n°313 - Points Critiques - février 2011

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mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique février 2011 • numéro 313

monde Hiver brûlant en Tunisie

Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - mensuel (sauf juillet et août)

JEAN VOGEL

B

en Ali est tombé pour avoir méconnu la maxime de Napoléon « On peut tout faire avec des baïonnettes, excepté s’asseoir dessus. » À dire vrai, il devait l’ignorer, puisqu’en vingttrois ans de pouvoir il n’a pas cessé de s’asseoir sur son pays et son peuple de sorte qu’ils ne puissent ni bouger, ni parler, ni même à peine respirer. Bourguiba, autocrate charismatique, avait, comme tous ses semblables une fois la vieillesse venue, fait le vide autour de lui. Ben Ali, loyal exécuteur des opérations de haute et basse police, confronté aux effets d’une sénilité de plus en plus fantasque (« la vieillesse est un naufrage » lui rappela opportunément son collègue et ami Charles Pasqua), fit procéder aux constats médicaux adéquats et le dupa

une dernière fois. Désormais, Ben Ali allait se servir lui-même et le peuple tunisien se retrouva avec un Policier Suprême en guise de Leader. Ce régime policier dura près d’un quart de siècle avec l’immobilisme pour impératif suprême. Le monde changeait, l’économie se « développait », les touristes affluaient, les jeunes s’instruisaient, les inégalités sociales et régionales s’amplifiaient et seul restait immuable l’acharnement du pouvoir à faire de l’espace public un désert, à force de contrôles, de harcèlements, de persécutions, où le mesquin se conjuguait à l’odieux. Commentant début janvier le soulèvement populaire, Frédéric Mitterrand réitérait encore le mantra constant de toute la classe politique française, droite et gauche indistinctes : « Dire que la Tuni-

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

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sommaire

monde

1 Hiver brûlant en Tunisie ....................................................................Jean Vogel

israël-palestine

4 Des nouvelles du front ............................................................. Henri Wajnblum

lire

6 Fragments de vie ..............................................................Tessa Parzenczewski 7 Musique en enfer ..............................................................Tessa Parzenczewski

regarder

8 Dame Rebecca sort enfin de sa réserve ..................................... Jacques Aron 9 Gand revisite son passé de guerre .............................................. Jacques Aron

lire, regarder, écouter

10 Notules de janvier ...................................................................... Gérard Preszow

diasporas

12 Józef Hen. Un doyen de la littérature polonaise ................ Roland Baumann

yiddish ? yiddish !

! widYi ? widYi

14 mir lebn eybik - nous vivrons éternellement. ........................Willy Estersohn

réfléchir

16 Un rabbin recruteur ...................................................................... Jacques Aron

à propos d’un dossier

18 De l’expression libre et critique ................. Youri Vertongen et Elias Preszow 20 De la liberté d’expression et de ses usages.......................Michel Staszewski 23 Réponse du Conseil d’administration de l’UPJB à L’Entr’Act........................... 24 24

activités courrier ............................................................................... Dominique Vidal upjb jeunes

28 Plaisirs d’hiver ......................................................................... Noémie Schonker

écouter

30 Les épaules de papy ..................................................................................... Noé 32

les agendas

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monde ➜ sie est une dictature univoque, comme on le fait si souvent, me semble tout à fait exagéré ». Pris au pied de la lettre, il disait vrai, puisque la Tunisie représentait un exemple de despotisme équivoque combinant les traits classiques du genre (État superpolicier, avec le plus haut taux de flics par habitants au monde, hyper-corruption du clan Trabelsi) à un gigantesque décor de démocratie et de laïcité en carton-pâte, qui n’abusait à peu près personne mais a servi comme alibi usé jusqu’à la corde aux très nombreux « amis » de Ben Ali dans le monde. Cette dimension internationale est décisive, car la Tunisie n’est pas la Birmanie, ni sa dictature un isolat monstrueux poussé en serre subtropicale. Juché sur un pays à l’économie ouverte et traditionnellement cosmopolite (pendant plusieurs siècles, Tunis a été le « Shanghai de la Méditerranée »), Ben Ali doit sa longévité aux relais, protections et appuis de toutes les puissances et, tout particulièrement, de Paris, Washington, Rome et Berlin. Il offrait en retour, d’abord l’ordre, la stabilité, le statu quo, ensuite une garantie (presque un « modèle » !) de « laïcité d’État » dans le monde arabe. A lui seul, cet élément a permis d’en faire un « rempart contre l’islamisme » et rendu ses innombrables amis aveugles, sourds et muets devant les atteintes aux droits de l’homme ou les pratiques mafieuses qui, ailleurs, les mettent parfois un peu mal à l’aise. En réalité, même de ce point de vue limité, ce prétendu rempart était devenu un anachronisme dès la moitié des années 90, après la victoire de l’armée dans la guerre civile en Algérie et l’éra-


dication des djihadistes par le régime Moubarak en Égypte. Le spectre islamiste devenu inexistant fonctionnait comme alibi et le principal élément susceptible de lui insuffler vie n’était autre que les vexations antireligieuses absurdes ou mesquines dont la jeunesse était régulièrement l’objet. Hors d’état de se réformer sérieusement ou même de se libéraliser quelque peu, bénéficiant d’un blanc-seing à perpétuité de ses amis occidentaux, le régime Ben Ali a concentré contre lui les aspirations à la liberté mais aussi la révolte contre le chômage, la pauvreté, les inégalités sociales et régionales de plus en plus virulentes, alors même que l’économie tunisienne n’a pas quitté la voie de la croissance. Les manifestations de Sidi Bouzid à la mi-décembre marquent le début d’une révolution. Personne ne l’a vue venir, parce que personne ne voulait la voir venir, mais, au moment où nous écrivons (48 heures après la fuite de Ben Ali), son évidence s’impose désormais. Une fois de plus, la puissance d’un peuple décidé à ne plus supporter l’insupportable a fissuré, fragmenté et même commencé à pulvériser un système d’oppression qui paraissait inébranlable. Cette révolution est le fruit d’un mouvement populaire spontané, au sens où aucune organisation politique ou syndicale ne l’a préparée, organisée ou encadrée. Le syndicat UGTT était trop contrôlé par la dictature, l’opposition légale (PDP, FDTL et Ettajdid) trop timorée et l’opposition clandestine trop faible pour jouer un rôle déterminant. Mais cette spontanéité n’est pas synonyme d’un vide politique et idéologique. En Tunisie, comme ailleurs au Maghreb ou dans le monde arabe, des révoltes spontanées se sont produi-

tes à maintes reprises qui ont pu à chaque fois être réprimées, récupérées ou déviées. Cette fois, les choses semblent différentes, les manifestants scandaient « Liberté, travail, dignité », des mots d’ordre de la gauche. Les diplômés chômeurs, ces acteurs décisifs du mouvement populaire, sont des démocrates et des progressistes. Les islamistes n’ont joué aucun rôle. La révolution tunisienne semble se déployer selon les règles classiques. Exigences politiques et revendications socioéconomiques s’appellent, se complètent et se renforcent. La protestation contre le chômage et la misère a engendré le mouvement populaire pour la conquête des droits et des libertés politiques. Il s’est concentré sur le renvoi du dictateur et la mise hors d’état de nuire des instruments de répression les plus directs et les plus odieux. En dépit de dizaines de morts laissés sur le pavé et de l’appui inentamé de ses soutiens internationaux (à l’exception d’Obama), Ben Ali a dû chercher refuge – lui, le « rempart contre l’islamisme » ! – en Arabie Saoudite. Cet objectif atteint, la révolution tunisienne doit affronter la tentative de maintenir intactes les structures du système, au nom de la continuité de l’État et de la défense contre le chaos. Les grands commis de Ben Ali, les élites bureaucratiques et technocratiques, avec bien entendu le soutien et la participation des « amis » étrangers, multiplient les hymnes au « peuple tunisien épris de liberté » tout en pérennisant l’état de siège. Le rétablissement de la normalité et la préparation d’élections libres incombent à un gouvernement un peu élargi par la cooptation de quelques opposants légaux. De France, des États-Unis ou d’Allemagne vont accourir re-

présentants d’ONG et de fondations, experts en démocratie munis des « power points » ad hoc et surtout de mallettes de billets de banque – bref, tout ce qu’il faut pour aider ces pauvres Tunisiens à rattraper leur retard et acquérir le know-how démocratique indispensable. Mais gageons que le peuple tunisien ne se contentera pas de voir les murs débarrassés des portraits de Ben Ali et une douzaine de grands mafieux placés sous les verrous. L’application immédiate, dans les faits, de toutes les libertés et l’auto-organisation populaire locale représentent la véritable alternative à l’état de siège comme au chaos. Depuis son indépendance en mars 1956, la Tunisie n’a jamais été une démocratie pleine et entière. Seule l’élection d’une Assemblée constituante souveraine peut lui donner naissance. Quelles que soient les vicissitudes qu’elle traversera dans les temps à venir, la révolution tunisienne revêt une importance internationale inestimable. A l’exception de la révolution irakienne de juillet 1958 qui abolit la monarchie hachémite, c’est la première fois qu’un soulèvement populaire impose la chute d’un dominant dans un pays arabe. Lorsque George W. Bush avait lancé un vaste battage autour de la nécessité de répandre la démocratie dans le « Grand MoyenOrient », il s’agissait d’une feuille de vigne transparente impuissante à dissimuler l’exacerbation des appétits impérialistes illustrée par l’occupation de l’Irak en 2003. Les événements de Tunisie signalent au monde que le mot « démocratie » peut être autre chose qu’une enjolivure verbale du discours dominant et peut vraiment traduire l’aspiration, la volonté, le fruit de l’action d’un peuple en révolte. ■

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israël-palestine Des nouvelles du front de la colonisation, de la contestation et de la répression HENRI WAJNBLUM

L

’année 2011 a démarré sur les chapeaux de roues sur le front de la colonisation à Jérusalem-Est et dans ses environs immédiats. Après la démolition de l’ancien hôtel Shepherd, c’est un plan de construction de 1400 logements dans la colonie de Gilo qui a été approuvé.

L’HÔTEL SHEPHERD La démolition de l’ancien hôtel Shepherd, situé à Sheikh Jarrah, un quartier arabe de JérusalemEst, touche un bâtiment chargé d’histoire aux yeux des Palestiniens. Il a en effet appartenu à la famille de l’ancien Grand mufti de Jérusalem Amine al Husseini et a servi de résidence à cette figure de proue de la Grande Révolte palestinienne de 1936 à 1939 contre les Britanniques et le Yishuv, jusqu’à sa compromission durant la Seconde Guerre mondiale avec les nazis. L’hôtel confisqué par les Britanniques après 1945, jusqu’à la fin de leur mandat en Palestine en 1948, a été saisi en 1967 par l’État d’Israël et revendu en 1985 à l’homme d’affaires américain Irving Moskowitz, qui finance nombre d’opérations immobilières des colons à Jérusalem-Est. Ainsi que le souligne La Paix maintenant-France, « si les quartiers arabes de Jérusalem-Est sont le théâtre de nombreuses initiatives des colons, celles-ci se sont limitées jusqu’à maintenant à des occupations de bâtiments ou à des actions en justice pour faire

Démolition de l’hôtel Shepherd

expulser leurs occupants suite à l’acquisition des maisons par les sociétés de colonisation. Il n’y a aucun précédent de destruction partielle, suivie de construction de logements ». On assiste donc à une nouvelle escalade dans la judaïsation de Jérusalem-Est. Face aux critiques émanant de l’Autorité palestinienne, mais aussi de l’Administration américaine et de l’Union européenne, le bureau du premier ministre israélien Binyamin Netanyahu s’est fendu d’un communiqué indiquant que la démolition était « le fait de personnes privées agissant dans le cadre de la loi israélienne » et que « le gouvernement n’était pas impliqué ». Deux affirmations qui ne tiennent absolument pas la route… « Dans le cadre de la loi israélienne » ? Le problème, c’est que la loi israélienne est contraire au droit international qui ne reconnaît pas l’annexion de Jérusalem-Est ainsi que l’a encore réaffirmé Cathe-

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rine Ashton, chef de la diplomatie européenne : « Je rappelle que les colonies sont illégales au regard du droit international et que Jérusalem-Est fait partie des territoires palestiniens occupés ». « Le gouvernement n’est pas impliqué » ? Difficile à croire quand on entend les déclarations de Elisha Peleg, président du groupe Likoud à la municipalité de Jérusalem qui se félicite du démarrage des travaux qui vont « renforcer l’emprise juive sur Jérusalem-Est », et qui appelle dans la même foulée à « la création de nombreux nouveaux quartiers juifs à JérusalemEst pour rendre impossible le partage de la ville et maintenir son unité ». Voilà qui est dépourvu de la moindre ambiguïté et donne raison à Saëb Erekat, le négociateur en chef palestinien, « L’État d’Israël démolit les propriétés palestiniennes les unes après les autres afin de nettoyer Jérusalem de son histoire, de son patrimoine


et de ses habitants palestiniens ». Face à cette situation, une résolution palestinienne condamnant la colonisation israélienne pourrait prochainement être mise au vote au Conseil de sécurité de l’ONU. Mais même si elle était adoptée, on ne risque pas de se tromper en affirmant qu’elle n’aura pas plus d’effet sur l’intransigeance israélienne que les innombrables résolutions précédentes.

