mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique mars 2014 • numéro 344
éditorial Réfugiés afghans. Une question de volonté politique Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - P008 166 - mensuel (sauf juillet et août)
Daniel Liebmann
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es réfugiés afghans n’ont rien obtenu du gouvernement. Des promesses avaient pourtant été concédées par Maggie De Block et Elio Di Rupo : les demandeurs d’asile afghans pourraient introduire de nouvelles demandes et cette procédure ne donnerait pas lieu à des arrestations. Or le comité de soutien nous apprend l’arrestation de Goam, jeune Afghan mineur (16 ans) alors qu’il se rendait au CGRA pour y chercher la réponse à sa nouvelle demande d’asile qui a été rejetée. Il a été transféré au centre fermé 127 bis. Un piège donc. Tout en se présentant comme garant de la vertu légale (« la loi c’est la loi »), le gou-
vernement n’a aucun respect de la parole donnée. C’était pourtant ces promesses qui avaient poussé les grévistes de la faim belges solidaires des Afghans à suspendre leur action. Le mouvement des Afghans a entraîné un large soutien du monde associatif et syndical. Mais cette mobilisation se heurte à un mur : le gouvernement maintient une politique intransigeante et met toute la pression sur l’instance soi-disant indépendante qu’est le CGRA pour qu’il l’applique. L’évolution de ce dossier sous le gouvernement Di Rupo traduit la volonté de faire figurer la Belgique parmi les pays les plus fermés de l’UE. Dans une carte blanche pu-
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BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511
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sommaire
éditorial
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éditorial
1 Réfugiés afghans. Une question de volonté politique.........Daniel Liebmann
politique d’asile
4 Petite victoire dans la lutte des soutiens aux migrants « sans papiers ».......... ...............................................................................................Youri Lou Vertongen 6 Nous réclamons le droit d’asile pour Mamadou Bah !.......................................
europe
8 Le prêtre nazi, le président du Conseil européen et le journaliste......... Willy .................................................................................................................Estersohn
israël-palestine 10 Le boycott est notre résistance non violente palestinienne. Hanan Ashrawi lire 12 Vie et mort d’un théâtre yiddish.....................................Tessa Parzenczewski 13 Hommage au poète Juan Gelman............................................ Antonio Moyano 14 Père/Fils : qui cherche qui ? (épisode n°5)............................. Antonio Moyano regarder 16 Comme un singe en été................................................................ Elias Preszow
mémoire(s)
18 Simplement Justes. Une rencontre avec Najib Ghallale, directeur de l’Espace Magh........................................................ Propos recueillis par Gérard Preszow 20 Le sel de la terre..................................................................... Roland Baumann
histoire(s) réfléchir
22 Mortara est mort à Liège en 1940............................................... Jacques Aron
24 Jacob Israël de Haan. Un et multiple...........................................Laurent Vogel
feuilletonner
28 La vie sur Mars................................................................Sylviane Friedlingstein
yiddish ? yiddish ! !יִידיש ? יִידיש 30 dos fertsnte yor – L’an quatorze................................................Willy Estersohn humeurs judéo-flamandes
32 La fin du monde, le retour ...........................................................Anne Gielczyk
Artistes de chez nous
34 Faulx-les-Tombes........................................................................ Henri Goldman
activités vie de l’UPJB 35
38 Les activités du Club Sholem Aleichem......T. Liebmann et T. Parzenczewski
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les agendas
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bliée par La Libre Belgique (14 janvier 2014), l’avocate Selma Ben Khalifa commente les chiffres officiels : « Alors que tout le monde s’accorde pour dénoncer l’aggravation de la situation sécuritaire en Afghanistan, le taux de protection des Afghans a dramatiquement baissé en 2013. Nous sommes passés de 59% de décisions positives en 2012, à moins de 52% en 2013. Le nombre de demandes introduites par des ressortissants afghans a pourtant diminué de moitié par rapport à l’année dernière (1.327 demandes en 2013 contre 2.635 en 2012). Comment expliquer que le taux de protection diminue alors que la Belgique a moins de demandes et que le degré de violence en Afghanistan a explosé ? La logique juridique voudrait que le taux de protection augmente proportionnellement à l’augmentation du danger sur place. La logique politique est différente. Le gouvernement a exigé du CGRA que le taux de protection en Belgique soit aligné sur le taux général européen (49% de protection). Certains pays d’Europe accordent pourtant beaucoup plus de décisions positives : l’Allemagne par exemple dépasse les 80%. Notre gouvernement a fait le choix politique de s’aligner à la baisse sur les pays les moins protecteurs. » Car il s’agit bien de choix politiques conscients, et non de l’application aveugle de la loi comme le martèle Maggie De Block. Au contraire, la loi oblige la Belgique à accorder une protection aux ressortissants de pays en guerre. De-
façon générale, les politiciens chargés de l’immigration veulent faire croire à l’opinion qu’ils sont les défenseurs de l’ordre alors que les sans papiers demanderaient le « laisser faire ». Il n’en est rien : en ce qui concerne les demandeurs d’asile, les revendications portent sur des règles claires, une sécurité juridique et le respect du droit international. C’est ce qui est notamment mis en avant par la lettre ouverte au gouvernement belge signée par 28 député-e-s européen-ne-s dont nous reproduisons de larges extraits ci-dessous. n Lettre de 28 député-e-s européen-ne-s à Mme la Secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, et au gouvernement belge. Bruxelles, le 7 février 2014 Monsieur Elio Di Rupo, Premier Ministre Madame Maggie De Block Secrétaire d’État à l’asile et la migration Monsieur Dirck Van der Bulck Commissaire général aux réfugiés et apatrides Monsieur le Premier Ministre, Madame la Secrétaire d’État, Monsieur le Commissaire, Par la présente, nous tenons à exprimer notre vive inquiétude concernant les demandeurs d’asile afghans qui manifestent à Bruxelles depuis des mois, certains d’entre eux depuis des années, et qui ont réalisé cet hiver diverses marches. (…) Il s’agit d’hommes, de femmes et d’enfants dont on ne peut nier qu’ils aient fui un pays en conflit armé où leur sécurité est très sérieusement en risque. La Belgique n’expulse pas les femmes et les enfants et nous nous en félicitons. Pour autant, il ne paraît pas acceptable que des
familles restent à la rue ou dans une église, ne recevant de soutien que de citoyen-ne-s indigné-e-s par leur situation. Nous apprenons avec stupéfaction que le nombre d’expulsions d’hommes a triplé en 2013, malgré l’aggravation nette de la situation sécuritaire sur place. Les hommes jeunes, en âge de faire la guerre, sont une des catégories de civils les plus exposés. En tant que parlementaires européens, nous souhaitons vous exprimer notre vive inquiétude par rapport à cette situation et souhaitons rappeler des principes fondamentaux de l’Union. En vertu de ceux-ci : « Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. » Malgré la grande solidarité citoyenne spontanée dont ils bénéficient, les conditions de vie des enfants afghans à l’église du Béguinage sont insoutenables (…). Par ailleurs l’Union attache une importance fondamentale aux questions d’égalité hommesfemmes. Or pour le Conseil de l’Europe: « Lors du traitement des demandes d’asile, les questions spécifiques liées au genre ne sont pas suffisamment prises en compte(…) » Il est essentiel que la procédure d’asile tienne compte des discriminations généralisées, des violences, des menaces, de l’absence d’accès à la sphère publique et de la liberté d’aller et de venir, comme autant de phénomènes qui caractérisent les persécutions que subissent les femmes afghanes. (…) Enfin, 2014 est une année charnière pour l’Afghanistan et nul ne sait si le pays va se stabili-
ser ou sombrer davantage dans la guerre civile. Selon la Commission européenne, « L’insécurité liée au conflit afghan, qui perdure depuis trois décennies, ne cesse de grandir avec la poursuite des combats entre les forces gouvernementales et les groupes de l’opposition armée. Et la sécurité pourrait se dégrader encore lors du retrait des forces internationales, prévu pour 2014. Les civils feront inévitablement les frais de ces nouveaux affrontements ». On ne peut pas continuer à prétendre que Kaboul ne présente aucun danger. ECOI – European Country of Origin Information Network – fait état d’un nombre important d’attaques à Kaboul en 2013, attaques dans lesquelles les insurgés font preuve d’une violence aveugle qui a coûté la vie à de nombreux civils. L’aggravation de la situation et l’incertitude en ce qui concerne le futur rendent nécessaire une réévaluation de la situation sécuritaire et l’octroi d’une protection adéquate aux réfugiés afghans. Nous ne doutons pas que nous pouvons compter sur votre attention à ces différents aspects. Veuillez agréer, Monsieur le Premier Ministre, Madame la Secrétaire d’Etat, l’expression de notre haute considération, Gabriele Zimmer, Miguel-Angel Martinez, Isabelle Durant, Marie-Christine Vergiat, Alda Sousa, Søren Bo Søndergaard, Raul Romeva i Rueda, Marisa Matias, Helmut Scholz, Martina Michels, Nicole Kiil-Nielsen, Cornelia Ernst, Philippe Lamberts, Jürgen Klute, Inaki Irazabalbeitia, Ska Keller, Sabine Wils, Patrick Le Hyaric, Willy Meyer Pleite, Martina Anderson, Ana Gomes, Nikolas Chountis, Helene Flautre, Catherine Greze, Ulrike Lunacek, Jean Lambert, Paul Murphy, Jean-Luc Mélenchon
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politique d’asile Petite victoire dans la lutte des soutiens aux migrants « sans papiers » youri lou vertongen
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e 21 janvier dernier, une cinquantaine de personnes avait répondu à l’appel du Comité de Soutien aux inculpé-e-s du CAS-NoBorder à se rassembler sur les marches du Palais de Justice de Bruxelles pour entendre le verdict du procès des six membres Comité d’Actions et de Soutien aux « sans-papiers » (CAS), poursuivis pour des faits de rébellion remontant à cinq ans1. Après d’innombrables rebondissements, la Cour d’appel de Bruxelles a finalement disculpé les six militantEs, estimant que les faits reprochés n’étaient pas accompagnés de résistance offensive (menace ou violence) et ne pouvaient donc être qualifiés de « rébellion ». La juge a également rappelé que les procès verbaux établis a posteriori par les policiers étaient contradictoires et entachées de multiples erreurs. Ce verdict ne représente pas seulement une victoire pour les inculpé-e-s et leurs soutiens mais doit nous servir d’appui pour les (autres) procès à venir (notamment celui du NoBorder le 9 avril prochain2), et plus largement pour le mouvement de soutien à la lutte des migrants « sans papiers ».
conclusions Suite à la décision de la cour, et aux cinq ans de procédure qui l’ont précédée, nous sommes en mesure de tirer les enseigne-
ments suivants. Premièrement, en reconnaissant que les procès verbaux établis par les policiers portés partie civile étaient contradictoires et entachés d’erreurs, la juge a reconnu que ceux-ci n’étaient pas suffisamment « étayés ». Ceci signifie que la version des faits telle qu’établie par ces derniers n’était pas forcément suffisante pour qualifier des faits de « rébellion ». Par là, la Cour reconnait que la version policière est une « construction » (comme plaidée par les avocats de la défense lors de la dernière audience). De plus, le concept de « rébellion » a été restreint à une résistance offensive avec « violence et menaces ». Même s’il va falloir prendre le temps de bien analyser les conséquences de ce jugement, il semble que ces éléments vont donc pouvoir être utilisés en tant que jurisprudence dans d’autres stratégies judiciaires. Il n’y a évidement pas à attendre d’un rendu de jugement en appel qu’il reconnaisse la légitimité de la lutte des migrants « sans papiers », mais le fait de déqualifier l’action du chahut intempestif lors de la campagne des libéraux de « délit » est, du point de vue des luttes-pour-l’égalité-desdroits, une façon de la requalifier politiquement. En outre, il s’agit bien sûr aussi, soulignons-le, d’une victoire de l’endurance, de la solidarité, du refus de plier et
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de se décourager. Cela nous le devons à tous ceux qui ont su se reconnaître dans ce procès, à tous ceux qui à leurs niveaux ont donné de leur temps, de leur plume, de leur porte-feuille, de leurs présences pour fabriquer des liens et des relais. Nous le devons aussi et surtout aux migrants « sans papiers » qui, hier comme aujourd’hui, nous apprennent que lutter signifie d’abord apprendre à durer. Et à tenir ! Sans se croiser les doigts ni attendre une improbable révolution, il nous faut prendre soin de cet élan et l’entretenir pour la prochaine épreuve que sera la procès en appel dit du « NoBorder ».
le temps court Si nous savons que du point de vue de la « justice de classe » nous serons toujours, en dernière instance, des « criminels », il s’agit de retarder, de ruser, de bifurquer le plus possible de cette ligne droite qui nous conduit à l’affrontement. C’est ce qu’on peut appeler une tactique de la conflictualité comme suspension de la guerre. En ce sens, on ne saurait se réjouir pleinement de la décision de la Cour d’appel, aussi favorable soitelle. Elle est, en effet, une victoire dans le temps court d’une stratégie judiciaire, elle est très certainement la conséquence et le fruit d’une mobilisation de solidarité et de soutien. Mais dans le contexte
actuel de recul des libertés civiles et de criminalisation des actions politiques, la décision d’acquittement ne fait que rétablir occasionnellement l’exercice du droit de manifestation pourtant garanti par la Constitution. Cela nous rappelle qu’aucun droit n’est acquis définitivement car son exercice effectif est toujours l’enjeu d’une bataille politique. Il y a politique dans la mesure où les dispositifs qui permettent la reproduction des inégalités se trouvent interrompus par une scène singulière de manifestation de l’égalité. C’est ce qui advient, par exemple, quand les migrants « sans papiers » qui constituent cette armée du capital invisibilisée dans le travail clandestin se rendent visibles en occupant l’espace public pour réclamer l’égalité de droit. Pour autant, un acte politique ne consiste jamais en lui-même mais est tramé par les relais qu’il produit et ceux qu’il relance. C’est pourquoi il doit sans cesse être re-conquis dans les rapports de force en mouvement. Il importe donc d’entretenir une culture des résistances pour déjouer les tentatives d’isolement, d’épuisement et de répétition. Car si dans la capture juridique de l’acte nous sommes incapables de continuer
le procès de politisation, que nous ne parvenons pas à le déqualifier de sa redéfinition en tant que « délit » (ici « rébellion ») pour le requalifier en tant qu’action politique (ici résistance avec les migrants « sans papiers » dans la lutte pour l’égalité des droits) ; si nous nous retrouvons à cette étape et sur ce terrain-là incapables de décisions, d’inventions ou d’actions, alors c’est l’action politique elle-même qui cesse de venir au monde et rejoint les limbes des actes fous. Nous savons que l’épreuve du terrain judiciaire est en creux dans chaque action politique mais il s’agit d’une épreuve et non d’un jugement de Dieu, lieu de l’affrontement ultime. La politique a toujours à se battre pour conquérir ses conditions de possibilité. Elle est dramatique et perpétuelle exploration plutôt qu’abandon au cheminement spontané d’une destinée. Le but n’est rien, le mouvement est tout (ou presque).
