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ANNUEL 2014 | NUMÉR0 41 | ANONYMAT | FABRIQUÉ INCOGNITO
ANONYMAT
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PAGES DES LECTEURS LES ABONNÉS DE L’ANNÉE Les Tim Hortons ont leurs employés du mois. Nous, on a nos abonnés de l’année.
P R O P O S R E C U E I L L I S PA R FA N N Y B R O S S A R D - C H A R B O N N E A U
LORRAINE RHÉ AUME , 84 ans ’est mon petit-fils qui m’a fait découvrir Urbania il y a trois ans. haque fois qu’il recevait un nouveau numéro, e l’appelais pour lui demander s’il avait fini de le lire parce que ’avais h te de le commencer. e pense qu’il a d me trouver fatigante à la longue parce qu’il m’a abonnée. Depuis, e les ai tous lus, de la première à la dernière page, m me si y a des articles qui me choquent plus que d’autres les roux tout nus dans le Spécial Roux, par exemple. Pas grave, ’ai lu l’article usqu’à la dernière ligne pareil. Pis j’aime beaucoup Rabii Rammal. Je l’écoute toujours au 2 à l’émission Entrée principale. Et quand je le manque, je l’enregistre. Dites-lui don un beau bonjour de ma part.
G. Le spécial élibataires d’Urbania est entré dans ma vie au moment où en sortait mon ex. Alors que je (re)découvrais les joies de ne plus me raser les jambes chaque jour, ce magazine à saveur de liberté m’a donné envie de participer à la folie collective du célibataire moderne. J’y suis devenue accro. ’ai été un roman-feuilleton vivant. haque semaine, une nouvelle date. haque semaine, une nouvelle anecdote pour alimenter les soupers de filles avec mes amies, découragées. Au ourd’hui, e suis plus sage. trangement, ’en suis ressortie avec une santé mentale quasi intacte et une opinion sur les hommes à peine altérée. e tenais à remercier Urbania d’avoir allumé le feu de plusieurs passions, plus ou moins catastrophiques, mais dont e ne regrette rien. u presque rien.
LES SECRETS INAVOUABLES DE NOS LECTEURS On a promis de préserver leur anonymat en échange de leurs pires secrets. Promis, même sous la torture, on dira rien.
e me suis dé à échau é le pénis en me masturbant après avoir manipulé des piments forts pour me faire des nachos. Devoir acheter de la crème pour ton pénis parce que t’as coupé des alape os, a se classe assez haut dans la liste des choses absurdes que la vie peut te réserver. - J.
Je faisais des dessins animés et la série sur laquelle e travaillais était nulle à chier. Sur quelques plans, e me suis amusée à dessiner des érections dans le pantalon du personnage principal. Personne ne m’a fait corriger les dessins. - S.
a chère môman fait tout le temps cette blague ron ante à mes copines on fils pognait tellement quand il était petit qu’il a pogné deux fois la picotte. Elle a raison e pognais. a première « picotte » est par contre due au fait que ’ai frenché ma voisine dans l’entretoit de l’école, bourré de laine minérale. Le biscuit à l’air à part de a En redescendant du toit, de l’isolant plein les bobettes, ’ai appris une dure le on sur l’amour c’est doux pendant, mais a pique après. -
A MY ÉLOÏSE M AILLOUX e suis partie à Paris pour un échange étudiant. e r vais de la ille Lumière enivrante, belle, romantique. ais dès que e suis arrivée, j’ai eu le mal du pays et je me suis mise à chialer contre la maudite administration française et les maudits Français. a mère, qui parlait de mon échange à tout le monde, m’a envoyé un spécial Parisiens. e me suis tout à coup sentie moins seule. Et en plus, vous chialie sur les m mes choses que moi J’ai pris un abonnement en revenant.
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Au secondaire, ’étais la cible préférée de LA iss Populaire de l’école. Elle avait monté sa gang contre moi. Harcelée psychologiquement, ’ai vécu un calvaire. ’ai quitté pour ontréal deux mois après la fin du secondaire. Au ourd’hui, e travaille comme secrétaire dans une grosse compagnie. e gère les re us. Un our, iss Populaire a appliqué pour un poste. J’ai supprimé son CV. Je me suis sentie tellement bien après - I.
