mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique novembre 2010 • numéro 310
éditorial Fiers de nos jeunes
Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - mensuel (sauf juillet et août)
LE CONSEIL D’ADMINISTRATION DE L’UPJB
C
e samedi 16 octobre, 500 personnes environ se sont rassemblées Porte de Hal, à Bruxelles, pour « la défense des libertés d’expression et de manifestation ». Parmi elles, un très grand nombre de personnes proches de notre organisation, enfants du mouvement de jeunesse, moniteurs ou anciens moniteurs, parents et même grands-parents, venus se serrer les coudes suite à l’appel d’un collectif citoyen auquel nous nous étions associés, un appel largement relayé par différentes associations dont l’emblématique Ligue des droits de l’homme. Nous avions non seulement signé cet appel mais nous avions également écrit une lettre ouverte pour expliquer pourquoi nous nous joignions à cet appel. De larges ex-
traits en ont été publiés dans le journal Le Soir du jour. Nous avons choisi de reproduire ici l’intégralité de ce texte. * Au-delà des raisons qui y sont invoquées, nous avons été frappés par le formidable élan de sympathie apparu à cette occasion entre les parents, l’organisation et les jeunes qui, vous le lirez dans le texte en question ci-dessous mais aussi dans les témoignages que nous publions dans un minidossier, s’étaient ainsi injustement retrouvés sous les verrous pendant plusieurs heures pour avoir voulu marquer leur solidarité avec les sans papiers. Soudain, devant ce qui leur était arrivé, et bien que l’UPJB fût opposée à la participation de ses jeunes à cette manifestation comme à toute
➜
BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511
novembre 2010 * n°310 • page 1
sommaire éditorial
1 Fiers de nos jeunes ...............................Le Conseil d’Administration de l’UPJB
israël-palestine
6 L’Irene. Un bateau juif pour Gaza ............................................ Henri Wajnblum
lire
8 Politique-fiction ou catastrophe annoncée ? .................Tessa Parzenczewski
mémoires
10 Deux ou trois choses de Sonia et du monde....... ...............................................
réfléchir
12 Judaïsme, christianisme, islam ................................................... Jacques Aron
lire, regarder, écouter
14 Notules d’octobre ....................................................................... Gérard Preszow
regarder
18 Dawid Szymin (Chim). Le Front populaire et l’Espagne .... Roland Baumann
reportage
20 Etz-Hayyim ..................................... Dominique Rozenberg et André Goldberg
yiddish ? yiddish !
! widYi ? widYi
22 zeltene yidishe leshoynes — Langues juives singulières. .....Willy Estersohn
humeurs judéo-flamandes
24 Alors, heureux ? ............................................................................Anne Gielczyk
le regard 22 La Belgique tangue mais ne sombre pas................................ Léon Liebmann 24
activités upjb jeunes
32 Ce charmant commissaire ...........................................................Alice Desmedt 34 Humiliation et intimidation..................... Maroussia Toungouz-Névessignsky 36 Pour leur dignité et pour la nôtre ......................................... Noémie Schonker
écouter
38 Les portes du pénitencier ............................................................................ Noé 40
les agendas
novembre 2010 * n°310 • page 2
éditorial ➜ manifestation interdite, voilà que ces jeunes nous amenaient à nous remobiliser pour une cause à laquelle nous les avions nous-mêmes sensibilisés, pour des valeurs de solidarité que nous nous étions efforcés de leur transmettre. * Mobilisés, nous l’avions été une première fois, quelques jours auparavant, pour partager nos impressions de parents sur la manière dont nos enfants avaient vécu les événements. Avaient-ils été très choqués ? Allaient-ils mieux ? Cela leur avait-il donné la rage ? Ou au contraire, coupé à jamais l’envie de battre le pavé même pour une cause juste ? Pas un mot de reproche ne fut prononcé à la coordination du mouvement de jeunesse mais la discussion porta sur les suites juridiques à donner à l’arbitraire de leurs arrestations. Et puis, ce fut l’occasion d’un grand coup de chapeau aux comportements exemplaires des enfants : le soutien des plus âgés pour les plus jeunes ; la connaissance minimum de leurs droits, celui de pouvoir donner un coup de téléphone ou de refuser de signer des papiers sans les lire, par exemple ; le chant pour se donner du courage. * Mobilisation des parents une deuxième fois, ce 16 octobre, par notre présence massive Porte de Hal. Notre façon, en somme, de leur exprimer à la fois combien nous étions soucieux de ce qu’ils avaient vécu mais aussi notre solidarité vis-à-vis de leur combat. Secrètement aussi, notre satisfaction que quelque chose de nous se
soit distillé en eux. Quelque chose de notre solidarité juive avec les sans papiers, transmise de génération en génération, de l’exil à la libération. Notre présence aussi, bien sûr, enfin, pour redire, comme nous l’avions écrit ici-même il y a quelques mois, que manifester sa solidarité ne constitue pas un crime mais un devoir. Il était frappant, ce même 16 octobre, de retour devant nos postes de télévision, de voir dans les journaux télévisés français, se rejouer la même scène. Là, des parents accompagnaient leurs enfants à la grande manifestation nationale du jour sur les retraites, fiers du combat de leurs enfants et rageurs des discours politiques qui laisseraient à penser que les jeunes seraient manipulés et incapables de décider seuls de descendre dans la rue. Nos jeunes s’interrogent, bien sûr, sur les formes d’engagement aujourd’hui, et leurs questions ne sont pas différentes des nôtres. Comment faire entendre une injustice ? Ou, pour citer Hillel l’Ancien : « Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? Si je ne suis que pour moi, qui suis-je ? Si pas moi maintenant, quand » ? Peut-être avonsnous des choses à leur apprendre là-dessus, ils ont eux certainement des choses à nous montrer. Qui des adultes avait déjà vu le très beau, très fort, très juste et très vrai film de Olivier Masset-Depasse, Illégal, quand eux tous, les moniteurs anciens et actuels s’étaient déjà précipités, et certains à deux reprises, pour voir le film à peine sorti ? Une première fois, pour eux-mêmes ; une deuxième fois, avec leur groupe, encadrés par un représentant de la Ligue des droits de
l’homme. Voici donc Pourquoi nous nous sommes joints à l’appel à la mani- Les jeunes de l’UPJB au rassemblement du 16 octobre contre festation pour les entraves à la liberté d’expression. Photo Henri Wajnblum jeurs, intimidations diverses, abla défense des libertés d’expression et de ma- sence de boisson et de nourriture nifestation de ce samedi 16 oc- et — avant tout — aucune informatobre. Un texte signé : Une ving- tion donnée aux parents. Nous ne pouvons nous empêtaine de parents. « Nous, parents de dix-neuf jeu- cher de faire un lien entre l’attines du mouvement de jeunes- tude des forces de l’ordre et le clise de l’Union des progressistes mat de menace et de pression qui juifs de Belgique, avons été vive- n’a cessé de prévaloir pendant ment secoués par le sort injuste toute la semaine du campement réservé à nos enfants, parmi les- international de « No Border » à quels dix mineurs et neuf majeurs, Tour et Taxis ainsi que durant la dans la soirée du vendredi 1er oc- grande manifestation syndicale tobre autour de la gare du Midi à européenne. Bruxelles. Alors qu’ils se rendaient Les actions policières préventicompte que la manifestation pré- ves et systématiques à l’égard de vue en solidarité avec les sans pa- « certains jeunes » servent-elles piers et contre l’existence des cen- de tests pour de nouvelles techtres fermés tournait court et qu’ils niques de maintien de l’ordre ? revenaient vers Saint-Gilles, ils Augurent-elles d’une nouvelle ont été pris dans une souricière et manière de faire peur aux plus luse sont vus arrêtés par des dizai- cides et solidaires d’entre nous en nes de policiers. Encasernés jus- ces temps d’incertitude ? qu’à une heure du matin pour les En tout cas, pour nous, pamineurs et cinq heures du matin rents, cette attitude aveuglément pour les majeurs, certains en gar- répressive ne nous paraît pas la dent encore un traumatisme face meilleure façon d’éduquer nos au traitement arbitraire qu’ils ont enfants aux libertés et à la démoeu à subir. cratie. En appelant à se joindre à Nous, parents, ne comprenons la manifestation de samedi, nous pas ce qui a pu justifier ces ar- voulons témoigner également à restations préventives ni les nom- nos enfants, mais aussi aux resbreux manquements qui ont suivi, ponsables politiques, de notre soet ce en particulier à l’égard des lidarité et de notre fierté d’être les mineurs : mains liées derrière le parents d’enfants qui ont du cœur dos par des colsons agissant com- et de l’intelligence, le sens de la me des garrots, fouilles aux corps solidarité humaine envers les plus par des agents féminines mais de- démunis et la conscience de leurs vant des agents masculins, incar- devoirs — et de leurs droits — de cération de certains mineurs dans citoyens au sein d’un pays démoles mêmes cellules que des ma- cratique ». ■
novembre 2010 * n°310 • page 3
israël-palestine L’Irene, un bateau juif pour Gaza HENRI WAJNBLUM
C
’était le 26 septembre. Ce jour-là, un bateau affrété par des organisations juives de par le monde levait l’ancre au départ du port de Chypre en direction de Gaza. L’Irene, c’était son nom, naviguait sous pavillon britannique, avec, à son bord, neuf passagers et membres d’équipage, des Juifs venant des ÉtatsUnis, de Grande-Bretagne, d’Allemagne et d’Israël, ainsi que deux journalistes. L’initiative était commune à toutes les organisations, dont l’UPJB, faisant partie du Réseau « Juifs Européens pour une Paix juste » (JEPJ)/ European Jews for a Just Peace» (EJJP), ayant toutes fourni un calicot à leur nom qui allait être arboré par les passagers du bateau. Ces passagers étaient, je les cite parce que leurs noms méritent d’être retenus : Reuven Moskovitz : Israël, survivant du judéocide, membre fondateur du village judéo-arabe Neve Shalom (Oasis de paix) Rami Elhanan : Israël, il a perdu sa fille Smadar dans un attentat suicide en 1997, membre fondateur du Cercle des familles en deuil, réunissant des Israéliens et des Palestiniens ayant perdu un proche dans le conflit Lilian Rosengarten : ÉtatsUnis, psychothérapeute ayant fui l’Allemagne nazie Glyn Secker : Grande-Bretagne, commandant de bord et membre de l’Organisation Juifs pour la justice pour les Palestiniens Yonatan Shapira : Israël, an-
Capture d’écran Euronews
cien pilote de l’armée israélienne, initiateur de la Lettre des 27 pilotes ayant refusé de larguer des bombes sur Gaza, membre du mouvement israélo-palestinien Combattants pour la paix Carole Angier : Grande-Bretagne, biographe de l’écrivain, survivant d’Auschwitz, Primo Levi Edith Lutz : Allemagne, infirmière, elle était déjà à bord du premier bateau pour Gaza en 2008 Alison Prager : Grande-Bretagne, enseignante, coordinatrice médias sur le bateau Itamar Shapira : Israël, frère de Yonatan, refusenik, membre de l’équipage du bateau et chargé des contacts avec la marine israélienne Quant aux deux journalistes, ils se prénommaient : Vish et Eli. La cargaison du bateau contenait une aide symbolique sous la forme de jouets pour enfants, de matériel scolaire, de filets de pêche pour les pêcheurs gazaouis, ainsi que du matériel orthopédi-
novembre 2010 * n°310 • page 4
que destiné aux hôpitaux de Gaza. Rien, donc, de nature à armer le Hamas. L’organisation destinataire était le « Programme de Santé Mentale de la Communauté gazaouie », dirigé par le psychiatre Eyad Sarraj. On a beaucoup parlé du bateau dans le monde. Selon les points de vue, certains ont parlé de militants pro-palestiniens quand d’autres parlaient d’un bateau humanitaire… Les uns et les autres avaient tout faux. L’objectif avoué de l’équipage était en effet de tenter d’atteindre la côte gazaouie et d’y décharger sa cargaison. Les organisateurs souhaitaient que leur action soit perçue comme un acte, non-violent, de solidarité et de protestation, ainsi que comme un appel à la levée du siège de la bande de Gaza et à la fin des entraves à la liberté de circulation des biens et des personnes. Ce n’était donc pas un objectif humanitaire, mais éminemment
politique. Et l’équipage n’était pas non plus pro-palestinien mais tout simplement engagé dans le combat pour le respect du droit international qu’Israël bafoue impunément depuis des décennies. On connaît la suite. Le dénouement était écrit à l’avance. Israël avait en effet clairement déclaré qu’il ne laisserait pas l’Irene accoster à Gaza. Alors ? Échec de l’opération « un bateau juif pour Gaza » ? Pas du tout. Parce que à défaut de pouvoir briser le blocus auquel est soumise une population de plus d’un million de personnes, l’équipage du bateau
a clairement démontré au monde, grâce à la couverture médiatique dont il a bénéficié, qu’Israël n’était en aucun cas légitimé à parler au nom du « peuple juif ». Nombreux sont en effet les Juifs de par le monde qui, contrairement à ce que certains veulent complaisamment faire croire, sont révulsés par la politique palestinienne de l’État hébreu. Et puisque ces Juifs ont rarement accès aux médias, il fallait briser ce silence par une action spectaculaire qui ferait parler d’elle. Mission accomplie donc. Il a aussi beaucoup été ques-
tion de l’arraisonnement non violent du bateau par la marine israélienne. C’était couru puisque les seules sources d’information fournies aux médias étaient israéliennes, les documents filmés par les deux journalistes qui se trouvaient à bord leur ayant été confisquées. Je vous livre donc ci-après, pour rétablir l’équilibre et surtout la vérité, le témoignage des frères Shapira, Yonatan et Itamar, qu’ils ont rédigé une heure à peine après avoir retrouvé leur famille, et que j’ai traduit. ■
Récit de l’arraisonnement du bateau juif pour Gaza
L
es médias israéliens sont sous l’influence de la propagande de l’armée. Ils proclament que l’arraisonnement du bateau s’est déroulé tranquillement et sans violence des deux côtés. La vérité, c’est que si les passagers du bateau étaient effectivement non-violents, il n’en a pas du tout été de même de la marine israélienne… Au lever du soleil, nous avons stoppé à environ 35 miles de la côte, et avons placé toutes les banderoles des organisations et les fanions portant les noms des personnes qui nous ont soutenus. Le bateau avait l’air tellement mignon avec toutes ces couleurs… Nous avons alors navigué au sud-est en direction du port de Gaza. Le cinéaste Vish et le journaliste Eli sont alors montés à bord du dinghy pour prendre des photos du bateau et le filmer. Nous éprouvions tous un sentiment d’excitation et nous trouvions sur le pont pour dire au revoir à la quiétude du voyage que nous venions de vivre. Nous savions que nous allions être interceptés, et nous avons consacré le temps qui nous restait à nous préparer… Nous tenant chacun par la main, nous avons parlé des principes qui étaient ceux de ce bateau et avons décidé de la stratégie que nous
adopterions pour traiter avec la marine. Arrivés à environs 20 miles de Gaza, nous avons aperçu un imposant navire de guerre. À ce moment, tout était encore calme et nous avons donc poursuivi notre route. Lorsque le navire de guerre s’est rapproché, ils nous ont hélés et se sont adressés à Glyn, le capitaine de bord. Ils nous ont dit que nous pénétrions dans une zone fermée. En réponse, notre bateau a progressivement réduit son allure. Nous avons alors aperçu un autre bateau plus petit à ses côtés. Nous avons aussi aperçu d’autres petits vaisseaux qui se dirigeaient vers nous, venant de l’est. La marine nous a alors interpellés, nous demandant quel-
➜
novembre 2010 * n°310 • page 5