au présent Rappelons enfin que les migrants « sans papiers » n’ont jamais attendu les personnes qui les soutiennent pour les représenter et leur dicter les tenants de leur lutte. Au moment de rédaction de cet article, plusieurs centaines d’afghans occupent toujours l’église du Béguinage et luttent avec courage et détermination pour la reconnaissance du droit d’asile sur notre sol3. Le collectif « Sans Papiers Belgique », créé suite à la constatation de l’échec de la campagne de régu-
larisation de 2009 en Belgique, mène régulièrement des actions et revendique la régularisation de tous les « sans-papiers »4. En avril/mai prochain aura lieu une caravane de « sans papiers », réfugiés et migrants, qui convergera vers Bruxelles et portera les mots d’ordre d’égalité, de dignité et de justice sociale5. Nous appelons donc à intensifier la solidarité autour des luttes que mènent les migrants « sans papiers ». Nous exigeons la fin des rafles et des expulsions ainsi que le démantèlement des centres fermés (« camps pour étrangers »), le retour des expulsés ainsi que la fin de la double peine sous toutes ses formes. Nous revendiquons enfin l’institution d’un droit nouveau de la circulation des hommes, de leur résidence, de leur travail et de leur protection sociale. Nous dédions cette victoire juridique à toutes les personnes qui, souvent dans l’anonymat le plus total, résistent modestement à la machine-à-expulser. À nos camarades du 129, aux Afghans du Béguinage, aux compagnons de SP-Belgique... n Papiers pour tous ou Tous sans papiers Pour plus d’informations sur le « Mouvement des Afghans », voir : www.450afghans.owlswatch.net 2 Pour plus d’informations sur « SPBelgique », voir : http://spbelgique.wordpress. com/ 3 Pour plus d’informations sur la « Caravane des migrants », voir : http://spbelgique. wordpress.com/ 4 Pour plus d’informations sur l’histoire du mouvement du CAS et les tenants des inculpations, voir www.comitedesoutienbxl.blog.com 5 Pour plus d’informations sur le NoBorder et les tenants des inculpations, voir www. comitedesoutienbxl.blog.com 1
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politique d’asile Nous réclamons le droit d’asile pour Mamadou Bah ! Mamadou Bah est un Guinéen qui a dû fuir son pays en 2006 et a abouti en Grèce où il a obtenu le statut de réfugié politique en 2012. Pendant ces six années, il a travaillé sans discontinuer dans le secteur de la restauration tout en militant activement en faveur des réfugiés et des sans papiers, devenant notamment le secrétaire de l’Union des Ressortissants Guinéens de Grèce. En mai et juin 2013, des miliciens du parti néonazi grec Aube Dorée, l’ont agressé à deux reprises, la première fois en le laissant pour mort, le front éclaté et en sang. Mamadou Bah est donc une des innombrables victimes de ces modernes « sections d’assaut », faisant régner leur loi dans les quartiers populaires et la terreur dans les villes grecques. S’il a été accueilli chez nous par le milieu antifasciste, antiraciste et syndicaliste, c’est à un double titre. - Tout d’abord, suite au danger qu’il encourt s’il devait rester en Grèce, déjà en tant qu’Africain, sa seule origine l’exposant à tout moment, comme tous ses frères et soeurs « de couleur », à de nouvelles « ratonnades » mortelles. - Mais aussi et surtout, désormais en tant qu’opposant politique. Car si la première fois qu’il a rencontré le peloton motorisé qui a failli le massacrer c’est tout simplement en quittant son travail, dans un des quartiers populaires où ceux-ci mènent de véritables pogroms, la seconde, ce n’est plus dû au « hasard » d’une mauvaise rencontre. Le même gang était clairement revenu « achever la besogne » et c’est un miracle qu’il ait pu leur échapper, ne devant son salut qu’à sa fuite éperdue. Une tentative de récidive qui tient au fait que, sitôt après leur première agression, Mamadou Bah a osé dénoncer publiquement les exactions systématiques des commandos racistes d’Aube Dorée, et appelé à la mobilisation populaire contre cette terrible menace. À son initiative, son récit et son cri d’alarme ont en effet été médiatisés d’abord par le principal
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quotidien grec, et depuis lors dans la presse internationale, de Libération à la RTBF, en passant par La Libre et Le Soir. C'est pourquoi, sur les conseils pressants de ses camarades grecs, eux-mêmes ne pouvant lui garantir de manière suffisante sa sécurité, il a dû se résoudre à l’exil et à chercher refuge dans notre pays. Ignorant son départ, les membres d'Aude Dorée continuent d'ailleurs à le rechercher activement, ratissant le quartier où il travaillait avec sa photo et interrogeant la population locale pour retrouver sa trace, comme en a été alerté le Président de l'Union des Ressortissants Guinéens de Grèce. Face à cette double menace, Il est légitimement en droit de craindre pour sa sécurité et même sa vie. L’Etat grec n’a en rien garanti sa sécurité et a apparemment fermé les yeux sur des attentats racistes et devant les exactions de la police (Mamadou Bah a également fait de manière répétée l’objet de tabassages et/ou d’humiliations racistes dans les commissariats d’Athènes, connus pour être gangrenés par Aube Dorée). Cette dernière est d’ailleurs régulièrement mise en question pour ses liens présumés avec l’extrême-droite. Son chef aurait ainsi déclaré récemment : « Nous souhaitions prolonger les périodes de détention (des demandeurs d’asile)… nous les avons allongées jusqu’à 18 mois… mais dans quel but ? Nous devons rendre leurs vies insupportables. »1 En conséquence, les soussignés soutiennent la demande d’asile de Mamadou Bah et demandent donc à l'Etat belge de lui accorder sa protection, en tant que membre d’un groupe « cible » de discriminations et de la violence d’extrême-droite, mais aussi policière, et comme réfugié politique au sens strict, personnellement pourchassé pour ses opinions et ses activités. 1 Journal Hot Doc, 19/12/2013
© Krasnyi/Pierre Vanneste
Premiers signataires (liste complète bientôt consultable en suivant le lien cadtm.org/Droit-d-asile-pour-Mamadou-Bah) Manuel Abramowicz Coordinateur de RésistanceS, Mateo Alaluf Sociologue, Rudy Barnet ex-Directeur du Festival de Cinéma de San Sebastian, Georges Henri Beauthier Avocat, Jean-Jacob Bicep Député Européen Groupe des Verts, Eva Brems Prof. Universiteit Gent- Amnesty, Nikos Chountis Député Européen Syriza, Ralph Coeckelberghs ex-Secrétaire Général Solidarité Socialiste, Michel Colson, Député Bruxellois – Secrétaire Général FDF, Philippe Corcuff Maître de conférences à l’IEP de Lyon, Olivier Coyette Directeur du Théâtre de Poche, Luc Dardenne Cinéaste, Lieven De Cauter, Prof. KU Leuven, Vincent Decroly Vega, Céline Delforge Députée Bruxelloise Ecolo, Bea Diallo Député Bruxellois PS, Françoise Dupuis Présidente du Parlement Bruxellois - PS, Pierre Eyben Vega, Pierre Galand Forum Nord-Sud, Michèle Gilkinet Vega, Corinne Gobin Maître de recherche FRS-FNRS, Jose Gotovitch Prof. Hon. ULB, Victor Guinsburg Économiste, Yves Hellendorf Secrétaire National de la CNE Non-Marchand, Philippe Hensmans Directeur Amnesty Belgique, Alain Hutchinson Député Bruxellois PS, Raoul Hedebouw PTB, Nelly Kaouni Coordinatrice « Colour Youth » –Jeunes LGBT d’Athènes, Georges Katrougalos Universitaire Droit Constitutionnel et écrivain, Tom Lanoye Écrivain, Prof. em. Albert Martens KUL, Anne Morelli Historienne, Benjamin Pestieau PTB, Mirko Popovitch asbl Ti-Suka, Gérard Preszow UPJB, Dimitris Psarras auteur du « Livre Noir d’Aube Dorée », François Schreuer Vega, Prof. Marc Swyngedouw KUL, Samuel Sonck Vega, Jean-François Tamellini Secrétaire Fédéral, Bruno Tersago Journaliste – correspondant en Grèce, Nassos Theodoridis Directeur d’« Antigone » - Centre d’Information et de Documentation sur le Racisme, Yanis Thanessekos ex-Directeur de la Fondation Auschwitz, Dimitris Tsoukalas Parlementaire Grec, Sofia Tzitzikou Vice-Présidente UNICEF Grèce, Jean Paul Van Bendegem VUB, Riki Van Boeschoten Université de Thessalie Professeur Univ, Martine Vandemeulebroucke Journaliste, Felipe Van Kersbilck Secrétaire National de la CNE, Philippe Van Muylder Secrétaire Général FGTB Bruxelles,Tine Van Rompuy PVDA, Michaël Verbauwhed PTB, Jean Vogel directeur Institut Liebman, Hendrik Vos Universiteit Gent, Zakia Khattabi Chef du groupe Ecolo au Sénat
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europe Le prêtre nazi, le président du Conseil européen et le journaliste willy estersohn
C
yriel Verschaeve (18741949) est un personnage nauséabond. Ce prêtre catholique, entré en littérature au début du siècle dernier, s’est rallié dans les années 20-30 à la tendance la plus antidémocratique du mouvement flamand. Il sympathisa avec le Verdinaso, organisation fasciste qui impressionnait les esprits lors des défilés de sa milice paramilitaire laquelle scandait des slogans antisémites virulents. Dès lors, pas étonnant qu’il embrassa la cause du nazisme. Reconnaissante, l’administration militaire allemande le nomma, en novembre 1940, à la tête du Conseil culturel flamand. Très actif, Verschaeve s’occupa entre autres du recrutement de soldats pour la Légion flamande qui se battait aux côtés des armées hitlériennes sur le Front de l’Est. Evacué par les SS en 1944, à l’approche des troupes alliées, il finit pas trouver refuge en Autriche. La Belgique le condamna à mort par contumace en 1947. En 1973, un commando du Vlaamse Militanten Orde ramena clandestinement d’Autriche les ossements de Verschaeve afin que le prêtre-poète nazi puisse reposer dans sa patrie flamande.
« Une réhabilitation pure et simple » Tombé dans l’oubli, Verschaeve ? Pas tout à fait. Son nom désigne
toujours des rues dans plusieurs localités flamandes. Justification des édiles concernés : c’est
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le poète que nous célébrons, rien que le poète. Comme si l’on pouvait établir des frontières
étanches entre les différentes activités publiques d’un individu ! C’est aussi la question que s’est posée Jean Quatremer, correspondant du quotidien français Libération à Bruxelles où il couvre l’actualité tant européenne que belge. Grâce à un historien spécialiste du nationalisme flamand, qui a tenu à garder l’anonymat, il nous a appris sur son blog que notre ancien Premier ministre, Herman Van Rompuy, aujourd’hui président du Conseil européen, a placé sur son site personnel, en 2007, un poème de Cyriel Verschaeve, De Meeuw (la Mouette), datant de 1909. Pourquoi publier cette information ? Quatremer répond en substance que si, en France, le patron de l’UMP, Jean-François Copé, avait placé sur son site un texte de Robert Brasillach (écrivain, collaborateur des nazis et fusillé à la Libération), cela aurait provoqué un énorme scandale. Pour le journaliste français on a affaire dans ce cas-ci à une réhabilitation pure et simple d’un poète nazi. Dans un premier temps l’affaire semble ne pas intéresser grand monde en Belgique. La presse ne donne pas l’impression d’y prêter intérêt. La Libre Belgique se contentera de parler d’une « coupable maladresse ». Pourtant, insiste Quatremer, « Van Rompuy n’est pas qu’un simple politicien flamand : il est censé incar-
ner l’Europe ». Ni l’intéressé, ni son porte-parole ne daignent répondre aux questions du journaliste. Quatremer est persona non grata auprès de la présidence du Conseil européen depuis qu’il a écrit que Van Rompuy n’était pas le meilleur choix pour le poste auquel l’ont désigné Merkel et Sarkozy.
Ne pas se faire accuser d’antisémitisme Les choses ne se mettent à bouger que lorsque la Ligue belge contre l’antisémitisme, nouvellement créée, s’empare de l’affaire (La LBCA y voit une occasion de prouver sa raison d’être alors qu’existent le Centre pour l’égalité des chances, la Ligue des droits de l’homme et, enfin, le MRAX). À la tête de la LBCA on retrouve le très droitier Joël Rubinfeld, animateur d’un Parlement juif européen autoproclamé). On peut mépriser un journaliste français auquel le dirigeant européen reproche de ne pas comprendre le néerlandais ; il est plus difficile de faire la sourde oreille aux sollicitations d’une LBCA sous peine de se voir accusé d’antisémitisme. Van Rompuy a donc fini par enlever le poème de Verschaeve de son site. Le président du Conseil européen a choisi la publication juive anversoise Joods Actueel pour
justifier la présence de De Meeuw sur son site. Une justification abracadabrante : « Ma belle-mère connaissait ce poème par coeur à 88 ans. (...) Un ami m’a fourni le texte et il apparut qu’il était du poète Cyriel Verschaeve. (...) Nous l’avons mis intégralement sur mon site. En 2007. Ca n’a attiré l’attention de personne. » Il ne voyait en Verschaeve qu’un poète. Tout simplement un poète. Sauf qu’il est difficile de nous faire croire que Van Rompuy, homme cultivé, ignorait tout du positionnement et du comportement de Verschaeve avant et pendant la guerre. Et Joods Actueel a cru devoir se montrer complaisant avec le président du Conseil européen en reprenant à son compte les attaques contre Jean Quatremer, que la publication qualifie de « haïsseur de Flamands ». Aucune remarque ni question embarrassante pour l’homme politique qui n’a pas cru devoir exprimer le moindre regret. Une partie de la classe politique flamande – à laquelle il n’est pas question de reprocher quelque visée antidémocratique que ce soit – se montre réticente, aujourd’hui encore, à condamner purement et simplement, et publiquement, ceux qui ont fourvoyé le mouvement flamand dans les dérives les plus criminelles, les plus meurtrières. n
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israël-palestine Le boycott est notre résistance non violente palestinienne Hanan Ashrawi Cette opinion est parue dans le quotidien israélien Ha’Aretz le 10/02/2014
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DS offre la possibilité aux Palestiniens et aux gens de conscience à travers le monde de défendre la justice et les droits humains contre les colonies – contrairement au choix fait par Scarlett Johansson. La controverse de SodaStream, qui a récemment attiré l’attention des médias dans le monde, a mis en exergue l’occupation qu’Israël poursuit toujours et a contribué à la sensibilisation croissante d’une conscience à l’échelle mondiale et d’une responsabilité sociale envers la Palestine. Elle a exposé aux yeux de tous, et dans tous ses aspects, la question de l’impunité israélienne et de l’impératif d’une intervention à multiples facette et d’une mise en responsabilité. Le choix de Scarlett Johansson de se faire l’image de Sodastream, une société qui exploite une usine dans la colonie illégale de Ma’ale Adumim, a amené au premier plan le débat sur l’activité coloniale israélienne qui se poursuit et sur le coût réel d’une telle politique, dangereuse et irresponsable. Mme Johansson, qui était en même temps l’ambassadrice d’une organisation de défense des droits de l’homme, Oxfam, s’est trouvée soudain confrontée à un conflit d’intérêts et à devoir
assumer une responsabilité et un choix personnels. Le fait que Mme Johansson ait décidé de lier son sort à celui de SodaStream est, au mieux, naïf, et au pire, l’expression d’une absence totale de respect pour la justice et les droits humains. Diverses formes complémentaires de résistance non violente, qui partagent le respect du droit international, les valeurs et les principes universels comme les exigences d’une paix juste, ont commencé à prendre de l’essor dans l’arène internationale. Les objectifs de cette résistance sont d’abord que l’exceptionnalisme d’Israël et le sentiment que tout lui est dû doivent être conduits à leur terme ; et ensuite que les conséquences de son occupation qui se poursuit doivent être redirigées vers Israël, et notamment ses coûts moraux, économiques et politiques. Initiée par la société civile palestinienne et soutenue par des organisations de solidarité et des gens de conscience à travers le monde, et même en Israël, le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) s’inspire, à plusieurs égards, du long mais efficace combat pour la fin de l’apartheid et du racisme institutionnel en Afrique du Sud.
