BERNARD REYMOND
SUR LA TRACE DES
THÉOLOGIES LIBÉRALES
BERNARD REYMOND
SUR LA TRACE DES
THÉOLOGIES LIBÉRALES Un demi-siècle de rencontres, de lectures et de réflexions
« »
Ouvrage publié avec l’aide de
la Réforme progressive, Genève. ©
,
Toute reproduction de cet ouvrage, intégrale ou partielle, serait illicite sans l’autorisation de l’éditeur et constituerait une contrefaçon. Les cas stricement limités à usage privé ou de citation sont régis par la loi du 11 mars 1957.
Mise en route Le paysage théologique des années 1950 p.
L’ombre de Karl Barth p. 13 Le renouveau biblique et ses illusions p. Effarement à la lecture d’Oscar Cullmann p. Les « églisiens » p. L’attitude des professeurs lausannois p. Marbourg, Bultmann, démythologisation p.
Le principe protestant p. Problèmes d’histoire et de doctrine p. Coups d’œil sur le fait religieux p. Paris ou la découverte d’une famille spirituelle p.
L’Oratoire du Louvre, un foyer de libéralisme spirituel p. Georges Marchal et le Foyer de l’Âme p. Protestantisme libéral et libéralisme protestant p. Auguste Sabatier et le symbolo-fidéisme p.
La critique des démarches d’autorité p. Le symbolo-fidéisme p. Albert Schweitzer et l’étrangeté de Jésus p.
L’étrangeté de Jésus p. Eschatologie et respect de la vie p. Martin Werner et l’histoire du christianisme p. La théologie à l’épreuve du pastorat p.
Avec les distancés p. « Tout à tous » p. Des problèmes théologiques concrets p. Paroisse et théologie p.
Comment Paul Tillich m’a tiré d’un mauvais pas p. Avec André Malet p. « Dieu sans Dieu » p.
THÉOLOGIES LIBÉRALES
Paul Tillich et quelques autres p.
Marbourg, une tradition d’ouverture p. À la découverte de Bultmann p. Interprétation existentiale et démythologisation p. Sous le charme de Bultmann p.
Quelques réseaux du protestantisme libéral p.
Controverse sur la base théologique du COE p. Problèmes de structures ecclésiastiques p. Max Ulrich Balsiger et les protestants libéraux alémaniques p. Les protestants libéraux de Genève p. L’Association libérale internationale et l’ouverture aux autres religions p. La presse et les livres p.
Le début de ma collaboration au Protestant p. « Alethina » : une belle aventure théologique p. Une collection et des colloques p. Intermède : le problème des vacances p.
D’une question à des responsabilités p. La mythologie des vacances p. Des solutions et leurs illusions p. Science et foi p.
Le postulat d’harmonie universelle p. Les écueils de la discussion p. La théorie de l’évolution et ses problèmes p. Un consensus à remettre en question p. Et les sciences humaines ? p. Par-delà Sabatier p.
Kant et Schleiermacher p. Les objections d’Alfred Loisy p. La notion de religion p. Troeltsch et l’absoluité du christianisme p. Actualité d’Ernst Troeltsch p. L’enseignement de l’histoire p.
La science historique et ses limites p. Aux origines du protestantisme libéral p. La liberté d’examen et le problème des confessions de foi p. À propos de Karl Barth et du régime nazi p. Les Africains et Alexandre Vinet p. Avec André Gounelle à la découverte de la « Théologie du Process » p.
La théologie de la mort de Dieu p. Du côté de la théologie américaine p. La théologie du « Process » p.
John Cobb, méthodiste et whiteheadien p. Une théologie à préoccupations pastorales p. Aux prises avec les problèmes institutionnels p.
Un peu d’histoire p. Le principe de collégialité et ses exigences p. De l’utilité des institutions p. En débat avec le catholicisme p.
Regrettable, la Réforme ? p. Trois visions différentes de l’œcuménisme p. Le débat du côté de la hiérarchie p. Sous le signe de l’amitié avec des catholiques p. Autres ouvertures œcuméniques p.
Lointain successeur d’Alexandre Vinet p.
Le rayonnement d’une pensée p. Vinet et les exigences libérales p. L’attitude profonde de Vinet p. Les défis de la théologie pratique p.
Problèmes de méthode p. Une discipline très libérale p. L’écrit et l’oral p.
« La foi vient de ce que l’on entend » p. De bouche à oreille p. Le principe scripturaire ou le maillon faible du protestantisme p. Les arts et le christianisme p.
Critique littéraire p. Architecture p. Les images p. Musique, théâtre et cinéma p. Et ensuite ? p. Index p.
THÉOLOGIES LIBÉRALES
De la prédication p. Une prédication libérale ? p. La diversité des expériences religieuses p.
Retour en paroisse p.
MISE EN ROUTE
THÉOLOGIES LIBÉRALES MISE EN ROUTE
Octobre : jusqu’alors tout entiché de théâtre, je choisis après bien des hésitations de m’inscrire en Faculté de théologie. Mon but professionnel, ma « vocation » si l’on préfère ce terme qui peut si facilement prêter à malentendu, est le pastorat, encore que je m’en fasse une idée fort vague. Mes parents fréquentaient parfois le culte, sans régularité, et si je vois bien, ils préféraient tenir les pasteurs à distance ; je ne connaissais mon futur engagement professionnel que par le biais du catéchisme et du groupe paroissial de jeunesse où je pouvais justement m’adonner à des activités théâtrales. Et puis, toujours par le biais du théâtre, j’avais participé à plusieurs camps de Vaumarcus : c’est là, à l’écart des formes traditionnelles de protestantisme, dans un climat de très grande liberté de discussion, que ma décision d’entrer en théologie a pris forme, a mûri, s’est affermie. Mais mon idée de ce que pouvaient être les études de théologie était encore plus vague que pour le ministère pastoral. À ma grande surprise, moins d’un semestre a suffi pour que la théologie m’intéresse pour le moins autant que l’avait fait le théâtre et pour que déjà je prenne des options qui allaient m’engager, mais sans le savoir encore, sur les sentiers de ce que l’on est convenu d’appeler la théologie libérale ou, si l’on préfère, le protestantisme libéral. L’enseignement d’un maître de français exceptionnel, André Guex, m’avait préparé intellectuellement et littérairement à ce genre d’études au cours des deux années précédant le baccalauréat : sous la forme des nombreuses « rédactions » qu’il exigeait de nous, il a su éveiller en moi le goût de l’écriture et je garde un souvenir très vif du trimestre pendant lequel cet agnostique (telle est du moins l’impression que je garde de lui) nous a introduits à la pensée de Blaise Pascal ; je n’ai jamais plus bénéficié de cours de théologie de cette qualité ! Octobre : un demi-siècle plus tard, l’étiquette « théologie libérale » colle à mes basques. À l’instar de beaucoup d’autres, j’avais d’abord craint d’en être affublé : elle n’était que sar-
casme dans la bouche de camarades d’études ou sous la plume de théologiens qui en faisaient l’indice de quelque chose de complètement dépassé. Maintenant je l’accepte et même je m’en prévaux, mais à une condition : qu’elle corresponde à ce que les théologiens libéraux sont effectivement et non à je ne sais quelle caricature désobligeante de ce qu’ils sont et de ce qu’ils pensent. Si l’attitude de base reste la même, à savoir le refus de souscrire à l’esprit d’orthodoxie, le discours théologique libéral d’aujourd’hui n’est en effet plus celui d’hier. Le changement de millénaire accentue encore ce décalage de problématique aussi bien que de vocabulaire. Entre le libéralisme qui dominait l’enseignement théologique vers et nous, il y a eu des guerres, des conflits idéologiques, des bouleversements culturels, de nouveaux modes de vie, des modifications profondes de la situation du christianisme dans le monde. Que nous le voulions ou non, nous voici bien obligés de nous frayer un chemin dans le maquis de la culture contemporaine – un sentier souvent étroit et serpentant, à ouvrir à la serpe et non au bulldozer ! Mon évocation de ce demi-siècle de cheminements théologiques sera très sélective : j’en retiendrai seulement ce qui touche aux options théologiques, laissant de côté beaucoup de souvenirs qui pourtant me sont chers, même s’ils sont parfois cuisants. Et puis elle sera très subjective, c’est inévitable : même accompagnés de relectures, les souvenirs sont toujours déformants. Si l’on trouve mes évaluations parfois injustes ou déséquilibrées, on voudra bien ne pas s’en formaliser et les prendre pour des indices révélateurs de ce qui était alors en jeu. Mais cet étalage de réminiscences est-il bien nécessaire ? Je redouterais qu’il ne procède de quelque complaisance à moi-même si un lecteur du Protestant, un périodique romand auquel je collabore depuis plus de trente-cinq ans, ne m’avait posé récemment cette question : pourquoi y a-t-il des pasteurs et des théologiens libéraux ? D’autres personnes se la posent aussi. Ce livre est une manière de leur répondre. Je l’ai d’ailleurs conçu à leur usage beaucoup plus qu’à celui des théologiens ; eux sont déjà familiers de tous ces problèmes, ou du moins devraient-ils l’être. Cela dit, qu’entends-je par « théologie » ? En , j’aurais été bien incapable de répondre à cette question de manière satis-
André GOUNELLE me signale que l’adjectif « seul », presque toujours présent dans les citations protestantes de la Pensée 799 (éd. Brunschwicg), est un ajout de Karl BARTH. Le texte de PASCAL est : « … le roi parle froidement d’un grand don qu’il vient de faire, et Dieu parle bien de Dieu. »
THÉOLOGIES LIBÉRALES MISE EN ROUTE
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faisante. Le mot est d’origine grecque, pré-chrétienne. Il signifie littéralement « discours sur les dieux », repris en contexte chrétien « discours sur Dieu ». Mais qui peut bien se permettre de tenir un tel discours ? Comme disait Pascal, « Dieu seul 1 parle bien de Dieu ». Je ne puis parler de manière adéquate que de l’idée que je me fais de Dieu, de la confiance que j’ai en lui ou de mes doutes à son endroit. La connaissance que je puis avoir de lui, la science théologique que je puis essayer de constituer à son propos sont humaines, radicalement humaines. Mais le terme « science » est-il ici bien à sa place ? Je préfère parler de « réflexion » ou de « point de vue théologique », par quoi j’entends un point de vue et une réflexion qui s’efforcent d’envisager toutes choses sous l’angle de la relation que nous avons (ou que nous refusons d’avoir) avec Dieu. Et si je suis théologien et chrétien, je dois ajouter d’emblée que cette relation, quand elle existe, est un don de Dieu : c’est lui qui l’établit, non moi qui serais capable de la créer. La vision de Jacob l’exprime très clairement : dans son rêve, ce n’est pas lui qui avait dressé une échelle vers le ciel, mais les anges venaient à lui sur une échelle descendant du ciel. Précision corollaire : ne confondons pas la théologie et la religion. Les théologiens protestants du XIX e siècle étaient très attentifs à cette distinction et ils avaient raison, encore qu’ils aient été un peu trop portés à confondre la religion et la foi. La religion inclut la foi, mais aussi le doute, la superstition, en somme tout ce qui touche à notre relation (ou absence de relation) à Dieu de manière vécue. La théologie également, mais avec une nuance importante : elle est une réflexion sur la religion. La religion, la religion chrétienne tout particulièrement, a besoin de la théologie, parce qu’elle ne peut faire l’économie d’un incessant effort de pensée, donc aussi de recul par rapport à elle-même, dans un souci de critique (critique d’elle-même, de ses propres sources, de ses propres croyances et de ses manières d’être) aussi bien que de synthèse et de prospection. La théologie serait-elle alors insuffisamment crédule ? C’est le reproche que ses adversaires font
à la théologie libérale : elle serait une « école du doute ». Mais les théologies engoncées dans l’esprit d’orthodoxie seraient-elles davantage des « écoles de la foi » ? Les efforts constants qu’elles font pour lutter précisément contre le doute permettent d’en douter. Or construire son salut sur la répression du doute dont on se sait habité, n’est-ce pas justement le contraire de la foi ? Je ne vois pas qu’il y ait en dernière analyse de théologie possible sans acceptation du doute : toutes les croyances ne se valent pas, toutes les doctrines, même les plus largement attestées, ne se justifient pas, toutes les formes de christianisme ne sont pas nécessairement chrétiennes et toutes les institutions qui se réclament d’une inspiration ou d’un commandement divins ne sont pas intouchables pour autant. Et puis, pourquoi ne pas accepter avec reconnaissance, c’est-à-dire aussi reconnaître, que le doute, le doute existentiel, est l’un des moments les plus subtils et les plus nécessaires de la foi ? On remarquera enfin que mon titre parle des théologies libérales, au pluriel. La polémique, en particulier celle de la vague barthienne dont il va être question dans le prochain chapitre, s’est ingéniée à faire le procès de « la » théologie libérale, comme si elle pouvait être ramenée à un type quasi unique et dominant. En fait, il n’y a jamais eu une théologie libérale, mais plusieurs, pas toujours conciliables entre elles. Dans l’ensemble, elles relèvent en revanche d’un même état d’esprit et les traces qu’elles laissent derrière elles vont toutes dans la même direction quand elles ne se rejoignent pas jusqu’à se confondre. Ce ne sont toutefois que des traces, tantôt nettes et profondes, tantôt superficielles et indécises. Elles se sont imposées à mon attention par la justesse de leur orientation. Je tente tout simplement de raconter ici comment je les ai repérées et comment j’ai suivi celles qui me semblaient les plus convaincantes.
LE PAYSAGE THÉOLOGIQUE DES ANNÉES 1950
Comment évoquer le paysage théologique des années sans parti pris, ou du moins sans une forte part de subjectivité ? Je crois utile à une bonne compréhension de la situation de l’esquisser telle que je m’en souviens, plutôt que de tenter de la reconstituer sur la foi de documents que, de toute manière, chacun choisit de situer en fonction de ses propres options.
Remède de cheval est le titre d’un petit pamphlet édité en 1956 (Genève, Labor et Fides), avec des textes de Jacques DE SENARCLENS, W.A. VISSER’T HOOFT, et Jaques COURVOISIER. 3 Emil BRUNNER, Natur und Gnade, Tübingen, Mohr, 1934.
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THÉOLOGIES LIBÉRALES LE PAYSAGE THÉOLOGIQUE DES ANNÉES
Un nom dominait alors tout l’horizon de la théologie protestante européenne : Karl Barth. La part que ce théologien venait de prendre dans la résistance au nazisme y était pour beaucoup, mais aussi l’enthousiasme de tous ceux qui, avec lui et derrière lui, croyaient venu le moment de tirer un trait sur l’intermède ouvert par le siècle des Lumières et l’enseignement de Friedrich Schleiermacher (-). Barth, à les entendre, était venu proposer le « remède de cheval 2 » dont le protestantisme avait besoin pour échapper définitivement à l’influence débilitante de la théologie néoprotestante ou libérale. Tous, il est vrai, n’étaient pas « barthiens » – un adjectif dont Barth lui-même se méfiait beaucoup. Mais même ceux qui ne l’étaient pas aimaient à répéter : « Heureusement qu’il y a eu Karl Barth ; sans lui, où en serions-nous ? » Il n’en fallait pas plus pour que tout, en théologie et dans les Églises, se discute par rapport à ce qu’il en avait dit. Son influence n’était pas aussi forte à Lausanne et dans le canton de Vaud, où je vivais, qu’à Genève ou à Neuchâtel ; dans mon coin de pays, on préférait se référer au Zurichois Emil Brunner, plus modéré dans ses options. Mais on ne parlait pas de Brunner sans le situer par rapport à Karl Barth et sans faire allusion à leur différend quant au problè-
L’OMBRE DE KARL BARTH
me de la nature et de la grâce 3 : en bon réformé, Brunner refusait d’opposer radicalement la grâce à la nature 4 et l’avait expliqué en , en plein Kirchenkampf. Barth lui avait aussitôt répondu dans une autre brochure au titre tonitruant : Nein ! Antwort an Emil Brunner 5. Vieille de vingt ans déjà au moment de mes études, cette controverse, donc aussi les termes dans lesquels elle avait été engagée, continuait à fasciner les esprits. En amont de cette controverse, il y avait tout le combat de Barth contre la doctrine de l’analogia entis, ou analogie de l’être, qu’il tenait pour « une invention de l’Antichrist 6 ». Il en voulait tout particulièrement à la formule de Thomas d’Aquin selon laquelle gratia non tollit sed perficit naturam – la grâce n’abolit pas la nature, mais elle la porte à son accomplissement. Il y voyait une raison majeure de refuser la théologie catholique. Cette doctrine constituait également, à ses yeux, l’erreur fondamentale à laquelle succombait la théologie néoprotestante ou libérale. À l’époque, nous étions encore loin d’imaginer qu’allait avoir lieu dans l’Église de Rome une révision aussi large que celle de Vatican II. L’intransigeance romaine, son rejet du mouvement œcuménique, son attachement à la philosophie thomiste, son refus d’une lecture de la Bible qui ne soit pas strictement contrôlée par le magistère, tout cela et d’autres aspects encore conduisaient les protestants à tenir pour bon argent tous les arguments qui pouvaient être opposés à la théologie d’obédience romaine, surtout s’ils se présentaient comme des arguments de fond (certains théologiens catholiques ruaient heureusement déjà dans les brancards). Pourquoi, alors, ne pas se ranger au côté de Barth et condamner avec lui toute intrusion de la philosophie en théologie ? Certains barthiens en venaient à postuler entre ces deux disciplines une incompatibilité telle qu’ils ne voyaient plus pourquoi perdre leur temps à faire encore de la philosophie ou à en imposer l’étude aux étudiants en théologie. Plus prosaïquement, la polémique protestante aimait reprendre à son 4
En théologie réformée classique, la grâce s’oppose au péché et non à la nature comme telle. 5 Karl BARTH, Nein ! Antwort an Emil Brunner, zum Gespräch mit Karl Barth, München, Kaiser, 1934. 6 Dogmatique I/1*, Genève, Labor et Fides, 1953, p.XI.
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Pasteur pendant plus de vingt ans dans la paroisse bernoise de Frauenkapellen, il finit sa carrière comme professeur de philosophie de la religion à l’Université de Guelf (Ontario, Canada). Il était un lecteur assidu de Michel de Montaigne. Comme son nom l’indique, il était de lointaine ascendance mennonite. Je rapporte ses propos de mémoire, dans leur substance, non dans leur libellé.
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D’autres mouvements militaient parallèlement à l’influence barthienne, ou dans sa foulée, mais sans avoir ni le tonus ni l’envergure intellectuelle du professeur bâlois. Le plus connu
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LE RENOUVEAU BIBLIQUE ET SES ILLUSIONS
compte l’idée de Barth selon laquelle l’usage de la conjonction « et » était somme toute caractéristique de la démarche catholique : le Christ et la Vierge, le salut par la foi et par les œuvres, la foi et la raison, la foi et la religion, la théologie et la philosophie, les Écritures et la tradition, etc. Les libéraux du moment, du moins ceux qui se réclamaient plus ou moins ouvertement de cette étiquette, me semblent n’avoir pas perçu ni surtout argumenté de manière suffisamment convaincante leur désaccord avec Karl Barth sur ce point de l’analogia entis. À entendre nombre d’entre eux, le plus sûr moyen de faire barrage au catholicisme était de s’en prendre au thomisme. Le néothomisme sur lequel misait alors le Vatican et qui faisait des ravages jusque dans les rangs protestants appelait effectivement une réfutation sans concession. Mais un théologien libéral exigeant et sans concession, le Bernois Jakob Amstutz 7, m’a rendu pleinement conscient, bien des années plus tard, des limites de cette démarche. Il me dit sur le ton de la boutade, mais c’était bien plus qu’une galéjade : « La formule aquinate selon laquelle gratia non tollit sed perficit naturam serait ma seule raison d’adhérer au catholicisme ; mais j’ai trop d’autres objections théologiques majeures à opposer à l’Église de Rome pour avoir jamais la tentation de m’y rallier. » L’opposition barthienne de la nature et de la grâce peut sembler éclaircir radicalement certaines situations embrouillées, dans le domaine de la pensée comme dans celui des institutions, mais pour un temps seulement. L’un des mérites de l’attitude libérale en théologie est de n’avoir jamais entièrement souscrit à cette antinomie, sans tomber pour autant dans les travers de l’attitude défendue par le magistère catholique.
et le plus actif sur le terrain était celui du « renouveau biblique », selon le titre qu’avait donné à l’un de ses livres une femme rayonnante et exceptionnelle à bien des égards : Suzanne de Dietrich 8. Elle-même n’est d’ailleurs pas en cause ici. Le but du mouvement était fort louable : amener les gens, en particulier les protestants et parmi eux les étudiants de toutes Facultés 9, à lire ou relire la Bible. J’en ai bénéficié au sein des Associations Chrétiennes d’Étudiants, donc dans un milieu où les étudiants en théologie n’étaient fort heureusement qu’une petite minorité ; les discussions n’en étaient que plus libres, plus animées et plus ouvertes à différentes possibilités d’interprétation. Cela nous changeait de la savante minutie 10 qui, en Faculté, présidait à l’examen des textes dans les cours d’exégèse. Le recul des années me permet aujourd’hui de mieux discerner combien le « renouveau » en question s’accompagnait d’une option de base somme toute très compatible avec la tendance barthienne : il suffirait de lire « correctement » la Bible pour que s’impose à tous une interprétation sinon identique, du moins fortement convergente. Que les catholiques lisent la Bible, et leur Église retrouvera le droit chemin du vrai christianisme ; que les libéraux consentent à la lire sans préjugés critiques, et leurs divergences doctrinales s’estomperont d’elles-mêmes ; que les représentants des différentes Églises et confessions chrétiennes la lisent ensemble, et ils trouveront le chemin de l’unité (l’habitude d’inscrire des études bibliques quotidiennes au programme de toutes les sessions organisées par le Conseil œcuménique des Églises tient pour beaucoup à ce présupposé). On semble n’avoir même pas imaginé, à l’époque, que ces lectures communes puissent aboutir à de graves divergences d’interprétation, ce dont on est pourtant bien obligé de convenir aujourd’hui dès qu’on veut aller au 8
Suzanne de DIETRICH, Le renouveau biblique, Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1945. Traduit en six langues, ce petit ouvrage a connu plusieurs rééditions en français. 9 Au départ, ce mouvement était fortement ancré dans les Associations Chrétiennes d’Étudiants dont S. de Dietrich fut l’une des principales animatrices à l’échelon européen en dépit de son handicap physique. 10 Probablement influencés par leurs collègues germanophones, les théologiens francophones parlent aujourd’hui volontiers d’« acribie » – un mot que ne connaissent pas nos dictionnaires de langue, mais qui vient directement du grec akribeia = minutie, exactitude.
Faut-il attribuer à ce « renouveau » qui n’en était pas un l’engouement dont les écrits d’Oscar Cullmann ont bénéficié dans de larges milieux de la francophonie 13 ? J’en reste convaincu. J’ai toujours trouvé leur lecture fort ennuyeuse ; mais passons sur cette question de style littéraire. Au temps de mes études, son livre intitulé Christ et le temps 14 s’imposait comme une lecture quasi obligée. Quel ne fut pas mon effarement, dès les premières pages, devant cette opposition mas-
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11 Voir par exemple Ph.-H. MENOUD, L’Église et les ministères selon le Nouveau Testament, Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1949. On remarquera que ce titre et d’autres de la même farine sont parus dans une série qui se voulait expressément « théologique ». 12 Voir Jean-Jacques VON A LLMEN, Maris et femmes d’après saint Paul, Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1951. Cet auteur, que je tiens pour l’un des plus doctrinaires de sa génération, ne se contentait pas d’avoir fait le point sur l’enseignement de Paul ; il partait de surcroît du principe que son interprétation des textes pauliniens était la seule juste. Étudiants en théologie, nous l’avions invité à nous présenter ce sujet et j’ai le souvenir cuisant de son refus intransigeant de tenir pour acceptables d’autres interprétations que la sienne, par exemple de celle de notre maître Charles Masson. 13 Les écrits de CULLMANN n’ont jamais eu dans le monde germanophone l’autorité qu’on leur a prêtée parmi les francophones, tant protestants que catholiques. 14 Neufchâtel, Delachaux & Niestlé, 1947.
THÉOLOGIES LIBÉRALES LE PAYSAGE THÉOLOGIQUE DES ANNÉES
EFFAREMENT À LA LECTURE D’OSCAR CULLMANN
fond des choses. En théologie, le « renouveau » en question a souvent succombé à l’illusion que l’étude des textes bibliques pouvait suffire à résoudre de nombreux problèmes. Se trouvait-on devant une difficulté d’organisation ecclésiastique, on demandait à un bibliste, de préférence spécialiste du Nouveau Testament, de faire le point sur les ministères dans l’Église 11 ; voulait-on se prononcer sur le mariage, on s’inquiétait essentiellement de savoir ce qu’en avait dit l’apôtre Paul 12 – chaque fois sans éprouver apparemment le besoin d’une réflexion plus poussée sur les différences entre la situation biblique et la nôtre, et sur les conséquences à en tirer. En théologie systématique, on commençait par mener une enquête sur les données bibliques relatives au thème à traiter, pour s’interroger ensuite seulement sur la position du problème dans notre actualité, ce qui aboutissait évidemment à de douteux bricolages intellectuels pour faire tenir ensemble les textes bibliques et les exigences de la situation présente.
sive et sommaire entre « la » conception biblique de l’histoire (la sienne !) et l’ensemble des autres conceptions humaines, comme si l’on pouvait et même devait faire l’économie d’une réflexion philosophique et culturelle sur ce problème. Tout au long de cette lecture, l’étudiant que j’étais se demandait comment un historien et exégète aussi prisé pouvait se permettre, comme il le faisait, de ramener à un seul modèle, très schématisé, la diversité de représentations du monde et de l’histoire que l’on rencontre jusque dans la Bible. La mode du moment, il est vrai, était aux ouvrages s’ingéniant à mettre en évidence l’unité du témoignage biblique, le plus souvent sous le signe d’une « histoire du salut » fort proche de celle dont Cullmann cherchait à restaurer l’idée. Mais c’était une illusion : on ne peut faire émerger des textes une « pensée biblique » qui, comme telle, aurait un caractère quasi normatif pour les chrétiens et à laquelle il leur suffirait de se référer pour échapper à ce que les pensées humaines ont de mondain, trop mondain. Un tel a priori empêchait de surcroît de discerner tout ce que cette prétendue « pensée biblique » a de non spécifiquement biblique : les écrits dont elle se réclame sont truffés d’emprunts aux civilisations et religions environnantes. Ces éléments ainsi repris s’en sont souvent trouvés, je le concède, fortement transformés, pour ne pas dire démystifiés, mais pas toujours aussi radicalement que le prétendent par exemple les exégètes qui postulent une opposition de principe entre les textes du Nouveau Testament et quelque forme de gnosticisme que ce soit. LES « ÉGLISIENS »
Dans ces années-là s’est aussi fait jour un retour en force de la notion d’Église dans la pensée protestante. Charles Béguin, l’une des grandes figures du camp de Vaumarcus, déjà cité, appelait « églisiens » les zélateurs de ce retour à une ecclésiologie très doctrinale et volontiers envahissante. Le souci des rapprochements œcuméniques faisait évidemment partie de ce mouvement, au nom d’une interprétation redoutablement institutionnelle de la prière de Jésus demandant à Dieu « que tous soient un », mais aussi le désir, chez beaucoup, que « l’Église », dans ses usages et sa doctrine, se montre moins diverse, plus disciplinée, plus univoque. C’est à ce moment-là
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En Faculté de théologie, à l’Université de Lausanne, nos professeurs tentaient de résister à ces diverses vagues déferlantes, mais pas toujours de manière très convaincante. Edmond Grin, le systématicien, était trop timoré, trop complexé et manquait de l’envergure nécessaire pour affronter une telle situation, à cette seule différence près que ses déficiences nous incitaient à prendre le taureau par les cornes et à nous forger nos propres opinions. Nous l’avons fait au cours de débats épiques entre étudiants, en particulier avec mon ami Gaston Wagner qui s’est beaucoup préoccupé, par la suite, de la rencontre du christianisme et de l’islam. Henri Meylan, l’historien, ne s’engageait pas dans les controverses théologiques du moment, mais nous exposait la situation des siècles passés avec des nuances d’appréciation qui étaient autant d’invitations à procéder de même dans notre présent. Charles Masson, chargé du Nouveau Testament, nous a essen-
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L’ATTITUDE DES PROFESSEURS LAUSANNOIS
que des protestants se sont mis à reprendre à leur compte des expressions fleurant à s’y méprendre le vocabulaire romain : « L’Église pense que…, elle dit que…, elle croit que…, etc. » – comme si une Église pouvait penser, dire ou croire par la bouche des conseils, synodes ou comités qui s’arrogent le droit de parler en son nom. Certains, en particulier dans le mouvement vaudois Église et Liturgie, allaient même jusqu’à souhaiter un retour des réformés à l’épiscopat et insistaient sur l’autorité du pasteur, comme s’il lui appartenait, à lui et non aux simples fidèles, de dire la juste doctrine. Située dans cette perspective, la Réforme devient un épisode malheureux dont il faut de toute urgence corriger les excès pour retrouver le droit fil d’une sorte de tradition pérenne, commune aux protestants et aux catholiques. Mais comment ne pas voir dans cet « églisianisme » (l’expression forgée par Charles Béguin me suggère ce néologisme) un refus mal avoué du virage amorcé au XVI e siècle et de ses prolongements ultérieurs ? Quant à réfuter ces options et surtout à dégager d’autres perspectives ecclésiologiques, je m’y suis mis plus tard, une fois immergé dans les problèmes concrets des institutions ecclésiastiques.
tiellement dotés d’une méthode pour lire les textes bibliques ; à la fois pieux et scrupuleux, il ne craignait pas les perspectives les plus critiques, par exemple quand il nous montrait combien, à son sens et à celui de nombreux autres exégètes, l’épisode du tombeau vide, dans les récits de la résurrection, est fort vraisemblablement le résultat d’une fiction littéraire ; il nous donnait ainsi les moyens de prendre du recul par rapport aux affirmations massives qui pouvaient avoir cours à ce moment-là. Édouard Burnier, seul titulaire d’un doctorat en théologie (eh, oui !), avait été l’un des premiers à faire de la pensée de Karl Barth, une étude à la fois compréhensive et fortement critique ; il était malheureusement dans un état de santé qui altérait la qualité de son enseignement ; mais le tour un peu confus de son discours faisait subitement place à des moments de parfaite lucidité et nous recueillions alors de véritables perles. Édouard Mauris n’a jamais répondu, par des travaux dignes de ce nom, aux espoirs qu’avaient mis en lui ceux qui lui avaient confié l’enseignement de l’histoire de la théologie moderne, mais il a su attirer très positivement notre attention sur les grands maîtres de la période néoprotestante (Lessing, Schleiermacher, la gauche hégélienne, etc.) – ceux-là même dont la mode théologique du moment voulait avec Karl Barth contrer l’influence. Henri Germond, qui enseignait à la fois la pratique et l’histoire des religions, n’a lui non plus jamais été capable de mener à chef la rédaction d’un véritable livre ; mais il était un vrai libéral, bien qu’il se soit méfié de cette étiquette, et il était doué d’une intelligence et d’une perspicacité particulièrement aiguisées ; il avait l’art, en critiquant nos travaux d’étudiants, de nous mettre en garde contre les opinions toutes faites et de nous rendre attentifs à toute la complexité des problèmes, tant d’hier que d’aujourd’hui. Quant à Pierre Thévenaz, le philosophe rattaché à la Faculté des lettres, il nous a ouvert de larges perspectives sur le mouvement philosophique contemporain, tout particulièrement sur les philosophies de l’existence et sur la phénoménologie. Ses deux volumes sur Foi et raison 15 parus en , juste à la 15 Foi et raison, Neuchâtel, Baconnière, 2 vol., 1956.
THÉOLOGIES LIBÉRALES LE PAYSAGE THÉOLOGIQUE DES ANNÉES
fin de mes études, ne m’ont toutefois pas convaincu sur un point important : le rôle que, très influencé par la théologie dialectique, il attribue à l’événement de la croix pour mettre la raison en crise et la contraindre à prendre une juste conscience de ses limites. Mais son enseignement avait du relief, de l’envergure, une tournure universitaire que nous ne trouvions pas toujours auprès de nos autres professeurs ; il nous exposait au grand vent de la pensée contemporaine. En fin de deuxième année, le doyen de la Faculté me proposa une bourse pour une année d’études en Allemagne, à l’Université de Marbourg. Quasi simultanément, Edmond Grin (je lui dois au moins cela !) me suggéra d’écrire mon mémoire de dogmatique (c’était un exercice obligé) sur un petit texte de Rudolf Bultmann : Der Begriff der Offenbarung im Neuen Testament 16 – le concept de révélation dans le Nouveau Testament. Dans la vie, on choisit rarement ses carrefours et les directions dans lesquelles on s’engage ne s’ouvrent généralement pas, au premier coup d’œil, comme de larges avenues aux lointaines perspectives. Cette année dans une grande université allemande allait être un carrefour important de mon itinéraire théologique.
19 50
16 Tübingen, Mohr, 1929.
MARBOURG, BULTMANN, DÉMYTHOLOGISATION
Arriver en Allemagne en automne , c’était découvrir un pays et rencontrer de nouveaux camarades d’études fortement traumatisés par l’effondrement de et très marqués par ce qui était en train d’advenir dans la zone sous contrôle soviétique – « drüben », comme ils disaient, c’est-à-dire au-delà de la ligne de démarcation entre l’est et l’ouest. Curieusement, je ne me rappelle pas que, entre étudiants, nous ayons beaucoup parlé de l’Église confessante, en dépit de l’intérêt soutenu que mes camarades portaient aux écrits de Dietrich Bonhoeffer : la première version allemande de Résistance et soumission 17 était entre leurs mains et la deuxième édition de son Ethik 18 venait de sortir de presse. Il était en revanche souvent question, mais à mots couverts, parfois difficilement décryptables pour un étranger, de sourdes tensions qui subsistaient entre les professeurs, les uns reprochant aux autres de n’avoir pas suffisamment résisté aux pressions du régime hitlérien. Mais qui avait été nazi, ou qui avait des parents ayant fait par exemple cause commune avec les chemises brunes ? Personne, semblait-il, et pour cause. Un camarade avec lequel je suis resté lié de ferme amitié m’avoua pourtant avoir pris plaisir aux activités qu’avaient proposées les Jeunesses hitlériennes ; il y avait été entraîné sans que ses parents se risquent à lever le petit doigt pour s’y opposer, c’eût été trop dangereux. Un autre, nettement plus âgé, avait été enrôlé dans la SS quand il avait quinze ans et demi et s’était retrouvé prisonnier de guerre six mois plus tard – une expérience qui avait fini par le conduire tout droit au pastorat. MARBOURG, UNE TRADITION D’OUVERTURE
Ces camarades en avaient trop vu, trop entendu, pour se rallier sans autre forme de procès à des opinions toutes faites, y compris en théologie. Et puis la Faculté de théologie de Marbourg maintenait vivante, depuis la fin du XIX e siècle, une 17 Widerstand und Ergebung, München, Kaiser, 1951 18 München, Kaiser, 1953.
Bultmann, en particulier, avait donné son dernier cours juste avant mon arrivée. Je ne l’ai entendu qu’une seule fois, à l’occasion d’une soutenance de thèse, et quand j’en sus assez sur sa position pour oser aller lui poser quelques questions, il s’était malheureusement absenté de Marbourg pour plusieurs semaines. Je n’ai donc jamais eu l’occasion de m’entretenir avec lui. Lors d’une soutenance de thèse, je pus toutefois mesurer la parfaite adéquation entre sa manière d’être et le style de ses livres et de sa pensée : homme de petite taille, souffrant de claudication, il s’exprimait d’une voix plutôt sèche et sans effets, en des phrases courtes et très clairement formulées. Je regrette de ne l’avoir pas entendu prêcher ; je me demande en effet s’il avait alors le même ton de rigueur scientifique, lui dont les prédications sont si imprégnées de piétisme. À la différence de Barth qui, entre la première version de sa Dogmatique () 20 et la seconde () 21, a choisi d’écarter 19 Paris, Payot, 1931. • 20 Christliche Dogmatik, München, Kaiser, 1927. • 21 Kirchliche Dogmatik I/1, München, Kaiser, 1932. On remarquera le glissement de la notion de dogmatique « chrétienne » à celle de dogmatique « ecclésiastique ». Les responsables de l’édition française n’en ont pas tenu compte et …/…
THÉOLOGIES LIBÉRALES MARBOURG, BULTMANN, DÉMYTHOLOGISATION
À LA DÉCOUVERTE DE BULTMANN
forte tradition de libre protestantisme. Je fus d’emblée frappé par le fait que les deux noms les plus souvent cités dans les milieux protestants francophones, Barth et Cullmann, étaient sujets à de fortes critiques, voire à un certain dédain : on reprochait à Barth de s’exprimer en une langue sans élégance, et à Cullmann de se complaire dans une conception sommaire, contestable et peu scientifique de la théologie néotestamentaire. Voilà qui me faisait fort à propos changer de climat théologique ! Deux grands représentants de la libre recherche théologique étaient encore présents dans la ville. Friedrich Heiler, connu pour ses travaux en histoire des religions et, en français, par son gros ouvrage sur La prière 19 (je ne l’ai lu que bien plus tard) ; il maintenait vivante l’habitude de ne jamais considérer le christianisme indépendamment des autres religions. Et Rudolf Bultmann dont le petit écrit sur le concept de révélation figurait justement à mon programme de recherches personnelles. L’un et l’autre étaient déjà à la retraite et je n’ai pu bénéficier de leur enseignement en direct.
la philosophie de ses présupposés épistémologiques, Bultmann se réclame expressément de la philosophie de l’existence, en particulier de celle de Martin Heidegger qu’il avait fréquenté lorsque ce dernier enseignait à Marbourg dans les années . Lisant l’opuscule de Bultmann, je fus frappé d’emblée par le fait que, loin de traiter d’entrée de jeu de la révélation « dans le Nouveau Testament », il commence par s’interroger longuement sur la « précompréhension » que nous avons de ce concept. Il traite cette question en partant de l’idée que le message du Nouveau Testament, pour être entendu aujourd’hui, doit être l’objet d’une « interprétation existentiale ». La réflexion de Bultmann se situe donc dans le droit fil des philosophies de l’existence – une forme de pensée pour laquelle, avec beaucoup de mes contemporains, je me sentais de profondes affinités. Sa manière de poser et de résoudre les problèmes était toutefois encore très neuve pour l’époque, et son œuvre n’avait pas encore bénéficié de toutes les études, critiques, réfutations ou approbations au gré desquelles elle s’est décantée depuis lors. C’est dire que, en un premier et même en un second temps, elle m’a donné du fil à retordre, tout en m’obligeant à élargir beaucoup le champ de mes lectures touchant précisément à la phénoménologie et aux philosophies de l’existence. INTERPRÉTATION EXISTENTIALE ET DÉMYTHOLOGISATION
Dans le fond, pourquoi Bultmann parle-t-il de « précompréhension » et non de connaissance naturelle, et pourquoi dit-il interprétation « existentiale » plutôt qu’interprétation tout court ? Il entend ainsi bien marquer que la lecture du Nouveau Testament n’est pas objet d’interprétation ou de juste perception intellectuelle de ce qui s’y trouve, mais d’une appropriation de son message, et qu’il ne s’agit en l’occurrence pas à proprement parler d’une connaissance plus ou moins objective, mais d’une saisie touchant à l’existence même de celles et ceux auxquels ce message est destiné. La précompréhension nécessaire à une bonne intelligence soit du concept même de révélation, soit du Nouveau Testament dans son entier n’est donc pas tellement de l’ordre des connaissan(suite de la note 21 ) l’ont intitulée Dogmatique, sans autre précision, comme s’ils avaient craint que l’ouvrage ne paraisse précisément trop « ecclésiastique ».
THÉOLOGIES LIBÉRALES MARBOURG, BULTMANN, DÉMYTHOLOGISATION
22 Par souci de clarté, je conserve ici la notion de salut, même si notre contexte culturel la rend très sujette à caution – et Bultmann est très attentif à cet inconvénient.
ces objectives (langage, symboles, conception du monde, etc.) ; elle relève de l’attitude existentielle de ses destinataires. Dans la perspective de la pensée de Bultmann, il y va de l’universalité du message chrétien, donc de sa capacité de faire mouche non seulement sur l’existence réelle des Proche-Orientaux du Ier siècle, mais sur celle de tout être humain, en particulier de ces humains si éloignés de l’horizon biblique que sont les Occidentaux du XX e siècle. Le présupposé (car il y en a un, et de taille !) est donc que tous les humains sont pris dans des problèmes d’existence et tout spécialement dans celui du sens qu’ils donnent à leur existence, ou du non-sens dans lequel elle s’échoue – un problème que Bultmann, ordinairement, traite en termes d’authenticité et d’inauthenticité. L’hypothèse sur laquelle se fonde cette interprétation est évidente : même vivant et s’exprimant selon des modes expressifs profondément différents, les gens du Ier siècle et les Occidentaux d’aujourd’hui sont quasiment sur pied d’égalité dès le moment où l’on s’attache, non à la lettre de leurs discours ou de leurs écrits, mais à leur situation existentielle. Mais Bultmann ne se laisse pas enfermer dans le système plus ou moins bien élaboré de telle ou telle philosophie de l’existence, fût-elle celle de Heidegger. Théologien chrétien et même profondément luthérien, il ne cesse d’affirmer que la foi est précisément ce qui fait passer de l’existence inauthentique à l’existence authentique. Plus exactement encore, il rappelle que la foi seule (SOLA FIDE !) et non les œuvres correspond à ce statut d’authenticité (miser sur les œuvres revient en revanche à s’engluer dans l’inauthenticité). Cette manière d’envisager les problèmes de la théologie m’est très vite apparue libératrice et prometteuse, pour trois raisons surtout : Étroitement articulée à la notion de salut 22 « par la foi », elle n’écarte pas le doute, aussi bien existentiel que méthodologique, mais en permet le libre exercice. Si nous sommes sauvés par la foi seule, nous ne le sommes évidemment pas par le refus du doute. Nous ne le sommes pas non plus par un
sacrificium intellectus – par quelque sacrifice de l’intelligence que ce soit. Bultmann insiste beaucoup sur ce second point, tant sont nombreux les théologiens qui, d’une manière ou d’une autre, en viennent à postuler que, finalement, notre intelligence, notre raison ou nos capacités de discernement doivent capituler devant certaines affirmations données comme des affirmations « de foi ». J’avais souvent entendu reprocher aux théologiens libéraux, mais sans aller vérifier si c’était vrai, de faire le tri entre les textes bibliques qu’ils tiennent pour acceptables et ceux qui ne le sont pas à leurs yeux (en réalité, tout le monde, parmi les chrétiens, opère un tri parmi les textes bibliques, même les théologiens les plus biblicistes ou les plus fondamentalistes). La démarche herméneutique de Bultmann lui permet de prendre en considération tous les textes, sans discrimination, et sa Théologie du Nouveau Testament 23, dont la deuxième et volumineuse édition venait de sortir de presse, me permettait de le vérifier page après page. J’étais enfin très émoustillé par le terme de « démythologisation » que Bultmann a forgé pour exposer sa pensée de manière tranchante dans un exposé de , alors qu’il cherchait à dégager ce que la prédication chrétienne avait d’essentiel à dire dans la situation si difficile des chrétiens en Allemagne à ce moment-là. Ce terme reste étroitement associé à son nom. Tandis que je m’attachais à bien comprendre sa pensée sur ce point, la démythologisation faisait l’objet d’un débat tous azimuts auquel participaient des philosophes aussi bien que des théologiens, des universitaires aussi bien que des responsables d’Églises, ces derniers reprochant volontiers aux premiers de troubler inutilement la foi des simples fidèles. Il suffit de reprendre quelques documents de cette controverse 24 pour se rendre compte de l’embrouillamini qui caractérisait la problématique de ces années-là. En fait, par ce terme à connotation hélas trop négative, Bultmann veut simplement souligner la nécessité d’une interprétation existentiale de textes, ceux du Nouveau Testament, trop tributaires 23 Theologie des Neuen Testaments, Tübingen, Mohr, 1954. 24 Voir par exemple les différents volumes de la série Kerygma und Mythos publiée à partir de 1948 par l’Evangelischer Verlag de Hamburg-Volksdorf, puis par l’éditeur Reich. C’était à ce moment-là une lecture obligée pour entrer dans cette problématique, mais pas nécessairement pour y voir clair.
de conceptions et de formulations mythologiques (et non pas « mythiques », comme on le lui a trop fait dire) pour faire mouche sur l’Occidental contemporain. Démythologiser, c’est proprement s’efforcer de dégager l’essentiel du message évangélique de la gangue mythologique dans laquelle il est pris. L’essentiel, c’est-à-dire ce qui précisément fait que ce message est message, ou mieux encore annonce, proclamation – dans le langage de Bultmann, le « kérygme » 25. SOUS LE CHARME DE BULTMANN
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25 Du grec kerygma qui signifie justement message, proclamation. 26 Adolf VON HARNACK, Das Wesen des Christentums, Berlin, 1901. En français : L’essence du christianisme Paris, Fischbacher, 1902 ; mais il faut préférer l’édition de 1907 : la traduction, due à André-Numa BERTRAND, est nettement meilleure. Karl Barth s’est évidemment beaucoup distancé de ces recherches sur ce qu’il peut y avoir d’essentiel dans le message chrétien ; il n’en a pas moins fait de la notion de « Parole de Dieu » un des principes essentiels de son élaboration théologique.
Avec cette notion de kérygme, Bultmann reprend en fait une ancienne problématique bien protestante et bien libérale : celle d’une essence du christianisme. Au début du siècle, Adolf von Harnack avait frappé un grand coup en publiant son cours à l’Université de Berlin justement intitulé L’essence du christianisme 26. Mais là où Harnack reste prisonnier d’une conception générale plutôt objectivante, pour ne pas dire essentialiste, en postulant que cette « essence » réside dans l’affirmation de la paternité de Dieu, Bultmann se situe dans une perspective sensiblement différente en se réclamant des philosophies de l’existence. Or ces philosophies, le cas de l’existentialisme le montre bien, sont étroitement solidaires des bouleversements humains et culturels qui ont si tragiquement marqué toute la première moitié du XX e siècle. Avec Bultmann, j’avais donc le sentiment d’être en prise plus directe sur mon propre temps. Je ne m’en suis pas moins rapidement achoppé à une difficulté : de quoi est fait le kérygme qui, pour Bultmann, est pour ainsi dire le « Sésame ouvre-toi » de l’existence authentique, c’est-à-dire aussi du salut ? Je n’ai pas tardé à être frappé du fait que, malgré la distance qu’il a soin de souligner entre Jésus et Paul, Bultmann se rallie pourtant à une solution très paulinienne, ou plus exactement très luthéro-paulinienne : c’est le fait de la croix ou, si l’on préfère, la prédication de la croix. Et mon maître lausannois Henri Germond de me met-
tre la puce à l’oreille : « Êtes-vous bien certain que, avec cette notion de kérygme, Bultmann ne succombe pas à une solution d’autorité ? » J’aurais dû être beaucoup plus attentif, à ce moment-là, au texte dans lequel Fritz Buri 27, directement issu de l’école libérale bernoise, a posé la question en ces termes : la démythologisation suffit-elle, ou bien une « dékérygmatisation » ne serait-elle pas tout aussi nécessaire ? Et puis j’aurais dû me demander avec plus d’insistance si l’interprétation existentiale, en faisant de l’existentialité la marque dominante du discours chrétien, ne rétrécit pas d’autant l’horizon de réalité sur lequel il se déploie. Mais, pour l’heure, l’existentialisme donnait le ton à une production littéraire, théâtrale et même cinématographique si large et si abondante que nous n’étions pas en mesure de percevoir les éventuelles étroitesses de ses problématiques, et le terme même de démythologisation, du fait des débats et des malentendus auxquels il donnait lieu, était riche de tant de pistes à explorer que je n’ai pas prêté à ces amorces de réticences toute l’attention voulue. Bultmann, pour les raisons majeures que j’ai signalées plus haut, m’ouvrait largement les avenues d’une libre réflexion au nom même de principes théologiques fondamentaux. C’était plus qu’il n’en fallait pour faire de moi un « bultmannien ». Gare aux étiquettes ? Celle-là m’offrait l’avantage, du moins pour un temps, de me situer plus ou moins clairement dans un certain courant d’ouverture et de recherche. Je dis plus ou moins parce que, dans les milieux protestants de Suisse romande, mais aussi de France, on ne connaissait Bultmann et son exigence de démythologisation que sur la foi de rumeurs désobligeantes ou de quelques publications de seconde main ne permettant guère de saisir correctement sa pensée.
