges locales et de leur police. Tantôt, celle-ci s’en tient à verrouiller la zone de la rafle où opèrent les Allemands; tantôt elle pratique seule les arrestations; tantôt encore, elle prend en charge des Juifs arrêtés par les Allemands. Le 3 septembre, une seule rafle nocturne (660 raflés déportés) peut être organisée dans la capitale avec les seules forces allemandes. Le refus des bourgmestres de prêter les 150 agents demandés oblige les officiers SS en poste à réduire leurs ambitions antijuives. D’Amsterdam à Bruxelles en passant surtout par Anvers, la rafle intervient au moment crucial des déportations et pour en précipiter le cours comme un catalyseur paradoxal : tantôt elles persuadent les déportés convoqués à obéir, tantôt, à l’inverse, elles sanctionnent l’échec de la convocation en raison de l’insoumission croissante des réfractaires. Ceci étant, en dépit de l’ampleur de leurs ravages qui, quasi d’un coup, remplissent un convoi, les arrestations les plus nombreuses sont néanmoins ces Einzelaktio-
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nen ces actions isolées du texte allemand qui les différencient des razzias22. Dans le cas belge, 56,4% des déportés (soit 14.248 personnes) ont été pris dans ces circonstances. Les rafles des Juifs en Belgique en livrent beaucoup moins, 17,9%. On ne saurait à cet égard sous-estimer les ressources de l’obéissance appuyée par la docilité de l’AJB : 15,9% des déportés, 4.203 personnes, se présentent de leur gré au camp de rassemblement. Les rafles qui focalisent tant l’attention nécessitent d’être resituées dans le contexte du rassemblement des déportés et, de ce point de vue, le cas belge montre combien les modalités en sont diverses. Même la rafle se décline sur différents modes. Mais, sous peine de le banaliser, le mot doit conserver sa dimension d’arrestations massives et s’appliquer à des actions d’envergure sous peine de manquer l’essentiel23. C’est cette ampleur qui fait la rafle avec son indifférenciation. Celle du Vel’ d’Hiver, toute considérable qu’elle soit, n’est pas pour autant la plus remarquable. Le modèle est antérieur aux grandes déportations. C’est la rafle de la Nuit de Cristal, le 10 novembre 1938. On sait que les miliciens nazis déguisés en civil déchaînent leurs violences à travers l’Allemagne, brulant les synagogues et dévastant les magasins, vitrines brisées, tuant aussi 91 Juifs. A son tour, la police de sécurité et les SS entrent en action. Il s’agit, pour les hommes d’Himmler, de donner avec la force coercitive nécessaire le coup d’accélération décisif à la politique d’émigration forcée des Juifs. Encore dans la nuit, les détachements en arrêtent 20.000 à travers le pays, des hommes seulement, spécialement des riches, précisent les instructions de Rein-
hardt Heydrich, chef du service de sécurité de la SS et de la police de sécurité : ils seront internés dans les camps de concentration dont le nombre de détenus double en cette circonstance. Mais la plupart – plusieurs centaines meurent dans cette épreuve – pourront finalement quitter le pays pour autant qu’’ils cèdent leurs biens au Grand Reich allemand. Arrestation de masse, la rafle des Juifs trouve son modèle le plus meurtrier dans le ravin de Babi Yar, les 29 et 30 septembre 1941. Occupant Kiev depuis 10 jours, les Allemands ordonnent, par affiche, aux Juifs de la ville de se présenter au point de rassemblement prévu – près d’un cimetière – en vue de leur transplantation, le matin du 29 septembre sous menace d’être abattus s’ils sont trouvés en ville. Conduits à quelques kilomètres, dans le ravin de Babi Yar, 33.771 y sont fusillés en deux jours, la plus grande tuerie du judéocide. Dans le gouvernement général de Pologne, l’évacuation des Juifs déjà rassemblés dans des ghettos urbains donne lieu à une autre forme de rafle tout aussi meurtrière. À Varsovie, le repeuplement à l’Est se déroule, à partir du 22 juillet 1942 et, au rythme échevelé de convois quotidiens de 5.000 déportés, le ghetto est vidé d’environ 300.000 de ses habitants en moins de 3 mois. À l’œuvre, les forces de police allemandes, leurs auxillaires baltes ou ukrainiens, la police municipale polonaise également et, le dernier mais non le moindre, le service d’ordre juif. Ils les acculent, de gré ou de force, à se rendre à l’Umschlagplatz, la place d’embarquement. Les trains en partent vers le centre de mise à mort de Treblinka, à une centaine de km à l’est de Varsovie. Ici, comme à Babi Yar, il n’y a pas de sélection et aucune préoccupa-
tion pragmatique n’altère l’impératif idéologique. À la différence d’Auschwitz qui à cet égard n’est pas le modèle que d’aucuns prétendent y voir, le convoi tout entier passe à la chambre à gaz. La rafle est immédiatement génocidaire, si on prend le mot au sens étymologique. C’est aussi en définitive le sens profond de la grande rafle occidentale du Vel’ d’Hiv que ponctue le sort des femmes et des enfants à leur arrivée à Birkenau. ■ * Professeur à l’Institut d’Études du Judaïsme de l’Université libre de Bruxelles La base de cet article est ma contribution de l’entrée « Rafle » dans le Dictionnaire de la Shoah, dirigé par Georges Bensoussan, Jean-Marc Dreyfus, Edouard Husson, Joël Kotek, Larousse, 2009. 2 L’audiométrie donne 3.478.000 téléspectateurs, soit 13.7% de parts de marché. La chaîne publique fait mieux que La nouvelle star, concours de chanson, sur M6. 3 On lira sur Wikipédia, à l’article « La Rafle (film, 2010) », un aperçu fort large de sa réception pour le moins mitigée dans la presse française, voire internationale. 4 On ne dispose que de la seule image des autobus parqués le long du Vel d’hiv. L’image souvent utilisée d’un Vel d’Hiv peuplé de personnes en attente est à contre-emploi. Serge Klarsfeld a signalé en vain qu’on n’y voit aucun enfant, aucune étoile jaune. Dans Paris libéré, le Vel d’Hiv a servi de lieu d’internement des collaborateurs. Voir Serge Klarsfeld, « la couverture photographique de la rafle du Vel’ d’Hiv », in de Serge Klarsfeld, Le calendrier de la persécution des Juifs en France 1940-1944, édité par Les fils et filles des déportés juifs de France et par The Beate Klarsfeld Foundation, Paris, 1993, pp.289-304. 5 Jean-Paul Duchâteau, « La rafle », La libre Belgique, mise en ligne le 15 mars 2010. 6 On se souviendra du film de l’Américain Joseph Losey en 1976, Monsieur Klein avec Alain Delon dans ce rôle. La rafle avec ses policiers parisiens et leurs képis d’époque sert de décor à l’histoire ambigüe d’un collectionneur piégé par son nom à consonance juive. Juif malgré lui, il est raflé et emprunte l’itinéraire des Juifs parisiens qu’il dépouillait. 7 François Mitterand fera ériger en 1994, un monument en bordure du quai de Grenelle, dénommé square de la place des Martyrs-Juifs-du-Vélodrome-d’Hiver, à Paris. 8 Le Nouvel Observateur, n° 1445, 1
16/07/1992, p 18. 9 Maurice Papon, secrétaire général de la préfecture de la Gironde à l’époque des faits, mais aussi ancien ministre de la 5e république lors de son procès, est condamné le 2 avril 1998 pour complicité de crimes contre l’humanité, soit d’arrestation et de séquestration. La cour d’assises de la Gironde ne retient sa culpabilité que dans le cas de 72 déportés parents des parties civiles à ce procès. Du camp de Mérignac, près de Bordeaux, quelque 1500 Juifs ont été transférés à Drancy et déportés vers Auschwitz. 10 Mais elles ne suffisent pas à la tâche. En zone libre, tandis que les camps sont vidés de leurs Juifs, une grande rafle est menée le 26 août 1942 en zone non-occupée. Elle s’empare de 6 584 Juifs étrangers, mais sera considérée comme un maigre résultat. 11 Les historiens font généralement débuter la déportation de France, le 27 mars 1942. Faute de suivre les déportés jusqu’à leur arrivée à Auschwitz-Birkenau et de prendre en compte leur sort, ils confondent les transferts de Juifs dans un camp de concentration avec leur déportation vers l’Est, c’est-à-dire une déportation génocidaire emportant des femmes et des enfants voués aux chambres à gaz, après leur débarquement à Birkenau 12 Les chiffres cités ici proviennent de Serge Klarsfeld, Le calendrier de la persécution des Juifs en France 1940-1944, ouvrage cité, notamment pp. 1122 à 1125. 13 On lira l’analyse des sources documentaires de l’extermination des déportés juifs de l’Ouest dans Maxime Steinberg, Les yeux du témoin et le regard du borgne – L’histoire face au révisionnisme, Le Cerf, Paris, 1990. L’ouvrage est désormais accessible intégralement sur le Web. 14 Voir la synthèse historique de Maxime Steinberg et de Laurence Schram, « Malines-Auschwitz : La destruction des Juifs et des Tsiganes de Belgique », ainsi que « L’historique des transports 1942-1944 », in Ward Adriaens, Maxime Steinberg, Laurence Schram, Patricia Ramet, Eric Hautermann, Mecheln-Auschwitz, 1942-1944, VUBPress-Musée juif de la déportation et de la Résistance à Malines, Bruxelles, 2009, 4 volumes, éditions trilingues néerlandais, français, anglais, 18.522 portraits de déportés,1600 p. 15 Heinrich Himmler, Discours secrets, Gallimard, Paris, 1978, p. 167-168. 16 J’avais mis ce point en exergue dans les conclusions de ma thèse de doctorat, voir L’étoile et le fusil, La traque des Juifs 1942-1944, La Vie ouvrière, 1987, vol.2 du 3e tome. J’avais aussi souligné en conséquence que l’adhésion de l’appareil d’État à l’ordre nouveau n’était pas la condition indispensable à la pleine efficacité de l’action des SS des affaires juives (p.260). C’est ce que j’ai appelé par
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brèves de diasporas
➜ après le paradoxe français dans la solution finale à l’Ouest, in Présence du passé, lenteur de l’histoire, Vichy, l’Occupation, les Juifs, in Annales, Economies, Sociétés, Civilisations, n°3, mai-juin 1993, pp. 567-582. 17 Conseil des ministres, le 3 juillet 1942, in Serge Klarsfeld, Vichy-Auschwitz, le rôle de Vichy dans la solution finale de la question juive en France, Fayard, Paris, 1983, vol. 1, p. 232-233. Comme le montre justement l’historien français, la rafle en zone nonoccupée des Juifs étrangers provoquera la « résistance sans pareil de l’Église », selon le mot de Laval en personne, voir le rapport du lieutenant SS Röthke sur l’évacuation des Juifs de zone non occupée, le 1.9.1942, ibidem, pp. 407-409. 18 Voir le rapport de Dannecker du 21 juillet 1942, in Serge Klarsfeld, Vichy-Auschwitz, ouvrage cité, p. 278. 19 Voir le convoi n°19 en date du 14 août 1942, in Serge Klarsfeld, Le calendrier, ouvrage cité, pp. 402 et 1122 20 S’agissant des Pays-Bas, on se réfère principalement aux travaux de Pim Griffioen et de Ron Zeller, et notamment à leur National report within the framework of the interdisciplinary research project holocaust and ‘polycracy’ in western europe, 1940–1944, Université de Constance, avril 2001. 21 Les 22 et 23 février 1941, 600 Schupos de la police d’ordre sont lâchés sur le quartier juif d’Amsterdam dans une démonstration de violences extrêmes. Ils n’arrêtent toutefois pas plus de 425 Juifs, des hommes âgés de 20 à 35 ans. Ces représailles ciblées répliquent à une nouvelle échauffourée survenue, le 19 février, dans le quartier juif avec des policiers allemands. À leur tour, elles provoqueront une grève générale, unique en Europe et sauvagement réprimée. Une rafle aura encore lieu, le 12 septembre à Twente, à l’est du pays : les 110 Juifs arrêtés sont transférés peu après au camp de concentration de Mauthausen. Ils y rejoignent les déportés de février, du moins les survivants de 4 mois de captivité à Buchenwald. Mauthausen et l’escalier infernal de sa carrière auront raison d’eux et on ne manquera pas de faire savoir leur décès aux Pays-Bas. 22 NG-5219. Dienststelle des Auswärtigen Amtes. Brüssel. Betr. : Juden in Belgien, Brüssel, 11/11/1942 gez. Bargen, in Serge Klarsfeld & Maxime Steinberg, Dokumente, Die Endlösung der Judenfrage in Belgien, The Beate Klarsfeld Foundation, New-YorkParis, (1980), pp. 54-55. 23 On a beaucoup épilogué sur la rafle dite d’Izieu, à propos du procès de Klaus Barbie à Lyon en 1987. Il s’agit en fait d’une descente domiciliaire le 6 avril 1944 au home juif toujours légal où les Allemands s’emparent de 44 enfants et 7 adultes qui seront déportés, un seul survivant.