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Qu’il ait réussi à lever une prise de conscience mondiale et à encourager des actions dans les sphères économique, culturelle et universitaire, a gagné progressivement l’adhésion. Ce mouvement mondial constitue une manière efficace et responsable de s’affronter à l’escalade des violations israéliennes, surtout à ses activités de colonisation, à la confiscation de la terre palestinienne, à la démolition des maisons palestiniennes, au blocus militaire de la bande de Gaza, et à l’annexion et l’isolement de Jérusalem. Il constitue également une méthode proactive de résistance non violente essentielle à la lutte palestinienne pour l’égalité et la liberté. Il donne aux personnes, aux organisations et réseaux partout dans le monde la possibilité de s’engager efficacement et de changer les choses au moyen d’actes individuels et collectifs de responsabilité sociale. Un tel mouvement habilite tant les Palestiniens que celles et ceux qui les soutiennent, et il leur permet de s’opposer aux mesures oppressives de l’occupation israélienne et de résister avec succès d’une manière responsable et non armée. Il démontre en outre que l’occupation est coûteuse et qu’elle crée une incitation pour
les membres de la société civile israélienne à tenir leur gouvernement responsable, et à l’appeler à mettre fin à de telles politiques qui sapent leur propres intérêts nationaux et anéantissent la solution à deux États. De plus en plus, des États, à titre individuel, se dissocient de l’entreprise coloniale de peuplement, que ce soit au niveau bilatéral ou multilatéral, ou dans les sphères publiques et privées. Ces étapes sont une mise en application de politiques et de principes, de même que de leur droit
national et du droit international, et elles sont destinées à sauver la solution à deux États face à une politique profondément préjudiciable d’expansion coloniale menée par Israël. Avec ce changement de paradigme, les règles de l’engagement ont bougé. Les citoyens, les États et les gouvernements du monde ne sont plus prêts à tolérer la course effrénée du gouvernement israélien pour la création d’un « Grand Israël » ou d’un système d’apartheid d’occupation et de discrimination. Quand le se-
crétaire d’État US, John Kerry, a fait allusion à cette réalité, plutôt que de tenir compte du message, les dirigeants israéliens se sont lancés dans une campagne hystérique contre le messager. Aucune pirouette ni « hasbara » (une propagande pourtant largement financée) ne seront capables de contrer un tel mouvement mondial et en expansion. L’utilisation abusive du vieux mantra usé de la « délégitimation » et du parti pris anti-israélien est fallacieuse étant donné les violations constantes et systématiques par le gouvernement israélien du droit international et du droit humanitaire international. Si Israël choisit de se définir uniquement à travers son projet d’occupation par la colonisation et le nettoyage ethnique, alors il supporte seul l’entière responsabilité de sa propre « délégitimation ». La Dr Hanan Ashrawi est membre du Comité exécutif de l’OLP et elle dirige le Département Culture et Information de l’OLP. n
Traduction : JPP pour BDS France
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lire
Hommage au poète Juan Gelman
Vie et mort d’un théâtre yiddish tessa parzenczewski
C
’est en 1878 que le professeur Markus Fabrikant fonda à Czernovitz son Grand Cabaret. Un théâtre yiddish un peu particulier. Dans son souci d’éduquer les masses juives et de leur donner accès à la culture universelle, Markus Fabrikant conçut une série de tableaux vivants représentant des personnages historiques : le petit Mozart à la cour de Marie-Thérèse rencontrant la petite Marie-Antoinette, Napoléon et Joséphine, Christophe Colomb débarquant en Amérique, et, plus tard, Marie Curie découvrant le radium, avec effets spéciaux ! Sans oublier les héros imaginaires, comme Othello et Desdémone et aussi des personnages bibliques. Et pour jouer tous ces rôles, rien que des femmes, hormis le professeur en récitant. C’est quasi au berceau que Markus Fabrikant recrutait ses actrices. Parcourant les orphelinats, il décelait des talents précoces chez des fillettes entre sept et dix ans, les regroupait dans une sorte de home et les formait. De Czernovitz à Bucarest, de Cracovie à Vilnius, de Varsovie à Kiev, durant soixante ans, le Grand Cabaret du professeur Fabrikant sillonne les routes. La grande guerre, l’effondrement de l’empire austro-hongrois, les chamboulements géographiques, les villes qui changent de nom au gré des traités, les pogroms, la montée des périls, aucun obstacle n’arrête Markus Fabrikant. À sa mort, en 1937, il lègue le
théâtre à son neveu, Herman. Les petites filles ont vieilli ; septuagénaires, elles jouent toujours les mêmes rôles. Kreindl, le rossignol de Bucarest, la grande et la petite Gina, Perla, Esther Licht, la « duchesse »… On ne saura jamais rien de leur vie tout au long de ces années, amours, désirs, rêves ? En 1939, le théâtre s’arrête net. Et un épilogue laisse imaginer le sort
des protagonistes. C’est dans l’imaginaire de l’Israélien Yirmi Pinkus qu’a germé cette étrange épopée. Caricaturiste et dessinateur de BD renommé, il avait d’abord conçu un roman graphique, mais l’écriture a tout envahi, laissant seulement quelques dessins au fil des pages. Et c’est ainsi que l’auteur nous plonge, dans un style
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réaliste et corrosif, à l’intérieur de deux mondes, le monde passionné, en marge, et parfois farfelu, de la troupe théâtrale, avec ses rivalités, ses divas féroces, ses réelles tragédies, et le monde de la grande bourgeoisie où les héritages font surgir des vrais rapaces et des méchants comme dans les pires mélos. Dans une construction en zigzag, dans une chronologie constamment bousculée, l’auteur intercale des récits d’enfance qui éclairent les origines des comédiennes orphelines. Parfois on croise des personnages réels, comme Abraham Goldfaden, l’auteur de La Sorcière, et créateur du théâtre yiddish. Dans un pays où le yiddish, la langue et la culture, a été longtemps ostracisé, méprisé, et peutêtre l’est-il encore, il est très étonnant de voir paraître ce roman, parsemé d’expressions yiddish, qui fait revivre avec émotion, nostalgie et humour, les années fastes de cette culture, et le dernier spectacle mort-né de la troupe, dédié au poète Itzik Manger, en devient emblématique. Dans une interview, Yirmi Pinkus a déclaré que pour lui le yiddish est une langue subversive. Peut-être met-elle à mal les certitudes carrées du « nouveau juif » ? n Yirmi Pinkus Le grand cabaret du professeur Fabrikant Traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz Grasset 459 p., 24,70 €
Antonio Moyano
J
uan Gelman, je ne l’ai lu qu’après son décès, j’ignorais même tous les drames qui l’ont frappé. Gelman c’est aussi le digne exemple de la ténacité, lisez le livre de Carlos Liscano : L’Impunité des bourreaux : le cas Juan Gelman1. Poète de Buenos Aires, il était le seul de sa famille à naître en Argentine, ses parents sont des émigrants juifs venus d’Ukraine ; il avait un demi-frère, Boris, son aîné de 19 ans qui parlait et lisait couramment le russe et lui récitera enfant du Pouchkine à dada-dada. Et sa militance, ses engagements politiques, Juan les a tous vécus pleinement, suivant ainsi l’exemple de son propre père qui avait connu la révolution avortée de 1905 et qui piaffait d’impatience de retourner en Russie lors de la révolution d’Octobre ; il fuira la république des Soviets la même année que Trotski, déçu, après y avoir vécu dix ans, et avant que les frontières ne se referment. Quelle heure est-il ? L’heure idéale pour écouter Cantata del Gallo Cantor, poèmes de Juan Gelman chantés par le Cuarteto Cedrón, en 1972. Juan Gelman est décédé à Mexico le 14 janvier 2014 ; ses cendres ont été répandues à Nepantla, sur les flancs d’un volcan, du haut d’un pont ferroviaire datant du temps de Zapata. Nepantla c’est aussi la terre de Sor Juana Inès de la Cruz (1651-1695), et si je dis ça c’est que Gelman a mêlé sa – comment dit-on pour les plantes ? Oui les greffes –, avec le dire des poètes mystiques, San Juan de la Cruz ou Santa Teresa de Jésus, et bien sûr les poètes du tango.
« J’ai écrit les poèmes de Dibaxu Vers le Sud et autres poèmes qui en séfarade, de 1983 à 1985. Je vient de paraître dans Poésie/Galsuis d’origine juive, mais pas sé- limard. Dès qu’on évoquait devant farade, et je suppose que cela lui, le kidnapping/ séquestration/ entre en jeu dans cette affaire. Je mise au secret/torture/liquidapense néanmoins que ces poèmes sont avant tout l’aboutissement ou, plutôt, l’embouchure de Citations et Commentaires, deux livres que j’ai composés en plein exil, en 1978 et 1979, et dont les textes dialoguent avec l’espagnol du 16ème siècle. Comme si la solitude extrême de l’exil me poussait à chercher des racines dans la Juan Gelman et sa petite-fille retrouvée langue… » (Salaires de des l’impie et autres poèmes, traduit tion/assassinat/disparition de l’espagnol par Jean Portante, corps de son fils et de sa belle2002). Désireux de combler mon fille, Juan Gelman s’empressait de ignorance, je me suis offert les dire : « Oh vous savez, ce n’est pas 1310 pages de sa Poesía reuni- un cas isolé, plus de 30.000 ont » Des militaires (c’était da : 1956-2010, (prólogos de Ju- disparu. lio Cortázar y Pere Gimferrer, Seix lui qu’ils cherchaient en réalité) Barral, 2012), rien ne presse, sa- ont séquestré son fils et sa bellevourons ces 1310 pages à rythme fille qui était enceinte. Qu’est delent… De nos jours, goûter la poé- venu l’enfant ? Encore une autre sie c’est aussi surfer sur internet, douleur. Lumière de mai2 se fait allez voir www.juangelman.net. l’écho de la lutte des Mères de la Et sur YouTube le très beau do- Place de Mai : « avec mon corps cumentaire Juan Gelman y otras vidé de toi/tu étais à moi/ta joue cuestiones (1h25’). Juan Gelman appuyée sur mon sang/me donétait aussi chroniqueur politique, nait soif/chaud/tu embrassais lisez ses articles sur www. rebe- mes viscères/mon sternum/mon lion.org. Ecoutez aussi sur France- coccyx/l’immaculée… ». n Culture, le « Ça rime à quoi » avec 1 Carlos Liscano, L’Impunité des bourreaux. la voix du poète, le bandonéon de L’affaire Gelman, traduit de l’espagnol Cesar Strocio, les lumineux com- (Uruguay) par Françoise Thanas, Bourin mentaires de Jacques Ancet, son Éditeur, 2007, 244 pages. excellent traducteur : Lettre ou- 2 Lumière de mai. Oratorio (La Junta luz), verte, Sous une pluie étrangère, traduit de l’espagnol par Monique Blanquière Roumette, Le Temps des cerises, Com/positions, L’Amant mon- 2007, 165 pages. dial, L’Opération d’amour, et enfin
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lire Père/Fils : qui cherche qui ? (épisode n°5 : Stefan Zweig, William Saroyan, Herbert Gold)
oui, c’est un des grands thèmes du livre ; à demi-mots et en sourdine : la vie, les conditions d’existence, l’époque en ont fait deux hommes très différents, sinon antagonistes. Par exemple, le fils aimerait que le père se retourne vers le passé. Et le père lui ré-
antonio moyano
R
ue du Printemps à Ixelles, il y a un tout petit théâtre au nom très mozartien : Théâtre de La Flûte Enchantée. Du 7 au 30 mars 2014, Légende d’une vie1 de Stefan Zweig sera à l’affiche. Voyez, je passe l’info bien à temps, et voici le fils du Grand Poète qui en a marre, on lui resserre toujours le même plat : Votre père, votre père, votre père ! Lui qui ne rêve « que d’être anonyme, inconnu, étranger ». L’action se déroule dans la maison-musée du Grand Poète, venez voir sa tombe, elle est dans le jardin. Cette gloire est un étouffoir pour ce fils sensible et lucide, « ils attendent en douce : que je m’effondre lamentablement en me mesurant à mon père, que je ressorte un peu ridicule de la comparaison. » C’est que le fils a des velléités littéraires, aïe, aïe ! Stefan Zweig, je crois, devait en connaître un bout sur la progéniture des gens célèbres. « Oh les autres ! Ils ont le droit d’essayer, d’errer, de se retrouver, de se perdre à nouveau, d’êtres médiocres – moi seul, je dois être accompli, sans quoi je suis le singe de mon père, le parasite de sa gloire. » Il y a aussi un secret de famille dans Légende d’une vie. Et c’est ce qu’on s’acharnait à cacher qui deviendra justement la « focal » permettant au fils de regarder son père en face. « Puisje m’arracher ce visage qui est
le sien ? Pour les gens je ne serai jamais personne d’autre que le fils, toujours le fils, toujours le rebut, la copie, l’avorton, le déchet, jamais moi-même. » Il en va tout autrement pour le gamin du Papa, tu es fou ! 2 de l’Américain, fils d’émigrants arméniens, William Saroyan (Fresno, Californie, 1908). Le papa s’est glissé dans la peau du fils : « Si on jouait à faire semblant que tu es moi et que je suis toi. Tu as dix ans et moi j’ai quarante-cinq ans. » Ce roman déborde de savoureux dialogues, cocasses, poétiques et même philosophiques, du genre : papa, est-il possible d’écrire dans une langue où le mensonge est interdit ? Faut dire que le papa traverse une crise : plus aucune inspiration, lui et sa femme ce n’est pas folichon, l’un et l’autre se donnent un temps de répit. Le papa quitte le foyer familial pour s’installer dans un petit bungalow en bord de plage, et voilà que son gamin lui demande : papa, je peux rester avec toi ? « Je me sens tellement perdu et désorienté, dit le père, que j’écris un livre de cuisine ». Et il charge son gamin de prendre sa place : toi, tu écriras un roman, ça te va ? O.K., dit l’enfant. Qui enseigne à qui ? Car naïf ou plein de sagesse, l’enfant questionneur invite à un radical lavage des yeux, à un ressourcement. Ce roman est paru en 1957 ; la même année il publie Maman, je t’adore, qui met en scène sa fillette. Le livre,
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divisé en 63 saynètes, avance sans intrigue mais avec bien des mystères car pour l’enfant tout est question, tout est énigme. « Mon père sait que quelquefois il m’énerve terriblement, et même que je le déteste quelquefois… Il a dit que c’était naturel pour un fils de détester de temps en temps son père. » L’air de rien, le père distille de subtils conseils pour que le fils atteigne son but : écrire un roman (cela reste un jeu, bien sûr). Comme si le père voulait lui faire profiter de son expérience. Par exemple, « il n’y a rien dans la Nature fabriqué par l’homme qui ne mérite pas d’être regardé d’une manière particulière. » Chaque fois que l’enfant dit : « Comment ça s’appelle ? – Trouve un nom, toi » répond le père. Moment crucial, quand surgit dans leur tête-à-tête le père du père : « Il n’avait que trente-sept ans. Eh bien, j’avais presque trois ans quand mon père est mort il y a quarante-deux ans, et cependant je ne me rappelle pas grandchose de lui. » Un par contre qui n’a pas oublié son père, c’est Herbert Gold (Cleveland, Ohio, 1924), l’auteur de Pères3. Je l’ai découvert dans la bibliothèque de mon ami Alain Mihály ; par peur de le salir, car je crayonne et griffonne, je me suis empressé d’intégralement le photocopier. L’auteur se fait l’historien de la vie de son père, et la complicité est énorme entre eux et cependant… Mais
torque : « Non. Je ne regarde jamais en arrière. Qu’est-ce que je verrais ? Mon ombre. Toi, tu t’occuperas des ombres. C’est ton métier. » C’est une histoire d’immigration sans retour possible. Le monde d’où vient le père est un monde anéanti, vous voyez, il était né là-bas en Ukraine, à Kamenets-Podolski, lieu de sinistre mémoire. Arrivé quasi-adolescent à New York, il a été porteur d’eau sur les poutrelles des buildings, louant un tiers d’un lit dans un sous-sol, 8 heures par nuit, marchand de quatre-saisons avec charrette à bras, et puis un petit camion, et puis une épicerie. Et toujours levé à l’aube. Et son fils aîné a fait l’université, il est
devenu écrivain. « Mon père, âgé de douze ans était déjà socialiste, libre penseur, révolutionnaire, et il voulait partir pour l’Amérique. (…) Le « grand-père borgne menaçait son fils de le battre et de le maudire si jamais le garçon réalisait son désir de s’enfuir. Le père de mon père croyait aux vieilles malédictions et aux anciennes promesses. (…) Un par un, grâce à l’argent qu’il avait gagné à New York, il fit venir ses frères et sœurs en Amérique. » En 1912, le père put même se payer un voyage au vieux pays, il aurait tant aimé convaincre ses parents de le suivre en Amérique. « Il revint à New York afin d’y gagner l’argent qui lui permettrait de faire venir ses parents. Ils avaient promis. Au lieu de cela, la guerre de 1914 éclata. Avant que les parents puissent se mettre en route, ils furent tués d’une manière qui est restée obscure. Il y eut un pogrom. » Puis le père s’en va travailler à Canton (Ohio), et puis définitivement à Cleveland. Il expliquait à son jeune frère Ben (celui qui ne s’adaptera jamais à vivre loin du vieux pays et finira par se suicider) en yiddish, en russe, et même en anglais qu’il était important d’apprendre à lire dans son abécédaire pour petits enfants. Il rencontre aussi des personnages peu ragoûtants comme ce Shloimi Spitz et son frère Moishe qui rackettent d’autres juifs. Ou quand un salaud de La Légion noire (une excroissance du Ku Klux Kan) provoque, insulte et veut écrabouiller son père. Avec quel plaisir on ressent comment le fils endosse littéralement le personnage du père afin de restituer au mieux épi-
