n°307 - Points Critiques - juin 2010

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mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique juin 2010 • numéro 307

éditorial JCall. Un appel qui crée l’événement

Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - mensuel (sauf juillet et août)

LE CONSEIL D’ADMINISTRATION DE L’UPJB

C

oup de théâtre dans le landerneau communautaire! Il y a quelques semaines, des personnalités juives européennes publiaient un Appel à la Raison dans plusieurs grands quotidiens en France et en Belgique avant de le lancer officiellement ici, à Bruxelles, au Parlement européen, le 3 mai dernier. Un texte qui veut exprimer l’inquiétude des signataires pour Israël face à la poursuite ininterrompue des implantations en Cisjordanie et dans les quartiers arabes de Jérusalem Est ; un texte qui exprime aussi leur inquiétude pour Israël face à un alignement systématique des Juifs de la dias-

pora sur la politique du gouvernement israélien. La publication de cet Appel, le succès de son lancement officiel, la récolte massive de signatures mais aussi la vivacité et la diversité, la violence parfois, des réactions que cet Appel ne cessent de susciter, y compris chez nos membres et nos sympathisants, nous ont poussés à consacrer une part importante de notre Mensuel à ce que nous estimons être un événement au cœur même l’Establishment. Nous avons pu en prendre la mesure lors de notre Assemblée Générale annuelle qui se tenait le 25 avril et où ce sujet s’est largement invité dans nos débats. Fal-

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

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sommaire

éditorial ➜

éditorial

1 JCall. Un appel qui crée l’événement .. Le Conseil d’dministration de l’UPJB

3 8 9 10 11

israël-palestine-diaspora

JCall met les communautés juives dans tous leurs états..... Henri Wajnblum Pourquoi j’ai signé l’appel de JCall ..................................Jacques Schiffmann Cet « Appel à la raison » est irréaliste et immoral ...............Michel Staszewski La boîte de Pandore .................................................................. Gérard Preszow En misant sur un démocratisme réel ..................................... Larissa Gruszow

lire

12 Rosie Pinhas-Delpuech. D’une langue à l’autre ...........Tessa Parzenczewski

écrire

13 Dédé à Anvers ................................................................................. Andres Sorin

regarder

14 La main qui pense ..........................................................................Bernard Noël

lire, regarder, écouter

16 Notules de mai ........................................................................... Gérard Preszow

diasporas

18 A Jewish city-trip : Budapest ....................................................... Jacques Aron 22 Images de la vie juive polonaise dans les années trente . Roland Baumann

yiddish ? yiddish !

! widYi ? widYi

24 Yidish : a velt-shprakh — Yiddish : une langue universelle..Willy Estersohn

humeurs judéo-flamandes

26 Fins de série ..................................................................................Anne Gielczyk

le regard 28 Un vibrant appel à la raison... du plus fort ?.......................... Léon Liebmann

hommage 29 la résistance armée comme héritage ...................................... Alain Lapiower 30

activités penser

33 Sur la tristesse des jours ...........................................................Youri Vertongen

à l’UPJB 34 Photos de la commémoration de l’Insurrection du Ghetto de Varsovie

upjb jeunes

36 Le chaînon d’une histoire ...................................................... Noémie Schonker

écouter 38 Concerts ! ......................................................................................................... Noé 40

les agendas

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lait-il le signer? Devrions-nous le signer ? Individuellement ? Collectivement ? Voire signer un « contre-appel » ? Devrions-nous, tout au moins, en parler ou, au contraire, ne pas en parler et rester pour une fois au balcon puisque ce n’est plus nous ni nos positions qui sont critiquées ? Entre les pour, les contre, les contre mais, les pour mais… la richesse-même de notre discussion ce jour-là, la liberté de parole qui circulait nous ont paru plus fortes et significatives encore que tout avis tranché sur la question. C’est cette diversité de points de vue au sein de l’UPJB que nous avons choisi de partager avec vous, chers lecteurs. Ainsi, dans les pages qui suivent nous donnons la parole à Henri Wajnblum qui dresse un état circonstancié et documenté de la question et cite abondamment Henri Goldman dont la position reflète largement celle de bon nombre de nos membres et sympathisants ; à Jacques Schiffmann qui explique pourquoi il a décidé de signer et à Larissa Gruszow qui, elle aussi, explique son assentiment ; à Michel Staszewski qui nous donne les raisons de son refus de signer et qui a initié une carte blanche alternative publiée par Le Soir du 5 mai ; et, enfin, à Gérard Preszow qui nous livre un billet d’atmosphère sur l’intronisation de JCall le 3 mai au Parlement européen. De quoi, chers lectrices et lecteurs, aiguiser votre propre réflexion… ■


israël-palestine-diaspora JCall met les communautés juives dans tous leurs états HENRI WAJNBLUM

I

l y a quelques mois à peine, qui aurait pu imaginer, qu’il se trouverait, à l’heure où ces lignes sont rédigées (18 mai), 5.872 Juifs européens pour signer un texte qui affirme, entre autres, que « le danger (pour Israël) se trouve dans l’occupation et la poursuite ininterrompue des implantations en Cisjordanie et dans les quartiers arabes de Jérusalem Est, qui sont une erreur politique et une faute morale », et aussi que « l’alignement systématique (des Juifs de la diaspora) sur la politique du gouvernement israélien est dangereux car il va à l’encontre des intérêts véritables de l’État d’Israël » ? Le texte, dont ces deux phrases sont extraites, a été publié en carte blanche dans Le Soir du 20 avril sous le titre Israël-Palestine : appel à la raison, cosigné par quelque nonante personnalités juives européennes, et il continue de récolter chaque jour des signatures sur le site www.jcall.eu sous le titre JCall- European Jewish Call for Reason. Ces deux phrases ainsi mises en exergue signifient-elles que JCall est un texte révolutionnaire ? Oui, résolument oui… Et non. Résolument oui, en ce sens que c’est la première fois qu’un coin est enfoncé de manière aussi ostensible, par des personnalités qui font partie de l’establishment juif, dans le consensus communautaire qui veut qu’on lave son linge sale en famille et qu’on ne donne pas du grain à moudre aux

« ennemis d’Israël ». Faut-il que les nonante premiers signataires, qui tiennent à proclamer d’entrée de jeu que le lien à l’État d’Israël fait partie de notre identité, aient été effrayés par l’ampleur de la dégradation de l’image d’Israël dans l’opinion publique internationale et, plus grave sans doute à leurs yeux, dans de nombreuses chancelleries, pour qu’il se soient décidés à franchir publiquement le pas. Mais non, ce texte n’est pas révolutionnaire car il contient d’autres phrases nettement plus problématiques… Ainsi celle qui professe que l’occupation et la poursuite ininterrompue des implantations (…) alimentent un processus de délégitimation inacceptable d’Israël en tant qu’État. Les initiateurs de l’appel confondent ainsi dénonciation de la politique israélienne par les défenseurs de la cause palestinienne, assortie d’appels à des sanctions, avec la remise en cause de la légitimité de l’État d’Israël dans ses frontières d’avant le 5 juin 1967 ! Et cette autre… Il importe donc que l’Union européenne, comme les Etats-Unis, fasse pression sur les deux parties et les aide à parvenir à un règlement raisonnable et rapide du conflit israélo-palestinien. Cela fait un bon bout de temps que l’Autorité Palestinienne a accepté de revenir à la table de négociations pour autant que le gouvernement Netanyahou-Lieberman-Barak décide du gel de la colonisation en Cisjorda-

nie et à Jérusalem-Est. C’est donc sans conteste sur la partie israélienne que les pressions doivent s’exercer ; les signataires ne peuvent en effet pas ignorer que seul Israël a profité du renvoi dos à dos des deux parties ainsi que de la politique d’équidistance chère à nos gouvernements. Et cette dernière enfin… Si la décision ultime appartient au peuple souverain d’Israël, la solidarité des Juifs de la Diaspora leur impose d’œuvrer pour que cette décision soit la bonne. Le peuple souverain de Palestine n’aurait-il pas voix au chapitre ? Il s’agit donc d’un texte a minima qui n’a le souci que de l’avenir et de la sécurité d’Israël.

LES ORGANISATIONS « REPRÉSENTATIVES » ET LA DROITE RÉSOLUMENT CONTRE Cela ne l’a pas empêché de déclencher un véritable tsunami au sein des Communautés juives… Ainsi le CCOJB n’a mis que deux jours pour réagir par un communiqué dans lequel il regrette qu’en ce jour de Yom Haatsmaouth, anniversaire de l’Indépendance de l’État d’lsraël, il ne se soit pas également agi de rendre hommage au bilan positif de l’État juif, et souhaite que des Musulmans et des Arabes lancent à leur tour un « Appel à la raison » au monde arabe et aux Palestiniens pour qu’ils reconnaissent l’Etat d’Israël, seule démocratie de la région, et s’engagent à négocier une solu-

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➜ tion «à deux États» dans le respect mutuel et sans violence. Le CCOJB n’a apparemment jamais entendu parler de l’Initiative de Paix de la Ligue Arabe, adoptée en 2002 et réitérée en 2007, qui propose à Israël la normalisation de ses relations avec l’ensemble du monde arabe en échange d’un retour sur les frontières d’avant le 5 juin 1967, en ce compris JérusalemEst, et d’une solution négociée à la question des réfugiés… Une proposition à laquelle Israël a, à deux reprises, opposé une fin de non-recevoir… Le Forum der Joodse Organisaties et le Consistoire central israélite de Belgique ont fait plus fort encore qui, dans un communiqué également daté du 22 avril, dénoncent cet Appel à la raison émanant de quelques individus et d’une organisation qui ne représente qu’une petite minorité au sein de la communauté juive d’expression française (mais de qui peuvent-ils bien parler, sachant que l’UPJB n’est pour rien dans le lancement de cet appel ?). Et de regretter, à l’instar de notre organisation sœur, le CCOJB, que cette minorité souhaite former un lobby afin de faire pression sur les leaders du seul État démocratique du Moyen-Orient afin de faire prévaloir leur propre opinion… Metula News, qui se présente comme une agence de presse israélienne francophone, mais qui est tout sauf un média neutre, Metula News n’a pas été en reste qui, sur son site, nous apprend que une entreprise lamentable appelée JCall a donc vu le jour en Europe et a permis de voir se réunir autour des mêmes propositions Bernard-Henri Levy, Patrick Klugman et, hélas, Alain Finkielkraut. Elle ressemble comme deux gouttes d’eau trouble à une

À la conférence de lancement de JCall. Capture d’écran

autre entreprise, intitulée JStreet, qui sévit aux Etats-Unis depuis le printemps 2008. Dans ces conditions, il est parfaitement légitime de se demander si la création, maintenant, de JCall n’aurait pas pour objectif de doter Barack Obama d’un moyen supplémentaire de sa politique, dangereuse pour la sécurité d’Israël, quoique puissent en dire les signataires de la pétition… Citons encore, et peut-être surtout, un autre appel à signatures qui entend prendre le contre-pied de JCall–Appel à la raison, un appel initié notamment par Pierre-André Taguieff et Shmuel Trigano, et dans lequel on ne sera pas étonné de trouver les signatures de Moise Rahmani, de Joël Rubinfeld et d’Isaac Franco l’«humeuriste» de Contact J. Cet appel, qui a déjà recueilli 9.705 signatures à ce jour (18 mai) est intitulé Raison garder et on peut le trouver sur le site www.dialexis.org. Le moins qu’on puisse dire est qu’il ne fait pas dans la dentelle…Un groupe d’intellectuels et de personnalités se réclamant avec ostentation de leur appartenance juive pour gage de

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leur objectivité a pris l’initiative sélective d’un «Appel à la raison». En réalité, cet appel va à l’encontre de ses buts affichés : la démocratie, la moralité, la solidarité de la Diaspora, le souci du destin d’Israël. L’offensive politicienne qui le sous-tend est claire pour tout le monde. L’idée d’une paix imposée à Israël sous la pression, voire l’intervention de puissances, est un déni de la démocratie et du droit international, aux relents néo-colonialistes. Excusez du peu ! Et encore… Elle bafoue le libre choix des citoyens de la démocratie israélienne et constitue un dangereux précédent pour toutes les autres démocraties. (…) Alors que les signataires font peser la responsabilité de l’impasse sur le seul Israël, toutes les enquêtes objectives montrent et démontrent que ni l’Autorité ni la société palestiniennes ne sont véritablement intéressées par une paix juste. (…) La création d’un État palestinien sans la confirmation de la volonté de paix du monde arabe sans exception exposerait le territoire exigu d’Israël à une faiblesse stratégique fatale. Les initiateurs de cet appel n’ont


eux non plus apparemment jamais entendu parler de l’Initiative de Paix de la Ligue Arabe…

LA GAUCHE PAS CONVAINCUE, MAIS… Nous l’avons vu, à la droite de Jcall - bien qu’il s’en faille de beaucoup que tous ses signataires soient des gens de gauche - on est résolument contre. A sa gauche on n’est pas convaincu, mais on lui trouve néanmoins des aspects positifs… Ainsi, Henri Goldman, journaliste et par ailleurs membre de l’UPJB, sur blogs.politique.eu.org/henrigoldman… Le lancement de ce texte, promu de façon fort professionnelle, est un petit événement, puisqu’à travers lui, une fraction non négligeable de la population qui se revendique juive rompt collectivement l’interdit qui veut qu’un Juif de la diaspora n’a pas à se mêler des choix posés par les Israéliens ; il est tenu de les soutenir quels qu’ils soient, comme un bon petit soldat. (…) Quelle que soit l’analyse qu’il convient de faire du tex-

Zeev Sternhell

te lui-même, il faut saluer la dynamique qu’il a initiée, même si, pour ma part, j’ai de sérieux doutes sur sa postérité. Qu’une fraction importante des Juifs d’Europe signifie à l’État d’Israël que le temps de l’inconditionnalité est terminé, ce n’est pas un fait anodin et il faut le mettre au crédit de cette initiative. Ce simple constat devrait suffire à modérer les ardeurs de ceux qui, parmi mes amis, ne digèrent pas le texte de l’Appel, avec quelques bonnes raisons d’ailleurs. (…) À vue de nez, la critique « de gauche » viendra contrebalancer celle « de droite » et conforter l’idée que l’« Appel à la raison » est bien la voix de la sagesse et du juste milieu. (…) J’ai apprécié à la tribune du Parlement européen les propos de l’historien Zeev Sternhell, assumant une posture de gauche, voire (en réplique à Barnavi) « gauchiste », les gauchistes étant pour lui ceux qui ont eu raison avant les autres, ceux de Daniel CohnBendit critiquant, après Sternhell, le concept d’État juif contraire à

l’idéal démocratique, ceux d’Avi Primor, dont la maîtrise de la langue française est un vrai régal, affirmant ne pas craindre de déplaire à l’opinion israélienne et qui fit applaudir le nom de Simone Süsskind. (…) Je comprends ceux de mes amis qui ont signé l’Appel en espérant peser dans ce sens et je leur souhaite bon courage. Mais le souvenir de quelques initiatives passées, qui sont retombées comme un soufflé, me laisse peu d’espoir. Je les comprends, mais je ne les suivrai pas… Approche similaire chez mes amis de L’Union Juive Française pour la Paix (UJFP)… La politique intransigeante du gouvernement Netanyahou, qui, en poursuivant la judaïsation de Jérusalem, va jusqu’à narguer le gouvernement Obama, ne peut que susciter des protestations dans les grandes communautés juives du monde occidental, y compris au coeur des communautés organisées. (…) Dans cet état d’esprit, il a été lancé au niveau européen un appel « JCall », dont les initiateurs en France sont diverses personnalités telles que Daniel Cohn Bendit, Bernard Henry Lévy ou Alain Finkielkraut. Cet appel dénonçant la colonisation ininterrompue de la Cisjordanie, il ébranle le monolithisme arrogant du CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France), courroie de transmission de la politique israélienne, et suscite des remous dans la population juive, ce qui ouvre la voie à des remises en cause que nous espérons de plus en plus profondes. Toutefois, l’Union Juive Française pour la Paix ne peut apporter sa signature à ce texte ni le soutenir de quelque façon que ce soit. (…) Les Palestiniens sont les grands absents de ce texte, Gaza n’y existe pas, le droit des réfugiés

