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AUTOMNE 2003 | NUMÉRO 02 | FABRIQUÉ À MONTRÉAL | 4,95 $
SOULEVEZ LA PASTILLE ET DÉCOUVREZ UN ASPECT CACHÉ DE MONSIEUR LE MAIRE...
QUE SENT MONTRÉAL?
Coordonnatrice Katia Reyburn Conception graphique Toxa Illustrations Colagène Collaborateurs Stéphane Barrette Maxim David Marc De Mont Charle Desbiens-Lamarre Valérie Forget Omeech Françoise Kayler Maïté Larocque Francis Léveillé Julien Malland Harry « Gérald » Marciano Isabelle Marjorie Tremblay André Marois Yves Pelletier François Pizarro-Noël Gabriel Poirier-Galarneau Michaël Reyburn Gary Rosenberg Nicolas Saint-Cyr Vincent Tomasz Walenta Site web Franck Desvernes Ventes publicitaires (514) 989-9500 ou pub@urbania.ca Fournisseur officiel de fontes™ Merci à Peter Bruhn de Fountain pour les fontes Ketchupa, Mayo et Mustardo. Tack så mycket ! www.fountain.nu
Édito 02
S
i ce deuxième numéro du magazine, consacré au monde de l’odeur, s’ouvre sur les effluves d’Azzaro pour Hommes, c’est que nos sources dans le domaine de la parfumerie nous confirment qu’il s’agit de l’authentique parfum de Monsieur le Maire. Souvent accusé d’être inodore et sans saveur, Gérald Tremblay a su faire taire les mauvaises langues et boucher bien des nez sensibles — dont le nôtre — lorsque nous l’avons croqué sur le vif dans l’autobus 80 avenue du Parc, alors qu’il revenait d’une chaude réunion sur les défusions. Depuis la parution du premier numéro, plusieurs collaborateurs se sont joints à l’équipe. Ils sont trop nombreux pour tous les nommer, mais nous vous invitons à regarder le tableau d’honneur tout juste à gauche. D’ailleurs, notre porte demeure toujours ouverte aux journalistes, photographes, comptables-le-jour/écrivains-la-nuit, Témoins de Jehovah et anciens détenus, car comme le dit le proverbe chinois : « Plus on est de fous, plus ça sent. » Pourquoi l’odeur ? Pour faire suite à notre délire locomotif et rester fidèles à nos habitudes de renifleurs urbains, nous voulions aborder un sujet dépassant notre quotidien, un sujet nous permettant de redécouvrir la ville et de rencontrer des gens au nez aiguisé. Bref, nous cherchions avant tout un prétexte pour sortir du studio les aprèsmidis ensoleillés. Toutefois, l’odeur s’est avérée être un sujet plus difficile à traiter qu’on pensait. Vaporeux, éphémère, insaisissable... « Comment est-ce qu’on prend ça en photo une odeur ? » a sans doute été la phrase la plus entendue dans la salle de rédaction au cours des derniers mois. Le défi était donc de taille, mais c’était certainement la seule façon d’être réinvités à Macadam Tribus.
L’odeur s’est avérée être un sujet plus difficile à traiter qu’on pensait. Vaporeux, éphémère, insaisissable... « Comment est-ce qu’on prend ça en photo une odeur? » a sans doute été la phrase la plus entendue dans la salle de rédaction au cours des derniers mois.
Attendez-nous Jacques, on se parfume et on arrive ! Bonne lecture L’équipe d’Urbania
URBANIA
Publié quatre (4) fois l’an Mars · Juin · Septembre · Décembre
Impression Imprimerie Falcon 514.336.2238
Suite aux commentaires de Nathalie Collard de La Presse qui a qualifié le style de notre premier numéro comme étant «trash, imitation fanzine» (??!), nous avons décidé de réorienter notre positionnement marketing. Pif Gadget sera désormais l’axe complémentaire de notre stratégie, en remplacement du Journal de Montréal. Ce dernier avait été soigneusement sélectionné pour exprimer notre populisme, mais il semble que notre intention ait été mal interprétée.
