Jacqueline Waeber : En musique dans le texte

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JACQUELINE WAEBER JACQUELINE WAEBER

e mélodrame musical – récitation alternée avec ou juxtaposée sur une musique – est un genre protéiforme, dont on trouvera ici une synthèse riche en informations. Jacqueline Waeber en suit les différentes incarnations, depuis la « scène lyrique » de Pygmalion, monologue écrit par Jean-Jacques Rousseau et mis en musique par Horace Coignet (), les scènes dramatiques du Sturm und Drang allemand et ses croisements avec le théâtre larmoyant en France au début du XIX e siècle. Intimement lié à la forme du monologue, il revient alors chez les grands compositeurs comme Berlioz, Schumann ou Liszt, puis sous la forme du « mélodrame de concert », soutenu à la fin du siècle par un art sophistiqué de la déclamation.

L

logie). Elle consacre ses recherches à l’esthétique musicale de Jean-Jacques Rousseau et aux rapports entre théâtre, arts plastiques et musique aux XVIII e et XIX e siècles. Auteur de nombreuses études sur l’esthétique musicale au Siècle des Lumières, elle a notamment publié en 1997 la première édition critique du texte et de la musique du Pygmalion de Jean-Jacques Rousseau et Horace Coignet. Après avoir enseigné plusieurs années au département de musique du Trinity College (Université de Dublin), Jacqueline Waeber est désormais professeur à Duke University (U.S.A.).

 --- •  ⁄  •     €  ( . .. ----)

• le mélodra me, de rousseau à schoenberg

Genève (écriture, cor) et docteur ès lettres de l’Université de Genève (musico-

en musique dans le te xte

acqueline W A E B E R est diplômée du Conservatoire supérieur de musique de

J

illustration de la jaquette : L’acteur August Wilhelm Iffland en Pygmalion, par Anton Graff (1800)

Souvent considéré un peu de haut, ou comme un genre hybride, l’auteur montre que c’est précisément ce caractère indécidable qui en forme l’essence : le mélodrame interroge un certain nombre de notions esthétiques, reformulées, voire mises au défi – celle d’une « langue originelle » unique au XVIII e siècle, les artifices de la narration en musique, la présence du corps et du geste comme explication en acte de la parole, faisant du mélodrame l’ancêtre de la musique de film et le premier multimédia, ou encore l’idée d’un art « outré », que l’on percevra encore dans ce qui est peut-être un point de non-retour du genre, le Pierrot lunaire de Schoenberg.

en musique dans le te xte. le mélodra me, de rousseau à schoenberg

VAN DIEREN ÉDITEUR, PARIS • « MUSIQUE »


JACQUELINE WAEBER

en musique da n s l e t e x t e Le mélodrame, de Rousseau à Schoenberg

VAN DIEREN ÉDITEUR, MMV


La publication de cet ouvrage a été rendue possible par le soutien de Trinity College Dublin Association and Trust et de l’Académie Suisse des Sciences humaines/Schweizerische Akademie der Geistes– und Sozialwissenschaften (SAGW).

Les parties « Pygmalion, le mélodrame des origines » et « Éloge de la parataxe » (I. Paroles, musique et geste), sont un remaniement de deux textes antérieurs publiés sur le Pygmalion de Rousseau : « Pygmalion et Rousseau :“Un grand poète, qui serait en même temps un peu musicien” » et « “J’ai imaginé un genre de drame” : une réflexion sur la partition musicale du mélodrame de Pygmalion », publiés respectivement in Fontes Artis Musicae, xliv/1 (), pp. -, et Schweizer Jahrbuch für Musikwissenschaft,  (), pp. -. À l’exception de celles-ci, l’ensemble des textes formant cet ouvrage est entièrement inédit. Sauf indication contraire, les traductions sont de l’auteur.

© 2005 Van Dieren Éditeur/Jacqueline Waeber Aucun extrait de ce livre ne peut être reproduit par quelque moyen que ce soit sans l’autorisation écrite de l’éditeur. (droits@vandieren.com)


  p.  Définitions • La musicalité de la langue, ou le faux débat du mélodrame • Le discours mélodramatique

Chapitre III.    ² p.  Le mélodrame à la croisée des chemins p.  Un fantastique de carton-pâte : Le Château des Plaisirs du Diable Apparitions, invocations, délires : La Harpe enchantée Le fantastique mélodramatique à l’ère romantique p.  Narration mélodramatique et langage cinématographique

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE

Chapitre II.  ,  ² p.  Mélodrame et Sturm und Drang dans les pays germaniques p.  Medea ou la terreur mélodramatique p.  Les voix d’Ariane à Naxos p.  Musique mélodramatique et distanciation critique La fuite du réel Monologues mélodramatiques p.  Dramatiser l’attente Dans le sillage de Benda : Mozart et l’expérience mélodramatique p. 

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Chapitre I. ,   ² p.  Pygmalion, le mélodrame des origines p.  À la manière des Grecs L’utopie d’une langue-musique p.  Du récitatif obligé au mélodrame Rompre le discours : le style entrecoupé Mélodrame et excès de sens p.  Éloge de la parataxe p.  Le monologue ou l’impossible dialogue p. 


Chapitre IV.  ² p.  Après un rêve ? Lélio ou le Retour à la vie. Du mélologue de 1832 au monodrame de 1855 p.  Musiques, images, textes p.  L’ambiguïté revendiquée de l’extramusical Un programme dans le programme « Cette voix qui retentit obstinément en moi » p.  La Ballade du pêcheur • Chant de bonheur • La Harpe éolienne – Souvenirs • Fantaisie dramatique sur la Tempête de Shakespeare Un drame sans drame : la scène fantasmagorique de Manfred p.  La voix perdue de Manfred p.  Une voix ou des voix ? La musique d’entracte comme transition infime : le chant du chalumeau Chapitre V.   ² p.  Dire et montrer p.  Mélodrame et eloquentia corporis « L’on parle aux yeux bien mieux qu’aux oreilles » p.  Archéologies du geste et bas comique p.  L’art de l’attitude p.  Mélodrame et tableau scénique Chapitre VI.  ² p.  Du lavatérisme au statue posing p.  Donner corps aux passions Supercheries du langage pantomimique p.  Un mélodrame « sans paroles » : La Muette de Portici p.  Codes visuels, codes sonores Chapitre VII.    È    ² p.  Le mélodrame hors de la scène : déclamations lyriques p.  Genres périphériques : récitations poétiques et « adaptations » musicales Les origines de la ballade mélodramatique p.  1. Die Frühlingsfeier • 2. Der erste Ton La ballade mélodramatique romantique : l’exemple de Liszt p.  Lenore ou le récit fantasmagorique • Une hystérie soigneusement encadrée • Tromper l’attente • Le galop comme métaphore du récit Das Hexenlied ou le récit-gigogne p.  La « voix qui raconte » p.  Vox peregrina, ou qui raconte quoi ? Bande dessinée et bande sonore : pour un art de l’ellipse p.  Une musique à programme « en action » ? L’ambigu Werther de Pugnani


Chapitre VIII.   ,    ’ «     » ² p.  De récitants sachant chanter… p.  1. Ernst von Possart • 2. Ludwig Wüllner Musicaliser la parole p.  Paroles rythmées : les voix de Preciosa La déclamation des Anciens revisitée par Mendelssohn Entre parlé et chanté : Massenet et les modes de l’énonciation lyrique La déclamation rythmique de Façade : poésies sonores

Notes p. 

Annexe.       ² p. 

Bibliographie p.  Liste des illustrations p.  Liste des exemples musicaux p.  Remerciements p.  Index p. 