QUI EST QUI ? Le recensement décennal américain effectué au mois de mars définit 4 catégories « raciales » (Blanc, Noir, Amérindien, Asiatique) et une « ethno-linguistique » (Hispaniques) de base. Les subdivisions pour les Asiatiques et Hispaniques ainsi que la possibilité d’appartenances multiples portent le choix à 29 catégories et 126 options au total. Ni les Juifs ni les Arabes ne sont mentionnés (les Juifs l’étaient avant-guerre). Le recensement canadien, à l’opposé, mentionne la religion et l’« ethnicité ». L’identité juive y est reconnue sous ces deux critères. Suite aux recommandations des experts juifs consultés, la personne qui choisirait l’ethnicité juive et une religion n’exigeant pas de conversion comme le boudhisme est comptée comme juive mais non celle qui se signalerait comme adepte d’une religion « à conversion ».
TROP RESSEMBLANT L’araméen est toujours parlé dans trois villages syriens au Nord-Ouest de Damas par 15.000 villageois majoritairement grecscatholiques. Le gouvernement, désirant soutenir la pratique de la langue, a récemment créé un Institut araméen d’enseignement. La presse syrienne ayant suggéré que l’alphabet araméen présentait une « étrange » ressemblance avec l’alphabet hébraïque, l’Université de Damas dont dépend cet Institut a mis fin à ses activités. Les enseignants espèrent néanmoins que les cours reprendront ultérieurement.
D’UNE PAGE À L’AUTRE Le ministère irakien du Tourisme et des Antiquités a accusé Israël d’avoir volé ces dernières années 300 livres juifs (dont un
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commentaire du Livre de Job datant de 1487) qui se trouvent actuellement au Babylonian Jewry Heritage Center israélien et en exige la restitution. Ces livres avaient été confisqués par le régime baasiste. Plusieurs milliers d’autres ouvrages ont été transférés provisoirement, en accord avec les autorités irakiennes, aux États-Unis où ils ont été restaurés. La Bibliothèque nationale et universitaire juive de Jérusalem (JNUL) désire entrer en possession de la collection Günzburg qui est considérée comme étant la plus importante au monde de livres anciens hébraïques après celle d’Oxford. Après le décès du baron Günzburg en 1910, des activistes sionistes purent acquérir, pour un montant d’un demimillion de roubles, la collection à destination de la Bibliothèque du Bnei Brit, ancêtre de la JNUL. La 1ère guerre mondiale rendit le déménagement impossible et en 1917, le pouvoir soviétique confisqua la collection. La question a pu être réexaminée suite aux négociations portant sur l’immeuble Sergei à Jérusalem, datant des années 1890 et dont la Russie revendique la propriété.
TROP TARD ? Le département irakien des Antiquités et les autorités shiites projettent la construction d’une mosquée sur le site de la Tombe attribuée au prophète Ézechiel (et anciennement lieu de culte juif), arguant de ce qu’Ézechiel étant décrit dans le Coran comme musulman, le site ne peut être considéré comme juif. Des inscriptions hébraïques l’ornant ont déjà été effacées ou recouvertes. Un dignitaire religieux shiite local a cependant dénoncé l’opération. ■
lire Les derniers jours de Stefan Zweig. Du réel à la littérature TESSA PARZENCZEWSKI
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ombreux sont aujourd’hui les écrivains qui revisitent les biographies de personnages illustres pour nourrir leur propre création. Ravel, Mandelstam, Benjamin, Bruno Schultz, Virginia Woolf, Sylvia Plath, Camus et… Jan Karski, avec la polémique que l’on sait, hantent la littérature contemporaine. Questionnement de périodes troublées, plongées dans les affres intimes, chaque écrivain transpose, et métamorphose, à distances varia-
bles, les données d’un réel souvent insaisissable. Parfois l’auteur ne cadre qu’un moment d’une vie, fragment essentiel qui cristallise à lui seul un long parcours. C’est à cette tâche que s’est attelé Laurent Seksik, sur les traces ultimes de Stefan Zweig. Exilé à Londres en 1934, traqué, en proie à un désespoir grandissant, Stefan Zweig, accompagné de sa jeune épouse, quitte l’Angleterre pour les ÉtatsUnis et les États-Unis pour le Brésil, dans une fuite angoissée, à la recherche d’un havre suffisamment éloigné de la vieille Europe envahie par la barbarie. Mais si Pétropolis semble un refuge sûr, en cette année 1941, les échos des massacres perpétrés en Pologne, les nouvelles du sort de ses amis pris dans la nasse à Vienne et à Berlin, rongent la quiétude trompeuse de l’écrivain. Banni de son pays et de sa langue, ses livres brûlés, Zweig s’enfonce dans une mélancolie inexorable qui ferme la porte à toute issue. Désespéré de l’humanité, Stefan Zweig met fin à ses jours avec Lotte sa femme, le 22 février 1942. De cet épilogue tragique et des mois qui précédè-
rent, Laurent Seksik rend compte scrupuleusement. Aucun ami célèbre ne manque à l’appel. Evocations de Rilke, Freud, Romain Rolland, Jules Romains, rencontre avec Bernanos. Allusion à Benjamin, à Toller. Le carnet est complet. De même, les paysages, l’effervescence de Rio, le carnaval et les spécialités culinaires brésiliennes sont dépeints avec minutie. Mais tout cela ne fait pas de la littérature. Ce n’est pas l’écriture qui est en cause, elle est fluide, classique. Mais à aucun moment nous ne sommes touchés. Aucune vibration. Aucun frémissement. Les états d’âme de Stefan et de Lotte restent prisonniers du papier. Jamais les personnages ne nous happent, ne nous entraînent dans leur tragédie. Un roman très documenté, mais trop de documentation tue. Une œuvre appliquée, presque scolaire, aux discours démonstratifs, comme un vêtement dont toutes les coutures sont apparentes. Pour connaître Zweig, mieux vaut lire Le monde d’hier, une passionnante autobiographie qui brasse l’intime et l’universel, le doute et l’ambiguïté, et qui reflète toute l’effervescence viennoise d’avant le désastre. ■ Les derniers jours de Stefan Zweig Laurent Seksik Flammarion 187 p., 17 EURO
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lire, regarder, écouter Notules d’avril GÉRARD PRESZOW
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on pas un rire aux éclats mais le sourire d’un contentement passager, d’un accord furtif au monde ; tendre une joue vers une lumière rasante, une lumière chaude et rare qui fait son trou dans un gris irréversible, à travers la chape qu’on croit éternelle, cette fois encore, d’un hiver qui n’en finit pas ; non pas une promenade à la campagne mais une marche le long d’une des nombreuses autoroutes urbaines qui saignent Bruxelles. Et entrer dans un hôtel de maître du 19è – l’hôtel Charlier – meublé, décoré et habillé de ce sièclelà. Aux murs, huiles et aquarelles, de petits et moyens formats : portraits, autoportraits, scènes de genre (la visite à l’atelier, l’estaminet, la serveuse, la conver-
l’on mette les pieds pour regarder, on prend toujours la place du frère et quand bien même l’on voudrait voir la peinture d’un frère de face et l’autre le regardant de dos, vous êtes encore surpris à ne pas savoir ; un gentil tournis. Vous en souriez encore… *
Pieter Oyens, la cruche (merci au Musée Charlier)
sation, la lecture, la nuit de noces…). Des visages plutôt bien en chair, des personnages truculents, la gaudriole bourgeoisement à fleur d’habit et de nombreux clins d’œil de connivence supposée. Le sourire persiste. Une cruche. Si pleine qu’elle paraît déborder du cadre. Et à côté, le peintre peignant la cruche. Mais qui a peint le peintre peignant la cruche ? Si ce n’est l’un, c’est l’autre des jumeaux Oyens. Si ce n’est Pieter (1842-1902), c’est David (1842-1894). On dit que l’inspiration de Pieter s’est tue avec la mort de son frère. À chaque fois que je m’arrête devant un tableau, j’ai l’impression d’écraDavid Oyens, le peintre peignant la cruche (merci au ser une ombre ; où que Musée Charlier)
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Cela se passe à Recyclart. Dans une arrière-salle obscure de bistrot, l’ancienne salle des guichets de la gare de la Chapelle. Sur nos têtes roulent des trains. Les vrombissements sourds vont, viennent. Ils rappellent les mêmes sons dramatiques du Dibbouk, joué il y a de cela bien longtemps (1979), dans l’église des Brigittines toute proche, transformée pour l’occasion en synagogue de carton pâte. Simon Zaleski et Hélène Lapiower y incarnaient le couple d’outre-tombe mis en scène par Moshe Leiser. Aujourd’hui, Baudouin de Jaer, compositeur et violoniste, a pris au sérieux les partitions à 6 portées d’Adolf Wölfli (1864-1930) dont certaines sont visibles au musée Art & Marges. Un concert de 45’, voilà, c’est fini, à jamais passé. Adolf Wölfli a vécu la moitié de sa vie en hôpital psychiatrique, à Berne. Il laisse des milliers de feuilles recouvertes de signes divers (dessins, écriture, musique). Des liasses que le psychiatre Walter Morgenthaler s’exerça à valoriser et à conserver. Jamais je n’eusse cru que ces partitions étaient interprétables. Je ne les
de me dire « tiens voilà une bonne façon d’apprendre l’anglais » –… mais nous ne sommes pas ici pour ça. Le professeur, le guide, l’historien explique comment, ici, furent arrêtées les modalités de la Solution finale au cours de la conférence tenue dans cette villa de goût, * dans cette pièce même, au bord Dehors, les pre- du lac de Wansee, en lisière de miers piaillements Berlin. Vous diriez le cadre chamdu printemps. D’ici pêtre et cossu du lac de Genval je peux voir à tra- en lisière de Bruxelles… (À partir Baudouin de Jaer devant une partition d’Adolf Wölfi. Photo gépé vers la fenêtre des de la station Wansee du S-Bahn, avais jamais vues et considérées reflets scintillants à la surface de prendre le bus jusqu’à Haus der que comme des dessins ou, à la l’eau. Au milieu de la pièce, une Konferenz). limite, comme une muAu cœur de la ville, les architectures du Mémorial sique imaginaire entre l’auteur et lui-même, et du Musée juif jouent cuseul apte à l’entendre. rieusement d’un même rePour s’entendre avec gistre : faire éprouver au visiteur une expérience senlui-même ? Voilà qu’un musicien bruxellois les sorielle de perte de repères rend plus qu’audibles : par le vertige, l’enfermement sonores ! Réelles dans le claustrophobe, les changebattement d’air. Un réments de niveaux, les voies de circulation penchées, les gal. Il fait envoler ces notes et croches comme contrastes marqués d’ombre autant de ballons d’enet de lumière. Jusqu’à nous fance. couper du monde tout en préservant les sources extéÀ travers la fenêtre de la villa de la Conférence de Wansee. rieures de son et de lumière. Photo gépé De vie. ■ * grande table et des lycéens, en Après Le citronnier d’Eran voyage scolaire, Riklis, après La visite de la fan- assis tout autour. fare d’Eran Kolirin, après Les Ils sont silencieux méduses d’Edgar Keret et Shi- sans être avachis ra Geffer, après La bulle d’Ey- : ils ont l’air stutan Fox, après Les sept jours de dieux et intéresRonit et Shlomi Elkabetz, après sés. Au mur, des Valse avec Bachir d’Ari Folman, photos de civils et bien après Kaddosh d’Amos Gitaï, de militaires. Un après Beaufort de Joseph Cedar monsieur explique (pas arrivé jusqu’à Bruxelles), voi- en anglais, avec ci Ajami de Scandar Copti et Ya- les mots bien déron Shani et Lebanon de Samuel tachés et pas cockney pour un sou, Maoz … Moralité : pour comprendre le quasi du global cœur d’Israël et ses palpitations, english – au point Musée juif de Berlin. Photo gépé mieux vaut aller au cinéma que lire les communiqués du CCOJB et écouter Radio Judaïca.