1400 NOUVEAUX LOGEMENTS À GILO Un nouveau projet de construction de 1400 logements est en cours d’autorisation à Gilo, une colonie de 32.000 habitants située au sud-ouest de Jérusalem et construite sur les terres de la localité palestinienne voisine de Beit Jalla. Des conseillers municipaux de Jérusalem ont confirmé le projet à la radio, ceux de gauche pour le dénoncer : « Il ne fait aucun doute qu’un feu vert à ces constructions portera un coup de grâce au processus de paix avec les Palestiniens », et ceux de droite pour s’en féliciter : « Gilo est partie intégrante de Jérusalem. Il ne peut y avoir aucun débat en Israël sur la construction dans ce quartier ». Les travaux confiés à des entrepreneurs privés pourraient prendre près de quatre ans, vu les difficultés de construction sur un terrain fortement en pente, aux abords de Bethléem, en Cisjordanie occupée. En mars dernier déjà, le gouvernement israélien avait approuvé la construction de 1600 logements à Ramat Shlomo, un quartier juif orthodoxe érigé dans le secteur de Jérusalem-Est et avait fortement indisposé les États-Unis, d’autant que l’annonce avait été faite en pleine visite du vice-président américain Joe Biden en Israël. Mais, comme on sait, Israël n’a que faire des remontrances des

Abdallah Abu Rahma, un dangereux « terroriste » à mains nues

États-Unis dont il sait que l’amitié indéfectible lui reste acquise. Il peut dès lors se contenter de faire le gros dos, attendre que l’orage passe, et continuer de mettre l’ensemble de la Communauté internationale devant le fait accompli en rendant impossible la solution à deux États. Impossible à un point tel que j’en arrive à me demander si le moment ne serait pas venu pour que l’UPJB remette en débat son engagement en faveur de cette solution qui semble de plus en plus vidée de son sens.

RÉPRESSION DE LA NON-VIOLENCE Il a, à diverses reprises, été question du village de Bil’in dans nos colonnes… Bil’in dont une grande partie des terres a été confisquée pour permettre la construction et l’extension de la colonie de Modi’in Ilit, Bil’in qui a entamé, en février 2005, une action de résistance non violente à la construction du mur en organisant chaque vendredi, après l’office, une marche citoyenne, accompagnée d’internationaux et d’Israéliens, vers la clôture de séparation, Bil’in qui paie un lourd tribut à cette résistance et dont le

coordinateur du comité populaire, Abdallah Abu Rahma a été arrêté le 10 décembre 2009, et condamné par un tribunal militaire à 12 mois de prison pour « organisation d’une manifestation illégale », pour « participation » à cette manifestation et pour « incitation à la violence ». Ainsi que je le disais dans notre numéro daté de février 2010, « contre les kamikazes (mais il y en a fort peu ces derniers temps), Israël sait comment agir (représailles contre les populations civiles), mais contre la résistance populaire, populaire dans les deux sens du terme, le voilà désarmé si on peut dire. Elle est donc devenue l’ennemi public numéro un ». Et de fait, ainsi que l’écrivait Abdallah Abu Rahma dans une lettre à ses amis datée du 1er janvier 2010, « Contrairement à Israël, nous n’avons pas d’armes nucléaires ou d’armée et nous n’en avons pas besoin. Notre cause est juste et gagne votre soutien. Aucune armée, aucune prison et aucun mur ne peut nous arrêter ». C’est ce dangereux « terroriste » à mains nues que la cour d’appel militaire israélienne vient de condamner à trois mois de prison supplémentaires. ■

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lire Fragments de vie TESSA PARZENCZEWSKI

I

ls n’ont le plus souvent pas de nom. Un homme, une femme. Tels sont les protagonistes anonymes des textes brefs de Marcel Cohen. Détails infimes observés dans la rue, anecdotes, lectures, impressions fugitives, donnent naissance à des récits concis, conden-

Librairie Litote en tête, Paris 2007

sés, comptes-rendus minutieux d’une réalité fugace et d’une mémoire en éveil. Description précise de la montre laissée chez lui par Paul Celan la nuit du 19 au 20 avril 1970, avant d’aller se jeter dans la Seine du pont Mirabeau. Une montre offerte par ses parents pour sa bar-mitzva en 1933. Une femme hèle un taxi et le geste éveille chez l’homme un flot de souvenirs. Un écrivain, fasciné par une goutte de rosée, explore son jardin comme au temps de son enfance, à la rencontre

des insectes qui le peuplent. Un homme quitte son travail plus tôt que d’habitude, et dans cet espace imprévu de vacuité, convoque et ausculte un passé où ses proches semblent écrire une autre histoire. Un mélomane se perd dans les multiples interprétations d’un concerto de Mozart. Introspections, dérives, réflexions, mais aussi les faits tels quels, détails immenses de la grande Histoire. A Terezin, quelques femmes âgées écrivent des recettes de cuisine dans un carnet, à Salonique, un étudiant américain revient sur la terre de ses ancêtres : l’université est construite avec les pierres tombales du cimetière juif. A Varsovie, dans le ghetto, un prestidigitateur fait surgir une colombe de son chapeau. Un kaléidoscope d’images, d’évocations, qui multiplie les angles de vue. Une écriture pudique et précise, qui déclenche émotion et réflexion. Rien n’est gratuit dans les textes de Marcel Cohen. Il nous mène sur des routes imprévues, ouvre des fenêtres par des simples constats. Sans rien de rébarbatif, au contraire, dans la lignée de Georges Perec mais aussi de Nathalie Sarraute, dans son exploration du non dit, Marcel Cohen nous offre une œuvre riche et subtile, à savourer, sans hâte. Né en 1937 à Asnières, Marcel Cohen a vu de loin ses parents emmenés en 1943. Il restera ca-

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ché jusqu’à la Libération. Faits, III Suite et fin est le dernier recueil d’une série intitulée Faits. Marcel Cohen est également l’auteur d’autres textes brefs, notamment Le grand paon-de-nuit et Assassinat d’un garde ainsi que d’un texte en judéo-espagnol sur le peintre Antonio Saura. ■

Marcel Cohen Faits, III Suite et fin Gallimard 180 p., 17,90 EURO


Musique en enfer TESSA PARZENCZEWSKI

C

omme beaucoup d’enfants de déportés, Jean-Jacques Felstein se heurtera au silence de sa mère. Longtemps, il a tout ignoré de son passé et ce n’est que bien après sa mort prématurée à l’âge de quarante ans, que petit à petit, il découvrira son secret. D’une enfance déchirée entre parents séparés, en proie à des cauchemars récurrents, il garde comme un malai-

se inexplicable où le visage de sa mère, son comportement, lui paraissent opaques et indéchiffrables. Adulte, il entreprendra des recherches et reconstituera l’itinéraire d’Elsa Miller. Arrêtée en 1943 en Belgique, à l’âge de vingt ans, Elsa partira de Malines avec le XXe convoi. Violoniste, elle sera intégrée à l’orchestre des femmes d’Auschwitz, ce qui lui sauvera la vie. À partir de ces données, Jean-Jacques Felstein partira à la rencontre des musiciennes survivantes pour retrouver, au fil de leurs récits, le vrai visage d’Elsa. Avec Hélène, Violette, Anita, Yvette, Hilde et quelques autres, nous le suivons en Belgique, en Allemagne, en Israël, en Pologne, aux ÉtatsUnis… Dans un va-etvient entre les dates rassurantes des années 90 et les noires années 40, nous plongeons avec lui dans l’enfer de Birkenau, où Alma Rosé, la nièce de Gustave Mahler, dirige l’orchestre avec un perfectionnisme obstiné, s’immergeant dans la musique comme pour nier ce qui l’entoure. Par-delà la quête individuelle

de l’auteur, qui sans relâche décrypte les récits des musiciennes survivantes et tente de s’arrimer à quelques certitudes, c’est tout l’univers concentrationnaire qui nous happe. On a beau savoir, avoir lu et entendu, des livres et des films ont évoqué l’orchestre d’Auschwitz, à chaque fois un nouvel aspect nous laisse sans voix. Ainsi, logé dans un block à cent mètres des fours crématoires, l’orchestre tenait à la disposition des gradés SS les titres de son répertoire où Mengele et les autres venaient choisir les morceaux qu’ils désiraient entendre pour se délasser… entre « sélections » et meurtres. Parfois culture et barbarie font bon ménage ! Le récit de Jean-Jacques Felstein s’ajoute à d’innombrables témoignages mais aucun n’est superflu. Chaque itinéraire est irremplaçable, chaque trace infiniment précieuse. ■

Jean-Jacques Felstein Dans l’orchestre d’Auschwitz. Le secret de ma mère Éditions Imago 206 p., 20 EURO

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regarder Dame Rebecca sort enfin de sa réserve JACQUES ARON

I

l y avait longtemps que l’on ne l’avait vue. Il aura fallu que le Musée du Cinquantenaire de Bruxelles sorte cette pièce de ses réserves pour que nous puissions enfin l’admirer à l’occasion de cette superbe exposition : Entre le paradis et l’Enfer, mourir au Moyen Âge1. Certes, cette pierre tombale de « Dame Rebecca, fille de R. Moïse… Que son repos soit dans le jardin d’Eden »2 n’est pas l’objet le plus spectaculaire ou le plus

beau de ce parcours impressionnant dans notre passé. Mais cette sépulture de 1255 est un rare témoin de la présence précoce des Juifs dans le Brabant, le Hainaut ou le Luxembourg. Leurs cimetières seront en effet souvent profanés. L’exposition mentionne brièvement l’anti-judaïsme catholique et les persécutions dont ils furent l’objet. Le Musée de Mariemont accrochait il y a peu dans le cadre de sa présentation Mémoires d’Orient deux panneaux illus-

trant la persistance pendant 600 ans du récit devenu légendaire de la mise à mort en 1326 d’un Juif accusé d’avoir, en la transperçant, fait jaillir le sang d’une statue de la Vierge. Ce Juif pourtant converti sous le parrainage du comte de Hainaut Guillaume le Bon, « entre deux chiens fut pendu ». L’un des panneaux montrait en effet cette image infamante d’une passion du Christ inversée. * L’exposition du Cinquantenaire, dans une mise en scène impeccable (malgré quelques difficultés de lecture des cartels), démontre la richesse de collections souvent peu accessibles et témoigne de la vitalité de nos musées fédéraux, pour peu qu’on leur donne les moyens et l’occasion de s’exprimer. Ne boudez pas votre plaisir ! Plutôt que de les laisser dans des réserves, certaines œuvres pourraient être demain mises en dépôt dans un Musée Juif de Belgique rénové. On peut rêver. ■ Jusqu’au 24 avril 2011, mardi-dimanche, de 10h à 17h ; www.mrah.be 2 Philippe Pierret, Ces pierres qui nous parlent…Mémoires juives et patrimoine bruxellois. Le cimetière du Dieweg au XIXe siècle, Didier Devillez Éditeur, 1999. 1

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Gand revisite son passé de guerre JACQUES ARON

L

’exposition Passé coloré, familles en guerre1 est un événement qui nous aide à mieux comprendre la complexité de la mémoire flamande de la Seconde Guerre mondiale, même si son parcours s’organise autour de dix témoignages de Gantois, hommes et femmes, dont les attitudes contrastées ne peuvent que servir d’amorce à cette réflexion. Si certains subissent la guerre, qu’ils s’efforcent de traverser sans dommage, d’autres s’engagent jusque dans la résistance ou la collaboration. Une place y est faite au sort des Juifs, notamment à travers la famille Bloch, véritable institution locale, dont la célèbre boulangerie a récemment disparu du paysage urbain. L’exposition s’articule en deux parties : la première plonge le visiteur dans le récit du témoin relayé – au choix, en néerlandais, français ou anglais – par l’audiophone et illustré de documents décrits dans une petite brochure ; il s’agit avant tout de recréer un climat propice à la réflexion que des historiens éclairent dans la seconde partie, à travers une succession d’interviews projetées sur une quinzaine d’écrans. Le travail préparatoire de l’Institut d’Histoire publique et du CEGES (Centre d’Études et de Documentation Guerre et Société contemporaines) prend alors tout son sens : une meilleure connaissance du passé et une évaluation critique capa-

Bruno De Wever, historien, commente le parcours du blond aryen aux yeux bleus, devenu SS par idéal nationaliste et chrétien

bles d’infirmer « quelques mythes qui sont nés autour de la Seconde Guerre mondiale ». Le visiteur est invité à donner son commentaire en fin de visite. À titre d’exemple, le jeune Oswald Van Ooteghem, fils d’un dirigeant du VNV, l’Alliance nationale flamande, s’engage à dixsept ans à peine, à l’appel de Staf De Clercq, dans la Légion flamande créée à la mi-1941 au sein de la Waffen-SS. Ses 500 volontaires défilent fièrement dans les rues de Bruxelles avant d’être envoyés sur le front russe. Le président du comité du pèlerinage de l’Yser est le parrain du jeune « idéaliste » de la cause catholique et flamande qui part combattre le bolchevisme athée. Blessé à trois reprises, il revient en permission à Gand, dont le bourgmestre devient en octobre 1942 le leader du

