n°318 - Points Critiques - septembre 2011

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mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique septembre 2011 • numéro 318

éditorial Israël. Une indignation sélective

Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - mensuel (sauf juillet et août)

HENRI WAJNBLUM

T

rois cents mille Israéliens dans les rues de Tel-Aviv début août, on n’avait plus vu ça depuis près de trente ans, depuis l’été 1982 très exactement. À cette époque, c’était pour dénoncer le massacre de Sabra et Chatilah perpétré par les phalanges chrétiennes libanaises avec la complicité avérée de l’armée israélienne commandée par Ariel Sharon. Aujourd’hui, c’est pour réclamer la justice sociale et protester contre la flambée des prix qui atteint tous les secteurs de l’économie. Les revendications du mouvement de protestation visaient tout d’abord à dénoncer les prix de plus en plus élevés du logement, mais elles se sont rapidement élargies à d’autres champs tels les coûts des produits alimen-

taires et de l’éducation. Effets de la crise mondiale qui exigerait des mesures drastiques d’austérité comme celles imposées à la Grèce, à l’Espagne, à l’Italie… ? Difficile à croire quand on sait qu’Israël connaît une des croissances les plus élevées de la planète, avec une prévision de 4,8% pour 2011, et un taux de chômage de 5,7% dont rêveraient la plupart des pays occidentaux. Fervent adepte des privatisations, du néo-libéralisme et des lois du marché, Benyamin Netanyahou s’est largement vanté de l’enviable bulletin de santé de l’économie israélienne obtenu grâce à sa politique. Mais il s’est tu dans toutes les langues sur les graves disparités sociales ainsi créées, de même que sur les augmentations constantes du coût de la vie qui ont fini par écraser les

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

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sommaire éditorial

1 Israël. Une indignation sélective ............................................ Henri Wajnblum

lire

4 Dans la peau du tortionnaire ..........................................Tessa Parzenczewski

hommage

5 Simon Zaleski 1952-2011 .............................................. Marc-Henri Wajnberg

regarder

6 Mufuki, peintre .......................................................................... Antonio Moyano

lire, regarder, écouter

8 Notules d’été ............................................................................... Gérard Preszow

diasporas

12 Art contemporain et Renaissance juive en Pologne .......... Roland Baumann

histoire(s)

14 Pogromes en guerre civile 1928-1922 ..........................Jean-Marie Chauvier

relire

18 « Regard » sur Marcel Liebman ...........................................Nicolas Zomersztajn

réfléchir

22 Bibi au Congo ................................................................................ Jacques Aron 24 La réincarnation d’Adolf H. Breivik ............................................ Jacques Aron 25 Jésus est juif aux USA........................................................... Michel Staszewski

controverse(s) 26 Le négationnisme est-il l’affaire des tribunaux ? ........................Mateo Alaluf 28 Sophismes, leurres et manoeuvres de diversion ..........................Olga Elkaïm

yiddish ? yiddish !

! widYi ? widYi

30 budapesht - Budapest. ...............................................................Willy Estersohn

humeurs judéo-flamandes

32 Un été pretty much pourri ..........................................................Anne Gielczyk

le regard 34 L’art de se plaindre .................................................................... Léon Liebmann 36

activités rectificatif

classes moyennes, véritable épine dorsale du pays. Et véritable épine dorsale aussi du large mouvement de protestation que le pays connaît depuis la mi-juillet. Car il ne faut pas s’y tromper… La fameuse « high-tech » qui fait la fierté de l’État ne regroupe en tout et pour tout que deux ou trois grosses entreprises liées au ministère de la Défense et environ 3.000 PME, et elle n’occupe que 198.000 travailleurs. Quant aux autres, ils sont le plus souvent mal payés, beaucoup d’entre eux devant se contenter du revenu minimum (750 euros) alors que le coût de la vie est largement supérieur à celui des grands pays européens. Bref, tandis qu’Israël s’enrichit, la grande majorité de ses citoyens connaît de plus en plus de difficultés à nouer les deux bouts et réclament aujourd’hui des réformes en profondeur : construction massive de logements pour offrir des locations à bas prix, hausse du salaire minimum, taxes sur les appartements inoccupés et école gratuite à tout âge, ainsi que la réduction du pouvoir des industriels, accusés d’augmenter artificiellement le prix des produits de consommation par le biais de cartels et d’ententes.

DES CITOYENS TRANSPARENTS

39 La galaxie Dieudonné [suite] ............................................ Manuel Abramowicz

écrire

40 1943............................................................................................... Henri Erlbaum

écouter

42 Ton âme de caravane .................................................................................... Noé 44

éditorial ➜

les agendas

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Certains se sont montrés sceptiques et même quelque peu ironiques au début du mouvement… Ainsi Etgar Keret, écrivain et cinéaste israélien dont le film Meduzot, réalisé avec son épouse Shira Geffen, a obtenu la Caméra d’or au Festival de Cannes en 2007. Interviewé dans Le Monde du 7 août, il déclarait « Lorsque la contestation a commencé, con-

tre la hausse du prix du fromage blanc, j’ai été très critique et cynique. Je me disais que, dans un pays comme le nôtre, où les députés adoptent des lois qui sanctionnent l’appel au boycottage des colonies, où tant de gens n’obtiennent pas la citoyenneté, sans parler de l’occupation... c’était un peu égoïste de s’occuper de la hausse du prix du cottage cheese. Puis j’ai réalisé qu’il se passait quelque chose de plus fort. Beaucoup d’Israéliens ne sont pas contents de la situation actuelle du pays, chacun pour des raisons différentes, économiques ou plus politiques ». Et d’expliquer… « La majorité des citoyens israéliens ont le sentiment d’être transparents aux yeux du gouvernement de Benyamin Netanyahou. La coalition au pouvoir dialogue avec les colons, avec les ultraorthodoxes, avec les grandes entreprises, mais elle ne s’intéresse pas aux autres. Historiquement, les enjeux sociaux n’ont jamais intéressé les députés. Ce qui compte pour un ministre, c’est d’avoir le portefeuille de la Défense (…) ». À la question de savoir s’il voyait un lien entre les révoltes du « printemps arabe », et l’été social des Israéliens, il répondait… « Bien sûr, les révoltes arabes ont montré que le changement était possible. Israël est une société très démocratique, mais très docile. On a toujours eu le sentiment que manifester allait affaiblir le gouvernement et donc affaiblir le pays. Le « printemps arabe » a montré qu’on pouvait descendre dans la rue pour rendre son pays meilleur ». Il y a tout de même une nette différence, et Etgar Keret ne peut pas l’ignorer, entre les pays arabes où les révolutions se sont déroulées, Tunisie, Égypte, Yémen, ou se déroulent encore comme

en Syrie, et Israël. Dans ces pays, soit il n’y avait pas d’élections, soit les résultats en étaient connus d’avance, alors qu’en Israël les élections sont libres et démocratiques. C’est donc librement et démocratiquement que les Israéliens ont choisi de porter au pouvoir la coalition la plus droitière et néo-libérale de l’histoire de l’État, ne pouvant ignorer quelle serait sa politique. La désavoueront-ils lors des prochaines élections ? Peut-être. Mais au profit de quelle autre ? De la gauche ? Elle est en état de coma profond et ne s’est d’ailleurs jamais beaucoup, pour ne pas dire pas du tout, préoccupée de la question sociale, ce qui a provoqué le début de son déclin à dater de 1977 et la venue au pouvoir de Menahem Begin. De Kadima ? La plupart de ses 28 députés sont issus du Likoud et ont rejoint Kadima dans les bagages d’Ariel Sharon, mais leur « vision » politique reste celle de leur ancien parti. Une de ses figures de proue, Avi Dichter, ancien chef du ShinBeth, vient de déposer une proposition de loi, qui a toutes les chances d’être votée prochainement, intitulée « loi fondamentale ; Israël comme l’État-nation du peuple juif» dans laquelle il suggère de bien distinguer les priorités : Israël est d’abord et avant tout l’État-nation du peuple juif, et ensuite seulement un État démocratique. Cela signifie, ainsi que le souligne Uri Avnery, que « si jamais la démocratie entrait en conflit avec la judéité de l’État, la judéité gagnerait, la démocratie perdrait ». Et d’ajouter, « À propos, cela ferait d’Avi Dichter le premier sioniste de droite à reconnaître qu’il existe une contradiction fondamentale entre un État juif et un État démocratique ». L’horizon politique d’Israël est donc loin d’être à l’embellie.

UNE INDIGNATION SÉLECTIVE Malgré toute l’empathie que l’on peut éprouver pour ce mouvement légitime de protestation, on ne peut s’empêcher de se poser un certain nombre de questions. « Le logement est une valeur fondamentale, il est la base de tout » déclaraient les représentants des manifestants lors du rassemblement de Tel-Aviv… Qui pourrait ne pas être d’accord avec une telle déclaration? Mais ce qui est gênant c’est que seul l’écrivain palestinien Sayed Kashua a dénoncé « les destructions de maisons dans les localités arabes, les saisies de terres et autres mesures discriminatoires, visant une minorité qui représente 20% de la population globale ». Comment, aussi, ne pas s’interroger sur l’absence de dénonciation du prix de l’occupation et de la colonisation ? Comment ne pas s’interroger sur l’absence de dénonciation des autorisations accordées à tout va pour la construction de plusieurs milliers de logements dans les colonies alors qu’il y a un manque abyssal de logements à prix modérés en Israël. Le mouvement pourra-t-il évoluer et prendre conscience de l’injustice dont est victime le peuple palestinien dans les territoires occupés ? On ose l’espérer. Peut-être pas tout le mouvement, mais une partie tout au moins. Car comme l’écrit Amira Hass dans Ha’aretz du 10 août… « Dans les mois qui viennent, lorsque le mouvement prendra de l’ampleur, il éclatera. Certains continueront de demander justice à l’intérieur des frontières d’une nation, toujours au détriment de l’autre nation qui vit sur cette même terre. D’autres comprendront que cela ne sera jamais un État de justice et de bienêtre s’il n’est pas l’État de tous ses citoyens ». ■

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lire

hommage

Dans la peau du tortionnaire TESSA PARZENCZEWSKI

U

n poète à Gaza, une romancière à Tel Aviv… et dans les coulisses, une machination ourdie par les services secrets. Telle est la trame de ce thriller concocté par Yishaï Sarid. C’est par la voix du narrateur, un agent des services secrets, que nous découvrons le dispositif destiné à piéger Hani, le

poète de Gaza, dont le fils est à la tête d’un réseau qui fomenterait des attentats-suicides. Hani souffre d’un cancer au stade terminal. À Gaza, tout manque, même les médicaments pour calmer la douleur. Dafna, la romancière, essaye de faire soigner Hani en Israël et c’est là qu’intervient l’agent secret. Travesti en aspirant écrivain, il prend contact avec Dafna et facilite l’arrivée du poète en Israël. D’un univers à l’autre, double jeu et double personnalité. Locaux sinistres où se succèdent sans dis-

continuer des cohortes de suspects et où notre agent pratique sans états d’âme la torture psychologique, l’humiliation mais aussi la brutalité physique, parfois jusqu’au point de non retour… Et en total contraste, dans une sorte de schizophrénie, les rencontres amicales avec Hani et Dafna, les conversations chaleureuses, l’amitié naissante. Double jeu mais pris à son propre jeu, le narrateur sent vaciller ses certitudes, mais poursuit implacablement la mise en place du piège. Jusqu’à quand ? Fils de Yossi Sarid, ancien président du Meretz, Yishaï Sarid est juriste et fut un temps procureur. C’est donc quasi de l’intérieur qu’il nous fait connaître cet autre monde, monde parallèle, cynique, où la fin justifie tous les moyens. Cependant, sans céder à une vision manichéenne, c’est d’une manière plutôt subtile qu’il nous fait vivre les affres et les contradictions de son personnage, sa vie privée, son couple qui se délite, en préservant jusqu’au bout son ambiguïté. Il évoque aussi ces années lointaines où un écrivain de Gaza pouvait séjourner à Tel-Aviv, fréquenter des intellectuels israéliens, nouer des amitiés, mais peut-être n’était-ce qu’un trompe-l’œil ? D’une écriture minimaliste, par-

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fois brutale, où le rythme tient lieu de style et structure le récit, ce thriller nous entraîne, sans souffler, de Tel-Aviv à la mer Morte, dans une réalité plurielle, sans toutefois noyer le poisson. ■

Yshaï Sarid Le Poète de Gaza Traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz Actes noirs/Actes Sud 220 p., 21,50 EURO

Simon Zaleski 1952-2011 MARC-HENRI WAJNBERG Szymon/Simon Zaleski est décédé il y a quelques semaines. Sa famille fut chassée de Pologne par la campagne antisémite de 1968 et s’installa en Belgique. Simon Zaleski fut comédien, acteur, directeur de production, réalisateur et parfois photographe de plateau. Il est retourné dans les années 80 en Pologne où il joua au Théâtre yiddish d’État de Varsovie. Simon Zaleski avait repris le nom originel de sa famille. Il s’appelait Shimon Bromberg.

S

alut Simon. J’ai connu Simon Zaleski lorsqu’il m’a assisté sur un tournage que je préparais en Russie. Simon pouvait se débrouiller dans toutes les situations. Il parlait russe, polonais, anglais, français, espagnol, allemand, yiddish et surtout c’était un négociateur de génie. Son côté gainsbaar-polisch-jewisch, ses grands yeux tristes, la tête qui balançait de gauche à droite quand il espérait obtenir quelque chose, ses épaules qui se haussaient pour y engoncer le coup, tout cela le rendait irrésistible. On lui aurait donné le bon dieu sans confession. Très fort. Sa grande intelligence et une sensibilité hors norme en faisaient le conseiller historique et l’assistant parfait sur le tournage du film que je faisais sur le photographe soviétique Evguéni Khaldéi. 1997, nous avons probablement testé tout ce que Moscou comptait de clubs, bars, dancings anciens, modernes et casinos qui poussaient comme des champignons. Un matin, sur le tournage, en comprenant que l’absence de Simon était due à l’accumulation de ses nuits blanches, le vieux photographe Khaldéi m’avait alors dit : « Aahh Szymon, des yeux d’orphelin, des couilles de brigand ». C’est ça, c’est lui.

Un vrai brigand. Nous avons souvent mangé du caviar, le bon, le gros gris, celui qu’il importait en fraude et qu’il revendait à un prix défiant toute catégorie. Ce trafic lui faisait faire régulièrement des allers-retours entre la Russie et la Belgique. Une nuit, près de la frontière polonaise, ayant senti le danger, Simon avait planqué précipitamment sa cargaison de boites de caviar sous la neige, au pied d’un arbre. Peu de temps après il était revenu sur les lieux de son forfait. Rien ne ressemble plus à un pin sous la neige qu’un autre pin sous la neige dans une forêt de pins sous la neige. Si un jour vous trouvez une cargaison de boîtes bleues de caviar gris de première qualité dans une forêt près de Meduniszki, à moins que ce ne soit Zheleznodorozhnyv ou Bagrationovsk, mangez les à sa santé. Simon était brillant, je l’avais perdu de vue. Je ne l’ai bien connu qu’une courte période. Maintenant il est mort, merde. Regrets. Tous ses amis ont bien plus de souvenirs à raconter, des histoires émouvantes, intelligentes, cocasses, belles. Et c’est ça qui m’a frappé lors de son enterrement … (il ne s’est pas fait enterrer, il s’est fait incinérer. Mais c’est moche de dire ‘ crémation ’ ça passe pas) c’est le

côté agréable (hé oui), convivial, intelligent, non solennel, du moment. Le rabbin Dahan (je vous le conseille si vous devez mourir un de ces jours) qui avait été approché par Simon pour officier ce jour là avait compris qu’il fallait le faire à la juive mais pas trop, comme il faut quoi, et les proches de Simon qui ont parlé c’était pareil : intelligence, admiration, humour. Simon était présent, à sa façon, dans tous les gens qui se souvenaient de lui. Enfin une cérémonie de crémation non sordide. Un moment fort, apaisant. T’es un type bien Simon, on te regrette, on pense à toi. Son dernier souhait : que ses cendres soient mises dans une boîte bleue de caviar Beluga avant d’être dispersées en Pologne, dans la mer Baltique, près d’un village qui s’appelle Hel. Bon vent Szymon ! ■

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regarder Mufuki, peintre ANTONIO MOYANO

M

ufuki ? Un pseudo, un patronyme ou un prénom ? Et dans quelle langue ? Il est Noir Mufuki ; de quel côté, le père ou la mère ? Et sa peinture dit-elle aussi qu’il est Noir ? Heu… attendez voir… Oui, absolument ! Mufuki peint sur toile. Impression visuelle ? C’est très coloré, c’est beau à voir et très maîtrisé, il « parle » bien avec chaque couleur, ça ne fait jamais patchwork arc-en-ciel, non. C’est figuratif, ça raconte quoi ? On verra plus tard. Impression tactile ? C’est épais comme des couches de repentirs, c’est à l’huile fine et à la peinture industrielle, et des mix d’autres mélanges. Et ça donne quelle sensation ? Que l’image n’a pas été plaquée, ni coupée/collée, ni venue d’ailleurs, non, comme si l’image avait surgi du fond même de la matière, d’un petit magma/ placenta. Ça évoque le jour ou la nuit ? Les parages de la nuit. Ça saute aux yeux, Mufuki refuse le fignolage, la joliesse, l’épate. Ici ça respire l’urgence, le fric-frac du geste vif, rapide, et par une étrange alchimie j’y goûte un cocktail des plus enivrants : délicatesse et gravité. Et j’aime la peinture de Mufuki car elle RACONTE. Vous savez, ce n’est pas donné à tout le monde de donner vie à une pein-

ture qui raconte. Évidemment, je sais, ça raconte toujours quelque chose, et dans le pire des cas, je vois, par exemple, que ça ne raconte rien et je le vois, ce RIEN, rien qui me vrille le cœur, je précise. Chez Mufuki c’est tout le contraire : c’est du « 2 en 1 » : un pur morceau de peinture + le je-nesais-quoi-qui-fait-que-ça-raconte. Vous comprenez ? Non ? C’est normal et intentionnel. Je tente (maladroitement, 1000 excuses) d’exprimer le pourquoi cette peinture m’attire : elle m’oblige (comme tant et tant de choses dans la vie – matérielles ou immatérielles) à jouer à colin-maillard avec le regard : je vois/je crois percevoir – j’ai tout vu/je n’y vois plus rien – je vois et ça m’échappe. Après tout quoi de plus normal ?! la peinture existe pour nous dire : tu es aveugle et tu l’ignorais, recommence, ferme les yeux, ouvre les yeux, recommence. Et si longtemps je garde les yeux fermés (je compte jusqu’à 100, je compte jusqu’à 1000…) et quand je les ouvrirai que vais-je découvrir ? Encore une raison d’aimer cette peinture : elle nous dit à tous (de façon très jazzy, très cool, très pianissimo) l’instant fugitif qui a suivi ou précédé le drame. Comme si l’image finale ne surgissait qu’au terme d’un long et très jouissif, « effaçons tout, nous ver-

