n°324 - Points Critiques - mars 2012

Page 1

mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique mars 2012 • numéro 324

éditorial

Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - P008 166 - mensuel (sauf juillet et août)

Nuance…

Q

ue pourrions-nous ajouter qui n’ait été dit à propos de ce fameux débat à l’ULB du mardi 7 février au cours duquel Caroline Fourest devait prendre la parole sur l’extrêmedroite et en a été empêchée par plusieurs dizaines de personnes ? Peut-être commencer par rappeler le communiqué de l’UPJB intitulé : Mais que veulent-ils ? « Nous dénonçons vivement la tournure qu’a prise le débat sur l’extrême droite ce mardi 7 février à l’ULB. Nous sommes choqués qu’il ait été empêché dans ce lieu qui nous tient à cœur comme symbole, en particulier, de la libre expression et du débat démocratique. Sans adhérer, loin s’en faut, aux valeurs prônées par le courant de

Caroline Fourest, un courant laïciste radical, focalisé sur l’islam, nous sommes néanmoins perplexes sur ce que cherchent, dans le fond, ceux qui ont organisé ce chahut. Outre son côté provocateur voire suicidaire, faut-il aller chercher du côté de l’intolérance antidémocratique ou serait-ce une manière de rendre visible, au cœur même du symbole du libre examen, la transformation culturelle et sociale de la ville ? Dans tous les cas, on ne peut souscrire aux formes qui empêchent le débat et la compréhension des uns et des autres, d’autant qu’il s’agissait ce soirlà de dénoncer une extrême droite qui se veut fréquentable. Nous avons tous en mémoire, comme le rappelle Jean-Jacques Jespers dans Le Soir, des soirées houleu-

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

mars 2012 * n°324 • page 1


sommaire

éditorial ➜

éditorial

1 Nuance. .................................................................................Le comité de l’UPJB

israël-palestine

4 Netanyahu : au bout du bout du cynisme ............................. Henri Wajnblum

lire

6 Un Goy dans le monde des Juifs.....................................Tessa Parzenczewski 7 Les villes de la plaine ...................................................................Élias Preszow

lire, regarder, écouter

8 Des femmes, rien que des femmes ......................................... Antonio Moyano

regarder

10 Fascination ..................................................................................Jacques Sojcher

mémoires

12 Nous n’irons pas voir Auschwitz........................................... Roland Baumann

réfléchir

14 Le rejet français de l’islam ........................................................... Alec de Vries 16 Constantin Brunner (1862-1937) ................................................ Jacques Aron

yiddish ? yiddish !

! widYi ? widYi

20 meydlekh in krotona-park - Jeunes filles dans Crotona Park Willy Estersohn 22

activités upjb jeunes

26 Un nouveau nom ................................................................... Charline et Miléna 28

les agendas Paraît avec ce numéro de mars 2012 un hors-série « Maxime Steinberg ou la passion indocile »

RECTIFICATIF Contrairement à ce que, sur la foi d’informations erronées parues dans la presse, nous affirmions dans l’introduction de l’interview d’Édouard Delruelle, directeur-adjoint du Centre pour l’Égalite des Chances, publiée dans Points critiques le mois passé, Jozef de Witte, directeur du Centre, a bien été reconduit dans ses fonctions par le gouvernement.

mars 2012 * n°324 • page 2

ses et non moins joyeuses à l’ULB, au temps glorieux des années post-68. Nous avons pu nous-mêmes être empêchés ou interdits de parole, voire même, comme Marcel Liebman, menacé de mort. Cela ne nous conduit pas à accepter de telles pratiques. » Aujourd’hui, à quelques semaines de l’événement et alors que l’on assiste, sur tous les tons et sur tous les supports médiatiques, à une réaction en chaîne qui chaque jour apporte son lot de commentaires, reformulant et déplaçant le débat initial, ce que nous pouvons ajouter et qui n’a forcément pas encore été dit dans le débat public, ce sont les réactions souvent passionnelles des membres de l’UPJB à l’égard de ce communiqué. Celles-ci vont du « vous hurlez avec les loups » - puisque nous condamnons ce boycott sans ambiguïté - au « comme vous êtes mous » - puisque nous cherchons malgré tout à comprendre. Aurions-nous mieux fait de nous taire ? Ou, en décidant de parler, aurait-il été plus sage de témoigner de moins de nuances, un communiqué n’ayant pas, par nature et pour destin, de faire dans la dentelle ? Dans ce peu de phrases imparti par la loi du genre, nous avons pourtant choisi à la fois de dire et d’essayer de comprendre : dire notre condamnation absolue du refus de la parole de l’autre et exprimer notre perplexité interrogatrice à l’égard de ce refus. Dans une situation où des camps se polarisent, la nuance se révèle parfois porteuse d’une amorce de réflexion. Nous l’avions, en quelque sorte, anti-

Quand en plus, pour nous, Juifs de l’UPJB, s’invite au débat, en creux, le conflit israélopalestinien avec ses effets sur nos communautés respectives et les amalgames que l’on sait entre antisémitisme et antisionisme, il nous faut une super boussole pour y voir clair et ne pas perdre le Nord. Oui, le monde est bien plus complexe que la volonté de le ramener à des oppositions binaires et c’est modestement que nous avons tenté d’en rendre compte par notre communiqué : comme Juifs, enfants d’immigrés en Belgique; comme progressistes, désireux de justice sociale; au sein d’une union porteuse de sensibilités diverses. ■

Salle comble à l’ULB pour un débat avorté

Le comité de l’UPJB cipée. Etre de gauche n’immunise pas contre les clichés et les peurs. La réapparition du fait religieux peut offusquer alors que nous vivions sur la conviction que les religions disparaissaient de manière linéaire. Mais, l’Histoire n’est pas rationnelle. C’est peut-être regrettable, mais c’est ainsi. Or, il se fait que l’islam est pratiqué principalement par une population immigrée, devenue en grande partie citoyenne belge (comme nos parents et grands-parents il y a peu) et socialement populaire. Refuser l’emprise du religieux et en même temps ne pas céder sur la solidarité avec les classes populaires, parce que nous-mêmes enfants d’immigrés et épris de justice sociale, telle est notre tension. Refuser de suivre ceux qui ethnicisent

les conflits et enferment chacun dans son groupe identitaire, telle est notre détermination, portés par la conviction d’une communauté de luttes. Mais les divergences entre nos membres recoupent aussi des strates de générations. Les plus jeunes ont, de manière naturelle, des amis d’origine maghrébine depuis leur plus tendre enfance via l’école ou, plus tard, par les études supérieures. Leurs aînés, bien souvent, ne sont pas amenés à faire des rencontres qui dépassent leurs réseaux socio-culturels. Les uns nouent parfois des amitiés personnelles, les autres restent parfois prisonniers de généralités méfiantes, l’absence d’expérience réelle de la rencontre pouvant mener à la reconduction des pires préjugés.

mars 2012 * n°324 • page 3


israël-palestine Netanyahu : au bout du bout du cynisme HENRI WAJNBLUM

E

n janvier 2006, le Hamas remportait haut la main les élections législatives palestiniennes, démocratiques et transparentes comme l’avaient souligné tous les observateurs internationaux présents sur place, et formait un gouvernement homogène, non sans avoir au préalable proposé, en vain, au Fatah de s’y joindre. Un gouvernement aussitôt mis au ban de la communauté internationale par l’ensemble du monde occidental qui considère le Hamas comme une organisation terroriste. On connaît la suite… Après une longue opposition fratricide entre les deux principales forces palestiniennes, le Hamas prenait brutalement, c’est le moins qu’on puisse dire, le contrôle de la bande de Gaza en juin 2007. Depuis, c’est l’impasse. Or, la plupart des observateurs, israéliens et internationaux, avisés et un tant soit peu objectifs, sont d’accord pour dire que ce n’est qu’après un accord de réconciliation en bonne et due forme entre les deux mouvements que le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas ou son successeur, pourra réellement parler au nom du peuple palestinien. Même si l’actuel président l’a fait avec brio et de façon extrêmement convaincante au mois de septembre dernier à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies

en demandant la reconnaissance de l’État de Palestine en tant que membre à part entière de ladite Assemblée générale. C’est sans doute partiellement en raison du triomphe (en Cisjordanie, mais aussi à Gaza où les manifestations de soutien étaient pourtant à peine tolérées) que la population palestinienne a réservé à Mahmoud Abbas à son retour de New-York que le Hamas a décidé d’assouplir sa position. Mais sans doute partiellement aussi parce que le mouvement est passablement affaibli aujourd’hui en raison à la fois de la situation en Syrie, qui était jusqu’à présent sa base arrière, et de sa politique autoritaire à Gaza qui exacerbe les tensions au sein de la population. Des accords de réconciliation entre le Fatah et le Hamas, Il y en a déjà eu plusieurs, le dernier en date, signé au Caire, remontant à peine au mois d’avril dernier. Mais aucun d’eux n’a vu la moindre concrétisation. Peut-être, peut-être le dernier en date, signé à Doha le 6 février dernier entre Mahmoud Abbas pour le Fatah et Khaled Mechaal pour le Hamas, sera-t-il enfin le bon. D’après cet accord, Mahmoud Abbas devrait diriger un gouvernement de transition (d’entente nationale), composé de technocrates indépendants « pour faciliter la tenue d’élections présidentielle et législatives (dont la date

mars 2012 * n°324 • page 4

n’est cependant pas encore fixée), et entamer la reconstruction de la bande Gaza ». Les deux parties ont également convenu de « poursuivre le processus de restructuration de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) », afin d’intégrer le Hamas et le Jihad islamique au sein de cette instance représentative. À l’annonce de la signature de cet accord, le sang de Binyamin Netanyahu n’a fait qu’un tour, qui s’est empressé d’affirmer haut et fort que l’accord du Fatah avec le Hamas revenait à « abandonner le chemin de la paix » ! On se demande bien de quoi il voulait parler… Voilà Mahmoud Abbas prévenu : « c’est soit la paix avec le Hamas, soit la paix avec Israël, vous ne pouvez pas avoir les deux ». Les deux ? Netanyahu au bout du bout du cynisme… Une série de cinq rencontres exploratoires, en Jordanie, en vue d’examiner les perspectives de relance du « processus de paix » s’est en effet achevée le 25 janvier sans le moindre résultat, Israël persistant à refuser le gel de la colonisation et la reconnaissance de l’État de Palestine dans les frontières d’avant le 5 juin 1967 comme base de négociation… Autre motif de la colère du Premier ministre israélien face à l’accord de Doha : « le Hamas n’a pas accepté les exigences minimales de la communauté internatio-

nale » (reconnaissance d’Israël et des traités précédemment signés par l’Autorité palestinienne). Parce que, c’est bien connu, Israël a, lui, évidemment accepté et s’est conformé à toutes les Résolutions du Conseil de Sécurité des Nations unies…