sodes gais ou tristes, les vicissitudes d’une époque ancienne. Et inoubliables tous ces employés de l’épicerie qui restent dormir le vendredi soir afin d’être frais dispos et d’attaque pour la grosse journée du samedi : Myrna, Caruso, Red Schwartz, Andy… Voilà j’arrête, je ne peux résumer ce livre magnifique ; disons juste que se profile à demi-mots un drame grave et douloureux : comment un fils devient l’ennemi de son père. Et de quoi le père est-il coupable ? De ne pas fournir « le mode d’emploi » de ce trop d’amour qu’il donne sans compter ? Car le fils devenu adolescent en viendra à le détester, à en avoir honte, tentant même de l’étrangler. Et pourtant, jamais aucun être ne lui sera aussi fidèle que son père. Vers la fin, surgit l’effrayante figure de L’Estropieur, pourquoi ? Je ne l’ai compris qu’après-coup. Et si on se fixait rendez-vous ? Nous pourrions en parler plus longuement, je vous passerai ma liasse de photocopies, ce livre est si difficile à trouver4. Alors que j’écris ces lignes, j’apprends que Pères est ressorti en 2002, avec une préface de Jerome Charyn, dans une collection nommée « Les Oubliés », qui dit mieux ? n Stefan Zweig : Légende d’une vie, pièce en trois actes, traduite de l’allemand par Barbara Fontaine,Bernard Grasset, 2011, 170 pages. 2 William Saroyan, Papa, tu es fou !, traduit de l’anglais par Danièle Clément, Gallimard, 1983 (Collection Folio, n°1449), 154 pages. 3 Herbert Gold, Pères, traduit de l’américain par Jean Bloch-Michel, Calmann-Lévy, 1968 (Collection « Traduit de »), 285 pages. Réédition Metropolis, 2002 (collection Les Oubliés), préface de Jerome Charyn. 315 pages. 4 Un exemplaire de Pères d’Herbert Gold est disponible à la Bibliothèque des RichesClaires ; commande + délai d’attente, il est à la réserve. 1
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regarder Comme un singe en été elias preszow
U
n message vocal du père vient sauver mon dimanche. Il fait gris et froid dehors. Somme toute, un temps parfait pour l’écriture. Car ce que m’offre le paternel ce n’est rien de moins qu’un projet d’article sur le film de Boris Lehman : Mes sept lieux, que nous avons vu ensemble. Ensemble, en famille… Non seulement ledit père, mais également la mère. Et le frère avec. Puis tous les amis. Ses amis, il est dit que, malgré sa solitude, Boris ne se déplacera jamais seul. Son avant-première à Bozar entraîna dans la foulée tout un petit monde, oserais-je dire une secte ? Et voici que, de ce pas, je me mets en route pour vous conter de quoi il s’agit. Il était une fois : Un homme qui déménage. Comme il l’annonce en préambule des 10 bobines qui vont suivre, des 375 minutes tournées en 16 mm, on lui intime l’ordre de quitter un appartement où il vivait depuis au moins longtemps : « Le 6 décembre 1999, j’ai été expulsé de l’appartement – plutôt un arrière-grenier – que j’occupais depuis 10 ans, rue Antoine Labarre, à Ixelles. Expulsé par la propriétaire qui, sûre de son droit, avait déjà arraché quelques mois auparavant la serrure de sécurité que j’avais placée à la porte d’entrée, sous prétexte qu’elle n’était pas d’origine. Arraché aussi le polygonum grimpant qui tapissait la façade d’un
vert vif jusqu’au balcon, que nous avions planté, ma co-locataire et moi un an auparavant. Cassé endessous et au-dessus de l’endroit où je dormais, en faisant entrer ses ouvriers sous prétexte de travaux urgents qui n’avaient jamais été faits pendant les 10 années que je vivais là, dans l’humidité et la moisissure, le froid, les courants d’air et la mérule »1. L’homme doit donc faire ses caisses, ses cartons. Ranger ses papiers, trier ses bricoles, ses souvenirs, ses chaussures, ses archives : toute la glorieuse poussière du quotidien, déposée jour après jour comme les briques d’une Babel intérieure. Et le film est bien le produit d’un archivage permanent. Celle d’une existence entière noyée dans des kilomètres de pellicules. De quoi emballer la plus pudique des nudités. De quoi vous purifier un être, les choses qui l’entourent, les personnes qu’il chérit, pour l’éternité. Tel est le scénario. Une performance où brûlent tour à tour l’indépendance, l’orgueil et la générosité. Dans son film fabuleux, Sans soleil, Chris Marker a cette réflexion devant un tremblement de terre qui secoua le Japon : « La poésie naît de l’insécurité : Juif errant, Japonais tremblant ». Si je restitue de mémoire cette phrase c’est pour tenter de saisir ce qui gravite dans l’univers de Maître Boris. Quel est l’itinéraire qu’il poursuit, sur quel plan se déploie-t-il, et pourquoi
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le cinéma semble un moyen des plus adéquats pour l’exprimer ? Un homme déménage. Il part. Et, ce faisant, il nous fait découvrir sa ville : Bruxelles. De 1983 à 2006, celle-ci a fort changé. Disons simplement que le désert croit… La « flageylisation » n’en est qu’un exemple parmi tant. Lehman, en poète, cherche à capter l’éternel du transitoire, à donner dignité – à la conquérir au forceps, tel Sisyphe hissant toujours le rocher de l’absurde – à ce monde qui disparaît peu à peu. Au nez et à la barbe de cette société… Rien de nostalgique pourtant dans ce film. L’épreuve de force qu’il engage avec la réalité ne le permettrait pas. Pourtant, il y a de la mélancolie, et des plus raffinées, dans l’évocation de ces paysages d’antan, des souvenirs qui peuplaient les ruelles, comme autant de portraits pris sur le vif : des chroniques de la pensée. Statues d’argiles qu’envahissent bientôt le lierre, la mousse, l’humide et proliférante sauvagerie de la Nature. Et si nous faisons parfois la fine bouche devant un réalisateur qui paraît avoir tout donné à l’expérience artistique, lui n’a pas de mal à nous montrer ses notes de frais ; on pourrait même dire qu’il jubile de nous faire part de sa paperasse trop humaine : comptabilité, rendez-vous médicaux, achat de fripes dans les magasins de seconde main, entretien professionnel,… et séance de mon-
tage, tout cela figure dans l’épopée que traverse un héros sans autre origine que sa propre renaissance. Infinie gestation. Voilà le mythe de Boris. Et il se rattache aux lieux par un lien si organique qu’il faudrait dire de la géogra-
née, – où, avec quelques amis, nous avions joué les curieux. Avec un humour qui est l’autre nom du plus grand sérieux, il se dépeint en l’an de grâce 1995, sous les habits d’un Christ bientôt trahi par ses plus proches (le ci-
phie qu’il dessine qu’elle est plutôt une splendide anatomie ; c’est dire qu’elle prend des allures de destin. Il ne manque plus que nous, spectateurs, pour y croire. À lui donner notre confiance : notre temps. Ultime raison de tourner, sauter sur place. Voir si le sol tremble, si la terre ne serait pas riche de quelques miracles à venir : « courage Boris ! » Le seul autre film qu’il m’ait été donné de voir de ce singulier personnage est intitulé : La dernière (s)cène, L’évangile selon saint Boris, court-métrage que Patrick Leboutte avait sorti de ses tiroirs, lors de l’un des séminaires qu’il donne à l’INSAS en début d’an-
néaste Claudio Pazienza y tient le rôle de Judas), alors qu’en arrière-plan des grues et des Caterpilars engloutissent les façades de ce qui sera le sordide quartier européen « dans une rue complètement rasée par les promoteurs immobiliers, juste avant l’arrivée de la police » ; les pigeons n’ont plus qu’à s’envoler dans un ciel triste comme l’Histoire. Irréparable miroir que Boris ne cesse de briser, afin de voir la lumière qui perce entre les fêlures. Avant de terminer ici un article qui pourrait se prolonger trop longuement, j’aimerais faire un petit rapprochement entre l’œuvre de Boris Lehman et celle d’un autre
type d’errant, le grapheur Bonom. Dont ont apprendra la « véritable identité » en allant à une exposition consacrée à son travail-vie, dans une galerie de l’avenue de la Toison d’Or (l’ISELP). Photos prises par un ami, et développées sur de vieilles planches avec un processus de contamination virale : taches qui se dispersent au gré du hasard, comme prises dans quelque champ magnétique. « Vous connaissez tous l’expression « prendre la poudre d’escampette » ; c’est ce que j’ai fait, je me suis esquivé, je n’avais pas d’autre solution puisque nous avons écarté celle de la liberté. »2 Comme pour le singe de Kafka, de Bonom, vous devez connaître les squelettes de dinosaures peints devant le Musée d’histoire naturelle. Et certains ont dû remarquer cette femme aux jambes écartées à la hauteur de la place Stéphanie (là en haut lorsque vous attendez le 94 en direction du Musée du tram…). Ou encore ces araignées et ces méduses qui entourent la gare de Recyclart de leurs fuseaux délirants. Il y a les algues du canal, aussi. Vous voyez maintenant ?! La démarche de Bonom, Le Singe boiteux n’est pas sans ressemblance avec celle d’un Boris Lehman. Constellation à la fois clandestine et illuminée où les gestes prennent lieu de chefd’œuvre, où l’on joue avec la loi, pour mieux se dépasser, et repousser toujours plus loin les limites d’une ville-planétaire qui va droit dans le mur. n www.borislehman.be/soupage/Mes%20 7%20lieux.html 2 F. Kafka, Rapport à l’académie. 1
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mémoire(s) Simplement Justes Une rencontre avec Najib Ghallale, directeur de l’Espace Magh propos recueillis par gérard preszow Entre le livre Le Dernier des Justes d’André Schwartzbart, le film Le Dernier des Injustes de Claude Lanzmann et face au Mémorial israélien des « Justes » de Yad vaShem, se tient l’exposition des « Simplement Justes » proposée par l’Espace Magh, et conçue par l’artiste plasticienne Bettina Massa. Faut-il que l’heure soit grave pour que les festivités liées aux cinquante ans de l’immigration marocaine ne débutent pas par une exposition qui lui est consacrée dans un lieu qui lui est destiné mais par une exposition qui rend hommage aux « Maghrébins, Arabes, Turcs, Albanais, Iraniens... qui ont sauvé des Juifs de l’extermination nazie ». Et l’heure est grave, en effet, au moment où le parlement belge résonne de propos antisémites, où le pavé parisien « en colère » vibre de slogans repris des ligues des années 30, où un antisémitisme surgi du sein même des populations maghrébines se fait jour. L’exposition, qui allie souci esthétique et démarche historique et pédagogique, devrait servir de point de départ pour aborder la Shoah tout en se référant à des gestes exemplaires de mains tendues d’Arabes vis-à-vis de Juifs au moment du plus grand des périls. Qu’une certaine hagiographie en soit le prix n’est pas rédhibitoire face à de tels enjeux ! De ce point de vue, l’exposition est plus tournée vers le présent et l’avenir que vers une commémoration mélancolique. C’est un geste fort, un choix délibéré que de s’ouvrir à l’autre, de transcender les crispations sinon les haines pour faire appel aux valeurs supracommunautaires de résistance,de générosité et de solidarité. Je suis surpris que l’Espace Magh ouvre la célébration du cinquantenaire de l’immigration marocaine par un hommage aux « Justes » maghrébins qui ont sauvé des Juifs pendant la guerre. C’est un geste fort, si énorme... que je ne peux m’empêcher de te poser la question. C’est légitime ! Pourquoi ne pas avoir ouvert par une exposition sur l’immigration ? L’originalité est là, justement. Une façon de donner le « la » et d’annoncer la couleur dès le départ. Les cinquante ans ne sont
pas simplement une célébration dans l’histoire de l’immigration mais aussi l’occasion de rappeler qu’aujourd’hui il est plus important de parler de ce qui nous réunit que de ce qui nous sépare vu la conjoncture politique et de rappeler qu’il n’est pas question d’importer des conflits qui sont loin de nous et enveniment les relations entre les différents citoyens Cela n’en reste pas moins surprenant ; c’est un geste très fort qui s’adresse principalement au public de l’Espage Magh. Oui, c’est un geste nécessaire et
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essentiel aujourd’hui Qu’est-ce qui vous fait dire cela ? Il y a une situation très difficile. Il y a des incompréhensions. Il y a des remarques dans les différentes communautés, maghrébines et juives ; on s’adresse à ces communautés prioritairement et à tous les publics. Il faut rappeler des pans d’histoire qui sont méconnus et tabous. Il n’y a rien qui peut mettre en question sur le plan humain les relations entre Juifs et Musulmans. Je n’ai pas voulu mettre le mot « musulman » à cette histoire pour ne pas don-
ner une connotation religieuse. Pendant la période la plus douloureuse pour les uns et pour les autres, on s’est mobilisé sur une motivation humaine : l’autre c’est nous et nous sommes l’autre, aussi. Il a fallu imposer l’idée de cette exposition. Au niveau de l’organisation, on l’a tenu un peu au secret pour ne pas céder aux pressions des uns et des autres. Il fallait prendre des risques importants. Au-delà de l’immigration, il s’agit de valeurs humaines. Quel est ce tabou ? Le tabou, c’est de reconnaître que le Juif n’est pas l’ennemi. Et que le Maghrébin n’est pas l’ennemi du Juif. Un tabou, parce que c’est très difficile d’en parler autour de nous. J’en discute assez souvent et je vois que pas mal de personnes le pensent mais n’osent pas le dire. De quoi ont-ils peur ? Il y a un tabou psychologique. Si je travaille avec des Israéliens sur le plan culturel, c’est tout de suite « non ». Un tabou, parce que la Shoah du point de vue arabe n’est jamais abordée. Et il ne nous est pratiquement pas permis d’en parler quand on n’est pas Juif. Et au sein des communautés maghrébines, il y a une présence de plus en plus forte d’un radicalisme religieux qui refuse de reconnaître qu’une certaine fraternité a existé historiquement. C’est la raison pour laquelle il m’a paru essentiel d’annoncer la couleur par une exposition comme celle-là. Vous parliez de pressions... Par exemple de la part de personnalités politiques qui ont peur de se mouiller de crainte de perdre la sympathie d’électeurs ; de la part de membres de communautés juives qui estiment qu’on n’a pas le droit d’en parler ou alors qu’il faut en parler en se reférant
à l’esprit de Yad vaShem qui ne reconnaît pas les Justes d’origine arabe. Yad vaShem reconnaît des Justes musulmans, des Albanais essentiellement, quelques Turcs mais pas un seul Arabe. On parle de Mohammed V, on ne parle pratiquement pas du Bey de Tunis qui a affronté les Allemands – la Tunisie était le seul pays du Maghreb occupé par les Allemands – et tous les anonymes. On retrouve des témoignages de survivants de cette époque mais on ne nomme pas toutes les personnes qui ont sauvé des Juifs au péril de leur vie. Il y a eu récemment la reconnaisance par Yad vaShem du premier Juste égyptien, Mohamed Helmy, qui figure dans l’exposition mais la famille s’y est opposée pour des raisons géo-politiques, de crainte de passer pour des alliés d’Israël ! Comment vous est venue l’idée de cette exposition ? Dans un premier temps, j’ai été influencé par le rabbin Nathan Lévy à Londres qui rendait hommage à des Justes musulmans et ensuite par les recherches de l’historien américain Robert Satloff. Ce dernier aborde des cas de déportations de Juifs européens vers le Maghreb et de camps de travaux forcés, qu’il qualifie de camps de concentration. C’est une chose dont on n’a jamais parlé. Je suis allé à Londres en avril 2013 où il y avait une petite exposition didactique que je voulais faire venir mais qui ne me paraissait pas assez consistante. Cette expo se tenait de manière quasi intime et peu accessible dans le Board of Deputies of British Jews. J’ai rencontré ce rabbin et il était enthousiaste à l’idée que le concept vienne à Bruxelles. Ici nous l’avons amplifié et intégré dans une démarche artistique
confiée à Bettina Massa. Au vernissage, les réactions étaient très positives. Vous prévoyez un travail pédagogique. Les écoles nous contactent. C’est une façon d’aborder la Shoah dont on parle très peu. Ces écoles se trouvent dans des quartiers mélangés où les enfants ont une vision de la Shoah parfois très inquiétante et une autre vision des Juifs tout simplement. De ce point de vue, je souhaite que cette expo puisse aller là où il faut. Pensez-vous que la situation est grave dans les relations communautaires ? De plus en plus ! Moi qui vis cette question depuis très longtemps, je vois que l’antisémitisme revient de manière très inquiétante. Je le vois dans mon public, je le vois dans la presse. Cela vient de l’instrumentalisation par des courants radicaux de la question israélo-palestinienne qui envenime les relations intercommunautaires. Nous avons tous intérêt à parler de ce qui nous réunit. C’est facile de parler de ce qui nous divise mais c’est très difficile de parler de ce qui nous réunit. Cela paraît simple mais ce n’est pas évident. Quand on parle positivement des Juifs dans certains milieux de l’immigration, on est tout de suite taxé de pro-sioniste. n « Simplement Justes » à l’Espace Magh, 17, rue du Poinçon, du 17/1 au 7/3 (entrée libre du mardi au samedi, de 11h à 19h) www.espacemagh.be À ne pas négliger, le catalogue ingénieux qui reproduit tous les textes et que l’on peut emporter gracieusement.