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rons bien ce qui surgira… » Résultat ? Il me semble que l’image finale nous raconte l’abandon. Attention ! Ce n’est jamais balourd ou ennuyeux, bien au contraire ! C’est aurore et écume. Comme si l’image laissée à l’abandon était, en définitive, l’ultime rinçure d’un récit, et ça vacille entre vacarme assourdissant ou silence total, impossible de connaître le fin mot de l’histoire… Le repentir mis à nu, en quelque sorte. Oui, c’est poidsplume et chagrin, cette peinturelà. Et pourquoi donc ? Comme un coup d’œil jeté par inadvertance par une porte entr’ouverte, les bribes d’une confession… Arrêtons-nous un instant sur ces espaces qui dans les toiles de Mufuki semblent vides ou délaissés… Je dis « des vides » et je pense à des silences, aux non-dits, aux frissons de l’entre-deux. Et au final, voici quelques fragments de toiles surnageant dans ma mémoire : les futurs mariés, le fiancé tenant l’alliance, la fiancée n’est qu’une arabesque, rien que l’ombre d’elle-même, et lui, rien qu’une épaisseur de fumée noire, une femme en longue jupe rose se penche, se penche, se penche, elle va finir par tomber ou prémisse à se faire mettre, j’ai dénombré trois personnes dans un piteux état, elles ont fait des excès, la fille qui attend le client est

Photo gépé

assise à côté d’un tabouret d’un blanc éclatant, comme la formule algébrique d’une éternelle absence, et cet homme débordant de chagrin se cache le visage des deux mains, il a fait le décompte de tout ce qu’il a bu et du dédale de ses déboires, le tableau noir de ses beuveries ressemble au mur d’une cellule de prison, et celle qui se retrouve les quatre fers en l’air sur le carrelage des waterclosets, alourdie par l’insurmontable carapace de la soif inextinguible, et celui qui souffrant de la fièvre (paludisme ?) fait des mauvais rêves, et comme dans certaines Crucifixions du Moyen Âge, les éléments du cauchemar sont à décrypter comme des pièces à conviction lors d’un procès, et ce n’est que tardivement, juste quand j’allais partir que j’ai vu…

je le prenais pour un clown, celuilà ! mais non, c’est Jésus de Nazareth, enfin ce qu’il en reste car il a tout l’air de sortir en droite ligne d’un camp de réfugiés souffrant de malnutrition, et c’est tout le puzzle du Golgotha… et je revois la camionnette (renforcée !) surchargée de paquets, de ballots, de caisses, de valises, petite, petite comme un scarabée, traversant le désert… Oui, jadis ça existait, il y avait un avant et un après, on retrouve intactes chez Mufuki toutes ces arêtes de l’âme. ■ Les œuvres de Mufuki sont visibles chez Grégoire de Perlinghi - Galerie Lumières d’Afrique, 204, chaussée de Wavre 1050 Ixelles - www.lumieresdafrique.eu

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lire, regarder, écouter Notules d’été GÉRARD PRESZOW

À

Charleville, je suis en train de prendre en photo la façade du musée Rimbaud (1854-1891). Passe un homme qui promène son chien : « en prison, oui, en prison. C’est ça qu’il lui faut, pas un musée. C’est la tôle qu’il mérite, ce trafiquant d’armes, ce bandit … ! ». En voilà un qui a pris le poète à la lettre. Quel bel hommage ! * Quelques arbres dans un doux paysage. Une petite Bourgogne qui ondule. Parfois une bonté, un repos de la nature dans une lumière qui ouvre les bras. J’aime cet espace qui s’étend entre l’écho du Rosaire de Beauraing, le cortège des nonnes en longues jupes bleues qui dissimulent leurs chevilles (c’est à cet habit qu’on devine encore les grandes familles catholiques) et la révolte rimbaldienne juste de l’autre côté de la frontière. La Belgique est riche de sous-pays, de petits enclos distincts : la Thiérache avec, à l’horizon, son champignon atomique de Chooz, la Gaume, côté France, avec sa folle basilique d’Avioth. Mais pourquoi le territoire cadrerait-il le regard ? La géologie aurait-elle à voir avec la géopolitique ? Des troncs – pommiers, cerisiers – greffés, griffés, porteurs. On m’explique la gref-

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fe, la griffe, du domestiqué sur du sauvage. Paul Celan, le poète, disait que le Juif et la Nature… ça fait deux. Je voulais en fait parler de cette mésange qui vient qui va. Je dis « mésange », comme on me l’a dite et nommée. Elle a fait son nid dans l’un des arbres, dans un trou, sous l’écorce. Et elle va et elle vient des heures durant. La mésange va dormir tard et se lève tôt. Elle travaille toute la journée pour nourrir ses enfants. Elle chemine et n’arrête pas. Va d’un arbre à l’autre, en zig-zag, en oblique. Toujours le même chemin, mais tellement de détours. Elle s’approche du nid, une larve, un ver au bec. La proie dépasse et rend belle la tâche. La mésan-

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ge est à deux doigts d’entrer dans le nid. Elle déjoue le guetteur ; la voilà qui s’éloigne, s’enfuit, part se poser ailleurs. Je la vois et je me dis pourquoi ? La mésange se méfie de ses amis comme de ses ennemis. Elle ne fait confiance à personne. Je parle, je parle… la voilà dans son nid et déjà repartie. Je ne l’ai vue ni entrer ni sortir. * L’un est blanc de chez blanc, l’autre à moitié noir ou à moitié blanc, c’est selon. Tous deux peignent la peau noire des femmes noires. Mais pas de pareille manière. Une vie et une quarantaine

d’années les séparent. Une autre manière de faire, aussi. Jean-Marie Lahaye (1939) a été magistrat pendant une dizaine d’années au Congo, nommé alors Zaïre. Il en est revenu avec un goût pour la peinture et les femmes de là-bas. Cela fait maintenant plus de quarante ans qu’il s’est mis à son tour à peindre en autodidacte, ici, dans sa maison située sur les hauteurs de la rue de la Victoire à Saint-Gilles. Depuis qu’il a exposé à la galerie Art en Marge en décembre 1986, on peut suivre son parcours au gré du biennal Parcours d’artistes de sa commune au cours duquel il ouvre sa maison. Il lui arrive aussi d’exposer quand on le lui propose, comme récemment – quasi une rétrospective – à la galerie Duqué & Pirson1 à Ixelles. Je surprends Jean-Marie, seul au milieu de ses nombreuses toiles, en train de s’étirer au cœur de cet espace qui me paraît bien trop clean et lissé pour ses aplats colorés et sensuels ; l’impression d’un appartement tout fraîchement repeint de blanc qui attend d’être meublé et habité. Mais l’espace a l’avantage d’être vaste et de proposer un grand nombre de toiles. Les femmes brésiliennes ont pris le pas sur les africaines. À quoi voit-on la différence ? À l’usage de pigments distincts… De la couleur noire brillante à la patine cuivrée. Jean-Marie n’hésite pas à se représenter lui-même parmi ces voluptés au clin d’œil aguichant et quelque peu affolant, aux cuisses ouvertes et découvertes. En s’approchant de la toile, on voit combien le pinceau s’est amusé à couvrir amoureusement des surfaces de pure peinture, à qua-

si épeler de peinture la moindre parcelle libre du tableau. Peutêtre avez-vous vu Jean-Marie représenté à son tour par le maître de Kinshasa, Chéri Samba (1956), sur la fresque monumentale de la porte de Namur, rebaptisée pour l’occasion « La Porte de l’Amour » ? Toujours est-il qu’au-delà des regards coquins et des chairs alanguies, la peinture de Jean-Marie résonne d’une pure joie picturale. Avec le sourire amusé de ses vieux jours, la barbe et la chevelure abondantes et blanchies, le regard pétillant et la voix prenant le temps de détacher les mots. C’est Antonio Moyano (1958), écrivain-peintre, peintre-écrivain qui me conseille d’aller voir Mufuki Mukuna (1973), dit Mufuki, dit Muf pour les intimes. Mufu qui ? C’est d’emblée jazzy. Sueur et fumée. Les femmes, l’alcool, la langueur des cuivres, la nuit et… la déprime du petit matin, seul au fond du lit. Mais quel ly-

Jean-Marie Lahaye. Photo gépé

risme, quelle intelligence intuitive du récit, quel art de démultiplier et de synchroniser les plans du réel et du fantasme, de les disposer là sur la toile avec l’élégance et l’évidence d’un geste d’apparence jeté ! Une peinture syncopée qui rend si bien compte du chaos, de la fièvre et des impossibles. On dirait que la brosse est passée sur les corps et les visages comme pour les rejeter d’emblée dans un souvenir d’avant l’ennui. Beaucoup de blanc, beaucoup de vide, beaucoup d’éléments séparés ou en transparence. C’était au mois de mai à la galerie Caravan’Sérail2. En fait de galerie, un superbe rez-de-chaussée d’une ancienne vaste maison bourgeoise avec des chambres d’hôtes aux étages. Au fond de la pièce, passé de hautes portes-fenêtres, un jardin arboré insoupçonné – quasi un parc aux contours irréguliers – dans ce quartier d’Ixelles à l’habitat si dense. Et sur un banc, le

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➜ peintre Mufuki himself dont je ne sais rien sinon que je suis boule-

che, les questions qu’il se donne à résoudre plastiquement. Des

d’Afrique3, quasi mitoyenne du resto africain L’horloge du Sud. C’est un puzzle formidable qui fonctionne à merveille : le peintre a eu raison… de ma perplexité. Tandis qu’à l’heure des nouvelles du soir, coincé dans un embouteillage du côté de Lille, j’apprends l’incendie des ateliers de la boulangerie La Wetterenoise. Merde, c’est là que Paul Trajman dispose d’un atelier. Je l’appelle : il ne lui reste plus rien des trois cents toiles couleur et des deux cents encres entreposées là ! *

Feu l’atelier de Paul Trajman 16 juillet 2009. Photo gépé

versé par ce que je viens de voir aux murs. Je le lui dis. C’est si rare de découvrir et d’être sous le choc, d’être littéralement soufflé. Une peinture du côté de Jean-Michel Basquiat (1960-1988) et Stéphane Mandelbaum (1961-1986), avec une patte tournoyante à la Francis Bacon (1909-1992). Du Mufuki, désormais ! L’histoire ne s’arrête pas là. Nous sommes à Bruxelles où le monde est encore plus petit que le monde. « Mufuki, je le connais, c’est le copain d’une copine », me dit le peintre Paul Trajman (1960). Ni une ni deux, nous voici à Anderlecht dans l’atelier de Mufuki qui jouxte le Mémorial. « J’ai besoin de peindre autre chose, de m’éloigner de ce que je montrais à l’expo ; là, je suis tombé sur un paquet de châssis petit format carré, bon marché, je vais peindre des têtes toutes différentes d’une toile à l’autre ». Je suis perplexe mais j’aime sa recher-

questions de vie, donc. Des questions d’identité instable. Et quelques jours plus tard, je vois 40 de ces petits formats accrochés côteà-côte dans la galerie Lumières

Photo gépé

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Je le croisais de proche en proche. Avons-nous seulement échangé quelques mots ? On m’en parlait, oui. Il traficote du caviar de la mer Noire, il est taximan, il fait de la course à pied au Kenya, il produit des films en Pologne, il termine le montage d’un film sur son cancer. À la rencontre de chamans guérisseurs dans l’Amazonie péruvienne. Le titre Happy end. Je voulais y con-

sacrer une notule avant sa sortie publique mais je ne l’ai pas fort aimé, l’ai trouvé bâclé, avec trop peu de matière pour faire un film. Qu’est-ce que la mort d’un être à côté d’un film raté ? Ou qu’est-ce que j’ai raté, que je n’ai pas vu, que je n’ai pas su dire ? Ou aussi, comment parler d’un nouveau genre cinématographique désormais fort couru (et déjà classique en littérature) – filmer sa maladie, sa mort annoncée – sans céder à la séduction terrifiante du propos ? Mais je sais aussi que si j’en parle aujourd’hui « dans son dos » c’est parce que j’avais une profonde tendresse pour la vie et le visage que me tendait Simon (Zaleski 1952-2011) sans le savoir. Je l’ai toujours associé à Kafka. Parce qu’il en avait le regard profond et inquiet et la forme osseuse d’un visage émacié. Parce qu’il en avait l’accent et la musicalité en français (c’est par Szimon que j’imagine Kafka (1883-1924) parlant français), lui qui était l’un de ces Juifs polonais chassés par le pouvoir communiste en 68 ! Et aussi, et surtout, parce qu’il avait tenu ce rôle inoubliable dans une pièce mise en scène par André Engel (1946) à Strasbourg (aux côtés d’Hélène Lapiower (1957-2002) dont il avait été l’époux d’un jour et l’ami de toujours) au cours de laquelle, muet tout le long du spectacle, il ne cessait de vouloir se défaire – en vain – d’un faisceau lumineux qui lui dessinait une étoile de David jaune sur le revers du veston. Tout à coup, j’ai un doute : l’ai-je vue cette pièce ? Ou est-ce à force d’avoir tant lu à son propos que je m’en suis fait une mise en scène ? Ou est-ce comme une réminiscence du Dibbouk qu’il incarnait à l’église des Brigittines ? Je ne sais plus. Un luftmensh s’en

est allé. En chemin pour le cimetière, au cœur même de la ville, au creux des rails de tram, je croise des coquelicots incongrus qui poussent un chant tenace et fragile. Décalé. * « Il est passé par ici, il repassera par là… ». C’est un peu ça la saga des Indignés. Les arrière-petits-

à la lettre le campement comme besoin élémentaire : s’abriter, se nourrir et… boire. Encore que ça faisait belle lurette que le Carré était devenu leur territoire. L’époque est à la précarisation mais aussi à la tchatche. On dirait que ceux qui viennent aux assemblées libres quotidiennes parlent pour ne rien dire. Ils refont le monde ? Oui. Le goût de la palabre à l’ombre de l’arbre bio qu’ils viennent de planter dans le gazon commu-

Les Indignés. Photo gépé

enfants de Stéphane Hessel (1917) sont aujourd’hui à Tel-Aviv, hier à Madrid, Barcelone et… à Bruxelles, si peu nombreux et si peu de temps sur le carré de Moscou de Saint-Gilles. Ce qui frappe et en dit plus long sur l’époque que les discours infatués des cohortes d’économistes et de politologues de l’après coup, c’est la présence nombreuse de SDF fortement imbibés. Les intrus ne sont plus les quelques corsaires radicaux de l’ultra-gauche des années 68, mais des incrustés qui prennent

nal. Quelque chose de dérisoire avec, pourtant, un avant-goût de démocratie directe. Au temps d’Actiris, l’utopie est pesante mais elle parvient quand même à poindre ! Un camion poubelle aura suffi pour faire place nette. Ce n’est pas pour cette fois-ci … ■ Galerie Duqué & Pirson, chaussée de Vleurgat, 109 -1050 Bruxelles. 2 Galerie Caravan’Sérail, rue Lesbroussart, 47 -1050 Bruxelles . 3 Galerie Lumière d’Afrique, chaussée de Wavre, 204 - 1050 Bruxelles. 1

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diasporas Art contemporain et Renaissance juive en Pologne ROLAND BAUMANN

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eprésentant la Pologne à la 54ème exposition internationale d’art contemporain, à Venise, la trilogie cinématographique de Yael Bartana ... and Europe will be stunned (« ... et l'Europe sera stupéfaite »), est l’oeuvre-manifeste du « Mouvement de Renaissance juive en Pologne », Jewish Renaissance Movement in Poland (JRMiP) fondé par cette artiste israélienne et une poignée de jeunes intellectuels et artistes polonais.

LA POLOGNE À LA BIENNALE Organisée par la galerie nationale d’art Zacheta, la plus prestigieuse institution polonaise d’art contemporain, avec le soutien financier du ministère de la culture et de l’héritage national de la République de Pologne, l’exposition de Yael Bartana brise le modèle national omniprésent dans la Biennale de Venise, suscitant un intense débat, en Pologne et ailleurs. J’ai découvert cette trilogie « stupéfiante » à Varsovie où la galerie Zacheta la montrait également cet été, en parallèle à la Biennale. Exposition singulière d’une Israélienne qui représente la Pologne, mais dont toute l’oeuvre antérieure à sa trilogie polonaise pose un regard critique sur l’identité israélienne et son univers symbolique. Utilisant principalement le support vidéo, Bartana est l’auteur d’un série de « video-vignettes », scènes brèves, centrées

sur un lieu, avec le caractère fragmentaire de l’instantané photo. Ses installations vidéo questionnent l’état de guerre permanent subi par la société israélienne et en particulier la place de la femme dans cet univers en conflit. Oeuvre emblématique, A Declaration, « Une déclaration » (2006) filme le rocher d’Andromède, sur lequel flotte le drapeau israélien. Un homme y vient en barque et substitue un olivier au drapeau. Cette plantation évoque les rites de fondation sionistes, la reconquête de la terre stérile par sa mise en culture. L’olivier est aussi un symbole de paix. Base de l’agriculture palestinienne, il est aussi coupé ou déraciné par les colons juifs, dans les Territoires. Andromède, un petit rocher entre Tel Aviv et Jaffa, un lieu mythique, où Persée triompha du dragon... Montrée à la Documenta (Kassel) en 2007, Summer Camp (« Camp d'été ») documente l’oeuvre de militants de l’ICAHD (Israeli Committee Against House Demolition) reconstruisant une maison abattue par les autorités israéliennes dans un village palestinien. Bartana associe ses images à des extraits du documentaire Avodah (1935) réalisé par Helmar Lerski sur une musique de Paul Dessau. Détournant les codes de ce film de propagande exaltant les idéaux pionniers du sionisme, la cinéaste renforce le pouvoir symbolique du travail constructeur des militants de l’ICAHD opposé à l’oeuvre de destruction du régime d’occupation militaire israélien.

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L’APPEL AU RETOUR DES JUIFS EN POLOGNE Ouverture de sa « trilogie polonaise », le court-métrage « Cauchemars », Mary Koszmary (2007) a été filmé à Varsovie dans l’ancien « Stade du dixième anniversaire » (Stadion X-lecia) où s’organisaient les grandes manifestations sportives et festives du régime communiste. Dans la désolation du stade abandonné, Slawomir Sierakowski, personnalité de la « nouvelle gauche » polonaise, prononce un discours très émotionnel, dans la tradition des grands tribuns du siècle dernier. Appelant au retour des Juifs en Pologne, ses propos abordent la culpabilité historique polonaise, l’antisémitisme passé et la xénophobie actuelle. Des enfants en uniforme, dont les foulards rouges évoquent les jeunes pionniers communistes, peignent au centre du stade un énorme slogan, en anglais : « 3.300.000 Jews can change the life of 40.000.000 Poles ». S'adressant aux Juifs d'aujourd'hui, Sierakowski proclame : Nous voulons que trois millions de Juifs retournent en Pölogne ! Nous voulons que vous viviez à nouveau avec nous ! Vous nous manquez ! Singulier jeu avec l’histoire, s’adressant aux Juifs disparus pour affirmer la nécessité de la diversité multiculturelle au sein de la société polonaise contemporaine. C’est le discours fondateur du Jewish Renaissance Movement in Poland (JRMiP), le Mouvement de Renaissance juive en Pologne...