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • SOMMAIRE

Chapitre X.   ² p.  «… un genre des plus odieux… » p.  L’hybride mélodramatique selon Paul Valéry p.  Perséphone, un anti-mélodrame • Jeanne d’Arc au bûcher • Tout savoir, tout connaître, tout prévoir : le mélodrame ou le pléonasme sublime p. 

 

Chapitre IX.     ² p.  Humperdinck et le « gebundenes Melodram » p.  Ramener la voix dans le giron du chant • Contre une lecture darwinienne du mélodrame • Le Sprechgesang comme idéal wagnérien ? De Humperdinck à Schoenberg p.  Pierrot lunaire p.  « L’instrument de mon âme » : le mélodrame selon Albertine Zehme La Sprechstimme, ou le mélodrame selon Schoenberg • Instrumentaliser la voix • « L’art pour l’art » ? • «…au début était le mot… » « Ceci n’est pas un mélodrame » p. 


J’ai donné à ce genre de spectacle le nom de mélodrame, usurpé depuis fort longtemps par de noires et cruelles productions, dont l’objet n’est que de serrer les cœurs et de faire venir les larmes. Mélodrame, c’est littéralement : action avec musique ; action en intime liaison avec le dessin et les impulsions d’une œuvre de musique. (PaulValéry)

 

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE

Le mélodrame n’a pas bonne réputation. Il charrie non seulement des connotations disparates, mais encore l’objet qu’il désigne reste fort imprécis. Le nom « fourre-tout » de « mélodrame » s’avère finalement peu approprié pour désigner à la fois un procédé technique, un genre dramatique (quoique le singulier soit réducteur), mais aussi une esthétique. Partir de l’explication étymologique ajoute encore à la confusion. Comme son nom l’indique, « mélodrame » est la somme des mots grecs melos et drama. Mais n’est-ce pas là ce qui définit le drame en musique, soit l’opéra ? Justement : au XVIIIe siècle, la langue française a uniquement utilisé le terme « mélodrame » en tant que synonyme d’« opéra ». Jean-Jacques Rousseau, auteur du livret de Pygmalion, œuvre considérée comme le premier mélodrame de l’histoire, n’a luimême jamais désigné son œuvre en tant que « mélodrame ». Ce n’est qu’à partir de la fin des années , dans le sillage du Pygmalion et de sa diffusion européenne, que « mélodrame » prendra son sens actuel tel qu’il s’est établi dès le début du XIXe siècle, développant au passage une nouvelle signification, dont celui désignant un drame empli de coups de théâtre et autres situations pathétiques et outrées ; en un mot, mélodramatiques.Ainsi l’usage français dixhuitiémiste n’a fait que suivre très fidèlement la langue italienne, qui aujourd’hui encore utilise melodramma dans le sens de « drame en musique » ou d’« opéra ». Donc, le mélodrame, ce n’est pas le melodramma ! Tel qu’il est notamment compris de nos jours,le mélodrame est « une

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DÉFINITIONS


forme artistique particulière dans laquelle récitation et musique se fondent sous le signe d’un soutien et d’un renforcement réciproques 1 »; il est « un mot […] désignant en général une liaison syncrétique entre le mot parlé [gesprochenes Wort] et la musique 2 », ou encore il ne signifierait « rien d’autre que la mise en relation, pour leurs affinités, d’un texte déclamé et d’un accompagnement musical 3 ». Définitions qui à l’instar de beaucoup d’autres présentent le mélodrame comme une déclamation (non chantée) soutenue par un accompagnement musical. Ne serait-il pas plus correct dès lors, pour se référer à tout ce qui est « déclamation en musique », de mettre de côté ce terme peu heureux de « mélodrame » et de s’inspirer de la langue italienne qui dès la fin du XVIIIe siècle, pour désigner le mélodrame, a utilisé le terme melologo forgé sur melos et logos (ou melólogo en espagnol,terme contemporain de l’italien;il sera francisé « mélologue » par Berlioz pour son Lélio), et ce afin d’éviter toute confusion avec le melodramma? Reste que l’étymologie de mélodrame ou mélologue renforce l’idée que le voisinage de la musique et de la parole au sein d’une œuvre a été d’emblée accepté comme une mise en relation positive, dans la mesure où un tel voisinage ne se justifierait que par le mariage forcément heureux de la musique et de la parole. Sous cet angle, on conçoit le procédé mélodramatique comme générant un type de discours particulier où la structure musicale est influencée par la déclamation. C’est ce que révèle la définition a contrario donnée par Jacques Van der Veen dans son ouvrage publié en  et qui reste à l’heure actuelle la seule étude de fond en français sur le mélodrame 4. Prenant l’exemple du Lélio de Berlioz, Van der Veen ne considère pas cette œuvre comme relevant du genre du mélodrame, car la « structure musicale [de Lélio] n’est nullement influencée par l’élément déclamatoire ; la déclamation ne fournit qu’un élément de structure extérieur et non pas intérieur 5. » C’est toujours dans cette perspective déclamatoire qu’on a premièrement défini le mélodrame, comme cela se vérifie dans bien des études, dictionnaires et autres lexiques spécialisés. La définition de l’encyclopédie Die Musik in Geschichte und Gegenwart présente le mélodrame comme « terme technique [désignant] la combinaison de déclamation parlée (d’abord prose, plus tard également la déclamation versifiée) avec de la musique instrumentale, que cela soit de manière alternée ou simultanée 6 ». Dans les deux


cas, elle se justifie par une hiérarchie bien établie entre déclamation et musique, cette dernière étant considérée comme un commentaire ajouté au texte déclamé. Ainsi de la définition suivante : le mélodrame est un « texte littéraire déclamé souvent par un seul acteur (d’où l’utilisation en Italie du terme monologo ou monodramma) sur un accompagnement musical qui le commente7. » C’est également dans ce sens que va la définition liminaire de l’ouvrage de Cesare Scarton 4 sur le melologo : « Par mélodrame, il faut comprendre la lecture ou la déclamation d’un texte en vers ou en prose en alternance ou en superposition avec des morceaux pour orchestre ou pour un seul instrument, presque exclusivement le piano, qui servent de commentaire musical 8. »

OU LE FAUX DÉBAT DU MÉLODRAME

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • INTRODUCTION

Arrêtons-nous sur ce mot de « commentaire » pour le moins ambigu, et qui, en musique, a bien souvent tout autant mauvaise presse que « mélodrame ». D’une certaine manière, une musique qui commente se met en rapport d’infériorité par rapport au texte, puisqu’elle ne prend son sens que par rapport à celui-ci : elle devient une musique qui ne sait plus trop quoi faire avec ellemême, un arrangement sonore à fonction purement illustrative, et qui une fois dépouillé de son objet à illustrer ne saurait se justifier artistiquement. Dans cette conception traditionnelle du mélodrame, la prééminence du paramètre de la déclamation explique le rapport hiérarchique qui fait basculer le rang de la musique à celui de simple commentaire ou illustration, traitée comme « fond sonore ». On ne saurait trouver plus éloquente (quoiqu’injuste) expression que celle de « son d’atmosphère », rapportée par le compositeur Gérard Pesson au sujet de la musique de son mélodrame L’Histoire de M.Vieuxtte pirouette en dit long sur le malaise qui toujours semble saisir le commentateur face à cette association contre-nature. Il est d’ailleurs révélateur que les deux monographies actuelles consacrées au mélodrame (Scarton et Kühn) ne proposent aucun exemple musical (ce qui n’était pas le cas de l’ouvrage de Van der Veen, bien que ses exemples concernent uniquement le Pygmalion de Rousseau et les mélodrames allemands de la fin du XVIIIe siècle) : démarches symptomatiques d’une conception essentiellement axée sur la déclama-