➜ les étaient nos intentions… Nous avons répondu que nous nous dirigions vers Gaza. La marine nous a fait la même réponse que celle qu’elle avait faite juste avant d’attaquer le Mavi Marmara : «Vous entrez dans une zone sous contrôle militaire, fermée selon le droit international» Itamar, chargé de la communication avec la marine, répondit en lisant notre propre déclaration, en anglais et en hébreu : «Notre bateau a été affrété par l’organisation européenne Juifs pour la Justice pour les Palestiniens. Nous ne sommes pas armés, nous sommes non-violents et déterminés à accoster au port de Gaza. Vous procédez à un blocus illégal et nous nous ne vous en reconnaissons pas le droit. Sur ce bateau de Juifs se trouvent des militants de la paix de tous âges dont un survivant du judéocide, un parent en deuil et des Israéliens qui refusent de collaborer à l’occupation illégale de la Palestine». Nous avons attendu qu’ils confirment avoir bien entendu notre message. La marine a répété son propre message en hébreu. Ensuite des bateaux sont arrivés de tous les côtés… Huit vaisseaux nous ont encerclés, trois ou quatre étant équipés de canons. Nous avons appelé les soldats à refuser les ordres qui leur étaient donnés : «Nous vous appelons, vous soldats et officiers, à refuser d’obéir aux ordres illégaux qui vous sont donnés par vos supérieurs. Nous vous informons que le blocus de Gaza et l’occupation des territoires palestiniens sont illégaux selon le droit international. Vous risquez donc d’être traduits devant des tribunaux internationaux. Le blocus et l’occupation sont inhumains et contredisent les valeurs morales tant universelles que juives. Agissez selon votre conscience. Souvenez vous de notre douloureuse histoire. Refusez de participer au blocus. Refusez de participer à l’occupation». Itamar a répété ce message plusieurs fois en hébreu et en anglais lorsque les vaisseaux se sont rapprochés de nous. Chacun de nous était prêt à l’interception. Nous nous tenions par la main et Vish prenait des photos et filmait. Il y avait plus de cent soldats sur l’ensemble des vaisseaux qui nous entouraient. Deux petits vaisseaux, armés de canons, se sont placés de chaque côté de l’Irene, nous invectivant avec des mégaphones et se rapprochant de plus en plus de nous. Glyn, notre capitaine, restait calme et agissait exactement selon les principes que nous avions établis, continuant de naviguer. Le militaire s’est alors adressé directement à Itamar, lui signifiant qu’il serait tenu pour responsable des dommages qui pourraient nous être causé et du
novembre 2010 * n°310 • page 6
risque que nous prenions en ne changeant pas de direction. Nous avons très vite compris qu’il pourrait y avoir un abordage à tout moment. Les petits vaisseaux se rapprochèrent de nous et un soldat a sauté à bord. ITAMAR : «Alors que j’étais occupé à parler avec le bateau qui naviguait à nos côtés avec, à bord, quelque 20 soldats armés, je fus stupéfait, pour la millième fois dans ma vie, de constater combien l’armée pouvait instrumentaliser la réalité. Ils insistaient sur le fait que c’était moi qui porterais l’entière responsabilité de la violence que nous pourrions avoir à subir si nous n’obéissions pas et du fait qu’ils seraient contraints d’aborder notre petit bateau. J’essayais ironiquement de leur faire comprendre combien il était ridicule de mobiliser tant de militaires bien entraînés et armés pour aborder un bateau naviguant avec neuf personnes non armées et nonviolentes. Comment pouvaient-ils nous tenir pour responsables d’éventuelles violences ? Je leur rappelai qu’il y avait à bord un survivant du judéocide et un parent en deuil de l’assassinat de sa fille dans un attentat suicide, et que nous ne voulions pas de confrontation physique. Je pense que ça les a rendus furieux, mais les a aussi empêchés d’user de la violence à l’encontre de la majorité des passagers, mis à part Yonatan et moi. Il est très important de se rappeler que, quelques jours plus tôt, l’armée israélienne avait tué, sans battage médiatique, deux pêcheurs gazaouis qui avaient eu le tort de s’approcher d’un peu trop près de ce que l’armée a fixé comme frontière maritime. Il faut donc relativiser la violence qui nous a été faite ». Ils s’en sont donc pris à Itamar et l’ont emmené sur leur bateau. D’autres soldats s’en sont pris à Glynn en le poussant et en lui faisant lâcher la barre. Les autres passagers se tenaient par la main et chantaient «We Shall Overcome». Il est possible que Reuven ait joué de l’harmonica ! ITAMAR : « D’après ce que j’ai compris, au moins deux soldats avaient été chargés de saisir tous les appareils audio-visuels. Le journaliste israélien de Channel 10 se tenait près de moi et un des soldats lui a tout simplement enlevé sa caméra des mains. J’ai repris la caméra en prenant bien soin de ne pas toucher le soldat et l’ai mise derrière mon dos, refusant de la rendre. Celui-ci en a appelé un autre et ils s’y sont mis à deux, en hurlant, pour me faire bouger et lâcher la caméra. Voyant qu’ils n’y arrivaient pas, ils ont demandé l’autorisation à leur supérieur de m’arrêter. Quatre d’entre eux m’ont conduit sur leur bateau et ont voulu me forcer à m’allonger sur le sol pour me menotter. J’ai tenu bon jusqu’à ce que l’un
d’eux me comprime l’artère du cou. J’ai alors entendu un affreux cri de Yonatan et l’ai vu perdre le contrôle de son corps suite à une décharge électrique qui lui avait été infligée. Yonatan a alors été amené sur le bateau sur lequel je me trouvais. Nous avons tous les deux été menottés et amenés sur un plus grand bateau ». Pendant que nous nous tenions par la main, les soldats ont commencé à tout saisir. À ce moment, j’étais assis sur le sol du bateau, serrant Glyn et Reuven dans mes bras, tentant d’atténuer le risque pour eux. Ensuite, je suis allé m’asseoir à côté de Rami. Des soldats se sont approchés de Rami et de moi avec l’intention évidente de m’emmener sur un bateau de la marine. Rami et moi nous sommes étreints, la plus intense étreinte de ma vie! Arraisonnement de l’Irene Un officier s’est approché de nous en sortant son furent interceptés et forcés de rentrer au port. Nous avons été fouillés intimement et puis emtaser et en nous ordonnant d’arrêter de nous tenir l’un l’autre. Il m’a ensuite tiré deux décharges de ta- menés dans un bureau de police à Ashdod où nous ser dans l’épaule droite. Ça m’a fait un mal de chien, avons aperçu d’autres manifestants qui nous attenmais pas aussi mal que la décharge que j’ai reçue daient. Notre interrogatoire à Rami, Itamar, Reuven, Eli ensuite en pleine poitrine. J’ai totalement perdu le contrôle de mon corps et j’ai convulsé comme un et moi dura plusieurs heures. Nous fûmes accusés épileptique. C’est ensuite qu’ils m’ont transféré sur d’avoir tenté de pénétrer dans une zone interdite. Rami, Itamar et moi fûmes de plus accusés d’avoir un autre bateau. C’est ainsi que s’est déroulée l’«interception non- insulté et attaqué des soldats. Nous avons tous été violente» du bateau juif pour Gaza. Évidemment, relâchés vers 20 heures. Il est choquant d’avoir été si nous avions été Palestiniens ou Musulmans, ils attaqués aussi brutalement alors que nous nous auraient tiré à balles réelles… Mais comme nous étreignions et chantions, et il est surtout choquant étions des Juifs et des Israéliens, bénéficiant de l’at- d’avoir entendu l’armée prétendre que l’interception tention du monde, ils n’ont pas voulu nous faire ce s’était déroulée pacifiquement. À notre sortie du bureau de police, nous étions atqu’ils ont fait au Mavi Marmara. Bien sûr, ils ont ensuite saisi toutes les preuves filmées par Eli et Vish. tendus par de nombreux médias israéliens, ainsi que Et les seules images qui restent sont celles filmées par des journalistes de Reuters et d’autres médias étrangers. Nous avons répondu à leurs questions et par l’armée. Toutes les banderoles ont été jetées à terre par puis Reuven a sorti son harmonica et nous a interl’armée et le bateau a été conduit avec les passagers prété un splendide chant juif à propos de personnes éprises de paix. Tout un public s’est joint à nous, laissés à bord vers le port d’Ashdod. Itamar et moi avons été conduits à Ashdod à bord mais nous n’en avons pas moins entendu certains du navire de guerre, ce qui a pris plusieurs heures. passants crier «mort aux Arabes». Si nous n’avions pas été des Juifs et des Israéliens Nous y avons vu notre bateau à quai. Nous avons vu les manifestants venus nous soutenir, nos amis et nous aurions eu beaucoup moins de chances d’en nos familles qui nous attendaient sur la plage de- sortir vivants. J’adresse mon amour et mes remerciepuis le matin, ainsi qu’un bateau avec des camera- ments à tous ceux qui nous ont soutenus et aidés. ■ men qui attendaient de pouvoir nous parler mais qui
novembre 2010 * n°310 • page 7
lire Politique-fiction ou catastrophe annoncée ? TESSA PARZENCZEWSKI
N
ous sommes en 2017. Une explosion survient sur un site scientifique à Kazan. Un employé du site s’apprête à accomplir le pèlerinage à La Mecque. Comment un événement local et un pèlerinage religieux vont-ils finalement embraser le Moyen-Orient ? C’est ce que nous raconte dans une intrigue complexe et savamment construite Alexandra Schwartzbrod. Car le site scientifique fabriquait des armes biologiques et le malheureux pèlerin contaminé, introduira à La Mecque la peste noire. Comme au Moyen-âge, les Juifs seront accusés d’avoir empoisonné les puits. La rumeur s’amplifiant, les Palestiniens, ceux des Territoires et ceux d’Israël se révoltent. Comme sur des écrans qui s’animent, nous suivons aux quatre coins du monde les réactions, les calculs cyniques, les désarrois d’une série de personnages : secrétaire d’État américaine, émirs, diplomates, secrétaire de l’Onu, sans oublier le gouvernement israélien, qui ressemble étrangement à celui d’aujourd’hui. Mais en 2017, les colons occupent la plus grande partie de Jérusalem-Est et même Bethléem est envahie. Mettant en œuvre les menaces brandies aujourd’hui par Lieberman, le gouvernement israélien expulse en masse les Palestiniens d’Israël, dans une sorte de nouvelle
Naqba. Et l’impensable pourrait se produire : les États-Unis vontils lâcher Israël ? Suspense ! Ancienne correspondante de Libération en Israël, de 2000 à 2002, Alexandra Schwartzbrod n’a pas inventé une simple fiction. Elle part des situations existantes et les mène au bout de leur propre logique. Qu’arrivera-t-il si ? Fine connaisseuse de la société israélienne, l’auteure campe des personnages qui nous paraissent familiers, rencontrés au détour d’un article. On retrouve sous d’autres noms : Arcady
novembre 2010 * n°310 • page 8
Gaydamak, milliardaire mafieux russe, quelques traits de Zeev Sternhell, et… Michel Warschawski. Ne négligeant aucun point de vue, Alexandra Schwartzbrod nous fait vivre les événements du côté palestinien, la terrible répression mais aussi avec le commissaire Eli Bichara, cette sorte de schizophrénie que vivent les « citoyens » arabes d’Israël. En brèves séquences, comme des sortes de reportages, avec quelques échappées romanesques, Alexandra Schwartzbrod pose une question essentielle : la politique de l’actuel gouvernement israélien est-elle à long terme suicidaire ? Et selon la conclusion du récit, la réponse ne fait pas de doute. ■
Alexandra Schwartzbrod Adieu Jérusalem Stock 401 p., 23,55 EURO
Samedi 20 novembre de 14h à 18h30 L’UPJB vous convie à une demi-journée de réflexion sur le thème*
« Israël en proie au démon de la chasse aux sorcières » En la salle Helder Camara 19 rue Pletinckx – 1000 Bruxelles Il y a quelques mois, nous organisions, en collaboration avec Dor Hashalom et le Cercle des Étudiants arabo-européens de l’ULB, une soirée d’information consacrée aux discriminations dont est victime la population palestino-israélienne, ainsi qu’à sa place et à son avenir dans la société israélienne. Une des conclusions de cette soirée était que si Israël était une démocratie pour sa population juive, il était loin de l’être pour sa population palestinienne. Ce constat doit, aujourd’hui, être fortement remis en question. Non pas qu’Israël soit soudain devenu une démocratie pour sa population palestinienne, mais il ne l’est plus non plus pour une partie de sa population juive. On assiste en effet depuis plusieurs mois à ce qu’il n’est pas excessif de qualifier de chasse aux sorcières contre les organisations de défense des droits de l’homme engagées contre l’occupation et la colonisation des territoires palestiniens. La campagne a été initiée par le mouvement Im Tirtzu (Si vous le voulez) – un groupuscule d’étudiants d’extrême droite, dont le nom fait référence à la phrase de Théodore Herzl : « Si vous le voulez, ce ne sera pas une légende » –, ainsi que par un certain nombre de parlementaires qui accusent des ONG israéliennes d’avoir collaboré avec le juge Goldstone en fournissant à celui-ci « 92% des références négatives » contenues dans son rapport. On ne les accuse pas d’avoir fourni de fausses informations, mais « tout simplement » de mettre en cause l’existence d’Israël et de représenter un « danger pour la nation » en délégitimant Israël à l’étranger. Parmi les ONG visées : B’Tselem, Breaking the Silence, l’Association pour les droits civiques en Israël, le Comité public contre la torture, Médecins pour les droits de l’homme, Yesh Din, Hamoked... soit les principales organisations qui défendent les droits des Palestiniens, donnent la parole aux soldats israéliens muselés par la censure militaire et, d’une manière générale, mènent le combat de la liberté d’expression. C’est pour faire le point sur ce que des éditorialistes israéliens réputés n’hésitent pas à qualifier de flambée maccarthyste que nous vous invitons à cette demi-journée d’information et de débat en présence de représentants d’associations visées par cette campagne de dénigrement et de stigmatisation particulièrement violente. Panel :
Talila Kosh : membre du mouvement New Profile, Mouvement pour la civil-isation de la société israélienne et de soutien aux Refuzniks Ishai Menuchin : directeur exécutif du Comité public contre la torture en Israël, conférencier au département social et politique de l’université Ben Gourion du Neguev. Il fut l’un des premiers refuzniks lors de la première guerre du Liban en 1982 Miri Weingarten : membre de l’organisation Médecins pour les droits humains Yuval Yoaz : journaliste spécialisé dans les questions judiciaires et des droits de l’homme (Ha’aretz et Globes) Modérateur : Pascal Fenaux, journaliste PAF : 2 EURO - Traduction simultanée assurée
* Avec le soutien de la Fondation Heinrich Böll et du MOC
novembre 2010 * n°310 • page 9
mémoires Deux ou trois choses de Sonia et du monde UN LIVRE DE HENRI GOLDMAN
L
e 1er décembre 2004, Sonia Goldman, née Szajndla Wassersztrum, nous quittait. Née à Lukow (Pologne) le 21 septembre 1912, Sonia était l’une des dernières grandes figures historiques de l’UPJB. Nommée présidente d’honneur de l’UPJB, une première dans notre maison, à sa sortie d’hôpital en 1998, Sonia a marqué d’une empreinte à nulle autre pareille l’histoire de notre organisation. De Solidarité Juive à l’UPJB, en passant par le Club Sholem Aleykhem, elle aura été, jusqu’à ce que la maladie l’oblige à prendre des distances, de tous les combats, de tous les lieux où les décisions se prennent, de tous ces grands et petits moments qui tissent la vie d’une organisation. Car rien n’arrêtait ou ne rebutait Sonia. Rien ne lui paraissait être un engagement de seconde zone. Tout ce qui pouvait participer à l’épanouissement et au développement de l’UPJB devenait un combat à mener avec passion, un combat à faire aboutir. Six ans plus tard, son fils, Henri Goldman, lui rend vie dans un ouvrage intitulé Deux ou trois choses de Sonia et du Monde. Nul mieux que lui ne pourrait parler de ce qui l’a motivé et conduit. La meilleure manière de l’écouter est de reproduire des extraits de son introduction intitulée « la mécanique du souvenir »… « Le matériau de base de ce récit
est l’entretien accordé le 6 mai 1992 par Sonia Goldman, ma mère, à Yannis Thanassekos, le directeur de la Fondation Auschwitz, avec les moyens techniques du Centre audiovisuel de l’ULB. Elle en est donc en même temps le sujet et la coauteure. Ce matériau a été restitué tel quel, sans éclaircir les obscurités du récit ni mettre de l’ordre dans le bousculement des souvenirs. Il fait partie d’une démarche systématique de la part de la Fondation qui vise à enregistrer les témoignages d’un maximum de rescapés en les laissant « bruts de décoffrage ». Ce témoignage pose, de façon très classique, la question de son propre statut. La mémoire des acteurs ou des témoins est-elle une source du savoir ? Sans aucun doute. Mais ce savoir n’est pas celui des faits, même s’il les éclaire à
novembre 2010 * n°310 • page 10
