n°331- Points Critiques - décembre 2012

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mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique décembre 2012 • numéro 331

israël-palestine Combien de vies pour un bulletin de vote ? Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - P008 166 - mensuel (sauf juillet et août)

HENRI WAJNBLUM

A

u moment où vous lirez ces lignes, tout se sera peut-être provisoirement calmé. Ou le pire sera arrivé, c’est-à-dire une offensive terrestre équivalente, ou de plus grande envergure encore, à celle de fin 2008/début 2009. Cette incertitude au moment de les rédiger ne doit cependant pas nous empêcher de nous pencher sur le nouvel accès de fièvre qui a gagné le Proche-Orient en ce milieu du mois de novembre dernier… 14 novembre, la réaction de l’Administration américaine à la nouvelle offensive israélienne contre la bande de Gaza ne s’est pas fait attendre… Lors d’une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU, qui s’est dépêché de ne rien décider, Susan Rice,

l’ambassadrice américaine, déclarait en effe : « Rien ne justifie la violence à laquelle ont recours le Hamas et d’autres organisations terroristes contre le peuple israélien. Israël, comme toute autre nation, a le droit de se défendre contre de telles attaques brutales ». L’Union européenne n’a pas été en reste qui, par la voix de la chef de sa diplomatie, Catherine Ashton, s’est dite « profondément préoccupée par l’escalade de la violence en Israël et dans la bande de Gaza ». Ajoutant elle aussi que « les attaques à la roquette de la part du Hamas et d’autres groupes depuis Gaza, qui ont provoqué la crise actuelle, sont totalement inacceptables et doivent cesser. Israël a le droit de protéger sa population de ce genre d’attaques », appelant tout de même Israël « à

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

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sommaire

israël-palestine

1 Combien de vies pour un bulletin de vote ? .......................... Henri Wajnblum

moyen-orient

4 Syrie. Une analyse en angles morts ...........................................Pascal Fenaux

histoire(s)

6 Insa Meinen ou l’historiographie en mouvement..................propos recueillis par Anne Grauwels et Alain Mihály

lire

11 Helena Janeczek sur les traces de la mémoire.............Tessa Parzenczewski 12 Gertrud Kolmar (1894-1943) ................................................... Antonio Moyano

regarder

14 Bohèmes. De l’histoire de l’art au devoir de mémoire ...... Roland Baumann

mémoire(s)

16 Berlin 2012 ..................................................................................... Jacques Aron 20 Les vies d’Efraïm Wuzek .......................................................... Larissa Gruszow

yiddish ? yiddish !

! widYi ? widYi

24 der soykher fun venedik - Le Marchand de Venise. .............Willy Estersohn 26

activités upjb jeunes

28 Parce qu’animer ne s’improvise pas forcément ! .......................................Julie 31 Entr’act, pour une rentrée décalée ! .................................................................... 32

les agendas

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➜ faire en sorte que sa réponse soit proportionnée ». Même son de cloche en Belgique… Didier Reynders, notre ministre des Affaires étrangères, a condamné « fermement » les tirs de roquettes depuis la Bande de Gaza en direction d’Israël et a dit attendre d’Israël « une réaction mesurée », tout en lui reconnaissant le droit de « défendre sa population ». Et du côté de la communauté juive de Belgique ? dans un communiqué daté du 16 novembre, le Comité de Coordination des Organisations Juives de Belgique (CCOJB) et le Forum der Joodse Organisaties (FJO) « soutiennent l’exercice de légitime défense d’un état de droit comme Israël (…) À cette occasion, le CCOJB et le FJO prient instamment les divers intervenants et commentateurs de ce conflit dans notre pays d’être extrêmement prudents et justes dans leurs analyses et les mots employés, comme l’a fait l’Union européenne ou notre ministre des Affaires étrangères ». Posons-nous à présent la question… Avons-nous jamais entendu les mêmes, Américains, Européens et communautés juives, affirmer avec autant de force le droit des Palestiniens de Cisjordanie de se défendre contre une occupation et une colonisation de plus en plus brutales et insupportables ? Les avons-nous jamais entendu affirmer avec autant de force le droit des Gazaouis de se défendre contre le blocus inhumain qu’ils subissent depuis cinq ans ? Rien de tout cela. Au contraire… Palestiniens tenez-vous tranquilles et attendez qu’Israël veuille bien vous accorder… Vous accorder quoi au juste ? Silence

radio de la part des États-Unis et de l’Union européenne.

POURQUOI ? Revenons-en aux faits… Y a-til eu un tir de missile antichar tiré sur une jeep militaire israélienne qui patrouillait dans le nord de la bande de Gaza, faisant quatre blessés, et revendiqué par le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) ? Oui. Y a-t-il eu des tirs de roquettes sur le sud d’Israël ? Oui. Était-ce une raison suffisante pour assassiner Ahmad Jaabari, le chef de la branche militaire du Hamas, sachant pertinemment que cela allait provoquer une intensification des tirs de roquettes, faisant des morts cette fois, comme à Kiryat Malachi, et, peut-être, un retour aux attentats suicides ? En toute logique, non. Ahmad Jaabari était en effet l’interlocuteur « privilégié » d’Israël en matière de sécurité, c’est avec lui qu’Israël avait indirectement négocié plusieurs trêves et qu’il en négociait encore une de longue durée par l’intermédiaire du Caire au moment de son assassinat. Alors, pourquoi ? La réponse tient en quelques mots comme le souligne le quotidien israélien Ha’aretz : « Netanyahu s’offre son Oussama Ben Laden, soit un formidable atout électoral comparable à ce qu’a été le chef d’AlQaïda pour Barack Obama ». Car Israël va voter le 22 janvier prochain. Et il est vrai que les sondages, qui promettaient au départ une large victoire à la coalition Netanyahou/Lieberman, commençaient doucement à s’infléchir en faveur du parti travailliste de Shelly Yachimovich et de celui de Yair Lapid, Yesh Atid (il y a

un avenir). Alors quoi de plus tentant, pour renverser la tendance, que d’en découdre avec le pouvoir en place à Gaza ? De la tentation aux actes, il n’y avait qu’un pas que le gouvernement israélien est en train d’allègrement franchir au moment où ces lignes sont écrites, et de rallier une grande partie de la société juive israélienne. Heureusement, tout le monde n’est pas dupe… Cette annonce est parue en première page de Ha’aretz daté du 16 novembre, elle émane de la Coalition des Femmes pour la Paix, de New Profile, du Centre d’information alternative et de Yesh Gvul (il y a une limite) : « Non à la guerre électorale ! Nous refusons de participer à la guerre et à l’effusion de sang. Nous refusons de participer à la vague de haine et d’incitation à la haine contre les habitants et les habitantes de Gaza. Nous refusons d’abandonner le sud d’Israël pour un vertige politique. Joignez-vous à nous dans les manifestations et les actions de protestation dans tout le pays. » Simone Susskind a également diffusé un appel au gouvernement Netanyahou émanant d’une simple citoyenne israélienne, Michal Vasser. On peut y lire… « La première chose que je veux dire est : Svp ne me défendez pas. Pas comme cela. Je suis assise dans ma chambre sûre dans le kibboutz de Kfar Aza et j’écoute le bombardement de la guerre totale dehors. Je ne suis plus capable de distinguer entre ‘nos’ bombardements et les ‘leurs’. (…) Est- ce à cela que ressemble ‘défendre sa patrie’ ? (…) Si vous voulez me défendre, dans ce cas, svp, n’envoyez pas les Forces de défense israéliennes pour nous, afin de ‘gagner’. Mettez-vous à penser

au long terme et pas simplement aux prochaines élections. Essayez de négocier jusqu’à ce que la fumée blanche sorte de la cheminée. Tendez une main au président palestinien Mahmoud Abbas. Stoppez les ‘assassinats ciblés’ et regardez aussi dans les yeux des civils de l’autre côté. Je sais que la plus grande partie du public m’accusera d’être un ‘cœur qui saigne’. Mais je suis celle qui suis assise ici, maintenant que des bombes de mortier tombent dans ma cour, pas Sa’ar1, pas le premier ministre Benjamin Netanyahou et pas la parlementaire du Labour Shelly Yacimovich ou le chef du parti Yesh Atid, Yair Lapid. (…) Donc, svp, stoppez de tuer des civils de l’autre côté de la barrière pour me défendre. (…) Au lieu de l’Opération Pilier de défense, embarquez-vous dans une Opération Espoir pour le futur. C’est plus compliqué, vous avez besoin de plus de patience et c’est moins populaire – mais c’est la seule voie pour en sortir ». Combien de vies palestiniennes et israéliennes Netanyahou, Barak et Lieberman sont-ils prêts à sacrifier pour rester au pouvoir ? Apparemment, autant qu’il le « faudra ». Comme vous vous en doutez, l’UPJB ne partage pas l’avis du CCOJB et du FJO. Aussi, a-t-elle, elle aussi, diffusé un communiqué, daté du 16 novembre, dont vous pouvez prendre connaissance en page 27 de ce numéro ainsi que sur le site www.upjb.be. ■

Gideon Sa’ar, membre de l’aile dure du Likoud, ministre de l’Education depuis 2009

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moyen-orient Syrie. Une analyse en angles morts PASCAL FENAUX*

J

e voudrais réagir à l’éditorial du Points critiques de novembre 2012, « Syrie. Jusqu’à quand cette folie meurtrière ? ». Certes, je suis bien placé pour savoir qu’un éditorial doit toujours affronter une contradiction entre le fond (proposition de plusieurs pistes de réflexion et développement d’une position) et la forme (brièveté). Certes, l’éditorial dénonce « qu’une certaine gauche se fasse la laudatrice enthousiaste du régime syrien ». Pourtant, comment ne pas ressentir un malaise en lisant cet éditorial ? Ce malaise s’explique dans le fait qu’il y est fait largement écho à une analyse d’Alain Gresh publiée sur son blog le 29 août dernier1, une analyse qui peine à voir dans le MoyenOrient davantage que le théâtre de la confrontation israélo-palestinienne et des ambitions géopolitiques de telle ou telle puissance mondiale ou régionale. Certes, l’éditorial de Points critiques est quatre fois moins long que le texte d’Alain Gresh auquel il fait écho, tandis que son propos se montre plus « ramassé », mais sans pour autant le trahir. Du coup, s’il ne trahit pas Alain Gresh, l’éditorial de Points critiques, contrairement à ce qu’il affirme, contredit bel et bien le texte de Farouk Mardam-Bey, publié dans les pages suivantes. Cette contradiction n’est pas explicite mais est le produit implicite et logique de deux angles morts qui sont autant de sources de malaise.

Première source de malaise, l’affirmation d’Alain Gresh, endossée par Points critiques et selon laquelle « il se déroule, sur la scène syrienne, plusieurs guerres parallèles », la division et la militarisation de l’opposition étant « favorisée[s] par les ingérences extérieures ». Et l’éditorial de Points critiques de se demander : « Ingérences étrangères ? Il s’agit essentiellement du Qatar et de l’Arabie saoudite qui n’aident que leurs partisans sur le terrain », tandis que leurs objectifs « n’ont rien à voir avec l’instauration de la démocratie en Syrie. »

UNE OMISSION Tout cela relève à fois de la vérité, mais aussi hélas du mensonge par omission. Car, enfin, où est la Russie dans tout ça ? Comme elle n’est pas un soutien aux « guerres parallèles » menées en sous-main par les pétromonarchies arabes du Golfe, Points critiques n’en parle pas. D’où un premier angle mort assez incroyable : dans l’analyse du conflit syrien par Points critiques, la Russie est invisible. Certes, dans le texte originel d’Alain Gresh, la Russie est évoquée, mais pour aussitôt lui donner un rôle strictement réactif : « L’objectif prioritaire de nombreux protagonistes (Occidentaux, pays du Golfe) est de faire tomber le régime dans le but d’atteindre l’Iran. […] La Russie et la Chine, favorables à des pressions sur Téhéran mais hostiles à une aventure militaire, s’opposent, bien évi-

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demment, à cette stratégie. » C’est le même Alain Gresh qui, le 23 février dernier2, affirmait, contre toute évidence, pendant le siège de Homs, que « contrairement à ce qui s’écrit, ni les Russes ni les Chinois n’ont donné un feu vert à Assad, mais tentent de faire pression sur lui. Comme le rapporte un journal libanais bien informé, les autorités syriennes se sont abstenues, sous la pression des Russes, d’utiliser l’aviation et d’autres armes de guerre à sa disposition, dans leur actuelle répression. » Précision utile pour le lecteur non averti : le « journal libanais bien informé » en question est proche du Hezbollah, dont l’engagement diplomatique et logistique aux côtés du régime syrien est avéré. C’est sans doute parce qu’elle est « hostile à une aventure militaire » que, comme le rappelait Jean-Paul Chagnollaud, directeur de Confluences Méditerranée dans un article magistral paru le 28 septembre dernier3, la Russie continue de fournir en masse « des hélicoptères, des systèmes de défense anti-aérienne performants et des tonnes de munitions », le tout étant débarqué dans la base navale russe implantée depuis 1971 dans le port syrien de Tartous, tandis que l’armée de l’air est désormais largement utilisée dans la campagne de répression et de punition indiscriminées menée par le régime baasiste. Deuxième source de malaise, ce question-réponse en forme de

disqualification de l’opposition : « La crise syrienne se réduit-elle à un pouvoir dictatorial affrontant l’ensemble de son peuple ? Si tel était le cas, le régime serait tombé depuis longtemps. » Aurait-on osé pareil distinguo pour appréhender, par exemple, les tragédies chilienne et argentine dans les années 70 et 80 ?