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diasporas Wilders, les musulmans, les Juifs et la méritocratie LAURENT CHAMBON Docteur en sciences politiques et spécialiste des minorités en politique et dans les médias, Laurent Chambon a siégé pour le Parti travailliste à Amsterdam Oud-Zuyid de 2006 à 2010. Il est chercheur à l’Université de Poitiers pour le projet MinorityMedia et co-fondateur du site Minorités sur lequel cet article sera également publié (www.minorites.org/index.php/1-accueil.html)
I
l y a trois sujets à éviter absolument dans les conversations aux Pays-Bas, en particulier à Amsterdam, tant ils sont chargés émotionnellement : (1) la montée de Geert Wilders et de son Parti pour la liberté (PVV), (2) l’islam, les Marocains, les Turcs et les musulmans, et (3) la communauté juive. Vous imaginez à quel point le rapport entre Wilders et la communauté juive néerlandaise (principalement amstellodamoise) est un sujet absolument indiscutable. Et pourtant, l’UPJB et Minorités m’ont chargé de me pencher sur lui.
UNE RELATION TOTALEMENT DYSFONCTIONNELLE Ce n’est un secret pour personne que les Juifs des Pays-Bas, en particulier d’Amsterdam (Mokum en amstellodamois, dit aussi « la ville juive »), ont eu une histoire terrible, et le rapport entre la Hollande et ses Juifs est loin d’être apaisé. La plupart d’entre eux ont été déportés activement par l’appareil d’État néerlandais pendant la guerre pour être livrés aux Al-
lemands, et comme les nouvelles récentes l’ont rappelé, même les survivants n’ont pas été les bienvenus quand ils sont rentrés des camps. Selma Engel-Wijnberg, rescapée de Sobibor et chassée des Pays-Bas en 1945 pour finalement trouver refuge aux ÉtatsUnis en 1951, a obtenu les excuses officielles du gouvernement néerlandais. En 2010. Elle les a refusées car elles sont arrivées bien trop tard. Alors que les derniers survivants de cette terrible histoire sont en train de disparaître, le niveau d’antisémitisme de la société néerlandaise m’étonne toujours. Quand Nicolas Sarkozy a jugé utile de nommer un coordinateur spécial à cause de la montée des actes antisémites en France, les Juifs néerlandais sont confrontés à un nombre d’actes antisémites proportionnellement quatre fois plus important. Pourtant, pas un mot de quiconque, surtout pas de la classe politique. Au quotidien, la violence symbolique envers les Juifs est comme une habitude : on parle de Joodse fiets pour un vélo qui ne fonction-
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ne pas bien, un Joodse fooi pour un pourboire trop pingre. Alors que les Néerlandais trouvent de telles remarques parfaitement normales, surtout lorsqu’ils sont onderonsje « entre soi », je suis à chaque fois extrêmement choqué et rougis toujours violemment. Tout le monde sait très bien ce qui s’est passé il y a 70 ans à Amsterdam, mais personne ne semble se rendre compte de l’obscénité de telles expressions. Au sein de la petite communauté juive néerlandaise, les rapports avec la patrie sont compliqués : on y trouve beaucoup d’amertume envers tous ces compatriotes qui l’ont trahie, une grande fierté d’avoir réussi une intégration exemplaire après tant de siècles de discriminations, un amour pour Amsterdam et l’un des pays les plus libres du monde, mais aussi une vive irritation dès qu’il est question d’islam. À raison, certains vivent l’islamophobie comme un avatar de l’antisémitisme, d’autres vivent l’antisémitisme des Marocains comme une agression de trop, et la complexe question israélo-palestinienne n’est
pas là pour apaiser les choses.
WILDERS, LES COLONIES ET LE NATIONALISME INDO Le Groene Amsterdamer a révélé ce dont on se doutait déjà : Geert Wilders n’est pas né blond. En fait, il a quelques ancêtres juifs, et surtout indonésiens. Luimême a toujours entretenu un flou artistique sur ses origines, voire, comme le démontre l’anthropologue Lizzy van Leeuwen pour la revue progressiste, un peu menti ou arrangé les faits pour occulter son indonésianité. Je pense que deux éléments-clés sont essentiels pour comprendre le personnage et la portée réelle de ses propos au sein de la société néerlandaise : la haine de soi, et le passé colonial. La paranoïa de Wilders envers les musulmans entre totalement en résonance avec la zelfhaat, cette haine de soi, néerlandaise, et juive néerlandaise, qui est projetée depuis une décennie sur les Marocains, après l’avoir été sur les Allemands. Son passage dans un kiboutz israélien dans sa jeunesse ne l’a pas aidé, et forme même d’après ses biographes un moment important dans la construction de sa personnalité politique. On ne déteste jamais les autres aussi bien que quand on se déteste soi-même. Plus important encore chez Wilders est la haine de soi issue de l’histoire coloniale néerlandaise. Les Indo’s, comme on les appelles aux Pays-Bas, ont été les victimes du drame de la décolonisation, qu’on peut comparer à celui de nos Harkis : néerlandisés, christianisés, très souvent mélangés avec des cadres coloniaux néerlandais, les Indo’s ont été ra-
patriés en urgence lors de la pénible décolonisation avec la promesse qu’on libérerait leur pays et qu’ils reviendraient au pouvoir. Beaucoup d’Indo’s se sont réfugiés dans l’attente d’un retour qui n’est jamais venu, se sont raccrochés aux valeurs coloniales racistes qui avaient justifié leurs petits privilèges aux Indes Orientales, et ils n’ont jamais accepté l’évolution de la société néerlandaise. Ils sont devenus plus nationalistes que les natifs, plus racistes aussi, et de plus en plus islamophobes. Là-dessus s’ajoute le combat entre les élites traditionnelles indonésiennes, fortement hindouisées (portant souvent des noms d’origine indienne), puis néerlandisées, et les nouvelles élites musulmanes, arabisées jusque dans leurs noms. Comme dans beaucoup de pays en proie à la colonisation européenne, l’islam a joué un rôle important dans la justification du combat indépendantiste, et est donc devenu un objet de fixation pour les anti-indépendantistes. On ne retrouve pas pour rien beaucoup d’Indo’s dans tous les mouvements ultra-nationalistes néerlandais, que ce soit au sein des Hell’s Angels, dans l’ancien Parti du Centre (Centrumpartij), et dans la plupart des réseaux d’extrême droite plus ou moins racistes. Les journalistes qui ont enquêté sur Wilders soulignent à quel point son histoire familiale (en particulier la partie indonésienne) permet d’expliquer à la fois les poussées nationalistes du leader du Parti pour la Liberté, mais avant tout son obsession islamophobe. On comprend aussi qu’il s’agit de la sortie du placard d’un mode de pensée qui avait été occulté depuis la guerre d’indépen-
dance, combattu pendant les années fastes du Parti du Centre, mais qui n’avait jamais disparu.
SIONISTE MAIS PAS SEULEMENT La liste de candidats PVV pour les prochaines élections législatives révèle clairement à qui Wilders fait du pied : outre les militaires et policiers en place plus ou moins éligible, la deuxième sur la liste est Fleur Agema, et le cinquième est Gidi Markuszower. La première avait rendu un rapport violemment culturaliste sur la jeunesse marocaine et est toujours présente dès qu’il s’agit de faire un lien entre criminalité et islam, et le deuxième a été porte-parole du Likoud néerlandais, arrêté pour port d’arme à une cérémonie pour les 60 ans d’Israël. Le leader du PVV cherche à mobiliser en sa faveur une communauté juive angoissée (à raison, selon moi) et une droite néerlandaise militariste et nationaliste, qu’elle soit d’origine batave, indo ou juive, sur la question de la sécurité et de l’islam. Wilders n’est ni le premier, ni le dernier : la voie a été tracée par Dewinter à Anvers, qui a utilisé exactement les mêmes armes rhétoriques, et est depuis suivie par Marine Le Pen en France, qui a clairement désavoué son père sur la question du racisme et de l’antisémitisme. Wilders a des racines dans l’extrême-droite coloniale et raciste, mais comme Marine Le Pen il a dépassé l’antisémitisme, le sexisme, le racisme ou l’homophobie de l’extrême-droite de papa pour s’orienter vers un discours plus social, largement plus ouvert aux minorités ethniques et sexuelles, mais toujours très islamophobe.
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➜ Il dénonce l’homophobie de certains imams comme le violent antisémitisme de la jeunesse marocaine : en cela, il est très très loin de Jean-Marie Le Pen. Intrigué, j’ai réussi à parler à quelques Amstellodamois à la fois juifs et pro-PVV. À ma grande surprise, je ne suis pas tombé sur des membres de milices d’extrêmedroite, mais sur les enfants de la classe moyenne amstellodamoise, angoissés par les mêmes problèmes que la jeunesse batave des polders.