DES PROJETS ET DES LOIS LIBERTICIDES Le camp ultra a obtenu le feu vert du gouvernement israélien (Netanyahu et dix ministres ont voté pour, et cinq contre) à deux propositions de loi ciblant le financement d’ONG israéliennes hostiles à l’occupation et à la colonisation des territoires palestiniens occupés. Ces propositions prévoient de limiter leur financement par des États ou des institutions internationales qui cherchent « à influencer la politique diplomatique et sécuritaire d’Israël », et de les taxer de façon draconienne. Si elles entraient en vigueur, après un vote de la Knesset, ces lois permettraient de limiter les activités d’ONG marquées à gauche, qui reçoivent notamment des subventions de l’Union européenne. En revanche, elles ne porteraient pas atteinte à celles qui financent la colonisation grâce à l’appui d’organismes privés juifs ou fondamentalistes chrétiens, en particulier américains. Pour l’instant, face au tollé suscité en Europe et aux États-Unis, Netanyahu a décidé de geler la ratification de cette législation. Ne nous berçons cependant pas d’illusions, il ne s’agit là que de partie remise. Et si ce projet est momentané-

ment gelé, d’autres lois liberticides ont, elles, bel et bien déjà été votées… Ainsi, toujours à l’instigation de la droite et de l’extrême droite qui dénoncent le comportement jugé « antinational » de certains journalistes, la Knesset a approuvé en première lecture un projet de loi sur la presse qui aggrave considérablement les sanctions contre les auteurs de textes jugés diffamatoires (ou « antinationaux » ?), que ce soit dans la presse écrite, à la radio-télévision ou sur Facebook. Dans sa mouture actuelle, le projet de loi fixe le plafond légal des dommages et intérêts à 60.000 euros, mais ce montant peut être plus élevé dans les cas « les plus graves ». Netanyahu s’est cependant voulu rassurant. « Aussi longtemps que je serai Premier ministre, Israël restera une démocratie exemplaire », a-t-il déclaré au groupe parlementaire du Likoud. Toujours

au bout du cynisme… Voilà qui va certainement apaiser la colère des journalistes… Et ce n’est pas tout, le 23 mars cette même Knesset adoptait une première loi pénalisant les organismes qui commémorent la Naqba, l’exode forcé des Palestiniens durant la guerre de 19471948. Enfin, et pour faire bonne mesure, elle approuvait, le 11 juillet, une loi interdisant en Israël d’appeler au boycott des colonies, une loi qui permet de poursuivre des artistes qui afficheraient leur refus de se produire dans des colonies, des professeurs qui refuseraient publiquement d’y donner des conférences, et des associations qui exhorteraient à ne pas consommer leurs produits. Qui donc aurait l’esprit assez mal tourné pour encore douter qu’Israël est bien la seule et unique démocratie du ProcheOrient ? ■

mars 2012 * n°324 • page 5


lire Les villes de la plaine Un Goy dans le monde des Juifs TESSA PARZENCZEWSKI

T

rois amis, deux sont juifs, le troisième pas. Sam Finkler, philosophe hypermédiatisé, omniprésent à la télévision, Julian Treslove, son ami d’enfance, et Libor Sevcik, leur ancien professeur. Au centre du roman, Julian Treslove. Personnage insaisissable, qui erre d’un métier à l’autre, d’une femme à l’autre, sans jamais s’ancrer, et toujours à l’affût d’une catastrophe à venir. Face à la judéité de ses amis, il se sent exclu, vaguement jaloux d’une appartenance mystérieuse, comme une sorte de clan qu’il peine à déchiffrer. De toute façon, pour lui, tous les Juifs sont des finklers ! Un soir, il se fait agresser. Pensant avoir entendu le mot « youpin », il est persuadé d’avoir été victime d’une attaque antisémite. Et commence alors le grand délire. Il se persuade qu’il est peut-être juif lui aussi et en tout cas, veut le devenir. Il déverse ses fantasmes devant ses deux amis. Libor et Finkler vivent leur judaïsme de manière opposée. Libor, venu de Tchécoslovaquie, à l’origine chroniqueur de cinéma, ne renie pas ses racines et incarne assez bien l’intellectuel de Mitteleuropa, mélancolique et désenchanté. Sam Finkler rejoint l’ « Association

des Juifs honteux » pour protester contre la politique israélienne. Mais rien ne décourage Treslove. Il tombe amoureux d’une femme

juive, lit Maïmonide et essaie de capter des bribes de yiddish. Mais en vain, le club est fermé. Décor et personnages en place, dans une langue parfois ponctuée de mots en yiddish « à la crème anglaise », Howard Jacobson nous embarque vers un voyage cahotique dans le judaïsme an-

mars 2012 * n°324 • page 6

glais, à l’heure de Gaza et d’une recrudescence des attentats antisémites. Maniant un humour souvent à gros traits, n’est pas Woody Allen qui veut, Jacobson nous présente les membres de l’Association des Juifs honteux, le nom est déjà tout un programme, comme autant de personnages grotesques, névrosés. En périphérie, nous croisons les nombreuses amantes éphémères de Treslove, décrites sans pitié, avec le regard distancié d’un entomologiste, nous visitons le blog d’un Juif honteux rêvant de récupérer son prépuce, et nous parcourons un Londres où parfois des tags énigmatiques semblent receler une menace. Paradoxalement, à force de caricaturer et de torpiller ainsi le propos, une certaine sécheresse et même l’ennui s’installent et le lecteur se lasse. Quelques passages font exception, où une sorte de pathétique retenue affleure. Ce roman a obtenu en 2010 le prestigieux prix littéraire anglais, le Booker Prize … ■ La question Finkler Howard Jacobson Traduit de l’anglais (Grande –Bretagne) par Pascal Loubet Calmann-Lévy 381 p., 23,45 EURO

ÉLIAS PRESZOW « Asral dormait encore, il rêvait. De quoi rêvait-il ? C’était obscur et indéfinissable, il lui semblait être lui-même un bout de texte, une phrase qu’il voulait écrire, devant lui, et qu’il n’arrivait pas à déchiffrer. Par ailleurs, on frappait à la porte. Et ces coups étaient comme les efforts de son entendement pour parvenir au sens, sans résultat. » (Page 299)

D

iane Meur est si proche, elle parle un langage familier. Je veux dire, une langue qui nous est proche, qui rapidement nous habite, qui, à vrai dire, nous habitait déjà. En fait, elle n’écrit pas dans cette langue des origines, ce verbe mythique et idéal qui fait les chefs d’œuvre, non plus dans ces scories qu’on imagine crachées par la « populace ». Ce n’est pas du tout ça… Les mots qu’elle trace avec l’encre de ses yeux sont de ceux qui traversent la nuit, marquent les gouttes du temps. Nous voyons des images, des rêves éveillés, furtivement on voudrait les saisir, en dessiner l’esquisse silencieuse, mais déjà la vie suit son cours. Diane, elle – pause – arrête, décoche sa flèche, et atteint ces multiples visages, ces corps trop nombreux, les projette sur notre rétine et notre peau, fait proliférer leurs gestes, leurs rencontres contingentes et inévitables, leurs histoires. Elle traduit cet imaginaire à demi délirant, qui tous nous affecte, et lui donne sens, couleur, intelligence. Elle fait grandir en nous un espace, une plaine, une

ville et cisaille les contours d’un monde-mosaïque pour que des lignes puissent le localiser du dedans. Ce sont des noms bizarres, des accents anciens et à venir qui poussent comme des oasis. Tout un carnaval, une cosmogonie sensuelle d’où l’ironie n’est pas absente, de celle, oh combien modeste, qui cherche le malentendu, la naïve offense qu’enveloppe la destinée. Sur une association, un hasard malheureux, s’ouvre le chemin du possible non pratique, l’écart improbable d’où jaillit la pensée. L’auteur glisse dans ce champ fertile ou sablonneux comme coule une rivière, parfois laminaire, d’autres fois turbulente. On suit le chemin au cours de l’eau, d’une rive à l’autre, d’un barrage au suivant, toujours vers l’horizon, le grand phare qui au loin appelle, juste en dessous de l’étoile lumineuse. Alors, nommez ça comme vous voudrez, mais c’est tout chaud, c’est magique comme une timide prophétie ; un chant astral qui déborde et dont le texte rejoint les contours du ciel, embrasse les mirages de la terre, les effervescences brutes du secret. Ne me demandez pas ce qu’ont à voir les Juifs avec tout ça, si c’est votre question vous ne comprendrez rien au livre, passez votre route. Mais je ne résiste pas à évoquer l’errance, le long voyage sans but qui délocalise le sol, sillonne la steppe, jouxte la forêt pour se jeter, comme la tempête, dans le devenir. Voilà un plan, il y en a bien d’autres, de multiples règles façonnent sa consistance comme diverses architectures effectuent

sa surface. Les villes de la plaine est la capture d’un vagabondage de l’esprit, et c’est merveilleux… Comme il manque d’un « peuple », il manque d’idiots, de « maîtres ignorants » ! Dans son récit, Diane Meur fait resplendir ce rôle stratégique, pour que demain peut-être, du bruit, nous percevions la joie de la lutte, celle, vitale, qui secoue et annonce… « Oui, il semblait à Djili que les contours de son être s’étaient faits vagues, flottants : tout ce qui se produisait au-dehors entrait en elle et l’affectait, tout ce qui se produisait au-dedans, au fond d’elle, s’affichait à la vue des passants, éclatait sur son visage, échappait à sa prise ; si bien qu’elle ne savait plus où était le dehors, où était le dedans. » (Page 192). ■