COMPLEXITÉ ET CLIVAGES De fait, l’opposition syrienne est fort logiquement aussi divisée et complexe que la société dont elle est issue, une société caractérisée par des clivages sociaux, confessionnels et mémoriels extrêmement vifs et subtils, clivages que le régime baasiste a toujours pris soin de mobiliser et manipuler, tant sur le territoire syrien que sur le territoire du siamois libanais (ce dont la gauche libanaise et la résistance nationaliste palestinienne ont fait l’amère expérience). De fait, le régime baasiste syrien est arc-bouté à un réseau complexe d’alliances et d’allégeances confessionnelles organisées autour de clans issus de la communauté alaouite (et non « la » communauté alaouite considérée indistinctement). De fait, les opposants doivent surmonter leurs peurs, leurs méfiances et leurs mémoires respectives pour présenter une plateforme et un front suffisamment larges et fédérateurs, en formulant à la fois un programme politique capable de susciter l’adhésion d’une majorité de citoyens de la Syrie post-baasiste et de répondre aux appréhensions légitimes des minorités politiques et ethno-confessionnelles. De fait, le « pronostic vital » de la Syrie post-baasiste sera directement fonction de l’implication des opposants issus de la communauté alaouite, de l’intégration

de la mémoire collective victimaire alaouite (paria absolu et exécré jusque dans les années 1920), voire de l’octroi de garanties spécifiques à la montagne majoritairement alaouite4.

LE RÉGIME ET SA RENTE Par ailleurs, sous quelque latitude que ce soit, tout régime dictatorial ou totalitaire, a fortiori quand il est parvenu à se maintenir en place pendant un demisiècle (le coup d’État baasiste a été exécuté le 8 mars 1963 et le clan d’où proviennent les Assad a raflé la mise il y a 41 ans, en novembre 1971), dispose d’une « rente de situation ». Mais, dans l’analyse d’Alain Gresh, un deuxième angle mort rend invisible cette « rente » que l’on peut résumer comme suit : constitution d’une classe d’ayant droits économiquement intéressés par la survie du régime, détermination des membres des organes de répression à vendre chèrement leur peau pour éviter d’avoir un jour à rendre des comptes pour « sévices rendus », neutralité attentiste des classes moyennes et supérieures, implication de certains segments de minorités confessionnelles dont les responsables communautaires (on pense aux patriarcats chrétiens, pour la plupart complices actifs ou otages passifs du régime), et, tout simplement, la peur de l’inconnu. Il faut aussi y ajouter, d’une part, l’acculturation politique d’une société dont les cadres politiques et culturels autonomes ont été physiquement liquidés par dizaines de milliers depuis 1963 et, d’autre part, l’intégration de la peur dans tous les pores d’une société soumise depuis un demi-siècle à une « tromocratie5 » dont le seul équivalent régional fut son frère jumeau baasiste irakien. Enfin, il ne faut pas craindre

le paradoxe voire l’aveuglement pour sous-entendre que, si le régime baasiste n’est pas encore tombé, c’est parce que « la crise syrienne ne se réduit pas à une dictature affrontant l’ensemble de son peuple ». Outre les éléments énoncés ci-dessus, est-il si difficile de comprendre que le principal viatique du régime syrien reste encore tout simplement l’avantage létal (aviation, armement lourd, centres de torture, terroristes mafieux) dont il dispose sur ses opposants de la nouvelle génération ? Au risque de me tromper, il m’est difficile de voir autre chose que de l’aveuglement voire de l’hypocrisie dans un discours qui passe sous silence la fourniture d’armes lourdes par la Russie au régime syrien et qui condamne l’armement ou les velléités d’armement des insurgés pour s’étonner ensuite doctement de l’incapacité de ces derniers à faire tomber le régime qu’ils combattent. ■ * Journaliste et traducteur à la Revue Nouvelle et à Courrier International

1 http://blog.mondediplo.net/2012-08-29Que-faire-en-Syrie 2 http://blog.mondediplo.net/2012-02-23A-propos-de-la-Syrie 3 http://www.confluences-mediterranee. com/Syrie-intervention-impossible-non 4 http://www.courrierinternational. com/article/2012/09/25/les-divisions-del-opposition-sont-le gage-d-une-democratie-plurielle 5 http://www.revuenouvelle.be/rvn_abstract.php3?id_article=2423. Construit sur trómos (terreur) et kratía (pouvoir), ce néologisme synthétise les notions d’« État de barbarie » syrien (Dawlat at-Tawahhush, Michel Seurat, 1989) et de « République de la peur » irakienne (Jumhûriyat al-Ru’b, Kanan Makiya, 1989). Pour découvrir un condensé du « prêt-à-tuer » théorique et pratique des deux tromocraties baasistes : http://www.revuenouvelle.be/rvn_abstract. php3?id_article=1228

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histoire(s) Insa Meinen ou l’historiographie en mouvement PROPOS RECUEILLIS PAR ANNE GRAUWELS ET ALAIN MIHÁLY Insa Meinen* vient de publier la version française de son livre Die Shoah in Belgien1. Premier ouvrage d’un(e) historien(ne) allemand(e) sur la solution finale en Belgique, le livre étudie de façon détaillée la façon dont les services allemands sont parvenus à arrêter presqu’un Juif sur deux en Belgique, alors que ceux-ci, comme l’avait déjà souligné Maxime Steinberg, entrent massivement dans la clandestinité à l’automne 1942. Dans ce livre, Insa Meinen s’attache à démontrer que la majorité des Juifs ont été arrêtés de façon individuelle et sans la collaboration des autorités belges. Elle remet ainsi – partiellement – en cause les conclusions de Maxime Steinberg pour qui les cent premiers jours de la déportation et la collaboration des autorités belges (enregistrement des Juifs dans les communes, participation policière aux rafles anversoises) ont été prépondérants dans la réussite de la solution finale sur le territoire belge. Ces conclusions ont suscité de nombreux commentaires dans la presse juive et belge. Ainsi, la presse belge met l’accent sur la – supposée – « moindre » implication des autorités locales, comme s’il fallait se dédouaner d’une responsabilité qui vient précisément et tardivement d’être reconnue par le premier ministre et par le bourgmestre de Bruxelles. Le monde juif les perçoit quant à lui comme une « minimisation » – voire une « négation » – de cette responsabilité pour laquelle il vient enfin d’obtenir des excuses. En Allemagne, nous dit l’auteure, une étude telle que La Belgique docile2 est utilisée par contre pour faire écran à l’implication des Allemands ! Alors, tout ceci n’est-il qu’une affaire de perception(s) ? Qu’en est-il du poids de la collaboration des autorités belges ? Les Allemands auraient-ils obtenu les mêmes résultats sans cette collaboration ? Quelle est l’importance des rafles dans la déportation des Juifs en Belgique ? C’est ce que nous avons voulu savoir. * Insa Meinen, historienne à l’université d’Oldenburg, est chercheuse invitée au Centre interdisciplinaire d’étude des réligions et de la laïcité de l’université libre de Bruxelles (CIERL-ULB). Elle a également publié Wehrmacht et Prostitution sous l’Occupation (1940-1945), traduit de l’allemand par Beate Husser, Paris, Éditions Payot, 2006. Insa Meinen, La Shoah en Belgique, Renaissance du livre, 2012. Rudi Van Doorslaer (dir.), Emmanuel Debruyne, Frank Seberechts, Nico Wouters, La Belgique docile (rapport de recherche du CEGES sur les autorités belges et la persécution juive pendant la Seconde Guerre mondiale), Éditions Luc Pire, 2007.

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Vous opérez une césure par rapport au travail de Maxime Steinberg et à l’historiographie qui vous précède. Maxime Steinberg et Lieven Saerens soutiennent que les rafles ont été prépondérantes dans la déportation des Juifs de Belgique. Vous soulignez pour votre part que ces rafles n’interviennent « que » pour 11 % du total des déportés juifs. J’ai fait remarquer en effet, que moins de 11% des victimes ont été arrêtés dans les grandes rafles effectués par les Allemands avec l’aide de la police belge à Anvers en 1942. Il faut d’abord souligner que M. Steinberg et L Saerens avancent des chiffres différents. Les chiffres pour les victimes des rafles d’Anvers à l’été 42 sont plus élevés chez L. Saerens. M. Steinberg a travaillé avec Laurence Schram qui a établi, personne par personne, qui a été arrêté dans les rafles d’Anvers. Ils ont de cette façon déterminé que le nombre d’arrestations est inférieur à ce qui est mentionné dans les rapports de la police anversoise sur lesquels L. Saerens s’est basé. Pour les rafles de septembre, ce dernier s’est basé sur une estimation de M. Steinberg datant des années 80 et dont les chiffres sont surévalués car ils incluent aussi des Juifs du Nord de la France. Il ne faut pas oublier non plus que M. Steinberg a mis en avant trois opérations de grande envergure de l’été 42. D’abord les convocations, ensuite les rafles et troisièmement, la déportation dans le Nord de la France et par l’administration militaire de travailleurs juifs. En ce qui concerne les chiffres de ces opérations, je me suis donc basée pour l’es-

sentiel sur ceux de M. Steinberg établis en coopération avec L. Schram et qui sont postérieurs à la thèse de L. Saerens. Ces chiffres sont repris dans l’ouvrage de M. Steinberg, La persécution des Juifs en Belgique (1940-1945), publié en 2004. M. Steinberg a toujours mis en avant ce qu’il a appelé les 100 jours de la déportation, les trois mois d’août à octobre 1942. Et dans cette période, il pointait, en raison de leur importance, les arrestations de masse. Après cette période de la déportation, ce fut pour lui la période de la résistance et de la traque puisqu’à l’automne 1942, la plupart des Juifs étrangers se cachent. J’ai, pour la première fois, rassemblé tous ces chiffres mais en m’éloignant de l’interprétation qu’en faisait M. Steinberg. En me demandant comment les Allemands avaient réussi à arrêter les Juifs, j’ai constaté que, déjà pendant ces 100 jours, ce sont presque 40% des victimes qui n’ont pas été arrêtées dans les rafles mais individuellement ou en petits groupes. Et si on prend toute la période des déportations, de 1942 à 1944, on voit qu’en fait plus de la moitié des victimes ont été arrêtées dans des circonstances comparables. C’est important parce que cette situation est exceptionnelle en comparaison avec les pays voisins. Aux Pays-Bas et en France occupée, les arrestations de masse furent beaucoup plus importantes. C’est également important parce que se pose la question, cruciale pour la compréhension de la Shoah en Belgique, du processus. Surtout si l’on sait, comme l’a écrit M. Steinberg, que beaucoup de Juifs ont essayé de se cacher. Comment les Allemands ont-ils alors procédé ?