VNV après le décès de De Clercq. Oswald Van Ooteghem retourne au front comme officier du Vlaamse Jeugdbataillon. Après la guerre, passible de la peine de mort, il ne fera qu’un an de prison ; l’occasion pour l’historien Bruno De Wever de dénoncer la croyance largement répandue selon laquelle la répression de l’incivisme aurait été particulièrement sévère pour les collaborateurs flamands. ■

Centre d’Art Abbaye Saint-Pierre, SintPietersplein 9, 9000 Gent, jusqu’au 25 avril 2011, mardi à dimanche de 10h00 à 18h00. Site : www.gent.be/spa

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lire, regarder, écouter Notules de janvier GÉRARD PRESZOW

C

’était le 9 juin 2010. Zoltan, le sage ferenczien, me dit « allons au cimetière saluer Samy1, c’est son anniversaire ». J’en fais l’aveu, je n’ai pas osé lui dire, mais je n’aime pas trop aller en voiture avec Zoltan… Je lui dis « OK », sa proposition est plus forte que ma crainte. Il accélère, il freine, accélère, freine, je ronge mon frein, je mords sur ma chique. Il prend un chemin qui ne me paraît pas le bon mais peut-être a-t-il ses habitudes… Je ne sais plus où on est. Je me rends compte qu’on arrive au cimetière d’Etterbeek, qui est à Wezembeek. « Zoltan, tu es certain que c’est ici ? Il n’est pas enterré à Kraainem ? » « Oui, tu as raison » « Bon, le cimetière de Kraainem, je connais, depuis toujours c’est un peu comme ma ré-

sidence secondaire, mais pour y aller d’ici… ? ». Après un salut méditatif à l’ami Samy, je présente ma famille à Zoltan. Incroyable, je découvre pour l’occasion que le père de Samy est enterré à côté du mien. Sur le chemin du retour, Zoltan, fort amaigri, se met à me raconter son propre enterrement. « D’abord, je veux une cérémonie dans l’église du quartier, à SaintAntoine, mais sans prières. Justement, cet après-midi, j’ai rendezvous à la maison avec le curé de la paroisse pour en discuter. Ensuite, réception publique suivie d’une cérémonie privée à la maison. Plus tard, quand ça leur conviendra, je souhaite que, du pont des Chaînes, mes proches dispersent mes cendres dans le Danube à Budapest ». À cette évocation frontale de sa mort proche, je m’en

Samy Szyke et Zoltan Veress. Pessakh 2007. Photo gépé

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sors par une pirouette. « Zoltan, ça m’a l’air tellement bien qu’il faut que tu sois là… ». Le jour dit, et arrêté par lui, le cérémonial s’avère meilleur encore que le scénario. Précédé du corbillard, la famille et des amis proches parcourent dans la neige les quelques dizaines de mètres qui séparent la maison du parvis. La ville se tait. L’église est pleine. On croise des visages de la psychanalyse membres de toutes chapelles. Derrière le cercueil, plus que le Christ en croix, c’est un portrait peint par sa fille Tatiana qui focalise les regards. Alternent témoignages et chants traditionnels hongrois, accompagnés par le violon d’un musicien tzigane. Une amie fait entendre le kaddish de Ravel. Le curé l’avait dit : « une cérémonie dans le respect des convictions de chacun... ». Disons plus prosaïquement « un accord win-win... ». La cérémonie s’achève par une collation dans une salle, la bien nommée « le bouche-à-oreille ». Quelques jours plus tard – il est grand le mystère d’Internet –, je reçois un mail qui affiche comme expéditeur « Zoltan » ; je comprends que c’est Anne, son épouse, qui m’envoie copie d’un mot du curé qui avait reçu le précédent numéro de Points Critiques dans lequel je rendais un bref hommage à Zoltan ; je le retranscris avec son imprimatur : Un tout grand merci : je suis très touché de recevoir cette copie d’une revue à laquelle j’ai été abonné pendant des années,


étant sympathisant de l’U.P.J.B. lorsque j’habitais Saint-Gilles... au point même de renforcer leur groupe de danse et leur chorale pour la fête annuelle ! C’est surtout la figure de Marcel GUDANSKI et son épouse avec lesquels j’avais des liens d’amitié... Comme Zoltan, ce sont des « figures » qui traversent la vie pour qu’on ne les oublie pas... Christian

qui lui confie littéralement son histoire. Qui lui fait présent de son passé. L’auteur n’est pas le sujet. Celui qui a échappé au massacre, celui qui a pu se cacher, celui qui n’a pas subi le sort de son père (déporté sans retour), de sa mère (prostrée à jamais), c’est Robert Fuks. Le Robert d’aujourd’hui, retraité d’une carrière universitaire, confie à l’écrivain le sort du petit Robert d’alors. Et c’est comme si nous avions un récit à trois voix que l’écrivain Photo gépé interrompt de temps à autre pour poser des questions ou mener des réflexions. Cette invention d’écriture change toute la donne du livre. Car, comme bien souvent, si Robert, le Robert adulte, est resté cet enfant caché, à la survie miraculeuse, l’intervention d’un interlocuteur extérieur, empathique sans être complaisant, décuple les niveaux de lecture et d’interrogations. Les questions portent au-delà des situations :

* C’est un petit livre étonnant. On s’attend à un témoignage de plus et on lit autre chose. Toute la surprise – et toute l’ambivalence – vient de la page de couverture : Pourquoi pas moi?2 par Alain van Crugten, écrivain, spécialiste de la littérature slave et traducteur (entre autres du Chagrin des Belges de Hugo Claus). Avec pareil titre, on s’attend à un texte autobiographique de celui qui signe alors qu’il s’agit de l’enfance de celui qui lui parle, qui lui raconte,

- « je n’ai pas posé les questions qui s’imposaient » (p.26) - « Mais c’est bizarre tout de même, cette sélection de souvenirs. Pourquoi celui-ci et pas un autre ? » (p.30) - « se cacher »... « oublier qu’il était juif »... « rentrer dans la norme »... « une tactique inconsciente de la survie » (p.41) La force surprenante de ce petit livre vient aussi de l’écart entre la violence de la réalité rapportée et d’une écriture quasi conçue pour

la littérature de jeunesse. La complexité de vivre décuplée par la simplicité de la phrase. * Au Musée Juif de Bruxelles, j’aime les va-et-vient du photographe David Szymin, dit David Seymour dit Chim, entre la célébration de la plastique féminine (Audrey Hepburn, Sophia Loren…) et les scènes de désastres et de révoltes3. * Le musée des Beaux-Arts d’Anvers4, qui a décidé de se refaire une santé pour quelques années, a vidé ses cimaises et les a confiées pour quelques semaines à l’artiste allemand Anselm Kiefer (1945). Des oeuvres gigantesques et compactes qui toutes s’obstinent à dire la deuxième guerre mondiale. Des formats entre les Wiertz intransportables et les Nymphéas de Monet. Si, en raison de leurs dimensions, ce sont ces deux peintres qui viennent à l’esprit, il y a autre chose qui conforte la comparaison entre le kitch monumental de l’un et la légèreté absolue de l’autre. Kiefer peut aller de l’illustration plate à l’abstraction quasi lyrique. Il mêle matériau en relief (maïs, fleur séchée, bois, plomb) et à-plats de peinture, transformant des vues aériennes militaires en champ de blé éteint sous les grisés. En quittant le musée, on ne peut s’empêcher de se retourner vers ce bâtiment qui prend tout à coup l’allure d’une porte de Brandebourg. ■ 1 Samuel Szyke, Grand Hôtel, Bruxelles, Ercée, 1988. 2 Alain van Crugten, Pourquoi pas moi ?, Averbode, 2006. 3 Musée Juif de Belgique jusqu’au 27/02. 4 Musée des Beaux-Arts d’Anvers jusqu’au 27/03.

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diasporas Józef Hen. Un doyen de la littérature polonaise ROLAND BAUMANN

L

’annonce de la publication en février par l’éditeur ZNAK d’un nouveau livre de Jan Gross sur les « orpailleurs de Treblinka » et les polonais qui profitèrent du judéocide pour spolier leurs concitoyens juifs, mobilise une fois de plus ceux qui, au nom de la défense de « l’honneur de la Pologne », refusent de dialoguer avec les pages obscures de leur histoire. Et pourtant, la participation active de nombreux polonais aux spoliations dont furent victimes les Juifs en Pologne durant le judéocide est un secret de polichinelle, comme l’exprime avec talent Le joueur de ping-pong, roman polonais de Józef Hen, inspiré par « l’affaire Jedwabne » et publié récemment en traduction française. Le héros, Mike Murphy, alias Michal Dombina, juge américain retraité, revient à Cheremiec, son village natal dans l’Est de la Pologne, pour assister à une cérémonie d’hommage national aux victimes du pogrom commis dans la localité à l’été 1941 par des villageois. Mike se souvient : il avait arraché son ami Zyga Ehrlich de l’étable où on allait brûler les Juifs mais un des tueurs les rattrapa, abattant sous ses yeux l’ami qu’il avait tenté d’arracher à la mort. Ils étaient tous deux joueurs passionnés de ping-pong et Michal devait une revanche à Zyga qui l’avait laissé gagner leur dernière

Józef Hen chez lui à Varsovie le 4 janvier dernier. Photo Roland Baumann

partie avant le massacre des Juifs de la localité par leurs voisins polonais... À travers les rencontres de Mike à Cheremiec, la tragédie prend souvent l’accent du burlesque, mais le lecteur entrevoit les complexités de la réalité intime d’un village hanté par la mauvaise mémoire du meurtre collectif, de cette « bestialité » contagieuse qui ne cesse de polluer l’esprit des vivants. Comme le dit le maire, « l’antisémitisme est une maladie dont on guérit mal parce que c’est une maladie qui fait plaisir au malade ». Des villageois ont assassiné leurs voisins juifs et ils ont tué « sans égratiner leur conscience » de Polonais bons chrétiens. Le meurtre est resté impuni mais c’est seulement en se confrontant honnêtement à ce passé occulté, que les descendants des tueurs, de leurs complices et de tous les témoins du pogrom parviendront à se libérer de l’avilissement qui s’est abattu sur la conscience des habitants du village et « qu’on ressent encore aujourd’hui ». Un roman singulier, évoquant

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l’horreur sans martyrologie ni ton inquisitorial. Des personnages manifestent ouvertement leur volonté de rompre avec le passé antisémite de leurs pères et donnent ainsi une fin « riche d’espoir » au récit. Mais l’auteur n’atténue pas pour autant les responsabilités polonaises dans le massacre et la spoliation des Juifs puis dans l’occultation générale du crime collectif. Romancier, journaliste et scénariste de films, Józef Hen ne m’est pas inconnu, voisin de palier de ma belle-mère, dans un immeuble du centre de Varsovie, ce doyen de la littérature polonaise, tire toutes ses oeuvres de fiction de sa longue expérience de la vie en Pologne. Né le 7 novembre 1923 au coeur du quartier juif de Varsovie, Józef Henryk Cukier publie ses premiers articles en 1932 dans le journal d’enfants fondé par Janusz Korczak. En novembre 1939, il se réfugie à Lwow dans la Pologne occupée par les soviétiques. Après diverses péripéties, il fré-


quente l’école normale, en Volhynie, d’où il est évacué suite à l’invasion allemande. Sa soeur aînée restée sur place sera assassinée. Son frère aîné, réfugié lui aussi en zone d’occupation soviétique, périra au Goulag. Travaillant dans un kolkhoze près de Saratov, Józef est enrôlé dans l’armée rouge mais retiré du front avant la bataille parce qu’il n’est pas russe. Il déserte, cherche à s’engager dans l’armée polonaise formée par le général Anders à Tashkent, mais à deux reprises est déclaré inapte. Il travaille alors dans une fabrique de spiritueux à Samarcande et rencontre sa future compagne, Irena, réfugiée de Lwow. Il rejoint la deuxième armée polonaise, sous contrôle soviétique en 1944, participe à la la libération de la Pologne, jusqu’à la victoire finale à Berlin, puis retrouve Irena. Dès 1946, il fait partie du comité éditorial de Zolnierz Polski (« Soldat polonais »), dans lequel parait en feuilleton son récit autobiographique Kiev, Tashkent, Berlin. Passionné de sports, membre de l’équipe de football de son école à Varsovie et joueur de ping-pong avant la guerre, Józef « Hen » de son nom de plume (abbréviation de Henryk) rédige surtout les pages de sport et la rubrique humour de cet hebdomadaire militaire, dans lequel la photographe Julia Pirotte publiait alors ses photos, notamment son reportage sur le pogrom de Kielce. Devenu capitaine après son passage par une école d’officiers, Hen quitte l’armée en 1952 pour se consacrer au métier d’écrivain. Il écrit de nombreux feuilletons sportifs, travaille beaucoup pour l’hebdomadaire illustré Swiat, fait aussi des scénarios de films pour Kazimierz Kuts, Jerzy Hoffman... En mars 1968, il est vice-président de l’Association des écri-