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mémoire(s) Le sel de la terre roland baumann
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a disparition de Pete Seeger (1919-2014), géant de la musique folk américaine et du protest song nous évoque la mémoire de l’Amérique des luttes contre toutes les discriminations et pour le progrès social, ainsi que le soixantième anniversaire du film Le Sel de la terre. Réalisé par Herbert J. Biberman (1900-1971), Salt of the Earth est un chef-d’oeuvre de cinéma engagé, tourné par des proscrits dans l’Amérique du maccarthysme, dominée par la peur du rouge. Un film dont l’histoire du tournage illustre les épreuves à surmonter par ceux qui, refusant de se soumettre à la vague d’intolérance et de déni des libertés qui dominait alors les États-Unis, voulurent malgré tout continuer à faire du cinéma, tout en restant fidèles à leurs idéaux démocratiques. L’histoire du cinéma américain en ces années du début de la guerre froide est étroitement liée aux retombées de la politique anticommuniste menée par la commission d’enquête de la Chambre des représentants sur les « activités non-américaines », House Un-American Activities Committee (HUAC). Créée en 1938, c’est après la fin de la Deuxième Guerre mondiale que la commission fait parler d’elle, enquêtant sur des cas supposés d’infiltration communiste dans la société américaine et ses institutions, en particulier dans l’industrie du cinéma. Fin octobre 1947, les audiences d’un petit groupe de personna-
lités du cinéma (scénaristes, réalisateurs, etc.) connues pour leurs idées de gauche et convoquées à Washington pour répondre aux questions de la commission, marquent le début de la « chasse aux sorcières » à Hollywood et de la Liste noire du cinéma américain. Interrogés sur leur appartenance au Parti communiste et au syndicat des scénaristes, soidisant d’inspiration communiste, les « Dix de Hollywood » invoquent le 1er Amendement de la Constitution pour refuser de répondre aux questions de l’HUAC. Le travail de mobilisation en faveur des Dix mené dans l’opinion publique par un comité de défense qui regroupe de grandes personnalités du monde du cinéma (Humphrey Bogart et Lauren Bacall, Henry Fonda, Gene Kelly, Judy Garland, etc.) ne parvient pas à endiguer l’offensive de l’HUAC et des groupes de pression anticommunistes (American Legion, etc.) Fin novembre 1947, l’association des producteurs de film condamne l’attitude des Dix. Licenciés par les dirigeants des studios, ils seront inculpés par le Congrès pour outrage et tous condamnés à des peines de prison et des amendes, confirmées en appel.
Grève au Nouveau-Mexique Sortis de prison au printemps 1951, deux des Dix de Hollywood, le scénariste et réalisateur Herbert Biberman et le producteur Adrian Scott, s’associent à leur ami scénariste Paul Jarrico pour fonder leur propre société de pro-
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duction, Independent Productions. En 1950, Jarrico a tourné sous son propre nom le court-métrage The Hollywood Ten, présentant le point de vue des cinéastes persécutés par l’HUAC. Alors qu’il passe des vacances familiales au Nouveau-Mexique, Jarrico apprend que, depuis octobre 1950, dans la petite ville minière de Silver City une grève oppose la compagnie Empire Zinc aux mineurs qui, en majorité d’origine mexicaine, exigent des salaires égaux à ceux des ouvriers blancs. Quand en juin 1951, la grève organisée par le syndicat est déclarée illégale sur base de la loi Taft-Hartley (législation d’inspiration républicaine votée en 1947 pour limiter les droits syndicaux), les femmes des mineurs se substituent à leurs maris pour tenir les piquets de grève. Cette mobilisation féminine exige aussi une amélioration des conditions de vie et d’hygiène dans la petite ville, propriété de la compagnie minière. En 1950, le syndicat des mineurs, (Mine Mill Union) a été expulsé de la CIO (Congress of Industrial Organizations) pour avoir refusé de participer aux purges anticommunistes menées par la puissante confédération syndicale. De retour à Hollywood, Jarrico persuade ses amis de faire un film sur ce conflit social qui s’est terminé en janvier 52 par la victoire des grévistes. Michael Wilson, beaufrère de Jarrico, est chargé d’écrire le scénario d’un film militant à mi-chemin entre le documentaire et la fiction. Les cinéastes doivent triompher de multiples obsta-
cles. Le syndicat des techniciens de l’industrie cinématographique est dirigé par Roy Brewer, un des artisans de la mise en place des listes noires. Cet anticommuniste acharné refuse toute participation des affiliés de son syndicat au tournage d’un film pour des « rouges ». Jarrico parvient tant bien que mal à recruter une trentaine d’hommes pour l’équipe technique du film, dont trois Noirs. Le syndicat des mineurs fournit les figurants et les acteurs de nombreux rôles du film. L’artiste mexicaine Rosaura Revueltas joue le rôle d’Esperanza Quintero, narratrice et protagoniste de la grève des femmes. Le rôle de son mari, Ramon, est joué par un acteur non-professionnel, Juan Chacon, le nouveau président du syndicat des mineurs. Le tournage du film est chaotique. L’accueil chaleureux initial des habitants de la petite ville du sud-ouest du NouveauMexique fait bientôt place à un climat d’hostilité suite à l’envoi d’une dénonciation au syndicat des acteurs et lorsque le tournage du film est dénoncé dans la presse. Rosaura Revueltas est expulsée vers le Mexique par les fonctionnaires des services
de l’immigration. Donald Jackson, représentant républicain de Californie et membre de l’HUAC, dénonce le film comme étant un instrument de la propagande soviétique destiné à stigmatiser les USA et pousser à la haine raciale. Sur place, l’équipe de Biberman se voit de plus en plus menacée. Des renforts de police venus de Santa Fe permettent de terminer le tournage sans incidents graves. Peu après le départ de l’équipe du film, les locaux du syndicat des mineurs sont incendiés.
Boycott du film Le compositeur Sol Kaplan rencontre de nombreuses difficultés pour trouver un orchestre qui accepte d’enregistrer la musique du film. Le montage se fait clandestinement dans des conditions proprement « surréalistes ». En effet, aucun professionnel du cinéma ne veut risquer de perdre sa carte syndicale en montant le film. Biberman doit faire appel à un monteur de la télévision qui se révèle vite incompétent et dont le successeur se révèle être un agent du FBI ! Début 1954, des projections sont organisées à New York mais aucun exploitant ne veut se risquer à acheter ce film « communiste ». Finalement, le propriétaire d’un cinéma au Nord de Manhattan accepte de montrer Le Sel de la terre mais exige 4000 $ pour programmer ce film que tous boycottent. La soirée d’ouverture se tient donc le 14 mars 1954 au Grande Theatre, sur la 86e Rue Est. Le lendemain, la critique du New York Times est plutôt favorable au film. Le Sel de la terre est très mal distribué dans le reste du
pays vu les menaces de boycott de la American Legion. On le joue deux semaines à Chicago et Detroit. Quatre mois, dans une salle minuscule, à Los Angeles où la presse refuse d’en faire la publicité. Très bien accueilli dans les pays du bloc soviétique, puis en Chine, Le Sel de la terre est diffusé en Belgique, aux Pays-Bas, en Israël et en France. En 1955, l’Académie du cinéma à Paris lui décerne le prix du meilleur film étranger et de la meilleure interprétation féminine. En 1992, le film est sélectionné par la Library of Congress pour figurer au National Film Registry. Boycotté par la majorité des américains en 1954, il est alors inscrit parmi les chefs-d’oeuvre du patrimoine cinématographique national. Le film « Hollywood Liste Rouge » (One of the Hollywood Ten, 2000) retrace les démêlés de Herbert Biberman avec l’HUAC et le tournage de Salt of the Earth. Jeff Goldblum y joue le rôle de Biberman, jeune réalisateur talentueux dont « la gloire naissante » est brisée par la chasse aux sorcières.... Marquée également par le coup d’État de juin 1954 au Guatemala, orchestré par la CIA et la United Fruit, l’année 1954, associée à la mémoire de Salt of the Earth, se signale aussi par deux événements notables dans l’histoire de la démocratie américaine. Le 17 mai 1954, l’arrêt Brown v. Board of Education de la Cour suprême des États-Unis déclare la ségrégation raciale inconstitutionnelle dans les écoles publiques. Enfin, le 2 décembre 1954, le Sénat américain censure Joseph McCarthy, provoquant la fin du « champion » de la chasse aux sorcières. n
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histoire(s) Mortara est mort à Liège en 1940 jacques Aron
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ui se souvient encore de l’Affaire Mortara, que déclencha en 1858 l’enlèvement d’un jeune garçon dans une famille juive de Bologne ? Le 23 juin de cette année, la police du Vatican – Bologne fait encore partie des États pontificaux – arrache l’enfant à ses parents pour le faire élever dans la Maison des catéchumènes (convertis) à Rome. Sotheby vient de mettre en vente à New York un tableau de Moritz Daniel Oppenheimer (1799-1882), bon peintre de scènes typiques de la vie juive, formé à Rome mais établi à Francfort depuis 1825, qui représente la scène de façon dramatique : un jésuite et un moine ont déjà pris en main l’enfant miraculé ; le père tente un dernier geste, la mère s’évanouit. L’œuvre serait datée de 1862, quatre ans à peine après les faits qui ont immédiatement provoqué un vif émoi dans l’Europe entière. L’acte que le pape Pie IX s’efforce de justifier et dans lequel il s’impliquera personnellement devient le symbole de la défense acharnée de l’Église romaine pour le maintien de son statut privilégié en cause depuis la Révolution française. La virulence de ce conflit théologico-politique qui ébranle tout le monde catholique fera de ce fait divers un condensé de la question partout à l’ordre du jour, celle de la séparation de l’Église et de l’État.
L’enfant Edgardo Mortara est né en 1851. Gravement malade, il aurait été « ondoyé » secrètement par une jeune servante catholique soucieuse de sauver son âme. Cette disposition du droit canon – l’ondoiement –, une forme d’« assistance religieuse à personne en danger », étant venue quelques années après les faits à l’oreille des autorités, celles-ci résolurent d’arracher l’enfant à sa famille, de confirmer le miracle de sa guérison par un baptême en bonne et due forme et de lui donner une éducation à la mesure de l’évènement. Adopté par le pape, Edgardo deviendra Dom Pio Mortara, chanoine du Latran, prédicateur infatigable de la Mission juive (la conversion tant attendue des Juifs à la venue du Messie) et accessoirement protestante. Il sera plus tard un témoin capital de la canonisation de Pie IX.
les enjeux On comprend aisément que l’Affaire Mortara ait suscité la réaction des Juifs et de leurs communautés dispersées, partout aux prises à des degrés divers avec la question de leur reconnaissance politique dans un environnement encore fortement marqué par le christianisme majoritaire. Elle sera ainsi l’un des évènements fondateurs de l’Alliance Israélite Universelle (Paris, 1860). Mais les enjeux sont bien plus larges. Après la fin des guerres napoléo-
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niennes, toute l’Europe centrale et la péninsule italienne sont à la recherche d’un nouvel équilibre politique. La France et l’Autriche surveillent d’un œil jaloux le développement du Risorgimento (la « résurrection » de l’Italie), modifiant parfois leurs alliances au gré de leurs intérêts et regardant avec appréhension les mouvements populaires porteurs du sentiment national. Entre le Nord et le Sud de la péninsule, les États pontificaux s’étendent encore au moment de l’Affaire, du Pô, qui les sépare de l’Autriche, à la frontière avec le royaume des Deux-Siciles, à mi-chemin entre Rome et Naples. 1861 voit précisément le roi du Piémont, Victor-Emmanuel II, couronné roi d’Italie, après que Garibaldi eut conquis pour lui le royaume de Naples. En 1870, il fera de Rome sa capitale, réduisant le Vatican à une peau de chagrin, dans laquelle Pie IX, se déclarant « prisonnier » de puissances hostiles coalisées contre la chrétienté, tentera – un combat désespéré mais qui n’est pas encore terminé – de jouer le pouvoir divin dont il se dit détenteur légitime contre le pouvoir séculier des sociétés « occultes », du rationalisme, du libéralisme et du socialisme en expansion. À sa mort en 1878, Léon XIII lui succède et, en habile diplomate, s’efforce d’arbitrer les différends de tous les gouvernements conservateurs en isolant ou en désamorçant les
courants d’une révolution sociale en marche. Il n’est pas de pays, dont la Belgique, dans lequel il ne soit intervenu et souvent avec succès.
Mortara missionnaire Revenons ainsi à la vie agitée de celui qui, sous Pie IX comme sous ses successeurs, vivra un destin qui le dépasse – et qui tient donc à ses yeux d’une élection divine – et sera l’instrument souple et obéissant des visées politiques de sa hiérarchie. Parfaitement « conditionné », Mortara a pu reprendre contact avec sa mère, ses frères et sœurs, qu’il s’efforcera en vain de convertir. Sa formation est excellente. À sa connaissance du latin et de l’hébreu s’ajoute progressivement celle de toutes les langues vivantes qui lui permettront de répandre la bonne parole en France, en Angleterre, en Espagne, en Allemagne… Il écrivit le récit de sa vie : « Je suis l’enfant Mortara ». À notre connaissance, il appartient encore entièrement à cette attitude de l’Église face à la synagogue aveugle à la Nouvelle Alliance et qu’il convient de remettre dans la voie de la Vérité. Et s’il intervient par exemple en Allemagne en 1893 à la Journée des Catholiques de Würzburg, au moment où l’antisémitisme politique croît dangereusement, il en reste prudemment (les catholiques sont minoritaires dans le pays) à cette idée qui nous paraît bien étrange aujourd’hui : l’Église est là pour faire gouverner le « surnaturel ». Écoutons-le : « On a dit il y a 35 ans, quand je fus adopté par le pape Pie IX et qu’il se fut déclaré mon père adoptif, que j’étais un martyr, une victime des jésuites – on attribue tout aujourd’hui aux jésuites –, que je vivais dans une prison, et pourtant je vivais heureux à Saint-Pierre-aux-Liens et je baignais dans le soleil ro-
main. J’appartenais à l’Église et son pouvoir surnaturel s’était manifesté à travers ma modeste personne, malgré la politique1, malgré tous les puissants de ce monde, malgré les ministres anglais et français, malgré tous les gouvernements qui avaient protesté contre les agissements de Pie IX dans l’ « Affaire Mortara ». Ce qui en est résulté et qui a trouvé un écho dans tous les milieux catholiques, c’est le puissant « Non possumus » de Pie IX. »2 « Nous ne pouvons rien » contre la volonté de Dieu. La réponse du pape traduit l’interprétation théologique à laquelle son successeur demeurera fidèle : « L’indépendance du pouvoir divinement confié au chef visible de la religion et aux autres pasteurs légitimes pour le gouvernement spirituel de la société chrétienne, a son origine en Dieu même ; quiconque l’attaque ou la méconnaît, nie par-là l’œuvre de Dieu dans la fondation et la constitution de son Église. Mettre des empêchements ou imposer des limites à l’exercice de ce pouvoir, c’est tout simplement placer une institution humaine au-dessus d’une institution toute divine,
et attribuer à une puissance terrestre le droit de juger et de réformer un mandat divin. »3 À la fin d’une longue vie, c’est à Bressoux, dans la banlieue liégeoise, à l’Abbaye de Bouhay que meurt, le 11 mars 1940, le chanoine Mortara, dont certains catholiques conservateurs espèrent encore la béatification. « Il est vrai que compte tenu des polémiques à prévoir en l’occurrence, la perspective de voir aboutir cette procédure serait en elle-même un miracle plus admirable que toutes les guérisons requises pour une canonisation. »4 Sans commentaire. n
Napoléon III, François-Joseph, Montefiore, Rothschild et bien d’autres sont intervenus auprès du pape. 2 Pio Edgardo Mortara, « Ich bin das Kind Mortara », nebst zwei Reden vom Würzburger Katholikentag 1893. Accessible en ligne. Traduction : J.A. 3 Remontrance du cardinal Pecci (futur Léon XIII) au roi d’Italie, 8 juin 1863. 4 Voir le site : « Familles royales d’Europe – Le RP Pie-Marie-Edgard Mortara, chanoine régulier du Latran ». 1
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réfléchir un projet comparable à Saint-Simon ou à Proust. Si elles n’en ont pas l’achèvement stylistique, c’est parce qu’elles sont écrites par un homme pressé, envahi par le sentiment d’une double urgence. Ce monde s’effondre, son regard va s’éteindre. Ses meurtriers lui auront au moins épargné d’avoir à errer dans les ruines de ce qu’il a aimé. Il a parfois la mélancolie d’Isaac Babel ou de Victor Serge dans « Il est minuit dans notre siècle ».