Distribution La Maison de la Presse Internationale
Abonnements 1 an (4 numéros) 15,00 $ (+ taxes = 17,25 $) 2 ans (8 numéros) 25,00 $ (+ taxes = 28,75 $) Dépôt légal Bibliothèque nationale du Québec, 2003 Bibliothèque nationale du Canada, 2003
© 2003, Toxa inc. Le contenu d’Urbania ne peut être reproduit, en tout ou en partie, sans le consentement écrit de l’éditeur. Urbania est toujours intéressé par vos articles, manuscrits, photos et illustrations. Nous ne sommes cependant pas responsables des soumissions non-sollicitées en cas de perte ou de dommage. POSTE-PUBLICATIONS Inscription N° 40826097 MAGAZINE URBANIA 3708, BOUL. SAINT-LAURENT 2e ÉTAGE MONTRÉAL (QUÉBEC) H2X 2V4 T 514.989.9500 F 514.989.8085
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UN LECTEUR S’EXPRIME
LES TAXIS ROSES CAUSERAIENT DES SUICIDES
« Rose c’est beau en petite quantité comme les fleurs et le crèmage à gâteau. Sur des voitures, c’est désastreux. On va se croire à Graceland avec Elvis. Si ça passe, ça occasionnera bien des dépressions, voire des suicides. Après avoir lu Urbania, j’en étais complètement dégoûté et en plus ce n’est pas du tout montréalais comme couleur. Ça jure avec les couleurs de la ville. Pourquoi pas un turquoise atténué qui irait bien avec le rouge-brique et le gris-beige de la ville ? » — Claude Lafrance
L’HISTOIRE DE LA COUVERTURE
OU COMMENT RENDRE MONSIEUR PRÉVOST MALADE Une des premières idées que nous avons eues lors de l’élaboration de ce numéro fut celle du scratch ’n sniff de la couverture. Déterminés à utiliser une fragrance de smoked meat, nous avons demandé à André Prévost, notre inventeur en résidence, de nous dénicher du concentré de ce fameux mets montréalais. Aprés avoir vainement consulté tous ses fournisseurs qui — soit dit en passant — se sont tous moqué de lui, Monsieur Prévost se met en tête de concocter lui-même la fragrance. Il achète alors un kilo de viande fumée chez Schwartz’s et en distille l’essence dans sa cuisine. Les vapeurs nauséabondes de concentré de smoked meat lui montent à la tête et il tombe subitement malade. Le lendemain, blême et haletant, il débarque à nos studios, nous implorant d’y aller de notre Plan B (évoqué plus haut dans l’édito), sa femme venant de lui interdire toute expérience de chimie olfactive à base de viande. Pour avoir humé la concoction, on peut vous dire qu’elle avait bien raison.
ILLUSTRATION : TOMASZ WALENTA
Rédacteurs en chef Philippe Lamarre Vianney Tremblay
3km
530 000 000 CHIFFRE CHANCEUX DE GABRIELLE «COCO» CHANEL, QUI A CHOISI LE CINQUIÈME JOUR DU CINQUIÈME MOIS DE L’AN 1921 POUR LANCER OFFICIELLEMENT LE CHANEL NO 5, LE PARFUM LE PLUS VENDU AU MONDE.
COÛT APPROXIMATIF (EN DOLLARS US) POUR LE DÉVELOPPEMENT ET LE LANCEMENT D’UN NOUVEAU PARFUM.
Taux (en %) de croissance annuelle du marché du sent-bon domestique au Japon pour les 20 dernières années.
10
500
JUILLET 1969 : PREMIÈRE BOUTEILLE DE HAWAIIAN TROPIC™ VENDUE SUR LE MARCHÉ. AVEC L’ARRIVÉE DE CES LOTIONS SOLAIRES AUX ODEURS DE COCONUT ET DE BANANE, LA PLAGE NE SENTIRA PLUS JAMAIS PAREIL.
La transmission d'une odeur prend environ 450 millisecondes pour parvenir au cerveau et seulement 45 millisecondes pour une information visuelle.
Distance à laquelle un ver à soie mâle peut détecter l’odeur d’une femelle.
69
9
Nombre de nouveaux parfums lancés par année.
70%
Pourcentage de l’activité cérébrale du requin consacrée à la détection d’odeurs. Nombre de pets moyen d’un être humain en 24h. La vache flatule quant à elle environ 300 fois durant la même période.
Nombre de glandes sudoripares de chacun de nos pieds. Combinés, ils peuvent produire plus d’un demi-litre de transpiration en une seule journée de travail.
105 000$
Pourcentage des gens âgés de 80 ans et plus qui sont anosmiques.
LE CHIFFRE D’AFFAIRES MONDIAL (EN ARGENT US) DE L’INDUSTRIE DU PARFUM ET DES FRAGRANCES.