Dans ses interviews, Bartana dit son profond lien émotionnel à la Pologne. Elle a découvert ce vrai besoin de culture juive dans l’intelligentsia polonaise, ce sentiment de perte, d’absence, de blessure restée béante. Comme elle le souligne, sa rencontre avec Sierakowski, rédacteur en chef de la revue Krytyka Polityczna, la « mauvaise conscience » de la gauche post-communiste, a été décisive dans la genèse de sa trilogie. Résolument actuel, « l’appel aux Juifs » de Sierakowski contraste singulièrement avec l’esthétique du film dont Bartana ne cache pas l’inspiration : Le triomphe de la volonté (1935) et Les dieux du stade (1936) de Leni Riefenstahl ! Elle choisit donc de tourner « Cauchemars » au Stadion, parce que l'énorme stade sportif lui évoque l’architecture des congrès nazis à Nuremberg et des Olympiades de Berlin ! Elle effectue également ce choix parce que Stadion est aussi le lieu le plus cosmopolite de la capitale polonaise, le Jarmark Europa, énorme bazaar à ciel ouvert, installé après 1989 dans l’enceinte du stade stalinien. Une architecture, aujourd’hui disparue, faisant place au nouveau Stade National, où se jouera le championnat européen de football 2012 !

KIBBOUTZ MURANOW Le deuxième court-métrage varsovien « Tour et palissade », Mur i Wieza,(2009), documente l'érection à côté du monument du ghetto à Muranow, d’une reconstitution de l’architecture pionnière des « années héroïques » du Yishouv: le Homa u-Migdal, tour de guet et palissade en bois destinés à protéger les nouvelles implantations de fermes collectives juives pendant la révolte arabe en 1936-1939. Un sujet qu’évoque Arthur Koestler dans « La Tour d’Ezra » (Thieves in the Night, 1946). Cette singulière con-

struction d’un « kibboutz palestinien » à l’emplacement du futur musée d’histoire des Juifs de Pologne est exécutée par les membres du JRMiP, dont le drapeau rouge et blanc associe l’aigle couronné polonais à l’étoile de David. Le kibboutz fortifié une fois monté, ce drapeau est hissé en fanfare au sommet de la tour. Des barbelés, déployés autour de l’enceinte de ce « kibboutz Muranow » achèvent cette première oeuvre collective du Mouvement de Renaissance juive !

POUR UNE ALTERNATIVE Hommage à l’acteur Juliano Mer-Khamis, « juif palestinien » assassiné à Jénine le 4 avril dernier, « Assassinat », Zamach, tourné au printemps 2011 à Varsovie, termine la trilogie cinématographique de Bartana. Filmé principalement au Palais de la Culture et sur la place Pilsudski, lieux chargés d’histoire au centre de Varsovie, ce film complexe et multipliant les intervenants, s’inspire beaucoup des cérémonies de deuil national suivant la catastrophe de Smolensk et la mort du président Lech Kaczynski. L’image de scouts, rassemblés autour de bougies formant dans la nuit le sigle du JRMiP, est une transposition des rites pratiqués par les polonais endeuillés autour du palais présidentiel à Varsovie après le crash aérien du 10 avril 2010. La trilogie de Bartana est remarquable, tant pour son esthétique fondée sur le détournement de l’imagerie militante néo-académique des années trente que pour les débats multiples qu’elle suscite : sur le judaïsme en Pologne, comme à propos des notions d’identité, polonaise, juive, israélienne, palestinienne, etc. Malgré les avances rapides de la démocratie et du dialogue judéo-polonais, la Pologne ne s’est pas encore libérée de sa martyrologie nationaliste et

d’un discours « patriotique » qui nie les apports des minorités à l’histoire polonaise. De même, le déferlement de drapeaux israéliens sur les hauts-lieux du judéocide, à Auschwitz, Treblinka, etc. est-il la seule manière légitime d’approcher le passé juif en Pologne et de rendre hommage aux victimes du judéocide, considérées aujourd’hui par les autorités israéliennes comme autant d’israéliens assassinés ? Dans « Cauchemars », l’appel au retour en Pologne de 3.300.000 Juifs, fait référence au chiffre total de la population juive polonaise en 1939 et donc à tous ces Juifs européens, disparus de Pologne, mais « naturalisés » par la mémoire nationale israélienne. Et, ce discours polonais « judéophile » affirme aussi implicitement le droit au retour des Palestiniens et le besoin vital pour le peuple israélien de s’inventer maintenant une autre histoire pour se libérer enfin du poids du passé... Le 5 mars dernier, marquant l’inauguration de la section anglaise de Krytyka Polityczna à Londres, la projection de « Cauchemars» (Mary Koszmary) introduisait un débat entre Sławomir Sierakowski et le sociologue Zygmunt Bauman sur la place de la gauche dans le monde d’actuel Le mouvement de Renaissance juive en Pologne tiendra son premier congrès dans le cadre de la biennale d’art contemporain de Berlin en 2012. Exposition Yael Bartana ... and Europe will be stunned; 4 juin au 27 novembre 2011, Giardini di Castello, Venise. Lire (en Polonais et en Anglais) le manifeste du Mouvement de Renaissance juive en Pologne sur le site du pavillon polonais http://www.labiennale.art.pl/. Voir aussi : http://www.zacheta.art.pl/en/ article/view/404/yael-bartana-zamach. Précisons que l’oeuvre de Bartana montrée à Venise est également visible jusqu’au 25 septembre 2011, à Sidney (Australian Centre for Contemporary Art) assurant le rayonnement dans la diapora polonaise de l’art “officiel” polonais présenté à la Biennale

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histoire(s) Pogromes en guerre civile 1918-1922 « L’ébauche du judéocide »? JEAN-MARIE CHAUVIER

Miliakova L.B. (dir), Kniiga pogromov 1918-1922, Moskva, Rosspen, 2007 Miliakova L.B. (dir), Le livre des pogromes 1918-1922, ed. Rosspen, Moscou 2007 Miliakova L.B. (dir ), Le livre des progromes 1918-1922, nouvelle édition, Calmann-Lévy, Paris, 2010

U

ne grande vague de pogromes antiJuifs eut lieu en 19181922 pendant la guerre civile internationale dans l’ex-Empire russe. Ses instigateurs étaient principalement ukrainiens, biélorusses, polonais et russes. Les Allemands et le national-socialisme n’y étaient pour rien ! Nous sommes au lendemain de la révolution de 1917, qui a bouleversé les structures sociales et nationales1 et débouché sur le pouvoir dictatorial du Parti bolchévik2. Au printemps 1918, une guerre civile commence. Or, l’heure des « États-nations » semble avoir sonné, au sein d’un Empire qui se disloque et où des mouvements indépendantistes se sentent près du but, alors même que Lénine a proclamé (comme Wilson) « le droit des peuples à l’autodétermination », il est vrai contredit par la volonté de faire triompher partout les révolutions soviétiques, à l’encontre des na-

tionalismes. L’ampleur, le systématisme et l’idéologisation ethno-nationaliste des pogromes soulèvent la question : s’agit-il d’une récidive des traditions antijudaïque (chrétienne) judéophobe (l’hostilité que suscitent les Juifs régisseurs de grands domaines fonciers polonais) ? Ou est-ce déjà cet antisémitisme et ce racisme éradicateurs qui vont se déchaîner avec le nazisme ? Il est vrai qu’en matière de racisme l’Europe n’en est pas à ses débuts. Esclavagistes, colonisateurs et théoriciens de l’inégalité et de la sélection des races ont déblayé le terrain. Mais voici que l’Europe et l’Empire ottoman deviennent, dès 1914, le théâtre de meurtres de masse sans précédents. Un ouvrage de l’Institut d’études slaves de l’Académie des sciences de Russie a rassemblé, sur « les pogromes en Ukraine, en Biélorussie et dans la partie européenne de la Russie pendant la période de la guerre civile de 1918-1922 », sous la direction de L.B.Milikova, une somme impressionnante de documents d’archives principalement issus du fonds resté fermé à l’ère soviétique, du moins depuis les années 20-30 où un certain nombre de publications avaient vu le jour. Qui étaient les principaux acteurs mis en cause dans les pogromes ? En Ukraine : Simon Petlioura,

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le fondateur de la République populaire d’Ukraine (régime du Directoire, opposé à la république soviétique, 1918-20). Il avait renversé la dictature pro-allemande de l’hetman Skoropadsky et combattu les bolchéviks, les Russes « blancs » et les anarchistes, écrasé l’insurrection ouvrière de « l’Arsenal » à Kiev3. Sa responsabilité dans les pogromes est controversée. Il est aujourd’hui considéré, en Ukraine indépendante, comme le fondateur emblématique de l’État-nation, glorifié par l’ex-président Viktor Iouchtchenko, et même honoré en Belgique4. En Biélorussie (Belarus) : le plus fameux « boucher » est le général ex-polonais et anti-bolchévique Stanislav Boulak-Balakhovitch, chef insurgé « outsider », en marge de l’éphémère République populaire du Belarus. En Russie : l’ « Armée blanche » (« des Volontaires ») du général Anton Denikine, alors soutenu par la France et l’Angleterre. Lui et d’autres chefs blancs ont été réhabilités dans les années Eltsine en Russie comme « précurseurs de la démocratie ». L’estimation des victimes (morts) de ces pogromes a varié à l’époque entre 35 et 150-200.000. L’ouvrage retient une donnée officielle (soviétique) de 1921 – 100.194 – et une autre, du démographe I. Lechchinski, produite à la conférence de Gènes en 1922

– de 150.000 Juifs tués. D’autres spécialistes précisent que les Juifs tués ne l’ont pas tous été lors de pogromse, certains faisant partie de divers détachements armés. Ces massacres se sont produits, d’après l’ouvrage, sur fond de mouvements paysans anarchiques, sans avoir cependant figuré « au programme » des révoltes antibolchéviques de la paysannerie russe. Le contexte était celui d’un effondrement des conditions de vie consécutif à quatre années de guerre mondiale et aux désordres de la révolution, débouchant en 1918, en Ukraine, sur l’occupation allemande et le régime de l’hetman (chef) Skoropadski et, bientôt, le déchaînement de la guerre civile internationale. Le pays était affamé, des milliers de villages détruits. En Ukraine et en Be-

que des Juifs ont été très souvent régisseurs des grandes propriétés polonaises installées notamment en Galicie et le long du Dniepr. Enfin, il y avait de nombreux Juifs dans les cadres bolchéviques. L’opinion s’est alors répandue que tous les malheurs de la guerre étaient « la faute aux Juifs ».

UNE HISTOIRE NÉGLIGÉE : LES GUERRES PAYSANNES Les auteurs ne développent pas trop l’événement majeur de ce temps : la révolution de 1917 qui, avant d’être la « prise de pouvoir par les Bolchéviks en Octobre », est une révolution paysanne autonome, que des spécialistes font durer de 1902 à 19226. Or, les révoltes paysannes de 1917, au printemps et en automne, s’ac-

Cosaques combattant dans les armées blanches (1918-1920). Ils étaient souvent en première ligne lors des pogromes

larus, une partie des produits de première nécessité se trouvaient aux mains de commerçants juifs, ce qui peut expliquer qu’ils furent la cible de la fureur populaire. On devrait ajouter ici, comme autre source d’hostilité paysanne,

compagnent déjà de pogromes anti-Juifs, avant que les bolchéviks n’y mettent de l’ordre. Le partage des terres, spontané puis organisé, et l’abolition des dettes – par le pouvoir soviétique – répondent aux aspirations villa-

geoises, mais celles-ci débordent le projet bolchévique lorsqu’à la place des soviets (conseils) sous direction communiste, le type de pouvoir souhaité par Lénine et Trotski, la traditionnelle commune rurale (obchtchina ou Mir) reprend tous ses droits, assurant parfois la prééminence des notables et des paysans influents et riches – les fameux « koulaks ». Le soutien paysan aux Bolchéviks – majoritaire tant qu’il y a danger de retour des grands propriétaires – se fissure dès lors que Lénine veut « repartager » les terres au profit des plus pauvres et que le pouvoir procède, pour les besoins du « communisme de guerre », dès mars 1918, aux réquisitions de chevaux et de blé. Le divorce entre le pouvoir soviétique et la masse des paysans moyens (la majorité) est tel que l’on fait la distinction, dans les villages, entre les « bons » Bolchéviks (ceux qui ont donné les terres en Octobre) et les « mauvais » communistes (ceux qui réquisitionnent à partir de mars)7. La plus grande insurrection paysanne contre les bolchéviks est celle de la région de Tambov (Russie centrale) menée en 19191921 par le socialiste révolutionnaire Antonov (l’ « antonovchtchina »), une guérilla de plusieurs dizaines de milliers de participants8. Elle est écrasée par le général Tchoukhachevski9. Les insurgés réclament le retour des libertés marchandes et le pouvoir des soviets sans le parti et, parfois, « sans les Juifs ». Une « guerre des paysans » vient donc brouiller le grand tableau binaire de l’affrontement « Rouges contre Blancs ». Les révoltes alternent, tantôt contre les Rouges, tantôt contre les Blancs, ou se combattent l’une l’autre. À quoi s’ajoute une myriade de poussées centrifuges – des autonomies régionales au « com-

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➜ munisme musulman » (Sultan Galiev), en passant par les sécessions cosaques et les communes anarchistes. Les Rouges sont dès lors mobilisés sur tous les fronts – y compris ceux qu’ouvrent les armées de quatorze pays étrangers. Le principal en Ukraine est celui d’un nationalisme tout à la fois bourgeois et paysan, hostile tant aux « collectivistes » rouges (ou anarchistes) qu’aux grands propriétaires polonais et allemands – et à la bourgeoisie juive. Parmi les ennemis « collectivistes » figurent d’ailleurs des communes de paysans pauvres, soutenues par les bolchéviks, qui s’organisent en communautés autogérées de partage intégral (genre kibboutzim). Il est bon de rappeler qu’outre les tragédies, la révolution fut riche en mouvements artistiques et culturels, en initiatives sociales émancipatrices10. Or, toutes les forces antibolchéviques, de même que la presse occidentale, ont mis en relief l’importance de la présence juive dans les organes dirigeants soviétiques. Le « complot juif » était partout montré du doigt. Au delà des « mouvements spontanés » de paysans (et de la « plèbe urbaine » en Russie, précise l’ouvrage de Miliakova) les pogromes ont été l’œuvre des armées en campagne. Selon une estimation reprise dans l’ouvrage, outre les actions de bandes inorganisées (24,8% des pogromes), les pogromes de Juifs ont été, à 39,9% le fait des troupes du Directoire ukrainien (Petlioura), à 17,2% l’œuvre de l’Armée blanche. On en impute aussi 8,6% à l’Armée Rouge, 4,2% aux troupes de Grigoriev (dissident des Rouges), 2,6% à l’armée et aux gendarmes polonais (qui occupaient une partie de la

Biélorussie et de l’ Ukraine), 2,7% à d’autres acteurs (parmi ceuxci, on cite le mouvement paysan anarchiste de Makhno qui a cependant dénoncé l’antisémitisme et compte des Juifs dans son étatmajor). La participation aux pogromes de soldats rouges (notamment la Première Division de cavalerie de Boudionny) peut paraître paradoxale, vu la très nette condamnation de l’antisémitisme par le pouvoir soviétique et la présence juive dans le commandement rouge (à commencer par Lev Davidovitch Bronstein dit Trotsky, Juif d’Ukraine). Rien d’étonnant, pourtant, lorsqu’on sait que cette armée recrute principalement dans les milieux paysans profondément imprégnés de judéophobie et que les passages d’une armée à l’autre sont fréquents, dans une grande confusion idéologique. Les pogromes seront évoqués dans la littérature soviétique des années 20, dans Cavalerie rouge d’Isaac Babel, relatant les méfaits des « Rouges » et dans le livre emblématique du romantisme révolutionnaire, Et l’acier fut trempé, de Nicolas Ostrovski, lequel dénonce les pogromes de la contrerévolution pétliouriste. La Tchéka (organe de la Terreur rouge) réprime sans pitié les pogromistes, quel que soit leur camp.