Vous relevez également que moins de 20% des victimes ont été arrêtées avec l’aide des services belges. J’arrive à environ 18% des déportés en additionnant les victimes des rafles, les arrestations individuelles connues, les hommes déportés par l’administration militaire dans le Nord de la France avec l’aide de l’administration belge, d’ailleurs plus impliquée à Anvers qu’à Bruxelles ainsi que quelques personnes qui se trouvaient dans les prisons belges et ont été livrées aux Allemands. Il faut souligner que, d’après ce que L. Saerens et moi-même avons pu trouver, la police anversoise n’est intervenue que pour une vingtaine d’arrestations isolées. Il est évidemment possible qu’on trouve encore d’autres cas donc j’estime ce total à moins de 20%. Prenons ces 100 jours. Près de 40% des Juifs ont été arrêtés individuellement. Ne peut-on pointer là la question de l’enregistrement par les communes ? On pouvait aller trouver les Juifs là où ils habitaient, à un moment où ils n’étaient pas encore entrés dans la clandestinité. Je n’ai jamais nié, ni que l’enregistrement de la population juive d’après les critères définis par les Allemands, était une violation des droits de l’homme et de la Constitution belge, ni que ce registre a aidé les Allemands dans la persécution des Juifs et, pour partie, aussi dans les arrestations. Les Allemands n’ont pas utilisé directement ces registres communaux. C’est par contre en se basant sur ceux-ci qu’ils ont établi, comme M. Steinberg l’a prouvé, un fichier central qui se trouve toujours au Service des Victi-

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➜ mes de la Guerre. Selon M. Steinberg, les Allemands ont utilisé ce fichier SD pour les convocations. Il est également possible que des arrestations aient été effectuées sur cette base. Mais si on parle de responsabilité, on ne doit pas oublier qu’établir un registre en 1940, ce n’est pas la même chose que procéder à des rafles comme à Anvers ou à des arrestations de masse en vue d’une déportation. En 1940, personne, y compris les Allemands, ne savait que cela allait mener à Auschwitz. À l’opposé, en août 1942, il était évident que quelque chose d’anormal se passait. On arrêtait arbitrairement des enfants, des femmes, des personnes âgées et on ne savait pas où ils étaient déportés. Le fichier SD n’était pas un instrument efficace pour arrêter les gens domiciliairement car il était organisé par individu et non par famille, commune ou quartier. Si les allemands décidaient de procéder à des arrestations dans un quartier déterminé, ce fichier de 56.000 personnes ne leur était d’aucune utilité. Ils disposaient à cette fin d’un autre fichier, celui établi, sur ordre des Allemands, par l’Association des Juifs en Belgique. C’est pour rendre possible ce type d’arrestations que ce fichier fut organisé par famille d’abord et ensuite par commune et par rue. Ce n’est d’ailleurs pas l’AJB elle-même qui a procédé à ce classement mais Pierre Beeckmans, un collaborateur de la Volksverweering anversoise appelé par les Allemands en 1941 à Bruxelles. Maxime Steinberg a très bien décrit dans La traque des Juifs1 comment, pendant deux ans, les

les Allemands aient, dans ce cas, utilisé leurs fichiers et sans doute plutôt celui de l’AJB. Et sur base des dénonciations ? Tant M. Steinberg que L. Saerens y font référence. Les journaux de la collaboration antisémite appelaient leurs lecteurs à dénoncer. Il reste très difficile de savoir dans quelle mesure cela a joué car peu de sources ont été transmises et très peu de lettres de dénonciation nous sont parvenues.

Allemands ont essayé par plusieurs voies d’enregistrer cette population juive pour pouvoir la persécuter. Puis arrive l’automne 1942 et tout cela perd son utilité parce les Juifs entrent dans la clandestinité. En travaillant sur

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les convois, j’ai montré que les Allemands ont effectué des arrestations dans les quartiers juifs, dans la rue ou les commerces. Certaines personnes ont cependant été arrêtés encore en 1943 à leur domicile et il est bien possible que

20% des victimes ont donc été arrêtées avec l’aide des services belges, ce qui engage une responsabilité belge. Mon intention n’a jamais été de faire du révisionnisme à ce sujet. Chaque arrestation opérée par la police belge est de trop mais il reste important de connaître l’envergure de la responsabilité de chaque acteur pour savoir comment le crime fut commis. Si on parle du génocide, de culpabilité ou de responsabilité, il faut rester très concret. Le leitmotiv de la recherche internationale depuis des années est que les Allemands, vu leur personnel restreint et leur méconnaissance du terrain, étaient dépendants des autorités locales des pays occupés. Mais on voit que les Allemands ont été capables d’effectuer deux grandes rafles à Bruxelles ainsi qu’une rafle à Liège sans aucune aide de la police belge. La majorité des victimes a été arrêtée individuellement et en petits groupes et, dans ces circonstances-là, la police belge n’est presque pas intervenue. Dans la recherche mais aussi dans la mémoire collective, la question de la collaboration des

autorités locales dans le judéocide a pris de plus en plus de place ces dernière années. Cela a commencé avec l’ouverture des archives à l’Est. On est, à mon avis, allé trop loin en accordant plus de poids à cette collaboration qu’aux actes des Allemands eux-mêmes et on oublie parfois même d’établir ce que les Allemands ont fait eux-mêmes. Il reste pourtant évident, malgré cette mise en évidence de la collaboration des autorités, que le judéocide a été commis par les nazis. On reste dans une succession de phases historiographiques et mémorielles abordant les responsabilités de chacun. Pour citer un exemple, le fait que dans le rapport du CEGES manque la part allemande pose problème. De nombreuses informations sont données sur l’implication des services belges dans la spoliation ; si on lit cela sans connaître les faits globaux, on peut être amené à penser que les autorités belges ont été prépondérantes dans ce processus alors qu’il n’en fut rien. Il suffit à ce sujet de lire les rapports des Allemands qui déplorent le fait d’avoir été contraints de faire presque tout le travail eux-mêmes en raison de l’impossibilité de se baser sur les autorités belges. Le rapport du CEGES donne également l’impression que la police bruxelloise a souvent été impliquée dans l’arrestation de Juifs. De fait, d’après ses archives, la police bruxelloise a pris part dans l’arrestation de trois personnes et il s’agissait de cas exceptionnels.

M. Steinberg avait lui-même critiqué le rapport du CEGES pour ne pas avoir tenu compte de tous les acteurs en jeu. Le fait de n’avoir utilisé essentiellement que des archives allemandes n’induit-il pas aussi un biais ? J’ai également consulté de nombreuses archives belges, ce qu’indiquent les notes de mon livre. Une grande partie de ma recherche est basée sur un travail prosopographique portant sur plus de 5.000 Juifs déportés de Belgique. J’ai consulté les dossiers individuels établis pendant ou après la guerre. J’ai cherché à déterminer ce qui s’était passé dans chaque cas. Il s’agit avant tout de sources belges. S’il faut pointer la responsabilité belge dont les quelques arrestations individuelles opérées, il faut aussi dire quelle fut l’importance de ces actes dans l’histoire générale de la Shoah. Si en France, la plus grande partie des Juifs déportés ont été arrêtés par la police française, en Belgique ce fut une très petite partie. En comparant ces deux cas, on peut arriver à comprendre comment les Allemands ont procédé. Personne n’a jamais pensé que les administrations belges étaient à mettre sur le même pied que Vichy. Il y avait pourtant « quelque chose » à admettre qu’il ne faut ni surestimer ni sous-estimer. Nous avons cependant le sentiment qu’on sous-évalue maintenant la responsabilité belge. Les administrations, dont les secrétaires généraux, n’ont pas pris en compte la dimension

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lire

juive alors qu’elles ont été capables de réagir dans d’autres cas. Ou si elles on réagi, c’est en fonction d’intérêts propres et non liés directement à la question juive. Je suis en désaccord avec l’interprétation du CEGES selon laquelle la distribution de l’Étoile a été refusée à Bruxelles en raison du fait que, la nuit précédente, les Allemands avaient utilisé des policiers belges pour arrêter d’anciens militaires. Cette interprétation est superflue si on prend en considération le fait que le projet de lettre de refus des bourgmestres a été écrit avant ces arrestations. D’autre part, le CEGES soutient que les bourgmestres avaient refusé de collaborer aux arrestations de Juifs parce qu’à partir de 1942 la situation militaire et politique avait changé. Je ne prétends pas que les bourgmestres bruxellois étaient particulièrement favorables aux Juifs mais l’argumentation du CEGES se base sur l’hypothèse que la police bruxelloise a arrêté des Juifs jusqu’en mai 1942, ce qu’aucun document ne vient prouver. On a par contre la preuve que la police a refusé d’arrêter arbitrairement des Juifs à partir de fin 40. Si vous ne mettez pas sur le même pied la collaboration des administrations belges et celle de Vichy, cela ne vaut pas pour les jeunes en Belgique qui, sans avoir de connaissance historiques, commenceraient par la lecture du rapport du CEGES ou de ses adaptations pédagogiques. Le problème se pose d’ailleurs surtout en Allemagne où on parle beaucoup plus aujourd’hui, dans les media ou dans le cadre de la recherche, de la collaboration que des actes des Allemands. Suite au rapport du CEGES, l’impression se déga-

gea dans la presse allemande que la persécution et la déportation des Juifs en Belgique étaient quasiment un crime belge. Cela alors qu’avant la parution de ma recherche, il n’y avait aucun ouvrage historique allemand abordant le chapitre de la Shoah en Belgique. Vous avez mis en évidence l’implication, hors la Sipo-SD, de plusieurs autres services allemands, militaires ou financiers, dans les arrestations. La légende dorée de l’innocence de l’armée allemande a-t-elle définitivement vécu ? On a longtemps affirmé que la Wermacht était propre. C’est une question fort importante, d’une part pour décrire le crime mais aussi parce qu’il n’y a pas de famille allemande qui n’ait compté un de ses membres dans l’armée. La recherche, une exposition aussi, ont fait échec à ce mythe mais uniquement en ce qui concerne l’Europe de l’Est. Pour l’Europe de l’Ouest, ce mythe a persisté. Des collègues ont essayé de lui faire échec mais on trouve toujours, aussi bien dans la recherche que dans le public, l’opinion que la Wermacht est restée à l’Ouest dans le cadre du droit international de la guerre. La reconnaissance officielle de la responsabilité belge est venue très tardivement. Pour les survivants et leurs descendants, cette parole a été très importante et c’est précisément à ce moment-là qu’on s’empare de votre livre pour affirmer, comme le titrait, le 3 octobre, La Libre Belgique, « La Shoah finalement pas si belge que ça ». Des deux côtés de la frontière linguistique, on a saisi au bond ce tra-

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vail d’histoire pour en dire autre chose, pour minimiser la responsabilité belge. Comme s’il y avait eu nécessité de se déculpabiliser après la reconnaissance très exacte des faits par le bourgmestre de Bruxelles et le premier ministre. C’est ce à quoi nous sommes confrontés, plus qu’au travail de l’historien. Je dois souligner qu’il est très rare pour un historien qu’en dehors des spécialistes on s’intéresse autant à son travail. J’ai été choquée par le titre du Knack et j’ai également adressé un droit de réponse à La Libre Belgique, pour mettre au point des propos minimisant la collaboration informelle. Ce type de recherche est toujours utilisé quel que soit le contexte. Pour dissiper tout malentendu, je rappelle que mon intention n’a jamais été de m’immiscer dans la politique de mémoire en Belgique. Mon sujet est de savoir comment les Juifs ont été déportés, non de nuire aux sentiments des survivants et de leurs enfants. Je serais triste que ce soit le cas mais je ne réécrirais pas mon livre autrement. ■

1 Maxime Steinberg, L’étoile et le fusil, t.1, La question juive 1940-1942, t.2, 1942. Les cent jours de la déportation des Juifs de Belgique, t.3, La traque des Juifs 19421944.

Insa Meinen sera à l’UPJB le vendredi 22 février 2013 à 20h15

Helena Janeczek sur les traces de la mémoire TESSA PARZENCZEWSKI

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lle est née à Munich en 1964, de parents juifs polonais, rescapés. Mais Munich n’était pas vraiment sa ville. Elle écrivit quelques poèmes en allemand mais en 1983 elle s’installa en Italie et se réfugia dans une autre langue. Depuis lors elle écrit en italien. Les hirondelles de Montecassino est son troisième roman. De la bataille mythique de Montecassino qui dura quatre mois, détruisit l’abbaye et causa la mort de près de 50.000 personnes pour permettre aux alliés d’arriver à Rome, Helena Janeczek trace un récit épique, une vaste fresque, quasi cinématographique, une œuvre chorale, où des individus se détachent un instant de la masse, en proie à la peur ou héros d’un moment, entre les tensions de l’attente et la violence déchaînée. Mais sous les descriptions magistrales, le propos est tout autre. Car qui étaient-ils ces combattants ? Un incroyable patchwork de nationalités, des ÉtatsUnis aux antipodes, de la Pologne à l’Afrique… Et c’est là que l’auteure casse le récit. Les angles de vue se multiplient, présent et passé se bousculent. Nous sommes soudain plongés dans la société maorie, en Nouvelle Zélande, lorsque le petit-fils d’un combattant maori se rend à Montecassino pour une cérémonie d’hommage. Et le livre montre ses coutures, comme une distanciation voulue. Tout un chapitre

où Helena Janeczek explique ses recherches sur la civilisation maorie, la langue, les traditions. Mais dans ce roman foisonnant, les sujets abondent, se télescopent, se croisent. Et c’est peut-être la participation de l’armée polonaise du général Anders à ce combat qui a déclenché l’écriture du livre. Il y avait mille soldats juifs dans cette troupe dont apparemment un membre de la famille de l’auteure. Mais allez savoir… car les pistes sont brouillées et les personnages fictifs et réels se côtoient, dans une ambiguïté préméditée. Et dans un retour en arrière, nous assistons au sauve-qui-peut des Juifs fuyant la Pologne occupée par les Allemands pour rejoindre la zone occupée par les Soviétiques, où souvent ils se retrouveront prisonniers. Plus tard Helena Janeczek se rendra en Israël pour interroger une de ses cousines, violoniste, pour essayer de lui arracher des bribes, des fragments de mémoire pour compléter le puzzle. Et les questions affluent, la grande Histoire s’invite. Katyn, les marchandages de l’aprèsguerre, les motivations des com-

battants : Maoris espérant une reconnaissance de leur dignité de citoyens, Polonais croyant à une Pologne indépendante et qu’espéraient les troupes des colonies françaises ? Simple chair à canon ? Et l’aujourd’hui n’est pas absent. Deux jeunes gens, un italo-polonais et son copain indien, tout ce qu’il y a de plus bourgeois et branché, distribuent des tracts aux Polonais venus se recueillir au cimetière de Montecassino : À l’heure de la mondialisation, des citoyens polonais venus travailler comme ouvriers agricoles dans le sud de l’Italie disparaissent mystérieusement. Esclavage moderne, crimes de la mafia ? Il n’y a pas de réponse… Un roman touffu, rempli de points d’interrogation, aux rencontres improbables, comme lorsque le Maori prisonnier de guerre croise des déportés juifs, un roman sur l’identité aussi, celle de l’auteure, dont le nom Janeczek n’est que le faux nom porté par son père durant la guerre et qui lui a permis de se sauver, mais qui a enseveli le nom ancien. Un roman qui tient par une construction maîtrisée, ne craignant pas les ruptures de ton et qui sous les réflexions essentielles laisse aussi libre cours au romanesque. ■ Helena Janeczek Les hirondelles de Montecassino Traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli Éditions Actes Sud 375 p., 23,50 EURO