Nombre de flatulences expulsées par Matt Cohen le 18 décembre 1998 en 5 minutes. Une performance époustouflante enregistrée lors de l'émission de Howard Stern.
15 000 000 000
LE SYSTÈME VISUEL EST 10 FOIS PLUS RAPIDE QUE LE SYSTÈME OLFACTIF.
9 Françaises sur 10 utilisent du parfum. Le nombre chute à 3 sur 10 chez les Grecques et à 0,78 sur 10 pour les habitants du Nunavut.
Prix (en $) payé par Michael Jackson et Mike Tyson pour se procurer une bouteille de Parfum VI de la maison. Ladite bouteille, produite à seulement 173 exemplaires, est faite de platine, d’or 24 carats, de rubis et de diamants.
L’ODEUR 250 000
Le système olfactif du berger allemand est 36 fois plus sensible que celui de l'homme. Logique, puisque ce dernier ne possède que 6 millions de récepteurs tandis que son confrère canin en a 216 millions.
211
10
EN CHIFFRES
36
Montant dépensé annuellement en publicité pour promouvoir les fragrances et parfums au Canada.
15524
10 000 000$
NOMBRE D’ODEURS DISTINCTES DÉTECTÉES PAR LE RECORDMAN MONDIAL. HABITUELLEMENT, UNE PERSONNE ORDINAIRE PEUT EN DISTINGUER ENVIRON 4000.
taux de capacité de l’être humain à identifier le sexe (genre) d'un autre humain, à partir de l’odeur de sa main. les sujets féminins sont semble-t-il plus compétents à cette tâche que les sujets masculins.
1490, boul. de Maisonneuve Ouest (campus Concordia)
maintenant non-fumeur 5
Molly
Chien-renifleur pour l’Agence canadienne d’inspection des aliments Aéroport de Dorval (PET) Traduction de Claudine Léger, maître-chien
Bonjour Molly. Bonjour. Faites ça vite, j’ai hâte de retourner travailler. OK. En quoi consiste ton rôle ici, à l’aéroport de Dorval ? Je dois renifler les bagages des voyageurs dans le but de détecter des produits agricoles tels que des fruits, légumes, plantes, viandes, produits laitiers ou quoi que ce soit pouvant contenir des bactéries. Mon devoir est de protéger le territoire canadien de toute propagation de parasites provenant de l’étranger. Combien y a t-il de chiens-renifleurs ? En ce moment nous ne sommes que trois à Dorval, mais on est quinze à travers le Canada. Pratiquement tous les aéroports majeurs au pays peuvent compter sur les services d’un chien-renifleur. Combien de temps a duré ton entraînement ? Un peu plus de deux mois. On m’a graduellement introduit cinq odeurs. On commence par la pomme et le raisin, car il s’agit des produits que l’on reniflera le plus fréquemment. Ensuite c’est la viande, les légumes et les plantes. Une fois sur le terrain, à l’aéroport, ils m’ont enseigné à dépister les produits laitiers, les œufs et les conserves. Tu arrives à détecter la nourriture en conserve ?! Pourquoi penses-tu que j’ai été engagée ? Il reste toujours d’infimes résidus moléculaires de l’usine d’empaquetage sur les boîtes et les étiquettes. Que trouves-tu principalement ? Comme je te le disais, surtout des pommes. Beaucoup de sandwichs, de saucissons et énormément de foie
gras. Je te dirais que plus de la moitié des passagers qui arrivent de France rapportent du foie gras, des fromages ou des saucissons. Je pensais qu’on pouvait rapporter du foie gras… S’il est cuit oui. S’il est mi-cuit, oublie ça. Mais voudrais-tu vraiment manger ça ? Ça a tellement l’air dégueulasse… Pour ce qui est des fromages, pendant la fièvre aphteuse, ceux au lait cru étaient interdits, mais maintenant ça passe. Mais si le fromage repose dans un lacto-serum comme pour le feta, on le saisit. Vérifiez-vous tous les vols ? Juste les vols internationaux. Les États-Unis ont sensiblement les mêmes maladies et parasites que nous, donc ça ne servirait à rien. Claudine, mon maître, ne m’emmène jamais avec elle vérifier les vols en provenance d’Haïti. Il y a tellement d’épices et d’odeurs diverses que je deviens folle. Les trucs que les gens rapportent sentent tellement fort que même le nez humain est capable de les détecter. Que reçois-tu lorsque tu fais une trouvaille ? Un morceau de nourriture sèche. C’est tout ? Oui, c’est tout. Mais comme je suis efficace, à la fin d’une journée de travail, j’ai dû avaler l’équivalent du double de ce qu’un chien domestique peut manger. Travailler, ça creuse l’appétit. Pourquoi choisit-on des beagles comme renifleurs de victuailles ? Parce qu’on a l’odorat plus fin que la moyenne des chiens—c’est certainement dû à notre gourmandise —et aussi parce qu’on est agiles et sociables. On n’a pas des airs de bœuf comme nos confrères bergers allemands du département des drogues et armes à feu. Quelle est ton odeur préférée ? La pomme. Je peux en détecter une à trente mètres.