vains polonais. Victime de l’antisémitisme d’État, de mars 1968 à 1976, Hen est sur la liste noire. Il survit surtout grâce aux ventes à l’étranger des traductions de ses livres, en particulier de romans policiers et de livres pour enfants, mais il s’obstine à rester et à écrire parce qu’il ne se sent vraiment écrivain qu’en Pologne. Il publie sous le pseudonyme « Korab » dans Kultura, la célèbre revue polonaise de l’opposition, fondée à Paris par Jerzy Giedroyc. L’oeil de Dayan (Robert Laffont, 1974) reprend trois nouvelles parues dans Kultura, puis traduites en français. Satires de la campagne « antisioniste » qui s’abat sur la Pologne après la guerre des Six Jours et culmine en mars 68, Korab y dénonce la médiocrité et la lacheté générales sur fond de luttes de pouvoir au sein de l’appareil communiste. Aujourd’hui, Hen est un vétéran des lettres polonaises, apprécié notamment pour ses récits de souvenirs personnels, et ses biographies de Montaigne, du roi Stanislas Auguste Poniatowski, et de l’écrivain Boy-Zelenski, assassiné à Lwow en juillet 1941. L’auteur précise : « Dès mon enfance, j’avais été l’admirateur fervent de Tadeusz Boy-Zelenski, un des plus grands écrivains polonais d’avant 1939, un extraordinaire critique théâtral et un traducteur génial de la littérature française, depuis Villon et Rabelais jusqu’à Proust, entre-autres avec une traduction des Essais de Montaigne. Les années 1968-1970 furent très difficiles pour moi en tant qu’écrivain et citoyen de mon pays. Dans ces moments difficiles, je trouvais un ami fidèle en Montaigne dont les Essais étaient pour moi un passionnant commentaire de cette réalité. Ils m’aidaient à la comprendre et à la dépasser... ». Curieusement, plusieurs oeuvres

de Hen ont été publiées en allemand (dont le récit de son enfance à Varsovie, Nowolipie) et en néerlandais (De bokser en de dood, De wet en de vuist), mais après L’oeil de Dayan, de Korab, Le Joueur de ping-pong est le premier livre de Józef Hen publié en français. L’auteur souligne son propos : « Ce n’est pas un roman historique à propos du pogrom de Jedwabne mais bien sur la conscience du crime, aujourd’hui ! Dans un village tranquille, où les gens vivent normalement et ont le droit de vivre normalement. Mais, sous la surface, il y a le crime et cette bestialité qui ne cesse de tout contaminer... Le titre s’inspire d’un souvenir intime, de mon camarade de classe, Soutine, qui était un superbe joueur de pingpong. Lors de notre dernière partie, il m’avait donné une avance de 18 points et j’ai quand même perdu ! Il m’avait promis ma revanche mais comme il n’a pas survécu à la guerre... Dans le roman, Mike veut tenir sa promesse et offrir sa revanche à Zyga Ehrlich, son ami pongiste assassiné. Ce dernier doit son nom au champion Alex Ehrlich, du club sportif Hasmonea de Lwow qui a remporté trois fois la médaille d’argent au championnat du monde en 1936, 1937 et 1939. En 1934, Ehrlich et Loewenherz, tous deux de Lwow, représentaient la Pologne au match international de Dantzig où ils ont battu l’Allemagne ! En Pologne comme en Hongrie, les champions de ping-pong étaient juifs. C’était un jeu juif !» . Un roman au rythme cinématographique, dröle et sans concessions, qui révèle l’attachement profond de l’auteur à la culture polonaise tout comme au monde oublié du judaïsme polonais. ■ Józef HEN, Le joueur de ping-pong, traduit du polonais par Agnès Wisniewski, Paris, Éditions des Syrtes, 2010

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Yiddish ? Yiddish ! PAR WILLY ESTERSOHN

! kibiij Nbel rim

mir lebn eybik Nous vivrons éternellement Cette chanson de défi à l’occupant nazi a été écrite au ghetto de Vilnius, en 1943, par Leyb Rozental. Elle concluait, à l’époque, la représentation du cabaret juif de la capitale lituanienne. Il n’était pas rare que des militaires allemands et même des membres de la SS fassent partie du public (*). Par ailleurs, les ghettos de Vilnius et de Kaunas avaient chacun un orchestre symphonique où les musiciens arboraient l’étoile juive. On peut écouter la chanson en cliquant sur : http://www.cbl-grenoble.org/2007/ghettofiles/mirlebeneybik.php (*) Relaté dans Jiddishe Lieder, de Hai & Topsy Frankl (en allemand). Edit : Fischer.

...tleuu = tnerb se ! kibiij Nbel rim velt

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MinuW el= id winekupeq Fiuj Nuj sonim ale

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.Minp rezdnuj Nqr=uuwr=f zdnuj Nliuu s]uu ponim

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! hew redei Nij kibiij Nbel rim sho

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,Nbelred Nuj Nbel Nleuu rim derlebn

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.Nbelrebir= NtUq etcelw ariberlebn

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shlekhte

! ]d NenUz rim ! kibiij Nbel rim do zaynen mir

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eybik

lebn

mir

vos


! widYi ? widYi TRADUCTION Nous vivrons éternellement ! Un monde brûle... Nous vivrons éternellement, sans un sou vaillant (sans un groshn d’argent). Et en défiant tous nos ennemis Qui veulent nous rendre la vie impossible (noircir le visage). Nous vivrons éternellement, nous sommes ici, Nous vivrons éternellement à chaque heure ! Nous allons vivre et subsister, Survivre aux temps mauvais, Nous vivrons éternellement ! Nous sommes ici !

REMARQUES Nbel rim mir lebn = nous vivons (au présent) ; le contexte indique que le futur s’impose dans la traduction. Nw]rg groschen : ancienne monnaie polonaise et autrichienne. winekupeq Fiuj oyf tsepukenish = pour narguer, pour faire enrager. jnuW soyne (hébr.) = ennemi (au pluriel : MinuW sonim). Minp ponim (hébr.) = visage. hew sho (hébr.) = heure.

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réfléchir Un rabbin recruteur JACQUES ARON

O

n sait que le mouvement sioniste, né à l’exemple des nationalismes européens du 19e siècle devait, pour avoir quelque chance de succès, assimiler les traditions religieuses des masses juives auxquelles il s’adressait et se concilier le soutien d’un certain nombre de rabbins. C’est d’ailleurs pourquoi toutes les autres perspectives d’émigration que la Palestine firent long feu. La religion juive fut largement investie par l’idéologie nationale du retour sur « sa » Terre. Cette histoire a laissé des traces profondes en Israël et dans les différents communautés dispersées, où les rapports du politique au religieux présentent un large éventail d’attitudes et de positions. Certains courants religieux considèrent qu’Israël est le seul lieu où la judéité puisse être vécue complètement dans toutes ses dimensions ; aussi le statut particulier de l’orthodoxie dans ce pays, et notamment son exemption du service militaire, fait-il régulièrement l’objet de critiques, alors que l’État juif lui-même et la colonisation permanente des territoires occupés font largement appel aux références bibliques (Hébron et son tombeau des Patriarches). Tsahal a donc mis sur pied (de guerre) une unité spéciale qui prétend concilier le respect de tous les commandements religieux et ceux de l’entraînement militaire.

Plus surprenant est l’écho que ce débat suscite dans d’autres pays. Un rabbin allemand, celui de la communauté du GrandDortmund, a saisi récemment l’occasion du commentaire hebdomadaire (Parasha), le matin du Shabbat, d’un passage des Saintes Écritures, pour rappeler combien les Patriarches et héros légendaires furent à la fois des guides spirituels et militaires : Jacob, Josué ou David. Le Livre IV de Moïse (Nombres), 32.6, rapporte la colère de Yahvé quand certaines tribus qui résidaient à l’Est du Jourdain refusèrent de suivre Moïse pour rester dans leurs verts pâturages : « Vos frères iraient au

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combat et vous, vous resteriez ici ! Pourquoi découragez-vous les fils d’Israël de passer dans le pays que leur a donné Yahvé ? » Soucieux de ne pas heurter certaines de ses ouailles, notre rabbin allemand ne recommande pas à tous les jeunes de suivre nécessairement cette voie, mais le compromis choisi par l’armée d’Israël lui plait assez : « Il ne serait pas bon que tous les étudiants des Yeshivot sans exception soient envoyés à l’armée. Les meilleurs étudiants qui apprennent la Torah jour et nuit doivent être exemptés du service militaire. Mais ce n’est pas une règle absolue. Qui sinon s’engagerait dans les pas de Ja-


cob et de ses fils ? Il existe un groupe d’étudiants qui aime l’étude de la Torah et trouve cependant le moyen de concilier cette étude et le service militaire. Ces hommes religieux-nationaux considèrent comme sacrée la fondation de l’État d’Israël car elle réalise la vision des Prophètes. Le peuple d’Israël se rassemble dans son pays pour y fonder son État qui permet à ses habitants de mener une vie empreinte de la Torah. »1 L’exorde de l’article est donc un appel non déguisé à l’engagement de jeunes (majoritairement issus de l’ex-URSS) des communautés orthodoxes allemandes dans l’armée d’Israël : « Demandons-nous (mes très chers frères) si plus de jeunes gens issus des communautés de nos régions ne devraient pas prendre part au programme spécial de Tsahal pour étrangers. » Une certaine naïveté m’avait fait croire que ce rabbin sioniste et son prêche constituaient un cas isolé. Une rapide consultation du site du bataillon de l’armée israélienne Netzah Yehuda, familièrement appelé Nahal Haredi (www.nahal-haredi.org) m’a fait comprendre que cette formation recrutait dans tous les pays depuis plus de dix ans pour persuader les jeunes membres des communautés ultra-orthodoxes de servir l’armée d’Israël dans un environnement religieux garanti (nourriture cachère, instruction religieuse, etc.). Elle compte déjà 600 hommes, mais « son plan de recrutement à long terme vise à en faire une brigade de trois bataillons ». « Cette brigade n’est pas seulement une vitrine de relations publiques. C’est une remarquable unité combattante à laquelle a été assignée l’une des zones les plus dangereuses d’Israël, celle qui entoure Jénine. Les sol-

dats y ont servi avec distinction et capturé et tué de nombreux terroristes. » La brigade est comman-

me islamique attire l’attention sur son orientation la plus récente : l’ « Écono-djihad », la guerre sainte

dée par des officiers orthodoxes et très concernée par l’occupation des Territoires (aux check-points notamment). Elle comprend inévitablement son commando spécial d’intervention et ses snipers. Elle a fêté avec faste en 2009 son dixième anniversaire à l’Université hébraïque de Jérusalem en présence d’un ministre. Après deux ans de service militaire, les recrues reçoivent la troisième année un début de formation professionnelle. La brigade est ainsi censée répondre également à un manque de main d’ œuvre « provoqué par l’attitude alarmiste des organisations non gouvernementales de la gauche radicale, telles que New Profile, soutenue par la Fondation New Israël, La Paix Maintenant, l’Union européenne… ». Le site placé sous le slogan : « Esprit, discipline et victoire » permet aussi de verser son obole à cette œuvre de paix. Pendant ce temps se poursuit inévitablement la diabolisation parallèle de l’ennemi. Un professeur de l’Université de Haïfa qui aurait étudié « scientifiquement » plus de 7.000 sites officiels ou codés liés au terroris-

pour détruire par tous les moyens l’économie occidentale. Inconscient d’écrire aujourd’hui chapitre après chapitre « Les Protocoles des Sages de l’Islam », il dénonce un réseau mondial bien organisé qui vise à obliger les USA à augmenter leurs dépenses militaires en Irak et en Afghanistan, et qui observe attentivement l’évolution économique afin de la frapper aux points les plus sensibles : les marchés financiers, les experts et dirigeants d’entreprises, les échanges d’e-mails, les catastrophes naturelles, le prix du pétrole, les effondrements boursiers et… le pourcentage de chômeurs2. ■

Avichaï Appel, rabbin du Grand-Dortmund, Le chemin de Jacob, pourquoi l’étude de la Torah et la défense du pays se complètent, Jüdische Allgemeine, 18.11.2010. 2 Écono-djihad et recrutement de jeunes femmes ; le professeur Weimann étudie le terrorisme sur Internet (en allemand), Newsletter Haifa, 2/10(www.uni.haifa.de). 1

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à propos d’un dossier Nous publions ci-après deux textes qui nous ont été adressés en réaction au dossier « De la liberté d’expression » (Points critiques de décembre dernier, accessible sur www.upjb.be). Le premier émane de L’Entr’Act, un groupe d’anciens moniteurs du mouvement de jeunesse de l’UPJB-Jeunes, le second de Michel Staszewski, actif de longue date à l’UPJB. La réponse du Conseil d’administration de l’UPJB à L’Entr’Act se trouve page 23.