Diane Meur, Les villes de la plaine, Sabine Wespieser Éditeur

mars 2012 * n°324 • page 7


lire, regarder, écouter Des femmes, rien que des femmes... ANTONIO MOYANO

Y

a-t-il une femme derrière tout homme ? Faut croire que oui et c’est tant mieux. Fermons les yeux ! Si je vous dis L’Apiculteur, Le Voyage à Cythère, Voyage dans le brouillard, Le regard d’Ulysse, Le pas suspendu de la cigogne, L’éternité et un jour… que voyez-vous ? qu’entendez-vous ? La musique d’Eleni Karaindrou. Ô que nous aimions la Grèce se perdant dans la brume et les vieux conflits irrésolus de Theo Angelopoulos, mort à Athènes le 24 janvier 2012. Rendant hommage au cinéaste, on a pu écouter la musique d’Eleni Karaindrou sur toutes les radios, et en particulier sur Radio Clásica (l’équivalent espagnol de notre Musiq3). Mieux que les agences de voyage ou les Explorations du Monde, c’est la poésie qui m’a parfumé de Grèce, à peine sorti de Yánnis Rítsos, je plongeai dans les films d’Angelopoulos ; mon tout premier, je m’en souviens c’était à la télé, tard le soir, dans un ciné-club du petit écran à la RTB, c’était Le Voyage des comédiens, datant de 1975. Et moi, je cherche Shirley Goldfarb désespérément, non, ce n’est pas une pin-up, c’est une femme peintre dont je n’ai jamais vu une toile. Le bibliothécaire au bout du fil m’a bien précisé que oui, il existait toujours, le livre que je cherchais était dans le listing mais qu’il fallait attendre, oh oui, prenez patience, une bonne semai-

ne et surtout avec les congés de fin d’année, y aura-t-on accès ? C’est pas sûr à 100%. Ne craignez rien, dès qu’il est là, je vous « phone ». Oui, ma chère Shirley Goldfarb était à la réserve, comme qui dirait dans le placard, à la cave ou au grenier. Grand bien lui fasse, la Goldfarb est un grand cru. Vous la connaissez ? En 1994, l’éditeur Quai Voltaire sortait ses Carnets : Montparnasse 1971-1980. C’est son mari, le peintre Gregory Masurovsky qui avait préparé cette édition. Moi, je l’ai découverte en farfouillant dans les rayonnages beaux-arts de la bibliothèque des Riches-Claires. Et quelques années plus tard, l’actrice Judith Magre, seule sur scène, dans un off-off-off-festival d’Avignon lui redonnait du brio. J’adore ce journal intime car il est plein de célébrités, et puis celle qui l’écrit se considère comme une ratée « Ratée sublime – C’est moi et j’adore cette expression utilisée pour décrire Max Jacob », oui, ayant l’âme très compatissante, je savoure le blues, la déprime des autres. « S’il te plaît, mon Dieu, porte-moi chance et ramène-moi sur le chemin de la guérison. Fais de moi une plus grande artiste. (…) L’absence de douleur est indéniablement un acte généreux de Dieu. (…) Jour de Nouvel An. Je commence les années 80 avec un poids jeune… Quarante-trois kilos. » Elle était une assidue fort visible des cafés, elle s’y installait

mars 2012 * n°324 • page 8

en une sorte de rituel, elle attendait comme Vladimir et Estragon, flanquée de Sardi, son yorkshire-terrier. Elle n’attendait pas Godot mais bien la fama, la gloire. La voici au Flore, au Doo Magoo (sic), à la Brasserie Lipp, à La Coupole, au Sélect, au Café de Flore, au bar du Ritz, et puis l’atelier, d’incessants allées-retours entre les cafés et l’atelier sis n°43, rue Liancourt, cet atelier qu’elle avait surnommé « son shtetl ». Peintre non-figurative, elle ‘beurre’ sa toile au couteau, une seule couleur encore et encore, une tache, encore une tache. « Aurai-je peint des monochromes en raison de mon isolement… » Née à Altoona (Pennsylvanie), elle et son mari s’installent à Paris en 1954, Shirley avait 29 ans. Elle y meurt en 1980, à l’âge de 55 ans. Que de fous rires, que de bons mots, que de stars dans son journal, et puis aussi des pointes qui étreignent le cœur. En toutes circonstances, Shirley est originale, farfelue, émouvante mais quand elle a des pépins de santé alors cela devient larmes de champagne, élévation de l’âme, la voici clouée au lit à l’hôpital Cochin après un crash automobile, et cinq ans plus tard : « J’ai l’air bien avec mon gentil petit bébé hernie poussant à travers mon sweater comme un sein mal placé de jeune fille de treize ans… » Il émane de ce livre un je ne sais quoi qui me le rend inoubliable. Et moi, au beau milieu de

cet article je veux vous faire part d’un gros chagrin : j’ai perdu une grande dame, elle était ma collègue depuis plus de 22 ans, elle s’appelait Anne de Roubaix ; on dit, avec un zeste d’ironie tout à fait bête : les cimetières sont pleins de gens irremplaçables, hé bien, moi je l’affirme sans crincrin ni tuba : j’ai longtemps fréquenté un être exceptionnel et irremplaçable. Là où je travaille, j’ai mis une belle photo d’elle au mur, la voici toute souriante, et ouvert un livre de condoléances (un simple cahier à spirales), ils sont nombreux, filles et garçons, hommes et femmes à venir écrire, lui écrire en quelques mots comme si elle était encore là, un merci, un souvenir, un au revoir. L’autre soir, un jeune homme de dix-neuf ans a glissé une rose baccara derrière le cadre de la belle photo. Il avait

huit ou neuf ans la première fois qu’il a franchi la porte, de la main de son grand frère (Muhammad ou Arafat ?). La rose est maintenant desséchée, faut que je me décide à la jeter. Il y a une fiancée dans la pièce du dramaturge espagnol Antonio Buero Vallejo (1916-2000) La Fundación, qui date de 1974, son nom c’est Berta, elle cajole une souris de laboratoire, son fiancé dit : elle est là, je l’ai vue, elle m’a parlé ; par contre, ses compagnons de cellule affirment le contraire, non, elle n’est jamais venue, tu délires, c’est dans ta tête – j’ai vu la pièce en espagnol au théâtre flamand de la rue du Marché aux porcs, une troupe amateur. Et par la seule puissance du verbe, Berta est là pour nous, charnellement, pour nous et pour son fiancé et pour personne d’autre. « Du moment où il quitta sa femme et sa fille jusqu’à la fin de sa vie, mon grand-père ne fut pas en paix. Il ne parla pratiquement jamais de sa vie d’avant la guerre, ni d’Auschwitz…. » je lis ces lignes dans le très beau récit de Nathalie Skowronek, Karen et moi, (Arléa, 2011). Elle était Tanne pour ses proches, et Msabu pour les Massaïs de sa ferme africaine, là-bas elle est restée 17 ans, entretenant une passionnante correspondance avec sa mère, avec son frère. Et aujourd’hui, Nathalie Skowro-

nek rend un formidable hommage non seulement à l’immense Karen Blixen mais à la littérature tout entière, oui, les livres sauvent des vies. « J’ai l’impression qu’en parlant d’elle j’arriverai à parler de moi. Je suis lasse, lasse de mentir. » Folle d’admiration pour d’autres livres, elle en parle si bien que d’emblée on a envie de les lire ou les relire, il en va ainsi de L’Appel de la forêt, ce roman de Jack London que Yann Andréa lisait à voix haute au chevet de M.D. en cure de désintoxication à l’Hôpital Américain de Neuilly. Ou du Barrage contre le Pacifique. De Karen Blixen, je n’ai rien lu, sauf que chaque été, depuis plus de dix ans, je reçois dans mon atelier de peintre du dimanche, Madame Jeanne Moreau, elle me lit sur deux K7 à l’ancienne « Échos », tiré des Nouveaux contes d’hiver (Édition des femmes, la bibliothèque des voix). Je l’écoute et réécoute deux, trois fois chaque été, tout en chipotant pinceaux, dessins et couleurs, de Karen Blixen c’est la seule chose que je connaisse, et ça débute ainsi : « Au cours de ses errances, Pelegrina Leoni, la diva qui avait perdu la voix… » Et le 23 janvier, j’apprends la disparition de la mezzo-soprano belge Rita Gorr, elle n’existe pas encore dans ma mémoire, elle est absente de moi, une telle situation ne peut perdurer, demain, après-demain, je l’écoute à forte dose, soir et matin, promis ! ■

mars 2012 * n°324 • page 9


regarder Fascination JACQUES SOJCHER

N

ée à Bruxelles en 1957, Solange Knopf a un parcours atypique. Adolescente, douée pour le dessin et la peinture, elle voit son désir retardé. Des voyages aux Indes, en Afghanistan, en Iran, au Maroc... un retour en Belgique, la naissance de son fils et l’occupation dans les affaires familiales durant 20 ans . Enfin, la nécessité de s’investir entièrement dans la création. Nous sommes en 1998, au tournant du siècle et au tournant de la vie de Solange Knopf. Solange suit pendant 3 ans les cours de peinture de l’École d’Art d’Ixelles, mais les modèles vivants ne l’inspirent guère. Elle aime l’Art Brut, Ensor, Cobra, Basquiat, Michaux mais n’en subit aucune influence. Elle se découvre dans sa peinture qui est sa thérapie et sa seconde naissance. Tout se précipite, surtout pendant ces trois dernières années, où elle peint des séries : Biographie Mythologique, Animus/Anima, Portraits de famille, Art Postal, Blue-ink, Encres de couleur, FullMoon,... Elle part souvent de papiers tachés ou salis. Des images surgissent au cours du processus. Aucune préméditation, une sorte d’écriture automatique. Des mots parfois surviennent, lisibles ou illisibles sur le papier.