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lire Gertrud Kolmar (1894-1943)

que le regard de la narratrice « inflige » à chaque scène. Et notamment par l’obsessive description des couleurs. Le portrait de cette

(Des femmes rien que des femmes, épisode n°5) ANTONIO MOYANO

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hassons l’idiote fatigue avec de la musique, j’écoute Viktor Ullmann (1898-1944), son quatuor n°3, Op.46, oui, c’est de la musique écrite et jouée à Terezin, celle dont je veux vous parler a vécu les mêmes horribles années, quand elle fut assassinée à Auschwitz fin février ou début mars ‘43, elle avait 49 ans, c’est Gertrud Kolmar, en réalité elle s’appelait Gertrud Käthe Chodziesner, née à Berlin au sein d’une famille de la bourgeoisie juive assimilée. Son père était juriste. Elle était l’aînée de la famille, elle avait un frère, Georg et deux sœurs, Margot et Hilde. Ils quitteront l’Allemagne avant la Nuit de Cristal, elle restera auprès de son père. De son vivant, elle ne publia que trois recueils de poèmes, elle était fascinée par la Révolution Française. Mondes1, ce sont dix-sept poèmes qui font penser à des documentaires animaliers, la mythologie en prime ; j’ai dénombré 59 animaux mais j’ai tout coupé pour faire de la place. « Pour l’amour de ces animaux, purs et impurs ! » (p.55) « Car nous voulons partir loin des hommes./Ils sont mesquins et méchants, et leur mesquine méchanceté nous hait et nous tourmente. » Mondes, ce sont des poèmes comme de vastes tableaux, avec une palette aux couleurs luxuriantes, et impossible de tout saisir du premier coup d’œil. Une profusion autant lexicale que picturale, la faune, la flo-

re, la géologie, même un mot venu de l’alchimie de Paracelse : l’alkahest. Certes, j’étais ébloui par l’étrangeté de ces poèmes, mais sans les comprendre tout à fait, il m’a fallu un certain temps (faut-il que je sois sourd et aveugle) pour entrevoir qu’au cœur de chaque poème il y avait… Une femme, oui, des figures de femmes ; estce toujours la même ou des réminiscences ? Des réincarnation ? Et dans chacune une invite à la méditation. « Dans le coin de la pièce, j’étais alors assise sans lampe, fatiguée du jour, emmitouflée, entièrement livrée à l’obscurité » (p.19) « Qu’avez-vous à me réprimander ? Qu’avez-vous à vous moquer de moi/Parce que mon monde est (…) peuplé de petites chose sans gloire, de tâches insignifiantes » (p.37) « Je suis morte peut-être/Bien avant ma mort. » (p.91) « Que par la porte close sans bruit entre/un enfant./Le seul qui m’était destiné et que je n’ai pas enfanté. » (p.113) « Des ténèbres je viens, une femme./Je porte un enfant et ne sais plus de qui ;/Autrefois, je l’ai su. » (p.67) Dans les deux derniers poèmes, s’affrontent deux figures de peintre que tout oppose : l’un se contente platement (ou courageusement ?) du réel tel qu’il s’offre à sa vue : il peint « le saule qui pendait sans feuilles ». L’autre trace un paysage livide « sans couleurs, sans âme, sans voix » mais comme par un prodige, un nuage esquissé sur la toile « descendit et l’enveloppa, la

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souleva et l’emporta ». Malheureusement, là git le rêve ou l’espoir car dans la sinistre réalité du nazisme, Gertrud Kolmar ne put se sauver. En 1930, elle écrit un roman : La Mère juive2 (qui ne sera publié en Allemagne qu’en 1965). Les relations humaines sont décrites avec une froideur et un style éloignant tout sentimentalisme. Une mère, Martha Jadassohn (juive, sans famille, veuve, solitaire, exerçant le métier de photographe portraitiste d’animaux) tue Ursula sa fillette de cinq ans, comme pour la soulager d’un trop plein de souffrance insurmontable, craignant que celle-ci soit « inguérissable » après le viol dont elle a été victime par un individu que personne, semble-t-il, ne cherche à démasquer. Martha, hantée par la petite morte, cherchera à se venger, et ne pouvant parler à personne de sa culpabilité, la mère va aller de rencontre en rencontre dans l’incapacité de « recommencer » sa vie. Jusqu’au moment où elle décide de… Tout le long du livre, le lecteur sera saturé par les couleurs alors même que la matière du livre flotte dans une grisaille psychique. Ici règnent l’indifférence et la cruauté, personne ne se soucie d’arrêter celui qui a profané l’innocence. Et de même, personne ne peut ou ne veut entendre le récit inavouable de la mère. La force du livre tient autant à l’intrigue (va-t-elle trouver le criminel ?) qu’à la stylisation

mère c’est aussi la figure de la juive assimilée telle qu’elle apparaît également dans l’œuvre d’Irène Némirovsky (1903-1942). « C’était encore une histoire de la Bible qu’elle voulait raconter à Ursa. Elle avait parfois pensé que son enfant devait recevoir sa foi à la maison, non à l’école. » (p.110). « À vrai dire, elle savait à peine que la foi de ses pères était en elle depuis sa naissance comme une part d’elle-même, qu’envisager seulement de la perdre n’aurait aucun sens et qu’elle n’était plus en mesure de s’acharner à se mutiler. » (p.111). « Pourtant, le peu d’hébreu qu’elle avait connu était anéanti depuis longtemps, perles de verre dans un petit sac percé qu’elle possédait quand elle était enfant. » (p.141) Gertrud avait déjà 11 ans à la naissance de sa plus jeune sœur Hilde qui se réfugia en Suisse en 1938 avec son

mari et leur fille. C’est à sa jeune sœur qu’elle adresse toutes ces Lettres3. Gertrud Kolmar avait un excellent feeling avec les enfants, elle avait fait des études d’éducatrice à Leipzig. Jamais elle n’oublie d’accompagner chacune de ses lettres d’un petit supplément spécial pour sa nièce. Et bien souvent, elle lui écrit directement, y allant d’un souvenir de sa propre enfance ou d’un conte, une historiette pour égayer l’enfant, avec humour et fantaisie. Car ce qui caractérise Gertrud Kolmar c’est la retenue, jamais elle ne se plaint, elle endure, prenant le parti pris de la gaieté même passagère, refusant les jérémiades. Dans une lettre du 26 janvier 1943, elle écrit : « Je me suis demandé comment cela se fait que la plupart des hommes ne sont pas capables de se constituer d’assez grosses réserves de joie, de bonheur, dont ils pourraient vivre aux jours de manque, de sécheresse. » De ses propres peines ou soucis, elle reste toujours plus que discrète. Dans une lettre du 2 juin 1941. elle dit : « Moi au contraire, je ne me sens de proximité qu’avec le passé, c’est ce qui m’arrive aujourd’hui qui est irréel et lointain pour moi. Si je ne rêve pas vraiment, je ne suis pas éveillée pour autant. Je me promène comme dans un monde intermédiaire… » Cette tendresse vers l’enfant de sa plus jeune sœur est poignante, elle qui fait figure de « vieille fille » sans mari et sans enfant. On raconte qu’en 1916, éprise d’un officier, elle tomba enceinte, et dût avorter à contrecœur ; quelque temps après elle tenta de se suicider. La thé-

matique de la maternité « réussie ou défaillante » est omniprésente chez elle. La lettre du 29 janvier 1940 est à épingler : elle a l’occasion de visiter l’ancienne maison où ils vivaient tous ensemble. « Sous le vieil auvent, la cloche manquait, la porte était grande ouverte et à l’entrée, une pancarte indiquait : « Commissariat de police ». Je réfléchis quelques instants, puis j’entrai. » (p.100), et p.102 : « Pour bien des gens, ce genre de périple a pris le sens d’un « pèlerinage », d’un « retour au paradis perdu ». Ce ne fut pas le cas pour moi…. » Soumise au travail obligatoire, travaillant 6 jours par semaine, devant se lever à 4h du matin, c’est dans l’usine de cartonnage qu’elle tombe amoureuse. « …et à penser que j’irai, moi, la femme d’un certain âge, à la pêche aux jeunes hommes, j’ai l’âme retournée. » (p.242) Susanna4, écrit pendant l’hiver 1939, est un bref récit tiré sans doute de sa propre expérience de préceptrice auprès d’enfants perturbés mentalement. Susanna vit dans son monde, et chez elle, les mots comme les choses révèlent une réalité invisible aux noninitiés. À travers Susanna on touche à vif le talisman/le drame de la poésie : Susanna est éclatante de beauté mais sa fêlure n’est pas détectable du premier coup d’œil. ■ Mondes, édition établie, postfacée et traduite de l’allemand par Jacques Lajarrige. Seghers, 2001. Collection Autour du monde. 151pages. Édition bilingue. 2 La mère juive, traduit de l’allemand par Claude-Nicolas Grimbert, Christian Bourgois éditeur, 2007. Collection Titres. 40, 249 pages. 3 Lettres, traduit de l’allemand par Jean Torrent, Christian Bourgois éditeur, 2007. Collection Titres. 39, 315 pages. 4 Susanna, traduit de l’allemand par Laure Bernardi, Christian Bourgois éditeur, 2007. Collection Titres. 41, 83 pages. 1

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regarder Bohèmes. De l’histoire de l’art au devoir de mémoire ROLAND BAUMANN

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u Grand Palais, l’exposition Bohèmes : De Léonard de Vinci à Picasso questionne la « bonne fortune » des Bohémiens dans l’histoire de l’art occidental et l’indéniable fascination que ces « estrangers du pais d’Egypte », ont exercé sur les artistes depuis leur apparition en Europe de l’Ouest à la fin du Moyen Âge, alimentant tous les fantasmes d’une vie intense et sensuelle, en marge des contraintes de la société établie, et ne cessant d’inspirer les jeunes créateurs partisans de la liberté de l’art, en révolte contre les règles et les académies. Exposition d'art à vocation multidisciplinaire, Bohèmes évoque l’imaginaire de la figure du Rom dans les Beaux-Arts ainsi que la révolution du statut de l’artiste associée à l’essor de la bohème parisienne au XIXe siècle. Comme le précise Robert Carsten dans la présentation de sa scénographie, « l’exposition a en apparence deux axes différents, mais qui relèvent au fond d’un même thème central : la notion de la liberté, partagée par l’artiste et le Bohémien. Nous avons d’un côté les Bohémiens représentés par les artistes dans leurs oeuvres, et de l’autre la volonté des artistes d’adopter dans leur comportement une certaine liberté, celle que les Bohémiens revendiquent, loin d’une vie bourgeoise. Cela produit deux

visions romantisées de la bohème et des Bohémiens, loin d’une réalité qui, dans les deux cas, est totalement différente. » Le visiteur découvre donc d’abord une grande galerie d’oeuvres inspirées par les « vrais » Roms et groupées selon différentes thématiques (La Vierge et l’Égyptienne, La diseuse de bonne aventure, les Gitans romantiques...) montrant la traversée de l’espace européen par les représentations, le plus souvent peintes, de « Bohémiens » dans l’histoire de l’art de 1493 à 1910. L’escalier monumental, évoquant celui de l’Opéra, est consacré à la musique, au spectacle et à la fiction littéraire. Axe central de l’exposition, il met en valeur le traité Des Bohémiens et de leur musique en Hongrie de Liszt, ainsi que ces figures emblématiques de la beauté et de l’exotisme, l’Esmeralda de Victor Hugo, et la Carmen de Mérimée et Bizet. L’étage de l’exposition montre la mise en place du mythe de la bohème. C’est l’univers intérieur du bohémianisme, des jeunes artistes qui, comme Gustave Courbet, choisissent de vivre loin des codes moraux de la bourgeoisie. Divisant l’espace en une série de petites salles, la scénographie présente tour à tour la mansarde de l’artiste romantique, son atelier de « peintre maudit », la vision littéraire et musicale des Scènes de