MÉRITOCRATIE ET ORDRE RÉPUBLICAIN J’ai pris un verre sur une terrasse ensoleillée avec N., un sympathique jeune homme qui s’est avéré très cultivé et très au fait de l’histoire néerlandaise, une chose rarissime aux Pays-Bas. On a parlé Révolution française, République batave, combinaisons gouvernementales possibles avec Cohen et Wilders, le VVD et le D66, émancipation par l’école publique, homophobie et chute de Wouter Bos. On a parlé de ses ancêtres juifs alsaciens et des miens, bretons et auvergnats, mais aussi de la banlieue mélangée où j’ai grandi. J’ai eu la discussion que je n’ai jamais pu avoir avec mes collègues élus du Parti travailliste. Ma copine Dalila, une Française d’origine algérienne, directrice d’une galerie d’art orientale, passait par là et les deux ont réalisé qu’ils avaient beaucoup d’amis en commun et se sont échangés leurs numéros. Et c’est là où je me suis rendu compte de mon erreur et de la profondeur de mes préjugés : Wilders est populaire non pas parce qu’il est sioniste ou aurait des ancêtres juifs, ni même parce qu’il est islamophobe, mais parce qu’il défend une conception « républicai-
ne » des Pays-Bas. On oublie que son discours ne porte pas uniquement sur la « racaille marocaine » ou la sécurité, mais aussi sur la corruption des élites, la petite bidouille politique à La Haye, la « libéralisation» des pans entiers des services publics néerlandais et le sabotage des retraites, la précarisation de la classe moyenne. Derrière Fitna et son retour triomphal à Londres après en avoir été expulsé, Wilders a un discours finalement très compatible avec l’idéologie républicaine française (qui ne correspond pas du tout à la réalité française, d’ailleurs) : laïcité, ordre républicain et méritocratie. Wilders n’est pas contre la religion, il est contre les « signes prosélytes » et l’enfermement de la femme dans une camisole religieuse. Wilders n’est pas contre les Marocains, il déteste seulement l’assistanat à la néerlandaise qui décourage l’émancipation par le travail et les études. Il suffit de lire le chef-d’œuvre de Robert Vuijsje Alleen maar nette mensen sur la situation de ce jeune de bonne famille juive d’Amsterdam qui est maltraité continuellement parce qu’il ressemble à un Marocain pour comprendre les contradictions de la société néerlandais : derrière le discours sur les mérites individuels se cache un ordre social immuable raciste, sexiste et ethnocentriste. Les jeunes Amstellodamois d’origine juive sont confrontés aux mêmes humiliations et tracasseries que les jeunes issus des classes sociales inférieures et les jeunes d’origine étrangère. Malgré le capital culturel, politique et social accumulé par leurs parents, les jeunes Juifs hollandais sont encore trop souvent interdits d’accès aux hautes fonctions politiques et managériales.
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Je comprends tout à fait qu’ils se retrouvent dans le discours méritocratique et anti-establishment de Wilders. David Van Reubrouck, dans son Pleidooi voor populisme, parle de la « classe tatouée », humiliée et ostracisée qui retrouve un début de reconnaissance avec Dewinter et Wilders, alors que la classe des diplômés règne dans tous les domaines de la vie publique et économique en Flandre et aux PaysBas. Je pense que la communauté juive néerlandaise souffre des même maux : ostracisée, ignorée, humiliée, elle a besoin que quelqu’un la valorise enfin, entende ses souffrances et ses désirs. Que l’islamophobie de Wilders soit compatible avec la situation israélo-palestinienne est incontestable, mais je pense que la vraie raison du succès de Wilders après d’une partie de la communauté juive néerlandaise tient plus au désintérêt des autres partis à son égard et à un désir d’égalité qu’à une haine tenace de l’Arabe. Je me rends maintenant compte qu’avec les autres « allochtones occidentaux », je tiens un discours méritocratique en grande partie compatible avec ce que peut raconter Geert Wilders. Ce que je déteste dans son PVV, c’est qu’il soit tellement de droite, et surtout qu’il ostracise un groupe à cause de ses origines ou de sa religion. Ceci dit, si j’étais né à Amsterdam dans une famille juive, exposé à l’indifférence des autres partis politiques et aux discriminations, même infiniment moindres que celles auxquelles mes grands-parents auraient pu faire face, j’imagine très bien me retrouver dans le discours du faux-blond du Brabant. ■
israël-palestine Dar El-Hanoun, un village israélopalestinien en danger APPEL À SOLIDARITÉ
I
l y a un peu moins de deux ans, Mostafa Abou Hilal, un des responsables du village non reconnu de Dar El-Hanoun était venu à l’UPJB pour nous alerter : sa maison était menacée de destruction au prétexte qu’elle avait été construite sans permis sur une terre agricole. Il existe encore aujourd’hui une centaine de ces villages palestiniens en Israël qui ne figurent sur aucune carte. Des villages qui, pour la plupart, existaient avant la création de l’État. Des villages qui se voient systématiquement refuser toute autorisation de bâtir et dont les bâtiments existants sont tout aussi systématiquement menacés de démolition. Mais comment l’État peut-il justifier la non reconnaissance de villages dont les habitants sont pourtant soumis à l’impôt ? Par un remarquable tour de passe-passe. Si l’on devait parler, comme chez nous, de plans de secteurs, on dirait que ces villages sont tous situés en zone agricole, donc en zone d’interdiction de bâtir. Cette astuce ne trompe cependant personne et ne tient d’ailleurs pas légalement la route dans la mesure où l’ensemble de ces villages existaient bien avant la promulgation, en 1965, de la loi sur la Planification et la Construction. Elle ne trompe d’autant moins personne que dès qu’il est question d’une nouvelle implantation
Mostafa Abou Hilal
juive ou de l’extension d’un village juif ou d’un kibboutz existants, des hectares entiers se voient miraculeusement, mais le MoyenOrient n’est-il pas terre de miracles ?, transférés de zone agricole en zone à bâtir. Aujourd’hui, Mostafa Abou Hilal lance un nouveau cri d’alarme car ce n’est plus sa seule maison qui est menacée, mais le village tout entier. Pourquoi ? Parce que non loin de Dar ElHanoun se trouvent deux colonies juives, Harish et Qatzir. Or, le gouvernement israélien projette maintenant d’étendre la superficie de Harish pour y installer une communauté de haredim (Juifs ultra-orthodoxes). Cette nouvelle communauté devrait compter quelque 50.000 ha-
bitants sur une superficie d’une centaine d’hectares. Des cartes montrent que ses limites si situeront à seulement 200 m de Dar El-Hanoun, laissant délibérément le vieux village hors d’accès à l’infrastructure. Des pressions de plus en plus fortes s’exercent aujourd’hui sur les habitants de Dar EL-Hanoun pour les contraindre à quitter leur village afin de faire place nette. La combat des habitants de Dar EL-Hanoun pour préserver leur village et leurs droits entraîne des frais importants. Si vous désirez leur marquer votre solidarité, nous vous invitons à faire un versement, ou à établir un ordre permanent, sur le compte 0000743528-23 de l’UPJB en indiquant « Dar El-Hanoun ». ■
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mémoire Juifs et Tsiganes, destins croisés JACQUES ARON
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e Juif errant appartientà la légende ; les Juifs se sont depuis longtemps sédentarisés partout où ils l’ont pu. Par contre, la condition nomade des Roma et des Sinti — que l’on nomme habituellement Tsiganes — fait encore problème dans une Europe de moins en moins adaptée à ce mode de vie et à ses exigences particulières. Je garde en mémoire la rencontre et le témoignage poignant de l’un d’eux, Karl Stojka, lors d’un colloque1 organisé par la Fondation Auschwitz en décembre 1997 : il y relatait sa déportation, avec sa mère et ses 5 frères et sœurs, vers Birkenau en mars 1943. Et bien qu’il eût déjà raconté maintes fois son récit — il était devenu depuis quelques années le témoin itinérant d’un génocide enfin reconnu —, l’émotion restait palpable et la salle gardait un silence de plomb. Rom autrichien, Stojka est né en 1931 (le 20 avril, jour anniversaire d’Hitler, dit-il), près de Vienne, dans la roulotte familiale tirée par des chevaux, dont son père faisait commerce. Sa mère vendait de petits objets et disait à l’occasion la bonne aventure. Peu après l’Anschluss, les Tsiganes firent, comme les Juifs, l’objet d’ordonnances racistes destinées à nettoyer le Grand Reich des minorités de « sang étranger » : enregistrement, assignation à résidence, regroupement. Le père est arrêté fin 1941, déporté à Dachau, puis à Mauthausen. Quelques semaines après, un pa-
Karl Stojka, « Hitler affirmait que Juifs et Tsiganes étaient du même sang ». Photo J.A.
quet de vêtements revient à la famille avec une petite boîte contenant les cendres de la victime qui avait été battue à mort. C’est à la même époque qu’un premier convoi de 5.000 (sur environ 11.000) Roma et Sinti autrichiens est envoyé dans le ghetto de Lodz ; je reviendrai sur cet épisode. En septembre 1942, des Tsiganes internés à Buchenwald sont transférés à Auschwitz-Birkenau pour y construire un « camp des familles », et c’est en mars 1943,
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que la mère et ses 6 enfants, de 7 à 18 ans, y sont déportés dans un convoi de près de 1000 personnes. En trains de voyageurs jusqu’à la frontière, en wagons à bestiaux au-delà ; 83 personnes entassées pendant plusieurs jours, sans nourriture ni boisson, dont une cinquantaine seulement sont encore vivants à l’arrivée sur la rampe de sélection. Hommes et femmes sont séparés ; Karl, âgé de 12 ans y passera 17 mois avec son frère Hansi, de deux ans
son aîné ; le cadet meurt du typhus. Karl est tatoué n°Z (Zigeuner) 5742, c’est-à-dire enregistré pour les études d’hygiène raciale et les « recherches » biologiques. Début août 1944, le camp des familles est liquidé ; 3.000 Sinti et Roma passent à la chambre à gaz, s’ajoutant aux 18.000 déjà morts de la faim, des épidémies et des mauvais traitements. Karl et son frère arrivent avec un convoi à Buchenwald, d’où ils sont évacués début 1945 vers le camp de Flossenburg ; au cours des marches de la mort vers Dachau, ils sont finalement libérés le 24 avril 1945 par la IIIe Armée américaine. Que faire dans ce chaos général où les deux frères se croient les seuls épargnés de la famille ? Ils travailleront pendant un an dans une ferme dont les hommes sont absents, avant que ne leur parvienne l’incroyable nouvelle : la mère et les sœurs ont survécu à leur retraite vers Ravensbrück, alors que plus de 30 proches parents sont morts en déportation. Inspiré par le commerce et le métier traditionnel du tapis d’Orient, Karl se mit à peindre et reconstitua, en autodidacte, sur de grands panneaux aux traits expressionnistes et aux couleurs violentes les moments caractéristiques de la vie des camps et de ses souvenirs personnels. Ses œuvres, témoignages passionnés, commencèrent à circuler à partir de 1988, en Autriche tout d’abord, et ensuite de par le monde.