travers le filtre d’une subjectivité. Subjectivité individuelle, bien sûr, mais aussi subjectivité de groupe et subjectivité sociale. La mémoire nous parle surtout de ces diverses subjectivités qui se sont modifiées au fil du temps, alors que les faits, eux, sont coulés dans le bronze de l’histoire à déchiffrer. La mémoire sociale est la plus sujette à caution. De manière classiquement anachronique, les sociétés sélectionnent dans la masse des témoignages disponibles ceux qui sont le plus en phase avec les besoins du moment. (…) La Résistance antinazie, au premier chef la Résistance juive, fut sous hégémonie communiste, en Belgique comme presque partout en Europe. De Missak Manouchian – le chef arménien du bataillon parisien majoritairement juif qui se retrouva sur l’Affiche rouge célébrée par Aragon
– à Léopold Trepper – le « Grand chef » de l’Orchestre rouge, actif en Belgique et en France –, presque toutes les figures de la Résistance appartenaient à ce courant. Les témoins étaient encore nombreux, leur prestige était intact. On attendait d’eux qu’ils racontent ce qu’ils avaient vécu – et s’ils avaient connu l’enfer concentrationnaire, ils n’avaient évidemment pas vécu intimement l’extermination – et puis qu’ils en tirent la leçon qu’on leur dictait : il fallait à tout prix maintenir la grande alliance antifasciste qui avait vaincu Hitler, et les démocraties occidentales auraient mieux fait d’en revenir à une politique d’amitié avec l’Union soviétique plutôt que de remettre en selle les « revanchards allemands ». Si cette façon de lire l’histoire était quelque peu borgne, elle conférait à ceux qui pouvaient en témoigner une posture morale enviable. Ils devinrent des héros officiels, statufiés par leurs nombreuses médailles, avant d’être des victimes. Cette posture avait le grand mérite d’aider les personnes survivantes à reprendre dans l’honneur le cours de leur vie. (…) Sonia était l’une d’entre elles et moi, son héritier unique né en 1947 dans l’ouate des Trente Glorieuses balbutiantes et bercé par les exploits de nos héros, j’avais le droit d’en être fier. Cinquante ans après les faits, combien de filtres la mémoire de Sonia a-t-elle déjà dû traverser ? Combien de fois a-t-elle déjà raconté cette histoire, ces « anecdotes » et ces « épisodes », comme elle dit ? La mécanique du souvenir est toujours encombrée d’inévitables effets parasites et il vaut mieux que ceux qui explorent les « territoires de la mémoire » viennent de l’extérieur pour éviter toute implication personnelle. Dans cette mécanique, les faits
1936. Sonia avec sa soeur Hanna (Hanka) dans leur boutique de Lukow
vécus s’enregistrent dans une espèce de no man’s land de la semiconscience d’où ils finiront par s’évanouir si le travail individuel de la mémoire ne les sélectionne pas pour les fixer dans la myéline cervicale. Pourquoi se souvienton de ceci et pas de cela ? Pourquoi certains faits pourtant avérés de sa propre vie sont-ils radicalement effacés ? Pourquoi affabulet-on parfois avec la meilleure foi du monde ? Au fil de la répétition, ce n’est plus de l’événement luimême dont on se souvient, mais de son souvenir, puis du souvenir du souvenir, et la machine tourne ainsi en boucle en lissant son objet à chaque tour. (…) Et puis ceci. L’événement qui justifie l’entretien ici rapporté – en l’occurrence sa déportation à Auschwitz-Birkenau le 28 mars 1944 – aura duré moins d’un an. Ces quelques mois constituentils la vérité ultime d’une vie qui a déjà duré 80 ans au moment du témoignage et qui ne s’éteindra que douze ans plus tard le 1er décembre 2004 ? Ne s’agit-il pas là aussi d’une reconstruction a posteriori ? Si cet événement a déterminé le cours de sa vie (et par ricochet aussi de la mienne), c’est à travers deux autres, à impact de plus longue durée : la destruction de sa famille, d’une part, l’exil et le déracinement, d’autre part. Ceuxci, qui relèvent plus de l’intime,
auront été beaucoup moins sollicités alors qu’ils auraient donné plus de corps au témoignage, au propos parfois très prévisible. Dans cette trame, j’ai glissé mes propres considérations, où se livrent des bribes de ce que j’ai appris à partir de qui je suis devenu. Pour serrer du plus près possible une histoire qui s’est incarnée dans des êtres humains de chair et de sang, chaque parole doit situer le plus honnêtement possible le lieu d’où elle parle. Ce qui est dit ici de l’histoire de l’autre siècle passe par le regard d’une petite juive polonaise exilée en Belgique. Et ce qui est dit d’elle passe par le mien. Mais comme on ne parle bien d’universel qu’à travers du spécifique, peut-être qu’en faisant la connaissance de Sonia, vous apprendrez en passant deux ou trois choses sur le monde. Ou, à tout le moins, sur un monde ». À l’occasion de la sortie du livre d’Henri Goldman, l’UPJB organise un drink le mercredi 10 novembre de 18h30 à 20 heures dans les locaux de l’UPJB. Y prendront la parole Jean-Philippe Schreiber, historien, ainsi qu’un représentant des Territoires de la mémoire qui aura l’occasion d’expliquer le pourquoi de la publication et de présenter l’association (voir annonce page 28). ■
novembre 2010 * n°310 • page 11
réfléchir Judaïsme, christianisme, islam. Un colloque de l’Institut d’études du judaïsme JACQUES ARON
L
es actes du colloque tenu en 2008, sous ce titre unissant les trois religions du Livre, constituent la matière du septième volume de la collection Mosaïque éditée par l’Institut d’études du judaïsme à l’Université libre de Bruxelles1. La lecture des relations entre ces religions, telle que la proposent les organisateurs, s’articule autour de l’idée que le judaïsme serait depuis des siècles la cible de deux attaques parallèles forgées par leurs théologiens concurrents : le christianisme comme religion de « substitution » (la « Nouvelle » Alliance avec Dieu, rendant caduque l’ancienne), et l’islam comme révélation ultime annoncée par ses prédécesseurs mais reniée par sa source juive au prix d’une « falsification » des textes fondateurs. « Cette confrontation triangulaire n’est pas anodine, écrivent-il. Au contraire : toujours grosse d’un lourd potentiel de conflit, elle continue à distiller sa menace, même si de nombreux chrétiens et musulmans travaillent, aujourd’hui, à couvrir ces théologies d’éteignoirs aussi efficaces que possible. »
VÉRITÉ RÉVÉLÉE Plutôt que d’entrer dans le détail des réponses fournies par des intervenants dont on nous affirme qu’ils appartiennent « aux trois religions du Livre », et dont on est donc en droit de supposer qu’ils
en acceptent tous le fondement de vérité révélée, nous nous attacherons avant tout à la formulation de la question. Qui la formule, ici et maintenant, comment et pourquoi sous cette forme ? Il n’échappera sans doute pas au lecteur que cette problématique « théologique » s’inscrit sur fond de conflit politique, dont l’épicentre se situe dans l’affrontement israélo-palestinien (et pas judéo-musulman) presque centenaire : quel État (ou quels États) construire sur cette terre promise aux uns et ravie aux autres ? Certes, quelques allusions et beaucoup de non-dits sous-jacents en témoignent dans les textes ; mais dès lors pourquoi les organisateurs ont-ils craint d’élargir d’emblée leur questionnement ? La religion est-elle exclusivement l’affaire des religieux, la théologie celle des théologiens, la politique des politiciens, etc. ? La tradition de l’ULB ne tendaitelle pas davantage depuis sa fondation vers l’histoire comparée des religions, l’approche des phénomènes religieux dans leurs contextes historiques ? D’autant qu’on nous affirme l’Institut ouvert sur la « judéité », dont une part importante (sans voix au chapitre) est certainement incroyante. Bref, pourquoi ne pas mettre clairement les rapports du religieux au politique au cœur du colloque et l’ouvrir à un regard extérieur ? Il y a quelques siècles que le discours sur Dieu (théologie) est heureusement
novembre 2010 * n°310 • page 12
sorti de la religion. L’introduction, accompagnée d’une bibliographie de référence, n’émane pas d’une réflexion de l’Institut, mais d’un sociologue israélien, professeur émérite de l’Université de Tel-Aviv, Eliezer Ben-Rafaël. Elle s’inscrit d’entrée de jeu dans une thèse judéo-centrique bien connue : la Révélation du Dieu unique a été apportée aux Juifs, et tandis que ceux-ci ont renoncé à la propagation de leur « foi universaliste » pour une « pratique particulariste », leurs adversaires dans l’interprétation de la même foi leur demeurent hostiles, mettant les Juifs dans « une situation unique » : « l’attitude négative simultanée – et sans coordination aucune – à leur endroit de la part d’allégeances religieuses concurrentes l’une avec l’autre, et qui, ensemble, forment plus de la moitié de l’humanité ». Dans cette vision manichéenne du monde, profondément idéaliste, où l’évolution des sociétés est conditionnée principalement par l’incarnation séculière des valeurs religieuses, point n’est besoin de chercher ailleurs la solution des conflits sociaux. « En regardant de près les querelles qui opposent aujourd’hui Juifs et Chrétiens d’une part, et Juifs et Musulmans, de l’autre, force est de constater que les racines des tensions répondent aux problèmes évoqués plus haut. » Pour l’introducteur du colloque, « la condition du Juif
Le judaïsme dans l’imaginaire chrétien : Jésus devant le Sanhédrin, XVIe siècle, église saint-Alby à Albi
dans le monde » est partout conditionnée par cette référence théologique négative, sans commune mesure avec sa présence réelle, en Israël ou en diaspora. Certes, la réconciliation de « l’imaginaire » et des « faits durs et concrets » voulue par l’auteur n’est pas pour nous déplaire, encore faudrait-il qu’elle fut au centre de la recherche. Or la sociologie dont il prétend s’inspirer nous paraît bien sommaire. On y évoque sans cesse la notion de « réalités sociales », sans autre forme d’investigation critique ; tantôt, la « modernité », cette autre abstraction commode, et la sécularisation de la culture qui l’accompagnerait « affaiblissent la vigueur des vérités religieuses », tantôt, ces mêmes « réalités sociales » sont générées par les croyances des hommes. De façon péremptoire, on nous assène comme une évidence que « l’origine de l’optimisme moderne concernant le progrès illimité garantissant un avenir toujours meilleur, remonte,
bien sûr (!), à la notion de salut que le judaïsme biblique a transmise au christianisme et plus tard à l’islam ». Les Juifs, pour Ben-Rafaël, relèveraient de l’analyse sociologique objective (en raison sans doute de « leur entrée dans la modernité »), chrétiens et musulmans se situeraient encore, par contre, sur le versant irrationnel de la croyance qui les pousse à transformer les Juifs en mythes et en symboles. « Au demeurant, les attitudes et des chrétiens et des musulmans vis-à-vis du judaïsme et des Juifs représentent des positions de conflit irréductible – même si le propre des textes sacrés est d’être lus de différentes manières à différentes époques et en d’autres lieux. » Il ne reste donc aux Juifs, après un tel diagnostic qui ne les implique à aucun moment2, qu’à espérer trouver des interlocuteurs conciliants qui génèrent (conclusion de l’introduction) « de nouvelles formes d’altérité ». En d’autres termes, des
partenaires qui reconnaissent enfin que les Juifs sont « autres ». Peu d’espoir dans ces conditions de dégager ensemble les objectifs communs d’une commune humanité. ■
Judaïsme, christianisme, islam : le judaïsme entre « Théologie de la substitution » et « Théologie de la Falsification », Actes du Colloque tenu en 2008, Didier Devillez Éditeur – Institut d’études du judaïsme, Bruxelles, 2010, 144 p., 22 EURO. 2 Le débat théologico-politique juif autour de la figure d’Ezra (Esdras) et de son combat (selon Ben-Raphaël) contre « les dangers d’assimilation à l’environnement qui risquait d’anéantir tous les efforts de ceux qui s’étaient investis pour rester juifs en diaspora et revenaient à présent reconstruire une nation » est d’emblée exclu de l’objet du colloque. Comment d’ailleurs le concilier avec une modernité et des théologies qui ont, au contraire, selon le même auteur, « assimilé » ce qu’il y a de meilleur dans le judaïsme biblique : sa doctrine du salut ? 1
novembre 2010 * n°310 • page 13
lire, regarder, écouter Notules d’octobre GÉRARD PRESZOW
V
oici ce qu’on pouvait lire dans le quotidien Le Soir du 20 août, sous la plume d’Agnès Gorissen, à propos de la diffusion en soirée du film de Boris Lehman Histoire de mes cheveux : « Certains beaux esprits y verront sans doute de la poésie. On n’y a trouvé que de l’ennui, … » « … un documentaire (mais peut-on l’appeler comme ça, dans la mesure où on n’y apprend strictement rien ?) sans queue ni tête » « comme on le disait, certains y verront sans doute de l’art, … » « le commun des mortels n’aura sans doute, comme nous, qu’une seule envie : prendre ses jambes à son cou en se demandant comment des producteurs ont bien pu mettre de l’argent dans ce projet — on compte parmi eux Arte, la RTBF, la Communauté française ? »
« La seule bonne nouvelle, c’est l’heure de diffusion : à 23h25, il n’y aura heureusement plus grand monde à martyriser ». Aimer ou pas le cinéma de Boris Lehman, là n’est pas la question ; il existe : c’est tout. Ce qui exsude des phrases que je cite, c’est une haine de la pensée, un « eux » et « nous » populiste, un journalisme qui prétend s’exprimer au nom de la majorité alors que l’on s’attendrait à ce que sa mission soit d’élever, informer, faire comprendre, partager. Au creux de cette suffisance démagogique, c’est tout un refus de la culture et de l’histoire qui fait son nid et le nid de l’instinct, du sauvage et du grégaire. Un adage veut que le journal du jour soit l’emballage du lendemain. On risque désormais de se passer d’emballage… D’autant que le lendemain, dans le même quotidien « de référence »
(sic !), mais cette fois sous la plume de Jean-François Lauwens et à propos de la nouvelle grille horaire de la RTBF radio, on pouvait lire : « C’est aussi dans cette tranche que viendra pontifier Paul Hermant (18h22), du lundi au jeudi. Le matin (7h20), le donneur de leçons de la gauche bien pensante plombait l’audience. Une tranche plus austère semble peut-être plus appropriée à ses chroniques. » Comme quoi, il ne s’agit ni de Boris Lehman, ni de Paul Hermant mais d’une apologie affligeante de la bêtise. « À quoi bon les poètes en temps de crise... ? », disait au dix-neuvième siècle le poète Hölderlin… ■
Carte blanche adressée au Soir et non publiée — C. Pazienza Mme la Rédactrice en Chef, Voici : je lis et relis l’article dédié au film de B. Lehman, Histoire de mes cheveux, paru dans votre journal ce 20 août dans la rubrique « Télé-subjectif » et — bien qu’une semaine soit passée — je ne décolère pas. J’y vois un exercice de lapidation journalistique. En voici les raisons. Aimer ou ne pas aimer (un film, un livre, une peinture...) reste un art, une expérience intrigante, passionnée, périlleuse. La criti-
que — télé, comme toute critique — est à mes yeux, un genre littéraire en soi. Qui exige inventivité, sensibilité, connaissance, curiosité, style. Qui permet d’inviter à voir même ce qu’on ne comprend pas tout à fait ou qu’on n’aime pas particulièrement ; ce qui n’est pas immédiatement perceptible, manifeste. Mais ici, rien de cela. Point d’élégance dans la plume. Me voici, au contraire, témoin effaré de deux colonnes empreintes de bile manichéenne, d’un regard sommaire, d’un mé-
novembre 2010 * n°310 • page 14
pris exprimé sans ambages : mépris pour le film, pour ceux qui se risqueraient à l’aimer, pour ceux qui le financent. À côté, une photo de l’auteur. La taille de celle-ci (1/6ème de la page !) semble dire : « Fuyez le lépreux ! ». Je suppose qu’appeler la rubrique « Télé-Subjectif » est une manière de convier l’étymologie grecque du terme « télé » (loin, à distance ) plutôt que le petit écran. Oui, au fond, l’article dit le refus même d’un regard subjectif et l’utilisation agaçante, par la journaliste, du pro-
nom indéfini (on) conforte mon hypothèse. Voir le film d’un cinéaste ainsi réduit en miettes par les lames d’une broyeuse d’images me blesse et devrait blesser même ceux qui ignorent tout de Boris Lehman. L’insulte faite au film est une insulte à tout lecteur capable d’entendre et de vouloir un minimum d’épaisseur, d’analyse, de finesse. Que ce film soit très ou peu réussi, vous l’aurez compris, n’est pas ici le propos. C’est voir de quoi cet article que vous avez choisi de publier et qui hérisse mes sens est le symptôme. J’avoue, pour ma part, être souvent subjugué par cette archéologie du vivant dont l’oeuvre de ce cinéaste unique se compose. Unique par l’obstination, la rage sereine, la quête de liens. Par l’adresse faite à tout spectateur à se découvrir unique. Par l’expérience qu’une vision inflige au corps et à l’esprit. Parfois, alors, les sens se dégourdissent, les langues se délient, l’œil s’exerce à caresser les détails. Est-ce une expérience mystique ? Nullement. Je n’y vois qu’un éloge du présent, de l’histoire, de notre histoire. Parfois, certes, de telles doses de subjectivité font écran, empêchent de voir, irritent. Soit. Ma