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la vie de bohème d’Henry Murger et de son adaptation par Puccini. Y succèdent une vision intimiste de la bohème littéraire de Verlaine et Rimbaud, puis l’explosion de la vie artistique bohémienne à la Belle Époque des cafés et cabarets de Montmartre, tel le Lapin-Agile, immortalisé en peinture par Picasso. L’exposition se termine enfin dans un couloir étroit par la série de lithographies en couleur de L’album tsigane d'Otto Mueller, peintre expressionniste dont des oeuvres furent exposées dans l’exposition d’art « dégénéré » (Entartete Kunst) organisée à Munich en 1937. Comme l’explique Sylvain Amic, commissaire de l’exposition : « Les artistes sont condamnés par les nazis à ne plus exercer tandis que les Tsiganes seront déportés et exterminés. 1937 est le moment de la condamnation d’un peuple et de sa représentation. Il ne faut pas oublier cette image très forte du Juif errant, apatride, si proche de celle des Bohémiens, tous seront confondus dans un même rejet. » La « vraie » vie des Roms n’était pas celle que représentaient les peintres et les écrivains, pas plus que la vie de bohème. Après avoir fait voyager et rêver le visiteur avec des représentations qui ne sont que des fantasmes, l’exposition se termine donc par ce retour brutal à la réalité historique, celle du génocide... Tout

Amic, le bohémianisme reste une valeur commerciale redoutable, produit de la commercialisation extrême du Bohémien légendaire qui incarnait la liberté, la mobilité, le détachement du sol, de la maison et des contraintes matérielles : « Tout le monde adhère à cette image du nomade qui renvoie à l’homme primitif, à l’homme libre, autant qu’à celle du dandy qui se joue des règles, bonnes Gustave Courbet. La bohémienne et ses enfants (1853seulement pour les 1854) © Collection privée autres. Mais c’est en faisant remarquer que « l’étude un nomadisme sans dangers, des migrations montre que ceux avec téléphone portable et conque l’on a appelé Bohémiens ont nexion 3G. » Comme le note l’historienne été bien plus sédentaires qu’on ne croit » Sylvain Amic conclut : « la Henriette Asséo, dans sa contribuquestion des Bohémiens remet en tion au catalogue de l’exposition, avant celle des Roms, de l’altérité l’histoire des Roms et Sintis en et de la tolérance. Il y a là un en- Europe occidentale est pourtant jeu important pour la société. bien documentée. Comme beauNous aimons les mythes, mais il coup d’autres réfugiés chrétiens faut avoir le courage de les tra- des petits royaumes gréco-balverser pour atteindre la réalité, kaniques et du Levant, ils sont car c’est une des conditions de la contraints à l’exil par la poussée réconciliation. En passant en re- ottomane. En Italie et en Espagne, vue des siècles de représenta- la plupart s’intègrent aux populations pour déboucher in fine sur tions urbaines. En Europe centrale, une froide vérité historique, c’est placés sous patronage seigneuce que propose d’une certaine fa- rial, leurs villages sont intégrés à l’économie locale. Cette situaçon cette exposition. » Ainsi, après avoir flatté les tion change ensuite. Mesures displaisirs esthétiques du visiteur, criminatoires et édits d’expulsion cette exposition d’art qui se multiplient. Assignés à résiaccumule les chefs-d’oeuvres dence dans un nombre limité de de l’art occidental se termine en localités, tous les Gitans du roynous confrontant au néant... Nous aume d’Espagne sont l’objet incitant à honorer la mémoire des d’une Grande rafle (Gran Redada Roms et Sintis victimes du géno- de Gitanos) en 1749. Spoliés, cide nazi. Fin de l’exposition d’art condamnés aux travaux forcés, ils et de son imaginaire « séduisant », ne sont relaxés qu’après 1762... même si, comme le remarque S. En 1910-1930, la plupart des

États européens adoptent des législations imposant à leurs citoyens roms un régime administratif d’exception sur base d’enregistrement dans des fichiers. Le génocide sera donc facilité par la mainmise des services de Himmler sur ces fichiers nationaux, en Allemagne puis en Europe occupée. En Allemagne nazie, les Roms persécutés continuent pourtant de vivre à l’écran. En 1940-1944, Leni Riefenstahl tourne le film Tiefland dans lequel elle joue le rôle de l’héroïne, Martha, jeune danseuse nomade. Plus d’une centaine de Roms réquisitionnés pour le tournage seront ensuite pour la plupart gazés à Auschwitz. Paradoxes d’une politique culturelle nazie qui finance ce mélodrame sur une danseuse « tsigane » à l’heure du génocide... Le 16 décembre 1942, Himmler décide le transfert à Auschwitz-Birkenau des Roms et Zigeunermischlinge du Grand Reich... C'était il y a septante ans. Après 1945, à l’Ouest comme à l’Est, l’effacement de la mémoire collective a été total. Dans les pays du bloc communiste avant 1989, 95% des Roms sont ouvriers d’usine ou travailleurs agricoles. La transition ultralibérale aggrave ensuite la paupérisation générale et l’exclusion. H. Asseo conclut : « Aujourd’hui, dans une Europe qui doit surmonter son amnésie, cette présence pluriséculaire et le sacrifice des générations passées devraient garantir une citoyenneté de plein exercice, et sauver ainsi de la disparition un patrimoine culturel qui a irrigué au fil des siècles bien des aspects de la culture occidentale. » ■ Exposition Bohèmes Grand Palais, entrée Clemenceau jusqu’au 14 janvier 2013, tous jours sauf mardi 10-20h (Me 10-22h) http://www.grandpalais.fr/grandformat/ exposition/bohemes/La Bohémienne

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mémoire(s) Berlin 2012 JACQUES ARON

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ruxelles-Berlin, une heure dix minutes. Une autre histoire et pourtant la nôtre. Pour le meilleur et pour le pire. Voici vingt ans environ que je n’avais plus vu la capitale de l’Allemagne, après l’avoir parcourue de chaque côté du Mur et puis réunifiée. Toujours avec des

rant et presque banal : un jeune Allemand dans la cinquantaine, enseignant, invite un Juif de son âge à rencontrer ses lycéens. Entre acceptation polie et refus irrité, comment répondre à cette demande ? Un Juif en Allemagne, 70 ans après la guerre, n’est pas encore l’homme tout à fait ordinaire qu’il aspire à être enfin. « Un Juif

pour l’Amitié judéo-chrétienne. Les rhinocéros, on les regarde au zoo, les Juifs on les invite en classe. ». Le rhinocéros est sur la couverture du livre, la kippa posée de travers entre les oreilles. Je me rends au premier grand colloque en hommage au philosophe « pas du tout ordinaire » Constantin Brunner, à l’occasion du

Herbert Baum, vers 1935. Source : Jüdische Geschicte in Berlin, Hentrich 1995

libéral allemand. Et cependant, comme l’indique d’entrée de jeu Frank Mecklenburg, conservateur de ces archives à New York, le moment d’écrire enfin l’histoire telle que ses acteurs l’ont faite et vécue, n’est pas encore venu : les césures et les censures de la guerre froide, les clivages profonds de l’Ouest et de l’Est, de la gauche et de la droite, etc., n’appartiennent pas encore au passé. À Berlin, le temps des règlements

Photos J. Aron

sentiments partagés. J’emporte pour l’avion le bref récit d’un auteur suisse : Un Juif tout à fait ordinaire, monologue d’un règlement de comptes.1 Thème cou-

tout à fait ordinaire en Allemagne — c’est comme un rhinocéros noir tout à fait ordinaire en Afrique. Une contradiction en soi. Nous sommes devenus trop rares, nous autres rhinocéros. On nous a longtemps chassés et abattus. On est devenu un cas rare pour les amis des animaux. Pour Greenpeace et l’association

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150e anniversaire de sa naissance et du 75e de sa mort en exil à La Haye, 4 ans après l’arrivée au pouvoir d’Hitler. Philosophe juifallemand par excellence, entre la Torah et ses prophètes, Spinoza et Hegel. Qui n’a donc pas encore trouvé sa place. Colloque opportunément organisé au Musée Juif pour l’homme dont les archives sont enfin rassemblées à la Fondation Leo Baeck, principal lieu de mémoire du judaïsme

de comptes politiques se mesure encore à chaque pas. Le plus âgé des participants à la rencontre, le philosophe Hans Goetz, excellent connaisseur de la pensée du « maître », avait 17 ans quand son père fut arrêté après la Nuit de Cristal. De nationalité danoise, il fut heureusement libéré ; la famille quitta aussitôt le pays pour Copenhague où il vit encore. Tout tient encore dans une vie d’homme. Berlin parle encore de tout cela, mais à condition de savoir en rassembler les traces éparses, décrypter les indices, relier ces fragments de mémoire dispersés. Il aura fallu un demi-siècle à des chercheurs dévoués et consciencieux, venus ici d’Allemagne, des Pays-Bas, d’Autriche, d’Israël et des États-Unis, pour que l’œuvre du philosophe soit à nouveau accessible (essentiellement en allemand) et diffusée, mais elle mettra sûrement plus longtemps à atteindre un large public, non seulement parce qu’elle est difficile et exigeante, mais surtout parce qu’elle requiert la connaissance d’une société en grande partie disparue ; « Brunner en contexte »,

le titre du colloque, lui convenait particulièrement bien. Se promener dans Berlin, c’est mesurer non sans angoisse l’accélération du temps moderne, des jeunes générations jetées, vague après vague, dans un présent sans cesse renouvelé, sans les repères que Brunner cherchait précisément dans le temps long de la philosophie, dont les quelques vérités fondamentales lui semblaient immuables. Illusion ou réalité ? la question mérite encore d’être posée. Je me promenais Lindenstrasse, dans une section récemment rebaptisée rue Axel-Springer (à Berlin, la valse des noms donnerait aisément le tournis), lorsque mon attention fut attirée par un homme et une femme agenouillés devant deux « Stolpersteine », pavés de métal destinés à vous faire « trébucher » sur un nom oublié, dont ils nettoyaient soigneusement la patine. Sur le mur voisin, quelques photos, plans et inscriptions rappelaient une synagogue disparue. L’homme dit simplement : « un jeune couple de résistants communistes ». Je lus : Lotte et Siegbert Rotholz. Elle, morte en déportation à Auschwitz, lui, exécuté le 4 mars 1943. En effet, à cette date, un avis officiel placardé sur les murs de Berlin informait la population que : Les condamnés à mort le 10 décembre 1942 par le tribunal du peuple, pour tentatives de haute trahison et d’assistance à l’ennemi Heinz Israel Rotholz, 21 ans, Heinz Israel Birnbaum, 23 ans, Lothar Israel Salinger, 23 ans, Helmuth Israel Neumann, 21 ans, Siegbert Israel Rotholz, 23 ans, Hella Sara Hirsch, 21 ans,

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➜ 1922 après l’assassinat de Walter Rathenau ; il reste aussi un monument collectif dans le plus grand cimetière juif d’Europe, à BerlinWeissensee. La rue qui y mène porte le nom d’Herbert Baum. Une rencontre tout à fait fortuite et émouvante m’avait rappelé ces faits : deux pavés à l’endroit où le couple Rotholz habitait. De la synagogue libérale voisine située à l’arrière d’une imposante construction de 1891, aujourd’hui disparue, il reste une autre trace aussi modeste : quelques rangées de bancs occupant leur emplacement d’origine, dans le plus grand respect du voisinage. Des témoins qui gardent à mes yeux plus de valeur que ces vastes mémoriaux envahis de touristes d’un jour. ■

est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août) L’UPJB est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente) Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski Ont également collaboré à ce numéro : Roland Baumann Pascal Fenaux Larissa Gruszow Julie Antonio Moyano

Stèle au Lustgarten. Photo J. Aron

Hanni Sara Meyer, 22 ans, Marianne Sara Joachim, 21 ans, et Hildegard Sara Loewy, 20 ans, tous de Berlin, ont été exécutés aujourd’hui. Berlin, le 4 mars 1943. Le procureur général du Reich près le tribunal du peuple. Tous ces jeunes faisaient partie de ce que l’on appelle aujourd’hui le « Groupe Herbert Baum », le plus âgé d’entre eux. Membre des Jeunesses communistes depuis 1934, cet électricien et sa femme, travailleurs forcés depuis 1941 dans une usine d’armement de Siemens, organisèrent autour d’eux un groupe de résistants contre leurs conditions de travail d’abord, puis décidèrent d’une action d’éclat en plein centre de la ville ; ils mirent le feu le 18 mai 1942 à une exposition de propagande, « Le Paradis soviétique ». Herbert Baum mou-

rut au cours d’un interrogatoire. Sa femme et 26 autres membres du groupe furent arrêtés et exécutés. Comme un décret l’avait déjà institué le 17 août 1938, chaque Juif se voyait imposé comme second prénom « Israël », et chaque Juive, « Sara ». Le 30 mai 1942, Eichmann annonçait à l’Association des Juifs, qu’en représailles à cette attaque contre l’exposition, à laquelle 5 Juifs avaient pris part, cinq cents Juifs avaient été arrêtés, la moitié exécutée, l’autre moitié emprisonnée dans un camp pour servir d’otages en cas de récidive. En commémoration de l’acte qui entraîna leur arrestation, il reste une stèle au Lustgarten, ce jardin public où des dizaines de milliers de Berlinois avaient manifesté en

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Charles Lewinsky, Ein ganz gewöhnlicher Jude, 2009, édition française 2011, Édition du Tricorne, Genève, traduit par Marion Serre.

Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB.

Monument au cimetière de Weissensee.

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mémoire(s) Les vies d’Efraïm Wuzek LARISSA GRUSZOW

C’est en ce mois de décembre que doit paraître, aux éditions Syllepse, le livre Combattants juifs dans la guerre d’Espagne – La compagnie Botwin. Il s’agit des souvenirs d’Efraïm Wuzek (1904-1998). La fille de l’auteur, notre amie Larissa Wuzek-Gruszow, membre de l’UPJB, a rédigé l’avant-propos de l’ouvrage où elle retrace le parcours peu banal de son père, de Pologne en Palestine avant l’engagement en Espagne dans les rangs des Brigades internationales. Nous vous présentons ici, en « bonnes feuilles », un extrait de ce texte. Nous ne pouvions pas, dans un espace restreint, reproduire toutes les notes en bas de page figurant dans l’ouvrage. Avec l’autorisation de Larissa, nous n’avons gardé qu’une petite partie de ces notes (raccourcies), celles qui sont indispensables à la bonne compréhension du texte. Nous vous avons présenté, dans la précédente édition de Points critiques, les « bonnes feuilles » des souvenirs d’Efraïm Wuzek en Espagne.

E

fraïm Wuzek (19041998), mon père, est l’auteur des Souvenirs d’un Botwinnik. Ce texte en langue yiddish, publié ici en français, relate son engagement volontaire dans une compagnie juive des Brigades internationales et l’épopée tragique de la guerre civile espagnole, de 1936 à 1939. Les quelque deux cents volontaires de la compagnie juive Botwin1, créée au sein de la brigade internationale polonaise Dombrowski, ont constitué une partie seulement des 5.000 à 6.000 Juifs enrôlés dans les Brigades. Ce qui caractérisait la Botwin était d’être composée majoritairement de volontaires issus de divers pays d’Europe centrale dont le yiddish était la langue maternelle qu’ils retrouvaient avec émotion en tant que véhicule courant de communication en arrivant en Espagne. Comme la compagnie Botwin fut créée près d’un an après les pre-

mières brigades, de nombreux volontaires juifs préférèrent poursuivre le combat dans leurs unités nationales respectives. De plus, certains se sentaient plus proches des compagnons originaires du même pays qu’eux. Ainsi, tous ces Juifs contribuèrent, parmi les trente-cinq à quarante mille volontaires issus de plusieurs dizaines de pays, à la tentative désespérée du sauvetage de la jeune République espagnole, victime du coup d’État militaire (pronunciamento) du général Franco du 17 juillet 1936. Une participation juive qui, proportionnellement au nombre des non-Juifs des Brigades internationales, fut impressionnante. Elle avait son origine, comme cela a été maintes fois souligné, dans une double motivation spécifique aux volontaires juifs. D’une part, une plus grande politisation de la minorité juive européenne, en raison de mouvements sociopolitiques très actifs notamment en Pologne et en Ukraine, ins-

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crits dans le combat contre l’antisémitisme, dans une perspective de justice sociale ; ce qui explique une réaction exacerbée de nombreux Juifs contre le projet social des franquistes. D’autre part, les volontaires juifs voyaient dans leur participation aux Brigades, le moyen concret de démontrer au monde les mensonges des préjugés antisémites les plus communs favorisés par l’expansion du nazisme. Au cours de son récit, Efraïm insiste d’ailleurs beaucoup sur le courage et la témérité de ses camarades au cours des combats. Il précise aussi leur origine sociale qui est souvent défavorisée. Il accorde par ailleurs une importance particulière au soutien moral qu’exercent certains volontaires, gradés ou simples combattants, sur les membres de la compagnie Botwin. Par contre, Efraïm Wuzek lui-même reste dans l’ombre de son récit, peut-être en raison de sa fonction modeste d’intendant

au sein de la compagnie Botwin. Pour autant, à l’instar de la plupart de ses compagnons de route, la vie de mon père fut hors du commun. Elle fut celle d’individus prêts à offrir leur vie pour l’accomplissement de leurs idéaux, orientés vers l’élimination de l’« exploitation de l’homme par l’homme » ainsi que vers l’abolition de l’antisémitisme, porteur à l’époque d’un projet judéocidaire en Europe. Pour tenter d’y parvenir, Efraïm et d’autres adhérèrent « corps et âme », successivement au sionisme de gauche puis, lorsqu’ils constatèrent que la terre de Palestine n’était pas simplement une terre sans peuple offerte à un peuple sans terre, au communisme, puis à son prolongement stalinien. D’autres encore rejoignirent directement le mouvement communiste. Après de longues années de loyaux services à de cette idéologie à laquelle ils crurent « aveuglément, comme un Juif religieux croit en Jahvé », vint le désenchantement et le sentiment d’horreur lorsqu’ils apprirent, de façon irréfutable, au seuil de leur vieillesse, les agissements criminels perpétrés en leurs noms par des régimes qui s’étaient arrogés un pouvoir absolu. Pour évoquer le parcours d’Efraïm Wuzek, je me suis fondée essentiellement sur plusieurs cahiers de souvenirs et de réflexions rédigés par lui en polonais alors qu’il avait entre soixante-dix et soixante-quinze ans. Il m’a dédié ces textes, preuve d’un attachement à mon égard que je ne soupçonnais pas au cours de notre vie familiale d’après guerre, si durement mise à l’épreuve par les traumatismes vécus pendant le

judéocide nazi.

ENFANCE ET ÉVEIL À LA POLITIQUE (POLOGNE, 1904-1922) Efraïm voit le jour en 1904 en Pologne à Wloclawek, un gros shtetl2, au sein d’une famille nombreuse, juive pratiquante. (…) Après avoir terminé l’école primaire, vers quatorze ans, Efraïm commence à travailler dans divers ateliers, tout en étudiant le soir et en lisant la nuit des ouvrages sociopolitiques et philosophiques. Il continuera d’étudier tout le long de sa vie et accumulera une grande quantité de connaissances. Mais il restera, me semble-t-il, un autodidacte auquel manquera, peut-être, la capacité d’analyse critique indispensable à une réflexion méthodique. Bien qu’Efraïm ne le précise pas, il est probable que son entrée précoce dans le monde du travail était rendue nécessaire pour contribuer aux ressources de sa famille dans la mesure où il en était l’aîné et que les écoles secondaires étaient à l’époque payantes. La Première Guerre mondiale prend fin et la Pologne devient indépendante après de nombreux partages entre les puissances voisines. Mais ce retour à la liberté réveille dans le pays des mouvements nationalistes, soutenus par l’Église catholique qui bénéficie d’une grande influence auprès de la population. Ces mouvements se déchaînent contre les Juifs. « Dans la Pologne indépendante de 1918, les membres du groupe de Haller3 arrachent les barbes des Juifs, organisent des pogromes, crient “chacun chez soi”. Je me suis senti étranger. J’ai com-

pris la vie – ils ne nous aimaient pas ; et pourtant, nous voulions être égaux… » Dans le même temps, Efraïm s’insurge contre la situation de pauvreté de la majorité des Juifs de sa bourgade, qui par leurs traditions et vêtements différents, s’attirent les quolibets des Goïm4. « Je souffrais terriblement de voir que la majorité des Juifs de notre petite ville, des tailleurs, des cordonniers, des ferblantiers, des petits commerçants, bien qu’ils se tuent au travail, habitent à l’étroit et il fait sale chez eux. Ils sont isolés des Goïm, tandis que ceux-ci les traitent de « vauriens » et leur jettent des pierres. Il y avait bien chez nous quelques riches, mais ceux-ci étaient assimilés et nous fuyaient. » Il s’entoure alors de jeunes révoltés à son image. « Le slogan de notre groupe était : ne pas avoir peur ; une pierre lancée contre nous, dix pierres en retour ! S’habiller comme tout le monde ! Égalité des droits ! Comme un missionnaire, j’attirais les jeunes vers mes idées, vers notre pays. Retournons travailler là-bas, créer un peuple sain ! » En 1918, le groupe d’Efraïm adhère au mouvement de la jeunesse sioniste de gauche, d’orientation marxiste Hashomer Hatzaïr (« La Jeune Garde ») dont il devient le secrétaire. L’idéologie de l’Hashomer cherche à répondre aux attentes des jeunes articulant leur judéité à leurs convictions sociales. L’extrait suivant du journal de l’Hashomer,

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➜ édité à Vienne et en Galicie en 1917 témoigne du caractère romantique de cette quête :

« Nous avons été éduqués au coeur de la Diaspora, mais notre but est de devenir les gardiens du Pays d’Israël. Notre objectif : créer une jeunesse hébraïque libérée de la peur, aspirant à la liberté et la renaissance. Au coeur de la nature, dans les champs et les forêts, nous nous éveillerons à une nouvelle vie, loin de la dégradation de l’exil. Nous aimons le travail car c’est en son sein et seulement en lui que nous créerons notre futur. » Cette « sanctification » laïque du travail agricole constitue un levier puissant pour préparer Efraïm et ses camarades aux rudes conditions du labeur qui les attend en Palestine. En revanche, pas un mot sur les habitants arabes de ce pays convoité…

L’ARRIVÉE EN PALESTINE En septembre 1922, Efraïm qui vient d’avoir dix-huit ans se rend illégalement en Palestine avec cinq camarades : « Nous partions, sans visas ni argent, vers le but de nos rêves et de l’idéal de nos vies. » L’entrée illégale de nombreux sionistes en Palestine était à l’époque chose courante. En effet, le nombre de candidats à l’aliya5 était de loin supérieur aux limites de l’immigration légale fixées par le Royaume-Uni, conformément à la déclaration Balfour de 1917. Rappelons que l’Angleterre assumait depuis la chute de l’Empire ottoman et le traité de Versailles (1918) le mandat politique sur le territoire palestinien. Rappelons aussi que les limitations à l’immigration juive avaient pour but – jamais atteint – de réduire le mécontentement de la popula-

tion arabe face à l’installation sioniste en Palestine. À son arrivée, Efraïm est jeune et romantique, comme il le dit de lui-même : « Ma philosophie consistait à vouloir créer un peuple sain sur notre terre ancestrale ; le travail est une activité divine ; notre philosophie : un peuple sans classes, sans exploitation ; la création de communes à la campagne et dans les villes… La famille traditionnelle a vécu ; elle sera remplacée par l’amour libre ; les enfants appartiennent à tous… » Il s’arrête dans une communauté de Galilée, au pied du Mont Tabor, où il fait partie d’un groupe qui travaille au terrassement de terrains destinés à la construction de routes. Ce type de travail était basé, à cette époque, sur des contrats conclus par le Yishouv6 avec les autorités britanniques. Efraïm précise qu’il vit dans une colonie d’agriculteurs dans laquelle travaillent aussi, manifestement à son étonnement, des Arabes. Plus loin, il en parle comme d’un kibboutz, mais il pourrait aussi s’agir, puisque nous sommes dans la « période des routes » de l’histoire de l’implantation sioniste, d’une kvutza (groupe), une des premières formes de vie communautaire des immigrants juifs. Efraïm remarque dans ses Cahiers combien les conditions de vie, très rudimentaires, et de travail, sans matériel approprié, étaient extrêmement pénibles, sans même évoquer le climat ! En dépit de ces difficultés, il reste optimiste : « J’aimais le travail, j’aimais les gens du kibboutz, j’aimais la liberté sur la terre de ma patrie… » Dans le même temps, il est frappé par le statut des Arabes : « Les Arabes sont extrêmement pauvres, sales, j’en avais pitié. Lorsque je réfléchissais plus, je me