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n’y existe pas, le droit de tous les habitants d’Israël à une citoyenneté complète n’y existe pas. Pire, le texte estime que la décision finale n’appartient qu’aux Israéliens, ne donnant aucune voix au chapitre aux Palestiniens. Et aussi chez l’Israélien Michel Warschawski qui s’exprime au nom du Alternative Information Center (AIC)… Il y a quelques jours nous avons publié sur le site de l’AIC le communiqué de nos amis de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP), critique envers une pétition initiée par d’éminentes personnalités juives européennes contestant la position de refus du gouvernement israélien actuel. Je partage complètement la critique de l’UJFP, en particulier quand la seule raison que les auteurs du texte de la pétition donnent, pour fonder leur critique de la politique suivie par Netanyahou, est ses effets sur le devenir d’Israël, et non pas ses effets sur les droits fondamentaux des Palestiniens, comme s’ils n’étaient qu’un objet et non des acteurs politiques. Dire cela ne signifie pas que l’on doive être indifférent à cette pétition et à l’émergence de JCall en Euro-

pe. Que des personnalités juives, comme Bernard Henry Lévy ou Daniel Cohn-Bendit, aient décidé de critiquer ouvertement un gouvernement israélien est un signe fort de l’isolement grandissant d’Israël sur la scène internationale et du malaise que traversent les communautés juives. (…) La question est : ce message sera-t-il entendu ou pas, et quand, par l’opinion publique israélienne. Pour l’heure, il semble bien que l’opinion publique soit en Israël aussi sourde que le gouvernement.

SIMONE SUSSKIND AVEC UN TEMPS INVOLONTAIRE DE RETARD Nous sommes plusieurs à nous être étonnés de ne pas voir la signature de Simone Susskind, dont on connaît l’inlassable combat en faveur d’une paix négociée et juste, parmi les premiers signataires de JCall. La raison en est simple, ainsi que le souligne Henri Goldman… Elle ne fut tout simplement pas associée à l’initiative… Sans doute son positionnement est-il trop clair face à certains chèvrechoutistes retors qui cherchent

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surtout à travers l’appel à se dédouaner d’une assimilation gênante pour leur image de marque avec l’actuel gouvernement israélien. C’est donc avec un temps de retard qu’elle a signé, appelant ses amis à le faire également… Certains parmi nous le trouveront trop vague et trop faible mais il suffit de voir les réactions de cercles officiels israéliens et de la droite de nos communautés pour comprendre qu’il est essentiel de mobiliser toutes celles et tous ceux qui, dans les communautés juives de la Diaspora, pensent que les politiques de ce gouvernement mènent à la disparition d’un Etat d’Israël démocratique et florissant aux côtés d’un Etat palestinien souverain et viable.

UNE SIGNATURE INATTENDUE… S’il est bien une signature à laquelle les initiateurs de JCall ne s’attendaient pas et, je dois le reconnaître, moi non plus, c’est celle d’Esther Benbassa. Elle s’explique de sa décision dans un long texte dont voici quelques extraits… L’« Appel à la raison » lancé par le clone juif européen de JStreet, moins offensif que ce dernier, moins puissant, moins pragmatique aussi, ne fait certes pas allusion aux sujets qui fâchent : asymétrie radicale des situations des deux entités en présence, souffrances palestiniennes, négociation inévitable avec l’Autorité palestinienne et le Hamas conjointement, question des réfugiés, etc. Sa frilosité est manifeste. Il n’en constitue pas moins un petit pas en avant. Il ressemble plus à une timide résurrection du mouvement « La Paix Maintenant », qui n’a pas su tenir ses promesses dans la longue durée et qui s’est étiolé, en raison de son virage à droite et de sa mollesse, surtout à cause de l’effon-


drement global de la gauche en Israël comme en diaspora. Certes, les principes énoncés d’une paix volontariste, que l’Union européenne et les États-Unis pourraient contribuer à imposer aux Israéliens et Palestiniens, et du rôle positif que la diaspora juive serait susceptible de jouer en ce sens, le tout dans le cadre d’une fidélité réaffirmée à Israël et au principe de son existence, ne sont pas de nature à choquer les personnes de bon sens. Mais les noms de certains signataires prestigieux pourront faire hésiter le quidam de bonne volonté éventuellement tenté de se joindre au mouvement. On retrouve là, curieusement, les noms de quelques anti-palestiniens convaincus (ou qu’on croyait tels) d’hier, ceux de quelques soutiens inconditionnels d’Israël d’aujourd’hui. Mais on y trouve aussi des hommes et femmes authentiquement désireux de la paix, de la vraie. Cet appel permet en même temps à ceux qui, hier déjà, appelaient à la raison d’unir leurs voix et de se faire entendre, sans être considérés comme des « traîtres » juifs, comme je l’ai été moi-même pendant des années. Je signe donc l’appel de JCall. Parce qu’il est urgent de s’engager dans la voie de la paix, et de le faire savoir, aujourd’hui encore plus qu’hier, étant donné l’impasse actuelle, grosse de nouveaux conflits meurtriers. Je le fais sans illusion et sans naïveté, pour que cet appel, malgré ses défauts, ne se délite pas, comme se sont délités « La Paix Maintenant » et les « accords » de Genève. Pour qu’il ouvre sur autre chose, devienne une force de persuasion, passe de l’état de pétition à celui de force agissante.

d’autres… On ne peut en effet pas expliquer autrement le communiqué daté du 5 mai que les initiateurs de JCall ont cru utile d’ajouter en tête de leur site… (…) Nous ne pouvons empêcher personne de se réclamer de notre texte pour des raisons qui leur sont propres, Internet est ainsi fait. Mais cet Appel n’est pas un menu à la carte où chacun est libre de puiser ce qui lui convient, ni d’apporter de manière ostentatoire sa signature en tenant des propos qui la contredisent en même temps. C’est une profession de foi dont chaque mot a été soigneusement pesé, une proclamation à prendre ou à laisser. Tout entière. Y compris, et notamment, dans la partie du texte qui exprime l’attachement des signataires à Israël et, donc, leur référence commune à la grandeur du sionisme. (…) En tant que représentants d’une partie de la diaspora juive, nous serions ravis de pouvoir être les partenaires d’un dialogue avec les signataires d’un appel symétrique au nôtre issu de personnalités palestiniennes et du monde arabe. Une telle initiative, dont la portée historique n’échappe-

rait à personne, aurait un impact majeur sur beaucoup de citoyens européens juifs qui hésitent encore à nous suivre (…). Voilà qui risque fort de doucher l’enthousiasme d’un nombre non négligeable de signataires… Car quoi ? Ceux qui défendent la cause palestinienne en même temps que le droit à l’existence de l’État d’Israël se verraient dénier celui d’appeler à la raison parce que leur référence n’est pas la grandeur du sionisme ? Voilà qui est lourd de sens… De plus, ces mêmes initiateurs semblent, eux non plus, ne jamais avoir entendu parler de l’Initiative de Paix de la Ligue Arabe… Il est des ignorances coupables.. Une question pour terminer… Quelle sera l’attitude des signataires de JCall si les pressions qu’ils appellent de leurs vœux continuent de se heurter à l’intransigeance obstinée d’Israël ? Se joindront-ils à ceux qui, en ultime ressort, appellent à des sanctions, ou se réfugieront-ils à nouveau dans le silence de crainte d’être accusés de participer au processus de délégitimation inacceptable d’Israël en tant qu’État ? ■

… ET PAS VRAIMENT SOUHAITÉE La sienne, et celles de beaucoup

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➜ Pourquoi j’ai signé l’appel de JCall JACQUES SCHIFFMANN

L

’appel de JCall dans Le Soir du 20 avril m’a réjoui. Une dynamique se créait, qui faisait bouger les lignes dans la Communauté juive en Belgique. Deux arguments principaux m’ont convaincu qu’il fallait appuyer cette démarche, malgré des réserves certaines, et j’ai signé en ligne le 23 avril. Le premier est l’affirmation que l’occupation et la poursuite ininterrompue des implantations en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, est une erreur politique et une faute morale, qui mettent Israël en danger et alimentent un processus de délégitimation. Le deuxième est l’appel pressant pour que les États-Unis et l’Europe fassent pression sur les deux peuples (c’est bien sûr un de trop !) pour un règlement raisonnable et rapide du conflit suivant le principe, deux peuples – deux États. J’ai signalé que ce n’était pas en raison d’un quelconque lien identitaire avec Israël que je signais, mais comme Juif diasporique. Bien sûr, je suis en désaccord avec d’autres points, et je déplore le manque d’empathie et de solidarité avec la principale victime, le peuple palestinien. Néanmoins j’ai considéré que malgré ses prudences et ses manques, cet appel crée l’évènement, autorise l’espoir, et met fin à l’image antérieure de la Communauté juive. D’une part un judaïsme institutionnel et conservateur, qui par son soutien inconditionnel à Israël par le passé, a crée une image ambiguë des

Juifs dans la population, surtout musulmane, et alimente ainsi un regain d’antisémitisme, et d’autre part un judaïsme critique envers Israël, modéré, au CCLJ, et plus radical à l’UPJB, souvent récusé sinon disqualifié par les premiers ! L’appel de JCall ouvre une voie médiane nouvelle, qui se veut la voix de la raison et de la sagesse, et j’espère que ses promoteurs auront le souffle nécessaire pour poursuivre et approfondir cette dynamique, et la traduire en actions, en manifestant autant d’empathie pour la partie palestinienne que pour l’israélienne ! Mais cet appel a déjà obligé tous les autres acteurs à se positionner par rapport à lui, et montre que la Communauté juive est loin d’être un bloc homogène où règne l’unanimité, et c’est bien ainsi : Le CCOJB d’une part, a pris ses distances, et d’autre part l’appel de la Carte blanche, parue dans Le Soir du 4 mai, à ne pas signer le texte de JCall, qu’il passe au crible, sans que rien ne semble trouver grâce aux yeux de ses signataires . Lors de l’AG de l’UPJB du 25 avril, d’aucuns disaient ne rien trouver de positif dans l’appel de JCall et il y en eut même un qui ne comprenait pas qu’un membre de l’UPJB puisse le signer ! Si l’UPJB avait à rédiger un tel appel, il serait bien sûr très différent, plus juste, et plus axé sur la défense des droits du peuple palestinien, position militante de l’UPJB de longue date, et avec laquelle je suis en accord. Mais si

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cette position de l’UPJB a une influence réelle dans les rues juive et belge, elle ne recueille pas, selon moi, l’audience que l’on peut en attendre, et c’est le pari que j’ai fait, en la signant, pour celle de JCall. Je ne vois d’ailleurs pas de contradiction à appuyer, à titre personnel, JCall, pour augmenter son poids, sa visibilité et la capacité d’agir de ses promoteurs auprès des autorités belges et européennes, et d’autre part à soutenir les prises de position plus radicales de L’UPJB, dont d’ailleurs, dans le passé, j’ai parfois critiqué vivement la formulation. L’UPJB après tout, se veut un lieu progressiste et ouvert de débats et n’a donc pas à imposer une ligne à tout prix. Certains ont des positions politiques antisionistes et (ou) des engagements personnels pro-palestiniens, que je ne partage pas, mais que je respecte, car ils sont sincères et c’est leur choix, mais je demande la réciprocité. Après cette AG animée du 25 avril, j’ai été conforté par l’éditorial favorable de Jean Daniel (dans le Nouvel Observateur du 29 avril), qui a toujours été pour moi une référence, et aussi par l’adhésion de personnalités dont j’apprécie l’action et les positions sur le conflit israélo-palestinien, comme Simone Susskind et Esther Benbassa, qui ont rejoint plus tard l’appel, ayant sans doute dû passer outre à des réserves que je comprends. ■


Cet « Appel à la raison » est irréaliste et immoral MICHEL STASZEWSKI

L

’État d’Israël n’a jamais été aussi impopulaire. Ce n’est pas étonnant après sa sauvage agression contre le Liban en 2006, le massacre de Gaza en 20082009 qui reste une prison à ciel ouvert soumise à un blocus cruel et alors que la colonisation de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et du plateau du Golan se poursuit sans désemparer. Il fallait bien que, finalement, la « gauche » sioniste se réveille pour « œuvrer à la survie d’Israël en tant qu’État juif et démocratique ». Pour cette « gauche » sioniste, Israël demeurera un État « juif et démocratique » si les Juifs restent majoritaires dans cet État. C’est essentiellement pour cette raison que l’Appel s’oppose à « la colonisation et la poursuite ininterrompue des implantations en Cisjordanie et dans les quartiers arabes de Jérusalem-est » qu’il qualifie d’« erreur politique ». Curieuse conception de la démocratie que celle qui accepte le principe de la dictature de la majorité sur les minorités. Car c’est bien de cela qu’il s’agit en Israël : aucune loi fondamentale n’y garantit les droits des individus et de nombreuses lois sont éminemment discriminatoires à commencer par la fameuse « loi du retour » qui permet à toute personne considérée comme juive par les autorités israéliennes de devenir citoyen de l’« État des Juifs » alors que cela est interdit

aux Palestiniens exilés. L’Appel qualifie tout de même aussi cette colonisation de « faute morale ». Fort bien. Mais pourquoi passe-t-il sous silence l’immoralité du processus qui a permis aux Juifs de devenir majoritaires sur le territoire israélien d’avant 1967 ? Le nettoyage ethnique serait-il moral en deçà de la « ligne verte »1 ? Si les auteurs de l’Appel désirent sincèrement la paix avec le peuple palestinien, la moindre des choses ne serait-elle pas d’appeler à la reconnaissance des torts immenses que la réalisation du projet sioniste lui a fait subir bien avant 1967 ? Et d’œuvrer à les réparer ? Il est irréaliste de penser que les Palestiniens pourraient se satisfaire d’une paix sans cette reconnaissance et ces réparations. Le but déclaré des initiateurs de l’Appel n’est pas l’évacuation de tous les territoires occupés depuis 1967 : pour Jérusalem, dont ils ne définissent pas les limites, ils ne condamnent que la poursuite des implantations et ceci uniquement dans les quartiers arabes de Jérusalem-est. Alors que de nombreux quartiers y sont désormais peuplés de Juifs. C’est sans doute pour cette raison qu’ils demandent à l’Union européenne et aux États-Unis de faire pression « sur les deux parties ». Car depuis 1988 le Conseil national palestinien accepte le principe du partage de la Palestine selon les frontières internationalement reconnues (soit

78 % pour Israël et 22 % pour l’État palestinien). Mais quelles pressions ces initiateurs sont-ils prêts à accepter sur Israël, eux dont la plupart se sont jusqu’ici toujours opposés à la moindre sanction contre cet État malgré son non respect systématique des résolutions de l’ONU et ses violations innombrables du droit international ? Ils n’en disent rien… tout en affirmant que « la décision ultime appartient au peuple souverain d’Israël ». Il est irréaliste d’espérer qu’une majorité d’Israéliens décide, sans pressions extérieures dignes de ce nom, de se choisir des dirigeants susceptibles d’accepter la création d’un « État palestinien souverain et viable », eux qui, mus par une terrible peur de l’Autre soigneusement entretenue, n’ont cessé depuis des dizaines d’années d’opter pour des dirigeants de plus en plus intransigeants. Et, d’un point de vue moral, comment des démocrates peuvent-ils accepter que le sort des territoires occupés et des personnes vivant sous occupation soit déterminé par les citoyens de la puissance occupante ? Et que celui des exilés (près des deux tiers des Palestiniens) soit complètement ignoré ? ■ 1

Seule frontière orientale de l’État d’Israël reconnue par l’ONU depuis 1949.