L

e dossier sur la liberté d’expression paru dans Points critiques du mois de décembre 2010 a suscité de vives réactions au sein de l’Entr’Act. Loin d’être homogènes sur le plan de la nature comme celui de l’intensité, elles traduisent néanmoins un sentiment partagé d’insuffisance voire d’insatisfaction à l’égard du traitement réservé à la liberté d’expression dans le mensuel et des choix de l’UPJB que celui-ci reflète implicitement. En outre, nous ne nous reconnaissons pas dans la ligne éditoriale et nous nous étonnons de sa signature par le Conseil d’administration de l’UPJB qui engage l’ensemble de ses membres. En adéquation avec les objectifs poursuivis par notre nouvelle formation, il nous a semblé important de soutenir l’une de ces autres voix que l’on aurait souhaité voir apparaître dans le dossier et qui s’est manifestée notamment à l’occasion des débats de l’Entr’Act. L’Entr’Act

DE L’EXPRESSION LIBRE ET CRITIQUE Que l’édition de Points Critiques du mois de décembre nous rappelle (encore fallait-il le mentionner dans nos tribunes) que « Juif » et « Israélien » ne sont pas termes à confondre, et tout le monde s’accorde. Mais il ne faudrait tout de même pas que le mensuel s’attèle à hurler à l’unisson avec la meute, au risque d’en oublier jusqu’à la signification sémanti-

que de son nom : Points critiques. Car si ce journal est lu et analysé par des personnes extérieures à l’UPJB, c’est bien pour l’axe critique qu’il arbore dans ses prises de position détachées de la vulgate dominante. Ainsi, le dossier de Points critiques aurait pu être l’occasion de mettre en dialogue des perspectives diverses, des idées antagonistes pour appréhender une réalité complexe et sensible. Pourtant, rien de cela. L’édito annonçait la couleur en même temps que le dossier et force est de constater qu’aucun des deux n’est à notre goût. Il a paru, dès lors, nécessaire autant qu’enrichissant pour le mouvement de notre mouvement d’émettre ici une position différente de celle défendue par le Comité il y a deux mois. Car nous attendions de l’UPJB qu’elle se positionne en faveur de Souhail Chichah dans ce débat intellectuel qui l’opposait à des personnes et des organisations qui lui adressent les mêmes reproches qu’elles nous ont toujours adressés, pour les mêmes raisons, dans les mêmes buts décrédibilisants. Question de solidarité, de perception, d’interstice entre les deux volets du manichéisme ambiant,... C’est parce que les propos affirmés – et assumés – qui suivent émanent de la part de quelques co-constructeurs de ce que d’aucuns aiment à appeler « l’identité UPJBienne » que l’argumentaire ici développé ne peut que se défaire d’une rhétorique sur la défensive pour que jaillisse toute

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sa pertinence critique. Ce sont des propos sincères, aussi périlleux soient-ils. Périlleux car nous sommes conscients de l’utilisation dévoyée de certaines formules altruistes. C’est pourquoi nous ne croyons pas non plus que l’UPJB a l’obligation de s’allier systématiquement avec tous ceux qui proclament lutter pour le même idéal que celui que nous défendons. Nous ne prônons pas cette option instrumentaliste de l’action politique. La critique du dogmatisme idéologique a à nos yeux une place tout aussi importante que la résistance contre la violence physique et sociale. Mais pourtant, les temps à venir sont ce qu’ils sont : moroses, et appellent plus qu’à un progressisme mou. Nous voulons tenter d’aller plus loin dans le débat, s’approcher de la réalité pour y changer, pour y agir… Ou, comme on dit, pour permettre une multiplication des perspectives, dont le manque est criant dans le dossier de Points Critiques. De la liberté d’expression... Sujet vaste bien qu’intrinsèquement lié à un autre concept qui perd en signification avec les âges. Car qu’est ce que la liberté d’expression sinon l’exercice même de la démocratie ? Au delà de la forme galvaudée d’organisation étatique occidentale, la praxis démocratique s’apparente à sa propre remise en cause perpétuelle, via la lutte acharnée opposant les sansparts1 (sans-papiers, prolétaires, opprimés et autres indésirés de notre temps) et les ayants-droits. La démocratie est celle que nous


créons tous les jours en l’élargissant à ceux qui en sont d’ordinaire exclus. Ce n’est que par la libération absolue de l’expression que chacun pourra sonder individuellement et collectivement le sens du bon, du vrai, du juste, et ne pas se le voir imposer par quelconque Dominus. Mais pas plus la démocratie que la liberté d’expression n’existent en tant que formes continues, et nous le savons. Il n’y a que des moments (infimes) de démocratie, d’égale participation ; que quelques lieux (rares) où liberté et expression se marient pour faire sens2. Bien sûr, l’interaction dans cet espace a un prix, qu’il nous paraît, malgré tout, impératif de payer : la confrontation politique assumée. Car on ne peut se résoudre à penser que dans ces espaces de confrontations dans lesquels la parole se veut libérée, chacun doit s’adonner à crier seul de son coté. Cette liberté n’a pas de sens politique dans son acception individualiste. Au contraire, c’est parce qu’il peut y avoir confrontation avec d’autres en désaccord, qu’il doit y avoir liberté d’expression. Partant, c’est parce qu’il y a liberté d’expression qu’il doit y avoir confrontation ! La confrontation est ainsi la condition de la liberté d’expression3 et, elle, la règle prévalant à la confrontation. La confrontation systématique dessine, ainsi, l’horizon social selon le clivage ami-ennemi4 - plus probant que l’axe stérile gauche-droite. Ces schémas ne sont en fait qu’omniprésents mais on préfère laisser nos relations se pacifier faussement par les dispositifs de représentation systématique que de faire émerger le politique par la parole. Cette vision de la démocratie n’a d’idéaliste que son antithèse. C’est au contraire un raisonnement discursif qui nous conduit à un réalisme affreusement pra-

tique. Non seulement parce que c’est par la confrontation d’opinions que les idées progressent, mais surtout parce que c’est par la censure – de la plus subtile à la plus ostentatoire – que les débats proscrits arborent une aura divine. De Salman Rushdie à Ahmadinejad, de Dieudonné au Dalaï Lama. Qui peut cautionner que l’on s’adonne à la pratique des plus autoritaires d’ordonner à un être qu’il se taise ou de mettre en marche une machinerie le permettant ? Qu’il soit dit clairement : nous nous refusons à collaborer à la mise au ban intellectuel de qui que ce soit. Ceci pour raison première qu’il s’agirait là d’une entreprise précisément dénuée de tout intellect, réduisant la réalité à son aspect le plus illusoire, celui du discours normatif, subjectivé par des affects identitaires récurrents et indépassables, une manière de dire : « Non, je ne dialogue pas avec un négationniste ! ». La censure n’est pas qu’exogène aux individus qui la subissent. Nous sommes trop souvent les instigateurs de notre propre mutisme : nos normes culturelles, nos codes sociétaux, nos habitudes répétées, sont autant de dispositifs d’autocensure agissant pour la Police de la pensée5, contre notre esprit critique. Au fur et à mesure que le champ de réflexion se réduit à l’idéologie dominante, sans peser les forces en présence, en pensant comprendre ce qu’il y a derrière les mots, on s’empresse de répondre à l’envolée dès les premières allégations « douteuses ». Par delà le cas de Souhail Chichah, nous ne nous sentons pas à notre place à l’UPJB lorsque celle-ci ne traite de politique qu’avec des œillères communautaires. Pour tout ce qui nous interpelle dans notre société-monde, il est avant tout question de rap-

port de force, de domination, de discrimination. C’est dans sa posture d’éternelle remise en question de qui on exclut et de qui on enferme, dans ses gestes de distanciation critique par rapport au « conformisme de l’opinion »6 que l’identité progressiste de l’UPJB est nôtre. Car l’identité singulière de l’UPJB est un terreau fertile pour questionner le monde et s’y positionner. Il serait dommageable pour les générations futures qu’elle ne continue pas à l’être sous prétexte d’une prudence qui pourrait devenir une absence de courage. Avoir en arrière plan une histoire qui permet d’interpeller l’Histoire est un trépied pour ne pas se voiler la face, pour ouvrir les yeux, se libérer des œillères imposées. Pour enfin parler d’Histoire à l’heure où le monumental7 colonise nos esprits et nous détourne les yeux des saloperies de ce monde. Toute personne a besoin d’un récit qui lui est propre pour devenir individu-sujet, mais l’arène démocratique mènera à la Guerre des Dieux8 si chacun invoque les « cendres de ses proches »9 pour légitimer ses propos. ■ Youri Vertongen et Elias Preszow Rancière, J., Aux bords du politique, Folio essais, Gallimard, 1998. Notons que le campus universitaire (d’il y a un temps) a pu être cet espace de possibles. 3 Sans cette condition elle n’aurait pas de sens politique. Quel est le sens de s’exprimer si ce n’est pas pour que quelqu’un nous entende. 4 Schmitt, C., La notion de politique. Théorie du partisan, Flammarion, Paris, 1992. 5 Voir le roman politique de Georges Orwell, 1984. 6 Tocqueville, A., De La démocratie en Amérique. 7 Nietzsche F., Considérations inactuelles II, Folio essais. 8 Termes empruntés au père de la sociologie moderne, Max Weber. 9 Cf. édito de Points critiques du mois de décembre 2010. 1

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à propos d’un dossier De la liberté d’expression et de ses usages MICHEL STASZEWSKI

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a conférence-débat organisée par le Cercle du Libre Examen de l’ULB le 20 septembre dernier et les remous qui l’ont suivi ont été à l’origine du dossier « De la liberté d’expression », paru dans Points Critiques en décembre dernier. Au lendemain de ce débat houleux, Souhail Chichah, qui en avait été un des intervenants, fut victime d’une scandaleuse tentative de délégitimation menée auprès du Conseil d’Administration de l’ULB par Maurice Sosnowski, président du C.C.O.J.B.1, qui l’accusa entre autres de « propos vomitifs sur la Shoah ou sur les Juifs venus des pays de l’Est » et de « gaver ses étudiants de propos haineux »2. Après avoir regardé la vidéo de cette conférence puis dialogué longuement avec Souhail Chichah, je puis assurer quiconque en douterait que ce monsieur n’est ni négationniste, ni antisémite. Or, non seulement le dossier de Points Critiques ne contenait pas la moindre allusion à l’attaque diffamatoire du président du C.C.O.J.B. mais, de plus, il comportait un article3 d’Alain Mihály très virulent et truffé de procès d’intention à l’encontre de Souhail Chichah. Un autre article4 du même tonneau, de Jean Vogel, visait Jean Bricmont. Tout cela m’a fortement déplu. Puisque controverse il y avait, plutôt que de dresser des réquisitoires à sens unique, n’aurait-il pas été beaucoup plus constructif, plus respectueux des personnes et des principes du débat démo-

cratique, d’organiser un échange d’idées entre Jean Vogel et Jean Bricmont d’une part et entre Alain Mihály et Souhail Chichah d’autre part ? Les circonstances dans lesquelles s’est déroulée la conférencedébat en question, ses suites et la lecture du dossier de Points Critiques m’ont par ailleurs amené à repenser la question de la liberté d’expression, de ses limites et de ses usages. C’est l’objet principal du présent article.

LIMITER LES LIMITES L’Union européenne est actuellement présidée par le gouvernement de la Hongrie, État qui bafoue gravement la liberté de la presse. Voilà de quoi inquiéter et mobiliser les démocrates. Car, avec les libertés individuelle, de réunion et d’association, la liberté d’expression constitue un des piliers de la démocratie. Elle ne peut donc être limitée qu’exceptionnellement, uniquement dans les cas où son usage ébranle les bases de la vie démocratique. C’est pourquoi il est essentiel non seulement de maintenir l’interdit de toute censure préalable mais également de garantir une protection légale aux journalistes, entre autres par la protection du secret de leurs sources. Sanctionner l’usage de la liberté d’expression (a posteriori) ne m’apparaît légitime que dans deux cas : la diffamation et l’incitation à la haine raciale (au sens large). Car les personnes, individuellement ou en tant que membres d’un groupe, doivent être protégées d’un

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effet pervers de l’usage de cette liberté : porter atteinte à leur intégrité morale ou physique. Je ne vois aucun autre cas où une limitation de la liberté d’expression se justifierait. Or, dans plusieurs États européens, depuis la fin des années 1980, sont progressivement entrés en vigueur des lois et des règlements qui restreignent dangereusement cette liberté. C’est par exemple le cas des lois criminalisant les écrits et propos niant ou minimisant fortement le génocide des Juifs par les nazis. Ces lois donnent le pouvoir à des juges de limiter la liberté de recherche des historiens. C’est inacceptable d’un point de vue démocratique et absolument contreproductif par rapport au but recherché : empêcher la progression des idées négationnistes5. Autre exemple : les lois et règlements interdisant le port de signes religieux dans certains lieux collectifs ou publics. Ils portent gravement atteinte à la liberté d’expression religieuse tout en favorisant les replis identitaires6.