DU POGROME « SAUVAGE » À LA VIOLENCE IDÉOLOGISÉE À partir de 1919, ces pogromes prennent un tour plus « idéologisé ». La propagande anticommuniste répand l’idée de la « jidokommuna » , la commune « youpine ». Très populaire, se répand le slogan « Tue le Juif ! » (pour sauver la Patrie, la Russie, l’Ukraine). L’ataman (chef) cosaque I. Semesen-

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ko (de l’armée de Petlioura) définit l’élimination des Juifs comme un « devoir national », et la terreur nationaliste ukrainienne s’inspire de l’idée que les Juifs font obstacle à la création d’un État « pleinement national ». On a donc affaire à un ethnonationalisme, qui va se radicaliser en 1929 avec l’Organisation des Nationalistes Ukrainiens (OUN) mais qui ne relève pas au départ d’un racisme théorisé11. Cependant, des partis politiques juifs font également partie du parlement de la République populaire (Nnationale) ukrainienne et son chef Simon Petlioura, un social-démocrate nationaliste, lancera un appel à la cessation des pogromes qu’il considère comme contraire à son idée de l’État ukrainien à construire. Cette vibrante exhortation à l’union des « forces démocratiques de toutes nationalités » et à la solidarité entre Ukrainiens et Juifs, qui montre un Petlioura étranger à l’idéologie ethniciste, est daté du 27 août 1919. Cette prise de position est aujourd’hui invoquée, en Ukraine, en faveur de la réhabilitation (officielle) de Petlioura. Battu par l’Armée Rouge en 1920 après la retraite des « alliés » polonais de Pilsudski, qui s’étaient brièvement emparés de Kiev, l’ataman Petlioura se réfugiera en France où il sera assassiné en 1926 « par un terroriste juif »12. Les auteurs du « Livre des pogromes » caractérisent donc les tueries antijuives à la fois comme relevant à la fois du conflit social, politique, et de ce qu’on appellerait aujourd’hui le « nettoyage ethnique ». À les entendre, ces pogromes seraient une « forme transitoire » entre les violences ethniques d’inspiration religieuse, localisées au tournant des

19ème et 20ème siècles, et la violence de masse idéologisée et totalitaire telle que l’a définie Hannah Arendt, laquelle visait aussi bien le stalinisme que le nazisme13. Cette extrapolation prête à discussion. D’une part, la base sociale et l’idéologie des pogromes ont évolué : urbaines et petites bourgeoises au début du siècle, instrumentalisées par le pouvoir tsariste et ses « Centuries noires » lors de l’écrasement de la révolution de 1905, elles sont essentiellement paysannes en 1917-22. Le nationalisme radical qui s’esquisse est précurseur du national-socialisme et des mouvements fascistes des années trente-quarante. Leurs ennemis bolchéviks, staliniens procèdent d’une autre logique, même si les crimes de guerre se ressemblent. D’autre part, il n’a pas fallu les pogromes antijuifs pour voir s’épanouir les meurtres de masse. La guerre mondiale de 191418 en est le théâtre à une échelle inouïe en Europe. Le génocide des Arméniens en 1915, à l’initiative des nationalistes Jeunes Turcs, est une sorte d’ « ouverture » de la marche macabre, que relaie, sur les champs de bataille européens et russes, le recours à des moyens sophistiqués tels que les gaz toxiques mortels. Jamais les populations civiles n’ont été à ce point touchées. Dans la guerre civile internationale en Russie, les Terreurs rouge, blanche, noire, jaune-bleue, verte14 etc…, ne lésinent pas sur les massacres. Les bolchéviks se livrent à une entreprise d’extermination des populations cosaques, tous statuts et toutes générations confondues. Elle sera stoppée par des protestations au sein du parti bolchévik, Lénine soulignant le rôle positif des « Cosaques rouges »15. Leur chef légendaire, Fi-

lipp Mironov, exécuté en 1921, avait fait valoir les « différences de classe » au sein des sociétés cosaques, dont les couches pauvres n’étaient pas hostiles à la révolution16. C’est dans un tel contexte, celui de l’exacerbation des haines de classes et de nations, que s’est inscrit le plus grand déferlement de pogromes de l’histoire prénazie. On peut considérer ces meurtres de masse comme un « chaînon intermédiaire » entre les moindres massacres du tournant des 19ème et 20ème siècles et ce qui va suivre lors de l’invasion de l’URSS il y a 70 ans, en juin 1941 : une nouvelle vague de pogromes bientôt encadrés et systématisés par les tueries des Einsatzgruppen SS (« Shoah par balles »), en même temps que l’extermination de millions de prisonniers de guerre soviétiques, est en avant-goût de la « Solution finale » des questions juive et tsigane. Dans cette nouvelle phase, qui se prolonge par le gazage industriel, on est également passé d’une « barbarie pogromiste archaïque » (celle que perpétuent encore les troupes roumaines dans le sud de l’Ukraine en 194142) à une modernité génocidaire que pouvait assurer une puissance hautement civilisée comme l’Allemagne, dotée de technologies avancées, s’appuyant sur un vaste empire industriel en Europe et douée d’un extraordinaire sens de l’organisation. ■

Abolition de l’ancien régime tsariste, partage des terres, suppression des dettes paysannes, séparation Église-Etat et instauration du mariage civil, égalité juridique et politique hommes-femmes, proclamation des « Droits du peuple travailleur » et du droit à l’autodétermination des peuples. (Dont la Pologne, la Finlande et les États 1

baltes purent faire usage). 2 « Bolchéviks » = « majoritaires » du Parti social-démocrate ouvrier de Russie. La « dictature du prolétariat » censée s’incarner dans les « soviets » ou conseils d’ouvriers, de soldats et de paysans sera, de facto, exercée par le Parti bolchévik de Lénine. 3 Sujet d’un film du célèbre réalisateur ukrainien Olexandr Dovjenko. 4 Lors de son passage à Bruxelles en 2009, M. Iouchtchenko a inauguré à Ixelles une plaque commémorant la république de Pétlioura, en compagnie du bourgmestre Willy Decourty. Le Soir, 16 octobre 2009 5 Cf. Viktor Danilov et Teodor Shanin, Krestianskaïa Revolutsiia v Rossii – 1902-1922, Moskva, Rosspen 2002. 6 Il est également vrai que le Parti de Lénine, de « social-démocrate ouvrier » (bolchévik) en 1917 se fera appeler « communiste » l’année suivante. 7 Viktor Danilov, Teodor Shanin, Krestianskoie Vosstanie v Tambovskoi goubernii v 1919-1921 gg., Tambov, 1994 8 Qui fut aussi le « vainqueur » des insurgés de Kronstadt en 1921 et le principal accusé du procès des généraux en 1937. 9 Cf. Éric Aunoble, Le communisme tout de suite ! Le mouvement des Communes en Ukraine soviétique (1919-1920), Éd. Les Nuits Rouges 2008. 10 L’Organisation Militaire Ukrainienne (UVO) en 1922, puis l’OUN en 1929, sont fondées par Evhen Konovaletz, ancien compagnon d’armes de Petlioura. Adepte de l’idéologie du « nationalisme intégral » de Donskoï, alliée de l’Allemagne nazie et participante à l’invasion de l’URSS en juin 1941, l’OUN se divisera ensuite en collaborateurs et adversaires de l’occupation nazie, poursuivant le combat contre Soviétiques et Polonais. Elle a été pleinement réhabilitée en 2007 par le président Viktor Iouchtchenko. 11 Petlioura sera assassiné le 25 mai 1926 à Paris par Samuel Schwartzbard, un révolutionnaire juif. Il justifia son acte en affirmant vouloir venger ses coreligionnaires d’Ukraine, assassinés lors de pogromes lancés, selon lui, par Simon Petlioura en 1919. 12 Cf. Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme et autres textes. Quarto, Gallimard 2002. 13 « Jaune et bleu » est le drapeau nationaliste ukrainien, « vert » est la couleur donnée aux bandes armées paysannes inorganisées et, parfois, anarchistes. Le drapeau de Makhno était noir. 14 Cf. Jean-Marie Chauvier, « Don 1918-19 : les Cosaques au cœur de la tourmente » in Cahiers marxistes, n°210, Septembre-Octobre 1998. 15 V. Danilov, T.Shanin, Filipp Mironov. Tikhii Don v 1917-1921 gg., F. Demokratiia, Moskva 1997.

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relire « Regard » sur Marcel Liebman NICOLAS ZOMERSZTAJN

Rédacteur en chef de Regards, le bimensuel du Centre communautaire laïc juif, Nicolas Zomersztajn reprend le texte de la conférence qu’il a donnée à l’UPJB le 7 juin dernier à l’occasion de la reparution de Né Juif de Marcel Liebman (voir également l’article de Mateo Alaluf paru dans Points critiques 317, juin 2011)

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ors de sa parution en 1977, Né juif, le témoignage autobiographique de Marcel Liebman a suscité la controverse. Pour la première fois, un Juif, un historien de surcroit, évoque l’attitude problématique et ambigüe de l’Association des Juifs en Belgique (AJB) ainsi que la participation des administrations communales à la déportation des Juifs de Belgique sous l’occupation allemande. S’il fallait publier Né Juif aujourd’hui, il est fort à parier que Marcel Liebman n’aurait pas fait l’objet d’attaques ou d’anathèmes analogues à ceux qu’il a dû subir dans les années 70. Tout d’abord, le contexte a changé. La génération de dirigeants communautaires et de notables ayant vécu les années de persécution et de déportation a progressivement disparu à partir des années 90 et en ce qui concerne l’AJB, leurs successeurs ont une perception identique à celle de Marcel Liebman. Issus pour la plupart de la « rue juive », ces nouveaux dirigeants n’éprouvent ni le besoin ni l’envie de se présenter comme les dignes héritiers des « curateurs du ghetto » de l’AJB. L’émergence d’un nouveau leadership communautaire a

transformé le témoignage de Marcel Liebman en un récit entendu et accepté par l’ensemble de la communauté juive. Il n’y a pas que le contexte qui est différent. L’historiographie a accompli des progrès importants : des travaux scientifiques ont permis de mieux cerner la réalité de cette période tragique pour les Juifs de Belgique et de confirmer le témoignage de Marcel Liebman. En revanche, ni le temps ni les progrès historiographiques n’ont la moindre incidence sur les prises de position de Marcel Liebman sur Israël et le conflit israélopalestinien. Aujourd’hui encore, elles ne manqueraient pas de le confiner aux marges de la communauté juive de Belgique. On est d’ailleurs frappé de constater que dans Né juif, un livre de plus ou moins 185 pages consacré à la déportation des Juifs de Belgique, une quinzaine d’entre elles portent précisément sur Israël et le conflit israélo-palestinien. Dans le dernier chapitre de ce livre, Marcel Liebman aborde son rapport à Israël qui conditionne à la fois son rapport à la communauté juive ainsi que son rapport à l’identité juive. Ce rapport et ce double conditionnement toujours d’ac-

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tualité auprès de l’immense majorité des Juifs de diaspora méritent qu’on s’y attarde un instant.

RAPPORT À ISRAËL Marcel Liebman était particulièrement connu dans la communauté juive, non pas pour ses travaux savants sur le communisme ou le socialisme en Belgique, mais bien pour son engagement en faveur de la cause palestinienne et son positionnement extrêmement critique, voire parfois hostile à l’égard d’Israël. La nature sioniste de cet État lui pose problème même si paradoxalement, il peut parfois écrire des phrases étonnantes pour un intellectuel hostile à cette idéologie : « le sionisme rompt avec la faiblesse et l’idéologie de la résignation où les communautés juives s’étaient enfermées et dont s’échappaient seulement les lutteurs révolutionnaires ». On pourrait dire que Marcel Liebman fait du sionisme comme Monsieur Jourdain de la prose. On retrouve la même tonalité nietzschéenne que chez Mikha Yossef Berditchevsky ou d’autres théoriciens sionistes contemporains de la Deuxième Alyah. La condition juive diasporique doit absolument s’effacer au

profit d’un homme nouveau régénéré. La guerre d’Algérie, point de départ de son engagement politique, fait resurgir son identité juive. Il évoque son rôle dans les tentatives entamées par le FLN algérien pour que les Juifs d’Algérie apportent leur soutien à leur cause et qu’ils ne quittent pas massivement le pays une fois l’indépendance conquise. Marcel Liebman n’est pas le seul intellectuel juif à s’être engagé en faveur de l’indépendance algérienne. C’est notamment le cas de l’historien français Pierre Vidal-Naquet. Contrairement à Marcel Liebman, son identité juive ne resurgit nullement dans cet engagement. Il insiste souvent que c’est en tant que français qu’il a choisi d’apporter son soutien à la cause algérienne. Les différences de perception ne s’arrêtent pas là. Marcel Liebman affirme avoir découvert pendant cette période le racisme anti-arabe des Juifs qu’il associe catégoriquement au lien inconditionnel des Juifs à l’égard d’Israël. En revanche, l’hostilité arabe à l’égard des Juifs échappe à son regard critique. Phénomène que Pierre Vidal-Naquet se refuse d’ignorer. Dans le très bel hommage qu’il rend en 1989 à Marcel Liebman dans la Revue d’études palestiniennes, Pierre Vidal-Naquet rappelle même que c’était une illusion de croire que les Juifs d’Algérie avaient dans leurs mains un avenir en Algérie. Ce grand helléniste n’a pas attendu les années 1980 pour évoquer publiquement ce qui le dérange chez ses camarades arabes en lutte et qui lui paraît essentiel dans leur hostilité à Israël : l’image du Juif du Mellah qu’ils méprisent. Dans Sur un certain délire, texte écrit en 1967, Pierre Vidal-Naquet aborde frontalement le problè-

me : « Quoi qu’on en dise souvent, l’Etat d’Israël n’est pas que le résultat du seul antisémitisme européen, il est aussi le négatif de la situation faite aux Juifs en pays musulmans, destin infiniment moins tragique sans doute mais qu’il ne faut tout de même pas peindre à l’eau de rose ». Et de conclure : « L’antisionisme et l’antisémitisme, en droit distinguables, se mêlent en fait étroitement dans nombre de textes publiés dans les pays arabes. Parler de ‘ racisme de guerre ’’ comme le fait Maxime Rodinson me paraît nettement insuffisant. Alors de grâce camarades ! N’idéalisons pas ». On a le sentiment que la lucidité intellectuelle de Pierre Vidal-Naquet échappe à Marcel Liebman. Est-ce la conséquence d’un engagement entier et inconditionnel en faveur de la cause arabe ? S’il est difficile d’y répondre, on constate néanmoins que Marcel Liebman a tendance à rétrécir le champs des possibles en partant du principe que l’engagement en faveur de l’indépendance algérienne et plus tard de la cause palestinienne ne peut s’exprimer que par une condamnation virulente d’Israël. Et donc contre Israël. Ce qui n’est pas le cas de Vidal-Naquet qui insiste bien sur la nécessité historique d’Israël tout en luttant en faveur du droit des Palestiniens à avoir leur État.

FIGURES JUIVES RADICALES Peut-on imaginer d’autres manières que celle de Marcel Liebman d’envisager Israël et le conflit israélo-palestinien ? D’autres figures juives radicales évoluant en dehors de la sphère sioniste portent un regard aussi critique que Marcel Liebman sans pour

autant susciter le malaise qu’on peut encore aujourd’hui éprouver à son égard. On peut citer Isaac Deutscher. Cet historien marxiste britannique né dans une famille juive en Pologne n’était pas connu pour ménager Israël. Pourtant, on serait tenté d’ajouter un « mais » dont le mérite est de faire toute la différence : « Je ne suis pas sioniste, bien que maintenant je ne sois pas hostile au sionisme ». Cette boutade illustre parfaitement son positionnement non-sioniste mais dénué d’une certaine radicalité qu’on retrouvait précisément dans l’engagement de Marcel Liebman. Et en dépit des critiques de plus en plus vives qu’Isaac Deutscher adressait à Israël à la fin de sa vie (1967), il a toujours su accepter « le caractère fondamentalement juste » de l’existence d’Israël. La liste n’est pas exhaustive et on pourrait même élargir le spectre idéologique en évoquant des intellectuels non-marxistes. Raymond Aron par exemple. Ce « petit camarade » de Jean-Paul Sartre, considéré comme la figure de l’israélite français par excellence, du Juif assimilé, ne peut être suspec-

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➜ té de sionisme. Il a d’ailleurs admis sans peine ne pas avoir été bouleversé par la création de l’État d’Israël. La Guerre des Six jours et les semaines qui précèdent le déclenchement des hostilités bouleversent néanmoins son rapport à Israël. C’est précisément à partir de 1967 que Raymond Aron a accepté et choisi une « certaine dilection particulière » à l’égard d’Israël. Cette expression originale résume parfaitement un sentiment de plus en plus diffus au sein du monde juif. Cette dilection particulière peut même conduire de nombreux Juifs de diaspora à critiquer Israël en tenant un langage de vérité à ses citoyens et à ses gouvernants. On retrouve une tonalité identique chez Pierre Vidal-Naquet qui se sentait tout aussi étranger au sionisme et à Israël que Raymond Aron avant 1967. « Le paradoxe d’Israël est qu’il est à la fois l’accomplissement d’un rêve de normalisation et l’incarnation d’un très vieux messianisme visant à créer une Cité juste. Moimême je sens quelque chose de cela, et pour donner un exemple clair, un tortionnaire israélien, qui n’a pourtant aucun titre pour parler en mon nom, m’indigne plus profondément qu’un tortionnaire français, et cela même si l’on torture moins dans l’Israël d’aujourd’hui que dans l’Algérie française de 1957 ».

LA COMMUNAUTÉ JUIVE Les insultes et les menaces inacceptables dont Marcel Liebman a fait l’objet n’ont pas contribué à cantonner cet intellectuel dans une position marquée par la distanciation. L’absence de condamnations de personnalités modérés et respectées au sein de la communauté juive l’ont sûrement blessé profondément. Marcel Liebman ne pouvait pas traiter froi-

dement la problématique de son rapport à la communauté juive avec tout le recul que cela nécessite. Est-ce une des raisons pour lesquelles le regard qu’il porte sur cette communauté juive soit si sévère ? Probablement. Alors qu’il constate que l’évolution sociologique des Juifs de Belgique depuis 1945 est marquée par « un embourgeoisement », un observateur « neutre » aurait plutôt évoqué la mobilité sociale d’une population issue majoritairement de l’immigration. À la lecture du dernier chapitre de Né juif, on sent bien qu’un gouffre s’est créé et que rien ne peut le combler. Son constat est catégorique : le centre de gravité de la communauté juive de Belgique s’est déplacé vers la droite. Par ailleurs, en trouvant dans leur attachement à Israël une source de réconfort, les Juifs de Belgique renforcent ce positionnement idéologique. Hélas, Marcel Liebman n’explique pas dans quelle mesure cet attachement à Israël radicalise politiquement les Juifs de Belgique. Par ailleurs, l’historien qu’il est ne peut ignorer une tendance lourde au sein de la diaspora mondiale : la création et l’existence d’Israël modifient le regard que les Juifs portent sur eux-mêmes et le monde environnant. Cela ne l’empêche nullement de mettre en exergue un phénomène bien réel : les sollicitations contradictoires suscitées par l’évolution sociologique et identitaire des Juifs de Belgique ; d’une part, les Juifs entendent poursuivre leur intégration progressive à la société en effaçant ce qui les distingue de leurs concitoyens non-juifs et d’autre part, ils se soucient de mettre en avant un particularisme juif. Curieusement, ces sollicitations contradictoires paraissent inacceptables aux yeux de Marcel Liebman.

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À l’instar d’un marxiste orthodoxe, il condamne avec vigueur le particularisme juif et la fidélité que peuvent encore éprouver des Juifs à leurs origines. C’est l’un ou l’autre, et non pas l’un et l’autre. Ce double mouvement identitaire caractérise pourtant la situation des Juifs depuis leur rencontre avec la modernité. L’Histoire, la littérature et le cinéma ont multiplié les exemples bien concrets de ce tiraillement identitaire. Paradoxalement, Marcel Liebman modifie son appréciation lorsqu’il se prononce en faveur de la défense, qu’il qualifie de légitime, des cultures régionales qu’il oppose à la défense du particularisme juif, d’une pérennité juive. Est-ce de la mauvaise foi ou de la méconnaissance ? Les études sociologiques sur la condition minoritaire dans les sociétés modernes ont longuement analysé la situation des Juifs. Ainsi, dans Critique de la modernité, Alain Touraine prend le contrepied de Marcel Liebman en citant les Juifs comme le meilleur exemple d’équilibre entre la quête d’universalité et la fidélité à une mémoire ou une culture : « Si certains [Juifs] se fondent dans la population et si d’autres s’enferment dans une orthodoxie extrême, un grand nombre combinent de manière remarquable l’universalisme de la pensée, de la science et de l’art, avec une conscience d’identité et une mémoire historique très vive ». Pourtant, Marcel Liebman ne cesse de voir dans le particularisme juif un danger, sans jamais nous dire pourquoi. Pour l’illustrer, il prend le très mauvais exemple des résistants juifs et du CDJ, ces immigrés juifs liés aux organisations de la classe ouvrière. Loin de prendre en considération les nombreux témoignages de ces résistants juifs sur leurs rapports tendus et parfois conflictuels avec

la Résistance belge, Marcel Liebman préfère s’accrocher au récit mythique de la fraternité universelle contre l’ennemi fasciste. Le cas belge n’est pas isolé. Des problèmes analogues se sont posés en France aux combattants juifs des FTP-MOI. Il termine sa charge contre le particularisme juif en affirmant que les communautés juives se présentent comme des centres « politiquement » liées à Israël. Si certains dirigeants communautaires se complaisent dans une ligne de soutien inconditionnel à la politique des gouvernements israéliens quels qu’ils soient, il nous paraît exagéré de plaquer ce positionnement à l’ensemble des organisations et des institutions juives. En réalité, le lien à Israël est d’une autre nature et on peut regretter que Marcel Liebman glisse sur le terrain de l’accusation de la double allégeance. Le lien à Israël est surtout symbolique et affectif. Pierre Vidal-Naquet l’a bien compris. C’est la raison pour laquelle il exprime bien en quoi il consiste : « La diaspora juive existe elle aussi, unie à elle-même et à Israël par un réseau complexe de sentiments et d’institutions, traversée de courants divers, plurielle malgré des apparences monolithiques et unidimensionnelles, comme était pluriel le judaïsme du 1er siècle qui vit l’explosion zélote et la dissidence chrétienne ».