question est plutôt : que peut une critique ? Réduire une critique à un résumé ou à un « coupé — collé » tiré d’un dossier de presse, cette coutume-là (désormais répandue), c’est trop maigre. Non pas qu’il s’agisse de produire l’exégèse parfaite qui épuiserait, dévoilerait le « sens ultime » d’une œuvre, qui en lèverait les secrets. Non, il s’agit plutôt, pour le critique, au regard de sa propre subjectivité, d’exciter la curiosité du lecteur par l’écho produit par le film, le livre, la peinture. Produire un déplacement dans le regard du lecteur par les vibrations ressenties, interprétées, entrevues. Déplacements salutaires, indispensables. Voilà ce que je demande aux critiques. Mais là, au sujet de l’article de Mme Gorissen, que dire ? Pourquoi cette étrange délectation à se payer la « tête » d’un auteur alors que c’est un film « sans queue ni tête » (dit-elle) ? Comment ne pas voir dans le ton, le dédain que dégage cet article, dans cette violence fière qui se répand à grande vitesse dans la presse écrite et ailleurs, le mépris pour toute singularité ? Comment ne pas y voir le même sadisme qui nour-
rit l’audimat par ses programmes de télé-réalité ? Je traduis : cette logique télé-visuelle a-t-elle désormais durablement contaminé certaines de vos plumes ? Si oui — comme je le crois — je dis : JE SUIS CONTRE ! Résolument contre ces absurdes manies. Contre, je suis contre cette logique d’annonceurs qui exige légèreté creuse et « temps de cerveau humain disponible » pour placeurs de consommables. Contre, résolument contre la complicité rigolote de certains journalistes qui baissent les bras, la langue ! Je résume : lire un article — futce un billet d’humeur concis et dévastateur, transgressif et irrévérencieux — produit souvent une jouissance certaine. Mais que faire de ça, de cet article que vous avez publié — Mme la rédactrice en chef — surtout quand la journaliste n’a pas le talent mordant d’un Oscar Wilde ? Voici : ne pas publier. Cordialement, Claudio Pazienza, réalisateur (derniers films : Scènes de chasse au sanglier, Archipels nitrate)
Le poulpe versus les cheveux de Boris — Pierre Hemptinne* (...) Je ne suis pas un adorateur de Boris Lehman, je n’en fais pas un génie incompris, je ne me gêne pas, si je dois en débattre, pour signaler des faiblesses et des manies agaçantes dans sa manière de faire. Il n’empêche que cet article, réagissant au film Histoire de mes cheveux diffusé sur La Deux, doit être considéré comme un torchon et une infamie. C’est en enfilement d’arguments populistes et de réflexes poujadistes : et tout ça, bien entendu, selon les grands classiques de ce genre de rhétorique, au nom du « com-
mun des mortels » qui ne pourront que prendre « leurs jambes à leur cou ». (...) Dans un contexte où toute production artistique lente, difficile, exigeant un temps assez long de familiarisation pour être comprise, dans un environnement où l’argent va surtout aux œuvres qui rapportent de l’argent assez rapidement, il est criminel de démolir ainsi, sans appel, sans argument sérieux légitimé sur un potentiel critique de l’image, une telle réalisation. Il est irresponsable de couper l’herbe sous le pied au travail de pareil original, ci-
néaste singulier, inclassable. Parce qu’il en faut. On ne peut pas couvrir l’actualité culturelle dans un « grand » quotidien et ne pas comprendre qu’une vie culturelle, dans une société, a besoin de ce genre d’illuminés, créateur minoritaire. Même si les échanges ne sont ni directs ni évidents, la zone des artistes « chiants », ceux « qui font fuir le commun des mortels », est indispensable comme espace de liberté, espace où l’on invente, où l’on crée selon ses désirs, sans chercher à plaire au marché et au grand public. C’est là que
➜ novembre 2010 * n°310 • page 15
➜ des formes nouvelles s’inventent, que des expériences sont faites, bonnes et mauvaises, et qu’elles permettent d’entretenir un esprit critique. Tout n’est pas bon dans cette production dite expérimentale, mais il faut la soutenir, ce qui signifie financer des films de gens comme Boris Lehman, entre autres. C’est aussi un devoir pour la société parce que sans cet investissement, la diversité culturelle perd encore un peu plus de chance d’être réellement ancrée dans notre société. Quand on mesure tous ces enjeux — c’est bien le moins pour une journaliste professionnelle s’exprimant sur une création artistique —, on ne peut écrire un torchon comme celui publié par Le Soir le vendredi 20 août. Ne rien apprendre en regardant les films de Boris Lehman ? Ah non, pas de connaissances formalisées aussi rapidement utiles que ce que l’on peut découvrir sur les moeurs du poulpe dans un documentaire animalier. Pas ce genre de connaissance formelle dont on peut dire directement :
« je ne le savais pas ». Mais, un mec vous parle, mots et images, durant des heures de sa vie, ses marottes, ses obsessions, son imaginaire, ses angoisses, et vous n’apprenez rien ? C’est quoi l’humain pour vous, dans ce cas ? N’importe qui peut le faire ? Allez-y, essayez, qu’on rigole. Heureusement, Madame Carine Bratzlavsky (Direction des Antennes Culture, Arte Belgique)1, réagit ce jeudi 26 août dans Le Soir. Il aurait été déplorable qu’aucune réaction n’ait lieu sous prétexte que Boris Lehman, tout le monde s’en fout, de toute façon. Parce qu’un article aussi indigne ne vise pas que Boris Lehman, mais est révélateur d’une mentalité, voire d’une presse qui n’a plus les moyens d’opter pour une ligne culturelle courageuse (on peut voir ici les effets négatifs à long terme du fameux « lâchezvous » que la direction de rédaction avait adressé à son équipe, lors du lancement de la nouvelle formule du journal). Ça fait plaisir de lire qu’on n’est pas le seul à penser que cette journaliste était
un peu « court ». (...) Il faut soutenir, encourager, financer tous les créateurs qui vont à contre-courant, qui sont lents, sont irrécupérables par quelque segment commercial que ce soit. Futurs classiques ou non. Sans cela, la créativité globale d’une société ne peut que péricliter, se fragiliser en perdant le contact avec l’audace, les folies, les tentatives inutiles, l’absurde, la démesure. Que nous détestions ou non ses films, nous avons besoin de Boris Lehman ! Il symbolise la possibilité de réaliser des films qui n’ont rien à voir avec rien, gratuits, déconnectés, et ça c’est précieux : ça maintient la possibilité d’un regard gratuit, un regard qui ne comprend pas toujours ce qu’il voit, ça c’est précieux. ■ *Directeur des collections de la Médiathèque et rédacteur du blog « Comment c’est ! ?» où ce texte a été publié le 20 août 2010 (http://comment7.wordpress.com) 1
Voir encadré page suivante.
L’obscurantisme insidieux de la critique inutile — Marc-Emmanuel Mélon* (...) La confusion des genres journalistiques se double ici d’une inculture sidérante qui alimente les stéréotypes sociaux les plus éculés. La journaliste écrivant d’habitude à l’intention des « fans » (un mot qu’elle utilise abondamment dans tous ses articles) des séries télé, on comprend qu’elle n’ait aucune sensibilité pour un art et une pensée différents de l’ordinaire télévisuel. Mais pourquoi diable écrire sur ce qu’on ne connaît pas ? Même dans un billet d’humeur, une journaliste attitrée devrait se garder d’émettre des jugements aussi expéditifs (le film de Lehman est « sans queue ni tête » et Hermant est un « poujadiste ») alors qu’elle ne sait
pas de quoi elle parle et ne connaît pas le sens exact des mots qu’elle emploie. De toute évidence, Gorissen ignore tout autant qui était Pierre Poujade et qui est Boris Lehman : elle recopie telle quelle, sans les guillemets d’usage, la première phrase de l’article « Lehman » de Wikipedia (ce qui, si elle avait fait des études de journalisme, l’aurait envoyée illico en deuxième session) ; elle ne connaît rien de ce cinéaste prolifique qui a eu droit à des rétrospectives au Centre Pompidou à Paris et au Museum of Modern Art de New York ; elle prend pour un documentaire (et s’étonne qu’on « n’y apprend strictement rien ») ou un « voyage humoristique » (« ah,
novembre 2010 * n°310 • page 16
bon ? » ajoute-t-elle, incrédule) ce qui est en réalité un récit de soi, un cinéma du subjectif qui s’inscrit dans la lignée de l’autoportrait littéraire d’auteurs aussi renommés qu’André Gide ou Michel Leiris (on n’ose imaginer ce que Gorissen écrirait de L’âge d’homme). Enfin, elle écrit que « certains beaux esprits y verront sans doute de la poésie » puis, dix lignes plus bas, que « certains y verront sans doute de l’art » alors que « le commun des mortels » n’aura envie que de s’enfuir. Et revoici les stéréotypes sociaux pour le coup réellement poujadistes : le « commun » n’a que faire de l’art et de la poésie qui ne sont que pour les « beaux esprits ». Sans doute les
« petits », pour parodier Poujade, sont-ils trop bêtes pour comprendre la poésie ? Trop stupides pour apprécier l’art ? À moins que ce ne soient les artistes et les poètes qui, perdus sur le Mont Parnasse, ignorent tout des vraies réalités du monde ? (Allez dire ça à tous ceux qui écoutent encore Brel, Ferré, Brassens, Barbara, Ferrat ou Bashung, sans doute tous des ringards puisqu’ils sont morts). Là où un vrai critique donnera envie de découvrir du nouveau, et indiquera avec un peu de subtilité comment l’apprécier, Gorissen préfère renvoyer ses lecteurs... au lit ! (« À 23h25, écrit-elle, il n’y aura heureusement plus grand monde
à martyriser »). L’inculture et les stéréotypes alimentent ainsi un esprit réellement poujadiste et dangereux. Aux clichés succède l’argument le plus éculé : la journaliste se demande « comment des producteurs ont bien pu mettre de l’argent dans ce projet — on compte parmi eux Arte, la RTBF, la Communauté française ». Voilà donc l’argent public dilapidé au seul profit des « beaux esprits ». Nul doute que Boris Lehman, qui a consacré tout son argent à faire des films et vécu toute sa vie pauvre comme Job, appréciera. Faut-il rappeler que les nazis, à l’exposition de « L’art dégénéré » qu’ils avaient or-
ganisée à Munich en 1937 pour dénoncer l’art moderne de Picasso, Chagall, Van Gogh, Beckmann, Grosz ou Klee, qualifiés de représentants de la « juiverie internationale », avaient affiché à côté de chaque tableau le prix payé par un musée allemand pour acquérir l’œuvre exposée ? (...) ■ *Professeur de cinéma à l’Université de Liège Ce texte a été publié sur le blog « Comment c’est ! ? » le 29 août 2010. Il avait auparavant été adressé au Soir qui ne l’a pas publié.
Carte blanche publiée dans Le Soir du 26 août — Carine Bratzlavsky* En conclusion de sa chronique « Télé-subjectif » parue dans Le Soir de ce vendredi 20 août où elle nous dit tout le mal qu’il faut en penser, Agnès Gorissen se demande comment des producteurs ont bien pu mettre de l’argent dans le film de Boris Lehman, Histoire de mes cheveux, diffusé (« Heureusement », nous dit-elle) sur la Deux à 23h25, précisant que, parmi ceux-ci, on compte Arte, la RTBF et La Communauté française. En tant que responsable des programmes d’Arte en Belgique au sein de la RTBF et, notamment, des coproductions entre Arte et la RTBF, j’aimerais prendre cette question à la lettre car c’est une vraie question. Libre, bien entendu, à la journaliste d’aimer ou non une émission mais ses propos (j’aime, j’aime pas, je zappe) me paraissent un peu courts. Si l’on attend, d’un côté, de notre service public de fédérer le plus large public possible, on attend également de l’autre,
qu’il soutienne un effort de qualité, de stimulation intellectuelle et d’innovations esthétiques. Le contrat de gestion de la RTBF est d’ailleurs explicite qui entend qu’il « marque sa différence en matière de qualité et d’imagination dans le paysage audiovisuel de la Communauté française ». Éviter l’écueil de l’identique qui provoque un recul de la diversité. Précisant encore que la RTBF se doit d’« accorder une attention particulière aux créateurs, auteurs, artistes, producteurs, réalisateurs et notamment aux œuvres subsidiées par la Communauté Française ». Le pouvoir de tutelle entend, pour ce faire, qu’il investisse dans la création audiovisuelle. À l’évidence, tant la RTBF qu’Arte — puisque les deux chaînes sont liées par des accords d’association — témoignent d’une exigence et d’une ambition fortes dans le soutien à la création belge et européenne et jouent un rôle essentiel dans la diversité et le dynamisme de la créa-
tion de fictions, de documentaires, de spectacles vivants. L’apport d’Arte dans ces films, coproduits avec des producteurs indépendants de la Communauté française, nous permet de produire des films et des essais originaux bien de chez nous et, pour certains, des deux côtés de la frontière linguistique, dont on pourrait s’enorgueillir qu’ils fassent l’objet ici d’une programmation spéciale sur Arte à l’occasion de la Présidence belge de l’Union européenne. Faut-il rappeler que nombre d’œuvres inaperçues par leurs contemporains sont devenues des classiques et que ce qu’on nous invite à prendre d’emblée comme le dernier des chefs d’œuvre aujourd’hui n’est bien souvent que l’effet de son budget promotionnel ? *Direction des antennes Culture, Arte Belgique
novembre 2010 * n°310 • page 17
regarder Dawid Szymin (Chim). Le Front populaire et l’Espagne (1934-1939) ROLAND BAUMANN
D
avid Chim-Seymour avait un côté « père tranquille ». Un père tranquille au regard pétillant derrière de grosses lunettes. Il ne portait pas en lui cette dynamite biologique propre à « Bob1 ». Il se raisonnait d’abord et agissait ensuite. Ce qui est une autre forme de courage. Georges Soria2 La rétrospective des photographies de David Seymour (Chim), organisée cet hiver au Musée juif de Belgique, en collaboration avec Magnum Photos, nous incite à évoquer les « premières armes » de ce grand photojournaliste. Cette nouvelle exposition du MJB coïncide avec la présentation à New York des photos de la « valise mexicaine »3. Abandonnée à Paris par Robert Capa lorsqu’il se réfugia aux USA au début de la Seconde Guerre mondiale et longtemps présumée perdue avant de refaire surface à Mexico, cette valise contenant plus de 4000 négatifs de photos, pour la plupart de la guerre d’Espagne, prises par Capa, Gerda Taro et Chim, est une découverte fabuleuse. Plus du tiers des clichés de cette « valise » sont de Chim et l’exposition du MJB montre pour la première fois au public belge un échantillon de ces précieux documents visuels. Une imposante publication (2 volumes — près de 600 pages), réalisée à l’occasion de l’exposition newyorkaise, reproduit par ailleurs
les planches contact de l’ensemble des rouleaux de pellicule contenus dans la « valise mexicaine », minutieusement digitalisés4. Cette masse d’images permet de découvrir l’intégralité de photoreportages mémorables effectués en Espagne par Chim, Capa et Taro. Des photoreporters engagés, qui, de même que leur ami commun, Henri Cartier-Bresson, voulaient par leurs images contribuer à la mobilisation de l’opinion publique mondiale en faveur de la république espagnole. Arrivé à Paris à l’automne 1932, après des études à Leipzig, Dawid Szymin, fils d’un éditeur de livres yiddish à Varsovie, se lance dans le photojournalisme et publie dès mars 1934 ses reportages photo dans l’hebdomadaire communiste Regards dont il devient un des photographes attitrés. Dans les mines d’Alsace, avec les pécheurs au thon en mer du Nord ou les ouvriers des armureries de St Étienne, « Chim » (abréviation de son nom de famille) capte sur la pellicule 35mm de sa caméra Leica les réalités de la vie prolétaire en ces années de crise économique. Sélectionnées et appréciées aujourd’hui pour leurs qualités formelles, ses photos de reportage font la chronique visuelle des années du Front populaire, dont Chim documente avec talent les grands moments, immortalisant les visages de militants anonymes tout comme ceux des principaux protagonistes de ces années de
novembre 2010 * n°310 • page 18