27 Fritz BURI, « Entmythologisierung oder Entkerygmatisierung der Theologie ? », in : Kerygma und Mythos 2, Hamburg, Reich, 1952, 85-101.
PAUL TILLICH ET QUELQUES AUTRES
Chez un bouquiniste, je découvris un exemplaire quasi neuf d’un livre paru en : Der Protestantismus als Prinzip und Wirklichkeit 30. Il figure en bonne place dans ma bibliothèque, couvert d’annotations qui sont autant de traces de la profonde émotion, au sens le plus noble de ce terme, qu’ont éveillée en moi cette première lecture et les suivantes. Ce que Tillich disait du « principe protestant » rejoignait, mais en les amplifiant, des exigences et des ouvertures que j’avais déjà rencontrées chez Bultmann, tout en les inscrivant dans un contexte culturel plus large et surtout plus profondément nourri par la fré28 Vient de reparaître en français dans une traduction nettement améliorée par rapport à celle de 1967 : Paul TILLICH, Le courage d’être, Paris-GenèveQuébec, Cerf-Labor et Fides-PUL, 1999. 29 Paul Tillich avait enseigné à Marbourg et y avait donné en 1925 un cours de dogmatique édité en 1986 : Dogmatik. Marbuger Vorlesung von 1925, Düsseldorf, Patmos. Version française : Dogmatique. Cours donné à Marbourg en 1925, Paris-Genève-Québec, Cerf-Labor et Fides-PUL, 1997. 30 Stuttgart, Steingrüben, 1950. Cet ouvrage est d’abord paru en anglais : The Protestant Era, Chicago 1948 ; mais à l’époque je n’avais pas encore appris la langue de Shakespeare. Quelques-uns des textes qui le composent ont été traduits en français : Paul TILLICH, Substance catholique et principe protestant, Paris-Genève-Québec, Cerf-Labor et Fides-PUL, 1995.
THÉOLOGIES LIBÉRALES PAUL TILLICH ET QUELQUES AUTRES
LE PRINCIPE PROTESTANT
À mon arrivée à Marbourg, j’entendis des étudiants parler avec enthousiasme d’un séminaire auquel ils participaient sur Der Mut zum Sein 28, un livre de Paul Tillich 29. Si mes souvenirs sont bons, je n’avais encore jamais entendu mentionner le nom de ce théologien et je me rappelle mon effarement au seul énoncé de ce titre : je ne voyais pas du tout en quoi un tel thème pouvait intéresser des théologiens ! Mon incompréhension du moment est très symptomatique de l’état dans lequel se trouvait la réflexion dans les milieux théologiques, à vrai dire restreints, que j’avais fréquentés jusqu’alors. Je maîtrisais encore trop mal l’allemand pour m’inscrire à ce séminaire ; mais mon attention fut mise en éveil : il y avait là quelque chose à découvrir.
quentation des arts (Bultmann, en comparaison, me paraissait mettre trop d’accent sur la rationalité scientifique de notre temps) ; et ma sensibilité frottée de réalités théâtrales se trouvait comblée par son chapitre sur « nature et sacrement » 31 : il restituait leur éloquence propre aux choses visibles et palpables, pour ne pas dire gustatives. C’était et c’est toujours à mon sens une correction importante du dédain que les protestants libéraux ont trop souvent affiché envers les aspects tout formels du culte, et Tillich ne tombait pas pour autant dans le sacramentalisme essentialiste et objectivant que me semblaient prôner les milieux férus de « renouveau liturgique ». Mais sur Tillich lui-même, je ne savais pas grand-chose : seulement ce que je venais de lire et de relire dans le volume cité ci-dessus. Et comme je n’avais pas encore appris l’anglais, je ne pouvais me plonger dans la version anglaise de ses œuvres ni lire ce que les Américains écrivaient à son propos. Un doctorant allemand de retour des États-Unis m’avait juste signalé l’audience dont Tillich jouissait dans ce pays. Pour le reste, j’ignorais son affiliation à l’Association unitarienne américaine et je n’imaginais pas l’importance que les francophones européens eux-mêmes, quelques décennies plus tard, finiraient par accorder à sa pensée. L’essentiel, dans l’immédiat, résidait pour moi dans cette idée d’un « principe protestant » distinct des doctrines et des institutions du même nom, et destiné à survivre au protestantisme lui-même, voire à entraîner la disparition de cette confession chrétienne si elle devait ne plus correspondre au principe qui a présidé à sa formation. Le principe protestant tel que le conçoit Tillich n’est en effet ni une doctrine ni un système de pensée appartenant à l’histoire, mais une attitude spirituelle fondamentale. La Réforme et le néoprotestantisme qui en a pris la suite ont été l’occasion de sa concrétisation en un phénomène historique, mais il ne se restreint pas à cela. Il est une protestation fondamentale, impérieuse et constante contre toute absolutisation du fini, contre toute divinisation de ce qui n’est pas Dieu, y compris de ce que l’on peut dire de lui, car « Dieu est [toujours] au-delà de Dieu ». Et puis, contrairement à Barth ou même à Brunner, Tillich ne 31 Ce texte a été édité en français dans le vol. cité à la note précédente, pp. 131138.
De retour à Lausanne, la préparation des examens finaux m’obligea à rattraper toute une année de cours sur l’histoire des dogmes et sur l’histoire de la théologie moderne. Les notes de mes camarades restés sur place ne m’étant d’aucun secours, je dus recourir – ce fut ma chance – aux ouvrages à disposition dans ces deux domaines, à commencer par le volumineux Lehrbuch der Dogmengeschichte 32 de Harnack, un maître-livre de l’historiographie libérale. Sa thèse générale est que le message chrétien des origines s’est progressivement transformé, voire altéré, en doctrine ecclésiastique sous la pression de la pensée hellénique, voire hellénistique. À la différence de Harnack, je considère aujourd’hui que cette « hellénisation » était inéluctable et nécessaire, faute de quoi le christianisme n’eût été ni vivable ni pensable dans le monde où il était en train de se répandre. L’œuvre de Harnack ne m’en a pas moins fortement aidé à prendre conscience, arguments à l’appui, du caractère daté, et souvent très contestable et contesté, de doctrines (deux natures du Christ, Trinité, etc.) que beaucoup tiennent pour orthodoxes et comme faisant obligatoirement partie du corpus doctrinal chrétien. 32 3 vol., Tübingen, Mohr, 1909-1910. Trad. franç. Histoire des Dogmes, par E. Choisy, 1 vol., Genève, Paris, Labor et Fides, Cerf, 1993
THÉOLOGIES LIBÉRALES PAUL TILLICH ET QUELQUES AUTRES
PROBLÈMES D’HISTOIRE ET DE DOCTRINE
fait pas l’impasse sur la phase néoprotestante. J’ai découvert un peu plus tard que, sur ce point, il reprend à son compte l’idée d’Ernst Troeltsch selon laquelle il convient de distinguer entre le vétéroprotestantisme (Altprotestantismus), qui est celui des réformateurs encore très tributaires des conceptions et préjugés de leur temps, et le néoprotestantisme (Neuprotestantismus) qui est le déploiement de principes virtuellement présents dans la Réforme, mais dont la mise en œuvre effective n’a pu avoir lieu qu’au siècle des Lumières et après lui, quand s’est imposée l’idée que le protestantisme ne peut aller sans liberté de conscience, de recherche et de croyance. Cette exigence, il est vrai, est présente potentiellement dans la pensée de Bultmann. Mais que Tillich la thématise aussi délibérément venait me rassurer quant à ma propre manière de considérer la raison d’être du protestantisme et quant aux options que j’étais en train de prendre dans ce domaine.
Nécessaires à l’époque pour dire le fait chrétien, encore qu’on puisse en discuter, elles perdent de leur pertinence dans un contexte philosophique et culturel bien différent, le nôtre. Une telle approche du problème doit évidemment beaucoup aux voies ouvertes par le néoprotestantisme. C’est encore une attitude très marquée par ce dernier courant que propose la Geschichte der neuern evangelischen Theologie d’Emmanuel Hirsch 33. À ce moment-là, j’ignorais tout du conflit qui avait opposé cet auteur à son ancien ami Paul Tillich à propos de la notion de kairos et, plus gravement, de leur attitude profondément divergente envers le nazisme. Qu’un auteur aussi subtile, distingué et pénétrant que Hirsch ait pu faire cause commune avec l’hitlérisme reste pour moi d’autant plus incompréhensible que j’ai apprécié son histoire de la théologie moderne et beaucoup profité des perspectives qu’elle ouvre sur l’histoire récente de la pensée protestante. L’athéisme des années était souvent militant et, par exemple celui de Sartre, quasi théologique du fait de sa tournure résolument antithéiste. Nous eûmes l’occasion d’en débattre abondamment avec l’aide de penseurs tels que Gabriel Marcel et Heinz Horst Schrey, à l’occasion d’une « Interfac », c’est-à-dire d’une session de l’association des étudiants en théologie de Suisse 34. Peu après je fus invité à représenter cette association lors d’une rencontre des étudiants en théologie de Münster (Westphalie) et de Groningue (Pays-Bas). Le thème de la session, la Trinité, m’apparut d’emblée considérablement moins nécessaire et brûlant que celui de l’athéisme. Je devinais d’ailleurs déjà ce que j’ai vérifié bien plus tard : les théologiens francophones ont pu vivre pendant plus d’un siècle sans faire de la Trinité un thème de leur réflexion 35. La seule lecture que l’un de nos professeurs trouva à me recommander pour me permettre de mettre ma pendule à l’heure sur ce sujet est un article du philosophe lausannois Henri-Louis Miéville 36, un 33 Gütersloh, Mohn, 1949-1951. J’ai évidemment aussi utilisé les volumes d’Histoire de la théologie protestante de Louis P ERRIRAZ (Neuchâtel Messeiller, 1949 ss), mais ils souffrent de timidités doctrinales qui ne les rendent pas toujours aussi utiles qu’on le souhaiterait. 34 Ces textes ont été édités : Gabriel MARCEL, Heinz Horst SCHREY, L’athéisme contemporain, Genève, Labor ert Fides, 1956. 35 Voir mon article « L’antitrinitarisme chez les réformés d’expression française au début du XIX e siècle », in : Études théologiques et religieuses 1986, 213-226. 36 Je n’ai malheureusement pas réussi à remettre la main sur lui. Mais on ( …/…)
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(suite de la note 36) trouve une reprise de son argumentation critique dans Henri-Louis MIÉVILLE, Foi et Credo, Neuchâtel, Baconnière, 1964, 94-99. 37 Il venait de publier Die christliche Kirche und das Alte Testament, München, Kaiser, 1955. Voir ma recension in : Revue de théologie et de philosophie, Lausanne, 1958, pp.222-223. 38 Genève, Labor et Fides, 1954. Voir ma présentation de ce théologien : « Auguste Lemaître (1887-1970) : Théologie de l’expérience », in : Bruno BÜRKI & Stephan LEIMGRUBER (éd.), Theologische Profile – Portraits théologiques, Fribourg, Universitätsverlag/Paulusverlag, 1998, pp.122-132. 39 L’Évangile et la théologie du Dieu lointain, brochure, Genève, 1929, p.15. Voir mon étude Théologien ou prophète ? Les francophones et Karl Barth avant 1945, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1985.
penseur que je regrette de n’avoir pas connu personnellement tant il sait conjuguer la rigueur intellectuelle et les exigences de la pensée libre. La conclusion de cet article est que l’on peut fort bien faire l’économie d’un dogme aussi contestable. Tel n’était pas l’avis de l’orateur principal de la session en question : néocalviniste intransigeant et sûr de lui, Arnold van Ruler 37 argumenta à partir de l’Ancien Testament. Rarement exposé professoral m’a laissé aussi dubitatif quant au bienfondé de son argumentation, même si van Ruler avait raison de vouloir réhabiliter le premier Testament. Un ouvrage m’a beaucoup aidé dans la préparation de mon examen de dogmatique, tout en accentuant mes réserves sur le chapitre de la Trinité et d’autres doctrines tenues pour orthodoxes : Foi et vérité, dogmatique protestante, du professeur genevois Auguste Lemaître 38. La sortie de ce livre fut saluée par certains, non sans dédain et condescendance, comme un dernier sursaut du « vieux libéralisme » dont ils souhaitaient débarrasser le protestantisme romand et celui de Genève en particulier. Sa langue est indubitablement marquée par le style littéraire de l’entre-deux-guerres ; mais quelle lucidité, quelle fermeté, quelle pondération dans la pensée, et quelle modestie ! J’aime, dans le post-scriptum, la phrase dans laquelle Lemaître dit avoir visé « plus à indiquer la vérité qu’à la formuler en termes intangibles. » Titulaire de la chaire de dogmatique de la Faculté de théologie de Genève, il a été l’un des premiers en Suisse romande, en , à s’en prendre à la théologie de Karl Barth : « Une théologie qui commence par nier toute trace de la réalité divine dans la conscience ne peut connaître Dieu en Christ que par une démarche purement arbitraire. 39 » Et si Dieu est si « lointain » que l’affirme Barth, « la solution la plus parfaite serait d’introduire ici le magistè-
re divin d’une Église infaillible. 40 » Dans sa Dogmatique de , Lemaître est resté fidèle à ces options premières, ne dissimulant jamais « tout ce que le dogme garde d’humain, de relatif, et de provisoire. 41 » Ce livre m’a marqué autant que si j’avais suivi en direct l’enseignement de ce maître. COUPS D’ŒIL SUR LE FAIT RELIGIEUX
Une fois passés les examens de licence, six mois de stage pastoral à la campagne et un semestre universitaire à Heidelberg m’ont donné tout le loisir d’autres lectures. Après tout le mal que les barthiens disaient de l’école dite « de l’histoire des religions » (Troeltsch a été l’un de ses principaux représentants) qui entendait lire les Écritures et penser la foi chrétienne en fonction de ce que l’on sait des autres religions, j’ai jugé urgent d’aller y regarder de plus près et de me plonger dans des ouvrages relevant justement de cette discipline. J’ai lu avec émerveillement La religion dans son essence et ses manifestations de G. van der Leeuw 42, les différents ouvrages de Mircea Eliade disponibles en français, d’autres encore. Mais mon approche de cette problématique était encore trop défensive, trop marquée par le souci de mettre à tout prix en évidence une spécificité du christianisme et de la sauvegarder. Nous avait-on trop mis en garde contre les dangers du syncrétisme ? C’est vraisemblable, d’autant que, à l’époque, même les libéraux redoutaient de valoriser trop positivement les emprunts constants que les premiers chrétiens ont faits à la culture et aux usages religieux de leur temps. Autre lecture importante : Les variétés de l’expérience religieuse, de l’Américain William James 43. Ce livre avait fasciné la gent théologique francophone au début du siècle. Il était de bon ton, dans les années , de le trouver complètement dépassé : il datait d’avant Freud et Jung. Bien différent du leur, l’angle d’attaque de James n’en garde pas moins toute sa légitimité : faire prendre vivement conscience du fait qu’il n’y a pas une, mais plusieurs manières fort différentes d’être chré40 Ibid. p.19. 41 Foi et vérité p.539. 42 Paris, Payot, 1955. 43 The Varieties of Religious Experience, New York 1902. Le titre de l’édition française a été gravement amputé : L’expérience religieuse, essai de psychologie descriptive, Paris-Genève, Alcan-Kündig, 1906.
THÉOLOGIES LIBÉRALES PAUL TILLICH ET QUELQUES AUTRES
44 Voir ce que j’en dis dans Le protestantisme en Suisse romande, Genève, Labor et Fides, 1999. 45 München, Kaiser, 1957. Les 2 vol. de cet ouvrage ont été édités en français : Théologie de l’Ancien Testament, Genève, Labor et Fides. 1963-1967.
tien, c’est-à-dire de vivre et de comprendre ce à quoi le vocabulaire religieux fait allusion quand il parle de foi, de conversion, de militance, de croyance ; il y a des tempéraments sceptiques comme il y a des tempéraments mystiques, et ils doivent éviter de se juger ou de s’exclure réciproquement. Le livre de James donne un contenu concret à la notion de tolérance ou mieux encore de respect de l’autre pris dans son individualité, et accentue d’autant le caractère relatif des doctrines ou des formes de piété que l’on voudrait imposer à tous. Plus tard, j’ai été attentif au pragmatisme de William James et j’ai rejoint partiellement l’opinion de ceux qui, dans les années , voyaient dans cette doctrine une expression adéquate de l’attitude protestante en matière institutionnelle 44. Dans la foulée du livre de James sur l’expérience religieuse, j’ai évidemment aussi lu Freud et Jung, mais leurs livres ne m’ont pas marqué autant que le sien. Cela dit, je tournais encore et toujours autour de la démythologisation bultmannienne, cherchant par quel biais l’aborder pour en faire l’objet d’une étude plus avancée. Le séjour à Heidelberg m’a permis, entre autres, de suivre l’enseignement de Gerhard von Rad. Le premier volume de sa Theologie des Alten Testaments 45 était sur le point de sortir de presse et le grand auditoire de l’Université (plus de places) était plein à craquer à chacun de ses cours. Von Rad s’exprimait volontiers sur un mode lyrique, on aurait dit un barde. Sa thèse de base, qui fait de la sortie d’Égypte le point nodal de tout le premier Testament, est aujourd’hui fortement contestée. À l’époque, je l’ai trouvée fort éclairante. Mais j’ai surtout été impressionné par la manière dont cet exégète savait faire valoir les textes vétérotestamentaires pour eux-mêmes, sans chercher d’emblée à les transposer dans les catégories de notre temps. La démarche, à cet égard, est très différente de celle de Bultmann, sans céder pour autant à quelque biblicisme que ce soit. Il y avait là de quoi satisfaire mon goût pour l’expressivité propre des textes, quelque chose en somme qui me restait de mon goût pour le théâtre. Et cela rebondissait dans mon approche de tout ce qui pouvait toucher au mythe
conçu non comme une fantaisie de la religiosité humaine, mais comme une expression sui generis de réalités qui ne peuvent se dire indépendamment de lui.
PARIS OU LA DÉCOUVERTE D’UNE FAMILLE SPIRITUELLE
L’orientation libérale de la paroisse de l’Oratoire du Louvre remonte à la seconde moitié du XIX e siècle. Au moment où ma femme et moi y sommes arrivés tout jeunes mariés, les pasteurs et les paroissiens étaient encore fortement marqués par les années de guerre et par le fait d’avoir pu être à ce moment-là un foyer de résistance spirituelle au totalitarisme ambiant ; un volume de prédications était là pour le rappeler 46. 46 Souvenez-vous de vos conducteurs, Paris, Oratoire du Louvre, 1946.
THÉOLOGIES LIBÉRALES PARIS OU LA DÉCOUVERTE D’UNE FAMILLE SPIRITUELLE
L ’ O R A T O I R E D U L O U V R E , un foyer de libéralisme spirituel
Nouveau carrefour que je n’attendais pas : au moment où je devais trouver un emploi pastoral (je souhaitais que ce soit à l’étranger), mon maître Henri Germond me signala un poste temporaire (trois ans) de suffragant à la paroisse protestante de l’Oratoire du Louvre, à Paris, réputée pour son libéralisme. Au point où j’en étais, je n’aurais certainement pas consenti à me rendre dans une paroisse connue pour son orthodoxie. Mais l’air du moment, le soin aussi que Bultmann ou Tillich ont pris dans leurs écrits de marquer leur distance par rapport à d’anciennes formes de libéralisme théologique, me rendaient sinon méfiant, du moins prudent : allais-je me trouver en présence d’une Église dont la pendule théologique et le climat général accuseraient quelque retard ? Toute limitée qu’elle soit à la sphère de la délibération intérieure, une interrogation de cette farine-là ne trompe pas : j’étais contaminé par la suffisance et le sentiment de supériorité dans lesquels se complaisent trop souvent les milieux de la théologie universitaire quand ils se croient à la pointe de la réflexion la plus contemporaine. La vie à l’Oratoire m’a rapidement persuadé de l’actualité, de la vitalité et de l’évangélisme profond du libéralisme dont cette Église fait son drapeau. J’y ai trouvé un climat, un état d’esprit, une spiritualité qui sont restés pour moi un terroir dans lequel je suis reconnaissant d’avoir pu prendre racine.
On se souvenait aussi avec émotion et reconnaissance des dangers courus par l’un des pasteurs, Paul Vergara, et plusieurs paroissiens pour cacher et sauver des juifs. Théologiquement, spirituellement aussi, la paroisse avait bénéficié dans un passé récent du ministère de deux pasteurs et théologiens libéraux d’envergure : Wilfred Monod et André-Numa Bertrand. Leur influence était encore nettement perceptible. Théologien visionnaire, Monod avait beaucoup marqué certains paroissiens par sa spiritualité issue du Réveil, mais aussi par sa critique acerbe d’une Église trop assoupie dans ses habitudes, et par son engagement dans la cause du christianisme social. Sa vie, son œuvre et son ministère vérifient une remarque souvent entendue : le libéralisme protestant français a presque toujours su allier l’action et la mystique. Bertrand reste connu par Protestantisme 47, un livre dont les jésuites du moment, disait-on, redoutaient tout particulièrement l’influence ; on aimait aussi rappeler qu’il avait été l’un des principaux représentants de la tendance libérale dans les pourparlers préparant la réunification de l’Église réformée de France, en . On lui doit en particulier le « préambule » qui est la clef de voûte doctrinale de ce remembrement : au moment où les pasteurs sont invités à adhérer, à la Déclaration de foi de l’Église réformée de France (on a soigneusement évité de l’appeler confession de foi), la liturgie précise qu’ils le font « sans s’attacher à la lettre de ses formules » et qu’ils s’engagent à proclamer « le message de salut qu’elles expriment ». Les protestants libéraux français considèrent ce préambule comme nettement plus important, théologiquement, que la Déclaration elle-même, et l’Église de l’Oratoire y tient très fermement. Je partage d’autant plus volontiers ce point de vue que les confessions de foi ont à mes yeux plus d’inconvénients que d’avantages, y compris sous l’angle proprement théologique. Trois pasteurs titulaires étaient alors en charge de cette paroisse formée de gens venant des milieux les plus divers, mais avec une forte présence de familles appartenant à des milieux aisés. Or ces trois pasteurs se voulaient de fidèles continuateurs du 47 Paris, Je sers, 1931. Sur BERTRAND, voir Henri MANEN, Le pasteur A.-N. Bertrand, témoin de l’unité évangélique 1876-1946, Nîmes, Chastagnier, 1966.
THÉOLOGIES LIBÉRALES PARIS OU LA DÉCOUVERTE D’UNE FAMILLE SPIRITUELLE
christianisme social défendu par un Wilfred Monod. Mais tandis que, à ce moment-là, certains représentants de ce mouvement affichaient sans nuances des opinions de gauche, voire d’extrême gauche, parfois avec de fortes connotations idéologiques, les pasteurs de l’Oratoire entendaient que leur christianisme social soit effectivement libéral et n’aboutisse pas à la formation de clans politiques au sein de l’Église dont ils avaient la responsabilité. C’eût été céder le pas aux servitudes de l’idéologie. Leur libéralisme n’avait par conséquent rien de commun avec la loi de la jungle dont certains milieux prétendument « libéraux » font leur credo économique. Une liberté à l’usage des seuls possédants ou des seuls détenteurs d’un certain pouvoir n’en serait plus une et ne serait certainement pas libérale au sens où l’entend le protestantisme libéral. Sur ce point comme sur plusieurs autres, les pasteurs et les paroissiens de l’Oratoire partagent dans l’ensemble une même conviction. Gustave Vidal, mon patron direct, me dit en substance lors de notre premier entretien de travail : « Vous sortez de Faculté de théologie et vous y avez certes appris beaucoup de choses. Je vous conseille toutefois de tout oublier et de recommencer à faire votre théologie en écoutant ce que disent les fidèles, les gens ». C’est l’un des meilleurs conseils qu’on m’ait jamais donnés. Affligé de bégaiement, Élie Lauriol n’en était pas moins l’un des prédicateurs les plus impressionnants et les plus écoutés du moment. Pour me faire comprendre ce qu’était sa conception du libéralisme, il me raconta avoir dit un jour à Pierre Maury, le grand introducteur de la théologie barthienne en France : « Quand Marchal [un représentant très profilé du protestantisme libéral dont je vais incessamment évoquer la figure] ou toi vous retrouverez devant Dieu le Père, s’il vous dit que tout ce que vous avez enseigné était faux, vous serez bien ennuyés ; tandis que s’il me le dit à moi, je n’en serai pas affligé du tout ! » Pierre Ducros, enfin, avait à son actif toute une action d’éducation populaire dans les Charentes. Il m’a appris à exercer le ministère pastoral de manière organisée et n’a cessé de m’impressionner par sa capacité de renouveler sa prédication d’une fois à l’autre au gré d’une confrontation serrée et exigeante avec les textes bibliques. Pasteur à
Barbezieux, il avait d’ailleurs publié un petit guide à l’usage de tout un chacun, La Bible et la méthode historique 48. Ce titre montre clairement combien il entendait mettre à la portée de tous, sans en rien dissimuler, ce qui reste l’un des grands acquis de la mouvance théologique libérale, et peu importe si aujourd’hui nous nuancerions autrement un opuscule de ce type : c’est l’attitude qu’il m’importe de rappeler ici. Ces trois pasteurs avaient chacun été en butte aux critiques ou aux attaques parfois acerbes des milieux barthiens ; ils en gardaient un cuisant souvenir. Quant aux fidèles, ils se rattachaient en général à cette Église plutôt qu’à une autre parce qu’ils y reconnaissaient une forme de spiritualité correspondant à leur compréhension de la foi chrétienne, et nombre d’entre eux n’hésitaient pas à engager une discussion sur le fond quand tel ou tel point d’une prédication leur semblait contestable ou mériter de plus amples développements. Les responsables de la paroisse avaient fortement conscience de faire partie d’une Église faisant fonction de centre de ralliement pour les protestants de tendance ou de sensibilité libérale, et de faire ainsi contrepoids à l’Église réformée de l’Annonciation (rue Cortambert, e) qui, avec ses « conférences de Carême », passait pour le bastion spirituel des orthodoxes teintés soit de néocalvinisme, soit de barthisme. C’est encore et toujours le cas, heureusement. GEORGES MARCHAL ET LE FOYER DE L’ÂME
Une seconde Église réformée parisienne affiche clairement son attachement au libéralisme théologique, et même plus carrément que celle de l’Oratoire : le Foyer de l’Âme, dans le quartier de la Bastille. Fondée en sous l’impulsion du pasteur Charles Wagner, cette paroisse a eu d’emblée pour but d’être un centre de ralliement pour les gens épris de libre christianisme. Son pasteur principal, lors de mon séjour à Paris, était Georges Marchal. On a beaucoup admiré son étourdissante faculté d’élocution et d’improvisation. Je tiens à relever plutôt son courage, son dynamisme et son endurance dans la défense et l’illustration du protestantisme libéral. À certains moments, il a été presque seul à le faire sans chercher à mitiger le sens de cette désignation. 48 Libourne, Imprimerie libournaise, 1945.
Parlant de ces deux Églises parisiennes, j’ai utilisé pour l’une l’expression « libéralisme protestant », et pour l’autre « protestantisme libéral ». Laquelle retenir ? La première désigne prioritairement une attitude générale de la pensée et de la 49 Voir l’important texte de TROELTSCH sur « L’essence du christianisme » (1903), in : Histoire des religions et destin de la théologie, op. cit., pp.181-241.
THÉOLOGIES LIBÉRALES PARIS OU LA DÉCOUVERTE D’UNE FAMILLE SPIRITUELLE
PROTESTANTISME LIBÉRAL ET LIBÉRALISME PROTESTANT
Je n’ai jamais travaillé sous la direction de Georges Marchal, mais il m’a souvent reçu chez lui et nous avons eu des discussions animées à propos de Bultmann et du libéralisme. Lui cherchait à ramener la position de Bultmann à celle du libéralisme tel qu’il le comprenait, et je tentais de lui rétorquer que l’existentialisme fait de Bultmann un cas un peu différent. Georges Marchal avait indéniablement raison sur un point auquel il n’a cessé de revenir jusqu’à la fin de sa vie : Bultmann nous a appris à distinguer dans la Bible entre ce qui est dit (was ist gesagt) et ce qui est pensé, ou mieux encore intentionnalisé (was ist gemeint). C’est là un progrès réel par rapport à la manière dont la théologie libérale, jusque là, avait résolu le problème de l’interprétation : avec Bultmann, on ne s’interroge plus sur la vraisemblance factuelle de ce que les textes rapportent, mais sur ce que leurs auteurs ont eu l’intention de dire en les écrivant. C’est en revanche sur la fonction que Bultmann accorde au kérygme (le fait de la croix, beaucoup plus que le message de Jésus, conçu comme déclencheur du passage à l’authenticité de la foi) que nous divergions, Marchal ayant tendance à négliger cette incidence-là de la conception bultmannienne. En fait, j’ai fini par prendre mes distances par rapport à Bultmann et à me rallier à cela seulement que Marchal retenait de son apport sur ce point. Mais au nom de quoi nous permettons-nous de tellement dissocier ce qui est pensé de ce qui est dit ? À l’époque, je ne me posais pas suffisamment la question ; aujourd’hui, elle me semble inévitable. Il est vrai qu’entre temps, j’ai lu et relu Troeltsch et ce qu’il dit de l’impossibilité d’extraire des textes de jadis une sorte d’invariant intemporel sans les mutiler, tout comme on perdrait l’essentiel d’un fruit si l’on cherchait à n’en retenir que le noyau sans la pulpe qui l’entoure 49.
personne, laissant la porte ouverte à toutes sortes de possibilités dans le domaine de la pensée comme dans celui de l’action ; elle correspond au climat spirituel qui prévaut à l’Oratoire du Louvre. « Protestantisme libéral » renvoie à quelque chose de plus précis : on ne peut épouser l’attitude du libéralisme protestant sans que cela ait des conséquences dans l’ordre de la pensée et de la doctrine ; un protestant libéral n’est donc pas prêt à souscrire à n’importe quoi. Cette seconde option, plus marquée doctrinalement, caractérise justement le Foyer de l’Âme. Mais par-delà cette différence, d’ailleurs fort légère, les pasteurs et les membres de l’une et l’autre Églises se retrouvent dans une commune allergie à l’esprit d’orthodoxie. Beaucoup de dogmes issus du passé leur semblent passer à côté de l’essentiel, qui est d’abord d’écouter et de vivre le message de Jésus. D’un point de vue tout formel, ils ne reprennent à leur compte ni le symbole dit des Apôtres (qui ne date justement pas des apôtres, mais du IV e siècle), ni des dogmes aussi contestables que celui des deux natures du Christ ou celui de la Trinité. Plus largement, ils donnent une adhésion sans faille au principe de la liberté d’examen en matière de foi, comme dans d’autres domaines d’ailleurs, car selon une parole souvent citée et qu’on attribue volontiers à Alexandre Vinet 50, « là où l’erreur n’est pas libre, la vérité ne l’est pas non plus. » Cette attitude théologique et spirituelle se profile d’autant mieux sur l’horizon parisien qu’elle fait nettement contraste tant par rapport au catholicisme que par rapport à tout un pan du protestantisme. Nous étions avant Vatican II et la dernière frasque doctrinale du pontife romain avait consisté quelques années auparavant, en , à promulguer le dogme de l’assomption de la Vierge. Et puis c’était encore l’époque où l’Église romaine refusait toute participation au mouvement œcuménique, dans l’idée que le seul œcuménisme possible et légitime consiste en un retour pur et simple sous la houlette du pape. Dans un pays où, religieusement, le catholicisme est de très loin la religion dominante (il l’était à ce moment-là bien plus nettement que maintenant), les options du protestantisme libéral ont de quoi faire mouche. Quant à la situation interne du protestantisme, j’ai déjà signalé 50 On la prétend de lui, mais je n’ai jamais réussi à la retrouver dans son œuvre.
THÉOLOGIES LIBÉRALES PARIS OU LA DÉCOUVERTE D’UNE FAMILLE SPIRITUELLE
les différends qui avaient opposé les pasteurs qui étaient mes mentors aux velléités des milieux marqués par l’orthodoxie doctrinale et le barthisme d’éradiquer le libéralisme des Églises réformées. La participation à quelques rencontres pastorales de la région parisienne me convainquit très vite que ces velléités n’étaient pas mortes. Lors d’un repas au cours duquel je me trouvais assis en face d’Hébert Roux, l’un des grands apôtres de la cause œcuménique en France, il me dit en substance, sachant que j’étais en service à l’Oratoire : « Il faudrait quand même que nous arrivions à mettre un terme à la dissidence doctrinale de cette paroisse et à contraindre ses pasteurs à respecter les termes d’une confession de foi. » Il imaginait visiblement me rallier sans difficulté à son point de vue, convaincu comme il l’était que le libéralisme avait « fait son temps ». Constatant que je ne me ralliais pas du tout à son opinion, il interrompit brusquement la conversation et se détourna de moi. De la part d’un homme que l’on tenait dans le protestantisme de France et de Suisse romande pour un esprit ouvert et prometteur, une attitude pareille est de celles que l’on n’oublie pas.
AUGUSTE SABATIER ET LE SYMBOLO-FIDÉISME
On imagine mal critique plus serrée et plus nécessaire des systèmes ou religions d’autorité. Dès la première page, Sabatier situe les termes du problème : « Le propre de la méthode d’autorité est de nous faire juger d’une doctrine d’après les marques extérieures de son origine et d’après les titres de ceux qui l’ont apportée. 52 » Le système de l’autorité pontificale est évidemment directement visé : Sabatier vivait dans les remous provoqués par la promulgation du dogme de l’infaillibilité pontificale (). En substance, l’argument est le suivant : on n’est pas infaillible parce qu’on affirme l’être. Mais contester l’autorité du pape en matière de doctrine n’autorise pas pour autant les protestants à tenir pour vrai ce que les réformateurs ont affirmé, uniquement parce que c’est eux qui l’ont dit. Alors à qui s’en remettre : à l’autorité d’un synode – elle ne vaut pas mieux. À celle de la Bible – mais on se livre à l’autorité de ses interprètes, tout aussi contestable. La force de Sabatier est de s’en prendre à ce que beaucoup de libéraux avaient cru être le « dernier bastion » de l’autorité : le recours à la méthode historique pour remonter aux paroles mêmes de Jésus, par-delà tout ce que les évangiles disent 51 Paris, Berger-Levrault, 1956. La première édition est de 1904. 52 Op. cit. p.1.
THÉOLOGIES LIBÉRALES AUGUSTE SABATIER ET LE SYMBOLO-FIDÉISME
LA CRITIQUE DES DÉMARCHES D’AUTORITÉ
Attaché comme il l’était au débat d’idées, Georges Marchal s’est empressé de mettre entre mes mains un livre qu’il venait de faire rééditer et dont les deux premières parties, d’emblée, m’ont beaucoup impressionné : Les religions d’autorité et la religion de l’Esprit, d’Auguste Sabatier 51. J’avais entendu citer le nom de ce théologien en Faculté de théologie, mais au passage, sans qu’on nous incitât vraiment à lire ses ouvrages. Encore aujourd’hui, j’en veux un peu à nos professeurs d’avoir ainsi fait l’impasse sur l’un des principaux théologiens protestants français des deux derniers siècles.
sur son compte ; mais, remarque Sabatier, cette autorité-là est tout aussi fragile que les autres, voire davantage, et les chrétiens n’ont pas à mettre dans la science historique une confiance qu’ils refusent par ailleurs à d’autres instances d’autorité. La seule autorité réelle est celle de Dieu à laquelle aucune autorité humaine ne saurait se substituer ni imposer son entremise. La convergence avec les exigences du principe protestant cher à Paul Tillich est évidente On ne ressort pas indemne de la lecture d’un tel ouvrage, par ailleurs remarquablement écrit. On devrait à mon sens imposer cette lecture à tous les théologiens en devenir, ne seraitce que pour les obliger à se poser jusque dans ses derniers retranchements l’un des problèmes les plus cruciaux de la foi chrétienne. Même Bultmann ne m’avait pas fait aller aussi loin, en dépit de sa critique imparable, mais sur base historique, de l’illusion que l’on pourrait remonter à coup sûr aux paroles authentiques d’un Jésus garanti par l’histoire : nous ne disposons que de ce que d’autres ont dit de lui ou des paroles qu’ils ont rapportées, mais à leur manière. La force de Sabatier est d’avoir remonté toute la chaîne des implications dont se nourrissent les régimes d’autorité, donc aussi toutes les orthodoxies doctrinales, même quand elles se parent des oripeaux du libéralisme. Cela ne signifie toutefois pas que le livre de Sabatier soit sans faille ni surtout qu’il faille l’admettre d’autorité ! Il me laissait parfois sur ma faim, surtout dans sa troisième partie consacrée à « la religion de l’Esprit ». Il faudrait un jour que je me collette davantage à lui. LE SYMBOLO-FIDÉISME
Les religions d’autorité est en réalité la seconde partie d’un livre qui eut un énorme retentissement au moment de sa parution en : Esquisse d’une philosophie de la religion d’après la psychologie et l’histoire 53. La lecture de cet ouvrage m’a fait entrer dans la problématique du « symbolisme critique », ainsi que Sabatier désignait sa propre position théologique. L’idée dominante en est que la foi s’exprime de préférence en langage symbolique, qu’elle engendre même des symboles, mais que ces symboles 53 Réédité en 1969, Paris, Fischbacher, toujours sur l’intervention de Georges Marchal.
THÉOLOGIES LIBÉRALES AUGUSTE SABATIER ET LE SYMBOLO-FIDÉISME
54 Op. cit. p.367.
n’ont rien d’immuable ni d’éternel, que certains d’entre eux « meurent », autrement dit perdent leur raison d’être, et que la foi chrétienne ne gagne rien, au contraire, à vouloir les maintenir en vie artificiellement sous le prétexte qu’ils seraient d’inspiration divine – un argument tombant sous le coup de la critique des méthodes d’autorité. Là encore je trouvais beaucoup à prendre, mais aussi à laisser : l’image de l’humanité qui bâtit « une cathédrale éternelle dont les deux colonnes maîtresses sont la science et la vie sainte 54 » et qui semble régler si élégamment le problème des rapports de la science et de la foi, l’une étant tout objective dans ses démarches, et l’autre subjective, n’a jamais réussi à me convaincre. Là encore, je devrais un jour y regarder de plus près. En revanche que tout symbolisme, en théologie, doive être « critique », c’est-à-dire évaluer la valeur, le bien-fondé et la nécessité des symboles auxquels s’alimente l’expressivité religieuse, cette idée-là emportait toute mon adhésion. La théologie de Sabatier n’est pas seulement symboliste, elle est aussi « fidéiste ». Sur ce point, la pensée de Sabatier rejoint celle de son collègue Eugène Ménégoz. Sabatier était réformé, son insistance sur la critique des démarches d’autorité afin de préserver toute l’autorité de Dieu, sa seule gloire (SOLI DEO GLORIA !), le montre bien. Luthérien, Ménégoz a davantage insisté sur le salut par la foi ; son apport essentiel a consisté à distinguer radicalement entre la foi et la croyance, et à montrer que nous sommes sauvés par la foi, qui est fondamentalement confiance en Dieu, et non par des croyances ou des dogmes. Cette attitude doctrinale, il l’a lui-même appelée « fidéisme » et l’a résumée dans cette formule : « le salut par la foi indépendamment des croyances ». Sur le fond, l’attitude est fort proche de celle de Bultmann refusant le salut par le sacrifice de l’intelligence. L’intention de Ménégoz était bel et bien de rendre possible et légitime l’étude critique des dogmes. Mais sa formule a prêté à contestation et il s’est évertué sa vie durant à répondre que la foi indépendamment des croyances n’est pas la foi sans les croyances. La position de Ménégoz est rassurante et libératrice pour les gens qui ont des doutes ou des objections à l’endroit des dogmes ou croyances que les Églises leur pro-
posent. Elle n’en est pas moins insuffisante sur le chapitre de l’expression de la foi : si la foi ne va pas sans les croyances, de quelle nature sont-elles, quelle est la portée du langage dans lequel elles s’expriment, quelle est leur fonction dans l’exercice de la foi ? Sur ce point, le symbolisme de Sabatier apporte des réponses plus substantielles, aussi n’a-t-on pas hésité à considérer comme un tout l’enseignement de ces deux théologiens et lui a-t-on donné un nom un peu barbare (eux-mêmes en convenaient), mais qui montre bien la convergence de leurs points de vue : le « symbolo-fidéisme », caractéristique de ce qu’on a appelé « l’École de Paris ». Gustave Vidal m’avait conseillé de refaire ma théologie en écoutant ce que disent les paroissiens. Trois ans à l’Oratoire m’ont largement convaincu de l’écho qu’un enseignement comme celui de l’École de Paris continuait d’avoir dans leurs rangs. C’est donc qu’il restait d’actualité, sinon dans ses manières de dire, du moins dans sa manière d’aborder les problèmes.
ALBERT SCHWEITZER ET L’ÉTRANGETÉ DE JÉSUS
THÉOLOGIES LIBÉRALES ALBERT SCHWEITZER ET L’ÉTRANGETÉ DE JÉSUS
55 Geschichte der Leben-Jesu-Forschung, Tübingen, Mohr, 1913. Cet ouvrage n’est pas encore disponible en traduction française.
C’est encore Georges Marchal qui m’a mis sur la piste d’Albert Schweitzer. Charles Masson, dans ses cours de Nouveau Testament, avait fait de nombreuses allusions, soit à la grande étude de Schweitzer sur l’histoire des vies de Jésus 55, soit à l’« eschatologie conséquente » qui caractérise sa manière de comprendre et d’interpréter le message néo-testamentaire. Mais il ne nous avait pas rendus attentifs à la continuité étroite entre ces recherches historico-exégétiques et l’impératif du « respect de la vie » dont Schweitzer a fait la clef de voûte de sa pensée et de son action. Quand Marchal a attiré mon attention sur lui, le « Grand Docteur », comme certains l’appelaient, était auréolé de la célébrité que lui valaient le prix Nobel en et la célébration de ses ans en ; il était devenu l’un de ces personnages caritatifs dont les médias aiment s’enticher, du moins pour un temps. Mais Georges Marchal ne se laissait pas éblouir par les paillettes de cette gloire toute médiatique. Il avait en très haute estime et soutenait depuis longtemps le travail de Schweitzer à Lambaréné, non sans rappeler que la Société des Missions de Paris, par méfiance envers son libéralisme théologique, n’avait consenti à prendre ce médecin théologien à son service qu’à la condition qu’il s’engage à ne jamais prêcher ni faire le catéchisme ; Schweitzer avait évidemment refusé, préférant conserver toute sa liberté d’action et de parole. Georges Marchal ne s’attachait toutefois pas seulement à défendre l’action médicale de Schweitzer, il entendait tout autant mettre en évidence la théologie du célèbre Alsacien. Il insistait à juste titre sur le fait que, chez lui, action médicale au Gabon et théologie sont comme les deux faces indissociables d’une même médaille. Enfin Marchal aimait signaler un fait trop souvent ignoré des protestants eux-mêmes : Schweitzer était président d’honneur de l’Alliance libérale, c’est-à-dire de l’association regroupant la plupart des protestants libéraux de France.
L’ÉTRANGETÉ DE JÉSUS
La version française de Ma vie et ma pensée 56 est sortie de presse quand mon séjour parisien allait toucher à sa fin, juste assez tôt pour me permettre de la lire et d’en parler avec Georges Marchal. Heureusement, car c’est bien par ce livre qu’il faut commencer à lire Schweitzer. Dans ces pages, on perçoit comme nulle part ailleurs la droite ligne qui a conduit Schweitzer de ses recherches sur le Nouveau Testament à la médecine de brousse en Afrique. On découvre aussi la place centrale que la personne et le message de Jésus n’ont cessé d’avoir dans sa vie et sa pensée – mais un Jésus bien différent du personnage aimable, compréhensif et somme toute assez rassurant dont on se plaisait volontiers à esquisser le portrait à ce moment-là (on est en train de retomber dans le même travers en faisant de lui le prototype d’une « relation d’aide » empathique et non directive). Reprenant les textes évangéliques sans se laisser conditionner par les explications qu’en donnaient les exégètes du moment, Schweitzer a découvert un Jésus à la fois étrange et profondément étranger à notre conception du monde – un Jésus un peu sauvage aux yeux de l’Européen « civilisé » du XX e siècle. Selon la lecture que Schweitzer a faite des écrits néotestamentaires, Jésus et les premiers chrétiens attendaient la venue du Royaume de Dieu, donc la fin de ce monde-ci, d’un moment à l’autre, de leur vivant, et ils s’en faisaient une image sans aucun rapport avec notre conception évolutive de l’histoire et de la création. Si Jésus revenait parmi nous tel qu’il fut en son temps, nous le prendrions pour un illuminé. Il s’est en tout cas trompé quant à la fin de l’histoire et a partagé la cosmologie fort peu scientifique (à nos yeux !) de ses contemporains. Mais si l’on connaît le monde et la culture dans lesquels il a vécu, on découvre au contraire que Jésus a été un personnage particulièrement lucide et équilibré (dans sa thèse de médecine 56 bis, Schweitzer a savamment réfuté les psychiatres qui faisaient de Jésus un cas pathologique). Loin de voir dans l’avènement imminent du Royaume de Dieu, comme le faisaient ses contemporains juifs et les apocalypses de leur temps, une négation du monde et de la vie, Jésus a retourné leur attente de la fin en une vigoureuse affirmation. « À tra56 Albert SCHWEITZER, Ma vie et ma pensée, Paris, Albin Michel 1959. 56 bis Albert SCHWEITZER, Les jugements psychiatriques sur Jésus, trad. J.-P. Sorg, Paris, Éditions du Foyer de l’Âme, 2002.
vers la conception eschatologique qui nie le monde, écrit Schweitzer, Jésus proclame l’éternité éthique de l’amour. 57 » ESCHATOLOGIE ET RESPECT DE LA VIE
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57 Ma vie…, p.68. 58 En fait, cette expression se trouve déjà dans des écrits de sa main datant de plusieurs années avant la navigation en question.
Or, pour Schweitzer, il ne suffit pas de prendre acte de ce surprenant eschatologisme de Jésus et du message d’amour qui lui est lié. Il faut en tirer toutes les conséquences, c’est-à-dire reconnaître combien la conception que Jésus se faisait du monde diffère de la nôtre, mais aussi et surtout nous demander ce que nous faisons aujourd’hui de son exigence éthique. Nous devons, autrement dit, penser de manière « conséquente » l’eschatologie originelle du christianisme, d’où le nom d’« école de l’eschatologie conséquente » donné au courant de pensée découlant des thèses de Schweitzer. Pour lui rendre justice, on devrait plutôt parler d’école « du respect de la vie ». Car le problème réel de Schweitzer est moins de donner une juste interprétation des paroles de Jésus que de chercher à restituer aujourd’hui la portée universelle de son message. À la différence de ce que l’on trouve sous la plume de nombreux autres théologiens européens de son temps, parmi lesquels Sabatier (ce point-là est l’une de ses faiblesses), on ne rencontre pas chez Schweitzer d’expressions donnant à penser que le christianisme serait la religion « absolue », ou celle à laquelle toutes les autres devraient aboutir. Il est en revanche convaincu que le message de Jésus a de quoi intéresser les humains de toutes religions et civilisations, et il se demande comment le libérer des étroitesses doctrinales, confessionnelles et culturelles dans lesquelles l’a enserré le christianisme occidental. Il raconte que la réponse lui est venue à l’esprit tandis qu’il naviguait sur le fleuve Ogoué, au Gabon 58 : Ehrfurcht vor dem Leben (l’Alsacien Schweitzer pensait de préférence dans la langue de Goethe). L’expression allemande est plus riche de sens que sa version française « respect de la vie » à laquelle manque la tonalité de vénération, de religion profonde, de mystique même qui caractérise toute la conception de Schweitzer. L’éthique du respect de la vie est donc bien davantage qu’une éthique et qu’un simple respect ; c’est une attitude profonde de la personne et Schweitzer a toujours espéré qu’elle aboutirait à la reconstruction d’une civilisation, la nôtre, en voie d’effondrement.