L’IDENTITÉ JUIVE Pour caractériser sa place sur l’échiquier identitaire juif, Marcel Liebman évoque un détachement du judaïsme plutôt qu’un rejet. Et il précise que sa judéité, en passe de devenir implicite, fut ramenée par le détour du politique lorsqu’il s’est engagé en faveur de l’indépendance algérienne dans un premier temps, et en faveur de la cause palestinienne ensui-

te. Néanmoins, il pose la question que tout le monde se pose : « qu’est-ce qu’être juif ? ». Avant d’y répondre, il dit une chose très juste : « Un individu est une totalité qui ne se découpe pas ». Une totalité riche de ses contradictions. Il est juif comme « porteur d’un passé ». Et surtout, il ne veut pas enfermer ses enfants dans ce passé qu’il lie inévitablement à une conception lacrymale de l’histoire juive. Beaucoup de Juifs laïques ou tout simplement non-pratiquants peuvent contester cette définition de l’identité juive. On peut être imprégné d’une conscience d’appartenance au peuple juif, croire en sa continuité et même militer en sa faveur sans y voir une prison dans laquelle on enferme des individus. Les Juifs européens vivent dans des sociétés ouvertes et démocratiques. Il leur appartient donc de définir les contours d’une identité juive en adéquation avec ces sociétés. Dans ce domaine, on peut même avancer sans fierté déplacée que les Juifs de Bruxelles se soient illustrés par des expériences originales. Aujourd’hui, cette idée de prison identitaire paraît même obsolète : personne n’est en mesure de contraindre les Juifs d’y entrer de manière globalisante. Il suffit de voir l’attitude de la majorité des Juifs de Belgique par rapport à leur identité : elle est marquée par des choix sélectifs (fêtes juives, rites de passage, écoles, vie culturelle et communautaire,…). C’est tout sauf une prison. Ce serait plutôt un supermarché on l’on se sert à sa convenance. À cet égard, le Juif européen constitue le meilleur symptôme des évolutions identitaires de nos sociétés. Raymond Aron exprime bien les contours à la fois flous et précis de l’identité juive telle que la vivent un nombre considérable de

Juifs aujourd’hui : « Ma judéité ? Pour dire la vérité, je suis incapable de définir la spécificité de ce qui, en moi, est spécifiquement juif. Ce qu’il y a de choix, c’est, d’un côté la citoyenneté française, et en second lieu, la volonté de ne pas rompre les liens avec les autres Juifs dans le monde, et en même temps les israéliens ». On est bien loin d’une prison identitaire. Il serait grotesque de présenter Marcel Liebman comme un traître, un Juif honteux ou ayant la haine de soi. On doit plutôt le considérer comme une des figures parmi d’autres de la modernité juive. Il incarne une radicalité politique qui, consciemment ou inconsciemment, prend racine dans son identité juive. Une radicalité inexplicable si on fait abstraction de son identité juive. Pierre Vidal-Naquet écrivait dans la préface de Né Juif que « la tradition dont Marcel Liebman est l’héritier est une tradition qui veut la justice et la veut pour tous, même lorsque l’oppression appartient à la communauté au sein de laquelle on est né ». Comme beaucoup de Juifs engagés politiquement à gauche et à l’extrême gauche, Marcel Liebman pensait contre les siens. Cette posture n’est-elle pas une des plus belles expressions du souci qu’on témoigne pour les siens ? Marcel Liebman aurait pu choisir l’indifférence et le silence. Il a choisi de s’exprimer en tant que Juif sur ces questions. À cet égard, on est évidemment tenté de lui objecter ce que son ami Ralph Milliband lui a un jour écrit le 29 mai 1967, la veille de la Guerre des Six Jours : « le fait d’être juif n’est pas suffisant pour faire du pro-arabisme forcené ». ■

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réfléchir Bibi au Congo JACQUES ARON

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algré les vacances, nos lecteurs se souviennent sans doute encore du discours que Benjamin Netanyahou prononça le 25 mai devant le Congrès des États-Unis, et qui lui valut une standing ovation, comme on dit aujourd’hui dans cet affreux franglais. À l’annonce d’une reprise prochaine à l’ONU du débat sur la reconnaissance d’un État palestinien, avec le soutien éventuel du président Obama, le premier ministre israélien avait tenu à marteler la position de son pays, fermant préalablement la porte à toute discussion sur les points litigieux. Comme le résumait l’un de ses proches : • Jérusalem restera la « capitale éternelle » d’Israël ; • Le pays n’acceptera jamais le moindre retour de réfugiés palestiniens ; • Israël ne négociera pas avec un gouvernement dans lequel le Hamas serait représenté ; • Israël n’est pas une puissance occupante dans une région où vivent des Juifs depuis 4.000 ans. Et, pour donner plus de relief à son propos, Netanyahou, refusant toute référence à une quelconque colonisation, avait tenu à se distancier de la politique coloniale belge au Congo. Bien loin de nous, l’intention d’en vanter en revanche les mérites, ou d’en taire les scandaleux abus dénoncés en leur temps. Mais l’Histoire nous enseigne que les objectifs des co-

lonisateurs furent très divers, ainsi que les moyens mis en œuvre pour les atteindre. « Nous ne sommes pas les Britanniques en Inde, nous ne sommes pas les Belges au Congo, nous ne sommes pas des occupants étrangers. Cette terre, Eretz Israël, est la terre d’un D. unique, la terre où le prophète Isaïe a parlé de paix éternelle. L’histoire ne peut nier 4.000 ans d’alliance entre le peuple juif et sa terre juive. » Cette terre éternelle comprend évidemment la « Judée-Samarie », autrement dit les « Territoires occupés ». Voilà ce qu’il avait tenu à réaffirmer. Comment avait-il pu oublier les tribus de Manassé, Gad et Ruben qui peuplaient alors la rive orientale du Jourdain ? Quand débuta, dans les années 1920, la colonisation sioniste sous le mandat britannique qui aurait dû conduire en principe à l’indépendance de la Palestine, plus personne ne songeait à s’inspirer de l’État du Congo de 1885. À l’évidence, il ne s’agissait pas de piller au profit d’une métropole les richesses naturelles ou humaines, mais de s’approprier des terres. C’était avant tout une colonisation de peuplement, systématiquement menée. Le modèle qui fascinait alors un certain nombre de sionistes était celui de l’Italie fasciste. Se référant à Moses Hess, dans son ouvrage Rome et Jérusalem (1862), le mouvement sioniste cultivait le mythe du parallèle entre Juifs et Italiens, « dernières nationalités »

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en lutte pour leur indépendance. Dans un article du plus grand journal sioniste allemand, l’« Observateur juif » (Jüdische Rundschau), un correspondant à Milan1 développait ce destin prétendument « parallèle » de deux peuples. En voici quelques extraits : « Une série de circonstances (peu réjouissantes) a brusquement conduit de larges cercles sionistes à prendre conscience de ce que savaient depuis longtemps les observateurs attentifs de l’évolution de l’Italie, à savoir que le sionisme avait gravement péché par omission en concentrant son action politique sur Londres et en sous-estimant de ce fait le facteur romain. Je voudrais montrer ici que, pour la Palestine, l’Italie, avec ou sans le Vatican, sera un facteur politique de première importance, certainement équivalent à l’Angleterre, et qu’elle prendra sans doute, je le crois, une part directe au développement de la Palestine. […] « Comme la plupart des peuples européens, nous aussi avons négligé le grand essor de l’Italie pendant ces dernières années. Mais qui, aujourd’hui, peut encore ignorer que l’Italie est plus peuplée que la France, connaît une croissance économique supérieure à celle de l’Europe, sans doute Angleterre comprise, et qu’elle possède une capacité d’expansion politique et culturelle impressionnante. Une capacité d’expansion qui trouve par ailleurs devant elle des voies clairement tracées.

Avec une population supérieure à celle de la France, elle ne possède qu’un pays à moitié aussi grand. L’émigration ou la politique coloniale (ou les deux ensemble) formaient déjà avant 1914 la question italienne. D’où l’expansion vers Tripoli, que même les socialistes furent obligés d’accepter (notamment par Mussolini, alors rédacteur de l’Avanti). Aujourd’hui, les frontières sont fermées à l’émigration. L’expansion obtenue par la guerre n’a pas réglé la question. L’annexion de Trente ne fut qu’une question de sentiments nationaux historiques, le dernier pas sur la voie du Risorgimento, un mouvement de renaissance nationale qui s’était poursuivi de façon quasi linéaire depuis le début du siècle précédent. Accessoirement, ce fut aussi une question de stratégie : il fallait mettre fin une fois pour toutes à la menace persistante venue du Nord (fût-elle imaginaire). Mais pour les problèmes proprement italiens, qui furent toujours dans l’histoire des problèmes méditerranéens, la guerre n’a rien apporté de plus que des possibilités, une fois réglée la protection vers le Nord. On sait que ce développement politique a trouvé en Mussolini un représentant déterminé. […] « Indépendamment du fait que nous ne pouvons nous offrir ce luxe, ce serait un malheur inouï du point de vue de l’histoire de la civilisation si la Rome et la Jérusalem renaissantes devaient s’op-

poser, alors que précisément la renaissance des deux peuples devrait les pousser à une collaboration étroite et fraternelle ! L’acuité de la situation politique a poussé l’auteur de cet article à le publier plus tôt que prévu ; il avait envisagé d’en rassembler d’abord les matériaux dans le calme, pour familiariser nos amis à la nature de ce nouvel essor de la grandeur romaine. Ce qui l’y poussait, c’était moins des considérations de réalisme politique que des impressions grandioses auxquelles un sioniste doit être sensible, quand il vit de près un processus historique, le fascisme, qui n’est rien d’autre qu’un sionisme à grande échelle. Pour le comprendre, il faut être en mesure de séparer le fascisme dans sa forme d’expression politique, avec tous les phénomènes déplaisants qui l’accompagnent, de son essence spirituelle, qui n’est rien d’autre que ce que Herzl avait formulé comme l’essence du sionisme : « Faire de pauvres jeunes Juifs de fiers jeunes Juifs. » Ainsi, ce peuple italien qui vivait de mendicité et d’attrape-touristes, qui déversait à l’étranger d’innombrables vagabonds en haillons et dont la grandeur historique ne peuplait que les musées, où seuls les étrangers pouvaient la voir, tandis que le peuple en était exclu, – ce peuple est redevenu conscient de sa richesse historique inouïe et recommence à en être digne. Nous qui portons l’Étoile de David, nous devrions avoir une attention par-

ticulière pour le réveil d’un peuple sous le signe du faisceau des licteurs, et nous qui avons introduit le salut Shalom, devrions reconnaître le salut à la romaine, redevenu vivant. » Le premier gouverneur fasciste de Libye (Tripolitaine), le Comte Giuseppe Volpi2 avait formé un slogan qui caractérise de façon éloquente ce type de colonisation à l’avantage exclusif du colonisateur : « Nous ne sommes pas ici contre les indigènes, ni pour les indigènes, mais sans les indigènes [soulignés par moi, J. A.] » Un historien allemand sous le nazisme a bien résumé la nouveauté d’une alliance contre nature pour tous les hommes de progrès : « Le Duce reconnut l’importance des masses comme facteur de pouvoir pour l’État, et quand il fit le lien entre les deux concepts qui paraissaient jusque-là inconciliables : prolétaire et impérialiste, il produisit un mot d’ordre qui correspondait à la véritable situation sociale du pays. »3 ■ 1 Jüdische Rundschau, n° 93, 9 décembre 1924. Heinrich Margulies, « La nouvelle Rome et Jérusalem ». L’auteur de l’article gagna la Palestine en 1925 et y prit le nom de Haïm Margalit. Il devint directeur de la Banque Leumi-le-Israel. 2 Giuseppe Volpi di Misurata (1877-1947), industriel et homme d’affaires, gouverneur en Tripolitaine (1921-1925) fut ensuite (1925-28) ministre des Finances. 3 Gert Buchheit, Mussolini und das Neue Italien, Büchergilde Gutenberg, Berlin, 1938.

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réfléchir Jésus est juif aux USA

La réincarnation d’Adolf H. Breivik JACQUES ARON

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a tuerie froidement perpétrée en Norvège par un psychopathe d’extrême droite a réveillé les fantasmes occidentaux qui avaient pour un temps cessé de hanter nos cauchemars. Anders Breivik serait-il la dernière en date des réincarnations de celui qui, bénéficiant de plus de complaisances et de complicités, avait coûté à l’Europe un nombre de morts, de victimes et de dégâts sans commune mesure avec ceux provoqués par un assassin quasi isolé ? Les hommes de ma génération peuvent le penser, bien que les circonstances diffèrent. Mais la rencontre de ces sauveurs du monde illuminés avec des populations plongées dans le désespoir et l’incompréhension de crises qui leur paraissent sans issue, ne reste-telle pas le principal danger d’une société d’une opulence sans précédent, qu’elle n’arrive pas à maitriser et à distribuer équitablement ? Le tueur a laissé un écrit « justificatif » de ses ambitions rédemptrices et de son acte, qui compte apparemment deux fois plus de pages que Mein Kampf. Le délire de ce dernier était issu du cerveau malade d’un petit caporal plongé dans la Première Guerre mondiale et dans la débâcle allemande qui s’ensuivit ; l’écrit de Breivik émane d’un Norvégien aisé. C’est pourquoi, en des temps pas si éloignés, Hitler gagna en dix ans suffisamment d’appuis pour nourrir une folie collective sans pré-

Adolf Hitler vu par un malade mental, 1981. Musée Dr Guislain, Gand

cédent, malgré la dénonciation d’une idéologie démente, assassine et suicidaire, dont on retrouve aujourd’hui des réminiscences chez son émule nordique. Quand Hitler eut pris le pouvoir en 1933, l’écrivain Arnold Zweig rédigea sur le chemin de son exil forcé un « Bilan de la judéité alle-

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mande », directement visée par le nazisme, comme l’islam fantasmé l’est à présent par Breivik (et plus largement par d’autres führers nationalistes qui ne sont pas encore passé à l’acte). La description par Zweig de Mein Kampf et de ses conséquences possibles – que nous avons vécues ensuite – don-

ne encore à réfléchir sur les limites incertaines de la démence et de la normalité, individuelles et collectives. « Dans son mélange de propagande obsessionnelle, de restes avariés d’une misérable culture d’autodidacte, d’images faussement percutantes et de fantaisie politique débridée, il [Mein Kampf] constitue une défaite intellectuelle, qu’il faut lire, si l’on veut la saisir réellement, comme on lit les « Mémoires d’un névropathe » du Dr Daniel Schreber. Ce n’est qu’ainsi que l’on peut évaluer correctement l’inquiétant bavardage, le propos passionnel et les pensées fugitives contenus dans l’emboîtement de phrases de ce déplorable auteur. En partant de présupposés hasardeux, en passant par de fausses analogies, il énonce des affirmations, qui lui servent aussitôt de preuves, et le misérable allemand de cette plume en folie contribue encore à donner le vertige au lecteur. Toute affirmation, à laquelle l’auteur croit lui-même, est généralisée, le second membre de la phrase réduisant la portée de ce qui vient d’être asséné comme une vérité d’évidence ; une fausse science d’école primaire s’y mélange avec une fausse histoire apprise en brasserie, les humiliations personnelles s’y mêlent à l’expérience de la rue, de telle sorte qu’il faut avoir la témérité d’un professeur allemand (de Bonn) pour comparer ce livre aux Mémoires limpides de Bismarck

et en faire l’objet d’un cours. Pour être juste, il faut bien reconnaître que, sur l’effet de la propagande ou les étapes de la prise de pouvoir politique, on trouve dans le livre des connaissances et des formulations subtiles – des documents sur la manière d’accéder au pouvoir, comme ceux que Machiavel a décrit en premier. Mais ces témoignages d’une capacité de penser avec discernement ne devraient pas détourner le profane de l’idée qu’il s’agit bien ici d’un écrit pathologique. Celui qui est familiarisé avec cette matière sait au contraire que l’imbrication et la cohabitation du délire et de la combativité intellectuelle font partie de l’image d’une telle maladie. […] Le rôle moteur qu’y joue le délire obsessionnel reste le facteur déterminant pour apprécier les conséquences des processus pathologiques. Et comme le délire antisémite forme partout la colonne vertébrale de cette sorte de littérature, comme il détermine exclusivement l’action politique de toute cette tendance, les passages qui contiennent des considérations apparemment objectives rendent ces œuvres encore plus inquiétantes, plus attirantes, plus menaçantes. Si un livre tel que Mein Kampf devient le fondement de l’édifice politique ou intellectuel d’une nation, le résultat en sera inévitablement une catastrophe comme il en arrive très rarement aux peuples. » À méditer. ■

V

oici enfin, en langue française, une étude scientifique approfondie et nuancée de cette droite évangélique devenue si puissante aux États-Unis. Ces évangélistes agissent avec une efficacité redoutable pour imposer le soutien des dirigeants politiques de leur pays à cette extrême droite israélienne qui détient maintenant les rênes du pouvoir dans l’« État juif ». Cet ouvrage est particulièrement éclairant, car non seulement il présente une approche historique très documentée du phénomène, mais il expose aussi de manière très détaillée les ressorts idéologiques du soutien de ces militants chrétiens à la droite sioniste la plus intransigeante. Chemin faisant, Jésus est juif en Amérique contribue grandement à battre en brèche le mythe d’un « lobby juif » tout puissant qui tirerait les ficelles de la politique étrangère de Washington au Moyen-Orient. Sans nier le rôle important de certaines organisations juives dans le soutien inconditionnel à la politique de l’État d’Israël, Célia Belin démontre que la droite évangélique pèse aujourd’hui d’un poids bien plus déterminant dans le lobby pro-Israël. ■ Michel Staszewski Célia Belin, Jésus est juif en Amérique. Droite évangélique et lobbies chrétiens pro-Israël, Fayard, 2011

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controverses(s) Le négationnisme est-il l’affaire des tribunaux ? MATEO ALALUF

E

n 2007, Bart De Wever, patron de la N-VA, critiquait Patrick Janssens, bourgmestre SP.A d’Anvers pour avoir, au nom de la ville, présenté ses excuses à la communauté juive pour la complicité active des autorités communales et de la police dans la déportation des Juifs durant la Deuxième Guerre mondiale. Bart De Wever, tout en minimisant cette responsabilité, qualifiait les excuses du bourgmestre de gratuites et de faciles, destinées seulement à combattre le Vlaams Belang. Dans un article du Monde (6/12/2007), Pierre Mertens traitait Bart De Wever de « leader résolument négationniste ». Celui-ci déposait alors plainte pour calomnie et diffamation. La controverse ne porte cependant pas sur ces faits : elle est ailleurs.