lutte et d’espoir5. C’est le temps d’un nouvel humanisme, fondé sur la libération des travailleurs, le droit à la culture, l’aspiration à la paix. Pour Chim, photoreporter de Regards, comme pour les partisans du Front populaire dont il faisait les portraits, la fraternité, la solidarité et l’espérance étaient des réalités quotidiennes. Le 19 mai 1935, Chim photographie Léon Blum, Maurice Thorez et André Marty, socialistes et communistes, réunis pour rendre hommage aux morts de la Commune de 1871, devant le mur des Fédérés, au cimetière du PèreLachaise. Le 5 juin, au Palais de la Mutualité, lors des Journées d’Amitié de l’Union soviétique, Chim réalise d’étonnants clichés d’André Malraux, s’adressant au public, puis assis, en conversation avec Marcel Cachin, le directeur de L’Humanité. Chim saisit à nouveau Malraux sur sa pellicule, à la table des orateurs du Congrès international des écrivains pour la défense de la culture (2125 juin 1935), aux côtés d’André Gide et du journaliste communiste Paul Vaillant-Couturier... sous un énorme portrait de Maxime Gorky. Photo de groupe sur décor de peinture réaliste socialiste : Chim fait le portrait d’Henri Barbusse, assis, au milieu de ses collaborateurs à la rédaction de son journal littéraire Monde. Le 7 septembre 1935, lors des funérailles de Barbusse, une vue plongeante de Chim nous montre l’énorme
Estrémadure 1936 © David Seymour/Magnum Photos
défilé du peuple de gauche vers le Père-Lachaise. Le 31 janvier 1936, Chim documente l’hommage à Romain Rolland pour son septantième anniversaire, puis le 16 février, il couvre la grande manifestation dénonçant l’agression de Léon Blum par des militants d’extrême droite. Après la victoire électorale du Front populaire (3 mai), la commémoration de la Commune au Père-Lachaise se fait sous le signe de la victoire des « deux forces vivantes de la France » : « l’idée républicaine et la passion révolutionnaire du peuple », comme l’évoque Léon Blum dans son discours. Au cimetière, Chim photographie les leaders de la gauche triomphante, Blum, Thorez et Marty, mais aussi de simples militants, telle cette petite fille au poing levé, juchée sur les épaules d’un papa souriant, dans l’allégresse générale. La victoire du Front populaire est suivie d’une vague de grèves avec occupations d’usines, dans
un climat détendu, familial, déterminé dont témoignent les photos de Chim, de Capa et de CartierBresson. Un air de fête règne dans les usines, comme le suggère cette partie de cartes prise en photo par Chim dans un atelier. Suite aux accords de Matignon, le parlement vote la semaine des 40 heures, la loi sur les congés payés et les conventions collectives. Le 11 juin, Thorez appelle à la reprise du travail et le Leica de Chim saisit le tribun communiste admonestant la foule de militants communistes et socialistes dans son discours du Vel d’Hiv. Le 14 juillet 36, le défilé militaire traditionnel se complète de grandes manifestations sportives, artistiques et théâtrales, faisant de la fête nationale une célébration du Front populaire. Une apothéose immortalisée par la caméra de Chim. Le 1er août 36, Romain Rolland, exilé en Suisse depuis 1915, est de retour à Paris pour une représentation de sa pièce de théâtre Le14 juillet. Chim le photographie de profil, en conversation avec Cachin et Vaillant-Couturier. Le 9 août 36, lors du meeting pour le désarmement à Saint-Cloud, Chim prend à nouveau l’illustre écrivain pacifiste en photo, debout, le poing levé, à côté de Jacques Duclos. Sur une autre photo, des
ouvriers dressent le poing devant les grandes affiches pacifistes. Ils réclament « des avions pour l’Espagne ». Mais, face au conflit espagnol, Léon Blum, s’alignant sur l’Angleterre, décidera la non-intervention. Regards a envoyé Chim en Espagne suite à la victoire des partis de gauche aux élections de février 1936. C’est alors, fin avril — début mai 36, qu’il réalise sa célèbre photographie d’une mère, allaitant son enfant, lors d’un meeting pour la réforme agraire dans un village d’Estrémadure. En première ligne, avec les miliciens à Irun, ou avec les dinamiteros à Oviedo, ou bien à l’arrière, avec les ouvrières des usines d’armement de Barcelone, ou avec les enfants de Minorque, dans les abris, sous les bombes fascistes, et enfin à la frontière française, lors de l’exode républicain en février 39, Chim photographie le martyr d’un peuple, abandonné par les démocraties et condamné à périr. Photos inoubliables d’une lutte héroïque... ■ Rétrospective David Seymour (Chim) - Un photographe humaniste jusqu’au 27 février 2011 ; Tous les jours sauf lundi 10h- 17h Musée Juif de Belgique, rue des Minimes 21, 1000 Bruxelles Infos: tél. 02 512 19 63 ; www.new.mjb-jmb.org
« Bob » : Robert Capa. SORIA (Georges), Robert Capa. David Seymour-Chim. Les grandes photos de la guerre d’Espagne, Paris, éd. Jannink, 1980. 3 The Mexican Suitcase : Rediscovered Spanisch Civil War Negatives by Capa, Chim and Taro. Exposition du 24 septembre 2010 au 9 janvier 2011, International Center of Photography, New York. Voir : www.icp.org/museum/exhibitions/current 4 YOUNG (Cynthia) éd., The Mexican Suitcase : The Legendary Spanish Civil War Negatives of Robert Capa, Gerda Taro and David Seymour, New York et Göttingen, ICP/ Steidl, 2010. 5 ELGEY (Georgette), Front Populaire. Robert Capa - David Seymour « Chim », Paris, Chêne/Magnum, 1976. 1 2
novembre 2010 * n°310 • page 19
reportage Etz-Hayyim. Un attentat contre une synagogue DOMINIQUE ROZENBERG ET ANDRÉ GOLDBERG
H
evraiki est l’ancien quartier juif de la ville de Hania (La Canée), ancienne capitale de l’île de Crète (Grèce). Ce quartier est également appelé Zudecca, le ghetto juif à l’époque de l’occupation vénitienne de l’île (1204-1669). C’est là, au détour d’une ruelle que l’on tombe devant la synagogue Etz-Hayyim datant du XVème siècle, qui reste l’unique édifice témoignant de la présence en Crète d’une communauté juive remontant à près de 2400 ans. Lorsqu’en 1941, les Allemands envahirent la Crète, on y dénombrait 364 juifs à Hania, 1 à Rethymnon, et 7 à Héraklion. Ce n’est qu’en Juin 1944 que les Juifs de Crète ont été arrêtés et envoyés à Héraklion d’où ils furent déportés avec quelque 600 prisonniers grecs et italiens. Tous périrent en mer suite au torpillage, par un sous-marin britannique, du bateau qui les transportait. Jusqu’en 1995, le quartier juif et la synagogue de la Canée sombrent lentement dans un quasi oubli. C’est à cette période qu’une subvention fut accordée pour le projet de restauration de la synagogue sous l’égide de la World Monuments Fund, en collaboration avec le Conseil central des communautés juives de Grèce.
Les travaux débutèrent en 1998, té mais sont assignés à rester en et la synagogue a officiellement rouvert ses portes le 10 Octobre 1999. Le 5 Janvier 2010, deux incendies criminels, probablement perpétrés par des sympathisants d’extrême-droite, ont gravement endommagé deux dépendances de la synagogue et une partie du plafond de celle-ci. Une barre de savon aurait été laissée à l’extérieur, peut-être pour évoquer une expression grecque antisémite : « je vais vous en faire une barre Le Mikveh de la synagogue. Photo André Goldberg de savon ». L’incertitude plane sur le sort Crète. Aucune date de procès n’a réservé aux quatre suspects ar- été fixée, il semble que les roues rêtés pour ce crime, ainsi que sur de la justice crétoise tournent lenleurs motivations réelles. Un jeune tement. Il ne serait d’ailleurs touhomme grec est toujours en dé- jours pas clair aux yeux des autotention. Deux Britanniques et un rités que cet attentat présente un Américain ont été remis en liber- caractère antisémite. ■
novembre 2010 * n°310 • page 20
Photo André Goldberg
Travaux et culte dans la synagogue Archives photographiées
Photo André Goldberg
novembre 2010 * n°310 • page 21
Yiddish ? Yiddish ! PAR WILLY ESTERSOHN
[unuwel ewidYi enetlez zeltene yidishe leshoynes Des langues juives singulières Dans cet extrait d’un article du Forverts, hebdomadaire laïc new-yorkais de langue yiddish, il est question de langues juives pratiquement inconnues du grand public. L’une d’elles, proche du persan, est le boukharien, du nom de Boukhara, une ville d’Ouzbékistan située jadis sur la fameuse route de la soie et dont la communauté juive peut se prévaloir de 20 à 25 siècles d’existence. On compte aujourd’hui de 50 à 60 mille Juifs boukhariens aux États-Unis (essentiellement à New-York) alors qu’ils ne seraient plus qu’un millier au maximum dans leur région d’origine.
.[unuwl retrednuh tdereg Nrevv kr]i-uin t]twtleuu red Nij leshoynes
hunderter
geredt
vern
niu-york
veltshtot
der
in
wierbeh Nuj widYi Qux= reb] .iiz Nwiuuq zij widYi z= ,Ciz tiitwr=f hebreish
un yidish akhuts ober
zey tsvishn iz
yidish az zikh
farshteyt
,[unuwl ewidYi enetlez Qn=g ecelte kr]i-uin Nij Nem tder leshoynes yidishe
zeltene
gants
etlekhe
niu-york
in men
redt
,(N=tsidruk Nuf Nemukeg NdYi Nwiuuq) wiem=r=-widYi :unUh=d (kurdistan
fun gekumen yidn tsvishn)
yidish-arameish
dehayne
.(N=tsikiwzd=t Nuj N=tsikebzuj Nuf enemvkeg Nwiuuq) wir=cub Nuj (tadzhikistan
un
uzbekistan
fun gekumene tsvishn)
bukharish un
kr=tw reiiz Ciz Nenez widYi Nuj wir=cub tder Nem Vuu [ulihk id shtark
zeyer zikh zenen yidish un bukharish
redt
men vu kehiles di
tdereg tqij Niuw trevv wir=cub .kildneqr]i Ntqel Menij Nsk=uueq geredt
itst
shoyn vert
bukharish
yortsendlik
letstn
inem
tsevaksn
.Niil= er=cub rekil]m= red Nij iuu kr]i-uin Nij Nwtnem rem dqm aleyn bukhare
amoliker
novembre 2010 * n°310 • page 22
der
in
vi
niu-york
in mentshn mer mitsad
! widYi ? widYi TRADUCTION A (dans la ville mondiale) New-York, la grande métropole, on parle (sont parlées) des centaines de langues. Il est évident (il se comprend) que le yiddish figure (est) parmi elles. Mais hormis le yiddish et l’hébreu, on parle à New-York quelques très rares langues juives, à savoir le judéo-araméen (parmi les Juifs venus du Kurdistan) et le boukharien (parmi ceux qui sont arrivés [les arrivés] d’Ouzbekistan et du Tadjikistan). Les communautés où l’on parle le boukharien et le yiddish ont connu une très forte croissance au cours de (dans) la dernière décennie. Le boukharien est déjà parlé par (du coté de) davantage de gens à New-York que dans l’ancienne Boukhara elle-même.
À Samarcande (Ouzbékistan), écoliers juifs en habits traditionnels (1910)
REMARQUES widYi yidish = juif (adj.) et aussi la langue yiddish. Nuwl loshn (hébr.) = langage (plur: [unuwl leshoynes) ; également : C=rpw shprakh. Qux= akhuts = hormis, sauf, en plus de. unUh=d dehayne (hébr.) = c’est-à-dire, à savoir. hlihk (hébr.) kehile (plur: [ulihk kehiles) = communauté (juive organisée). Menij inem = Med Nij in dem = dans le. dqm mitsad (hébr.) = du côté de. l]m = a mol = autrefois ; kil]m= amolik = d’autrefois.
novembre 2010 * n°310 • page 23
ANNE GIELCZYK
Alors, heureux ?
V
ous êtes heureux vous? Vaste question me direz-vous. En effet, c’est quoi le bonheur ? Un débat vieux comme le monde. Sauf pour les économistes apparemment. Pour eux, le bonheur pour autant qu’ils se posent la question, eh bien le bonheur il est tout simplement inclus dans toutes ces petites et grandes choses que nous achetons. Les économistes mesurent le bonheur à l’aune de la dernière paire de chaussures que vous vous êtes achetée. Ils appellent ça l’utilité marginale. L’ennui c’est que notre utilité marginale a tendance à diminuer au fur et à mesure que notre stock de chaussures s’agrandit. Autrement dit votre dixième paire de chaussures ne vous procure plus la même satisfaction que votre première paire. Va-t-on pour autant arrêter d’acheter des chaussures Ça serait terrible ça, car qui dit moins de chaussures, dit ralentissement de l’activité économique, récession, chômage... malheur. Heureusement nos désirs sont illimités (enfin, c’est ce que disent les économistes) et donc la nouvelle saison venue nous ne manquerons pas d’acheter une onzième paire de chaussures voire une douzième, pour notre plus grand bonheur et surtout celui des marchands de chaussures.
C’est pourquoi les économistes se sont toujours contentés de mesurer la croissance, considérée comme condition sine qua non à toute amélioration de la condition humaine. Avec toutes les conséquences que l’on sait : épuisement des ressources naturelles et humaines. Mais depuis quelques années la question de l’économie (et) du bonheur fait son petit bonhomme de chemin.
P
renez Kris Peeters, le ministre-président flamand. Lors de l’ouverture de l’année parlementaire en Flandre il a promis d’augmenter « het bruto nationaal geluk » de la Flandre. Ouioui vous avez bien compris, le bonheur national brut de la Flandre. Voilà comment les amis, nous avons changé de paradigme, fini le « produit » à nous le « bonheur », une véritable révolution copernicienne quoi ! Évidemment ce « bonheur », comment comptet-il « l’augmenter » ? Eh bien par la croissance économique pardi ! Bon je caricature un peu, il a ajouté « qualité de vie » et « durabilité» , il a dit « faire plus avec moins ». Mais pourquoi « plus », on ne pourrait pas faire « autrement » tout simplement ? Toujours est-il que les économistes se sont mis à mesurer le bonheur, évidemment ça ne s’appelle pas « bonheur »
novembre 2010 * n°310 • page 24
mais « satisfaction de vie » (Eurobaromètre de satisfaction de vie) ou alors « happiness » (World Data of Happiness). « Happiness » ça fait quand même plus sérieux que « geluk » ou « bonheur » . « La croissance ne fait pas le bonheur, les économistes le savent-ils ? » titrait non sans autodérision, la revue des économistes de l’UCL1 il y a quelques années. Et si on comparait la croissance du produit intérieur brut à l’évolution de la satisfaction de vie se sont dit ces économistes ? Quelle idée géniale ! Et oh surprise, à la question « êtesvous globalement satisfait de la vie que vous menez ? », depuis trente ans la moyenne dépasse rarement la barre des « plutôt satisfaits » et a même tendance à diminuer vers la barre des « plutôt insatisfaits » alors que le produit intérieur brut n’arrête pas de croître. Evidemment cela dépend des pays, ainsi il y a des pays, comme le Danemark par exemple, où la satisfaction de vie est nettement plus élevée et ne semble pas vouloir fléchir. En Belgique par contre notre satisfaction de vie diminue nettement depuis le début des années 1980. Elle s’expliquerait par l’insécurité politique générée par le basculement vers un système fédéral suite au Pacte d’Egmont en 1980. Ce n’est pas moi qui le dit mais des
économistes tout ce qu’il y a de plus sérieux2. Nous y voilà ! La réforme de l’État, source de malheur. Évidemment en l’occurrence ça dépend pour qui, le malheur des uns est le bonheur des autres n’est-ce pas. Si ça se trouve les Flamands sont plus heureux que les francophones. Pour eux, si on en croit la N-VA, le « basculement vers un système fédéral » que dis-je « confédéral », ne peut qu’augmenter leur satisfaction de vie. Eh bien détrompez-vous les amis, en Flandre le bonheur a plutôt tendance à régresser tandis que la consommation d’antidépresseurs va augmentant3. Peut-être que l’augmentation des inégalités sociales leur est insupportable ? Les études démontrent en effet qu’en Europe (plus qu’aux États-Unis) ceci est un facteur d’ insatisfaction. Par altruisme, encore une chose que les économistes ont mis du temps à comprendre, mais aussi parce que cela augmente le sentiment d’insécurité chez les nantis.
C’est pourquoi il vaut mieux mettre les pauvres dans les banlieues ou dans certains quartiers. Ôtez-moi ces pauvres dont je ne saurais souffrir la vue. Sans parler des sans papiers et des demandeurs d’asile qui nous pourrissent la satisfaction de vie. On ne sait déjà plus où caser nos pauvres à nous, ils envahissent nos rues et nos trottoirs et dire que c’est bientôt l’hiver. Selon le dernier rapport sur la pauvreté à Bruxelles, un Bruxellois sur quatre vivrait au-dessous du seuil de pauvreté. Pascal Smet qui siège désormais au gouvernement flamand s’est empressé de dire à qui voulait l’entendre que c’était, je vous le donne en mille, la faute, non pas au fait que Bruxelles est une grande ville dans un monde globalisé (ça c’est ce qu’il disait quand il était ministre du gouvernement bruxellois), mais à la mauvaise gestion de la ville. Tout ça devrait aller beaucoup mieux dans une Flandre qui gérerait au moins 50% de l’IPP de façon autonome et responsable assortie d’un « streng asiel—en migratiebeleid » (Jan Jambon au Parlement lors de l’ouverture de ce dernier). Ils pourront s’inspirer des Pays-Bas, et de la France, et de la Suède, et
de l’Autriche, et... J’arrête, mon baromètre de satisfaction de vie est en train de crasher.