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SONDAGE
QUEL URBANIA HÉSITES-TU À L AISSER TRAÎNER SUR L A TABLE DU SALON À CAUSE DE SA COUVERTURE ?
Pourquoi lire Urbania Les réponses de notre communauté, compilées selon un sondage éminemment scientifique sans marge d’erreur pantoute.
A. Le spécial Gars, parce que le gros pénis moulé dans un slip rose en couverture m’a valu le regard courroucé de ma mère quand elle est venue souper.
11 % 6% 3%
OÙ RANGES-TU TES URBANIA ?
B. Le spécial Sexe, parce que la serveuse seins nus en couverture m’a valu le regard courroucé de ma mère quand elle est venue souper.
14 %
C. Le spécial Hockey, parce que la plotte à puc sur la couverture m’a valu le regard courroucé de ma mère venue souper (mais le sourire égrillard de mon père qui l’accompagnait .
43 %
3%
côté de la litière du chat, c’est tou ours pratique pour ramasser les dég ts.
74 %
Sur le dessus du bol de toilette, a passe le temps.
22 %
Dans la cuisine. e fais toutes les recettes.
L’ARTICLE QUI A FAILLI TE FAIRE DIRE « URBANIA , JE ME DÉSABONNE » ?
31 % A 55 % 26 % B 13 % 41 % C 28 %
L’ARTICLE QUI T ’A FAIT DIRE « URBANIA , JE T ’AIME » ? A.
a grand mère suce des grosses queues sur Internet », tiré du spécial Âge d’or.
B. L’aventure de Guindon au sauna gay, dans le spécial Lesbiennes. C. « Shit happens », le témoignage de la pire date ever, du spécial Célibataires.
D. Toutes ces réponses parce que ’ai tous les Urbania et que ma mère vient souvent souper. E. Aucune de ces réponses parce que ma mère est vraiment ouverte et que c’est elle qui m’a abonné.
21 %
F. Aucune de ces réponses parce que de toute fa on, e cache mes Urbania sous mon matelas.
À QUEL MOMENT AS-TU ÉTÉ LE PLUS HEUREUX D’AVOIR UN URBANIA SOUS L A M AIN ?
33 % 23 % 43 %
Lors d’une panne de métro sur la ligne verte. Lors d’une mauvaise date : lire à haute voix les pages de la fin, c’est excellent pour dissiper les malaises. Lors de mon premier voyage en avion : lire un texte de Rabii, a soigne le mal de coeur.
L ANCEMENT DU SPÉCIAL CÉLIBATAIRES Un upidon trash en couverture, un mois de février glacial, les Appendices qui viennent chanter une reprise de élibataire de Hugo Lapointe, un gogoboy et plus de mille personnes, c’est ce que a prenait pour que la SA pogne en feu le février dernier lors du lancement du spécial Célibataires.
- GUINDON EXPÉRIMENTE -
TOUT NU
Ça fait des années qu’on nous casse les oreilles avec le fait qu’Internet n’est pas du tout le havre de sécurité et d’intimité qu’on aurait espéré. Pour tester les limites de l’anonymat sur l’autoroute de l’information, on a demandé à l’intrépide Frédéric Guindon de se foutre à poil sur Internet. Il a fait mieux encore: il a aussi déshabillé sa blonde et lui a fait l’amour vigoureusement devant une foule d’internautes en rut.
