mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique décembre 2010 • numéro 311
éditorial De la liberté d’expression
Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - mensuel (sauf juillet et août)
LE CONSEIL D’ADMINISTRATION DE L’UPJB
S
’appuyer sur le cas de l’ex-humoriste Dieudonné, reconverti en politicien démagogue, n’était pas la meilleure intro pour débattre de la liberté d’expression au sein de l’Université Libre de Bruxelles ! Quelqu’un qui use systématiquement d’un mot pour un autre, à savoir du mot « sioniste » pour le mot « Juif », qui rend hommage sur scène au négationniste Faurisson en compagnie d’un personnage affublé d’un pyjama rayé, qui se profile comme le porte-parole de tous les laissés-pour-compte de l’histoire de France – les colonisés, les esclaves, les banlieusards (tiens, y
a pas les homos, ça doit trop gêner et déplaire aux publics convoités…) – pour les fondre dans une communion haineuse des Juifs, qui s’honore des parrainages fascistes de Le Pen et Soral, qui doit bien se marrer de faire rire des salles pleines sur le dos du Juif (pardon, du sioniste !) coupable de tous les maux de la terre… * Mais la fête n’était point finie ; quelques semaines plus tard, sur ce même campus, était diffusé Diffamation du cinéaste israélien Yoav Shamir. Que l’on puisse dé-
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BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511
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sommaire
éditorial ➜
éditorial
1 De la liberté d’expression ....................Le Conseil d’Administration de l’UPJB
israël-palestine
4 Élections américaines. Et le vainqueur est ........................... Henri Wajnblum
lire
6 Interrogations existentielles et désenchantement .......Tessa Parzenczewski 7 Penser au judaïsme. Faute de quoi ......................................... Henri Wajnblum
lire, regarder, écouter
8 Les notules d’octobre................................................................. Gérard Preszow
diasporas
10 Miliband père et révolutionnaire ...........................................Philippe Marlière 12 Par la barbe du prophète ! ............................................................ Jacques Aron 14 S. L. Shneiderman, mémoires de Pologne ........................... Roland Baumann
yiddish ? yiddish !
! widYi ? widYi
16 di muzik fun klez-mokum - La musique de Klezmokum. ......Willy Estersohn
dossier « De la libre expression » 18 20 24 28
Restaurer la liberté d’expression ......................................... Caroline Sägesser Les trois formules du professeur Bricmont ......................................Jean Vogel De quoi le sionisme est-il le nom ? ............................................Pascal Fenaux Une radicalité identitaire ? ..............................................................Alain Mihály
humeurs judéo-flamandes
32 Un paradis qui s’ignore ...............................................................Anne Gielczyk
le regard 34 Faut-il supprimer les cours d’assises ? .................................... Léon Liebmann 36
activités vie de l’UPJB
40 Trop vieux pour moniter, trop jeunes pour comité ...... Quelques amis du 61
upjb jeunes
42 Pieds mouillés, coeur léger .................................................... Noémie Schonker 44
les agendas
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noncer l’instrumentalisation de la Shoah va de soi, et que le réalisateur soit israélien peut aider quelques âmes coupables à vider leur sac. Mais l’on ne peut s’empêcher de se questionner sur la proximité de cette diffusion avec la précédente soirée, ni d’ailleurs, et avant tout, d’être perplexe devant un public plus à l’affût d’un argumentaire anti-israélien que de connaissance documentée du génocide. Combien d’entre eux auront vu Shoah de Lanzmann ? Combien auront lu une seule ligne de Raoul Hilberg, quand ce n’est pas de Maxime Steinberg ? * Les cendres de nos proches sont encore chaudes et la guerre des mots bat son plein. Sous les coups de boutoir des uns et des autres, c’est tout un dictionnaire qui vacille et devient périmé. Nous avons beau être parfois tristes et résignés, nous ne sommes pas démunis et nous pouvons être révoltés. La quête de vérité est un travail ; la connaissance de l’histoire exige patience réflexive, étude consciencieuse et audace critique. Sans déroger à la solidarité et à l’empathie avec les opprimés. Et ce, parfois au prix d’une marginalisation dans les milieux académiques universitaires, lors de commémorations communautaires ou d’être alibis des causes malsaines. Ces mots : génocide, Holocauste, Shoah, judéocide, devoir de mémoire, commémoration, Malines, Auschwitz, rituel, histoi-
est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août) L’UPJB est membre de la Fédération des Juifs européens pour une paix juste (www.ejjp.org) et est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente) Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski
J’AI FAIT L’CON. Spectacle de Dieudonné au cours duquel Faurisson interprète le rôle d’un avocat juif, président d’une association de... déportés !
re, mémoire, témoins, pèlerinage, sioniste… demandent une actualisation permanente. Rien n’est donné une fois pour toutes. Il n’y a pas de repos pour les mots sous peine de les voir accaparés par les esprits malfaisants qui instillent leur obsession du Juif.
opposent. Outre un mouvement nationaliste occidental, le sionisme est aussi la forme contemporaine d’une méfiance ultime au monde. Nous continuons à faire le pari, parfois malgré nous-mêmes, de la possibilité d’un débat vraiment démocratique. Ici. ■
* L’époque est à l’instant et à l’instinct. La sauvagerie n’est pas loin. Le monde est trop moderne, l’antisémitisme si archaïque. Ne confondons pas : l’antisémitisme n’a pas attendu Israël pour exister. Par son comportement, Israël lui tend une nouvelle chance et le décomplexe. Oui, ce sont des Juifs israéliens qui oppriment les Palestiniens, oui ce sont des Juifs israéliens qui colonisent la Palestine, mais ce sont aussi des Juifs israéliens et de la diaspora qui s’y
Ont également collaboré à ce numéro : Roland Baumann Pascal Fenaux Léon Liebmann Philippe Marlière Gérard Preszow Caroline Sägesser Noémie Schonker Jean Vogel Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB.
Lire en pages intérieures un dossier « De la libre expression » consacré à cette thématique.
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israël-palestine Élections américaines. Et le vainqueur est... Binyamin Netanyahu HENRI WAJNBLUM
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inyamin Netanyahu n’aura pas manqué de sabler le champagne à l’annonce du résultat des élections de mimandat américaines qui ont eu lieu le 2 novembre. Un Congrès à très forte dominante rouge – réfrénez votre enthousiasme, le rouge n’est pas la couleur de la gauche aux États-Unis, mais celle du Great Old Party républicain –, voilà qui a dû lui rendre le sourire. Binyamin Netanyahu a donc joué… et gagné. L’entrée en masse d’ultraconservateurs au Congrès ne va en effet pas manquer de pourrir la seconde moitié du mandat de Barack Obama qui va avoir fort à faire pour restaurer son image et regagner la confiance de son électorat. On le verra donc beaucoup plus impliqué sur le plan intérieur et notamment sur la question de l’emploi, le dossier israélo-palestinien passant dès lors à l’arrière-plan. Déjà qu’il n’avait rien obtenu du premier ministre israélien qui attendait précisément les résultats des élections américaines pour prendre attitude sur l’exigence d’une prolongation du gel de la colonisation… La crainte de menaces de sanctions de l’Administration Obama, pour autant qu’elle ait jamais existé, n’est plus qu’un mauvais souvenir pour le gouvernement israélien. Les républicains, et surtout ceux issus des tea parties chères à Sarah Palin, ne la laisse-
raient certainement pas faire. Israël va pouvoir continuer de coloniser « en paix » les territoires palestiniens .
NE DITES PLUS PROCESSUS DE PAIX… Ce n’est dès lors pas un hasard si, le 8 novembre, six jours à peine après les élections américaines et à quelques jours du déplacement de Netanyahu aux États-Unis où il devait rencontrer le vice-président Joe Biden, la secrétaire d’État Hillary Clinton et le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, le gouvernement israélien approuvait la construction de 1.300 appartements juifs à Jérusalem-Est. Une décision qui franchissait une nouvelle étape dans la colonisation de la Jérusalem arabe qui le devient de moins en moins. Car Israël n’a pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin… Une porte-parole du ministère de l’Intérieur, Efrat Orbach, s’empressait aussitôt s’affirmer à l’AFP que cette étape n’était que « l’une des toutes premières » d’un processus de construction qui ne devrait aboutir que « dans quelques années ». Ne dites plus processus de paix, dites processus de colonisation… Les réactions ne se sont pas fait attendre. Ainsi, Le négociateur palestinien Saëb Erakat accusait, dès le 8 novembre le premier ministre israélien d’être déterminé à détruire les négociations… « Nous espérions que Netanyahu allait
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aux États-Unis pour arrêter la colonisation et reprendre les négociations mais il est clair pour nous qu’il est déterminé à détruire ces négociations. Il a fermé toutes les portes et nous le tenons pour responsable de leur destruction ». Pour ce qui est des États-Unis, Hillary Clinton a bien marqué sa réprobation, mais sans plus… « Les États-Unis ont été profondément déçus par l’annonce du projet de construction de nouvelles unités d’habitations dans plusieurs zones sensibles de Jérusalem-Est. Cette annonce prend le contre-pied des efforts fournis pour relancer les négociations entre les deux parties. Cela fait longtemps que nous demandons à celles-ci d’éviter toute action pouvant endommager la confiance entre elles, notamment à Jérusalem. Nous allons toutefois continuer à travailler pour relancer les négociations, afin de régler cette question, et celle afférant au statut final du territoire ». Service minimum s’il en est. Et on remarquera le souci d’équidistance de la secrétaire d’État américaine qui s’adresse aux deux parties pour qu’elles évitent toute action qui… Comme si la partie palestinienne était pour quelque chose dans la colonisation de Jérusalem-Est ! L’Union européenne est allée un peu plus loin par la voix de Catherine Ashton, sa haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Celleci déclarait en effet que « ce plan
est en contradiction avec les efforts déployés par la communauté internationale pour reprendre les négociations directes et la décision devrait être infirmée ». Et elle ne manquait pas de préciser : « les colonies sont illégales en vertu du droit international, constituent un obstacle à la paix et menacent de rendre une solution à deux États impossible ». Comme on pouvait s’y attendre, c’est avec son arrogance coutumière que Binyamin Netanyahu a balayé toutes ces critiques, réaffirmant que « Jérusalem n’est pas une colonie, Jérusalem est la capitale de l’État d’Israël », et qu’« Israël n’a jamais accepté aucune limitation sur la construction à Jérusalem, y compris pendant les dix mois du moratoire sur la construction en Judée-Samarie ». Et pour que les choses soient bien claires, sachez que « Israël ne voit aucune connexion entre le processus de paix et la politique de planification et de construction à Jérusalem, qui n’a pas changé depuis 40 ans ». Processus de paix avez-vous dit ? Quel processus de paix ? Celui que prônait le ministre israélien des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, le 28 septembre devant l’Assemblée générale des Nations unies ?… « Le principe qui doit guider la recherche d’un accord final, ce n’est pas la paix contre des territoires, c’est la paix contre l’échange de territoires peuplés. Je ne parle pas de faire bouger les populations, mais de faire bouger les frontières pour mieux refléter les réalités démographiques ». En d’autres termes, l’État d’Israël doit devenir ethniquement homogène, un terme diplomatique pour ne pas dire pur. Et voilà semés les germes d’une future guerre civile en Israël même, car il ne fait aucun doute que les Palestino-israéliens ne se
laisseront pas faire sans réagir. C’est pourquoi il n’est pas inutile de revenir sur la déclaration de Catherine Ashton selon laquelle la poursuite de la colonisation menace « de rendre une solution à deux États impossible »… Cette notion d’impossibilité d’une solution à deux États n’est plus taboue, elle est à présent évoquée dans des milieux de plus en plus larges, jusque et y compris dans des milieux juifs israéliens, ainsi que le signale Alain Gresh dans un article « Un seul État pour deux rêves » du Monde diplomatique daté d’octobre 2010… « « Le moindre danger, le moindre mal, serait la création d’un État unique avec des droits égaux pour tous ses citoyens », annonce le président du Parlement. Figure de la vie politique, un ancien ministre surenchérit : « il n’existe plus désormais d’autre option que la proclamation d’un seul État sur tout le territoire historique de la Palestine, de la Méditerranée au Jourdain ». Une jeune députée aux convictions religieuses bien ancrées défend les mêmes conclusions. Trois personnalités palestiniennes ? Trois membres de l’organisation islamiste Hamas ? Trois antisionistes européens ? Non : ce diagnostic a été formulé par trois membres éminents de la droite israélienne ». « Le premier, M. Reuven Rivlin, récuse l’idée d’une menace démographique arabe et observe que cette manière de penser « amène à évoquer le transfert ou le fait qu’il faudrait tuer les Arabes. Je suis horrifié par ces propos. Je vais dans les écoles où, lors de simulations d’élections, Lieberman obtient 40 % des voix et j’entends des enfants dire qu’il faudrait tuer des Arabes. (…) Quand Jabotinsky disait : « Sion nous appartient », il voulait dire un premier ministre juif et un vice-premier minis-
tre arabe » ». Alors, plutôt que de menacer de saisir le Conseil de sécurité de l’ONU pour qu’il proclame l’avènement d’un État palestinien indépendant sur les frontières d’avant le 5 juin 1967, initiative qui serait selon toute vraisemblance vouée à l’échec étant donné le droit de veto des États-Unis, l’Autorité palestinienne, qui n’a plus d’Autorité que le nom, n’agirait-elle pas plus sagement en proclamant son autodissolution ? Voilà qui rendrait les choses nettement plus claires… Un seul État, soit démocratique soit d’apartheid. On peut gager que c’est pour le second paramètre de cette alternative qu’opterait le gouvernement israélien. Mais peut-être, seulement peut-être, cela ferait-il enfin réagir la communauté internationale…
ENFIN UNE BONNE NOUVELLE En attendant, voici enfin une bonne nouvelle. Sauf pour le gouvernement israélien bien entendu… l’Association israélienne Physicians For Human Rights, une association de médecins régulièrement présente aux check-points et dans les territoires occupés pour venir en aide aux Palestiniens privés de soins, s’est vue décerner le Right Livelihood Award 2010, mieux connu sous le nom de Nobel alternatif. Les autres lauréats sont l’écologiste nigérian Nnimmo Bassey, l’évêque brésilien Erwin Kräutler et l’organisation publique népalaise Sappros. Rappelons qu’avant Physicians For Human Rights, deux autre Israéliens s’étaient déjà vu décerner le Nobel alternatif : Arna MerKhamis, fondatrice du Freedom Theatre de Jenine, et Ouri Avnery, l’inlassable animateur de Gush Shalom. ■
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lire Interrogations existentielles et désenchantement TESSA PARZENCZEWSKI
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endant trente ans, de 1961 à 1991, Imre Kertész a tenu son journal. Alors que s’élaboraient ses œuvres majeures, il confiait à ce carnet de bord, dans une sorte de discours d’amertume, ses réflexions sur la condition humaine. Déporté à Auschwitz à l’âge de 15 ans, vivant ensuite sous la chape de plomb stalinienne, Kertész pose des questions essentielles : comment préserver l’individu dans une société totalitaire, comment se lover dans un espace de liberté intérieure pour survivre ? Et le sens de la vie ? Le judaïsme ? Et Dieu dans tout ça ? Il convoque Nietszche, Freud, Kafka mais aussi Camus et Beckett, car certains attendent encore Godot, sans oublier Paul Celan et sa « Fugue de mort », cet extraordinaire poème qui arrive à dire l’indicible. Loin de l’anecdote quotidienne, laissant dans la marge les péripéties politiques, il laisse souvent affleurer la violence première, son expérience concentrationnaire, toujours tapie dans un coin de sa mémoire. La nature de toutes mes relations est celle qui lie le gibier au piège. Parfois, j’y laisse un pied, parfois, je traîne le piège avec moi et je le laisse me blesser, me handicaper toute la vie.