L’OBJET DE LA CONTROVERSE En mai 2011, à l’issue de l’audience de la Chambre du Conseil lorsque se pose la question de la prescription, Pierre Mertens donne au Palais de Justice une conférence de presse pour annoncer son refus de toute prescription et réclame un procès en assises dans la mesure où il considère que Bart De Wever aurait violé la loi du 23/3/1995 « tendant à réprimer la négation (…) du gé-

nocide commis par le régime national-socialiste ». Il a développé son point de vue dans une lettre ouverte au titre explicite publiée par Le Soir (25/5/2011) : « Minimiser le crime, c’est déjà le nier ». Simon Gronowski, ancien président de l’Union des déportés Juifs, évadé du 20ème convoi et juriste comme Mertens, a réagi à la prise de position de Pierre Mertens. Dans la controverse qu’il engage dans Le Soir (21/6/2011), Gronowski, à l’instar de Mertens, considère les propos de De Wever « inadmissibles », mais il ne les taxe pas de négationnisme. Le fait même que De Wever dépose plainte pour calomnie et diffamation montre bien qu’il nie être négationniste et ne nie pas le génocide. « Les vrais négationnistes comme Faurisson, Williamson et autres, écrit Gronowski, ne déposeront jamais plainte car ils se revendiquent comme tels ». D’autant plus, soutient-il, que Bart De Wever pourrait apparaître au terme de ce procès comme victime et gagnerait en popularité. En fait, Simon Gronowski, instruit par une longue pratique d’explication sur ce que fut la barbarie nazie et l’horreur que lui inspire le négationnisme, se méfie instinctivement de ce qu’il considère comme des opérations à grand spectacle sur le dos des victimes. Il craint la récupération politicien-

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ne de la Shoah. De Wever et Janssens ne sont-ils pas rivaux pour le mayorat d’Anvers, sans parler de la place de De Wever dans le débat institutionnel ? La banalisation du négationnisme par la multiplication d’actions judiciaires, qui plus est au fondement incertain, l’inquiète. L’antisémitisme pourrait, selon lui, sortir conforté d’une procédure judiciaire incertaine.

L’INJONCTION À BIEN CHOISIR SON CAMP La prise de position de Gronowski a suscité une véritable levée de boucliers. Des signataires représentant l’Association pour la mémoire de la Shoah1 réagissent dans une carte blanche (Le Soir, 28/6/2010) contre Gronowski qui critique « un écrivain soucieux de dire le vrai de la Shoah en Belgique ». L’émotion paraît telle qu’une autre carte blanche (Le Soir, 7/7/2011) dans le même sens est signée par un grand nombre d’associations et de personnalités belges mais aussi françaises2. Dans le courrier des lecteurs de La Libre Belgique (13/7/2011), Jacques Sojcher reproche à Gronowski d’avoir cru blanchir De Wever et « suggéré perfidement » que Pierre Mertens aurait agi motivé pour sa « gloriole personnelle ». Surpris, voire outré, par le flot

de critiques, à mon sens injustifiées, contre Gronowski, j’ai proposé à mon tour une carte blanche publiée dans Le Soir (15/7/2011) sous le titre : « Histoire, mémoire et tribunaux ne font pas bon ménage ». Je rappelais les conditions dans lesquelles Marcel Liebman dans son livre Né Juif, paru en 1977, avait dénoncé la collaboration des autorités communales d’Anvers dans la déportation des Juifs. Je soutenais aussi que ni la loi, ni les tribunaux ne sont des lieux appropriés pour dire la vérité historique et j’abondais dans le sens de Simon Gronowski. L’explication de l’émoi suscité à l’encontre de Gronowski et le ralliement de tant d’associations et de personnalités pour dénoncer son point de vue nous est finalement fournie par Sojcher : l’erreur de Gronowski aurait été d’avoir mal choisi son camp. Sojcher semble ériger ainsi le devoir de mémoire comme une injonction à bien se souvenir, on peut le penser, se souvenir dans le cadre défini par son groupe d’appartenance. Est-il exagéré de dire qu’alors la mémoire se substitue à la religion et le non-respect de ce « devoir » se trouve pratiquement assimilé au blasphème ?

DOIT-ON COULER LA MÉMOIRE DANS LA LOI ? Peu avant sa mort, l’historien Pierre Vidal-Naquet, qui avait fait de la lutte contre le négationnisme l’affaire de sa vie, a développé cette question dans son dernier livre d’entretiens3. « L’histoire, soutient-il, se méfie, voire se bâtit contre la mémoire ». Il est « grand temps, d’intégrer la mémoire dans l’histoire » et si l’histoire doit tenir compte de la mémoire, elle ne peut s’y réduire. Les mémoi-

res sont en effet en concurrence pour fonder l’identité de ceux qui s’en prévalent. « Elles se disputent les unes aux autres le monopole de la primauté ». « L’identité, écrit Vidal-Naquet, se construit autour de l’exclusion et je n’admets pas l’exclusivité mémorielle, je la refuse absolument, d’où qu’elle vienne, juive, arabe, chrétienne, arménienne, etc. Et je n’admets pas non plus l’obsession de la mémoire en tant qu’obsession ». La mémoire, écrivait-il, doit entrer dans l’histoire comme objet d’étude. Vidal-Naquet livrera ses derniers combats contre les lois mémorielles. « Je suis contre, écrit-il, à cause de l’expérience soviétique. Il ne faut pas qu’il y ait des vérités d’Etat. Or, la loi Gayssot suppose que le massacre des juifs est une vérité d’État. Si l’on ne veut pas qu’il y ait des vérités d’État, il ne faut pas qu’il y ait des lois pour les imposer. J’ai toujours pensé, ajoutait-il, que la Shoah était l’affaire des historiens, mais pas l’affaire de l’État ». Il affirmait ainsi dans le manifeste « Liberté pour l’histoire » dont il avait été l’un des principaux initiateurs : « La politique de l’État, même animée des meilleures intentions n’est pas la politique de l’histoire ». Une démocratie ne peut combattre les négationnistes, pensait-il, en leur refusant les droits individuels. Vidal-Naquet tenait Faurisson pour un « Eichmann de papier ». Pourtant, soutenaitil, pour le combattre il faut vivre avec Faurisson.

NE PAS SE TROMPER DE DÉBAT La mémoire régie par l’État n’est pas seulement contestable dans son principe, elle est aussi contre productive. Toujours à propos de

la loi Gayssot, l’historienne Madeleine Rebérioux objectait que la loi permettrait aux négationnistes de se présenter comme des martyrs. Elle ajoutait : « Imagine-t-on le doute rampant qui va s’emparer d’esprits hésitants ? ‘On nous cache quelque chose, on ne nous dit pas tout, le débat est interdit’. Imagine-t-on le parti que peuvent en tirer les antisémites larvés, qui n’ont pas disparu ? »4. Ce sont précisément ces mêmes questions qu’active Gronowski en soulignant les risques inhérents à la démarche de Pierre Mertens en dépit de ses intentions louables. Pour Gronowski, « les négationnistes sont dangereux : ils nient les crimes d’hier pour en commettre d’autres demain ». C’est pour cela qu’il est important de « connaître la barbarie d’hier pour défendre la démocratie d’aujourd’hui ». La démocratie n’est cependant pas affaire de tribunaux mais, toujours selon ses dires, « un combat de tous les jours ». Il n’y avait assurément pas de quoi le vouer aux gémonies pour avoir souligné les risques de la théâtralisation judiciaire de ce combat. ■ A. Goldmann, E. Picard, E. Rozental, B. Swiatlowski, J. et M. Zalc et M. Zimmerman. 2 Pour le CCOJB, M. Sosnowski, pour le Comité des Arméniens de Belgique, M. Mahmourian, pour l’Association des Rescapés du Génocide contre les Tutsis du Rwanda, E. Rutayisire, pour les Territoires de la Mémoire, Dominique Dauby, pour l’Association pour la Mémoire de la Shoah, E. Picard, pour la Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme, A. Jacubowicz, pour SOS Racisme, Dominique Sopo, ainsi que Yves Oschinsky et Edouard Jakhian, anciens bâtonnier du barreau de Bruxelles, Claude Schulman, professeur émérite de l’ULB. 3 Pierre Vidal-Naquet, L’histoire est mon combat, Albin Michel, Paris, 2006. 4 Le Monde, 21 mai 1996. 1

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controverse(s) Sophismes, leurres et manoeuvres de diversion OLGA ELKAÏM Bart De Wever, président de la Nieuw-Vlaams Alliantie, poursuit l’écrivain Pierre Mertens, ce dernier l’ayant traité de « résolument négationniste » dans un article paru dans Le Monde en 2007.

L

a réflexion qui suit s’inscrit dans le débat provoqué par ceux qui souhaitent minimiser ou banaliser les actes de collaboration de certains membres de l’administration anversoise à l’entreprise nazie de traque et de déportation des Juifs en 1942, partie déterminante du judéocide. Lorsque Monsieur J.-M. Le Pen se livrait autrefois à d’étonnantes facéties, brodant sur le nom de Durafour pour en faire Durafour-crématoire, niait-il ce faisant l’existence des chambres à gaz et l’extermination de millions de Juifs en Europe ? Non, il se livrait à une provocation perverse, jouant au chat et à la souris avec les lois sur le négationnisme : il ne niait pas la Shoah, il disqualifiait ses victimes et l’hommage solennel qui leur était rendu. On assistait à un exercice de style équivalent à banaliser les faits, à bafouer la dignité des victimes, à délégitimer tout hommage rendu à leur mémoire. Est-il question, dans l’habile performance de Monsieur Bart De Wever en guise de commentaire au lendemain des excuses présentées par le bourgmestre d’Anvers, Monsieur Patrick Janssens, à la communauté juive d’Anvers le 28 octobre 2007, de nier le nom-

bre des déportés juifs envoyés à Auschwitz par la police et la gendarmerie à la demande de l’administration militaire allemande, sans la moindre opposition du chef de la police, du bourgmestre Léon Delwaide et du Procureur du Roi Edouard Baers au moment des rafles de l’été 1942 ? S’agissait-il de réfuter le nombre de Juifs enregistrés puis déportés dans le Grand Anvers (quelque 6O%, record de toutes les villes belges), de contester le chiffre de 95,11 % des 24.393 Juifs belges et étrangers qui ne revinrent pas d’Auschwitz ? Non, les faits sont répertoriés notamment dans le dossier du Ceges* commandité par le Sénat de Belgique en 2004 et publié en 2007. On retrouve dans la contribution des historiens Lieven Saerens et Dirk Martin au Dossier consacré, en mars 2011, par Knack à Anvers sous l’occupation la mention de ces chiffres et la description des modalités de la collaboration de l’administration et de la police d’Anvers avec l’occupant entre le 18 mai 1940 et janvier 1944, moment où Léon Delwaide donna sa démission ainsi que les échevins appartenant au mouvement de l’Ordre ancien.

LA NÉGATION DE LA QUALIFICATION Ce ne sont pas les faits qui sont

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niés au premier degré au lendemain de la solennelle demande de pardon du bourgmestre Janssens à la communauté juive. C’est leur qualification. La manipulation consiste à dénoncer l’évocation de la Shoah non comme événement mais en tant qu’argument dans une joute politique, comme levier présumé contre le Vlaams Belang qui en serait la victime. Victime aussi la ville d’Anvers sous la botte de l’occupant. On ne saurait à l’évidence être simultanément victime et complice. Nous sommes visiblement en présence d’une habile prouesse pour disqualifier et délégitimer les excuses présentées par le bourgmestre d’Anvers, en étouffer la portée symbolique et la dignité : il s’agirait d’une simple manoeuvre contre le Vlaams Belang, manoeuvre qualifiée de « gratuite » et de « facile ». Sophisme, leurre et manoeuvre de diversion.

AFFRONTER LE PASSÉ L’opération contre Patrick Janssens a toutes les allures d’un leurre qui a pour objet de détourner l’attention de la portée rédemptrice et solennelle de sa démarche. Faire face au passé et à sa responsabilité, comme y appelle, dans ce même numéro de Knack de mars 2011, Rudi Van Doorslaer, directeur du Ceges*, auteur avec

d’autres historiens du dossier La Belgique docile. Le geste de Patrick Janssens va dans le sens d’un face à face libérateur avec la réalité du passé. Imagine-t-on quiconque disqualifiant le geste de Willy Brandt s’agenouillant sur les marches du monument élevé à la mémoire des victimes du ghetto de Varsovie, en dénigrer la majestueuse dignité, l’hommage rendu au peuple juif martyr au nom de l’Allemagne, le qualifiant de « facile » et « gratuit » ? L’utilisation dans un débat politique actuel, le reproche adressé au bourgmestre auquel Monsieur De Wever impute l’intention de se servir d’une tragédie dite ancienne pour minimiser le crédit du Vlaams Belang, cette démarche met-elle en cause la vérité des faits, la Shoah, le nombre ou le pourcentage des victimes, sa véracité ? Sans doute pas directement. L’historien Bart De Wever glisse sur une pente savonneuse qui aboutit à la négation de la vérité, non des faits, mais du rôle d’une administration trop docile, des modalités de cette docilité. Il fait l’impasse, en brouillant les pistes, sur les actes dont Léon Delwaide porte la responsabilité avant sa démission en janvier 1944, date jusqu’à laquelle les Juifs avaient été persécutés avec l’aide de la police, au mépris de la légalité, sans la moindre opposition de l’administration en place. La pente est celle de la banalisation, de ce que l’on choisit d’imputer à « l’humaine nature » et à l’espace intermédiaire entre le blanc et le noir. Or les faits ne sont pas gris, ils sont complexes et il y eut un mouvement de résistance citoyenne dès 1942, nous rappel-

lent les auteurs de l’essai publié par Knack.

POPULISME CONTRE ÉTHIQUE Sachant que le gris ne résume ni n’efface la frontière entre le bien et le mal, la résistance et la collaboration, qu’il n’y a pas de moyenne à calculer par famille dont le résultat serait gris, Monsieur Bart De Wever glisse, par un changement de perspective, du plan historique à la stratégie politique populiste, faisant l’impasse sur la dimension essentielle : la dimension éthique, celle qu’incarne la demande de pardon du bourgmestre Janssens. Car c’est bien sur le plan éthique que se situe Patrick Janssens lorsqu’il présente des excuses à la communauté juive d’Anvers. L’accusation portée contre lui par son adversaire politique qui qualifie ses excuses de « gratuites » et de « faciles » est une pirouette et un leurre, visant à détourner l’attention de la démarche solennelle du bourgmestre Janssens, à la disqualifier, à la délégitimer. L’effet de cette pirouette produit un équivalent que l’on peut classer dans la vaste gamme des sophismes, leurres et autres stratégies de banalisations et d’assimilation à la normalité anthropologique présumée des conduites de survie en temps de guerre. Exit la dimension éthique, l’engagement citoyen, le courage et l’audace au profit d’un suivisme qualifié d’universel et de normal en temps de guerre au service d’une cause que l’occupant promet de favoriser. Nous sommes dans la démarche d’un politique

habile et de la cohorte de ceux qui préfèrent effacer plutôt que faire face. Le politique flirte avec l’interdit de la transgression, banalise la solennité de l’événement devant le Forum des associations juives d’Anvers en octobre 2007, banalise la faute, ignore le parcours libérateur de l’Allemagne et de la France assumant leurs responsabilités envers les crimes du passé. Des excuses qualifiées de non pertinentes, d’inadéquates, constituent d’évidence une opération ambigüe de disqualification du propos courageux du bourgmestre Janssens. C’est de toute évidence une manoeuvre de diversion sous la forme d’un sophisme. Le déni de pertinence du symbole que représente cette démarche, sa solennité, sa finalité, n’en masque pas le sens. Seule une prise de conscience courageuse constitue une démarche de rédemption libératrice, le face à face susceptible de réhabiliter l’honneur d’une région retrouvant la grandeur de son image. Si le propos de Monsieur De Wever équivaut à un déni de pertinence, on entend en filigrane le déni de vérité, non de l’événement Shoah, mais de la faute, de la complicité, de la responsabilité de la collaboration, de la spécificité du judéocide qu’elle permit de faire aboutir. Faire face à cette responsabilité, la comprendre, l’assumer, est sans doute la voie royale vers la dignité retrouvée. ■ * Centre d’Études et de Documentation Guerres et Ssociétés Contemporaines.

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Yiddish ? Yiddish ! PAR WILLY ESTERSOHN

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Installé aux Etats-Unis en 1921, l’auteur de ce poème, Judd (Yehuda Leyb) Teller (1912, Galicie - 1972, New York), a été un intellectuel polyvalent. S’exprimant aisément dans plusieurs langues, il fut tout à la fois journaliste, professeur d’université et auteur d’ouvrages politiques. Teller n’était généralement pas considéré comme un poète de son vivant. Cependant ses poèmes posthumes, édités à Tel-Aviv en 1975, ont permis de découvrir un incontestable grand auteur américain de langue yiddish. On l’a rangé parmi les poètes “introspectifs” qui publièrent la revue in zikh (“En soi”) de 1920 à 1940.

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TRADUCTION Sous le portrait de Lénine,/ un orchestre habsbourgeois./ Comme poissons dans un aquarium/ des bureaucrates, des courtiers et des touristes/ (installés) à des tables dressées/ (sur) une terrasse ouverte. (*)/ Tout près, un tramway passe à toute allure/ Pareil à une ligne de plomb incandescent./ Des ponts sont éclairés/ tels des cérémonies de mariage./ Sur le Danube,/ un violon prononce la bénédiction du vin (au-dessus d’une coupe de vin)./ La lune neige/ (avec) de la cendre/ sur le quartier juif. (*) Pour faciliter la compréhension, les trois vers qui précèdent ne figurent pas dans le même ordre que dans le texte yiddish.