SUR LA TOILE TEXTE FRÉDÉRIC GUINDON
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S
i vous me suivez dans Urbania depuis longtemps, vous savez déjà que je partage sans scrupule mes aventures, aventures où mes organes génitaux sont généralement impliqués. Sinon, je vous le donne en mille : j’ai déjà pris du Viagra, me suis déjà enduit le saucisson d’un infect onguent chinois et j’ai même (très brièvement) ouvert les portes de mon jardin secret à la main d’un homme. Entre autres. C’est donc muni d’un enthousiasme tonitruant que j’entreprends de donner une fois de plus mon corps à la science : je vais, pour votre plus grand bonheur, me dénuder complètement, en direct sur Internet, pour voir si cela peut entacher ma réputation. Or, je n’ai JAMAIS exposé le Colosse de Rhodes à d’autres yeux que les pas-prudes globes oculaires de ma tendre dulcinée. Pas dans le cadre de mes missions secrètes pour Urbania du moins. Envisager la possibilité qu’on me scrute le moineau sur Google hrome d’Atlanta à an ibar est autrement plus terrifiant. Après tout, mon corps, c’est mon corps, ce n’est pas le tien, comme on disait à l’école primaire. Sauf qu’en y pensant, je réalise rapidement que la terreur associée à l’exhibition de ma bizoune sur le Net est surtout provoquée par la peur de me faire reconnaître. La dernière chose dont j’ai envie, c’est que des gens se partagent des photos de moi tout nu, accompagnées de mentions du genre : « Ha ha ! Regardez Frédéric Guindon en train d’être tout nu ! » OK, c’est peut-être pas l’exemple le plus probant du monde, mais vous comprenez que je n’ai pas le goût que des photos de ma Tour de Pise circulent comme si elles étaient des images de l’antre des plaisirs de ennifer La rence un our de Fappening. Pour m’a cher tout nu sur Internet et NE PAS me faire reconnaître, je devrai être astucieux : éviter de me montrer le visage va de soi. Mais je suis né en 1979 et j’étais un jeune cool au début des années 2000 : j’ai des tatouages. Les dissimuler sera un beau défi. Nous y reviendrons
L A ROUE CHANCEUSE En essayant de ne pas trop penser aux conséquences potentielles de mon exhibitionnisme virtuel, je commence à magasiner le site sur lequel je dévoilerai l’Obélisque de Louxor. Je sais pas si vous êtes déjà allé sur Internet, mais c’est gros. On s’y perd facilement. Mieux vaut partir d’un lieu qu’on connaît. Comme point de départ, j’ai choisi un vieux classique de la démonstration de phallus sur le web : Chatroulette. Petit rappel si vous étiez caché sous le tapis quand la tornade Chatroulette est passée en février 2010 : c’est un site qui permet d’avoir une conversation vidéo avec un autre usager, lequel est choisi de façon automatique et totalement aléatoire. Le bouton Next permet de passer à un autre utilisateur et ainsi de suite. Dès le moment où il a été lancé, ce site est devenu un lieu de prédilection pour tous les masturbateurs exhibitionnistes de la planète. Ayant bien compris ça dans les premières semaines de son existence, ça faisait donc un pas pire boutte que j’étais pas allé là. N’y allez pas. Ça n’a pas changé. Ce sont encore les mêmes pauvres types qui sont là : l’Égyptien bedonnant mal éclairé qui bande mou, le Français en camisole qui fume clope après clope en espérant, un jour, tomber sur une noune, l’étudiant universitaire américain qui parle à la caméra et qui a une crisse de grosse mailloche et, bien sûr, ceux qui montrent des pancartes présentant des systèmes de pointage à l’intention de jeunes femmes (inexistantes) qui voudraient participer à un stupide concours de dévoilement d’attributs. Bref, je pourrais me dézipper les jeans et me secouer le zob sur Chatroulette, mais ça ferait un texte plate en caltor. Il me faut mieux.
La terreur associée à l’exhibition de ma bizoune sur le Net est surtout provoquée par la peur de me faire reconnaître.