La figure humaine est omniprésente. Des têtes hypertrophiées par rapport aux corps, presque toujours sans bras. Groupes de visages aux traits à peine esquissés, aux corps inachevés, mi-fantômes, mi-monstres. Ce sont, dit Solange, des résidus biographiques qu’elle appelle mythologiques. Plus tard ce seront des Portraits de Famille : mère et enfant, peu de traces du père. Plus tard encore, des animaux familiers et fantastiques qui se mêlent aux humains, dans une dispersion et un éclatement des corps. Ici, les

mars 2012 * n°324 • page 10

bras se terminent par des têtes en forme de masques. Enfin, la surface du papier est moins chargée : une esquisse d’ours, avec sa patte levée, une mère avec son enfant tout contre son ventre (comme s’il voulait y rentrer). Aucun trait du visage. Dans les Blue-Ink, une mère, gigantesque, à la bouche énorme comme pour crier, au corps-carapace. Collé a son ventre ; une tête d’enfant-adulte qu’elle voudrait peut-être retenir. Puis, à nouveau, mais de manière plus insistante, un bestiaire

(loup, chats, poissons, insectes), un herbier : (fleurs de pavot..) et des morceaux de visages. Sur des enveloppes (Art-Postal), des chats, des chiens, des oiseaux, alignés côte à côte et étranger l’un à l’autre. Revoilà – obsessions de Solange – une tête d’enfant-adulte dans un ventre plein d’yeux. Le visage de la mère est comme un masque. Des têtes encadrent à gauche et à droite cette scène centrale. Que dire alors de cet alignement de visages masques devant ce qui semble être le cadavre d’un fantôme ? Ou d’une tête

avec d’énormes embryons de visages réduits qui sont des tentacules dans le vide ? Solange Knopf est une visionnaire. Nous sommes étourdis, dans un mal-être pacifié par la beauté de ses compositions énigmatiques. Solange est un vrai peintre, à la fois viscérale et mentale. Ses papiers nous appellent et nous rejettent. C’est cela la fascination ! ■ Exposition du 9 au 31 mars au Musée d’Art Spontané 27 rue de la Constitution 1030 Schaerbeek

mars 2012 * n°324 • page 11


mémoires Nous n’irons pas voir Auschwitz

ture juive qu’ils vivent le moment fort du retour au pays d’origine de leur « mamie » : [...] nous nous sommes rendus compte que notre

ROLAND BAUMANN

U

n étonnant « roman graphique » au titre « provocateur » visite le renouveau du judaïsme polonais à travers le journal de voyage de deux jeunes Juifs francais à la recherche de leurs racines familiales, de Varsovie à Cracovie, pour finir à Paris. Bande dessinée documentaire, Nous n’irons pas voir Auschwitz est le premier roman graphique de Jérémie Dres, jeune graphiste parisien, diplômé des Arts Décoratifs de Strasbourg. À la recherche de leurs origines, Jérémie et son grand frère Martin, partent en Pologne sur les traces de leur grand-mère Tema Dres, née Barab, partie de Pologne en 1930 et décédée en 2009. Dans le cadre de cette quête familiale, ils vont à la rencontre de la communauté juive locale, intrigués par un article de presse sur la renaissance du judaïsme polonais1. En moins d’une semaine, fin juin 2010, à travers leurs rencontres, Jérémie et Martin sondent les relations judéo-polonaises et les idées reçues depuis leur enfance sur l’antisémitisme polonais tout en se questionnant sur leur identité juive polonaise. De Varsovie à Paris, se situant entre la recherche identitaire et l’enquête documentaire, ce récit de «touriste de la mémoire » construit une image actuelle et paradoxale de la nouvelle communauté juive de Pologne. Préfacé par l’historien Jean-

Yves Potel, Nous n’irons pas voir Auschwitz est en effet le fascinant récit graphique d’un retour au pays des origines et d’une confrontation avec l’héritage d’un lourd passé ainsi que le compterendu honnête d’une rencontre avec la communauté juive de Pologne, dont nous découvrons les aspirations et les contradictions. L’auteur explique : Je pense que mon but dans ce livre a été de mettre en parallèle la recherche des racines et le reportage sur la communauté juive d’aujourd’hui. C’est un hommage à ma grandmère, et c’est un questionnement sur nos préjugés familiaux vis à vis des Polonais. Je pense que ça a motivé mon intention de raconter ce voyage pour encourager ma famille à évoluer sur cette question, éventuellement faire le voyage. Le titre participe également à cette volonté de progression. Dès les premières pages de son récit, Jérémie nous suggère le sens profond de la bien singulière « négation d’Auschwitz » que semble annoncer le titre de son livre. Après nous avoir fait partager sa déconvenue initiale, lorsqu’à peine arrivé à Varsovie, il se rend au 27 rue Freta et réalise que la maison qu’habitait sa grandmère a été reconstruite après la guerre, il nous plonge dans l’intimité de ses rapports familiaux et d’une conversation téléphonique avec sa tante, ce qui l’incite à nous préciser : Auschwitz, cinq années d’anéantissement

mars 2012 * n°324 • page 12

pour plus de mille ans de vie et d’histoire du peuple juif. [...] Auschwitz, un traumatisme encore si présent qu’il ferait oublier tout le reste. C’est le reste que je suis allé chercher en Pologne. Près de 200 pages de BD, auxquelles viennent s’ajouter entre autres un petit dossier « photos de vacances – photos de famille » montrant le souci de réalisme documentaire de l’auteur dans ses dessins. « Tout est vrai » : les entretiens enregistrés, les personnes et les décors photographiés, les conversations, le plus souvent en anglais, retranscrites et traduites fidèlement, bref un véritable « reportage » professionnel qui nous documente aussi les pensées intimes de l’auteur et de son frère, leurs moments d’enthousiasme, mais aussi leurs doutes et leurs échecs. Comme l’écrit le frère de l’auteur, Martin, en fin d’ouvrage, dans un très beau texte dédié à leur grand-mère Téma, la découverte des tombes de leurs arrières-grands-parents au cimetière de Varsovie, puis à Zelechow, le shtetl d’origine des Dres, celle d’une plaque de bronze sur laquelle figure une vieille carte d’orientation indiquant en polonais l’emplacement du cimetière juif local, sont deux moments intenses de leur périple, confrontant les deux frères à « la présence dissimulée mais bien tangible » de leurs origines. C’est ensuite à Cracovie, au festival de cul-

quête, à nos yeux extraordinaire, était commune à d’autres. D’autres déracinés qui reviennent sur les traces d’un passé qu’ils n’ont pas connu, mais qui les a construits et façonnés. Sans bruit, sans qu’on en parle, des enfants de Pologne retournent sur leur passé, s’y frottent et redécouvrent les bribes d’une histoire personnelle souvent occultée. Et en effet, ce récit graphique documente magistralement ce phénomène de retour en Pologne d’un nombre croissant de Juifs d’origines polonaises plus ou moins lointaines, « sur les traces de l’Atlantide juive ». Au contact avec les protagonistes de l’essor de cette « nouvelle génération en marche » de Juifs polonais, multipliant tous azimuts les initiatives pour reconstruire une communauté et sa culture et garantir son épanouissement, Jérémie et Martin ne peuvent qu’exprimer leur étonnement lorsqu’ils se retrouvent au festival de culture juive de Cracovie, la veille de leur départ : nous découvrions abasourdis l’ampleur du mouvement. Cette renaissance n’était pas un

rêve, mais le résultat de vingt ans d’initiatives d’une petite communauté fort bien organisée. Et, donc, après d’ultimes hésitations, les deux voyageurs n’iront pas à Auschwitz : Qu’est-ce que ça change ? Nous aurions perpétué, une fois de plus, ce cauchemar qui nous a toujours hantés. Mais aujourd’hui, nous ne sommes plus les descendants de chanceux rescapés, mais les dignes héritiers du peuple juif et de son histoire riche et complexe en terre polonaise. Cette part d’identité brisée, dissimulée, enfin nous l’avons retrouvée ! Cette réflexion finale, formulée alors que leur avion s’envole de Pologne pour les ramener à Paris est suivie du compte-rendu d’une conversation tenue, peu après le retour, avec Anna Rabczynska, Juive polonaise établie en France depuis 1968 et dont l’histoire personnelle et la longue expérience des relations judéo-polonaises justifient les propos lucides et critiques qu’elle formule sur tout le renouveau de la culture juive que Jérémie et Martin ont pensé voir là-bas, « du Disneyland financé par les Américains », et les Polonais, « toujours antisémites »... Mais, quoi qu’elle clame sa haine pour la Pologne, Anna y retourne tous les ans et puis, comme elle le dit pour conclure, « on ne peut pas tourner le dos éternellement à son passé ». Une fin paradoxale ? Pour « remettre les choses en ordre », le 20

avril 2011, Jérémie, qui n’a pas encore trouvé de « conclusion satisfaisante » au voyage en Pologne rend visite à sa grand-mère au cimetière de Bagneux. Il erre dans les allées du cimetière pour finalement retrouver les tombes d’immigrés juifs polonais, regroupés par landsmanshaftn en fonction d’un même shtetl d’origine et constate : Marcher parmi les tombes, c’est un peu comme voyager en Pologne. Puis, sur la dernière image de ce remarquable récit graphique l’auteur, rétablissant la généalogie familiale mutilée par l’émigration et la Shoah, termine son voyage par un émouvant hommage à la mémoire de sa grand-mère, Tema Dres, née Barab et de ses parents, Moszek et Ana Barab... Finale d’une poignante histoire intime qui « permettra peut-être de remettre un peu les choses en ordre » entre les Juifs et la Pologne... Nous n’irons pas voir Auschwitz sera traduit en polonais, ainsi qu’en italien et en anglais. L’institut polonais en France en a fait la promotion à sa sortie. Jérémie souligne : Le livre a été plutôt bien perçu dans la communauté juive en France. Tout le monde a compris que c’est un travail de mémoire sur ma famille et sur l’histoire des Juifs de Pologne. Bien sûr beaucoup de gens ont d’abord un peu buté sur le titre mais lorsqu’ils ont compris que mes intentions étaient « louables » alors la démarche leur a plu. ■ Jérémie Dres Nous n’irons pas voir Auschwitz, Paris, éditions Cambourakis, 2011 Voir : www.nousnironspasvoirauschwitz. com