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LA MUSICALITÉ DE LA LANGUE,




tion et reléguant la musique mélodramatique au rang accessoire de « son d’atmosphère ». Pour tenter de contourner cette association problématique entre déclamation et musique, on a maintes fois avancé l’argument par trop rebattu du mélodrame conçu comme l’union idéale de la parole et de la musique. Combien de fois n’a-t-on pas lu, au sujet des mélodrames de Benda ou du Pierrot, que « l’union » de la parole à la musique fait de ces ouvrages des modèles du genre – sans qu’on nous explique pour autant en quoi consiste cette union ! On a tenté de justifier le mélodrame en prétextant qu’assortir verbe et musique était le meilleur moyen pour mettre en valeur la musicalité de la parole, obtenue avec le concours plus ou moins inspiré du récitant. Comme si le voisinage d’un texte récité avec de la musique, que ce soit par des interpolations musicales dans le texte ou par l’artifice du fond sonore, pouvait mettre à jour cette mythique musicalité originelle de la parole, qui finalement n’attendait que ce voisinage inespéré pour (res)surgir (ce point sera commenté aux chapitres VII. Mettre la scène dans la voix, et VIII. La récitation mélodramatique, ou le mythe d’un « chant de la langue »). Cette perspective faussée où se reconnaît sans peine l’héritage quelque peu galvaudé des réflexions dixhuitiémistes sur une prétendue origine commune entre musique et langage, est celle dans laquelle on continue encore aujourd’hui à brider la raison d’être du mélodrame. Ce que la récitante Caroline Gautier a fort bien résumé, en évoquant le mélodrame comme étant le « chant de la langue » 10. Expression qui d’une part tire le mélodrame vers la musique vocale (le chant), et d’autre part met l’accent sur la déclamation (la langue). Cela ne résout pas le problème du mélodrame, qui est précisément un renoncement au chant. Ce problème peut trouver des ouvertures autrement plus enrichissantes si l’on prend le contre-pied des arguments habituels : et si le mélodrame avait justement pour volonté première de maintenir la parole dans ce qu’elle a de non musical ? Ne serait-il pas plus juste d’accepter l’impossibilité d’une telle union ? Paradoxe que certains jugeront intenable. Sans doute fut-ce l’avis du compositeur Engelbert Humperdinck, lorsqu’il élabora en  la technique du Sprechgesang (l’expression est de son cru) pour la musique de scène de Die Königskinder, procédé repris par Schoenberg pour son Pierrot


Définir le mélodrame, c’est d’une part se demander ce qui le motive et d’autre part ce qui fait la spécificité de son discours. Ce qui le motive, et ce bien au-delà de questions liées à une prétendue musicalité de la langue, est une esthétique propre à la rhétorique du pathos. La genèse de la scène lyrique de Pygmalion en est d’ailleurs emblématique (chapitre I. Paroles, musique et geste). Qu’il s’exprime en littérature, en musique, ou encore au cinéma, le mélodrame converge entièrement vers la redondance, le pléonasme de l’expression. « All is overstated » (tout est exagéré) : depuis l’ouvrage aujourd’hui classique de Peter Brooks sur l’esthétique mélodramatique dans le roman dixneuviémiste, l’affaire est entendue 12. Le mélodrame tend à la rupture discursive, ce qui peut aussi être pris de manière métaphorique comme rupture de la normalité, ne signifiant pas seulement l’excès des passions (chapitre II. Lieux terribles, femmes perdues) mais aussi l’irruption du fantastique, de l’imaginaire (chapitres III. La clef des songes et IV. Théâtres imaginaires). La rupture discursive propre au discours mélodramatique est le fruit de son hétérogénéité intrinsèque. On a souvent voulu voir dans le mélodrame un genre impur car il mêle le musical au non musical : c’est pour cela que Wagner a critiqué le mélodrame (chapitre X. Un nouveau Laocoon). Pour être une forme particulière de discours dramatique où l’élément musical n’est

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • INTRODUCTION

LE DISCOURS MÉLODRAMATIQUE

 

lunaire (). Les deux compositeurs ne purent se résoudre à abandonner la notation musicale traditionnelle rigoureusement ordonnée sur les cinq lignes de la portée (chapitre IX. La fin du mélodrame ?) Pierre Boulez avait perçu cet artifice, dans son enregistrement réalisé en  du Pierrot lunaire où la mezzosoprano Yvonne Minton ne récite pas le Pierrot mais le chante avec toute la vocalité implicitement contenue dans cette notation 11. En rompant le paradoxe du Pierrot, Boulez a mis à jour l’indécision propre à cette partition et ce qu’il y a de musical par essence dans la manière instrumentalisée de penser la déclamation, en traitant la Sprechstimme comme une partie musicale parmi les autres. Interprétation qui montre que le Pierrot est un cas limite, en ce qu’il est un mélodrame tout en ne l’étant pas, ou plutôt en ce qu’il contient dans sa notation même la négation et la critique du mélodrame.


qu’une composante parmi d’autres – notons le pluriel –, le mélodrame met en interaction le musical et le non musical (ce qui ne signifie pas nécessairement qu’ils soient en union). Les éléments non musicaux du discours mélodramatique se présentent sous la forme d’un texte, destiné à être récité, lu, joué : gardons-nous de désigner ce texte mélodramatique par le terme réducteur de « déclamation ». Il n’y a pas que la parole qui puisse dire un texte ; celui-ci peut aussi être une indication pantomimique. La narration mélodramatique repose sur un discours au moins double, où le non musical n’est pas nécessairement restitué par la seule parole déclamée. Dans son petit fascicule intitulé Zur Entwicklungsgeschichte des Melodrams und Mimodrams [Sur l’évolution du mélodrame et du mimodrame], publié en , le musicologue Max Steinitzer était revenu sur une définition antérieure qu’il avait proposée du mélodrame (ou plus exactement de la musique mélodramatique), en tant que « musique sans chant et descriptive » (gesanglos darstellende Musik). Steinitzer reconnaît que le propos est trompeur pour « ceux qui connaissent la différence entre musique absolue et musique à programme 13 ». Dans le but d’améliorer cette définition, Steinitzer précise que sa conception du mélodrame repose sur ce qu’il appelle « la mise en musique » d’un texte poétique, de style lyrique, épique ou dramatique. On trouvera aujourd’hui la distinction de Steinitzer désuète pour ce qui est de cette énumération des styles poétiques : on parlera de texte, poétique ou non, qui appelle à une « mise en musique » particulière, puisqu’il ne s’agit pas de chant. Quant à l’argument final avancé par Steinitzer, il nous semble être le plus décisif en ce qu’il complète et révise de façon radicale une conception du mélodrame musical encore largement répandue aujourd’hui, soit le mélodrame strictement considéré comme somme de musique et de déclamatio en musique d’un texte] soit muette, c’est-à-dire purement mimique, est pour le fond de l’affaire à peine essentiel 14. » C’est ainsi que les scènes où s’exprime Fenella, l’héroïne de La Muette de Portici d’Auber (), sont précisément des scènes utilisant la technique mélodramatique. Muette, Fenella ne « parle » qu’en gestes : elle restitue par des pantomimes son texte mélodramatique qui suscite lui-même une mise en musique. D’où l’inclusion par Steinitzer du « mimodrame » dans le titre de sa brochure, le « mimodrame » n’étant


