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Thibaut De Vylder y Talent
« C’est à la fois simple et compliqué », disait le capitaine Haddock. Thibaut De Vylder et son associé Jean-Pierre Letourneur, eux aussi, réussissent à concilier les contraires.
Entre rouge et vert, 30 % d’économie
Des lignes horizontales, en vert pour ce qui avance normalement, en rouge quand ce n’est pas le cas : au mur de la salle de réunion, face à Thibaut De Vylder, l’exemple de planning ressemble à un classique diagramme de Gantt. Mais de loin, seulement. Et au fond, tout est là : la simplicité apparente cache la sophistication d’une méthode qui fait appel à plusieurs techniques différentes pour extraire et faire circuler ce qu’il y a de plus précieux dans les projets complexes : les informations. Savoir où on
en est, où on sera – ou ne sera pas – demain, et pourquoi. La différence entre le rouge et le vert n’est pas théorique pour une société, elle peut représenter une économie de 20 à 30 %. Et une avance ou un retard considérables par rapport aux objectifs. « Dans le cas du déploiement informatique de la Générale de Banque, on a gagné six mois sur les prévisions », dit Thibaut. Il était alors consultant chez DMR, Jean-Pierre Letourneur était responsable de l’opération, cruciale pour la Générale de Banque. C’était en 1996. « On s’est rendu compte qu’on allait faire tout le temps la même chose dans chacune des 1.100 agences de l’époque. Le processus durait neuf mois ; en poussant la logique jusqu’à l’absurde, ça aurait pu durer 750 ans… On a en quelque sorte taylorisé l’ensemble, rationalisé l’intervention des corps de métier qui étaient les mêmes chaque fois. » Ce chantier-là, pleinement réussi, a permis la rencontre des deux hommes qui se sont associés par la suite. Le succès les a amenés à passer à la dimension supérieure, lors de la fusion de la Caisse d’Epargne et de la Générale de Banque dans la nouvelle Fortis : « Il y avait 900 agences à construire, 1.100 à déménager, 1.300 à céder, soit 1;300 ventes ou clôtures de bail, un cheptel de 9.000 projets différents, chacun fait par huit à neuf corps de métiers intervenant plusieurs fois par jour sur les sites. Et rien n’est simple, quand on doit déménager une salle des coffres, des services informatiques, le marketing… Rien n’est simple et pourtant, c’est la simplicité qui permet en finale de réaliser des choses compliquées sans s’y perdre. » L’effet “Kiss” (« Keep it simple, stupid »), cet idéal tant vanté et si souvent oublié en pratique, ne résulte pas ici d’une martingale secrète et exclusive, mais plutôt de l’assemblage de méthodes existantes, Thibaut l’admet volontiers. Il faut clairement disposer de données fiables pour avoir une vue d’ensemble précise d’une situation et avoir cette qualité dont on n’entend plus guère parler, le bon sens. Au mur d’un des couloirs du petit immeuble de Deployments Factory, à Ixelles, un mot attribué à Mark Twain le rappelle d’ailleurs : « Common sense is not very common.» En fait, ce sens commun pas si commun que ça… c’est de Voltaire, comme le note au passage Thibaut De Vylder. Mais qu’importe l’auteur, c’est le message qui compte.
Améliorer la qualité des données financières, la base des stress tests
Et le même bon sens, la même approche, l’expérience de Deployments Factory l’a montré, peut venir en aide dans des domaines vraiment très différents du déploiement logistique ou de la planification-gestion de projets. Depuis quatre ans, c’est dans la folle sarabande de la finance que les spécialistes de la société apportent clarté et simplification. Il ne s’agissait plus, comme au départ, de coordonner des implantations physiques, mais d’éliminer les conflits et sources d’erreurs résultant du choix d’architectures informatiques différentes dans des banques appelées à fusionner. « En finale, le ratio de solvabilité des banques est très dépendant de la qualité des informations fournies sur les opérations. Sans cela, on ne peut certifier le résultat final des banques et c’est une donnée qui est devenue capitale aujourd’hui, avec les “stress tests” auxquels on les soumet. C’est un environnement d’une complexité incroyable, dans lequel les gérants de banques eux-mêmes se perdaient. Il y a quatre ans, encore, on nous disait de ne pas nous intéresser aux “subprimes”, à la fois parce que personne n’y comprenait rien et parce que, jusqu’à la crise, on
faisait confiance aux produits financiers de banques prestigieuses. » Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Deployments Factory avait travaillé chez ABN Amro pendant six mois, pour préparer la fusion avec Fortis, en analysant entité par entité et en créant des modules d’information, des indicateurs permettant de détecter les comportements étranges dans les flots de données fournies. Le résultat a été concluant, un système nettement plus simple se révélait plus performant que les outils existants, gros consommateurs de ressources. « On crée des vues, des outils synthétiques qui montrent ce qui se passe réellement dans un portefeuille particulier, en corrigeant la qualité des données fournies et en créant l’information manquante. La qualité des données est capitale