L
a vraie question ce n’est pas « c’est quoi le bonheur » mais comme le dit la chanson « c’est quand le bonheur ». Faudrait pas trop que ça traîne, Bart de Wever lui-même n’a pas l’air très heureux ces derniers temps. Il se gave de gaufres et de frites pour tenir le coup. Il ressemble de plus en plus à la grenouille qui se voulait aussi grosse que le boeuf de la fable4 : Une grenouille vit un bœuf. Qui lui sembla de belle taille. Elle, qui n’était pas grosse en tout comme un œuf. Envieuse, s’étend, et s’enfle, et se travaille On sait comment l’histoire se termine : « S’enfla si bien qu’elle creva ». Tiens ça serait peutêtre une solution ça tout compte fait. Ouais, c’est pas sympa ça, je l’admets, mais bon comme dans tous les couples qui vont mal et où le divorce semble inextricable, il arrive toujours un moment ou on souhaite la mort de l’autre, n’est-il pas ? ■ Regards économiques, mars 2006. ibidem, page 10. 3 « Vlaming almaar ongelukkiger », De Morgen 15 septembre 2010. 4 « La Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le Boeuf », Jean de La Fontaine, Fables (Livre I,3). 1 2
novembre 2010 * n°310 • page 25
LE
DE LÉON LIEBMANN
La Belgique tangue mais ne sombre pas
R
ien de plus décevant pour les partisans d’une Belgique fédérale en voie de rénovation que la manière dont se déroule la crise politique profonde dans laquelle elle est plongée. Chaque fois qu’une lueur d’espoir d’un accord au sommet se profile à l’horizon, un empêcheur de tourner en rond se lève et s’élève pour dénier ou renier les résultats si péniblement engrangés et, selon l’expression de Bart De Wever – orfèvre en la matière – , remettre les compteurs à zéro en attribuant la responsabilité de ce gâchis aux interlocuteurs littéralement faisant partie du « camp opposé ». Le dernier incident de parcours est le plus grave et le plus significatif d’un procédé que l’on croyait usé jusqu’à la corde et qui refait surface à chaque moment crucial de la négociation. Le responsable de ce jeu dangereux n’est pourtant pas un novice puisqu’il s’agit de Bart De Wever. Ses partenaires qu’il traite sans vergogne ont pendant très et trop longtemps toléré ce procédé, croyant qu’en ne le critiquant pas, au moins publiquement, ils éviteraient d’alourdir l’atmosphère et de faire capoter tout le processus de négociation qu’ils croyaient enfin emmanché. Ils ont fini par se rendre compte que ce genre d’incidents
n’était pas l’exception qui confirme la règle mais une façon systématique de tirer la couverture à soi et d’engranger des succès qui incitaient ses auteurs à les multiplier, empêchant ainsi le débat de se nouer et, a fortiori, d’aboutir à un accord global et équitable. La méthode est à présent éventée. On peut la décrire comme suit : après s’être, le plus souvent verbalement, accordés sur l’ordre du jour de leurs travaux, les dirigeants politiques mandatés à cet effet, font connaître à leurs homologues des autres partis leurs propositions dans les matières qui, selon eux, appelaient une réforme institutionnelle et les objectifs à atteindre pour déterminer le mode de financement de tout le programme envisagé. Les six autres partenaires en font autant au nom de leurs partis respectifs et commentent, s’ils le désirent, les prises de position de leurs interlocuteurs. Et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on arrive à un accord sur chacun des points soumis à la discussion. Pareil scénario peut paraître banal et aller de soi. Il n’en est cependant rien, du moins quand c’est à la N-VA d’intervenir dans le débat. En effet, si elle répète à satiété ce qu’elle veut et ce qu’elle exige de ses partenaires, elle est beaucoup plus chiche à donner son consentement aux desiderata de ses interlocuteurs, surtout s’ils
novembre 2010 * n°310 • page 26
sont francophones. Elle n’hésite pas à revenir sur sa parole et à recourir à une variante qu’elle croit plus subtile : ne maintenir son accord qu’en l’assortissant de nouvelles conditions qui équivalent à rendre caduc ce qu’on avait cru avoir déjà convenu.
T
out dialogue est, dès lors, sujet à caution et les mois passent sans qu’on ait substantiellement progressé sur la voie d’un compromis. Depuis le début du mois d’octobre, les choses se sont encore envenimées : Bart De Wever ne se contente plus de varier dans ses positions. Il pose à présent des ultimatums auxquels il invite ses interlocuteurs à se soumettre. C’est à prendre ou à laisser tout de suite et cela a même débouché sur une rupture unilatérale et avec effet immédiat des négociations en cours. Le même Bart De Wever se déclare cependant prêt à reprendre la discussion sur d’autres bases et, le cas échéant, avec un ou plusieurs autres partenaires. Il vise manifestement les libéraux francophones et flamands et cela parce qu’il se sent plus proche de leur programme économique et social. La raison qu’il a invoquée pour justifier un tel revirement ? Le fait que les discussions auxquelles il a brutalement mis
fin étaient puériles ! Il ne s’est même pas donné la peine de préciser en quoi et pourquoi la négociation était, selon lui, vouée à l’échec.
L
a pierre d’achoppement qui l’a entraîné après plus de trois mois de palabres est « la loi de financement » . Celle-ci doit préciser la nouvelle répartition des recettes provenant de la fiscalité. C’est l’Impôt des Personnes Physiques (l’IPP) qui fait principalement l’objet d’une contestation restée jusqu’à présent insurmontable entre les partis flamands et francophones. Les premiers, dont la N-VA se montre la plus acharnée, déclarent « souhaiter » qu’au moins 50 % de l’IPP soient récoltés directement par les entités fédérées en attendant que ces 50 % deviennent 100 %, quitte à ce que ces mêmes entités acceptent, en cas d’accord global sur tout le contentieux communautaire, qu’une partie de cet impôt revienne à ce qui pourrait encore subsister de l’État fédéral. Jusqu’ici, les francophones ont tenu bon et se sont opposés à l’adoption d’un tel mécanisme qui les eût liés, fût-ce à un stade ultérieur des négociations, la corde au cou à leurs interlocuteurs flamands, devenus entre-temps maîtres du jeu. Cette brève incursion dans le volet juridique du contentieux belgo-belge nous plonge au cœur des problèmes restés en suspens dans les négociations institutionnelles. Il faut, pour le percevoir et en comprendre l’incidence, se rappeler qu’au cours d’une précédente réforme constitutionnelle, la majorité de l’époque avait adopté un
nouveau texte de l’article 35 de la Constitution. Il précisait que l’ensemble des compétences et de leur couverture financière appartiendrait désormais aux régions et aux communautés, à condition qu’une loi dans ce sens soit votée à la majorité qualifiée (2/3 des voix exprimées, dont au moins la moitié des voix dans chacune de ces entités), une possibilité demeurant ouverte à celles-ci d’en rétrocéder une partie à l’État fédéral et cela conformément à un principe appliqué dans les États confédérés. C’est précisément cela qu’en deux temps Bart De Wever essaye d’imposer à tous ses partenaires qui jusqu’à présent ne l’ont pas suivi. La tactique de Bart De Wever c’est d’user, tantôt implicitement et tantôt même explicitement, d’une menace récurrente : celle de saboter le fonctionnement normal de nos institutions et plus particulièrement de l’État fédéral en empêchant la formation d’un gouvernement enfin capable de ne pas seulement exercer « l’expédition des affaires courantes ». Le leader de la NVA, mécontent de voir ses initiatives rejetées par ceux dont il a besoin pour faire prévaloir ses vues, en est arrivé à jouer impudemment cartes sur table. C’est une épreuve redoutable mais ce n’est cependant pas la quadrature du cercle. Le 8 octobre dernier, le Palais royal révélait qu’il venait de demander à Bart De Wever de « mener une mission de clarification de 10 jours avec les 7 partis qui étaient autour de la table pour rapprocher les points de vue sur BHV, le refinancement de Bruxelles, le transfert de compétences aux entités
fédérées, la loi de financement et en ce y compris la clarification de ses conséquences ». Il précisait, en outre, que Bart De Wever « présentera son rapport au roi le lundi 18 octobre ». Quelques minutes à peine après la communication des termes de ce communiqué, le « clarificateur » faisait savoir qu’il avait accepté cette mission qu’il disait souhaiter l’exercer dans la discrétion, précisant toutefois que cette mission se limitait au 7 partis mais qu’il se considérait comme « libre de consulter qui il veut dans le cadre de sa mission ». Ce message, qui va bien plus loin que le texte royal n’indique pas explicitement s’il s’applique ou non aux dirigeants des deux partis libéraux, ce qui serait contraire à l’esprit et à la lettre du communiqué royal, par ailleurs formellement accepté par le président de la N-VA ! On nage à nouveau et par son fait en pleine ambiguïté. Ce qui, par contre, est beaucoup plus clair ce sont les résultats des derniers sondages effectués pour le Standaard et la VRT sur les intentions de vote du corps électoral flamand. La N-VA obtiendrait 33% des voix (soit 4,8% de plus qu’aux élections de juin dernier), le CD&V 18,5% (+ 0,5%), le SP.A 16,5% (+1,6%), le VLD 12,4% (-1,6%), le Vlaams Belang 9,6%(-3%) et Groen 7,8% (+0,7%).
C
onclusion provisoire : malgré ces revirements successifs, Bart De Wever accroît encore sa popularité en Flandre. Pour la réussite des négociations institutionnelles et gouvernementales, ce n’est pas de bon augure. ■
novembre 2010 * n°310 • page 27
activités mercredi 10 novembre de 18h30 à 20h Présentation du livre de Henri Goldman
Deux ou trois choses de Sonia et du monde en présence de l’auteur avec Jean-Philippe Schreiber et un représentant des Territoires de la mémoire suivie d’un drink Le 1er décembre 2004, Sonia Goldman, née Szajndla Wassersztrum, nous quittait. Née à Lukow (Pologne) le 21 septembre 1912, Sonia était l’une des dernières grandes figures historiques de l’UPJB. Nommée présidente d’honneur de l’UPJB, une première dans notre maison, à sa sortie d’hôpital en 1998, Sonia a marqué d’une empreinte à nulle autre pareille l’histoire de notre organisation. De Solidarité Juive à l’UPJB, en passant par le Club Sholem Aleykhem, elle aura été, jusqu’à ce que la maladie l’oblige à prendre des distances, de tous les combats, de tous les lieux où les décisions se prennent, de tous ces grands et petits moments qui tissent la vie d’une organisation. Six ans plus tard, son fils, Henri Goldman, lui rend vie dans un ouvrage intitulé Deux ou trois choses de Sonia et du Monde (voir article page 10). C’est à l’occasion de la sortie de cet ouvrage que l’UPJB vous convie à un drink dans ses locaux. Y prendront la parole Jean-Philippe Schreiber, historien, ainsi qu’un représentant des Territoires de la mémoire qui aura l’occasion d’expliquer le pourquoi de cette publication.
vendredi 19 novembre à 20h - Hôtel de Ville de Bruxelles* Dans le cadre de la « Quinzaine des femmes » organisée par la Ville de Bruxelles
La lutte des féministes israéliennes pour la justice et la paix Elles manifestent contre l’occupation des territoires palestiniens, elles interviennent aux check-points pour faire respecter les droits humains des Palestiniens et luttent contre la militarisation de la société israélienne.
20h : Verre de l’amitié 20h30 : Conférence de Talila Kosh, Professeur au Kibbutzim College of Education de Tel-Aviv et militante féministe de l’organisation pacifiste New Profile Introduction par Thérèse Liebmann * Grand-Place. L’entrée se fait par la rue de l’Amigo à l’arrière de l’Hôtel de Ville. La salle de conférence sera fléchée.
novembre 2010 * n°310 • page 28
samedi 20 novembre de 14h à 18h30 – Salle Helder Camara* L’UPJB vous convie à une demi-journée de réflexion sur le thème
« Israël en proie au démon de la chasse aux sorcières » On assiste depuis plusieurs mois à ce qu’il n’est pas excessif de qualifier de chasse aux sorcières contre les organisations de défense des droits de l’homme engagées contre l’occupation et la colonisation des territoires palestiniens. La campagne a été initiée par le mouvement Im Tirtzu (Si vous le voulez), un groupuscule d’étudiants d’extrême droite, ainsi que par un certain nombre de parlementaires qui accusent des ONG israéliennes d’avoir collaboré avec le juge Goldstone en fournissant à celui-ci « 92% des références négatives » contenues dans son rapport. On ne les accuse pas d’avoir fourni de fausses informations, mais « tout simplement » de mettre en cause l’existence d’Israël et de représenter un « danger pour la nation » en délégitimant Israël à l’étranger (voir annonce page 9 et dépliant) Panel : Talila Kosh : membre du mouvement New Profile, Mouvement pour la civil-isation de la société israélienne et de soutien aux Refuzniks Ishai Menuchin : Directeur exécutif du Comité public contre la torture en Israël, conférencier au département social et politique de l’université Ben Gourion du Neguev. Il fut l’un des premiers refuzniks lors de la première guerre du Liban en 1982 Miri Weingarten : membre de l’organisation Médecins pour les droits humains Yuval Yoaz : journaliste spécialisé dans les questions judiciaires et des droits de l’homme (Ha’aretz et Globes) Modérateur : Pascal Fenaux, journaliste PAF: 2 EURO – Traduction simultanée assurée *19 rue Pletincx – 1000 Bruxelles / Avec le soutien de la Fondation Heinrich Böll et du MOC
vendredi 26 novembre à 20h Conférence-débat
précédée par la projection du film Les
enfants sans ombre
avec
Siegi Hirsch, Robert Fuks, Bernard Balteau,
psychothérapeute familial et de couples
professeur honoraire de chimie (ULB)
journaliste à la RTBF, réalisateur du film Les enfants sans ombre Ce film sensible, met en lumière la difficulté de transmission transgénérationnelle d’un traumatisme vécu dans l’enfance, pendant la guerre. Siegi Hirsch nous fera part de son expérience dans ce domaine. Robert Fuks est un témoin de la genèse de ce film. Bernard Balteau l’a écrit et réalisé. 20h précises : projection du film 21h15 : débat PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO
novembre 2010 * n°310 • page 29
activités vendredi 10 décembre à 20h15 L’antisémitisme à gauche Conférence-débat avec
Michel Dreyfus, historien et directeur de recherche au CNRS En publiant aux Éditions La Découverte, un livre sous ce titre, l’auteur savait qu’il ferait évidemment débat : un antisémitisme à gauche ou de gauche ? C’est toute l’histoire d’un paradoxe qu’il analyse en détail de 1830 à nos jours. L’antisémitisme, quel qu’il soit doit être condamné, mais il faut bien le comprendre pour le combattre efficacement. Présentation et animation du débat par Jacques Aron PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO
samedi 17 décembre à 20h15
POUM Provisoire - Organisation - Utopie - Musicale Une création de Lucy Grauman Voix, piano, acoustique de la terre Poum une chute, poum un son pour chanter. De Haïti au Rwanda, de l’Espagne à la Russie, de l’Irlande à l’Allemagne, de l’ailleurs à nous, des poèmes et des chants pour les pourchassés, les exploités, les poètes, les exilés, les emprisonnés, les rêveurs. Avec l’aide de l’atelier Graphoui (Christian Coppin) PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO
novembre 2010 * n°310 • page 30
Égalité-Respect pour toutes et tous À l’occasion de la journée des Femmes 2010 Les 6 et 7 novembre
En collaboration avec l’UPJB À la Commune de St-Gilles Place Van Meenen, 39 Salle Cérès & salle des Mariages Infos : 02.536.17.07 / 02.536.17.08 Service Egalité des Chances Hommes /Femmes
Dimanche 7 novembre à 10h30
Projection du film Des femmes défient les barrières Le film sera présenté par Thérèse Liebmann (UPJB) Ce documentaire illustre l’expérience vécue par un groupe de deux Palestiniennes et deux Israéliennes qui réussissent à surmonter leurs divergences, même après l’opération menée par l’armée israélienne à Gaza, de décembre 2008 - janvier 2009. Leurs dialogues montrent que l’ espoir d’une solution négociée n’est pas tout à fait vain. La projection sera suivie d’un débat.