Quels sont les trucs les plus bizarres que tu as trouvés ? Une tête de singe pour faire du vaudou… Ah oui, l’autre jour j’ai reniflé un pénis de yak. Beurk ! Les asiatiques pensent que c’est aphrodisiaque…
Dors-tu chez ton maître-chien ? Non. On m’héberge dans un chenil. Si je vivais avec Claudine, je virerais folle chaque fois qu’elle ouvrirait le frigo ou qu’elle se ferait cuire un steak. J’ai une sérieuse difficulté à séparer le travail de ma vie personnelle.
Que faites-vous avec ce que vous saisissez ? On arrose de produits chimiques et c’est envoyé au site d’enfouissement international.
Es-tu opérée ? Bien sûr. Je ne pourrais pas être en chaleur et travailler en même temps. Je serais distraite par ma condition.
Combien de saisies faites-vous dans une journée ? Je dirais qu’on fait à peu près une quinzaine de saisies par vol et qu’on fait environ de 6 à 10 vols par jour… ça donne en moyenne une centaine de saisies par jour ! Heureusement, comme je ne sais pas écrire, c’est toujours Claudine qui se tape la paperasse. N
Nicole Saint-Amand Vendeuse de parfums à La Baie Montréal
Combien de fragrances pouvez-vous reconnaître au pif ? Plusieurs. Disons que dans une soirée, dans le métro ou dans une foule, je suis capable de nommer les parfums de presque tout le monde. Je vous dis pas que je suis infaillible, mais j’ai assez d’expérience pour reconnaître les quelques 283 parfums de notre magasin. D’où vous vient ce talent ? 28 années dans le domaine, toutes chez La Baie. Quelles sont les fragrances les plus populaires ? Acqua di Gio de Armani chez les hommes et chez les femmes, Angel de Thierry Mugler. Ce sont mes meilleurs vendeurs en ce moment. Votre préférée ? J’aime beaucoup les fragrances vraiment particulières. J’aime beaucoup lorsque les gens se demandent ce qu’on porte parce qu’ils ne peuvent pas deviner. Lise Watier : fragrances raffinées ou marketing efficace ? Ah, non ! Lise Watier ce sont de t-r-r-r-ès t-r-r-r-ès bon parfums. C’est canadien et on aime ça. À force de parfumer à qui mieux-mieux comme ça à longueur de journée, vous arrive-t-il d’avoir mal au cœur ? Au contraire, ça m’inspire. J’adore sentir tous ces parfums. Même pas une petite irritation nasale ? Disons que j’ai plus de misère avec les parfums qui ont trop de musc. Je ne dis pas pour ceux qui aiment ça, mais moi ça me tombe sur l’estomac. Est-ce qu’il y a une date d’expiration sur les bouteilles de parfums ? Si vous conservez vos bouteilles dans la salle de bain, oubliez ça. C’est sûr que l’humidité et la lumière vont faire tourner le parfum. Il faut le mettre dans un tiroir de votre commode, bien au sec. Les hommes québécois se sont-ils mis au parfum comme ils ont sû le faire avec l’habillement ? Depuis 20-25 ans, les hommes font plus attention à eux de manière générale. Avant, c’était peut-être la femme qui achetait le parfum pour son mari, mais maintenant c’est lui qui vient nous voir, comme un grand. Est-ce qu’on change de fragrance en vieillissant ? Y a-t-il une évolution ? Même quand la personne a 90 ans, si dans sa tête elle aime une certaine fragrance et qu’elle se sent jeune quand elle la porte, c’est tant mieux. Un parfum n’a pas d’âge, ça va avec le cœur. C’est un état d’âme, un poème qu’on reçoit. Et vous, quel poème offrez-vous ? J’en compose un nouveau chaque jour. N
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Pour une revalorisation de l’odorat par yves pelletier