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septembre 2011 * n°318 • page 30

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kn=t tank = réservoir ; char. tsiw shisn = tirer (un coup de feu). Ubr=f farbay = à côté, tout près ; NsiwUb=f farbayshisn = manquer (un tir), littéralement : tirer à côté. hrvw shure (hébr.) = rangée, file ; ligne d’écriture, vers. kYYlg gliik = brûlant, incandescent. Nencvd dukhnen = prononcer la bénédiction sacerdotale à la synagogue. septembre 2011 * n°318 • page 31


ANNE GIELCZYK

Un été pretty much pourri

B

onjour les amis, il me semble que je me suis quelque peu plantée sur la nature de cet été. Il n’est pas question de « overzomering »1, ni de « zomer » tout court d’ailleurs. Il fait froid et il pleut en Europe, de l’île désormais tristement célèbre d’Utoya en Norvège jusqu’à la Méditerranée. Les bourses ont dû croire qu’on était en octobre car elles nous ont refait le coup du jeudi noir de 1929, tandis qu’à Londres, pour se réchauffer sans doute (au propre et au figuré), des gamins sont descendus dans les rues mettre le feu aux voitures, suivis de rien moins que 16.000 policiers pour éteindre ce brasier (toujours au propre et au figuré) et pour couronner le tout, voilàt-il pas qu’en Israël des centaines de milliers de gens descendent dans la rue et s’indignent… de la montée du prix du cottage cheese. Il faut un début à tout j’imagine et puis c’est pas parce que l’armée rase les maisons des Palestiniens que les Israéliens ne peuvent avoir du mal à se payer leur fromage national. À chacun ses problèmes.

J

e reviens d’une semaine de vacances à Cambridge, UK. Prononcez iouqué et quémebridge. Oui je sais, je vous emm… avec mes

leçons de prononciation, mais il faut dire que vous n’êtes vraiment pas doués. Toujours est-il qu’à Cambridge, je n’ai pas pu déceler l’ombre d’une trace d’un début d’indignation. À Cambridge, pas de bandes de voyous des quartiers pauvres ni de quartiers pauvres d’ailleurs. À Cambridge tout baigne, Cambridge est lovely, et quand je dis «lovely», c’est évidemment un understatement. Nos flegmatiques Anglais pratiquent beaucoup l’« understatement », par exemple quand ils sont tout à fait sûrs de quelque chose, ils disent I am pretty sure, là où nous dirions, tu te trompes tout à fait. C’est très dépaysant. En fait, à Cambridge comme ailleurs en Angleterre, la crise et les restrictions frappent dur. Il n’en reste pas moins que Cambridge a quelque chose de magic (prononcez madgic), on se croirait dans un des films de Harry Potter en 3D, un mélange de campagne anglaise et de sophistication architecturale, de nature faussement sauvage et de patrimoine hautement intellectuel. La rivière Cam y borde les immenses pelouses et les superbes jardins des imposantes chapelles des multiples colleges (prononcez colledgeuz). Les vaches y côtoient les prix Nobel, c’est très impressionnant. Et pas

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seulement pour le vaches. On peut y prendre le thé dans le very verger où Virginia Woolf, Rupert Brooke, J.M. Keynes et leurs amis avaient l’habitude de se réunir. Avec le thé, le « scone », une institution, qui se prépare de la façon suivante, sur le petit pain encore chaud, coupé en deux, une couche de beurre, suivie d’une couche de confiture et pour finir une couche de crème. Attention, pas de crème Chantilly les amis ! Mais de la « clotted cream ». La clotted cream ressemble à de la crème qui aurait tourné, en fait c’est de la crème qui a tourné. C’est absolument delicious (prononcez delichieuz).

M

ais je m’égare, je m’égare, pourquoi est-ce que je vous parle de tout ça ? Ah oui ! Figurez-vous qu’en rentrant de Cambridge (Quémebridge, les amis, Quémebridge !), je suis tombée sur une interview de François Perin2 dans Le Soir3. Bon il a pris un petit coup de vieux François Perin mais il n’a rien perdu de sa verve. Et que dit-il ? Que si nous sommes dans la merde aujourd’hui en Belgique, c’est la faute aux Anglais ! Après la défaite de Napoléon en 1815, ils nous ont arrachés à la France et rattachés à la Hollande (enfin

dit, tout cela n’a pas empêché la Belgique de 1830 de devenir un État francophone, le français étant la langue dominante des élites, la langue de l’enseignement, de l’administration et de la justice. En Flandre, l’usage des dialectes prédomine (comme dans les campagnes wallonnes et françaises de l’époque), les gens sont pauvres ce qui confère au néerlandais un statut de langue La réponse très british à la crise : « Restez calme et inférieure, que les tenez bon » bourgeois ne parlaient quand je dis « nous », c’est une « qu’aux animaux et aux vue de l’esprit, mes ancêtres domestiques ». Le combat pour habitaient plus près de Vienne la reconnaissance de la langue où ils ont décidé tout ça que de néerlandaise sera donc d’emblée un combat culturel, politique et Bruxelles, mais soit). Toujours est-il que cela n’a pas plu, ni social. aux Wallons ni aux Flamands. En 1830 la révolution éclate. our en savoir plus, je vous recommande deux « Révolution » est un grand mot, ce n’est pas le Potemkine revues qui viennent non plus. Ça ressemble plutôt de sortir des numéros au mouvement des indignés spéciaux sur la Belgique. Dans sauf qu’on est plus proche la première4, quelques têtes du Carré de Moscou à Saintpensantes belges (Vincent de Gilles, que de la Puerta del Sol Coorebyter, Dave Sinardet, Marc de Madrid. Mais bon, ça a suffi Uyttendaele, et surtout Els Witte pour créer un État indépendant : sur la question linguistique) la Belgique. Une fois de plus expliquent la complexité de la Belgique aux Français. C’est les Anglais vont s’en mêler en refusant le roi d’origine française toujours bon à prendre même que les Belges s’étaient choisis en tant que Belge. Dans la et en imposant un illustre deuxième, Jacques Sojcher et inconnu, Léopold de SaxeVirginie Devilliers de la Revue Ah!5 ont demandé à quelques Cobourg qui avait déjà refusé écrivains et intellectuels une autre offre d’emploi en Grèce et dont c’était j’imagine flamands (Geert Van Istendael, la dernière chance avant d’être Tom Lanoye, Jan Fabre, David rayé du chômage. À quoi ça tient Van Reybrouck, Alain Platel…) hein. Les Grecs auront au moins et deux francophones (Caroline échappé au Prince Philippe. Ceci Lamarche et Jacques De Decker)

P

de donner leur point de vue sur la crise actuelle. Il est toujours agréable de lire des textes bien écrits surtout quand ils sont intelligents, ce que la plupart sont. Personnellement j’aurais préféré qu’on les édite en langue originale avec la traduction en miroir, car la traduction française nous laisse parfois un peu sur notre faim. (Je crains qu’il n’y ait qu’un Van Crugten pour traduire le nouvel Hugo Claus qu’est Tom Lanoye). Quand est-ce que les francophones comprendront qu’il faut lire/ voir/écouter en langue originale, sous/sur-titrée ! Ce que tous ces textes nous racontent c’est qu’en Belgique, l’Autre c’est la langue (Jozef Deleu : « La langue néerlandaise est ma patrie », Benno Barnard : « La frontière linguistique, ma patrie », Stefan Hertmans : « La langue de l’Autre »). Cette cohabition, cette hybridité constitue la marque de la Belgique, une richesse dont on ne saurait se passer puisqu’elle préfigure l’Europe et le monde de demain. Pour Tom Lanoye, la question est plus simple, il la formule dans la langue de Bart De Wever « Quousque tandem abutere, Bart De Wever, patientia nostra ? » ce qui veut dire « Combien de temps, Bart De Wever, vas-tu encore nous casser les couilles ? » Réponse à l’automne ? ■ Équivalent estival d’hibernation, voir ma chronique de juin. 2 Constitutionnaliste et créateur du Rassemblement wallon, fédéraliste de la première heure, aujourd’hui rattachiste. 3 Le Soir, 6-7 août 2011, page 5. 4 La Belgique, Pouvoirs, n°136, Le Seuil, janvier 2011. 5 Ah, ces Flamands !, Revue Ah, #12, juin 2011. 1

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LE

DE LÉON LIEBMANN

L’art de se plaindre

U

n ouvrage récent, fort bien documenté et rédigé avec autant de sérieux que de verve ravira les passionnés de la culture juive et en particulier de sa composante en yiddish. Il est l’œuvre d’un brillant universitaire juif nord-américain, Michael Wex, et a pour titre Kvetch ! Le yiddish ou l’art de se plaindre*. Sa traduction en français aux Éditions Denoël a paru, sous l’excellente plume d’Anne-Sophie Dreyfus, en janvier 2011. Saluons d’emblée les qualités et la compétence de son auteur, lui-même traducteur du yidish vers l’anglais, comédien – son livre se déguste comme une bonne pièce de théâtre – et artisan du renouveau d’une plus grande diffusion du yiddish, qui lui ont valu de recevoir le prix prestigieux du « Yiddish National Treasure » qu’il doit autant à son savoir-faire qu’à son savoir. Michael Wex entame son excursion panoramique par la dissection d’une blague juive en yiddish qu’il considère comme un test de compréhension de la langue Yiddish. Il le dit très simplement : « Si vous comprenez cette blague, vous n’aurez aucun problème à apprendre le yiddish » car « elle contient, dans une forme accessible au plus grand nombre, presque tous les

éléments importants de l’esprit de la langue ».

V

oyons donc la teneur « magique » de cette blague, qu’il prend bien plus au sérieux qu’une quelconque plaisanterie. Un homme âgé monte à la gare centrale de New-York dans le train de Chicago. Il prend place en face d’un vieux monsieur qui lit un journalw en yiddish. Une demi-heure après le départ du train, le vieux monsieur pose son journal et commence à gémir en répétant à plusieurs reprises « Oy, qu’est-ce que j’ai soif ! ». Son vis-à-vis, excédé après cette longue salve de jérémiades, va à la fontaine d’eau fraîche qui se trouve à l’autre extrémité du wagon et remplit deux verres d’eau qu’il offre au vieil assoiffé, espérant par là retrouver le calme auquel il aspirait. Celui-ci vide les deux verres avidement puis pousse un soupir tenant lieu de remerciement, avant de s’enfoncer dans son fauteuil et de proférer à voix forte « Oy, qu’est-ce que j’avais soif ! ». Michael Wex dissèque ce comportement du buveur d’eau et aboutit à la conclusion suivante : les Juifs sont tellement marqués par leur passé de persécutés qu’ils ont tendance à exprimer leur contentement par une plainte qui devient, je cite : « une façon d’exercer un contrôle

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discret sur un environnement (d’abord) hostile ». La plainte réitérée et parfois amplifiée aboutit souvent à obtenir l’assistance d’une personne qui n’éprouvait pas de prime abord de sympathie pour le plaignant mais qui finit par réagir dans le sens de celui-ci pour avoir « la paix ». L’auteur développe cette façon d’obtenir ce que l’on désire mais sans l’ombre d’une démonstration psychosociologique.

S

ans vouloir le contredire formellement, je mettrai néanmoins un bémol à mon acquiescement

mitigé. L’utilisation de la langue yiddish ne se limite pas à kvetchen sur son sort. Elle recourt à bien d’autres expressions et comporte beaucoup d’autres façons de penser et d’agir. L’auteur aurait d’autant plus de mal à le nier que lui-même, dans son livre qui ne manque ni d’esprit d’observation ni de saveur, passe en revue des monceaux d’exemples qui expriment la diversité du génie de la langue, qu’il appelle le « pintele yiddish ». J’en citerai deux, plus complémentaires qu’antinomiques. Le premier utilise de façon inattendue la notion de « kasher », empruntée à la

religion juive, et le second, le concept opposé de « traife » (= non-kasher) et, comme tel, le domaine des interdits d’origine religieuse. « Kasher fardinen », c’est littéralement gagner sa vie en vendant de la nourriture kasher, mais on ne l’emploie pas ici dans ce sens étroit. Celui qui vend de tels aliments ne sera pas appelé de cette façon. On parlera d’un boucher, d’un charcutier ou d’un poissonnier « kasher ». « Kasher fardinen » veut dire tout simplement « gagner sa vie honnêtement ». C’est une

extension du sens du mot « kasher » à tout ce qu’il est permis de vendre de façon parfaitement honnête. Mon second exemple d’utilisation d’un terme consacré par la religion juive dans un contexte pas nécessairement religieux concerne le mot « traif » qui, comme je l’ai écrit plus haut, a un sens diamétralement opposé à celui de kasher. L’expression « a traifene mazel » qui en découle et qu’on peut traduire vulgairement mais fidèlement par « quelqu’un qui a une veine de cocu » ou de « pendu », c’està-dire une chance exceptionnelle mais qu’il ne mérite pas, pas plus qu’un mangeur de « traife » ne mérite de la considération.

O

n le voit, le « pintele » (= la pointe de) yiddish ne se borne pas à des « kvetchen », c’est-à-dire des geignements. C’est tout un mode et tout un monde de pensée, où les termes religieux sont amalgamés avec des mots du langage de tous les jours pour donner à une expression ainsi formulée un sens laudatif ou péjoratif aussi

substantiel qu’inattendu. Le livre de Michael Wex fourmille de cas de ce genre. Il vous fera mieux pénétrer dans la quintessence du judaïsme exposée en « mame louchen » (la langue maternelle, qui, ici, désigne bien sûr le yiddish). Vous y trouverez aussi des considérations souvent fort savantes mais jamais ennuyeuses sur l’origine du yiddish et sur ses composantes ethnogéographiques (le yiddish parlé naguère à Vilno diffère sensiblement de celui de Cracovie ou de celui parlé à Lodz) et sur la manière dont il a essaimé en Amérique du Nord et, plus particulièrement, aux États -Unis. Vous en sortirez éblouis et enrichis, prêts à reprendre haleine avant de replonger dans cette langue construite par ses utilisateurs. À bon entendeur et à bons lecteurs, salut ! Les traits d’humour… juif affleurent et abondent. La plupart y ont été découverts par un chercheur infatigable mais beaucoup d’autres sont l’œuvre de l’auteur, souvent fort bien inspiré. Je ne puis que vous convier, mes chers lecteurs, à devenir les siens. Vous n’aurez pas à vous en plaindre (kvetchen) ! ■ * En yiddish, Kvetchen signifie « se plaindre avec insistance ».

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activités vendredi 16 septembre à 20h15 Véronique Sels présente son roman

La tentation du pont

Dans le cadre de la Journée Nationale du Martyr Juif de Belgique L’Union des Déportés Juifs en Belgique – Filles et Fils de la Déportation vous appelle à participer au

55ème Pélerinage National à l’ancienne Caserne Dossin

introduction : Carine Bratzlavsky Ancienne membre de l’UJJP (Union des Jeunes Juifs Progressistes), Véronique Sels a tenu à présenter son roman dans la maison qui a marqué sa jeunesse. La première passion de Véronique Sels a été la danse contemporaine qu’elle a pratiquée à Bruxelles, Paris, New York et Rio, jusqu’à l’âge de 30 ans. Puis le hasard l’a mise sur le chemin de la publicité, métier au service duquel elle a mis sa créativité. Directrice de création chez Publicis, elle est aujourd’hui l’une des publicitaires européennes les plus primées. Véronique Sels écrit depuis longtemps et avec la même passion créative. Elle a plusieurs romans à son actif. La tentation du pont (Éditions Genèse) est le premier à être publié. Résumé du roman : Perséphone décide un jour de quitter la maison de ses parents pour ‘habiter’ telle une clocharde sous les ponts de Paris. La jeune femme se lie d’amitié avec des personnages aussi pittoresques qu’attachants : Porphyre, roi d’Afrique, chauffeur de taxi, qui rêve de sauver son peuple ; Simone, un pauvre hère qui a reçu plus de gifles que de baisers ; Chang, un moine -coiffeur, Chinois et maître Kung Fu ; Janòs, balayeur de rue, ivrogne et nostalgique de l’Empire austrohongrois. Chacun entre dans la vie de Perséphone avec ses drames et ses rêves. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

samedi 17 septembre à 20h15

à Malines Rue Goswin de Stassart 153

Le dimanche 11 septembre 2011 à 11h Rassemblement devant la caserne dès 10h30 Départ des autocars à 9h30 Bruxelles : Place Rouppe Antwerpen : Loosplaats Pour voir le futur, il faut regarder derrière soi Isaïe

vendredi 23 septembre à 20h15 Democracia Real Ya ! Un printemps espagnol Conférence-débat avec

Marc Lancharro Rodriguez et Leo Ter Halle (les IndignéEs)

(Democracia Real Ya ! – Belgique)

L’inspiration de 18 Carats prend sa source dans la musique klezmer, celle des Balkans, dans des airs populaires et traditionnels. Qu’elle soit juive, roumaine ou hongroise, elle se remplit d’une émotion tantôt mélancolique, tantôt joyeuse qui vise avant tout le coeur des gens. Laissez vous emporter par ces mélodies venues d’Europe de l’Est pour une soirée festive !!

L’agenda néolibéral européen a été troublé par l’irruption, en Espagne et en Grèce, d’un mouvement de contestation massif qu’aucun parti politique n’est parvenu à enrayer ou canaliser. En phase avec les révolutions arabes, cette mobilisation d’un genre nouveau n’en est cependant pas le simple reflet : il s’agit bien d’un phénomène propre au Sud de l’Europe, en opposition radicale aux plans d’austérité et de détricotage des droits sociaux que les gouvernements de l’UE appliquent docilement. Cette soirée sera particulièrement consacrée à l’Espagne et à une analyse, de l’intérieur du mouvement, des spécificités nationales et aussi des aspirations plus universelles de cette mobilisation qui a créé la surprise. Pour cela, nous écouterons un représentant du collectif Democracia Real Ya ! Belgique, regroupant des Espagnols vivant dans notre pays, et un militant du mouvement bruxellois des IndignéEs qui a tenté, sur une base plus modeste, de se faire l’écho sur nos places publiques de ce printemps européen.