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • INTRODUCTION

rien d’autre qu’un mélodrame où le texte, au lieu d’être restitué par la parole, l’est par les gestes. Ce même mécanisme mimodramatique est illustré dans un passage de la musique de scène de Der Evangelimann (), pour lequel le compositeur Wilhelm Kienzl, également auteur du texte, a conçu un « monologue muet » où les pantomimes du personnage de Martha doivent « correspondre au caractère des phrases musicales 15 ». Encore en , le poète et compositeur autrichien Gerhard Rühm a défendu un argument similaire à propos de sa pièce pour piano field-anekdote faisant appel à un mime, définie comme un mélodrame relevant de la catégorie du Mimodram (et ici Rühm se réfère précisément à Steinitzer) : « Mon mimodrame est inspiré par le genre prisé au XIXe siècle des “tableaux vivants”, où une simple petite action permet un accent (panto-)mimique qui démontre le clou de l’histoire 16. » (Nous reviendrons sur ce point au cours des chapitresV. Le mélodrame mimodramatique et VI. Corps parlants, qui abordent le mélodrame à la lumière de la pantomime et traitent de la pratique des tableaux scéniques et attitudes en vogue depuis le dernier tiers du XVIIIe siècle). Dans le sillage de Steinitzer, on peut dès lors définir le mélodrame musical comme une forme de discours dramatique où la musique doit coexister avec quelque chose d’autre qui n’est pas de la musique, ce « quelque chose d’autre » étant le texte mélodramatique, transmis par la récitation ou la pantomime. Valéry ne dit pas autre chose au sujet de sa conception du mélodrame compris comme « action avec musique 17 ». Notre ouvrage se propose d’étudier le mélodrame selon cette définition élargie qui le conçoit comme un mode particulier de « mise en musique d’un texte ». Ce qui nous mène sur un terrain proche de celui de la musique à programme, celle-ci étant une musique qui non seulement coexiste avec un texte mais qui en tire également sa raison d’être, le texte pouvant d’ailleurs être une image : Sposalizio de Liszt par exemple (cet aspect sera abordé au chapitre IV. Théâtres imaginaires, notamment au sujet du mélodrame Lélio de Berlioz, conçu par le compositeur comme « suite et complément » de la Symphonie fantastique, elle-même bâtie sur un programme). Le mélodrame peut ainsi être compris comme une « musique à programme en action » (voir au chapitreVII le cas du Werther de Pugnani), puisque le texte qui appelle une mise en musique est transmis, par la parole ou par le geste, en même temps


que la musique : d’où le danger de redondance, de tautologie, qui a été si souvent reprochée au discours mélodramatique et que nous souhaiterions au contraire réévaluer.


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

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE

« Ce Pygmalion avec sa statue moitié prose moitié musique [,] monstre du génie de Rousseau 1 » aura été, avec Le Devin du village (), l’œuvre musicale et théâtrale la plus commentée et débattue du vivant du Genevois. Son principal titre de gloire est d’être le « premier » mélodrame, dans la mesure où cette œuvre applique strictement le principe d’alternance mélodramatique entre texte (déclamé ou mimé) et musique. On s’évertue encore à trouver des prédécesseurs à ce mélodrame (que toutefois Rousseau lui-même n’appela jamais « mélodrame »). L’exercice est toutefois assez dangereux, car à trop vouloir remonter les pistes on finit par arriver aux miracles médiévaux, pour ne rien dire du drame grec antique : le Pygmalion fut d’ailleurs considéré par nombre de ses contemporains comme une imitation de ce modèle 2. On a aussi essayé de trouver des principes mélodramatiques dans les Sonates Bibliques () de Johann Kuhnau, au prétexte que chaque sonate est l’illustration musicale d’un texte biblique 3 – c’est aussi dans de telles pièces que certains ont vu les prémisses de la musique à programme. Le Pygmalion est toutefois assez oublié aujourd’hui, ou en tout cas relégué dans le cabinet des curiosa du théâtre. Musicalement trop sommaire, l’œuvre n’intéresse pas les musicologues ; les historiens du théâtre s’y sont un peu plus arrêtés, même si la présence de la partition musicale semble placer cette œuvre hors de leur champ d’étude.Celle-ci fut composée par Horace Coignet (-),un marchand-brodeur lyonnais et musicien amateur, dont Rousseau

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PYGMALION, LE MÉLODRAME DES ORIGINES


fit la connaissance à l’occasion de son séjour lyonnais (avril-juin ). C’est sous les directives de Rousseau que Coignet réalisa la partition du Pygmalion. L’ouvrage fut créé à Lyon le  avril  sur les tréteaux d’un théâtre privé monté par des amis de Rousseau. Pourtant dès ces premières représentations, l’œuvre acquit très rapidement une réputation européenne. Le monologue fut popularisé hors de France et fut rapidement représenté dans des adaptations d’autres compositeurs, toujours suivant le principe de l’alternance texte-musique. Dès , le Pygmalion fut représenté à Weimar sur une musique d’Anton Schweitzer (aujourd’hui perdue), en grande partie à l’instigation de Goethe (qui aimait moins l’appareillage mixte du mélodrame que le texte de Rousseau et la réflexion sur le rôle de l’artiste face à son œuvre). Cette même année, le texte de Rousseau fut mis en musique par Franz Asplmayr, ou Aspelmayer, à l’occasion du Carnaval à Vienne 4. Encore en , Georg Anton Benda, qui n’en était plus à son coup d’essai en matière de mélodrame, mit en musique le texte de Rousseau, adapté en allemand par Gotter. En France en revanche, l’œuvre dut attendre  pour être créée publiquement sur la scène de la Comédie-Française, et lorsque le  septembre  l’ouvrage fut donné sur ce même théâtre sur une nouvelle musique d’Antoine L. Baudron, premier violon de l’orchestre du théâtre, le mécontentement du public obligea le théâtre à reprendre la musique de Coignet pour les représentations suivantes. L’Italie et la Péninsule ibérique n’échappèrent pas non plus à la vogue du mélodrame. En , Georges Becker a signalé que le Pygmalion aurait été joué sur la musique de Coignet dès  à Milan et l’année suivante à Venise, mais cette information n’a jamais pu être vérifiée 5. On compte deux Pygmalion italiens, celui de Giovanni Battista Cimadoro (ou Cimador ;Venise, ) et celui de Bonifazio Asioli (Turin, ). Il y aurait encore beaucoup à explorer sur la diffusion du mélodrame dès la fin du XVIIIe dans la Péninsule ibérique, notamment à travers ses deux principaux représentants, les compositeurs Tomás de Iriarte (-), auteur de la musique du mélodrame Guzmán el Bueno (Cadix, ), et Blas de Laserna (-) 6. Donné dans sa langue originale et selon tout vraisemblance avec la musique de Coignet, le Pygmalion fut représenté pour la première fois le  janvier  à Madrid, avant d’être traduit en