Aujourd’hui encore, les théologiens semblent éprouver bien des difficultés à intégrer la pensée de Schweitzer dans leur panorama de la théologie protestante au XX e siècle, et il ne fait guère partie des auteurs qu’ils citent dans leurs écrits, comme s’il était un inclassable ou un éternel marginal. J’avoue n’avoir pas toujours su lui faire toute la place voulue dans ma vision de la théologie. Mais il m’est resté de cette première fréquentation de son œuvre, bientôt relayée par d’autres lectures, la conviction qu’on ne peut parler de Jésus et de son enseignement sans reconnaître son étrangeté par rapport à tout ce que nous sommes et ce que nous pensons ; il n’est pas domesticable, ou alors, s’il l’était, il ne s’agirait plus de lui ; et si je parle de lui ou suis en demeure de prêcher sur l’une de ses paroles, je ne puis le faire sans être pris à rebroussepoil, sans en être perturbé, acculé à me poser des questions fondamentales et perturbantes. La leçon reçue de Schweitzer rejoint sur ce point l’une des exigences du kérygme bultmannien, mais avec plus d’ampleur et de mordant : la civilisation et la part que j’y prends sont en jeu. À défaut d’avoir déjà sous la main d’autres textes qui existaient pourtant en allemand, je me suis aussi plongé dans l’anthologie schweitzerienne de l’Américain Charles R. Joy, parue en traduction française en 59. Je me rappelle avoir été fortement impressionné par le plaidoyer de Schweitzer en faveur du rationalisme et du XVIII e siècle : « Le christianisme a besoin de la pensée pour devenir conscient de lui-même. Pendant des siècles, il a conservé dans son enseignement les commandements d’amour et de miséricorde comme une vérité traditionnelle, sans s’insurger en leur nom contre l’esclavage, les procès de sorcellerie, la torture et tant d’autres atrocités de l’antiquité et du moyen âge. Ce fut seulement lorsqu’il subit l’influence de la pensée rationaliste du dix-huitième siècle qu’il entreprit la lutte pour les principes humanitaires. Ce souvenir devrait le préserver à tout jamais de toute arrogance vis-à-vis de la pensée. 60 » Je ne sais combien de fois j’ai lu et relu cette phrase ; je la considère comme une sorte de vaccin contre la tentation de tenir en suspicion tout le courant issu de la théologie néoprotestante. 59 Charles R. Joy, Albert Schweitzer, une anthologie, Paris, Payot, 1952. 60 Op. cit. p.26.
M A R T I N W E R N E R et l’histoire du christianisme
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61 Martin WERNER, Die Entstehung des christlichen Dogmas, Bern, Haupt, 1953. 62 Martin W ERNER , Die Entstehung des christlichen Dogmas, Stuttgart, Kohlhammer, 1959, coll. Wissenschaftliche Taschenbuchreihe. 63 La parousie est l’avènement du Royaume de Dieu, conçu aussi comme un retour du Christ en gloire.
Ces lectures me rappelèrent que, au début de mes études, des commentaires fort sévères avaient été tenus à propos de la seconde édition de l’histoire des dogmes du professeur bernois Martin Werner 61 : on lui reprochait d’appliquer la thèse de l’eschatologie conséquente à l’histoire des débuts de la pensée chrétienne et de s’en faire ainsi une vision complètement déformée – par excès de libéralisme théologique prétendaient certains. Le dédain dans lequel on semblait tenir cet ouvrage ne m’avait pas encouragé à aller y regarder de plus près et, à l’époque, je n’aurais de toute manière pas eu le temps de le faire. Cette fois-ci, en revanche, la lecture de Schweitzer me persuada rapidement de la nécessité de lire Werner dès que l’occasion s’en présenterait. Le hasard des parutions fait parfois bien les choses : en est sorti de presse le résumé que Werner a écrit de sa propre œuvre – un petit ouvrage qui n’a malheureusement jamais été traduit en français 62 et que les historiens des dogmes persistent en général à passer sous silence. L’une des raisons en est probablement que Werner a beaucoup plus accentué le contraste entre les enseignements du premier christianisme et les doctrines du catholicisme naissant qu’on ne l’admet généralement. Selon lui, en effet, la solution de continuité tient au fait que les premiers chrétiens ont continué à vivre comme Jésus et les apôtres dans l’attente d’une parousie 63 imminente, tandis que dès la fin de la période apostolique le retard de cet événement tant attendu a conduit à en repousser l’échéance toujours plus loin et à transformer le message primitif en une doctrine de salut articulée à une pratique sacramentelle fortement cléricalisée. Là où Harnack, en d’autres termes, voit dans un processus tout humain, à savoir celui de l’hellénisation, le facteur déterminant de la progressive cléricalisation (ou catholicisation) du christianisme, Werner considère que le facteur en question est à chercher plutôt dans le message de Jésus lui-même, qui s’est trompé, mais encore une fois à nos yeux, quant à
l’imminence de la parousie. Et tandis que Harnack juge suffisant d’en revenir à une « essence du christianisme » culminant dans la foi en la paternité de Dieu, avec tout ce qui en découle, Werner, qui est aussi systématicien, se rallie à la solution de Schweitzer : retrouver dans une éthique exigeante du respect de la vie le correspondant actuel (ou l’équivalent dynamique) du message d’amour de Jésus. La thèse de Werner n’explique pas tout. Elle n’en est pas moins fort éclairante. Mais je soupçonne que beaucoup préfèrent la passer sous silence parce qu’elle les obligerait justement à admettre que Jésus, sur un point pourtant important de son enseignement, s’est trompé – qu’il a donc été beaucoup plus homme, limité par ses compétences tout humaines et par les conceptions culturelles de son temps, que la doctrine ecclésiastique élaborée par la suite, c’est-à-dire essentiellement celle des grands conciles dits œcuméniques 64, n’autorise à le penser. Cette étrangeté-là, bien des protestants, même parmi les plus libéraux, ont de la peine à l’admettre : pour eux, les dires de Jésus restent bel et bien le « dernier bastion des systèmes d’autorité » dont Auguste Sabatier a si opportunément dénoncé la faiblesse. Je regrette de n’avoir jamais vu ni entendu Martin Werner. En revanche, peu après mon retour en Suisse, j’ai rencontré plusieurs de ses anciens étudiants et je me suis lié avec certains d’entre eux d’une solide amitié. Ce qu’ils m’ont raconté sur son compte rejoint à bien des égards ce que d’anciens étudiants genevois m’ont dit d’Auguste Lemaître : de part et d’autre, c’est le même sentiment d’avoir eu affaire à un maître qui était aussi un conseiller et un confident, et d’avoir rencontré en lui un homme de conviction dont le libre christianisme allait de pair avec un sens aigu de sa portée sociale. J’ai aussi découvert tout récemment que Werner a été l’un des premiers théologiens suisses à mettre ses concitoyens en garde contre les périls du régime nazi. Bien avant Karl Barth, il a dénoncé le caractère criminel de sa politique envers les juifs.
64 Ils n’ont jamais été aussi « œcuméniques » qu’on le prétend trop volontiers : quelques-unes de leurs décisions doctrinales les plus importantes n’ont pu être prises qu’après avoir écarté, voire chassé des synodes, les évêques d’un avis divergeant.
LA THÉOLOGIE À L’ÉPREUVE DU PASTORAT
Leur attitude relève rarement de l’hostilité ouverte. Dans la paroisse des Alpes où je suis resté huit ans, un seul habitant se disait ouvertement marxiste et athée ; à quelques semaines de sa mort, il me demanda de venir à son chevet, m’avertit qu’il refusait toute intrusion de la religion dans ses obsèques, mais me dit aussi souhaiter vivement que je vienne rendre les honneurs devant sa dépouille, ce que je lui promis de faire. Les autres habitants étiquetés protestants (à l’époque, à peu près deux tiers de la population) tenaient en revanche beaucoup, en dépit de leur apparente indifférence, à ce que baptêmes, mariages, funérailles soient célébrés sous la conduite du pasteur. Et puis je les rencontrais à toutes sortes d’occasions : sur les chemins, lors de fêtes populaires, au bistrot. Je n’ai pas tardé à mesurer tous les avantages de cette situation : elle me permettait d’entrer en relation avec tout-un-chacun et
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AVEC LES DISTANCÉS
Le séjour à l’Oratoire du Louvre m’avait aidé à mieux saisir les enjeux du protestantisme et la portée des libertés qu’il implique. De retour en Suisse, l’exercice du pastorat paroissial me les a fait découvrir dans leurs implications institutionnelles en contexte majoritaire. À l’Oratoire, j’avais fréquenté un protestantisme sociologiquement très minoritaire, avec des paroissiens fortement motivés et qui, comme on dit, « en redemandent », mais sans beaucoup de prise sur l’ensemble de ceux qui, précisément « n’en demandent pas tellement », voire pas du tout. Dans le canton de Vaud, je n’étais plus tellement le pasteur d’une communauté paroissiale fortement soudée, mais de la population d’un certain territoire, et je retrouvais une Église unie à l’État, avec des protestants qui pour la plupart le sont surtout sous l’angle de l’état-civil, et se tiennent volontiers à l’écart de tout encadrement paroissial trop marqué, quand ils n’affichent pas leur désintérêt pour les questions religieuses.
même de passer beaucoup plus de temps avec les « distancés de l’Église », comme les appelle aujourd’hui Félix Moser 65, qu’avec des paroissiens passant pour zélés et convaincus. J’étais en prise directe avec l’« Église latente », comme l’appelle pour sa part Paul Tillich, c’est-à-dire celle de gens qui ne savent pas au juste s’ils sont croyants ou incrédules. Cette Église-là, n’en déplaise aux « églisiens », je la considère de plus en plus comme l’Église concrète, en tout cas celle dont je fais partie ; car la limite entre la foi et l’incrédulité, entre la conviction et le doute, ne passe pas tellement entre des individus ou des groupes de personnes, mais bien plutôt en nous-mêmes – nous dont Luther disait si justement que nous sommes « tout ensemble justes et pécheurs » (simul justi ac peccatores). Le problème, pour ces « distancés », est bien connu, sans cesse récurrent : ils confondent la foi et la croyance, et sont volontiers portés à se croire en marge parce qu’ils ne peuvent effectivement pas croire des choses incroyables (ils auraient bien tort de les accepter sans discussion) sous le simple prétexte que leur capacité de jugement devrait capituler devant les exigences de la doctrine. Et puis, habités de doutes, parfois même de sérieux doutes, ils se croient volontiers en conflit avec la foi. Mais ils ne sont pas tellement en conflit avec la foi chrétienne comme telle ; ils le sont avec l’esprit d’orthodoxie qui, trop souvent, cherche à imposer ses formules aux fidèles. À même le terrain, je ne cessais donc de rencontrer des gens, y compris des fidèles très fidèles, dont l’attitude spirituelle ou dont les difficultés à croire militent en fait, non pour affaiblir les exigences du christianisme, mais pour qu’on écarte de leur chemin les « obstacles à la foi », comme les appelait Georges Marchal 66, autrement dit ce qui, dans le discours chrétien traditionnel, brouille la perception de ce qui devrait être réellement entendu. « TOUT À TOUS »
Un pasteur de paroisse ne fait pas que rencontrer des gens, plus ou moins croyants, plus ou moins sceptiques selon les cas. Il doit aussi prêcher, faire le catéchisme, sans dilapider ce qu’il a 65 Voir Félix MOSER, Les croyants non pratiquants, Genève, Labor et Fides, 1994. 66 Voir son livre Obstacles à la foi, Paris, Berger-Levrault, 1960.
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à dire, sans prendre non plus les gens pour plus naïfs ou complaisants qu’ils ne sont. Le dimanche matin, lors du culte, voilà des hommes et des femmes de tous âges, avec leurs expériences, leurs soucis, leur jugement d’adultes, qui mettent à part une heure dont une bonne part est destinée à écouter le discours du pasteur. Il n’a pas le droit de les décevoir. Il leur doit un message dûment préparé, réfléchi, construit. C’est sa chance et c’est son privilège : semaine après semaine, jour après jour, le pasteur est en situation de faire et refaire sans cesse sa théologie, de reprendre de fond en comble ce qu’il pense ou croit devoir prêcher, cela en fonction de toutes les situations qui se présentent. Qu’il soit jeune, comme je l’étais alors, ou déjà chargé d’expérience, il se sent constamment pris au dépourvu, obligé de sonder à frais nouveaux les problèmes, de méditer, d’en revenir aux textes de référence que sont les Écritures, de se demander comment les interpréter pour aujourd’hui et comment le faire non dans son langage et dans son monde de références à lui, mais dans l’horizon de réalité où vivent celles et ceux auxquels il s’adresse. Or ces femmes et ces hommes, surtout quand ils sont des paroissiens engagés, ne partagent pas nécessairement les convictions théologiques du pasteur qu’ils trouvent sur leur chemin. À l’Oratoire du Louvre, j’avais eu affaire à une Église à laquelle la majeure partie des fidèles adhéraient du fait de son orientation expressément libérale. À Villars-Chesières comme dans la majeure partie des paroisses helvétiques, les uns étaient peutêtre libéraux, mais souvent sans le savoir, tandis que d’autres étaient plutôt orthodoxes, voire fortement marqués par des courants évangélico-biblicistes du style « Ligue pour la lecture de la Bible ». Je n’étais pas là pour faire des adeptes de la théologie libérale ou des disciples de quoi que ce soit d’autre que la cause de Jésus-Christ, mais pour aider les gens dans leur itinéraire personnel, dût-il s’écarter du mien. Je dois beaucoup à celles et ceux qui ne partagent pas mes choix : ils m’ont toujours obligé à prendre vivement conscience de la relativité de mes propres convictions et, par leurs remarques ou leurs objections, n’ont cessé de m’acculer à me demander si leurs raisons n’étaient pas meilleures que les miennes. De toute manière, théologiens ou béotiens en la matière, orthodoxes et libéraux ont besoin les uns des autres, les libéraux
pour éviter de succomber à je ne sais quelle enflure de leur propre appréciation des choses, les orthodoxes parce qu’ils ne seraient que trop portés à restreindre la liberté d’autrui et à tenir leurs options pour intangibles. La tentation des orthodoxes est d’ailleurs toujours de n’accepter que les libéraux point trop éloignés de leurs propres convictions ; celle des libéraux de se passer des orthodoxes. Mais, en permanence, ils dépendent les uns des autres. DES PROBLÈMES THÉOLOGIQUES CONCRETS
Pour un jeune pasteur, les défis immédiats viennent souvent moins des différentes théologies auxquelles il peut s’être trouvé confronté pendant ses études ou du fait de ses lectures, que de problèmes très concrets de discipline 67 que lui posent parfois les questions ou les demandes des paroissiens, que ces derniers soient des « proches » ou des « distancés ». Déjà à l’Oratoire, j’avais dû faire face à des situations d’urgence, par exemple à l’occasion de services funèbres, ou à des initiatives inattendues. Ainsi une grand-mère qui venait de commencer à fréquenter les cultes de cette Église et avec laquelle j’étais encore seul à avoir pris personnellement contact se présentat-elle à la cène accompagnée de sa petite fille de six ans et lui tendit-elle à elle aussi le pain et la coupe. À la fin des années , les Églises réformées n’en étaient pas encore à imaginer d’ouvrir aux enfants l’accès au rituel de la communion ; il fallait qu’ils aient d’abord suivi le catéchisme et aient confirmé le choix que leurs parents avaient fait pour eux en les baptisant. Des paroissiens, évidemment, furent un peu choqués de cette participation d’une enfant à la cène. Que faire, que dire ? Gustave Vidal, avec qui je discutais du problème, me recommanda la plus grande prudence. Il avait raison : l’habitude et les dispositions de l’ancienne discipline n’autorisaient pas expressément la participation d’un enfant à la cène. Mais dans un cas comme celui-là, l’application de la discipline avait toutes les chances d’aller à fins contraires et d’induire dans l’esprit de la grand-mère en question une compréhension complètement erronée de la cène, en la 67 Jadis, on appelait « discipline » l’ensemble des règlements qui président à la vie intérieure d’une Église et régissent en particulier sa pratique des sacrements. Abandonné en Suisse romande, ce terme est toujours en usage dans l’Église réformée de France.
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situant pour elle sous le signe de la loi, et non de la grâce. Loin de signifier à cette femme quelque interdiction que ce soit, il suffisait de lui signaler qu’il serait préférable, pour sa petite fille, d’attendre qu’elle soit au bénéfice d’une instruction religieuse. L’a-t-elle compris ? Je l’espère, mais j’ai quitté l’Oratoire trop tôt pour savoir la suite qu’elle a finalement donnée à notre suggestion. Une fois seul pasteur de paroisse, d’autres problèmes du même type n’ont pas tardé à se poser. Ainsi à la veille de la première communion d’un groupe de catéchumènes, le père de l’un d’eux vint me demander si je l’autorisais à communier bien que lui-même, fils d’un père athée, n’ait pas été baptisé. Comme je m’étonnais de cette demande d’« autorisation », il me raconta avoir fait la demande à l’occasion de la première communion d’un autre de ses fils et mon prédécesseur lui avait posé comme condition qu’il demande d’abord à être baptisé, ce qu’il avait refusé de faire. Cette fois-ci, je repérai d’emblée où se trouvait la faille : mon prédécesseur avait formulé une interdiction totalement absente des règlements ecclésiastiques, mais qu’il devait avoir déduite d’une conception du baptême et de la cène à laquelle je ne pouvais souscrire. Car au nom de quoi des protestants pourraient-ils se permettre d’interdire l’accès de la cène à qui que ce soit, surtout quand il s’agit d’adultes ? On peut tout au plus et l’on doit inciter les personnes qui désirent communier à le faire en toute sûreté de conscience et en toute connaissance de cause ; mais ensuite, c’est affaire entre chacune d’elles et Dieu, et non d’une Église ou d’un pasteur. Et puis faire du baptême une condition d’accès à la cène, c’est en falsifier le sens et ramener au rang d’une obligation réglementaire un acte dont toute la raison d’être est d’attester la grâce de Dieu. Je n’en suis que plus heureux, aujourd’hui, que le Synode national de l’Église Réformée de France, dans sa session de , ait clairement affirmé cette non nécessité du baptême pour accéder à la cène, et j’attends, mais sans impatience, le moment où les autres Églises réformées, en particulier celles de Suisse romande, auront le courage, en dépit des mises en garde de la hiérarchie catholique, de se prononcer tout aussi clairement sur le même sujet. Ces problèmes de baptême et de communion ne sont pas seu-
lement des arguties de théologiens ou de responsables synodaux. Ils touchent les gens beaucoup plus directement qu’on pourrait l’imaginer. Et à travers eux, monsieur-et-madametout-le-monde se trouvent confrontés à de réels problèmes théologiques. Toujours à Villars-Chesières, une personne bien intentionnée m’enjoignit un jour d’intervenir dans une famille – un ménage mixte – dont les enfants avaient été baptisés au temple, mais que leurs parents envoyaient maintenant au catéchisme catholique. On devine le raisonnement de la personne en question : du moment que ces enfants avaient été « baptisés protestants », ils devaient pour ainsi dire appartenir au protestantisme. Ma réponse : je veux bien aller voir cette famille, c’est même mon devoir de pasteur ; mais ce ne sera pas pour « récupérer » ces enfants, seulement pour m’assurer que leurs parents ont choisi en toute liberté de les envoyer au catéchisme catholique ; quel qu’il soit, je défendrai leur choix. J’ai dû m’en expliquer à plusieurs reprises, et je ne le regrette pas. Le baptême ne saurait en effet être l’occasion d’une mainmise ecclésiastique sur qui que ce soit. Il est un sacrement de la grâce, donc aussi de la liberté. Il n’appartient donc à aucune Église en particulier et les protestants, à mon sens, ont justement à défendre cette ouverture et cette liberté. Cet incident, mais au sens faible du terme, m’a conduit à prendre d’autant plus garde au libellé des promesses que les Églises réformées d’expression française ont coutume d’exiger des parents lors de baptêmes de petits enfants. Ce libellé, aije rapidement constaté, varie beaucoup d’une Église à l’autre, voire d’un pasteur à l’autre. Certains donnent le sentiment d’en user comme s’ils pouvaient profiter de l’occasion pour baliser d’avance le parcours religieux des enfants baptisés. Ils font promettre aux parents, parrains et marraines toutes sortes de choses que la plupart ne tiendront pas. N’est-ce pas, implicitement, colorer très fortement le baptême dans le sens d’une confession donnée, et n’est-ce pas en abuser en l’utilisant à des fins d’obligations morales qui ne correspondent pas nécessairement à son sens profond ? La même question peut d’ailleurs se poser à propos d’autres actes de portée symbolique, comme les confirmations et les mariages : est-il judicieux de les accompagner eux aussi de
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68 J’ignore quelle est cette proportion aujourd’hui. 69 Voir mes diverses contributions dans les Cahiers de l’Institut romand de pastorale, Lausanne. 70 La notion même de « sacrement » est très sujette à caution en perspective protestante, en particulier du fait des ambiguïtés dont elle est chargée. Et les définitions qu’on en donne ressemblent souvent à des exercices de haute voltige. Il serait préférable d’y renoncer.
promesses, tantôt vagues au point de ne plus rien signifier du tout, tantôt au contraire si précises qu’elles tirent abusivement des traites sur l’avenir ? À la faveur de mes contacts avec les protestants libéraux de Suisse alémanique, j’avais découvert que dans un tiers à peu près des paroisses de cette partie du pays, les pasteurs ne requéraient aucune promesse de baptême 68, et à l’occasion de discussions ultérieures sur le sens et la portée du mariage en contexte protestant, nous sommes plusieurs à nous être demandés s’il convient de redoubler les promesses échangées devant le maire ou l’officier d’état-civil par des promesses échangées au temple (en bonne logique protestante, les promesses échangées au temple n’ont pas de raison d’être plus sincères que celles échangées à l’hôtel de ville). Par discipline synodale, j’ai continué à solliciter des promesses à ces diverses occasions ; mais je ne puis le faire qu’à une condition : que leur caractère de généralité exprime toute la liberté qui doit rester offerte aux intéressés. Je n’entends par développer ici une « théologie » du baptême, de la cène, du mariage ou de la confirmation ; je l’ai fait ailleurs 69. Ces quelques exemples suffisent en revanche à montrer comment des convictions protestantes et libérales peuvent et doivent se conjuguer avec les exigences de la « discipline ecclésiastique » en matière de sacrements et d’actes pastoraux 70.
PAROISSE ET THÉOLOGIE
La traduction française de Religion biblique et ontologie, de Paul Tillich 71, est sortie de presse à point nommé pour me tirer de ce mauvais pas. Cette brochure de quelque cinquante pages m’a rendu à une compréhension du christianisme située dans une continuité historique considérablement plus longue que ne le supposait ma lecture trop restrictive de Bultmann, et 71 Paris, P.U.F., 1960.
THÉOLOGIES LIBÉRALES PAROISSE ET THÉOLOGIE
COMMENT PAUL TILLICH M’A TIRÉ D’UN MAUVAIS PAS
Au début de mon ministère pastoral en paroisse, sans m’en rendre suffisamment compte, je suis tombé dans le piège de ce qu’il faut bien appeler un certain « bultmannisme », c’est-àdire d’une forme insidieuse d’esprit d’orthodoxie qui consiste à appliquer peu ou prou le même type de réponse à toutes les questions ou situations abordées. Seul pasteur de la paroisse, je devais pour la première fois de ma vie prêcher tous les dimanches, à quoi s’ajoutaient les mariages et les services funèbres. En dépit d’une préparation que je voulais solide et consciencieuse, donc accompagnée d’une attention soutenue aux passages bibliques auxquels se référaient mes prédications, je pris peu à peu conscience que, somme toute, sous des oripeaux verbaux différents, je répétais toujours le même message : toujours j’en venais à tenter de dégager des paroles ou épisodes retenus le « kérygme » qui mettrait les paroissiens en demeure de se décider – en termes bultmanniens, de passer d’une existence « inauthentique » à une existence « authentique ». Dans le fond, j’avais le souci de me tenir sans cesse sur la brèche, comme si le kérygme chrétien n’avait de pertinence ou de réalité qu’à condition d’être toujours tranchant – et de trancher. C’était peut-être du mauvais Bultmann, rendu trop pointilliste, trop événementiel pour les besoins de la cause, mais c’était ainsi : j’éprouvais des difficultés à penser, et donc à dire, les continuités de la vie, du doute et de la foi ; je faisais trop peu cas de l’aspect sapiential du christianisme.
elle m’a incité à relire Der Protestantismus, déjà cité. Dans ces années-là, j’écrivais entièrement mes prédications et je les apprenais par cœur, mais je n’en ai pas conservé les manuscrits : un sermon est fait pour être entendu, non pour être lu et relu. J’en appelle donc à mes souvenirs, peut-être déformants, et j’en retire l’impression que, grâce à Tillich, je me suis mis à tenter d’inscrire plus délibérément ce que j’avais à dire dans le contexte culturel du moment. Sous la pression d’une vision très idéologisée du monde et de la société, dans une situation générale sans cesse dominée par l’opposition de l’est et de l’ouest, la tendance était de ramener toute la culture à des questions d’ordre social ou politique. C’est d’ailleurs le moment où les expressions « théologie politique » et « théologie de la révolution » ont commencé à monopoliser l’attention de larges cercles ecclésiastiques. Mais le social et le politique ne sont pas toute la culture. Il y a aussi la peinture, la musique, le théâtre, le cinéma, la littérature. La « théologie de la culture » de Paul Tillich m’a encouragé à toujours concevoir ma catéchèse et mes prédications, autant que faire se pouvait, en ayant présentes à l’esprit ces différentes formes d’expression. Je l’ai fait et je persiste à le faire dans la conviction que les artistes pratiquent comme personne l’art de dire des aspects essentiels de ce que nous sommes en train de vivre, des choses qui touchent très profondément au sens même de l’existence, et que nos efforts pour penser la foi chrétienne et ses incidences ne sauraient porter tous leurs fruits sans tenir compte de leur apport. Je me rappelle par exemple avoir fait large place, dans plusieurs prédications, à tout ce que Soljénitsyne nous a aidés à comprendre à propos de la servitude et de la liberté en nous faisant participer par l’imagination, dans Le premier cercle, à la condition du « zek » dans l’univers concentrationnaire soviétique. Encore fallait-il bien comprendre Tillich. Des collègues m’interrogeaient à son propos, mais je n’avais pas encore une connaissance assez exacte de son œuvre pour répondre à leur attente. Le hasard des rencontres au sein de l’IARF (voir plus loin) me fit faire la connaissance d’un professeur de l’Université de Leyde (Pays-Bas), L.J. van Holk, qui connaissait personnellement Tillich et savait fort bien le français. Je réussis à faire inviter ce théologien hollandais par la Faculté
de théologie de Lausanne pour y donner une conférence, puis à réunir sans trop de frais une quinzaine de collègues, certains nettement plus âgés que moi, pour passer trois jours à nous initier à la pensée de Tillich. Un autre théologien libéral hollandais, Heije Faber, accepta dans les mêmes conditions fort modestes de nous faire l’année suivante un séminaire sur la relation d’aide telle que les Américains tentaient de la développer par le biais de cours de formation dans des « semestres cliniques pour théologiens » 72. AVEC ANDRÉ MALET
THÉOLOGIES LIBÉRALES PAROISSE ET THÉOLOGIE
72 Voir Heije FABER, Klinische Semester für Theologen, Bern, Haupt, 1965. 73 André MALET, Mythos et Logos. La pensée de Rudolf Bultmann, Genève, Labor et Fides, 1963.
Ce n’était toutefois pas une raison de laisser tomber Bultmann. À Paris, en ou , Pierre Ducros m’avait permis de faire la connaissance d’un professeur de dogmatique catholique qui, encore jeune, venait de passer au protestantisme et préparait une thèse de doctorat en philosophie sur le maître de Marbourg. André Malet, car c’est de lui qu’il s’agit, venait de se marier et gagnait tant bien que mal de quoi vivre chichement en transcrivant en français contemporain le commentaire de Calvin à la Genèse, un travail qui ne l’enthousiasmait guère. Malet était déjà si avancé dans la rédaction de sa thèse et son point de vue sur Bultmann était si englobant que, l’ayant entendu m’en parler, je fus vite convaincu de l’inutilité de poursuivre mes propres recherches sur la démythologisation. La thèse de Malet m’est parvenue sous forme imprimée en août 73. Pour plusieurs d’entre nous, ce fut presque un événement. D’aucuns ont reproché à Malet de n’avoir pas, dans cette étude, suffisamment de recul critique par rapport à l’auteur sur lequel elle porte. Sa réponse a toujours été qu’il n’avait pas de raison d’afficher un tel recul, alors que la pensée de Bultmann était la seule à le satisfaire pleinement sous l’angle de sa compréhension du christianisme. Il m’a d’ailleurs raconté à plusieurs reprises comment, professeur de théologie catholique, il avait été insatisfait des conclusions auxquelles parviennent les exégètes, jusqu’au jour où il avait lu les écrits de Bultmann sur le Nouveau Testament. Sa propre étude sur le maître de Marbourg est en tout cas venue répondre à l’attente de beau-
coup : pour la première fois, un ouvrage exposait toute cette pensée dans notre langue et le faisait sous un angle délibérément systématique. Enthousiaste, un ami me dit alors : « Voilà enfin la dogmatique dont nous avions besoin ! » Comme je l’avais fait pour Tillich, j’organisai une modeste session de trois jours sur la pensée de Bultmann, sous la direction d’André Malet avec qui je n’allais d’ailleurs pas tarder à me lier d’une profonde amitié. L’originalité de Malet est de donner de cette pensée une interprétation qui d’une part écarte d’emblée toute compréhension erronée du postulat de démythologisation, et d’autre part échappe aux étroitesses luthériennes de certains bultmanniens. Quant à la démythologisation, Malet explique très bien qu’il ne s’agit nullement d’extirper la pensée mythique des textes bibliques, mais d’éviter de tomber dans le piège des expressions mythologiques de la foi chrétienne. En d’autres termes, il faut éviter de se laisser prendre à toutes les objectivations dont la foi peut être l’objet, car dans la perspective évangélique il ne s’agit jamais de croire que, mais bien de croire en – une argumentation qui rejoint celle de Ménégoz quand il enjoint de ne pas confondre la foi et la croyance. Cette critique de l’objectivation en théologie constitue la colonne vertébrale de toute l’interprétation que Malet a donnée de la pensée de Bultmann. En revanche, elle ne restitue pas, à mon sens, tout l’accent que Bultmann a mis sur le kérygme et sur le paradoxe absolu de la croix. Malet, à cet égard, nous a donné une interprétation de Bultmann que je qualifie volontiers de spinoziste (au moment où il travaillait sur Bultmann, Malet travaillait également sur Spinoza 74), tandis que je considère comme plus nettement luthérienne et kierkegaardienne l’interprétation qu’en donnent par exemple Pierre-André Stucki et ses émules de Suisse romande. L’interprétation de Malet s’intègre très bien dans une perspective théologique libérale, l’autre revêt plus facilement les aspects d’une nouvelle orthodoxie.
74 Voir André MALET, Le traité théologico-politique de Spinoza et la pensée biblique, Paris, Belles-Lettres, 1966.
« DIEU SANS DIEU »
THÉOLOGIES LIBÉRALES PAROISSE ET THÉOLOGIE
75 Dieu sans Dieu, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1964.
Bultmann et Tillich ont bénéficié d’un fort regain d’attention avec la publication, en , de Dieu sans Dieu, un livre présenté en sous-titre comme le « néo-christianisme d’un évêque anglican », en l’occurrence John A.T. Robinson 75. Le titre et le sous-titre choisis par l’éditeur (catholique) de la version française sont pour le moins fort ambigus, pour ne pas dire pervers. Le titre anglais, Honest to God, implique au contraire un souci de grande honnêteté dans le traitement des questions touchant à Dieu. Or ce livre destiné au grand public a suscité la controverse, non parce qu’il serait malhonnête, mais parce que son parti pris d’honnêteté conduit son auteur à remettre en question des éléments de la doctrine reçue que d’aucuns tiennent pour intouchables. On ne lui a donc pas tellement reproché de se vouloir honnête envers Dieu, mais de ne pas se contenter de reprendre « honnêtement » à son compte la doctrine traditionnelle, comme s’il était plus important d’être fidèle aux dogmes ecclésiastiques que franc envers Dieu lui-même. Avec quelques amis, nous ne nous sommes pas tellement réjouis du livre en tant que tel (le niveau de sa réflexion théologique laisse plusieurs fois à désirer), mais de la controverse à laquelle il a donné lieu : il a obligé les orthodoxes comme les libéraux à sortir du bois et à prendre position sur des points essentiels. Or cela intéresse directement les fidèles sur le terrain : eux aussi ont tout intérêt à débarrasser leur cœur et leur esprit des images de Dieu qui les empêchent d’être à leur tour « honest » envers lui. La « Lettre ouverte à John A.T. Robinson » que mon ami Jean-Jacques Maison, passé lui aussi par l’Oratoire du Louvre, publia à ce momentlà dans les colonnes du Protestant rencontra des échos tant du côté des pasteurs (il fut invité à en parler dans plusieurs rencontres pastorales) que de monsieur-et-madame-tout-lemonde. Ce fait montre bien l’intérêt qui peut être celui de tout un chacun pour les questions de cet ordre et pour une manière ouverte de les aborder.
QUELQUES RÉSEAUX DU PROTESTANTISME LIBÉRAL
J’étais à peine rentré dans mon Église d’origine que le Conseil œcuménique des Églises (COE) entreprit en de préparer les esprits à l’adoption d’une nouvelle « base théologique » expressément trinitaire. Cette modification devait permettre l’adhésion des Églises orthodoxes orientales à cette vaste organisation.
THÉOLOGIES LIBÉRALES QUELQUES RÉSEAUX DU PROTESTANTISME LIBÉRAL
La base théologique de selon laquelle le COE est « une association fraternelle d’Églises qui acceptent notre Seigneur Jésus-Christ comme Dieu et Sauveur » avait déjà prêté à contestation. Rudolf Bultmann avait signalé combien l’interprétation du verset biblique invoqué pour l’étayer (Tite :) peut être sujette à caution. Les choses s’aggravent encore lorsqu’on se réclame de ce verset pour soutenir la doctrine, pourtant si contestable, de la déité métaphysique du Christ. Lors de l’Assemblée constitutive d’Amsterdam () qui avait entériné ce libellé, la Fédération des Églises protestantes de la Suisse avait de son côté précisé dans une lettre que la base en question ne saurait limiter la liberté doctrinale en usage dans les Églises cantonales de son ressort. Dans le courant du XIX e siècle, les Églises suisses ont en effet toutes renoncé à imposer une confession de foi à leurs pasteurs et à leurs fidèles ; seule l’Église protestante de Genève est revenue sur cette décision, mais partiellement et très récemment. La modification de aggrave le problème : « Selon les Écritures, [les Églises membres du COE] s’efforcent de répondre ensemble à leur commune vocation pour la gloire du seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. » L’expression est ambiguë : on ne sait pas au juste si la conformité aux Écritures porte sur la vocation commune des Églises ou sur la formule expressément et volontairement trinitaire qui la conclut. En fait, c’est bien la doctrine trinitaire qui est en jeu, comme le montre le fait que l’adhésion au COE demeure fermée aux
CONTROVERSE SUR LA BASE THÉOLOGIQUE DU COE
Églises unitariennes, en particulier à l’Église unitarienne de Transylvanie qui est pourtant dans ce pays l’une des Églises issues de la Réforme. La participation des Églises protestantes de Suisse au COE n’a toutefois pas été remise en cause bien que personne, en leur sein, ne soit tenu de souscrire au dogme trinitaire et qu’un nombre respectable de pasteurs n’y souscrivent effectivement pas. Au début de , des fervents de la cause œcuménique se sont évidemment empressés de publier dans la presse religieuse helvétique des articles pour persuader les fidèles, non seulement de la justesse politique de la décision à prendre à cet égard par l’Assemblée de la Nouvelle-Dehli, mais aussi de son bien-fondé théologique. Fallait-il laisser dire ? C’eût été accepter une grave restriction à la liberté doctrinale en usage dans l’Église au sein de laquelle j’exerçais mon ministère. Je sautai donc sur ma plume pour contester que la formule trinitaire en question soit biblique, voire théologiquement nécessaire, et rappeler les réserves que mon Église devait continuer d’observer à son endroit. D’autres y pensaient aussi et le Conseil de la Fédération des Églises protestantes de la Suisse fut bien obligé de rappeler par écrit au COE le principe dont elle avait déjà fait état en . PROBLÈMES DE STRUCTURES ECCLÉSIASTIQUES
Publié par Le Semeur vaudois, hebdomadaire de l’Église réformée vaudoise, mon article retint l’attention des pasteurs expressément libéraux qu’elle comptait dans son sein. Leur souci, à ce moment-là, était surtout de maintenir le caractère multitudiniste de l’Église vaudoise, c’est-à-dire en particulier le fait qu’elle n’a pas de registre de ses membres et s’interdit de distinguer entre les croyants et ceux qui ne le sont pas, cela face aux velléités de professionisme (est membre de l’Église celui qui adhère à une profession de foi, même fort sommaire) qui se faisaient jour dans les tractations destinées à préparer la réunification des deux Églises nationale et libre séparées depuis . Ces pasteurs avaient constitué un groupe d’« Études ecclésiastiques » doté d’un bulletin ronéotypé 76 et animé par mon ancien maître Henri Germond et par Jacques Menthonnex qui, avant la guer76 Ce bulletin, Études ecclésiastiques, compte 22 numéros, publiés de mai 1960 à décembre 1968. Son dernier rédacteur responsable a été mon ami …/…
À vrai dire, le groupe d’Études ecclésiastiques ne me satisfaisait que modérément. Le libéralisme théologique de la plupart de ses membres n’avait ni l’envol ni l’inventivité que j’attendais d’eux. Trop d’entre eux me semblaient exagérément attachés à la défense d’un statu quo, comme si ce à quoi ils tenaient allait être submergé par la vague orthodoxe ou confessante au cas où ils lui feraient quelque concession que ce soit. Il y manquait un effort de pensée suffisamment soutenu et surtout l’ouverture sur d’autres problèmes que ceux de la seule Église réformée du canton de Vaud. Le service militaire, mais oui (!), est venu m’offrir très fortui(suite de la note 76) Jean-Jacques Maison. Dans la dernière livraison, un article de ma plume s’intitule « L’imagination au pouvoir » (sic !). 77 Lukas VISCHER, Der schweizerische evangelische Kirchenbund, Bund oder Kirche ?, Zürich, EVZ, 1962. Ed. française : Genève, Labor et Fides, 1964.
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M A X U L R I C H B A L S I G E R et les protestants libéraux alémaniques
re, avait été au service de La Cause, à Paris. Ils m’invitèrent à les rejoindre et me chargèrent bientôt d’une étude critique de la brochure que Lukas Vischer venait de publier sous le titre La Fédération des Églises protestantes de la Suisse : Fédération ou Église ? 77 À la question que lui-même posait, ce fervent de la cause œcuménique répondait que la Fédération en question ne peut pas être une Église aussi longtemps qu’elle garde une structure fédérative laissant aux Églises membres toute leur autonomie de décision ; il plaidait pour l’adoption d’une confession de foi plus ou moins normative. Ma réplique fut au contraire de montrer que ladite Fédération n’est à sa manière une Église, et ne peut censément l’être, qu’à la condition de conserver une structure fédérative et de maintenir la liberté doctrinale en son sein. Sur ce point, l’opposition entre Lukas Vischer et moi est fondamentale ; elle l’est restée en dépit des discussions que nous avons pu avoir par la suite. En matière d’ecclésiologie et d’œcuménisme, je n’ai en effet jamais été convaincu de la nécessité, tant théologique que stratégique, de parvenir à une unité institutionnelle, doctrinale et liturgique. Car, comme Jacques Menthonnex ne cessait de le répéter, « quand les divergences sont de bonne foi, elles ne sauraient être tenues pour scandaleuses. » Le scandale consisterait au contraire à les camoufler par raison d’Église, tout comme il y a des raisons d’État.
tement les contacts dont j’avais besoin. Je venais d’être promu aumônier militaire et étais affecté à la desserte d’une école de recrues. Je dus y accomplir plusieurs jours de service « en campagne », dans le Toggenbourg, la vallée où le réformateur Ulrich Zwingli était né. Je partageais une chambre avec Max Ulrich Balsiger, un pasteur bernois germanophone que je n’avais encore jamais rencontré. Dans les moments de repos, je lisais un petit ouvrage de Bultmann qui venait de sortir de presse dans sa version allemande : Jesus Christus und die Mythologie 78. Je l’avais laissé traîner sur ma table de nuit. À mon retour en chambre, mon camarade d’occasion me dit sur l’air de la plus profonde stupéfaction : « Tu lis du Bultmann ? » À quoi je répondis : « Oui, pourquoi ? cela te gêne ? » Je craignais d’être tombé sur un orthodoxe ou un évangélique vouant Bultmann aux gémonies. Sa réplique me rassura : « Non, pas du tout, au contraire. Mais je suis étonné qu’un pasteur vaudois lise du Bultmann. On n’a cessé de nous répéter depuis des années qu’il n’y avait plus du tout de libéraux dans ce canton. » Ma duplique coula de source : « Non seulement il y en a, mais tu en as un devant toi ! » La conversation ne tarda pas à devenir intense. Je découvris que mon ami Balsiger (car il est vite devenu l’un de mes amis les plus chers) n’était pas seulement libéral, mais qu’il appartenait à tout un réseau de pasteurs alémaniques de cette tendance et qu’il était l’une des têtes pensantes de la « fraction » libérale au sein du Synode réformé bernois. Max Ulrich Balsiger m’a très rapidement fait inviter par le cercle des libéraux bernois. J’y fis la connaissance, entre autres, d’Ulrich Neuenschwander qui était chargé d’un enseignement de dogmatique à la Faculté de théologie de Berne et allait y devenir professeur ordinaire. Dix ans auparavant, il avait publié une mise au point dont le titre, Die neue liberale Theologie 79 (La nouvelle théologie libérale), retint bien sûr mon attention. Neuenschwander avait été fortement marqué par l’enseignement de Martin Werner, donc aussi par la pensée de Schweitzer ; mais son exploration sur les chemins d’un libéralisme théologique renouvelé incluait aussi de fortes références à Bultmann et à Tillich. Nous nous sommes très 78 Hamburg, Furche, 1964. 79 Bern, Stämpfli, 1953.
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80 Baden, Merker, 1997. Ce titre pourrait être traduit ainsi : « Points d’intersection, une âme sur les traces d’Albert Schweitzer ».
vite retrouvés sur des longueurs d’onde communes. De proche en proche, je fus aussi amené à rencontrer des ressortissants d’autres cantons, cela par le biais de l’Union Suisse pour le Christianisme Libéral. En français, ce titre est à mi-chemin de l’appellation allemande : les Alémaniques parlent de « christianisme » là où les francophones disent le plus souvent « protestantisme », et plutôt que « libéral » ils préfèrent dire « libre », tout simplement (Schweizer Verein für Freies Christentum). Je rencontrai ainsi des libéraux bâlois qu’agaçait la théologie de Karl Barth et son influence dans leur ville ; des libéraux du bassin théologique zurichois, très attachés à la dimension humaniste de l’héritage zwinglien ; et puis tout un groupe des Grisons, particulièrement actif et bien présent dans son Église cantonale. Emmené, entre autres, par Peter Dalbert, le groupe grison avait des contacts étroits avec les Unitariens d’Europe centrale et avait réussi à faire venir en Suisse, pour un séjour de reprise de souffle, l’évêque unitarien de Budapest Imre Filep, qui s’était même vu confier la conduite d’une paroisse le temps de quelques semaines. J’ai rencontré Filep à quelques reprises : un homme de très grande classe qui savait incarner la dignité de la liberté religieuse dans un pays qui ne la respectait guère à ce moment-là. C’est dans le groupe grison que j’ai rencontré Peter Niederstein, lui aussi très marqué par la pensée de Tillich et celle de Schweitzer. Il en a rendu compte récemment dans un livre de souvenirs qu’il a conçu, précisément, comme un hommage à cet inspirateur de sa pensée : Schnittpunkte – Albert Schweitzer mit der Seele suchend 80. Cet ami très cher jouit aujourd’hui d’une réelle autorité en matière théologique dans l’Église de son canton d’adoption (d’origine allemande, il a obtenu la nationalité suisse). Il peut se prévaloir d’exercer le ministère pastoral dans une paroisse, celle de Tamins, où l’un de ses prédécesseurs fut le théologien Leonhard Ragaz, le représentant le plus marquant du christianisme social en Suisse alémanique. Plus tard, dans les années , Peter Niederstein a présidé l’Union suisse pour le Christianisme libéral. Lui et moi avons saisi cette occasion pour organiser à Genève, sous la houlette de ladite Union, deux congrès européens de théologie protestante et
libérale : en sur « La religion imparfaite » et en sur « La pensée, une exigence chrétienne pour aujourd’hui » 81. Ces deux titres indiquent bien la perspective dans laquelle se situent d’ordinaire les protestants libéraux européens. Tandis que les libéraux de mon canton étaient trop souvent des êtres volontiers timides et presque honteux de reconnaître ouvertement leur appartenance à ce courant de pensée, mes amis alémaniques et ceux des Grisons tout particulièrement n’ont jamais hésité à affirmer clairement leur position. Leur exemple et leur simple présence nous a certainement aidés, quelques amis et moi, à mieux tenir le coup dans une situation où les cercles orthodoxes ne cessaient d’entretenir de la méfiance envers ce que nous représentions. LES PROTESTANTS LIBÉRAUX DE GENÈVE
À peine avais-je pris ces contacts avec la Suisse alémanique que des problèmes relatifs à la présence des libéraux dans la presse religieuse (j’y reviendrai plus loin) nous conduisirent à entrer plus délibérément en relation avec les milieux du protestantisme libéral genevois. Le premier contact eut lieu au printemps de , dans un restaurant proche de la Place Neuve. D’emblée, l’atmosphère fut ouverte et chaleureuse. Un homme, à la fois précis et discret, tenait manifestement la barre : Ferdinand Cusin, un haut fonctionnaire de la République et Canton de Genève. En sa qualité de président de l’Union protestante libérale, il avait fermement appuyé l’action de l’« Association pour l’Église nationale protestante ouverte », fondée pour défendre la légitimité d’une présence libérale dans le corps pastoral de la paroisse genevoise de Saint-PierreFusterie – une présence que cherchait à éliminer la fraction orthodoxe. Au moment de notre première rencontre, Ferdinand Cusin venait de reprendre au pied levé la rédaction du Protestant, un périodique fondé en pour contrer l’exclusivisme doctrinal des milieux revivalistes et illustrer ce qui, à ce moment-là, était en 81 Au congrès de 1985, les conférences les plus marquantes ont été à mon sens celles d’André Gounelle sur « Imperfection de Dieu ? », d’Arthur J. Long (Manchester) sur « La nécessité de l’agnosticisme chrétien » et de E.-J. Kuiper (Leyden) sur « Langage et religion imparfaite » ; au congrès de 1989, celles de Ursi Tanner-Herter (Furna, canton des Grisons) sur « Le devoir de penser dans l’exercice du pastorat » et de William McMillan (Belfast) sur « Penser, un défi pour les chrétiens en Irlande du Nord.»
ET L’OUVERTURE AUX AUTRES RELIGIONS
C’est sur une intervention de Jean Schorer et avec l’aide de fonds genevois que m’a été offerte l’occasion de participer à Londres à un congrès de l’Association internationale pour le christianisme libéral et la liberté religieuse. Internationalement, elle est plus connue sous son titre abrégé anglais : International Association for Religious Freedom (IARF). L’allusion au christianisme libéral a été abandonnée en pour des raisons sur lesquelles je vais revenir. Cette association a été fondée dans cette même ville de Londres en , lors d’un rassemblement auquel avaient pris part quelques-uns des théologiens les plus notables du moment. Cette présence des plus grands noms de la théologie protestante a été encore plus marquée lors du congrès de Berlin en ; parmi les orateurs, on relève les noms des Allemands Baumgarten, Bousset, Dorner, 82 Stefan ZWEIG, Castellion contre Calvin, ou conscience contre violence, Paris, Grasset, 1946. 83 On trouve de nombreuses indications d’ordre historique dans un livre dont l’interprétation générale du mouvement, dominée par un curieux monisme universalisant, est par ailleurs fort sujette à caution : Elke SCHLINCK-LAZARAGA, Wiedergeburt schöpferischer Religion im Weltbund für religiöse Freiheit. I. Geschichte des Weltbundes, malheureusement sans date ni mention de l’éditeur.