Jacob Israël de Haan. Un et multiple Laurent Vogel
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e 30 juin 2014, on célébrera le 90e anniversaire de l’assassinat de Jacob Israël de Haan par la Haganah. La décision fut prise par des dirigeants du sionisme travailliste. Le caractère exceptionnel de ce meurtre ne peut s’expliquer que par la conjonction de deux impératifs. L’un avait un caractère politique évident : imposer la représentation unique des Juifs de Palestine par le sionisme politique. L’autre s’inscrit dans une dimension sociétale plus profonde, celle de la construction d’un homme nouveau avec un corps différent qui incarnerait la renaissance d’un État national. de Haan fut bien plus qu’une victime. Ses idées constituaient une menace réelle pour ses adversaires En fonction des disciplines, des convictions, des revendications identitaires, son œuvre et sa vie sont dépecées, envisagées sous un angle particulier. Il en sort autant de de Haan différents dont les contradictions suscitent la perplexité. Écrivain de talent pour l’histoire des lettres hollandaises, militant socialiste, poète lyrique du peuple juif, précurseur de la libération homosexuelle, défenseur de l’orthodoxie religieuse, chroniqueur de la société palestinienne. Toutes ces facettes et bien d’autres correspondent chacune à une dimension réelle du personnage. Pour les défenseurs des droits de l’homme, de Haan serait un
précurseur d’Amnesty International. Les militants antisionistes retiennent ses avertissements sur l’impossibilité de construire un État juif dans la justice et la paix. Pour les sionistes, il reste la figure du traître exécré. Faute de pouvoir lui coller l’étiquette de la « haine de soi », on aura l’indulgence de situer dans ses penchants sexuels la source de sa politique. Pour le mouvement homosexuel, il serait un des premiers militants socialistes à avoir pratiqué un « coming out » avant la lettre et à en avoir payé les conséquences. Pour les haredim, c’est le nom du martyr et de l’auto-rédemption dans un combat humble contre ses propres péchés. Chaque fois, des aspects importants passent à la trappe. Lorsque le tri devient impossible, on se résigne à un matérialisme médico-psychiatrique. La partie obscure s’expliquerait par des pathologies. Comme tout être humain passe sa vie à s’efforcer de correspondre aux maladies de diverses nomenclatures, cela revient à expliquer Picasso par un strabisme ou Moïse par le traumatisme d’un bébé abandonné.
Au fil des désirs sacrés et impies Mon propos est de souligner la profonde cohérence souterraine de la vie et de l’œuvre de de Haan. Loin d’être un mannequin désarticulé, il a pendant toute sa vie fait preuve d’une fidélité à quelques principes essen-
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tiels que je tenterais de formuler ainsi. L’amour des autres est indissociable du respect de soi tant dans les relations interpersonnelles que dans l’engagement politique. Ce qu’on exige pour soi, on l’exige pour les autres. Pour tous les autres, qu’on les appelle son peuple ou des étrangers. Cela peut sembler un peu court mais, défendues par un homme à la nuque raide, ces quelques idées fondent une radicalité sans cesse renouvelée par sa propre critique. Il y a une affinité constante, créatrice si on a la force de l’accepter, entre œuvre artistique, mystique, militantisme politique et pratiques érotiques. Sa vie brûle de la flamme de son Quatrain: « Ne cherche pas la sécurité ou le péril, Car dans la volonté de Dieu tout est un. Au fil des désirs sacrés et impies, Son Amour m’a conduit à Jérusalem » Ses convictions religieuses ont oscillé entre la rigueur de l’orthodoxie, la liberté blasphématoire du mystique, l’athéisme ou l’agnosticisme, la lente mélopée des rites dans l’intimité du culte familial ou des petites synagogues. Ses engagements politiques passent par le socialisme, la lutte contre le tsarisme, le sionisme du parti Mizrahi et l’antisionisme de l’Agoudat Israël. Le rejet du nationalisme traverse l’entièreté de son œuvre littéraire et de sa vie
Explorer l’intertextualité
politique. Il pressent l’impasse israélo-palestinienne à travers la constitution de deux nations à la place des communautés fragmentées qui vivaient en Palestine. Il entend sortir l’homosexuel de sa condition de marrane. Son rejet de la censure par les socialistes hollandais1 se retrouve intact dans le mépris avec lequel il accueille, 20 ans plus tard, la campagne du quotidien Haaretz contre lui. Il accorde une place centrale à la subjectivité dans l’analyse politique. Son œuvre littéraire est chatoyante. La poésie résonne des échos de Samuel Ha-Naguid2. Elle plonge dans ce grand fleuve des poésies mystiques et homoérotiques communes aux traditions hébraïque et arabe, turque et persane. Ses romans et récits s’inscrivent dans la lignée d’une littérature qualifiée de décadente à l’aube du XXe siècle. Ses chroniques veulent capter l’entièreté d’un monde par le déclic de la subjectivité. Elles posent un regard ironique, curieux, dans
Sa littérature se comprend dans l’intertextualité. Chaque style, chaque création n’acquiert un sens complet que par l’appel aux autres. Il y a là un point commun avec les signaux du désir. Son récit Le monstre de Chine s’ouvre sous cette invocation : « Amo e il segreto mio non posso dir »3 (« j’aime et ne peux dire mon secret »). Aucun texte ne prétend tout dire. Il éveille l’attente. Il ne naît que par le plaisir qu’y prendra le lecteur. Dans la première étape de sa vie adulte, de Haan goûte la liberté d’Amsterdam. Instituteur et étudiant, militant socialiste, rédacteur pour les pages enfantines du quotidien du parti ouvrier. Son premier roman Pijpenlijntjes (1904) décrit un couple homosexuel. Ce n’était pas la première œuvre de fiction publiée aux Pays-Bas sur ce thème. Le scandale vint surtout du choix d’un quartier ouvrier et de l’évidente dimension autobiographique. Cela lui valut l’expulsion du parti, la perte de son poste d’instituteur, la rupture avec son ami Arnold Aletrino4. Dans son travail sur les prisons
russes5 (1913), de Haan pratique l’intertextualité dans le corps unique du récit. Il traite avec la même indignation du sort des détenus politiques et des prisonniers de droit commun. Il met en avant l’humiliation permanente que représente la vie carcérale quelle que soit la culpabilité que l’on associe à un acte. Son texte fait alterner la reproduction de documents de la bureaucratie tsariste, l’intensité des paroles des détenus, son propre émoi dans la rencontre avec l’un eux, le jeune Dmitrenko. Sans parler vraiment russe, il comprend assez pour capter le mépris antisémite des administrateurs de la prison. Il veut rendre presque phonétiquement les divers niveaux de langage au cours de son enquête. On retrouve cette même caractéristique dans les chroniques palestiniennes. Il est à l’écoute du babel des gamins du marché : Palestiniens, Juifs yéménites, tendres gavroches d’une Jérusalem condamnée qui sautillent de l’arabe à l’hébreu. Ils sont l’âme de cette ville, infiniment plus que les notables arabes ou les fondateurs de l’Université hébraïque. Les chroniques de Palestine sont d’une valeur exceptionnelle pour analyser la société de cette époque. Il s’agit d’un ensemble de 394 articles publiés entre janvier 1919 et juillet 1924 dans le quotidien Algemeen Handelsblad6. Leur compréhension s’enrichit à la lecture des Quatrains, rédigés en parallèle, publiés à titre posthume. On peut y ajouter le brouillon de son ultime lettre7. Il explique à son ami Joop qu’il va loger à Jaffa, plutôt qu’à Tel Aviv. Motif politique : on pourrait lui créer des difficultés en raison de ses activités antisionistes. Raison plus intime : « En plus de cela : avec un ami arabe à Tel Aviv ! Un Arabe est ac-
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➜ cueilli dans un hôtel de Tel Aviv au moins aussi mal qu’un Juif dans bien des hôtels d’Allemagne ou d’Amérique. C’est typique : nos Juifs extrêmes font à l’égard de tous ceux qui ne leur conviennent pas, exactement ce qu’ils ont enduré de manière si cruelle en exil. Nos haloutsim et nos élèves des gymnases seraient des maîtres cruels à l’égard des Arabes s’il ne devait plus y avoir d’Anglais ».
Contre tout nationalisme L’opposition au nationalisme est un fil rouge de la vie de de Haan. Il n’a que mépris pour l’esprit bourgeois de la Hollande. Il adhère au sionisme mais rejette toute alliance avec un des deux blocs belligérants pendant la Première Guerre mondiale. Son poème « In den Oorlog » ouvre la voie à une critique radicale des deux nationalismes naissants. Tandis que des sionistes négocient la création d’une Légion juive, le shérif Hussein aligne le nationalisme arabe sur les visées britanniques de dépècement de l’empire ottoman. L’intransigeance contre le sionisme ne le met pas au service du nationalisme palestinien contrairement au mythe diffusé par ses assassins. Il défend le droit de tout Juif à venir vivre en Terre sainte. Il décrit indigné les pogroms de Jaffa et Jérusalem. Qualité rare chez un écrivain militant : ses croquis sont tendres, nuancés, sarcastiques. Il aime sans réserve et aussi sans illusion. De son ami Adil8, il décrit la beauté, la générosité, la droiture et la paresse. Chez les premiers communistes palestiniens, il enregistre la pauvreté d’un langage réduit à trois ou quatre slogans, le rêve fou de mener la révolution du Maroc à Constantinople avec un parti qui ne parle que le yiddish. Sa tendresse perce quand,
après d’épuisantes palabres en leur compagnie, il dit se sentir rajeuni de vingt ans. Seules exceptions à des pôles opposés : les pionniers sionistes socialistes et le rabbin Sonnenfeld. À l’égard des pionniers, on devine une angoisse profonde, la déchirure de l’auteur. Il a été socialiste, puis sioniste, il hait tout en eux. Le provincialisme intellectuel, le moralisme étriqué, le double langage de l’élite travailliste l’écœurent. Trois mots suffisent, sonores comme des gifles: chez eux, tout n’est que « Pinsk, Minsk et Dvinsk ». Ce refrain pèse, mesure et sépare comme la main au festin de Balthazar. Ses étudiants se mettent en grève pour obtenir son renvoi par les Anglais. Un des plus exaltés est le poète A. Z. Ben Yishai. Après le meurtre, il sera l’auteur d’un libelle intitulé Ha « Kadosh » De-Haan (Le « saint » de Haan) : l’homosexuel et le militant antisioniste n’y font qu’un, souillure à effacer. La description du rabbin Sonnenfeld, dirigeant des haderim qui rejettent l’autorité du grand-rabbin Kook, est hagiographique. Tout n’est que bonté, lumière, sagesse. C’est encore un Quatrain qui vient à la rescousse. Le regard perçant n’est pas aveuglé par l’adoration. Il accepte le doute : « Jeune homme, n’a-t-il jamais succombé ? Adulte, a-t-il toujours résisté ? » 90 ans après sa mort que nous reste-t-il de Jacob Israël de Haan ? Le plaisir esthétique de sa lecture, une source irremplaçable pour qui s’intéresse à l’histoire sociale et politique des premières années de la Palestine mandataire, des questions politiques lancinantes et actuelles, une remise en cause de la séparation que nous infligeons quotidiennement aux différentes sphères de notre être. Je voudrais conclure avec les mots d’un autre poète assassiné,
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un demi-siècle plus tard, à Alger. Jean Sénac aussi déchiré entre l’Algérie et la France que de Haan pouvait l’être entre Jérusalem et Amsterdam. « L’heure est venue pour vous de m’abattre, de tuer En moi votre propre liberté, de nier La fête qui vous obsède » n
J.I. de Haan, Open brief aan P.L. Tak. Les textes cités en néerlandais sont disponibles sur le site de la Bibliothèque nationale des Pays-Bas (dbnl). Un appareil critique d’une qualité remarquable a été établi par Ludy Giebels. Deux anthologies donnent un aperçu de ce travail en français. Traduites et présentées par Nathan Weinstock, elles ont été publiées respectivement par les André Versaille (2013) et l’Harmattan (1997). 2 Samuel ibn Nagrela dit aussi Ha-Naguid, rabbin, talmudiste, grand vizir et chef des armées à Grenade au XIe siècle. Une anthologie de poèmes traduits de l’hébreu a été publiée en français sous le titre Guerre, amour, vin et vanité par les éditions Anatolia en 2001. 3 Il s’agit d’un vers d’Olindo Guerrini (1845-1916) qui écrivait sous divers pseudonymes. Ce vers était signé par « Lorenzo Stecchetti ». 4 Arnold Aletrino (1858-1916). Écrivain du groupe « De Tachtigers » et criminaliste. Il rompt avec Lombroso en affirmant que l’homosexualité peut se présenter chez des personnes normales et saines. Participe au mouvement de Magnus Hirschfeld pour défendre les droits des homosexuels. 5 J.I. de Haan, In Russische gevangenissen, site dbnl, 2002. 6 Le titre néerlandais est « Feuilletons ». Le genre évoque les articles de Trotski sur les guerres balkaniques ou ceux de John Reed sur la révolution mexicaine. L’auteur ne cherche pas à créer l’illusion qu’un œil objectif et indifférent regarderait la mêlée. Il décrit en permanence comment il se meut, ce qu’il entend, voit, touche ou ressent. 7 Le texte est reproduit par J. Meijer, De zoon van een gazzen. Het leven van Jacob Israël de Haan, 1881-1924, Amsterdam, 1967. 8 Adil Aweidah, né en 1899, rencontre de Haan à la fin de l’année 1920. Doit quitter Jérusalem pour la Jordanie pendant la Naqba. Meurt dans l’incendie de sa maison vers 1963. 1
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feuilletonner La Vie sur Mars sylviane friedlingstein
D
epuis que je suis petite, je pense que si la guerre n’avait pas eu lieu, je ne serais pas née. Il paraît que je ne suis pas la seule à penser ce genre de chose et je vais expliquer ce qu’il en est pour ma part. Si mon grand-père n’avait pas été déplacé sans retour le deux septembre 1942 et qu’il était resté vivant, mon père aurait été un autre et rien ne l’aurait conduit à me concevoir, et ça c’est l’histoire de ma vie. Et dans cette histoire que je me raconte, si je n’étais pas née, je n’aurais pas pu penser que si mon grand-père avait été vivant, je ne serais pas née. Évidemment, vous pouvez toujours me dire de me détendre et de penser à autre chose. Mais cette rumination est plus forte que tous les conseils. Je continue donc : si j’étais née… je ne peux rien en dire puisque j’existe et en conclus que j’ai bien dû naître pour ce faire ; et le réel rend caduque l’hypothèse même de mon existence. Finalement, du point de vue de la logique, ma réalité de vivante tiendra toujours plus à la mort de mon grand-père qu’à ma naissance.
sujet Cette rumination obsédante a un nom : c’est le paradoxe du grand-père qui exprime que certaines réalités ne peuvent coexister dans le même univers sans entrer en contradiction. L’histoire : le petit-fils, pour une raison ou une
autre, remonte dans le temps et tue son grand-père avant que celui-ci n’ait conçu son père. Mais s’il le tue, il ne peut être né et donc le tuer. Et s’il ne le tue pas, peut-être aura-t-il perdu sa raison d’être. En effet, la cause des voyages dans le temps est rare-
partie prenante, mauvaise partie prenante la plupart du temps (inventeur naïf de l’arme de destruction, professeur encore plus naïf de l’inventeur...) Bref, c’est très sérieux ces histoires de temporalité car si le petit-fils réussi à tuer le grand-père, l’uni-
plus haut. Il peut encore se lancer dans la fiction, qui fournit tout ce qu’il faut pour penser les existences non-nées et les naissances de peu d’intérêt qui ont besoin de l’éclairage de l’Histoire pour nous intéresser. Il peut aussi devenir historien et montrer que le déroulement du temps produit plutôt de la différence, démontrer que l’on n’est pas aujourd’hui comme en 40 et que l’histoire ne repasse pas deux fois le même plat.
objet
ment le fait d’un questionnement de filiation ou de l’expérience de sa rupture. L’identité temporelle de celui qui vit des troubles de filiation n’est pas censée exploser pour un si petit problème de logique. Il n’en est rien par contre dans l’univers fictionnel qui, par définition, a la capacité de rendre intéressantes les courbes temporelles et dont la relation justifie notre rubrique. Dans la fiction, c’est le corps même du petit-fils qui est soumis à rude épreuve car il va y retourner dans le temps. Il va même éliminer du passé la cause de ce qui le trouble et le menace dans le présent : une fin du monde imminente ou son entame et dont le grand-père est
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vers dans lequel il revient ne le contient plus de la même manière puisqu’il n’est plus le petit-fils de ce grand-père. Alors peut-être voudra-t-il la fin du monde qu’il ne voulait pas juste avant. Il peut devenir fou et sombrer dans un monde où rien de réel ne semble possible et où tous les possibles se réalisent en même temps. Il est tout et son contraire, hésitant sur tout, ergotant et incapable de prendre la mesure de ce qui est. Il peut alors se mettre à la logique formelle, qui offre de bonnes méthodes de catégorisation pour distinguer les genres et les modes de l’existence, et illico renvoyer à la névrose et les courbes de causalité noblement interrogées
Mais revenons à l’objet de cette chronique, les séries et aujourd’hui Life on Mars, une fiction de 16 épisodes diffusés sur BBC2 en 2006 et 2007. Un jeune commissaire de police de Manchester, Sam Tyler, se fait violemment percuter par une voiture au cours de l’une de ses enquêtes, perd conscience sur le macadam et se retrouve dans le commissariat de police de la même ville, mais en 1973. Sa question « Suis-je fou, mort ou dans le coma ? » inaugure chacun des épisodes dans lesquels il se retrouve à enquêter avec l’équipe locale menée par Gene Hunter, l’une des fictions les plus poétiques qu’il m’ait été donné de rencontrer : alcoolique, machiste, grand gueule mais les yeux qui regardent et clignent plus loin que soi. On comprendra ce qu’il regarde sans vraiment le regarder lors de l’épisode ultime de la série Ashes to Ashes qui poursuit Life on Mars et en offre le dénouement.