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Capture d’écran le 13 mai

La boîte de Pandore GÉRARD PRESZOW

D

’ici, entre Germoir et La Chasse, si je tourne le dos à Saint-Antoine, je vois en contrebas l’arrondi du sommet du Camembert. Souvent, je frôle le Parlement européen à travers la vitre du 34 ou du 95. Ce soir, j’y suis. Par la grâce de… « JCall ». Cool… D’ailleurs, pourquoi cet anglicisme « JCall » ? Pour faire « JStreet » alors que tous, à la tribune, s’en défendent ? Pourquoi pas « Japl » …d’autant que le français est la langue majoritaire des initiateurs de l’appel. Pour l’occasion, une part du Paris judéo-germanopratin est descendue sur Bruxelles. Soit, tout cela est fort amusant mais ce n’est pas le plus important. Si j’y suis, c’est un peu grâce à Dany-le-rouge… C’est du moins ce qu’en disent les remerciements qui lui sont adressés par les organisateurs. Vont-ils s’en mordre les doigts ou s’en réjouir en secret eu égard aux propos de celui qui, l’âge aidant, semble s’amuser des turpitudes institutionnelles ? Le voilà plus libre que jamais, se permettant de la jouer personnel pour en arriver à : « comment peut-on dire qu’un État juif soit démocratique ? un État laïc, oui ». S’il fallait un passe pour en-

trer, il fallait s’acquitter d’un mot de passe pour parler, mot de passe que Cohn-Bendit s’est empressé de transgresser : « l’ahavat Israël », « l’amour d’Israël ». La formule hébraïque fut rendue célèbre par les reproches péremptoires que fit Gershom Sholem à Hannah Arendt au moment du procès d’Eichmann, à Jérusalem. Hannah Arendt manquait cruellement d’ « ahavat Israël » aux yeux de l’ami de Walter Benjamin… D’Israël, de France, de Belgique, d’Italie, d’Allemagne, tous, ce soir, doivent s’y soumettre : « nous aimons Israël ». Une allégeance, une subordination, un « je peux ? », une infantilisation… une feinte, un artifice ? Un sésame dont la plupart des intervenants de la Diaspora s’étonnent eux-mêmes de l’accès de liberté de parole qu’il donne. Frileuse et quasi mutique, la gauche juive et soft s’en était privée jusqu’ici, à tel point que les rares personnes ou groupes qui en ont usé se sentaient bien seuls et relégués au statut de traîtres. En écho à une remarque de l’Israélien Elie Barnavi disant que « cette initiative n’était pas le fait de gauchistes », un autre Israélien qui n’a plus rien à prouver, Zeev Ster-

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nhell, s’est au contraire revendiqué gauchiste, si « être gauchiste, c’est avoir raison trente ans avant les autres ». Notre ami Marcel Liebman doit se retourner dans sa tombe, lui dont le dictionnaire en la matière n’était fait que de mots tabous pour l’époque et qui sont désormais tombés dans le domaine public ; à commencer par le mot « Palestinien » dont la première ministre Golda Méïr se demandait en toutes les langues ce que ce terme pouvait bien vouloir désigner…. Mais ne boudons pas notre plaisir : une certaine gauche juive a décidé de se mettre à parler, ou plutôt, de ne plus se taire devant les exactions israéliennes et l’alignement communautaire. Car finalement, c’est cela qui était réjouissant ce soir-là – même si, oh oui, tout cela reste bien sage – , un nouveau besoin de parole semble s’être levé, une pression irrépressible à sortir d’un silence complice et indigne : une boîte de Pandore s’est ouverte dont on peut espérer, sans trop d’illusions, qu’elle entraîne les langues audelà d’elles-mêmes et ait un effet sur les esprits et les réalités. ■


Les quatre points de « L’appel à la raison » de JCALL

En misant sur un démocratisme réel LARISSA GRUSZOW

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’ai, moi aussi, annoncé au cours de notre récente assemblée générale que j’avais signé le texte de JCall , tout en signalant aux rédacteurs mon regret de ne pas y trouver de référence à la place qui doit revenir au peuple palestinien dans le processus de décision vers la « désoccupation » et la naissance, enfin, d’un État palestinien. J’ai ressenti cette absence comme une sorte d’arrogance de la part des signataires vis-à vis de l’occupé. J’ai, néanmoins, signé car l’équilibre du texte de l’Appel penche en faveur d’éléments de solution du conflit qui rejoignent, pour l’essentiel, les miennes. Et même si beaucoup d’encre a déjà coulé à propos de la nature juive ou non de l’État d’Israël, je pense que l’histoire des cent dernières années a engendré de telles souffrances et, donc, de haines au sein des deux populations qu’il faudra plusieurs générations avant qu’elles puissent envisager d’abattre leurs défenses. Et, puisque l’appel de JCall se réfère à Israël en tant qu’État démocratique, j’ai signé en misant sur un démocratisme réel, libéré enfin

des abus fréquents des gouvernements actuels vis-à-vis de la minorité israélo-palestinienne. Enfin, comme beaucoup l’ont déjà fait valoir, en signant l’Appel, j’ai voulu me joindre à une tentative de ralliement large de la Diaspora juive européenne, en espérant qu’elle contribuera, avec d’autres initiatives telles que JStreet aux États Unis, à enfin faire bouger les Grands de ce monde pour mettre fin à une situation intolérable sur le plan humain. Sinon, nous continuerons à assister lamentablement à d’autres Intifadas, « Plomb durci », ou encore, pire… ■

1. L’avenir d’Israël passe nécessairement par l’établissement d’une paix avec le peuple palestinien selon le principe « deux Peuples, deux États ». Nous le savons tous, il y a urgence. Bientôt Israël sera confronté à une alternative désastreuse : soit devenir un État où les Juifs seraient minoritaires dans leur propre pays ; soit mettre en place un régime qui déshonorerait Israël et le transformerait en une arène de guerre civile. 2. Il importe donc que l’Union Européenne, comme les ÉtatsUnis, fasse pression sur les deux parties et les aide à parvenir à un règlement raisonnable et rapide du conflit israélo-palestinien. L’Europe, par son histoire, a des responsabilités dans cette région du monde. 3. Si la décision ultime appartient au peuple souverain d’Israël, la solidarité des Juifs de la Diaspora leur impose d’œuvrer pour que cette décision soit la bonne. L’alignement systématique sur la politique du gouvernement israélien est dangereux car il va à l’encontre des intérêts véritables de l’État d’Israël. 4. Nous voulons créer un mouvement européen capable de faire entendre la voix de la raison à tous. Ce mouvement se veut audessus des clivages partisans. Il a pour ambition d’œuvrer à la survie d’Israël en tant qu’État juif et démocratique, laquelle est conditionnée par la création d’un État palestinien souverain et viable.

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lire Rosie Pinhas-Delpuech. D’une langue à l’autre TESSA PARZENCZEWSKI

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stanbul, années 50-60. Une enfant découvre le monde. Le monde domestique et le monde extérieur. Objets familiers encore énigmatiques, comme la radio et son grand œil vert, et les recoins menaçants d’où peut surgir l’Ogre. Frayeurs et curiosité se conjuguent. Une maison où l’on parle français, la langue du père, la langue intime et rassurante. La mère parle l’allemand, appris au lycée allemand de la ville, mais « après ce qui s’est passé »… La grand-mère parle « l’espagnol des Juifs » émaillé de légendes bibliques. Mais un jour, il faudra quitter ce cocon bigarré pour adopter une seule langue, le turc obligatoire. En ces années-là, le nationalisme est au beau fixe : commémorations d’Atatürk, drapeaux déployés, bruits de bottes… un rouleau compresseur face aux minorités fragiles. Et c’est en turc que la petite fille apprendra à lire et à écrire. Elle s’appropriera ces nouvelles sonorités, parfois douces mais parfois aussi grinçantes, comme les Z qui griffent. « De la maison jusqu’à l’école, aller vers le turc est comme aller vers un pays étranger ». Plus tard, Rosie Pinhas-Delpuech entrera au lycée français et apprendra en-

fin cette langue dont elle n’avait qu’une connaissance orale. Les années de l’école primaire s’avèrent inutiles devant ce nouvel apprentissage. Et c’est le temps de l’entre-deux. Ce temps où progressivement la nouvelle langue refoule la première dans des zones reculées, et où la pensée et les rêves commencent à se dire autrement… Beaucoup plus tard, viendra l’hébreu et Rosie Pinhas-Delpuech deviendra la remarquable traductrice d’écrivains israéliens dont Orly Castel-Bloom, Etgar Keret, Batya Gour… Elle dirige aujourd’hui le Domaine hébraïque à Actes Sud. Une série de brèves nouvelles complètent les Suites byzantines, ces fragments d’enfance. Portraits, instantanés, évocation des séjours dans les îles, l’auteur convoque tout un monde cosmopolite, (quel beau mot si souvent traîné dans la boue !) : Grecs, Arméniens, Juifs, et Turcs évidemment, quelques personnages se détachent, étranges, déracinés, ballottés. Et comme le dit la dernière nouvelle, Os étranger, qu’est-ce être étranger ?

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Il est des romans touffus, rutilants, spectaculaires, mais il en est d’autres, ténus, intimes, d’une infinie subtilité et richesse, c’est à cette catégorie qu’appartient Suites byzantines. ■ Rosie Pinhas-Delpuech Suites byzantines Éditions Bleu autour 168p. 15 EURO


écrire Dédé à Anvers ANDRES SORIN

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l y a quelques samedis, en pleine crise nuageuse & volcanique, sous un ciel pourtant d’un bleu incroyablement profond (où sont les draches d’antan ?) je visitai avec ma famille le Zoo d’Anvers. Depuis mon arrivée sous ces climats je n’y étais jamais allé. Bien avant ma visite, en 1948, Simone Signoret fut anversoise le temps d’un film. Elle s’y appelait presque comme moi (1). C’était une fille du port, presque, euh… comme moi : les gens de Buenos Aires, dont moi, sont des porteños, les « Portuaires ». Là s’arrête la comparaison : Simone Kaminker-Signoret était blonde, moi pas. Les personnages du film ont bizarrement l’accent parigot, bien qu’ils soient sur les rives de l’Escaut. Étonnant ? Si une grande chaîne de télévision française confond la Flandre et la Wallonie en 2010, songez quelle pouvait être la sensibilité ethnolinguistique des Hexagonaux à une époque où les frontières linguistiques belges elles-mêmes étaient floues. En matière d’accents, justement, Anvers réserve des surprises. Avant la visite animalière, pause-déjeuner dans un resto « argentin » à quelques mètres d’Antwerpen-Hauptbahnhof. Je prépare les quelques phrases liminaires en néerlandais, mais l’accueil par le personnel, décidément bien pers-

picace, se fait en espagnol, bien que nous n’ayons pas ouvert la bouche à l’approche du restaurant; tant mieux, je n’aurai pas d’effort buccal à faire, à part la mastication des morceaux choisis. Le serveur, la quarantaine rasée (crâne et visage ; pour le reste je n’ai pas demandé), le nez aquilin, parle un espagnol parfait, à l’accent presque argentin. Je pense m’enquérir sur ses origines (d’habitude c’est moi le premier à poser la question), mais là, il me devance : « ¿ Usted habla... hebreo ? / Vous parlez l’hébreu ? » Oups, m’exclamé-je en mon for intérieur. Je réponds : « Non, mais je suis juif », devinant une interrogation raciale derrière la question linguistique, et mis en confiance par le flair de quelqu’un qui le parle probablement, l’hébreu. J’ajoute : « Pourquoi, c’est mon nez qui vous a mis sur la piste ? » « Non », qu’il me répond, « c’est votre accent en espagnol. » Je ne puis éviter de le questionner à mon tour : Il est Juif israélien, je l’avais deviné, moitié marocain, moitié irakien, et a appris l’espagnol dans un kibboutz... plein d’Argentins, près de TelAviv ! J’aurais donc l’accent... juif en espagnol ! ? Il faut dire qu’il y a très, très longtemps, en m’écoutant sur bande enregistrée, en Argentine, j’avais remarqué chez

moi, chez certains membres de ma famille et chez des amis paisanos2 une élocution un peu traînante. Viendrait-elle de l’intonation typique yiddish ? Réflexion faite, mon accent traînant latent me ferait plaisir car il me rattache à quelque chose. Est-ce qu’il me gêne aussi car il me démasque ? Sur le chemin du zoo, des familles dans la rue, chapeaux à fourrure ou grands feutres borsalino, perruques, leurs gamins blonds en képi et uniforme, comme sortis d’un tableau peint il y a cent ans... Tous ces gens marchaient dans la rue démasqués. Mes alteregos ? Je n’ai pas parlé avec ces gens, dont la langue maternelle est probablement la mame-loshn. Leur rattachement à des racines est évident, au détriment peutêtre de leurs branches et de leurs feuilles, qui poussent et croissent dans un univers mental différent. Ma maîtrise du yidish est rudimentaire ; mon aspect, banal. Ce n’est que grâce à l’oreille fine d’un serveur cosmopolite que j’ai pu, un moment, replonger dans le grand fleuve peu tranquille de notre destinée de paisanos. ■ Dédée d’Anvers ; réal. Yves Allégret, voir htttp://fr.wikipedia.org/wiki/Dédée_d’Anvers 2 paisano, paisana. Pays, payse : compatriote, originaire de la même région. Ici : Juif. 1