DÉBATS DÉMOCRATIQUES ? Mais il ne suffit pas que la liberté d’expression soit légalement sauvegardée pour que le débat démocratique existe. Pour qu’un débat soit démocratique, il doit non seulement garantir la liberté d’expression de chacun mais encore une stricte égalité du droit à la parole (qu’elle soit orale ou écrite) entre les protagonistes ainsi que le respect de leur intégrité physique et mora-


le. Autrement dit, il faut que chacun puisse critiquer autant qu’il le souhaite les idées d’un autre tout en le respectant en tant que personne ayant droit à autant de considération que lui-même. Je dois malheureusement constater que souvent (de plus en plus ?) ces conditions ne sont pas réunies. Dans les débats radiophoniques ou télévisés par exemple, les transgressions de ces principes sont légion : les temps de parole ne sont pas partagés équitablement, on se coupe la parole, on fait des procès d’intention, on se moque les uns des autres, on se traite mutuellement de menteur, parfois même on s’injurie. Il y a plus grave : le refus du débat. Sur certains sujets « chauds », les débats vraiment contradictoires deviennent de plus en plus rares. On préfère « débattre » entre personnes qui pensent (quasi) la même chose. Ce qui permet de caricaturer des points de vues non représentés et de diaboliser les personnes censées les défendre. Ou, pire encore, d’ignorer certaines analyses divergentes. Ce qui entraîne une « simplification » du « débat » puisqu’on n’a pas à argumenter à l’encontre d’avis dont on fait comme s’ils n’existaient pas. La pauvreté des débats sur des thèmes sujets à controverses est encore renforcée par l’autocensure dont les grands entreprises médiatiques font souvent preuve, soucieuses qu’elles sont de leur audience et de leurs rentrées financières (abonnements, recettes publicitaires, subsides publics, …). Il en résulte des discours convenus voire moralisateurs sur toute une série de sujets, la caricature ou le déni des points de vues non conformes aux idées dominantes et le refus d’aborder de nombreux problèmes susceptibles de diviser le public. Ou de lui demander un effort intellectuel jugé

susceptible de le décourager. C’est ainsi, par exemple, que, dans les médias de masse, des problèmes aussi graves et cruciaux que le dérèglement climatique ou le désordre économique mondial sont (trop peu) traités, d’une manière très superficielle, pleine de lieux communs et que les points de vue remettant en cause la doxa dominante (c’est-à-dire productiviste et libérale) sont quasi systématiquement ignorés ou au moins caricaturés et dénigrés7. La raréfaction de débats véritablement démocratiques, au sens défini ci-avant, fragilise nos démocraties. D’abord parce que sans eux, la résolution des problèmes cruciaux auxquels nos sociétés sont aujourd’hui confrontées devient impossible : aucun individu ni aucune « école de pensée » ne peut en effet se targuer d’élaborer seul(e) des solutions à des problèmes aussi complexes que le réchauffement climatique et ses conséquences catastrophiques, le désordre économique mondial, la fracture sociale, la vie en commun dans des sociétés de plus en plus multiculturelles, les pandémies, les problèmes éthiques posés par le développement du génie génétique, etc. Ensuite parce que l’absence de débats démocratiques ne peut qu’engendrer plus de préjugés, de tensions voire de violence entre des personnes ou des groupes de personnes qui ne se parlent plus, ne se fréquentent plus, ne se connaissent donc plus. Situation qui ouvre la voie à la peur de l’Autre, à sa diabolisation, à sa déshumanisation. L’Histoire nous enseigne à quelles hécatombes cela peut finalement mener.

DU SACRÉ ET DU RESPECT MUTUEL Le Petit Robert donne de « sacré » les deux définitions suivan-

tes : « qui appartient à un domaine séparé, interdit et inviolable et fait l’objet d’un sentiment de révérence religieuse » et « qui est digne d’un respect absolu, qui a un caractère de valeur absolue »8. Le « sacré » des uns n’est pas celui des autres. Et, dans le sens de la seconde définition, la sacralisation n’est pas le seul fait des croyants : certains incroyants sacralisent des personnes, vivantes ou décédées (des chefs d’État, des penseurs, des artistes, …), d’autres des événements (des génocides, des révolutions, la résistance antifasciste,…), des objets (des drapeaux nationaux, des monuments,…) ou des textes (des hymnes nationaux ou révolutionnaires, la Déclaration universelle des droits de l’homme,…). Le sacré est donc affaire d’opinion et de sentiments personnels. La liberté d’expression serait condamnée si on la subordonnait au respect de ce qui est considéré comme sacré par les uns ou les autres. Jacques Englebert, avocat spécialisé en droit des médias, un des intervenants de la conférence du 20 septembre à l’ULB, déclarait dans Le Soir, quelques jours plus tard : « Dans une démocratie, chacun devrait avoir le droit de brûler tous les symboles (et notamment les drapeaux de tous les pays du monde), chacun devrait avoir le droit de siffler les hymnes nationaux, de dessiner des caricatures du Prophète ou de réaliser une pub représentant la dernière Cène avec des femmes à la place des apôtres, dans des positions lascives. » En ajoutant aussitôt : « Je ne dis pas qu’il faut le faire ni que c’est bien de le faire. Je dis que cela relève de la liberté d’expression qui est un droit fondamental »9. Je suis d’accord avec lui. Ceci dit, j’estime qu’en plus d’une répartition équitable des temps de paroles ou des espaces

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➜ d’écriture, de la courtoisie qui implique de ne pas couper la parole et de ne pas railler ou insulter ses contradicteurs, une attention au « sacré » de l’Autre est un élément important pour permettre le développement de débats sereins qui vont au fond des problèmes abordés. Il ne s’agit pas de s’interdire de dire ou d’écrire ce qu’on pense mais simplement d’éviter le plus possible de blesser ceux avec qui on débat en étant attentif à la manière de dire les choses.

LE CAS EMBLÉMATIQUE DU CONFLIT ISRAÉLO-PALESTINIEN Ce drame, dont la résolution est cruciale pour les relations entre le monde « occidental » et les mondes « arabe » et « musulman », reste un sujet brûlant, non seulement par son actualité mais aussi par les passions qu’il suscite. Une question dont la résolution aurait donc tout à gagner de l’existence d’un débat démocratique digne de ce nom. Il n’en est malheureusement rien. Ce cas concentre au contraire tous les travers décrits ci-avant. Entre défenseurs de l’État d’Israël en tant qu’« État des Juifs » et défenseurs des droits des Palestiniens, les débats démocratiques, au sens où je les ai caractérisés ci-avant, n’existent quasi pas. Les premiers considèrent en général les seconds comme des ennemis, qu’ils étiquettent tous d’« antisionistes », ce qui signifie à leurs yeux qu’il s’agit d’« antisémites masqués ». Et les seconds estiment souvent qu’ils ont face à eux des « sionistes » indifférenciés qu’ils voient aussi comme des ennemis car tous supposés racistes vis-à-vis des Arabes et plus généralement des musulmans. Il en découle que, de part et d’autre, on refuse de discuter avec « l’ennemi ». C’est d’autant plus faci-

le en Europe où les protagonistes de ces débats ne sont pas directement concernés par le conflit et n’ont donc pas à négocier avec « l’ennemi ». Dans ces conditions, il est aisé de caricaturer le point de vue de ses adversaires et de les diaboliser. La plupart des débats publics concernant ce conflit réunissent donc des orateurs du même bord qui ont beau jeu de caricaturer les positions de leurs adversaires… absents. Cet état des choses ne permet pas de s’affronter à la complexité du problème dont chacun prétend avoir LA solution « évidente ». Je constate souvent, avec amertume, que beaucoup de personnes, en principe engagées dans le même combat que moi pour une paix juste au Proche-Orient, se contentent d’adopter une vision manichéenne de ce conflit du type « nous sommes aux côtés des gentils (Palestiniens) contre les méchants (sionistes) » et ne font pas l’effort d’essayer de comprendre ce qui mobilise ces « sionistes ». Cet effort de compréhension du ou des points de vues de nos adversaires m’apparaît pourtant indispensable à la fois pour continuer à les considérer comme des êtres humains (dignes comme tels de respect) et pour combattre intelligemment leurs positions ou leurs actions que nous jugeons condamnables. Une autre façon d’éviter la complexité du problème est d’ignorer carrément certains de ses aspects ou l’existence de certains points de vue nuancés, plus difficiles à combattre. Les militants juifs qui s’opposent radicalement à la politique menée par l’État d’Israël à l’encontre des Palestiniens, en font régulièrement l’expérience : il est rarissime qu’ils aient l’occasion de débattre avec des défenseurs de la politique israélienne et leurs analyses ne font jamais l’ob-

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jet de leurs commentaires. Sans doute parce qu’on ne discute pas avec « l’ennemi » ? Et qu’on manque d’arguments ? Un autre obstacle de taille empêche les débats constructifs entre les personnes engagées sur cette question : les désaccords sur les faits. Non seulement sur les circonstances historiques dans lesquelles ce conflit est né et s’est aggravé mais aussi sur ce qui se passe sur le terrain aujourd’hui. Je ne développe pas ce point qui nécessiterait une analyse psychologique puisqu’il s’agit ici de dénis de réalités et non pas de divergences d’opinion. Mais il est évident qu’il est particulièrement difficile de débattre d’un problème quand on a des désaccords fondamentaux sur les faits qui en constituent la base tangible. Dans les médias de masse, ce sujet fait rarement débat. On se contente le plus souvent de rapporter des informations d’actualité non ou superficiellement commentées et très peu mises en perspective. Quand « débat » il y a, il s’agit le plus souvent de juxtaposer des prises de positions officielles représentant les deux « camps » (en « oubliant » très généralement de donner la parole aux représentants du gouvernement de la bande de Gaza dirigé par le Hamas considéré comme une « organisation terroriste »). Ou de juxtaposer des prises de positions d’« extrémistes » (par exemple de représentants du lobby des colons juifs religieux des territoires occupés face à des représentants du Hamas ou du Hezbollah), ce qui permet de faire accroire que le conflit ne se résout pas du fait de l’emprise des religieux fondamentalistes sur les sociétés israélienne et palestinienne. Les débats contradictoires organisés tout de même parfois dans des émissions radiophoniques ou


Comité des Organisations Juives de Belgique (dont l’UPJB ne fait pas partie). Le texte intégral de la lettre ouverte du président du CCOJB au Conseil d’Administration de l’ULB se trouve à l’adresse www. ccojb.be/publications/communiques/lettreouverteauconseildadministrationdelulbmauricesosnowski 3 « Une radicalité identitaire ? », pp. 28 à 31. 4 « Les trois formules du professeur Bricmont », pp. 20 à 23. 5 J’ai développé une argumentation en la matière dans « Combattre le négationnisme… oui, mais comment ? » (in MRAX-info n° 178, mai-juin 2007, pp. 8 à 11 - disponible sur Internet : www/mrax. be/IMG/Mraxinfo_178.pdf). 6 Concernant le cas particulier de l’École, je renvoie à mes articles « Interdire le port du foulard à l’école ? » ( in La Revue Nouvelle, octobre 2001, pp. 97 à 103 ; disponible sur Internet : www.revuenouvelle. be/IMG/pdf/097_staszewski.pdf, « Porter le foulard à l’école : un droit » (in Agenda interculturel n° 216, octobre 2003, pp. 27 à 29 ; disponible sur Internet : www.cbai. be/revuearticle/335/ et « Pour des écoles publiques pluralistes » (in Mrax-Info n°184, sept.-oct. 2008, pp. 4 à 6 ; disponible sur Internet : www.changement-egalite. be/spip.php?article1302). 7 A ce propos, je me permets de recommander l’analyse « iconoclaste » que je trouve particulièrement pertinente sur le sujet de la « crise climatique » contenue dans le récent livre de Daniel Tanuro, « L’impossible capitalisme vert » (Les empêcheurs de penser en rond / La Découverte, Paris, 2010). 8 Le Petit Robert 2010, p. 2289. 9 Le Soir, 23/09/2010, p. 15. 10 Dubuisson, F., « Vers une criminalisation de la critique de la politique d’Israël ? », in Les Cahiers du Libre Examen n° 43, mars 2006, pp. 48 à 53. 1

télévisées sont malheureusement le plus souvent menés de façon à favoriser les empoignades verbales plutôt que les échanges courtois d’arguments rationnels. Depuis plusieurs années, certains vont jusqu’à tenter de rendre illégale la critique radicale de la politique menée par l’Etat d’Israël à l’encontre des Palestiniens. Dans un article paru en 2006 dans un Cahier du Libre Examen consacré à l’antisémitisme et à l’antisionisme10, François Dubuisson, juriste spécialisé en droit international, dénonçait des tentatives d’assimiler l’antisionisme à l’antisémitisme dans le but de rendre illégale l’expression d’idées remettant en cause la légitimité d’Israël en tant qu’« État des Juifs ». Il citait nommément le « rapport Ruffin » rédigé en 2004 pour le compte du Ministère français de l’Intérieur et, surtout la « définition de travail » de l’antisémitisme destinée notamment à « appuyer la mise en œuvre des législations concernant l’antisémitisme » adoptée en 2005 par l’European Monitoring Centre on Racism and Xenophobia (EUMC), l’organisme de l’Union européenne chargé des questions de racis-

me et de xénophobie.