Sam Tyler mène des enquêtes au sein de sa nouvelle équipe de flics anglais de la vieille époque aux méthodes douteuses mais son objectif principal est de revenir en 2006 en utilisant les signes, pense-t-il, de ce futur qui est le seul passé qu’il se connaisse. Et quand il pense être retourné en 2006, il n’a de cesse de revenir en 1973, dans son tout récent passé, rejoindre ses nouveaux copains. Sam se rencontre petit, croise ses parents et est finement amené à plusieurs reprises à ne pas modifier le cours des choses. Il résiste vaillamment à l’issue fallacieuse que « tuer le grandpère » semble offrir à ses paradoxes d’égaré dans le temps. Il se contentera d’observer avec des yeux d’adulte ce que petit il n’a fait que vivre, ce qui au fond correspond à ce fameux désir de vérité qui suscite le travail de remémoration auquel, d’une manière ou d’une autre, nous nous adonnons tous un petit peu. Les rues et l’arrière-fond sonore font sentir de manière troublante que les années 70 sont rentrées dans l’histoire. Ce n’est pas qu’on prenne un coup de vieux à cette occasion. Au contraire, on dispose d’une mise en perspective sensible de ce qui n’est plus, et il est exaltant de saisir ce qu’est une génération passée mais pas dépassée puisqu’on en est encore et qu’on en sera pour toujours. Il y a un plaisir que seule la fiction parvient à susciter ; celui de sen-
tir l’écart qui s’est creusé autrement que par des discours et des théories. Quel amusement que de s’observer ici et là simultanément, d’aller et de revenir de l’un à l’autre. Moyennant un peu de vie et de légèreté, il nous est donné de voyager dans le temps et de revenir d’hier frais comme un gardon car l’horloge, c’est nous qui la portons au poignet ou en gousset.
temps À propos des horloges d’Einstein, lisez aussi le livre magistral de Richard Powers, Du temps où nous chantions, dans lequel deux frères issus d’une mère noire et d’un père juif dans l’Amérique des années 40 sont bercés par les recherches de leur père physicien n’ayant de cesse de cerner le temps et d’en faire la théorie ; recherche qui lui offre un tout petit abri contre l’ignominie de son présent mais hélas pas de celui de ses fils qui ont de bonnes raisons d’espérer un futur moins ignoble et donc de s’exposer à ses imprévisibilités. Je dédie ce texte à mon professeur de philosophie , Pierre Verstraeten, avec qui je causais de la série qui l’amusait beaucoup. Je dédie ce texte à celui qui m’a permis d’exister dans le même univers que lui, sans trop de contradiction et de manière terriblement vivante. Le dernier signe que j’ai eu de lui, c’est un souhait de bon anniversaire ; il avait le don de me rappeler que j’étais née, bel et bien née. n
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! יִידיש ? יִידיש
Yiddish ? Yiddish ! par willy estersohn
דאס ֿפערצנטע ָיאר ָ
Traduction L’an quatorze est arrivé,/On m’a pris comme soldat. Sur les étendues vertes,/Gît là-bas un soldat massacré. Un oiseau arrive à tire-d’aile,/Va se reposer sur ma tombe. Qui me pleurera et qui se lamentera ?/Qui, à mon intention, récitera le Kaddish ?
Dos fertsnte yor L’an quatorze
Pendant quatre ans, jusqu’en 2018, les grands médias évoqueront quasi quotidiennement « 14-18 » à l’occasion du centième anniversaire de la Première Guerre mondiale. Nous allons, en toute modestie, apporter notre propre pierre à l’édifice. Voici un poème anonyme paru en 1917 dans la revue mensuelle Der Jude (Le Juif). Cette publication, éditée en Allemagne de 1916 à 1928, était dirigée par le philosophe Martin Buber et l’éditeur Salman Schocken qui deviendra, en 1937, le propriétaire du quotidien juif de Palestine Ha’aretz. Ce court poème aurait pu s’intituler Les lamentations d’un soldat juif.
,דאס ֿפערצנטע ָיאר איז ָאנגעקומען ָ ongekumen
iz
yor
fertsnte
dos
.ֿפאר ַא זעלנער גענומען ַ האט מען מיך ָ genumen zelner
a
far mikh men
hot
, גרינע ֿפעלדער,אויף די ֿפעלדער felder
grine
felder
di
oyf
.דארטן ליגט ַא געהרגטער זעלנער ָ zelner
gehargeter a
ligt
dortn
,קומט ַא ֿפויגל ָאן צו ֿפליִ ען flien tsu on foygl a
kumt
.מײן קֿבר רוען ַ שטעלט זיך אויף ruen keyver mayn oyf zikh
shtelt
,קלאגן ָ נאך מיר װײנען און ָ װער װעט klogn
un veynen mir nokh vet
ver
zogn kadesh mir nokh vet
ver
.נאך מיר קדיש ָזאגן ָ װער װעט
remarques
ֿפערצנטעfertsnte = quatorzième (de פערצןfertsn = quatorze). זעלנערzelner = soldat (également סָאלדַאטsoldat). געהרגטgeharget part. passé de הרגענעןhargenen ou הרגעןhargen (hébr) = tuer, assassiner, battre. קֿברkeyver (hébr) = tombe (plur = קֿבריםkvorim). קדישkadesh (hébr) = prière de sanctification récitée plus particulièrement par le fils ou un parent d’un défunt.
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anne gielczyk
Circulez, y a rien à voir
J
e dois vous mettre en garde les amis, évitez de rouler à Bruxelles le 26 mars ! C’est tous les jours, qu’il faut l’éviter me dites-vous ? Ça c’est bien vrai, bientôt il faudra nous payer pour qu’on daigne encore venir en ville. Euh, non c’est le contraire, ça sera à nous de payer pour pouvoir rouler en ville. Enfin, vous tournez ça comme vous voulez, de toute façon, çane-rou-le-plus. C’est comme pour le reste, faudra inventer autre chose. À l’époque, Ernest Mandel, cet éminent marxiste belge, spécialiste du capitalisme dit « du troisième âge », suggérait d’installer des tapis roulants dans les rues. Très rock’n roll, je nous y vois déjà, surtout les personnes du troisième âge justement. Mais donc, le 26, je vous préviens, ça sera encore bien pire, en effet, c’est le jour où Obama débarque en Belgique, et avec lui quelques 500 personnes, agents secrets, gardes du corps, et autres gros-bras, tous armés bien sûr, avec une flotte d’une quarantaine de voitures et même une ambulance équipée d’une salle d’opération, sisi, le tout convoyé par cargo spécial. Même qu’ils ont prévu d’arrêter le trafic aérien audessus de Bruxelles à l’arrivée et au départ de l’Air Force One, l’avion présidentiel. Donc pour les voyages en avion, même conseil, prévoyez un autre
moment. Pour ses déplacement au sol, Obama, prendra place dans sa limousine, la Cadillac One, surnommée « the beast », la bête, une Cadillac blindée de chez blindé, à tel point que dans l’habitacle qui peut recevoir cinq personnes à l’arrière, on est un peu à l’étroit, paraît-il. (Pas autant que dans la mienne je parie). Mais c’est le prix à payer pour faire face à une attaque armée, cette voiture étant même résistante aux missiles et aux attaques chimiques.
I
nutile d’aller se poster sur le parcours pour le voir, non seulement vous ne verriez rien, l’épaisseur et le blindage des vitres est tel qu’il ne laisse même pas passer la lumière à l’intérieur et d’ailleurs par mesure de sécurité on ne saura même pas dans laquelle des trois voitures identiques il aura pris place, mais encore, vous risqueriez votre vie. Imaginez qu’Assad décide d’envoyer quelques armes chimiques de son cru, votre masque à gaz hérité du grand-père qui a fait 14-18 ou de l’oncle israélien n’y suffira point et l’ambulance équipée d’une salle d’opération vous ignorera superbement. Quant à nos ambulances à nous, elles ne passeront pas car tout aura été bouclé et verrouillé dans un rayon de plusieurs kilomètres
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entre l’aéroport et le quartier européen. D’où mon troisième conseil, évitez les crises cardiaques ce jour-là. Bref, Bruxelles, ça sera un peu comme Gaza assiégée, sans le plomb durci, ou comme Sotchi pendant les jeux olympiques, la neige artificielle en moins. Et tout ça, pour quoi, dites ? Pour venir serrer la pince à Rasmussen, Barroso, Van Rompuy et Di Rupo ! Je vous fiche mon billet que ce dernier devra en plus se déplacer jusqu’au quartier européen. Je lui conseille d’ailleurs d’y aller à pied. Par contre, ça sera à nous les Belges de payer les frais liés à la visite du président américain. « Nous délibérerons au sein du gouvernement pour voir si ces coûts peuvent être partagés solidairement » a déclaré la porte-parole de la ministre de l’Intérieur Joëlle Milquet. Solidairement ? Entre les différents ministres fédéraux ? Entre l’Europe, l’OTAN et la Belgique ? Ou entre Flamands et francophones ?! On n’aura même pas le plaisir de voir Michèle Obama. Les mauvaises langues prétendent que le couple bat de l’aile, qu’ils font chambre à part, et que Barack aurait une liaison avec Beyoncé. Rien de tout cela n’a été vérifié et on ne risque pas de le photographier, lui, à l’arrière d’un scooter. Seulement oui, on
« À Bruxelles, ça-ne-rou-le-plus »
l’imagine, la bête dans la bête, à l’abri des vitres teintées … mais je m’égare.
C
hez nous en tous les cas, rien de tout ça, le mariage est pour tous, le Premier ministre est homo, et c’est pas avec le nouveau roi qu’on fera la une du magazine Closer, plutôt les pages intérieures de L’Éventail. Il y a bien Laurent Louis qui essaie de choquer l’assemblée en faisant le geste défendu de la quenelle, tout en injuriant au passage les victimes du judéocide mais le voilà définitivement hors course, son immunité parlementaire vient d’être levée. On a d’autres chats à fouetter.
Prenez Bart De Wever pour ne pas le citer, le voilà pour la deuxième fois à l’hôpital depuis la rentrée, Dieu sait ce qui peut encore arriver d’ici le 25 mai. Hier, brandissant un V de la victoire par nain jaune interposé au congrès de son parti, devant 4 500 personnes, aujourd’hui, aux soins intensifs, demain, si pas six pieds sous terre, en tous les cas en congé de maladie. À l’en croire, il est à lui tout seul Cicéron, MarcAntoine, Luther et même le « Messie », version Jésus-Christ (super star). Toujours est-il que sans Bart De Wever, la NV-A n’est plus rien. Je n’irai pas jusqu’à dire comme l’a fait Laurette Onkelinx qu’il s’agit d’une idéologie « extrêmement à droite », même si la formule est en effet adroite (et pas à droite) et sert à nous inciter, à gauche, à voter utile et pas PTB-GO. Il s’agit tout simplement d’un programme néo-libéral comme on le pratique depuis des décennies à l’échelle européenne, sans que la socialdémocratie ne s’en émeuve outre mesure, certains comme le SP.a allant même jusqu’à bannir de leur programme toute allusion au marxisme et à la lutte des classes. Avec la NV-A, c’est la théorie et la pratique du tout au marché et le moins possible de mécanismes de réajustements sociaux qui perturberaient le bon
fonctionnement « naturel » de l’offre et de la demande, surtout de l’offre à vrai dire.
C
’est d’ailleurs sur ce volet, socioéconomique de son programme que la NV-A a réussi à rallier quelques pointures de l’establishment flamand, mais demain ceux-ci se tourneront sans état d’âme vers … Maggie De Block si d’aventure il lui arrivait quelque chose. Elle monte, elle monte Maggie dans les sondages1. Comme un ballon, gonflé à bloc. Et pas seulement en Flandre. Elle fait 22% en Wallonie. La séduction d’un discours populiste à la Bart De Wever, sans le côté nationaliste flamand. Selon le même sondage, si les écolos et les socialistes flamands en toute logique ne veulent pas d’une coalition avec la NV-A, ce qui est plus surprenant c’est que 58% des partis de droite (libéraux et démo-chrétiens) n’en veulent pas non plus. Une aubaine pour le PS. Di Rupo qui fait quand même 19% en Flandre selon ce sondage (Bart De Wever et Kris Peeters font chacun 3% en Wallonie) pourrait bien rafler la mise une nouvelle fois. Voilà où nous en sommes à trois mois des élections. Les paris sont ouverts. n Sondage du 6-10 février publié dans De Morgen des 14 et 15 février 2014.
1
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artistes de chez nous
activités mardi 11 mars de 20h à 22h
Faulx-les-Tombes Henri Goldman Faulx-les-Tombes est un petit village du Condroz, à environ quinze kilomètres de Namur, dans la vallée du Samson. C’est là que Solidarité juive,l’ancêtre de l’UPJB ouvrit en 1950 sa maison « ardennaise » après la fermeture de celle de Presle, trop petite. Elle ferma ses portes en 1970, n’arrivant plus à faire le plein, au grand dépit de tous ceux et toutes celles qui y laissaient des souvenirs. Peu de temps après, ses propriétaires, M. et Mme Wills, la vendirent. Henri Goldman écrivit cette chanson en 1972. Elle fut interprétée pour la première fois par une chorale de l’ USJJ (le mouvement de jeunes de l’UPJB à l’époque) dans le cadre d’une « kermesse » qui se tint dans la salle Einstein du centre Rogier, où des petits spectacles s’intercalaient entre les stands (bouffe, shmates et jeux) et le bal du soir animé par l’orchestre de Sylvain Raiter puis par celui des Baladins.