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regarder La main qui pense BERNARD NOËL À l’occasion du Parcours d’Artistes de Saint-Gilles, plusieurs lieux ont accueilli des toiles du peintre belge Paul Trajman, de l’UPJB à la Maison du Livre, en passant par la Galerie XXL et la librairie Tropismes. Paul Trajman est né en 1960 à Watermael Boisfort (Bruxelles). Il a étudié dans différentes académies en Belgique, et a notamment bénéficié de l’enseignement d’Arié Mandelbaum à Uccle. Il a exposé, individuellement et collectivement, en France, en Allemagne, aux EtatsUnis, et bien sûr en Belgique. Paul Trajman revendique pleinement les influences de Michaux ou Pollock, mais aussi de Jérôme Bosch. Son travail à l’encre de chine procède par coups de pinceaux spontanés jetés sur la feuille de papier. À ce jour, deux cinéastes ont choisi de filmer l’artiste au travail : Comme un torrent, André Goldberg, 1997, Belgique et Encre sur Encre, Sarah Blum, 2009, France. Un beau livre, Paul Trajman ou la main qui pense, vient de paraître, dont Paul est co-auteur avec Bernard Noël, que l’UPJB a également accueilli en ses locaux lors de la projection du film de Sarah Blum, suivie d’une rencontre animée par Gérard Preszow. Bernard Noël est poète, romancier, essayiste, écrivain d’art. Son amitié pour les peintres (Zao Wou-Ki, Fred Deux, André Masson, Roman Opalka...) le conduit à collaborer à la réalisation de nombreux livres d’artistes. Saluée par Louis Aragon, André Pieyre de Mandiargues et Maurice Blanchot, son oeuvre écrite couvre une cinquantaine de volumes, publiés entre autres chez P.O.L., Fata Morgana, L’Atelier des Brisants, Gallimard. De ce livre, Paul Trajman ou la main qui pense, publié en ce mois de mai 2010 aux éditions Ypsilon, Points Critiques vous propose en toute exclusivité un extrait consacré à l’une de ses très belles encres, la Grande Échelle, qui figure d’ailleurs en bonne place dans le film Encre sur Encre. Le livre, tiré à 600 exemplaires, est disponible au prix de 38 euros chez Tropismes et à la galerie XXL Art 30 (chaussée de Waterloo 503). ...Paul agrafe au mur une grande feuille de papier de deux mètres sur un mètre cinquante. Il a préparé sur une table perpendiculaire à ce mur de l’encre de Chine et des pinceaux, dont il mesure la souplesse entre ses doigts, puis en les frottant contre la surface de la table. Il reste immobile, un bref moment, face à la feuille, puis très brusquement attaque. Le premier geste est décidé, rapide, très ample. Résultat : une grande portion de spirale, qui fait vibrer l’ensemble de la feuille, ce large trait y créant un centre, une respiration. Mais déjà apparaissent une tête, un signe, une hau-

te verticale agrémentée de trois groupes de feuilles. Paul saisit un tampon de papier et tapote tout ce qu’il vient de faire. Puis un pinceau virevolte dans sa main tandis que le témoin revit le déni qu’oppose au mot à mot laborieux de son témoignage la rapidité de l’action. Vers le bas, sur la gauche, surgit un taillis de traits, de cercles nuageux. A droite, une tête avec deux longues jambes, un tamis fait de traits légers, une tige végétale. Tapotis encore et frottements. La main est très déliée, elle tourne autour du moyeu du poignet, elle danse en jetant des virgules, des

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ronds, des barres. Elle est tout le temps en train de faire autre chose que la forme tout juste désignée. Voici une tête surmontée de quatre antennes, sa face s’embrume. Une suite de points double le trajet de la spirale initiale, sur sa gauche. Signes évoquant une jambe, un pied. Deux têtes se précisent : l’une en haut, à gauche, très allongée, faisant grise mine ; l’autre, à droite, munie de jambes. Une échelle a été dressée pendant que le témoin s’attardait sur les deux têtes, et maintenant paraît une énorme larve à deux pattes. Quelle est la raison d’appeler


Paul Trajman, La Grande Échelle

cela une larve ? Aucune, l’impression visuelle a fait lever ce nom, l’a mis en tête avant tout sentiment d’une ressemblance. D’où cette question qui, souvent, hante le témoin : que voit-on quand on voit une chose dont ne vous frappe que l’apparence ? Le regard rapporte un nom et l’affaire est aussitôt classée même si la réalité échappe par le biais de l’information qui, loin d’être informée, est seulement consensuelle. Une échelle donc, indubitable, et un signe tout de suite qualifié de chinois à cause des jambages surmontés d’un trait horizontal. Paul frotte avec rage tout ce qui entoure ce signe. Puis vient une calligraphie légère avec petites boucles, petites torsades, petites boules, le tout exécuté avec un petit pinceau. Puis, on dirait bien qu’apparaît un dos féminin portant une tête carrée. Le signe suivant ressemble sans aucun doute à trois cerises au bout de leurs tiges. Lui succèdent deux lignes verticales agrémentées de cercles. Et c’est à présent une tête sur un gros corps ovale avec deux jambes dont l’une est pliée. La main butine, donne de petits coups, sème des taches, des traits, fait surgir une grande cho-

se étirée, plante une chevelure à la tête de gauche, qui devient un chevalier à la triste figure, met un œil très gros à une petite créature qui, jusque-là, n’était qu’un rond aplati, épingle un gros insecte, et encore et encore butine en faisant palpiter le pinceau. Deux yeux sans visage apparaissent sur la gauche, une petite échelle est dressée dans la marge droite, puis, soudain débarrassée de son pinceau, la main frotte, toute nue cette fois et rageuse, impatiente, autoritaire. La surface est très aérée, très spacieuse, tout y gravite autour d’une place centrale déterminée autant par le premier geste que par la circulation apparente des formes. Paul grise la surface, prend du recul, revient faire un bruit d’écriture auquel succède un frottage de plus en plus violent. Il assouplit une brosse plate contre la table et s’en sert aussitôt pour frotter encore. Des choses apparaissent demeurées inaperçues : le museau d’un avion ou d’un poisson, une espèce de dragon, un X volant et poilu... Paul retire ses lunettes, les essuie avec son pull, les remet, vient s’asseoir. Il semble épuisé. Un long silence s’installe. Le témoin ne

sait comment rompre ce silence : tous les mots lui paraissent indiscrets. Il regarde la feuille, il regarde les signes jouer dans l’espace. Il revoit la main mue par une vitesse inventive. Il se dit que cette rapidité favorise les apparitions, qu’elle en est même la condition. Il faut que le papier réfléchisse et non pas la main, pense-t-il, et Paul d’une voix très basse : - Il y a beaucoup d’air dans celui-là, je ne crois pas en avoir fait aucun autre d’aussi aéré... Je ne sais pas comment tout cela s’est fait, ni dans quel ordre, mais j’ai vécu assez heureusement tout ce trajet. -Est-ce que tout cela est sousentendu par une histoire que tu te raconterais en peignant ? - Non, pas du tout ! Les choses se mettent en place, l’une à la suite de l’autre, au petit bonheur de l’instant. - Et l’échelle ? - Si je pense à une échelle, c’est à celle de Jacob : la mémoire est pleine de lointain. Le témoin reste seul avec ses questions et ses problèmes. Il aime ce qu’il regarde et il a aimé suivre l’action, tout en souffrant de ne pouvoir mettre sur elle des mots capables d’en saisir le mouvement au lieu de le pulvériser. Il choisit plusieurs peintures à l’encre de Chine et les dresse autour de lui afin de se battre encore avec la représentation et ses effets. Il réussit à nommer, ici, un personnage avec bouche en croissant de lune et, là, un oiseau à corps de poisson monté sur deux pattes, puis c’est le découragement. Comment dire que, voilà, partout chez Paul Trajman, des figures qui n’ont pas leur but dans la figuration, mais qui ne peuvent se passer d’être figuratives pour éveiller une curiosité qui doit apprendre à se piquer de questions sans attendre de réponses. ■

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lire, regarder, écouter Notules de mai GÉRARD PRESZOW

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’apporte quoi ? Je suis un peu paumé. J’ai l’honneur d’être invité à un seder de Pessah chez des amis israéliens installés à Bruxelles depuis quelques années. Super… mais problème : les parents, profondément religieux et traditionalistes, débarquent d’Israël spécialement pour. Comme cadeau, quelque chose de « kasher » ne suffit pas, il faut que ce soit « kasher pour Pessah », « kasher + » en quelque sorte. Sous-entendu : on se charge de tout. Donc, je n’apporte ni à manger ni à boire. Je fais quoi alors ? Mes amis, la Sainteté sur eux, viennent de déménager. Je me mets dès lors en quête d’un cadeau pour leur nouvel appartement. Comme vous l’auriez fait, je cherche un objet que j’eusse aimé avoir chez moi. Il y a ce magasin que je capte rue du Bailli, à l’aller et au retour en 81, cette superbe quincaillerie qui fait le coin. J’y vais. Je lèche littéralement la vitrine. Assortiment de casseroles au double fond cuivré ? J’en ai toujours rêvé mais pas à ma portée. Couple de tasses à café pour le lever ? Un peu con… Et puis, sont-ils thé, sont-ils café ? Un passe-vite manuel ? J’adore, mais eux ? Et là, sur la droite, sous plastique, un objet qui me surprend : un pèse-valise. Ils voyagent beaucoup mes amis. Outre les aller-retour Bruxelles – Tel-Aviv, ils vont régulièrement à Tirana, Berne, Timisoara, Hebron, Berlin… En low coast, y a

pas intérêt à dépasser ni le poids ni le volume… Je rentre, j’achète : « Vous pouvez me faire un emballage cadeau ? ». C’est toujours un peu gênant de faire emballer cadeau des objets en dessous de la moyenne des prix, j’ai l’impression que l’emballage vaut plus cher que l’objet et que je coûte au commerçant… Ah ces pensées de pauvre ; ma mère demandait qu’on emballe les 400 grammes de pralines Léonidas dans un ballotin de 500 . J’arrive chez eux en plein quartier turco-marocain. J’offre mon petit présent que la maîtresse de maison s’empresse de déposer sur une commode, sans le déballer. Un couple d’amis est là avec leurs enfants. Les hommes de la famille sont à la synagogue. On les attend. Je crains le pire. La seule fois où j’avais été invité à un seder de stricte observance, ça avait pris toute la nuit. J’en garde un beau souvenir… anthropologique, mais je ne le referais pas. Les hommes n’ont pas trop tardé, ils débarquent en chemise blanche. Le repas démarre ; le père en bout de table mène la danse. Chacun a sa Hagada ; moi j’hérite d’un livre illustré pour enfants. J’essaie de suivre, d’identifier quelques lettres hébraïques en bon souvenir de ma bar-mitzvah mais je suis vite largué et, toutes les dix pages, mon voisin bien intentionné a le geste déictique pour me signifier où on en est. Le rythme semble s’accélérer, l’événe-

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ment prend du volume : on prie, on mange, on commente ce qu’on a prié, ce qu’on a mangé… du moins, je le devine. Tout se passe en hébreu, une fois sacré, une fois profane. Avec, peut-être, quelques mots d’araméen… Les lettres me reviennent : j’ai eu tout le temps de me remémorer. Tout à coup ça s’emballe, le père et la mère chantent et rient comme s’il s’agissait de comptines enfantines ; la voix de la mère décolle dans les aigus et part en canon, les visages s’illuminent. Le repas bascule et lévite. L’enfance irrigue les visages. Cela devient une fête. Pessah libère… Le lendemain, je reçois un mail : « très juif, ton cadeau… ». * Ils sont cinq sur la scène du Centre Communautaire et Laïc Juif pour la distribution du prix accordé par la revue Regards : le « Mensch » de l’année. Cinq qui furent de l’Armée des Partisans durant la guerre : Léon Finkielsztejn, Paul Halter, Ignace Lapiower, Abraham Nejszaten, Bernard Fenerberg. On s’évite de compter les années, on sait juste qu’il était temps qu’hommage leur soit rendu. Sans doute sontils comme ils ont toujours été : celui qui a un costume tiré à quatre épingles, celui qui a les cheveux soigneusement blanchis et coupés, celui qui, pour être commu-


Philippe Da Fonseca à la galerie 461. Photo gépé

ce sourde dans les quartiers » à ce public plutôt embourgeoisé. C’est comme une alerte. Il va à contre-courant de la fête. C’est inconvenant. C’est risquer de jouer les rabatjoie. Cette parole honora cette soirée. niste, n’en a pas moins gardé une allure haloutz, celui qui ne quitte pas ses jeans, celui qui, comme son voisin, prend avec l’âge de plus en plus les traits de son fils, celui qui a gardé l’accent d’Anvers, celui qui a l’air d’être le donneur de leçons de la bande, celui qui ironise avec son accent yiddish « peut-être qu’un jour je serai un mentsh ? », celui qui est prêt pour la danse, celui qui feinte comme d’hab, celui qui, avec ses camarades, est prêt à repartir à l’attaque… Mais qui rend hommage à qui ? Qui est en droit de leur rendre hommage ? Qui peut s’honorer de les honorer ? Eux et les absents, leurs camarades torturés, décapités, fusillés ? La salle est debout à les applaudir. Standing ovation. C’est la fusion, l’effusion. Les larmes se mêlent à la joie. Il en fallait du courage ce soir-là à l’un des enfants, Alain Lapiower, pour tenir un discours fait de phrases et de mots debout, un discours au cours duquel il tentait de situer le mot « résistant » aujourd’hui. Il parle de « la violen-

* Entre l’hommage à la Résistance et la commémoration du génocide, les mots n’ont pas encore trouvé le chemin d’une phrase commune. Le dernier livre de Jean-Claude Grumberg, Pleurnichard (éd. Le Seuil, La librairie du XXIè siècle, 2010), en témoigne : avec humour, tendresse et mélancolie. Un livre si proche des gens de sa génération à l’UPJB, celle des enfants cachés et du coudeà-coude de l’après-guerre sous le regard tutélaire du Parti communiste. Père mort à Auschwitz, une mère Courage qui élève ses deux fils dans le milieu de la confection parisienne que, dans sa pièce jouée et rejouée, L’atelier, il nous avait tant rendu palpable de l’intérieur. Pupille du PC et de ses organisations de jeunesse, il passe des vacances en Tchécoslovaquie et en République démocratique allemande (RDA), chez les « bons Allemands », chemise blanche au vent et foulard rouge autour du cou. Mais il y a presque erreur sur

la personne : le papa n’est pas mort les armes à la main et la maman n’est pas une grande militante devant l’éternel. C’est de cet écart que l’œil se fait vif et joyeux. De son incompétence irrémédiable comme apprenti tailleur est née cette œuvre-miroir. « Un juif comme vous et moi, surtout comme moi, pour Israël face à ceux qui sont contre, et contre face à ceux qui sont trop pour, contre surtout tous ceux qui nous somment d’être pour ou contre…. ». Cette famille d’écriture Grumberg, Bober et… Perec aussi. * Des noirs, des blancs, des gris, des traits, des réseaux, des lignes, des maillages, quelques arrondis parfois, des à-plats rouges plus récemment, des coulées, une densité, une épaisseur, des volumes sur la surface, des structures, une architecture, des routes, des autoroutes, des bretelles d’autoroutes, l’envers du décor…. quelle vie dans cette simplicité inspirée et cent fois reprise de Philippe Da Fonseca (1959), quelles bonnes vibrations... Il y a quelques années, j’avais vu deux, trois toiles dans une expo collective qui avait pour thématique « l’abstraction ». Ici, ce n’est rien que lui. Et c’est tant mieux. ■

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diasporas A Jewish-city trip : Budapest JACQUES ARON

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es lendemains de deux guerres mondiales, suivies de la guerre froide entre les vainqueurs de l’Allemagne nazie et de ses alliés, ont engendré une Europe qui peine à s’identifier. Malgré les remous que cela engendre, il paraît plus facile de mettre en place une monnaie commune que de produire une mémoire commune, consciente de la grande disparité des perspectives locales.