GUINDON EXPÉRIMENTE
L’INSTANT GAGNANT Je commence à explorer le champ lexical des imitateurs de Chatroulette dans le champ de recherche de Google : webcam, chat, roulette, random, shu e, meet, strangers, etc. Je trouve Omegle et ChatRandom, mais ils ne sont guère mieux. Les mêmes tristes âmes rôdent sur les mêmes genres de site, exhibant leurs organes mâles à qui veut bien les voir, le tout dans une ambiance d’un pathétisme dégradant. Je trouve ça plate, aucunement excitant et surtout, je suis conscient que ça me ferait chier de devoir me résigner à me brasser les couilles devant un vieux bonhomme poilu en guise d’expérience scientifique. e pousse mes recherches plus loin. Il doit bien y avoir des femmes qui aiment mater des hommes nus sur nternet, que e me dis bien na vement Après quelques détours déstabilisants sur des sites où j’aurais pu me procurer une nouvelle épouse est-européenne à peu de frais, j’aboutis sur Cam4, un portail où des jeunes femmes (surtout) font des spectacles vidéo de sexu en direct sur Internet. Et les internautes peuvent leur donner du pourboire afin qu’elles aillent plus loin ou qu’elles répondent à des « demandes spéciales ». Mais ce qui est intéressant sur ce site, c’est qu’il y a un onglet « Couples » où des couples (vous l’aurez deviné) s’adonnent à des séances de plaisirs charnels, toujours en direct et en vidéo sur Internet, pour le plus grand plaisir des voyeurs de partout dans le monde. Ça, je trouve ça plutôt excitant. Et je suis certain que je suis capable de convaincre Madame Guindon d’embarquer dans mon vilain plan. Par contre, pour garder l’anonymat, ça va être une autre paire de manches.
« Si on se déguise et qu’on se cache le visage, personne va savoir que c’est nous ! On va déguiser la chambre aussi ! On va mettre des draps noirs partout. Ça va avoir l’air de la batcave. »
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PROPOSITION INDÉCENTE Finalement, embarquer ma tendre moitié dans mon bateau s’avère plus ardu que prévu. Elle a des questions pour moi, et c’est bien normal. – Est-ce que ça va être disponible sur ce site-là pour toujours, comme sur YouTube ? – Non, non, ça va être un streaming live, en direct. Après ça, c’est fini. ’est pas archivé sur le site. e pourrais m me e acer le compte que je vais créer tout de suite après. Et évidemment que je créerai pas un compte avec mon vrai nom. – Mais est-ce que les gens chez eux peuvent nous enregistrer ? en, a, oui a des logiciels de capture d’écran vidéo qui existent. N’importe qui pourrait nous enregistrer. – Ils pourraient-tu nous remettre sur le site après, eux autres ? – En principe, non, parce que c’est juste supposé être des « performances » en direct sur Cam4, mais il existe des millions d’autres sites Internet qui pourraient nous héberger. – Ben là, je veux pas ! – Mais si on se déguise et qu’on se cache le visage, personne va savoir que c’est nous ! – OK, pis si des gens qui nous connaissent voient ça, ils vont reconnaître notre chambre. – On va déguiser la chambre aussi ! On va mettre des draps noirs partout. Ça va avoir l’air de la batcave. – Bon, tu me jures que personne ni pendant, ni après va être capable de nous reconnaître ? – Promis ! K, c’est correct. me que a m’excite un peu – Yesssssssssssssssss ! Muni de ce consentement explicite, je m’active à créer notre compte sur Cam4. Il y a à peu près sept pages de paramètres à configurer. n me demande notamment d’indiquer si on fume, si on boit, si on a du poil au visage, de décrire notre apparence et de fournir une courte bio. Heureusement, les réponses à toutes ces questions sont facultatives. Je me contente de stipuler qu’on est un couple hétérosexuel du Canada et qu’on recherche également du plaisir hétérosexuel. Compte tenu du fait que j’ai l’intention de supprimer mon compte après une seule utilisation, je ne prends pas la peine de répondre aux onze questions sur nos préférences sexuelles, du genre « Aimez-vous le sexe anal ? », « Êtes-vous intéressé à participer à une partouze ? », « Quelle est la personne avec laquelle vous aimeriez le plus avoir une relation sexuelle? », etc. Je laisse ces questions-là aux professionnelles de la sexualité en direct sur le web (et il semble y en avoir pas mal sur Cam4).