Dans ce texte serré et exigeant, parsemé d’aphorismes ironiques
et désespérés, où l’auteur torpille parfois lui-même ses propres raisonnements, Kertész ne dévoile rien de sa vie privée, de son entourage, sauf lorsqu’il parle de l’agonie de sa mère, atteinte de démence sénile et qui lui évoque les « musulmans » des camps. Auschwitz n’est jamais loin ! Tout
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a déjà eu lieu et n’a eu aucune conséquence. Auschwitz et la Sibérie sont passés (si tant est qu’ils soient passés) en effleurant à peine la conscience humaine, mais rien n’a changé du point de vue éthique. Et dans la même veine désespérée et lucide : Ce siècle, le XXe, est comme un peloton d’exécution en service continu. Écrites dans des conditions difficiles, les premières œuvres de Kertész ont reçu un accueil glacial en Hongrie. Elles n’ont commencé à être traduites en français que dans les années 90, notamment Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas et Être sans destin qui est le récit de l’expérience concentrationnaire de Kertész. Ce roman tranche par son ton distancié et ironique, et par le regard de l’adolescent chez qui subsiste une étrange curiosité au milieu même de l’horreur. Imre Kertész a obtenu le Prix Nobel de Littérature en 2002. ■ Imre Kertész Journal de galère Traduit du hongrois par Natalia ZarembaHuszval et Charles Zaremba Actes Sud 276 p., 21 EURO
Penser au judaïsme. Faute de quoi... HENRI WAJNBLUM
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omme de vingt ans de recherches et d’études, le dernier ouvrage de Jean-Christophe Attias1, nous invite à un passionnant périple à travers l’histoire du judaïsme en compagnie d’une pléiade d’exégètes rabbiniques. Le lecteur non croyant pourrait être déconcerté par les innombrables références bibliques auxquelles l’auteur a recours, mais faut-il rappeler que si elles ne constituent pas des livres d’histoire, les Écritures et leurs exégèses font partie intégrante de l’histoire du judaïsme. D’entrée de jeu, l’auteur se dévoile : le judaïsme n’est pas qu’une affaire juive, elle concerne tout un chacun. Car « Penser le judaïsme », c’est-à-dire le restituer comme pensée complexe, est une chose, mais penser au judaïsme et inviter à y penser en est une autre… « Aucun historien de l’Occident chrétien, de l’Orient chrétien ou des mondes musulmans ne saurait faire l’économie de ce détour : penser aussi au judaïsme. L’examen du sort, du devenir – un des grands soucis de Jean-Christophe Attias -, de l’inventivité d’une minorité ne peut que lui en apprendre beaucoup sur la majorité dont il est le spécialiste ». L’ouvrage est divisé en quatre grandes têtes de chapitres : Territoires, d’abord, « territoires mouvants, éclatés, d’un judaïsme hanté par l’exil et la dispersion ». Textes, ensuite, « parce que le judaïsme n’est peut-être au fond qu’un immense et répété exercice de lecture ». C’est dans ces textes que nous rencontrons Moïse auquel l’auteur consacre de
nombreuses pages pour nous faire partager les diverses interprétations des cornes dont il est affublé, surtout dans l’imagerie chrétienne. Des pages passionnantes. Tout comme le sont celles consacrées à Jésus, ce fils sans père. Frontières, aussi, « parce que l’essence du judaïsme ne se dévoile jamais mieux que là où ses contacts avec l’Autre sont à la fois les plus ambigus et les plus décisifs ». Silences, enfin, « parce que ce qui se joue d’essentiel avec cet Autre, justement, se joue peutêtre autant dans la parole tue que dans la parole échangée ». Mais si Jean-Christophe Attias nous a ainsi pris par la main pour nous guider, de maîtresse façon, à travers tous ces siècles de judaïsme, c’est pour mieux nous inviter à nous interroger sur, à nous soucier de, l’avenir du judaïsme diasporique. Car la diaspora est en piteux état, nous dit-il, « elle traverse un désert mais elle refuse d’en prendre pleinement conscience ». Et d’imaginer un scénario que l’on peut considérer comme plausible… « Disparition des derniers survivants du génocide et effritement de la mémoire de la Shoah en tant que substance première de l’identité juive en diaspora. Dilution progressive, avec l’extinction des anciennes générations, de ce judaïsme traditionnel, principalement incarné dans des pratiques familiales. Paix entre Israël et la Palestine. Décrue de l’antisémitisme dont on déplore aujourd’hui le regain ». Que nous restera-t-il alors ? « Une diaspora dévitalisée sur le plan linguistique, monolingue, et donc de plus en plus en plus cou-
pée de ses sources. Une diaspora largement ignorante de la culture israélienne (…). Une diaspora qui n’aura peut-être plus à choisir qu’entre deux voies ; l’assimilation progressive ou le basculement dans le fondamentalisme religieux ». Et de s’interroger… « Par quoi avons-nous donc failli ? Quelles ont été nos erreurs ? Sans doute de n’avoir pas compris que nous ne pouvions indéfiniment nous abreuver de la seule mémoire de nos morts en oubliant la culture, religieuse et profane, dont ils étaient porteurs. De n’avoir pas voulu comprendre non plus que notre mémoire exacerbée de la Shoah comme conflit de l’Europe avec les Juifs, et notre sensibilité extrême au conflit israélo-arabe nous conduisent trop souvent à nier ce qui a fait et devrait continuer de faire le fond de l’être juif : son orientalité et son européanité. Je sais, nous dit en conclusion Jean Christophe Attias, que « beaucoup de mes contemporains juifs de diaspora nourrissent deux peurs jumelles ; peur pour les Juifs et peur pour Israël. Moi aussi j’ai peur. Mais pour le judaïsme. » Et, ultime et vaste et angoissante question, « Si nous sauvons les Juifs et l’État des Juifs sans sauver le judaïsme – et le judaïsme est mortel – alors qu’auronsnous sauvé ? Que ferons-nous de Juifs déculturés et de Juifs « orthodoxes ? » La réponse appartient à chacun d’entre nous. ■ Jean-Christophe Attias, Penser le judaïsme, CNRS éditions, 25 EURO 1
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lire, regarder, écouter Notules de novembre GÉRARD PRESZOW
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n ne s’était vu qu’une fois, chez le peintre Arié Mandelbaum. Voilà plus de trente ans qu’il suit son œuvre, y réfléchit et la commente. Ce soir, Michel invite quelques amis de toujours et moi-même. Tandis qu’autour de la table les plus anciens se souviennent des rafles autour de la gare du Midi et comment ils y ont échappé et survécu, la fin de la soirée prend la forme d’une visite guidée des œuvres d’Arié accrochées aux murs de la maison. Arrivé chez moi vers une heure du matin, je rallume mon portable et écoute un message. C’est la voix d’Arié, basse et énigmatique : « Gérard, il est arrivé quelque chose de grave ». Je rappelle. Sans réponse. Je consulte mes mails au cas où et… j’y trouve le faire-part de décès de son fils cadet, Alexandre.
*
L’expo Basquiat (1960-1988), j’y allais avec curiosité et préjugés. En fait, à part quelques reproductions, je n’avais jamais vu une œuvre de lui. Je me disais que sa réputation était surfaite, qu’il la devait avant tout à sa rencontre avec Warhol et à NewYork. Quasi faux sur toute la ligne ; oui, il y a bien eu Warhol mais il y a surtout eu son immense talent. Des grands formats sur lesquels les points d’équilibre semblent d’emblée atteints, où couleurs et compositions explosent, lyriques et comme habités par la gaieté de peindre de celui qui devait mourir d’overdose à 28 ans. Par ses jets de couleurs et leurs accords parfaits, Basquiat paraît tellement aimer la vie… Mais surtout, déambulant d’une œuvre à l’autre, comment ne pas penser à Stéphane Mandelbaum (1961mort assassiné en1986). Si leurs esthétiques ont peu en commun sinon sur les petits formats où apparaissent chez l’un et l’autre des petits bonshommes stylisés ou des énumérations phonétiques, il y a une porosité semblable à la pulsation urbaine, une connexion sanguine à la rue : ils sont profondément contemporains l’un de l’autre, moins par leur date de vie et de mort et leur fin tragique que par une sensibilité proche qui s’exprime par d’autres termes plastiques. Tout le long de l’exposition, je ne pouvais m’empêcher de penser que tout ce monde qui visite Basquiat serait abasourdi
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de découvrir Stéphane… Convoquant les sexes interlopes, les figures tutélaires du nazisme, hallucinant Auschwitz, dressant sa galerie de portraits (Pasolini, Rimbaud, Bacon…) dans un rapport de vraisemblance picturale et de maîtrise absolue du dessin, il déstabilise le spectateur, le force à faire face ou à tourner le regard1. * Comme souvent, le Musée juif de Paris nous offre une exposition remarquable et qui, cette fois, nous touche d’encore plus près : Felix Nussbaum (1904-1944), peintre juif allemand qui fut déporté de Bruxelles par le dernier convoi et assassiné à Auschwitz avec sa compagne Felka Platek. On connaît bien cet autoportrait où l’artiste apeuré et enfermé dans une
arrière-cour bruxelloise brandit sa carte d’identité estampillée «JuifJood » avec l’étoile jaune cousue sur le revers du manteau ; elle est terrible et terrifiante cette image. Et pourtant, l’expo nous fait clairement voir deux périodes dans la vie de Nussbaum. Avant le nazisme et l’exil auquel il fut contraint, Nussbaum faisait – si pas dans le comique – dans la parodie, la moquerie, les masques. Souvent il se représente légèrement vêtu d’un essuie de cuisine. L’histoire va bouleverser sa vie et sa palette : la mort rôde partout comme si James Ensor cédait le pas à Jérome Bosch. Ses visages émaciés aux yeux exorbités font bien
souvent penser à Gustave van de Woestijne2. * Le Festival du film méditerranéen s’est tenu en novembre au Botanique. Je m’étais promis d’aller de film en film pour faire connaissance avec une filmographie largement méconnue. Je dois bien avouer que je suis incapable de sortir d’une salle pour entrer dans une autre et multiplier le geste du matin au soir et du début à la fin de la semaine. En fait, c’est une chose que je n’ai jamais su faire. Passer d’une salle à l’autre, ce n’est pas comme aller un soir
au cinéma en s’y étant préparé et que l’on s’apprête à vivre un événement précieux avec disponibilité mentale et corporelle (surtout ne pas manger avant d’aller au ciné). Bon, j’ai quand même vu un film turc et un film irakien qui avaient de commun le rapport entre des langues majoritaires et minoritaires au sein d’un même pays : kurde/turc et kurde/arabe. Vu aussi des courts-métrages réalisés par des étudiants israéliens et palestiniens au sein de la section cinéma de l’université de TelAviv où très vite apparaissent des récurrences : témoin et documentaire de la Nakba et de l’occupation côté palestinien de CisJordanie et l’apparition de la ville de Tel-Aviv comme symbole de stupre et de dépravation absolue, image d’une modernité corruptrice côté israélien. Un bijou dans cette programmation, parmi d’autres que j’aurai sans doute manqués : Moi, ma famille Rom et Woody Allen de Laura Halilovic. À 19 ans à peine, cette réalisatrice nous fait voir le monde à partir de sa famille tsigane. Si elle et ses parents sont sédentarisés dans une HLM de la banlieue romaine, sa grand-mère et ses oncles vivent dans des roulottes. Malgré les menaces quotidiennes des populations environnantes et des autorités, le film virevolte au son d’une voix off enjouée et alerte. Les images courent du temps présent aux vidéos de famille et nous accueillent pendant 50 précieuses minutes. ■
Musée d’art moderne de la ville de Paris jusqu ‘au 30/1/2011 Musée d’art et d’histoire du judaïsme jusqu’au 23/1/2011
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diasporas Miliband père et révolutionnaire PHILIPPE MARLIÈRE*
D
ans le cimetière de Highgate, au nord de Londres, un étroit chemin nous amène devant l’imposante stèle funéraire de Karl Marx. À quelques mètres à peine, en contrebas, on trouve une modeste pierre tombale recouverte d’une inscription laconique : « Ralph Miliband, écrivain, enseignant, socialiste ». Le jeune Juif bruxellois venu se recueillir devant la tombe de Marx en 1941 était loin d’imaginer que sa dépouille reposerait un jour non loin du maître politique, dans le carré des révolutionnaires de ce cimetière excentrique et romantique. La bataille qui a récemment opposé David et Ed Miliband pour la direction du Parti travailliste a permis de reparler du père illustre. Lorsqu’Ed a prononcé son premier discours de leader travailliste, il a parlé avec émotion de ses ancêtres juifs fuyant le nazisme dans une Europe hostile.
DE BRUXELLES AU BLITZ Ralph – fâcheusement prénommé Adolphe à la naissance – est né à Bruxelles le 7 janvier 1924. Ses parents ont quitté la Pologne à la recherche d’une vie meilleure et se sont établis dans le quartier de Saint-Gilles. Samuel Miliband, le père, est maroquinier. Les Miliband sont une famille juive athée, instinctivement socialiste. Dès l’âge de 15 ans, Ralph rejoint Hashomer Hatzaïr (Jeune Garde). L’organisation lui four-
nit une première socialisation politique socialiste et sioniste. Plus tard, sous l’influence de l’historien Marcel Liebman, Miliband critique Israël et soutient la création d’un État palestinien. Le jeune Ralph parle le yiddish et l’allemand, mais sa langue principale est le français. Lorsqu’en 1940 les armées allemandes pénètrent en Belgique, Ralph et son père embarquent à Ostende dans l’un des derniers bateaux pour l’Angleterre. Il découvre Londres sous les bombardements du Blitz. Ne parlant pas l’anglais, il gagne sa vie en déménageant les meubles des maisons bombardées. En 1941, Miliband entame une licence en politique à la London School of Economics (LSE). Il y rencontre le professeur Harold Laski, dirigeant marxiste du Parti travailliste. Sous sa direction, Ralph rédige une thèse de doctorat consacrée aux idées politiques du « petit peuple » sous la Révolution française. Il enseigne ensuite à la LSE jusqu’en 1972 et démissionne alors pour protester contre la répression brutale d’étudiants de gauche par l’administration de la LSE. En 1961, il épouse Marion Kozak, une de ses anciennes étudiantes. Marion est une Juive tchèque, dont la famille a été décimée pendant la guerre et qui rejoint la Grande-Bretagne en 1947. Socialiste radicale, elle aurait voté pour Diana Abbott, la candidate de la « gauche » travailliste à l’occasion du vote pour la désigna-
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tion du leader travailliste. Elle est membre de Jews for Justice for Palestinians (JfJfP), une organisation qui combat la colonisation israélienne de la Palestine. Les organisations juives britanniques n’ont pas caché leur « inquiétude » après l’élection d’Ed Miliband à la tête du Parti travailliste. Certains ont déploré le fait qu’il ait pu qualifier d’« erroné » l’arraisonnement de la flottille humanitaire en route vers Gaza ; présentant ces propos comme « déplaisants » et « naïfs ». D’autres ont estimé qu’Ed était sur cette question « influencé » par sa mère1.
MARXISTE INDÉPENDANT Marxiste indépendant, Miliband ne fut jamais membre du Parti communiste ou de quelconque groupe de la gauche radicale. Il est l’observateur sévère du Parti travailliste, dont il sera pourtant membre entre 1951 et 1961. En 1958, il rejoint la revue The New Reasoner, composée de dissidents communistes (EP Thompson, John Saville) et collabore avec la revue The Universities and Left Review, dirigée par d’éminents intellectuels de la Nouvelle gauche (Stuart Hall, Raphael Samuel). En 1959, ces revues se fondent dans la New Left Review (NLF), qui demeure aujourd’hui le plus prestigieux titre de la gauche intellectuelle britannique. Miliband quitte la NLR en 1963, quand l’équipe est rajeunie. Miliband et Sa-
ville créent le Socialist Register, une publication annuelle qui rassemble des essais « de qualité » sur le socialisme et le mouvement ouvrier. Miliband co-dirigera la revue jusqu’à sa mort. En 1961, Ralph publie le premier et probablement le plus célèbre de ses ouvrages : Parliamentary Socialism. A Study in the Politics of Labour. Il y dénonce bien avant l’avènement du New Labour, l’électoralisme éhonté des directions travaillistes et syndicales, leur modération congénitale et la mise en place de politiques « conservatrices » une fois au pouvoir. En marxiste critique, Miliband reconnaît aux agents de l’État et aux gouvernements une autonomie relative. Mais ceux-ci ne peuvent rien face à l’emprise de l’État bourgeois et capitaliste, structurellement orienté vers la défense des intérêts et de l’hégémonie du capital. Il développe ces idées dans The State in Capitalist Society (1969). Lors de son premier discours de leader du Parti travailliste, Ed a reconnu avec humour que « tout le monde n’a pas un père qui a écrit un livre pour expliquer qu’il ne croyait pas dans la voie parlementaire vers le socialisme ».
LE PÈRE ET SES FILS Ralph Miliband est mort en 1994, quelques semaines à peine avant l’élection de Tony Blair à la tête du Parti travailliste. On peut aisément imaginer ce qu’il aurait pensé de ce leader, ami des plus riches et inlassable allié d’un président étatsunien néoconservateur. Il est cependant témoin du recentrage à droite entrepris sous les directions de Neil Kinnock et de John Smith. Avant d’intégrer la machine New Labour et d’en devenir des rouages importants, Ed et David sont élevés par des parents de la gauche radica-
le. La maison familiale à Primrose Hill (dans laquelle David réside toujours) voit passer le ban et l’arrière-ban de l’intelligentsia de la gauche marxiste britannique et internationale. Cela ne convaincra pourtant pas Ed et David de se rallier au combat anticapitaliste. David (né en 1965) et Ed (né en 1969) rejoignent le Parti travailliste très jeunes, mais s’écartent bien vite de son aile gauche (Tony Benn, Ken Livingstone) pour se rapprocher du centre, qu’ils ne quitteront plus ensuite. Ce sont les enfants du thatchérisme : pragmatiques dans l’action et acquis aux fausses évidences néolibérales. Ils comprennent que les idées de leur père sont minoritaires dans le Parti travailliste et pensent qu’elles ne pèseront pas lourd face à l’offensive thatchérienne. Dans Reinventing the Left (1994), un ouvrage collectif qu’il a dirigé, David écrit : « Le rôle de la politique n’est pas d’abolir les marchés, mais de les organiser et de les réguler ». Inversement, Miliband père estime qu’après la Dame de fer, l’avenir n’est pas à un « thatchérisme à visage humain », mais à un « New Deal » radical. La rupture politique entre le père et ses fils est totale et irréversible. Un jour, Miliband demande à Tariq Ali, une des voix de la gauche radicale britannique, ce qu’il pense d’un discours de Neil Kinnock. Ali répond qu’il a trouvé l’intervention creuse et soporifique. Miliband éclate de rire : « C’est David qui en est l’auteur ! » Après avoir dirigé la Policy Unit à Downing Street, David devient député en 2001, il entre au gouvernement en 2005 et devient ministre des Affaires étrangères en 2007. Conseiller économique de Gordon Brown, Ed est élu député en 2005 et entre au gouvernement en 2007. Dans les deux cas, il s’agit d’une ascension
météorique, au cœur de l’appareil New Labour, de deux individus qui ont soutenu les politiques et la philosophie de ce gouvernement de bout en bout. Pendant les débats qui on précédé l’élection du leader travailliste, les deux frères se sont déclarés « socialistes » (une chose impensable pour Tony Blair). Mais quel rapport leur socialisme peutil bien avoir avec le socialisme de leur père ? La défaite du « blairiste » David, battu par Ed, constitue un désaveu cinglant des politiques menées par les Blair, Brown ou Mandelson ; de ceux qui ont soutenu la guerre d’Irak ou encore des politiques néolibérales mises en œuvre entre 1997 et 2010. Cependant, la victoire d’Ed ne garantit pas, loin s’en faut, un recentrage à gauche substantiel. Dès l’élection acquise, Ed Miliband a affirmé que le Parti travailliste ne mettrait pas le cap à gauche. Ralph Miliband était resté attaché à la Belgique, son pays natal. Il entretenait une relation amicale et politique étroite avec Marcel Liebman, autre grand marxiste indépendant. Les deux hommes s’étaient rencontrés à la LSE lorsque Liebman y était venu étudier les relations internationales. En 1987, l’Institut Liebman a attribué à Ralph Miliband la première Chaire créée en hommage à l’historien disparu. Cette distinction récompense chaque année les universitaires qui contribuent à l’étude générale du mouvement socialiste et de la pensée de gauche2. ■ *Professeur de science politique à University College London. Nous publions ce texte avec l’aimable autorisation de l’auteur et de Politique, revue de débats . 1 Marcus Dysch, « I’ve nothing to say », The Jewish Chronicle, 8 octobre 2010. 2 http://institutliebman.be/jl/
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diasporas
Par la barbe du prophète ! JACQUES ARON
C
haque fois que l’occasion m’est donnée de visiter une région d’Europe occidentale, je suis frappé de l’énorme contribution de l’iconographie chrétienne à la persistance du judaïsme, la source qu’elle ne pouvait laisser tarir, sous peine de se renier et de rompre avec sa légitimité la plus profonde. Pour une dizaine de jours, des amis – loués soient les bons amis – avaient mis à notre disposition leur belle maison en pays cathare. Au cœur d’une région (le Tarn) traversée par les querelles intestines de la chrétienté, où les Croisades, l’Inquisition, les persécutions et la répression ont laissé leurs ruines et traces sanglantes. La Maison des Mémoires de Mazamet (50 km au nord de Carcassonne – publicité non payée par une compagnie qui volera bientôt sans pilote) en retrace l’histoire locale. Entre Rome et Saint-Jacques de Compostelle, nous sommes sur l’une des routes de la christianisation de l’Occident, sur laquelle les évangélistes venus de la lointaine Palestine auraient transplanté les images de l’Ancien Testament pour fonder le Nouveau. Rien de plus clair à ce sujet que la sym-
bolique de l’impressionnante cathédrale Sainte-Cécile à Albi où le déambulatoire des pèlerins, avec ses 32 prophètes et sages de haute stature, entoure le Chœur avec ses 12 apôtres et sa kyrielle d’anges ; les deux Jacques (le Majeur et le Mineur) y sont adossés – quel soutien ! – aux prophètes Osée et Isaïe. Dans ce genre de périple, je me laisse généralement guider par l’une ou l’autre figure que je connais mal, tel ce sculpteur roman du 12e siècle, toujours non identifié et dont on rapproche les œuvres depuis environ trois-quarts de siècle, par des traits qui laissent supposer une personnalité puissante à la tête d’un véritable atelier. En attendant, sans trop y croire, la découverte de documents dans une région si souvent dévastée, on l’a nommé le Maître de Cabestany (petite église sur la côte du Languedoc). À l’Abbaye Saint-Papoul, un chapiteau m’a intrigué. Haut perché à l’époque au chevet de l’Église, donc quasi invisible du pèlerin de son temps – à présent déposé par souci de conservation – son décor nous montre un homme tenant apparemment la barbe d’un autre de plus petite taille. Jeté, à
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l’instigation de courtisans jaloux, dans la fosse aux lions par l’empereur de Babylone, le grand prophète Daniel y aurait reçu l’aide bienvenue du petit Habacuc, que Dieu avait dépêché à son secours. L’empereur retrouve intact son cher et fidèle conseiller et punit les méchants. Happy end ! Daniel n’est pas encore le beau jeune humaniste imberbe du plafond de la Sixtine.