« L’odeur, c’est le miroir de l’âne » disait le philosophe jordanien Sassan El D’Soudbra. En effet, des six sens (l’ouïe, la vue, l’odorat, le toucher, le goût et le sens des affaires), l’odorat est celui qui nous relie le plus à notre essence animale, nos instincts, notre inconscient. C’est ce côté révélateur qui lui vaut son statut d’underdog de la perception sensorielle (Sondage « Votre corps, cet inconnu », Marie-Claire/Léger et Débile Léger, mars 2001). Pourtant, c’est grâce à l’odorat que le poupon naissant reconnaît sa mère. C’est grâce à l’odorat que l’aveugle se guide jusqu’à la Villa du Poulet. C’est grâce à l’odorat que la fille complètement paf sait qu’elle s’est trompée de porte et est entrée dans la toilette des gars. Visuellement, auditivement et tactilement, l’homme fait preuve de tolérance. Exemple : la danse à dix d’une quinquagénaire obèse sur « Eye of the Tiger » peut être affriolante avec un peu d’imagination et beaucoup de libido. Mais dans la sélection olfactive, l’homme est nettement plus conservateur. Un gouvernement régi strictement par l’odorat serait certainement de droite. Exemple : Michou Charest trouve que des garderies à 5 $, ça sent pas propre. Car voilà le cœur du problème : l’odeur est injustement associée à la propreté et à l’hygiène. Dans le climat d’aseptisation de nos sociétés occidentales, on restreint la production industrielle à une gamme d’odeurs socialement acceptables. Exemple : « Fraîcheur des montagnes », « Citron », ou « Sylvain Cossette ». La surenchère de stimuli « sent bon » a par contre des effets répulsifs. Exemple : la convergence des comptoirs de parfum au rezde-chaussée chez La Baie. Les nausées provoquées s’apparentent alors à celles résultant d’une carence du même stimuli. Exemple : un guichet automatique qui sert de chalet d’hiver à un résident de l’Accueil Bonneau. L’enjeu de notre civilisation, c’est la consensualité permissive. Il faut renouer avec nos pulsions primitives, tout en restant fidèles à nos idéaux sanitaires. C’est par le biais de l’odorat que nous générerons le mieux cette communion. À ce titre, Montréal est une ville exemplaire. En effet, n’est-elle pas le berceau des tam-tams du Mont-Royal, où se juxtaposent les odeurs d’aisselles et de patchouli, de merguez hydroponique et d’air frais des montagnes ? N
15
Vivement une bouffée d’air frais.
D
LEMUSÉE DESODEURS
UN RÉCIT D’ANDRÉ MAROIS ILLUSTRÉ PAR FRANCIS LÉVEILLÉ
Rtribulations urbainesS
ifficile de définir clairement la puanteur qui règne dans l’appartement. Un atroce mélange de vomi, de putréfaction et de vanille. C’est cette présence qui s’avère la plus surprenante : qu’est-ce que cet effluve de vanille vient faire au milieu de ce remugle ? Dans ces cas-là, on ne discute pas. On remonte ses manches, on fixe le masque bien serré sur son visage et on cherche. Toute odeur a une origine, c’est scientifiquement prouvé. Monsieur Marcel me le répète tous les matins avant de m’envoyer en mission aux quatre coins pollués de Montréal : — Si ça empeste la merde, t’es dans le caca. Si ça embaume la rose, t’es chez Natacha, dit-il de sa voix aiguë. Il a raison. Mais la vanille mélangée au faisandé, c’est pas prévu dans le manuel. Je vais demander une prime, si ça continue. Je ne suis pas devin, moi, je suis technicien supérieur en locaux empuantis. On m’appelle pour désodoriser des condos trans-formés en décharge publique. Pour sup-primer les relents de poissons frits, les pestilences causées par la pourriture ou les chiens mouffettés. Je suis un pro. En vingt-cinq années d’interventions, aucune exhalaison ne m’a résisté. Je tue l’agresseur fétide aussi sûrement qu’un pitbull pubère réglant son compte à un bichon toiletté. Je suis le meilleur pif sur l’île. Je repère un pet d’oiseaumouche à 200 mètres. Le rance tremble à mon approche.
Enfin… jusqu’à aujourd’hui. J’avance de quelques pas dans l’entrée. C’est sombre là-dedans et l’électricité a été coupée. J’allume ma grosse lampe torche et je balaie les lieux de son faisceau. La cuisine ressemble à un Ground Zero. Un reste de préparation culinaire a moisi au fond d’un saladier en inox et partout ailleurs des ustensiles et des boîtes de conserves ouvertes jonchent le sol.