La carte de la Hongrie impériale d’avant 14-18 avec les limites actuelles de l’État

Un court voyage à Budapest suffit à se convaincre de son igno-

La grande Synagogue, rue Dohány, combine la légèreté du fer aux ors du décor oriental. Photo Jacques Aron

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rance et de la difficulté de combler, en connaissance de cause, ses lacunes historiques. La déportation des Juifs de Hongrie y est présente, jusque dans les circuits touristiques proposés, mais comment en découvrir les spécificités et dans quel cadre l’inscrire. Chacun semble avant tout soucieux de cultiver ses propres mythes et de se constituer une culture propre du souvenir. Au Musée national, le visiteur peut trouver, en plusieurs langues, une Histoire brève de la Hongrie qui nous « présente un peuple parti de l’Orient à l’aube du premier millénaire avant J.-C. qui arriva et s’intégra en Europe il y a mille cent ans »1. La ville reste effectivement, pour une part importante, l’une des capitales de l’empire habsbourgeois à la double couronne, l’AutricheHongrie, créé en 1867 et dépecé


nier restera le Régent d’un royaume sans souverain jusqu’à la tardive occupation nazie. Après la défaite, il finira ses jours sous la protection de Salazar.

DE L’INTÉGRATION DES JUIFS À L’ULTIME VENGEANCE DU NAZISME La synagogue orthodoxe des frères Löffler, architectes ( 1911). Photo Jacques Aron

par les vainqueurs de la Première Guerre. En 1896, Budapest fête son Millenium ; vingt-quatre ans après, la grande Hongrie triomphante doit céder la place à un État amputé de 70% de son territoire et qui ne compte plus que huit millions d’habitants (dont 473.000 Juifs). De la célébration nostalgique des gloires passées, il reste, dans cette capitale d’un empire disparu, ces monuments pompeux et un peuple de statues de chefs de tribus primitifs, d’évangélisateurs chrétiens et de guerriers farouches. À l’histoire de l’Autriche-Hongrie, se rattache l’ascension sociale des Juifs de Budapest, de mieux en mieux intégrés et admirateurs inconditionnels de l’empereur. Mais tout ce faste cache mal les frustrations laissées par le dépeçage du traité de Versailles (1920) : majoritaires sous l’empire, les Hongrois (et la moitié des Juifs hongrois) se retrouvent en partie dispersés, minoritaires, dans les territoires qu’il a fallu céder à la Roumanie, aux nouvelles Tchécoslovaquie et Yougoslavie. S’ensuivent l’éphémère république et la révolution des Conseils ouvriers, l’interven-

tion militaire de la Roumanie qui cède, après trois mois, le pouvoir à l’armée contre-révolutionnaire de l’Amiral Miklós Horthy. Ce der-

C’est dans cette histoire et aussi dans le tissu urbain de Budapest, qu’il faut lire et déceler les traces du destin particulier de ses Juifs. Le quartier juif central, avec ses nombreuses synagogues, est devenu un must touristique, avec les

Le psaume 72 à la gloire de Salomon, monarque modèle, mis en musique pour la célébration dans la grande Synagogue, en 1897, des noces d’argent de François-Joseph et de l’impératrice Élisabeth (Sissi)

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➜ restaurations, destructions et dénaturations, réappropriations que cela suppose après la disparition physique d’une communauté et de la majorité de ses héritiers légitimes. La variété des synagogues, leur taille et leur richesse décorative témoignent de la diversité et des conflits internes du judaïsme, autant que des clivages sociaux de ses représentants : de la grande synagogue libérale en style dit mauresque (3000 places, 1859) à la superbe synagogue orthodoxe Art-Nouveau (1913) de la rue Kazinczy, on y trouve tout l’éventail des lieux de culte des courants religieux rivaux ; avec l’Institut rabbinique, le Siège des Communautés israélites, les écoles et les immeubles de logements, ils rendent compte de l’insertion dans la vie urbaine d’une communauté juive plus importante que cel-

Caricature antisémite du début des années 20 : les trois visages de la menace juive

hongrois). Et après la Première Guerre, s’édifie encore en annexe à la grande synagogue une synagogue-mémorial aux 10.000 Juifs tombés sur les champs de bataille.

Mémorial aux victimes juives de Imre Varga (1989). Photo Jacques Aron

le de Berlin (215.000 personnes en 1920, 256.000 dans le grand Budapest, soit la moitié des Juifs

On sait pourtant que l’intégration des Juifs sous l’empire austro-hongrois ne se fit pas sans

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heurts, malgré la reconnaissance officielle dès sa création de leurs droits civils et religieux. L’accusation de meurtre rituel de Tisza-Eszlár (1882) va de pair avec la montée d’un antisémitisme parallèle à celui de l’Allemagne. Et dans les deux grandes puissances vaincues en 1918, le parallèle peut être poursuivi : la désignation d’un bouc émissaire à la défaite y est la même. La caricature que nous reproduisons en indique les trois traits spécifiques incarnés en Hongrie par le fantasme juif : la concurrence de l’immigré étranger (le Galicien), le révolutionnaire bolchevik et le capitaliste (une minorité qui détient 20 à 25% de la richesse nationale). Mélange contradictoire mais explosif qui permet l’imposition d’un numerus-clausus des études et des professions dans la petite Hongrie d’après-guerre. La menace ne devient réelle qu’à partir de 1938 ; la politique fluctuante du régime s’aligne de plus en plus sur celle de l’Allemagne nazie (ce qui lui permet la récupération de quelques territoires per-


dus) et sur celle de l’Italie fasciste. 1938 est l’année des premières lois anti-juives. Mais bien que la Hongrie entrât en guerre en 1941 aux côtés de l’Allemagne, ses Juifs y demeurèrent relativement protégés de la déportation. En 1943 encore, eurent lieu dans la grande synagogue les funérailles solennelles de son grand rabbin Simon Hevesi. Avec le tournant de la guerre, Horthy tente de négocier avec les alliés une paix séparée. À l’automne 1943, se précise la menace d’une intervention directe de l’armée allemande dans le pays ; le 19 mars 1944, c’est chose faite, et s’installe alors un gouvernement collaborateur et la terreur des Croix-Fléchées, ces milices fascistes hongroises. Le 18 novembre, le quartier juif est bouclé comme un ghetto (d’autres ghettos étaient apparus plus tôt dans le pays) et l’évacuation vers Auschwitz peut commencer.

Juif en prière de Hugo Scheiber (1873-1950), un des meilleurs peintres de l’avant-garde hongroise (Musée juif)

La tragédie des Juifs hongrois est documentée partiellement

dans le Musée juif annexé à la grande synagogue et construit à l’emplacement de la maison natale de Theodor Herzl, et plus complètement au Mémorial de l’Holocauste ouvert en 2004. Derrière la synagogue, à l’emplacement de la fosse commune où furent jetés 2281 Juifs assassinés dans le ghetto, se dresse l’imposant Arbre des Pleurs d’Imre Varga (1989), à la mémoire des 500.000 victimes dont les noms sont inscrits sur ses feuilles de métal scintillantes au soleil. Peut-être est-ce encore une évocation de cette Vallée des Larmes surgie des interprétations nombreuses du Psaume 842. ■ 1 2

Cour d’immeuble : balustrade décorée de menorah. Photo Jacques Aron

Édition Merhavia, Budapest, 2003. Deux petits ouvrages de référence : Budapest Jewish, Vince Books, Budapest, 2002 ; Walks in the Jewish Quarter, Vince Books, 2006.

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diasporas Images de la vie juive polonaise dans les années trente ROLAND BAUMANN

M

ontré en novembre 2009 au Mémorial de la Shoah à Paris dans le cycle « La mémoire de la Shoah dans le cinéma polonais aujourd’hui », et sorti récemment en DVD en Pologne, le long-métrage Po-lin, réalisé en 2008 par la cinéaste Jolanta Dylewska, documente la vie des bourgades juives du Yiddishland dix ans avant le judéocide. Co-production germano-polonaise, Po-lin est construit à partir de films amateurs tournés dans les années trente par des Juifs américains venus visiter leurs familles en Pologne et conservés dans différentes institutions internationales (Yad Vashem, YIVO, etc.). Jolanta Dylewska met en valeur ces images documentaires, « banales » et le plus souvent anonymes, en revisitant les lieux des prises de vues, pour interviewer des habitants polonais qui, à travers leurs bribes de souvenirs, témoignent à propos de la vie juive, plus de soixante ans après la disparition de leurs voisins ou amis d’enfance juifs. Accompagnant en voix-off les images d’archives et les prises de vues contemporaines de la cinéaste, à la recherche des vestiges de la vie juive dans ces localités rurales à l’Est de la Pologne, des fragments de textes tirés des Livres du souvenir, décrivent la vie locale de ces communautés juives anéanties par les

allemands. Inspiré par le succès de l’exposition itinérante de photos « Et je vois encore leurs visages », organisée par la Fondation Shalom de Varsovie, Po-lin nous livre un fascinant panorama de la vie au Shtetl, vue de l’intérieur par des cinéastes « indigènes », juifs américains revenus au pays natal et qui fixent sur la pellicule leurs parents et amis d’enfance, tout comme les scènes et lieux typiques de la vie locale. Bref, le portrait souvenir de leur communauté ! Professeur à l’école de cinéma de Lodz, Jolanta Dylewska est aussi l’auteur de La Chronique de l’insurrection du ghetto de Varsovie d’après Marek Edelman (1993). Par son travail de recadrage et de montage opéré à partir d’images cinémtographiques tournées par les nazis au ghetto, elle s’y efforçait de « donner un visage » aux victimes de la Solution finale dans la capitale polonaise. Comme le souligne la voix-off du narrateur, les témoins de Polin sont la dernière génération de polonais à avoir connu la vie au Shtetl. Seuls leurs « miettes de mémoire » relient encore l’histoire locale à l’histoire séculaire des

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communautés juives disparues. Ici, ils ont vécu leur enfance, en compagnie des Juifs. Puis, la vie juive a fait place au vide. Face à ces souvenirs diffus de la mémoire paysanne et aux rares vestiges architecturaux qui témoignent encore aujourd’hui d’un passé juif local, c’est tout le travail de la cinéaste qui confère aux pellicules amateurs des années trente, le plus souvent dénuées de qualités techniques, leur force d’évocation incomparable dans Po-lin. Jolanta Dylewska ne s’est en effet pas contentée d’utiliser les images d’époque pour illustrer un propos historique sur la vie du Sh-


tetl ou sur les victimes du judéocide en Pologne. Associant images et textes d’archives, témoignages et prises de vues actuelles, elle restitue la vie au quotidien, en particulier les regards étonnés, amusés ou simplement curieux de ces Juifs du Shtetl, qui, le plus souvent, des plus jeunes aux plus âgés, regardent l’objectif, s’agglutinent face à la caméra amateur que manie « un des leurs ». Voyageur d’Amérique dont le statut privilégié explique l’incroyable proximité entre l’opérateur de cinéma en herbe et tous ceux dont il capture les visages et les sourires dans leur cadre de vie quotidien.

UN MONDE VICTIME Du marché et des petits métiers juifs, on passe aux personnalités de la vie communautaire, aux fêtes et à la cuisine des fêtes... aux jeux d’enfants. Ainsi, l’été 1933, à Horodok (en polonais Grodek, situé entre Vilna et Minsk; aujourd’hui en Biélorussie) David Shapiro visite son Shtetl natal avec une caméra. Toute la communauté bénéficie des largesses de ce richissime « Américain » dont les images filmées évoquent à loisir la fièvre festive qui s’empare du Shtetl à l’arrivée de ce « messie ». Dix ans plus tard, la majorité des Juifs d’Horodok auront été assassinés, y compris la plupart de ceux dont la caméra de Shapiro a immortalisé les visages d’enfants. Et les images de liesse collective, animées sur la pellicule, contrastent avec le néant actuel d’une localité sans Juifs et oubliée de l’histoire. Po-lin s’achève après s’être attardé sur le monde des Hassidim (filmés en 1935 dans le quartier juif de Cracovie à Kazimierz) et les rites funéraires annuels effectués au cimetière en l’honneur des défunts, ainsi à Zabludow

(près de Bialystok). Scène finale du film, une grande prairie, à la lisière d’un village. Là fut exécutée en masse la population juive de Kaluszyn, nous dit Zvi Kamionka, un des rares survivants, qui vit aujourd’hui en Israël, et dont nous découvrons le visage d’enfant au milieu de toute sa famille, filmée en 1936. Cette dernière séquence confronte le spectateur à la vérité de Po-lin : tous ces êtres, dont les images fugitives des films d’amateurs noir et blanc nous montrent les visages et que les Livres du Souvenir permettent parfois d’identifier, ont été victimes du judéocide. En fin de compte, cette remarquable chronique audiovisuelle de la vie du Shtetl est la vision terrifiante d’un monde disparu à jamais. Images fantômes d’une histoire sans postérité...

UNE IMAGE CLICHÉ ? Certes, la plupart des films amateurs cités dans Po-lin documentent de petites communautés rurales et lorsqu’ils ont été tournés en ville, à Cracovie ou à Lodz, nous montrent surtout des Juifs « typiques ». Un judaisme pauvre et archaïque, mais riche de sa tradition religieuse. L’accent porté tant par l’image que dans la narration en voix-off sur le pittoresque des métiers traditionnels, du marché… la prière, l’étude, les fêtes religieuses et la ferveur hassidique tendent à renforcer une vision intemporelle et folkloriste du Shtetl, figé dans son traditionnalisme, jusqu’à sa disparition.

HUIT JUIFS Le 25 février dernier, au cinéma Muranow à Varsovie, l’organisation de la jeunesse juive polonaise ZOOM organisait la première d’un court-métrage documentaire « 8 Histoires qui n’ont pas changé le monde » (8 historii, które nie zmieniły swiata) réa-

lisée par un jeune cinéaste indépendant, Ivan Krankowski, sur un scénario de Jan Spiewak, ancien président et fondateur de ZOOM (Zydowska Ogólnopolska Organizacja Młodziezowa). Huit Juifs polonais, nés entre 1914 et 1933, évoquent le pays de leur enfance, à travers une série de thèmes communs : leur entrée à l’école, leur plat favori, leurs lectures préférées... leurs rêves... le premier amour... De nombreux extraits de films d’époque polonais alternent avec les souvenirs des témoins, aidant à les situer dans le contexte culturel des années trente. Citons le Dybbuk (1937), joyau du cinéma yiddish, réalisé par Michal Waszynski, le plus prolifique cinéaste polonais de l’entredeux-guerres. Primé aux festivals de film juif de Varsovie et de cinéma indépendant de Wroclaw, ce court-métrage tourné l’été dernier à Wroclaw, Lodz, Cracovie et Varsovie montre des survivants, chaleureux, optimistes, aimant la vie. De « vrais polonais », fiers de leur judéité, et dont les fragments de souvenirs autobiographiques, associés aux images de fictions cinématographiques en noir et blanc, font entrevoir la profonde diversité sociale et culturelle qui caractérisait le judaïsme polonais avant 1939. ■ Po-lin. Okruchy pami�ci / Po-lin. Spuren der Erinnerung, 2008. DVD édité par TIM Film Studio; (polonais avec sous-titrage anglais). Le film est aussi visible sur YouTube en version polonaise, non sous-titrée : www.youtube.com/watch?v=i2qfCwscXru) Organisation de la jeunesse juive polonaise - ZOOM (Zydowska Ogólnopolska Organizacja Młodziezowa) : www.zoom.edu.pl (polonais et anglais) Voir aussi une présentation du court-métrage 8 historii, które nie zmieniły swiata sur le site Internet de la société de cinéma LaCamera Independent (co-productrice du film avec ZOOM) : www.lacamera.pl (polonais et anglais)

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Yiddish ? Yiddish ! PAR WILLY ESTERSOHN

C=rpw-tleuu = : widYi yidish : a velt-shprakh Yiddish : une langue universelle On sait peu que l’Allemagne est peut-être le pays européen où sont menées les recherches les plus importantes dans les domaines de la langue et de la culture yiddish. Après avoir été interrompues lors de l’accession des nazis au pouvoir, elles ont redémarré à partir des années soixante. L’étude de la langue et de la littérature yiddish a trouvé place dans pas moins de neuf universités. C’est dans ce contexte que vient d’être publié un livre intitulé « Jiddisch, Geschichte und Kultur einer Weltschprache » (Yiddish, histoire et culture d’une langue universelle), une publication qui n’a pas échappé à la rédaction de l’hebdomadaire yiddish new-yorkais Forverts. Voici la conclusion de l’article consacré à l’ouvrage.