pour pouvoir bien anticiper et simuler le futur. » Après la débâcle Fortis, ils ont continué à travailler pour ABN Amro de même que pour la partie hollandaise de Fortis. Les méthodes qu’ils ont mises au point ont servi de base à l’élaboration des fameux « stress tests » imposés aux banques par le protocole de Bâle II. « Avec notre approche nonintrusive et externe, nous obtenons une meilleure compréhension des données et donc une meilleure qualité de simulation que celle qu’obtiennent les banques avec les outils qu’elles ont développé elles-mêmes. Notre force, c’est que nous savons où les trouver et comment en faire remonter l’information. Il n’est pas exagéré de dire que chaque euro investi en qualité de données rapporte beaucoup plus que chaque euro investi ailleurs. De meilleures données permettent de leur fournir un véritable GPS financier qui leur indique vers quoi elles vont. Dans l’environnement actuel, c’est quelque chose qui rassure les régulateurs. » Et ensuite, c’est BNPParibas, qui les a appelés au début 2010 pour industrialiser l’intégration de BNPParibas et Fortis en France, Belgique et au Luxembourg. Encore une fois, interpréter des données en provenance de centaines de projets et de programmes d’intégration, détecter les anomalies dans les données d’avancement, produire des vues synthétiques… c’est appliquer des recettes qui fonctionnent en utilisant d’autres ingrédients. Les glissements progressifs de l’effet “KISS” ont
conduit Thibaut et son associé à créer un nouveau métier, en définitive. Avec un nouveau souci, celui de préparer leur propre… déploiement de Data Factories, Data Quality Factories, Simulation Factories. Rien que dans le domaine de la transformation d’énergie et de la simplification des processus, les flux actuels seront multipliés par mille, il y a un monde à conquérir. La moitié de leur chiffre d’affaires provient déjà de l’extérieur de la Belgique. « Mais vous n’imaginez pas comme c’est compliqué de travailler dans un autre pays européen, même dans le cadre d’une simple prestation de service intellectuel… » Là aussi, dans ce fameux « grand marché », il y aurait des Stève Polus simplifications à apporter.
PHOTO MIREILLE ROOBAERT
Les pires moments dans la vie sont parfois, paradoxalement, ceux qu’on voudrait associés au bonheur. L’exemple type, construire ou transformer, en couple, la maison de ses rêves. Rêves ou cauchemars : un chantier mal engagé, des corps de métier qui font défaut ou se marchent sur les pieds, les dépassements – pourtant classiques – de budget, mal estimés… Inutile de faire un dessin : en quelques mois, on passe du paradis à l’enfer et très souvent, le couple explose. Déjà que l’amour déteste essuyer la vaisselle. Avec les plâtres, c’est encore pire. Et dans la sphère professionnelle, c’est pareil – à la troisième puissance. Des déménagements-catastrophe où personne ne semble avoir prévu de place pour les archives essentielles au fonctionnement de la société, les câblages d’ordinateur qui refusent obstinément toute logique, l’angoisse très physique de ne pas retrouver son fauteuil, qui se double de celle, plus diffuse, de ne pas retrouver son emploi dans une fusion… Il faut au minimum des mois pour que la société retrouve son tonus. Au pire, les conséquences des ratages accumulés continueront à se faire sentir pendant longtemps. Dans le fonctionnement quotidien des entreprises de grande taille, on comprend que le moindre grain de sable puisse se répercuter et prendre des allures de pavé dans les courroies de transmission. D’autant plus que l’ego des responsables de départements les pousse irrésistiblement à faire grandir les effectifs qu’ils représentent. « On ne voit pas toujours pourquoi certaines entités gonflent comme elles le font traditionnellement. Souvent les responsables aiment faire compliqué, parce qu’on est reconnu par le nombre de personnes qu’on dirige… Or, on vit aujourd’hui dans un monde globalisé, où les risques ne sont plus confinés comme auparavant. La crise change les mentalités, les dirigeants ne veulent plus de projets pharaoniques. La nouvelle donne implique que les organisations doivent avoir la capacité de se redéployer en permanence, adapter souplement la voilure à la conjoncture, passer de 900 à 500 personnes, etc. Ou le contraire. » Ce n’est plus un discours mais déjà une méthode. Thibaut De Vylder en a vécu, de ces « redéploiements » ou « déploiements » : c’est devenu son métier de faciliter, de simplifier et de rendre plus efficaces les processus d’à peu près toute nature. Il y a dix ans, il avait vingt-huit ans, cet ingénieur commercial UCL a fondé avec JeanPierre Letourneur une société au nom explicite, Deployments Factory. La boîte a fait du chemin, elle emploie une trentaine de consultants pour un chiffre d’affaires d’environ 3 millions d’euros et a engrangé de solides références dans des organisations comme Fortis banque, BNPParibas, Belgocontrol, Interparking, Fortisbank Nederlands, le réseau de courtiers d’assurances Portima, etc. Une variété de clients chez qui « simplifier les déploiements » signifie mettre en œuvre des projets tous différents, mais tous extrêmement complexes.
Simplicissimus