DES LIMITES PERSONNELLES Chacun a ses limites. Je doute qu’il me soit possible de débattre un jour calmement avec un producteur d’idées négationnistes ou avec un propagateur militant d’idées racistes, sexistes ou homophobes. La liberté d’expression implique aussi le droit de renoncer à l’utiliser, de renoncer à débattre. Cela m’arrive quand j’estime que les conditions ne sont pas réunies pour des échanges sereins et constructifs, quand j’imagine, à tort ou à raison, qu’échanger avec telle(s) personne(s) à tel moment ne pourrait que mener à un dialogue de sourds ou à des échanges d’invectives. Mais, dans une société qui se veut démocratique, le débat démocratique tel que défini ci-avant devrait être la règle pour résoudre les problèmes qui divisent les gens. La conférence-débat du 20 septembre ne fut certes pas un modèle du genre. Le dossier « De la liberté d’expression » de Points Critiques, non plus. ■

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Réponse du Conseil d’administration de l’UPJB à L’Entr’Act (voir ci-avant pages 18 et 19) Cher Elias, cher Youri, chers membres de L’Entr’Act La liberté d’expression et l’incitation à débattre règnent bien au sein de notre association et nous ne nous immisçons pas dans le choix des articles publiés dans Points Critiques. Parmi ceux qui constituent le dossier « De la liberté d’expression », seul l’éditorial nous est attribuable et nous ne vous répondons donc qu’à son sujet. Nous persistons à le revendiquer à la lecture de vos critiques. « Hurler à l’unisson avec la meute », dites-vous. Comment peut-il vous échapper que nous nous démarquons à la fois du consensus communautaire et de ceux qui, par complaisance ou conviction, ne dénoncent pas et ainsi attisent les dérives antisémites ? Si les lois anti-négationnistes font bien débat, il n’en reste pas moins que nous refusons le dialogue avec les négationnistes. Vous confondez liberté d’expression et choix de nos interlocuteurs. Vous nous reprochez de « traiter de politique avec des œillères communautaires » en imputant à notre « identité singulière » une « prudence qui pourrait devenir une absence de courage » et vous nous accusez de « légitimer nos propos » en évoquant les « cendres de nos proches », nous assimilant de fait à ceux qui en font un usage pernicieux. Vous confondez « identité singulière » et « œillères communautaires ». Ne vous en déplaise, cette « identité singulière » existe bel et bien et sans elle il n’y aurait pas cette UPJB que nous « co-construisons». Le Conseil d’administration de l’UPJB

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activités vendredi 11 février à 20h15 L’écologie est-elle vraiment de gauche ? Dans les milieux progressistes, on est plus ou moins convaincus que la droite et les capitalistes nous mentent quand ils cherchent à nous vendre un « capitalisme vert ». Mais est-on bien sûr que l’écologie soit tellement plus compatible avec la gauche ? Il y a quelques raisons d’en douter. Quand la gauche et le mouvement ouvrier misent sur la croissance pour augmenter le pouvoir d’achat, est-ce compatible avec l’épuisement des ressources naturelles ? La lutte pour l’emploi et la lutte pour un environnement sain vont-elles naturellement de pair ? En période de crise et pour les populations les plus précarisées, l’écologie n’est-elle pas un luxe ? On en discutera avec trois auteurs engagés à gauche. Jean Cornil, ancien sénateur PS, coprésident du Collectif pour une écologie sociale, auteur de Vingt vagabondages vers un socialisme écologique (Le Cerisier, 2008) Edgar Szoc, chercheur à Etopia, traducteur de Prospérité sans croissance de Tim Jackson (Etopia/De Boeck, 2010) Daniel Tanuro, ingénieur agronome, auteur de L’impossible capitalisme vert (La Découverte, 2010) Animation : Henri Goldman (revue Politique ) PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

vendredi 18 février à 19h45 – Salle Helder Camara* L’Union des progressistes juifs de Belgique (UPJB), en partenariat avec les Amis du Monde diplomatique Belgique, l’Association BelgoPalestinienne (ABP) et le CIEP Bruxelles a le plaisir de vous inviter à une

Conférence-débat avec

Alain Gresh,

directeur-adjoint du Monde diplomatique

autour de son dernier ouvrage

De quoi la Palestine est-elle le nom ? « Pourquoi la Palestine ? Pourquoi suscite-t-elle tant d’émoi, tant d’invectives, tant de manifestations ? Après tout, la planète connaît des guerres plus meurtrières, que ce soit au Darfour ou au Congo ; des oppressions au moins aussi dévastatrices, que ce soit au Tibet, en Tchétchénie ou en Birmanie ; des dénis aussi scandaleux du droit à la liberté. Que se cache-t-il donc derrière cette focalisation sur la Palestine ? Pour certains, la réponse ne fait aucun doute : c’est la présence des J uifs, la haine contre eux qui est le moteur de cet intérêt malsain. La critique de l’État d’Israël et de sa politique servirait de feuille de vigne à l’antisémitisme éternel. Sans partager ce point de vue réducteur, cette question est légitime dans la mesure où elle permet de réfléchir à la place centrale que ce conflit occupe aujourd’hui sur la scène mondiale, au même titre que ceux du Vietnam dans les années 1960-1970 et de l’Afrique du Sud dans les années 19701980. » PAF: 5 EURO, 2 EURO pour les étudiants et chômeurs

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*19 rue Pletinckx – 1000 Bruxelles


vendredi 25 février à 20h15 La République islamique d’Iran après la révolte de 2009 Conférence-débat avec

Housang Sépéhr, Azadeh Banaî et Reza Kazemzadeh Housang Sépéhr est militant politique, il anime l’association « Solidarité Socialiste avec les travailleurs en Iran ». Azadeh Banaï et Reza Kazemzadeh, tous deux psychologues, travaillent dans des associations d’aide aux réfugiés, respectivement « Ulysse » et « Exil » Trois regards d’opposant(e)s en exil sur la situation politique iranienne après les mouvements de révolte populaire contre la réélection truquée du président Ahmadinejad. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

samedi 26 février à 20h – 111, rue Vanderschrick 1060 St-Gilles L’UPJB invite pour un

Concert exceptionnel les chorales Rue de la Victoire et C’est des Canailles Rue de la Victoire est la toute jeune chorale trans-générationnelle de l’UPJB. Elle aborde un répertoire de chansons de résistance, de lutte, de liberté d’ici et d’ailleurs. Un répertoire lié à l’histoire de la maison de la rue de la Victoire. C’est les Canailles, chorale de Liège qui chante pour la démocratie et la tolérance, contre les inégalités et les injustices. Pour décaper l’histoire, exhumer la mémoire et éclairer l’avenir. PAF: 5 EURO Adresse : Blanche et noire – 111, rue Vanderschrick – 1060 St Gilles Réservation à Blanche et noire : blanchesetnoires@skynet.be / Tél. : 02.241.63.37

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activités vendredi 18 MARS à 20h15*

L’antisémitisme à gauche Conférence-débat avec

Michel Dreyfus, historien et directeur de recherche au CNRS En publiant, aux Éditions La Découverte, un livre sous ce titre, l’auteur savait qu’il ferait évidemment débat : un antisémitisme à gauche ou de gauche ? C’est toute l’histoire d’un paradoxe qu’il analyse en détail de 1830 à nos jours. L’antisémitisme, quel qu’il soit doit être condamné, mais il faut bien le comprendre pour le combattre efficacement. Présentation et animation du débat par Jacques Aron PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO * Report d’une conférence initialement annoncée pour le 10 décembre 2010

vendredi 25 mars à 20h15 Après Tel-Aviv et en première diasporique (mondiale)

Épiphanie en vacances Un film d’Effie Weiss et Amir Borenstein (en présence des réalisateurs) Présentation : Gérard Preszow « Portant un petit sac-à-main et équipée d’écouteurs, Épiphanie, agent secret, entre dans la chambre 117 d’un l’hôtel de luxe de Bâle. C’est la vraie chambre où Théodor Herzl, le visionnaire de l’État juif, séjourna durant le premier Congrès sioniste il y a 130 ans, et sur le balcon de laquelle la fameuse photo a été prise. Après avoir inspecté la chambre et accompli quelques préparatifs, elle attend. Un appel téléphonique ? Le bon moment ? Une révélation ? Épiphanie en vacances, c’est la rencontre entre une utopie réalisée et ses origines fantasmatiques. Une rencontre de la réalité avec elle-même comme simple possibilité. C’est une part des préoccupations d’Effi et d’Amir à propos de la naissance de l’État juif et de la tension entre une Idée et les essais pour la concrétiser. » Epiphany On Vacation_2010_video_24’25 | versions : English s.t., Français Cette soirée sera aussi l’occasion de voir d’autres réalisations d’Effi et Amir, parmi lesquelles celles issues des ateliers qu’ils animent avec des enfants palestiniens à Hebron, dans les Territoires occupés. Pour en savoir plus : www.effiandamir.net PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

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courrier Suite à la publication de notre dossier « De la liberté d’expression » en décembre dernier, le blog « Les indigènes du Royaume », tenu par un anonyme signant « Le Bougnoulosophe », a réservé quelques injures, qui auraient sans doute naguère trouvé leur place dans la presse d’extrême-droite, aux auteurs de ce dossier. Un de ses billets, daté du 29 décembre dernier, reproduisait un texte de Dominique Vidal, intitulé « L’histoire, sa négation et sa loi », en laissant croire au lecteur que l’accroche mentionnant « trois obscures revues (Politique, La Revue nouvelle, Points critiques) » était de la main de Dominique Vidal lui-même. Il a fallu à Dominique Vidal des interventions répétées avant d’obtenir que son texte en hommage à Pierre Vidal-Naquet ne soit retiré, non sans être lui-même insulté par l’auteur anonyme du blog. Nous reprenons ici, à la suggestion de Dominique Vidal, son message adressé aux « Indigènes du Royaume ».

J

e découvre avec surprise que le site des « Indigènes du Royaume » publie le texte de ma contribution à l’hommage rendu à Pierre Vidal-Naquet le 10 novembre 2006 à la Bibliothèque de France. Il le fait sans m’en avoir demandé l’autorisation et, pis, avec une accroche qui n’est pas de moi et dans laquelle je ne me reconnais ni sur le fond, ni sur la forme. Elle diffame en effet les revues belges Point critiques, La Revue nouvelle et Politique, pour lesquelles j’ai la plus grande estime sans partager nécessairement tous les points de vue qui s’y expriment.

J’exige donc que cette accroche soit retirée dans les meilleurs délais, faute de quoi je n’exclus pas une démarche de caractère juridique pour que cette falsification soit sanctionnée. Et j’ajoute que ce genre de méthode discrédite ceux qui y ont recours. Sans le respect de l’éthique démocratique, il n’est pas de combat démocratique : la fin – sauf pour Staline – ne justifie pas les moyens. Dominique Vidal, historien et journaliste, le 31/12/2010

Musée Juif de Belgique

21, rue des Minimes – 1000 Bruxelles

Mardi 22 février 2010 de 12h30 à 13h30 Jacques Aron présentera son dernier livre Israël contre Sion, ou les deux visages du judaïsme La grande diversité de la condition juive dans le temps et dans l’espace a donné aux quatre lettres du nom JUIF une multiplicité de sens qui en rend la perception particulièrement problématique. L’ouvrage en retrace un parcours historique et personnel.