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • PAROLES, MUSIQUE ET GESTE • PYGMALION, LE MÉLODRAME DES ORIGINES

espagnol dès le mois suivant 7. En , on représenta à Barcelone le Pigmaléon sur la musique de Cimadoro et avec le texte de Rousseau traduit par le librettiste Juan Ignacio González del Castillo (-), que Subirá présente comme l’auteur du premier mélodrame espagnol original, Hanníbal, représenté à Cadix en , sur une musique aujourd’hui perdue 8. Certes, la nouveauté du dispositif dramatique du Pygmalion avait de quoi frapper les esprits, sans parler de l’aura de son auteur. Pourtant, le Pygmalion n’a rien d’une étrangeté un peu monstrueuse, mais doit être compris comme l’une des productions les plus emblématiques d’une conception de l’art scénique alors en œuvre durant le dernier tiers du XVIIIe siècle. Conçu en tant que palliatif du chant français tant décrié par le philosophe genevois, ce nouvel hybride dramatique, scène d’opéra « parlé » ou scène de théâtre « musicalisé », représente la première tentative pour créer une interaction entre texte déclamé et musique, et la réalisation pratique qu’est le Pygmalion peut être perçue comme le fruit d’une réflexion théorique que Rousseau avait développée depuis les années . De dimensions et d’effectif modestes, n’excédant pas la demiheure, le Pygmalion est conçu pour un quatuor, un basson, deux cors, un hautbois ainsi que deux acteurs, Pygmalion et Galathée. Cette dernière ne prononce que quatre répliques à la fin de l’ouvrage, car l’ensemble du texte consiste pour l’essentiel en un monologue du statuaire Pygmalion, entrecoupé de vingt-six séquences musicales, toutes brèves, que le vocabulaire dixhuitiémiste a désigné sous le terme de « ritournelles », terme documenté à maintes reprises sous la plume de Coignet et Rousseau. Seules deux de ces séquences sont de la plume de Rousseau : l’andante de l’Ouverture et l’andante n° , également appelé « ritournelle des coups de marteau », car c’est à ce moment que Pygmalion doit mimer son travail de sculpteur 9. La physionomie de la partition globale du Pygmalion, c’est-à-dire texte et musique, est éloquente, montrant une succession alternant séquences textuelles (par quoi il faut comprendre aussi bien les passages destinés à être déclamés que les didascalies pantomimiques) et séquences musicales. La manière dont texte et musique sont imbriqués démontre à quel point ces deux formes d’expression ont été pensées par Rousseau comme un tout (voir exemple 1.1).


Exemple 1.1

J.-J. Rousseau, H. Coignet, Pygmalion, scène lyrique, ritournelles n° 23 à 25 (réduction)


Au début de l’année  le texte seul de Pygmalion devait être achevé, ou en passe de l’être. Si l’on peut supposer que sa conception commença à la fin de l’année , il faudra attendre  pour le voir complété avec la composition de la partition musicale de Coignet. Il ressort clairement de la lettre que cette scène lyrique fut conçue avec la possibilité de lui adjoindre une trame orchestrale : « Pendant la lecture Mr. K. transporté dit tout haut, Ici l’Orchestre, ah Monsr n’ecoutés pas l’Orchestre ! » Le

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[…] R. a lu a Mr. K.[irchberger] une petite piece admirable, c’est un Drame, un seul Acte, une seule scene, un seul personnage qui est Pigmalion. Le Theatre represente un Atelier, nombres de statues a diférent degré de travail, cele de Galatée couverte d’un Voile. Pigmalion se met a l’ouvrage, chaque statue a un Coup de Ciseau, l’agitation graduelle l’empeche de s’atacher a aucune, celle de Galatée la redouble, il craint de gater en voulant perfectionner, la [sic] trouble augmente, il est hors de lui, les Dieux ont pitié et Galathée saute en bas de son pied d’estal et ne dit que trois mots qui finissent la piece, ces trois mots sont forts, mais ils les falloïent tels dit R., parce qu’ils finissent et qu’elle ne dit que cela, il vouloit envoier cela en forme de Lettre a Metastase. Pendant la lecture Mr. K. transporté dit tout haut, Ici l’Orchestre, ah Monsr n’ecoutés pas l’Orchestre 10 !

 

Le Pygmalion marque un moment d’aboutissement, voire un point de non-retour dans le développement de la pensée musicolinguistique du Genevois. L’œuvre est la conséquence d’un impitoyable paradigme que Rousseau a érigé dès sa Lettre sur la musique françoise, publiée en novembre  : l’impossibilité de chanter la langue française, puisque dépourvue d’accent, et donc dénuée de toute musicalité originelle. En dépit de ses limitations et imperfections, le Pygmalion relève d’une organisation entre texte et musique que Rousseau a d’abord longuement explorée en théorie dans ses écrits sur la musique, invoquant un rapport organique entre différents modes de discours (verbe, musique et geste) réunis par leur origine commune. L’histoire de la scène lyrique de Pygmalion a commencé bien avant  : probablement dès . La première allusion à un Pygmalion dans l’œuvre de Rousseau se trouve dans une lettre de Julie von Bondeli, datée du  janvier , et faisant état d’une lecture donnée par Rousseau à son ami Nicolas-Antoine de Kirchberger. Il s’agit d’une « scène » avec pour personnage principal Pygmalion, et la statue de Galathée qui finit par s’animer :


texte de la missive ne permet guère de définir qui parle à qui et qui répond à qui, mais en dépit de ces imprécisions, ce témoignage démontre que la musique était dès le départ un élément essentiel du Pygmalion, et que sa genèse textuelle fut liée de façon indissociable à l’élément musical. Le Pygmalion de  n’est donc pas encore la scène lyrique du Pygmalion achevée, pleinement réalisée sous sa forme mélodramatique. C’est ce que nous révèle l’autographe du texte de Pygmalion, qui en constitue la source principale 11. Non seulement cet autographe nous renseigne sur la genèse du Pygmalion, mais plus encore il confirme l’hypothèse selon laquelle le texte seul de - ne représenterait qu’un premier stade de l’œuvre. En effet l’autographe comporte dans sa marge de gauche des croix (vingt au total) signalant les « ritournelles » ou séquences musicales qui doivent entrecouper le monologue de Pygmalion. Ces vingt croix trouvent toutes leur correspondant dans la partition de Coignet, celui-ci ayant toutefois ajouté cinq nouvelles « ritournelles » (les nos , , ,  et  ; sans doute à la demande de Rousseau). Par ailleurs ces croix sont bien de la main de Rousseau : son écriture est clairement identifiable dans les indications « accords|basson » et « flutes|calme » données en surcharge de deux croix correspondant respectivement aux séquences nos  et , et l’encre en est rigoureusement identique, démontrant que c’est une seule et même main qui a écrit l’ensemble texte + croix 12. La partition de Coignet a tenu compte de ces deux indications d’instrumentation et d’affect : la séquence no  requiert un basson solo comme l’indique la partition, jouant une basse d’Albert ; et si la séquence no  ne requiert pas de flûte, les hautbois jouent la ligne mélodique principale, marquée amoroso. Par ailleurs, cet autographe présente une physionomie particulière, qui mérite d’être commentée : il se présente sous la forme d’un cahier petit in-, d’une dimension miniaturisée ( x  mm). Typique de ses travaux de copiste les plus soignés, l’écriture de Rousseau révèle qu’il s’agit d’une copie au net, mais certainement pas destinée à l’imprimeur : si cela avait été le cas Rousseau n’aurait pas choisi de copier son texte dans un format aussi réduit, et il n’aurait sans doute pas non plus orné le cahier d’une liseuse bleue. En , Albert Jansen, premier biographe de Rousseau musicien, tira une intéressante hypothèse à partir de la


La première représentation publique du Pygmalion n’eut lieu que le  octobre  à la Comédie-Française, soit cinq ans après la création lyonnaise privée, mais la scène lyrique avait obtenu dès avril  un succès de curiosité suffisant pour susciter des échos dans la presse, et ce au-delà du royaume de France. Cet engouement peut notamment s’expliquer en raison de la nouveauté du monologue, mais aussi à cause de la paternité de l’œuvre qui a été le plus souvent attribuée au seul Rousseau. On dit encore aujourd’hui que la scène lyrique de Pygmalion, musique incluse, est une œuvre de Rousseau, en oubliant quasi systématiquement le nom de l’obscur Coignet, alors que le Genevois n’est que l’auteur du texte, à l’exception de deux ritournelles. Les recensions publiées dans la foulée de la première représentation lyonnaise montrent que dès le début, seul le nom de Rousseau avait été associé au Pygmalion : la toute première recension, signée Friedrich Melchior Grimm et publiée dans la Correspondance littéraire à la date du  mai , ne mentionne jamais Horace Coignet 14. Un autre compte rendu de novembre , sur le « Pygmalion de M. Rousseau » et dû à un « voyageur anglois », va