Voir Olivier Guez, « Le renouveau des Juifs de Pologne », Le Monde Magazine, 6 mars 2010, pp.36-41. 1

mars 2012 * n°324 • page 13


réfléchir Le rejet français de l’islam ALEC DE VRIES*

D

ans le climat d’hystérie qui caractérise le débat sur le « vivre ensemble », Henri Goldman signe ici un livre1 qui tombe à pic. Dans cet essai court et dense de près de 200 pages, l’auteur réussit dans un même mouvement à synthétiser les termes du débat entre le modèle français de laïcité et l’islam mais également à exposer de manière claire sa position ainsi que les arguments qui la fondent. Cet ouvrage peut être caractérisé par trois éléments, il s’agit d’un texte critique,engagé et situé. Critique : L’auteur publie dans une collection qui a pour ambition de réfléchir aux phénomènes sociaux en prenant comme point d’appui la souffrance infligée ou subie par les acteurs. Cette perspective, trop souvent négligée dans un monde régi par un utilitarisme décomplexé, permet de désamorcer les effets de postures et les crispations « identitaires » qui caractérisent souvent les contradicteurs sur ces questions. De plus, par le choix de cet angle de vue, le texte ambitionne une critique qui se veut également clinique. L’approche cherche non seulement à déconstruire un certain nombre d’idées reçues mais également à donner un sens aux signes observables de cette souffrance qui ne laisse pas d’inquiéter. Engagé : L’auteur, reconnu pour sa sagacité en tant qu’observateur de la vie publique, ne se résout pourtant pas à rester au ni-

veau des faits et des constats. Le refoulement de l’islam s’ajoute à un refoulement social. Il ne s’agit ni d’oublier la question sociale ni de l’opposer. L’auteur est animé par le désir de sortir des impasses dans lesquelles s’est enfoncé le mouvement antiraciste toute tendances confondues. Il affirme également sa volonté de relancer un mouvement d’émancipation qui a trop tendance à marquer le pas. Situé : Le point de vue subjectif et raisonné de l’auteur est également marqué d’une double indexation minoritaire. Il s’agit d’un essai commis par un sujet du Royaume de Belgique, s’exprimant en langue française sur une affaire qui trouble la République voisine, une et indivisible. Cette dernière exerçant une influence impériale certaine sur les minorités francophones du monde, la tendance à l’exportation de ses catégories du débat est un fait affirmé. Cette exportation se heurte cependant aux particularismes provinciaux qui, une fois passé les inévitables complexes d’infériorité et de supériorité, peuvent se révéler d’important catalyseurs qui permettent de régénérer un débat en lui apportant des pistes inédites de solutions. L’auteur, en sus de cette qualité de francophone périphérique, se situe également comme Juif, marqué par cet héritage et animé par la question minoritaire incluse dans cette identité. Cette idée de souffrance républicaine qui sous-titre l’ouvra-

mars 2012 * n°324 • page 14

ge est remarquablement présente dans la préface écrite par Francis Martens. Le ton enflammé de cette dernière contraste avec celui du texte d’Henri Goldman. D’une érudition non feinte, cette préface anticipe les attendus et les conséquences de la question posée par ce rejet de l’islam. Francis Martens met en lien cette dernière avec les angoisses multiples qui traversent notre époque peu avare en « monstres ». Monstres, aussi vite rendus célébres qu’oubliés, tel Andreas Breivik ou, à l’opposé du spectre, les émeutiers de Tottenham. Le rejet de l’islam est également relié avec le danger bien moins fantasmatique que d’aucun voudrait l’affirmer d’une chute de nos sociétés contemporaines dans une forme renouvelée de la barbarie fasciste. Barbarie qui garde, faut-il encore le rappeler, encore beaucoup d’héritiers présomptifs au cœur de la vieille Europe. Après cette entrée en matière pleine de bruit et de fureur, l’introduction de l’auteur affirme d’abord sa vision de la politique. Celle-ci se présente comme un jeu de négociations entre prétendants plutôt que comme un affrontement meurtrier entre ennemis. Cette politique contre la polémique, très éloignée des « idéologies viriles » avec lesquelles l’ordre économique capitaliste semble s’accommoder, guide l’argumentation de l’auteur tout au long du texte. La première partie de l’ouvrage expose pourquoi il convient de

parler d’un rejet français de l’islam. Ce rejet, loin d’être issu d’une incompatibilité avec les valeurs de la République, se place dans le cadre de l’aspiration à une égalité non seulement en droit mais aussi en dignité d’une communauté minoritaire. Ce mépris de la minorité reste encore un impensé de l’imaginaire républicain. L’auteur passe alors au crible le roman national républicain en rappelant ses multiples entorses à ses idéaux ainsi que son universalisme de façade. L’auteur rappelle que pour les populations s’inscrivant dans l’islam, l’expérience vécue dans leur contact avec la République au travers de l’aventure coloniale et de l’immigration de travail est restée fort éloignée des promesses de progrès social et politique portées par la révolution française. Aussi, plaide-t-il non seulement pour la reconnaissance de la légitimité de l’affirmation d’un islam visible mais également pour la nécessité d’inscrire cette affirmation

dans un partage négocié de l’espace symbolique. La seconde partie de l’ouvrage est consacrée aux « questions qui fâchent ». Point focal sur lequel se fixent toute les crispations identitaires, le foulard forme avec la mixité, la neutralité, l’école émancipatrice et le voile intégral, l’épine dorsale de ce qu’il convient d’appeler un « communautarisme majoritaire ». Celuici tend à confondre vivre « ensemble » avec vivre « comme nous », ce « nous » restant par ailleurs largement indéfini. C’est ce « communautarisme majoritaire », érigé en fétiche de l’universalisme, qu’il convient de déconstruire en dévoilant le dévoiement des valeurs d’émancipation sociale qu’il induit. Les contradictions du discours dominant sont mises à nu à l’aune des textes internationaux garantissant les droits fondamentaux ainsi que du point de vue de leurs impacts directs et indirects sur les phénomènes de discriminations. Après cette nécessaire et précise entreprise de déconstruction, les deux derniers chapitres traitent des acteurs et des moyens d’une sortie possible de l’impasse. L’avant-dernier chapitre montre le mouvement antiraciste français tiraillé entre d’une part, une tradition d’antiracisme universaliste grevée par un climat de paternalisme et d’assimilationniste et d’autre part, une frange faite d’affirmation différentialiste prenant le risque permanent de la fragmentation communautaire de son combat. Cette alternative infernale n’est pourtant pas une fatalité pour l’auteur. L’universalisme doit être préservé à condition

de poser ce dernier comme un impératif visant à faire converger les besoins d’affirmations de chacun tout en se gardant des abus de positions dominantes. Le denier chapitre traite des accommodements raisonnables. Cette expérience québécoise de thérapie collective reste, malgré l’hostilité ignorante dont elle fait l’objet, une piste pratique sans laquelle le partage de l’espace symbolique prôné par l’auteur ne resterait qu’un simple vœu incantatoire. La capacité et la volonté de négociation des acteurs reste au centre de la démarche qui ne privilégie le recours à la loi qu’en toute dernière extrémité. Loin d’être une recette miracle, la démarche des accommodements raisonnables consiste plutôt en une somme de solutions locales dont aucune n’est forcément transposable telle qu’elle. Difficile et forcément risquée, elle constitue pourtant le pan positif de l’alternative dont l’autre pan semble être l’affrontement direct entre une majorité crispée et des minorités coalisées. La conclusion, dans laquelle l’auteur dévoile pudiquement une part intime de lui-même et de ses motivations, met en garde contre le risque d’ethnicisation des questions sociales qui résulterait d’un échec du partage de l’espace symbolique. Dans une mise en abîme personnelle, l’auteur s’adresse alors à ses lecteurs afin de les inviter de manière originale à résoudre cette souffrance républicaine. ■ * Philosophe (ULB) et membre du groupe de réflexion « Tayush » H. Goldman, Le rejet français de l’Islam, une souffrance républicaine, PUF, Collection « Souffrance et Théorie », 2012

1

mars 2012 * n°324 • page 15


réfléchir Constantin Brunner (1862-1937) JACQUES ARON Un philosophe de la condition judéo-allemande face à la montée des nationalismes, au déclin du libéralisme et au recul de l’émancipation

P

lus que jamais il convient de lire ce maître d’une pensée entièrement originale, un solitaire – un ermite, selon ses termes – mais très influent, par ses prises de position sans cesse réitérées et développées, sur des organisations et des personnalités engagées dans la vie publique de son temps. Pour le lectorat francophone, ce sera sans doute une véritable découverte, aucun de ses ouvrages majeurs ne lui étant encore accessible à l’heure où les Allemands s’apprêtent à célébrer le 150e anniversaire de sa naissance. Mais même dans son pays, auquel il voua un amour passionné, son œuvre est loin de rayonner comme elle le devrait. Malgré le travail exemplaire d’une Fondation qui porte son nom et de quelques cercles de philosophes, d’historiens, de créateurs, il n’a pas encore acquis la renommée dont peuvent se prévaloir des penseurs plus médiatisés, bien que leur abord ne soit pas plus aisé. Les raisons de cette infortune critique posthume sautent quasi aux yeux. Le milieu dont Brunner était la voix éclairée a disparu, détruit ou dispersé par la Seconde Guerre mondiale et par le judéocide, et si des communautés juives se sont récemment reconstituées en Allemagne – 250.000 membres environ –, leurs liens

avec l’avant-guerre sont plus que ténus. En réalité, c’est toute notre vision de l’Allemagne d’avant 1933 qui a changé de perspective et nous a rendu la complexité de l’histoire de l’empire wilhelminien et de la république de Weimar presque incompréhensible. Quelques images simplistes circulent sur ce que furent leurs 500.000 à 600.000 Juifs, un pour cent de la population totale ; on les a décrits dans leur grande majorité comme aveugles aux menaces croissantes qui pesaient sur eux, comme anesthésiés dans un confort de « parvenus », enclins à tous les compromis, bref « assimilés », insulte suprême. Et par contraste, l’État d’Israël, dans lequel une partie de ces Juifs allemands a trouvé refuge avant la décision de la « solution finale » – 55.000 à peu près –, est apparu à beaucoup, Juifs ou non-Juifs, comme une sorte de revanche sur l’histoire d’un peuple martyr. Dotant rétrospectivement du même coup le mouvement sioniste qui avait jeté les bases idéologiques et les premières structures de cet État d’une auréole de résistance aux « forces du mal ». Or l’écart est grand entre les faits et les mythes qui se recréent et se renouvellent sans cesse. Si la notion de « symbiose judéo-allemande » peut avoir un sens, c’est bien en référence à un homme comme Leo Wertheimer,