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UPJB Jeunes Plaisirs d’hiver NOÉMIE SCHONKER

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xamens, blocus, crises de nerfs, crises de foie, vacances à l’autre bout du monde ou cocooning chez soi, bonnes résolutions et échanges de vœux annoncent, chaque année, le passage à l’an nouveau. Chez nous, il avait été prévu que pendant que des moniteurs s’arracheraient les cheveux sur leurs syllabus, les autres se retrouveraient au Château d’Insegotte pour y suivre une formation Céméa, réfléchir au rôle d’animateur, interroger sa pratique et la dynamique de groupe, renforcer son bagage d’activités, etc. Malheureusement, le 24 décembre, après un suivi météorologique tendu et une écoute continue des infos trafic, nous devons annuler la formation. Impossible de se rendre sur les lieux… mais ce n’est que partie remise. En attendant, on se retrouve au local, on boit quelques bulles et on cause thème de camp, rentrée 2011, Grand bal yiddish, projets… Parmi ceux-ci, la proposition d’une collaboration entre le Musée Juif de Belgique, les jeunes de l’UPJB et ceux de l’AMO Samarcande dans le cadre de la Nuit des musées, la Museum Night Fever. Créée en 2005, la Nuit des musées vise à faire redécouvrir au public de proximité et touristique la richesse des collec-

Israël. Le premier enfant, Miriam Trito, née dans la colonie italienne d’Alma. 1951. © David Seymour/Magnum Photos

tions et de l’offre culturelle des musées. Choix est laissé à ceuxci d’ouvrir simplement leurs portes pour une visite nocturne ou de développer des activités et des animations spécifiques... Le 26 février prochain, des jeunes coutumiers des grands jeux – anciens, monos et Jospa de la maison – associés aux jeunes de l’AMO, affranchis de la création sonore et radiophonique, se transformeront donc en guides extravagants, en animateurs de foule et scénographes de musée. Les rencontres doivent encore avoir lieu, les envies doivent encore se préciser mais voici déjà de quoi vous allécher…

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DANS LA PEAU D’UN PHOTOREPORTER HUMANISTE David Seymour (Chim), actuellement mis à l’honneur par le Musée Juif de Belgique, longtemps resté dans l’ombre de Robert Capa et Henri Cartier-Bresson, n’a pas reçu la consécration qu’il méritait. Pour découvrir ce grand photojournaliste, les jeunes de l’UPJB et de Samarcande proposent un jeu de rôle mettant en perspective la vie de David Seymour (Chim), son œuvre et les évènements historiques qu’elle couvre. Créations sonores, objets familiers, messages codés, cartes aé-


Carte de visite L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective.

riennes, « liste mexicaine » et personnages « sortis » des clichés exposés guideront le public, devenu photoreporter d’un soir en quête d’humanité, dans les méandres des événements historiques, denses et insensés, dramatiques et dévastateurs, qui ont marqué l’Europe des années 30, 40, et le renouveau des années 50. Au fil de son enquête, muni d’une carte de presse, le photojournaliste d’un soir suivra les pas de Chim afin de découvrir la vie d’un des fondateurs de l’agence Magnum, les rencontres marquantes qui l’ont ponctuée, le monde sur lequel il a voulu agir, les petites gens qui l’ont peuplé, leurs leaders et leurs idoles. Ainsi immergé, partie prenante de l’aventure sensible, visuelle et engagée de Chim, le public s’approprie une œuvre, des histoires de l’Histoire et une signature, un regard différent empreint d’une immense humanité. Et si Chim laissait son objectif pour le micro, le visuel pour le sonore… Et si tout cela était lié ? À vous, messieurs, mesdames Szymin – Chim – Seymour, de capturer ce moment où le reporter se confond à l’artiste, en gardant à l’esprit que ce qui importe n’est pas tant ce qui est vu mais la manière dont on le voit… ■

Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq groupes différents.

Bienvenus pour les enfants de 6 ans ou qui entrent en

Les 1ère primaire Moniteurs :

Alice : 0477/68.77.89

Axel : 0471/65.12.90 Josepha : 0479/19.15.15 Charline : 0474/30.27.3 Les pour les enfants de 7 à 8 ans Moniteurs : Shana : 0476/74.42.64 Sacha : 0477/83.96.89 Lucie : 0487/15.71.07 Milena : 0478/11.07.61 Les pour les enfants de 9 à 10 ans Moniteurs : Mona : 0474/42.37.72 Manjit : 0485/04.00.58 Fanny : 0474/63.76.73 Clara : 0479/60.50.27 Les pour les enfants de 11 à12 ans Moniteurs : Lenny : 0474/94.88.15 Valentine : 0494/59.43.09 Sarah : 0471/71.97.16 Totti : 0474/64.32.74 Les pour les enfants de 13 à 14 ans Moniteurs : Yvan : 0474/35.96.77 Marie : 0472/67.11.09 Noé : 0472/69.36.10 Maroussia : 0496/38.12.03

Marek

Janus Korczak

Émile Zola

Yvonne Jospa

Informations et inscriptions : Noémie Schonker - noschon@yahoo.fr - 0485/37.85.24

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écouter Les épaules de papy NOÉ Aux quatre-vingts ans de mon grand-père

R

egarde comme papy agite ses épaules. Lors d’un trajet en voiture, mon frère et moi découvrons que notre grand-père danse lorsqu’il est au volant. Nos heures de route sont le plus souvent rythmées par la chanson française du siècle passé. Comme il est difficile de se balancer sur Brel ou François Béranger, papy se laisse aller à la nostalgie et au revirement linguistique. Place donc au russe et au yiddish. De la musique qui me poursuit, moi aussi. *

Sur le chemin de l’école, Vladimir Vyssotski me donne de l’endurance. Je n’en comprends pas un mot, mais son ton toujours indocile m’emporte. Chanteur Russe, de père juif, Vyssotski (1938-1980) était une sorte de Brassens en plus bruyant, aux « r » rauquement roulés. Sobrement accompagné de guitares et d’une contrebasse, il était généralement censuré. Fougue d’un autre temps, temps d’autres combats. Celui où Vyssotski devait se frayer un chemin au milieu des entraves que lui dressait le gouvernement de l’époque. Puisque pas d’Internet, l’actrice Marina Vlady, son épouse, le pousse aux voyages. Elle l’emmène dans son pays, la France. Il y enregistre alors des chansons en fran-

Krupnik

çais dont « La fin du bal » disponible sur Youtube. Mots qu’il claque, voix qu’il déchire. « Pourquoi/J’voudrais savoir pourquoi/Elle vient trop tôt/La fin du bal/C’est les oiseaux /Jamais les balles/Qu’on arrête/En plein vol… » * Un concert des Chœurs de L’Armée Rouge. Mes parents y voyaient un coup commercial et une pâle imitation de leur répertoire original. J’avais six ans, peut-être. Premières émotions lorsqu’ils entonnèrent « Plaine, ma plaine ». Je les avais déjà tellement entendus.

classique « Cinquième As » du rappeur MC Solaar avec le plaintif « The Magic of Klezmer » de Giora Feidman. Clarinettiste juif argentin, auteur d’un des seuls albums de Klezmer qui ait jamais accompagné nos escapades routières. Le préféré de papy. Pourquoi lui plus qu’un autre ? Je ne connais pas l’histoire, mais j’imagine que ses origines bessarabiennes n’y sont pas pour rien. « Ki Mizion » ouvre le bal. La clarinette gémit, quitte à pousser au cliché de la musique yiddish. Je me lamente avec elle et fronce les sourcils. La guitare m’entraîne, mes épaules se remuent instantanément. *

* Je me souviens d’un haick d’été, lors d’un camp. Comme à mon habitude – mauvaise, j’en conviens – je m’enferme seul avec mon lecteur Mp3. Le mélange n’est pas des plus courants, j’alterne le

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Il fut un temps où j’apprenais le violon. Après cinq ans d’initiation aux morceaux plus ou moins classiques, ma mère m’inscrit aux cours de Joëlle Strauss. Nous sommes quasi voisins, et peutêtre vais-je enfin pouvoir m’atta-


quer à la musique yiddish. N’étant pas un élève assidu, je laisse tomber le violon et le « Comme toi » de J.J.Goldman. Malgré ma bifurcation musicale, je continue de croiser Joëlle lors de l’un ou l’autre récital de Krupnik, dont elle est violoniste et chanteuse. La semaine passée, l’ami Sacha me fait écouter Jewish Music : from here, there and everywhere , le dernier album de Krupnik. Je demande à Joëlle s’il lui reste un CD que je pourrais éventuellement venir chercher chez elle. Elle me l’offre. Comment différencier cet album d’un autre ? Pourquoi encore un album avec des airs joués des miliers de fois ? La gaieté qui anime les musiciens est palpable. Les cris de joie d’André Reinitz, aussi jovials que son piano, sont toujours plaisants. Jean-Pierre Debacker et sa clarinette enchaîne de jolies envolées. Je me passe l’album en boucle, particulièrement les trop courts instants chantés par Joëlle. Comme sa brillante présence sur « Papirosn » . Au fil des écoutes, l’album ne perd rien de son allégresse, ni de sa mélancolie qui m’ont séduit dès la première écoute. * J’associe chaque musique juive à notre shtetl fictif installé à Brûly-de-Pêche, camp d’hiver de l’an passé. Si j’étais hésitant quant à certaines activités censées nous faire expérimenter la vie dans la Pologne des années 30, c’est ce décor qui défile aujourd’hui dans ma tête lorsque j’écoute des mélodies juives : nos kippas aux réfectoires, « un az der rebe zingt » à toutes heures, et notre rabbi venu tout droit du Birobidjan. « C’est un vrai rabbin ? » demandent les plus jeunes d’entre nous, qui ne l’ont

pas reconnu. Si son déguisement prête à confusion, sa guitare et sa voix ne laissent planer aucun doute. Je reconnais immédiatement Alain Lapiower. Eté 2009, je conçois un premier concert composé de mes propres chansons. J’invite Alain à partager sept minutes avec moi. J’imaginais une chanson sur les camps, sous forme de duo yiddish-français. Alain me fait l’honneur de revenir sur le passé, de manière inédite et inattendue pour lui, comme pour moi. Pour garder la musique en mémoire, Alain me tend un enregistreur d’un autre temps. « La dernière fois » devient « Nokh a mol ». Le 28 novembre 2010, après une vingtaine de minutes d’un concert bancal, j’annonce Alain de manière maladroite. Je suis intimidé et heureux d’être à ses côtés. Lui que, de ma chaise, j’observais attentivement à chaque bal Yiddish. Alain, chanteur des Red’N’Black, dont le vinyle trône parmi les raretés de ma chambre, et dont j’espère une reformation. Il y a quelques semaines, Maxime Leforestier et Philippe Lafontaine donnaient un concert gratuit sur la Grand Place. Je me tâte quelques minutes... mais non, ce soir-là, Alain chante à l’UPJB les morceaux yiddish qu’il connaît depuis toujours. Une bonne partie du public a l’air de les connaître. L’information est mal passée auprès des jeunes, nous ne sommes que quelques monos présents. Mais pas de quoi nous refroidir. Nous essayons de lui rendre la chaleur qu’il nous offre avec attention, émoi et ironie. Alain, si les yiddish’men se font rares dans la Maison, il se pourrait qu’on vienne un de ces jours sonner à ta porte. Nous sommes plusieurs à en avoir envie. ■

est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août) L’UPJB est membre de la Fédération des Juifs européens pour une paix juste (www.ejjp.org) et est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente) Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski Ont également collaboré à ce numéro : Roland Baumann Noé Elias Preszow Gérard Preszow Noémie Schonker Michel Staszewski Youri Vertongen Jean Vogel Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Compte UPJB IBAN BE92 0000 7435 2823 BIC BPOTBEB1 Abonnement par ordre permanent mensuel de 2 EURO Abonnement de soutien 3 EURO Abonnement à l’étranger par virement de 40 EURO par an Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB. Montant minimal mensuel: 10 EURO pour un isolé, 15 EURO pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.

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agenda UPJB Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

vendredi 11 février à 20h15

L’écologie est-elle vraiment de gauche ? Conférence-débat avec Jean Cornil, ancien sénateur PS, Edgat Szoc, chercheur et Daniel Tanuro, auteur (voir page 24)

vendredi 18 février à 19h45

De quoi la Palestine est-elle le nom ? Conférence-débat avec Alain Gresh. Salle Helder Camara (voir page 24)

vendredi 25 février à 20h15

La a République islamique d’Iran après la révolte de 2009. 2009 Conférence-débat avec Housang Sépéhr, Azadeh Banaî et Reza Kazemzadeh (voir page 25)

samedi 26 février à 20h

Concert exceptionnel des chorales Rue de la Victoire et C’est des Canailles. Blanche et noire 111, rue Vanderschrick – 1060 Bruxelles (voir page 25)

vendredi 18 mars à 20h15

Conférence-débat avec Michel Dreyfus, historien et directeur de recherche au CNRS (voir page 26)

vendredi 25 mars à 20h15

Épiphanie en vacances. Un film d’Effi Weiss et Amir Borenstein (en présence des réalisateurs). Après Tel-Aviv, première diasporique (voir page 26)

club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

jeudi 3 février Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

« Edmond Picard, un socialiste antisémite » par Roger Barbier, professeur de français et d’histoire

jeudi 10 février

« L’actualité politique du Proche-Orient » par Henri Wajnblum

jeudi 17 février

« Un enfant caché par des gens merveilleux du pays de Liège » par Jacques Bude

jeudi 24 février

« Bruxelles d’un siècle à l’autre – reconductions photographiques ». Exposition aux Archives de la Ville de Bruxelles, 65 rue des Tanneurs. Rendez-vous à l’entrée à 14h30

jeudi 3 mars

« Les pouvoirs publics belges face au culte israélite, 1830-1914 » par Caroline Sägesser, doctorante au Centre interdisciplinaire d’étude des religions et de la laïcité de l’ULB

et aussi jusqu’au 12 février

Exposition Haut les couleurs de Jo Dustin à la Galerie Libre Cours - 100, rue de Stassart 1050 Bruxelles. Du jeudi au samedi de 14h30 à 18h30 et sur rendez-vous (0473.590.285)

mardi 22 février à 12h30

Présentation par Jacques Aron de son dernier livre Israël contre Sion, ou les deux visages du judaïsme. Musée Juif de Belgique, 21 rue des Minimes 1000 Bruxelles (voir page 27)

Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be


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