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L’odeur a grimpé d’un cran. Je me rapproche de mon but. Je brûle. Monsieur Marcel m’a prévenu qu’on avait affaire à un cas spécial. Charlie est passé hier pour sulfater les lieux au Calmix 27, notre désodorisant de choc mis au point par des experts onusiens afin de venir à bout des ignobles bouffées d’air vicié s’échappant des charniers serbes. Mais Charlie n’a pas réussi sa mission, vu que les voisins ont rappelé ce matin en disant que ça fouettait de plus belle. C’est à se demander s’il s’est même déplacé. Et vu qu’il n’est pas passé hier soir boire sa bière, il a plutôt dû rencontrer la femme de sa vie. À moi de trouver le remède miracle qui apaisera les systèmes olfactifs de tout l’immeuble. Pour ça, il faut que je découvre la source du fléau. À gauche, une chambre à coucher qui a dû servir de lieu de répétition pour le prochain tournage de Ouragan 3. Ils ont même arraché les lattes du plancher pour ériger une sorte de tipi sur le lit. Ça fait art contemporain sauvage. Pourtant, l’ignoble senteur ne vient pas d’ici. Mon instinct me pousse à chercher ailleurs. À droite, la salle de bains où je crains de découvrir le pire. Je pousse la porte : le choc. Ça brille là-dedans, on se croirait dans une publicité de Monsieur Propre au citron vert. Mais inutile de perdre mon temps : personne n’a jamais utilisé cette pièce.
Je commence à suffoquer. Il faudrait ouvrir une fenêtre. Je sue plus qu’un cochon avant l’abattage. Je dois rester concentré — je suis un spécialiste dans l’exercice de ses fonctions. Cette fois, j’en suis certain : mon flair me dirige directement vers la petite porte au bout du couloir. Je pénètre dans une minuscule buanderie comprenant deux vieilles machines rouillées et une table assez grande pour plier les chaussettes. L’étrange contamination vanillée flotte dans l’air et me saute à la gorge. Je manque tomber à la renverse, mais je me reprends à temps. J’y suis. Je m’adresse à mon ennemi en lui parlant à voix haute, ça me donne du courage. — À nous deux, infection putride. L’un de nous est de trop ici. Je n’attends pas de réponse et je fouille du regard pour débusquer ma proie pestilentielle. C’est à ce moment-là que ça bouge dans la sécheuse. Je fais un bond de côté. Ce n’est pas normal quand ça bouge. Les pires odeurs proviennent de la mort, de la décomposition, de la gangrène, de la moisissure. Pas de la vie. Pourtant, je dois aller au bout de ma mission salvatrice. Même si mon déodorant intime n’est plus capable de contrer la transpiration qui suinte de tous mes pores. Je me mentalise. Il faut garder le contrôle. Qu’est-ce qui peut simultanément sentir le vomi, la putréfaction et la vanille ? Et qui remue ? Et qui peut entrer dans le tambour d’une laveuse? Vite, une idée !
— Sors de là, si t’es un miasme ! J’ouvre la Inglis d’un coup sec en pointant mon désempuanteur, paré à pulvériser une giclée de javellisant sur le monstre qui empoisonne cette maison. Je prends une bouffée de chaleur en plein dans les nasaux alors qu’un amas de linge cesse son mouvement rotatif. Depuis quand fait-on sécher des vêtements sales ? Et dans quel but ? Pour les remettre ? — Vous cherchez quelque chose ? Vous voyez bien que ces vêtements sont multicolores. Ne me dites pas que vous aviez l’intention d’y projeter de la Javel. Ah les hommes et le lavage ! Je fais volte-face, décidé à zigouiller mon assaillante. — Vous êtes une voisine ? Je suis le technicien… — Je sais qui vous êtes. Un de vos collègues est venu avant-hier. Je me suis bien amusée avec lui dans ma pyramide. C’était donc ça le tipi ! Et Charlie aurait folâtré avec cette sorcière ? Comment a-t-il pu supporter l’infecte émanation qu’elle dégage ? Laisser une telle calamité en liberté est contraire à notre déontologie. — Ces habits vous appartiennent ? — Bien sûr, j’habite