- TÉMOIGNAGE -
DOUBLE VIE
Pour la plupart d’entre nous, une mauvaise journée au boulot, ça veut dire qu’on a été pris dans l’heure de pointe ou qu’on s’est chicané avec notre boss. Pour Patrice, c’est plutôt de se faire tabasser par des motards ou pogner par la mafia avec un micro dans les poches. L’expression métro, boulot, dodo n’existe uste pas quand on est agent double. TEXTE MYRIAM BERTHELET I L L U S T R A T I O N S S É B A S T I E N T H I B A U L T | A G O O D S O N . C O M / S E B A S T I E N -T H I B A U L T
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J
’entre dans le restaurant de la Rive-Nord où on a rendezvous et je le repère tout de suite, assis au fond, le dos au mur. Patrice* est pourtant à mille lieues du cliché du policier : pas de moustache, pas de bedaine, aucune ressemblance avec le sergent igras, figure iconique de R . heveux courts, look bon chic bon genre, visage ouvert, la cinquantaine. Patrice ne cadre pas non plus avec l’image que je me faisais d’un agent double, d’ailleurs : pas de tatouages, pas de coat de cuir, pas de regard nerveux. ref, un gars comme tout le monde, dont le métier a pendant longtemps été de se faire passer pour ce qu’il n’est pas. Je ne sais pas si c’est parce que je connais son métier, mais je me dis que ce gars-là doit bien passer partout : il troque ses lunettes pour des verres de contact et hop, il est transformé. Il se laisserait pousser les cheveux, et bang, on le reconnaîtrait à peine. l change de vêtements et peut se faire passer pour un white trash d’Hochelaga ou un kingpin de St-Léonard. Un policier caméléon. Pendant plus de 10 ans, Patrice a été undercover : « Quand t’es agent double, t’as tout le temps l’air d’une vidange! À un moment donné, tu oublies même que tu es policier. » Patrice a accepté de bonne grâce de me donner une entrevue, mais il ne comprend pas trop ce qui me fascine dans son ancien métier d’agent double. Pour lui, piéger des motards avec des micros cachés dans des salières, acheter de la drogue dans des bars de danseuses, se faire passer pour un criminel durant le jour avant de retrouver sa blonde et sa vie tranquille le soir, c’est business as usual. Prends les bureaux où sont regroupés les agents doubles, par exemple enlève tout ce qui est beau dans les films, les belles filles et les beaux décors, pis a oute du beige années soixante, pis c’est a Une fausse compagnie dans un building anonyme de Montréal où les 007 de la métropole se réunissent avant de se disperser dans la ville selon leurs assignations. « Personne ne sait où c’est, même pas les autres policiers. Mais sérieusement, c’est pas glamour pantoute. » Pourtant, dans les histoires qu’il me raconte à condition que je change certains détails pour éviter qu’on puisse le reconnaître, le danger et les risques s’entrem lent et l’anonymat est plus important que tout. Maintenir sa double identité, ça peut être ce qui fait la di érence entre vivre et mourir. sé, ust another da at the o ce
« Quand t’es agent double, t’as tout le temps l’air d’une vidange ! À un moment donné, tu oublies même que tu es policier. »
L A GARDE-ROBE À CROT TÉS L’infiltration et la vie d’agent double, Patrice y a atterri un peu par hasard : à sa sortie de l’école de police, il est embauché dans une petite ville du uébec où il ne connaît strictement personne e savais même pas où c’était sur la map. » Première journée, le directeur vient voir le p’tit nouveau : u connais personne, tu viens d’arriver, a te tente-tu d’ tre agent double ? » Intrigué, Patrice accepte tout de suite et le directeur l’amène se choisir des habits dans la « garde-robe à crottés », mise à la disposition de tous les agents doubles du poste. ’était une armoire remplie de chandails de loup et d’autres vêtements laittes pour se faire passer pour des pas propres ! », se souvient Patrice en rigolant. Patrice enfile son déguisement d’Halloween d’agent double et se crée un personnage de jeune cool qui veut acheter de la drogue. Sa mission, acheter de la coke dans un bar appartenant au crime organisé. ’est facile quand t’as été élevé en ville. ettons que e savais déjà comment acheter du crack dans un bar. » De toute évidence, Patrice est doué et le chandail de loup lui réussit bien : en quelques semaines, il devient l’ami d’un des piliers du bar en question. « Je le savais pas, mais c’était un striker des Hell’s. Un striker, c’est le prochain à porter les couleurs du club. Habits de crotté sur le dos, il lui achète de la drogue à plusieurs reprises, prend des notes, rapporte le tout au poste. Un mois ou deux après, mon infiltration était terminée, ’étais retourné comme patrouilleur, dans les rues de la petite ville, en uniforme pis toute. Et je l’ai croisé, au volant d’une auto. Je savais qu’il n’avait pas de permis de conduire, il me l’avait dit. Faque je l’ai arrêté. Sa face valait 1000 piasses quand il m’a reconnu ! » *
Le nom et certains détails de l’histoire de Patrice ont été modifiés afin de préserver son anonymat.