PAF: 9 EURO, jeunes et petits revenus : 2 EURO

PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

Concert de rentrée avec le groupe klezmer18 carats

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activités vendredi 30 septembre à 20h15 Le Mouvement du 20 Février au Maroc

Points critiques présente à ses lecteurs, membres de l’UPJB et abonnés, ses meilleurs voeux à l’occasion de la nouvelle année 5772

Conférence-débat avec

Nadia Oussehmine et Fouad Lahssaini Mouvement du 20 Février – Belgique La vague révolutionnaire qui traverse le monde arabe n’a pas épargné le Maroc. Dans ce pays cependant, le régime a réussi, pour le moment, à se maintenir notamment en organisant un référendum constitutionnel avec un résultat typique des dictatures : 98% ! Mais la contestation radicale de ce pouvoir despotique et corrompu se poursuit, grâce entre autres au Mouvement du 20 Février, qui regroupe principalement des jeunes, et qui poursuit la mobilisation sans se laisser séduire par les sirènes des partis de Sa Majesté. Pour en parler, nous donnons la parole à deux représentants du Mouvement du 20 Février - Belgique, nouveau regroupement qui prolonge dans l’immigration en Belgique les objectifs du mouvement contestataire marocain. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

vendredi 7 octobre à 20h15 Un regard sur la communauté juive iranienne

Atelier d’écriture de récit de vie L’atelier d’écriture reprend dès septembre ! Il s’agit d’un cycle de 10 séances de 3 heures. Il y aura 2 groupes. 1er groupe

: les mercredis 21 et 28 septembre, de 17h30 à 20h30 les 5, 12, 19 et 26 octobre, les 9, 16, 23 et 30 novembre

2e groupe (avancés) : les jeudis 22 et 29 septembre, de 10 à 13h les 6, 13, 20, 27 octobre, Contact : lara.erlbaum@yahoo.fr les 10, 17, 24 novembre, 0476/99.32.96 le 1er décembre Prix : 135 euros (membres) 160 euros (non membres) Inscription : 310-0755684-43

Pour plus d’informations : www.upjb.be

Conférence-débat avec

Mojgan Kahen La communauté juive d’Iran est l’une des plus anciennes au monde. Sa présence dans ce pays remonte à bien des siècles avant l’Islam. Mojgan Kahen nous fera mieux connaitre cette communauté et son vécu dans un pays qui a subi de grands bouleversements au fil de l’histoire. En évoquant quelques épisodes cruciaux, elle abordera l’évolution et les changements qu’a connus la communauté juive en contact avec la société iranienne, la place et la représentation des Juifs dans cette société à différentes époques, l’impact de cette représentation sur leur vie et leur relation avec la population iranienne mais aussi l’influence de la culture iranienne sur les Juifs d’Iran. Née en 1965 à Téhéran, Mojgan Kahen vit en Belgique depuis 1989. Psychologue, elle vient de publier son premier roman, Les murs et le miroir aux Éditions L’Harmattan. Largement autobiographique, le récit évoque, tel un roman d’apprentissage, un itinéraire de vie, de la découverte du monde qui l’entoure par une petite fille aux questionnements de l’adolescence, jusqu’à la transgression des traditions et l’exil. Entre introspection intime et violence de l’Histoire. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

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Rectificatif : La Galaxie Dieudonné [suite] Suite à la publication de l’article sur la sortie du livre La galaxie Dieudonné - Pour en finir avec les impostures (Points Critiques, juin 2011), son auteur et la rédaction ont reçu plusieurs réactions. Mrs. Souhail Chichah et Pierre Piccini affirment ne pas être membres du « réseau pro-Dieudonné ». Si le premier est apparu lors de débats côte à côte de Dieudonné ou lors de conférences sur « son cas », il ne s’agissait pas de manifestations de soutien aux discours de celui-ci mais d’une démarche générale de Mr. Chichah contre le cordon sanitaire et pour la liberté d’expression. L’universitaire belge (ULB) a par ailleurs dénoncé les propos racistes et le positionnement pro-iranien de Dieudonné. Également cité dans l’article, Michel Collon récuse lui aussi toute appartenance à une galaxie partisane de l’artiste-homme politique français. Seul le ciblage perpétuel du « sionisme » semble être leur point commun. Quant à Olivier Mukuna, après un e-mail évoquant un article comportant des affirmations diffaman-

tes et de la calomnie à son égard, il avait annoncé – dès le début du mois de juin – l’envoi d’un droit de réponse. Au moment du bouclage de ce numéro (mi-août), aucune missive de Mukuna n’a été communiquée. Jean Bricmont, mentionné comme appartenant à la galaxie belge pro-dieudonné, n’a pour sa part pas réagi. Signalons enfin, que le polémiste Alain Soral, principal « compagnon de route » français de Dieudonné, s’est récemment engagé publiquement dans une attaque en règle très violente contre Souhail Chichah, Michel Collon, Olivier Mukuna et Jean Bricmont. Le sociologue fasciste (Soral se revendique du « nationalisme-révolutionnaire », l’un des courants du fascisme, et apporte à nouveau son soutien à Marine Le Pen) les désigne, notamment, comme étant la « bande des antisionistes belges faux-culs » (sic). Dont acte. Manuel Abramowicz

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écrire 1943 HENRI ERLBAUM (FOURMISSEAU)

Points critiques a publié en mars dernier un premier texte de Henri Erlbaum intitulé « 1942 ».

J

e ne sais pas pourquoi on m’a caché, je ne reconnais rien et je suis seul. Et puis, il y a si longtemps de cela que j’ai oublié tout le reste, sauf la Tache Jaune.

Au dehors il y a un magnifique jardin fleuri, sans doute, peut-être, je ne sais pas. Quelques marches en pierre mènent à une cave sans porte, ce qui fait que la lumière y pénètre en abondance et y reste prisonnière. Au fond de cet espace, il y a un soupirail. Cette ouverture a été condamnée. Le soleil inonde cet endroit en permanence. Il fait très clair, c’est agréable et cela me donne une sensation de chaleur. À part ça, je ne me souviens plus du reste, sauf de la Tache Jaune. Autour de moi, il y a ces deux murs en briques que je caresse toute la journée. Je les regarde… Je les regarde des heures entières, je n’ai que cela. Je joue avec les briques. Je connais chacune d’elles. Avec mon doigt, je fais le tour de l’une et puis, je zigzague à gauche et la suivante à droite, et aussi celle du dessus et encore l’autre à côté. Elles sont belles, elles se ressemblent toutes, comme des sœurs. Il y en a beaucoup

et je les aime toutes. Je ne sais pas depuis quand je suis là, j’ai même oublié qu’il existe des dimanches. Je ne sais pas si les jours se ressemblent, si le temps avance ou si les jours reculent. Le temps s’est arrêté et il ne se passe rien. Tout est gelé. Paralysé. Il n’y a même plus de bruit. Je suis dans le silence. Personne ne me parle. Je suis seul. Je n’ai plus de nom. Mais tous les jours je leur dis bonjour à mes amies. Je les touche et je joue avec elles, mes sœurs. Je suis heureux, il y a du soleil. Je n’attends rien, je ne souhaite plus rien. Je ne me souviens de rien d’autre. Il y a longtemps de cela, sauf de la Tache Jaune. J’aime passer mes mains sur les briques. Elles sont toutes les mêmes et pourtant, elles sont très différentes. Je les ai bien observées. Elles ont toutes des craquelures en forme d’éclairs, certaines légères et sinueuses, d’autres plus longues et même très profondes comme des cicatrices. Les briques sont là, immobiles l’une à côté de l’autre, silencieuses. De même dimension, bien alignées par rangées. Je les connais toutes et j’aime cette symétrie. Cela donne

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un rythme, c’est comme une respiration, bien répétitif. C’est beau. C’est calme et reposant. Elles parlent en me transmettant une sensation rugueuse, rêche et chaude qu’elles communiquent sur la paume de ma main nue. Je passe mes deux mains d’un mur à l’autre en tournant en rond, et cela me suffit. Il y a du soleil, je suis ébloui, tout est calme, je ne me pose pas de question, je suis heureux. Je ne me souviens de rien d’autre, mais peut-être il n’y a plus rien, sauf moi et mes briques. Et entre chacune d’elles, il y a une matière d’une autre couleur. Lorsque je touche cette matière du bout des doigts c’est très lisse, elles sont toutes reliées l’une à l’autre par cette matière très douce. Je les connais bien mes briques. Je les regarde rangée par rangée, l’une après l’autre. Les yeux fermés, je les reconnais. Je les ai tellement saluées, regardées, touchées que je les ai intégrées en moi. Je peux toutes les identifier. Je voyage de l’une à l’autre. Elles font partie de moi depuis longtemps et pour toujours. Et puis un jour ma main a rencontré quelque chose de nouveau.

J’ai été très surpris. J’ai longtemps observé. Le coin inférieur d’une brique près du sol est cassé et il en manque un morceau. J’ai bien regardé, il y a un vide. À quatre pattes, j’ai observé le fond de ce vide, c’est très sombre. J’ai mis mon doigt dans ce nouveau monde inconnu. J’ai touché quelque chose de mou. J’ai fait un bond en arrière, je ne m’y attendais pas. Il y a quelque chose qui s’y cache. J’ai été effrayé, il y a une présence. Je ne suis plus seul et j’ai très peur. Quelque chose d’inconnu se cache là. Comme moi sans doute. J’ai peur. Je ne caresse plus mes briques, j’ai peur. Et tous les jours, c’est la première chose que je fais, j’observe ce vide, et j’avance mon doigt pour toucher cette chose, mais une seule fois par jour, uniquement pour vérifier que cette présence existe. Je me pose des questions maintenant. J’ai peur. Je ne suis plus seul et cette chose est vivante, je le sens. Mais il y a tellement longtemps de cela que j’ai presque tout oublié… sauf que de toutes mes forces et très fort, j’ai appuyé, avec tous mes doigts sur cette chose effrayante qui me dérangeait. Je ne sais pas pourquoi. Mais très très fort j’ai voulu la faire disparaître. Et cette chose a sauté sur mon visage. C’était

Jaune. J’ai hurlé. Je crois que c’est la première fois de ma vie que j’ai crié. C’était Jaune. Il y a si longtemps que j’ai oublié tout le reste mais ça je ne l’ai pas oublié et je m’en souviendrai pour le restant de ma vie. Et ce qui m’a le plus effrayé … ce n’est pas la Tache Jaune, mais le cri qui est sorti du fond de cette cave, du fond de moi. x Le reste est allé très vite comme dans les beaux contes. Une fée est venue avec sa baguette magique. J’ai reçu du jour au lendemain sans rien demander un père, une mère et un grand frère plus grand que moi. x Le reste est allé très très vite. Mes parents m’ont inscrit dans une école. Ils m’ont offert des lunettes. Mon grand frère lit de gros livres. Moi je regarde les images en couleur. Et puis un jour, j’ai hurlé, oui c’est elle, je la reconnais, la Tache Jaune, c’est bien elle, c’est elle qui m’a sauté au visage. Elle

était là dans le livre de mon grand frère. Il m’a dit que cette chose était une grenouille. Le reste est allé encore plus vite. Trop vite. J’ai appris à lire des livres comme mon grand frère, et j’ai tout lu sur les grenouilles. Comment elles vivent, comment elles se reproduisent. Maintenant je sais qu’elles hibernent, quelques mois par an. Moi aussi, j’avais hiberné. Un jour à l’école, le professeur a demandé que tous les élèves parlent pendant une heure d’un sujet libre. Moi j’ai parlé, parlé, parlé des grenouilles. Comment elles respirent, comment elles se protègent des prédateurs. Le prof m’a félicité. C’était la première fois que je recevais un compliment. Il m’a aussi demandé pourquoi je m’intéressais tellement à cette espèce étrange. Je n’ai pas su lui répondre. À l’armée, lorsque l’on m’a demandé qui m’avait appris à nager si vite, j’ai répondu une grenouille. On ne m’a pas cru. Aujourd’hui j’ai envie d’arrêter le temps… et comme moi et les miens il y a une soixantaine d’années, la grenouille est sur la liste des espèces en voie de disparition. ■

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écouter

est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août) L’UPJB est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente)

Ton âme de caravane

Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be

NOÉ

D

ans le bus À la sortie du bus À la vue des tentes À la tombée de la nuit Au petit matin En route pour le réfectoire Après le chocolat-chaud matinal Entre deux bols de céréales Au milieu de la plaine Les pieds dans l’eau Au départ de la randonnée Au retour de la randonnée Dans la salle « brico » Sous la houlette des Jospas Lors du radiocrochet À l’entrée du bus Dans le bus Les Roms pour thème de camp. Une chanson ? Comme une évidence. Plusieurs années que notre répertoire héberge deux chansons de La rue Ketanou. Cette année, nous en intégrons une troisième. C’était qui le premier à s’époumoner sur « Les cigales » et « Les hommes que j’aime », à s’égosiller pour nous les faire aimer ? Kevin, peut-être ? Le camp avec Gilles ? Ou bien avant. Peu importe. Nous y sommes. Et entre le claquement des couverts sur les tables et tous les bruits coutumiers qui font la gaieté des plus beaux repas du monde, les nôtres, on fait une pause. Un signe de la tête aux guitaristes, toujours prêts à dégainer. Une chanson, mille horizons. Almarita de La rue Ketanou, groupe français sur la route depuis dix ans. Elles sont peut-être les folles

De Nevers ou de Séville Des bracelets qui farandolent Des boucles d’oreilles qui sourient A une robe de Gitane Une Gitane que l’on rencontre Sur une scène à macadam Une histoire que l’on raconte La musique c’est elle Et la fête fait son entrée Almarita danse, chante Pour les Gitans Et que ton cœur vole au vent Ton âme en caravane Almarita danse, chante Pour les gitans Et que ton cœur vole au vent Ton âme en caravane Elles chantent pour tous les printemps Tant de vie et ces gros temps Mais elles ne peuvent y rester L’âme gitane ne fait que passer Elles se suicident cent fois par jour Pour dire « on n’brade pas L’Algérie ou bien l’amour Ces choses-là ne repoussent pas » La musique c’est elle Et la fête fait son entrée Almarita danse, chante pour les gitans Et que ton cœur vole au vent, ton âme en caravane… Elles portent des marques du voyage Et savent très bien nous y faire croire Rien qu’à les regarder danser Cherche pas à comprendre, t’as qu’à y aller

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Ni femme de marin, ni putain Je sais qu’elles repartiront Des joies de gens dans une main Et une valise pleine de chansons Où la musique, c’est elle et la fête fait son entrée Almarita danse, chante pour les gitans Et que ton cœur vole au vent, ton âme en caravane… Il y’en a qui travaillent comme des fous Pour se payer des clous A clouer sur leur feuilles de vie Mais la mort est sans bagages Moi de tous cela je ne veux rien Les poches vides et le cœur plein D’amour qu’une Gitane m’a laissée La musique c’est elle Et la fête fait son entrée…

M

a foi, il m’a toujours paru sympathique ce Daniel Guichard. Bien qu’un peu chevrotant, il n’est pas mauvais chanteur. Je dirais même qu’il nous a fait de jolies choses au cours de ses quarante ans de carrière musicale. Le Gitan. Mélange de bons sentiments et de sincérité. Nous n’avons pas besoin de réclamer le silence. La communauté est au taquet. Un La mineur, et le temps est suspendu. On prend de la vitesse, les couplets s’enchaînent.

Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski

Photo Maroussia Toungouz N.

Il a un rire de voyou Dans le fond des yeux : des amis Il a le cœur au bord des coups Le Gitan, le Gitan, Un peu renard, un peu loup Il sort le jour ou bien la nuit Ce qu’on dit de lui il s’en fout Le Gitan, le Gitan, que tu ne connais pas ! Il aurait pu être un grand matador Un voleur de poules, un jeteur de sorts Prendre une guitare, être musicien Mais sa vie à lui elle est dans ses poings Il ne sait pas d’où il vient Mais il sait toujours où il va Il a des milliers de cousins Le Gitan, le Gitan, Il a couru les chemins Sainte-Marie ou Guernica Pour venir dormir à Saint-Ouen Le Gitan, le Gitan, que tu ne connais pas ! Souvent je deviens : Gitan Mon ciel est le sien : Gitan Je suis comme lui : Gitan J’ai plus de pays : Gitan

J’ai plus de maison : Gitan Je n’ai plus de nom : Gitan C’est toi qu’a raison : Gitan Y a plein d’horizons ! Il a toujours l’air heureux Les chagrins lui n’en veut pas Il les jette au milieu d’un feu Le Gitan, le Gitan, L’amitié n’est pas un jeu Quand il donne il ne reprend pas Il sait couper son cœur en deux Le Gitan, le Gitan, que tu ne connais pas ! Il aurait pu être un grand matador Un voleur de poules un jeteur de sorts Prendre une guitare, être musicien Mais sa vie à lui elle est dans ses poings Souvent je deviens : Gitan Mon ciel est le sien : Gitan Je suis comme lui : Gitan J’ai plus de pays : Gitan J’ai plus de maison : Gitan Je n’ai plus de nom : Gitan C’est toi qu’a raison : Gitan Y a plein d’horizons ! ■

Ont également collaboré à ce numéro : Manuel Abramowicz, Mateo Alaluf, Roland Baumann, Jean-Marie Chauvier, Olga Elkaïm, Henri Erlbaum, Léon Liebmann, Antonio Moyano, Noé, Gérard Preszow, Maroussia Toungouz N., Marc-Henri Wajnberg, Nicolas Zomersztajn Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Compte UPJB IBAN BE92 0000 7435 2823 BIC BPOTBEB1 Abonnement annuel 18 EURO ou par ordre permanent mensuel de 2 EURO Abonnement de soutien 30 EURO ou par ordre permanent mensuel de 3 EURO Abonnement annuel à l’étranger par virement de 40 EURO Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB. Montant minimal mensuel: 10 EURO pour un isolé, 15 EURO pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.

septembre 2011 * n°318 • page 43


agenda UPJB Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

dimanche 11 septembre à 11h

55ème Pélerinage National à l’ancienne Caserne Dossin (voir page 37)

vendredi 16 septembre à 20h15

Véronique Sels présente son roman La tentation du pont (voir page 36)

samedi 17 septembre à 20h15

Concert de rentrée avec a le groupe klezmer 18 carats (voir page 36)

vendredi 23 septembre à 20h15

Democracia Real Ya ! Un printemps espagnol. Conférence-débat avec Marc Lancharro Rodriguez (Democracia Real Ya ! – Belgique) et Leo Ter Halle (les IndignéEs) (voir page37)

vendredi 30 septembre à 20h15

Le Mouvement du 20 Février au Maroc. Conférence-débat avec Nadia Oussehmine et Fouad Lahssaini – Mouvement du 20 Février – Belgique (voir page 38)

vendredi 7 octobre à 20h15

Un regard sur la communauté juive iranienne. Conférence-débat avec Mojgan Kahen (voir pages 38)

vendredi 21 octobre à 20h15

La crise de la zone euro : les marchés font-ils la loi ? Conférence-débat avec André Sapir, professeur d’économie à l’ULB, ancien conseiller économique du président de la Commis sion européenne (voir page xx)

Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

jeudi 8 septembre

« Qu’en pensent les Flamands ? L’opinion publique en Flandre face à la crise politique belge » par Anne Gielczyk (chroniqueuse des « Humeurs judéo-flamandes » dans Points Critiques)

jeudi 15 septembre

« Bruxelles, prouesses d’ingénieurs ». Exposition au C.I.V.A. (Centre International pour la Ville, l’Architecture et le Paysage). Visite guidée par Jackie Schiffmann. Rendez-vous à l’entrée, 55 rue de l’Ermitage à 1050 Bruxelles, à 14h30

jeudi 22 septembre

« L’actualité politique et sociale » par Léon Liebmann

jeudi 29 septembre

Congé à l’occasion de Rosh Hashana

et aussi vendredi 23 septembre à 18h Prix : 2 EURO

Russell tribunal on Palestine. Soirée de récolte de fonds du Comité national d’appui belge. Théâtre Molière Square du Bastion, 3 à 1050 Bruxelles

Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be


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