= zij , « C=rpw-tleuu = Nuf rutluk Nuj etciweg » : widYi Cub s]d a iz shprakh velt a fun kultur un geshikhte yidish bukh dos .rut=retil eceltf=wnsiuu erelup]p _ ren=wz Med Nuf kreuuretsum literatur visnshaftlekhe populere – zhaner dem fun musterverk NwiznLw= Nuf Nc=rpw el= Fiuj Nb]h Nem Fr=d widYi Mur= recib Nim =z= ashkenazishn fun shprakhn ale oyf hobn men darf yidish arum bikher min aza ilL etseb id zij s]d .win=pw ,wisur ,wiziuqn=rf ,[irBe ,wilgne : « [ulg » keyle beste di iz dos shpanish rusish frantsoyzish ivrit english goles Nuj rewidYi red Nij twreh s]uu ,widYi Ngeuu [uqrjh-Me s]d Nfmek=b uq un yidisher der in hersht vos yidish vegn ameratses dos bakemfn tsu redn= N= Fiuj Cub ekiz]d s]d Nqezrebij M{s reb] .tleuu rewidYi-tin ander an oyf bukh dozike dos iberzetsn stam ober velt yidisher nit Nr=f leiqeps tliqeg zij se lUuu ,Nqun kiniiuu Negnerb tevv C=rpw farn spetsiel getsilt iz es vayl nutsn veynik brengn vet shprakh ,wredn= widYi Ngeuu NbUrw Nem Fr=d C=rpw redei Fiuj .Mlue NwiwtUd andersh yidish vegn shraybn men darf shprakh yeder oyf oylem daytshishn red r=f tn=vveler NenUz s]vv ,widYi Nuf Ntkeps= id jkuud kidnen]t=b der far relevant zaynen vos yidish fun aspektn di dafke batonendik s]vv ,eb=gfiuj ekidnegnird reb] ,ereuuw = zij s]d .rutluk rekireheg vos

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! widYi ? widYi

TRADUCTION Le livre « Yiddish : histoire et culture d’une langue universelle » est un travail exceptionnel dans le genre : littérature populaire scientifique. Cette catégorie de livres au sujet du yiddish, on en a besoin dans toutes les langues de la diaspora ashkenaze : anglais, hébreu, français, russe, espagnol. C’est le meilleur outil pour combattre l’ignorance au sujet du yiddish qui règne dans le monde juif et non-juif. Mais traduire tout simplement ce livre-ci dans une autre langue ne sera (n’apportera) que de peu d’utilité parce qu’il vise spécifiquement le public allemand. Dans chaque langue il faut écrire différemment au sujet du yiddish, en soulignant expressément les aspects du yiddish qui sont pertinents pour la culture appropriée. C’est une tâche difficile mais urgente qui attend son accomplissement.

REMARQUES Nim min (hébr.) = genre, espèce. recib bikher : plur. de Cub bukh = livre. [ulg goles (hébr.) = diaspora, exil. [irBe ivrit (hébr.) = hébreu moderne. ilL keyle (hébr.) = instrument, outil. [uqrjh-Me ameratses (hébr.) = ignorance. M{s stam (hébr.) = (adj.) ordinaire, n’importe quel; (adv.) tout court, sans raison spéciale. Mlue oylem (hébr.) = public, auditoire, foule. jkuud dafke (hébr.) = justement, exprès ; ne... (personne, rien d’autre) que, ne... pas moins que. gnuziil leyzung = solution, recette (sens commercial). N.B. : On ne dira jamais assez ce que ces « remarques » doivent à l’indispensable dictionnaire yiddish-français de Niborski et Vaisbrot (Bibliothèque Medem, Paris).

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ANNE GIELCZYK

Fins de série

C

’est la fin de la saison les amis, on commence à fatiguer, vivement les vacances. Mais pour finir la saison en beauté, d’abord quelques fins de série, on solde ! Prenons Leterme par exemple, Leterme, c’est fini, on liquide pour cause de transformations. Souvenez-vous, en 2007, c’était encore un produit-phare, il remportait les élections haut la main, en cartel avec la NVA avec le slogan « Wie gelooft die mensen nog ? » (« Qui croit encore ces gens ? »). Ces gens, « die mensen », c’était le gouvernement Verhofstadt II et le problème c’était déjà le problème de la réforme de l’État et de la scission de l’arrondissement de BHV, ce que nous appelons communément « les problèmes communautaires ». BHV, un problème communautaire qui nous pourrit la vie depuis que la Cour constitutionnelle a statué en 2003 que la loi de réforme électorale de 2002 du gouvernement Verhofstadt I était anticonstitutionnelle. Dans n’importe quel pays, un tel arrêt aurait annulé automatiquement la loi avec retour aux anciennes circonscriptions électorales, mais en Belgique, même la Cour constitutionnelle manie le compromis dit à la Belge et a donc demandé au Parlement de

trouver « une » solution en son sein avant les élections de juin 2007. Ce que le Parlement n’a pas fait, mais Yves Leterme (et Bart De Wever) allait nous régler ça vite fait, bien fait. Il suffisait de « cinq minutes de courage politique » pour voter le splitsing de BHV, majorité (flamande) contre minorité (francophone). On connaît la suite, trois ans plus tard, après s’être séparé de la N-VA, s’être métamorphosé en chantre d’une « solution négociée » dans le cadre d’un « fédéralisme de coopération », après avoir été deux fois formateur, trois fois ministre, deux fois premier ministre et trois fois démissionnaire, il est allé remettre sa quatrième démission au Roi. Il ne lui a pas fallu cinq minutes au Roi, il a accepté tout de suite et ensuite il est parti faire ses courses avec Paola. Les caméras de la RTBF qui traînaient encore par là ont capté la Fiat cinquecento royale qui franchissait les grilles du Palais de Laeken. Ça fait belle lurette qu’ils n’annulent plus leurs rendez-vous chaque fois que Leterme s’annonce. Enfin, tout ça pour vous dire que le Fédéral est en liquidation totale, on se retrouve non seulement sans gouvernement, mais aussi sans Parlement. C’est qu’on a aussi un Parlement fédéral les amis ! On a failli l’oublier celui-là.

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E

t qu’a-t-il fait ce Parlement pendant trois ans ? Eh bien, faute d’avoir voté la scission de BHV, il a voté l’interdiction de tout « vêtement cachant totalement, ou de manière principale, le visage », c-a-d les cagoules, les masques de carnaval, sans oublier évidemment les burqas. Alors que le gouvernement était démissionnaire et le Parlement sur le point d’être dissous, on nous a expédié ça à la quasi-unanimité. Dès qu’il ne s’agit plus de « problèmes communautaires », nous ne reculons devant aucun sacrifice. Dorénavant vous ne verrez plus en Belgique de femme voilée de cap en pied, ni au volant, ni dans la rue. Pour les masques de carnaval, c’est mois sûr. C’est pas que ça courait les rues si j’ose dire, la majorité d’entre vous n’en a sans doute jamais rencontrée, même que vous auriez bien voulu en voir une, une fois pour de vrai. Eh bien maintenant c’est définitivement fichu.

Q

ui dit plus de Parlement, dit élections. C’est pour le 13 juin. Les élections en juin, c’est comme les soldes, ça devient récurrent. D’ailleurs il y en a que ça énerve. « Ik stem niet » (« je ne


« On solde à BHV »

vote pas ») ont déclaré quelques BV sur Facebook (BV : Bekende Vlamingen, en français : pipoles flamands). Ils ont été très vite rejoints par des milliers de signataires. Ils protestent contre le fait que selon eux les politiciens « ne prennent pas leurs responsabilités » et qu’ils n’ont « donc pas le droit de nous demander de prendre aujourd’hui les nôtres ». Qualifiés par certains d’ « objecteurs de conscience », ce que je trouve très exagéré. Même si je suis d’accord pour dire qu’il ne s’agit pas d’apolitisme, cela reste somme toute assez infantile comme (ré)action. Dans les partis politiques traditionnels, cela en inquiète plus d’un, car ne pas aller voter ça profite aux extrémismes paraît-il. Il fut un temps où cela profitait à la gauche, mais aujourd’hui en Flandre cela profite à la N-VA qui avait déjà fait un beau score lors des élections régionales de l’année dernière et qui d’ailleurs siège au gouvernement flamand. Chez les nationalistes de la N-VA, on solde aussi : le séparatisme et l’indépendance de la Flandre c’est pour plus tard, dans l’immédiat on vend du confédéralisme, c’est plus porteur. Car à la N-VA, on ratisse désormais sur les platesbandes plus modérées des partis traditionnels. Leur slogan, « nu durven veranderen » (« oser changer maintenant ») s’adresse

particulièrement à ce segmentlà du marché électoral. Osez voter pour nous, disent-ils. Et ça a l’air de marcher. Un signe qui ne trompe pas, Siegfried Bracke, le journaliste-phare du service d’information politique de la VRT, classé plutôt socialdémocrate, a rejoint la N-VA et mènera la liste pour la FlandreOrientale.

L

e CD&V qui s’est pourtant débarrassé d’Yves Leterme (ce qui nous vaudra qui sait pour la première fois une femme comme premier ministre) a choisi comme slogan – oh ! ironie – « nooit opgeven » (« ne renonçons jamais »). Rik Torfs, le médiatique et si spirituel professeur de droit canonique de l’université de Leuven, rehaussera la liste sénatoriale du CD&V de sa présence. Rik Torfs s’est fait connaître par sa participation à différentes émissions de la VRT dont le fameux quiz « De slimste mens ter wereld » qui avait consacré Bart De Wever déjà. Groen ! n’est pas en reste et exhibe Eva Brems, une autre « slimste mens » et professeur à l’université de Gand. Chez les libéraux de l’Open VLD, pas de BV, et je le crains pas de « slimste mens », mais un petit nouveau, Alexander De Croo, le fils d’Herman, dont le fait le plus marquant jusqu’à présent a été de faire tomber le

gouvernement. Aujourd’hui, ils veulent « een nieuwe start » (« un nouveau départ » texto !), quant aux socialistes, ils veulent que ça avance avec « we moeten weer vooruit ». On l’aura compris, les Flamands veulent que ça bouge. Rien de bien surprenant après trois ans d’immobilisme. La question reste pourtant, comment et avec qui ? Du côté francophone, même si on a compris maintenant que les partis flamands ne lâcheront pas le morceau d’une « grande réforme de l’État », on met l’accent sur les thèmes socioéconomiques et sur l’unité de la Belgique. Le CDH s’est attribué rien moins que la devise de la Belgique « L’union fait la force ». Selon les francophones, la majorité des Belges n’en a rien à faire des thèmes communautaires tandis qu’en Flandre les thèses séparatistes sont en bonne voie de gagner les élections. Bref on n’a pas encore voté qu’on ne s’entend déjà pas. Ça promet pour la suite. Mais d’abord quelques vacances, que je vous souhaite bien bonnes. En espérant que le volcan Eyjafjallajökull ne vienne pas perturber vos plans de voyage. De toute façon avec l’euro qui se casse la gueule, vous n’irez pas bien loin. Tiens, justement en Grèce et en Espagne, on solde, profitez-en. ■

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LE

DE LÉON LIEBMANN

Un vibrant appel à la raison... du plus fort ?

I

sraël-Palestine : appel à la raison . C’est sous ce titre que paraissait dans Le Soir du 20 avril dernier une « Carte Blanche » signée par des personnalités juives européennes et israéliennes. On peut résumer comme suit le contenu de l’appel, connu sous le nom de JCall : l’existence d’Israël est à nouveau en danger ; à la menace de ses ennemis extérieurs, s’ajoutent l’occupation et la poursuite ininterrompue des implantations en Cisjordanie et dans les quartiers arabes de Jérusalem qui sont, je cite, « une erreur politique et une faute morale ».. L’Union européenne, comme les États-Unis, doit faire pression sur les deux parties en les aidant à régler rapidement leur conflit. De leur côté, les Juifs de la Diaspora, qui sont attachés à l’existence et à la sécurité d’Israël, doivent, plutôt que de s’aligner systématiquement sur la politique israélienne, ce qui va à l’encontre des intérêts véritables de l’État d’Israël, créer un mouvement européen capable de faire entendre leur voix – celle de la raison. C’est seulement elle qui permettra d’œuvrer à la survie d’Israël en tant qu’État juif et démocratique, ce qui implique également la création d’un État palestinien souverain et viable. Enfin si les Juifs de la Diaspora doivent se

manifester ainsi, c’est au peuple israélien qu’il appartient de prendre la décision ultime. Parmi les réactions suscitées par « l’appel », il faut surtout retenir celle du CCOJB et celle de son pendant néerlandophone, le Forum der Joodse Organisaties. Le CCOJB, sans critiquer le contenu de l’appel, a émis un regret : les auteurs de ce texte ont omis de « rendre hommage au bilan positif de l’État juif ». Il a, pour sa part, souhaité un autre « Appel à la Raison » que lanceraient des musulmans et des Arabes et destiné au monde arabe et aux Palestiniens afin qu’ils s’engagent à négocier une solution « à deux États dans le respect mutuel et sans violence. »

D

e son côté, le Forum soutient, avec le CCIB, que l’appel n’exprime que l’opinion d’une petite partie des Juifs belges francophones et que seuls les citoyens d’un État démocratique peuvent se prononcer au sujet de la politique suivie par ses gouvernants. L’ « appel à la raison »… appelle deux critiques et une approbation. 1) Son option pour « un État juif et démocratique » est pour le moins ambiguë. Elle devrait, pour être acceptable, rejeter catégoriquement la possibilité d’instaurer et, a fortiori,

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d’aggraver des discriminations entre les citoyens israéliens juifs et arabes, d’une part, juifs laïcs et religieux, d’autre part. On ne pourrait tolérer que ces derniers, qui représentent à peine 20% de la population, dictent la loi à la majorité judéo-arabe. 2) Son souhait de laisser aux Juifs israéliens le droit de prendre seuls la décision ultime qui scellerait la paix dans la région figure expressément dans son texte. Il s’agit sans doute d’une maladresse commise dans sa rédaction. Ce qu’en réalité les auteurs souhaitent c’est interdire aux Juifs diasporiens de participer à l’élaboration de l’accord final entre les parties concernées. 3) Par contre, on ne peut que louer la sincérité et le courage des signataires d’avoir enfin avoué … l’inavouable en dénonçant la politique du gouvernement israélien à l’encontre des Palestiniens de Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Implicitement, l’establishment juif de Belgique, qui n’a émis aucune réserve à ce sujet, les a suivis dans leur réprobation. C’est tout ce qu’on peut retenir de vraiment positif dans ce JCall. Saluons l’événement et félicitons les auteurs de cet audacieux revirement. ■


hommage La résistance armée comme héritage ALAIN LAPIOWER Texte lu le 19 avril 2010 lors de la remise du titre de « Mensch de l’année 2009 » par le CCLJ à Léon Finkielsztejn, Ignace Lapiower, Abraham Nejszaten, Bernard Fenerberg et Paul Halter, anciens Partisans armés juifs