THÉOLOGIES LIBÉRALES QUELQUES RÉSEAUX DU PROTESTANTISME LIBÉRAL
L’ASSOCIATION LIBÉRALE INTERNATIONALE
train de devenir le libéralisme protestant. À ses côtés, on trouvait des gens très proches, en fait de spiritualité, du groupe « Foi et Vérité » animé par Auguste Lemaître, et d’autres qui étaient très marqués par le ministère de Jean Schorer, ancien pasteur de Saint-Pierre, connu pour son éloquence de feu, mâtinée d’accent alémanique, au service d’un Évangile aussi libéral que social. C’est Schorer qui avait poussé Stefan Zweig à écrire son Castellion contre Calvin 82. Je le vois encore me prendre par la cravate et me dire : « Il faut que vous repreniez le flambeau ! » Ces amis genevois ont toujours eu de la peine à comprendre que nous ne voulions pas former au sein de l’Église réformée vaudoise une sorte de parti ecclésiastique et ne cherchions pas à fonder une Union protestante libérale comme celle de Genève : nous voulions épargner à notre Église cantonale des clivages de partis. Mais les amis genevois ne nous ont jamais tenu rigueur de ces réserves et je leur dois cet hommage : leur accueil et leur appui ont toujours été sans failles.
Harnack, Lipsius, Titius, Troeltsch, Weinel et Wobbermin, et deux Français : Paul Sabatier et Hyacinthe Loyson 83. Pour participer au congrès de à Londres, j’appris en toute hâte quelques éléments de la langue de Shakespeare, mais encore bien insuffisants pour me permettre de participer aux débats, et me retrouvai en compagnie de Peter Dalbert, qui allait être élu président de l’IARF pour trois ans, et de quelques autres Alémaniques. Du côté francophone, il y avait bien sûr Georges Marchal qui était alors membre du Conseil de l’IARF et qui fit tout pour m’introduire auprès de ses amis Américains, Anglais, Hollandais et d’Europe centrale ; une fois de plus, il m’a ouvert bien des portes. Je découvris bien vite le très grand poids que les UnitariensUniversalistes américains avaient au sein de l’IARF, tant du fait de leur nombre que du soutien financier qu’ils apportaient à l’organisation. Certains d’entre eux ne cachaient pas qu’ils tenaient le christianisme pour une religion « dépassée » et s’étonnaient que la plupart des protestants libéraux européens se déclarent encore aussi expressément chrétiens. À cela s’ajoute le fait que, conformément aux ouvertures que le protestantisme libéral a toujours voulu avoir du côté des autres religions, l’IARF avait dès ses origines souhaité et obtenu la participation active de personnalités libérales appartenant à l’une ou l’autre des grandes religions non chrétiennes, en particulier l’hindouisme et le bouddhisme. Aussi cette configuration interne de l’IARF rendait-elle de plus en plus sujette à caution, en tout cas aux yeux des Unitariens-Universalistes, la première partie de son titre. Pour éviter de trop fortes tensions au sein de l’Association, Peter Dalbert, qui la connaissait bien pour avoir participé à tous ses congrès depuis dix-sept ans, proposa de laisser tomber la première partie du titre et son allusion expresse au « christianisme libéral ». C’est le congrès de Boston, en , qui, sous sa présidence, a entériné cette décision. Pour les chrétiens libéraux européens, l’intérêt de cette modification était et demeure de n’avoir plus à se situer seulement par rapport à des orthodoxes, mais aussi à des libéraux d’autres religions ou à des Américains qui, comme Donald S. Harrington, de New York, se prévalaient de célébrer des cultes auxquels participaient sur pied d’égalité des chrétiens, des musulmans,
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84 Il existe en Allemagne des Freireligiöse Gemeinden qui entendent être religieuses, tout en ne se rattachant pas expressément à une Église chrétienne historique.
des hindouistes, des bouddhistes et même des athées. Qui, dans ces conditions, est en effet le libéral par rapport à qui ? Et pourquoi l’est-il ou ne l’est-il pas ? Ou encore, que signifient dans un tel contexte des références au christianisme beaucoup plus variées ou plus distendues que je ne m’y attendais ? Je n’ai jamais trouvé de réponse définitive ou même satisfaisante à ces questions, mais l’essentiel est que l’IARF m’ait obligé à me les poser et qu’elles continuent à faire en moi leur chemin. Deux souvenirs me reviennent à l’esprit qui concrétisent le choc que peut représenter cette confrontation directe avec d’autres manières de concevoir la conjugaison du libéralisme et de la religion. Au congrès IARF de Heidelberg, en , le groupe des délégués français et suisses, dont je faisais partie, fut carrément choqué par une célébration interreligieuse où eut lieu ce qui nous apparut comme une parodie de la cène chrétienne. Nous décidâmes de nous abstenir et de marquer notre distance envers ce qui était en train de se passer. Mais un Allemand, qui se voulait à la fois religieux et libre de tout assujettissement à une organisation chrétienne 84, nous demanda de quel droit nous nous permettions de revendiquer pour le seul christianisme l’usage d’un symbolisme aussi universel que la commensalité. Il avait d’autant plus raison que, de fait, dès ses origines la commensalité de la cène a eu des traits communs avec celle d’autres religions présentes dans le bassin méditerranéen au Ier siècle. Au retour d’une session du Conseil de l’IARF, je me trouvai pendant tout un trajet de chemin de fer en compagnie d’un hindouiste qui, lui aussi, se disait libéral, mais au nom de sa propre religion. La conversation s’engagea sur le thème de l’expérience religieuse. Il voulut me persuader que, si mon expérience religieuse était digne de ce nom, elle était nécessairement identique à la sienne. Je lui répondis que je n’en savais rien ni lui non plus, ce qui était une manière polie de douter du bien-fondé de son affirmation. J’étais en effet persuadé, et je le reste, que l’expérience religieuse (si l’on tient à ce terme lourd d’ambiguïtés) se structure différemment
d’une religion à l’autre. Mon interlocuteur ne voulut pas démordre de son point de vue. J’en conclus qu’il se faisait de la religion une conception dangereusement impérialiste ; mais je me gardai de le lui reprocher trop franchement, d’abord parce qu’il ne m’aurait visiblement pas compris, ensuite parce que je pris vivement conscience, à cette occasion, du caractère non moins impérialiste de nombreuses manières chrétiennes de concevoir la rencontre entre religions. L’inconvénient de la décision prise par le congrès IARF de Boston n’en reste pas moins que les libéraux des différents pays d’Europe, des différents continents et des différentes confessions chrétiennes ont perdu l’organisation qui leur donnait l’occasion de se rencontrer sous le signe précisément du christianisme libéral. Nous avons bien essayé d’y remédier, par exemple avec les deux congrès genevois de et organisés avec Peter Niederstein et auxquels j’ai déjà fait allusion, ou encore avec la mise sur pied toute récente, sur l’initiative de protestants libéraux hollandais, d’un European Liberal Protestant Network, à vrai dire encore très modeste. Mais rien n’a réellement remplacé l’ancienne « Association internationale pour le christianisme libéral ». Considérée sous cet angle, l’IARF est tentée de ne plus s’intéresser qu’à des causes de parfum humaniste à la mode et pâtit, à nos yeux de protestants européens, d’un grave déficit quant au débat d’idées et aux exigences d’ordre intellectuel, aussi avons-nous pris quelques distances à son égard, mais sans rompre les ponts pour autant. Bien des choses peuvent encore changer en son sein. Cela dit, je ne dois pas être ingrat. L’IARF m’a ouvert de larges horizons, surtout dès le moment où, en , j’ai été élu à son Conseil en remplacement à la fois de Georges Marchal et de Walter Ammann, un compatriote de Suisse alémanique. Cette réduction de moitié était voulue : il s’agissait de restreindre l’influence jusqu’alors prépondérante des chrétiens et des Européens au sein de l’Association. Dans l’ensemble, les Américains membres de ce Conseil me laissent le souvenir de s’être préoccupés surtout du bon fonctionnement de l’organisation et de son financement, mais fort peu d’en faire un lieu de réflexion susceptible de donner ou de restituer à la mouvance libérale le prestige intellectuel et culturel qui avait été le sien au début du XX e siècle.
THÉOLOGIES LIBÉRALES QUELQUES RÉSEAUX DU PROTESTANTISME LIBÉRAL
Quelques Européens de haut vol n’en étaient pas moins là, et je garde un grand souvenir des heures passées en leur compagnie : Renate Albrecht qui, travaillant à la traduction en allemand des œuvres de Tillich éditées en anglais, l’avait souvent rencontré et m’a aidé à me faire de lui un portrait moins livresque ou abstrait que celui que j’avais à l’esprit ; William McMillan, pasteur de la Non-subscribing Presbyterian Church of Northern Ireland, à Belfast, dont la voiture avait été mitraillée tandis qu’il se rendait à l’aéroport pour rejoindre l’une de nos sessions et que son attitude ouverte et authentiquement libérale exposait à l’incompréhension des protestants intransigeants comme à celle des catholiques ; Heinz Schlötermann, à la fois philosophe et théologien, qui n’avait jamais eu aucune complaisance pour le nazisme et que son libéralisme théologique avait poussé à se joindre à une communauté de libres croyants plutôt qu’à l’une des Églises protestantes officiellement reconnues ; Lajos Kovács, évêque unitarien de Kolozsvár (Cluj) en Transylvanie, qui m’a souvent fait saisir à demi-mots la difficulté, les périls, les inévitables ambiguïtés et la nécessité d’une telle fonction sous le régime communiste et totalitaire de ce temps-là. Et puis, parallèlement aux rencontres du Conseil proprement dit, j’ai pu faire la connaissance de personnalités qui, elles aussi, balisent à leur manière mon itinéraire sur les traces de la théologie libérale : James Luther Adam, qui avait secondé Tillich lors de ses premiers pas dans le Nouveau Monde et qui a été l’un des théologiens américains les plus écoutés de l’aprèsguerre ; Benjamin Downing, qui était l’une des têtes pensantes des Unitariens anglais (à ne pas confondre avec les unitariensuniversalistes américains) et qui a été l’un des fondateurs du mouvement « Exit » pour l’assistance aux personnes désirant en finir avec une existence terrestre devenue intolérable ; Arthur J. Long, qui dirigeait le collège unitarien de Manchester (UK) et qui, vers , m’a aidé à établir des relations durables (un link) entre la Faculté de théologie de l’Université de Lausanne et celle de l’Université de Manchester. Avec eux, grâce à eux, y compris grâce aux Américains qui me décevaient sur le plan de la pensée, ma perception du protestantisme libéral s’est beaucoup diversifiée ; elle s’est élargie à des contextes culturels et même dénominationnels que je
connaissais mal ou que je n’avais pas encore suffisamment pris en considération. Et quand je pense à eux aujourd’hui, mon horizon s’élargit encore. Aussi n’en regrettè-je que davantage les manœuvres occultes d’un apparatchik qui supportait mal ma résistance à ses intrigues et réussit en à faire mettre un terme à ma participation active à l’IARF.
LA PRESSE ET LES LIVRES
Le protestantisme, religion de la parole vive, n’a que trop tendance à se muer en religion du Livre, et même des livres et du papier imprimé. Il n’empêche que, dans notre forme d’Églises et de société, surtout avant l’existence d’Internet, on voit mal comment des opinions auraient droit de cité si elles ne disposent pas de journaux et de livres pour se forger, s’exprimer, se faire connaître.
85 Lausanne, Galland, 1973.
THÉOLOGIES LIBÉRALES LA PRESSE ET LES LIVRES
Dès la fin de , des menaces se sont mises à planer sur Le Semeur vaudois, le périodique auquel j’ai déjà fait allusion. Cet hebdomadaire offrait le très grand avantage d’être largement ouvert à toutes les tendances théologiques, et ses rédacteurs successifs y veillaient scrupuleusement. Mais on allait le saborder au profit de La Vie protestante, un autre hebdomadaire publié à Genève, lancé quelque vingt ans plus tôt par des milieux hostiles au libéralisme théologique. Allions-nous y perdre notre possibilité, donc aussi notre liberté, d’expression ? Je m’en ouvris au groupe d’Études ecclésiastiques et proposai, au printemps de , de prendre contact avec les milieux qui publiaient Le Protestant, organe des protestants libéraux genevois. Tous ne furent pas convaincus du bien-fondé de ma proposition ; certains craignaient d’être desservis par la « mauvaise réputation » (sic !) de ce journal. Mais je n’avais que faire de ces réserves et précautions, et un membre du groupe, nettement plus âgé que moi, s’empressa de soutenir ma démarche : Georges-Émile Delay – encore un homme à qui je dois énormément. Pasteur entièrement adonné à l’exercice de ses fonctions, il entretenait de nombreux contacts dans le monde littéraire. Il avait publié deux romans et tenait un volumineux journal dont, à ma demande, de larges extraits ont été publiés après sa mort survenue subitement en ; ce Journal d’un pasteur 85, comme nous l’avons appelé, est à mon sens un document-clef pour qui veut comprendre ce
LE DÉBUT DE MA COLLABORATION AU PROTESTANT
qu’est une conception libérale du ministère pastoral, dans des conditions certes différentes de celles que nous connaissons aujourd’hui, mais peu importe. Trois hommes tenaient en mains les destinées du Protestant : Ferdinand Cusin, déjà cité, Georges Bobillier, chargé des finances, et le pasteur Robert Stahler qui, en , s’était lancé dans l’aventure d’un Protestant au format journal, cela pour mieux faire pièce à La Vie protestante. Ils étaient riches de toute une expérience de combat et de résistance théologique dans un environnement ecclésiastique dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’a pas toujours été des plus aimables à leur endroit. Mais, bien que les antagonismes théologiques soient parfois parmi les plus irréconciliables, ces trois hommes ont fini par conquérir le respect de leurs adversaires eux-mêmes. Du côté vaudois, Georges-Émile Delay et moi avons pu compter sur la complicité et la collaboration d’amis fidèles de ma génération : Jean-Jacques Maison, Jean-François Rebeaud, Claude Schwab. Ils n’ont pas craint d’être étiquetés « libéraux », et surtout ils ont pris la plume. Misant sur la qualité des opinions, mais sans perdre le sens de la polémique quand elle est nécessaire, nous avons réussi à désamorcer une bonne partie des préventions qui desservaient la réputation du Protestant, souvent dans les rangs de gens qui ne l’avaient jamais lu. Tout comme la presse quotidienne, la presse religieuse destinée à un large cercle de lecteurs exige de ses collaborateurs un style d’écriture facilement accessible, même quand il s’agit de sujets difficiles. Du coup, on doit aussi être plus clair dans ses idées, renoncer à camoufler dans des périphrases alambiquées ses opinions peut-être les plus contestables ou les plus contestées. Georges-Émile Delay avait derrière lui quelques publications d’articles théologiques de très grande qualité. Il travaillait avec le Littré à portée de main. Il avait l’art de pourchasser les phrases mal construites, les tournures déficientes, les expressions peu satisfaisantes, et m’a rendu le service insigne d’attirer impitoyablement mon attention sur tous les passages de mes articles qui demandaient à être revus. Ce châtiment de la langue était en même temps un châtiment de la pensée, une excellente école ! Et puis, il avait la droiture parfaite de l’homme qui ne cède pas quant à ce qu’il juge être juste et vrai. Avec Robert Stahler, Ferdinand Cusin et
Les grands articles du Protestant occupent dans la règle une page de journal. Même remarque pour Évangile et Liberté. C’est suffisant pour aborder une question de fond, mais ce ne l’est pas pour la traiter sous tous ses aspects. Et puis, un article de journal ne permet d’aborder qu’une question à la fois, d’où une démarche intellectuelle un peu pointilliste, sans continuité suffisante. D’autre part, qu’est-ce qu’un mouvement théologique dont la contribution se limiterait à des articles de ce type, sans donner lieu à des productions de plus grande envergure ? Avec mes amis Maison et Schwab, nous sentions la nécessité de disposer aussi d’une petite collection de livres. Mais comment y parvenir, d’autant que, à ce moment-là, les deux principales maisons d’édition protestantes étaient quasiment verrouillées par des responsables de tendance plutôt orthodoxe (la publication du livre de Malet sur Bultmann par Labor et Fides faisait figure de glorieuse
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« A L E T H I N A » : une belle aventure théologique
Georges-Émile Delay, j’ai eu affaire à des mentors d’autant plus efficaces qu’ils étaient profondément amicaux. La collaboration régulière au Protestant, commencée en octobre , m’a conduit à renouer contact avec les milieux protestants libéraux français, en particulier avec le comité présidant aux destinées du mensuel Évangile et Liberté. Les deux publications sont pour ainsi dire « cousines » et s’épaulent souvent l’une l’autre. Le rédacteur en chef de l’organe français était à ce moment-là Paul Richardot, entouré d’une équipe qui comptait dans ses rangs André Gounelle (il y était alors un nouveau venu) et un petit groupe de laïcs dont je n’évoque jamais le souvenir sans émotion. Ils m’ont souvent invité à leurs rencontres et j’ai vécu en leur compagnie des heures aussi riches en échanges intellectuels que chaleureuses par l’amitié qui les caractérisait. Le milieu d’Évangile et Liberté, avec les « journées libérales » qu’il organise annuellement depuis des décennies, est pour moi un prolongement dans le temps et dans l’espace de ce que j’ai trouvé à l’Oratoire du Louvre. Avec Jean-Jacques Maison, JeanFrançois Rebeaud et Claude Schwab, nous n’avons d’ailleurs jamais manqué de cultiver nos relations avec ce réseau dont ne nous séparent que les crêtes du Jura.
exception) ? Le pas décisif a été franchi en novembre , tandis que mon ami Laurent Gagnebin était chez nous pour une soirée à parler de tout et de rien. Lausannois au temps de ses études, Gagnebin avait lui aussi été suffragant à l’Oratoire du Louvre et était maintenant pasteur au Foyer de l’Âme, aux côtés de Georges Marchal. Il était passé minuit quand s’est imposée à nous l’idée que la seule solution était de réunir une équipe d’amis de notre génération, formée à parts plus ou moins égales de Français et de Suisses, si possible avec une participation belge, et de lancer une collection théologique à l’usage du grand public. Notre première rencontre a eu lieu à Paris, dans la sacristie du Foyer de l’Âme, en avril . Il y avait là les amis suisses que je viens de citer et, du côté français, Laurent Gagnebin, André Malet que j’étais heureux de retrouver et qui fit d’emblée cause commune avec nous, et André Gounelle que je rencontrais pour la première fois et qui venait de commencer un enseignement en théologie systématique à la Faculté de théologie protestante de Montpellier. Entre nous, la complicité fut immédiate, doublée d’une farouche volonté d’aboutir. Notre programme : éditer de petits ouvrages d’une centaine de pages, mais sans jamais nous contenter de ce seul travail d’édition ; nous devions aussi nous adonner ensemble à un sérieux effort de réflexion théologique. Mais comment régler le problème de l’édition proprement dite ? Un heureux concours de circonstances avait voulu que Jacques Menthonnex, déjà cité, nous invite, ma femme et moi, à passer une soirée en compagnie du notaire Edmond Bertholet qui se passionnait pour la philosophie des sciences, dite aussi « philosophie ouverte », de Ferdinand Gonseth ; il était même sur le point de mettre la dernière main à un ouvrage synthétique sur cet auteur 86. Les points communs entre l’attitude générale de la théologie libérale et la philosophie de Gonseth sont nombreux, en particulier le principe selon lequel « jamais la valeur d’une existence ne pourra être épuisée par une explication déterminée », ce qui implique une méthode d’« ouverture à l’expérience ». À peine avions-nous fait connaissance qu’Edmond Bertholet et moi éprouvâmes le besoin de nous rencontrer pour d’autres discus86 Voir Edmond B ERTHOLET, La philosophie des sciences de F. Gonseth, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1968.
sions. J’en devins certain que notre projet d’édition était de nature à l’intéresser, avec cet avantage supplémentaire : il venait de contribuer très largement à la fondation des éditions L’Âge d’Homme et y avait beaucoup d’influence. Grâce à lui, immédiatement intégré à notre équipe, l’étonnant Vladimir Dimitrijevic accepta de prendre en charge la collection dont nous rêvions bien que ses convictions d’orthodoxe serbe l’aient rendu un peu réticent envers notre libéralisme protestant ; mais il a toujours défendu la liberté de penser et de publier quelles que soient ses convictions personnelles, et nous en avons bénéficié. UNE COLLECTION ET DES COLLOQUES
THÉOLOGIES LIBÉRALES LA PRESSE ET LES LIVRES
Une collection allait donc voir le jour, elle avait besoin d’un nom. Nos hésitations témoignent du contexte de l’époque : un titre dans lequel apparaîtrait le mot « libéral » nous semblait susceptible de nous aliéner d’emblée la sympathie de lecteurs potentiels ; quant au mot « religion », la critique barthienne l’avait tellement déconsidéré (à tort, comme si le christianisme n’était pas une religion parmi d’autres !) que nous ne nous sentions pas encore en mesure de relever le gant. Nous avions d’abord opté pour Aletheia, mot grec signifiant « vérité ». Mais il nous est vite apparu un peu prétentieux et ce titre était de toute manière déjà pris par un autre éditeur. Nous nous sommes finalement rabattus sur Alethina – des choses honnêtes, au service de la vérité. C’est ce que nous voulions. En dix ans, nous avons publié vingt-et-un petits ouvrages d’une centaine de pages chacun ; mais surtout nous avons travaillé ensemble au gré de rencontres régulières, tantôt en France, tantôt en Suisse, parfois même en Belgique. De nouveaux collaborateurs sont venus étoffer nos rangs : Daniel Berditchevsky, Étienne Conrath, Jean-François Rebeaud, Francis Müller, Pierre-Jean Ruff, Philippe Vassaux et puis, quand il était en Europe, un vieil ami, Michel Despland, Lausannois devenu professeur de philosophie de la religion à l’Université Concordia de Montréal. Notre groupe n’a jamais cherché à parvenir à quelque unité de doctrine que ce soit ; en revanche nous avons toujours eu le souci de nous écouter les uns les autres, de mettre en œuvre un authentique esprit de libéralisme. Comme nous ne voulions pas garder jalousement pour nous ce que nous étions en train de vivre et de découvrir ensemble,
nous avons organisé au printemps , avec l’aide de l’Union protestante libérale de Genève, un colloque que nous avons audacieusement intitulé « L’apologétique aujourd’hui » 87. Je dis audacieux, parce que l’apologétique, du fait encore et toujours de la critique barthienne, était mal vue, suspecte de vouloir accommoder indûment la vérité chrétienne pour mieux la faire admettre, quasi par ruse, par ceux auxquels elle s’adresse. Or l’apologétique chrétienne, art de la réponse, se distingue justement des procédés argumentatifs captieux par le fait que la réponse, en l’occurrence, devrait toujours dépasser et transfigurer la question – ce que Tillich a vivement souligné chaque fois que, dans sa théologie de la culture, il a parlé de sa méthode de « corrélation ». Dans ce sens, l’apologétique judicieusement conçue correspond à une démarche éminemment libérale : elle est une théologie en situation, qui court tous les risques d’une parole en situation, précaire par définition, comme est précaire l’Évangile lui-même dans la mesure où rien ne garantit jamais, humainement, qu’il sera reçu. Ce colloque nous a donné l’occasion d’entrer en contact plus étroit avec un théologien genevois trop méconnu, mais très original dans sa démarche, Bernard Morel, qui s’est demandé dans quelle mesure les procédures de la cybernétique sont susceptibles de nous aider à mieux saisir le fonctionnement des propositions doctrinales et de la spiritualité chrétienne en général 88. De fait, la pensée chrétienne est en permanence en situation cybernétique : comme le pilote (kybernétès) d’une embarcation voguant à travers des rapides, le théologien doit sans cesse corriger ses affirmations en fonction de la situation dans laquelle il se trouve, tout en conservant l’orientation générale de la trajectoire que lui assigne sa référence au Dieu de Jésus-Christ. Plus tard, Bernard Morel a encore affiné sa pensée en approfondissant le contraste et la complémentarité entre « l’autre et l’intime » 89. 87 Les communications présentées à ce colloque ont été publiées par la revue montpelliéraine Études théologiques et religieuses 1972/2 (textes de Bernard Morel, Pierre-André Stucki, Ulrich Neuenschwander, Laurent Gagnebin et moi-même). 88 Voir en particulier son livre Cybernétique et transcendance, Paris, Colombe, 1964. 89 Voir sa thèse de doctorat en philosophie sur Méthode et religion, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1976.
D’autres colloques ont suivi en France « de l’intérieur », en Alsace (avec la complicité de la paroisse strasbourgeoise de Saint-Guillaume), en Belgique (avec l’aide de l’Église du Foyer de l’Âme et de celle du Musée, à Bruxelles), en Suisse romande. Au bout de dix ans, l’aventure a pris fin d’ellemême, non par échec, mais parce que plusieurs d’entre nous n’éprouvaient plus le même besoin de publier dans le petit format que nous avions choisi, parce qu’ils avaient des travaux plus importants à mettre sous toit ou parce qu’ils avaient accédé à d’autres responsabilités, en particulier dans le domaine de l’enseignement théologique, ou étaient sur le point d’y parvenir. Alethina devait infirmer le diagnostic de ceux qui tenaient le protestantisme libéral d’expression française pour moribond ; considérée sous cet angle, l’opération peut être considérée comme réussie.
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INTERMÈDE : LE PROBLÈME DES VACANCES
De à , j’ai donc été pasteur dans les Alpes vaudoises, à Villars-Chesières, une station touristique d’hiver et d’été, alors en pleine phase d’expansion. Un problème spécifique m’y attendait : comment assumer le ministère pastoral dans un tel contexte ? D’UNE QUESTION À DES RESPONSABILITÉS
THÉOLOGIES LIBÉRALES LE PROBLÈME DES VACANCES
En toute candeur, je demandai au Conseil synodal (organe exécutif de l’Église réformée) s’il avait des conseils à me donner en fait de présence et d’action pastorales (« pastoration » disions-nous dans le jargon du moment) dans le monde des vacances. « Bonne question, me répondit en substance l’autorité ecclésiastique de mon canton. Vous n’êtes pas le seul à vous la poser. Nous convoquons une rencontre des pasteurs touchés par ce problème. Préparez un exposé pour introduire la discussion. » Me voilà pris au piège de ma propre question ! En toute hâte, je rassemblai un peu de documentation (très peu : à ce moment-là il n’y avait presque rien) et m’efforçai d’élaborer les premiers éléments d’une problématique. La discussion fut animée, riche de nombreuses attentes et suggestions. Je fus incontinent chargé d’explorer plus avant la question et de prendre langue avec la Fédération des Églises protestantes de la Suisse (FEPS) pour voir dans quelle mesure on pourrait aborder le problème à l’échelon fédéral. Considéré sous l’angle de la pastorale, le tourisme n’est en effet jamais un phénomène local ou régional ; il implique de très larges aires géographiques, en particulier les pays d’où viennent les touristes. Les choses sont allées très vite. Une première rencontre à l’échelon helvétique a montré un réel besoin d’aborder le problème ensemble. À la fin de la seconde réunion, je me trouvais déjà président de ce qui n’a pas tardé à devenir une commission permanente de la FEPS, chargé de surcroît de prendre contact avec la Conférence des Églises Européennes (désignée habituellement par le sigle KEK, du fait de son intitulé
allemand Konferenz Europäischer Kirchen). Je fus fort aimablement et très positivement reçu à Genève, dans le bâtiment du Conseil œcuménique des Églises, par le secrétaire général de la KEK, Glen Garfield Williams, un pasteur baptiste gallois plein d’humour et de distinction. Il a su m’introduire avec beaucoup de délicatesse dans le milieu très particulier des contacts inter-ecclésiastiques à l’échelon international. Très efficace, il me permit d’établir sans délai tout un réseau de contacts internationaux qui ne devaient pas tarder à faire de moi, pour quelques années, le coordinateur principal de la KEK pour le dossier « Églises et tourisme ». Comme quoi, quand un champ est encore à peine défriché, on est vite promu spécialiste de la question ! LA MYTHOLOGIE DES VACANCES
L’intérêt de toute l’affaire, quant à son aspect proprement théologique, est de m’avoir mis aux prises avec un phénomène social éminemment contemporain et dont l’une des composantes les plus importantes est d’ordre symbolique, pour ne pas dire onirique. Rien, en effet, ne provoque des migrations temporaires aussi massives que les vacances (on n’en a jamais connu de semblables dans les siècles ou les millénaires précédents), si ce n’est le rêve de toutes ces foules, entretenu à longueur d’année, de partir en vacances, et toute la symbolique publicitaire qui vise à l’entretenir. Or ce rêve est à base de liberté : en vacances, je vais enfin être libre de faire ce que je veux, de paresser, de m’adonner aux plaisirs paradisiaques de la mer ou de la montagne. Mais c’est un rêve manipulateur et asservissant : à coup de campagnes publicitaires plus ou moins astucieusement orchestrées, on met des populations entières en condition de ne pas pouvoir ou oser faire autrement que de partir en vacances et même, au retour, de raconter qu’elles furent réussies. À la limite, on peut parler de « religion des vacances », au sens d’un conditionnement idéologico-symbolique, organisé autour du mythe des îles bienheureuses et du paradis perdu, et d’une ritualisation qui soude des collectivités entières. Le Club Méditerranée en est un bon exemple, avec son vocabulaire spécifique, son clergé de « gentils organisateurs », ses accueils initiatiques à l’usage des « gentils membres », son
incitation à porter des habits de circonstance, ses distractions vespérales en forme de cérémonies ludiques, ses usages en rupture partielle avec ceux de la vie habituelle. Mais la vie temporaire en chalet, apparemment plus sereine et plus rangée, n’échappe pas entièrement à cette mythologie ; elle aussi cherche à renouer avec quelque temps mythique, ou pour le moins avec une nature connotée de rêveries rousseauistes 90. DES SOLUTIONS ET LEURS ILLUSIONS
THÉOLOGIES LIBÉRALES LE PROBLÈME DES VACANCES
90 J’ai développé ce thème dans Églises et vacances, Genève, Labor et Fides, 1969. 91 Voir mon article « Tourisme : échec de la pastorale ?», in : Positions luthériennes, Paris, 1986/1, 28-43.
Comment en découdre avec ce phénomène-là ? Aux yeux des gens d’Église et des théologiens qui étaient aux prises avec lui, deux options majeures semblaient de nature à faire face à la situation : a) inviter les gens à concevoir leurs vacances comme le grand dimanche de l’année et les inciter à le considérer sous l’angle de la vie spirituelle ; b) leur proposer des moments de vie spirituelle au gré desquels, soustraits à la mythologie des vacances et prenant conscience de son inauthenticité (je reprends ici le vocabulaire de Bultmann !), ils aient autant d’occasions de renouer avec l’authenticité d’une existence vécue sous le regard de Dieu. Dans l’ensemble, je partage encore ce point de vue. Mais je mesure aussi combien nous nous sommes alors payés d’illusions 91, comme si les vacanciers allaient profiter en masse des occasions que les Églises entendaient leur offrir dans les stations de mer ou de montagne, en particulier sur les terrains de camping. Quelques décennies plus tard, force est de convenir que les vacances ne sont pas devenues, et de très loin, un eldorado de l’action pastorale, pas davantage que ne l’est l’ensemble de la vie citadine occidentale. Elles s’imposent de plus en plus comme des temps d’évasion, et non de rencontre avec soi-même et avec Dieu. Les exceptions existent, mais elles sont rares en regard de ce qui caractérise le comportement du plus grand nombre. Ce n’est évidemment pas une raison de baisser les bras ou d’abandonner la partie. Mais l’ampleur du phénomène, si caractéristique de ce que l’on a si justement appelé la « civilisation des loisirs », incite aussi à constater que la prédication
et la catéchèse chrétiennes, qu’elles soient orthodoxes ou libérales, n’ont guère préparé pasteurs et fidèles à considérer le loisir, le jeu, les distractions comme des faits positifs et à valoriser. Il ne faut pas gaspiller dans des futilités le temps que Dieu nous donne à vivre : tel a été, repris sur différents tons, l’un des thèmes constants de la morale protestante. Et cette même morale souscrit sans peine à la pensée de Blaise Pascal qui dénonce les faux-fuyants du divertissement : « Les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n’y point penser. 92 » Mais la société dans laquelle nous vivons n’est plus celle ni de Pascal, ni des réformateurs. La vie qu’on y mène n’est pas du tout aussi oisive que le donnent à entendre les discours présentant les loisirs comme la marque dominante de notre civilisation. On n’y jouit au contraire d’espaces soustraits à l’empire du stress qu’à la condition de planifier quasi laborieusement ces loisirs et ces divertissements. Sans eux, l’être humain n’est plus qu’une machine à produire et à consommer. La réflexion protestante libérale sur la liberté me semble ne plus pouvoir faire l’économie d’une révision profonde, sur ce point, de l’adhésion trop traditionnelle que, souvent, elle continue à donner à l’ancienne manière de condamner implicitement ce qui relève de comportements trop ouvertement ludiques ou jouissifs. J’aime à cet égard qu’un ami, hélas décédé, du groupe libéral français Évangile et Liberté, Jean Chèvre, ait eu comme hobby la confection de plats fort savoureux, lui qui pourtant consacrait une partie de son temps à la visite des personnes emprisonnées.
92 Pensées, éd. Brunschwicg, 168.
SCIENCE ET FOI
Un postulat commun à tous les libéralismes issus du XVIII e siècle (mais plus en amont, il remonte au moins à Pythagore) veut qu’une harmonie universelle préside en définitive à toutes choses. Si donc liberté, rigueur et honnêteté se conjuguent, les choses devraient finir par s’arranger, comme sous l’effet d’une main invisible. À propos des démarches propres à la science d’une part, et à la religion d’autre part, les libéraux du XIX e siècle et une bonne partie de ceux de la première moitié du
THÉOLOGIES LIBÉRALES SCIENCE ET FOI
LE POSTULAT D’HARMONIE UNIVERSELLE
En , après huit ans de ministère pastoral paroissial dans les Alpes vaudoises, je suis appelé à l’aumônerie des Hautes Écoles lausannoises (Université et École Polytechnique Fédérale). Un ministère de couloirs universitaires et de cafétérias estudiantines, une reprise de contact avec le milieu académique et une nouvelle confrontation avec le vieux problème des relations entre science et foi. Sous forme de confrontation de la théologie et de la médecine, ce problème n’a cessé en fait de m’accompagner conjugalement, c’est-à-dire dans les meilleures conditions possibles : Irène, ma femme, a suivi les traces d’Esculape et a toujours su me poser les bonnes questions de son point de vue de praticienne. Le problème des relations entre des propositions d’origine scientifique et des affirmations relevant des perspectives chrétiennes (cette manière de dire me semble plus correcte que d’opposer sommairement « la science » à « la foi ») a été l’un des principaux chevaux de bataille des théologiens libéraux. Ils ne se sont pas seulement ingéniés à donner droit de cité à des démarches scientifiques dans leur propre discipline, essentiellement, au XIX e siècle, sous forme d’un recours intensif et décapant à la recherche historico-critique ; ils se sont aussi souvent targués de savoir concilier les exigences de la science et de la religion comme aucune autre école théologique, à les en croire, n’était capable de le faire.
semblent bel et bien avoir misé sur la conviction que si théologiens et scientifiques travaillent et réfléchissent en toute liberté, rigueur et honnêteté, ils ne sauraient relever d’options fondamentalement contradictoires. N’oublions toutefois pas l’opposition que l’apôtre Paul dressait entre la « sagesse de ce monde » et la « folie de la croix » (I Corinthiens : ss). Aussi les théologiens ne manquent-ils pas qui voient mal comment souscrire jusqu’au bout à l’idée d’une telle harmonie, quasi eschatologique, de la science et de la foi. Une telle réticence ne résiste à l’analyse qu’à la condition de poser que la foi relève d’une perspective eschatologique, c’està-dire des fins dernières, tandis que la science concentre son attention sur ce qui est de ce monde-ci et maintenant. On ne peut alors comparer ni concilier ce qui, de toute évidence, n’a ni commune mesure ni compatibilité de références. En misant implicitement (et sans en être peut-être toujours conscients) sur l’harmonie universelle que j’ai dite, les théologiens libéraux me semblent partir en général du principe que croyants et scientifiques se trouvent, quant à la connaissance, dans une situation identique de part et d’autre. Les uns et les autres ne savent que ce qu’ils sont en mesure de connaître ici et maintenant, et cette mesure est limitée : l’état actuel de leurs connaissances peut fort bien les mettre en contradiction avec l’harmonie qu’ils sont censés postuler. Mais en perspective eschatologique (une perspective qui leur échappe présentement), les réalités sur lesquelles portent les regards de la science et les intuitions de la foi ne sauraient se contredire ; ajustées sur les hausses de la liberté, de la rigueur et de l’honnêteté, leurs visées ne peuvent par conséquent que se rejoindre. XX e
LES ÉCUEILS DE LA DISCUSSION
Voilà pour la théorie. Dans le concret des discussions, c’est plus compliqué, d’autant que, toujours au XIX e siècle, nombre de scientifiques et de penseurs sont partis de l’idée que la science allait mettre fin à la religion. Sommairement dit, il y aurait d’un côté le monde des croyances que rien ne permet de vérifier, de l’autre celui des faits que l’on peut constater et observer. Mais comme l’a très bien montré Karl Popper, on ne constate ni n’observe jamais rien indépendamment d’idées ou de schémas que l’on a déjà dans l’esprit. Inversement, les
THÉOLOGIES LIBÉRALES SCIENCE ET FOI
93 Paris, Seuil, 1970. 94 Voir Raymond RUYER, La Gnose de Princeton, des savants à la recherche d’une religion, Paris, Fayard, 1974.
croyances et les rites qui les accompagnent dans toute religion vivante ne se sont jamais constitués indépendamment de certains faits ou de certaines observations : ils sont toujours pour une bonne part le résultat de tâtonnements empiriques et de bricolages provoqués par des faits et des observations qui aujourd’hui nous échappent. La discussion s’est faite très vive à propos de la théorie de l’évolution, et aujourd’hui encore c’est souvent à son propos que le problème de la science et de la foi refait surface. Mon retour dans le milieu universitaire a coïncidé de peu avec la sortie du livre si controversé de Jacques Monod Le hasard et la nécessité 93. Un livre de protestant, a-t-on pu dire : austère, rigoureux, honnête. Mais un livre résolument agnostique : Monod récuse toute téléologie, donc aussi l’idée que, en fin de compte, tout pourrait tendre à quelque harmonie prédéterminée. Un schéma évolutif n’en préside pas moins à sa vision de la vie sur terre : les formes vivantes se sont succédé en s’impliquant les unes les autres, mais par le seul fait du hasard et de la nécessité, sans aucune orientation préétablie ou sousjacente. Comme tout cela est indécidable humainement, les discussions ont été très vives entre scientifiques, et c’était passionnant d’assister à leurs débats. Il fut en revanche beaucoup plus difficile d’y prendre part, non qu’ils aient voulu en exclure les théologiens, mais ils les soupçonnaient visiblement soit de n’avoir pas une connaissance suffisante du sujet, soit de chercher entre les hypothèses des scientifiques et les exigences de la foi chrétienne des accommodements ressemblant beaucoup à des tentatives de récupérer le terrain perdu – donc des velléités de mauvaise apologétique. La difficulté n’a fait que s’accroître quand sont venues se greffer sur ce débat les controverses, il est vrai plus marginales et très passagères, sur la « gnose de Princeton », qui était un essai, mais venu de milieux scientifiques américains, de combiner les perspectives de leur science avec l’élaboration d’une certaine forme de mystique religieuse 94 : les théologiens n’allaient-ils pas se ruer sur cette illusoire planche de salut ?
La question était d’autant plus plausible qu’un théologien libéral genevois, Henry Babel, avait cru possible, quelques années auparavant, de formuler une Théologie de l’énergie 95 qui n’était rien d’autre, à sa manière, qu’un essai de récupérer des bribes de perspectives scientifiques contemporaines pour parler « de Dieu, de son action dans le monde, de l’essence du christianisme 96 » ; il entendait opposer une nouvelle « théodynamique » à la « théostatique » traditionnelle ; mais il n’y avait pas là de quoi convaincre durablement des scientifiques ou des théologiens tant soit peu exigeants. LA THÉORIE DE L’ÉVOLUTION ET SES PROBLÈMES
Quels que soient les détails ou les corrections qui lui ont été apportées, la théorie de l’évolution n’est pas née de rien. Elle est due à la sagacité observatrice de Darwin. Mais l’intégration de ces observations dans un schéma évolutif pouvait-elle surgir dans un esprit qui n’aurait pas été marqué par les sources bibliques de la tradition culturelle occidentale ? Le schème de l’évolution suppose une histoire qui va d’un début à une fin, comme dans la Bible, et non l’idée finalement assez statique d’un éternel retour de toutes choses. Les théologiens ne peuvent en tout cas oublier que le schème évolutif avait déjà été appliqué par l’un des leurs, Lessing, à la Bible elle-même, avec son petit traité sur L’évolution du genre humain (), et tout au long du XIX e siècle se perpétue parmi eux l’idée que le christianisme est l’aboutissement de toute religion, que les religions d’une manière ou d’une autre tendent vers son accomplissement. Prise sous cet angle, la théorie de Darwin peut être considérée comme la transposition d’une idée théologique, mais dans un contexte où la théologie n’a plus le droit à la parole, car quelques-unes de ses principales affirmations s’en trouvent contredites. De fait, la théorie de Darwin s’est heurtée d’emblée à l’hostilité de milieux religieux aux yeux desquels la doctrine même de la création s’en trouvait fondamentalement niée. Cette attitude est encore et toujours le fait des groupes créationnistes qui, aux États-Unis, entendent au nom de la Bible prise dans sa littéralité faire interdire l’enseignement de la théorie de l’évolution 95 Neuchâtel, Baconnière, 1967. 96 Termes empruntés au texte de jaquette présentant le livre.
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dans les écoles. Très tôt, des théologiens libéraux se sont au contraire ingéniés à montrer que la perspective darwinienne n’est pas aussi opposée aux données du témoignage biblique que les apparences premières pourraient donner à le penser : le premier récit de la création, dans le livre de la Genèse, n’est-il pas construit, justement, comme s’il s’agissait d’un processus par étapes ? Et l’évolution n’est-elle pas tout aussi perceptible, également par paliers, entre la religion probablement polythéiste des premiers Israélites telle que permet de la reconstituer une lecture critique du premier Testament, et celle de Jésus ? D’ailleurs, pourquoi rester rivé aux textes bibliques, pourquoi s’en tenir à une vision somme toute très statique de l’acte créateur de Dieu : l’idée même d’évolution ne suppose-t-elle pas que Dieu, somme toute, est encore à l’œuvre dans sa création, qu’il est donc bel et bien un Dieu actif et toujours présent ? Tout cela, malheureusement, reste très approximatif et relève davantage de l’image rhétorique que d’une analyse rigoureuse ou d’un point de vue réellement scientifique. En passant de ces premières tentatives, encore très superficielles, de faire des rapprochements entre certains enseignements bibliques et la théorie de l’évolution, à des conceptions plus savamment élaborées, on est rapidement entré dans la perspective des différents concordismes. On désigne par ce terme les diverses entreprises visant à mettre les enseignements bibliques en accord avec les données de la science. Mais c’est toujours au prix d’un travers majeur et irrémédiable : pour les accorder l’un à l’autre, on tord, gauchit ou ampute plus ou moins habilement ce qui est biblique comme ce qui est scientifique. Les scientifiques n’y trouvent évidemment pas leur compte, tandis que les théologiens peuvent se retrancher plus ou moins derrière le fait que le texte biblique, par nature, est l’objet d’un acte de lecture, donc toujours tributaire d’une interprétation. La question devient alors celle de la légitimité et des limites de l’interprétation en question. Sur ce point, les créationnistes semblent avoir l’avantage : eux prétendent s’en tenir à une lecture au premier degré des textes bibliques, mais sans se rendre compte que, par le seul fait de s’adonner à ce type-là de lecture dans un autre contexte culturel que celui des rédacteurs bibliques, eux aussi interprètent et, par leur inconscience même de ce qu’ils sont en train de faire, altèrent ou tra-
vestissent le sens et la portée originels des écrits en question. UN CONSENSUS À REMETTRE EN QUESTION
Devant ces diverses difficultés, un consensus s’est peu à peu imposé entre théologiens pour affirmer que les textes bibliques, en particulier les récits de la création, n’ont pas une visée scientifique au sens où nous l’entendons aujourd’hui, mais ont pour but essentiel, voire pour seul but, de nous placer devant la question existentielle du sens premier et dernier de notre vie. Dit autrement, ils ont un caractère « symbolique », ou encore ils relèvent d’une perception « mythique » (et non point mythologique) du monde, au sens où le mythe n’aurait pas pour fonction d’expliquer le monde, mais d’élucider quasi poétiquement la relation que nous avons avec lui, avec les autres, avec Dieu. Cette manière de résoudre le problème, ou plutôt de le contourner, a été très en faveur parmi les théologiens libéraux, et bon nombre de ceux que l’on qualifiait jadis d’orthodoxes mitigés s’y sont volontiers ralliés ; aussi a-t-elle pris quasiment valeur de nouveau conformisme doctrinal, sur ce point du moins. Mais est-il bien vrai que, compte tenu de la distance historique et culturelle entre eux et nous, les textes bibliques en question n’avaient originellement pas aussi pour but de décrire ou d’élucider la réalité toute factuelle de la création, qu’ils ne répondaient donc pas, à leur manière et dans leur contexte, à une préoccupation d’ordre « scientifique » ? Le prétendre, c’est s’autoriser à prendre sur eux un pouvoir discrétionnaire qui, en l’occurrence, s’apparente beaucoup à un virement frauduleux de sens. Les auteurs bibliques se seraient-ils tout simplement trompés, faute d’en savoir assez sur le monde créé et ses mystères ? Nous nous retrouvons à cet égard dans une situation identique à celle de l’école schweitzerienne aux prises avec l’attente eschatologique de Jésus et des premiers chrétiens : eux aussi semblent s’être trompés. Mais l’erreur n’est que relative ; pour reprendre une expression chère à Ferdinand Gonseth, cité plus haut, elle est fonction de l’« horizon de réalité » dans lequel ils vivaient et se situaient. De même que la géométrie euclydienne est vraie dans un certain horizon de réalité, mais devient fausse et inopérante dans un autre, par exemple celui de la physique quantique, de même ce qui
Voilà pour le dialogue avec les sciences dites « dures », encore que ces quelques remarques n’épuisent pas la question, et de très loin. Mais les années - sont aussi celles où les sciences humaines (plus « molles » disent les moqueurs !) ont fait leur montée en force dans les universités, donc aussi dans le champ de la théologie. La pression du marxisme, très forte à ce moment-là, n’est certes pas étrangère à l’attention portée à la sociologie. La psychologie, elle, a été très marquée par la problématique freudienne, probablement en raison, entre autres, de l’anti-théologie qui s’y love. Mais il n’y a là rien qui soit de nature à déstabiliser une approche théologique libérale des problèmes, au contraire. Quant à la psychologie, j’ai déjà signalé l’audience que l’œuvre de William James avait eue dans les rangs libéraux. C’est encore dans des milieux apparentés au libéralisme théolo-
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ET LES SCIENCES HUMAINES ?