DES PROPHÈTES À LA PREUVE DE DIEU PAR LES JUIFS Non loin de là, changement d’époque et de décor. À l’Abbaye de Sorèze, devenue École Royale Militaire après les guerres de religion, me voici tout à coup face au Père Lacordaire, qui prit la direction de cet établissement de 1854 à sa mort en 1861. Quel rapport, cette fois, avec les Juifs, me direz-vous ? J’ignorais tout, je l’avoue, de ce catholique libéral (et même républicain) dont la parole enflamma les prêches de Notre-Dame de Paris et qui tenta la gageure de réhabiliter l’Église après le discrédit de l’Ancien Régime. Jusqu’à solliciter du pape de réorganiser en France l’Ordre des Dominicains, l’un des an-
ciens bras armés de l’Inquisition. Catholicisme de bonnes œuvres, s’adressant au milieu paysan, lui ouvrant une voie vers l’éducation et l’ascension sociale, l’action de Lacordaire s’arrêtait devant les dangers de la révolte sociale. La charité était la seule réponse à ce qu’il considérait comme un mystère divin, dont la raison ne saurait venir à bout. « C’est le christianisme qui a inauguré dans le monde le soin du pauvre. Dès l’origine, le pauvre a été le bienaimé de l’Église », dit-il dans un sermon de 1853. « Le pauvre est un mystère dans l’Église, un mystère presque aussi incompréhen-
sible que le mystère de la SainteTrinité, et que nous devons croire comme les autres mystères de notre religion, par la révélation divine. » Si tout est mystère, que dire alors de la persistance des Juifs à travers tous ces siècles de malheurs ? À l’un de ceux dont il est le directeur de conscience, Lacordaire écrit : « Rappelle-toi aussi que la religion est un fait, et le fait le mieux établi qui soit dans le monde ; aucun peuple ancien ne s’est survécu à lui-même, pour être le dépositaire de ses annales et rendre témoignage à leur vérité. Le peuple juif est seul demeu-
ré debout, sans demeurer une nation, et nous présente son histoire, qui contient tout à la fois son origine, ses généalogies, sa législation religieuse, civile et criminelle, choses sur quoi un peuple ne peut être trompé et ne peut tromper personne. […] C’est une grande folie de ne croire à rien, et c’est une grande contradiction de croire à quelque chose quand on ne croit pas à la vérité de la Bible. » Ô fond inépuisable de notre imaginaire judéo-chrétien, pour le meilleur et pour le pire. Les voyages forment la vieillesse. ■
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diasporas S. L. Shneiderman, mémoires de Pologne ROLAND BAUMANN
D
e passage à Bruxelles à l’occasion de l’ouverture de l’exposition David Seymour (Chim) au Musée juif de Belgique, Helen Sarid, nièce du grand photographe humaniste, est la fille de S. L. Shneiderman (1906-1996), journaliste yiddish, éditeur d’une chronique méconnue du ghetto de Varsovie et témoin visionnaire de la fin de l’histoire juive en Pologne après 1945. Né à Kazimierz Dolny, shtetl pittoresque au bord de la Vistule, Shmuel Leib Sznajderman étudie à l’université de Varsovie, publie des poésies yiddish et se lance dans le journalisme. En mars 1933, il épouse Hala Szymin (1908-2005), soeur aînée de Chim, puis devient le correspondant parisien de la presse juive polonaise, en particulier du quotidien Haynt. Dès l’été 1936, le journaliste yiddish couvre la guerre d’Espagne. Parmi les négatifs de Chim retrouvés dans la « valise mexicaine », on voit des photos de Shmuel à Barcelone, assistant aux festivités du 19ème anniversaire de la révolution russe, puis à Sabadell, où il visite les usines textiles avec Chim. Les visiteurs de l’exposition peuvent voir en vitrine, exposée aux côtés de numéros de l’hebdomadaire Regards, un exemplaire de son livre yiddish Krig in Shpanye (« Guerre en Espagne »), illustré de
photographies de Chim et publié à Varsovie en 1938 par la maison d’édition de Benjamin Szymin, le père de Chim et d’Hala. Helen Sarid résume le parcours de ses parents dans ces années de lutte et d’errance : « Ma mère étudiait le journalisme à Varsovie. Très engagée politiquement, elle écrivait pour la presse polonaise socialiste, en particulier sur la condition des femmes. Elle a rencontré mon père à l’université. Il écrivait en yiddish pour la presse juive et elle traduisait certains de ses articles pour des journaux polonais. D’abord à Varsovie, puis à Paris et ensuite en Espagne, ils travaillaient tout le temps ensemble. Je suis née en décembre 1937 à Paris. On m’avait d’abord nommée « Teruel » parce que le jour de ma naissance la ville de Teruel venait d’être libérée par les Républicains. Mais, comme Teruel a ensuite été reprise par les franquistes, mes parents m’ont finalement appelée Hélène ! Après la défaite républicaine, Chim est parti au Mexique, puis s’est réfugié à New-York où mes parents l’ont rejoint en févier 1940, ayant obtenu un visa grâce au quotidien new-yorkais Der Morgn Zhurnal pour lequel écrivait aussi mon père. Après la guerre, il est devenu correspondant de la presse yiddish aux Nations unies. Ses articles paraissaient dans les jour-
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naux yiddish à New York, en Israël, en France, au Mexique, en Argentine, en Afrique du Sud. Il a très longtemps écrit dans Forverts. Fasciné par les rapports entre la littérature et la culture, mon père aimait donner une vision en kaléidoscope des lieux qu’il visitait pour ses reportages, réalisés le plus souvent pour la presse yiddish ou des périodiques juifs américains. Passionné d’histoire juive et du Yiddishland, il est souvent retourné en Pologne. Il se trouvait à Varsovie lors du pogrom de Kielce. Il a interviewé des survivants puis assisté au procès. Conscient du climat d’antisémitisme qui dominait la Pologne communiste, il est toujours resté très attaché à son héritage juif polonais. En 1957-1959, après la déstalinisation, il a voyagé dans toute la Pologne à la recherche des vestiges de la vie juive, de shtetl en shtetl. Il a aussi fait un film, Le dernier chapitre1, documentaire sur les mille ans d’histoire juive en Pologne ». En 1994, S. L. Shneiderman et son épouse Eileen viennent s’établir en Israël à Ramat Aviv où vivent Helen Sarid et sa famille. Leur fils Ben (1947- ) est professeur d’informatique à l’Université du Maryland où est conservée la collection de livres yiddish du journaliste, souvent dédicacés2. Il gère aussi le patrimoine photographique de son oncle, Chim.
Les archives de S. L. Shneiderman sont conservées au Diaspora Research Institute à l’université de Tel Aviv. Traduits du Yiddish, les livres Between Fear and Hope (1947) et The River Remembers (1978) rapportent les voyages du journaliste américain dans la Pologne d’après-guerre et expriment sa volonté d’arracher à l’oubli les richesses historiques de la culture juive polonaise. Dénonçant les historiens polonais qui s’acharnent à minimiser les apports de la communauté juive à l’histoire nationale, Shneiderman aime rappeler que ce sont les écrits d’un voyageur juif, Abraham Ben Yacov, en visite à la cour du roi Mieszko 1er en 966, qui documentent les origines de l’État polonais et témoignent aussi de la présence d’artisans et de marchands juifs en terre polonaise à cette époque fondatrice. Shneiderman évoque aussi les réalités de la vie commune à Kuzmir (Kazimierz Dolny en yiddish), son shtetl, avant 1939. Les Juifs for-
maient la majorité de la population et beaucoup de Polonais parlaient yiddish couramment, signe de bon voisinage dans une localité aimée des écrivains et des peintres polonais, juifs et nonjuifs. Une époque où la Vistule « parlait Yiddish », comme le disait Sholem Asch à son ami Witkacy (Stanislaw Ignacy Witkiewicz). Témoin des réalités d’une Pologne « sans Juifs », le journaliste n’en reste pas moins attentif aux premiers signes de changements, dès les années septante, alors qu’une poignée de jeunes Polonais, intellectuels catholiques liés à l’opposition clandestine, tentent de dialoguer avec le passé juif de leur pays. S. L. Shneiderman est aussi l’éditeur du journal de Mary Berg. Le journaliste a rencontré cette survivante du ghetto de Varsovie sur les quais de Jersey City le 16 mars 1944 alors qu’elle venait de débarquer au Nouveau Monde. Née et éduquée en Pologne, Mary (Miriam) Wattenberg a dix-neuf ans. Sa mère et sa soeur cadette étant citoyennes américaines, elle fait partie d’un groupe de Juifs américains objets d’un échange avec des citoyens du Reich internés dans les pays alliés. Dans sa valise, la jeune fille a emporté les carnets du journal qu’elle tenait dans le ghetto de Varsovie en 1940-1942. Shneiderman la persuade de publier son récit et le traduit du polonais en yiddish, le faisant paraitre en feuilleton dans
Der Morgn Zhurnal à partir de mai 1944. Helen Sarid précise : « Je me souviens de ses visites à notre appartement de Manhattan où elle travaillait avec mon père sur la traduction de son journal. Un soir, un avion a survolé l’immeuble et, prise de panique, elle éclata en sanglots. Mes parents cherchaient à la réconforter l’assurant qu’ici elle était en sécurité, mais elle n’arrêtait pas de trembler ». En octobre-décembre 1944, des extraits du journal paraissent aussi en anglais dans le périodique The Contemporary Jewish Record. Enfin, l’éditeur L. B. Fisher publie le récit de Mary Berg sous forme de livre en février 1945 : Warsaw Ghetto : A Diary. Le 19 avril 1945, jour anniversaire de l’insurrection du ghetto de Varsovie, les Wattenberg défilent en tête d’une manifestation vers la mairie de NewYork, invitant les Américains à la solidarité avec les Juifs polonais survivants du génocide. Mais, pas plus que le témoignage de Jan Karski, le journal de Mary Berg n’émeut la majorité de l’opinion américaine, indifférente au sort des victimes du judéocide. Traduit en français, Le ghetto de Varsovie. Journal de Mary Berg (Albin Michel, 1947) n’a pas été réédité. Longtemps oublié, ce premier récit publié du ghetto de Varsovie sera « découvert » par le public polonais dans les années 1980, pour être enfin l’objet d’une nouvelle édition anglaise en 2006, plus de soixante ans après la « Libération des camps » ! ■ The Last Chapter : The Rise and Fall of the Thousand Year old Jewish Community in Poland, 1965. 2 www.lib.mud.edu/SLSES 1
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Yiddish ? Yiddish ! PAR WILLY ESTERSOHN
Mukm-zelk Nuf kizum id di muzik fun klez-mokum La musique de Klezmokum Le groupe Klezmokum a été mis sur pied à Amsterdam, en 1989, par le pianiste Burton Green qui est également compositeur et arrangeur. Green venait des États-Unis où il s’était distingué en tant que musicien de jazz (particulièrement le free jazz). Le nom de cet ensemble musical a pour point de départ les mots klezmer et mokum, ce dernier désignant chez les Juifs hollandais, depuis plusieurs siècles, la ville d’Amsterdam. À l’origine : le mot yiddish Mukm mokem (hébr.) = lieu ou endroit.
iuu “Mukm-zelk” Nuf kizum id tnciiq=b dl=b Nem tl]uu ,reh Ntwre MUb wt]c vi klez-mokum
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! widYi ? widYi TRADUCTION Bien qu’à la première écoute on pourrait tout de suite qualifier la musique de Klezmokum de jazz klezmer, Green argumente que cela n’est applicable qu’à une partie seulement de la musique que joue le groupe : « Notre musique a beaucoup de sources (nous avons beaucoup de sources pour notre musique). De nombreux matériaux ont été produits entre les deux guerres mondiales ; ils reflètent la joie et la peine des Juifs ashkénazes. J’apprécie aussi (me plaît aussi) la beauté, l’innocence et les aspirations des compositions israéliennes de l’ancienne époque palestinienne (des vieux temps palestiniens), c’est-à-dire des années 1920 et 1930. J’ai découvert dernièrement les rythmes inhabituels et les mélodies captivantes des différentes communautés séfarades en Turquie, en Grèce et dans les pays balkaniques. » (traduit de Forverts, édition du 22 octobre 2010)
Le groupe Klezmokum
REMARQUES MUb baym = Med Ub bay dem (Ub bay = à, près de, chez). zewzd dzhez = jazz (transcription de la prononciation américaine). Nhnet taynen = argumenter, prétendre que ; voir hnet tayne (hébr.) = affirmation, réclamation. Ciiw shayekh (hébr.) = pertinent, applicable (à). Cs = a sakh (hébr.) = beaucoup. Mirukm mekoyrim : plur. de rukm mekor (hébr.) = origine. [umxlm milkhomes : plur. de hmxlm milkhome (hébr.) = guerre ; aussi : girk krig. [ude eydes : plur. de hde eyde (hébr.) = communauté ; mais [ude eydes signifie également témoin.