mars 2012 * n°324 • page 16

alias Constantin Brunner à partir de sa maturité intellectuelle, né à Hambourg neuf ans avant la fondation de l’empire allemand, petit-fils du grand rabbin de cette ville et élevé jusqu’à vingt ans dans la stricte orthodoxie. Devenu athée (donc ex-Juif, puisqu’à ses yeux le judaïsme mosaïque est essentiellement une confession), il gardera la passion et la fougue du discours prophétique, auquel il s’identifie volontiers. Idéalisme judaïque et idéalisme philosophique (Spinoza et Hegel notamment) s’accorderont chez lui pour donner forme à un système qu’il ne lui sera pas possible de développer complètement. Son inachèvement tient à la fois à la difficulté qu’il éprouve à rassembler et unifier une pensée foisonnante – redondante, diront les plus critiques – mais surtout au fait que notre ermite fasciné de spéculation intellectuelle pure est en permanence un homme écorché, plongé dans le quotidien des tensions sociales, politiques, culturelles et religieuses qui sapent les fondements mêmes de sa condition. À vingt ans d’intervalle (respectivement en 1908 et 1928), il publiera les deux repères philosophiques majeurs que sont « La doctrine des hommes de l’esprit et du peuple » et « Matérialisme et Idéalisme ». Mais ce qui le ronge et le dévore, c’est cet amour profond, quasi mystique, qu’il voue à tout ce qui

l’entoure, ce noyau judéo-chrétien dont il mesure le fossé qui sépare la réalité d’un idéal proclamé urbi et orbi. Sa première œuvre philosophique lui ayant assuré un certain renom malgré son mépris non dissimulé pour les professeurs et penseurs doctrinaires de profession, c’est bien à la « question juive » qu’il reviendra constamment, qu’il appelle dialectiquement « la question des antisémites », et qu’il veut appréhender dans son enracinement anthropologique et his-

torique. Course épuisante contre l’accélération du temps moderne. « La haine des Juifs et les Juifs » est prêt pour publication quand éclate la Première Guerre. Le livre ne sortira de presse qu’en 1918, accompagné déjà d’une importante postface, à laquelle une seconde succédera en 1919. À côté de quelques compléments d’actualité, Brunner a aussi achevé le volet théologique de la haine vouée aux Juifs dans un nouvel ouvra-

ge : « Notre Christ ou l’essence du génie » (1921). Appel enflammé aux Juifs et aux chrétiens à reconsidérer le dernier prophète juif (Christos = prophète) déformé par l’Église triomphante et, en conséquence, rejeté par ses coreligionnaires d’origine. « Wir wollen ihn zurück », « nous voulons son retour ; il est des nôtres », avait déjà affirmé Brunner dans la prédication qui clôturait « La haine des Juifs et les Juifs ». Pour être correctement compris et situés de nos jours, cette brève présentation et ce qui va suivre, quelques jalons contextuels doivent bien être rappelés. L’empire allemand de 1871, bâti sur la défaite des Français à Sedan (la Colonne de la Victoire à Berlin en témoigne encore) et sur la victoire de la Prusse contre l’Autriche (1867), résulte de la fusion d’une multitude de provinces fédérées, de structure féodale, de confession catholique ou protestante, lancées dans un processus d’industrialisation et de modernisation accéléré. La « question juive » qui travaillait déjà la Confédération germanique issue des guerres napoléoniennes n’y a pas reçu réponse complète. L’égalité civile des Juifs n’y est que formellement proclamée, et son application est laissée aux provinces. L’armée, l’administration, l’enseignement supérieur leur restent presque partout inaccessibles. Ce nœud de contradictions irrésolues va plomber le sort des Allemands de confession juive et compromettre leur intégration dès les premières années du jeune empire. Leur perspective, plus théorique qu’assumée dans les faits, est celle de l’Émancipation et des Lumières « à la française ». C’est ce qui per-

met encore à Bismarck, sous l’influence de l’Alliance Israélite Universelle, de se poser au Congrès de Berlin de 1878 en défenseur des Juifs opprimés et discriminés de l’Est. Mais dès les lendemains de cette reconnaissance diplomatique internationale surgit l’« antisémitisme », ce néologisme au sens strictement politique et bientôt plus racial que religieux, même s’il s’appuie encore sur toutes les superstitions ancestrales liées au peuple déicide. Les Juifs deviennent les otages des tensions sociales durement réprimées. Brunner, qui a dépassé la cinquantaine en 1914, a vécu ces évènements avec intensité ; il est et restera indéfectiblement fidèle aux principes universels proclamés par la Révolution française. Contrairement au sionisme politique qui commence à s’affirmer entre sa trentième et sa quarantième année, en réponse à l’antisémitisme des États européens, le philosophe ne considèrera jamais le regroupement du « peuple juif » dans son État « historique » ni la condamnation sans appel de la « malédiction de l’Exil » comme la réponse à la prétendue question juive. En opposition à la doctrine proclamée avec éloquence par Max Nordau au premier Congrès sioniste de 1897, l’Émancipation, pour lui, n’est pas un « cadeau » fait aux Juifs par quelques révolutionnaires idéalistes « à cheval sur des principes ». Ce n’est pas cette pièce d’ameublement à la mode, comme le piano du salon bourgeois que tout le monde admire mais dont personne ne joue. C’est la seule forme de coexistence tolérante des citoyens d’un même État-nation, où sont enfin disjointes les autorités théologiques et politiques (le combat de son maître Spinoza). Brunner est tout sauf aveugle aux réalités.

mars 2012 * n°324 • page 17


➜ L’émancipation n’est pas un Décret promulgué en 1791, repris plus ou moins bien de proche en proche et de pays en pays, c’est un combat permanent, un processus global jamais achevé, dont il mesure les échecs et les reculs. Elle est entrée, écrit-il, dans une période d’affreuse confusion, et de cette confusion, les Juifs, ses premières victimes, portent aussi leur part de responsabilité. À la fin du premier conflit mondial surgit une situation entièrement nouvelle, dont la radicalité même augmente d’autant l’instabilité de la condition juive. Tous les droits sont enfin reconnus aux Juifs, toutes les fonctions leur sont accessibles. Ils s’y engouffrent d’autant plus violemment qu’ils se sont sentis brimés jusque-là. Plutôt conservateur, le libéral réformiste qu’est Brunner se méfie (le peuple n’est pas guidé par l’Esprit !) des mouvements de masse. Il diagnostique assez tôt et dénonce publiquement le « socialisme national », le socialisme « völkisch », le nazisme raciste. Le livre auquel il travaillait en 1923, au moment du putsch manqué de Hitler (et de Ludendorff, bien plus redoutable à l’époque), « Écrits de l’ermite Constantin Brunner », s’infléchit et se clôt de façon abrupte en 1924 par une violente dénonciation des premiers succès électoraux des nazis en Thuringe1. Mais le philosophe a toujours plusieurs fers au feu. La même année paraît « Amour, mariage, homme et femme » ; quelques années après, sortent de presse les es-

quisses disparates de ses chantiers en cours : « Extraits de mon journal intime » (1927). « Des devoirs des Juifs et des devoirs de l’État » est à nouveau un jalon important parmi ceux qu’il nomme désormais ses « li-

vres juifs ». C’est une exhortation pathétique à l’unité d’action des Juifs allemands, rassemblés pour la plupart dans une « Union centrale des citoyens allemands de confession juive » : abandonnez, leur lance-t-il, toute autre querelle entre vous pour vous concentrer davantage encore sur les moyens de lutte et de défense que permet un État démocratique ; il est du devoir de ce dernier d’empêcher ce qui sape par le meurtre, la violence de rue, la calomnie et le mensonge la cohésion sociale. La réponse sioniste qui met priori-

mars 2012 * n°324 • page 18

tairement l’accent sur la colonisation de la Palestine ouverte depuis 1918 par la Déclaration Balfour lui paraît non seulement inadéquate mais représente de son point de vue un facteur supplémentaire de division interne face à la menace extérieure grandissante. Brunner ne fait que s’inscrire ainsi dans un large courant antisioniste, aussi ancien que le mouvement sioniste lui-même, et dont toute l’argumentation a été développée dans les années précédant la Première Guerre, plusieurs années avant l’apparition du nazisme. Un autre écueil anachronique que l’on se gardera bien d’éviter, c’est de croire cet appel trop tardif, trop naïf, comme si toutes les cartes étaient définitivement distribuées dès 1930. Certes, la crise économique mondiale lancée par le krach de WallStreet en octobre 1929, a profondément déstabilisé le pays. Comme aujourd’hui, l’endettement des États était au centre du cyclone et le cycle infernal des dettes de guerre contractées envers les États-Unis. Avec moins de richesses accumulées et sans les palliatifs actuels. Un moratoire eut été parfaitement possible. C’est pourquoi Brunner, avec sa cohérence habituelle, interviendra encore l’année suivante avec le pamphlet le plus violent qu’il dirige à présent nommément contre Hitler et Goebbels, inquisiteurs modernes de la terreur de demain.2 Découvrir « Des devoirs des Juifs et des devoirs de l’État », c’est aussi découvrir un écrivain, une plu-

me acérée. On en jugera notamment par la scène qui se déroule au ciel, où Yahvé a convoqué l’un des principaux théoriciens du sionisme pour lui faire part de son mécontentement. Jacob Klatzkin, ce « bon petit lutin », comme le nomme Brunner, lui épargne le soin d’une analyse du mouvement ; il lui suffit de le citer dans le texte. Quelques rabbins se sont émus d’un tel blasphème, d’autres en ont ri franchement : Yahvé, en professeur d’économie politique – crise mondiale oblige – dans un exposé magistral sur ce qui fait vivre les dieux : le crédit ! Ils ne vivent que de la confiance aveugle et superstitieuse dont on les crédite. Et le Dieu des Juifs paraît plus mal assuré que son fils derrière les rideaux fraîchement lavés par Marie. Au point de ne plus faire confiance qu’aux antisémites pour garantir sa survie ! Brunner auraitil versé là son ultime tribut à Spinoza ? « Que la haine des nations soit très propre à assurer la conservation des Juifs, c’est d’ailleurs ce qu’a montré l’expérience », écrivait le philosophe d’Amsterdam deux siècles et demi auparavant. Quand les nazis auront pris le pouvoir, c’est dans son pays qu’il cherchera refuge. Une grande partie de ses œuvres sera confisquée et détruite par la Gestapo. Il meurt à La Haye en 1937, tandis que sa femme et sa fille adoptive périront ultérieurement à Sobibor. Intarissable jusqu’au bout dans sa production intellectuelle, Brunner laisse à sa mort encore quatre manuscrits, que ses disciples éditeront en Suisse et aux Pays-Bas. Pour l’honneur de la judéité allemande, pour ceux qui ont lutté à ses côtés contre la montée de la barbarie, l’histoire doit s’acquitter d’une dette trop longtemps différée à l’égard de Brunner et du milieu qu’il représentait de façon exemplaire. En sortant des cli-

vages d’un manichéisme réducteur qui rassemble les justes à ma droite et les damnés à ma gauche. Rien de tel pour cela qu’« un philosophe hors les murs », comme le nommait la revue marseillaise Cahiers du Sud dans un numéro spécial qu’elle lui consacrait en 19643. Excellente introduction aux principes qui sous-tendent sa pensée, mais curieusement muette sur sa philosophie appliquée à la question juive. C’est aussi cet oubli que nous avons tenté de réparer. ■