était vrai dans l’horizon de réalité des rédacteurs bibliques ne l’est plus dans le nôtre, parce que nos connaissances sur le monde ont changé – et elles changeront encore. L’horizon de réalité est en l’occurrence aussi un horizon de langage. De toute évidence, le langage des scientifiques diffère de celui des écrits bibliques par le fait que le premier, pour des raisons de méthode, vise à la plus grande univocité possible (un même mot ne doit désigner qu’un seul fait ou qu’un seul élément), tandis que le second, comme le langage poétique, fonctionne par excès de sens et donne ainsi à penser, à imaginer, à croire ou à douter, à vivre. Or, pour vivre, les scientifiques les plus férus de rigueur méthodologique ont aussi besoin de cet autre type de langage et ne cessent d’en user eux-mêmes dans leur vie quotidienne. Cela ne signifie toutefois pas que ce langage-là soit à bien plaire et que, sous prétexte de poésie, on puisse se permettre de dire n’importe quoi. Les vrais poètes sont d’ordinaire très exacts dans le choix des termes qu’ils utilisent ; ils aiment le mot juste. C’est dans le même sens qu’Auguste Sabatier, pour revenir à lui, disait du langage religieux qu’il est éminemment symbolique et voulait que sa théologie soit un symbolisme critique : toutes les expressions de la foi ne se valent pas, toutes doivent être appréciées à leur capacité de dire aujourd’hui, et non hier, la vérité de Dieu.
gique que la psychologie religieuse a pris son premier envol, au début du XX e siècle, sous l’impulsion déterminante du Genevois Théodore Flournoy 97. Il y a eu là des avancées fort audacieuses, par exemple celles de Georges Berguer qui, dans un cours de professé à la Faculté de théologie de l’Université de Genève, demandait à la psychologie, et même à la psychologie des profondeurs, de lui donner de Jésus la connaissance exacte et « scientifique » que l’exégèse historico-critique s’avérait, selon lui, incapable de procurer 98. Et puis n’oublions pas que l’un des principaux correspondants de Freud a été le pasteur libéral zurichois Oskar Pfister 99 qui, par ses remarques, l’a aidé à mieux préciser sa pensée, tout en gardant une distance critique envers les options prises par le père de la psychanalyse dans le domaine de la religion. Je n’ai pas le sentiment que la psychologie ait beaucoup renouvelé l’approche théologique libérale des problèmes dans les années passées ici en revue, sauf sur le chapitre d’une attention plus soutenue aux interférences de la psychologie propre à chaque théologien dans sa manière d’envisager les problèmes, ce qui en soi est déjà important. Sur ce point, on peut parler d’une avancée dans le domaine de la psychologie de la connaissance, mais c’est un sujet toujours à reprendre. Sur le front de la sociologie, en revanche, le renouvellement a été plus sensible, surtout, à mon sens, avec les contributions de chercheurs comme l’Austro-Américain Peter Berger, en particulier avec son livre intitulé en français La religion dans la conscience moderne 100. Nous avons là les principaux éléments d’une sociologie de la connaissance, construite autour de la notion de « construction sociale de la réalité », ce qui conduit à mettre par exemple en évidence l’incidence sur la pensée théologique des conditions concrètes dans lesquelles vivent ceux qui l’élaborent. Dans ce sens, on peut parler d’une construction typiquement occidentale de la théologie, et l’on est obligé de 97 J’ai retracé cette page d’histoire dans « Quand la Faculté de théologie de Genève était tentée de virer à la psychologie religieuse », in : Actualité de la Réforme, vol. collectif, Genève, Labor et Fides, 1987, pp.191-206. 98 Voir Georges BERGUER, Quelques traits de la vie de Jésus au point de vue psychologique et psychanalytique, Genève, Atar, 1920. 99 Voir Sigmund FREUD, Correspondance avec le pasteur Pfister (1909-1939), Paris, Gallimard, 1966. 100 Paris, Centurion, 1971. Titre original : The Sacred Canopy : Elements of a Sociological Theory of Religion, New York, Doubleday, 1967.
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se demander dans quelle mesure la manière protestante et libérale de poser les problèmes ne dépend pas toujours fortement du milieu et des conditions dans lequel vivent ses représentants. Dans la seconde partie de son livre, Berger met en évidence « la bureaucratisation progressive des institutions religieuses » et montre combien, dans un monde sécularisé où la religion se trouve de plus en plus marginalisée, le personnel ecclésiastique a tendance à se replier dans des sortes de tours d’ivoire où il pense et agit pour ainsi dire en circuit fermé. Or la théologie, il faut le reconnaître, n’échappe pas à ce phénomène : plus l’audience publique des Églises historiques semble se restreindre, plus augmente le nombre des théologiens qui cherchent à faire carrière dans le milieu protégé des universités et instituts de recherche, et plus s’accroît le volume des publications très spécialisées. Les théologiens libéraux s’en sont-ils suffisamment rendu compte ? Ceux de l’aire francophone semblent avoir senti le vent : le langage de leurs publications se distingue souvent par un effort soutenu pour s’exprimer de manière à être compris d’un lectorat le plus large possible, et ils préfèrent visiblement le genre des essais destinés à un public non spécialisé, à celui des publications pointues s’adressant au cercle restreint des seuls spécialistes d’une discipline théologique donnée. Dans ce contexte, la lisibilité pourrait bien être un critère de crédibilité.
PAR-DELÀ SABATIER
Plus haut, j’ai déjà présenté très brièvement la position de Sabatier et je ne crois pas utile de revenir sur le contenu de ma thèse. D’ailleurs, je ne l’écrirais plus aujourd’hui de la même manière, je marquerais plus nettement ma distance par rapport à cet auteur. À l’époque, j’avais davantage besoin de m’identifier quelque peu à lui, ne serait-ce que pour m’assurer d’avoir bien saisi le mouvement profond de sa pensée. Pour l’essentiel, je crois y être parvenu. Je lui dois aussi de m’avoir incité à lire d’autres auteurs et les examiner eux aussi de plus 101 Ma thèse est parue sous le titre Auguste Sabatier et le procès théologique de l’autorité, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1976.
THÉOLOGIES LIBÉRALES PAR-DELÀ SABATIER
KANT ET SCHLEIERMACHER
Après quelques mois de tâtonnements dans ce milieu universitaire que je croyais connaître, mais que j’avais à redécouvrir, mon ancien maître Édouard Burnier, devenu mon confident en matière théologique, m’exhorta vivement à songer à nouveau et sérieusement à une thèse de doctorat. C’était à son sens un bon moyen de me mettre à niveau pour le ministère qui m’était confié. Il trouva l’argument prosaïque qu’il fallait (un prochain changement de règlement) pour m’inciter à déposer sans délai un projet de recherche. Mon sujet fut vite trouvé et en deux jours mon projet de thèse était sous toit : Auguste Sabatier et le problème de l’autorité 101. J’avais besoin d’en découdre avec ce théologien, de mettre à l’épreuve les attirances et les agacements que j’éprouvais à sa lecture. Réaction de Burnier à cette proposition : « Avec un sujet pareil, vous allez définitivement vous griller ! » – par quoi il entendait qu’un libéralisme théologique si ouvertement affiché allait me fermer de nombreuses portes. « Grillé pour grillé, lui ai-je répondu, autant m’attacher à l’étude de Sabatier : personne, à ma connaissance ne travaille sur lui, et il présente le très grand avantage d’être un théologien français ; or la théologie protestante d’expression française souffre de n’être que trop méconnue, en Suisse romande comme en France. »
près. Sabatier s’est réclamé expressément d’Alexandre Vinet, auquel je reviendrai plus loin. Mais aussi de Kant : on l’a souvent présenté comme le premier théologien kantien de la francophonie ; c’était un peu exagéré, même si Sabatier est effectivement le premier à s’être réclamé aussi expressément de lui. J’ai donc dû relire Kant, reprendre sa théorie de la connaissance pour mieux en apprécier la portée en théologie. Cette fréquentation de Kant est un passage obligé si l’on entend prendre au sérieux le virage du néoprotestantisme. Pour faire bref, disons que Sabatier en a retenu, comme bien d’autres d’ailleurs, que nous ne connaissons pas Dieu en lui-même ; nous ne pouvons disserter à son propos comme si nous étions capables de disséquer sa réalité ; nous pouvons seulement rendre compte de la relation (Sabatier disait « du commerce ») que nous avons avec lui. Et puis Sabatier s’est beaucoup référé à Schleiermacher ; il est l’un des premiers théologiens protestants francophones, mais non le seul, à l’avoir fait de manière aussi délibérée et informée ; il a même donné à Schleiermacher une adhésion que Vinet, au contraire, lui refusait. Le théologien berlinois dont Karl Barth disait qu’il était « le père de la théologie moderne » a ouvert la voie à une nouvelle manière d’envisager le problème des formulations doctrinales ; il a posé qu’elles ne nous viennent jamais toutes faites du ciel, comme le postulent plus ou moins astucieusement les supranaturalistes, mais qu’elles sont toujours l’expression humaine d’un phénomène de conscience – un phénomène que Schleiermacher, dans ses Discours sur la religion () a mis en parallèle avec l’inspiration des grands artistes (des « virtuoses » comme il disait dans le vocabulaire de son époque). Du coup, les assertions doctrinales, fussent-elles empruntées à la Bible, ne peuvent plus être considérées comme des vérités qui seraient soustraites par nature à toute appréciation ou critique humaine ; elles sont de l’ordre du conditionné, et n’ont de valeur que par la manière dont elles renvoient à l’inconditionné qu’est Dieu, ou par la manière dont elles témoignent de lui. La relecture de Schleier macher à laquelle m’a convié l’étude de Sabatier m’a préparé à l’usage que j’allais faire plus tard de cette même notion de « virtuosité » (mais le terme, aujourd’hui, sonne mal) dans mon approche des différentes for-
Directement ou par ricochet, les deux critiques les plus pertinentes de Sabatier sont venues d’Alfred Loisy d’une part, d’Ernst Troeltsch de l’autre. L’une et l’autre m’ont ouvert des perspectives à long terme. La lecture de Loisy m’a confronté directement au modernisme catholique, beaucoup plus redoutable pour le protestantisme que ne l’est le catholicisme conservateur. On s’étonne d’ailleurs que le Vatican ne l’ait pas compris d’emblée et n’ait jamais complètement corrigé son tir sur ce point. Pour l’essentiel, Loisy a repris à son compte, du moins avant d’être rejeté par Rome, la théorie de John Henry Newman (un protestant converti au catholicisme jusqu’à devenir cardinal de l’Église romaine) sur le développement du dogme : le dogme ecclésiastique officiel se serait développé au cours des siècles au gré d’un processus à la fois normal et nécessaire, comme la semence se développe jusqu’à devenir une plante, l’Église catholique-romaine étant le terreau de cette germination. L’erreur du protestantisme serait de ne l’avoir pas compris. Tant Harnack que Sabatier n’auraient pas saisi (ou ils auraient refusé d’admettre) que le christianisme ne peut se passer de l’Église, en l’occurrence de la pérennité qu’incarnerait l’Église de Rome. Une phrase de Loisy, très souvent citée, résume bien sa position : 102 Op. cit. p.279. 103 Alfred LOISY, L’Évangile et l’Église, Paris, Picard, 1902, p.111.
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LES OBJECTIONS D’ALFRED LOISY
mes d’art. Lu en parallèle avec Sabatier, mais aussi avec Tillich, Schleiermacher m’a aussi rapidement convaincu de la nécessité de travailler à une certaine réhabilitation de la notion de religion, qui est un point nodal de toute sa pensée. N’en déplaise à ceux qui persistent à l’opposer à la foi, la dimension religieuse est une réalité anthropologique dont la théologie doit pouvoir rendre compte positivement, même si c’est de manière critique (Wilfred Monod disait que la religion aussi demande à être évangélisée). L’une des caractéristiques de la théologie libérale contemporaine me semble être que, précisément, elle persiste à considérer le christianisme comme une religion, pour des raisons aussi bien sociologiques (« la distinction entre religion et foi n’a pas de sens en sociologie 102 », dit Peter Berger) que théologiques (l’homme est inaliénablement un homo religiosus).
« Jésus-Christ annonçait le royaume [de Dieu], et c’est l’Église qui est venue. 103 » Mais contrairement à ce qu’ont imaginé les protestants libéraux qui se plaisent à le citer, il ne l’a pas écrite sur le ton du regret ; selon lui, l’entrée en scène de l’Église, plus précisément de l’institution ecclésiastique, a au contraire été la chance de l’Évangile : elle l’a sauvé de la disparition. Poussons le raisonnement à l’extrême, et le « grand inquisiteur » de Dostoïevski, dans Les frères Karamazov, n’est pas loin. Mais la mainmise de la hiérarchie romaine sur le contrôle et l’expression du dogme ne supprime pas le problème pour autant. Sabatier, décédé une année avant que le libelle de Loisy ne sorte de presse, me semble avoir très bien saisi une partie au moins de ce qui est en jeu dans cette problématique : une théorie protestante du dogme ne peut miser sur un retour pur et simple à l’Évangile de Jésus, et faire abstraction de deux mille ans de christianisme. Elle doit pouvoir rendre compte du fait que la vérité chrétienne nous parvient de manière décalée et au gré des nombreuses médiations intervenues entre temps. Mais, et c’est le point sur lequel le protestantisme s’écarte résolument de Loisy et des différentes formes de modernisme catholique, ces évolutions ultérieures doivent être soumises à une sérieuse critique, en particulier sous l’angle de leur conformité à l’Évangile tel que nous sommes en mesure de l’entendre à la lecture des textes néotestamentaires. LA NOTION DE RELIGION
Loisy me semble avoir touché plus juste en s’en prenant à la conception de la religion qui ressort des écrits de Sabatier. Sa critique, ici, revient pour l’essentiel à reprocher à Sabatier de miser sur un concept de religion à la fois arbitraire et sans réalité concrète. Sabatier a effectivement argumenté avec une notion très épurée et très individualisée de la religion : elle est sous sa plume, comme sous celle de Vinet, mais aussi de Benjamin Constant et de nombreux autres protestants, une réalité à la fois très intime, très subjective et très personnelle, donc aussi très individualisée. Réponse de Loisy, en substance : il n’y a pas de religion connue et digne de ce nom qui n’ait une dimension collective et un fort coefficient d’objectivité. En fait, Loisy lui aussi a soumis son acception du concept de reli-
Plus décisive pour ma réflexion ultérieure a été la lecture (ou la relecture) de Troeltsch, en particulier celle de sa conférence d’octobre sur L’absoluité du christianisme et l’histoire des religions 105. À vrai dire, j’avais depuis longtemps trouvé un peu bizarre qu’on puisse parler du christianisme comme d’une religion « absolue ». Mais le terme est très présent dans la réflexion occidentale de la période néoprotestante. Il l’est vir104 Michel DESPLAND, La religion en Occident, évolution des idées et du vécu, Montréal, Fides, 1979. 105 Ce texte existe maintenant en français in : Ernst TROELTSCH, Histoire des religions et destin de la théologie, Genève-Paris, Labor et Fides-Cerf, 1996, pp.65-177.
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TROELTSCH ET L’ABSOLUITÉ DU CHRISTIANISME
gion aux besoins de son argumentation : sous sa plume, c’est le catholicisme, avec tout son appareil rituel et institutionnel, qui est le modèle de toute religion droitement entendue. Il n’y a là rien de bien étonnant. Le concept de religion est en effet des plus malléables : dans un ouvrage consacré à La religion en Occident 104, mon ami Michel Despland a fort judicieusement mis en évidence une quarantaine de définitions différentes de ce concept, depuis son apparition chez les Romains jusqu’à nous. En dépit de son imprégnation catholique, ou peut-être à cause d’elle, l’objection de Loisy a le mérite d’attirer l’attention sur le caractère trop restrictif et apologétique de la notion de religion qui sous-tend l’argumentation de Sabatier. Le protestantisme lui aussi, même sous ses formes les plus libérales et les plus épurées, revêt le caractère d’une réalité collective et objective, sinon il ne connaîtrait pas de transmission de la foi, soit de l’un à l’autre, soit à travers les siècles, et il serait privé de toute réalité, tant sous l’angle ecclésial que sociologique. La remarque gagne aujourd’hui en importance : les actuelles recompositions du champ religieux, comme disent les sociologues, obligent à prendre en considération toute la pesanteur de la religiosité humaine, y compris au sein des formes de christianisme qui se veulent les plus critiques à son endroit. Le problème, en d’autres termes, est de rendre compte, sans jamais l’affaiblir, de la polarité entre la conception subjective et individuelle de Sabatier, qui a sa légitimité, surtout en perspective protestante, voire en relation avec de nombreuses formes de mystique, et la conception très objective, institutionnelle et, disons, sociologique de Loisy.
tuellement chez Lessing quand il fait du christianisme l’aboutissement de « l’éducation du genre humain ». Il apparaît chez Kant et chez Fichte. On le rencontre surtout chez Hegel pour qui le christianisme, avènement de la religion de l’Esprit, est effectivement la religion absolue. On le rencontre derechef, très expressément, sous la plume de Sabatier, jamais en reste pour chercher à démontrer que « le christianisme est la religion absolue et définitive de l’humanité 106. » Les deux adjectifs ont ici leur importance ainsi qu’en témoigne cette citation : « De quelque bord qu’on pénètre dans l’histoire des religions, et en quelque sens qu’on la parcoure, on voit les routes, montant lentement des vallées obscures, se rapprocher les unes des autres et tendre au christianisme comme à un autre Mont-Blanc, dernière et lumineuse cime, d’où l’ordre et la lumière se répandent sur tout le reste. Ou bien l’évolution religieuse n’a ni sens ni but, ou bien il faut reconnaître qu’elle vient aboutir à l’Évangile du Christ comme à son terme suprême.107 » Loin de souscrire à une absoluité toute spéculative, comme Hegel, Sabatier a donc argumenté selon la méthode à laquelle il disait s’être rallié : en s’en tenant à des faits et non à un postulat posé d’autorité. Or c’est précisément en raison de cette méthode-là, en l’occurrence celle de l’histoire des religions, que Troeltsch s’en est pris à la notion de religion absolue. Une approche tant soit peu objective du monde des religions oblige en effet à reconnaître que le christianisme est seulement une religion parmi d’autres. Il ne peut donc être dit religion absolue. Il le peut d’autant moins que, dans ce monde des religions, il est celle qui fait le plus délibérément droit à l’histoire, et même à l’enquête historique sur son propre compte. Prolongeant sur ce point l’argument de Troeltsch, on peut ajouter que, toujours sous cet angle très humain de l’histoire, le christianisme ne peut pas non plus être valorisé comme la religion « définitive » de l’humanité : nous n’en savons rien. Ou alors, si nous persistons à le prétendre, c’est au nom d’une affirmation de foi que rien ne permet de vérifier. Ou bien cette affirmation ne serait-elle, mais sans l’avouer, que la version religieuse de l’impérialisme européen ? Nous ne pouvons pas écarter cette 106 Esquisse d’une philosophie de la religion, éd. 1969, p.186. 107 Ibid. p.132.
La théologie dialectique, dominante au moment de mes études, ne nous avait évidemment pas rendus attentifs à cette problématique. Sommairement dit, elle oppose la foi à la religion, et postule que la foi chrétienne n’est pas une religion, qu’elle est la fin ou l’assomption de toute religion (Aufhebung der Religion a dit Karl Barth), qu’elle seule en d’autres termes est une foi accomplie au sens requis par l’Évangile. Mais cette argumentation n’ôte rien à la pertinence de la critique que Troeltsch a faite de la notion d’absoluité, car opposer la foi à la religion, c’est encore une fois poser un absolu et s’exposer à la dérision des représentants d’autres religions qui auront alors beau jeu de demander pourquoi leur forme de foi à eux ne serait pas tout aussi absolue et définitive ! Troeltsch est resté l’un de mes auteurs de référence. Je ne puis que me réjouir de l’audience dont il bénéficie enfin parmi les francophones. Les sociologues de la religion, il est vrai, savaient depuis longtemps ne pas pouvoir passer à côté de ses 108 Voir l’ouvrage collectif Spuren… Hundert Jahre Ostasien-Mission, Stuttgart, Quell Verlag, 1984.
THÉOLOGIES LIBÉRALES PAR-DELÀ SABATIER
ACTUALITÉ D’ERNST TROELTSCH
hypothèse d’un revers de main. Sabatier écrivait en effet au moment où les Européens étaient encore persuadés de la supériorité de la civilisation qu’ils importaient dans leurs colonies. Le christianisme ne gagne en tout cas rien à reconduire un tel discours. Plutôt que de se croire supérieur aux autres, il serait mieux inspiré de prendre conscience de sa situation dans le monde et par rapport aux autres religions, du caractère aussi très humain de ce qu’il représente aux yeux d’autrui, quoi que les chrétiens eux-mêmes puissent en penser. Sa véritable force ne tient pas à je ne sais quel sentiment de supériorité, dût-il se réclamer d’une « révélation », mais à la capacité que donne la foi dont il se réclame d’assumer sa conviction dans un statut de relativité, et mieux encore de rencontre d’égal à égal avec les représentants d’autres religions. Troeltsch a d’ailleurs participé à la mise en œuvre d’un tel programme en contribuant à la fondation de l’Ostasien Mission, une mission expressément libérale en extrême Orient 108, qui cherche à rencontrer les gens plutôt qu’à les convertir (son principal champ d’activité est encore aujourd’hui une « maison de la rencontre » à Kyoto, Japon).
Soziallehren der Kirchen (elles ne sont toujours pas traduites en français !), et la plupart d’entre eux ne laissent pas de le citer. Mais ce volumineux ouvrage ne représente qu’un aspect de sa pensée. Les théologiens commencent enfin à s’intéresser à lui, mais avec presque un siècle de retard. Parmi les francophones, cet intérêt presque tout neuf est dû en particulier aux efforts de mon collègue Pierre Gisel. J’ose espérer que ces efforts ne seront pas sans lendemains. J’ai déjà fait abondamment allusion à la distinction programmatique, et très féconde à mon sens, que Troeltsch fait entre l’ancien et le nouveau protestantisme. On est aussi très attentif, maintenant, à la critique qu’il a adressée à Harnack : impossible de dégager de l’écorce historique qui l’enveloppe une sorte de noyau qui serait l’essence intemporelle, anhistorique, du christianisme ; le contenu va avec le contenant, le message avec son medium. On serait également bien inspiré de remarquer, quand on parle de libéralisme théologique ou de protestantisme libéral, combien Troeltsch s’impose comme l’un des représentants de cette tendance les plus lucides et les plus exigeants de son temps – exigeant au point de s’adonner à une critique impitoyable de positions qui, réputées « libérales », n’étaient justement déjà plus tenables.
L’ENSEIGNEMENT DE L’HISTOIRE
Enseigner l’histoire, c’est bien sûr donner aux étudiants accès à des informations sur ce qui s’est passé dans l’histoire. Mais au niveau universitaire, qui plus est dans une Faculté de théologie, c’est éveiller en eux l’envie de remonter aux sources de ces informations, leur donner quelques moyens d’apprécier par eux-mêmes la valeur ou la fiabilité des interprétations qu’on leur propose, les rendre attentifs aux problèmes inhérents à toute enquête historique et aux narrations qui cherchent à en rendre compte. Le problème est particulièrement aigu pour la période sur laquelle mon enseignement devait porter, surtout si l’on considère la confiance que la théologie dite « libérale » a faite à l’histoire. Elle a demandé à cette science alors en plein épanouissement de lui donner un accès plus sûr, plus exact, aux sources de la vérité chrétienne que celui des réformateurs eux-mêmes. Les réformateurs, notons-le bien, n’avaient pas négligé d’en appeler à l’histoire pour démontrer l’erreur ou la fausseté de certains faits ou affirmations sur lesquels le magistère ecclésiastique de leur temps fondait son autorité. Flacius Illyricus, un de leurs épigones, n’a pas hésité, dans ses Centuries de Magdebourg (-), à réécrire avec ses collaborateurs toute
THÉOLOGIES LIBÉRALES L’ENSEIGNEMENT DE L’HISTOIRE
LA SCIENCE HISTORIQUE ET SES LIMITES
En , après qu’André Gounelle m’en ait touché deux mots, la Faculté de théologie protestante de Montpellier m’a proposé d’assumer à mi-temps et à titre intérimaire l’enseignement de l’histoire des Églises et des théologies aux XIX e et XX e siècles, essentiellement dans le domaine francophone. Tous les quinze jours, le voyage entre Lausanne et Montpellier m’a ménagé pendant quatre ans et demi de nombreuses heures de lecture en chemin de fer. C’était nécessaire à la préparation de mes cours, mais aussi fort propice à l’élargissement de mon information sur des aspects de l’histoire et de la pensée protestantes auxquels je regrettais de n’avoir pas encore pu consacrer suffisamment de temps.
l’histoire de l’Église sous le signe d’une dégradation constante et progressive jusqu’à ce que se produise enfin le grand redressement de la Réforme 109. Mais une telle mise en perspective, qu’il faut bien qualifier d’idéologique, relève-t-elle encore de la science historique ? Et tant qu’à faire de l’histoire, pourquoi ne pas appliquer ses méthodes également à l’examen des textes bibliques afin d’en serrer le sens ou la vérité de plus près ? Les réformateurs, manifestement, ne l’ont pas fait : le libellé des Écritures était bel et bien pour eux l’instance dernière, audelà de laquelle on ne saurait remonter. La théologie libérale du XIX e siècle a au contraire demandé à la méthode historicocritique de l’aider à remonter à une sorte de vérité plus originelle ou plus authentique que celle du texte proprement dit – par exemple à l’enseignement même de Jésus par-delà la manière dont les évangiles nous le rapportent. À propos de Sabatier, j’ai déjà signalé combien est sujet à caution ce recours à la démarche historique pour retrouver des paroles qui, tenues pour plus authentiques que d’autres, seraient dotées d’une sorte d’autorité dernière. Ne reprochons pas aux libéraux de jadis d’avoir été de leur temps et d’avoir demandé à l’histoire les moyens de se déprendre d’affirmations doctrinales qui devaient effectivement être mises en question. Aujourd’hui, en revanche, la fréquentation de l’histoire oblige à prendre en considération toute la problématique de cette discipline, voire à s’interroger sur la notion même d’histoire. Un historien sérieux s’astreint à rester le plus objectif possible, mais son objectivité ne peut être que relative. Elle est tributaire à la fois de ses sources d’information, des moyens d’investigation dont il dispose, des questions qui motivent sa recherche, du contexte culturel dont il relève, de l’inévitable subjectivité de la mise en histoire qui en résulte (l’historien Paul Veyne parle de « mise en énigme »). En dépit de ce que pensaient volontiers les théologiens libéraux du 109 Même procédé de la part des théologiens barthiens qui ont présenté l’histoire du protestantisme moderne comme une lente et progressive dégradation depuis le XVIIIe siècle, jusqu’au grand redressement de la théologie dialectique. Voir à cet égard l’injuste, invraisemblable et fort peu fiable esquisse systématico-historique de Jacques de S ENARCLENS , Héritiers de la Réformation, 3 vol., Genève, Labor et Fides, 1956 ss. Le même point de vue se trouve d’ailleurs déjà sous la plume de Karl Barth.
siècle, voire des débuts du XX e siècle, le recours à l’histoire et à ses méthodes n’est pas, ni ne peut être, l’argument dernier à faire valoir dans une dispute d’ordre théologique. En revanche, on serait bien mal inspiré de tabler sur l’inévitable relativité de ses affirmations pour récuser absolument les faits et les interprétations qu’elle propose. Dans l’ordre du vraisemblable, l’histoire du christianisme dans son ensemble, comme la recherche portant sur les textes bibliques et leur signification, a atteint un taux de fiabilité qui oblige à mettre fondamentalement en question des affirmations que la tradition présentait comme indiscutables. Le plus simple et le plus sûr est en l’occurrence d’en revenir toujours aux documents accessibles et de vérifier sur pièces. Au temps de mes études, nous n’avions souvent pas accès aux textes : les professeurs les citaient au fil de leurs cours, ou en proposaient des résumés de leur crû. La nouveauté, quand je me suis trouvé assumer cette même fonction enseignante, a été l’usage des photocopies. Voulais-je introduire les étudiants à la pensée de Schleiermacher ? Je commençais par leur distribuer les photocopies de quelques pages de ses Discours sur la religion et nous les lisions ensemble, crayon en main. Il eût fallu les lire en allemand, mais à Montpellier la plupart des étudiants n’avaient aucune notion de cette langue. Une traduction assortie de commentaires vaut mieux que rien – même si les commentaires, quels qu’ils soient, sont toujours, eux aussi, une manière de mettre l’histoire « en énigmes », de la reconfigurer dans une perspective qui, par nature, peut et doit être sujette à discussion. Mais je regrette aujourd’hui de n’avoir pas cherché plus assidûment, par exemple à propos de Schleiermacher, toujours lui, à élargir l’information des étudiants à l’aide de documents autres que des écrits : peinture, musique, architecture ; ils eussent donné une autre dimension aux textes sur lesquels nous nous penchions. Le caractère trop uniment littéraire ou même scripturaire des études de théologie est l’une de leurs faiblesses les plus récurrentes. XIX e
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Si la manière dont le protestantisme libéral s’est réclamé de l’histoire appelle les réserves que je viens de signaler, l’histoire de ce courant théologique demande elle aussi à être sans cesse revue, nuancée, éventuellement réécrite. Certains représen-
AUX ORIGINES DU PROTESTANTISME LIBÉRAL
tants du protestantisme libéral donneraient volontiers à entendre, par exemple, que leur tendance remonterait sinon à Mathusalem, du moins à Jésus lui-même. Ne se réclament-ils pas de son enseignement pour contester les évolutions ultérieures du christianisme ? Historiquement, il est plus honnête de reconnaître que l’adjectif libéral ne s’est mis à désigner un courant théologique spécifique du protestantisme que dans les années -. En France, c’est le moment où prévalait le libéralisme intellectuel de la Monarchie de juillet 110. Dès le XVI e siècle, la Réforme a vu surgir en son sein des théologiens et penseurs qui ont fait droit à des exigences que l’on peut bien qualifier de libérales, en particulier Sébastien Castellion (-) qui, mettant en évidence la possibilité d’interprétations diverses des textes bibliques, a conclu à la relativité des affirmations doctrinales 111 ; c’est aussi lui qui, après le bûcher de Michel Servet si scandaleusement défendu par Calvin, a lancé à l’adresse du réformateur de Genève cette phrase terrible et libératrice : « Tuer un homme, ce n’est pas tuer une doctrine, c’est tuer un homme.112 » Mais c’est surtout aux XVII e et XVIII e siècles que plusieurs courants de la pensée protestante ont préparé le terrain : l’enseignement de Moïse Amyraut à l’Académie de Saumur, qui rompait délibérément avec la doctrine calvinienne de la double prédestination et insistait sur la liberté morale des individus ; les Entretiens sur diverses matières de théologie, où l’on examine particulièrement les questions de la grâce immédiate, du franc arbitre, du péché originel, de l’incertitude métaphysique et de la prédestination (), de Charles Lecène et Jean Le Clerc, deux Huguenots réfugiés en Hollande et qui s’inspiraient justement de l’enseignement d’Amyraut ; les écrits de Pierre Bayle, en particulier son Dictionnaire historique et critique () ; les Lettres sur la religion essentielle à l’homme (), de la Lyonnaise Marie Huber ; Jean-Jacques Rousseau enfin, plus suspect sous l’angle de ses convictions religieuses, mais dont les Lettres écri110 Voir à cet égard l’excellente et importante étude de Michel DESPLAND, L’émergence des sciences de la religion. La Monarchie de Juillet : un moment fondateur, Paris, L’Harmattan, 1999. 111 Voir son traité De l’art de douter et de croire, d’ignorer et de savoir, trad. Charles BAUDOUIN, Genève, Jeheber, 1953. 112 Voir son traité Contre le libelle de Calvin : après la mort de Michel Servet, trad. Étienne BARILIER, Genève, Zoé, 1998.
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113 2e lettre.
tes de la Montagne () ont dû retenir l’attention des protestants, en particulier avec une phrase aussi programmatique que celle-ci : « La Religion Protestante est tolérante par principe, elle est tolérance essentiellement, elle l’est autant qu’il est possible de l’être, puisque le seul dogme qu’elle ne tolère pas est celui de l’intolérance.113 » C’est enfin à la charnière des XVIII e et XIX e siècles que se sont affirmées les premières émergences du courant théologique expressément libéral, né tout autant de la sensibilité romantique en devenir que du rationalisme propre au siècle des Lumières, à quoi il faut ajouter l’influence des bouleversements politiques, sociaux et culturels qui ont caractérisé cette époque. Aussi, dès le début de mon enseignement à Montpellier, me suis-je attaché à l’examen de ce qui s’est passé au moment de l’Empire et de la Restauration, en particulier sur le chapitre de la théologie. Je l’ai fait tant du côté catholique que du côté protestant. Plus encore qu’aujourd’hui, bien des aspects de la pensée protestante, en particulier le choix des thèmes abordés, ont dépendu à ce moment-là de ce qui se passait dans les milieux catholiques. Or dès le début du XIX e siècle, sous l’Empire, on voit se constituer deux univers distincts de sensibilité : celui d’un retour en grâce du catholicisme, très marqué par les perspectives que Chateaubriand a esquissées dans les quatre volumes de son Génie du Christianisme (), et celui de protestants qui, comme Mme de Staël et Benjamin Constant, tous deux d’origine suisse, marient étroitement la culture, la religion et la liberté. La belle Germaine l’a fait avec flamme dans De l’Allemagne () chantant à la fois les élans du romantisme et les aspects les plus libéraux du protestantisme (« Le droit d’examiner ce qu’on doit croire est le fondement du protestantisme ») ; Constant de manière plus savante avec son grand traité De la religion ( vol., -), où il conjugue la religion et l’exigence de liberté (« En étudiant toutes les époques où le sentiment religieux a triomphé, l’on voit partout que la liberté fut sa compagne »). Dès , avec la Restauration et des polémistes de la trempe de Joseph de Maistre et Félicité de La Mennais (avant sa rupture avec Rome), le catholicisme devient pour sa part de plus en plus nettement une religion dans laquelle prévaut le sys-
tème d’autorité. Ces deux auteurs, le premier dans ses Soirées de Saint-Pétersbourg (), le second dans son Essai sur l’indifférence en matière de religion (), n’ont pas hésité à s’en prendre directement au protestantisme, le décrivant comme un fauteur de troubles et de révolutions parce que, dans son principe, il saperait l’autorité tant civile que religieuse. Rien d’étonnant, donc, si le théologien protestant français le plus significatif de cette période, le pasteur nîmois Samuel Vincent (-), s’est manifesté d’abord par une réponse sans concession et solidement argumentée à La Mennais : Observations sur l’unité religieuse, en réponse au livre de M. de La Mennais intitulé : Essai sur l’indifférence en matière de religion, dans la partie qui attaque le protestantisme (), bientôt suivi, la même année, d’une seconde réponse aux attaques, cette foisci plus personnelle, du polémiste catholique : Observations sur la voie d’autorité appliquée à la religion. C’est à juste titre que les protestants libéraux d’expression française voient en Samuel Vincent l’un des premiers représentants clairement affirmés et particulièrement crédibles de leur tendance. Il est d’ailleurs l’un des premiers à avoir utilisé l’adjectif « libéral » dans cette acception-là, mais sans parler encore de « protestantisme libéral ». Et Georges Marchal ne se lassait pas de rappeler la phrase majeure de Vues sur le protestantisme en France (), le principal ouvrage de cet auteur : « Le fonds du protestantisme c’est l’Évangile ; sa forme, c’est la liberté d’examen. » L A L I B E R T É D ’ E X A M E N et le problème des confessions de foi
« Liberté d’examen », c’est à la fois l’une des expressions les plus caractéristiques des protestantismes francophones au XIX e siècle et le programme du protestantisme libéral. En raccourci, on peut dire que le protestantisme a découvert par paliers les différents aspects de la liberté. Au moment de la Réforme, l’accent a porté sur le salut, donc sur la liberté à l’égard des servitudes du péché (mais tous les réformateurs n’ont pas suivi Luther dans son opposition au libre-arbitre d’Érasme). Puis les persécutions dont ont été victimes les protestants de France les ont conduits à insister sur la liberté de religion, qui implique le libre choix individuel, donc aussi le libre arbitre, la liberté de pensée et l’ensemble des libertés civiles. Enfin s’est imposée dès la fin du XVIII e siècle la notion
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114 Toutes ces idées étaient déjà présentes dans la pensée du puritain anglais John MILTON (1608-1674), auteur du Paradis perdu ; mais son œuvre est restée ignorée en France jusqu’à ce que Chateaubriand attire l’attention sur lui ; sa traduction du Paradis perdu demeure d’ailleurs la meilleure à ce jour. 115 Voir mon article sur « L’antitrinitarisme chez les réformés d’expression française au début du XIX e siècle », ETR 1986, pp.213-226.
de libre examen au sein même de la religion 114. Sur ce dernier point, la différence avec l’exigence catholique de liberté religieuse est flagrante : le catholicisme revendique la liberté de l’Église, mais une liberté qui doit laisser l’Église libre de ne pas autoriser toutes les libertés en son propre sein ; tandis que le protestantisme opte pour la liberté d’appréciation de chacun au sein de sa religion, y compris dans les questions doctrinales. Le cheval de bataille des protestants libéraux est au demeurant d’affirmer que, bien comprise, la religion, ou du moins le christianisme évangélique, suppose l’exercice conjoint de toutes ces formes de liberté, sans oublier les conséquences doctrinales qu’implique cet exercice. Doctrinalement, les protestants libéraux du XIX e siècle ont su d’emblée user largement de cette liberté. Les auteurs du XVIII e siècle cités plus haut avaient déjà préparé le terrain. Sous leur influence et peut-être plus encore sous celle de Jean-Frédéric Ostervald (-), le pasteur et théologien neuchâtelois qui a le plus marqué la pastorale, la prédication et la catéchèse de cette époque, les confessions de foi étaient pratiquement tombées en désuétude et un dogme comme celui de la Trinité ne retenait plus guère l’attention ; dans le protestantisme d’expression française, il n’est d’ailleurs redevenu un sujet de délibération théologique qu’au XX e siècle, à la faveur de la montée en force des courants néocalviniste et barthien 115. C’est sur le chapitre des confessions de foi, en l’occurrence la Confession de foi de La Rochelle () pour la France et la Confession Helvétique Postérieure () pour la Suisse, qu’a d’abord porté pour une bonne part l’offensive de la théologie libérale. Ces textes issus du siècle de la Réforme entendent résumer les points essentiels de la doctrine chrétienne. Aucun d’entre eux n’a jamais prétendu valoir pour l’ensemble des Églises réformées : tous ceux qui relèvent de cette dénomination portent la marque d’un périmètre géographique déterminé – cela même si la confession helvétique
est devenue, en fait, un texte normatif pour l’ensemble des Églises réformées germanophones et d’Europe centrale (elle l’est toujours, par exemple, dans l’Église réformée de Hongrie). Autre précision importante, les confessions de foi protestantes comportent toujours une clause entraînant leur propre limitation : elles sont révisables par principe, surtout si une meilleure compréhension des Écritures, due par exemple à des changements de circonstances, en impose la nécessité. Leur autorité est donc toujours seconde, très relative par rapport à celle que l’on reconnaît aux écrits bibliques. Cette clause limitative n’a pas dissuadé certains représentants du Réveil, à l’aube du XIX e siècle, de chercher à les remettre en vigueur et de les brandir comme des étendards doctrinaux de leur cause. C’est l’un des facteurs qui ont conduit les libéraux à mener l’offensive, non pas tellement contre telle ou telle confession de foi, mais contre le principe même de tels textes symboliques. Ils ont donc milité pour leur abandon pur et simple. Leur argument dominant a été le suivant : les confessions de foi s’interposent entre les Écritures et les fidèles, elles sont de facture éminemment humaine, leur origine indubitablement ecclésiastique fait d’elles, au sein du protestantisme, des relents de catholicisme dont il est temps de se débarrasser une fois pour toutes. En France, ce débat a encombré la vie des Églises réformées tout au long du XIX e siècle, entraînant même une scission du protestantisme lorsqu’un Synode national de légitimité contestée voulut imposer, en , le retour à une confession, pourtant très édulcorée par rapport à celle de La Rochelle. En Suisse, en revanche, les Églises réformées cantonales ont renoncé les unes après les autres, au cours de ce même siècle, à imposer une confession de foi tant à leurs fidèles qu’à leurs pasteurs : chacun est libre d’en avoir une, mais personne n’en a l’obligation. Mais suffit-il d’invoquer l’autorité des écrits bibliques pour régler le problème ? Fait qui donne à réfléchir : à la différence de ceux de leurs prédécesseurs qui avaient fait de la Confession Helvétique leur cheval de bataille, des revivalistes, en particulier le comte Agénor de Gasparin, grand champion de l’orthodoxie doctrinale, n’ont pas hésité à se joindre à cette campagne contre les confessions de foi au nom même de leur révérence pour
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116 Sur cet aspect de la pensée de Chenevière, y compris les références, voir ma contribution in : Olivier Fatio (éd.), Genève protestante en 1831, Genève, Labor et Fides, 1983, pp.54 ss.
l’autorité de la Bible ; ils opposaient la « divinité » des Écritures au caractère tout « humain » des confessions de foi. Or, au gré d’une inconséquence qui aujourd’hui nous surprend, l’un des principaux adversaires « libéraux » des confessions de foi, le professeur genevois Jean-Jacques Caton Chenevière, a construit son argumentation sur cette même opposition, tout comme il a recouru massivement à l’argument biblique, dans ses six Essais théologiques de , pour rejeter les doctrines pourtant vénérables de la Trinité, du péché originel, de l’expiation et de la prédestination. C’est que lui aussi, même vingt ans plus tard, entendait en appeler à la « divine autorité » des Écritures et les considérer comme « la seule source infaillible et divine de la vérité révélée » 116. Comme quoi les libéraux eux-mêmes ont parfois dû faire tout un cheminement pour distinguer entre les écrits bibliques, qui sont de rédaction et de transmission humaines, et la relation à Dieu dont ils sont le témoignage irremplaçable – cette relation pouvant seule être dite d’origine « divine », dans la mesure où Dieu seul, dans sa grâce, l’établit. Le problème des confessions de foi a refait surface alors qu’un autre siècle, le XX e, pointait déjà à l’horizon, à propos d’un autre texte, qualifié lui aussi de confession de foi : le symbole dit « des Apôtres ». Les réformateurs l’avaient repris à leur compte comme un résumé adéquat de la croyance chrétienne, le mettant même quasiment sur pied d’égalité avec les écrits bibliques. La recherche historique, surtout celle du XIX e siècle, a toutefois clairement montré qu’il n’était justement pas « des Apôtres », mais provenait de l’Église de Rome au IVe siècle, et l’attention portée au message même de Jésus a conduit à faire remarquer que le symbole en question énumère une série de faits tenus pour salutaires, mais ne restitue pas le message proprement dit du Maître de Nazareth. Les faits en question sont devenus des affirmations dont plusieurs, par exemple la descente « au séjour des morts » ou la foi « en la sainte Église universelle », sont peut-être dérivées de la Bible, mais n’y sont pas attestées comme telles. En Allemagne, vers le milieu du XIX e siècle, quelques pasteurs avaient été démis de leurs fonctions pour n’avoir plus fait
usage de ce symbole dans le déroulement du culte. Le problème devint plus conflictuel dans les années , quand Adolf von Harnack entra en lice pour défendre avec toute son autorité d’historien les pasteurs Schremp et Jatho qui s’étaient mis dans une situation identique ; mais la Première Guerre mondiale mit fin à la controverse. En France et en Suisse, en revanche, le problème s’est réglé par consentement tacite : sans qu’on criât gare, le symbole dit « des Apôtres » n’a plus figuré dans la plupart des liturgies officielles qu’à titre facultatif, et sa lecture ou son usage ont disparu de nombreuses paroisses réformées, ou même des cultes à caractère synodal ; à prendre les choses au pied de la lettre, il ne peut encore et toujours pas être considéré comme normatif, pour le plus grand soulagement des protestants libéraux. De fait, de nombreux pasteurs libéraux s’abstiennent comme moi de lire le symbole dit « des apôtres » lorsqu’ils ont la responsabilité d’un culte. La raison qu’on nous avance d’ordinaire pour nous inciter à remettre ce texte en usage, à savoir le fait qu’il serait commun à toutes les Églises, n’est pas convaincante du tout : les Églises orthodoxes d’Orient l’ignorent purement et simplement. À PROPOS DE KARL BARTH ET DU RÉGIME NAZI
D’autres dossiers abordés dans ces années-là intéressent directement le présent recueil de souvenirs et la perspective dans laquelle il se situe : d’une part celui de ce qui s’est passé dans les Églises protestantes d’Allemagne au moment du nazisme, d’autre part celui de la réception de la théologie barthienne dans les pays d’expression française avant 117. Le cours que j’ai donné à Montpellier sur le premier de ces deux dossiers et le livre que j’en ai tiré sont pour une bonne part de l’histoire de deuxième main : je ne disposais pas des documents originaux sur lesquels faire porter une enquête de première main et le plus urgent était de mettre à la portée des francophones les principaux résultats des travaux, souvent 117 Voir mes deux livres Une Église à croix gammée ? Le protestantisme allemand au début du régime nazi (1932-1935), Lausanne, L’Âge d’Homme, 1980, et Théologien ou prophète ? Les francophones et Karl Barth avant 1945, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1985, complété par l’édition avec introduction et notes de Karl Barth – Pierre Maury, « Nous qui pouvons encore parler… » – Correspondance 1928-1956, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1985.
THÉOLOGIES LIBÉRALES L’ENSEIGNEMENT DE L’HISTOIRE
excellents, déjà publiés soit en Allemagne, soit dans le monde anglo-saxon. Le second, en revanche, est le fruit d’une recherche que personne n’avait encore entreprise sous cette forme. Dans les deux cas, ma curiosité historique relevait de questions liées à mon penchant pour le protestantisme libéral. Commençons par Barth : à quoi son succès parmi les francophones est-il dû ? Ou en d’autres termes, comment se fait-il que tant de jeunes pasteurs et théologiens, dans les années -, l’aient préféré à Troeltsch, à Tillich ou à Bultmann ? Et pourquoi, conséquemment, sont-ils devenus si anti-libéraux ? Je crois avoir compris et même leur avoir rendu justice ; ils avaient besoin d’autorité, d’affirmations fortes, d’une certaine attitude de défi envers leur siècle ; ils ont eu le sentiment de participer à une seconde Réformation, à un redressement vigoureux du protestantisme. Mais je persiste à penser que, dans la même situation qu’eux, je n’aurais vraisemblablement pas partagé leur engouement pour la théologie de Karl Barth. Quant à la question du protestantisme allemand sous le régime nazi, je ne cessais de m’étonner de l’image idéalisée que, parmi les francophones, on se faisait (et l’on se fait encore le plus souvent) de l’Église confessante. Il y avait d’abord le problème de la Déclaration théologique de Barmen, texte barthien s’il en est : en dépit de toute mon aversion pour le nazisme, aurais-je souscrit à ce texte si j’avais été en Allemagne en En conscience, je n’y aurais probablement pas consenti, non par crainte de m’opposer au régime, mais par impossibilité de souscrire sans restriction mentale aux affirmations théologiques qui le structurent. Et puis, était-il vrai, comme les esprits de tendance barthienne ne cessaient de le soutenir, que le consentement des protestants allemands au régime nazi (au début, une forte proportion d’entre eux le soutenait) était une retombée de la théologie libérale qui avait prévalu au début du siècle ? Cette affirmation me paraissait d’autant plus invraisemblable que le libéralisme protestant, à mes yeux, conduit nécessairement à refuser tout autoritarisme ou tout totalitarisme que ce soit. Je ne voyais pas que des protestants libéraux dignes de ce nom aient pu mettre leurs pas dans ceux de Hitler. À y regarder de plus près, des pasteurs formés à l’école de la théologie libérale se sont effectivement complus dans les
rangs des « chrétiens-allemands », mais pas davantage que ne l’ont fait des orthodoxes. Et ceux qui se sont autorisés des libertés doctrinales prônées par le libéralisme théologique pour mettre leur christianisme au pas des exigences nazies n’étaient pas de vrais libéraux au sens où je l’entends dans ces pages ; l’eussent-ils été qu’ils n’auraient pu consentir à n’importe quoi, tant sur le plan des doctrines que sur celui des choix politiques et des comportements. Pour le reste, ma plongée dans cette page d’histoire m’a montré une fois de plus le simplisme de l’historiographie d’inspiration barthienne ou confessante, et la nécessité de se faire de toute cette situation une vision plus adaptée à ce qui s’est réellement passé. Cette vision rééquilibrée n’en est d’ailleurs que plus inquiétante : que faire, que dire dans une situation dictatoriale et totalitaire ? Je ne vois pas de réponse toute faite, tant les situations sont différentes les unes des autres. Mais cette question-là est une vraie question libérale et protestante. LES AFRICAINS ET ALEXANDRE VINET
Aborder de tels thèmes à la Faculté de Montpellier fut d’autant plus intéressant que, parmi les étudiants se trouvaient des Africains dont plusieurs venaient de pays en proie à des régimes dictatoriaux. Leurs réactions, leurs questions, leurs mises en cause n’en étaient que plus mordantes. Mais en même temps, d’autres thèmes comme celui justement de la théologie libérale dans la période contemporaine les laissaient indifférents : ils relevaient d’une problématique trop européenne à leurs yeux, pour ne pas dire trop tributaire d’un environnement embourgeoisé et aux préoccupations trop uniment intellectuelles. En revanche, quand je les ai mis en contact avec la pensée et l’œuvre d’Alexandre Vinet, en particulier avec son traité de sur la liberté de culte 118, ils ont aussitôt réagi avec vivacité : « C’est de livres comme celui-là que nous avons besoin chez-nous, » m’ont-ils dit à plusieurs reprises. Le libéralisme, c’est aussi et d’abord cela : des conditions concrètes d’exercice de la liberté tant personnelle que religieuse.