DEUX GÉNOCIDES INTIMEMENT LIÉS À aucun moment, dans ses peintures ou dans ses écrits, Stojka n’a dissocié son expérience de celle des Juifs qu’il a côtoyés, ni d’aucuns de ses innombrables compagnons de captivité dans ces camps d’extermination et de travail forcé. C’est que, dès le dé-
but, les deux vagues de déportations qui se transformeront bien vite, sous l’effet des circonstances, en politique d’élimination sytématique, sont intimement mêlées. Dès l’invasion de la Pologne en septembre 1939, le regroupement y est organisé, des populations indésirables du futur Reich en vue de les refouler toujours plus à l’Est, et il provoque des tensions et des difficultés bientôt ingérables après l’attaque de l’Union soviétique. Le ghetto de Lodz/Littzmannstadt devient vite la plaque tournante de cette purification ethni- Affiche de l’exposition Karl Stojka, matricule Z5742, que sous la direction Osaka, 1994 : « Le cri du petit frère assassiné » de Himmler. « Le Führer souhaite qu’ils déposèrent à terre. Janssen que l’Ancien Reich et le Protec- les considéra un court moment, torat [Autriche, Tchécoslovaquie, tira son révolver et leur tira une Alsace, partie incorporée de la Po- balle dans la nuque. »3 Il mourut logne] soit au plus tôt vidé d’Ouest lui-même peu après de la malavers l’Est et libéré des Juifs », écrit- die. Et c’est ainsi que la décision il le 18 septembre 1941 au diri- fut prise à la mi-décembre d’évageant de la Province de la War- cuer vers Chelmno/Kulmhof les the2. Entre le 5 et le 9 novembre Tsiganes, premières victimes des 1941, cinq convois de Tsiganes camions aménagés pour le gazasont parqués dans une partie du ge par leur gaz d’échappement. ghetto évacuée pour eux, laissée Pendant ce temps, Leni Riefensdans un état catastrophique, sans tahl tournait un film avec des Tsimeubles et quasiment sans instal- ganes, l’un des plus beaux souvelations sanitaires. L’administration nirs de sa vie, écrira-t-elle après juive du ghetto est chargée de les la guerre. ■ nourrir et de les soigner. Le ty1 La mémoire d’Auschwitz dans l’art conphus s’y développe rapidement. temporain, Actes publiés dans le Bulletin Le médecin juif du ghetto Arnold trimestriel de la Fondation Auschwitz, Mostowicz a relaté plus tard sa vi- juillet-septembre 1998, n° spécial 60. Voir site avec le chef SS Eugen Jans- aussi : Karl Stojka, Reinhard Pohanka, Auf sen, bien au courant de la gravi- der ganzen Welt zu Hause, Picus, Vienne, 1994 ; Karl Stojka, Gas, Catalogue de té de la situation : « Je vais leur l’Exposition de Vienne, 1996. montrer comment cela se soigne, 2 Jens-Jürgen Ventzki, Die Reichsdeutdit-il. Il appela le chef du servi- schen Juden und die österreichischen Sinti Roma im Ghetto Lodz, in « Das jüdische ce d’ordre, dont les hommes trai- und Echo », vol. 53, Vienne, octobre 2004, p. nèrent aussitôt deux malades, 141.
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mémoire Pologne : la mort et ses rites ROLAND BAUMANN
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e lundi 12 avril dernier s’est déroulée la 22ème « Marche des Vivants ». Des milliers de jeunes et d’adultes, en leur majorité juifs, ont marché d’Auschwitz à Birkenau : « un témoignage silencieux pour toutes les victimes de la Shoah » et aussi une marche de « solidarité avec toute la nation polonaise ». Se voulant le « contrepoint optimiste » aux « marches de la mort » nazies en 1944-1945, la March of the Living – MOTL, cette grande manifestation internationale, organisée chaque année le jour du Yom Hashoah, s’inspire (tant dans sa forme que son contenu) des voyages en Pologne de jeunes israéliens. Organisé depuis 1988, souvent par le ministère de l’Éducation, cet important « tourisme de la mémoire » vise à mieux transmettre la mémoire de la Shoah aux générations futures de citoyens de l’État juif. Dans un ouvrage récent, l’anthropologue israélien Jackie Feldman* montre comment ces voyages, dont la structure rituelle les apparente étroitement aux pélerinages religieux décrits et analysés par les grands classiques de l’anthropologie symbolique (ex. Victor Turner), contribuent à la construction de l’identité nationale israélienne. Très codifiés et ritualisés, ils confrontent en effet leurs participants aux paysages du judéocide, leur faisant « revivre » symboliquement l’expérience de l’extermina-
Marche des Vivants. Les drapeaux de tête sont surmontés de rubans noirs en signe de solidarité avec la nation polonaise. Photo Roland Baumann
Marche des Vivants. Vers l’entrée de Birkenau. Photo Roland Baumann
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Marche des Vivants. « Photo souvenir » à Birkenau lors de la cérémonie de clôture. Photo Roland Baumann
tion, afin de les inciter en fin de parcours à devenir des « témoins des témoins ». Au terme du programme de cérémonies commémoratives organisées lors des différentes étapes de ce parcours, sur les principaux lieux de mémoire de la Shoah en Pologne, ces jeunes, collectivement solidaires et transformés individuellement par le pélerinage, seront promis à devenir des adultes conscients de leur histoire et de leurs futurs devoirs de citoyens. Comme le souligne Feldman, les différents rituels auxquels participent ces jeunes « voyageurs de la mémoire » et les symboles qu’ils manipulent jouent un rôle décisif dans ce processus. Et l’efficacité de cet univers sym-
bolique se révèle bien plus cruciale que le contenu historique de l’enseignement qui leur est transmis durant le pélerinage, tant par les guides que dans les témoignages de survivants. Le drapeau israélien se trouve au coeur de toute la symbolique de ces pélerinages identitaires, menant les jeunes de la mort, en Pologne, à la vie, en Israël. De même, le drapeau de l’État hébreu est omniprésent dans la « Marche des vivants », déployé, flottant au vent, brandi vigoureusement, ou revêtant les épaules des marcheurs, il est décliné sous toutes ses formes. Il garantit la victoire finale du peuple juif et de son État sur Hitler et ses émules...
Mais, cette année, la marche victorieuse de jeunes juifs du monde entier, si étroitement associée aux concepts fondateurs de l’identité nationale israélienne, coïncidait avec un temps fort de la polonité, un moment de deuil mobilisant les émotions et les énergies de toute la Pologne, et réactualisant une symbolique identitaire fondée sur la martyrologie nationale, suite à la mort du président polonais Lech Kaczynski et de tous ceux qui l’accompagnaient en Russie en vue de commémorer le 70e anniversaire des massacres de Katyn, le samedi 10 avril. Et le lundi 12, à l’ouverture de la MOTL, face à la porte d’Auschwitz, l’ambassadeur is-
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Mercredi 14 avril sur la place du Château royal. Les Polonais font la queue pendant des heures avant d’accéder au Palais présidentiel. Photo Roland Baumann
raélien en Pologne, annonçait (en hébreu, anglais et polonais) qu’en ce jour, les marcheurs du souvenir des victimes de la Shoah rendraient aussi hommage à celles de la catastrophe de Smolensk,et que la Marche se ferait « en solidarité avec toute la nation polonaise ». Et les jours suivants, dans les médias, se multipliaient les déclarations de personnalités juives, en Pologne, en Israël, ou aux ÉtatsUnis, affirmant cette même solidarité avec la Pologne en deuil et soulignant l’amitié de Lech Kaczynski et son épouse pour le peuple juif et l’État d’Israël.
FERVEUR POPULAIRE Dès la nouvelle de la catastrophe aérienne de Smolensk (« Katyn 2 »), le samedi matin, sur Krakowskie Przedmiescie, au centre de la capitale, les citoyens affluaient, déposant des fleurs et des bougies à l’entrée du palais présidentiel. Dans l’après-midi de ce premier jour de deuil national, une foule imposante, devant le palais, manifestait son désarroi et sa douleur avec des bougies, des fleurs, des drapeaux. Le rapatriement du corps du président, puis celui de son épouse, accélé-
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raient bientôt l’énorme mobilisation populaire. Le mercredi matin, une multitude bigarrée s’étirait du palais présidentiel jusqu’au château royal, à l’entrée de la vieille ville. Bannières nationales, ou à l’enseigne du syndicat Solidarité, étendards brodés de mineurs silésiens, en uniformes de gala, plumets au vent, etc. donnaient à cette veillée funèbre un air de fête populaire. Les écrans de TV géants dressés à l’entrée du palais et montrant le défilé des visiteurs devant le cercueil présidentiel et sa garde d’honneur, à l’intérieur de l’édifice, contri-
buaient au caractère spectaculaire de ce rituel de deuil. Le jeudi soir, le temps de file pour entrer au palais s’élevait à plus de treize heures ! Dans les rues de grandes affiches reproduisant les photographies de toutes les victimes de l’accident étaient l’objet d’une même vénération populaire, exprimée par le dépôt de fleurs et cette multitude de bougies aux verres de lampes colorés. Le samedi et le dimanche, les cérémonies des funérailles, à Varsovie d’abord pour l’ensemble des victimes puis celles qui accompagnaient l’inhumation du couple présidentiel à Cracovie, l’ancien-
ne capitale de la Pologne, dans la crypte de la cathédrale sur le Wavel, ancien siège du pouvoir royal, contribuèrent à faire de l’ensemble de ces rituels funéraires un événement historique sans précédent, manifestation spectaculaire de l’unité nationale, témoignant massivement de la force de l’identité polonaise et de ses traditions. Les rituels de la mort se sont donc imposés dans leur affirmation nationale et identitaire. Homme politique contesté, le président défunt est donc entré au panthéon de l’histoire polonaise. Malgré des voix dissonantes, tel le cinéaste Andrzej Wajda, auteur
du film Katyn, très surpris d’apprendre que Lech Kaczynski reposerait au Wavel, auprès des rois de Pologne et du Maréchal Pilsudski, des rituels majestueux et surchargés d’émotions, ont affirmé la continuité de l’histoire polonaise et sa volonté de renouer avec son passé de grande nation, unie dans la douleur et victorieuse face à la mort... Magie des rites ? ■ * Jackie Feldman, Above the Death Pits, beneath the Flag : Youth Voyages and the Performance of Israeli National Identity, Berghahn Books, New York et Oxford, 2008
Mercredi 14 avril à l’entrée de Krakowskie Przedmiescie. Photo Roland Baumann
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Yiddish ? Yiddish ! PAR WILLY ESTERSOHN
sekiner=uu tc]k em=m id di mame kokht varenikes Maman prépare des varenikes Un peu plus de légèreté cette fois-ci avec une chanson anonyme qui nous dit que la em=m ewidYi yiddishe mame n’a pas toujours le dernier mot. Il s’agit aussi d’une des nombreuses chansons où il est question de nourriture. Ici, en l’occurrence, les varenikes. Dans la cuisine ashkenaze traditionnelle, ce sont des espèces de raviolis farcis de fromage. La chanson est interprétée par Mark Olf sur l’album Jewish Folk Songs Vol. 2 chez Folkways Records. On peut l’écouter (partiellement !) à l’adresse http://www.folkways.si.edu/albumdetails.aspx?itemid=1193
;kiwiilf r]g Nib Cij Nuj sekiner=uu tc]k em=m id fleyshik gor bin ikh un varenikes kokht mame di .kwx rij uq Cij girk ,elediim Niiw = Cij ezred kheyshek ir tsu ikh krig meydele sheyn a ikh derze ;tim red Nij em=m NUm ,elediim s]d tlefeg rim mit der in mame mayn meydele dos gefelt mir .tin iz liuu em=m NUm ,elediim s]d bil b]h Cij nit zi vil mame mayn meydele dos lib hob ikh .tleuu eqn=g id iuu ,elediim s]d zij Niiw velt gantse di vi meydele dos iz sheyn .tleg Niik tin C]d t]h iz ,C]d iz t]h Nursx = r]n gelt keyn nit dokh hot zi dokh zi hot khesorn a nor ;keuu= Ciz tlkUk se ,kidcelUk C]d zij tleg avek zikh kayklt es kaylekhdik dokh iz gelt .keuu= rij tim r]f Nuj elediim NUm rim Cij Men avek ir mit for un meydele mayn mir ikh nem ,sed= t]tw red uq keuu= rij tim r]f Cij ades shtot der tsu avek ir mit for ikh .Sel+Sem Niij Nij hpux = rij tim letw Nuj mesles eyn in khupe a ir mit shtel un
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! widYi ? widYi TRADUCTION Maman prépare des varenikes et moi je ne peux me passer de viande J’aperçois une belle jeune fille et je la désire. La jeune fille me plaît, ma mère est entre nous (au milieu), J’aime la jeune fille mais ma mère n’en veut pas. La jeune fille est on ne peut plus belle (belle comme le monde entier) Mais elle a pourtant un défaut, elle n’a pas d’argent. Mais l’argent, comme on sait, est rond ; il s’enfuit en roulant. J’emmène ma jeune fille en voyage. Je pars avec elle jusqu’à la ville d’Odessa Et je me marie avec elle en un jour et une nuit.
sed= Nij hpux = a khupe in ades Mariage à Odessa
REMARQUES Nc]k kokhn = bouillir, faire bouillir, cuisiner. wiilf fleysh = viande ; kiwiilf fleyshik : carné (dans la tradition religieuse juive, les aliments carnés doivent être séparés des mets lactés [kiclim milkhik] que sont, dans ce cas-ci, les sekiner=uu varenikes). r]g gor = (adj.) tout, entier (adv.) très, complètement. kwx kheyshek (hébr.) = désir, envie. Nursx khesorn (hébr.) = manque, défaut, désavantage. C]d dokh = pourtant ; comme on sait. sed= ades (ou : sed] odes) = Odessa. hpux khupe (hébr.) = cérémonie de mariage, mariage (au départ : dais nuptial); hpux = Nletw shteln a khupe = se marier. Sel+Sem mesles (hébr.) = période de vingtquatre heures.