Quelques mots sur ce que représente la résistance armée comme héritage pour un des enfants d’anciens résistants

C

e n’est pas toujours facile psychologiquement et affectivement, car je me demande souvent si j’aurais été capable d’un tel courage et d’une telle intensité d’engagement. Au-delà, on se demande souvent si on est à la hauteur tout court, et si on est digne des sacrifices que cette aventure a représentés. La Résistance pour moi, c’est une lumière. C’est me dire que dans la nuit que constituait cette période pour les Juifs et pour les opposants, prendre les armes, au sens propre comme au sens figuré, c’était une façon de redonner un sens à sa vie et à la vie en général. Aujourd’hui, comme héritage, c’est une leçon de vie ; un repère politique, philosophique et existentiel. C’est une référence qui remet certaines choses dérisoires à leurs places mais qui m’aide aussi à trouver ma place dans ce monde. Nous vivons dans une société relativement confortable, en tout

cas ici à Bruxelles, et disons, la plupart d’entre nous qui sommes présents ce soir. L’esprit de la Résistance, la transmission que cela suppose, c’est d’abord d’être lucide sur ce qui se cache derrière ce confort. Notre confort d’Européens, juifs ou non juifs, c’est d’abord la misère des deux tiers du monde. Notre confort de Bruxellois ayant la chance d’habiter de ce coté-ci de la frontière sociale, (pas linguistique) c’est aussi la misère de 20 % de chômeurs et je ne sais combien de gens au CPAS, autant de sans papiers… un nombre impressionnant de personnes qui n’ont pas le même accès aux richesses, à la culture ou aux plaisirs de ce monde parce qu’ils sont issus de l’immigration ou parce qu’ils ne sont pas les enfants des bonnes personnes dans les bons endroits ou que sais-je encore. L’esprit de la Résistance, c’est de ne pas accepter. Ne pas accepter l’oppression, l’injustice, la soumission. Y compris la soumission au confort et la soumission à la grisaille de l’ennui, bref ne pas accepter la misère, toutes les misères. La notre, si on nous l’impose, mais pas non plus celle des autres ni celle d’autres peuples, même si dans le passé nos parents ont été op-

primés. La résistance, c’est de ne pas accepter le « système » comme l’appellent les jeunes des quartiers qu’on dit défavorisés ; ils disent fuck the system et ils ont raison. Le système, c’est la machine qui génère cette misère et qui est plus arrogante et plus à l’aise que jamais. Si nous ne faisons rien, si nous ne disons rien, si nous laissons faire, ne devenons-nous pas alors une sorte de collaborateurs ? Il n’est pas toujours très clair de trouver comment, mais il y a fort à faire aujourd’hui pour résister. Et c’est important ! La mémoire est une lumière dans un monde qui tend à perdre son sens. Nous n’imaginons pas à quel point nos enfants ont besoin aujourd’hui de ces repères et de cette lumière et de ces références, que sont la résistance et la lutte des parents. C’est ça l’héritage. Et j’essaie d’avoir ces choses à l’esprit dans beaucoup de choses que je fais au quotidien, dans mon travail, dans ma vie sociale et aussi dans l’éducation de mes enfants. Et j’espère être digne de ce que nos pères, de ce que mon père a fait. J’espère être a mentsh. ■

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activités mercredi 2 juin à 20h15 Les combats de Jeremy Milgrom Cofondateur de « Rabbins pour les droits de l’Homme » et de « Clergé pour la paix »

Conférence-débat Jeremy Milgrom est né aux États-Unis en 1953. Fils d’un rabbin, il vit en Israël depuis 1968. Après son service militaire, il s’est mis à étudier le judaïsme et est devenu rabbin. En 1982, peu de temps après la naissance de sa première fille, il a refusé de servir comme soldat au Liban. En 1988, Jeremy Milgrom fut l’un des fondateurs de l’association « Rabbins pour les Droits de l’Homme », créée en réaction au non respect des Droits de l’Homme par l’armée israélienne durant la première Intifada. Elle lutte depuis, sans désemparer, contre toutes les discriminations entre les habitants de la Palestine-Israël et, tout particulièrement pour la défense des droits des Palestiniens de Cisjordanie victimes des exactions des colons et de l’armée israélienne. Nous l’accueillerons dans le cadre d’une tournée de conférences-débats qu’il effectue en Allemagne et en Belgique. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO, au profit intégral de l’association « Rabbins pour les Droits de l’Homme ». N.B. : Jeremy Milgrom sera à Charleroi le 3 juin (salle « Allende » - FGTB, 36 boulevard Devreux à 18h30) et à Nivelles le 4 juin (salle Jean de Nivelles - Caritas, rue de Bruxelles - entrée par le parking à 19h30)

vendredi 4 juin à 20h15 La Pologne, son héritage national et les Juifs Conférence-débat avec

Roland Baumann,

historien d’art, ethnologue et journaliste

Depuis l’avènement de la démocratie la Pologne redécouvre son histoire. En 2000, « l’affaire Jedwabne » déclenchait un large débat national autour des responsabilités polonaises dans l’anéantissement du judaïsme polonais. Aujourd’hui, alors que se multiplient les initiatives associées à la reconstruction d’une histoire nationale et sa représentation dans les musées, les autorités et l’opinion publique polonaises manifestent aussi un intérêt certain pour la mise en valeur du passé multiculturel de la Pologne. La communauté juive de Pologne, en dépit d’une renaissance relative, est très faible numériquement et la « réinvention » de l’identité juive se définit surtout dans ses rapports à l’orthodoxie religieuse et à l’État d’Israël. Face à ces changements, il semble nécessaire de reconsidérer notre vision de la Pologne et de contribuer à ce vaste travail de mémoire dans lequel, jusqu’à présent, se sont surtout impliqués des Juifs américains ou israéliens... PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

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samedi 12 juin à 17h Séance d’hommage au peintre et écrivain Giovanni Buzi (1961-2010) à l’occasion de l’exposition de peinture

Éclats de vie Cette exposition retrace une partie du parcours pictural de Giovanni Buzi au cours de ces 25 dernières années. Elle montre des oeuvres figuratives de trois étapes : des tableaux consacrés à Rome (19841999 environ), la série « Sexe, Horreur et Fantaisie » (2004-début 2009) et les « Visages » de la dernière période, peints dans l’urgence et la conscience d’une mort qui pouvait ne pas tarder.

Horaires de l’exposition : samedi et dimanche de 11 à 20h mardi, mercredi et vendredi de 17 à 20h

Plus d’information sur le site www.giovannibuzi.net

vendredi 18 juin à 20h15 Les relations judeo-allemandes aujourd’hui Conférence-débat avec

Claude Weinber, directeur de la Fondation Heinrich Böll

La politique de l’Allemagne vis-à-vis d’Israël La communauté juive en Allemagne après la réunification L’expérience d’un Juif vivant en Allemagne PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

➜ juin 2010 * n°307 • page 31


➜ samedi 19 juin dès 11h30

Journée de clôture 2009-2010 au Parc Schaveys (Kleetbos) Nous attendons tous les membres et amis, les anciens et les nouveaux, des plus jeunes aux plus âgés, les enfants de notre organisation de jeunesse et leurs parents au Parc Schaveys à partir de 11H30... Au programme, pique-nique, plotkes, farniente et jeux, dont les incontournables parties de crix et de grens ! Le parc se situe à Beersel, à la limite de Linkebeek. Le plus simple c’est de prendre la chaussée d’Alsemberg, vers Alsemberg. Il faut prendre à gauche, dans la Schaveyslaan, 3 kms après le grand carrefour du Bourdon, celui où le cirque Pauwels a pris racine. Ensuite il suffit de suivre la rue (le chemin est indiqué par un panneau), jusqu’au parking (gratuit !). Il suffit de traverser le petit sousbois au fond du parking à droite et de nous retrouver au fond de la magnifique pelouse vallonnée et ensoleillée qui s’offre à vos yeux... En cas de difficulté pour s’y rendre, du covoiturage pourra être organisé (appelez le secrétariat au 02.537.82.45)

samedi 19 juin dès 19h

Soirée de clôture de l’UPJB Pour clôturer la saison en beauté, retrouvons-nous nombreux, toutes générations confondues, autour d’un ...

Spectacle – Cabaret – Animation Programme : première partie

- Chorale de l’UPJB - Pamela Solis et Son Pomelo, Gilles Daems (tangos diasporiques) - Alain Lapiower (chansons)

deuxième partie

Grand quiz musical animé par Claire Liebmann

Ouverture des portes dès 19h avec le traditionnel cocktail de bienvenue offert par la maison ! PAF (soirée + repas + apéro): 15 EURO, 12 EURO pour les membres, tarif réduit: 6 EURO

Réservation indispensable au 02.537.82.45 avant le 15 juin, dernière limite

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penser Sur la tristesse des jours YOURI VERTONGEN

C

e matin comme chaque matin, la crépitante voix du radio réveil t’oblige à sortir de ton songe. Déjà ce rêve t’a paru plus réel que ne le sera jamais la journée qui t’attend. L’insécurité ambiante, décrite par ton journal, te convainc de fermer ta porte à double tour. Le ton dramatique de la speakerine, te force à te munir de manteaux, écharpes et gants pour te prémunir des intempéries. Tu attends ton tram dans ce froid que tu ne connais que trop bien. Tu te délectes d’avance des rayons chauffant du soleil du mois d’août qui tarde à venir. Tu regrettes déjà les moments passés au bord de la piste de ski. Tu t’engouffres alors dans ce sarcophage de métal géant et là... rien ne se passe. Ces corps entassés dans les trains du matin ne se disent rien. Au contraire, ils avalent. Ils avalent le stress de la journée à venir. Ils anticipent les excuses leur permettant ce jour, comme hier et sans doute demain, d’arriver en retard sur le lieu de travail. Les Ipod’s, journaux métro et GSM’s remplacent l’interaction entre les êtres devenue impensable. Une bousculade dans les foules anonymes du matin est bien vite critiquée. Une voix haletante s’élevant trop haut dans la cohue générale est vite conspuée, étouffée, niée. Les regards toisant les sols grisés du métro donnent tort

à ceux qui tentent l’interférence. Tous s’apprêtent à vivre la pire journée du moment, dès l’instant où il n’adviendra rien de plus que la veille et sans doute rien de moins que le lendemain : Un prof proférant les inepties que jamais tu ne désapprendras, un patron te forçant à te soumettre à sa politique des chiffres, un client râlant du sourire que tu ne lui auras pas offert. Rien de bon n’arrivera dans ta journée, juste l’attente d’en finir. Rentrer dans ton auto, chercher tes gosses à la crèche et drainer le train-train de ta survie quotidienne jusque dans les recoins de ta cuisine. Là, la purge continuera de manière certaine, te poussant dans tes derniers retranchements au moment d’atteindre le sommeil mérité. Là tu t’enfonceras dans les buées du rêve, implorant les célicoles pour que jamais cette anesthésie ne cesse. À 7h pile, le drame reprendra de plus belle ! La machine t’aspirera, emportant avec elle les espoirs illusoires emmagasinés pendant la nuit ! Ta journée n’est qu’un passé en re-devenir! Mais si tu acceptes que l’ère de la possibilité s’ouvre à toi, la nonobstination te fera peut-être nous rencontrer. Aujourd’hui, nous sommes résignés à ne pas rentrer chez nous ! Rester dehors quand la froideur des temps te pousse à être ravalé, à ne plus être, à ne plus voir, voilà une noble façon de se garder ! Ce soir, au moment du

« bip » de la fermeture automatique de ta Polo, la curiosité de l’Inconnu te confortera dans le plaisir de t’arrêter. Ce soir près de chez toi, loin de la fourberie délétère d’un monde, on s’arrête, on réfléchit, on se voit, on se parle, on se rencontre. Parce qu’il n’y a rien à espérer de la claustration habitable que la routine des jours, tu trouveras chez tes voisins des affects égarés depuis des âges. Être sur les trottoirs quand ON te veut dedans, voilà les signes de l’aurore des révolutions. Les révolutions des rapports entre nous. Nous ne nous connaissons pas encore, mais nous avons tant à nous dire. On ne se côtoie qu’au travers de ces quelques lignes mais déjà l’envie nous prend d’en débattre. Peut-être nous aimerons-nous. Peut-être nos présences respectives aplaniront-elles nos divergences particulières. Peut-être verrons-nous de nouveaux plaisirs se dessiner. Peut-être même deviendrons-nous inséparables. Nous croyons en ce « peut-être » car il est le seul à ne pas être hypothétique. « Car tout est possible, là où rien n’est attendu ». Rendez-vous ce soir devant chez nous, devant chez vous, devant chez eux. Rendez-vous ce soir pour, ensemble, refuser de rentrer. Rendez-vous près de chez vous... ■

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à l’upjb 18 avril 2010

Commémoration du 67ème anniversaire de l’Insurrection du Ghetto de Varsovie

Carine Bratzlavsky, co-présidente de l’UPJB. Photo Thérèse Liebmann

Michel Mahmourian, président du Comité des Arméniens de Belgique. Photo Mady Wajnblum

Mélanie Uwamaliya, rescapée du génocide des Tutsi rwandais. Photo Mady Wajnblum

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La chorale de l’UPJB. Photo gépé

Les moniteurs de l’UPJB-Jeunes. Photo Mady Wajnblum L’assistance. Photo Mady Wajnblum

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UPJB Jeunes Le chaînon d’une histoire NOÉMIE SCHONKER

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e 18 avril, à peine rentrés d’une formation de trois jours, les moniteurs ont rejoint l’UPJB au Monument à la Résistance juive et au Mémorial de la Déportation d’Anderlecht pour rendre hommage, au nom de l’UPJB-Jeunes, aux insurgés du ghetto de Varsovie. Cette année, les moniteurs avaient investi davantage dans la cérémonie, impatients et fiers, d’y annoncer, publiquement, le choix du nom pour le groupe des benjamins. Voici un extrait du discours lu par Shana et Volodia, moniteurs des désormais « Marek Eldeman », dernier survivant de l’Organisation Juive de Combat du ghetto, décédé en octobre 2009 : « …Ces jeunes Juifs, à peine plus âgés que nous, ne se sont battus ni pour leur profit, ni pour un territoire. En se soulevant, ils ont rappelé leur appartenance au genre humain. En prenant les armes contre ceux qui voulaient les anéantir, ils se sont raccrochés à la vie et sont devenus des hommes libres. Leur message dépassait – et dépasse encore – le cadre du génocide dont ils ont été victimes ; il visait à combattre toute oppression d’une communauté par une autre, toute forme d’injustice, d’intolérance ou de mépris. Nous voulons aujourd’hui également rendre hommage aux trois jeunes résistants qui, le même 19 avril 1943, ont arrêté le XXe convoi, ainsi qu’à tous ceux qui ont résisté dans l’ombre, ceux dont l’héroïsme fut de rester debout et de survivre dans un système qui

leur refusait le droit à la vie. Cette résistance, moins spectaculaire et plus discrète est pour nous tout aussi fondamentale et héroïque. En tant que moniteurs à l’UPJBJeunes, […] héritiers d’une histoire, nous souhaitons que sa mémoire devienne l’affaire de tous, et pas seulement des Juifs. Qu’elle soit une mémoire collective car, contrairement à la mémoire individuelle, pour continuer à vivre, elle doit s’insérer dans l’actualité et permettre de tirer les leçons du passé. Le « plus jamais ça ! » ne doit pas cacher l’exigence actuelle de vigilance et de résistance. Aujourd’hui encore, des murs s’érigent, des voix cherchent à se faire entendre et des gestes de désespoir nous rappellent que le combat des insurgés est loin d’être gagné. Par le choix de noms de groupe, des thèmes de camp, par l’engagement auprès des sans-papiers, la participation aux manifestations contre la racisme et la guerre, nous entendons éveiller le sens critique des jeunes, développer leur esprit de solidarité et établir un lien entre les luttes passées et actuelles. […]Nous savons que la solidarité et l’appui de la population ont fait la force de la résistance. Et nous savons également que l’indifférence permet au crime de se perpétuer.[…] Monsieur Marek Eldelman, vous qui vous en remettiez à nous « pour que le souvenir de tous ses combats ne s’efface pas », nous espérons qu’en attribuant votre nom au nouveau groupe de petits,