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de la liberté d’expression Restaurer la liberté d’expression CAROLINE SÄGESSER
L
iberté politique, la liberté d’expression est un droit fondamental, énoncé dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen adoptée par l’Assemblée nationale française le 26 août 1789 (tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement) et repris tant par la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies de 1948 que par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950. Cette liberté qui est au cœur des principes fondamentaux de la démocratie est, peut-être plus que d’autres, soumise à de croissantes limitations en Europe. Épinglons en deux. Il y a d’une part, les limitations mises à la liberté d’expression par l’interdiction, de plus en plus formalisée dans la loi ou simplement imposée par des normes sociétales, des propos racistes ou incitant à la discrimination. Cette limitation-là s’appuie sur une forte légitimité, ancrée notamment dans l’expérience douloureuse du deuxième conflit mondial. D’autre part, il y a les limitations de la liberté d’expression exigées par le respect d’opinions religieuses, réclamées de plus en plus fort par les croyants, au premier rang desquels les musulmans. Ces limitations-là ont une faible légitimité, dans la mesure où la liberté d’ex-
pression, si elle doit veiller à respecter les personnes, ne saurait être contrainte de respecter les opinions, sous peine d’être vidée de toute substance. Ce sujet pourrait donner matière à de longs développements. C’est dire si le choix du thème de sa conférence de rentrée par le Librex (Cercle du Libre examen) aurait du être intéressant. Hélas. Le débat, qui n’était en réalité que le prétexte à la diffusion d’un film qui fait largement l’apologie de l’humoriste antisémite Dieudonné, n’a pas abordé les questions fondamentales que pose aujourd’hui l’exercice de la liberté d’expression, et a été essentiellement l’occasion de libérer une parole de critique ultra radicale, voire de haine, à l’égard de l’État d’Israël. On en aura largement lu le récit par ailleurs et on peut également visionner la vidéo de la soirée sur internet. On sait les controverses engendrées par ce débat ; aux accusations d’antisémitisme des uns ont répondu celles des autres estimant que la critique d’Israël était devenue impossible. En réalité, il y a là une double malhonnêteté. Oui, sans doute, certains sont-ils trop prompts à assimiler la critique de l’État d’Israël, féroce en ce cas il est vrai, à de l’antisémitisme. Mais de l’autre côté, on estime, ou on fait semblant de croire, que critiquer l’an-
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tisémitisme de Dieudonné serait, en fait, refuser la critique de l’État d’Israël. La dénonciation de l’ « intimidation sioniste » semble avoir fait couler plus d’encre, ou en tout cas, avoir obtenu davantage de place dans nos journaux, que celle de la promotion larvée de l’antisémitisme que constituait la projection du film sur Dieudonné. On relèvera en particulier l’Appel contre l’intimidation intellectuelle face à la critique d’Israël signé par une trentaine de chercheurs et professeurs de diverses universités publié par Le Soir le 22 octobre et dénonçant « la campagne d’intimidation et de diffamation qui consiste à qualifier toute personne critique envers l’État d’Israël d’antisémite » et la « stratégie de propagande, dont le seul objectif est la défense de la politique du gouvernement israélien, [et qui] transforme toute expression d’antisionisme en antisémitisme ». Estimant que « cette campagne nous renvoie à une question plus fondamentale et essentielle : celle de la liberté d’expression, et plus spécifiquement à son exercice sur la question difficile qu’est celle d’Israël », les signataires déclaraient ne plus accepter « que la lutte nécessaire et essentielle contre l’antisémitisme implique le soutien à la politique du gouvernement israélien »
et défendre « une société où chaque citoyen aurait le droit de se positionner librement sur les débats de société, y compris le sionisme et la politique du gouvernement israélien ». On reste pantois devant de telles affirmations. Si la critique d’Israël est, certes, parfois difficile, et met d’ailleurs l’UPJB en quasipermanence au ban de la communauté juive, elle est parfaitement possible. Le traitement de l’actualité du Moyen-Orient par nos médias, et en particulier celui de la situation dramatique des Palestiniens dans les territoires occupés, peut difficilement être accusé d’être favorable à Israël. Non seulement la critique de la politique du gouvernement israélien est possible, mais elle est, au surplus, largement répandue tant au sein de la société belge que dans les médias. Ajoutons que si cette critique ne donne pas automatiquement lieu à des accusations d’antisémitisme, elle est en réalité trop fréquemment entachée elle-même d’antisémitisme plus ou moins dissimulé. C’est ainsi que l’on ne compte plus le nombre de fois que la politique israélienne à l’égard des Palestiniens est comparée, parfois par de « respectables » intellectuels, à la politique du régime nazi à l’égard des Juifs, et qu’on n’oubliera pas les slogans « Mort aux Juifs » à la
manifestation de soutien à Gaza en janvier 2009. On constate par ailleurs un recours de plus en plus fréquent à l’insulte, parfois antisémite, vis-à-vis des contradicteurs. Aussi, il m’apparaît qu’au contraire, ce qui est aujourd’hui difficile, c’est de se démarquer publiquement d’une attitude de critique générale et unilatérale de la politique israélienne. Certes, on ne s’attendra pas à ce que la défense d’une politique qui bafoue les droits de l’homme comme le droit international, en toute impunité et depuis si longtemps, recueille une grande faveur. Cependant, comme toute opinion, elle a le droit d’être entendue, et d’être formulée sans que ceux qui l’émettent soient soumis à des pressions ou à des menaces destinées à les faire taire, comme cela s’est produit tout récemment dans le cadre du projet les « Ambassadeurs de la paix » à Molenbeek. Il semble qu’aujourd’hui tout débat serein autour d’Israël et de ses politiques soit devenu impossible, sauf entre ceux que ne séparent que de faibles nuances. Sans doute, l’enlisement d’un hypothétique processus de paix estil pour beaucoup dans le découragement et la radicalisation des uns comme des autres. S’y ajoute la charge émotionnelle qu’Israël ou la Palestine charrie pour beau-
coup et qu’on entretient avec vigilance tant dans la communauté juive que dans la communauté musulmane. Il faut d’urgence restaurer les conditions du dialogue et imposer le respect de certaines lignes rouges à ne pas franchir : l’incitation à la haine, les menaces, les propos racistes et antisémites, les insultes, ne peuvent en aucun cas être tolérées et ne participent pas d’un exercice de la liberté d’expression bien compris. Oui, chacun a le doit de se positionner publiquement sur tous les débats de société, y compris le sionisme et la politique du gouvernement israélien. Ce droit doit pouvoir s’exercer librement, à l’abri des menaces comme des insultes. Et ce droit appartient autant à ceux qui soutiennent l’État d’Israël qu’à ceux qui s’opposent à sa politique, non pas eu égard à une légitimité égale de leurs opinions, mais bien en vertu de ce principe de liberté d’expression, fréquemment invoqué et si peu respecté par les protagonistes des violentes controverses nées du débat du 20 septembre. ■
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de la liberté d’expression Les trois formules du professeur Bricmont JEAN VOGEL Imaginez Ahmadinejad, Poutine, Chavez et Nasrallah soutenus par Benoît XVI et relayés ici par Le Pen et les intellectuels Michel Collon, Jean Bricmont... Non seulement cette union sacrée d’insoumis à l’Empire du tout puissant commerce aurait de la gueule, mais l’ennemi, ne sachant plus où donner de la tête, ne pourrait plus tenir, obligé de lâcher comme au moment magique où l’armée, soudain, fraternise avec les ouvriers. Alain Sorall
J
ean Bricmont a réalisé une grande découverte. Elle doit permettre de dépasser l’impasse où semble se trouver pour l’instant le peuple palestinien et assurer un grand essor au combat pour ses droits. Pour y arriver, inutile de se perdre dans des élaborations stratégiques complexes. Quelques « idées simples » – réduites à trois formules – y suffisent. Avant de les exposer, il faut rappeler que l’invention bricmontienne repose sur le déplacement qu’il fait subir à la manière habituelle du rendre compte des données du conflit palestinien. Par exemple, à la question « pourquoi hait-on tant Israël ? », on répond habituellement en évoquant les agressions, l’occupation, les spoliations, la colonisation, etc. auxquelles Israël se livre depuis des décennies. Grave erreur, objecte Bricmont « la cause fondamentale se situe dans les principes sur les-
quels cet État est fondé ». Les principes ! Il y en deux : « l’une [sic] est que Dieu a donné cette terre aux Juifs, et l’autre est l’Holocauste ». Or, « ces deux arguments sont profondément racistes »2. Et si Bricmont n’explique pas ce qu’il y a de commun entre ces deux « principes » ni en quoi en particulier la référence à « l’Holocauste » est une expression d’un racisme juif, cette articulation est sous-jacente à toute sa découverte.
UN ENGAGEMENT IRRATIONNEL Autre exemple : pourquoi, Israël continue-t-il à bénéficier d’un soutien sans faille des États-Unis et d’une indulgence coupable de l’Union européenne ? Bricmont rejette catégoriquement l’idée ordinaire qui l’explique par les intérêts stratégiques et économiques de ces États, couplés à une vision néocoloniale d’Israël comme tête de pont occidentale au Proche-Orient : « Le degré d’engagement américain en faveur d’Israël est totalement irrationnel et ne répond à aucun de leurs intérêts »3 Non, s’ils soutiennent Israël à l’encontre de leurs intérêts les plus évidents (pétrole, etc.), c’est parce que « les États-Unis sont manipulés par le lobby proisraélien ». Toutefois, précise Bricmont, l’explication par le rôle du lobby « n’est pas l’entière vérité »4. Si le lobby sioniste fonctionne en apparence comme tous les autres lobbies, à travers le cibla-
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ge, la propagande, les pressions, la corruption, etc., il s’en distingue par un facteur essentiel qui permet d’expliquer sa puissance extraordinaire, il inspire la peur : l’Occident « n’a aucun intérêt, à long terme, à soutenir Israël (et à s’aliéner tant de gens dans le monde). Mais qui, dans les hommes ou femmes politiques ou les hommes ou femmes d’affaires, va faire ce calcul ? Et qui, à supposer qu’il ou elle le fasse, va oser le dire ? On ne peut rien comprendre à ce qui se passe en Europe et aux États-Unis tant qu’on ne prend pas en compte le facteur de peur – peur des organisations sionistes, de leurs campagnes de dénigrement et d’intimidation »5. Cette omniprésence du facteur de la peur, Bricmont ne l’affirme pas gratuitement. C’est un homme de science, il l’a vérifiée expé-ri-men-ta-le-ment par une enquête auprès d’un échantillonnage de dizaines de « personnes d’origine non-juive » : « Prenons un journaliste, un homme politique ou un éditeur, enfermonsnous avec lui dans une pièce où il peut vérifier qu’il n’y a ni caméra cachée ni micro, et demandons-lui s’il dit publiquement tout ce qu’il pense vraiment d’Israël et, s’il ne le dit pas (à mon avis, la réponse la plus probable), pourquoi se tait-il ? A-t-il peur de nuire aux intérêts des capitalistes en Cisjordanie ? D’affaiblir l’impérialisme américain ? Ou encore, de risquer d’affecter les cours ou les
flux du pétrole ? Ou a-t-il au contraire peur des organisations sionistes, de leurs poursuites et de leurs calomnies ? Ma conviction, après des dizaines de discussions avec des personnes d’origine non-juive, est que la bonne réponse (la dernière) est évidente. On tait ce qu’on pense de l’État qui se dit « État juif » de peur d’être traité d’anti-juif et d’être assimilé aux antisémites du passé »6.
UNE PSEUDO-« ÉTHIQUE » À côté de cette peur, ou, plus exactement, en étayage de celle-ci, le lobby s’appuie sur le sentiment de culpabilité des « personnes d’origine non-juive » par rapport à la « culpabilisation liée aux événements de la guerre de 40-45 »7. (On admirera la maîtrise de la Verwaltungsprache dont fait preuve M. Bricmont). Ce sentiment est le produit d’une pseudo-« éthique », « qui exige que les Européens et les Américains se repentent sans cesse de crimes du passé auxquels ils ne peuvent rien faire et qui n’ont pas été commis par eux mais tout au plus par leurs parents »8. Jean Bricmont est hostile à la psychanalyse et c’est dommage, car le soin constant avec lequel il répète qu’étant né en 1952 il n’est pour rien dans ce que les Juifs ont subi et qu’il n’y a de culpabilité ou de responsabilité qu’individuelles, cette insistance obsessionnelle à rappeler son innocence est très probablement une clé du ressort de sa position
et de son engagement : « L’immense majorité des Français, des Allemands ou des prêtres catholiques aujourd’hui sont tout aussi innocents que les Palestiniens de ce qui s’est passé pendant la guerre, pour la simple raison qu’ils sont nés après la guerre ou étaient enfants pendant celle-ci. Peut-être que le meilleur slogan à mettre en, avant lors des manifestations sur la Palestine ne serait pas « nous sommes tous des Palestiniens » (...), mais plutôt : « nous ne sommes pas coupables de l’holocauste ». » 9 L’accusation ou le soupçon d’antisémitisme représente donc une botte secrète imparable du lobby. En outre, la censure de ce dernier s’exerce encore plus à l’encontre de toute critique à son égard – voire même de la simple mention de son existence – que par rapport à Israël : « Tous les hommes politiques et tous les journalistes savent, en leur for intérieur, qu’il faut faire très attention dès que l’on parle d’Israël. Mais pourquoi ? À cause des menaces que font peser les groupes de pression. Mais, alors qu’on peut parfaitement émettre des critiques modérées et inefficaces d’Israël, il est absolument impossible de parler librement de ces groupes (on est alors immédiatement attaqué pour « délires antisémites » ou quelque chose du genre) »10. Le lobby a donc réussi à enfermer « le débat dans des limites très étroites ». D’une part, il est interdit d’en
parler publiquement. D’autre part, le procès en antisémitisme représente une bombe atomique morale à laquelle nul ne peut résister : « les antisémites, réels ou supposés, sont les sorcières de notre temps. Cette accusation est la façon la plus simple d’éliminer quelqu’un du débat »11. On peut être d’accord avec cette dernière proposition lorsqu’on examine les agissements de la plupart des défenseurs inconditionnels d’Israël et leur propension à flinguer pour antisémitisme quiconque s’oppose à eux. Mais ce constat n’efface pas la distinction entre un « antisémite réel » et un « antisémite supposé » (c’est-à-dire accusé mensongèrement de l’être), en les considérant au même titre comme des victimes du lobby sioniste. Or c’est précisément cet amalgame que Bricmont juge indispensable.
DES IDÉES SIMPLES Les trois formules du professeur Bricmont découlent assez directement de l’analyse qui précède. 1. Développer le plus largement possible la dénonciation et la condamnation d’Israël : « La seule façon de procéder est de créer un climat de « désintimidation », en soutenant chaque homme politique, chaque journaliste, chaque écrivain, qui ose écrire une phrase, un mot, une virgule, critiquant Israël ». Pour ce faire, il faut arrêter de procéder à
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➜ des distinctions inutiles voire nuisibles au sein de la coalition antiisraélienne : « ll faut le faire tous azimuts, sans se limiter à soutenir des personnes qui ont des positions « correctes » sur d’autres sujets (selon l’axe gauche-droite), ou qui ont des positions « parfaites » sur le conflit »12. Les démarcations vis-à-vis de l’extrême-droite ou des islamistes, etc., sont encore des effets de la vieille intimidation sioniste qu’il faut complètement surmonter : « Nous ne devons pas montrer aux sionistes que nous sommes « gentils », en nous « démarquant » sans arrêt de X ou de Y qui a eu une parole trop dure ou trop franche, mais montrer que nous sommes libres et que le temps de l’intimidation est passé »13. 2. Développer en tout premier lieu la dénonciation de l’existence et du rôle du lobby sioniste aux États-Unis ou en Europe et soutenir tous ceux qui s’y opposent, quelles que soient leurs motivations ou leur idéologie : « Il faudrait systématiquement prendre la défense de tout homme politique, tout journaliste, tout professeur qui est pris à partie par le lobby pour ses vues ou ses déclarations, sans tenir compte de leurs opinions politiques sur d’autres sujets ». Bricmont se place avec évidence dans la suite des thèses de James Petras, un professeur d’université américain exmarxiste et désormais voué à la lutte contre la mainmise du lobby, qui dans ses livres Zionism, Militarism and the Decline of US Power, Rulers and Ruled in the US Empire : Bankers, Zionists and Militants, et The Power of Israel in the United States propose l’alliance de la gauche et des « conservateurs patriotes » pour libérer les États-Unis de la domination de la « Israel power configuration ». De
même, pour Bricmont, « le sort d’une grande partie du monde dépend de la capacité des Américains à exercer leur propre droit à l’autodétermination »14 – thèse qui sous-entend visiblement que les Juifs américains sionistes sont des dominateurs étrangers au peuple américain. Dans la même veine, Bricmont explique la faiblesse manifestée par la gauche française (y compris la gauche de la gauche) face « à la guerre en Afghanistan ou à l’alignement français sur l’État d’Israël », par le fait qu’elle ait complètement renoncé à l’héritage du nationalisme français au profit d’une posture morale impuissante : « Sous Pétain, la France devait se repentir des crimes du Front populaire ; aujourd’hui elle doit se repentir des crimes de Pétain (et, pour certains, du colonialisme). Mais aucune politique progressiste ne pourra jamais se fonder sur la culpabilité et la haine de soi »15. L’autre volet de cette position est la nécessité de condamner tous ceux qui occultent ou minimisent la toute-puissance du lobby sioniste : « Il faut critiquer tous les défenseurs d’Israël ou du lobby pro-israélien, y compris ceux qui en minimisent l’importance, à l’intérieur des cercles progressistes »16. Ici aussi Bricmont suit Petras qui s’est fait une spécialité de dénoncer le fait que les juifs de gauche, – et en particulier Noam Chomsky –, aussi anti-impérialistes et pro-palestiniens soientils, ne pouvaient jamais accepter de reconnaître le rôle prépondérant du lobby dans la détermination de la politique étrangère américaine. Qu’est-ce qui les en empêche ? Une solidarité ethnique juive dont ils restent prisonniers. C’est d’ailleurs ce que passe sa vie à dénoncer Gilad Atzmon, le musicien londonien d’origine israélienne devenu une réfé-
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rence majeure des « antisionistes radicaux » : « l’antisionisme juif est en soi encore une autre forme de sionisme ». En quoi et pourquoi ? : « D’abord elle [la gauche juive] s’efforce de présenter, et de renforcer, une image positive des Juifs en général. Deuxièmement, elle est là pour réduire au silence et brouiller toute tentative faite par un outsider pour appréhender la signification de l’identité juive et des politiques juives au travers des machinations de l’État juif. Sa fonction est également d’empêcher des éléments de ce mouvement de mettre en évidence le rôle crucial du lobbying juif. La gauche juive est donc là pour étouffer toute critique éventuelle des politiques juives au sein des mouvements de gauche. Elle est là pour empêcher les goys de mettre le nez dans les affaires juives. » Dernier exemple en date, l’initiative « Irene, le bateau juif pour Gaza » : il ne s’agissait pas d’aider les Gazaouis mais de « restaurer la réputation des Juifs »17. 3. Libérer tous azimuths la parole des « personnes d’origine nonjuive » sur Israël, le sionisme, le lobby ou les Juifs en général : « ... l’étape qui reste à franchir, pour qu’une autre politique envers le Moyen-Orient soit possible, est de libérer la parole et de faire cesser l’intimidation et la culpabilisation à propos de tout ce qui concerne Israël et le sionisme »18. Bricmont prend parfois soin de préciser qu’il n’est personnellement ni antisémite, ni négationniste mais qu’il défend le droit à la libre expression de ce genre d’opinions. Il combine dans ce cas une affirmation de principe universelle, en faveur d’un élargissement de la liberté d’expression sur le modèle américain et une affirmation « stratégique » qui envisage la banalisation des discours antisémi-
tes et négationnistes comme une contribution utile à la « déculpabilisation » de l’opinion et donc ainsi à sa « désionisation ».
PLAGIAT ET RÉVISIONNISME C’est dans cette optique que Jean Bricmont s’est fait le chantre et le propagateur du livre Sarkozy, Israël et les Juifs (Éditions Oser dire, Embourg, 2009), en le présentant comme victime d’une forme de censure et en le louant comme l’équivalent pour la France de la remarquable recherche empirique de John Mearsheimer et Stephen Walt, Le lobby proisraélien et la politique étrangère américaine (Éd. La Découverte, 2007). Il s’agit en réalité d’un simple exercice de compilation et surtout de plagiat19, commis par un certain Paul-Eric Blanrue, polygraphe en quête de notoriété, auteur notamment d’un Carla et Nicolas : chronique d’une liaison dangereuse, ainsi que d’un Le Joueur : Jérôme Kerviel, seul contre tous. Présenté par le vétéran du négationnisme en France, Serge Thion, comme un « plumitif pisseur de copie » sans autre conviction que l’espoir d’atteindre de gros tirages20, Blanrue s’est lancé avec Bricmont dans une bataille pour faire libérer un militant nazi français, Vincent Reynouard, condamné à un an de prison ferme en France et en Belgique pour être l’auteur d’une brochure négationniste Holocauste, ce que l’on vous cache. Reynouard a d’ailleurs exprimé sans ambages comment et en quoi sa propagande négationniste s’inscrivait dans un enjeu beaucoup plus large : « Le combat révisionniste que je mène – et dont les implications dépassent largement le domaine de l’Histoire – je le mène précisément pour mes enfants, ainsi que pour ceux des autres, pour les Pa-
lestiniens, pour l’Europe, et, plus généralement, pour un monde qui sera débarrassé de ce Nouvel Ordre mondial bâti sur les ruines du IIIe Reich »21. Sur cette base, Bricmont et Blanrue ont lancé une pétition en faveur de l’abrogation de la loi Gayssot et ils auraient réussi à obtenir une déclaration en sa faveur de Noam Chomsky22.