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ANNE GIELCZYK
Le plat pays qui est le nôtre
J
e reviens d’une semaine à la montagne et je manque totalement d’inspiration. Je me suis souvenue que l’année dernière déjà, à la même époque, je vous racontais la même chose, c’est vous dire ! J’écrivais : Je reviens d’une semaine de vacances à la montagne. Ça m’a complètement vidé la tête. Ça m’a tellement vidé la tête que je ne vois pas très bien à vrai dire de quoi je vais bien pouvoir vous entretenir. C’est dingue, quand même. Pourtant, que la montagne est belle n’est-ce pas ? C’est que làhaut sur la montagne... enfin bon je ne vais pas vous refaire la chronique musicale de Noé du mois de février. Disons qu’entre la montagne et mes humeurs judéo-flamandes, y a pas photo. Donnez-leur plutôt du plat pays. Justement je viens de lire un petit livre intitulé Lettres du plat pays*. Comme son titre l’indique, il s’agit d’un échange de lettres entre deux auteurs belges, l’un francophone, JeanLuc Outers et l’autre flamande, Kristien Hemmerechts. Kristien Hemmerechts a été ma collègue il y a longtemps, elle venait de publier son premier roman Een zuil van zout dont j’ai d’ailleurs fait à l’époque la recension pour une revue féministe flamande, disparue depuis. Kristien elle, en a écrit beaucoup d’autres depuis et ils se vendent très bien (sans mes recensions). Elle est également invitée régulièrement sur les plateaux de télévision
et dans les médias en général pour s’exprimer sur des sujets de société comme on dit. Quant à Jean-Luc Outers, c’est ce grand échalas sympathique qui a toujours l’air de sortir tout droit du lit sans avoir eu le temps de se peigner. J’aime son humour décalé, très « belge » dirais-je. D’ailleurs, Kristien Hemmerechts et Jean-Luc Outers même s’ils n’ont pas la langue en commun – ou peutêtre justement parce qu’ils n’ont pas la langue en commun – sont deux produits purs belges. Kristien Hemmerechts est la fille de l’ancien patron de l’info à la radio publique flamande, Karel Hemmerechts et Jean-Luc Outers est le fils
Chère Kristien
du politicien francophone (FDF) Lucien Outers. JeanLuc a commencé sa scolarité en flamand à Wezembeek-Oppem car à l’époque Wezembeek ne bénéficiait pas encore de « facilités ». Kristien n’habitait pas très loin à Strombeek-
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Bever, mais fréquentait « une école à Bruxelles qui avait une section française et une section néerlandophone ». Pour Kristien et ses copines de classe « les filles francophones étaitent des petites madames chichi et à leurs yeux nous étions des paysannes ». Et voilà en effet en une phrase tout le vécu qui sous-tend la résistance des flamands à la « francisation » de la périphérie bruxelloise et le conflit sur BHV.
S
i les lettres sont écrites chacune dans leur langue respective ( avec traduction française pour celles de Kristien, signée Alain Van Crugten, le traducteur du Chagrin des Belges, du tout bon donc), Jean-Luc et Kristien se parlent en français. Ça aussi c’est très belge. Car JeanLuc ayant déménagé très tôt à Bruxelles, « a perdu l’usage de la langue flamande, faute d’interlocuteurs » et ses « cours flamands étaient très scolaires et ne donnaient guère envie de parler ». Faut croire que du côté flamand les cours de français donnaient plus envie car pour Kristien le français est aussi « une langue que j’avais apprise à l’école et dans laquelle je faisais constamment des fautes (...) » mais « avec toi c’est devenu une langue dans laquelle on pouvait faire la conversation ». Le français – et jamais le néerlandais – comme lingua franca donc. Pourtant Kristien
ne semble pas très fière de son français et affirme d’emblée qu’elle ne lira pas à son grand regret le nouveau roman de JeanLuc « car mon français n’est pas assez bon ». De la même façon, on la sent très sévère en ce qui concerne l’usage de la langue néerlandaise chez les politiciens francophones. Sa description de l’usage du néerlandais par Joëlle Milquet nous vaut un passage hilarant : « elle se jette dans la langue néerlandaise comme un général se lance dans la mêlée. Elle se précipite avec l’énergie du désespoir vers la fin de sa démonstration (...) Entre-temps périssent au champ d’honneur les sons, les règles grammaticales et les significations ». Je ne compte pas le nombre de fois où je me suis dit moi aussi en entendant Joëlle Milquet ou pire encore, Laurette Onkelinx, « zeg het in het Frans meisje, on n’y comprend rien ! »
L
’échange recouvre toute l’année 2008 et une partie de l’année 2009 (jusqu’aux élections du 7 juin). C’est la deuxième année du feuilleton de « l’orange bleue ». Leterme finit par former son gouvernement en mars 2008, presqu’un an après les élections. La question de BHV et du « splitsing » occupe l’avant-scène politique jusqu’à l’automne, moment où éclate la crise financière. Leterme tombera en décembre suite à l’affaire Fortis et non à cause de BHV. Il n’aura même pas tenu un an après un séjour à l’hôpital et trois tentatives de démission. « Le Palais Royal, il y va les yeux fermés » ironise Outers. Un personnage shakespearien selon Hemmerechts, « dans un drame
shakespearien il y a longtemps Leterme aurait été empoisonné ou poignardé. Peut-être cela estil même plus humain que cette interminable agonie ». La survie de la Belgique est au centre des préoccupations de nos deux auteurs, « le risque de voir la disparition finale de la Belgique devient de plus en plus clair » estime Kristien Hemmerechts, « une terre de fiction promise à la disparition » pour Jean-Luc Outers, « et on s’accroche toujours un peu à ce qui va disparaître ». Pourtant ça voyage beaucoup ces écrivains et pas seulement dans l’imaginaire : maison de famille dans le Périgord noir pour Jean-Luc, à la Côte d’Azur pour Kristien ce qui nous vaut une belle comparaison entre le Sud-Ouest et le SudEst de la France qui fait fort penser aux frontières intérieures belges : « Dans le Sud-Ouest, l’extrême droite est à peu près inexistante. Le Front National n’a jamais réussi à s’y implanter. Ici le Vlaams Belang n’a aucun avenir ». Beaucoup de voyages d’agrément ou professionnels aussi : Inde, Chili, Argentine, Israël/Palestine ; Amsterdam, Nantes, Calcutta, Mexico, Porto, Venise, Montréal... On voyage beaucoup mais on en revient quand même toujours à ce qui nous occupe et nous formatte, la Belgique. Prenez le Québec par exemple, objet d’adoration pour les parents FDF de JeanLuc, qui y avaient « de nombreux amis... qui militaient pour la souveraineté » mais également objet de fascination pour les Flamands « par leur obstination à défendre leur langue et leur culture », victimes du mépris des anglophones qui leur intimaient de parler l’anglais par ces
Lieve Jean-Luc
mots : « speak white ! » un ordre doublement raciste comme le dit très justement Kristien Hemmerechts car « il insultait à la fois les francophones et ceux qui ne sont pas blancs ». Quand Obama est élu, elle écrit : « (..) je me sens autre. Un peu moins chargée du poids de la faute de nos aïeuls et aïeules racistes. Tu reconnais ce sentiment ? » JeanLuc ne répond pas à la question mais moi, je ne « reconnais pas ce sentiment ». Mais sans doute ne suis-je pas tout à fait « blanche » puisque juive... Que la Belgique ne compte pas seulement des Flamands et des francophones, nos protagonistes ne semblent s’en rendre compte qu’à l’occasion de la manifestation Gaza en janvier 2009. « J’ai pensé, écrit Kristien Hemmerechts, il y a vraiment beaucoup d’allochtones en Belgique maintenant ». Même qu’il y avait quelques Juifs (progressistes) à cette manifestation et même que JeanLuc Outers a manifesté avec eux. Même que ça n’a pas plu au nouveau président « modéré » du CCOJB, Maurice Sosnowski, mais ça c’est une autre histoire... que je vous raconterai peut-être un jour. ■ *Éditions de la Différence, 2010
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LE
DE LÉON LIEBMANN
Magistrats « assis » et « debout ». Une collaboration discrète
A
vant de décrire et d’analyser les dysfonctionnements de l’appareil judiciaire qu’implique une telle collaboration, il faut avoir bien en vue les tâches respectives attribuées aux uns et aux autres. La magistrature assise est essentiellement chargée de rendre la justice. À cette fin, ses membres président et dirigent les audiences au cours desquelles sont examinés les litiges et prennent les décisions y afférentes. La magistrature « debout » est, avant tout, chargée de déférer devant la justice ceux qu’elle suspecte d’avoir violé la loi, surtout quand les faits incriminés lui paraissent mettre en péril l’ordre public. Elle « instruit » les affaires dont elle a à connaître. À cet effet, elle étaie l’acte d’accusation avant de prendre position tantôt dans ses réquisitoires et tantôt dans ses avis (oraux ou écrits) sur le bien fondé de la demande en justice et, le cas échéant, sur la peine qui, selon elle, doit sanctionner la violation de la loi et des droits de ceux auxquels de tels agissements ont, selon elle, porté atteinte. Dans l’accomplissement des missions qui leur incombent les uns et les autres sont amenés à « collaborer » en échangeant
leurs points de vue et en prenant parti dans le déroulement des procédures judiciaires auxquelles ils participent. Mais cela se fait publiquement et en toute clarté. Il arrive cependant que cette collaboration se fasse de façon beaucoup plus discrète, voire même secrète et cela parce qu’elle va, délibérément, à l’encontre de la volonté du législateur et de la raison d’être de l’indépendance d’esprit que celle-ci requiert de ses artisans. Je rapporte ici deux exemples concrets que j’ai connus personnellement.