ici. — Et... Vous n’êtes pas dérangée par cette puanteur ? — Je souffre d’anosmie. J’ai perdu l’odorat, si vous préférez. Tout s’explique, je vous dis. Elle sourit. Elle me fait un clin d’œil ! Je ne vais pas me laisser berner par l’incarnation du mal odorant. Et voilà qu’elle tend la main pour m’effleurer la joue. — C’est quoi cette odeur ? je lance, mal à l’aise. Elle hausse les épaules. — Ça doit provenir de mon petit chat. Il est mort en lapant une tasse d’extrait de vanille que j’avais utilisé pour parfumer ma pâte à crêpes. J’ai voulu l’embaumer comme les pharaons faisaient avec leurs animaux préférés. Mais ça n’a pas très bien réussi et Khamou a commencé à pourrir. Alors, j’ai décidé de le déshumidifier. En plus de l’olfaction, cette femme a perdu le sens des réalités. — Bon, il est où ce chat, maintenant ? Parce qu’il va falloir vous en débarrasser. Il y a eu des plaintes et ça pue en diable, vous pouvez me croire. — Il est là. Elle désigne la Inglis grande ouverte. — J’ai lu qu’il fallait totalement le dessécher pour qu’il
se conserve éternellement. Dans le dictionnaire, ils parlent de dessiccation. Alors une sécheuse… c’est l’idéal, non ? Eh, y en a là-dedans, conclut-elle en se frappant le front avec son index. J’avais déjà entendu l’histoire de la femme qui voulait sécher son matou aux micro-ondes, mais ce coup-ci, c’est une première dans ma carrière. Ni une, ni deux, je mets mes gants de protection et je vide le contenu de la machine à assécher le propre dans un gros sac en plastique que je ferme avec un triple nœud. J’ai rempli ma mission : déloger l’origine puante pour en venir à bout. Je me retourne, paré à quitter les lieux. Ça aurait été trop facile. — Khamou ! Mon petit Khamou ! L’égyptologue en furie se jette sur le sac et tente de me l’arracher des mains. Je bascule en arrière et m’étale sur le plancher en tuiles blanches. Elle me mord au poignet. Ma main s’ouvre, la groupie pharaonique attrape mon butin et se redresse. Je lui bloque la cheville et son corps décrit un arc de cercle dont son pied est le centre et sa tête l’extrémité du rayon. Elle s’écroule à son tour. Je bondis sur cette malade mentale. Nos membres s’enchevêtrent. Nos senteurs intimes se mélangent. Mon énergie faiblit. Son sourire s’élargit. Je suffoque. Se pourrait-il que les forces nauséabondes parviennent à anéantir la coalition ? Elle ouvre grand la bouche et me souffle une haleine à étouffer un bouc. Je m’évanouis, terrassé par mon pire ennemi. Beaucoup plus tard, je me réveille sous son tipi pyramidal, le torse recouvert de bâtonnets de cannelle, avec à gauche Khamou tout sec qui me fixe de ses grands yeux froids. L’odeur est innommable. Je détourne la tête… pour découvrir Charlie allongé à ma droite. Il est visiblement mort et emmailloté de bandelettes comme une momie. Je me sens mal. Cléopâtre arrive alors, elle pointe vers moi un grand couteau à découper la viande et me susurre à l’oreille : — Est-ce qu’on t’a déjà dit que tu avais le même nez que Ramsès II? N
www.andremarois.com 21
R psychologie de salon S
« Deux choses rendent les femmes inoubliables : leurs larmes et leurs parfums. » SACHA GUITRY
P
etite, j’allais fouiller en cachette dans la pharmacie de ma mère. Juchée sur le comptoir de la salle de bain, je dévissais chaque pot de crème, de lotion et de parfum et je les passais un à un sous mon nez. L’interdit provoquait une sensation de joie intense tandis que je humais à qui mieux-mieux jusqu’à l’étourdissement. Je me rappelle encore le parfum qu’elle portait : Cabochard de Grès. Il sentait la bergamote mêlée au jasmin et à la sueur d’un cygne. Lorsqu’elle quittait le nid pour aller travailler, j’enfouissais mes narines dans le creux de son cou et inspirais de toutes mes forces comme pour conserver un peu de ma mère avec moi…et la séparation devenait alors plus douce.