LE SECRET DE L’ESPADON Je ne voudrais cependant pas conclure cette article en suscitant l’impression que la pensée de Jean Bricmont se réduit à cet « anti-impérialisme des imbéciles » dont Isaac Deutscher anticipait l’advenue au lendemain de la guerre des six jours de 196723. Non, il arrive à ce penseur d’éclairer politiquement l’opinion sur des questions essentielles de l’avenir du monde. Ainsi, l’attribution du prix Nobel de la Paix à Liu Xiabo lui arrache cet avertissement prophétique : « Le jour – sans doute pas si lointain – où les Chinois seront devenus plus forts que nous, on peut craindre qu’ils se « souviendront » de toutes les humiliations que nous leur avons fait subir dans le passé, depuis les guerres de l’opium et le sac du palais d’été jusqu’au soutien actuel au Dalai Lama et aux dissidents ; si la vengeance est un plat qui se mange froid, je préfère ne pas faire partie d’un banquet chinois lorsque ce moment du souvenir sera venu »24. Vous voyez ça d’ici : Jean Bricmont servi laqué et rôti au cours d’un festin à Zhongnanhai... Souhaitons aux Chinois de posséder un estomac bien accroché. ■ Alain Soral, « Imbécile, lâcheté criminelle », http://www.egaliteetreconciliation. fr/Bloc-Note-No51-4552.html 2 J. Bricmont, « La désionisation de la mentalité américaine », http://www.voxnr. com/cc/tribune_libre/EEZpFVkVklZqeKFOZZ.shtml 1
J. Bricmont, « Guerres « humanitaires », les nouvelles croisades », http://ism-france.org/ news/article.php?id=12854&type=analyse 4 « La désionisation de la mentalité... » art. cit. 5 Interview de Jean Bricmont, par Leila Lallali, http://www.tadamon.ca/post/883 6 J. Bricmont, « Réponse à Mme Bleitrach », http://www.legrandsoir.info/Reponse-aMme-Bleitrach.html 7 « Guerres « humanitaires », les nouvelles croisades », art. cit. 8 « La désionisation de la mentalité... » art. cit. 9 J. Bricmont, « Trois idées simples pour mettre fin au soutien politique aux crimes israéliens », http://www.voltairenet.org/ 10 J. Bricmont, « Un livre très important », http://www.legrandsoir.info/article8645. html 11 « La désionisation de la mentalité... » art. cit. 12 « Trois idées simples... », art. cit. 13 J. Bricmont, « Encore un effort, ...si vous voulez l’être vraiment », http://www. france-palestine.org/article12991.html 14 « La désionisation de la mentalité... » art. cit. 15 J. Bricmont, « Quelques remarques sur le nationalisme français », http://www. legrandsoir.info/Quelques-remarques-surle-nationalisme-francais.html 16 « La désionisation de la mentalité... » art. cit. 17 Gilad Atzmon, « La « gauche juive » sert à étouffer les voix non juives », http://www. silviacattori.net/article1388.html 18 « Encore un effort, ... », art. cit. 19 On trouvera une démonstration exhaustive de ses emprunts et de ses plagiats dans un texte publié sous le pseudonyme de « Saidchomsky », « M. BLANRUE, PLAGIAIRE ET REPRODUCTEUR SERVILE », texte disponible en Pdf : http://www.scribd. com/doc/35660239/M-Blanrue-plagiaireet-reproducteur-servile 20 S. Thion, « Les aventures d’un gros plein de soupe », www.vho.org/aaargh/fran/livres10/pleindesoupe.pdf – D’après Thion, Blanrue aurait écrit une biographie de Robert Faurisson qu’il attend le moment (éditorialement) opportun pour publier. 21 V. Reynouard, « Communiqué du 25 juillet 2010 », http://semperfidelis.over-blog. fr/article-nouvelles-de-vincent-reynouard54604464.html 22 http://abrogeonslaloigayssot.blogspot. com/ En ce qui concerne Chomsky, j’utilise le conditionnel car on ne trouve pas de trace de cette déclaration sur son site officiel. 23 I. Deutscher, « On the Israeli-Arab War », http://www.newleftreview.org/?view=363 24 « Réaction de Jean Bricmont au prix Nobel de la Paix », http://blanrue.blogspot. com/2010/10/reaction-de-jean-bricmontau-prix-nobel.html 3
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de la liberté d’expression De quoi le sionisme est-il le nom ? PASCAL FENAUX*
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epuis quelques années, et singulièrement depuis le déclenchement par les Palestiniens et la répression par l’armée israélienne de la deuxième Intifada, les appels se multiplient pour dénoncer un sionisme « raciste et génocidaire » et, au nom de la liberté d’expression, combattre une mémoire du judéocide « coupable » d’être instrumentalisée par l’État d’Israël. L’assimilation du sionisme à « une forme de racisme » est-elle intellectuellement fondée ? Historiquement, rien n’est moins sûr. Le sionisme est l’appellation générique d’une multitude de mouvements nationalistes juifs apparus dans un contexte historique bien déterminé, celui de l’Europe centrale et orientale du tournant des XIXe et XXe siècles, centre de gravité des mondes juifs ashkénazes. Le dénominateur commun de ces mouvements était un profond pessimisme quant aux possibilités d’intégration et/ou d’émancipation collective des Juifs ashkénazes dans des sociétés chrétiennes en lutte pour leur propre indépendance étatique et travaillées au corps par un profond antisémitisme. Au sein des mondes juifs d’Europe centrale et orientale, les mouvements sionistes n’étaient pas les seuls à revendiquer l’émancipation culturelle et/ou nationale
de collectivités caractérisées par un héritage religieux commun, l’usage de langues communes (yiddish et hébreu), la conviction de participer à une culture commune et la réalité tangible de discriminations et de violences antijuives de plus en plus féroces à mesure que les États-nations prenaient brutalement le pas sur les structures d’Ancien Régime. Ainsi, en des termes certes moins radicaux, d’autres mouvements politiques juifs allaient faire de la « question juive » (dans ses dimensions nationale, sociale, culturelle et linguistique) un enjeu central de leurs luttes, qu’il s’agisse des folkistes de Simon Doubnov ou des sociaux-démocrates du Bund.
NATIONALISME ROMANTIQUE La radicalité du sionisme résidait dans une profonde méfiance envers les sociétés chrétiennes et dans le développement d’un nationalisme romantique fonctionnant en miroir avec des nationalismes slaves imprégnés autant des idéaux de la révolution française que de ceux du populisme russe. Toutes les composantes du mouvement sioniste partageaient le même enjeu : positiver l’immense vague de migrations hors d’Europe de l’Est et lui redonner une dimension nationale et miraculeuse en l’orientant vers le « Pays d’Israël » (Eretz-Israël). Ou, en d’autres termes, échapper à la
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disparition collective en Europe orientale et à l’émigration individuelle (mais massive) vers l’Amérique du Nord. Seulement, pour ce faire, le mouvement sioniste devait se concilier les bonnes grâces des puissances coloniales (britannique en l’occurrence) pour espérer bâtir un « foyer national » en Palestine et affronter l’évidente résistance des autochtones, les Arabes de Palestine, promis à l’exil ou à la minorité si l’État juif se voulait à la fois juif et démocratique. En poursuivant l’enjeu de fonder en Palestine une société juive nouvelle et pluraliste, territorialisée sur tout ou partie de la Palestine arabe et majoritairement ou exclusivement juive, les mouvements sionistes ont transformé la société pré-israélienne (le Yishouv), qui était en train de se constituer dans l’entre-deux guerres, en une société largement exclusive et imperméable à l’Autre. Mais cet exclusivisme, aussi déplaisant fût-il, ne s’est que rarement paré des « vertus » de la « supériorité raciale ». Qui plus est, la fermeture radicale de cette société en formation ne s’est opérée qu’au terme de décantations et de conflits parfois violents entre une aile droite « pessimiste » (partagée entre le constat de l’inévitabilité de la résistance des Palestiniens au programme d’immigration juive massive et la tentation de fonder une société « ethnocratique »),
une aile « libérale » (tentée par le colonialisme « classique » et l’exploitation de l’autochtone), une aile « culturelle » (incarnée par des personnalités aussi diverses qu’Asher Ginsberg, alias Ehad Ha’Am, ou Martin Buber) et une aile travailliste « constructiviste » (qui allait finir par imposer sa vision « organique » d’une société juive de la base au sommet). Que l’on adhère ou non à leurs attendus, les mouvements sionistes se voulaient à l’origine mouvements d’émancipation nationale et entendaient par ailleurs, et au même titre que d’autres mouvements non religieux juifs, arracher les sociétés juives à la pesante et obscure tutelle d’un rabbinat ultra-orthodoxe pour participer à la modernité, partageant ainsi les utopies et les ambivalences des nationalismes occidentaux « modernes ». De même, exception faite d’une extrême droite minoritaire et en dépit du fait qu’il n’était évidemment pas dénué de dimensions ethnocentriques et coloniales propres aux sociétés européennes de l’époque, le sionisme n’a jamais fondé sa légitimité sur une quelconque « supériorité raciale » des Juifs par rapport aux non-Juifs en général, aux Arabes en particulier, certains militants sionistes, les « Cananéens », poussant même leur radicalisme jusqu’à envisager une rupture complète avec la diaspora et l’édification d’une société « hébraïque » (et non juive) cohabitant avec des Palestiniens considérés comme les descendants des Hébreux non exilés1…
AUTO-SÉGRÉGATION L’affrontement inévitable avec les Palestiniens et le refus de redevenir une minorité parmi les non-Juifs ont finalement débouché sur une « ségrégation »2 imposée à eux-mêmes par les Juifs
de Palestine et sur un boycott de l’environnement arabe, deux pratiques censées consolider les bases du futur État. Par-delà ses spécificités propres à une Europe centrale et orientale dont il était un des légataires (et à laquelle les Palestiniens étaient évidemment étrangers), l’État juif s’est édifié en Palestine au prix de l’expropriation et de la dépossession violentes de Palestiniens dont plus de la moitié ont été contraints à l’exil, ainsi qu’au prix de l’octroi d’un statut de citoyens de second ordre à ceux qui, devenus des « Arabes israéliens », ont été privés d’un accès libre et entier à la propriété terrienne et à la résidence dans des villes et des villages juifs dont la juridiction couvre désormais 92% de l’État d’Israël. De même, aujourd’hui, au terme d’un processus enclenché en juin 1967, Israël s’est transformé en une métropole coloniale « classique » par la captation du tissu économique et social de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza, et la soumission des Palestiniens. Deux autres dimensions sont en effet venues se greffer sur le conflit israélo-palestinien. Tout d’abord, la lente émergence d’une culture protestataire populiste et conservatrice chez ceux qui furent longtemps les « perdants » juifs du projet israélien (orientaux, religieux orthodoxes et, plus récemment, russes) à l’encontre du vieil establishment ashkénaze travailliste. Ensuite, une politique d’implantation de colonies juives de peuplement qui, lorsqu’elles n’étaient pas peuplées de militants nationalistes, étaient le plus souvent destinées à de récentes et fragiles classes moyennes qui, à partir de la fin des années 70, se sont retrouvées engagées, tant en Israël que dans les territoires occupés3, dans une politique de maillage et de subordination de la société
arabe palestinienne et de son espace. Du début de l’occupation en 1967 jusqu’à la fin des années 90, une culture israélienne « moyenne » s’est développée, non plus sur la « mise à distance » de l’Arabe, mais désormais sur un rapport fait de peur et de domination, d’intérêt commun bien compris et d’un sentiment de supériorité (souvent inconscient) de la société colonisatrice par rapport à la société colonisée, ce qui, soit dit en passant, est une des clefs de compréhension (et non de justification) de la violence extrême avec laquelle, en octobre 2000, l’armée israélienne a entrepris, dès les premiers jours et sans riposte armée palestinienne initiale, de mater les manifestations qui allaient finalement déboucher sur la « seconde Intifada ».
CONFINEMENT DES PALESTINIENS Cet état de fait, jusqu’à l’effondrement violent des accords d’Oslo en septembre 2000, ne fut d’ailleurs pas contredit par la mise en place d’une Autorité palestinienne plus captive qu’autonome. De fait, l’occupation de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza n’allait pas prendre fin avec les accords d’Oslo signés avec l’OLP en 1993, aucun gouvernement israélien n’ayant été capable ni désireux d’opter pour une solution politique fondée sur l’exercice légitime de deux souverainetés nationales (juive et arabe) en Israël/ Palestine, tandis que, la colonisation de peuplement4 intensifiant son rythme, les Palestiniens étaient progressivement confinés dans des zones autonomes qu’il est tentant de rapprocher des tuislande (« foyers nationaux », en afrikaans) imposés par le Nasionale Party afrikaner dans l’ancienne Afrique du Sud
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➜ ségrégationniste. Après septembre 2000, le déclenchement du soulèvement armé palestinien, sa lourde répression par l’armée israélienne et la vague d’attentats suicides des années 2001-2003 ont fait adhérer la majorité des citoyens juifs israéliens aux conceptions travailliste de « séparation » (hafrada) et « sharonienne » de « déconnexion » (hitnatkout), selon lesquelles un retrait israélien hors de tout ou partie des territoires occupés ne reviendrait pas tant à reconnaître le droit des Palestiniens à l’autodétermination qu’à permettre aux Juifs israéliens, pour des raisons sécuritaires et démographiques, de se « séparer » de « voisins » devenus encombrants, voire dangereux, et de les «encercler ». En d’autres termes, plus qu’auparavant, l’identité israélienne se structure désormais autour d’une nouvelle « mise à distance » des Palestiniens, ce que symbolise concrètement la « clôture » (gader) de séparation édifiée en Cisjordanie et autour de la Bande de Gaza.
INTENSIFICATION DE LA COLONISATION La situation politique actuelle est déprimante et révoltante. Les autorités israéliennes intensifient la colonisation juive de peuplement et enserrent toujours plus l’espace sur lequel devrait être édifié l’État de Palestine, tandis que les champs politique et religieux juifs israéliens multiplient les initiatives législatives et physiques à l’encontre des droits de leurs compatriotes arabes israéliens. Dans ces conditions, rêver
d’une solution fondée sur l’égalité entre nations judéo-hébraïque israélienne et arabe palestinienne dans le cadre d’un État binational est peut-être une utopie légitime, positive et stimulante pour les démocrates des deux sociétés. De même, il n’est pas davantage interdit de souhaiter que la société israélienne puisse un jour se projeter dans l’avenir autrement que par une politique ininterrompue de colonisation de peuplement, suicidaire pour les Israéliens et dévastatrice pour les Palestiniens.
SIONISME ET PÉRENNITÉ Mais il est illusoire de croire que l’on puisse approcher cette utopie en faisant l’impasse sur la conviction partagée par une majorité de Juifs et d’Israéliens que leur destin collectif passe par le « sionisme », aujourd’hui compris spontanément par eux comme la pérennité de l’État d’Israël. Après un génocide qui a confirmé les prophéties morbides des pères fondateurs de l’État juif, ce « sionisme » est l’attachement majoritaire (même perclu de contradictions) manifesté envers l’État d’Israël au sein du monde juif contemporain. Cet attachement, oscillant entre pessimisme, fatalité, paranoïa et raison, n’est souvent rien d’autre que la centralité accordée à un État considéré comme ultime refuge, centre spirituel ou foyer d’identification. C’est une vue de l’esprit que d’imaginer faire l’économie de la coexistence entre deux États souverains ayant besoin de s’apprivoiser. La résolution la moins inéquitable du conflit israélo-pa-
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lestinien passe plutôt par le respect des résolutions des Nations unies et du droit international5. Dans ces conditions, la pacification (voire la résolution) du conflit israélo-palestinien ne peut, à moyen terme, être fondée que sur le principe de l’existence de deux États juif et arabe égaux en souveraineté et en légitimité. La réticence des dirigeants israéliens et de larges fractions de la société israélienne envers ces principes ne contredit en rien ce constat. Que l’on s’en émeuve ou pas ne change rien au fait que, de 1947 jusqu’aujourd’hui, la légalité onusienne, en reconnaissant le droit d’un État juif à exister en Palestine6, a reconnu la finalité minimale du sionisme simultanément au droit des Palestiniens à l’autodétermination. L’éthique de responsabilité suggère que c’est avec un État d’Israël constitué que les Palestiniens parviendront à un accord, pas avec une entité angélique et éthérée dont il est irresponsable de leur suggérer d’attendre l’avènement. Cette résolution devrait reposer sur la fin de l’occupation/ colonisation de la Cisjordanie et la création d’un État de Palestine démocratique et pluraliste composé de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et de Jérusalem-Est, délimitées selon les lignes du 1er juin 1967, moyennant de succincts correctifs frontaliers mutuellement agréés. Idéalement, outre la rencontre de l’enjeu politique et moral posé par les réfugiés palestiniens, cette solution devrait également se fonder sur la « décolonisation » interne de l’État juif en octroyant aux Arabes israéliens
(les anciens autochtones palestiniens restés en Israël après 1948) le statut constitutionnel de minorité nationale constitutive d’Israël et dont les membres disposeraient des mêmes droits individuels que leurs concitoyens juifs. Cette dernière condition suppose et impose idéalement que surgissent dans le champ politique juif israélien des acteurs capables de définir pour leur société majoritaire les contours culturels et politiques de sa judéité, de son « israélianité » ou de son « hébraïcité ». D’aucuns, parmi les défenseurs de la cause palestinienne, s’offusqueront des lignes qui précèdent et considéreront qu’elles décernent un certificat de légitimité au sionisme et une garantie d’impunité à une colonisation juive toujours plus intensive de la Cisjordanie. D’autres objecteront qu’il est abusif et déplacé de demander aux Palestiniens qu’ils reconnaissent la légitimité et les vertus d’un nationalisme juif qu’ils ne connaissent que sous l’angle physique et concret de l’expulsion pour les uns, de l’occupation militaire et du colonialisme pour les autres, et de la dépossession pour les uns et les autres, trois réalités encore officiellement niées par Israël. D’autres enfin remarqueront que nombre d’États non occidentaux peuvent légitimement s’agacer de l’utilisation de la Shoah par Israël ou d’autres États à des fins politiques souvent sujettes à caution et peu motivées par l’exemplarité universelle de ce crime. Rien de cela n’est faux, ni ne mérite a priori le sceau d’infamie. Cependant, dans le contexte dramatique que traverse le MoyenOrient, les clefs d’appréhension
du conflit israélo-palestinien en sont revenues de toutes parts à un primitivisme digne des années cinquante. Au sein de l’ultra-gauche en particulier, alliée à des courants identitaires radicaux issus de « l’immigration », de plus en plus nombreux sont ceux qui estiment que la mémoire du judéocide est l’un des socles de légitimation de l’État d’Israël, un État fondé sur le sionisme, idéologie « raciste, fondée sur la supériorité raciale » et coupable de « génocide ». Pour ces intellectuels et ces militants, la « logique » mécanique impose donc de « désacraliser » la mémoire du judéocide en « libérant » la parole, voire en militant pour la réhabilitation de négationnistes « victimes » d’un complot « politico-médiatique » orchestré par Israël et ses « complices ».