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À LA MANIÈRE DES GRECS

 

seule dimension du manuscrit, la mettant en relation avec les propos de Julie von Bondeli : « [Rousseau] vouloit envoier [le texte de Pygmalion] en forme de Lettre à Metastase. » Jansen avait supposé que l’autographe du texte de Pygmalion avait pu être l’objet de cet envoi, en raison de son petit format, similaire à celui d’une lettre 13. Ajoutons dans le sens de Jansen que la présence de la liseuse bleue est encore un indice en faveur d’un cadeau. De telles pratiques épistolaires, notamment celles d’offrir des manuscrits de taille miniaturisée dont la fonction de présent est encore accentuée par une graphie très soignée et des ornements extérieurs, comme une liseuse, étaient fréquentes. Même si cet envoi à Métastase ne vit jamais le jour, il va sans dire que l’hypothèse est plus que séduisante. Envoyer à l’une des plus emblématiques figures de l’imaginaire artistique de Rousseau la scène lyrique de Pygmalion, exceptionnelle tentative pour pallier les irrémédiables vices du théâtre lyrique français, est un geste qui ne manque pas d’envergure, mais sans doute cette envergure même explique pourquoi il ne trouva jamais son accomplissement.


même plus loin dans ce constat, puisque « les paroles & la musique de ce drame, qui sont du même Auteur, sont également sublimes 15. » Les représentations publiques de l’ouvrage à la Comédie-Française ne firent rien pour corriger cette attribution de la musique, et ce malgré les efforts de Coignet qui dès  s’était senti suffisamment dépossédé de son travail pour envoyer à Jacques Lacombe, éditeur du Mercure de France, une lettre datée du  novembre  et publiée dans ce journal en janvier , où l’amateur lyonnais rappelle qu’il est bel et bien le compositeur de la musique : Permettez-moi, Monsieur, de relever une petite erreur, qui s’est glissée dans votre Mercure de ce mois, page , dans l’extrait que vous y donnez des feuilles  &  de l’Observateur François à Londres.Vous dites, d’après lui sans doute, pour prouver la possibilité de faire de la bonne Musique sur des paroles françoises, qu’un voyageur Anglois a vu à Lyon une représentation du spectacle de Pygmalion, drame de M. J. J. Rousseau, qui, dites-vous, en a fait la Musique, & les paroles également sublimes : il seroit bien flatteur pour moi, qui suis l’Auteur de la Musique, de pouvoir imaginer qu’elle approche de la sublimité des paroles ; je n’en ai jamais attribué le succès qu’au genre neuf & distingué de ce spectacle ; à la supériorité avec laquelle ce grand homme a traité ce sujet, & à celle des talens des deux Acteurs de société, qui ont bien voulu se charger de le représenter ; mais ce n’est point un opéra : il l’a intitulé, Scène Lyrique 16.

Ce qui ne pourrait être qu’un aspect anecdotique de l’histoire du Pygmalion recouvre de manière métaphorique la problématique majeure qui aura traversé le débat sur l’opéra en France durant tout le XVIIIe siècle, à savoir l’équilibre entre texte et musique, et plus largement la relation entre poète et musicien. Avec Pygmalion, cette problématique touche au fondement même de l’ouvrage, à sa raison d’être, et le débat suscité sur la paternité de sa musique en est la manifestation la plus parlante. Dans sa lettre au Mercure de France, Coignet s’était plu à souligner que son travail fut réalisé en étroite concertation avec Rousseau « qui parut content de [ses] efforts 17 ». C’est la fameuse union du Poète et du Musicien louée par Rousseau, acclamée par Diderot. La participation de Rousseau à la musique de Pygmalion a été commentée par Coignet lui-même, dans un récit fait en , à l’âge de quatre-vingt-quatre ans et décrivant de manière détaillée les cir-


Le soir même, Coignet est « chargé de sa scène lyrique, pénétré de son sujet, [et il] compos[e] de suite l’ouverture qu[’il apporte à Rousseau] le lendemain 21 ». Face à Rousseau, Coignet est le

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Nous allâmes pour le lire [le texte de Pygmalion] dans un petit bois, situé non loin de la ville, planté sur une colline qui descendait dans un vallon : là, nous nous assîmes près d’un arbre sur la hauteur. Rousseau me dit : « Cet endroit ressemble au mont Hélicon ». À peine eut-il terminé sa lecture, qu’un orage, mêlé d’éclairs, de tonnerre, et accompagné d’une pluie à verse, vint fondre sur nous. Nous allâmes nous mettre à l’abri sous un vieux chêne. Ce local lui plut infiniment. Nous étions seuls dans cette solitude qui dépend d’une maison fermée dont je connaissais le propriétaire, lequel se trouvait souvent absent. Le temps devenu serein, nous revînmes en ville, et soupâmes ensemble ; pendant le repas il raconta à sa femme notre aventure […] 20.

 

constances dans lesquelles il composa la musique de Pygmalion 18 : « Je me décidai à la faire graver [la musique de Pygmalion], en donnant à Rousseau ce qui lui appartenait [la musique des deux andante]. Il n’en fallut pas davantage pour le refroidir à mon égard 19. » De quel ordre – et si véridiques – ont pu être les réticences de Rousseau par rapport à cette gravure ? Rousseau aurait-il craint qu’on reconnût la provenance antérieure de l’andante « des coups de marteau », repris des Muses galantes ? Dans cette même lettre du Mercure, Coignet fait savoir que Rousseau aurait composé expressément cette « ritournelle » pour le Pygmalion : « Il [Rousseau] me demanda de lui laisser faire l’andante, entre l’ouverture et le presto, de même que la ritournelle des coups de marteau, pour qu’il y eût quelque chose de lui dans cette musique. » Même si le récit du vieux Coignet comporte une certaine patine romanesque et n’est pas tout à fait fiable, il offre cependant un point de vue non négligeable pour ce qui a été du travail « en commun » entre Rousseau et Coignet. Selon ses propos, Coignet aurait passé une journée d’avril  en compagnie de Rousseau dans un endroit semblable « au mont Hélicon » (dixit Jean-Jacques). Là, le Genevois lui fit la lecture de son texte de Pygmalion, et c’est non sans un certain sens de la mise en scène que Coignet situe l’épisode dans un décor – avec orage – où l’on pourrait s’attendre à voir surgir le poète Dorval des Entretiens sur le Fils naturel de Diderot :


Musicien magnétisé par le Poète qui aura dirigé son entreprise. Jean-Jacques, accoucheur du compositeur Coignet, peut bien s’écrier « comme le prophète du peuple hébreu dans son enthousiasme : Adducite mihi psaltem, “qu’on m’amène un musicien”, et il le fera naître 22. » L’exclamation est de Dorval, au sujet de « cet homme de génie » qu’est le poète lyrique à venir. Tel qu’incarné dans la scène lyrique de Pygmalion, l’avènement du mélodrame est une conséquence de la nostalgie utopique des Lumières linguistiques, celle d’une origine commune de la langue et de la musique. Cet héritage dixhuitiémiste restera d’ailleurs une composante fondamentale du mélodrame musical à l’ère romantique et ce jusqu’au début du XXe siècle. Au Siècle des Lumières, le récitatif était idéalement considéré comme l’émanation la plus musicale de l’accent du texte, telle une image sonore renvoyant l’écho d’une nostalgie de cette mythique « musique des Anciens » : musique qui était aussi langue. Ce fut la toile de fond sur laquelle le Pygmalion de Rousseau fut perçu par ses contemporains. Horace Coignet s’est référé par deux fois à cet ouvrage en le comparant à la mélopée des Grecs. Coignet avait une première fois expliqué en , dans les colonnes du Mercure de France, comment « M. Rousseau vouloit donner, par ce spectacle, une idée de la Mélopé [sic] des Grecs 23. » À la fin de sa vie, le musicien lyonnais revint sur ce point : « Après le dîner il [Rousseau] me communiqua son Pygmalion, et me proposa de le mettre en musique, dans le genre de la mélopée des Grecs 24. » Dans une lettre de Charles Burney à Rousseau (mai ), il est également question du Pygmalion en des termes similaires. Les propos de Burney sur la scène lyrique de Rousseau ont beau être erronés (il faut dire qu’il ne l’a ni vue ni entendue), ils révèlent l’aura antiquisante dont l’ouvrage allait être investi dès sa première représentation lyonnaise : On dit ici M. que vous avez fait Chanter votre belle piece de Pygmalion dans un Chant Grec avec l’accompagnement des Flutes en Imitation au Moins de la Maniere de Chanter ou de reciter des Anciens dans les pieces deTheatre. S’il estVrai je serroi tres Curieux de Savoir vos Idées la dessus. C’est une Matiere tres delicate et dont on a parler [sic] beaucoup dans tous les Traitez ainsi que dans les Histoires de la Musique sans dire la Moindre chose qui m’a convaincu […] 25.