U
n membre de la magistrature assise rendait très fréquemment visite à son collègue « debout » et cela après l’audience qu’il avait présidée pour lui demander de lui expliquer son avis ou son réquisitoire. Il en prenait (bonne) note en rédigeant son jugement dans le même sens mais sans en reprendre mot à mot le texte. Ainsi, croyait-il, cela ne serait « ni vu ni connu » puisque sa « propre » prose ne coïncidait pas avec celle qui était utilisée par le magistrat « debout ». L’essentiel pour le « recopieur » était de trouver la solution du ou des problèmes traités sans l’avoir lui-même cherchée. Il ne restait plus qu’à faire contresigner les
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jugements par les assesseurs du président à qui celui-ci ne révélait pas le procédé utilisé. Variante de ce recours à plus compétent et plus motivé que soi : un magistrat « debout », voulant s’épargner un travail jugé par lui trop ardu et trop fastidieux, rendait visite à son « collègue assis » avant l’audience pour lui demander dans quel sens telle ou telle affaire devait être résolue. Cette façon d’agir n’est évidemment pas utilisée par la majorité des magistrats. Mais elle est plus répandue que ce que pourraient s’imaginer les justiciables abusés par de tels comportements. Les deux participants à cette piètre mascarade y gagnent, en effet, à tout coup : le fainéant se dispense lui-même de tout travail et de tout effort pour cacher sa nullité ; et celui qui « pense et écrit pour deux » en bénéficie tout autant : la certitude de trouver dans son complice un allié efficace sinon fécond et la réputation d’être quasi-infaillible puisque jamais contredit par le magistrat siégeant à ses côtés et ne lui disputant pas la palme du plus méritant. Comment peut-on avoir connaissance d’un tel arrangement entre deux magistrats dont aucun des deux n’a intérêt à ce qu’il soit divulgué ? Deux façons de
faire coexistent à ce propos : tantôt d’autres professionnels qui côtoient les intéressés et ont connaissance de leurs écrits officiels subodorent la supercherie et sont à l’origine de l’indiscrétion qui met fin à la tant désirée discrétion ; tantôt, c’est le « magistrat fainéant » qui pousse la stupidité jusqu’à se targuer d’avoir « agi » comme indiqué plus haut. Dans tous les cas, cela ne redore pas le blason d’une justice trop souvent bafouée par ceux qui sont censés faire corps avec elle et la servir de leur mieux en toutes circonstances. La responsabilité morale sinon juridique des chefs de corps ayant autorité sur ces magistrats qui abusent de leurs prérogatives et qui préfèrent faire semblant de ne pas être au courant est lourdement engagée. Il faut qu’un tel scandale soit connu de l’extérieur et répercuté par les médias pour qu’il y soit mis fin.
H
eureusement, la justice de notre pays n’a pas attendu, pour amorcer son redressement, la mise en application, encore hypothétique, du projet de la réformer qui vient d’être présenté au gouvernement fédéral et qui devra encore encourir les critiques, souvent contradictoires, des partis composant l’actuelle majorité parlementaire. Deux innovations majeures, déjà entrées en vigueur au cours de ces dernières années ont, en effet, pu démontrer leur valeur et leur efficacité. La première est l’instauration du Conseil Supérieur de la Justice et la seconde l’adoption de normes
plus strictes et plus exigeantes relatives aux nominations et à la promotion des magistrats. Désormais, la plupart des abus dont j’ai fait la description et l’analyse dans mes chroniques ont pu être jugulés ou, à tout le moins, réduits car dès qu’ils viennent à être connus des nouvelles instances compétentes, celles-ci y mettent fin, tantôt de façon discrète et tantôt, dans les cas les plus graves, de façon officielle et publique. S’il est rare que le grand public en ait connaissance, les « initiés » sont, eux, au courant et s’abstiennent de rééditer les manquements aux règles légales dont nous avons passé en revue les plus choquants. La vigilance des autorités et des justiciables reste cependant de mise car la tentation d’en faire de trop ou trop peu subsiste tant dans la magistrature assise que dans la magistrature « debout » avec l’espoir que « ça ne se saura pas ».
C
’est par ces considérations modérément optimistes que j’achève ma série de chroniques consacrées aux dysfonctionnements de la justice belge. J’ai préféré mettre l’accent sur ceux qui se déroulent à l’insu de l’opinion publique plutôt que de me focaliser sur des affaires déjà ébruitées dans les médias. P.S. Je ne résiste pas à l’envie de vous révéler une autre sorte de dysfonctionnement à laquelle l’appareil judiciaire a pu trouver un imparable antidote. Il s’agit d’un défi à la notion même de justice : la partialité de certains magistrats « assis » en
l’occurrence. La personne atteinte de ce mal incurable présidait la Chambre d’un tribunal du Travail compétente en matière de chômage. Bien que foncièrement raciste, xénophobe et d’extrême droite, elle n’en laissait rien paraître à l’audience où elle accueillait et traitait les chômeurs avec un sourire faussement engageant. Elle résumait l’affaire en faisant apparemment preuve d’objectivité et en s’abstenant soigneusement de leur donner la parole, sauf pour leur permettre de décliner leur identité. Une précision utile à la compréhension du scénario diaboliquement conçu et appliqué par ce « démon au visage d’ange » : tous ses jugements, fort bien rédigés, donnaient tort aux malheureux chômeurs tombés dans ses griffes et leur réservaient un commentaire déplaisant et dépréciateur, sans pour autant être insultants ou injurieux. Aussi incroyable que cela puisse paraître, elle ne reproduisait jamais ses « coups de pattes » individualisés et faisait ainsi preuve d’un imagination sans borne. C’est l’Auditorat du Travail qui, avec la « complicité » du greffe, trouva « la » solution : ne lui confier que des affaires où manifestement le chômeur était en tort. De cette façon, cette juge ne pouvait pas nuire gravement à des personnes dont elle était l’ennemie attitrée. Sa carrière n’en souffrit pas tant qu’elle ne prit pas publiquement des positions d’extrême-droite. Mais ceci est autre histoire que je ne vous conterai pas car elle est de notoriété publique. ■
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activités dimanche 9 mai à 20h15
dans le cadre du Parcours d’artistes
Encre sur Encre – Première du film en présence de
Sarah Blum (la réalisatrice) Paul Trajman (le peintre) Bernard Noël (l’écrivain)
Paul Trajman. Photo Sarah Blum
23’ / Image/réalisation : Sarah Blum / Montage : Fanny Roussel / Son : Morgan Suren et Nicolas Joly / Création sonore et mixage : Laszlo Umbreit / Prod : Nana Films
PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO
vendredi 21 mai à 20h15
dans le cadre du Parcours d’artistes
Pour une autre lecture de l’Art en marge Conférence-débat avec
Carine Fol, directrice de Arts & Marges Musée La conférence sera présentée par Gérard
Preszow
Depuis quelques années une nouvelle génération de commissaires d’expositions, directeurs de musées s’est détachée de la lecture symbolique et romantique de la création issue hors des normes culturelles induite par Jean Dubuffet il y a un demi-siècle. Ces défenseurs de l’art outsider au sein du circuit de l’art officiel estiment qu’il est devenu indéfendable de présenter ces œuvres à partir d’une dialectique de l’affrontement envers l’establishment culturel. La portée symbolique de l’art outsider reste néanmoins omniprésente et le piège de l’approche paternaliste est fréquent. Une analyse formelle et thématique permet de transcender cette lecture socio-culturelle et existentielle des œuvres. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO
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mercredi 26 mai à 20h15 Rencontre avec
Fatima Zibouh
Fatima Zibouh est une jeune chercheuse sans histoire, sous contrat à l’Université de Liège. Sensible aux questions de discriminations, elle fut choisie par Écolo pour devenir administratrice suppléante au Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme. Mais voilà : Fatima Zibouh est musulmane et porte un foulard. Ce fut le prétexte d’une incroyable campagne de dénigrement à son encontre qui l’a propulsée au premier plan de l’actualité. On a ainsi découvert une jeune femme équilibrée et courageuse, un peu désolée de tout ce tapage qu’elle n’avait pas souhaité. Mais cette soudaine médiatisation, Fatima a décidé de l’assumer. Notamment en rencontrant le public de l’UPJB. Présentation par Henri
Goldman
PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO
vendredi 28 mai à 20h15 Du génocide des Tsiganes à la condition des Roms aujourd’hui Conférence-débat avec
Lydia Chagoll,
danseuse, chorégraphe, cinéaste, auteur de Tsiganes sous la croix gammée aux éditions Luc Pire
Jean-Marc Turine,
écrivain, cinéaste, producteur à France-Culture, auteur de Le crime d’être Roms aux Éditions Golias La conférence sera présentée par Jacques
Aron (voir article page)
Si le sort pendant la seconde guerre mondiale de ceux que l’on continue à nommer par habitude, facilité ou ignorance, les Tsiganes, commence enfin à être mieux connu, ce peuple dispersé aux innombrables composantes reste pour sa part largement méconnu, objet de préjugés et de superstitions, victime de discriminations et de violences, notamment en Roumanie, en Hongrie, et récemment en Italie. Ils seraient aujourd’hui 8 à 10 millions d’individus dispersés en Europe, sous des statuts très divers, parfois sédentaires, parfois nomades, plutôt contraints à la mobilité, toujours à mi-chemin et souvent déchirés entre l’intégration, si difficile, aux différents États nationaux et la reconnaissance d’une culture propre et transfrontalière. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO
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UPJB Jeunes D’un samedi à l’autre... NOÉMIE SCHONKER
I
l est des mois où la page blanche le reste un long moment avant que les mots s’y couchent, prennent place pour former le corps des « nouvelles de l’UPJB-Jeunes ». Non que rien ne se soit passé entre deux publications ou que les activités n’aient eu aucun intérêt… Au contraire. Mais, excepté la fête de Pourim qui tourna carré au lieu de tourner rond et notre rendez-vous manqué de Pessah, je n’ai rien d’autre à vous livrer que le doux train-train de nos samedis après-midi. Exercice peu commode que de devoir rendre compte de l’ambiance qui règne quand la famille upéjibienne, que l’on pourrait
croire « sans histoire », se retrouve. Essayons… Vers 13h, si des odeurs de goulache ou de soupe « bio » émanent du rez-de-chaussée, cela signifie que nous devons partager la maison avec des invités polonais ou moldaves endimanchés, des militants écologistes ou gauchistes venus refaire le monde dans nos locaux. Ces hôtes d’un jour n’ont aucune idée de ce qui les attend… En effet, que notre rendez-vous s’annonce exceptionnel ou ordinaire, paisible ou tourmenté, le contraste entre l’avant et l’après 14h30 est saisissant. Une tornade chaleureuse et rafraîchissante d’enfants surexcités par les
Épreuve réussie pour les Korczak, on avance d’une case
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Nos jeunes lors de la fête de Pourim
retrouvailles hebdomadaires envahit la maison. Les escaliers se transforment en boîte de résonance, le jardin en champ de bataille et le couloir en salon de thé parental. S’en suit le quart d’heure de flottement : les ados tombent dans les bras des uns, rient au nez des autres ; les Korczak tapent la balle dans le jardin ou usent leurs cordes vocales sur le balcon ; les Zola et les Bienvenus scrutent les éventuels retardataires espérant dépasser le cap des cinq tandis que les moniteurs tentent (vainement) de canaliser la tendre hystérie générale. Quand le tohu-bohu atteint son paroxysme, il faut que les activités commencent. Les groupes regagnent alors leur local, les monos dévoilent les mises scènes, les règles du jeu, les itinéraires des ballades et vroum ! Nouvelle tornade, silencieuse cette fois. Certains après-midi, nos locataires du rez ont de la chance, la smalah upéjibienne sort pro-
Carte de visite L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective. Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq groupes différents.