118 Alexandre VINET, Mémoire en faveur de la liberté des cultes Paris 1826/ Lausanne 1946.
AVEC ANDRÉ GOUNELLE À LA DÉCOUVERTE DE LA « THÉOLOGIE DU PROCESS »
119 André GOUNELLE, Foi vivante et mort de Dieu, Valence, Cahiers de Réveil, 1969.
“PROCESS”
André Gounelle connaissait déjà fort bien la théologie américaine, en particulier le courant qui, les années précédentes, avait beaucoup retenu l’attention des gazettes intéressées à ce domaine : la théologie dite « de la mort de Dieu ». Il venait même de publier une petite étude 119 qui, trop peu connue, n’en fait pas moins, à mes yeux, autorité sur ce sujet ; elle dénote toutes les qualités de perspicacité, de clarté et de bon libéralisme qui lui valent d’être reconnu comme l’un des meilleurs théologiens protestants de France au cap du XXI e siècle. André Gounelle était aussi en passe de devenir l’un des meilleurs connaisseurs francophones de la pensée de Paul Tillich. L’un va avec l’autre ; en dépit de son origine allemande, Tillich est le penseur qui a marqué le plus profondément toute la génération théologique américaine d’après-guerre, tandis que la pensée de Karl Barth ne mordait quasiment pas sur elle. La théologie de la mort de Dieu a eu de nombreuses facettes ; ce n’est pas ici le lieu d’en dresser l’inventaire, ni de me prononcer à leur endroit. Je remarque en revanche que ce courant théologique polymorphe nous a obligés à reprendre à la base de nombreuses questions que nous aurions pu considérer comme réglées, et de le faire en fonction d’un contexte
THÉOLOGIES LIBÉRALES AVEC ANDRÉ GOUNELLE À LA DÉCOUVERTE DU
LA THÉOLOGIE DE LA MORT DE DIEU
Les voyages réguliers à Montpellier m’ont donné la possibilité de rencontrer non moins régulièrement mon ami André Gounelle. Nous avons passé de nombreuses heures à confronter nos points de vue, à nous informer mutuellement sur toutes sortes de sujets, et puis nous avons pu diriger ensemble plusieurs séminaires à l’intention des étudiants. Nous avons ainsi eu l’occasion d’explorer de concert des thèmes ou des courants de pensée sur lesquels nous étions l’un et l’autre peu ou mal informés.
culturel, celui des États-Unis, en voie de contaminer de plus en plus nos manières européennes de vivre et de penser. Sommairement dit, l’expression « mort de Dieu » a donné lieu à trois interprétations : a) Dieu est mort, il n’y a tout simplement plus de Dieu ; b) Dieu est mort en Jésus-Christ, les chrétiens n’ont donc plus à développer une théologie, seule une christologie est désormais possible ; c) Dieu est mort dans notre culture et nous devons nous demander ce que notre référence à lui peut encore y signifier. La première interprétation nous confronte à l’athéisme le plus classique et le plus banal ; elle ne renouvelle pas fondamentalement le problème, sauf à nous rappeler que, considéré sous cet angle, il n’est jamais définitivement réglé pour autant. La seconde nous situe dans la perspective d’une sorte de luthéranisme exacerbé et repose sur une interprétation de la croix pour le moins sujette à caution – une interprétation qui sent un peu trop son ghetto théologique et que les théologiens libéraux auraient bien de la peine à reprendre à leur compte. La troisième nous oblige à nous demander à frais nouveaux comment poser et vivre la référence à Dieu dans le contexte de la société libérale avancée (libérale au sens économico-politique, qui n’est pas celui de la théologie libérale) – une société que, quelque temps plus tard, on allait se mettre à qualifier de « postmoderne » selon une expression tout aussi problématique que celle de « mort de Dieu ». Dans une étude qui a probablement dû une bonne part de son succès à son titre, La mort de Dieu 120, Gabriel Vahanian a judicieusement mis en évidence le fait que, théologiquement, cette mort culturelle de Dieu peut se repérer jusque dans la culture religieuse américaine, quand elle devient une religiosité qui, tout en ne cessant de parler de Dieu, se passe en réalité fort bien de lui. Le questionnement, on le voit, ne pourrait se faire ni plus pointu ni plus pertinent. DU CÔTÉ DE LA THÉOLOGIE AMÉRICAINE
Les théologiens européens du XX e siècle ont mis longtemps, trop longtemps, à s’intéresser à ce qui se passait chez leurs pairs d’outre-Atlantique. Au XIX e siècle, c’était différent. J’ai déjà cité le cas de William James. On avait aussi traduit en français, et donc lu, des œuvres majeures de Ralph Waldo 120 Paris, Buchet/Chastel, 1962.
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“PROCESS”
Emerson et de William Channing, deux représentants éminents de la pensée unitarienne. Je les avais évidemment lus à mon tour. Toute déconcertante qu’elle puisse être parfois pour un Européen, la lecture d’Emerson s’impose si l’on veut comprendre la sensibilité théologique américaine, qu’elle soit de gauche ou de droite. Sans les incitations d’André Gounelle, je n’aurais pas perçu aussi clairement et aussi tôt (mais c’était déjà tard !) l’intérêt de la production américaine en train de se faire. Aujourd’hui encore, je suis redevable à cet ami d’une bonne part de ce que je sais sur cette théologie d’outre Atlantique. Dans les années , le problème qui semblait devoir retenir en priorité l’attention des Européens était celui de la confrontation du christianisme et du marxisme, voire celui de leur fécondation réciproque. On n’hésitait pas à postuler l’exigence d’une interprétation « matérialiste » des évangiles et, à entendre certains théologiens, la lutte des classes était la clef herméneutique dont on avait besoin pour comprendre désormais la portée réelle du message chrétien. Ce discours très unilatéral, aujourd’hui, fait terriblement daté. Mais à ce momentlà, surtout en France, il donnait le ton. La fréquentation des auteurs américains offrait par contraste le très grand intérêt de nous confronter à un horizon culturel délesté de toute cette idéologisation articulée à des militances politiques – un horizon qui, à y regarder de près, correspondait davantage à notre réalité culturelle en devenir que le discours théologique dominant de ce côté-ci de l’Atlantique. Nous en étions là dans nos tâtonnements quand André Gounelle repéra dans les publications américaines récentes l’existence d’un courant appelé Process Theology. Ce courant nous semblait engagé dans des directions fort proches de l’idée que nous nous faisions d’une théologie libérale pour aujourd’hui. Le hasard fait parfois bien les choses ; il a voulu qu’un enseignant américain choisisse de passer une partie de son congé sabbatique à la Faculté de Montpellier et apporte dans ses bagages quelques livres de théologiens appartenant à ce courant de pensée. Grâce à lui, nous avons eu sous la main les documents nécessaires pour partir à la découverte de cette terra incognita théologique. Fort témérairement, nous décidâmes de mettre au programme
du prochain semestre un séminaire commun sur cette Process Theology. Autant dire que nous avons simplement fait participer les étudiants à notre exploration d’un territoire inconnu : d’une séance de séminaire à l’autre, c’est-à-dire de quinze jours en quinze jours, nous ne savions pas ce que nous proposerions ou dirions la fois suivante, et nous avons souvent dû harmoniser le résultat de nos découvertes et de nos lectures respectives quelques instants seulement avant le début du cours. J’ai rarement eu le sentiment d’un travail aussi stimulant et d’une telle aventure intellectuelle : nous avancions sans bien savoir ni où nous allions, ni surtout à quoi notre séminaire aboutirait. LA THÉOLOGIE DU « PROCESS »
Depuis lors, André Gounelle a publié sur la « théologie du Process » un livre qui fait toute la lumière nécessaire sur ce courant 121. Inutile de le résumer ici. En revanche, pourquoi cette théologie nous a-t-elle si fortement intéressés et, il faut bien le dire, marqués ? Nous avons été d’emblée attentifs au fait qu’elle tente de répondre à toutes sortes de questions que les gens, mais aussi souvent les étudiants, se posent, mais que la gent théologique européenne avait pris l’habitude de considérer comme « irrelevantes », comme on dit parfois dans un jargon truffé de germano-américanismes : problèmes du mal (plus classiquement : théodicée), de la vie après la mort, des relations que Dieu entretient non seulement avec les humains, mais avec l’ensemble du monde créé, voire avec l’Univers dans son ensemble, etc. Mais il y a plus : la théologie du Process rompt délibérément avec les habitudes et les présupposés qui ont prévalu dans la majeure partie de la théologie européenne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Alors qu’on avait pris le parti, de ce côté-ci de l’Atlantique, de ne plus s’engager dans les problèmes liés à la notion de théisme, elle tient pour nécessaire de commencer son travail par la formulation d’un théisme qui, pour s’appeler « nouveau », n’en est pas moins une entreprise relevant de cette discipline intellectuelle-là. Ou bien, elle s’applique à développer une théologie naturelle qui, 121 Il vient d’être réédité : André GOUNELLE, Le dynamisme créateur de Dieu, essai sur la Théologie du Process, Paris, van Dieren, 2000.
bien qu’elle se dise expressément « chrétienne », n’en a pas moins l’ambition, comme toute théologie naturelle, de se faire reconnaître comme crédible même par des esprits qui ne sont pas chrétiens, ou ne le sont plus. Ou encore, et c’est le plus caractéristique, elle pose l’impossibilité de parler sensément du Christ, donc de développer une christologie, si l’on n’a pas préalablement défini les principaux axes d’une doctrine générale de Dieu. C’est pour le moins un retournement complet par rapport, par exemple, aux options sur lesquelles s’est construite la théologie dialectique. JOHN COBB, MÉTHODISTE ET WHITEHEADIEN
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Le représentant le plus connu et le plus souvent cité de la théologie du Process est John B. Cobb, qui a enseigné la majeure partie de sa vie à l’École de théologie de Claremont (Californie). Je l’ai rencontré une première fois à Paris pour lui poser des questions qui appelaient quelques éclaircissements urgents à l’intention du séminaire que nous étions en train de conduire à Montpellier. Ensuite, je l’ai revu plusieurs fois à Claremont où il m’a accueilli avec beaucoup d’amabilité et de disponibilité. Il m’a fait visiter son Center for Process Studies et m’a fait faire la connaissance de David Ray Griffin, qui est un peu son alter ego théologique, et de Marjorie Shuchocki, qui lui a succédé dans la direction du centre en question. Les uns et les autres le disent clairement : la notion de « Process » avec laquelle ils opèrent est directement empruntée au philosophe et mathématicien anglais Alfred North Whitehead. Ils ne s’inféodent pas entièrement à sa pensée, mais elle est l’une de celles qui, à leurs yeux, permettent le plus adéquatement de rendre compte de la réalité. Aussi opèrent-ils avec une notion whiteheadienne du réel, du monde, de Dieu. Whitehead est, avec Emerson, l’un des classiques de la culture philosophique américaine. Mais pour un Européen latin, la démarche de leur pensée n’est pas des plus faciles à saisir. Au début de notre séminaire, la philosophie de Whitehead nous a donné du fil à retordre, pour notre plus grand bien d’ailleurs. Tout en reconnaissant devoir beaucoup à Whitehead et n’hésitant pas à qualifier sa propre pensée de « whiteheadienne », Cobb précise avoir adapté cette philosophie aux exigences de sa propre perspective théologique. C’est en ce sens que
l’un de ses principaux ouvrages affirme développer une théologie « naturelle », mais délibérément « chrétienne » ; elle est « fondée sur la pensée de Whitehead » 122, mais sans y être inféodée. On pourrait comparer cette attitude à celle de Thomas d’Aquin par rapport à Aristote. J’ai d’ailleurs entendu des voix protestantes affirmer que, finalement, la tentative du Californien ne vaudrait pas mieux que celle de l’Aquinate. Mais en son temps et compte tenu de l’horizon culturel de son époque, ce dernier avait-il tellement tort théologiquement, même d’un point de vue protestant ? Ce n’est pas aussi certain qu’on veut bien le dire. L’erreur, en revanche, serait de considérer que la solution thomiste demeure valable aujourd’hui comme alors. L’intérêt de la théologie du « Process » est de proposer une solution articulée à une conception du réel en accord étroit avec l’horizon culturel et cognitif de notre temps. Cette théologie permet par exemple d’aborder de manière théologiquement et intellectuellement satisfaisante aussi bien les problèmes de notre relation à l’environnement dans lequel nous vivons que ceux, toujours plus aigus, du dialogue interreligieux, tout en opérant avec une conceptualité, en particulier celle des « gouttes d’expérience », qui convient également à la description de la vie spirituelle. Elle propose en d’autres termes un cadre conceptuel global qui, loin d’isoler la vie spirituelle de ce qui se passe dans l’ensemble de la réalité, la fait relever des mêmes processes qui caractérisent, mais à des degrés divers, l’ensemble de la création, et la fait bénéficier des mêmes « propositions » par lesquelles Dieu poursuit son activité créatrice, donc aussi rédemptrice. UNE THÉOLOGIE À PRÉOCCUPATIONS PASTORALES
Pasteur méthodiste, John Cobb en a toute l’allure et toutes les préoccupations. Il laisse l’impression d’un homme modeste, consciencieux, peut-être même scrupuleux, en tout cas toujours animé du souci d’aider les autres à vivre pleinement et efficacement leur foi. Ses petits écrits sur la prière 123, sur 122 Voir son livre, par ailleurs très technique, A Christian Natural Theology, based on the Thought of Alfred North Whitehead, Philadelphia, Westminster, 1965. 123 To pray or not to pray, Nashville, Upper Room, 1974, trad. fr. « Prier ou ne pas prier », in : Dialogue, Bruxelles, 1981.
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“PROCESS”
124 Voir par exemple John B. COBB, Theology and Pastoral Care, Philadelphia, Fortress, 1977. 125 Voir le collectif Biblical Preaching on the Death of Jesus, Nashville, Abingdon, 1989. 126 Voir sa délicieuse petite fiction sur les doutes progressifs d’un étudiant en théologie : Thomas pris de doute, Paris, van Dieren, 1999. 127 Voir mon article « Théologie systématique et prédication. Exemple : la “Process Theology” », Études théologiques et religieuses 1988, p.251-262.
l’exercice du ministère pastoral 124 ou sur la prédication 125 le montrent bien. On n’en apprécie que davantage la joyeuse liberté avec laquelle il n’hésite pas à remettre en question les doctrines qui semblent les mieux accréditées dans la tradition chrétienne, par exemple celle de la toute-puissance de Dieu ou celle de l’exclusivité de la révélation chrétienne, sans craindre non plus de montrer combien de nombreuses affirmations doctrinales à propos de Jésus ou du Christ sont sujettes à caution 126. Mais tandis que certaines approches froidement critiques de ces mêmes propositions théologiques finissent parfois par priver les pasteurs qui en prennent connaissance de la simple envie de prêcher, la manière de Cobb restaure au contraire la raison d’être de la prédication et lui offre de nouveaux thèmes de réflexion. La prédication s’inscrit en effet dès lors dans la même perspective que celle de Dieu, qui n’impose pas, mais propose et offre l’occasion de nouveaux moments ou de nouveaux pas dans le développement de la vie spirituelle – de nouvelles « gouttes d’expérience » –, et la façon dont Cobb situe notre relation à l’ensemble de la création en train de se faire offre la possibilité d’approches renouvelées de nombreux textes bibliques. J’ai eu l’occasion d’en faire longuement l’expérience en paroisse, dans les années , dans une série suivie de prédications sur le livre de la Genèse 127. Cela ne signifie toutefois pas que la théologie du Process soit « la » théologie libérale dont nous avons besoin aujourd’hui. Elle n’est à mon sens qu’une proposition aidant à penser la théologie dans une perspective libérale. À la différence de ce que la tradition catholique avait cherché à faire avec le thomisme, elle n’est pas, ni ne prétend être, une philosophie pérenne, valable par-delà toutes les différences d’époques et de civilisations. Elle n’a de pertinence que relativement à l’état actuel de nos connaissances. Elle se considère d’ailleurs elle-même en situation de Process, donc constamment sujette
à adaptation, à révision, à évolution. L’un de ses grands avantages, dans notre situation présente, est de nous fournir des éléments et une conceptualité propres à répondre à un problème que la théologie libérale a trop souvent laissé en souffrance, en particulier dans ses versions influencées par l’existentialisme : celui des représentations. Même si, comme disait l’apôtre Paul, nous ne voyons que « comme dans un miroir » (I Co :), qui plus est dans un miroir restituant une image voilée comme le faisaient ceux de l’antiquité, nous avons besoin, pour nous situer par rapport au réel et par rapport à Dieu lui-même, de nous représenter comment ce réel fonctionne, comment il s’élabore, comment Dieu y intervient. Or c’est là le type de questions auxquelles la théologie du Process donne des éléments de réponse d’autant plus satisfaisants qu’ils renvoient à l’activité même de Dieu ou, comme dit André Gounelle, à son « dynamisme créateur ».
AUX PRISES AVEC LES PROBLÈMES INSTITUTIONNELS
Une fois de plus, un petit rappel historique ne sera pas de trop. Les protestants réformés, surtout ceux de France et de Suisse, sont volontiers persuadés que leur confession entretient des affinités étroites avec l’idéal démocratique et que ce modèle de gouvernement est comme par définition celui de leurs institutions ecclésiastiques. Ce n’est vrai que depuis la fin de l’Ancien Régime – grosso modo depuis la fin du XVIII e siècle.
THÉOLOGIES LIBÉRALES AUX PRISES AVEC LES PROBLÈMES INSTITUTIONNELS
UN PEU D’HISTOIRE
Lorsque, en , je m’étais exercé à contester la brochure dans laquelle Lukas Vischer plaidait pour que la Fédération des Églises protestantes de la Suisse renonce à son statut de simple fédération pour devenir une Église dans tout le sens institutionnel de ce terme, je n’imaginais pas que, quatorze ans plus tard, en , je serais appelé à faire partie du Conseil de cette même Fédération, c’est-à-dire de son organe exécutif. J’y ai siégé dix ans, avec la responsabilité de son département de théologie (j’étais son « ministre de la théologie », dirait-on dans le langage des gouvernements civils). Je me suis ainsi trouvé confronté très concrètement à une situation que les protestants libéraux sont parfois trop vite portés à traiter avec légèreté, comme si les problèmes institutionnels, indubitablement secondaires, pouvaient être résolus par le mépris. Dans leurs rangs, j’ai entendu à de réitérées reprises des propos très sévères à l’endroit de celles et ceux qui, dans les Églises, occupent une fonction pour ainsi dire gouvernementale, et je dois avouer m’être laissé aller plus d’une fois, dans mes jeunes années, à des critiques acerbes envers l’exercice même de l’autorité au sein des institutions ecclésiastiques et quant à ce qu’il peut impliquer de Realpolitik à coloration religieuse. Mais cette fois-ci j’étais à pied d’œuvre et je ne regrette pas d’avoir dû affronter cette situation-là. Elle m’a obligé à prendre toute la mesure d’une incidence du libéralisme protestant trop souvent passée sous silence : celle qui a trait au fonctionnement libéral des institutions.
Avant d’en arriver, mais comme une conséquence nécessaire, à ce modèle-là de fonctionnement institutionnel les protestants ont d’abord tiré une autre conséquence, disons intermédiaire, de leur principe du « sacerdoce universel » selon lequel il n’y a pas de différence essentielle entre les prêtres et les autres fidèles : la gestion des communautés ecclésiales ne saurait être le privilège des seuls « ecclésiastiques », elle doit être tout autant, voire davantage, l’affaire des « laïcs » (mais ce vocabulaire perd justement de sa pertinence en contexte protestant). D’emblée, les protestants ont donc confié à des représentants des fidèles le gouvernement de leurs Églises. Mais, sauf exceptions, ces mandatés n’étaient pas élus ; ils étaient choisis par cooptation, ce choix pouvant être soumis à l’approbation des fidèles. Au XVI e siècle déjà, il est vrai, des hommes de l’envergure du philosophe protestant français Pierre Ramus avaient préconisé la mise en place d’un régime plus réellement démocratique, mais il se sont heurtés à l’hostilité de théologiens comme Théodore de Bèze, le successeur de Calvin à Genève, qui ne voulait pas en entendre parler. Il a fallu attendre la Déclaration d’Indépendance américaine, qui est indubitablement d’inspiration protestante, et les changements politiques consécutifs à la Révolution française pour que le principe du sacerdoce universel trouve sa conséquence logique dans la mise en place effective de régimes démocratiques au sein des Églises protestantes 128. C’est là l’origine du régime dit « presbytérien-synodal » (une expression inventée en Allemagne au XIX e siècle) qui situe le centre de gravité des gouvernements ecclésiastiques à l’échelon des Églises locales, ou paroisses, et ne délègue à l’échelon synodal que la gestion des questions communes à l’ensemble des communautés relevant d’un même synode 129. En Suisse, organisation politique et organisation ecclésiastique ont pour ainsi dire déteint l’une sur l’autre, avec d’inévitables 128 En France, la chose ne s’est pas faite sans quelques difficultés. Voir à cet égard André ENCREVÉ, L’expérience religieuse et la foi. Pensée et vie religieuse des huguenots au XIX e siècle, Genève, Labor et Fides, 2001. 129 Les synodes ou « assemblées générales » (terme en usage dans les pays anglo-saxons) en question sont toujours ceux d’une région ou d’un pays donnés. À la différence de l’Église catholique-romaine, les Églises protestantes n’ont pas d’organe de gouvernement au-dessus de cet échelon régional ou national, donc aucune instance habilitée à parler au nom d’elles toutes.
En Suisse toujours, l’habitude veut que, à la différence de ce qui se passe dans les régimes présidentiels, les conseils exécutifs exercent leurs responsabilités de manière collégiale. Les décisions importantes sont prises en commun et engagent tous les membres du collège en question, même quand certains d’entre eux sont mis en minorité au moment du vote. Les décisions sont donc précédées d’une délibération plus ou moins longue de manière à tenir compte, autant que faire se peut, des différents points de vue. Cette solidarité n’est pas toujours facile à assumer. Elle suppose que chacun des membres du collège ait le courage de faire valoir son opinion, mais qu’il sache aussi procéder à une juste « pesée des intérêts », comme on dit en politique, et accepte, le cas échéant, de se rallier à une conception différente de celle qu’il défendait au départ. De toute façon, il est rare que la discussion n’entraîne pas des infléchissements ou des aménagements, parfois substantiels, de la proposition initialement mise en délibération. Jusqu’où peut-on aller dans le consentement à des options dif130 Le lecteur français doit ici prendre garde au fait que, sur le plan politique, le mot « fédération » n’a pas le même retentissement de part et d’autre du Jura ; en France, il a une nuance centralisatrice, d’où la crainte d’une « fédération européenne » qui empiéterait sur les prérogatives des États membres, tandis qu’en Suisse ce même mot implique un respect très poussé des prérogatives propres à chacun des membres d’une fédération.
THÉOLOGIES LIBÉRALES AUX PRISES AVEC LES PROBLÈMES INSTITUTIONNELS
LE PRINCIPE DE COLLÉGIALITÉ ET SES EXIGENCES
variantes d’un canton à l’autre, d’une Église cantonale à l’autre, et à cette nuance importante près que, à l’échelon national, ce qui est une confédération avec un pouvoir central relativement fort du côté politique n’est qu’une fédération aux liens moins contraignants du côté ecclésiastique 130. Vu sous cet angle, le conseil exécutif d’une fédération doit se montrer plus attentif et persuasif envers les organismes qu’il représente, que celui d’une confédération qui, lui, dispose d’un pouvoir de décision nettement plus élevé. Expérience faite, ce régime aux mailles moins resserrées convient nettement mieux à la gestion des affaires ecclésiastiques : il oblige à respecter les opinions et la liberté de chacun, à tenir compte du fait que la foi (ou le doute) ne saurait être l’objet de décisions centralisatrices et contraignantes, mais seulement de consensus longuement et patiemment élaborés.
férentes de celles que l’on estime devoir soutenir ? Les constructeurs de ponts connaissent bien le problème : ils doivent pouvoir définir le poids à partir duquel un véhicule exposerait l’ouvrage à une rupture de charge. Dans le domaine religieux plus encore que dans le champ politique, la difficulté, qui est en même temps un défi, est que ce seuil critique n’est pas situable objectivement, dans l’abstrait, indépendamment des circonstances. Les tenants de l’esprit d’orthodoxie, il est vrai, partent du principe que certaines définitions doctrinales, y compris dans le domaine de l’éthique, suffisent, à certains moments critiques, à délimiter l’acceptable de l’inacceptable. Mais dans le concret, c’est souvent une illusion : ces définitions sont toujours sujettes à interprétation. La norme à laquelle on croyait pouvoir se référer cesse du même coup d’avoir toute la normativité souhaitée, et aucun des participants à la délibération ne peut faire l’économie de ce que l’apôtre Paul qualifiait de « discernement des esprits » (I Co :), et Blaise Pascal d’« esprit de finesse ». La situation, en d’autres termes, est éminemment libérale pour chacun de ceux qui y participent, et tout aussi libérale dans son inspiration devient alors, quand elle s’impose, la décision éventuelle de ne pas se rallier à l’opinion commune. L’histoire du protestantisme libéral est jalonnée de ces moments où il a fallu savoir dire « non », en avoir le courage et en assumer les conséquences. Au Conseil de la FEPS, je n’ai jamais été acculé à cette extrémité, en particulier parce que la tendance libérale est plus ouvertement affirmée en Suisse alémanique qu’elle ne l’est d’ordinaire en Romandie. Les protestants libéraux de Suisse romande auraient souvent eu de la peine à résister aux vents contraires s’ils n’avaient pu compter sur le soutien alémanique. DE L’UTILITÉ DES INSTITUTIONS
Les protestants reprochent volontiers à la dimension institutionnelle de leurs Églises sa lourdeur, sa résistance aux élans prophétiques, son trop grand souci de respecter les règles. Ces règles n’ont rien d’éternel, aucune d’entre elles ne peut se prévaloir de quelque institution divine, même quand elles se réclament de je ne sais quel verset biblique (ou trouve toujours un verset biblique pour justifier l’institution d’un règle-
THÉOLOGIES LIBÉRALES AUX PRISES AVEC LES PROBLÈMES INSTITUTIONNELS
ment ou d’une règle de conduite). Elles n’ont de valeur qu’intérimaire, comme tout ce qui est humain, et seulement dans la mesure où elles permettent à une Église, ou à un ensemble d’Églises, de respecter au mieux les prérogatives de chacun. Quand elles ne sont plus adaptées aux exigences d’une situation, il faut les modifier, mais là encore sans arbitraire. J’en suis venu à me méfier de ceux qui, sous prétexte de ne rien comprendre aux mécanismes institutionnels, font fi des règles établies ; trop souvent, ils cherchent en réalité à imposer leur point de vue de manière quasi dictatoriale aux personnes trop faibles pour résister à la pression psychologique ou affective qu’ils exercent sur elles. Les règlements ecclésiastiques présentent justement l’avantage, quand ils sont bien conçus et appliqués avec doigté, de préserver les prérogatives de tous, y compris des personnes qui n’ont pas la parole facile. Ils sont comme certains rituels : leur observation protège les communautés de l’arbitraire des clercs, non sans préciser que ce comportement de clercs peut être le fait de laïcs aussi bien que d’ecclésiastiques. Cette participation directe à la dimension institutionnelle du protestantisme m’a fait prendre conscience de mon appartenance de fait à la famille des protestants libéraux qui n’ont jamais voulu rompre leur solidarité avec les Églises historiques issues de la Réforme, du moins dans la mesure où elles ne les excluaient pas. D’autres prennent une option différente ; c’est leur liberté et c’est leur droit. Ils font partie de ceux que l’on appelle volontiers les « chrétiens sans Église ». Mais se vouloir sans Église, c’est seulement se vouloir sans affiliation à une institution humaine ; ce n’est pas être pour autant « hors de l’Église » telle que Dieu la voit. Au sein des institutions ecclésiastiques protestantes, il faut parfois lutter pied à pied pour qu’on ne considère justement pas ces « sans Église » comme des « hors l’Église ». Ne serait-ce que pour rappeler en temps et hors de temps la légitimité de cette position de principe, il vaut la peine de participer aux institutions du protestantisme et les préserver du même coup de cesser d’être protestantes. Ces réflexions sur le côté inévitablement institutionnel du protestantisme, fût-il le plus libéral, m’ont conduit, une fois
chargé d’enseigner la théologie pratique, à consacrer tout un cours à ce que j’ai appelé le « droit ecclésial protestant », puis à en tirer un livre, ne serait-ce que pour combler une lacune de la littérature théologique protestante et francophone 131. Cela m’a obligé à mieux comprendre le fonctionnement de la pensée juridique et à en tenir compte dans mon traitement de ce problème. Je connais peu d’exercices théologiquement aussi profitables que cette fréquentation soutenue de modes de délibération différents de ceux qui prévalent dans sa propre discipline. J’allais bientôt faire une expérience identique et tout aussi bénéfique en tentant de m’initier à la démarche spécifique des architectes.
131 Entre la grâce et la loi. Introduction au droit ecclésial protestant, Genève, Labor et Fides, 1992.
EN DÉBAT AVEC LE CATHOLICISME
Normalement, les libéraux eussent dû être les artisans les plus actifs et les plus décidés d’un tel rapprochement. Leur attitude de principe semblait en effet les préparer à rencontrer le catholicisme avec moins de préjugés et moins de raideur doctrinale que ne pourraient le faire des protestants férus d’orthodoxie en matière de foi. Or, c’est dans l’ensemble juste l’inverse qui s’est produit. Pourquoi ? Mon propre cheminement devrait aider à mieux le comprendre. Au temps de mes études et dans les années qui ont suivi, les théologiens et pasteurs protestants les plus attachés à faire progresser la cause du rapprochement entre leur Église et celle de Rome étaient pour la plupart dominés par l’idée que la Réforme était allée trop loin dans sa révision des usages et de l’enseignement chrétiens. Ils jugeaient venu le moment de réhabiliter dans le protestantisme des éléments demeurés vivants du côté catholique. En Suisse romande, plus particulièrement dans le canton de Vaud,
THÉOLOGIES LIBÉRALES EN DÉBAT AVEC LE CATHOLICISME
REGRETTABLE, LA RÉFORME ?
Le protestantisme pourrait-il exister sans le catholicisme ? Depuis le XVI e siècle, le protestantisme, sous toutes ses formes, ne cesse de se situer par rapport à lui, et réciproquement, avec des phases de très forte opposition marquées par des polémiques virulentes quand ce n’était pas par des guerres. Au moment où je suis entré en Faculté de théologie, la préoccupation œcuménique faisait sa montée en force dans le monde occidental. Elle a eu des répercussions immédiates et profondes sur les relations entre les deux confessions. L’idée d’un concile comme l’a été Vatican II n’était pas encore dans l’air. Mais depuis une ou deux décennies, des catholiques et des protestants, des prêtres et des pasteurs, avaient entrepris de se rencontrer pour mieux se comprendre. Leur exemple faisait école, et les uns et les autres devenaient de plus en plus conscients du fait que leurs deux confessions ne pourraient plus coexister longtemps en faisant mine de s’ignorer réciproquement.
cette volonté de réhabilitation était avant tout le fait du mouvement Église et liturgie. J’y ai déjà fait allusion, mais peut-être n’est-il pas inutile de rappeler que les mentors de ce mouvement plaidaient pour le retour à une certaine forme d’épiscopat, pour une plus grande unité de doctrine et d’enseignement au sein de l’Église réformée, garantie justement par la soumission à l’autorité d’un évêque, pour davantage de vie sacramentelle et l’instauration de la communion hebdomadaire dans les paroisses, pour une plus grande discipline spirituelle dans le corps pastoral, etc. Résultat : dans l’ordre de la doctrine comme dans celui des usages, en particulier des usages liturgiques, les adhérents à Église et liturgie donnaient l’impression de militer pour une certaine recatholicisation du protestantisme. Mais le visible n’était pas seul en jeu. Plus inquiétant nous est apparu d’emblée, à quelques-uns de mes camarades d’étude et à moi, le danger que ces velléités faisaient planer sur les libertés inhérentes à l’attitude protestante – une attitude que je persiste à considérer comme une conséquence normale et nécessaire d’un christianisme bien compris. Dans le même temps, je participais assidûment aux réunions de l’Association chrétienne d’étudiants où je retrouvais des étudiants de toutes les Facultés universitaires et, toujours dans la perspective du mouvement œcuménique, nous avions des rencontres espacées, mais régulières, avec les étudiants de l’association similaire catholique. Lors de telles rencontres, ces derniers étaient toujours accompagnés de leur aumônier, l’abbé Pierre Mamie, très pugnace dans la défense de ses idées. Les discussions étaient vives, franches, jamais hargneuses, et nous faisaient percevoir d’autant plus nettement les différences d’attitude profonde entre les deux confessions. Or, à la sortie d’une séance au cours de laquelle les protestants s’étaient indignés que Rome ne veuille pas reconnaître les Églises protestantes comme des Églises à part entière, tandis que nous passions devant la cathédrale de Lausanne, dévolue au culte protestant depuis , l’abbé Mamie nous affirma avec force qu’il n’aurait pas de cesse que la messe ne soit de nouveau célébrée dans cet édifice. Plus tard, alors qu’il était devenu évêque de Lausanne, Genève et Fribourg et que, à titre de membre du Conseil de la FEPS, je le
rencontrai, sauf erreur à mon domicile, je lui ai rappelé, très amicalement d’ailleurs, ce propos si programmatique. Il protesta d’emblée qu’il ne le tiendrait plus sous cette forme, sachant bien que son vœu ne se réaliserait probablement pas. Mais il eut l’amabilité et la franchise de reconnaître que, sur le fond, il ne pouvait que continuer à regretter, non pas tellement la perte de cette cathédrale, mais le fait même de la séparation intervenue au XVI e siècle. Sur ce point, le regret est identique à celui que je n’ai cessé de voir transparaître du côté d’Église et liturgie et d’autres mouvements œcuménisants de la même farine. TROIS VISIONS DIFFÉRENTES DE L’ŒCUMÉNISME
THÉOLOGIES LIBÉRALES EN DÉBAT AVEC LE CATHOLICISME
Cette esquisse très brève de la situation permet de repérer trois attitudes différentes quant aux relations entre protestantisme et catholicisme. Pour Pierre Mamie comme pour l’ensemble du catholicisme que, faute de mieux, je qualifierai d’« officiel », la « robe sans couture » (mais l’allusion au vêtement de Jésus que se partagèrent les soldats romains est franchement abusive) a été malencontreusement « déchirée » au XVI e siècle, et il faut tout faire pour la recoudre ; mais cette reconstitution du vêtement aujourd’hui en morceaux ne peut se faire que sous la forme, encore à trouver, d’un retour sous la houlette du « successeur de Pierre » (en dépit de nombreux aménagements de surface, en particulier dans l’ordre du vocabulaire employé, l’attitude du Vatican sur ce point n’a pas varié, et l’œcuménisme dont le pape Jean Paul II a fait son programme de pontificat est à cet égard bien différent de celui auquel souscrivent les œcuménistes protestants… et une partie des œcuménistes catholiques). Pour Église et liturgie, mais aussi pour de nombreux protestants qui ignorent tout de ce mouvement tout en souscrivant à des options semblables en matière de rapprochements œcuméniques, la Réforme du XVI e siècle était nécessaire, mais elle est allée trop loin dans certaines de ses ruptures avec la tradition chrétienne. Ils regrettent de surcroît les évolutions qui, dans les siècles ultérieurs, ont encore accru la distance entre l’Église de Rome et celles qui sont issues de la Réforme. Ils en veulent en particulier à tout ce qui, dès le XVIII e siècle, c’est-à-dire dès l’apparition des premières velléités de protestantisme libéral, a encore accru le caractère protestant du
protestantisme. Aussi sont-ils volontiers en quête de ce qui pourrait rapprocher la piété protestante de la sensibilité catholique, mais sans renier pour autant ce qu’ils tiennent pour les acquis les plus nécessaires de la Réforme, en particulier le respect des Écritures. Ainsi s’échinent-ils à trouver un sens acceptable pour les protestants à la notion de « présence réelle » lors de la célébration de la cène et se mettentils à parler d’« eucharistie » à son propos ; ou bien ils cherchent à restaurer parmi leurs coreligionnaires une certaine vénération de Marie ; ou encore ils croient nécessaire de reprendre à leur compte des expressions propres à la théologie catholique contemporaine, par exemple celle de « théologie sacramentaire », de « monothéisme trinitaire », voire d’« Église une et indivisible ». Pour les protestants libéraux enfin, et c’est ce qui explique leur attitude réservée envers les mouvements œcuméniques qui ont traversé le XX e siècle, la Réforme a marqué dans l’histoire du christianisme une étape non seulement décisive, mais bientôt suivie d’autres évolutions d’autant moins regrettables qu’elles aussi peuvent être considérées comme inévitables ou nécessaires, en particulier sous l’angle d’une fidélité bien comprise aux exigences évangéliques. Cela ne signifie certes pas que, pour être fidèles, tous les chrétiens doivent devenir des protestants, voire des protestants libéraux. Vu sous cet angle, le protestantisme n’est pas plus « divin » que le catholicisme ou n’importe quelle autre variété de christianisme. Il n’est pas non plus à prôner comme s’il portait en lui je ne sais quel « salut » du christianisme. Il n’est qu’une manière tout humaine de servir Dieu. Mais on ne voit vraiment pas pourquoi, sauf à souscrire à la thèse fort contestable de la « robe sans couture », il faudrait revenir en arrière ou renoncer à certains acquis, par exemple à celui du libre examen en matière de foi, qui semblent s’imposer comme nécessaires à une juste attitude du christianisme dans le monde d’aujourd’hui. LE DÉBAT DU CÔTÉ DE LA HIÉRARCHIE
Ces discussions, je les ai retrouvées lors de mon du Conseil de la FEPS, en particulier lors des officielles que nous avions presque chaque Conférence des Évêques de la Suisse, et plus
mandat au sein rencontres très année avec la encore lorsque
THÉOLOGIES LIBÉRALES EN DÉBAT AVEC LE CATHOLICISME
nous avons préparé et eu un entretien d’une demi-heure avec le pape Jean Paul II en personne à l’occasion de sa visite en Suisse en . Pour la petite histoire, je me dois de raconter que, vers la fin de cet entretien, suite aux questions et objections que j’avais formulées, le pape me demanda non sans humour si je ne pouvais pas lui faire tout de même une petite place dans ma vision de l’œcuménisme. Je dus bien lui répondre que, effectivement, c’est bien difficile dans l’état actuel des choses ! Un collègue alémanique avait d’ailleurs tout de suite situé l’échange dans une perspective protestante en ne le saluant pas comme « sa sainteté », mais en lui disant tout bonnement dans son dialecte Gruezi, Herr Papst (« bonjour, Monsieur le pape ! »). Mais c’est à l’occasion d’un débat à portes closes avec les évêques que la différence actuelle entre les approches catholique et protestante du problème œcuménique m’est apparue le plus clairement. Objet de la controverse : la célèbre formule patristique postulant in necessariis unitas, in dubiis libertas, in omnibus caritas (unité dans les choses nécessaires, liberté dans les choses susceptibles d’être mises en doute, charité en toutes choses). Fait curieux, j’avais entendu évoquer cette formule par des unitariens de Transylvanie dans un congrès de l’IARF, et les universalistes américains, prêts à accepter presque n’importe quoi pourvu que cela ait des allures sympathiques, en avaient vigoureusement approuvé les termes ; mais c’était en anglais, et dans l’état où en était alors ma maîtrise de cette langue, je n’avais pas été en mesure de participer activement à la discussion. Or, dans la discussion avec les évêques suisses, il est rapidement apparu que la liste de ce que les catholiques et les protestants mettent dans la rubrique des necessaria d’une part, et dans celle des dubia d’autre part, n’est pas du tout la même. Plus exactement, les necessaria des protestants, à vrai dire fort peu nombreux, figurent tous dans la liste catholique des necessaria, mais les catholiques comptent au nombre des necessaria de nombreux points qui, pour les protestants, sont au contraire de l’ordre des dubia. Si les catholiques tenaient pour suffisante la liste protestante des necessaria, la solution du problème œcuménique serait relativement aisée à trouver, les différences entre les deux confessions étant dès lors presque toutes
de l’ordre des dubia. Mais ce n’est justement pas le cas : aux yeux de la hiérarchie, l’unité ne sera réalisable que le jour où la liste des necessaria sera la même de part et d’autre. La discussion a achoppé à cet égard sur un point particulièrement épineux et révélateur. Dans la perspective catholique, l’unité institutionnelle de l’Église est nécessaire, car l’Église instituée est médiatrice du salut. C’est d’ailleurs aussi pourquoi les théologiens catholiques parlent toujours de « l’Église » au singulier. Pour les protestants, les institutions ecclésiastiques sont utiles, mais secondaires ; elles ne sont en effet pas nécessaires au salut ; aussi parlent-ils volontiers « des Églises » au pluriel, ou du moins devraient-ils toujours le faire s’ils étaient honnêtes envers la situation existante. Lors de dialogues interconfessionnels, cette différence se traduit très souvent ainsi : les catholiques parlent avec insistance de « division » de l’Église, là où les protestants, ou du moins une bonne partie d’entre eux, ne voient que des « différences ». Or, si une institution réputée nécessaire au salut est divisée, la transmission de ce salut est menacée et les responsables de cet état de fait et de sa pérennité sont en état de « péché contre l’unité voulue de Dieu ». En revanche, si l’on est seulement dans l’ordre des différences, on peut regretter de ne pas s’entendre mieux, mais on ne voit pas pourquoi on se repentirait de divergences tenant de part et d’autre à des raisons qui, pour être humaines et révisables, n’en sont pas moins honnêtes et fondées sur des arguments que l’on tient pour contraignants, du moins dans l’état présent de son information et de sa réflexion. Autre variante de ces différences qui se cachent sous des nuances de vocabulaire, mais toujours dans la perspective des divergences touchant aux listes respectives des necessaria et des dubia : les représentants de la hiérarchie catholique ne cessent d’affirmer qu’ils reconnaissent l’existence et la légitimité de certaines différences entre les chrétiens, mais dans les limites d’une non moins certaine unité, d’où leur formule de « la diversité dans l’unité ». Les protestants dont je fais partie répondent que la diversité doit être acceptée dans toute son étendue et reconnue dans toute sa légitimité ; la formule en question doit donc être inversée : « l’unité dans la diversité ». Car, font-ils remarquer, il n’y a jamais eu d’Église véritable-
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ment une, et qui se serait divisée par la suite ; déjà au temps du Nouveau Testament, il y avait plusieurs Églises, plusieurs formes de chrétienté, plusieurs manières de concevoir et d’exprimer le message évangélique. La divergence est-elle insurmontable ? Bien des chrétiens comptent sur le Saint-Esprit pour y parvenir. Il conduira peut-être à une solution que ni les uns ni les autres ne sont en mesure d’imaginer aujourd’hui. Mais la conception de l’unité qui sous-tend les discours romains en la matière estelle tenable ? Les théologiens protestants n’ont cessé de reprocher à la doctrine catholique de l’Église de confondre en fait cette dernière avec le Royaume des cieux, ou de lui prêter une valeur et une fonction équivalant de fait à celles de ce Royaume ; c’est inévitable aussi longtemps que l’on considère l’Église instituée comme pratiquement médiatrice du salut et de la grâce divine. Pour la plupart des protestants, au contraire, les Églises, dans leur dimension institutionnelle, sont de ce monde, et ce que l’ancien mythe biblique de la tour de Babel dit de l’humanité dans son ensemble leur est applicable : quand les hommes ont voulu forger leur unité, Dieu leur a imposé de vivre dans la diversité. Loin d’enfreindre la volonté de Dieu, la diversité et la pluralité des Églises doivent au contraire être considérées comme leur statut normal sur cette terre. Il n’y a donc pas lieu de s’en affliger. Reste la règle in omnibus caritas : ce qui est inacceptable entre chrétiens, ou entre confessions chrétiennes, c’est la haine, l’irrespect, les coups bas pour se dérober des fidèles, l’incapacité ou le refus de se porter assistance. Or, cela, nous l’avons bel et bien réappris au cours du XX e siècle. Il était temps ! Voilà pour les relations avec le catholicisme que, faute de mieux, je qualifie d’« officiel », c’est-à-dire celui avec lequel le protestantisme, sous ses diverses formes, a sans cesse maille à partir ou dont il doit se démarquer, en particulier sous l’angle de la doctrine, de l’éthique et des exigences institutionnelles. Considéré sous cet angle, le protestantisme libéral n’a donc rien d’anti-catholique, même si certains libéraux donnent parfois l’impression d’en vouloir à l’Église de Rome. Il ne peut en revanche que s’insurger vigoureusement chaque
fois que les porte-parole de cette Église donnent à entendre qu’elle seule incarne la plénitude du vrai christianisme.