ÉTHIQUE ET RESPONSABILITÉ Les partisans de cette ligne ignorent ou veulent à tout prix ignorer que, si la mémoire du génocide juif est si prégnante dans les consciences juive et israélienne, ce n’est pas seulement à cause d’un système éducatif largement structuré autour de la Shoah, mais aussi parce que ceux qui ont jeté les bases de l’État et l’ont structuré étaient animés par, précisément, la volonté d’échapper à un cataclysme européen qu’ils percevaient comme imminent (mais dont ils n’avaient évidemment pas prédit l’ampleur). Pis, certains de ces combattants de la « liberté d’expression », en militant pour la « désacralisation », veulent peutêtre tout simplement se libérer de l’éthique de responsabilité qu’im-
pose une réalité historique intangible : le génocide des Juifs a été commis en Europe, dans un contexte où aucun mouvement politique européen n’échappait à une judéophobie têtue, et qui nous donne à tous une responsabilité à assumer. Entre la « désacralisation » et l’amnésie, la marge est étroite, voire intenable. Si elle se décharge de sa responsabilité mémorielle, l’Europe « libérée » que nous promettent certains intellectuels risque de se délester des gardefous moraux et politiques qui, voici seulement vingt ans, ont déjà eu tant de peine à mettre rapidement fin aux crimes contre l’humanité perpétrés de façon massive en ex-Yougoslavie. ■ *Journaliste à Courrier international et à La Revue nouvelle Certes, d’aucuns ont souligné en leur temps l’ambiguïté racialiste de ce concept… 2 Dans son livre, Le Temps des Coquelicots (Liana Lévy, Paris, 1999), Tom Segev évoque un « apartheid » auto-imposé. 3 Entre 1970 et 1990, l’État d’Israël a édifié autant de nouvelles localités juives en Israël que dans les territoires palestiniens occupés. 4 Une colonisation de peuplement qui, elle, tombe sous la qualification de « crime de guerre » selon les statuts de la Cour pénale internationale (CPI). 5 Amnon Raz-Krakotzkin, « Les conditions de toute solution », La Revue nouvelle, mai-juin 1998. 6 Même dans la proposition finalement non retenue par l’Assemblée générale (et soutenue par les quelques pays non occidentaux alors récemment décolonisés), l’idée d’un État palestinien avec autonomie culturelle constitutive pour la communauté des immigrants-colons juifs équivalait à reconnaître l’idée du « foyer national », plus petit dénominateur commun du mouvement sioniste. 1
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de la liberté d’expression Une radicalité identitaire ? ALAIN MIHÁLY
L
es faits, suffisamment connus, s’originent dans un « débat » tenu à l’ULB le 20 septembre dernier, théoriquement consacré à la libre expression et introduit par la projection du film hagiographique d’Olivier Mukuna Estil permis de débattre avec Dieudonné? La controverse qui a suivi a masqué les enjeux profonds de l’événement. La cécité de la presse généraliste qui s’est arrêtée aux apparences, le poids symbolique des protagonistes – communautaires juifs d’un côté et antisionistes radicaux de l’autre – ont réduit une situation complexe à une équation simplificatrice. La liberté d’expression, celle de « critiquer Israël », serait menacée par l’imputation d’antisémitisme tant mensongère qu’instrumentalisée par les « défenseurs » d’Israël. Cette équation a été activée par le personnage central du « débat », Souhail Chichah (dorénavant S.C.), chercheur à l’ULB, et, reprise médiatiquement, semble s’être imposée jusqu’ici. La dernière carte blanche de S.C. a été accompagnée, fait rare et symptomatique, d’une mise en « Contexte » journalistique se résumant à un soutien sans réserve1. Le décryptage de la stratégie discursive mise en œuvre par S.C. s’impose et, puisqu’il y a « stratégie », il faudra considérer qu’aucun des propos tenus n’est ni dénué de sens
ni anodin. Ce discours se déploie autour de propositions-limites provocatrices destinées tant à faire signe pour un milieu idéologique défini par son radicalisme pro-palestinien absolutiste qu’à blesser. Le but est de contourner les questions posées, d’évacuer la possibilité même d’être inquiété pour cause d’antisémitisme et de déplacer tant les limites du dicible que l’ensemble des termes du débat jusqu’à conduire, comme on le verra, à l’inversion de ceux-ci. Colonne directrice de la soirée, la liberté d’expression devait être interrogée à partir des déclarations antisémites de Dieudonné. La question fut pourtant rejetée (elle le fut déjà en 2009, lors d’une première conférence également organisée par le Cercle du Libre Examen). Après que Joël Kotek, historien et directeur de Regards, le mensuel du CCLJ, a établi le catalogue des déclarations explicitement antisémites de Dieudonné, on lui reprocha d’avoir « décontextualisé » les propos de l’auteur de l’impérissable « Shoananas ». S.C. cibla d’entrée son intervention sur l’impossibilité de critiquer Israël et, dans un calque parfait du procédé initié par Dieudonné, fit « glisser » le débat sur la question israélo-palestinienne et le « sionisme » en dénonçant l’imputation d’antisémitisme. Effet pervers de la propension
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irrépressible du courant pro-israélien dominant à qualifier d’antisémite la moindre critique d’Israël, la possibilité est en effet donnée à d’authentiques antisémites ou à leurs défenseurs de se présenter comme victimes d’une accusation éhontée et de (prétendre) s’identifier à de véritables victimes de la vindicte communautaire.
IMBRICATION ET FORCLUSION L’événement se situe à la rencontre de trois strates imbriquées, allant de Dieudonné lui-même au discours de S.C., en passant par l’apologie filmée d’O.M. L’antisémitisme politique et « para-négationniste », actionné et mis en scène par Dieudonné, représente la strate originelle. La fiction « antisioniste » des débuts a fait place très vite au dévoilement abrupt de la cible. Cette « vision du monde » a cristallisé autour d’elle une minorité radicale issue essentiellement de l’immigration musulmane – non sans quelques compagnons de routes « autochtones » – qui s’est incarnée à Bruxelles autour de la structure politique « Égalité » fondée, entre autres, par S.C. Deux convictions la structurent. Avant tout, celle que le « sionisme » représente un mal absolu régentant le monde et sa misère, bien au-delà du cas d’espèce palestinien. Le « sionisme », au climax d’un processus d’essentialisation et de démonisation se
métamorphose en critère princeps du jugement politique, la frontière entre la « justice » et « l’injustice ». Niant le judéocide, les négationnistes s’attaquent au discours de légitimation d’israël, ils sont combattus par des institutions ou des personnalités juives qui se proclament sionistes et soutiennent les politiques israéliennes. Il est donc « logique » de leur trouver une certaine pertinence, de ne pas les condamner ou de les défendre quand ils s’expriment. L’invitation à Faurisson, tel sketch où Dieudonné le déguise en Juif ne font pas scandale puisque l’ennemi commun. Mieux, c’est un pied de nez à ce qui est vécu comme une omniprésence oppressante. D’autant, et c’est la deuxième conviction structurante, que le judéocide ferait obstacle non seulement, en tant qu’élément légitimant israélien, à la prise en compte de la cause palestinienne en Occident mais aussi, « concurrence mémorielle » oblige, à celle de toutes les victimes des crimes occidentaux (colonisation, esclavage, racisme). Qu’Israël soit un allié réel et symbolique de « l’Occident » ajoute une dimension non négligeable à cet édifice.
ANTISÉMITISME IMPUTÉ S. C. écrit, dans sa carte blanche du 13 octobre, son « rejet de toutes les discriminations raciales. Qu’elles soient le fait d’antisémites ou de sionistes ». Sans nier la moindre discrimination là où elle se produit, il reste que cette formulation est particulièrement signifiante. « Sionisme » et « antisémitisme » sont, sans nécessité apparente, dans un texte censé défendre la liberté de « critiquer l’État juif », rendus équivalents alors même que c’est l’imputation d’antisémitisme qu’on met en accusation. Dans le lexique de la nouvelle radicalité pro-palesti-
nienne, sionisme et nazisme sont synonymes, le « sionisme » est luimême antisémite et, comme l’affirment de nombreux militants, les « sionistes », dans le but de construire leur État, ont activement collaboré au judéocide. Étant également acquis qu’un génocide, parfois qualifié de « lent », est en cours en Palestine (plus circonspect ou plus attentif, S.C. parle lui « d’ethnocide »), les « sionistes » seraient donc coupables de deux génocides – dont celui des leurs – ainsi que de propager l’antisémitisme. ...« ceux-là portent une responsabilité morale dans la confusion dangeureuse qui conduit tristement à confondre antisionisme et antisémitisme » : les communautaires juifs (le CCOJB est cité) seraient donc causes de ce que les antisionistes s’en prennent aux Juifs et, par conséquent, responsables de propager l’antisémitisme...
NÉGATIONNISME FURTIF La phrase la plus remarquée de l’intervention de S.C. a porté sur le négationnisme : « Moi, la question du négationnisme, elle ne m’intéresse pas. D’ailleurs, je n’ai pas d’avis puisqu’il est interdit d’avoir un avis dessus donc en tant que légaliste, je m’en tiens à la vérité officielle ». Cette proposition n’est pas négationniste « au premier degré » et son auteur n’a pas manqué d’insister ultérieurement sur sa reconnaissance du judéocide. Elle est cependant volontairement ambiguë puisque construite sur un mensonge juridique conscient. La loi pénalise l’expression du négationnisme mais non le fait de donner son avis « dessus », à moins que celui-ci ne soit, précisément, négationniste. Cette ambiguité ainsi que l’usage de l’expression typiquement révisionniste de « vérité officielle »
pour qualifier le judéocide avaient pour fonction de provoquer. La remise en question, même en demiteinte, de l’historicité du judéocide blesse au plus profond, nul ne l’ignore, les survivants, leurs descendants et tout humaniste véritable. Il y avait sans doute quelque sadisme à avancer une telle « figure » dans le cadre d’un débat où devait se poser la question de l’expression de l’antisémitisme. Mais la provocation s’insère dans un jeu de déplacement des limites. Ce « jeu » autour du négationnisme – alors que son metteur en scène accuse ailleurs le président du CCOJB « d’instrumentaliser la mémoire des victimes du génocide juif [sic], au service de la défense « à tout prix » d’un État critiqué pour son ethnocide des Palestiniens » – instrumentalise le vocabulaire du judéocide2. Le parallèle est frappant avec le système de défense « dieudonnesque » : pas de proclamation négationniste mais l’ambiguïté, la feinte, le contournement. Interrogé quant à sa relation « artistique » avec Faurisson, Dieudonné ne se dissocie pas de ce dernier et déplace le terrain sur la question de l’esclavage dont on sait qu’il accuse « les Juifs ». Le thème du judéocide est donc pour le moins central. Comme seul exemple en relation avec la question du blasphème, S. C. avance que « le génocide des Juifs a un caractère sacré dans notre société », une proposition qu’il qualifiera d’illustration du « deux poids deux mesures ». En écho viendra d’ailleurs plus tard, de la salle, la dénonciation par Jean Bricmont de ce « sacré de l’Occident » qui ferait obstacle à ce que la question palestinienne soit entendue. Quelques jours plus tard, seuls invités au débat, S.C et Bricmont étaient attendus de concert après la
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➜ projection à l’ULB de Defamation – le film pour le moins questionnable - de l’israélien Yoav Shamir. Un film qui s’interroge, nous dit le synopsis, sur « ce que signifie l’antisémitisme aujourd’hui, deux générations après l’Holocauste ».
JUIF RÉEL OU SYMBOLIQUE ? Considérant une stratégie de rupture, faite de petites phrases, il faut s’arrêter sur une deuxième proposition-limite : « des gens pas très propres, qui posaient des problèmes à l’école […] ils étaient sales comme le sont aujourd’hui les Roms, les sans papiers de l’Europe. […] on peut parler d’antisémitisme généralisé dans la politique répressive d’un Sarkozy, votre collègue politique, Madame Teitelbaum ». Cette référence à la députée libérale bruxelloise, militante juive connue, s’inscrit parfaitement dans le processus d’inversion qui s’applique aux concepts de génocide et d’antisémitisme. Les Juifs contemporains sont roms, sans papiers et, sans aucun doute, palestiniens. Quant au Juif, démonétisé en tant que « Juif symbolique », auquel on s’adresse, il s’est rangé aux côtés des « antisémites » d’aujourd’hui, de ceux qui s’en prennent aux « Juifs symboliques ». Pour S.C., reprenant les sociologues Balibar et Wallerstein, « les personnes qui sont sociologiquement les plus proches des Juifs déportés par les nazis sont les Roms, les sans papiers ». Se livrer à une comparaison des politiques xénophobes en Europe, avant la Seconde Guerre mondiale et aujourd’hui, estimer que les Roms et d’autres vivent le sort qu’on vécu, avant cette guerre, les Juifs est une chose. Introduire le fait de la déportation et, par conséquent, de l’extermination dans cette comparaison (il n’est
pas apparu à l’intervenant que les Roms avaient été exterminés, eux-mêmes, en tant que... Roms), parler « d’antisémitisme généralisé » en est une autre qui conduit à déshistoriciser l’antisémitisme défini comme un racisme visant les Juifs, dans des modalités différentes à travers le temps et l’espace, et culminant par l’extermination de ceux-ci. À l’inversion, il faudra donc ajouter la substitution et, subséquemment, la dépossession. L’inexactitude des faits rapportés n’est pas en cause, encore qu’elle étonne de la part d’un universitaire, forçant probablement le trait pour asseoir sa démonstration. Une part respectable de la population juive immigrée avait atteint à une certaine aisance et parler de pauvreté est certainement exagéré, l’intégration linguistique et scolaire des jeunes ne connaissait pas d’échecs massifs. Il est également particulièrement simpliste d’affirmer qu’ils auraient été « sales » comme, paraît-il, les Roms le seraient aujourd’hui... (Si ce discours doit être pris dans un sens symbolique, quels éléments « objectifs » devrait-on alors en retenir ?) Mais plus que le comparatisme à grande échelle, c’est l’association de l’adjectif « sales » et du substantif « Juifs » qui fait sens. Après la petite phrase sur le négationnisme, celle-ci ne pouvait que faire penser à la classique adresse « sales Juifs » et S.C ne pouvait l’ignorer. Il est difficile de ne pas, au minimum, considérer une provocation à moitié délibérée.
IDENTITÉ ET SOUFFRANCE Mais plus que de dépossession, il faut sans doute parler d’identification ou de tentative d’identification. Pour être reconnu dans l’ordre de la souffrance historique, il semble qu’il n’y ait, chez certains,
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pas d’autres moyens que de s’approprier les « habits symboliques » du Juif. En 2009, S.C. a rendu partiellement public3 un échange électronique avec Jean Vogel, responsable de l’Institut Liebman. Sollicité par S.C. pour participer à un ouvrage collectif consacré à la « dialectique qui […] associe les concepts d’antisémitisme et d’antisionisme », Jean Vogel lui demandait ce qu’il fallait « penser de quelqu’un qui […] lorsqu’il est confronté dans les faits au discours le plus évidemment antisémite qui soit, prétend n’en rien savoir et ne rien y voir de mal. N’est-ce pas exactement ta position […] vis-à-vis de Dieudonné ? Cette cécité volontaire peut relever de la malhonnêteté intellectuelle, de l’hyper-crédulité politique ou d’une jouissance suscitée par la perversité de Dieudonné4 ». Dans l’extrait publié, les Juifs se trouvant en Palestine mandataire sont qualifiés par S.C de « Palestiniens de culte hébraïque » ou « d’obédience juive ». On retiendra surtout, en opposition, ce qu’il écrit, dans un passage non publié, à Jean Vogel : «De nous deux, je suis bien plus proche du Juif (au sens sociologique de paria bouc émissaire) que toi... et l’antisémitisme je connais non pas par héritage historique mais par expérience subie ! ». S.C. a également publié un « J’accuse ». Si sa teneur n’est pas fondamentalement différente de la carte blanche du 13 octobre5, le sens en est donné par la référence à l’Affaire Dreyfus. Le recyclage du vocabulaire historique de la lutte contre l’antisémitisme s’inscrit dans le registre de la dépossession/identification. Bien que l’auteur du « J’accuse » originel n’était certes pas le Juif Dreyfus lui-même et que la longue liste de victimes de « l’accusation ignominieuse d’antisémitisme, l’op-
probre des opprobres des temps présents » à laquelle l’auteur s’associe ne comprend pas que des Juifs, la locution renvoie nécessairement à un des moments nodaux de l’histoire de l’antisémitisme contemporain, et, par ailleurs, ironie probablement involontaire, de l’histoire du sionisme politique.
ORIGINE ET FORCLUSION La première strate originelle, celle de Dieudonné lui-même, dont notre développement nous a éloigné, présente cette caractéristique paradoxale d’avoir été et à la source du « débat » en cours et forclose. De la liberté d’expression et des limitations, légales ou morales, qui s’imposent à elle en cas de propos racistes, antisémites et négationnistes (jusqu’à nouvel ordre légal, uniquement du génocide des Juifs), il ne fut question que dans l’intervention de Joël Kotek. Le reste de la « conversation » et ses scories médiatiques (compte-rendu par la presse, cartes blanches ou pétition en soutien à S.C., carte blanche et déclarations du même) ont été « hors propos » et le produit du déplacement de la ligne de front opéré lors du débat piètrement organisé par le Cercle du Libre Examen. Parallèlement à l’antisémitisme de Dieudonné et de ses affidés, à cet « antisémitisme antisioniste » dont l’expression s’est vue, à plusieurs reprises, condamnée pénalement s’est donc imposée la fausse évidence d’une liberté de critiquer Israël menacée ou empêchée par l’incrimination antisémite, en correspondance parfaite avec ce que Dieudonné dit lui-même du traitement qu’on lui infligerait. S.C. a, en deux mots, « condamné » comme « racistes » les propos de Dieudonné, « moralement » s’entend et non politiquement et
a qualifié leur auteur de « bouffon », ce qui enlève quelques degrés de gravité à cette condamnation et appartient, sans contexte, au lexique des défenseurs de l’exhumoriste. La condamnation politique est, à l’inverse, destinée au contradicteur. À la fin de son intervention, S.C. dénonce en Joël Kotek « l’administrateur d’une association qui place au centre […] la diffusion de la culture israélienne et la solidarité avec Israël […] le CCLJ ». Or, poursuit-il, «Israël est un État raciste, ségrégationniste et colonialiste ». Ce syllogisme caricatural fait l’impasse sur le positionnement du CCL à gauche du spectre communautaire institutionnel. Il a, pour conséquence, en associant une institution juive – qui se distingue largement du courant pro-israélien dominant – à une détermination extrêmement radicale de l’État d’Israël, à criminaliser l’ensemble d’une communauté juive dont les positions sont bien évidemment en deçà de celles du CCLJ. De manière plus large, seule une lecture essentialisante du sionisme, nouvelle frontière du mal rend possible cette proposition. Il est à craindre que tous ceux qui ne soient pas exactement sur cette ligne politique de la condamnation radicale d’un État considéré comme « raciste en soi » et non pour la politique qu’il mène soient soumis à une vindicte identique et désignés – de manière dirimante – comme « racistes ». Un sort qui fut, par contre et symptomatiquement, épargné à Dieudonné.