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demandais si les Arabes accepteront de vivre dans les communautés. » Mais Efraïm demeure confiant : « Nous évoluerons, nous développerons le pays où nous serons la majorité et organiserons des kibboutzim partout, pour les Juifs et les Arabes. » Cependant, après quelque temps, il se lasse des tensions entre les membres de la communauté, « des disputes, des jalousies sur le plan sexuel ». Pour y échapper, après les heures de travail et malgré la fatigue, il lit et réfléchit à d’autres formes de vie en commun. Finalement, Efraïm quitte ce groupe et s’arrête dans plusieurs communautés agricoles, toujours en Galilée, où il travaille, de préférence, comme berger. Malgré ses déceptions successives, il reste convaincu que seul un environnement de vie communautaire créera « le Juif nouveau dans une société socialiste et démocratique ». Il continue donc à chercher et arrive à la conclusion que « la solution réside dans des ensembles de communautés ayant des relations entre elles et étant dirigées par un noyau central bien structuré ». Efraïm a probablement appris l’existence du réseau Gdoud Haavoda (ou Gdoud)7. Le projet du Gdoud, dont le programme date de juin 1921, émane d’un groupe de jeunes immigrants de la même aliya que celle d’Efraïm, la troisième (1918-1923), parmi lesquels se distingue un nombre marquant venant de la Russie post-révolutionnaire, qui « mêle l’esprit pionnier au socialisme le plus pur ». « Les kibboutzim du réseau Gdoud, écrit encore Efraïm avec une admiration évidente, sont des ensembles bien organisés, localisés tant dans des zones rurales que dans les grandes villes, tel-

les que Jérusalem, Haïfa, Tel-Aviv, comptant environ 2.000 à 3.000 membres en tout. Ceux-ci ont entre dix-huit et trente ans (environ 65 % sont des hommes). Partout, il y a des maisons d’enfants, des crèches qui les élèvent de la naissance à l’âge scolaire ; certaines filiales8 ont même des écoles. »

VOLONTÉS SOCIALISTES ET VOLONTÉS NATIONALISTES Efraïm entre en 1924 dans l’une des communautés emblématiques du réseau Gdoud, le kibboutz agricole Tel-Yosef, situé en Galilée – sa région de prédilection – , et dont les membres « qui viennent en grande partie de Russie, débattent de la réalité soviétique ». Il participe à toutes les tâches, mais son activité préférée est toujours l’élevage des chèvres : « Cette grande communauté me poussait à réfléchir sur le monde environnant, les habitants des villes, l’occupation britannique, les paysans arabes et leurs villages… En effet, comme berger, toute la journée à l’extérieur, j’avais le temps de lire, d’approfondir mes connaissances, d’engranger des expériences ; je restais un idéaliste, prêt à tout consacrer pour atteindre mon but qui était que l’Homme soit bon, que les États soient unis, mon peuple heureux et normal comme tous les pays du monde. Je croyais que l’Homme peut être bon, il suffit qu’il le veuille […]. Mais la vie dure que nous menions dissipa tous mes rêves… L’existence dans ce kibboutz me devint, à son tour, insupportable. Trop de chahut, de désordre, d’approches contradictoires sur la vie, les idées. Je me retrouvais à nouveau à un carrefour de ma vie. »

Des raisons politiques bien précises, qui suscitent encore aujourd’hui l’intérêt des historiens, occasionnèrent ces bouillonnements d’idées au sein du Tel-Josef et de l’ensemble du Gdoud, jusqu’à son démantèlement. Toutefois, Efraïm ne les évoque pas. En fait, ce réseau, qui impliquait un degré élevé de propriété et d’organisation financière collectives ainsi qu’une transparence des décisions et de la gestion financière entre les différents kibboutzim et les différents services de sa direction générale, bénéficia à ses débuts du soutien du Parti travailliste, le Ahdout Haavoda (« Unité du travail ») dirigé par Ben Gourion. Ce soutien favorisa le décollage du Gdoud, grâce à la position dominante des travaillistes au sein du Yishouv et de son syndicat, la Histadrout9, de même qu’à son influence dans l’attribution des marchés par les bureaux des investissements publics dirigés par les autorités britanniques. Cependant, cet appui cessa rapidement lorsque le Ahdout Haavoda se rendit compte que le réseau ne renoncerait pas à subordonner ses conceptions politiques en matière sociale à la conquête nationaliste – credo prioritaire absolu des travaillistes. Ceux-ci initient alors une véritable action de boycott économique, qui va affamer les habitants des kibboutzim du réseau. Parallèlement, un conflit éclate entre deux kibboutzim emblématiques du Gdoud : le EinHarod et le Tel-Josef, à propos de l’orientation politique du réseau. Le premier (aile droite) souhaite une modification programmatique du Gdoud visant à se rapprocher du courant nationaliste assumé par le Parti travailliste tandis que le Tel-Yosef (aile gauche) défend les positions initiales du réseau reposant sur l’équilibre entre socialisme et nationalisme.

Cependant, la détérioration des conditions de vie au Tel-Yosef va conduire une partie de ses membres vers le Ein-Harod. Peu après, dans une tentative de survie, le Gdoud expulse son aile gauche, la plus représentative des principes du réseau. Selon Efraïm, ceci eut « pour conséquence qu’une partie de ses membres de gauche a souhaité retourner en Union soviétique et rejoindre le Birobidjan10, tandis que l’autre adhérait au mouvement communiste. » Ceci n’empêcha pas au final sa liquidation en 1927. Un bon nombre de ceux retournés en URSS traversera d’abord une période faste de création de collectivités-modèles en Crimée pour ensuite devenir victimes des vagues antisémites fomentées par Staline et périr en majorité par des exécutions sommaires ou dans les goulags. Selon Zeev Sternhel, « avec la dispersion du Gdoud Haavoda, prend fin en Eretz�Israël la seule véritable tentative d’expérimenter si des volontés socialistes peuvent cohabiter sur un pied d’égalité avec des volontés nationalistes »11 . ■ 1

Du nom d’un jeune Juif communiste de Po-

logne qui fut exécuté pour avoir abattu une « taupe » de la droite nationaliste polonaise infiltrée dans les rangs communistes. En yiddish : « petite ville ». En Europe de l’Est, désignait une bourgade à majorité juive. 3 Général dans les légions polonaises au cours de la Première Guerre mondiale. 4 En hébreu : les Gentils, les non-Juifs. 5 En hébreu : « montée » vers la Palestine et puis Israël. 6 En hébreu : établissement, installation. Désignait en Palestine, avant la création d’Israël, l’ensemble des Juifs venus s’y installer. 7 « Bataillon du travail ». 8 Terme utilisé dans les Cahiers d’Efraïm Wuzek. 9 Confédération générale des travailleurs juifs de Palestine et puis d’Israël. 10 Région autonome juive créée dans l’Extrême-orient de l’URSS par Staline pour concurrencer le sionisme. 11 Zeev Sternhell, Aux origines de l’ État d’Israël, Paris, Fayard, 1998. 2

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! widYi ? widYi

Yiddish ? Yiddish ! PAR WILLY ESTERSOHN

TRADUCTION DE LA VERSION YIDDISH

kidenevv Nvf rxvs red

Je suis un Juif ! Un Juif n’a-t-il donc pas des yeux ? Un Juif n’a-t-il donc pas des mains, des membres, des sens, des sentiments, des passions ? N’est-il pas nourri de la même nourriture, blessé par (avec) les mêmes armes, sujet aux (attaqué par les) mêmes maladies, guéri par les mêmes remèdes (moyens), réchauffé et refroidi par le même été et par le même hiver qu’un chrétien ? Si vous nous donnez un coup de couteau, estce que nous ne saignons pas (du sang ne sort-il pas de nous) ? Si vous nous chatouillez, est-ce que nous ne rions pas ? Si vous nous empoisonnez, est-ce que nous ne mourons pas ? Et si vous nous faites du mal, estce que nous ne devrions pas nous venger ?

der soykher fun venedik Le Marchand de Venise

Le Marchand de Venise est l’une des pièces de théâtre les plus connues de William Shakespeare. Écrite à la toute fin du 16ème siècle, elle est célèbre pour son portrait caricaturalement féroce du Juif Shylock, un usurier qui pratique des taux exorbitants et qui fait montre de cruauté pour recouvrer ses créances. Shakespeare antisémite ? Shylock est devenu, en anglais courant, synonyme de « requin d’affaires ». C’est dire ! Et le metteur en scène anglais Peter Brook, parlant de la pièce, a eu ce mot : « Je ne la monterai jamais tant qu’il restera un antisémite au monde. » Pourtant, par le biais de la fameuse « tirade de Shylock », Shakespeare nous donne à entendre un véritable réquisitoire contre les préjugés antisémites et un appel à la tolérance. L’écrivain Yoysef Bovshover (1872 – 1916) a traduit la célèbre tirade en yiddish. Le texte en français proposé ici est la traduction de la version yiddish que nous avons empruntée au yidisher tamtam, une publication de la Maison de la culture yiddish à Paris.

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Le grand écrivain yddish Y.L. Perets (mort en 1915) rencontre Shakespeare au paradis (dessin datant de 1916).

REMARQUES tneh hent : plur. de tn=h hant. Mirbj eyvrim : plur. de rbj eyver (hébr.) = membre (anatomie). Mywvx khushim : plur. de wvx khush (hébr.) = sens (comme les 5 sens). tf=wndUl laydnshaft = passion, émotion irraisonnée ; NdUl laydn = souffrir. tkideweg geshedikt : part. passé de Nkidew

? hmkn Nyyk

shedikn = nuire (ici : blesser). Nl=f=b bafaln = attaqué. Ncetw shtekhn = piquer, donner un coup de

nekome keyn

couteau ou d’épée. hmkn nekome (hébr.) = vengeance ; Nemen hmkn nekome nemen = se venger.

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activités

dimanche 16 décembre de 13h30 à 16h30

vendredi 7 décembre à 20h15

L’UPJB ouvre son premier cycle d’ateliers de cuisine juive !

Abraham Fogelbaum. Journal d’un condamné à mort présenté par Barbara Dickschen,

chercheuse à la Fondation

de la Mémoire Contemporaine

Le 21 janvier 1942, l’avocat bruxellois Abraham Fogelbaum est fusillé au Tir national pour « tentative d’évasion en Angleterre ». Le journal manuscrit, inédit jusqu’à ce jour, qu’il a tenu durant son année de détention à la prison de St-Gilles (Bruxelles) nous est parvenu et nous permet de découvrir un jeune homme d’une intelligence et d’une sensibilité peu ordinaire... PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO

. le goût et l’odorat de cette merveilleuse cuisine vous manquent . vous désirez entrer dans la lignée des faiseurs de « bouillon », « kezkikhn », « shtrudl » et « kreplekh » . vous cuisinez déjà comme Mamie Goldé et vous voulez échanger des recettes et partager votre savoir faire

Voici les dates et les thèmes du cycle : 18 novembre 2012 - Le bouillon de poule/volaille et ses accompagnement (lokshn, kreplekh, kneydlekh, etc.) 16 décembre 2012 - Le gâteau au fromage dans ses différentes versions 20 janvier 2012 - Le mezze à la juive (hors-d’oeuvres et salades ashkenazes et sépharades) 17 février 2012 - La carpe farcie et le gehakte fish 21 avril - Biscuits, chaussons salés et sucrés Le tout cuisiné avec des produits de qualité.

Introduction par Daniel Liebmann

France. Le prix des Droits de l’Homme décerné à l’Alternative Information Center (AIC) Le 10 décembre prochain, date de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, le premier ministre français Jean-Marc Ayrault remettra le prix à l’Alternative Information Center à travers son représentant, notre ami Michel Warschawski. Le prix reconnaît ainsi le travail de l’AIC qui ne cesse de dénoncer l’impunité dont Israël jouit auprès de la Communauté internationale, ainsi que la responsabilité de l’armée israélienne dans la violence des colons à l’encontre de la population palestinienne des Territoires occupés. Cette nouvelle a eu l’heur d’indigner le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), Richard Prasquier, qui l’a qualifiée de « particulièrement consternante et même scandaleuse ». Nous, au contraire, nous nous réjouissons de l’octroi de prix à l’AIC et adressons nos chaleureuses félicitations à Michel Warschawski.

Dimanche 16 décembre à 10 h

Inauguration d’un mémorial en l’honneur de travailleurs victimes du nazisme Le 15 juillet 1942 arrivaient dans le village de Merlemont (Philippeville), 15 ouvriers juifs et leurs familles, convoqués pour le travail obligatoire. En août, 6 nouveaux travailleurs les rejoignaient. Ces 21 personnes et leurs familles vont vivre dans le village et travailler dans les carrières de dolomie jusqu’en mars 1943. Parmi les orateurs à cette cérémonie d’inauguration, nous retiendrons le nom de notre amie Bella Wajnberg. À l’entrée de la carrière de dolomie Lhoist - rue du Viveroux 20 – 5600 Merlemont

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Venez nous rejoindre si :

L’atelier ce déroulera de 13h30 à 16h30 et vous emporterez chez vous votre préparation (prévoir un récipient ad hoc). Le jour même, venez avec quelques ustensiles adaptés au thème (tablier, couteau, éplucheur, planche, grand bol, fouet). Vous avez deux options, choisir le cycle ou par atelier (dans ce cas vous devrez réserver au plus tard le jeudi précédant l’atelier). PAF: ( maximum 12 inscrits par ateliers) : Le cycle - 60 EURO

L’atelier - 15 EURO

Nous sommes impatients de partager avec vous ces moments savoureux et chaleureux.