L’image de Coignet travaillant sous les ordres de Jean-Jacques ne serait alors rien d’autre que le singulier reflet de celle de Métastase se plaisant à délivrer aux compositeurs (et à Hasse en particulier) des livrets truffés d’indications, livrets qui auront auparavant été soigneusement élaborés par le poète au clavecin. Cependant le Pygmalion nous ramène à une réalité tout autre, en mettant à jour la profonde fracture qui règne désormais entre Poète et Musicien. Dans ses Observations sur un ouvrage intitulé Traité du mélodrame (compte rendu du Traité du mélodrame de Laurent Garcin), Diderot avait répondu « qu’un grand poète qui serait un grand musicien ferait beaucoup mieux que celui qui ne sera que l’un ou l’autre 28. » Or si Rousseau est un grand poète, il est aussi musicien. Malheureusement cette union est chez lui abâtardie par la conscience de ses limites. Ne s’est-il pas surnommé lui-même le « Petit Faiseur » ? Une anecdote souvent citée au sujet de l’histoire du Pygmalion, rapportée par le marquis de Girardin dans la préface de l’édition des Consolations des misères de ma vie (), serait à lire sous cet angle :

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • PAROLES, MUSIQUE ET GESTE • PYGMALION, LE MÉLODRAME DES ORIGINES

Veux-tu donc savoir si quelque étincelle de ce feu dévorant t’anime ? Cours, vole à Naples écouter les chefs-d’œuvre de Leo, de Durante, de Jommelli, Pergolèse. Si tes yeux s’emplissent de larmes, si tu sens ton cœur palpiter, si des tressaillemens t’agitent, si l’oppression te suffoque dans tes transports, prends le Métastase et travaille ; son Génie échauffera le tien ; tu créeras à son exemple : c’est là ce que fait le Génie 27.

 

Ce topos des Lumières qu’est la question de l’origine commune du langage et de la musique est également à la source de l’épineux problème (du moins pour Rousseau) de la paternité de la musique de Pygmalion. Détruite par le progrès, cette origine est la cause de tous les maux qui accablent l’Artiste, désormais exilé de « ces heureux climats et [de] ces heureux tems [lorsque] les vers, les chants, la parole [avaient] une origine commune 26. » La collaboration avec Coignet devait correspondre pour Rousseau à cette relation fusionnelle où poète et musicien ne forment idéalement qu’une seule et même personne. Le poète travaillant sous les ordres du musicien est d’ailleurs une image récurrente chez Rousseau, et cela pourrait jeter quelque lumière sur cette intention jamais réalisée d’envoyer le texte du Pygmalion à Métastase. Aux yeux de Rousseau, Métastase est le modèle le plus achevé de l’Artiste « porté par les ailes du génie » :


On a cherché à élever des doutes sur le jugement que M. Rousseau portoit sur M. Gluk [sic] ; ceux à qui il pourroit en rester encore, trouveront dans l’anecdote suivante de quoi se fixer à cet égard. M. Rousseau n’ayant pas chez lui un seul exemplaire de la nouvelle Héloïse, on la lui prêta, tirée de la Collection d’Amsterdam  ; il trouva cette édition prétendue originale, mutilée & falsifiée, & la corrigea toute de sa main. La personne à qui étoit le livre l’en ayant remercié, & paroissant desirer qu’il lui rendit le même service pour la Scene de Pygmalion, il eut la complaisance de la lui lire & de la collationner sur son propre manuscrit. Quel dommage, fit quelqu’un présent à cette lecture, que le petit Faiseur n’ait pas mis une telle Scene en musique ! Vraiment, répondit-il, s’il ne l’a pas fait, c’est qu’il n’en étoit pas capable. Mon petit Faiseur ne peut enfler que les pipeaux ; il y faudroit un grand Faiseur. Je ne connais, ajouta-t-il, que M. Gluk en état d’entreprendre cet ouvrage, & je voudrois bien qu’il daignât s’en charger.Tout ceux qui ont eu le bonheur de connoître particuliérement M. Rousseau, savent combien de pareils traits de franchise & d’équité lui étoient familiers 29.

Il ne s’agit probablement que d’un fait enjolivé par Girardin, mais sa valeur anecdotique n’est pas négligeable. Les paroles de JeanJacques sonnent comme le constat d’échec que fut finalement le Pygmalion. « Il y faudroit un Grand Faiseur », estime-t-il, en mentionnant immédiatement le nom de Gluck. Mais cette immédiateté est trompeuse, et on se gardera bien de considérer le compositeur d’Alceste comme l’incarnation idéale du Musicien selon Rousseau. En réalité, ce Grand Faiseur n’est que l’autre versant du Petit Faiseur/Jean-Jacques : c’est l’autre Rousseau, celui qui a toujours porté douloureusement en lui la figure du musicien qu’il a rêvé d’être.

L’UTOPIE D’UNE LANGUE-MUSIQUE

Pygmalion doit être considéré comme une œuvre musicale de Rousseau, tant cet ouvrage s’inscrit dans le développement de sa pensée musico-linguistique. Les fondements de celle-ci se consolidèrent dès l’année cruciale de , qui vit la rédaction en avril de la Lettre à M. Grimm en réponse à la Lettre sur Omphale de Grimm et la composition quasiment contemporaine du Devin du village (représenté pour la première fois le  octobre devant la Cour à Fontainebleau ; puis le er mars  à l’Académie


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Mais à votre avis, seigneur philosophe, n’est-ce pas une bizarrerie bien étrange, qu’un étranger, un Italien, un Duni vienne nous apprendre à donner de l’accent à notre musique, à assujetir notre chant à tous les mouvements, à toutes les mesures, à tous les intervalles, à toutes les déclamations, sans blesser la prosodie. Ce n’était pourtant pas la mer à boire. Quiconque avait écouté un gueux lui demander l’aumône dans la rue, un homme dans le transport de la colère, une femme jalouse et furieuse, un amant désespéré, un flatteur, oui un flatteur radoucissant son ton, traînant ses syllabes, d’une voix mielleuse ; en un mot une passion, n’importe laquelle, pourvu que par son énergie, elle méritât de servir de modèle au musicien, aurait dû s’apercevoir de deux choses : l’une que les syllabes, longues ou brèves, n’ont aucune durée fixe, pas même de rapport déterminé entre leurs durées ; que la passion dispose de la prosodie, presque comme il lui plaît ; qu’elle exécute les plus grands intervalles, et que celui qui s’écrie dans le fort de sa douleur : « Ah, malheureux que je suis », monte la syllabe d’exclamation au ton le plus élevé et le plus aigu, et descend les autres aux tons les plus graves et les plus