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- TOUT-TERRAIN -
UNE VIE SUR LA GLACE Le don d’organes est anonyme par définition, puisque la loi québécoise demande de garder secrètes l’identité du donneur comme celle du receveur. Notre ournaliste a pourtant réussi à suivre tout le processus, du deuil à la table d’opération. Elle a découvert que c’était non seulement le don le plus anonyme qui soit, mais aussi l’un des plus altruistes. TEXTE MYRIAM BERTHELET
P H OTO S M A X I M M O R I N | M A X I M M O R I N.C O M
LUNDI SOIR, 21 H 30 e regarde mon téléphone aux secondes depuis deux ours et deux nuits, pour le plus grand bonheur de mon insomnie . La sonnerie est réglée au niveau le plus élevé, en plus du mode vibration dans le tapis. e le traîne partout avec moi, m me aux toilettes, et e dors en cuillère avec pour le plus grand bonheur de mon chum . ’est que e ne veux pas rater l’appel du Dr Pierre arsolais, de garde à l’hôpital Sacréur pour la semaine. e vous appelle quand il y a un donneur , m’a-t-il dit le plus naturellement du monde. Un donneur, a veut dire quelqu’un qui meurt et qui accepte de donner ses organes pour sauver d’autres vies, un peu partout au uébec et au anada. Dr arsolais, c’est un peu le chevalier du don d’organes au uébec. ntensiviste à Sacréur depuis , il s’est spécialisé dans les soins neuro-intensifs victimes d’accidents de la route, d’A et autres blessés, mettons que ses patients sont par définition pas mal amochés. ’avais beaucoup de patients neurolésés qui évoluaient vers la mort cérébrale. Le don d’organes, c’est tout ce qu’il me restait à o rir aux familles. force de voir tous ces patients poqués et leurs familles éplorées, c’est devenu son cheval de bataille révolutionner le système du don d’organes au uébec. Pour moi, il est pas question qu’un organe en santé ne soit pas placé. e suis affalée sur mon divan à flatter ma bedaine de femme enceinte après la ournée au boulot. Le souper fume dans les assiettes. n va manger devant une série sur Net ix. N . on téléphone sonne tellement fort que les voisins doivent penser que le système d’alarme s’est déclenché. Explosion d’adrénaline. Au bout du fil, Pierre arsolais m’annonce qu’on a un donneur potentiel . omment a, potentiel en, le monsieur n’est pas encore décédé, mais on pense que a risque d’arriver cette nuit. ’est un homme asse gé, mais très en forme. l a eu un accident. e vous rappelle si a se passe. a falloir venir tout de suite. u’on se comprenne bien Dr arsolais a un respect immense pour les patients et leur famille et il ne souhaite évidemment la mort de personne. Au contraire, il reste un médecin dans l’ me. ’est pour a que quand quelqu’un meurt, il se dit que si on peut sauver quelqu’un d’autre en transplantant des organes, ce serait fou de ne pas le faire. Les familles me disent souvent qu’au moins, leur proche ne sera pas mort en vain.