Hommage à Rosine Lewin 1920 - 2010 Journaliste et militante Les amis de Rosine Lewin vous convient à l’hommage qui lui sera rendu à la
Maison du Livre
28, rue de Rome à Saint-Gilles
Samedi 11 décembre 2010 de 14h à 17h Films, témoignages, documents retraceront les différents aspects de sa personnalité et de ses combats Intermède musical et verre de l’amitié Inauguration de l’exposition qui restera accessible jusqu’à Noël Résistante, puis successivement rédactrice en chef du Drapeau Rouge et des Cahiers marxistes, Rosine Lewin représenta pour beaucoup une autorité intellectuelle et morale, dont ils sollicitaient volontiers l’opinion.
novembre 2010 * n°310 • page 31
UPJB Jeunes Ce charmant commissaire ALICE DESMEDT
C
e que vous vous apprêtez à lire est un témoignage. Mon témoignage. Et ce n’est qu’un témoignage. Un petit bout de toute l’histoire. Le petit bout que j’ai vécu et que j’ai décidé de partager. Ce texte part d’une chose très simple : une situation dans laquelle je me suis retrouvée alors que je ne m’y attendais pas du tout. Comme on dit : « je suis tombée sur mon cul » et bien, c’est exactement ça. Pour la première fois de ma vie, on m’a empêchée de m’exprimer. Je n’ose imaginer la situation dans les pays où les gens ne peuvent jamais le faire tellement cette unique fois me rend folle de rage. Enfin, au moment de vivre l’expérience, je ne pensais pas beaucoup. Je me laissais guider en tentant de rester calme. Bien sûr j’étais énervée, pleine d’incompréhension, de colère contre cette police qui exécute les ordres, mais je restais calme, je ne me laissais pas vraiment atteindre. Et puis on aurait dit un monde parallèle, un truc complètement irréel. C’était difficile de réfléchir. Mais c’est surtout après, quand j’ai essayé de réaliser ce qui nous était arrivé. Et qu’en fait, j’y arrivais pas tellement… Réaliser ce qui m’était arrivé… * Comme à mon habitude, je me rends aux manifestations pour
les sans papiers, contre les centres fermés, un combat qui me paraît juste, défendable, qui signifie beaucoup pour moi, qui fait partie de moi. Le rendez vous était à 19h à la gare du midi. A peine arrivé, on a compris qu’il fallait qu’on se sépare pour ne pas attirer l’attention. Mais c’était déjà trop tard, deux d’entres nous se faisaient arrêter pour une malheureuse phrase « on est sur la voie publique ici ». Alors, vite, vite, on se sépare mais vite, vite aussi, on se retrouve plus loin où le « charmant » et « agréable » commissaire Vandersmissen vient nous demander qui nous sommes et ce que nous faisons. « On est une bande d’amis, on est dans un mouvement de jeunesse ensemble » -« Et vous allez ou comme ça ? » -« Au parvis de Saint-Gilles, boire un verre à l’Union » (quelle ironie) -« Ouais, c’est ça, vous me prenez pour un con, contrôle d’identité ! » On savait que cela ne valait pas la peine de discuter. « Voilà monsieur, on vous les montre et on s’en va » -« Ah non, c’est trop tard maintenant j’ai changé d’avis, embarquez les tous » -« Attendez monsieur, on est avec des mineurs, on s’en va, on … ». Il a déjà disparu. * Ne reste qu’une trentaine de policiers pour vingt jeunes, qui se mettent tout de suite à nous lier les mains dans le dos à l’aide de
novembre 2010 * n°310 • page 32
colsons (qui soit dit en passant est une bonne trouvaille de leur part : ils ne les serrent pas trop, non, ils font attention ces gentils policiers car ce qui est génial dans ce système c’est que si tu bouges un peu, pouf ça se ressert tout seul, petit à petit). Chacun reçoit son numéro bien à lui, et nous voilà tous embarqués dans un car (sans ceinture, mais ça aussi c’est génial comme trouvaille : ce sont des vieux cars, ils n’ont pas besoin de ceintures. Ils ont le chic pour trouver les bons plans ceux-là). Les mains dans le dos, pas de ceinture, sirènes allumées, on fonce à travers la circulation, on brûle tous les feux, faut expédier tout ça vite fait pour qu’ils puissent s’occuper des autres. * Assez intéressant d’ailleurs ce voyage. « Dites monsieur, quand il arrive des choses comme ça, moi ça m’étonne pas que la haine contre la police augmente. J’veux dire, vous devez obéir aux ordres, quels qu’ils soient ? Vous ne pouvez pas vous poser de questions, vous exécutez, c’est tout ? « Vous savez mademoiselle, moi j’étais comme vous avant, je n’aimais pas les policiers non plus. D’ailleurs police n’était pas mon premier choix. J’ai fait ça à trente ans quand je ne savais plus quoi faire. Et tu sais, il faut être de notre côté de la barrière pour nous comprendre. Après la forma-
tion, t’es transformé ». Ce qui m’énerve dans ce genre de situation, c’est que je n’ai jamais assez de choses à leur répondre, je ne connais pas assez la situation, je ne comprends pas énormément comment ça marche tout ce système. Alors je chante. « solo voy con mi pena, sola va mi condena, correr es mi destin, para burlar la ley… » et après celle-là une autre, puis encore une autre. En cœur avec ceux qui les connaissent. « Les jolies colonies de vacances, merci maman merci papa, tous les ans, je voudrais qu’ça r’commenenenence youkaïdi aïdi aïda » * Une fois là-bas, les filles et les garçons sont séparés dans deux cellules différentes. Les filles présentes nous libèrent enfin de nos « chaînes », on sort les gsm, on appelle, on sms, on prévient… Petit à petit, ils viennent nous chercher une par une avec toutes nos affaires pour nous faire signer un papier comme quoi on aurait troublé l’ordre public. J’ai rien troublé du tout moi monsieur, je ne signe pas ! On me prend mon sac, on vide mes poches, Une femme s’occupe de tirer sur mon pantalon, sur mon soutien-gorge au cas où j’aurais caché quelque chose, puis finalement on m’emmène dans la cellule numéro 11. Ouf, ils n’ont pas trouvé mon gsm dans ma petite culotte. Les filles de la première cellule sont divisées dans différentes cellules. On les amène au fur et à mesure ce qui nous permet de demander à plusieurs reprises de pouvoir utiliser les toilettes. « Plus tard ». Mais c’est quand plus tard ? On doit toutes aller aux toilettes. « Oui ben ça, c’est pas
mon problème, vous m’empêchez de manger avec toutes vos histoires et moi non plus j’ai pas le temps d’aller faire pipi ». Grâce à mon téléphone, on est en contact avec l’extérieur. On sait que les parents, Noémie, Valentine et d’autres sont au courant et font ce qu’ils peuvent pour faire sortir les mineurs. Il est 20h30 quand on arrive à la caserne. Elles ne seront libérées que vers 1h du matin escortées les unes après les autres par deux policiers. * Je me retrouve avec Léone. On a de plus en plus froid, on est fatiguées mais on ne peut s’endormir, partagées entre les deux positions : assise, jambes repliées sur le corps la tête posée sur les genoux, ça garde la chaleur mais ça fait vraiment mal à la nuque et celle couchée par terre, plus confortable mais seulement pour trois minutes avant que le froid de la pierre ne te fasse frissonner à nouveau. Un peu de sport, on marche, on court en rond, on monte sur les bancs, on en descend, on monte, on descend, on monte, on se réchauffe comme on peut. On se défoule aussi. On tape sur les portes, on crie, on siffle, on hurle. On chante un peu, on papote… * Ils ont commencé à vider les cellules à 4h. Ils amenaient les gens en car jusqu’au camp No Border. Une logique à tout ça ? S’il y en a une je ne l’ai pas comprise du tout. Je pense que notre cachot était un des derniers à être vidé. Il y avait de moins en moins de bruit et on recevait déjà des messages de nos compañeros arrivés à Tour et Taxis.
« Numéro 78 Desmedt Alice ». Je les suis, récupère mes affaires après avoir refusé à nouveau de signer leur papier. Un voyage en car et c’est fini. On se retrouve chez Yvan où on se raconte les dix heures qu’on vient de vivre plus ou moins séparément. Le lendemain, la vie normale reprend son cours, à 13h à l’UPJB pour la réunion hebdomadaire. Je ne sais pas ce qu’il reste à ajouter à part que j’ai écrit ce récit pour pouvoir dénoncer, dire j’y étais et voilà comment cela s’est passé pour moi. Je veux dire tout haut que je ne suis pas d’accord avec la manière dont nous avons été traités. Mais surtout, pas d’accord avec la situation actuelle des sans-papiers. C’est cela mon combat et je ne l’oublie pas. Cela s’adresse à moi mais aussi à une UPJB qui m’a fait grandir en tant que militante. Et aujourd’hui, plus que jamais, je ressens le désir de partager ce que m’ont apporté les anciens. J’avais envie d’emmener les enfants à la manifestation autorisée du 2 octobre. J’avais envie d’y participer, cela avait encore plus de sens vu les évènements de la veille. Mais mon engagement à l’UPJB jeunes m’a fait choisir d’être là samedi, après 4 heures de sommeil, pour m’occuper de vos enfants, de nos gosses. Prête à assurer la réunion parce que je n’avais pas envie qu’elle soit annulée et que les enfants perdent une après-midi à l’UPJB. Prête surtout à continuer à transmettre ces valeurs qui me sont si chères. Dont celle de solidarité qui pour moi est la plus importante. Prête à donner ce que j’ai reçu donc, et qui passe aussi, pas que, par aller aux manifestations avec mes monos, avec l’UPJB. ■
novembre 2010 * n°310 • page 33
UPJB Jeunes Humiliation et intimidation MAROUSSIA TOUNGOUZ-NÉVESSIGNSKY
N
ous étions vingt à nous rendre à une manifestation contre les centres fermés et la politique d’immigration en Europe. Nous ne savions pas qu’un règlement communal avait été pris dans l’après-midi pour interdire les rassemblements de plus de cinq personnes. Nous sommes arrivés près de la gare du Midi vers 19h et là nous avons vus énormément de policiers. Il y avait plus de policiers que de passants ou de manifestants, c’était assez impressionnant. Des policiers nous ont directement repérés et ont demandé à un des majeurs du groupe ce qu’il faisait là. Quand il a répondu qu’il venait manifester, il s’est directement fait embarquer. Ces mêmes policiers nous ont alors demandé de dégager. Nous sommes donc partis un peu plus loin, dans le but de partir mais comme nous étions un peu dispersés, nous nous sommes arrêtés quelques minutes sur un muret pour attendre le reste du groupe. À peine arrêtés sur ce muret, une dizaine de policiers sont arrivés en courant vers nous et en nous demandant nos papiers d’identité pour ensuite quitter les lieux. Nous nous apprêtions à les montrer lorsqu’un autre policier haut gradé est arrivé et a dit à ses collègues : « Non, ils sont plus que cinq, on les embarque ». Quand on leur a demandé pourquoi ils nous embarquaient, ils ont répondu qu’ils obéissaient aux or-
dres. Les majeurs du groupe ont eu beau signaler que nombreux d’entre nous étaient mineurs, ils n’ont rien voulu entendre. Ils nous ont alors attaché les mains derrière le dos avec des menottes en plastique, nous ont assis sur le muret et sont restés en ligne debout devant nous. On a attendu environ trente minutes avant de monter dans un car de police. Alors qu’on attendait que le car soit rempli, on a entendu un énorme bruit et nous avons senti le car bouger. J’ai regardé par la fenêtre et un homme était en train de se faire frapper la tête violemment contre le car parce qu’il refusait de monter. Un autre homme dans le car a tapé sur la vitre pour manifester son désaccord devant cette violence. Un policier s’est approché de lui en levant la main et en lui disant : « T’en veux une aussi ? » Une fois le car parti, je ne me sentais vraiment pas bien, j’étais stressée et choquée. Je me suis mise à pleurer, je n’arrivais plus à m’arrêter. Les policiers dans le car se foutaient de nous, rigolaient, papotaient entre eux. Je pleurais, nous étions pour la plupart des mineurs, mais cela ne les affectaient pas du tout. Au contraire, j’avais l’impression que ça les amusait. Pendant ce trajet, tous les monos se sont mis à chanter. On faisait passer notre haine dans des chants, entre autre des chansons de camps, des chansons qui parlent des sans papiers ou de l’im-
novembre 2010 * n°310 • page 34
migration. C’était une manière de faire passer notre désaccord de la situation. Nous sommes alors arrivés à la caserne d’Etterbeek et le car s’est arrêté dans une espèce d’énorme « garage » avec des cellules. Nous étions menottés depuis une heure, cela faisait mal et il faisait horriblement chaud. Lorsque j’ai regardé par la fenêtre du car, j’ai aperçu une masse de policiers comme je n’en avais jamais vu. Ils devaient être entre cinquante et cent. Nous sommes restés dans ce car, à l’intérieur de ce « garage » pendant environ vingt minutes. Quand nous sommes enfin sortis, il devait être environ 20h45. Ils nous emmenés dans des cellules, toujours menottés. Les filles et les garçons ont été séparés. Nous, les filles, nous étions environ quarante dans cette cellule. Les filles mineures comme moi étaient mélangées avec des femmes majeures. Une femme qui était déjà dans la cellule est venue gentiment nous enlever nos menottes. Une de nous avait les poignets très rouges et d’énormes marques, elle crevait de mal, ses menottes avaient été beaucoup trop serrées mais aucun policier n’y avait prêté attention. Au départ, on avait encore nos GSM sur nous, ce qui nous a permis de prévenir nos parents. Si nous ne l’avions pas fait, nos parents n’auraient jamais été mis au courant par la police. Quelques unes d’entre nous ont demandé de pouvoir aller aux toilettes mais ça nous a été refusé. L’une d’entre
nous a dû uriner dans la cellule car elle n’arrivait plus à se retenir et que les policiers s’en foutaient complètement. Nous avions très soif mais on ne recevait pas à boire si ce n’est une petite bouteille d’eau pour vingt personnes, uniquement dans ma cellule. Ensuite, les policiers nous ont appelés un par un pour passer à la fouille. C’est une femme policier qui m’a fouillée mais devant des hommes. On m’a mis un « colson » au bras avec mon numéro d’arrestation. D’autres policiers m’ont demandé mon nom et mon prénom. J’ai un nom long et compliqué, d’origine étrangère. Lorsque je l’ai prononcé, ils ont rigolé bêtement. Ils ont ensuite imprimé un papier qu’ils m’ont demandé de signer. Je leur ai alors dit que je préférais ne pas signer, ce qui les a fait beaucoup rire. J’avais bien compris qu’ils se foutaient de moi. Après ça, ils m’ont emmené dans une autre cellule, où j’ai retrouvé quelques unes des monos. Dans cette cellule- là nous étions vingt. Il devait être environ 22h. Parmi nous, il y avait des jeunes femmes qui s’étaient fait arrêtées alors qu’elles allaient juste boire un verre. Il faisait horriblement froid dans cette cellule. Une femme a demandé à un policier si elle pouvait aller aux toilettes et il lui a répondu : « Madame, il y a une toilette dans la cellule, en montrant le coin de celle-ci ». Plus tard, des policiers ont amené deux jeunes femmes dans la cel-
lule, en les balançant de manière très agressive. Toutes les deux pleuraient et avaient les poignets très rouges. L’une d’entres elles nous a expliqué qu’ils s’étaient mis à plusieurs contre elle pour la taper. Quand ils faisaient des rondes en passant devant nos cellules, les policiers nous lançaient sans cesse des petites piques méchantes comme : « À cause de vous, on a du travail en plus ! A cause de vous on n’a pas encore pu manger, donc en échange on ne vous laisse pas aller aux toilettes, vous n’avez qu’à attendre, etc… » J’avais faim, j’avais froid, je devais aller aux toilettes, j’étais crevée, je n’en pouvais plus. On a alors essayé de s’endormir les unes contres les autres, mais ce n’était pas facile. Vers 1h du matin, des policiers sont venus ouvrir notre cellule pour libérer les mineures du groupe. Ils nous ont appelées une a une. Je suis sortie de la cellule entourée de deux hommes qui m’ont emmenée dans le bureau où se trouvaient mes affaires. Vient ensuite la séance photo durant laquelle j’ai eu droit à des remarques sur un ton méprisant : « On fait une photo de toi comme ça on te connaît pour toujours, t’es fichée ici, dès qu’on te recroisera dans la rue, on saura qui tu es et que tu t’es déjà fait arrêter ». J’ai dû me mettre devant un mur blanc. Après le mépris, j’ai eu droit à l’ironie : « Souris pour la photo », et comme je ne réagissais pas il a répété : « Allez c’est