SOUS LE SIGNE DE L’AMITIÉ AVEC DES CATHOLIQUES
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Cela dit, j’ai la chance d’avoir des amis catholiques, les uns prêtres ou théologiens, les autres laïcs. Pour la plupart, ils sont loin de souscrire à l’impérialisme de fait qui transparaît dans trop de textes issus de la curie romaine. L’un de mes amis prêtres (je n’ose pas citer son nom, c’est un ami trop cher !) tient même parfois sur le Vatican des propos considérablement plus sévères et critiques que les miens. Il est vrai que les prises de position pontificales ne me concernent pas directement. Eux sont au contraire quotidiennement aux prises avec les préceptes de cette institution et avec son système de gouvernement, ce qui ne va pas sans susciter bien des difficultés dans le concret de leur mission pastorale. Mais quand nous sommes ensemble, à quoi bon ressasser tous ces problèmes d’ordre institutionnel, suffisamment connus de chacun ? Il y a suffisamment d’autres questions, plus importantes, pour retenir notre attention. Cela, nous l’avons expérimenté avec André Gounelle et d’autres protestants au sein de l’Association Paul Tillich d’expression française. Elle a été fondée à l’initiative de Fernand Chapey, un prêtre qui s’était enthousiasmé pour la pensée de Tillich et qui a traduit plusieurs de ses œuvres en français. Le premier colloque de cette association s’est tenu en au centre jésuite de Chantilly. Nous sommes plusieurs, parmi lesquels des représentants de la jeune génération, à tenir beaucoup à de telles rencontres. Elles sont à mes yeux l’un des endroits où l’on peut le mieux discuter de théologie sans qu’interfèrent sans cesse les divergences entre confessions, ou la crainte de rompre en visière avec les positions « officielles » des Églises auxquelles nous nous rattachons. J’ai déjà dit les raisons de l’intérêt que les protestants portent à la pensée de Tillich. De nombreux catholiques ont découvert en lui un théologien protestant qui, par son souci de toujours conjuguer la réflexion théologique avec une préoccupation philosophique, leur permet de se déprendre du thomisme qui régnait en maître dans l’enseignement de leur Église jusqu’au deuxième concile du Vatican, sans pour autant brader leur attachement légitime aux exigences de la philosophie. L’Association Paul Tillich d’expression française a été une affai-
re strictement européenne, jusqu’à ce que Michel Despland, déjà cité, incite des théologiens catholiques québécois à franchir l’Atlantique pour participer à l’un de nos colloques. Ce fut à Montpellier, au début de janvier , par un froid de canard qui surprit même les Canadiens. Dans ce petit groupe, il y avait en particulier Jean Richard, de l’Université Laval à Québec, qui passe aujourd’hui avec André Gounelle et Jean-Claude Petit (dont nous n’avons fait la connaissance qu’un peu plus tard) pour l’un des meilleurs connaisseurs francophones de la pensée de Tillich. Gounelle et Richard ont d’ailleurs fait plusieurs émules parmi leurs étudiants et les ont conduits jusqu’au doctorat. De l’intérêt que nous avions les uns pour les autres nous sommes bientôt passés à une amitié de longue durée, et Jean Richard n’a pas ménagé ses efforts pour nous faire inviter, André Gounelle et moi, dans son Université. C’est ainsi que, en automne , la possibilité m’a été offerte de donner à la Faculté de théologie de l’Université Laval, à titre de professeur invité, un trimestre de cours sur la théologie protestante d’expression française. Cela eût été inimaginable au temps de mes études : cette Faculté passait alors pour le conservatoire et le bastion du catholicisme le plus rigide et le plus traditionnel. Mais entre temps, il y avait eu à la fin des années ce que les Québécois appellent « la révolution tranquille » : une décléricalisation en douceur de la vie publique et religieuse de la « Belle Province ». Premier théologien protestant d’expression française à bénéficier d’une telle invitation, j’ai été admirablement accueilli. Je n’ai jamais eu l’impression d’être là comme une sorte de mouton noir dans une bergerie étrangère. J’ai même été surpris de l’intérêt que les étudiants et quelques professeurs portaient à cette théologie protestante francophone, dont ils ignoraient tout et dont je me suis bien gardé de dissimuler les options les plus susceptibles de les surprendre ou de les déstabiliser. Je me rappelle en particulier leur intérêt pour la pensée d’Alexandre Vinet qui, dans ce contexte, pouvait apparaître comme un chantre de la liberté en matière de foi. Comme André Gounelle, j’ai été invité à plusieurs reprises par Jean Richard à participer à ses recherches sur la pensée de Paul Tillich. Puis, lorsque j’ai assumé l’enseignement de la théologie pratique à l’Université de Lausanne (voir plus loin),
Les autres aspects de l’œcuménisme, à savoir ceux qui sont en relation avec le Conseil œcuménique des Églises ou des organismes analogues, m’apparaissent moins intéressants et moins stimulants. Les textes issus des différents colloques ou conférences qu’ils organisent résultent trop souvent d’exercices ressemblant à une tentative de faire tenir des noix sur un bâton, et je ne puis que m’inquiéter, avec d’autres, de constater que ces déclarations et autres résolutions en viennent à se rapporter les unes aux autres, comme si l’on assistait à la constitution d’une sorte de corpus de l’orthodoxie œcuménique, avec des prises de position doctrinales que l’on hésitera à remettre en question ou à révoquer en doute. Les Églises orthodoxes orientales, il est vrai, reprochent de plus en plus au COE son inspiration et son mode de fonctionne-
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AUTRES OUVERTURES ŒCUMÉNIQUES
ce fut au tour des « practologues » de la Belle Province de m’inviter. Parmi eux, derechef un professeur de l’Université Laval : Marcel Viau, un théologien laïc, devenu lui aussi un ami très cher. Un jour que je lui soumettais un de mes articles plutôt sévère sur je ne sais plus quelle prise de position officielle du Vatican, il m’a fait une réflexion qui m’a aidé à mieux comprendre les réactions qu’entraîne l’appartenance à un milieu massivement catholique comme peut l’être celui du Québec : « Pourquoi, vous protestants, avez-vous tellement besoin d’exprimer aussi publiquement vos désaccords ? Pourquoi ne laissez-vous pas le temps faire son œuvre ? » Sur le moment, je ne dois pas avoir répondu à satisfaction. Derrière cette manière d’envisager la situation, il y a évidemment toute l’importance que la sensibilité catholique accorde à l’Église considérée comme une institution de salut. Mais ce thème n’interfère ni dans nos discussions, ni dans notre amitié. Simplement, nous sentons et savons, les uns et les autres, qu’il y a là une divergence dans l’appréciation de la situation. Mais cette différence ne devient pas opposition, ni surtout obstacle à une recherche commune. Nous sommes bien plutôt des partenaires de vérité, à l’amitié suffisamment éprouvée pour pouvoir nous dire les choses à la fois aimablement et franchement. C’est une bonne mise à l’épreuve de l’attitude libérale dont nous prétendons nous inspirer de part et d’autre.
ment trop occidentaux et, pour tout dire, trop « protestants ». Si c’est bien là qu’est la difficulté, alors je n’hésite pas à prétendre que le COE doit justement se souvenir de ses origines protestantes, mais en se désoccidentalisant. Ce n’est évidemment pas d’Européens qu’on peut attendre le modèle d’un protestantisme, voire d’un protestantisme libéral, non occidental. Sur ce point, je ne puis que jeter une bouteille à la mer et espérer qu’elle atteigne d’autres rivages que le nôtre.
THÉOLOGIES LIBÉRALES RETOUR EN PAROISSE
RETOUR EN PAROISSE
En , après onze ans d’aumônerie universitaire, des raisons d’ordre familial m’ont fait renoncer à poser ma candidature pour un enseignement à plein temps à la Faculté de théologie protestante de Montpellier, et j’ai eu la chance de renouer avec le ministère pastoral paroissial, à Écublens - Saint-Sulpice, aux portes de Lausanne. Je dis bien la chance. Car c’en fut une sous deux aspects au moins : d’une part, elle m’a offert la possibilité d’échapper aux étroitesses et à une certaine artificialité des horizons académiques au gré d’un contact plus direct et plus quotidien avec des gens de tous âges et de toutes conditions ; d’autre part, onze années durant, le statut de ministre « spécialisé » (quelle expression ambiguë !) m’avait mis, par rapport à la vie paroissiale, dans une situation identique à celle de tout un chacun et m’avait permis de faire sur l’exercice du ministère en paroisse nombre d’observations qui me donnaient quelque recul par rapport à lui. DE LA PRÉDICATION
Premier bénéfice de ce retour à un ministère paroissial : le fait de conduire de nouveau régulièrement des cultes. La foi chrétienne ne saurait se contenter de cultes seulement, sauf à devenir ritualiste ou même fétichiste. La célébration du culte n’en constitue pas même le sommet. Comme aimait à le répéter mon ancien maître Henri Germond, le christianisme bien compris ne commence vraiment qu’au moment où le culte prend fin. Mais je ne vois pas le christianisme se passer de cultes et les tentatives, parfois d’inspiration libérale, de renoncer à en célébrer ou de les remplacer par d’autres activités ont toutes fait long feu, voire chou blanc. Le culte demeure à mon sens le vrai point d’ancrage de toute théologie, et c’est dans son élaboration et son déroulement qu’une théologie devrait pouvoir faire preuve de son utilité et de son efficacité. C’est d’ailleurs par ses réorganisations du culte que 132 C’est dans cet esprit que j’ai conçu, d’abord à l’intention de ma paroisse, Liturgies en chantier. Principes et modèles, Lausanne, Belle Rivière, 1984.
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la Réforme s’est rendue le plus immédiatement compréhensible et convaincante pour les populations, et c’est dans ce domaine encore que le protestantisme libéral devrait sans désemparer faire valoir ses exigences et sa contribution tant théologiques que spirituelles 132. J’étais désormais plus convaincu que jamais, non seulement de l’importance de la prédication, mais aussi de la nécessité de la concevoir en relation étroite avec les autres éléments qui entrent en composition dans la mise en place d’une liturgie. Les protestants libéraux des générations précédentes me semblent n’avoir pas toujours prêté suffisamment d’attention à ce problème de la juste insertion de la prédication dans le rituel global du culte. Choix des cantiques (souvent laborieux : comment concilier des exigences portant à la fois sur la qualité de la musique et sur le sens des paroles chantées ?), libellé des prières, coordination de ce qui va être dit et des pièces jouées par l’organiste ou d’autres musiciens, prédication : l’élaboration de tous ces éléments devrait aller de pair et constituer une sorte de Gesamtkunstwerk, d’œuvre d’art globale ou intégrée, pour reprendre l’expression bien connue de Richard Wagner, faute de quoi les fidèles risquent bien de perdre de vue le fil conducteur du culte. Être convaincu, dans les années , de l’importance et de la nécessité de la prédication, c’était presque aller à contre-courant, tant l’état d’esprit du moment semblait aller dans le sens d’une certaine désespérance à l’endroit de la parole. Les prédications mal préparées, prononcées dans le sentiment débilitant qu’il faut bien le faire, mais que c’est presque du remplissage, sont effectivement de trop, pour ceux qui les prononcent comme pour ceux qui les écoutent. Mais laissons là ces négligences et leurs effets. En fait, je ne connais pas d’exercice théologique plus stimulant, plus fondamental et plus déterminant. Plus passent les années et plus je découvre combien prêcher est plus intimidant et redoutable que professer un cours, donner une conférence, écrire un article pour une revue spécialisée ou rédiger un livre. La prédication oblige à aller à l’essentiel, même si l’on n’y parvient pas toujours, et quand elle atteint son but, elle touche à des aspects très personnels de l’existence, que ce soit du côté des fidèles comme de celui du prédicateur. Aussi aimerait-on que
tous les théologiens s’exercent plus ou moins régulièrement à la prédication, ne serait-ce que pour bien mesurer la portée de ce qu’ils font. De leur côté, les prédicateurs ne devraient jamais oublier la dimension proprement théologique de leur activité, car les fidèles eux aussi ont besoin de théologie. Quelque deux ou trois mois après mon retour en paroisse, un paroissien m’a donné sans s’en rendre compte une bonne leçon. « Cela commence à mieux aller, m’a-t-il dit à l’issue d’un culte, on commence à bien comprendre ce que vous voulez dire. » Par la bande, il s’en prenait non à ce que j’avais dit dans la prédication, mais à des tournures encore trop marquées par les manières de dire et de penser des milieux académiques. Par la suite, il m’est souvent arrivé d’entendre des gens s’incliner devant ce qu’ils croyaient être le savoir théologique de tel ou tel prédicateur, mais regretter que son discours, « trop intellectuel » à leurs yeux, ne soit pas à leur portée. Devant des remarques de cet ordre, ma réponse est maintenant que les prédicateurs en question ne sont justement pas assez « intellectuels » ou intelligents, car s’ils l’étaient vraiment ils pousseraient leur travail préparatoire assez loin pour réussir à mettre à la portée et dans les mots du plus grand nombre cette « science théologique » dont on les gratifie. Jésus, d’ailleurs, parlait simplement ! UNE PRÉDICATION LIBÉRALE ?
Ce précédent de la prédication de Jésus, tellement à la portée de tout un chacun, tout en étant si redoutablement intelligente, les théologiens et prédicateurs libéraux du XIX e et du début du XX e siècle l’ont souvent opposé aux complications de la doctrine orthodoxe. Y aurait-il, alors, une manière spécifiquement libérale de prêcher ? C’est possible, encore que je n’en sois pas certain. La seule chose dont, à cet égard, je sois sûr est que la chaire chrétienne n’est pas faite pour prêcher le protestantisme libéral ou pour recruter des disciples pour quelque tendance doctrinale que ce soit, mais pour annoncer à toutes et à tous un Évangile qui ne nous appartient pas. Comme le disait l’apôtre Paul, nous n’avons pas à souhaiter que les gens soient de lui, d’Apollos ou de Céphas, mais du Christ (I Co :). Un prédicateur vraiment protestant et libéral me semble dans le droit fil de ce qui est attendu de lui quand sa prédication
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n’affiche justement pas d’étiquette et que les fidèles de toutes tendances trouvent leur pain dans ce qu’il leur propose. Pour le dire autrement, la chaire n’est pas faite pour des polémiques entre théologiens ou même entre confessions. Deux exemples empruntés à l’histoire sont éloquents sur ce point. En , Jean-Sigismond de Transylvanie, par son édit de Torda, interdit aux prédicateurs religieux officiant sur ses terres de polémiquer en chaire les uns contre les autres. Cette mesure inspirée par le protestantisme unitarien, c’est-à-dire non trinitaire, valut à cette région vingt ans de tolérance et de paix confessionnelle. Malheureusement, au terme de cette période des princes catholiques succédèrent à Jean-Sigismond et appliquèrent son édit de manière de plus en plus restrictive, jusqu’à ce que l’intolérance reprenne finalement le dessus. En , la Compagnie des pasteurs de Genève s’inquiéta à juste titre des polémiques doctrinales qui gagnaient les chaires du canton à la suite des attaques dont plusieurs de ses membres étaient l’objet de la part de certains de leurs collègues revivalistes. Elle demanda aux prédicateurs de son ressort de s’abstenir d’aborder dans leurs sermons les thèmes suivants : manière dont la nature divine est unie à la personne de Jésus-Christ, péché originel, manière dont la grâce opère et prédestination. Les historiens influencés par le Réveil se sont beaucoup gaussé de cette mesure et certains continuent à le faire. Mais quand on y regarde de près, on constate que la majorité de la Compagnie en question n’était pas aussi « rationaliste » qu’on s’est tellement plu à le lui reprocher. Simplement, elle voulait éviter que des spéculations sur des thèmes abstraits et fort sujets à caution, et les polémiques qu’elles entraînaient, n’en vinssent à distraire l’attention de l’Évangile proprement dit. C’était peut-être maladroit, et ce l’est indubitablement si le résultat en est d’écarter de la chaire toute opinion et tout effort de pensée. Mais qu’une mesure de cet ordre ait paru nécessaire à ce moment-là demeure l’indice que, en chaire, par libéralisme protestant bien compris, certaines limites ne doivent pas être franchies, ne serait-ce que par respect et des fidèles et de l’Évangile. Cela dit, la prédication d’un protestant libéral (mais je n’exclus pas qu’un protestant orthodoxe puisse être du même avis) me
semble devoir se distinguer de deux manières. D’abord par son honnêteté : un prédicateur devrait à mon sens toujours s’abstenir de donner à penser qu’il croit des choses qu’il ne croit pas vraiment. Pour le dire autrement, j’ai toujours de la peine à comprendre, donc à admettre, qu’un prédicateur puisse affirmer : « Je prêche ce qu’enseigne la doctrine de mon Église », alors même que cette doctrine postule des faits ou des croyances auxquelles, en conscience, il peine à souscrire. Comment veut-il que ses auditeurs admettent ce que luimême n’admet précisément qu’à contre cœur ? De tels exercices de restriction mentale relèvent peut-être du salut par les œuvres, mais certainement pas du salut par grâce. Et puis j’ai l’impression (mais je peux me tromper) qu’un prédicateur libéral tombe rarement ou difficilement dans le travers de sermons construits sur des schémas déductifs, en commençant par postuler toute une série de démarches du côté de Dieu pour en conclure aux bénéfices que nous pouvons en retirer. C’est par exemple le cas avec la doctrine de l’expiation, qui imagine toute une comptabilité sacrificielle entre Dieu et lui-même à propos de la mort de Jésus sur la croix, pour aboutir à la certitude de notre propre salut. Je vois la prédication chrétienne suivre des itinéraires bien différents de ceux qui prévalent dans les argumentations de barreau, dans les calculs de conseils d’administration ou dans les stratégies des partis politiques. Ses modèles me semblent à prendre plutôt du côté des arts, de la musique, de la poésie – des paraboles ! LA DIVERSITÉ DES EXPÉRIENCES RELIGIEUSES
Sur le terrain, j’ai évidemment retrouvé tout ce que William James, déjà cité, avait remarqué quant à la « diversité de l’expérience religieuse » : diversité des personnes, des tempéraments, des manières d’assimiler, de ressentir et de vivre la foi chrétienne. Cette diversité, un pasteur doit la respecter, même si ce n’est pas toujours des plus facile, d’autant qu’à chaque changement de pasteur, c’est bien connu, la « clientèle paroissiale » change quelque peu. Les affinités électives jouent leur rôle, inévitablement. Ma seule présence a probablement attiré quelques personnes et en a éloigné d’autres, mais j’ignore lesquelles et je n’ai jamais cherché à le savoir, par respect justement des uns et des autres. Mais pourquoi
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faudrait-il que les pasteurs, sous prétexte de « se faire tout à tous », comme disait l’apôtre Paul (I Co :), jouent à afficher un tempérament ou des affinités qui ne sont pas les leurs ? Là encore, c’est affaire d’honnêteté, mais aussi de juste appréciation du service que peut assumer un pasteur dans la société contemporaine. Certains voudraient voir en lui je ne sais quel champion de la foi, pour ne pas dire de la crédulité, qui par son attitude suppléerait à leurs propres difficultés de croire. Ce faisant ils postulent, mais sans s’en rendre compte, une division de l’humanité en deux catégories d’individus : d’une part les religieux professionnels et d’autre part ceux qui ne le sont pas. Je tiens au contraire pour très sain que l’on sache combien les pasteurs, eux aussi, ont des doutes, tant il est vrai que, comme je ne cesse de le rappeler, on est sauvé par la grâce de Dieu, et non par un refus volontariste du doute drapé dans les oripeaux de la piété et de ses attitudes convenues. Interrogé sur ce point, j’ai le sentiment de n’avoir en général pas hésité à répondre en substance : « Eh bien, oui, moi aussi j’ai des doutes et je ne crois pas n’importe quoi. Pourtant je suis pasteur et ces doutes font que je le reste. C’est aussi cela, la foi. » Et ce l’est d’avoir souvent l’impression de me trouver en présence de personnes apparemment plus croyantes que moi. Mais ce n’est pas à moi d’en juger ; c’est affaire intime entre Dieu et elles. Il me suffit de savoir que, sans leur présence et leur amitié, mon ministère eût certainement tourné à vide.
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En , j’ai abordé la dernière étape de mon activité professionnelle en accédant à la chaire de théologie pratique de l’Université de Lausanne, avec Claude Bridel pour prédécesseur immédiat. J’imagine que, représentant des options théologiques sensiblement différentes des siennes, je ne devais pas être son candidat préféré. Il n’en a pas moins été d’emblée envers moi d’une correction, d’une civilité, d’une collégialité, d’une amabilité, d’une cordialité et même d’une amitié exemplaires. Il l’est toujours. Je tiens à le souligner et à lui en rendre hommage, et j’espère en retour ne l’avoir pas déçu sur ce point. LE RAYONNEMENT D’UNE PENSÉE
Dans cette chaire, nous avons été l’un et l’autre de lointains successeurs d’Alexandre Vinet. Honneur redoutable ! Vinet ne l’a occupée qu’une dizaine d’années, de à , mais en lui conférant un prestige et un rayonnement dont aucune chaire de théologie de l’Académie de Lausanne, devenue Université en , n’a plus bénéficié depuis lors. On peut dire de ce penseur qu’il occupe dans le protestantisme d’expression française une place comparable à celle de Schleiermacher en Allemagne, mais à cette différence près que les Allemands n’ont cessé de s’intéresser à ce dernier, tandis que les protestants francophones ont eu tendance, dès le milieu du XX e siècle, à laisser Vinet tomber dans un certain oubli. Aussi, du fait des cours et publications que je lui ai consacrés, passè-je parfois pour un de ses lointains disciples bien que je ne le sois pas à proprement parler. Au temps de mes études, nos professeurs vouaient à Vinet une admiration qui les amenait à le citer comme une autorité difficilement contestable, tout comme les barthiens l’ont fait depuis lors de Karl Barth. Quand ce dernier fut invité à donner une leçon dans l’auditoire de théologie de Lausanne, quelques années avant que je ne sois inscrit dans cette Faculté, le doyen d’alors, Henri Meylan, crut d’ailleurs bien
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133 À la redécouverte d’Alexandre Vinet, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1987. Chez le même éditeur, j’avais déjà publié en 1983, sous le titre « La vérité n’a point de couture », les réflexions et aphorisme tirés des agendas de Vinet. 134 Voir l’édition que j’en ai donnée in : Revue historique vaudoise, Lausanne, 1984, pp.73-222.
faire en faisant remarquer à son hôte qu’il allait monter dans la chaire du haut de laquelle Vinet avait enseigné. Avec l’humour mordant qui le caractérisait, Barth répondit, son regard tourné vers la chaire en question : « Mais elle est vide ! » Il n’avait pas tout tort. À ce moment-là, la référence à Vinet, trop délibérément déférente, était en effet à bout de souffle et nos professeurs, à force d’invoquer son autorité, mais sans assez de recul critique, ne nous convainquaient plus vraiment. « Notre Vinet », aimaient-ils dire ; mais ce n’était pas suffisant pour que nous l’admirions à notre tour. À la fin de ma première année d’études, Henri Meylan eut toutefois la très heureuse idée de me proposer comme sujet de mémoire en histoire une recherche sur ce que Vinet, dans sa correspondance, avait écrit à propos des gens du Réveil. Je n’aurais pu souhaiter meilleure porte d’accès à sa pensée. La piété un peu exacerbée de Vinet est en effet l’un de ses traits dans lesquels je me reconnais le moins. Or, dans ses lettres, il se montre justement très réservé envers les aspects les plus exaltés du Réveil, et plus encore envers l’esprit de jugement que les revivalistes de cette époque affichaient si volontiers à l’endroit des chrétiens qui ne partageaient ni leurs convictions ni leur manière de concevoir la piété. D’emblée, j’ai donc été mis en présence d’un Vinet tout en nuances et en ouverture d’esprit. Je m’en suis souvenu avec profit quand les circonstances m’ont conduit à m’intéresser plus délibérément à l’ensemble de son œuvre. Chargé, à Montpellier, d’enseigner l’histoire de la théologie protestante d’expression française et sachant l’influence décisive que Vinet a eue sur l’ensemble de cette théologie pendant tout un siècle, qu’elle soit orthodoxe ou libérale, je me devais évidemment de lui consacrer un cours. Aujourd’hui encore, je suis étonné de l’intérêt qu’il éveilla parmi les étudiants, les Européens aussi bien que les Africains auxquels j’ai déjà fait allusion. Tandis que les théologiens protestants d’expression française n’ont que trop pris l’habitude, au XX e siècle, de se référer en priorité à des
célébrités d’origine germanique, mes étudiants étaient tout étonnés qu’un théologien s’exprimant dans leur langue ait pu écrire autant de choses réellement saisissantes. Le fait de faire partie de ses successeurs dans la chaire de théologie pratique lausannoise ne pouvait que m’inciter à m’intéresser encore plus étroitement à lui. J’ai saisi l’occasion du e anniversaire de son accession à cette chaire, en , pour lui consacrer un cours public. L’oubli relatif dans lequel son œuvre était tombée m’incita à l’intituler « À la redécouverte d’Alexandre Vinet » – un titre repris pour le livre tiré de ce cours 133. Mais j’avais encore une autre raison de chercher à le « redécouvrir » : plutôt que de m’associer à mon tour à l’admiration un peu dévote qui avait trop contribué à l’isoler dans une sorte de tour d’ivoire, je jugeais nécessaire de l’aborder d’un œil à la fois plus critique et surtout plus distancé. VINET ET LES EXIGENCES LIBÉRALES
J’avais et j’ai encore d’autant plus motif de chercher à le faire que, j’en étais de plus en plus conscient, la pensée de Vinet ne me convainc pas également sous tous les aspects. Et puis je devais bien me rendre à l’évidence : quoi qu’on ait pu dire de son libéralisme, il n’a pas été un protestant libéral. Il a été un chantre rarement égalé de la liberté, qu’elle soit civile ou religieuse, et cela au sein même de la foi. Et pourtant il a suscité presque d’emblée la méfiance et bientôt l’hostilité soit de JeanJacques Caton Chenevière, l’un des pères du protestantisme libéral genevois, soit d’Henri Druey, l’un des chefs politiques vaudois les plus motivés à obtenir l’abolition des confessions de foi pour des raisons proprement théologiques. En m’ouvrant ses archives familiales, Marc Chenevière m’a donné accès à la 135 Les lecteurs français ne doivent pas oublier que, en Suisse, chaque canton est un État, doté de sa propre constitution. Aujourd’hui encore, les relations entre Églises et État sont régies par les constitutions cantonales, la Constitution fédérale se limitant à poser le principe de la liberté de conscience et de culte. 136 Le terme doit être utilisé ici au singulier, car seule était en cause la Confession helvétique postérieure dont les pasteurs, de fait, ne faisaient plus grand cas. 137 L’Église réformée vaudoise n’est organisée selon le modèle presbytériensynodal que depuis 1863. C’est à peu près à la même époque que la plupart des Églises cantonales ont été dotées de leur propre système de gouvernement.
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138 En Suisse, le régime des relations Églises-État varie beaucoup d’un canton à l’autre.
correspondance échangée entre son ancêtre et Druey 134 et m’a ainsi permis de constater la bonne entente entre ces deux hommes lors de la crise de l’Église vaudoise, en , et leur commune hostilité à l’attitude séparatiste défendue par Vinet. Mon principal regret, mais complètement phantasmatique, est que Vinet et Druey, qui se respectaient, n’aient pas réussi à s’entendre. On a même l’impression qu’ils étaient pour ainsi dire destinés à entrer en conflit l’un avec l’autre. Mais un conflit d’autant plus intéressant qu’ils demeurent tous deux des personnalités d’une envergure hors du commun dans la Suisse romande de leur temps. Le conflit, entre eux, a surtout porté sur le statut de l’Église réformée dans leur canton 135. Vinet, pour des raisons sur lesquelles je ne crois pas nécessaire de revenir ici, s’est fait très tôt le défenseur d’une séparation radicale de l’Église et de l’État, leur union lui paraissant « adultère et funeste ». C’est d’ailleurs sur la lancée de cette argumentation que l’Église « libre », en -, s’est séparée de l’Église « nationale ». Mais si la majeure partie des pasteurs en exercice rejoignirent alors les rangs « libristes », les fidèles ne les ont guère suivis. Aussi la conviction de Druey a-t-elle toujours été que l’Église libre était une dissidence de clercs entourés de fidèles plus ou moins élitaires, tandis que le véritable peuple des fidèles restait dans le giron de l’Église nationale. Dès lors, il tenait cette dernière pour plus réellement protestante, dans son principe de fonctionnement, que celle à laquelle le nom de Vinet devait demeurer attaché. Une divergence du même ordre s’était d’ailleurs déjà manifestée dix ans plus tôt entre les deux hommes à propos de l’abolition de la confession de foi 136. L’Église réformée du canton de Vaud ne disposant encore à cette époque d’aucun organe de gestion distinct du pouvoir politique 137, c’est le Grand Conseil (parlement cantonal) qui, en , vota cette abolition. Ce fut à l’indignation de Vinet : il ne tenait pas particulièrement au maintien de la Confession helvétique postérieure, qui était trop visiblement d’un autre temps, mais il n’admettait pas qu’un organe étatique se prononce sur une telle question de foi. Le problème, en l’occurrence, est qu’à cette époque le seul organisme rigoureusement ecclésiastique était les « classes » pastorales, équiva-
lents régionaux d’une compagnie des pasteurs qui n’existait pas comme telle. Or les pasteurs peuvent-ils prétendre représenter l’Église ? Vinet semble l’avoir pensé. Druey, au contraire, tenait une telle éventualité pour un relent de cléricalisme catholique. Aucun pasteur ne siégeait au parlement cantonal ? Peu importe, s’il est vrai que, en régime protestant, l’Église doit être l’affaire des fidèles, non celle des pasteurs. Dès lors, la décision du Grand Conseil d’abolir la confession de foi avait, selon Druey, toute sa légitimité. Je le suis volontiers sur ce point. Remarque intermédiaire : sur le chapitre des relations Églises-États, les protestants libéraux suisses ont d’ordinaire, mais pas tous, une position sensiblement différente de celle de leurs amis français. Les protestants français vivent en effet dans un pays fortement laïcisé et de tradition largement catholique. Le cours de l’histoire leur a appris la valeur d’une très grande indépendance par rapport à un État dont les interventions, si elles avaient lieu, auraient toutes les chances de leur être préjudiciables. En Suisse, en revanche, les protestants libéraux optent le plus souvent pour le maintien d’un lien plus ou moins fort avec l’État, dans la mesure en particulier où, chez eux, l’État garantit la liberté de la prédication beaucoup plus qu’il ne menace de la limiter. D’autre part ce lien, quelle qu’en soit la nature 138, leur paraît être un signe d’ouverture à la multitude – de « multitudinisme », pour reprendre un terme forgé par Vinet – et aux problèmes de la société dans son ensemble, tandis qu’une séparation trop nette ou trop résolue de la part de l’Église peut vite devenir un signe de repli de cette institution sur elle-même, à l’usage des seuls fidèles qui tiennent à maintenir un contraste fort par rapport à la société L’ATTITUDE PROFONDE DE VINET
Mais revenons-en au contraste entre Vinet et Druey. En fait, la différence entre ces deux hommes est plus fondamentale, sur le plan théologique en tout cas, que ne le laissent supposer les problèmes évoqués ci-dessus. Druey, dans l’ensemble, partageait entièrement les idées de Chenevière sur la nécessité de laisser tomber certains dogmes devenus complètement obsolètes et de tenir davantage compte des progrès accomplis sur le chapitre des connaissances humaines. Considéré sous cet angle, Druey a parfaitement partagé l’optimisme qui animait de nombreux esprits de son temps, convaincus qu’ils étaient des avancées de la civilisation et de la
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nécessité de mettre la pensée chrétienne en accord avec elles. Vinet, au contraire, était considérablement plus pessimiste quant à la nature de l’être humain, et il n’a jamais songé à combattre quelque doctrine traditionnelle que ce soit. Il a simplement cessé de mentionner celles dont il ne savait plus que faire, par exemple celle de l’expiation, trop comptable à ses yeux pour rendre compte de la grâce de Dieu dans sa vérité profonde. Bien que théologien, Vinet n’a pas eu à cet égard d’exigences proprement systématiques. Et plus j’y pense, plus je m’étonne qu’il se soit tellement ingénié à démontrer le caractère insurpassable de la révélation chrétienne, alors que la structure profonde de sa pensée aurait dû l’incliner à tenir sur ce point des propos moins assertoriques et plus nettement essayistes. Qu’est-elle alors, cette structure profonde ? Je ne puis me défaire de l’idée que le seul moyen de la repérer est de se rappeler comment Vinet a forgé sa pensée : non en lisant des traités ou des sommes de théologie, mais en enseignant la langue et la littérature françaises et en s’imposant à l’attention comme l’un des très bons critiques littéraires de son temps. Sa démarche, en d’autres termes, n’a rien de doctrinaire ou de déductif, sauf quand, dans ses Discours religieux, il en vient à s’engager dans cette voie, mais presque à son propre insu. Dans son ensemble, elle procède au contraire d’un mouvement qui l’apparente beaucoup à celle des musiciens ou des poètes : il avance de proche en proche, au gré des textes qu’il rencontre. Et c’est dans cette confrontation souvent exigeante (Vinet a toujours voulu discuter sur le fond les ouvrages qu’il commentait pour ses lecteurs) qu’il a peu à peu formé sa pensée, ne cessant de l’affiner, de la réviser, de l’approfondir, avec des prolongements constants dans toutes sortes de directions : culturelles, esthétiques, morales, politiques, éducatives, etc. Paradoxalement, c’est cette activité dans le domaine de la littérature qui l’a le mieux préparé à occuper un poste de théologie pratique, lui qui s’était toujours refusé à assumer un ministère pastoral en paroisse. Somme toute, il a parlé de la pratique pastorale (cure d’âme, prédication, etc.) en homme de lettres, en poète, et c’est peut-être là le secret de la longévité de son enseignement dans ce domaine. Sur ce point, j’ai l’impression, mais c’est seulement une impression, d’avoir à ma manière tiré la leçon de cette approche si particulière
de la théologie pratique dans ma propre manière d’en concevoir la méthode et d’en explorer les champs de recherche.
139 À la fin des années 1980, la désignation « théologie pratique » n’était pas encore en usage dans les Facultés catholiques, à l’exception de celle de l’Université de Fribourg (Suisse) dont l’organisation interne est calquée sur le modèle allemand. 140 Voir les actes de ce colloque : La théologie pratique. –Statut, méthodes, perspectives d’avenir, textes rassemblés par Bernard REYMOND et Jean-Michel SORDET, Paris, Beauchesne (coll. Le point théologique, 57 ), 1993. Voir aussi le document préparatoire que j’avais rédigé pour l’occasion : «La théologie pratique dans le protestantisme d’expression française : un état de la situation », Cahiers de l’Institut romand de pastorale nº 12-13, mai 1992, pp.1-32.
LES DÉFIS DE LA THÉOLOGIE PRATIQUE
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141 Voir « Quand le prédicateur se fait exégète », ETR 1989, pp.593-597 ; « Homilétique et théologie : pour une réévaluation de leurs rapports », CIRP nº 9, juin 1991, 18-34 ; «La place et la fonction de l’homilétique dans l’enseignement de la théologie », in : B. Reymond - J.-L. Rojas (éd.), Comment enseigner l’homilétique ?, Lausanne, IRP, 1997, pp.7-10.
La théologie pratique présente la particularité d’être tenue en haute estime dans les milieux ecclésiastiques, mais d’être souvent traitée en parent pauvre dans les Facultés de théologie. La raison en est simple : du côté des Églises, on considère en général qu’elle est la discipline qui, en Faculté, prépare le plus directement les étudiants qui s’y destinent à l’exercice futur du pastorat ; du côté des Facultés, en revanche, on est volontiers porté à la tenir pour une discipline qui serait mieux à sa place dans une école pastorale que dans une Université. Il en était encore un peu ainsi au temps de mes études, dans la mesure où nous passions presque sans transition de la Faculté à l’exercice du ministère pastoral sur le terrain. Mais depuis lors, les choses ont bien changé : la formation professionnelle des futurs ministres relève maintenant quasi entièrement des Églises et a lieu une fois achevées les études proprement universitaires. Cela ne signifie pas que la théologie pratique ne s’occupe plus de l’exercice du ministère pastoral et de tout ce qui touche à la vie concrète, « pratique », des Églises ; mais elle s’en occupe autrement, disons avec davantage de recul académique et un souci plus poussé d’envisager le fond des problèmes. Prenons l’exemple de l’homilétique, ou art de la prédication : ce n’est pas en Faculté, au gré de quelques exercices seulement, que les étudiants vont « apprendre à prêcher ». Cet apprentissage, comme celui d’un acteur, requiert davantage de temps et d’expérience acquise sur le tas. L’enseignement de Faculté et les travaux pratiques qui l’accompagnent doivent en revanche permettre aux étudiants de mieux saisir ce à quoi correspond le fait de prêcher, ce qu’il implique et quels en sont les enjeux.
PROBLÈMES DE MÉTHODE
J’ai eu le privilège de reprendre la chaire de théologie pratique au moment où, de tous côtés en francophonie, que ce soit en France, en Suisse ou au Québec, les représentants de cette discipline se posaient avec acuité le problème des méthodes qui lui sont spécifiques. Mais ils en débattaient de manière un peu dispersée. L’habitude que j’avais de travailler sans cesse par-dessus la frontière entre la France et la Suisse, celle aussi que j’avais des échanges internationaux, m’ont vite convaincu de la nécessité de provoquer la réunion d’un colloque international sur ce problème de méthodes. L’expérience m’avait aussi appris qu’en l’occurrence, il ne suffit jamais d’envoyer une invitation à la cantonade ; de nombreux contacts personnels sont nécessaires pour convaincre les intéressés potentiels de l’intérêt qu’un tel colloque pourra présenter pour eux. J’ai donc pris mon bâton de pèlerin et ai entrepris la tournée de toutes les Facultés de théologie, tant catholiques que protestantes, de la francophonie pour y rencontrer les titulaires des chaires de théologie pratique ou des enseignements correspondants 139. Dans l’ensemble, l’accueil dépassa mes espérances ; je venais quasiment proposer la cueillette d’un fruit mûr. Le congrès en question 140, organisé sous les auspices et dans les locaux de l’Université de Lausanne, a eu lieu en mai . Il a été l’occasion de fonder une Société internationale de théologie pratique dont la caractéristique formelle est d’utiliser le français comme langue d’usage. Trois convictions me semblent s’être fortement dégagées de ces échanges et délibérations : a) la théologie pratique est une discipline pleinement universitaire et doit s’efforcer de se faire reconnaître comme telle ; b) elle doit être traitée à égalité avec les autres disciplines de la théologie, et non comme une discipline secondaire ; c) elle ne saurait donner le pas à la méthode déductive sur la métho-
Aurais-je un peu trop tendance à tirer la couverture du côté de la théologie libérale ? Dans mon enseignement, je me suis toujours abstenu, par déontologie, de chercher à faire parmi mes étudiants des disciples de la tendance théologique dans laquelle je me reconnais ; je les voulais libres de choisir leurs propres options, comme j’ai pu l’être au moment de mes propres études. Les quelques indications ci-dessus permettent
THÉOLOGIES LIBÉRALES L’ÉCRIT ET L’ORAL
UNE DISCIPLINE TRÈS LIBÉRALE
de inductive et mieux encore corrélative ou interactive. Ces trois convictions vont de pair. Si la théologie pratique a si souvent et si longtemps été tenue pour une discipline secondaire et insuffisamment universitaire, c’est justement dans la mesure où la théologie dans son ensemble restait fidèle à des démarches déductives, ou en tout cas maintenait sa branche dite « pratique » dans un statut de dépendance déductive par rapport aux autres branches de la théologie. En termes plus simples et plus banals, on a longtemps tenu la théologie pratique pour une sorte de service à la clientèle pour les articles produits par les autres disciplines. C’était encore un schéma classique, mais implicite, au temps de mes études : ) que dit la Bible ? ) quelles conclusions la théologie systématique en tire-t-elle ? ) comment la théologie pratique va-t-elle s’y prendre pour monnayer cela sur le terrain ? Aujourd’hui, les représentants de la théologie pratique (pas tous, il est vrai !) font au contraire remarquer que : ) même en perspective protestante, il n’est pas certain que commencer par interroger la Bible à propos de nos problèmes actuels soit une démarche adéquate ; ) le rôle de la théologie systématique n’est pas nécessairement de formuler des points de doctrine dont d’autres devront tirer les conséquences qu’ils pourront ; ) il n’y a pas de raisons, à propos de très nombreuses questions, de ne pas commencer par les apports de la théologie pratique pour en venir ensuite seulement, comme par effet de conséquence, à ce que peuvent en dire la théologie systématique ou les sciences bibliques. J’ai par exemple fortement insisté sur ce point à propos de l’homilétique en soulignant que, contrairement à la démarche reçue, il ne faut pas tellement aller « du texte au sermon », mais du sermon (ou du projet de sermon) au texte 141.
toutefois de comprendre pourquoi, dans le milieu des « practologues », comme disent les Québécois, je me suis rapidement senti comme un poisson dans l’eau. Et parmi ceux d’entre eux qui sont catholiques, je reste frappé de leur attachement à ces points de statut et de méthode : il y va précisément de leur liberté de pensée et d’enseignement au sein de l’Église à laquelle ils se rattachent. Il m’est même arrivé de penser que, si la hiérarchie catholique savait et comprenait ce qu’ils rangent sous l’étiquette « théologie pratique », si peu fréquente dans les milieux francophones de cette confession, elle pourrait en venir à se méfier d’une discipline aussi peu disciplinable du fait même des méthodes dont elle se réclame et des distances qu’elle prend par rapport aux affirmations de caractère magistériel et doctrinal.
142 J’ai abordé ce problème de front dans mon petit traité d’homilétique De vive voix. Oraliture et prédication, Genève, Labor et Fides, 1998. Le seul homiléticien qui, à ma connaissance, a saisi tout l’enjeu de ma démarche est Martin Nicol, professeur à Erlangen, dans un article de la Theologische Literatur Zeitung. 143 Cet auteur présente l’originalité, au sein de sa confession, d’avoir écrit sa thèse de doctorat sur Pierre de la Ramée, dit aussi Pierre Ramus (1515-1572), qui peut être considéré, avec Philippe Melanchthon, comme le philosophe …/…
L’ÉCRIT ET L’ORAL
THÉOLOGIES LIBÉRALES L’ÉCRIT ET L’ORAL
(suite de la note 143) protestant le plus important du XVIe siècle. Professeur à la Sorbonne, massacré lors de la Saint-Barthélémy, Ramus a élaboré une philosophie et une logique de la relation, en rupture complète avec le substantialisme aristotélicien qui dominait même parmi les théologiens réformés, par exemple chez Théodore de Bèze. Il a fermement opposé le judicium du philosophe, mais aussi de quiconque réfléchit, aux auctoritates devant lesquelles philosophes et théologiens ne cessaient de s’incliner. Aussi la théologie n’était-elle pas, selon lui, à considérer comme un corps de doctrines divinement révélées, mais comme une doctrina bene vivendi, comme un enseignement sur la manière de bien se comporter dans la vie. L’enseignement de Ramus demeure d’autant plus important dans l’histoire de la pensée et des institutions occidentales qu’il a directement influencé la pensée de John Milton, l’auteur du Paradis perdu, qui a lui-même inspiré non moins directement les hommes qui ont élaboré et mis en place le régime politique de la démocratie américaine – un modèle qui a fortement marqué toutes nos institutions politiques. 144 London – New York, Routledge, 1989. Titre complet : Orality and Literacy. The Technologizing of the Word. 145 J’emprunte le néologisme « oraliture » à l’écrivain créole Patrick CHAMOISEAU,
Dans les faits, près de la moitié de mon temps d’enseignement en théologie pratique a été consacré à l’homilétique, qui est donc la partie de cette discipline touchant à la prédication et aux problèmes qu’elle pose. On peut évidemment développer toute une théologie de la prédication et se préoccuper fort peu de sa pratique effective. Nous ne possédons pas, en français, de manuel qui le fasse de manière aussi catégorique. Dans les milieux pastoraux et même dans les Facultés de théologie, on a en revanche beaucoup insisté, vers le milieu du XX e siècle, sur la nécessité d’avoir une théologie de la prédication, mais en se désintéressant ouvertement de toute préoccupation rhétorique pour éviter, disait-on, de tomber dans le piège des artifices et autres séductions de la parole humaine là où ne devrait prévaloir que la force de persuasion toute nue de la seule Parole de Dieu. Et l’on se réclamait de l’apôtre Paul rappelant aux chrétiens de Corinthe qu’il n’était « pas venu [leur] annoncer le témoignage de Dieu avec le prestige de l’éloquence et de la sagesse » et que sa prédication n’avait « pas consisté en discours persuasifs par leur sagesse, mais en une démonstration d’esprit et de puissance, afin que [leur] foi reposât, non sur la
sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu » (I Co :- passim). L’apôtre des gentils n’en savait pas moins argumenter, à la manière rabbinique il est vrai, mais de manière serrée et fort bien construite. Ses épîtres n’auraient pas bénéficié de l’audience que l’on sait si ce n’avait pas été le cas ! « LA FOI VIENT DE CE QUE L’ON ENTEND »
L’intérêt de l’homilétique considérée comme discipline théologique tient justement, à mon sens, à l’impossibilité de dissocier la forme et le fond, ou plus exactement le problème théologique de la prédication et le fait que la prédication est nécessairement un exercice rhétorique. Il existe certes une rhétorique de l’écrit même si, à prendre les mots dans leur sens premier, c’est presque une contradiction dans les termes : chez les Grecs, un rhéteur était par définition quelqu’un qui parlait en public. La rhétorique dont l’homilétique ne peut faire l’économie s’applique elle aussi à un discours oral. Ayant moimême beaucoup manié la plume ou le clavier d’ordinateur, je suis bien placé pour savoir que la proclamation de l’Évangile ne saurait se limiter aux seuls exercices de chaire et exige le recours à de nombreux médias, dont celui de l’écriture, évidemment. Mais l’intérêt de l’homilétique, liée à la notion d’homélie, est justement de nous rappeler combien la proclamation de l’Évangile est originellement un discours oral. En fait, je n’y avais pas encore prêté toute l’attention voulue. C’est la nécessité d’enseigner cette discipline, donc aussi de réfléchir à ses caractéristiques, qui m’a rendu attentif à ce problème d’oralité et m’a incité à tirer quelques conséquences importantes de cette remarque qui, en première approche, aurait pu n’être que banalement formelle. De proche en proche, j’en suis donc venu à la conviction que la « Parole » dans laquelle les théologiens du XX e siècle, à la suite de Karl Barth, ont vu un terme clef de la révélation chrétienne, doit être conçue prioritairement dans la perspective de discours dits, et non point écrits. Ce faisant, je n’ai rien inventé ; Luther insistait déjà sur l’affirmation paulinienne selon laquelle « la foi vient de ce que l’on entend » (Rm :). Mais quand je vois la place que l’écrit occupe dans la théologie et la piété protestantes, et celle que prend si visiblement le papier griffonné ou imprimé dans le déroulement d’un culte, avec tous ces pasdans son roman Texaco, Paris, Gallimard, 1992, p.425.
teurs incapables de se détacher de leurs notes et de leurs livres de liturgie, je crois nécessaire d’exagérer un peu le propos de Luther et de préciser, non sans provocation : « La foi vient, non de ce qu’on lit, mais de ce qu’on entend. »142 DE BOUCHE À OREILLE
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C’est le petit ouvrage, génial à mon sens, d’un jésuite américain, Walter Ong 143, qui m’a aidé à percevoir toute l’ampleur du problème. De proche en proche, cet auteur en est venu à s’intéresser au problème des cultures orales (je les qualifie aussi d’« oralitaires », par opposition à littéraire) et de ce qui les distingue des cultures de l’écrit, d’où le titre du livre qui a tellement retenu mon attention : Orality and Literacy 144 – titre que je restitue ainsi en français : Oraliture et littérature 145, ou mieux encore (mais quels affreux néologismes !) Oralitarité et littérarité. La plupart des théologiens occidentaux, et les théologiens libéraux ne font pas exception, me semble ne jamais tenir suffisamment compte du constat que la domination de l’écrit est un fait récent dans l’histoire de l’humanité, dans celle des religions et même dans celle de la culture occidentale. Tenons-nous-en à la seule période courant depuis l’apparition du protestantisme. Historiens et théologiens de cette confession ne cessent d’évoquer les nombreux écrits et autres libelles des réformateurs et de leurs successeurs. Ou bien ils insistent sur l’importance prise par la lecture de la Bible. Mais ils oublient que la lecture et la possession de textes écrits sont, longtemps encore, restées le privilège d’une partie relativement restreinte de la population. L’essentiel se passait de bouche à oreille, en particulier quand une personne capable de bien lire à haute voix le faisait à l’usage d’autres personnes qui l’écoutaient, tant il est vrai que bien des gens préféraient écouter plutôt que lire. Or, remarque Ong, la perception de ce qui est entendu n’est pas la même que celle de ce qui est lu ; elle met en œuvre d’autres modes de pensée et d’appropriation. Ou encore, l’audition implique des fonctionnements de l’esprit différents de ceux de la vision, et tout désir de communication doit en tenir compte. Quand j’essaie d’attirer l’attention sur ce problème, bien des interlocuteurs, y compris dans les rangs des protestants libéraux, réagissent en le ramenant censément à celui de la dis-
tinction et de la complémentarité entre l’affectivité et l’intellectualité. « Dans le fond, me répondent-ils en substance, tu voudrais que nous tenions davantage compte de l’affectivité. » Ou bien ils en appellent à la différence de fonction et à la complémentarité entre la moitié droite et la moitié gauche du cerveau, qui est l’un des derniers poncifs pseudo-médicaux à la mode dans les milieux intellectuels qui veulent se montrer à la page quant à leur information d’apparence scientifique. Mais ce n’est pas du tout ce que j’essaie de leur faire comprendre tant il est vrai que, à mon sens, la différence entre oraliture et littérature touche à l’intellectualité aussi bien qu’à l’affectivité, ou les implique également l’une et l’autre. Loin de moi, donc, l’idée de dénigrer les bienfaits de l’écriture et de la lecture. Ne suis-je d’ailleurs pas en train de communiquer ma pensée par écrit ? Et j’aime me plonger dans la lecture d’un bon livre. Mais une compréhension équilibrée de la foi chrétienne, je le maintiens, suppose de prendre très sérieusement en considération le fait qu’elle relève bien davantage de l’oraliture que de la littérature. L E P R I N C I P E S C R I P T U R A I R E ou le maillon faible du protestantisme
Les conséquences de cette correction de perspective ne sont pas à négliger. Elles touchent directement à certains aspects du protestantisme que l’on tient trop facilement pour acquis. C’est en particulier le cas du célèbre « principe scripturaire » selon lequel il n’y aurait de connaissance de Dieu et de sa volonté que sola scriptura, « par l’Ecriture seule ». La fidélité à ce principe veut que les prédicateurs protestants fondent toujours leurs sermons sur des textes bibliques. C’est de bonne méthode ; on évite ainsi que la prédication ne s’égare sur des chemins de traverse ou dans des futilités. Mais pourquoi accordet-on une telle importance et une telle autorité à ce qui est écrit ? Ce principe va-t-il de soi au point que les prédicateurs puissent se réfugier derrière lui sans jamais le remettre en question ni s’interroger sur son bien-fondé ? Serait-ce parce que le christianisme serait une « religion du livre », comme on l’entend souvent dire, et que le livre en question, la Bible, en serait à la fois la pierre angulaire, le fondement et le principe vital ? Telle est en réalité la fonction
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que les musulmans assignent au Coran qui, pour ainsi dire dicté par Dieu au prophète Mohammed, est considéré à proprement parler comme « Parole de Dieu ». Bien des protestants, il est vrai, s’inscrivent sans s’en rendre compte dans une perspective identique quand, au culte, ils présentent la lecture de la Bible comme une lecture « de la Parole de Dieu ». Cette manière de dire ne correspond ni à ce qu’on peut lire dans la Bible, ni à ce qu’ont enseigné les théologiens de la Réforme, voire ceux des siècles antérieurs. Pour la Bible, en particulier l’évangile de Jean, comme pour eux, c’est le Christ, et non un livre, qui est Parole de Dieu – le Christ venu dans la personne de Jésus qui a parlé, que l’on a écouté et non point lu. Aussi je proteste chaque fois que l’on me présente le christianisme comme une religion du livre ; je le vois bien plutôt comme une religion de la Parole vive – Parole qu’est le Christ lui-même, qui s’est d’ailleurs exprimé en paroles dites et entendues bien avant qu’elles ne soient écrites, voire imprimées. Classiquement, on dit du principe scripturaire qu’il est le principe « formel » du protestantisme, son principe « matériel » étant le salut par grâce. Mais cette distinction n’arrange rien, d’autant moins que les protestants tentés par le biblicisme l’interprètent volontiers comme si sa formulation était tota scriptura, « par l’Ecriture tout entière », ce qui est un leurre : je ne connais aucune branche du protestantisme, même du côté des milieux les plus fondamentalistes, qui, fût-ce à son corps défendant, n’opère pas un tri dans tout ce que dit la Bible. Et du côté de la Réforme qu’on qualifie parfois de « magistérielle », Luther avait déjà mis implicitement ce principe à mal en affirmant que, dans la Bible, il tenait pour canonique, donc pour « biblique » au sens où l’entendent de nombreux textes chrétiens actuels, cela seulement qui « porte le Christ », c’est-à-dire qui correspond à ce que Jésus a dit ou à l’idée que le réformateur se faisait du Christ. L’ébranlement du principe scripturaire n’a fait que s’accentuer avec l’avènement de la critique et des recherches historiques et littéraires sur le corpus biblique. La prise en compte du caractère originellement oralitaire de la tradition biblique vient maintenant relativiser beaucoup la portée théologique des travaux portant sur l’aspect textuel de cette tradition. Le texte biblique, en d’autres termes, n’est plus ni un point de
départ ni un aboutissement, mais un stade intermédiaire de caractère quasi instrumental : un support de mémoire pour des choses dites jadis et que, à la différence des paroles enregistrées sur support analogique ou numérique, l’on ne peut se contenter de répéter de manière quasi mécanique ; ces paroles mises en mémoire sont là pour être reprises en des paroles vives, conçues et dites en fonction de notre aujourd’hui, avec tous les risques et toutes les libertés que cela implique. Je sais bien que des comédiens, non des moindres, se sont ingéniés à mémoriser et réciter en public le texte intégral d’un évangile ou celui de l’Apocalypse. La tentative est toujours intéressante et permet de percevoir à neuf, sous un autre aspect, l’éloquence intrinsèque de tel ou tel texte biblique. Mais je tiens pour considérablement plus significatif et programmatique l’exemple donné par les acteurs de la Réforme : ils ne concevaient pas de culte au cours duquel on puisse se contenter d’une simple lecture de textes bibliques ; toute lecture de cet ordre devait à leurs yeux donner lieu à une prédication, ou pour le moins à un commentaire de leur crû. Tous les théologiens protestants libéraux sont-ils prêts à me suivre dans ces prolongements que m’inspire le caractère originellement oralitaire du corpus biblique ? Je n’en suis pas certain. Pour nombre d’entre eux, la culture reste une réalité dont la composante essentielle est de caractère littéraire. La tournure de la scolarité qui nous conduisait au baccalauréat était de cet ordre, celle des études de théologie l’est encore. Ils en demeurent profondément marqués. Je le suis aussi. Mais, en plus de l’homilétique, l’enseignement de la théologie pratique et mes recherches dans cette discipline m’ont donné le loisir de prendre en considération d’autres composantes encore de la foi chrétienne, de toute religion digne de ce nom et de la culture en général : celles que représentent les différentes formes d’art.