Sentiment étrange e me mets à souhaiter que a fonctionne et qu’on puisse faire le reportage. ais pour a, il faut que le monsieur- gé-mais-en-forme meure. l faut que sa veuve le pleure. u’une famille soit endeuillée. e me sens bi arrement liée dans cette attente à cette famille, et ’éprouve une immense compassion pour ces inconnus encore anonymes ils s’appr tent à vivre une nuit où tout va basculer. l y aura un avant et un après cette nuit-ci pour cette famille que e ne connais pas encore, mais pour qui ’ai dé à une immense empathie. e vais me coucher, la main serrée autour de mon téléphone, pas s re que e veuille qu’il sonne.
M ARDI M ATIN, 9 H onsieur est décédé dans la nuit. Sa veuve accepte de vous rencontrer , m’annonce Pierre arsolais. Et elle accepte aussi que axim, le photographe, et moi accompagnions son con oint décédé dans tout le processus qui l’attend onsieur sera notre porte d’entrée, notre fil conducteur pour comprendre de l’intérieur comment fonctionne le don d’organes. videmment, on respectera son anonymat. e passe chercher axim et on file en vitesse à l’hôpital Sacréur, au nord de ontréal. n est tous les deux un peu agités, partagés entre la nervosité et l’excitation. n entre en trombe dans les urgences de Sacréur une petite grand-mère toute menue erre en py ama, les cheveux ébouri és et un soluté au bras. Un homme, la quarantaine bien installée, évaché sur l’une des chaises de la salle d’attente, éternue. Le hall d’entrée classique d’un hôpital. Dr arsolais, stéthoscope au cou, running shoes aux pieds, l’allure athlétique et le pas vif, vient nous chercher pour nous emmener au e étage. n quitte les petites détresses et les petites maladies du quotidien et on monte vers les questions de vie et de mort. e cours presque pour me maintenir à sa hauteur le médecin de ans a l’air d’en avoir , marche vite, parle vite, pense vite. el homme, cheveux bruns bouclés, il a le regard généreux et per ant de celui qui fait arriver les a aires. ’est un défricheur, un défonceur de portes, c’est un on a, version médecin élancé. Et le don d’organes, c’est SA cause.
- INFILTRATION -
JE EST UN AUTRE ou comment s’acheter une nouvelle identité sur le Web
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Quinze jours, c’est le temps qu’on m’a donné pour me forger un nouveau moi pour le spécial Anonymat : faux diplômes, carte de bibliothèque, permis de conduire, je devais devenir un autre, preuves à l’appui. On m’a donné le choix des armes, à moi de trouver comment j’allais y arriver. J’ai passé l’âge d’avoir besoin de fausses cartes, mais parce que je suis aussi intrépide qu’inconscient, j’ai tout de suite dit oui. Immédiatement après, ça s’est gâté. TEXTE ÉRIC SAMSON
I L LU S T R AT I O N S P I E R R E-N I C O L A S R I O U | P N R I O U.C O M
M
on nom est Sergio cS i er et e suis un Lituanien de 82 ans. Vous ne me croyez pas ? Attendez que je vous montre mon permis de conduire de la république de Lituanie. ui, monsieur. Pas convaincu Peut- tre qu’un passeport australien ferait la ob Sur celui-là, e m’appelle Arthur Guinness. Il y a aussi mon permis de conduire de l’Illinois, où on me présente comme en amin Linus. Il y a deux semaines, j’étais Éric Samson, né en 1980 à Montréal, 1,65 m, ayant un penchant certain pour les pâtes à la carbonara. aintenant, ’ai au moins quatre identités distinctes. Pis a ne m’a m me pas co té cher. oici comment ’ai réussi à me transformer en ce que je ne suis pas.