La troisième et dernière partie de ce livre a été publiée en français : Constantin Brunner, Le malheur de notre peuple allemand et nos « völkisch », introduction, traduction et notes de Jacques Aron, Didier Devillez, éditeur, en association avec Mémoire d’Auschwitz asbl, Bruxelles, 2008. 2 Constantin Brunner, Écoute Israël, Écoute aussi Non-Israël (Les sorcières), suivi de La nécessaire auto-émancipation des Juifs allemands, introduction, traduction et notes de Jacques Aron, Didier Devillez, Bruxelles, 2011. 3 Cahiers du Sud, 51e année, n° 375, Constantin Brunner, un philosophe hors les murs, avec des contributions de F. Alquié, H. Thomas, M. Baraz, R. Rovini et deux textes fondamentaux de Brunner. Le lecteur intéressé consultera avec intérêt le site de la Fondation : www/constantinbrunner.net 1

Viennent de paraître simultanément Aux Éditions Aden, Bruxelles : Constantin Brunner Des devoirs des Juifs et des devoirs de l’État (1930) 494 p., 30 EURO Aux Éditions Didier Devillez, Bruxelles : Constantin Brunner Écoute Israël, Écoute aussi Non-Israël (Les sorcières) (1931) 104 p., 16 EURO Les deux ouvrages sont présentés, annotés et traduits par Jacques Aron

mars 2012 * n°324 • page 19


! widYi ? widYi

Yiddish ? Yiddish ! PAR WILLY ESTERSOHN

kr=p-=n]t]rk Nij Celdiim

meydlekh in krotona-park Jeunes filles dans Crotona Park

TRADUCTION Des jeunes files ont pris la forme d’une soirée d’automne, comme dans une image évanescente. Leur regard est (leurs yeux sont) distant, le sourire sauvage et fin. Leurs vêtements sont couleurs lavande, vieux rose et vert pomme. De la rosée coule dans leurs veines. Leurs paroles sont (elles ont des paroles...) claires et vides. Boticelli les a aimées (elles Boticelli a aimé) dans ses rêves.

Anna Margolin, l’auteur de ce court poème, est en fait le nom de plume de Rosa Lebensboym (Bielorussie, 1887- New–York, 1952). C’est en 1914 qu’elle s’est installée dans la métropole américaine où elle devint une journaliste en vue. Ses premiers poèmes ont été publiés en 1920. Ses vers souvent allusifs la rapprochent des « imagistes », mouvement littéraire anglo-américain apparu à l’époque de la Première Guerre mondiale (voir Penguin Book of Modern Yiddish Verse). Crotona Park se trouve dans le Bronx, au nord de Manhattan. Ce parc était un lieu de rencontre privilégié des auteurs yiddish habitant aux alentours.

tc=nr=f Nkitsbr=h Nij farnakht

harbstikn

in

tbeuur=f Ciz Celdiim Nb]h farvebt

zikh meydlekh

hobn

.dlib Nkleuu = Nyj yuu bild

velkn

a in

vi

.Nid Nvj dlyvv lciimw red ,lik NenUz Ngyvj ereyyz din un

vild shmeykhl der

kil zaynen oygn

Anna Margolin

zeyere

.Nirg-lpe Nvj zyvr-tl= ,rednevv=l NenUz rediilk ereyyz grin-epl

un

alt-royz

lavender

zaynen kleyder

zeyere

.iut tsilf Nred] ereyyz Nyj toy

flist

odern

zeyere

in

.erel Nvj eleh retrevv Nb]h iiz lere

un

hele

verter

hobn zey

.ilewtit]b tbyleg Myvrt Nyj t]h iiz botitsheli

gelibt

mars 2012 * n°324 • page 20

troym

in

REMARQUES kitsbr=h harbstik = automnal (de tsbr=h harbst = automne). ldiim meydl = jeune fille (au pluriel : Celdiim meydlekh). Nbeuu Ciz zikh vebn = prendre forme. Nkleuu velkn = se faner. lik kil = frais (d’où : distant, réservé). iut toy = rosée.

hot zey

mars 2012 * n°324 • page 21


activités

vendredi 20 avril à 20h15

vendredi 16 mars à 20h15 La Grèce en morceaux, une évaluation de la crise Conférence-débat avec

Yannis Thanassekos, politologue, ancien directeur de la Fondation Auschwitz Modérateur : Jacques Aron

Seront abordées successivement les questions suivantes : Spécificités de l’histoire grecque, unification tardive, convulsions sociales et guerre civile, Modernisation tardive et brutale (1974-2000), Le maillon faible de la chaîne européenne. La dette souveraine, concentré de contradictions, 2010-2012 : les mesures néo-libérales et leurs effets, Un champ d’expérimentation sociale et politique, le cobaye d’une épreuve de force, État-nation, démocratie, néo-libéralisme : peut-on avoir les trois à la fois ?, Les alternatives économiques et politiques, population, partis, mouvements PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

Guérir de la Shoah ? Conférence-débat avec

Éric Picard,

psychiatre à Shamash, centre d’aide psychologique aux rescapés de la Shoah et à leurs familles Peut-on guérir de la Shoah ? Quelles sont les séquelles psychologiques dont souffrent encore les rescapés, les enfants cachés ? Quelles en sont les conséquences pour leurs enfants, la deuxième et la troisième génération, les relations entre elles, les relations sociales et politiques ? Fallait-il se taire ou parler de cela, comment ? Comment aider : des discussions individuelles, des groupes de paroles de rescapés entre eux, de rescapés avec leurs enfants ? N’est-ce pas dangereux pour le sujet ou pour ses interlocuteurs ; le trauma n’est-il pas contagieux ? Et la militance, n’est-ce pas une bonne thérapie ? Si le traitement consiste en une reconnaissance de la réalité du traumatisme et une réaffiliation à la culture visée par le génocide, le négationnisme ou l’absence de reconnaissance de la spécificité de l’invalidité des rescapés de la Shoah en Belgique contribuent à entretenir leurs conséquences psychiques. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

vendredi 23 mars à 20h15

Les « gênes juifs » existent-ils ? Et dans ce cas... est-ce bon pour les Juifs ? Conférence-débat avec

Esther Vamos,

vendredi 27 avril à 20h15 Conférence-débat avec Henri

Goldman

Le rejet français de l’islam

chef de clinique et professeur honoraire en génétique médicale ULB

au sujet de son livre

Au cours de la dernière décennie, le champ d’application des analyses d’ADN s’est étendu, au-delà des domaines médical et juridique, à l’étude de populations d’organismes vivants, humaines en particulier. Une approche multidisciplinaire, combinant entre autres archéologie, histoire, littérature, linguistique et génétique moléculaire autorise désormais des tentatives de reconstitutions assez plausibles de l’histoire des grandes migrations de populations, caractéristiques de l’espèce humaine. La contribution de l’ADN est déterminante dans cette approche, en particulier quand on l’applique à l’étude de populations mobiles telles que les populations juives. On comprend donc l’intérêt suscité par ces recherches, tant à l’intérieur qu’au-delà de la communauté scientifique. À propos des populations juives, les résultats obtenus jusqu’à présent démontrent une étonnante diversité génétique, sous-tendue par quelques séquences d’ADN communes (mais non spécifiques !) aux trois grands groupes de populations juives : ashkenaze, sepharade et mizrahi (orientale). Ces données laissent largement ouverte la question des origines de ces populations juives. Au-delà d’un cercle restreint d’experts, le débat s’étend au grand public, par media interposés. Dans le climat passionnel qui prévaut actuellement au sein des communautés juives d’Israel et de la diaspora, on peut craindre une instrumentalisation politique des données, obtenues par ailleurs avec toute la rigueur scientifique voulue.

Depuis plus de vingt ans, les polémiques autour de la présence visible de l’islam en France n’ont cessé de s’amplifier : foulard à l’école, port de la « burqa », mise en cause de la laïcité... La société française nourrie d’universalisme républicain ne comprend pas pourquoi les enfants de l’immigration, au lieu de s’assimiler au sein d’une société sécularisée, y ont introduit une religion vigoureuse qui aspire désormais à se faire reconnaître. Cet état de fait semble tellement incroyable que, pour beaucoup, il ne peut s’agir que d’un projet politique manipulé. Le rejet de l’islam, qui se manifeste en France comme partout en Europe, est le résultat de cette perception. Et si on faisait l’hypothèse inverse ? Que ce « retour du religieux » surgit bien du cœur de notre société en mal de repères ? Et qu’il n’est nullement incompatible avec la modernité démocratique, qu’il peut même contribuer à renforcer ?

PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

mars 2012 * n°324 • page 22

Henri Goldman a été coordinateur (2003-2009) du département Migrations au Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme (Bruxelles). Il est rédacteur en chef de la revue de débats Politique et de migrations|magazine. Il a publié Oublier Jérusalem ? Une approche d’Israël, du sionisme et de l’identité juive (Quartier libre, 2002) et Deux ou trois choses de Sonia et du monde (Territoires de la mémoire, 2010)

mars 2012 * n°324 • page 23


activités

vendredi 25 mai à 20h15

dimanche 29 avril de 10h30 à 17h En avant-première du Parcours d’Artistes de Saint-Gilles, nous vous proposons de participer à une

journée créative et artistique Vous pouvez venir en famille puisqu’il y aura 2 ateliers pour adultes et un pour enfants : - Bettina Abramowicz, passionnée par la mosaïque, propose une initiation à la coupe des tesselles et la réalisation d’un projet ; cadre, miroir, photophore... - Françoise Gutman, céramiste, sculpteur, propose aux adultes une initiation à la céramique autour de la thématique du « pot » en utilisant la technique du colombin (texturé, engobé et cuit) - Nathalie Dunkelman animera l’atelier pour enfants en leur proposant plusieurs techniques toutes aussi attractives les unes que les autres..... Tout le matériel nécessaire sera fourni sur place. Une participation aux frais de 10 euros par atelier vous sera demandée (repas de midi inclus). Le nombre de participants étant limité, il est impératif de réserver vos places pour le 22 avril au plus tard !