JUIFS ET JUDÉOCIDE Des raisonnements en boucle s’enchaînent donc les uns aux autres : Identification et substitution de l’immigré au Juif et du sioniste au (double) génocidaire, du Juif sioniste (quelle que soit la nuance de son « sionisme ») à un
Israël rejeté en bloc et de par sa « nature ». L’hypothèse peut être avancée d’une édification identitaire « radicale » ayant comme point de référence et d’opposition les « questions » juive et du judéocide. Des questions sur lesquelles bute, abruptement et prêt au mieux à une tolérance coupable vis-à-vis de l’antisémitisme, l’antisionisme extrême. Serait-ce là aussi le signe que, d’elle-même, une certaine parole est en train de se libérer face aux Juifs et à la responsabilité mémorielle induite par leur extermination ? Ce dont a, par exemple, témoigné l’absence de réaction – et parfois l’approbation – aux commentaires du commissaire européen Karel De Gucht sur « l’irrationnalité » juive6. ■
« Est-il antisémite de critiquer l’État juif » et R.G., Contexte, « Un homme accablé », Le Soir du 13 octobre. 2 Op. cit. On s’interrogera subsidiairement sur le sens des guillemets qui signalent l’expression « à tout prix ». 3 « Antisionisme et antisémitisme », publié sur le blog http://rachid-zz.skynetblogs.be/ le 15 juin 2009 4 Document communiqué par Jean Vogel. Notons que, concernant Dieudonné luimême, S.C. « recommande également la lecture des deux ouvrages d’Olivier Mukuna sur la représentation de Dieudonné ainsi que la récente carte blanche de Dermagne » (il s’agit de l’avocat de Dieudonné en Belgique). 5 Repris par de nombreux sites pro-Dieudonné. Citons : « […] les principales organisations dites « communautaires juives » de Belgique que sont le CCOJB, le CCLJ et l’UEJB […] portent une écrasante responsabilité morale dans la confusion qui conduit certains à confondre antisionisme et antisémitisme ». 6 « Il y a en effet la foi chez la plupart des Juifs – je pourrais difficilement décrire cela autrement – qu’ils ont raison. Et la foi est quelque chose qu’on peut difficilement combattre avec des arguments rationnels ». Cf. Maroun Labaki, « Karel De Gucht brave les taboux », Le Soir du 4 septembre 2010. 1
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ANNE GIELCZYK
Un paradis qui s’ignore
A
halala les amis, c’est la cata, comment vous dire ? Pour ceux qui ont lu ma chronique du mois de novembre : disons que mon indice de satisfaction de vie est au plus bas. Oui, je sais, vous avez déjà entendu ça. Mais bon, depuis le temps, vous commencez à me connaître et donc vous n’êtes pas sans savoir que les mois de novembre et décembre c’est vraiment pas ma tasse de thé. J’ai le blues de l’hiver. Pour les spécialistes je souffre de « trouble affectif saisonnier », « une affection maintenant largement reconnue qui affecte dans nos régions 5 à 15% de la population » comme le dit la notice de ma luminette, mon appareil de luminothérapie. Et donc depuis quelques semaines je me shoote aux lux de ma luminette, à raison de 10.000 lux pendant 20 à 30 minutes tous les matins. Vous n’imaginez pas la tête que j’ai avec cet engin, la vue seule vous remonterait le moral. Mais bon, même si ça aide, ce n’est pas ça qui nous fera revenir le soleil, les petits zoiseaux et la joie de vivre. Mais comment font mes collègues chaque mois bon sang ? Il y en a qui n’ont pas ce genre de problème apparemment. Ils traversent l’année comme un long fleuve tranquille et remettent leur copie à intervalles réguliers. Ils en ont même de réserve ! Et puis il y en a d’autres dont moi donc, dont la
production littéraire est tributaire des aléas d’une conjoncture personnelle assez capricieuse : ils n’ont « pas la pêche », ils n’ont « franchement rien à dire », « il fait mauvais », « il pleut » (et aujourd’hui – 14/11 – je peux vous assurer qu’il pleut les amis, un vrai déluge, on dénombre 2 morts – oui, « morts » – dans le Hainaut suite aux inondations). Bref, je vous l’accorde, toutes les raisons sont bonnes pour ne pas affronter la page blanche. Il m’est arrivé déjà par le passé de sauter un mois, à mon grand regret croyez-moi. Aujourd’hui ma conscience professionnelle me dit que je ne peux pas décemment déclarer forfait trois jours APRÈS la remise officielle des articles. Je suis donc condamnée à remplir deux pages. Blanches bien sûr. Inutile donc de gaspiller votre temps à lire ce qui suit, comme ce qui précède d’ailleurs ce n’est que du remplissage.
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u’est-ce que je pourrais bien vous raconter ? Ah oui, figurez-vous que l’autre jour, après le cinéma, je suis allée manger un bout dans une taverne danoise du haut de la ville, et sur qui je tombe ? Je vous le donne en mille. Yves Leterme, notre premier ministre des affaires courantes. Il était attablé là tranquillement avec la ministre des affaires courantes publiques et (petite ?) amie Inge
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Vervotte. Sans garde rapprochée, ni éloignée, ni personne d’ailleurs pour l’embêter ou lui demander un autographe. Un client comme un autre quoi. « Vous imaginez ça en France vous, ou en Italie, ou en Allemagne ? La Belgique est un paradis qui s’ignore », a déclaré notre voisine de table, une expat polonaise. Le manque de lumière mis à part, je suis assez d’accord avec cette dame. Quant à Leterme, après l’enfer de l’orange bleue, il dirige maintenant un gouvernement qui est déjà tombé et qui donc ne risque plus rien. Quoi de plus paradisiaque, d’autant plus que cela risque de durer encore un certain temps avec ou sans nouvelles élections. C’est un homme heureux (indice de satisfaction 3,5 « plutôt » à « très satisfait ») qui affronte désormais les caméras, et je suis certaine que s’il se trompait d’hymne national aujourd’hui, il serait le premier à en rire. On ne peut pas en dire autant de Bart De Wever (ci-devant nommé BDW). Non seulement il ne risque pas de se tromper d’hymne national – c’est le « Vlaamse Leeuw » et rien d’autre – mais il n’est pas encore premier ministre qu’il mène déjà une guerre aux medias francophones. Il faut dire qu’au Soir et à la RTBF on ne fait pas toujours dans la dentelle, dès qu’il s’agit de BDW. Filmer la tombe du
père, baptisé Henri et surnommé « Rik » (la belle affaire), et la maison de la mère, située « en face » du local du Vlaamse Volksbeweging, ce sont quelques-uns des « éclairages » les moins réussis du journalisme d’investigation de Question à la une. Mais bon, eux aussi doivent avoir leurs passages à vide j’imagine.
T
oujours est-il que pour les medias francophones, BDW, jusqu’à preuve du contraire est présumé coupable. C’est un séparatiste, issu d’un milieu nationaliste flamand qui flirtait avec l’extrême droite, donc il est forcément suspect. Au moindre faux pas on lui tombe dessus à bras raccourcis. C’est ce qu’a fait Pierre Mertens, dans Le Soir, qui l’avait traité ni plus ni moins de « résolument négationniste » parce qu’il avait osé dire que les excuses de Patrick Janssens à la communauté juive d’Anvers étaient « gratuites ». Ce faisant il ne niait pourtant pas le fait que la police d’Anvers avait jadis collaboré à la rafle des Juifs d’Anvers. Là où il s’est
trompé, c’est qu’il n’y a vu qu’une manœuvre de l’actuel bourgmestre d’Anvers (son rival) tendant à s’attacher les bonnes grâces de la communauté juive « à moindres frais ». Il n’a pas compris que même 60 ans après les faits, les excuses des autorités belges ont toujours leur poids symbolique. Mais soit, notre « Slimste mens ter wereld » n’est pas toujours aussi malin qu’il s’en donne l’air.
J
ustement le quiz le plus malin au monde va démarrer bientôt. Avec 1,8 millions de spectateurs, même les francophones en ont entendu parler. L’année dernière Christophe Deborsu y avait participé (de façon honorable d’ailleurs). BDW en était sorti (presque) vainqueur il y a deux ans. Certains prétendent qu’il a gagné les élections grâce à sa participation au « Slimste mens ». Cette année le quiz consacrera le « Allerslimste mens ter wereld », le plus malin des plus malins au monde. BDW avait d’abord annoncé qu’il n’y participerait pas à cause des négociations en cours, puis s’est ravisé sous la pression et les sarcasmes de
certains journalistes. Tel Yves Desmet qui ironise dans De Morgen : «Cher Monsieur De Wever, Cher Bart, (...) « mè hiel Aààntwaarpe mor ni mé maa » (ce qui veut dire en anversois : « je ne suis pas dupe ») et il ajoute : « détrompez-moi, vous n’avez quand même pas peur de perdre » ? Évidemment devant de tels arguments, impossible encore de se défiler. C’est Bert Kruismans, le nouveau chouchou flamand des francophones, que je trouve très drôle ceci dit en passant, qui ne va pas être content. Il le racontait encore lors d’un « café serré » à Matin Première : « je trouverais complètement inacceptable que BDW joue le Jefke populaire dans une émission de divertissement alors que nous n’avons toujours pas de gouvernement » d’autant plus que lui aussi y participera et BDW est un adversaire redoutable. Et de lancer un appel solennel aux politiciens francophones, « faites trainer encore un peu les négociations (…) si ce n’est pas trop demander, invitez aussi Olivier Maingain autour de la table, jusqu’à ce que je sois qualifié pour la grande finale ». Il n’a pas été entendu. Allez Bert, on croise les doigts manneke et si tout va bien, Bart dira de toi : veni vidi vici. ■
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LE
DE LÉON LIEBMANN
Faut-il supprimer les cours d’assises?
J
’ai déjà, à plusieurs reprises, évoqué dans ces colonnes l’organisation et le fonctionnement de la justice belge. J’en ai, à ce propos, relevé et critiqué certains dysfonctionnements, les uns déjà anciens, les autres récents. Ayant vécu longtemps dans le sérail, j’ai, à de multiples occasions, constaté des comportements manifestement fautifs restés impunis et cela, dans la plupart des cas, en raison de la complaisance ou (et) de l’incompétence des hauts magistrats habilités à les faire connaître et à les sanctionner. Dans la présente chronique, je ne me propose pas de dénoncer des violations de la loi commises à l’insu du grand public. Je viserai des actes et des faits rapportés dans les médias et donc bien connus de mes lecteurs. C’est leur signification, leur portée et leur valeur juridique qui posent problème et nécessitent quelques éclaircissements. Deux arrêts retentissants rendus récemment par des cours d’assises – celle de Tongres et celle de Bruxelles – ont surabondamment défrayé la chronique dans la plupart des médias tant flamands que francophones : le procès fait à Els Clottemans, une institutrice limbourgeoise de 26 ans (elle en avait 21 lors des faits litigieux : le sabotage mortel du parachute de sa rivale amoureuse) et celui mené contre Léopold Storme, un étudiant bruxellois de 23 ans (19 au
moment des faits incriminés), tous deux accusés d’assassinat (c’est-à-dire d’un meurtre commis avec préméditation) avec cette circonstance aggravante imputée à Léopold Storme, soupçonné d’avoir commis un double parricide. Il était, en effet, poursuivi pour s’être rendu coupable de l’assassinat, outre de sa sœur, de son père et de sa mère ! Dans le premier de ces procès, l’inculpée, qui niait avoir été l’auteur d’un acte criminel (la mise à mort de sa rivale amoureuse), était accusée d’avoir agi par jalousie, la (future) victime apparaissant comme ayant été préférée par l’homme qu’elle-même aimait. Dans le second, ni le Ministère public ni les conseils des parties civiles n’avaient pu découvrir un quelconque mobile criminel dans le chef de l’accusé, dont de nombreux témoins avaient mis en évidence le grand amour qu’il vouait à ses parents et à sa sœur. Par contre, s’agissant de la preuve qu’Els Clottemans et Léopold Storme avaient tué les victimes, ce qu’ils ont toujours nié, les avocats de la défense plaidèrent l’absence de preuves matérielles d’homicides volontaires en en déduisant qu’à défaut d’une telle preuve, l’acquittement s’imposait au moins au bénéfice du doute. Les médias et surtout la presse écrite s’emparèrent de ces affaires en leur réservant, pour la plupart d’entre eux, un éclairage très superficiel et des
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commentaires simplificateurs. Paradoxalement, c’est l’affaire la plus grave (accusation de double parricide) qui suscita le système de défense le plus osé et le plus critiquable. Des chroniqueurs judicaires, friands de scoops exclusifs et de titres alléchants, soutinrent que l’arrêt qui avait retenu la culpabilité de Léopold Storme était entaché d’illégalité pour l’avoir condamné sans preuves matérielles des agissements criminels qui lui étaient imputés et sans avoir pu mettre en évidence un quelconque mobile ayant pu le pousser à tuer ses proches.
C
’était faire fi de ce qui ressortait de l’instruction du dossier et des débats devant la cour d’assises de Bruxelles : l’abondance des preuves matérielles, des mensonges délibérés et flagrants proférés par l’accusé pour tenter d’égarer la justice en niant des faits avérés. Je cite seulement son voyage aller-retour effectué de la côte belge à Bruxelles le jour du triple crime et ses coups de téléphone destinés (soi-disant) à ses parents et à sa sœur peu après son passage dans la maison des crimes, où, de son propre aveu, il avait vu de près les cadavres de ses proches (auprès desquels on avait trouvé des traces de son ADN). Je pourrais poursuivre l’énumération des faits imputés à ce dernier et qui prouvent
qu’il avait voulu cacher ses agissements d’avant et d’immédiatement après le triple assassinat et davantage encore les indices de sa participation à la « tuerie des Marolles » qui avait soulevé l’indignation et l’horreur dans l’opinion publique.
M
ais mon propos n’est pas là : ce que j’ai voulu montrer, c’est que la culpabilité peut être établie aussi bien par la mise en évidence de présomptions jugées suffisantes que par la découverte de preuves matérielles de l’accomplissement d’un homicide volontaire. Pour le saisir, il faut partir de la définition de la notion juridique de PRÉSOMPTION. Présumer, c’est, en droit, raisonner en partant de faits connus et avérés pour tenter de conclure à propos de faits inconnus ou insuffisamment établis. En matière pénale, cette preuve incombe à l’accusation (le Ministère public et les victimes qui se sont constituées parties civiles contre l’auteur présumé de l’infraction). La constitution de partie civile est un acte de procédure ayant pour effet, pour son ou ses auteur(s), le droit de prendre connaissance du dossier pénal et d’intervenir dans les débats de la juridiction concernée dans la mesure où les intervenants ont un intérêt légitime à défendre. Dans la plupart des cas, elle est intentée contre l’accusé. Mais dans le cas d’espèce, elle a été utilisée en sa faveur par ce qui reste de la famille endeuillée désireuse de témoigner sa sympathie et sa solidarité. Elle est dirigée « contre X », étant donné que ses auteurs admettent
ne pas connaître l’identité de l’assassin. Le doute éventuel et « raisonnable » en ce qui concerne la culpabilité de l’accusé doit lui bénéficier. Il arrive que les faits établis au cours de l’instruction du dossier constituent par euxmêmes des preuves suffisantes et parfois même accablantes. Mais les présomptions de l’existence, de la teneur et de la portée des preuves de culpabilité de l’accusé sont également fréquentes et peuvent évidemment être retenues et entraîner la conviction de ceux à qui il incombe de juger les personnes suspectées. Tel semble être bien le cas en l’espèce. Quant au MOBILE, criminel ou simplement délictueux, de celui qui est poursuivi en justice, il ne doit pas être établi pour justifier et entraîner une condamnation. Il y a des cas où il tombe sous le sens (exemple : un attentat perpétré contre un chef d’État si son auteur appartenait à un camp ou à un parti opposé à la victime). Il est, par contre, souvent invoqué par l’accusé ou ses défenseurs pour être retenu comme une circonstance atténuante (exemple : quand la victime de l’homicide est une personne particulièrement répugnante, voire elle-même un criminel). Il en ressort que la culpabilité de Léopold Storme peut être considérée comme établie au vu du grand nombre de présomptions que constituent ses agissements le jour du triple crime qui lui est reproché. Par contre, la condamnation d’Els Clottemans repose sur des bases beaucoup moins solides, la principale justification avancée par l’accusation étant qu’on ne voit pas quelle autre personne
pourrait être suspectée d’un pareil forfait (rendre inefficace le parachute dont devait se servir la victime). Ni preuves « directes », ni présomptions suffisantes ne peuvent, au vu du dossier et des débats judiciaires, être imputées à l’accusée avec un degré suffisant de certitude à l’appui sans que pour autant son innocence éclate au grand jour. Il semble bien que ce soit le talent oratoire du principal avocat des parties civiles qui a impressionné les membres du jury et entraîné leur « intime conviction ». En conclusion : ni l’un, ni l’autre arrêt ne justifie la thèse de ceux qui s’en prévalent pour soutenir que les cours d’assises doivent être supprimées parce que « désuètes » et « obsolètes ». On ne peut plus, selon eux, confier à des amateurs, voire même à des dilettantes, la tâche et la responsabilité de juger leurs semblables, surtout si l’enjeu du procès est aussi considérable. Certes, l’erreur est humaine et les jurés d’Assises ne sont que des hommes ou des femmes et comme tels capables du meilleur et du pire. On peut d’ailleurs en dire autant des magistrats professionnels, dont j’ai montré dans de précédentes chroniques que certains avaient commis en toute impunité des fautes et des entorses à la loi au moins aussi graves.