L A FILIÈRE CL ASSIQUE Je commence mes recherches en demandant conseil à une amie qui traîne parfois avec des gens qui ont des manteaux de cuir, du gel dans les cheveux, des accents un peu menaçants et des noms comme Pavel. Le genre de personne que tu aimes mieux avoir de ton bord. Elle m’avait dé à raconté que Pavel avait volé à la rescousse d’un de ses amis qui avait eu un peu de problèmes avec la police – en fait, son problème était surtout qu’il aimait beaucoup conduire sa voiture, des fois un peu vite et sans toujours regarder les panneaux, mais qu’il n’aimait pas vraiment payer ses contraventions. Alors un jour, il s’est ramassé derrière les barreaux… sauf qu’il ne venait pas d’ici, l’ami. Et Immigration Canada n’aime pas trop voir « six mois en taule pour contraventions impayées » sur ton CV, quand vient le temps de renouveler ton visa. Alors quand il est sorti, Pavel est venu le chercher à ordeaux et lui a donné une petite enveloppe, qui contenait un nouveau numéro d’assurance sociale, un nouveau permis de conduire, une nouvelle carte d’assurance maladie. ’essaie d’entrer en contact avec Pavel quelques messages Facebook, avec mon amie comme entremetteuse, évidemment, parce qu’on n’approche pas de gens comme lui sans se faire présenter. Pas de réponse. e me rends m me dans des bars où e pense avoir des chances de le croiser. Rien à faire. Peut- tre que si j’avais des contraventions impayées et que j’étais un immigrant illégal, a passerait mieux pour Pavel C’est là que je me rends compte que passer par des gens louches d’Europe de l’Est, c’est un peu comme chercher un appartement dans les petites annonces de La Presse, quand on ne sait pas que Ki i i existe. ’est long, a ne marche pas tou ours, et a n’a finalement pas vraiment changé depuis 1947.
Parce que le temps presse pis que Pavel est pas fort sur le retour d’appel, je me tourne vers ce lieu étrange qu’on appelle le deep web.
LE BACKSTORE DU WEB Le deep web a surtout fait les manchettes récemment parce que c’est l’endroit où Internet reste encore le Far West. On peut y acheter toutes sortes de choses : du crystal meth, de la porno allant de légale à horrible, des fusils et m me des gens qui peuvent manier les fusils pour toi, si tu ne te sens pas très DIY. En gros, la seule limite est l’imagination du client. Si ça se vend, ça se vend sur le deep web. Et s’il y a de la demande, tu peux tre certain qu’il va y avoir quelqu’un, quelque part, qui veut la satisfaire. La méthode est simple on télécharge R et on entre l’adresse du site auquel on veut accéder. Il n’y a pas vraiment de Google sur le deep web, mais il y a quelques pages dans le Web « normal » qui ont des listes de sites, alors c’est par là que je commence. Ces index sont pratiques parce que, quand vient le temps d’acheter des choses plus ou moins légales, on s’entend que les autorités essaient assez rapidement de te mettre le grappin dessus, et de faire fermer la patente. Le plus gros marché du genre s’appelait Silk Road. En octobre 2013, après deux ans de démarches, les Américains ont fini par fermer le site et arr ter son grand manitou, qui répondait au doux sobriquet de Dread Pirate Roberts. ls ont aussi saisi des bitcoins valant à peu près 28 millions de dollars. Bitquoi ? Bon. Vous comprendrez qu’on n’achète pas un faux passeport ou une once d’opium avec sa carte de crédit. Pour tout le reste, il y a aster ard a quand m me ses limites. outes les transactions sur le deep web se font en bitcoins, une monnaie virtuelle qu’on peut acheter un peu partout en ligne et qui devient automatiquement presque impossible à retracer. n peut m me s’en procurer dans certains bureaux de change à Montréal et dans d’autres grandes villes. C’est ce que je fais : je me rends à un guichet bancaire spécial du centre-ville de ontréal où ’insère des billets de . La machine me demande de lui montrer mon cellulaire. Un gentil monsieur se tient à côté du guichet automatique, pr t à tout enseigner aux néophytes, et m’explique que je dois installer un programme de portefeuille pour mes bitcoins, sur mon cellulaire. C’est gratuit. EEP l’argent est numérisé et transféré dans mon portefeuille numérique. e viens de numériser . Je transfère cet argent numérique à un des sites spécialisés en blanchiment de bitcoins : je n’ai pas envie que les autorités remontent à mon numéro de cellulaire, gardé en mémoire par les gens qui m’ont vendu le bitcoin original. L’opération est asse