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l’appel des insurgés aux générations futures sera entendu et perpétué. » « En tant que moniteurs à l’UPJBJeunes… » Pour certains, être moniteur à l’UPJB relève de la logique des choses, d’une continuité incontournable, d’un flambeau à reprendre, d’un rôle à assumer. Pour d’autres, cela signifie rejoindre une « famille » quelque peu étrangère mais accueillante, une aventure pédagogique formatrice. Pour tous, ce sera un écolage où d’un statut à l’autre on passe de réceptacle à vecteur de transmission. Aujourd’hui, peut-être plus qu’hier, les « liens de famille politique » s’étant distendus, cette aventure réunit et le petit-fils à la cousine de la cousine d’une grand-mère » et la petite-amie du copain de l’ex de la voisine. Pour que ce groupe devienne une équipe solide et complice, porteuse d’un projet pédagogique upéjibien, il faut qu’il passe du temps ensemble, qu’il se forme et que sa filiation soit explicitée, illustrée, réappropriée. C’est à tout cela qu’a contribué la formation, dite « interne », organisée à la fin des vacances de Pâques et qui s’est déroulée au Coq trois jours durant. Entre les soirées dans les dunes et les parties de billard, Fouine retraça les grandes lignes de l’histoire de l’UPJB à travers ses colonies et son mouvement de jeunes, l’UJJ. Sur les diapos projetées, les monos reconnaissent le grandpère de l’un, la grand-mère de l’autre au même âge qu’eux, dans les mêmes locaux fréquentés de-


Carte de visite puis l’enfance. Le contexte a changé, les noms de groupe aussi, bien que… pas tous, les slogans des manifs, le rapport aux adultes, l’engagement militant mais… pas les jeux, pas le souci de réflexion, pédagogique et politique, pas le sentiment d’appartenir à quelque chose de particulier et d’avoir un rôle important à y jouer. Les jeux auxquels on joue à l’UPJB de génération en génération, ce sont d’abord des jeux extérieurs et de ballon. Catherine mit donc un point d’honneur à renforcer leur goût pour le crix, le grenz, le massacre polonais, et j’en passe. Elle assista ensuite Minou, son ancienne monitrice, venue elle aussi jusqu’à la mer du Nord pour former les jeunes au « drama » et leur proposer de nouveaux jeux d’intérieur et de veillée. Après le temps du moniteur animé, vint le temps de la réflexion : prendre du recul sur la pratique, le vécu, questionner la position de celui qui « anime », témoin ou acteur de conflits inhérents à la vie de groupe mais pas toujours évidents à résoudre… Ces formations sont des moments privilégiés pour l’équipe de moniteurs. Les camps le sont également d’autant qu’ils leur permettent d’approfondir, par des jeux et des mises en scènes, des thèmes qui leur sont chers et les relient à la maison, à ses engagements et à ses valeurs. Après une discussion sur le trajet nous ramenant à Bruxelles et des échanges entre monos anciens et actuels, rassemblés dernièrement lors d’un repas de seder pas très casher, le thème de camp pour cet été est tout trouvé mais rien ne vous en sera dévoilé avant notre retour des Vosges… ■

L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective. Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq groupes différents.

Bienvenus pour les enfants de 6 ans ou qui entrent en

Les 1ère primaire Moniteurs :

Shana : 0476/74.42.64

Volodia : 0497/26.98.91 Les

Janus Korczak pour les enfants de 8 à 9 ans

Moniteurs : Max : 0479/30.75.71 Mona : 0474/42.37.74 Les

Émile Zola pour les enfants de 10 à11 ans

Moniteurs : Fanny : 0474/63.76.73 Lucas : 0476/56.72.37

Les

Yvonne Jospa

pour les enfants de 12 à 13 ans

Moniteurs : Cyril : 0474/26.59.09 Ivan : 0474/35.96.77 Félicia : 0472/62.06.95 Les

Mala Zimetbaum

pour les enfants de 14 à 16 ans

Moniteurs : Alice : 0476/01.95.22 Théo : 0485/02.37.27

Informations : Noémie Schonker - noschon@yahoo.fr - 0485/37.85.24

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écouter Concerts ! NOÉ Renan Luce, Maurane, Christophe

L

es mois à venir vont faire chanter les foules qui, même si elles n’envahissent plus les magasins de CD, sont toujours aussi friandes de concerts. Couleur Café à Bruxelles, Les Francofolies à Spa, et des dizaines d’autres festivals arrivent à grand pas. L’occasion pour moi de vous parler de quelques soirées exceptionnelles qui ont ponctué la saison 2009-2010. Bonne lecture, et rendez-vous en septembre !

RENAN LUCE, OU LE RETOUR À L’ARTISANAT « J’suis de cette jeunesse /Qu’a eu les fesses /Bien au chaud /Chez ses parents », lance Renan Luce en ouverture de son nouveau récital au Forest National devant, approximativement, cinq mille personnes. Si, depuis peu, Renan est le gendre de Renaud, une de ses influences, il apparaît surtout comme le digne héritier d’une Chanson Française enfouie depuis la mort de Georges Brassens. En 2007, huit cent mille personnes ont eu le plaisir de se pencher sur « Repenti », son premier album. Moi de même. Je me souviens avoir découvert le Breton en première partie de Bénabar, il y a quatre ans. Le jeune homme enchaînait entre autres, seul à la guitare, « Les voisines » et « La lettre », qui deviendront, quelques semaines plus tard, des succès radiophoniques.

Ensuite, je l’ai retrouvé dans un Cirque royal rempli, en 2008. Salvatore Adamo, présent ce soir-là, l’a invité sur son disque de duos pour chanter « J’avais oublié que les roses sont roses ». Renan Luce était de retour à Bruxelles le 23 avril dernier pour présenter son nouveau CD, « Le Clan des Miros », qui lui aussi a trouvé de nombreux acquéreurs. Du jeune enfant à la grandmère, de la classe « bobo » à la plus populaire, c’est un public éclectique qui s’est laissé emporter par sa poésie sans prétention et ses mélodies accrocheuses. À l’heure où une certaine jeunesse ne se soucie gère de la platitude des paroles qu’elle écoute et où les musiques se font par ordinateur, Renan fait mouche en ne se contentant, finalement, que du strict nécessaire : guitares à peine électrifiées, contrebasse, ukulélé, claviers, batterie, percussions. En guise de décors, un rideau fait l’affaire sur lequel des ombres chinoises illustrent les histoires que Renan décline, toujours avec le sourire. Car le talent de l’artiste n’est pas des moindres, il manie la plume de manière à dresser des portraits, des saynètes, et il le fait avec beaucoup de finesse et d’intelligence. Sans artifices, l’artisan chante avec plus d’énergie que s’imaginent ceux qui le connaissent peu. Le public sautille, applaudit de bon cœur, rigole. Et si le temps corse son écriture, ça sera pour

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notre plus grand plaisir.

« L’ESPÉRANCE EN L’HOMME » « J e ne savais pas que j’avais autant d’amis ! », lançait Maurane à ses plus ou moins proches venus en masse pour le filage de la série de concerts « Ô Nougaro ». N’ayant pas encore passé le cap des musiques aux accents jazzy, je n’étais pas au Théâtre 140, mythique salle schaerbeekoise, en tant qu’aficionado de Claude Nougaro. Juste curieux de voir Maurane redonner vie à un des chanteurs les plus reconnus par ses pairs, mais trop vite mis de côté par la presse populaire. Et elle le fait avec brio. Elle aimait profondément Nougaro, et essaye de nous transmettre sa passion pour lui. De « Bidonville » à « Tu verras », en passant par « Armstrong », qui fait toujours partie des chants « upjibiens », l’artiste alterne entre succès et perles rares. Maurane, bien qu’accompagnée par plusieurs musiciens, livre des arrangements musicaux minimalistes, loin des affreuses sur-orchestrations de son album studio « Nougaro ou l’espérance en l’homme ». Maurane est une des plus grande voix de la chanson française, c’est indéniable. Mais lorsqu’elle sort les violons, même la subtilité des textes de Nougaro en devient vaporeuse, un peu comme ce qu’elle nous a proposé ces dernières années.


SAEZ À LILLE, UN VOYAGE Plus de quatre ans d’attente, pour finalement apprendre que je ne serai pas à Bruxelles le jour de la venue de Damien Saez (voir mensuel d’avril). Alors c’est au Zénith de Lille que, le 8 mai dernier, je vécus mon premier concert rock. Le public nordiste, bien connu pour être le plus chaud, ne m’épargna pas quelques coups par-ci par-là. Non loin de la scène, au milieu des 15-40 ans, c’est avec des amis bruxellois rejoints là-bas que, conquis d’avance, je pus sauter et crier à en perdre voix. Dans ma chronique le concernant, je le disais digne héritier du groupe Noir Désir et de son chanteur Bertrand Cantat. Mais lorsqu’au concert un spectateur crie « Ouais Bertrand ! », au moment où Damien entame un « Working Class Hero » de John Lennon, dédié aux petits-enfants des travailleurs Lillois, ce n’est qu’un doigt d’honneur que le perturbateur reçoit. Le Damien, il sourit mais faut pas le chercher. Quatre guitares, une basse, une batterie et une voix. Pas d’effets spéciaux, ni d’impressionnant light show. Le contestataire interprète ses chansons à la Brel : il les joue littéralement. Il se permet même de reprendre « Que je t’aime » de Johnny Hallyday. Que l’artiste soit seul à la guitare ou accompagné, la foule hurle les paroles qu’elle connaît par cœur ; une des seules foules qui n’a pas encore totalement remplacé les briquets par les téléphones portables. Damien n’est pas là pour faire l’apologie de l’un ou l’autre programme politique. Il n’est ni noir, ni blanc. Il est rouge. Rouge de révolte, de déception, d’amour, mais d’espoir malgré tout. Et « Jeunes-

se lève-toi » terminée, on ne sait pas si les visages adolescents sont mouillés de transpiration ou de larmes.

« AIMER CE QUE NOUS SOMMES » À l’heure ou les ex-vedettes des années soixante sont plus à la mode que jamais, et font un tabac avec leur tournée en groupe « Âge tendre et têtes de bois » (début du concert, 15H), Christophe trace sa route sans se soucier des qu’en dira-t-on. Son dernier album, « Aimer ce que nous sommes », relève du génie. Dès la première écoute de cette œuvre avant-gardiste majeure, j’ai été transporté par les quatorze titres. Une émotion que je n’avais, je crois, jamais ressentie auparavant. Un assemblage de sons, de voix, de mots. Un hymne aux amours nocturnes. Entre la sortie de cet ovni totalement anti-conventionnel et sa récente apparition sur la Place des Palais, celui qui s’est surnommé le « Beau Bizarre », a foulé les planches du Cirque Royal. Escorté par l’orchestre de Mons, Christophe et ses musiciens ont livré un véritable show net et précis, sans rature. Le petit homme joue la carte mystère. Assis sur un tabouret, comme à son habitude, il se tortille dans tous les sens. Beaucoup d’ordinateurs, de claviers, d’électronique. Mais dans le fond, on sent bien l’authenticité et la sincérité de l’artiste qui, même si il assume pleinement ses « Mots bleus » ou encore « Aline », n’est pas prêt d’en rester là ! ■ http://renanluce.artiste.universalmusic.fr www.maurane.be www.saez.mu www.christophe-lesite.com

est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août) L’UPJB est membre de la Fédération des Juifs européens pour une paix juste (www.ejjp.org) et est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente) Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski Ont également collaboré à ce numéro : Roland Baumann, Joëlle Baumerder, Larissa Gruszow, Alain Lapiower, Léon Liebmann, Bernard Noël, Noé, Gérard Preszow, Noémie Schonker, Andres Sorin, Michel Staszewski, Jacques Schiffmann, Youri Vertongen Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Abonnement annuel 18 EURO Abonnement de soutien 30 EURO Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB (CCP 000-0743528-23). Montant minimal mensuel: 10 EURO pour un isolé, 15 EURO pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.

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agenda UPJB Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

mercredi 2 juin à 20h15

Les combats de Jeremy Milgrom, cofondateur de « Rabbins pour les droits de l’homme » et de « Clergé pour la paix ». Conférence-débat (voir page 30)

vendredi 4 juin à 20h15

La Pologne, son héritage national et les Juifs. Conférence-débat avec Roland Baumann, historien d’art, ethnologue et journaliste (voir page 30)

samedi 12 juin à 17h

Séance d’hommage consacrée con au peintre et écrivain Giovanni Buzi (1961-2010) à l’occasion de l’exposition « Éclats de vie » (voir page 31)

vendredi 18 juin à 20h15

Les relations judéo-allemandes aujourd’hui. Conférence-débat avec Claude Weinber, Les directeur de la Fondation Heinrich Böll (voir page 31)

samedi 19 juin dès 11h30

Journée de clôture de l’UPJB au Parc Schaveys (voir page 32)

samedi 19 juin dès 19h

Soirée de clôture de l’UPJB. Spectacle, cabaret, animation (voir page 32)

club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

jeudi 3 juin Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

« Actualités du Proche-orient » par Henri Wajnblum

jeudi 10 juin

« La naissance du club Sholem Aleichem en 1977 et son évolution » par Jo Szyster. Les « anciens » de Solidarité juive, pour lesquels « Sol » était une seconde famille et où ils pouvaient tous communiquer dans leur langue maternelle, le yiddish, ont voulu prolonger leur vie commune dans cette langue. C’est ce qui les a poussés à créer le club auquel ils ont donné le nom du grand classique de la littérature yiddish

jeudi 17 juin

« La contrefaçon sous la loupe : la police contre les faux ». Visite (guidée si nous sommes au moins 10) du Musée de la police, 33 avenue de la Force aérienne à 1040 Bruxelles (visite gratuite, rendez-vous à 14h45 sur place)

jeudi 24 juin

« Jean Ferrat, chansons d’amour et de lutte. Une rétrospective ». Audition commentée par Henri Goldman

et aussi dimanche 6 juin à 16h

Hommage à Yvonne Jospa, résistante, humaniste, militante des droits et libertés démocratiques. Organisé par Présence Juive pour la Mémoire. Au CCLJ, 52 rue Hôtel des Monnaies 1060 Bruxelles Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be


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