Bienvenus pour les enfants de 6 ans ou qui entrent en
Les 1ère primaire
Moniteurs : Shana : 0476.74.42.64 Volodia : 0497.26.98.91 Les
fiter des rayons de soleil printaniers et le silence se prolonge jusqu’à 18h. Par contre, s’il est prévu de rester à l’intérieur, l’accalmie ne dure qu’un bref instant. Il n’est pas rare ces jours-là de voir débouler des petits groupes d’enfants tout affairés cherchant les indices laissés par « l’assassin » qui se cache parmi eux ou les numéros qui leur permettront de gagner le jeu de l’oie géant. À part ces quelques anecdotes, auxquelles tant d’autres pourraient se rajouter, je n’ai rien de spécial à vous raconter. C’est rassurant finalement, cela prouve que notre mouvement de jeunesse est en pleine santé. Il suffit de palper la chaleur qui se dégage de ces rencontres, de prendre la température des joues rouges en fin de journée, de découvrir la tendresse des gestes et de constater la solidité des liens par temps de gaieté comme de grisaille, pour être convaincu de l’énorme richesse affective de l’UPJB-jeunes. ■
Janus Korczak pour les enfants de 8 à 9 ans
Moniteurs : Max : 0479.30.75.71 Mona : 0474.42.37.74 Les
Émile Zola pour les enfants de 10 à11 ans
Moniteurs : Fanny : 0474.63.76.73 Lucas : 0476.56.72.37
Les
Yvonne Jospa
pour les enfants de 12 à 13 ans
Moniteurs : Cyril : 0474.26.59.09 Ivan : 0474.35.96.77 Félicia : 0472.62.06.95 Les
Mala Zimetbaum
pour les enfants de 14 à 16 ans
Moniteurs : Alice : 0476.01.95.22 Théo : 0485.02.37.27
Informations : Noémie Schonker – noschon@yahoo.fr – 0485.37.85.24
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écouter Tout le monde en parle, moi aussi ! NOÉ
ARNO N’EN FAIT QU’À SA TÊTE, ET C’EST TRÈS BIEN AINSI Impossible de me rappeler ma première écoute d’un morceau d’Arno. J’ai le vague souvenir d’un concert bruxellois, en plein air. En revanche, les images de son show au Forest National, il y a quelques années, me reviennent sans trop de difficulté : l’homme en noir qui s’avance au-devant de la scène, crachant sur les planches, sous les cris de ses admirateurs s’extériorisant dans les deux langues du royaume. Il y a quelques semaines, l’Ostendais sortait un nouvel album, « Brussld ». Explosif, émouvant, mystérieux et bruyant. Le rockeur belge, par excellence, s’en donne à cœur joie. Les chansons douces sont belles, mieux réussies que jamais. « Quelqu’un a touché ma femme », et « Elle pense quand elle danse », sont de véritables trouvailles, de véritables bijoux. Sa version de « Get up, stand up », de Bob Marley, est un peu moins renversante. Mais l’émotion est à son comble lorsque le poète entame un « Ginger Red » dont les claviers et les guitares sont d’une précision telle que l’auditeur est emporté, directement, dans ce tour de force allant crescendo, d’un ton aérien à un ton plus lourd. Dans « Brussels », chanson pour « You and me, and mister Nobody ! », il n’hésite pas à faire hurler les décibels. Il fait ce qu’il veut, sans trop se sou-
cier des gimmicks et des mélodies accrocheuses. Le reste du temps, Arno se défoule, ce qui rend son opus un peu fatigant, au final. Attention, un album d’Arno n’est jamais un disque de variétés qui s’apprécie dès la première écoute. Au contraire. Il faut s’y consacrer entièrement et s’y reprendre à plusieurs fois. La voix, souvent mise en avant, est toujours aussi éraillée, et on ne s’en lasse pas. Le livret regroupant les paroles de l’album ne doit rien au hasard, il est « bien foutu », comme dirait Arno, avec le langage assez cru qui compose sa dernière œuvre. Dans l’ensemble, même avec moins de tubes potentiels, « Brussld » est plus réussi que le précédent « Jus de Box ». L’artiste nous a livré un beau travail, qui s’écoute, et se réécoutera encore longtemps. Merci, Arno !
BENJAMIN BIOLAY ET SA « SUPERBE », QUELLE AVENTURE… Les lecteurs, qui s’attendraient aux derniers potins liant Benjamin Biolay à Carla Bruni et à l’évocation de sa dispute avec Bénabar, vont être déçus. Face à un artiste doté d’un talent aussi rare que le sien, le cirque médiatique importe peu. « La Superbe », son dernier album, est sorti il y a quelques mois déjà et deux Victoires de la musique plus tard, le succès d’estime s’est mué en éloge enthousiaste.
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« La Superbe », c’est vingt-trois titres déroulés sur un double CD, c’est vingt-trois tableaux, tantôt légers dans l’apparence, tantôt plus sombres, plus graves. 1h30 de musique qui s’écoute le jour comme la nuit, fort ou tout doucement. Pas de mode d’emploi pour écouter du Biolay, mais ne pas se fier aux mauvaises langues qui le considèrent comme un sousGainsbourg. « La Superbe » est un album composé et arrangé habilement. Parfois trop. Biolay mélange les violons (qu’il dirige lui-même), les guitares, et l’électronique avec classe et talent. Que la rime soit facile ou que le texte soit tiré en longueur, B.B est crédible. Il assume chaque mot, chaque murmure. Lorsque la musique est mise en avant, comme la plupart du temps, c’est un régal d’en avaler chaque note. Mais quand le chanteur hausse le ton, c’est pour notre plus grand plaisir ; il le fait trop rarement. Chaque piste sonne comme un adieu. Cet hommelà est mélancolique, sans avoir besoin de pleurer derrière son micro. Son écriture est pleine de pudeur. Et quand il se met entièrement à nu, dans « Ton héritage », c’est à travers un message destiné à sa progéniture. « Si l’on perd souvent ta trace/ Dès qu’arrive le printemps/Si la vie te dépasse/Passe mon enfant/ Ca n’est pas ta faute/C’est Ton héritage… ». « La Superbe », première chan-
son de l’album qui lui donne son titre, est à son image. Mystérieuse et captivante. Le gimmick joué par les cordes mélé à un jeu de batterie répétitif interpelle et intrigue. Deux duos font leur apparition. L’attachant, « Brandt Rhapsodie », avec Jeanne Cherhal et l’envoûtant « 15 août » avec Valérie Donzelli. Pour le reste, l’album coule comme un fleuve traversant plusieurs paysages, et lorsqu’il n’y a plus d’eau, on en retient un homme qui manie le français et la musique avec beaucoup d’habileté.
rond. Ne sait plus trop quoi raconter pour toucher, émouvoir ou amuser la galerie. Adieu le grain de folie qu’il partageait avec Brigitte Fontaine et Areski. On n’y croit plus. Au bout de la dixième écoute, je ne peux que reconnaître la qualité des musiciens. Lui, il a dû certainement s’éclater à faire cet album et quelques imprévus ont dû venir enrichir certaines parties musica-
COUP DE MOU POUR HIGELIN PÈRE. Alors que sa fille, Izia, reçoit deux victoires de la musique pour son premier album très rock’n’roll et que son fils, Arthur H, sort un album peu médiatisé, Higelin père nous livre un « Coup de foudre » sans tonnerre. Il est partout. Toute les radios, les télévisions et les journaux ne parlent que de lui, et d’un retour flamboyant. Mais fini le temps du « Champagne ! », aujourd’hui c’est l’eau plate. Il faut croire que le grand Higelin est mieux inspiré lorsque son cœur lui fait mal. « Amor Doloroso » d’il y a quelques années était fort, tant au niveau des textes qu’au niveau musical. Je me souviens avoir vu Higelin à deux reprises. À l’une, il (en)chantait Trenet au Théâtre 140. J’y avais découvert une espèce de fou chantant, un poète à l’âme d’enfant, inventant des histoires presque crédibles, sautant sur son piano et chantant à s’arracher les cordes vocales. Ensuite je l’ai vu lire Henri Michaux, au Botanique. Il n’a lu quasiment que ses propres textes. Passons. En 2010, Higelin tourne en
est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août) L’UPJB est membre de la Fédération des Juifs européens pour une paix juste (www.ejjp.org) et est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente) Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski
les mais ça n’excuse en rien la légèreté de ses douze nouveaux titres. Assis, debout, couché, je n’ai trouvé aucune position propice à apprécier son nouveau cru. Pas désagréable à écouter, juste inintéressant. La chanson éponyme de l’album perd de sa puissance au fil des écoutes. « Kyrie Eleison » et « Valse MF » au rythme répétitif et fatigant ne valent pas ses « Tombé du ciel » et « Lettre à la petite amie de l’ennemi public n°1 » d’il y a une bonne poignée d’années. Les guitares country de « Bye Bye Bye » sont bonnes à être écoutées lors d’un embouteillage. Mon coup de cœur pour « Coup de foudre » reste « Expo Photos », sublime titre instrumental qui clos l’album. « Aujourd’hui la crise…/Demain ça sera vachement mieux » ? ■
Ont également collaboré à ce numéro : Roland Baumann Laurent Chambon Léon Liebmann Noé Gérard Preszow Noémie Schonker Maxime Steinberg Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Abonnement annuel 18 EURO Abonnement de soutien 30 EURO Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB (CCP 000-0743528-23). Montant minimal mensuel: 10 EURO pour un isolé, 15 EURO pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.
mai 2010 * n°306 • page 35
agenda UPJB Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)
samedi 8 mai à 14h30
Dans le cadre du Parcours d’artistes de la commune de Saint-Gilles. Saint-Gilles Vernissage de l’exposition (voir supplément)
dimanche 9 mai à 18h30
Dans le cadre du Parcours d’artistes de la commune de Saint-Gilles. Saint-Gilles Encre sur Encre – Première du film avec Sarah Blum (la réalisatrice), Paul Trajman (le peintre), Bernard Noël (l’écrivain) (voir page26 et supplément)
vendredi 21 mai à 20h15
Dans le cadre du Parcours d’artistes de la commune de Saint-Gilles. Saint-Gilles Pour une autre lecture de l’Art en marge. Conférence-débat avec Carine Fol, directrice de Arts & Marges Musée (voir page 26 et supplément)
mercredi 26 mai à 20h15
Rencontre avec Fatima Zibouh. Présentation par Henri Goldman (voir page 27)
vendredi 28 mai à 20h15
Du génocide des Tsiganes à la condition des Roms aujourd’hui. Conférence-débat avec Lydia Chagoll et Jean-Marc Turine (voir page 27)
vendredi 4 juin à 20h15
La Pologne, son héritage national et les Juifs. Conférence-débat avec Roland Baumann, historien d’art, ethnologue et journaliste
vendredi 18 juin à 20h15
Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles
Les relations judéo-allemandes aujourd’hui. Conférence-débat avec Claude Weinber, directeur de la Fondation Heinrich Böll
club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)
jeudi 6 mai
« La honte et la culpabilité » par Léo Traber, professeur honoraire d’économie politique et d’économie financière
jeudi 13 mai Congé
jeudi 20 mai
« LL’actualité belge et internationale » commentée par Léon Liebmann, magistrat honoraire
jeudi 27 mai
Michel Bastin, animateur du RES (Réseau d’Echanges de Savoirs), nous entretiendra de son travail au sein de ce réseau
jeudi 3 juin
« Actualités du Proche-orient » par Henri Wajnblum Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be