Le jour où l’on devient femme, ce n’est pas celui de nos dix-huit ans, ni lorsqu’on signe un bail pour la première fois, ni quand on obtient son permis de conduire, ni quand on perd sa virginité. Non, le jour où l’on devient femme c’est lorsqu’on reçoit son premier flacon de parfum. Tout comme on utilise de l’eau bénite pour baptiser le nouveau-né à l’église, on se vaporise de parfum pour marquer le passage à l’âge adulte. On laisse alors notre odeur de petite fille au profit d’une odeur plus distincte et plus prononcée. Choisir un parfum constitue un rituel complexe et laborieux, ce qui explique le degré de fidélité qui s’y rattache. Mais selon les humeurs et les saisons, on décidera d’adopter une nouvelle fragrance et celle-ci provoquera un curieux sentiment de renaissance. Le parfum devient alors un jalon qui situe une période dans une vie et qu’on associera à une relation, une expérience, un voyage ou un état d’âme. Se faire offrir du parfum révèle un signe d’intimité profonde, et sachez qu’il vaut mieux jouer sûr et donner à la personne qu’on aime le parfum qu’elle porte déjà. Le parfum est la touche finale avant une sortie, un brin de fraîcheur qui rehausse notre féminité, un atout à la séduction, un élément de confiance, un gage d’amour-propre, un soupçon de notre identité, une couleur invisible qui se marie à notre peau. Personnellement, il n’y a pas de parfum que je préfère à celui de la joue de mon chum, fraîchement rasée et aspergée de lotion aprèsrasage Issey Miyake. Son odeur est alors suave et enivrante, comme du bois de santal ou du cèdre mouillé. Dire que quelques heures plus tard, cet arôme délicieux s’évaporera dans l’air pour faire place à une damnée barbe hirsute...
katia reyburn
Scented vs. 24
« N’employez aucun parfum, si ce n’est le charme des pensées. » SAGESSE BOUDDHISTE
V
ous vous souvenez du film Scent of a Woman ? Al Pacino y incarnait un aveugle devinant à coup sûr la fragrance des femmes qu’il convoitait. Son nez effleurait à peine leur cou qu’il leur sussurait instantanément leur marque de parfum à l’oreille. Qui n’a pas rêvé de pouvoir en faire autant ? Un ami à moi, croyant son pif aussi infaillible que celui d’un aveugle scénarisé, s’est mis à jouer les Al Pacino avec les demoiselles qu’il rencontrait. Il se gourait de marque la plupart du temps. Croyez-moi, rien n’est plus pathétique qu’un renifleur au nez bouché. Si je vous raconte cette histoire, c’est pour illustrer combien nous sommes à la merci des diktats du marketing moderne. S’asperger de Chanel No 5 est censé signifier que vous occupez un rang social élevé, tandis qu’opter pour un parfum fruité de chez Pharmaprix démontre votre manque de goût. C’est la tyrannie des marques, appliquée non pas à l’univers visuel, mais bien au nez, cet organe trop souvent manipulé à notre insu. Nous avons appris à nous méfier de la publicité, il faut maintenant se battre contre ces griffes qui imposent leur univers olfactif comme un autre attribut du « style de vie » qu’elles promeuvent. Pas que je veuille sonner comme un Naomi Klein, mais il faut se rendre à l’évidence : une fragrance n’est rien d’autre qu’un label odorant. Contrairement à l’aromarketing [ndlr : voir p.27] qui envahit notre nez malgré nous, le parfum est une étiquette dont on s’affuble de plein gré, voire avec fierté. On arbore son parfum comme s’il était une extension de notre personnalité. Vous souvenez-vous des années 90, glorieuse époque durant laquelle nous rivalisions à savoir qui arborerait le logo Nike le plus gros ou qui porterait les nouvelles espadrilles Bo Jackson le premier ? Nous étions de véritables hommessandwichs ambulants. Je crois qu’olfactivement, nous en sommes encore à ce stade. Je peux comprendre que certaines personnes désirent rehausser leurs effluves corporelles, appellons cela l’hygiène. Ce que je n’arrive toutefois pas à saisir est ce constant besoin d’ajouter plus d’odeurs à un monde qui en est déjà saturé. Citoyens, respirez par le nez ! Cessez de vous imprégner de ces arômes pestilentiels fabriqués en laboratoire. Vous me faites penser à ces chasseurs qui s’arrosent d’urine de femelle pour attirer les mâles. Vous croyez vraiment que le fait de diffuser du CK One dans un line-up attirera le sexe opposé? Avez-vous si peu confiance en vos phéromones ? Personnellement, il n’y pas de parfum que je préfère à celui de la nuque de ma blonde au réveil. Son odeur est alors authentique et pure, aucunement altérée par le monde extérieur. Dire que quelques minutes plus tard, sa damnée eau de toilette viendra effacer toute trace de mon festin olfactif matinal...
philippe lamarre
Unscented 25