une photo, fais-nous au moins un sourire ». Lorsque la photo a été prise, je suis sortie, toujours entourée de ces deux policiers, il pleuvait. L’un des deux était très agressif. La première chose qu’il m’a dite c’était : « T’imagines qu’à cause de toi ça fait quatre heures que j’ai pas pu fumer une cigarette », tout ça en me regardant d’un air méchant et méprisant. Je ne répondais pas et il a continué à m’agresser : « seize ans et déjà des problèmes avec la police ! Quelle honte, ça ne va pas t’aider dans ta vie future ça. Tu n’as pas autre chose à faire ? Ils vont être contents tes parents ! » Il m’a aussi répété plusieurs fois, comme si je n’avais pas encore compris : « Maintenant, tu es dans nos ordinateurs, on sait qui tu es ». Il m’intimidait énormément et je pense que ça l’amusait. Lorsque nous sommes arrivés à l’entrée de la caserne, il y avait tous nos parents et les mineurs qui avaient déjà été libérés. Ce policier agressif m’a alors prise le bras pour me « balancer » à ma mère. J’étais tellement sous le choc et en colère contre l’humiliation, la violence verbale, l’intimidation et la violence physique dont j’avais été victime ou témoin pendant ces six heures en cellule que la première chose que je fis en sortant de là, fut d’éclater en sanglots dans les bras de ma mère. ■
novembre 2010 * n°310 • page 35
UPJB Jeunes Pour leur dignité et pour la nôtre... NOÉMIE SCHONKER
L
a rentrée de l’UPJB-Jeunes paraît déjà bien loin… Des nouvelles têtes à peine présentées, des parents ne connaissant de l’UPJB que le peu que j’ai pu leur en dire en un quart d’heure lors de notre première rencontre et voilà que déjà l’actualité donne chair aux mots et met en abîme réflexion, engagement, éducation. La sortie du film Illégal et la semaine de mobilisation « No border » nous plongent in vivo dans une réalité devenue trop familière. La secousse touche d’abord les monos, se répercute sur les parents, fait ricochet sur les enfants, bouscule les adultes, le comité, la commission Jeunes… Dimanche 26/09, manifestation « tolérée » par le bourgmestre de Steenokkerseel devant le centre fermé 127 bis. Sept jeunes de l’UPJB y participent. Provocations et violences policières, arrestations administratives... Mercredi 29/09, euro-manifestation contre l’austérité. Trois cents personnes arrêtées « préventivement ». Porte de Hal, des agents font incursion dans le cortège, écartent et arrêtent une soixantaine de personnes1. Jeudi 30/09, réunion avec les moniteurs. On n’ira pas avec les enfants à la manifestation organisée par « No Border » samedi. Nous introduirons le thème du film Illégal aux plus grands, discussion qui fera caisse de résonance à la manif que l’on rate. Une autre manifestation est prévue vendredi soir. Elle n’est pas autorisée. Je déconseille vivement aux monos d’y aller parce que le
scénario est connu d’avance. Vendredi 1/10, les bourgmestres de Forest, Saint-Gilles et Anderlecht sortent un arrêté communal interdisant « tout rassemblement de plus de cinq personnes aux alentours de la gare du Midi de 15h à 6h du matin ». Quatre cents policiers sont mobilisés. Seules des affiches placardées autour de la gare en annoncent l’existence. Il fallait donc se trouver là où c’était interdit pour savoir que l’on n’avait pas à s’y trouver… Vingt moniteurs, accompagnés de quelques anciens, se rendent à la manifestation. Dès leur arrivée, ils se font tous arrêter, menotter dans le dos à l’aide de colsons et emmener aux casernes d’Etterbeek. Une personne réussit à s’échapper et me prévient. Dix mineurs, neuf majeurs sont embarqués. Il faut prévenir les parents, téléphoner aux avocats… Les mineurs sont libérés à 1h du matin, les majeurs entre 4h et 5h. Beaucoup de témoignages font état d’une répression sans précédent, de violences policières physiques et psychiques ainsi que d’actes d’intimidation et d’humiliation sexistes. Plusieurs personnes déposent plainte et la Ligue des droits de l’homme porte le dossier à Genève. Chez nous, les parents des mineurs se réunissent à l’invitation de la commission Jeunes de l’UPJB : « nous nous sentons moralement responsables et fiers de la motivation de nos jeunes pour la cause des sans papiers. Il va donc de soi que l’UPJB est totalement solidaire de vos enfants ». Les moniteurs témoignent d’abord dans l’intimité de nos locaux, puis sur les ondes radio, devant une caméra et sur papier… De leur côté, les parents ex-
novembre 2010 * n°310 • page 36
priment leur indignation dans une lettre au Soir2. Le samedi, à 13h, tous les monos sont là. Livides, marqués aux poignets par les colsons, leur visage trahit la fatigue et l’ahurissement. On a une heure pour décider que dire, comment et à qui des « incidents » de la veille ? Chez les Jospa, les jeunes ados, la nouvelle circulera très vite, certains grands frères et sœurs faisant partie des « arrêtés ». Mieux vaut donc mettre des mots, pesés, sur ce qui s’est passé plutôt que de laisser émerger des icônes de héros. La réunion des Jospa s’ouvre par un bref exposé sur le sort que la Belgique et l’Europe réservent aux personnes en séjour irrégulier ainsi que sur la position de l’UPJB. Pour leur expliquer les arrestations de la veille, nous rappelons les fondements de la démocratie et effleurons la notion de désobéissance civile. La réalité des centres fermés, ils la découvriront la semaine suivante au cinéma. Pour l’instant, les plus jeunes sont tenus à l’écart de ces débats. Illégal. « Aucun homme n’est illégal… »3 Les amis de Sémira Adamu ainsi que tous les « résidents »4 des centres fermés auraient-ils imaginé qu’un jour leur histoire, par le biais d’une fiction terriblement bien documentée, se retrouverait sur grand écran, parcourrait les festivals et serait applaudie par princes et princesses5? La plupart des monos sortent de la salle avec un sentiment d’impuissance et d’injustice tristement gonflé. Nous avions choisi d’aller voir ce film entre monos avant de le montrer aux enfants et nous avons bien
fait. En effet, Olivier Masset-Depasse livre l’histoire imaginée d’une Tania, jeune femme russe qui se retrouve incarcérée dans un centre fermé en attendant son expulsion. On la suit, sans pathos ni discours formaté. Film nécessaire, politique et militant, sobre et percutant… pas recommandable aux enfants de tous âges… Nous avons donc été le voir avec les Jospa. L’Arenberg nous avait mis une salle à disposition, offert des places et Evelyne Van Meesche de la Ligue des droits de l’homme s’était libérée pour répondre aux questions. Occasion de faire découvrir la violence légale de notre État qui expulse les indésirés « par tous les moyens possibles »5 sous l’oeil d’une caméra, témoin que tout se passe dans les règles. Oui, tout cela est autorisé, ordonnancé. Non, il ne s’agit pas que d’une fiction. Aux plus jeunes, on annonça le rassemblement pour le droit de manifester en expliquant les évènements de la semaine « No border ». « Ben merde alors, on se croirait en Chine. » ou encore, « J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle : la bonne, c’est que l’on n’a plus la guillotine ; la mauvaise, c’est que X millions de personnes dans le monde, sans abri ou sans papiers ont le droit de crever la gueule ouverte dans nos rues… ». Dix ans, trop jeunes pour comprendre, dites-vous ? ■
Voir la vidéo sur Youtube, « Que fait la police ? ». 2 Cf. M. De Schrijver, « Faire taire l’arbitraire », Le Soir, 16/09/2010. 3 Titre de la lettre ouverte qui accompagne le film et que je vous invite à lire et à signer au plus vite ! www.illegal-act.be 4 Les textes légaux parlent de « résidents », de centre fermé, d’« illégaux », de « déportations » réussies ou ratées et de départs « volontaires ». 5 Voir l’article « Illégal, la claque », Vers l’avenir, 1/10/2010. 6 Dans les textes règlementaires… 1
Carte de visite L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective. Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq groupes différents.
Bienvenus pour les enfants de 6 ans ou qui entrent en
Les 1ère primaire Moniteurs :
Alice : 0477/68.77.89
Axel : 0471/65.12.90 Josepha : 0479/19.15.15 Charline : 0474/30.27.3 Les pour les enfants de 7 à 8 ans Moniteurs : Shana : 0476/74.42.64 Sacha : 0477/83.96.89 Lucie : 0487/15.71.07 Milena : 0478/11.07.61 Les pour les enfants de 9 à 10 ans Moniteurs : Mona : 0474/42.37.72 Manjit : 0485/04.00.58 Fanny : 0474/63.76.73 Clara : 0479/60.50.27 Les pour les enfants de 11 à12 ans Moniteurs : Lenny : 0474/94.88.15 Valentine : 0494/59.43.09 Sarah : 0471/71.97.16 Totti : 0474/64.32.74 Les pour les enfants de 13 à 14 ans Moniteurs : Yvan : 0474/35.96.77 Marie : 0472/67.11.09 Noé : 0472/69.36.10 Maroussia : 0496/38.12.03
Marek
Janus Korczak
Émile Zola
Yvonne Jospa
Informations et inscriptions : Noémie Schonker - noschon@yahoo.fr - 0485/37.85.24
novembre novembre 2010 2010 ** n°310 n°310•• page page 37 37
écouter
Les portes du pénitencier NOÉ
J
’ai appris un nouveau mot : cellulaire. En l’occurrence, le fourgon qui nous a rapatriés à la caserne d’Etterbeek le 1er octobre. Nous, « extrémistes de gauche », dixit un policier. Nous, moniteurs sensibles au parcours tortueux des sans papiers, avons étés embarqués sans raisons valables à cause d’une manifestation qui n’a pas eu lieu. Ou plutôt, pas de la manière qu’on imaginait. Il aura suffi que les upjbiens lancent « Bella ciao », et qu’importe l’italien approximatif, pour que tous les passagers fassent trembler le bus à coup de « Ma liberté » de Georges Moustaki. Le « Galérien », version Yves Montand, est repris par chacun. Une fois la veillée lancée, impossible de nous arrêter. Si ce n’est pour demander à un agent ce qu’il écoute comme musique. Michel Sardou ? Mais peutêtre est-ce Helmut Loti ? Il sourit et évite la question. « Ouvrez les frontières » de l’ivoirien Tiken Jah Fakoly est de circonstance. « Clandestino » de l’idéaliste Manu Chao aussi. Un bout du « Pouvoir des fleurs » de Voulzy mieux que l’original. Pierre Perret en renfort, un extrait de « Vert de colère », de
« Lily » et « Des jolies colonies de vacances », sournoiserie en fin de trajet. Tout le monde n’a pas ri. Dans la cellule, je rencontre une bande d’anars lillois. Ils en viennent à dire qu’en Belgique, c’est pire qu’en France. On se rejoint sur « Hexagone » de Renaud. Bertrand Cantat, avant d’être prisonnier, était une des grandes plumes du rock français. L’une des grande voix aussi. Depuis « Aux sombres héros de l’amer », 1989, la popularité de Noir Désir s’est
accrue jusqu’au succès populaire de « Des visages, des figures » avec le triomphe du « Vent l’emportera ». Et puis vint la mort accidentelle de sa compagne, Ma-
novembre 2010 * n°310 • page 38
rie Trintignant, après que Cantat l’a poussée violemment. Tout a été dit : qu’ils étaient sous stupéfiants, que leur relation était tumultueuse. Les uns espèrent le revoir en prison, les autres, dont je fais partie, s’empressent d’aller l’applaudir. Pas de double peine pour Cantat. Qu’il le fasse son retour. Il accompagnait le groupe Eiffel, il y a quelques semaines, sur une scène bordelaise. Il semble que la magie ait opéré. « Des armes », poème de Léo Ferré, chanté par Cantat, c’est grandiose. Le calame finement aiguisé, Noir Désir prouve une fois de plus que rock et poésie s’épousent à merveille. Lui seul sait donner au « Temps des cerises » et à « Ces gens-là » de Brel, un nouveau souffle. À peine sorti de prison, à peine posé le pied sur une scène, certains veulent oublier que Noir Désir était et demeure l’un des groupe de référence de plusieurs générations. À peine sorti de prison que certains veulent l’enterrer. À peine sorti de prison que son ex-femme se pend. On l’imaginait déjà écorché vif. Mais comment un homme qui dégage tant de vie et d’énergie sème à ce point la mort autour de lui ?
est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août) L’UPJB est membre de la Fédération des Juifs européens pour une paix juste (www.ejjp.org) et est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente) Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be
La carrière de Johnny Cash démarre en 1955. Entre succès et oubli. Entre drogue et prison. Non pas qu’il y ait passé sa vie, mais il est célèbre pour y avoir chanté aux oreilles des détenus. Seul à la guitare. C’est de cette façon que je l’apprécie. Johnny Cash et moi, c’est une histoire récente. Il y a un an, à quelques jours près, j’offrais un album de Cash à mon père. Depuis, j’ai acheté les qua-
tre autres de la série « American ». L’aventure est simple : oublié de tous, Johnny Cash pensait sa carrière finie. Jusqu’au jour où, à la veille de l’an 2000, un producteur de rap vienne à lui. Ce dernier, Rick Rubin, lui a donné la force de
réenfourcher sa guitare. En toute sobriété, Cash reprend des classiques country, ou des hits de U2, Depeche Mode, ou encore de Nick Cave. Sans band. Parfois un filet de piano ou d’orgues vient renforcer ses interprétations. Mais Cash n’en a pas besoin. Sa voix seule nous rejoue l’Amérique profonde avec ses histoires d’amours et de religions. En 2003, son cœur s’arrêtait et sonnait la fin d’une route curviligne, parsemée d’embûches. « Les portes du pénitencier / Bientôt vont se refermer / Et c’est là que je finirai ma vie / Comme d’autres gars l’ont finie », nous chante Johnny Hallyday, depuis 1964. Pas crédible pour un sou. Lui qui s’en tire à chaque fois. Même après une tournée des stades terminée en coma artificiel. Même après une opération ratée. Même lorsqu’il fait croire qu’il n’a plus un rond en poche. Le voilà reparti sur la route de la gloire, avec Mathieu Chédid (-M-) à ses côtés pour un nouvel album. Pris entre ses nouveaux contrats à respecter et l’envie (?) de remonter sur scène, pour Johnny, c’est la prison dorée ! ■
Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski Ont également collaboré à ce numéro : Roland Baumann Alice Desmedt André Goldberg Pierre Hemptinne Léon Liebmann Marc-Emmanuel Mélon Noé Claudio Pazienza Gérard Preszow Dominique Rozenberg Noémie Schonker Maroussia ToungouzNévessignsky Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Abonnement annuel 18 EURO Abonnement de soutien 30 EURO Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB (CCP 000-0743528-23). Montant minimal mensuel: 10 EURO pour un isolé, 15 EURO pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.
novembre 2010 * n°310 • page 39
agenda UPJB Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)
mercredi 10 novembre de 18h30 à 20h
Présentation du livre de Henri Goldman Deux ou trois choses de Sonia a et du monde et drink (voir page 28)
vendredi 19 novembre à 20h
Dans le cadre de la « Quinzaine des femmes » organisée par la Ville de Bruxelles. La lutte des féministes israéliennes pour la justice et la paix. Conférence de Talila Kosh, militante de l’organisation pacifiste New Profile. Hôtel de Ville de Bruxelles (voir page 28)
samedi 20 novembre de 14h à 118h30
Demi-journée emi-journée de réflexion sur le thème « Israël en proie au démon de la chasse aux sorcières ». » Salle Helder Camara — 19, rue Pletincx 1000 Bxl (voir page 9 et 29 ainsi que le dépliant dépliant)
vendredi 26 novembre à 20h
Conférence-débat avec Siegi Sie Hirsch, psychothérapeute familial et de couples, Robert Fuks, professeur honoraire de chimie ULB, Bernard Balteau, journaliste et réalisateur. La conférence sera précédée de la projection du film Les enfants sans ombre (voir page 29)
vendredi 10 décembre à 20h15
L’antisémitisme à gauche. Conférence-débat avec Michel Dreyfus, historien et directeur de recherche au CNRS (voir page 30)
vendredi 17 décembre à 20h15
POUM. Provisoire - Organisation - Utopie - Provisoire. Une création de Lucy Grauman. Voix, piano, acoustique de la terre. (voir page 30)
club Sholem Aleichem Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles
Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)
jeudi 4 novembre
« 2010, année européenne de lutte contre la pauvreté » par Bruno Vinikas, vice-président du Forum bruxellois de lutte contre la pauvreté
jeudi 11 novembre
« Héritage révélé, héritage relevé ». L’artiste plasticien et scénographe Christian Israel nous parlera de l’histoire de sa famille berlinoise et des fondements de son travail artistique
jeudi 18 novembre
« De la culpabilité à la sollicitude... un cheminement difficile » Par Léo Traber, professeur honoraire d’économie politique et d’économie financière
jeudi 25 novembre
« L’actualité politique belge et internationale » commentée par Léon Liebmann, magistrat honoraire
et aussi dimanche 7 novembre à 10h30
À l’occasion de de la Journée des femmes. Projection du film Des femmes défient les barrières présenté par Thérèse Liebmann (UPJB). Commune de Saint-Gilles, Place Van Meenen (voir page 31) Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be