On était venu Dans la maison brune Où le lierre grimpe si haut On s’était connu À l’âge où la lune Brille au ciel de l’ami Pierrot Chaque jour de ce temps On l’a mordu à pleines dents C’était l’été à Faulx-les-Tombes Chantaient l’alouette et la colombe Notre enfance a pris racines Entre ces vallons et ces collines
L’air était si chaud Les soirs de veillée Autour de la braise qui meurt De plus en plus haut Montait la fumée Porter au ciel notre bonheur On ne pensait jamais Qu’un beau jour 1e feu s’éteindrait C’était l’été à Faulx-les-tombes Chantaient l’alouette et la colombe Le cœur gros on s’imagine Entre ces vallons et ces collines
Elles étaient à nous Ces forêts ces plaines Leurs noms enchantaient nos oreilles Nos cœurs étaient fous Au gré des semaines Ils se sont noués au soleil Et nos noms sont gravés Dans l’écorce du peuplier C’était l’été à Faulx-les-tombes Chantaient l’alouette et la colombe Notre amitié a pris racines Entre ces vallons et ces collines
Mais passent les ans Les saisons s’égrènent Et le temps aiguise sa faux Demain les enfants N’iront plus en chaînes Entre l’église et le château Ils n’iront plus au bois Une page est tournée déjà C’est l’automne à Faulx-les-tombes Et la bise souffle et la pluie tombe Elle efface ce coin de terre De notre enfance en poussière
Troisième des cinq « cafés politiques » pour éclairer les enjeux de « la mère de toutes les élections » Proposé par Points critiques et Politique (revue de débats) Enjeux sur la politique migratoire, la politique d’asile et le droit des étrangers
L’UPJB est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente) Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski
À l’heure où Maggie De Block, secrétaire d’État à l’Asile et la Migration, à l’Intégration sociale et à la Lutte contre la pauvreté, dont on sait les ravages causés par sa politique d’asile, bat tous les records de popularité en Flandre et est loin d’être impopulaire en Wallonie et à Bruxelles, notamment auprès des électeurs du MR, Il est essentiel de nous pencher sur les enjeux des élections du 25 mai concernant la politique migratoire, la politique d’asile et les droits des étrangers qui pourraient être menées par le prochain gouvernement et qui nous font craindre le pire.
Ont également collaboré à ce numéro : Roland Baumann, Sylviane Friedlingstein, Henri Goldman, Rosa Gudanski, Daniel Liebmann, Thérèse Liebmann, Antonio Moyano, Elias Preszow, Gérard Preszow, Youri Lou vertongen, Laurent Vogel
Nos invités seront
Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB.
Frédérique Mawet, (sous réserve), directrice du CIRE (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers), ou un autre membre du CIRE et
Henri Goldman, ancien coordinateur du département « migrations » au Centre pour l’égalité des chances, et rédacteur en chef de Migrations-magazine Présentation et animation : Jean-Jacques Jespers et Henri Wajnblum On peut s’inscrire sur le site de Politique (www.politique.eu) ou sur le site de l’UPJB (www.upjb.be) ou par courriel à l’une des adresses suivantes : upjb2@skynet.be ou secretariat@politique. eu.org Entrée libre
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est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août)
Compte UPJB IBAN BE92 0000 7435 2823 BIC BPOTBEB1 Abonnement annuel 18 € ou par ordre permanent mensuel de 2 € Prix au numéro 2 € Abonnement de soutien 30 € ou par ordre permanent mensuel de 3 € Abonnement annuel à l’étranger par virement de 40 € Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB. Montant minimal mensuel: 10 € pour un isolé, 15 € pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.
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activités
club Sholem-Aleichem
vendredi 21 mars à 20h15
Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)
Euthanasie. 12 ans après la loi de dépénalisation conditionnelle : quels enseignements ?
Jeudi 6 mars
Introduction par le Dr Michel Roland
Bernard Fenerberg, un des derniers témoins de la résistance juive en Belgique, présentera son livre, préfacé par A. Morelli, Ces enfants, ils ne les auront pas !, « l’histoire d’un sauvetage exceptionnel ». Nous aurons aussi l’occasion de voir un court métrage réalisé par son fils, Gérald Fenerberg, une série d’interviews émouvantes de plusieurs survivantes.
PAF: 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit: 2 €
Jeudi 13 mars
Conférence-débat avec
Jacqueline Herremans,
présidente de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité, A.D.M.D.
vendredi 28 mars à 20h15 Pour la première fois à l’UPJB Une rencontre exceptionnelle avec la journaliste israélienne
Amira Hass,
correspondante à Ramallah du journal Haaretz
Elle sera présentée et interviewée par Baudouin Loos, journaliste au Soir
« Quand la mémoire de guerre devient affaire d’État (Belgique, Flandre, Wallonie, 1914–2014) » par Bruno Benvindo, historien au CEGESOMA. 2014 verra la commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale, mais aussi la célébration du 70e anniversaire de la Libération. La vague commémorative qui s’annonce sera replacée dans son histoire déjà ancienne : comment la mémoire de guerre a-t-elle été entretenue depuis 1914 jusqu’à aujourd’hui ? Le rôle qu’ont joué les pouvoirs publics, les communautés de mémoire ou encore les historiens dans l’émergence de notre « ère de la commémoration » y sera décrypté. Présentation par José Gotovitch, historien, professeur émérite de l’ULB.
jeudi 20 mars
André Hobus, passionné de musique afro-amé-
ricaine nous avait emmenés en décembre 2013 à la découverte des ghettos américains. Il nous invite cette fois à « Chicago Blues » dans les pas de Barack Obama.
jeudi 27 mars
« La crise économique et financière : enfin terminée ou pas encore ? » par André Sapir, docteur en sciences économiques et professeur ordinaire à l’ULB. Après une 1ère récession en 2008, la zone euro a connu une 2ème récession en 2011- 2013. La reprise s’est amorcée l’an dernier mais elle reste fragile et surtout inégale entre le Nord et le Sud de la Zone. Au vu de la faible croissance, le chômage de la Zone restera sans doute au-dessus de 12 % en 2014, ce qui explique en partie le risque de déflation.
jeudi 3 avril
« État des lieux des gauches en Belgique y compris la gauche radicale » par Henri Goldman, rédacteur en chef de la revue Politique et homme de plume. Il y a 60 ans, il y avait les socialistes et les communistes.Les communistes n’ont pas survécu à la chute du mur de Berlin, mais les écologistes les ont remplacé comme 2ème force de gauche. Aujourd’hui , c’est « la gauche radicale » qui semble avoir franchi le seuil de crédibilité autour du PTB et d’autres formations.
PAF: 6 €, 4 € pour les membres, tarif réduit: 2 €
dimanche 30 mars de 10h30 à 17h
Ateliers créatifs collectifs
club Sholem-Aleichem – dimanche 2 mars à 14h Visite guidée de l’exposition Michel Seuphor au Musée Félixart (Félix De Boeck)
Kuikenstraat 6 – 1620 Drogenbos
Michel Seuphor est le pseudonyme de l’artiste belge Fernand-Louis Berckelaers. Né à Anvers en 1901 et mort en 1999, Seuphor est un peintre, écrivain et critique d’art qui a accompagné toute l’évolution des avant-gardes internationales qui ont révolutionné l’art du 20e siècle. Flamand bilingue, cosmopolite et pacifiste, issu d’un milieu profondément catholique mais révolté par certaines attitudes du Vatican, Seuphor (anagramme d’Orpheus, le poète grec qui pleure éternellement sa bien-aimée perdue) illustre une face moins connue de la belgitude. Visite commentée par Jacques Aron
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Après quelques rencontres en 2013, les participants aux ateliers créatifs collectifs proposent un rendez-vous mensuel. Le concept est simple : mettre en commun et partager un moment créatif/récréatif. Dans un premier temps, nous continuerons d’explorer la technique de la mosaïque. Nous explorerons d’autres techniques selon envies et propositions des participants. Matériel à apporter : support plat (plateau, assiette, sous plat,....), déchets de vaisselle, carrelage, tous ce qui peut servir. Nous travaillerons à partir de récup. Inscriptions : upjb2@skynet.be Renseignements : bettinabra@gmail.com PAF: 10 € - Petite restauration prévue
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vie de l’upjb Les activités du club Sholem Aleichem thérèse liebmann et Tessa Parzenczewski
16 janvier : Marcel Stelzer, (dit Motke) nous parle de sa petite cousine, Gola Mire, militante communiste. C’est une photo, souvent vue chez ses cousins, qui a suscité chez Motke l’intérêt pour l’itinéraire militant de sa petite cousine, Gola Mire. Peu d’indices hélas. Quelques renseignements familiaux, assez vagues, mais heureusement des traces sur Internet. Née en 1911 à Rzeszow en Pologne dans une famille pratiquante, Gola Mire adhérera au mouvement Hashomer Hatzaïr. En 1932, elle quitte l’Hashomer Hatzaïr pour le Parti communiste polonais. Elle est arrêtée une première fois en 1936, lors d’une grève. Elle sera ensuite condamnée à nouveau en 1938. Lors de l’entrée des Allemands en Pologne, en 1939, elle parvient à s’évader. Elle rejoint la zone occupée par les Soviétiques et travaille à la Justice de Paix à Lvov. Entre temps elle a rencontré Olek Hansman, militant communiste lui aussi. Elle est enceinte, ils se marient. Lors de l’invasion de l’URSS par les armées allemandes, Olek s’engage dans l’Armée rouge. Gola se cache et accouche toute seule. Elle rejoint ensuite Cracovie, son bébé ne survivra pas. Gola se retrouve dans le ghetto. Motke nous retrace alors le tableau complexe des mouvements de résistance dans le ghetto, les divergences entre les différentes tendances, sionistes de gauche et de droite, communistes. Gola
s’active à ce que tous ces mouvements s’unissent dans des actions communes et plaide pour une collaboration avec le Parti communiste polonais. Faut-il uniquement combattre dans le ghetto ou aussi à l’extérieur en exécutant des attentats contre les soldats allemands ? Quelques attentats ont lieu dans Cracovie, ciblant des lieux où se réunissent les soldats allemands. N’ayant jamais cessé de collaborer à la publication de tracts et à la presse clandestine, Gola Mire est arrêtée à l’imprimerie en mars 1943. Affreusement torturée, elle ne parlera pas. Le 19 avril 1943, lors d’un transfert, Gola Mire tente une évasion collective avec ses co-détenues, elle est abattue. Des rares témoins parlent d’une personne au charisme impressionnant, habitée par ses convictions révolutionnaires. Motke nous fait découvrir aussi une autre facette de sa cousine : en surfant sur Internet, il a découvert qu’elle écrivait également des poèmes, notamment en prison ; hormis un seul, qui figure en version anglaise sur le Net, l’œuvre s’est perdue… 3 janvier : Irène Kaufer retrace son parcours de militante féministe, syndicaliste et politique. Arrivée en Belgique en 1958 avec ses parents, Juifs polonais, elle a été confrontée dès l’enfance aux difficultés que connaissent les étrangers. D’où le combat qu’elle ne cesse
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de mener pour une ouverture aux immigrés et à leurs descendants. Ses premiers engagements datent des années 1970, lorsqu’elle militait dans des groupes féministes, puis, lorsqu’elle devint journaliste à l’hebdomadaire POUR. Elle considère encore maintenant que les 6 ans qu’elle y passa lui donnèrent, même si elle les qualifie d’aventure, une identité politique. Puis ce fut son travail au rayon disques de la FNAC, où elle livra un rude combat syndical, notamment pour qu’il y ait moins de discriminations parmi les membres du personnel. Se rendant compte que c’était à peu près peine perdue dans ce type d’entreprise commerciale, elle la quitta. Elle rejoignit alors l’association Garance qui réunit des groupes de femmes de 55 ans et plus, pour qu’elles puissent acquérir un sentiment de sécurité qui leur permette d’assurer elles-mêmes leur propre protection. Pendant toutes ces années consacrées à son travail et à ses luttes politiques et syndicales et jusqu’à aujourd’hui, Irène n’a cessé d’écrire. Ce furent d’abord des textes de chansons, comme le rock des femmes contre la crise – composé en 1981 et chanté par Christiane Stefanski, il n’a pas pris une ride –, des articles dans des magazines et pour Politique. Revue de débats, ainsi que des livres. Ainsi, le roman-polar Fausses Pistes, paru en 1996, où elle re-
trace, entre les lignes, l’aventure de l’hebdomadaire POUR, et, en collaboration avec la philosophe et écrivaine Françoise Collin, Parcours féministe, paru en 2005. Pour terminer sa rencontre avec le Club, Irène nous a régalés en nous récitant (son accompagnatrice à la guitare n’était pas disponible) un de ses poèmes d’une criante actualité : « Ode à Maggie ». 30 janvier : Paul Aron, parle de son livre (écrit en collaboration avec Cécile Vanderpelen) , Edmond Picard (1836-1924). Un bourgeois socialiste belge à la fin du dix-neuvième siècle. Essai d’histoire culturelle, 2013. Bourgeois, Edmond Picard l’était de par sa famille d’origine, de par son mariage avec la fille d’un grand industriel belge et de par le micro-milieu bruxellois qu’il fréquentait. Pau Aron a montré comment Picard a réussi, au cours de sa brillante carrière, à investir les intersections des trois mondes dans lesquels il vivait : -le droit : Il fut non seulement un brillant avocat de Cassation mais aussi le fondateur du Journal des Tribunaux ; -la politique : sénateur socialiste, il fit de nombreuses interventions en droit social et en faveur du suffrage universel ; -l’art : cet esthète crée le journal L’art Moderne, qui prône un art social, parraine le « Groupe des XX », avec ses artistes ouverts à la nouveauté et au non-conformisme, et crée sa propre « maison d’art », où il expose des œuvres d’avant-garde. L’antisémitisme d’Edmond Picard remonte à 1887, quand il eut un premier contact avec les
Juifs, lors d’une mission diplomatique au Maroc. Dans la description ignominieuse qu’il en a fait, il les qualifiait de « charognes » qui portent « une vile calotte noire » et qui « accaparent l’argent ». Quant aux femmes, elles sont « puantes ». A son retour en Belgique, il se documente mais son antisémitisme – qu’on pourrait qualifier de gauche - n’en devient pas plus rationnel. Selon lui, il faut faire confiance à
Paul Aron situe l’antisémitisme de Picard dans le contexte de cette Europe de la fin du XIXème siècle : même si l’antisémitisme racial y était déjà répandu, il n’était pas (encore) question de génocide ; la meilleure solution était alors que les Juifs s’en aillent… Paul Aron a admirablement cerné la personnalité, riche et complexe, de ce grand bourgeois de
l’instinct des foules ; on est même en droit de rationnaliser cet instinct quand il s’agit des Juifs, car ils constituent une « sous-race ». Dans sa dénonciation des Juifs financiers, il se vante même d’être « le seul vrai antisémite belge ».
« gauche », qui, même si elle fut riche et complexe, n’en était pas moins irrémédiablement ternie par un antisémitisme viscéral et délirant. n
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agenda UPJB
Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)
mardi 11 mars de 20h à 22h
Troisième Café politique. Avec Frédérique Mawet, directrice du CIRE (sous réserve) et Henri Goldman, rédacteur en chef de Migrations-magazine. Présentation et animation : Jean-Jacques Jespers et Henri Wajnblum (voir page 35)
vendredi 21 mars à 20h15
Euthanasie. 12 ans après la loi de dépénalisation conditionnelle : quels enseignements ? Conférence-débat avec Jacqueline Herremans, présidente de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (voir page 36)
vendredi 28 mars à 20h15
Une rencontre exceptionnelle avec la journaliste israélienne Amira Hass, correspondante à Ramallah du journal Haaretz. Elle sera présentée et interviewée par Baudouin Loos, journaliste au Soir (voir page 36)
dimanche 30 mars de 10h30 à 17h
Ateliers créatifs collectifs (voir page 37)
club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)
dimanche 2 mars à 14h
Visite guidée de l’exposition Michel Seuphor au Musée Félixart, Kuikenstraat 6 – 1620 Drogenbos (voir page 36)
Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles
jeudi 6 mars
Bernard Fenerberg, un des derniers témoins de la résistance juive en Belgique, présentera son livre, préfacé par A. Morelli, Ces enfants, ils ne les auront pas ! (voir page 37)
jeudi 13 mars
« Quand la mémoire de guerre devient affaire d’État (Belgique, Flandre, Wallonie, 1914–2014) » par Bruno Benvindo, historien au CEGESOMA (voir page 37)
jeudi 20 mars
André Hobus, passionné de musique afro-américaine nous invite à « Chicago Blues » (voir page 37)
jeudi 27 mars
« La crise économique et financière : enfin terminée ou pas encore ? » par André Sapir, docteur en sciences économiques et professeur ordinaire à l’ULB (voir page 37)
jeudi 3 avril
« État des lieux des gauches en Belgique y compris la gauche radicale » par Henri Goldman, rédacteur en chef de la revue Politique (voir page 37)
et aussi
Prix : 2 €
du 21 mars au 5 avril
Jacques Aron. Collages. Exposition à la Galerie Didier Devillez, 53 rue Emmanuel Van Driessche, 1050 Bruxelles. Vernissage le jeudi 20 mars de 18h à 21h (voir page 27)
Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be