Communiqué de l’Union des Progressistes Juifs de Belgique –16 novembre 2012 Pilier de défense : l’escalade cynique et suicidaire du gouvernement israélien Avec l’assassinat ciblé d’Ahmed Jabari, dirigeant du Hamas, le gouvernement Netanyahou a déclenché une nouvelle escalade guerrière contre les habitants de Gaza. Pourtant Ahmed Jabari, en négociation au Caire d’une trêve à long terme avec Israël, s’était engagé personnellement à faire cesser les attaques de roquettes. En exécutant froidement le dirigeant du Hamas, Israël non seulement étouffe dans l’oeuf toute possibilité d’un cessez-le-feu et d’un début de processus de paix négociés mais il a choisi de riposter une fois de plus par la force et par la l’escalade guerrière. Ne nous y trompons pas, il s’agit là d’un calcul électoral cynique de la part de Netanyahou. N’ayant pas pu obtenir de soutien pour une guerre contre l’Iran, il mise maintenant sur le fait qu’une démonstration de force va lui faire gagner les élections prévues pour janvier. Et ce faisant il poursuit la stratégie du droit du plus fort et de l’état de guerre. Celle qui permet de continuer la politique de colonisation des territoires palestiniens et de maintenir le blocus sur Gaza. Malheureusement, ce ne sont pas ces attaques sanglantes de l’armée israélienne qui feront s’arrêter les tirs de projectiles vers des localités israéliennes, mais bien la levée du blocus illégal de Gaza qui désespère le million et demi de Palestiniens qui en sont les victimes depuis cinq ans. Ce ne sont pas ces démonstrations de force qui jetteront la base d’une entente et d’une paix durables avec les Palestiniens. Nous attendons du gouvernement belge qu’il condamne fermement l’escalade israélienne sur Gaza et s’abstienne dans ce contexte d’envoyer une représentante en la personne de Monica De Coninck, Ministre de l’emploi, au concert de l’armée israélienne organisé à Anvers ce 18 novembre.

L’Union des Progressistes Juifs de Belgique

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UPJB Jeunes Merci à Antonin, Mira, Lenny, Éléonore et Nicolas.

LA VIE EN COMMUNAUTÉ

Parce qu’animer ne s’improvise pas forcément ! JULIE

L

es congés de novembre ont été l’occasion pour les moniteurs de participer à un long weekend de formation, une sorte de mise-au-vert en somme. Au programme : improvisation, gestion des conflits, conception de jeux, conflit israélo-arabe ... mais aussi un peu de détente et d’amusement ! Si la plupart d’entre eux animent des enfants depuis maintenant deux ans, d’autres font leur entrée dans l’équipe. La formation avait pour but de répondre à

différentes attentes des moniteurs mais également de forger cette nouvelle équipe mono et créer une réelle cohésion de groupe. Si les soirées étaient festives, tous y ont mis du leur pour faire de ces ateliers des moments productifs et enrichissants.

ENTRE NOUS Le début de la formation a commencé par un petit débriefing des réunions passées. Ce fut aussi le moment de revenir sur la nouvelle configuration de l’équipe. Un petit changement s’est imposé afin d’optimiser l’équipe : Youri s’occupera désormais du groupe des Marek. Nous avons également organisé le planning des prochaines réunions. Enfin, nous avons pu discuter du prochain thème de camp. Mais comme le veux la coutume, celui-ci restera secret jusqu’au camp !

UN PEU D'HISTOIRE L'atelier du samedi après-midi s’est penché sur le conflit israélo-arabe. Beaucoup ont une opinion sur le su-

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jet mais ne savent pas très bien les tenants et aboutissants de celui-ci. Leurs interrogations et leur difficulté à se situer par rapport au conflit ont ravivé ce besoin d’information. Afin de répondre à leurs attentes, Lola Van Dessel et Jérémie Gross sont venus animer cet atelier. Il s’agissait de leur apporter une vue globale du conflit et de leur offrir quelques nouvelles pistes concernant le sujet. Celui-ci se tenait sous forme de jeu et nous avions décidé de le restreindre à la période d’avant la création de l’État d’Israël. Après s’être approprié la matière, chaque groupe, représentant respectivement le camp des sionistes, le camp des Britanniques et celui des Arabes, s’est adonné aux différentes épreuves : carte d’identité du mouvement, quizz, faits marquants, personnages phares, etc.

PLACE À L’IMPROVISATION Le dimanche matin, Laurence Katina (comédienne-improvisatrice professionnelle), est venue nous faire un coaching d’impro. Cet atelier avait pour objectif de s’approprier les exercices d’improvisation comme un outil pédagogique visant à améliorer les compétences nécessaires pour un animateur telles que l’esprit de groupe, la confiance

Atelier sur le conflit israélo-arabe

en soi, la prise de parole, l’écoute mais également quelques exercices qu’ils pourront éventuellement reproduire avec leur groupe d’enfants. Chacun s’est pris au jeu et a tenté de développer son imaginaire. Histoires loufoques et mise en scènes rocambolesques étaient aux rendez-vous !

La journée de lundi était consacrée à un atelier sur la gestion de conflit par le conseil de groupe. Les moniteurs ont souvent recours à cette manière de procéder mais ne disposent pas toujours des outils nécessaires. L’objectif de la journée était de les amener à être plus à l’aise lorsqu’ils procèdent à cet exercice avec leur groupe d’enfants. Comment favoriser la communication positive pour le bien vivre ensemble ? Les deux piliers à la base de ce concept, et qui ont été principalement abordés lors de la journée, sont ‘le bien communiquer’ et ‘la bonne ambiance’. Dominique De Wolf (formateur à ChanGement pour l’Égalité

– Cgé1) a su amener l’équipe à réfléchir aux réactions lors de conflits entre enfants et imaginer des démarches constructives pour prévenir d’autres conflits. Nous avons beaucoup travaillé l’écoute active en vue d’éventuellement décoder certains messages implicites. Nous avons également vu comment mettre en place un conseil de groupe et dans quelles conditions, en terminant par l’identification des enjeux et des limites de ceux-ci. À travers des discussions, différents exercices et des mises en situation, l’atelier à permis de penser l’organisation d’une vie en communauté et la reconnaissance dans un groupe où l’on discute et l’on échange. Maintenant, le challenge consiste à mettre tout cela en pratique ! Mettre en œuvre des projets et changer le monde, ça ne s’improvise pas ! Les étapes de formation et d’expériences participent à construire le parcours de jeunes responsables. Dynamique de groupe, communication, connaissance de l’histoire et échanges sont des indispensables pour

ECHANGE DE VÉCU Dimanche après-midi, cinq anciens moniteurs et membres de l’Entr’Act sont venus animer un atelier sur la conception de jeux. Il s’agissait avant tout de mettre en place un moment d’échange et de partage. Après une discussion sur nos meilleures expériences de jeux, nous avons épinglé différents concepts qui contribuent au bon fonctionnement d’un jeu et à partir desquels il est judicieux de construire un jeu. La deuxième partie de l’atelier consistait à créer différents jeux avec l’intervention de plusieurs contraintes (de temps, de thème, de forme, etc.) et ainsi se familiariser encore plus à l’élaboration de grands ou plus petits jeux.

Atelier improvisation

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Carte de visite Entr’Act, pour une rentrée décalée !

OYEZ OYEZ ! Parce qu’à l’UPJB-Jeunes, nous ne sommes pas grand chose sans chansons et sans musique, l’installation sono est primordiale à la bonne ambiance des camps. Malheureusement, notre installation se fait vieille et nous aimerions nous en procurer une nouvelle. À cet effet, la dernière réunion de l’année sera dédiée à la vente de massepain. Vous comprendrez donc que les bénéfices de cette vente iront tout droit alimenter l’atmosphère musicale si chère aux camps. On vous donne donc rendez-vous le 8 décembre pour venir faire vos réserves de massepain !

Atelier animé par l’Entr’Act

la vie et le fonctionnement du mouvement. Ces quatre jours de formation auront, d’une part, contribué à faire de cette nouvelle équipe mono une équipe soudée et motivée pour la suite de l’année. D’autre part, j’espère avoir répondu à leurs attentes et ainsi leur avoir présenté de nouvelles pistes et de nouveaux outils pour la suite de leur expérience de moniteur. En tout cas, ambiance, concentration, bonne humeur et créativité étaient au rendez-vous et nous voilà repartis de plus belle pour la suite. Pour finir, je voudrais faire un petit clin d'oeil à l’Entr’Act. Leur contribution à ce week-end de formation a été plus qu’appréciée par les moniteurs et leur disponibilité m’a permis de mettre en place une formation laissant une place aux ‘anciens’. Enfin, merci aux moniteurs pour leur enthousiasme. ■ 1

http://www.changement-egalite.be/

Atelier gestion de conflit

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Un foyer d’expérience collective. C’est-à-dire : « un truc où on grandi t ». Ou, peut-être on assume de rester si petit. On affirme que devenir adulte n’est rien et que rester un enfant ne veut plus dire grand-chose à l’heure où nous sommes tous des adolescents attardés. Bref, une trajectoire d’émancipation. Un entre-soi ? Plutôt un entretien. Entre-nous, mais au sens où « nous » n’est qu’un espace de résonnance : un champ d’inter-action. Forcément, un lieu de dissonance. Entre les actes, des flux de consciences, des bribes de pensées et des débuts de geste. La grande répétition avant le spectacle pendant que celui-ci ne cesse de se rejouer. Donc, le remettre en jeu. Oui, c’est ça, vous aviez bien senti, depuis le début, l’Entr’Act n’est qu’un pôle d’agitation supplémentaire qui ne propose rien. Mais il ne faut pas le dire. Nous espérons qu’il soit un espace de liberté. Non pas au sens d’un quelconque droit à être mais d’une capacité de faire. N’importe quoi, avec n’importe qui ? Qui sait, nous ne faisons pour l’instant que poser des questions. Chacun ses problèmes et il n’est pas dit que nous méritions déjà les nôtres. Et vous ? Et vraiment, il n’y à rien à espérer, ni à craindre, nous nous contentons pour l’instant de chercher des armes. « Ce qui me rend unique se mêle au vaste corps et au luxe passager d’ici ; là, grain politique, coulent les individus parmi quelques individus et, à travers mes réflexions, une flamme d’air et d’hommes qui se remplace infiniment ellemême, souffle, déjoue, devance où constitue parfois précisément ma pensée. » ■

L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective. Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq groupes différents.

Bienvenus

Les pour les enfants nés en 2006 Moniteurs : Léa : 0487.69.36.11

Juliano Mer-Khamis

Les 2005 Moniteurs : Milena : 0478.11.07.61 Selim : 0496.24.56.37 Axel : 0471.65.12.90

pour les enfants nés en 2004 et

Marek Edelman

Les pour les enfants nés en 2002 et 2003 Moniteurs : Sacha : 0477.83.96.89 Lucie : 0487.15.71.07 Tara-Mitchell : 0487.42.41.74 Youri : 0474.49.54.31

Janus Korczak

Les pour les enfants nés en 2000 et 2001 Moniteurs : Charline : 0474.30.27.32 Clara : 0479.60.50.27 Jeyhan : 0488.49.71.37

Émile Zola

Les pour les enfants nés en 1998 et 1999 Moniteurs : Sarah : 0471.71.97.16 Fanny : 0474/63.76.73

Yvonne Jospa

Les pour les enfants nés en 1996 et 1997 Moniteurs : Maroussia : 0496.38.12.03 Totti : 0474.64.32.74 Manjit : 0485.04.00.58

Informations et inscriptions : Julie Demarez – upjbjeunes@yahoo.fr – 0485.16.55.42

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agenda UPJB Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

vendredi 7 décembre à 20h15

Abraham Fogelbaum. Journal d’un condamné à mort. Présenté par Barbara Dickschen, chercheuse à la Fondation de la Mémoire Contemporaine (voir page 26)

samedi 8 décembre

Vente de massepain à l’UPJB-Jeunes (voir page 30)

dimanche 16 décembre de 13h30 à 16h30

Deuxième date du cycle d’ateliers de cuisine juive (voir page 27)

club Sholem Aleichem Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)

jeudi 6 décembre

Chômage et stigmatisation : Une analyse psychosociale. Il sera proposé une revue des quelques rares études belges et étrangères qui ont porté sur cette question. Par Ginette Herman, professeur de psychologie sociale et du travail (UCL)

jeudi 13 décembre

Conversation avec un Andalou très belge : Antonio Moyano, chroniqueur à Points critiques

jeudi 20 décembre

Après-midi festive de fin d’année - Revue des activités de l’année écoulée : positif , négatif . - Propositions pour l’année future... - Critiques et suggestions... - Comment renforcer le comité du club ? (une pensée pour Thérèse et Léon Liebman) + plus un très bon goûter !!

Prix : 2 EURO


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