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1975, pp.31-43. Titre du chapitre : « Christ as Creative Transformation in Art ».
J’ai dit mon intérêt premier pour le théâtre. Au collège (l’équivalent du lycée), les heures de « diction », comme on disait alors, sous la houlette du comédien Paul Vallotton, plus tard directeur de la Radio Suisse Romande, furent l’occasion de m’y frotter de plus près et de m’en donner le goût, en particulier lors de la préparation des « théâtrales » annuelles de l’établissement. L’enseignement du dessin fut de qualité fort variable, selon le maître qui en était chargé ; mais ce furent de grandes et belles heures quand elle furent placées sous la responsabilité du sculpteur Jacques Barman qui nous apprit à apprécier la peinture et la sculpture sous ses formes les plus récentes en nous faisant visiter de nombreuses expositions. Je garde en revanche un très mauvais souvenir des heures consacrées à la musique ; l’enseignant qui en avait la responsabilité n’avait pas les qualités voulues. Heureuse compensation : ma mère étant pianiste de formation, j’eus à domicile, sans m’en rendre compte, toute l’initiation musicale désirée. Et puis, mes parents aimaient le cinéma ; ils l’avaient pour ainsi dire accompagné dans ses premiers pas, mon père tournait même des films de ski ou de montagne et les projetait dans les villages au temps du muet, non sans y adjoindre des séquences en noir et blanc de Félix le chat qu’il me montrait aussi à la maison. Les films d’amateur et les dessins animés de ce temps des pionniers ont ainsi fait partie de mon horizon culturel dès l’enfance. En Faculté de théologie, malheureusement, nos professeurs ne se préoccupaient guère de faire place aux arts dans leur enseignement, sauf pour se demander, comme le faisait Edmond Grin, si la théologie est un art ou une science ; mais posée comme il le faisait, cette question ne touchait justement pas aux arts. Un seul professeur faisait exception : Édouard Burnier, qui ne laissait pas de mettre sous nos yeux des poè146 Karl BARTH, Mozart, Genève, Labor et Fides, 1956. extraits par d’œuvres littéraires, quiTILLICH était danscePaul , Onune Art 147mes Voir et les autres textes rassemblés John DILLENBERGER manière de nous faireCrossroad, comprendre and Architecture, New York, 1987. l’impossibilité de faire , Christ in a Pluralistic Age, Westminster, 148 Voir John B. de COBB abstraction tout ce champ des arts si Philadephia, nous entendions pré-
cisément nous adonner à une réflexion d’ordre théologique. C’est un aspect de plus, et non le moindre, de la gratitude que je lui dois. Mais comment conjuguer la réflexion théologique et mon intérêt pour le domaine des arts dans toute leur diversité ? Les modèles pour le faire ne sont pas très nombreux. Il y avait bien les propos de Karl Barth sur Mozart 146, intéressants dans la mesure où il montre combien ce compositeur, loin de se complaire en théories sur la musique, a joué de la musique (er musiziert), tout simplement ; mais le mélomane Barth n’en a pas tiré de conséquences pour sa manière de theologisieren, de « théologiser ». Parmi ses rares pairs contemporains qui se sont intéressés de près aux arts, on trouve en revanche, quasi au premier rang, Paul Tillich 147. Cela n’a rien d’étonnant : Tillich se réclame directement de la filiation néoprotestante, en particulier de Schleiermacher. Or, dans ses Discours sur la religion, ce dernier a précisément fait des arts (surtout la poésie et la musique) l’un des paradigmes majeurs de sa réflexion théologique. Et quand, avec André Gounelle, nous avons exploré les œuvres de John Cobb, j’ai été particulièrement intéressé par ses pages sur le pouvoir de transformation du Christ dans le domaine des arts, avec une longue discussion des conceptions défendues par Malraux 148. CRITIQUE LITTÉRAIRE
Restait à m’y mettre moi-même, Mais comment ? Où trouver des modèles ? Cette question a gagné en importance dès que j’ai été chargé d’enseigner à mon tour la théologie, d’autant qu’une démarche semblait avoir le vent en poupe : commencer par élaborer les premiers éléments d’une esthétique à fondement théologique et les utiliser ensuite seulement comme grille de « lecture théologique » des différentes formes d’art. En fait, je m’étais déjà posé cette question tandis que, à la faveur de mes années à l’aumônerie des Hautes Écoles et des responsabilités que j’assumais parallèlement dans l’animation du Centre Protestant d’Études (CPE) de Lausanne, j’avais pu et surtout dû m’intéresser de plus près à la production littéraire en cours. Avec la complicité de Jean-François Perrirraz, qui dirigeait le centre de rencontres de l’Église vaudoise, à Crêt-Bérard, je mis sur pied et organisai presque tous les
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mois, de à , des « veillées en compagnie d’un auteur et de son livre ». Pendant cinq ans j’ai ainsi eu un contact fréquent et suivi avec la gent littéraire romande. Et comme je poursuivais sans discontinuer ma collaboration au mensuel Le Protestant, j’en ai profité pour me lancer dans des articles de critique littéraire. Je l’ai fait avec beaucoup de timidité, pour deux raisons surtout : il y avait le précédent fort intimidant de Vinet et de Sabatier, mais aussi de mon ami Laurent Gagnebin, déjà bien connu pour ses études sur Gide, Camus et Simone de Beauvoir. J’ai évidemment pris la précaution de m’informer sur les différents courants et conceptions en critique littéraire. Mais fallait-il suivre la mode qui, parmi les théologiens, semblait aller à l’élaboration de théories sur la littérature, comme s’ils devaient se faire une conception générale de ce qu’est la littérature pour être en mesure de l’aborder en théologiens ? Laurent Gagnebin, que je sache, n’est jamais tombé dans ce travers, pas davantage d’ailleurs que Vinet, Sabatier ou encore le Genevois Gaston Frommel. On devine aisément le piège de cette manière-là d’envisager la chose littéraire : on risque fort de s’en faire une image ou une conception correspondant à la manière prétendument « théologique » dont on se propose de l’aborder. Plus simplement, plus modestement, je me suis contenté d’aborder sans trop de préjugés les œuvres dont je me proposais de faire la « critique » – un bien grand et bien gros mot quand il s’agit d’abord de faire état de son plaisir de lecture ou de ses réticences, pour ensuite seulement tenter d’en mettre à jour les raisons. On ne tarde pas, dans ces conditions, à repérer bientôt ce qui fait d’un roman qu’il est effectivement un bon roman, tandis que d’autres ne sont que des tentatives mal réussies de transformer des idées en récits ; chez les uns, les personnages sont de vrais protagonistes du récit, avec tout leur mystère qui échappe à l’auteur lui-même, tandis que chez d’autres ils ne sont que des fantoches sans consistance. Ces
exercices de critique littéraire au jour le jour, ou plus exactement de mois en mois, m’ont aidé à prendre mes distances envers une manière trop « théologique », mais au mauvais sens du terme, d’aborder le domaine des arts. L’empirisme et l’empathie doivent ici l’emporter sur tout esprit de système. Cette fréquentation du monde littéraire m’a suffisamment marqué pour que, aujourd’hui encore, je regrette de n’avoir eu ni l’occasion ni surtout le temps, dans mes années d’enseignement, de faire suffisamment travailler les étudiants dans ce domaine-là. J’ai dû me contenter de leur recommander la lecture d’œuvres qui, à mon sens, devraient faire partie du bagage culturel d’un théologien, ainsi Les frères Karamazov ou L’idiot de Dostoïevski, La guerre et la paix de Tolstoï, Ainsi va toute chair de Samuel Buttler, le Journal d’un curé de campagne de Bernanos, etc. J’y ajouterais maintenant bien d’autres livres, par exemple La cité Potemkine ou les géométries de Dieu de Serge Rezvani. Mais pour un théologien, le vrai défi réside dans la confrontation avec les autres arts, ceux qui ne sont justement pas littéraires au premier chef. ARCHITECTURE
Par penchant personnel, parce que je me suis toujours intéressé à l’architecture en général et parce que c’est le problème auquel je n’avais cessé de me heurter très concrètement à l’occasion de nombreux cultes en divers lieux, j’ai commencé, dans mon enseignement de théologie pratique, par toucher au problème des édifices que requiert la célébration du culte protestant. Je l’ai d’abord fait de manière aussi maladroite que mal informée, à l’occasion d’un cours sur le culte dans la société contemporaine. En introduction, j’avais trouvé astucieux de faire allusion, justement, au problème architectural des édifices cultuels. Or, à la première interruption (le cours durait deux heures), un nouvel étudiant, Daniel Gehring, vint vers moi, me dit qu’il était architecte de formation (il avait travaillé cinq ans avec Mario Botta) et me fit comprendre avec beaucoup de délicatesse que mes allusions 149 Le résultat en est mon livre sur L’architecture religieuse des protestants, Genève, Labor et Fides, 1996. 150 On Art and Architecture, cité plus haut. 151 Voir John DILLENBERGER, Images and Relics. Theological Perceptions and Visual Images in Sixteenth-Century Europe, Oxford University Press, 1999. 152 Voir Wilson YATES, The Arts in Theological Education, Atlanta, Scolars Press, 1987.
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153 Voir Le protestantisme et les images, Genève, Labor et Fides, 1999. 154 Voir mes articles « Paul Tillich et l’histoire de l’art », Revue de théologie et de philosophie, Lausanne, 1997, pp.67-74 ; « Botticelli’s Madonna and Picasso’s Guernica : Paul Tillich’s Contrasting Attitudes Towards Two Major Art Works », Arts, New Brighton MN, déc. 2000, pp.24-26.
à l’architecture étaient un peu bancales. Les professeurs apprennent beaucoup de leurs étudiants, on ne le sait pas assez. Je dois à Daniel Gehring d’avoir compris d’emblée la nécessité de reprendre le problème de l’architecture à la base, non point sous un angle théologique d’abord, mais en m’appliquant à comprendre quelle est la démarche qui, dans l’esprit d’un architecte, préside à la conception d’un édifice. J’ai dû, autrement dit, adopter envers l’architecture une attitude semblable dans son ordre à celle que j’avais mise en œuvre pour le droit ecclésial. Cet apprentissage m’a demandé quatre à cinq ans de lectures, de rencontres et d’investigations in situ, en marge de mon enseignement, mais aussi à la faveur d’un congé sabbatique passé partiellement aux États-Unis. C’est beaucoup de temps ? En fait, du temps gagné. J’ai élargi d’autant mon horizon de références, j’ai pu montrer que le style, la conception générale et l’organisation intérieure des édifices ecclésiastiques n’est pas à bien plaire, mais que s’y jouent des significations importantes, et ces recherches 149 m’ont donné l’occasion d’entrer en relations avec des théologiens et des chercheurs que je n’aurais pas rencontrés si je ne m’étais pas intéressé à ces problèmes-là. Je rencontre plusieurs d’entre eux tous les deux ans au sein d’un groupe à la fois restreint et très international : Art and Christianity Enquiries (ACE), fondé à l’initiative, entre autres, de John Dillenberger, le dernier assistant de Paul Tillich et l’éditeur de son volume sur L’art et l’architecture 150. J’ai beaucoup appris de cet homme toujours très vif et qui, octogénaire, a réussi à publier sur le problème des images au XVI e siècle, un livre qui, d’emblée, a fait autorité 151. Dans ce groupe, je me suis aussi lié d’amitié avec Wilson Yates, l’auteur d’une enquête à la fois révélatrice et stimulante sur la place et l’importance que les institutions théologiques américaines accordent aux différentes formes d’art dans leur enseignement 152 ; lui-même a réussi à introduire systématiquement des références aux arts dans toutes les branches de l’United
Theological Seminary of the Twin Cities dont il est le président et qui se réclame d’ailleurs d’une tradition théologique libérale. Riche en questions et en réponses allant parfois dans toutes les directions, ce petit ouvrage m’a donné beaucoup d’idées et m’a convaincu de la nécessité de m’intéresser tout simplement aux différentes formes d’art avant de chercher à définir les critères de jugement théologique que je pourrais mettre en œuvre pour les approcher. LES IMAGES
De l’architecture, je suis passé au problème des images 153, en particulier parce que j’ai pu compter sur la collaboration efficace et éclairée, à titre d’assistante, de Florence Clerc, maintenant pasteur de paroisse, une théologienne exigeante doublée d’une illustratrice au bénéfice d’une excellente formation artistique. Avant de parler des images, elle en dessine ou elle en peint. Et quand des théologiens se mettent à gloser sur des images dans le seul souci de leur propre discours, elle préférerait qu’ils se taisent. Car une image est d’abord faite pour être regardée, non pour susciter des commentaires d’un autre ordre. Sur la lancée de remarques de ce genre, je n’ai pu faire autrement que reprendre les remarques de Paul Tillich. Il a raconté à plusieurs reprises que, aumônier militaire dans les tranchées allemandes du côté de Verdun, pendant la Première Guerre mondiale, il était tombé sur la reproduction d’une « Madone à l’enfant », de Botticelli. Ce fut pour lui une expérience théologique de première importance. Mais j’ai justement pu repérer que, ensuite, il a sélectionné dans le champ pictural les œuvres, en l’occurrence celles des expressionnistes allemands, qui correspondaient le mieux à ce qu’il avait envie de dire théologiquement 154. C’est probablement inévitable. Mais un théologien authentiquement libéral ne devraitil pas se laisser interpeller par les œuvres d’art qu’il contemple, plutôt que de choisir parmi elles celles qui lui permettront de mieux faire passer son propre discours ? J’en suis venu, à cet égard, à me méfier un peu de la manière 155 Voir Le protestantisme et la musique, Genève, Labor et Fides, 2002. 156 Je n’ai pas l’intention d’aborder de cette manière la danse qui est un art pour lequel je me sens peu d’affinités. 157 Genève, Labor et Fides, 2002.
?
Des images, je suis passé à la musique 155, surtout pour combler une lacune du côté de la théologie protestante d’expression française, mais aussi, plus fondamentalement, parce que la pensée musicale me semble avoir des affinités profondes avec ce que devrait être la pensée théologique. Schleiermacher l’avait bien vu, lui qui, je l’ai déjà signalé, comparait l’homme de religion à un « virtuose » de la musique. Je viens de poursuivre ce périple dans le domaine des arts 156 avec un livre sur Théâtre et christianisme 157. C’est celui qui m’importait le plus, celui aussi que je savais avoir le plus de difficulté à écrire ; comme je l’ai signalé plus haut, le théâtre est la forme d’art qui me touche le plus personnellement. C’est aussi celle qui, à mon sens, devrait intéresser le plus directement la théologie dans la mesure où elle se situe au confluent de ces autres formes que sont la littérature, l’architecture, la musique, la peinture, la danse, etc. Il faudrait maintenant que je fasse aussi quelque chose sur le cinéma. C’est la plus récente de toutes les formes d’arts, mais c’est aussi celle à laquelle les théologiens marquants du XX e siècle ont eu le plus de peine à s’intéresser, comme s’ils
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MUSIQUE, THÉÂTRE ET CINÉMA
dont certains théologiens valorisent volontiers l’art abstrait. C’est par exemple, me semble-t-il, le cas de Horst Schwebel, encore un membre du groupe ACE, et même un ami dont j’apprécie l’attitude ouverte et réceptive dans sa rencontre des œuvres d’art. Or, j’ai justement quelque peine à le suivre quand il voit presque systématiquement dans l’art abstrait des ouvertures implicites vers la transcendance. Je ne prétends pas que ce ne peut être le cas. Mais je crains que, suggérant cela, on ne projette une fois de plus sur certaines œuvres des significations qui leur sont peut-être étrangères. Je préfère en l’occurrence les questions parfois dérangeantes que pose l’art figuratif, en particulier quand il se veut provocateur ou déniaisant (j’aime le tableau de Max Ernst où l’on voit la Vierge donnant la fessée à son enfant !)
n’avaient rien à en tirer ou comme si sa fréquentation ne pouvait avoir d’influence sur l’élaboration de leur pensée théologique. La participation active à un ciné-club protestant, lorsque j’étais à l’Oratoire du Louvre, m’avait déjà persuadé de la nécessité de rester culturellement en phase avec cette expression-là de la culture. J’ai tenté d’en retenir la leçon dans mon enseignement en théologie pratique en proposant aux étudiants, qui s’y sont d’ailleurs beaucoup intéressés, une première fois un séminaire sur « Prêtres et pasteurs à l’écran », une seconde fois sur la religion à l’écran. L’aide de mon ami Maurice Terrail, directeur d’un office protestant de cinéma, m’a été précieuse, de même que celle de Freddy Buache, le fondateur de la Cinémathèque suisse. Ces diverses avancées en direction du septième art m’ont convaincu qu’il constitue un paradigme dont la théologie, en particulier la théologie libérale, pourrait faire un usage intéressant. Ma consigne est donc d’aborder les arts si possible sans préjugé doctrinal infrangible, sans succomber à la tentation de simplement les utiliser à des fins qui leur sont étrangères, par exemple à des fins d’évangélisation ou de propagande religieuse, et sans leur demander non plus de benoîtement concourir à l’« embellissement » du culte. Cette dernière attente est peut-être la plus sournoise. Elle se donne les apparences d’une ouverture culturelle : « Voyez comme nous sommes ouverts aux arts auxquels s’intéressent tellement les milieux cultivés ! » Mais quand on attend d’eux seulement un embellissement, cela signifie aussi qu’on ne les prend pas au sérieux ni dans leur pertinence propre. Et simultanément, cela implique que le culte n’aurait pas de beauté par lui-même, qu’il aurait besoin de je ne sais quels compléments pour lui conférer un vernis culturel. Les arts comme la religion méritent mieux, et je serais fort aise si les protestants libéraux, qui sont théologiquement en mesure de le reconnaître, l’admettaient vraiment. Les arts, quand ils sont de qualité, nous invitent toujours à courir une aventure. La religion vivante aussi. Ils sont faits pour aller de pair. 158 Voir Raymond RUYER, La Gnose de Princeton. Des savants à la recherche d’une religion, Paris, Fayard, 1974. 159 Les cent prochains siècles. Le destin historique de l’homme selon la Nouvelle Gnose américaine, ibid. 1977, p.277.
ET ENSUITE ?
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Victor Hugo faisait dire à Napoléon : « L’avenir est à moi ! » Et il lui répondait : « Sire, l’avenir n’est à personne. L’avenir est à Dieu ! » Cela vaut aussi pour le protestantisme libéral, pour le protestantisme dans son ensemble, pour le catholicisme, pour toutes les religions. Il ne nous appartient pas de décider ce que sera demain. Tout dépend de la seule grâce de Dieu, et comme elle est gracieuse, nous n’avons rien à y ajouter. Dans l’ordre des choses dernières, c’est là tout l’Évangile. Ce n’est pas non plus notre affaire de dire « ce qu’on croira demain » ou d’affirmer, comme aimaient le faire certains coreligionnaires du XIX e siècle, que le protestantisme serait « la religion de l’avenir ». Nous n’en savons rien et c’est déjà bien assez d’être chrétien ou protestant aujourd’hui. Quant à ce qu’on pensera dans un quart de millénaire des écrits ou des enregistrements que nous aurons laissés derrière nous, à supposer qu’il en reste des traces, les générations futures pourraient bien partir d’un grand éclat de rire devant nos propos sur la modernité, sur la postmodernité et sur tant d’autres notions qui nous donnent l’illusion d’être à la page. Le philosophe Raymond Ruyer, que j’avais fait venir à Lausanne pour une conférence avec débat sur son livre consacré à la Gnose de Princeton 158, s’est demandé dans la foulée de cette réflexion ce qu’il en serait des Cent prochains siècles. Dans le livre qui porte ce titre, il affirme que les peuples « longvivants », seuls capables selon lui de subsister pendant plusieurs siècles ou même plusieurs millénaires, auront des « fortes croyances » et que ces croyances « seront inculquées dès la première enfance sans discussion, et avant toute discussion possible, inculquées et imprimées. » Il ajoute même : « Leurs croyances devront être devenues des quasi-instincts, des tabous insurmontables, analogues aux tabous alimentaires.159 » On ne saurait imaginer religion plus contraire aux convictions qui animent le protestantisme libéral. Mais là encore, qu’en sait le philosophe ?
Et ne se trompe-t-il pas dans la mesure où une religion « longvivante », telle qu’il la voit, aurait au contraire toutes les chances de s’avérer « court-vivante » dans la mesure où toute faculté d’adaptation et de vie au présent pourrait lui faire défaut ? De toute manière, qu’il soit ou non capable de modernité, un tel conservatisme spéculatif et anticipateur me semble aux antipodes d’une exigence réellement évangélique. À ces plans tirés sur une improblable comète, je préfère, pour terminer, quelques réflexions ancrées dans notre présent – un présent qui nous place devant de nouveaux problèmes. Tout au long du regard rétrospectif que je viens de jeter sur mon demi-siècle d’itinérances et de tâtonnements théologiques, je n’ai cessé de citer des auteurs et leurs livres. Je suis même frappé, voire inquiet, de la fréquence avec laquelle nous nous référons à des penseurs qui nous ont précédés. Les barthiens citaient Karl Barth, parfois presque à l’égal d’une Écriture sainte. D’autre font de même avec Luther ou Calvin. Les protestants libéraux se réfèrent pour leur part à Schleiermacher, à Sabatier, à Tillich, à Schweitzer ou à Troeltsch. Chacun a sa liste d’auteurs préférés, conforme à ses options théologiques fondamentales. Mais quelle que soit cette liste, la démarche est la même : on se réfère à des autorités d’hier, tout comme les maîtres de la théologie scolastique médiévale scrutaient les écrits des auctoritates pour asseoir leur propre pensée. Notre manière de nous référer à des auteurs reconnus n’est pas exactement la même, je le sais, que celle des penseurs médiévaux. Eux cherchaient avant tout à conformer leur pensée aux vérités exprimées par leurs prédécesseurs, dussent-ils parfois recourir à de curieuses acrobaties interprétatives pour faire passer des audaces novatrices en se couvrant de leur caution. Notre lecture des textes qui nous ont précédés est plus critique, plus franche aussi dans la manière de marquer
160 André GOUNELLE, « Comment peut-on être protestant libéral ? », in : Le Courrier du Musée, La Rochelle, 2001/4, p.13.
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sophie depuis 1967, désigne la déposition ou la décomposition d’une structure. « Dans la pensée derridienne, il renvoie à un travail de la pensée inconsciente (ça se déconstruit), et qui consiste à défaire sans jamais le détruire un
nos divergences ou nos désaccords. Il n’en reste pas moins que nous aussi sommes tentés d’aller à reculons au-devant des situations nouvelles que nous devons affronter, dans l’idée que les plus lucides de nos prédécesseurs nous aideront à voir plus clair dans notre présent. Mais, dans la situation présente, n’est-ce pas un piège ? Protestants libéraux, donc néoprotestants, ne restons-nous pas trop assujettis aux conceptions qui ont prévalu depuis le XVIII e siècle ? Comme André Gounelle aime le répéter à juste titre à la suite de Troeltsch, « par leur manière de penser, par leurs attitudes et leur sensibilité, Luther, Zwingli et Calvin ressemblent plus aux catholiques du seizième siècle qu’aux protestants modernes. Les différences entre les réformateurs et leurs héritiers l’emportent de beaucoup en importance et en profondeur sur celles qui les séparaient de leurs adversaires contemporains160. » Mais, et cela mon ami Gounelle ne le dit pas, la manière de penser, les attitudes et la sensibilité qui sont en train d’advenir ne seraient-elles pas à leur tour profondément différentes de celles qui ont prévalu depuis le XVIII e siècle jusqu’à nos jours ? Ceux qui ont jeté les bases de ce que nous appelons le néoprotestantisme étaient trop proches de ce qui se passait sous leurs yeux pour se rendre compte de la mutation dont ils étaient à bien des égards les agents. C’est seulement a posteriori que Troeltsch et les penseurs qui lui sont apparentés ont pu conclure à l’apparition décisive d’une nouvelle phase dans l’histoire occidentale et protestante. Or, nous aussi sommes très, voire trop proches de ce qui se passe maintenant dans notre société et, conséquemment, dans notre conception de ce que doit être la théologie. Mais les changements qui ont affecté depuis un demi-siècle nos manières de vivre, de communiquer, de nous situer par rapport à Dieu, aux autres et au monde ont une ampleur sans beaucoup de précédents dans l’histoire. Comme ceux de la Réforme, les modes de délibération du néoprotestantisme s’inscrivent tout entiers dans ce que Marshall McLuhan a appelé la « Galaxie Gutenberg ». Même remarque, par conséquent, pour le protestantisme libéqu’il au soit d’hier d’aujourd’hui. qu’advient-il des 161ral, Emprunté langage de ou l’architecture, ce termeMais que Derrida utilise en philo-
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ARTICLES PARUS DANS LA PRESSE PROFANE ET RELIGIEUSE EE = Études ecclésiastiques (Lausanne) EL = Evangile et Liberté (Paris) FAL = Feuille d’Avis de Lausanne (actuellement 24 Heures) PR = Le Protestant (Genève) SV = Semeur vaudois (Lausanne) VP = Vie protestante (sauf autre indication : Genève)
« Bientôt à Paris : le 4e centenaire du premier Synode national de l’Église Réformée de France », SV 23.5.1953 « À Paris, l’Église Réformée de France a célébré le quatrième centenaire de son premier Synode national », SV 6.6.1959 « Secret professionnel et secret de la confession », EE 4, juin 1961, 6-8 « Mon clocher à l’heure des sports d’hiver ». SV 26.1.1963 « Vers le dimanche le plus endimanché de l’année », FAL 9.4.1963 « Verrons-nous un Synode national ? », EE 8, mai 1963, 3-4 « Face à la théorie de l’évolution », SV 1.6.1963 « Quand les stades deviennent pastoraux », SV juin 1963 « À propos d’une institution typiquement helvétique », EE 9, juil.1963, 1-9 « Pour éviter un échec », EE 14, avril 1964, 1-3 « Le théologien de la démythologisation : Rudolf Bultmann », SV 11.4.1964 « L’incidence civique du serment de consécration », EE 15, juin 1964, 5-7 « Nouveaux aumôniers militaires », SV 6.6.1964 « Vacances : l’invasion va commencer » SV 27.6.1964 « L’Église face au tourisme », SV 4.7.1964 « Une nouvelle forme de vie paroissiale », SV 11.7.1964 « Une vocation souvent méconnue », SV 18.7.1964 « Au service d’un vrai repos », SV 25.7.1964 « Vaumarcus aujourd’hui et demain », SV 27.3.1965 « Conseiller de paroisse : une vocation », SV 22.5.1965 « Le penseur théologien et philosophe » (à propos de Schweitzer), FAL 6.9.1965 « Albert Schweitzer, théologien du Royaume de Dieu », SV 11.9.1965 « Rudolf Bultmann, le théologien de la démythologisation », PR sept. 1965 « Vers un renouveau du libéralisme ? », PR oct. 1965 « Paul Tillich, un théologien en dialogue avec son temps », SV 13.11.1965 « Paul Tillich, un pionnier du dialogue avec le monde contemporain », PR déc. 1965 « Nathan Sœderblom, pionnier d’un œcumé-
nisme libéral », PR janv. 1966 « Que penser de la nouvelle version œcuménique du Notre Père ? », FAL 12.3.1966 « Regards neufs sur la sainte cène, un essai pour mieux la comprendre », PR mars 1966 « À propos de la confirmation, remarques sur la liturgie en usage le jour des Rameaux », EE 19, juin. juil.1966, 2-3 « Une contribution américaine à la préparation des pasteurs : semestres cliniques pour théologiens » (2 articles), PR juil. + sept. 1966 « Église réformée évangélique suisse : un projet de Constitution », FAL 13.9.1966 « Le premier fascicule de la traduction œcuménique de la Bible est sorti de presse », PR fév. 1967 « Commission de discipline : oui ou non ? », EE 21, juin 1967, 8-9 « La paroisse touristique », PR juil, 1967 « Un coup d’essai qui fut un coup de maître : la Conférence de Jérusalem (Actes 15 : 134) », PR fév. 1967 « Le premier fascicule de la traduction œcuménique de la Bible est sorti de presse », PR fév. 1967 « L’Église romaine et les valeurs spirituelles du tourisme », PR mai 1967 « Spiritualité du culte protestant : I. L’invocation ouvre le culte et donne le ton », PR juin 1967 « Spiritualité du culte protestant : II. La loi, prélude à l’épanouissement », PR déc. 1967 « Spiritualité du culte protestant : III. Un privilège d’homme : confesser ses péchés », PR fév. 1968 « Spiritualité du culte protestant : IV. Place au pardon », PR mars 1968 « Le célibat des prêtres, cas particulier d’un problème plus général » PR juin 1968 « Les Directives concernant la coopération interconfessionnelle d ans la traduction de la Bible », FAL 8.7.1968 « Une nouvelle théologie : celle de la révolution », PR juil. 1968 « Le ministère pastoral traditionnel doit-il céder le pas au travail de groupe ? », PR oct. 1968 « Conscience et inconscience de la Suisse », PR nov. 1968 « Karl Barth a marqué la théologie contemporaine », FAL 11.12.1968 « À propos de la Nativité », PR déc. 1968 « L’imagination au pouvoir », EE 22, déc. 1968, 5-6 « Il y a 450 ans, Zwingli arrivait à Zurich », FAL 24.1.1969 « L’Église de Genève et la confirmation », FAL 27.3.1969 « L’Église vaudoise à la recherche d’une réglementation sur le mariage » PR mai 1969
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« Neuchâtel : la discrétion de l’État n’est pas ce que mnous imaginions », PR fév.1978 « Le protestantisme romand a perdu l’un de ses meilleurs historiens : le professeur Henri Meylan », PR avr.1978 « Le sens de la catholicité », PR juin 1978 « Rousseau a-t-il été un réformateur du protestantisme ? » (2 articles), PR oct. + nov. 1978 « Parabole de l’homme riche », EL 6.11.1978 « Y a-t-il encore des théologies pour nos pasteurs ? » (2 articles), PR déc.1978 + janv.1979 « Le salut par la foi indépendamment des croyances : une formule “libérale” qui a cent ans cette année », PR janv.1979 ; id. EL janv.1979 « En lisant le manifeste du comité d’initiative pour la séparation de l’Église et de l’État », PR fév.1979 « Il y a bel et bien des doctrines libérales », PR juin 1979 « L’obsession calviniste », PR sept.1979 « Espion ou romancier ? », PR oct.1979 « La résurrection a-t-elle vraiment eu lieu ? » (2 articles), PR oct. + nov.1979 « Lettre ouverte au pasteur Jean Rilliet », PR janv.1980 « Zinoviev en Suisse romande : Communisme – religion – morale », 24 Heures (Lausanne) 3.2.1980 « Pour y voir plus clair sur la votation fédérale du 2 mars », PR fév.1980 « Après la votation fédérale du 2 mars sur la séparation de l’Église et de l’État », PR mars 1980 « Hans Küng : Je reste catholique », PR mars 1980 « Une histoire de la propreté en Suisse », PR mars 1980 « Un ouvrage de théologie libérale comme on n’en attendait plus : L’impératif hérétique » (4 articles), PR avril + mai + juin + août 1980 « Un peu d’histoire : une grève de pasteurs ! », PR mai 1980 « Le programme des chrétiens-allemands », PR mai 1980 « Catéchisme ou consensus diplomaticothéologique ? », Correspondance fraternelle (Lausanne) 1980/3, 23 s. « La civilisation et l’éthique », PR sept.1980 « Un centenaire dans la presse vaudoise », PR nov.1980 « Où l’œcuménisme en Suisse en est-il ? », PR janv.1981 « Soleil, musique et connaissance de Dieu », PR mars 1981 « Une grande tétralogie : Les humeurs de la mer, de Vladimir Volkoff », PR avr.1981 « Le protestant en 1831 », PR juin 1981 « Le Progrès Religieux (1897-1902) ou
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ÉDITORIAUX DANS LE PROTESTANT ( GENÈVE )
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE
nov.1965 : Autorité de spécialistes et spécialistes de l’autorité janv.1966 : Le projet Kotto, l’œcuménisme et le protestantisme missionnaire fév.1966 : La neige et Dieu mars 1966 : Une nouvelle Vulgate ? avr.1966 : Que vaut notre libéralisme ? mai 1966 : Presse protestante : notre raison d’être juin 1966 : Le culte mis en question juil.1966 : New Morality oct.1966 : Laïcat janv.1967 : Le loup et le chien fév.1967 : L’Église romande : mythe ou réalité ? mars 1967 : La confirmation et son oui mai 1967 : Le remariage des divorcés juil.1967 : Pour les vacances : savoir voyager oct.1967 : La Réforme n’est jamais terminée nov.1967 : L’École, l’Église et Dieu janv.1968 : Le “sens de l’Église” fév.1968 : Aux frontières indécises de la vie et de la mort mars 1968 : Congrégationalisme nécessaire mai 1968 : Les différences confessionnelles auront-elles disparu au XXIe siècle ? juin 1968 : L’âge du catéchisme juil.1968 : Le sacerdoce universel des croyants et les vacances sept.1968 : Réviser la Constitution fédérale ? nov.1968 : Violence, contre-violence, révolution déc.1968 ; Consommation ou don de soi ? janv.1969 : Vocabulaire fév.1969 : Quand la religion devient malade mars 1969 : Doctrine officielle ? Connais pas ! avr.1969 : L’Église : mythologie ou réalité ? mai 1969 : Des questions auxquelles on ne s’intéresse plus juin 1969 : Repartir à zéro ? juil.1969 : Un million sept cent mille morts pour rien sept. 1969 : « Intercommunion » nov.1969 : Réinventer la liberté protestante déc.1969 : Église de Noël, Église « underground » ? janv.1970 : Un autre catholicisme fév.1970 : Ce que tu es crie si fort que je n’entends pas ce que tu dis mars 1970 : Une Église pour les incroyants avr.1970 : Scènes de chasse en Bavière… et en chrétienté mai 1970 : La nature a besoin de notre intercession juin 1970 : J’ai rencontré des prêtres hollandais juil.1970 : Après Schwarzenbach. Réflexions pour un 1er août
Schleiermacher ont deux-cents ans cette année », PR juin-juil. 1999, 1 « Les colonnes du temple de Carouge », PR août-sept. 1999, 5 « Un coup d’œil sur la restauration de l’église Saint-François à Lausanne », PR août-sept. 1999, 11 « Comment on efface les traces architecturales de la Réforme », PR oct. 1999, 5 « Le triomphe du Baroque », PR nov. 1999, 1 « Jésus a-t-il réellement parlé de son retour ? La réponse négative d’un exégète hollandais », PR déc. 1999, 1 « Bonne surprise, mais aussi déception à la cathédrale de Lausanne », PR déc. 1999, 2 « Une préoccupation américaine d’actualité : la théologie publique », PR mai 2000, 1 « Image et sacrement », PR mai 2000, 5 « Jean de la Taille (1533-1614), dramaturge huguenot », juin-juil. 2000, 1 « Non, les réformés du XVIe siècle n’ont pas craint de figurer Dieu ! », PR août-sept. 2000, 1 « Dominus Jesus a fait réagir les protestants », PR oct. 2000, 1 « Les Rois Mages : origine et déploiement d’un mythe », PR déc. 2000, 1 « Un problème complexe : la destruction d’images » PR janv. 2001, 1 « Une basilique pontificale (presque) sans images », PR mars 2001, 1 « Auguste Sabatier et le symbolisme crique », PR avr. 2001, 1 « Les cures et presbytères, lieux de culture protestante » PR avr. 2001, 5 « A propos de deux mosaïques ravennates : la table de la dernière cène et l’autel du sacrifice » PR mai 2001, 1 « Après l’incendie criminel d’un temple », PR juin 2001, 1 « Etienne Barilier et l’énigme de la résurrection », PR juin 2001, 6 « Ernst Trœltsch et l’absoluité du christianisme », PR juil.-sept. 2001, 1 « Fêtes nationales, fête de la Réformation » PR oct. 2001, 1 « Reprise d’une tradition : des mystères à la cathédrale de Lausanne » PR nov. 2001, 1 « Le Pater d’Alphonse Mucha », PR déc. 2001, 1 « Un ‘sacré’ incognito », Réforme (Paris), 7.2.2002 « Le théâtre au siècle de la Réforme », PR fév. 2002, 5 « Avril 1802 : une date dans l’histoire du protestantisme français », PR avr. 2002, 1
sept.1970 : Une nouvelle religion déc.1970 : Le pentecôtisme et les exigences de notre affectivité mars 1971 : Et Dieu ? avr.1971 : Vers un Concile universel ? mai 1971 : Pitié pour les religions ! juil.1971 : Un christianisme d’avenir ? sept.1971 : Cent ans ! nov.1971 : Le temps de l’ennui janv.1972 : Un christianisme malade de la honte avr.1972 : Un art difficile et nécessaire : dire ce que l’on pense mai 1972 : La grande peur de l’an 2’000 oct.1972 : La fin d’une illusion nov.1972 : L’épreuve du temps janv.1973 : Pasteur = évêque ? mars 1973 : Les théologiens aujourd’hui pensent que… mai 1973 : La société libérale, cette malaimée juil.1973 : « Tout est politique » ? sept.1973 : Saint-Cergue et l’obsession de l’avenir oct.1973 : Protestantisme et votations nov.1973 : Pèlerinages, lieux saints, etc. janv.1974 : Chrétiens-radars ou chrétiens tout court ? fév.1974 : Une menace : le goût de l’ordre mars 1974 : Œcuménisme = libération juin 1974 : Lettre ouverte à M. Billy Graham juil.1974 : Franchise ou front commun ? oct.1974 : Sauver l’humanisme déc.1974 : La religion à toutes les sauces janv.1975 : À propos d’un anniversaire (A. Schweitzer) fév.1975 : Libéralisme et droit foncier avr.1975 : La jeunesse et la crise juil.1975 : Saint Marx de Trèves sept.1975 : Les dogmes déc.1975 : La loi du pendule fév.1976 : Sortir de nos ornières mars 1976 : Moon juil.1976 : Contre la faillite de l’intelligence sept.1976 : Un nouveau romantisme oct.1976 : L’autorité des laïcs déc.1976 : Noël, torture et terrorisme avr.1977 : L’an 20’000 juil.1977 : De grandes idées, s.v.p. ! sept.1977 : Les débuts de l’après-marxisme oct.1977 : Avoir le courage de la lucidité personnelle nov.1977 : La théologie aussi doit être « multitudiniste » janv.1978 : L’État, providence des Églises ? fév.1978 : Spiritualité évangélique et démocratie du compromis sept.1978 : Le futur pour nous consoler ? janv.1979 : L’ambiguïté institutionnalisée ? avr.1979 : Pitié pour l’histoire ! juin 1979 : Encombrante Église juil.1979 : Viêt-nam : la charité écartelée
oct.1979 : Irrépressible religion janv.1980 : Cultes mal fréquentés fév.1980 : Les pièges du 2 mars mai 1980 : « Théologie de la résistance » août 1980 : Les intellectuels et le fumier nov. 1980 : Comme en 1938 ? déc.1980 : Sommes-nous à l’heure ? janv.1981 : Cent cinquante ans mai 1981 : Kulturkampf à rebours juin 1981 : Cent cinquante ans… et après ? sept.1981 : Gauche-droite, ou la politique des emballages et des couleurs nov.1981 : La grande faille du néo-libéralisme économique déc.1981 : Intolérant, le monothéisme ? janv.1982 : Solidarité œcuménique ou fil à la patte ? fév.1982 : Le temps de la grossièreté avr.1982 : Pseudo-travail et pseudo-religion sept.1982 : D’un tabou à l’autre oct.1982 : Libéraux par gain de vérité déc.1982 : Nativité - Natalité fév.1983 : Il y a cinquante ans, Hitler… juin 1983 : Quitter l’Église ? juil.1983 : Naissance d’une nouvelle tradition ? nov.1983 : Lettre ouverte aux élus fédéraux janv1984 : 1984 : Zwingli et le pape avr.1984 : Des chrétiens qui pensent par eux-mêmes, non par Églises interposées sept.1984 : La démocratie n’est pas un dogme nov.1984 : Le mariage à hue et à dia fév.1985 ; Un monopole à refuser mai 1985 : L’initiative Droit à la vie, ou c’est l’intention qui compte juil.-août 1985 : Chrétiens de villes et chrétiens des champs déc.1985 : Que dire à propos des réfugiés ? fév.1985 : Alphabétisés, mais illettrés mai 1985 : La Réforme, mais pas à reculons juil.-août 1985 : De quelle Réformation les Vaudois vont-ils célébrer le souvenir ? déc.1985 : Le protestantisme : une parenthèse ? janv.1986 : Un défi à l’horizon 2’000 : les autres religions parmi nous mai 1987 : Un adjectif de mauvais augure juil.-août 1987 : La Réforme et ses Académies déc.1987 : Contre la sardanapalisation de nos Églises janv.1988 : Le culte, une affaire de participation avr.1988 : « Ne pas déranger, s.v.p. » juil. août 1988 : Le syndrome de repli oct.1988 : Une décennie de gestionnaires fév.1989 : Un christianisme du provisoire mai 1989 : La religion du bien-être juin 1989 : Lorsque la Réforme a eu lieu, l’Église romaine était-elle en position de force ?
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE
déc.1994 : Un luxe toujours plus indispensable fév.1995 : Pour une nouvelle simplicité du culte protestant mai 1995 : Contingences multitudinistes août-sept.1995 : Les origines de la Suisse mars 1996 : Toutes ces manières différentes d’être chrétien août-sept.1996 : Ce matin, je ne suis pas allé au culte janv.1997 : Le principal apport de la Réforme mai 1997 : Postmodernité nov.1997 : « Réforme », « réformé », « à réformer » : des mots qui font programme avr.1998 : Trop de pasteurs ou trop peu ? nov.1998 : Le « siècle de l’Eglise » touche à sa fin fév.-mars 1999 : Une sœur jumelle de la planète Terre mai 1999 : La méthode historico-critique, ou prendre la réalité telle qu’elle est août-sept. 1999 : L’exception européenne oct. 1999 : Calvin était-il protestant ? janv. 2000 : La valse des étiquettes avr. 2000 : Place aux artistes ! nov. 2000 : J’ai des amis catholiques… nov. 2001 : Je n’ai pas choisi d’être protestant… janv. 2002 : Bienheureuse diversité protestante mars 2002 : Vous dites « d’origine divine » ?
oct.1989 : Un pas important dans l’histoire du protestantisme en Suisse nov.1989 : Les chemins de la prédication janv.1990 : La décennie de l’Europe fév.1990 : Église ou Évangile ? mai 1990 : Le pape, l’Europe et le protestantisme juin 1990 : Questions et réponses oct.1990 : Entre romantisme et pragmatisme : la Suisse déc.1990 : La tentation européenne des Églises mars 1991 : Après la fin d’un espoir juil.-août 1991 : Une concurrence qui n’en est pas une : les mouvements évangéliques revivalistes oct.1991 : Protestantiser l’Europe ? janv.1992 : D’un christianisme sur la défensive à un christianisme de l’offensive avr.1992 : D’un mauvais usage politique des Écritures juil.-août 1992 : Familles, je ne vous hais plus ! nov.1992 : Bosnie : notre silence fév.1993 : L’islam en Europe juin-juil.1993 : Vivement une querelle protestante de l’art sacré ! nov.1993 : L’identité protestante : pas celle d’autrefois, celle de maintenant et du futur mars 1994 : Une civilisation protestante d’expression française juin-juil.1994 : La « cellule de la société »
Le christianisme social
Après la mort de Dieu
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édition nouvelle avec une postface de l’Auteur
Christologie et Pluralisme dans l’œuvre de John Cobb
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Le Dynamisme créateur de Dieu
Tous théologiens
L A C HRISTOLOGIE ENTRE DOGMES, DOUTES ET REMISES EN QUESTION
Actes du colloque Évangile et Liberté, ---
Essai sur la théologie du Process édition entièrement refondue
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Thomas pris de doute
Dans la Cité
Sur la trace des théologies libérales
ET FONCTION -
Réflexions d’un croyant
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É GLISES
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D ÉMOCRATIE
Plaidoyer pour une théologie « populaire »
NEMENT DES
Actes du colloque Théolib/Évangile et Liberté,
- Charles Wagner
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Manifeste pour un Libéralisme théologique renouvelé
Les religions mondiales et le christianisme
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La nature des doctrines
Religion et théologie à l’âge du postlibéralisme
Une pure volonté de vie La Religion devant les résultats de la théologie historico-critique et des sciences de la Nature
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, rue Henry-Monnier • Paris mél : diffusion@vandieren.com site web : http://www.vandieren.com
Cet ouvrage a été imprimé dans l’Union Européenne, par BookIt! au Mesnil-sur-l’Estrée (Eure) pour le compte de van Dieren Éditeur, à Paris. - -- • dépôt légal ⁄