E
u égard à la crise institutionnelle et à l’absence d’un gouvernement « à part entière » à la tête de notre État, une telle réforme ne peut actuellement être menée à bien. C’est une raison supplémentaire pour la préparer sans retard et sans relâche. ■
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activités vendredi 3 décembre à 20h15 Présentation du recueil de photos Ground du photographe Bruno Stevens sur le conflit du Moyen-Orient avec
Jean-Marie Wynants, journaliste au Soir, pour le commentaire artistique
Pascal Fenaux, journaliste, pour le commentaire politique
« L’envie de partager mes émotions et mes sensations, de témoigner des gens et des tensions à travers la photographie a constamment orienté mon souhait de montrer « l’avant » et « l’après », de fuir le principe du « maintenant »... Je formule l’espoir, en toute modestie, que ces archives visuelles de tant de tragédies privées puissent éventuellement susciter compréhension et compassion chez les leaders politiques de tous horizons, sous la pression de leur opinion publique ». Bruno Stevens, photographe PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO
Samedi 4 décembre à 16h - Hanouka - Venez célébrer avec nous la fête des Lumières L’UPJB et l’UPJB-Jeunes invitent parents, enfants et grand-parents. Venez allumer les bougies, manger des latkes et chanter avec nous. Les enfants de l’UPJB-Jeunes sont attendus dès 14h30 pour un atelier-bricolage.
Report de la conférence-débat
L’antisémitisme à gauche avec
Michel Dreyfus, historien et directeur de recherche au CNRS
pour des raisons indépendantes de notre volonté et de celle du conférencier, la conférence de Michel Dreyfus prévue pour le 10 décembre est postposée à une date ultérieure, probablement en mars.
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vendredi 17 décembre à 20h15
POUM Provisoire - Organisation - Utopie - Musicale Une création de Lucy Grauman Voix, piano, acoustique de la terre Poum une chute, poum un son pour chanter. De Haïti au Rwanda, de l’Espagne à la Russie, de l’Irlande à l’Allemagne, de l’ailleurs à nous, des poèmes et des chants pour les pourchassés, les exploités, les poètes, les exilés, les emprisonnés, les rêveurs. Avec l’aide de l’atelier Graphoui (Christian Coppin) PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO
samedi 18 décembre à partir de 14h
Atelier et soirée « cuisine juive » Gehakte leyber, latkes, krupnik, keys kihen, borcht, kreplers, eppel kihen, gefilte fish, matzobra, ... Autant de mots magiques qui font saliver rien qu’à les entendre ou les lire, non ? ! Vu le plaisir rencontré aux ateliers précédents, on remet le couvert ! Cuisiniers confirmés et apprentis en herbe, rejoignez-nous. Convivialité et léchages de babines garantis !
Au programme :
Dès 14h : On prépare un gigantesque bouillon avec kreplech, kneidlech et lokshn faits maison. Strudel pour dessert. Vers 17h : pause cuisson Dès 19h : Repas-dégustation et plotkes (bavardages) avec tous ceux qui voudront rejoindre les cuistotsmaison et se délecter avec eux de ce qui aura été préparé, avec amour, l’après-midi. En prime, le soir : un court-métrage où vous apprendrez comment réussir à la perfection un quatre quart. Les commentaires éclairés et gratifiés de l’accent couleur locale de la cuisinière, juive polonaise, sont filmés avec tendresse par son petit-fils. Un pur bonheur ! Ne laissons pas s’engloutir dans l’oubli toutes ces recettes si douces au palais. Ces ateliers sont là pour laisser s’exprimer à travers goûts et arômes le quotidien de certaines des traditions juives les plus savoureuses. PAF : Atelier seul 5 EURO, Atelier + repas 7 EURO, Repas seul 10 EURO Réservation indispensable tant pour l’atelier que pour le repas du soir au 02/537.82.45
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activités vendredi 14 janvier à 20h15 Absence de la culture arabe dans la société israélienne. Ce mur de la séparation culturelle peut-il être fissuré ?
Conférence-débat avec
Yaël Lerer, fondatrice des éditions Al Andalus à Tel-Aviv
Ayant constaté l’absence presque totale de la littérature arabe dans les œuvres littéraires traduites en hébreu, dans une société où une bonne partie de la population est originaire des pays arabes, Yael Lerer a fondé en 2002 Al Andalus, une maison d’édition dédiée uniquement à la diffusion de la littérature arabe en hébreu. Cette initiative a été soutenue par d’éminents intellectuels arabes dont Mahmoud Darwich, Elias Khoury, Edward Saïd, Mohammed Berrada. « Dans la réalité raciste, où les murs de séparation ne font que s’élever un peu plus, le fait même de rendre la langue et la culture arabe présentes dans l’espace hébraïque constitue une forme de résistance ». Yael Lerer Yael Lerer est une militante active du camp de la paix et abordera aussi des questions d’actualité. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO
vendredi 21 janvier à 20h15 Points critiques rencontre ses lecteurs Table-ronde Trois ans après le lancement de la nouvelle formule de Points critiques, il est, pour le comité de rédaction du mensuel de l’UPJB, plus que temps que la voix de ses lecteurs se fasse entendre. Sont-ils satisfaits de leur mensuel ? Y trouvent-ils ce qu’ils y cherchent ? Qu’y cherchent-ils ? S’y retrouvent-ils ? Ont-ils des propositions à avancer ? Des critiques à faire ? C’est le pourquoi de cette table-ronde autour des membres du comité de rédaction et des contributeurs extérieurs. PAF: entrée gratuite
Alexandre Mandelbaum est décédé accidentellement le mercredi 10 novembre. À sa mère Pili, à son père Arié, à son frère Arieh, à ses proches, nous exprimons notre plus profonde sympathie.
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vie de l’upjb Trop vieux pour moniter, trop jeunes pour comité QUELQUES AMIS DU 61
M
ardi 7 septembre se tenait la réunion de rentrée de l’Entr’ACT au 61 rue de la Victoire. Les contours de cette assemblée devaient encore être définis, personne ne pouvait – ni ne voulait – fixer à l’avance ce qui allait y être discuté, débattu. Une seule chose était clair dans nos têtes : « Nous voulons laisser de la place à l’imprévisible et nous refusons d’imposer des limites à notre créativité ! ». Ici, place aux envies et aux idées de chacun, donc ! Nous sentons que c’est du chahut et de la confusion partagée qu’émergent les idées les plus riches, le meilleur de nous mêmes. C’est de ce désordre, de ce tumulte, de ce vacarme commun que notre nom est né. C’est désormais, pour le pire et pour le meilleur, au sein de l’Entr’ACT que nous serons réunis ! Plusieurs pistes ont émergé dans l’élaboration de notre dénomination. Tout d’abord, nous partageons, dans notre réflexion collective, le sentiment qu’un interstice existe entre deux moments « upjbiens », entre les « plus jeunes » et les « plus vieux ». Cet interstice s’avère être l’espace idéal pour laisser se constituer notre multitude. Rien n’est prévu pour que les « mi-
vieux » que nous sommes devenus puissent s’investir dans le mouvement progressiste de notre Maison. Outre se faire élire au Comité ou en Commission, ce qui implique un engagement personnel conséquent et difficilement conciliable avec les activités d’un étudiant ou d’un jeune travailleur, rien n’est offert au moniteur « retraité » pour continuer à interagir avec l’UPJB. Dès lors, les anciens animateurs deviennent ces quelques spectres qui hantent les locaux résonnants du 61, et pointent leur nez timidement aux quelques activités festives organisées. Contre cela, nous entendons ici créer un lieu, une
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temporalité, dans laquelle les anciens monos puissent se retrouver et continuer à influer sur l’organisation globale du mouvement. Nous investissons donc cet espace-temps intermédiaire : l’Entr’. L’entre-deux-âges, l’entre-deuxmoments où le temps devient élastique au point de ne plus être, où la vie entreprend de s’égarer à de vieilles retrouvailles, à de nouvelles rencontres, à des discussions déstructurées,... en somme à du partage ! Ce moment, nous l’occupons désormais. Car nous sommes animés également par le besoin de nous retrouver entrenous, anciens du mouvement de
jeunesse, autour de souvenirs et d’expériences partagés. Le plaisir de se voir, de se parler et de rire ensemble est à la base de l’idée fondatrice de ce nouveau groupe de fait. Car au moment de dire au revoir à nos belles années de mo-
a surgi de manière spontanée ce besoin de nous retrouver, de nous poser, dans ce temps entre-deuxactes justement. Celui de l’enfant derrière nous et celui de la vie active fin prête à être entamée. La Maison du 61, foyer des possibi-
nitorat et de laisser la place aux jeunes que nous avions vu grandir au sein de l’UPJB j’, nous avions, pour la plupart fini notre parcours scolaire obligatoire et étions sur le point de ou déjà appliqués à démarrer notre formation dans le supérieur. Nous avons donc pris des chemins différents et, de fil en aiguille, nous nous sommes malgré nous éloignés. Cependant, aujourd’hui, dans ce moment de flottement où l’excitation des études supérieures s’est un peu apaisée et où nous réalisons que nous avons encore beaucoup à exploiter dans nos ressources d’idéaux,
lités à nos yeux, n’est pas sans porter en elle-même ce symbole même de notre jeunesse passée. Se réapproprier cet espace, ce lieu, qui est (aussi) nôtre, nous semble être une étape incontournable dans son ré-investissement potentiel. Enfin, ce groupe a pour finalité, sans obligation de résultats, de profiter de cette position intermédiaire pour fournir aux « plus jeunes » l’expérience « monitorale » de plusieurs années passées à leur place. Nous désirons nous pencher sur ce que représente le mouvement de jeunesse et réflé-
chir à des activités à mener avec l’équipe monos, ou du moins en parallèle. Dans l’autre sens, nous sommes convaincus de cette particularité forte qui nous anime depuis notre tendre enfance et qui a contribué à construire notre identité au sein de l’UPJB et qui continue aujourd’hui et demain à définir nos valeurs communes. Cet espace intermédiaire que nous habitons nous pousse à plancher sur l’identité de l’UPJB sans cesse mouvante que le Comité s’attèle à redéfinir. C’est à nous (aussi) d’influer sur cette identité, de ne jamais la considérer comme figée mais en perpétuelle évolution, toujours en recherche de soi. Il nous semble qu’une vision (plus) jeune sur les grandes questions identitaires du mouvement doit pouvoir prendre place dans les moments présents et futurs. Cette particularité, c’est dans une certaine forme d’activisme militant « à notre sauce » que nous l’avons trouvée et « ACT » signifie à quel point nous désirons être acteurs des questions qui nous animent. Nous réunir pour discuter et expérimenter de nouvelles démarches politiques et/ou culturelles représentent autant de façons de répondre à ces besoins de redéfinitions. En conséquence, nous nous donnons rendez-vous une fois par mois (tous les premiers mardis du mois) dans les locaux du 61. La porte est ouverte à tous les « mivieux » que ces envies taraudent. Nous ne savons pas vers quoi nous allons, mais nous sommes certains d’y aller... ■
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UPJB Jeunes Pieds mouillés, coeur léger... NOÉMIE SCHONKER
L
e début d’année est agité, les examens arrivent à grands pas et les vacances de Carnaval ne sont prévues qu’à la fin de l’hiver… Or nous avons un nouveau groupe de petits à découvrir et une nouvelle équipe de monos à éprouver… Pour rassembler, unir le groupe, casser le rythme et former « famille », rien de tel qu’un camp, aussi court soit-il. C’est donc en dernière minute, que nous organisons un weekend dans les Fagnes. On espère qu’il y aura beaucoup d’enfants. On croise les doigts pour avoir du beau temps… Les Dieux ne sont pas avec nous mais n’auront pas raison de notre bonne humeur… Nous sommes septante à partir, juste assez pour s’approprier les lieux, y faire un foyer, un nid douillet pour quarante-huit heures…
En quelques mots, d’enfants… « C’était un super weekend, trop cool ! On a passé des supers moments. On a beaucoup aimé quand on jouait sauf parfois quand on se faisait mal et quand on n’arrivait pas à se mettre d’accord. On a dessiné, joué au kicker, colorié une chanson, fait un roman-photo, joué au pictionnary et on a beaucoup chanté. Les chansons et les histoires d’Abeille étaient super cool. On a bien mangé, les macaronis et le jambon étaient délicieux. On n’a pas bien dormi à cause de la lumière et du bruit mais finalement on était quand même en forme.
C’était notre premier camp et c’est sur, on reviendra à l’UPJB ! » Les Bienvenus
Hommage à Rosine Lewin 1920 - 2010 Journaliste et militante Les amis de Rosine Lewin vous convient à l’hommage qui lui sera rendu à la
Maison du Livre 28, rue de Rome à Saint-Gilles Samedi 11 décembre 2010 de 14h à 17h Films, témoignages, documents retraceront les différents aspects de sa personnalité et de ses combats Intermède musical et verre de l’amitié Inauguration de l’exposition qui restera accessible jusqu’à Noël Résistante, puis successivement rédactrice en chef du Drapeau Rouge et des Cahiers marxistes, Rosine Lewin représenta pour beaucoup une autorité intellectuelle et morale, dont ils sollicitaient volontiers l’opinion.
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« Des mots en rapport avec ce que l’on a eu et fait ce week-end : bois, chuuut !, papottes, dodo, hurlement, boue, jeux, cachettes, monos, blagues, pleurs, mal, branches, histoires, chambre, embêtement, conseil de groupe, courant, engueulade, lumière, dessin, mimes, Fanta, bonbons, partage, pluie, ronflements, mandarine sèche, Clara, Manjit, Mona, chants, bus, lampe de poche… Voilà, je me demande si vous avez aimé ? Salut. » Mélisande – Korczak « Week-end à Ovifat On s’est beaucoup amusé à jouer à balade interrompue dans la forêt d’Ovifat. Elsa, Mélisande, Clara et Zoé ont raconté une histoire (cool !). On a traversé une rivière (cool !). Les monos nous ont fait peur quand ils sont partis se cacher. » Yéliz – Korczak « Cool, mais court. Ce premier week-end était certes court mais cool parce qu’on a profité des Malas en tant que nouveaux monos. Le temps était dégueulasse mais à l’extérieur, c’était encore mieux qu’à l’intérieur. Nous avons accueilli de nouveaux Jospas et pris plaisir à observer les nouveaux petits Bienvenus ! Ce qui est bien, c’est que l’endroit est grand ; ce qui est plus embêtant, c’est qu’on le partage avec d’autres gens... Et des pensées pour Yvan, absent ! » T-M et Marie, sa mono Jospa, manquent de temps, elles ne peuvent vous en dire plus… ■
Carte de visite L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective. Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq groupes différents.
Bienvenus pour les enfants de 6 ans ou qui entrent en
Les 1ère primaire Moniteurs :
Alice : 0477/68.77.89
Axel : 0471/65.12.90 Josepha : 0479/19.15.15 Charline : 0474/30.27.3 Les pour les enfants de 7 à 8 ans Moniteurs : Shana : 0476/74.42.64 Sacha : 0477/83.96.89 Lucie : 0487/15.71.07 Milena : 0478/11.07.61 Les pour les enfants de 9 à 10 ans Moniteurs : Mona : 0474/42.37.72 Manjit : 0485/04.00.58 Fanny : 0474/63.76.73 Clara : 0479/60.50.27 Les pour les enfants de 11 à12 ans Moniteurs : Lenny : 0474/94.88.15 Valentine : 0494/59.43.09 Sarah : 0471/71.97.16 Totti : 0474/64.32.74 Les pour les enfants de 13 à 14 ans Moniteurs : Yvan : 0474/35.96.77 Marie : 0472/67.11.09 Noé : 0472/69.36.10 Maroussia : 0496/38.12.03
Marek
Janus Korczak
Émile Zola
Yvonne Jospa
Informations et inscriptions : Noémie Schonker - noschon@yahoo.fr - 0485/37.85.24
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agenda UPJB Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)
vendredi 3 décembre à 20h15
Présentation du recueil recu de photos Ground du photographe Bruno Stevens sur le conflit du Moyen-Orient. Avec Jean-Marie Wynants journaliste au Soir et Pascal Fenaux, journaliste (voir page 36)
samedi 4 décembre à 16h
Fête de Hanouka. L’UPJB et l’UPJB-Jeunes invitent parents, enfants et grand-parents. Atelier-bricolage Ate lier-bricolage dès 14h30 pour les enfants (voir page 36)
vendredi 10 décembre à 20h15
La conférence-débat avec Michel Dreyfus, historien et directeur de recherche au CNRS « L’antisémitisme à gauche gauc » est annulée et reportée à une date ultérieure (voir page 36)
vendredi 17 décembre à 20h15
POUM. Provisoire ovisoire - Organisation - Utopie - Provisoire. Une création c de Lucy Grauman. Voix, piano, acoustique de la terre (voir page 37)
samedi 18 décembre à partir de 14h
Atelier et soirée « cuisine juive ». Repas-dégustation vers 19h (voir page 37)
vendredi 14 janvier à 20h15
Absence de la culture arabe dans la société israélienne. Ce mur de la séparation culturelle peut-il être fissuré ? Conférence-débat avec Yaël Lerer, fondatrice des éditions Al Andalus à Tel-Aviv (voir page 38)
vendredi 21 janvier à 2Oh15
Table-ronde. Points critiques rencontre ses lecteurs (voir page 38)
vendredi 28 janvier dès 19h
Grand Bal Yiddish de l’UPJB avec le Yiddish Tanz Rivaïvele. Maison Haute de Boitsfort (voir page 39)
Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles
club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)
jeudi 2 décembre
LL’actualité en Israël commentée par Henri Wajnblum
jeudi 9 décembre
Visite de l’exposition David Seymour (Chim) au Musée Juif. Rendez-vous à 14h45 devant le Musée. Micha Eisenstorg fera l’introduction à la visite.
jeudi 16 décembre
« Comment j’ai rempli le devoir de mémoire qui incombe aux rescapés de la Shoah » par Léa Grunbaum
jeudi 23 décembre
Goûter et film Bagdad café
jeudi Relâche 30 décembre
et aussi
samedi 11 décembre de 14 à 17h
Hommage à Rosine Lewin. Maison du Livre 28, rue de Rome à Saint-Gilles (voir page 42) Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be