Comment combattre l’antisémitisme en Belgique aujourd’hui ? Conférence-débat avec

Édouard Delruelle, directeur-adjoint du Centre pour l’égalite des chances et la lutte contre le racisme La communauté juive s’inquiète de plus en plus de la recrudescence de l’antisémitisme en Europe et en Belgique. Elle manifeste un scepticisme croissant à l’égard des outils juridiques et institutionnels existants de lutte contre le racisme, et parfois même un rejet pur et simple de ces outils. Le Centre pour l’égalité des chances a été pris dans la tourmente l’automne dernier. Comment expliquer cette double rupture de confiance ? Au-delà des questions de conjoncture, il s’agira de s’interroger sur les dispositifs de lutte contre l’antisémitisme aujourd’hui, sur le plan juridique (l’arsenal légal est-il suffisant ? Peut-on faire avancer la jurisprudence ?) sur le plan politique (que peuvent les autorités publiques ? Quid de la montée du populisme et du ou des communautarismes(s) ?) comme sur le plan sociétal (peut-on parler de « nouvelles » formes d’antisémitisme, et si oui, comment les contrer ?). Édouard Delruelle est professeur de philosophie politique à l’Université de Liège. Il a consacré sa thèse de doctorat à la question juive chez H. Arendt. Depuis 2007, il est directeuradjoint du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme. Il a également été Rapporteur de la Commission du dialogue interculturel (2005) et membre du Comité de pilotage des Assises de l’interculturalité (2010).

Exposition Arié Mandelbaum au Musée Juif de Belgique

PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

rue des Minimes, 21 1000 Bruxelles

du 9 mars au 27 mai

Carnet rose

Tous les jours de 10h00 à 17h00 Fermé le lundi Photo Bérengère Gimenez

mars 2012 * n°324 • page 24

Nous saluons la naissance à Cognac (France), le 14 février dernier, d’Iris Daems. Aux heureux parents, Mathilde et Alain, toutes nos félicitations !

est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août) L’UPJB est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente) Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski Ont également collaboré à ce numéro : Charline Milena Roland Baumann Alec de Vries Antonio Moyano Élias Preszow Jacques Sojcher Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Compte UPJB IBAN BE92 0000 7435 2823 BIC BPOTBEB1 Abonnement annuel 18 EURO ou par ordre permanent mensuel de 2 EURO Abonnement de soutien 30 EURO ou par ordre permanent mensuel de 3 EURO Abonnement annuel à l’étranger par virement de 40 EURO Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB. Montant minimal mensuel: 10 EURO pour un isolé, 15 EURO pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.

mars 2012 * n°324 • page 25


UPJB Jeunes Un nouveau nom

Carte de visite

CHARLINE ET MILENA

Ç

a y est, c’est décidé ! Avec l’ensemble des moniteurs, nous avons enfin choisi un nouveau nom pour les Bienvenus ! Désormais, ils s’appelleront les Juliano ; de Juliano Mer-Khamis ! Ce nom vous dit quelque chose ? C’est normal. Tout d’abord, il est le fils d’Arna Mer (Juive militante pro-palestinienne) et a suivi la lignée de cette dernière. Arna Mer avait crée le Théâtre des Pierres à la fin des années 80 durant la première Intifada. Ce théâtre accueillait les enfants dans une liberté absolue. Il leur apportait une toute autre vision de la réalité violente et oppressive, celle de Jénine, en Palestine. Ce théâtre leur permettait de s’épanouir par l’art et d’ainsi fuir l’atmosphère de guerre omniprésente. Juliano a repris ce théâtre et a gardé les valeurs prônées par sa mère. Juliano est vite devenu un symbole pour les habitants de Jénine. Cet homme pourvoyait les jeunes de connaissance, de valeurs et de respect pour leur histoire, leur religion ainsi que pour leurs familles. Plusieurs fois, le Théâtre a été détruit par les Israéliens ou par les activistes Palestiniens qui n’étaient guère d’accord avec cet art progressiste qui ressemblait trop fortement à celui de l’Occident. De nombreuses fois, Juliano fût jugé, critiqué et menacé

par les Israéliens ou par les Palestiniens. Il s’est toujours défendu en proclamant qu’il ne faisait que responsabiliser et éduquer les enfants afin de construire un futur nouveau face à l’occupation israélienne : « Le cinéma, le théâtre et l’art en général sont essentiels au développement de l’enfant ainsi que de notre société afin que notre nation devienne plus forte, libre et indépendante » À lui seul, il représentait la complexité du conflit israélo-palestinien puisqu’il était juif de sa mère et palestinien de son père. Il se disait juif-palestinien et défen-

mars 2012 * n°324 • page 26

dait l’harmonie entre les 2 peuples (israélien et palestinien). Claire Liebmann nous a fait part de ce que Juliano représentait à ses yeux. « Juliano, pour moi, c’était le symbole du ‘nonproblème d’identité’. Qu’en réalité, ce ne sont pas les individus possédant la double nationalité qui sont à l’origine des problèmes d’identité mais bien les autres. Je m’explique. Très Israélien dans sa fougue, dans son assurance, ce qu’on appelle en hébreu sa ‘houtzpa’ (son culot !). Il osait tout, ne rasait jamais les murs. Parlait cash. Même avec son corps. À l’aise dans ses mouvements, bien ancré dans le sol, félin, très mâle. Mâle, viril mais pas macho. Du tout. Très ‘kibboutznik’ dans son rapport à la femme ; très égalitaire. Sensuel dans un rapport de séduction. Mais jamais dominateur. Charismatique mais pas écrasant. C’est tout ça que j’ai appelé très israélien, plus haut. Mais très arabe aussi. Dans son sens de l’hospi-

talité, dans son émotionnalité et dans ses frustrations aussi. Très israélien. Très arabe mais pas déchiré. Entier. C’est le monde extérieur, avec ses étiquettes manichéennes qui a projeté sur lui des pseudo-problèmes identitaires. Une soi-disant schizophrénie. Tout cela était faux. Juliano n’avait pas ce problème. Il était tellement fort qu’il s’était créé une identité propre, faisant fi de ces étiquettes. Mais la petitesse d’esprit, le manichéisme, le non-accès à l’intelligence, la peur de l’autre, la testostérone, le nationalisme, le fanatisme... ont eu raison de sa vie. Mais pas de ses valeurs, de son message. » Voilà pourquoi nous lui rendons hommage aujourd’hui. Pour tout ce que Juliano était, représentait pour nous, pour eux, pour lui. Nombreuses sont les fois où nous avons été émus, touchés ou encore sensibilisés par ses actes, son état d’esprit, son ouverture au monde, aux autres. Sa simplicité dans sa vision des choses, des problèmes, de la réalité de son pays, de son identité, de ces conflits qui ne sont toujours pas résorbés. Juliano s’est battu pacifiquement toute sa vie durant pour finir assassiné le 4 avril 2011 à Jénine. Merci à lui pour sa vivacité, sa clairvoyance et son audace. ■

L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective. Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq groupes différents.

Juliano

Les pour les enfants nés en 2004 et 2005 Moniteurs : Charline : 0474.30.27.32 Miléna : 0478.11.07.610

Marek Edelman

Les pour les enfants nés en 2002 et 2003 Moniteurs : Sacha : 0477.83.96.89 Lucie : 0487.15.71.07

Janus Korczak

Les pour les enfants nés en 2000 et 2001 Moniteurs : Manjit : 0485.04.00.58 Fanny : 0474.63.76.73 Clara : 0479.60.50.27

Émile Zola

Les pour les enfants nés en 1998 et 1999 Moniteurs : Totti : 0474.64.32.74 Sarah : 0471.71.97.16 Axel : 0471.65.12.90

Yvonne Jospa

Les pour les enfants nés en 1996 et 1997 Moniteurs : Maroussia : 0496.38.12.03 Noé : 0472.69.36.10

Informations et inscriptions : Catherine Daems – upjbjeunes@yahoo.fr – 02.347.27.20

mars 2012 * n°324 • page 27


agenda UPJB Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

vendredi 16 mars à 20h15

La Grèce en morceaux, une évaluation de la crise. crise Conférence-débat avec Yannis Thanassekos, politologue, ancien directeur de la Fondation Auschwitz (voir page 22)

vendredi 23 mars à 20h15

Les « gênes juifs » existent-ils ? Et dans ce cas... est-ce bon pour les Juifs ? Conférencedébat avec Esther Vamos, chef de clinique et professeur honoraire en génétique médicale ULB (voir page 22)

vendredi 20 avril à 20h15

Guérir de la Shoah ?. Conférence-débat avec Eric Picard, psychiatre (voir page 23)

vendredi 27 avril à 20h15

Le rejet français de l’islam. Conférence-débat avec Henri Goldman, rédacteur en chef de la revue de débats Politique et de migrations|magazine (voir page 23)

dimanche 29 avril de 10h30 à 17h

Journée créative et artistique. Ateliers de céramique, de mosaïque et pour enfants (voir page 24)

vendredi 25 mai à 20h15

Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

Comment combattre l’antisémitisme en Belgique aujourd’hui ? Conférence-débat avec Édouard Delruelle, directeur-adjoint du Centre pour l’égalite des chances et la lutte contre le racisme (voir page 25)

club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

jeudi 1er mars

« Le Défi Energie ou comment réduire la consommation d’énergie par des petits gestes au quotidien? » par Jean Leseul , « animateur énergie » à Bruxelles-Environnement

jeudi 8 mars

À l’occasion de la Journée Internationale de la Femme, « Féminisme, mouvements sociaux et grammaire française » par Fanny Filosof

jeudi 15 mars

« Comment fonctionne la Région de Bruxelles-Capitale ? » par Bruno Vinikas, ancien hautfonctionnaire régional

jeudi 22 mars

« L’actualité politique au Moyen Orient » par Henri Wajnblum

jeudi 29 mars

« Mon parcours (enfant caché, USJJ, la Chine, etc...) » par Henri Lederhandler, homme d’affaires

Prix : 2 EURO

Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.