 

royale de musiqu). La Querelle des Bouffons ne faisait que commencer début  (la troupe des Bouffons italiens de Bambini fit ses débuts en août  à Paris, mais les débats ne commencèrent véritablement qu’après plusieurs semaines), et Rousseau allait la raviver d’un feu aussi décisif que virulent avec la publication en novembre  de sa Lettre sur la musique françoise dont on connaît la trop célèbre conclusion : « D’où je conclus que les François n’ont point de Musique et n’en peuvent avoir ; ou que si jamais ils en ont une, ce sera tant pis pour eux 30. » Mais on oublie aussi bien souvent de justifier ce qui se cache derrière cette déclaration de guerre. Si les Français n’ont pas de musique, et surtout s’ils n’en peuvent avoir, c’est parce que leur langue trop perfectionnée, trop claire car trop arbitraire, a perdu son accent originel. Or cet accent est ce qui décide de la qualité intrinsèque musicale de toute langue, car il est « la semence de toute musique » : musices seminarium accentus, pour reprendre les paroles du Neveu de Rameau 31. Les réflexions de Diderot allaient d’ailleurs l’amener sur les traces de ce fameux « cri de la passion » devant diriger non seulement l’art de l’acteur dans la déclamation, mais aussi et avant tout celui de l’auteur ou du compositeur. N’est-ce pas déjà une description implicite de ce que devrait être une déclamation mélodramatique que nous donne le Neveu de Rameau ?


bas, faisant l’octave ou même un plus grand intervalle, et donnant à chaque son la quantité qui convient au tour de la mélodie ; sans que l’oreille soit offensée, sans que ni la syllabe longue, ni la syllabe brève aient conservé la longueur ou la brièveté du discours tranquille. Que de chemin nous avons fait depuis le temps où nous citions la parenthèse d’Armide, le vainqueur de Renaud, si quelqu’un le peut être, l’Obéissons sans balancer, des Indes galantes, comme des prodiges de déclamation musicale ! À présent, ces prodiges-là me font hausser les épaules de pitié. Du train dont l’art s’avance, je ne sais où il aboutira 32.

« La passion dispose de la prosodie » : telle pourrait être la règle d’or de la déclamation mélodramatique, toujours repensée à l’aune de « la manière des Grecs ». Comme l’écrit Duclos dans son article DÉCLAMATION DES ANCIENS de l’Encyclopédi, la déclamation est une notion difficile à circonscrire, car relevant surtout de l’affect et de la « chaleur » des acteurs. Duclos en conclut qu’il ne peut donc y avoir une véritable science de la déclamation, tout comme on ne peut réduire celle-ci en un système codé de signes. De là, précise Duclos, que la déclamation est au chant ce que la grâce est à la danse 33. Il est par conséquent impossible « de noter les tons déclamatoires, comme ceux du chant musical, soit parce qu’ils ne sont pas fixes & déterminés, soit parce qu’ils ne suivent pas les proportions harmoniques, soit enfin parce que le nombre en seroit infini ». Et même s’il était possible de les noter, l’entreprise serait inutile, car cela « [servirait] tout au plus à conduire des acteurs médiocres, en les rendant plus froids qu’ils ne le seroient en suivant la nature 34. » En revanche la prosodie peut être notée pour ce qui est de son rythme. On distingue le rythme des syllabes et éventuellement les relations de hauteurs (indéfinies) entre les syllabes, c’est-àdire l’accent. Cette confusion entre déclamation et prosodie peut être démontrée par le célèbre témoignage forgé par Lecerf de laViéville, selon lequel Lully modelait son récitatif en faisant déclamer les vers par la Champmeslé pour en noter leur rythme ainsi que les relations de hauteurs indéfinies entre les syllabes. Témoignage apocryphe – car c’est après la mort de Lully que se répandra cette anecdote – mais qui perdurera tout au long du XVIIIe siècle et jusqu’au XXe siècle 35. Lorsque dans l’article RÉCITATIF de l’Encyclopédi, Rousseau écrit que le récitatif est une « maniere de chant qui approche beaucoup de la parole […], une


déclamation en musique, dans laquelle le musicien doit imiter autant qu’il est possible, les inflexions de voix du déclamateur 36 », il ne fait que refléter une pratique langagière courante, qui consiste à désigner le récitatif comme une déclamation en musique. Il en va de même avec Dorat, qui dans sa Déclamation théâtrale nomme déclamation ce qui relève bien de la prosodie : « Il est probable, & même prouvé par tous les témoignages des Anciens, que leur Déclamation étoit notée, & qu’ils l’accompagnoient d’un Instrument 37. » DU RÉCITATIF OBLIGÉ AU MÉLODRAME

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RÉCITATIF OBLIGÉ : C’est celui qui, entremêlé de Ritournelles et de traits de Symphonie, oblige pour ainsi dire le Récitant et l’Orchestre l’un envers l’autre, en sorte qu’ils doivent être attentifs

 

Sous le vernis iconoclaste de la Lettre sur la musique françoise se trouve déjà le ferment de l’opposition topique entre France et Italie, telle qu’exposée dans l’Essai sur l’origine des langues où il est parlé de la mélodie et de l’imitation musical. Resté impublié du vivant de Rousseau, l’Essai fut achevé en , mais ses premières esquisses, qui remontent à , se trouvent dans un texte découvert en , intitulé Du Principe de la mélodie ou Réponse aux erreurs sur la musique 38. Le Dictionnaire de musique est un autre texte fondamental qui se construit durant cette période, de  à , et qui reprend bon nombre d’articles musicaux déjà rédigés par Rousseau entre  et  pour l’Encyclopédi de Diderot et d’Alembert, en apportant parfois des changements plus ou moins importants selon la teneur des articles, tout en ajoutant des articles nouveaux. Les lendemains de la Querelle des Bouffons ont vu la mise en retrait de Rousseau musicien derrière le théoricien et penseur, et l’achèvement du texte de la scène lyrique de Pygmalion en  s’inscrit en toute logique dans une réflexion fondamentale sur les rapports entre langue et musique, dont témoignent tant L’Essai sur l’origine des langues que le Dictionnaire. Dans ce dernier ouvrage en particulier, l’article RÉCITATIF OBLIGÉ, entrée nouvelle par rapport à la contribution de Rousseau pour l’Encyclopédi, donne déjà une définition implicite du Pygmalion. En redéfinissant le tissu de relations texte-musique, l’article démontre que c’est le récitatif obligé qui mènera Rousseau à la solution « mélodramatique » de Pygmalion :


et s’attendre mutuellement. Ces passages alternatifs de Récitatif et de Mélodie revétue de tout l’éclat de l’Orchestre, sont ce qu’il y a de plus touchant, de plus ravissant, de plus énergique dans toute la Musique moderne. L’Acteur agité, transporté d’une passion qui ne lui permet pas de tout dire, s’interrompt, s’arrête, fait des réticences, durant lesquelles l’Orchestre parle pour lui ; et ces silences, ainsi remplis, affectent infiniment plus l’Auditeur qui si l’Acteur disoit lui-même tout ce que la Musique fait entendre. Jusqu’ici la Musique Françoise n’a sçû faire aucun usage du Récitatif obligé 39.

« Ces passages alternatifs de Récitatif et de Mélodie revétue de tout l’éclat de l’Orchestre » ; « L’Acteur agité, transporté d’une passion qui ne lui permet pas de tout dire, s’interrompt, s’arrête, fait des réticences, durant lesquelles l’Orchestre parle pour lui » : voilà déjà tant le principe d’alternance qui régit la partition globale de Pygmalion (texte et musique) que le processus émotionnel qui le justifie. Le procédé musical de déclamation chantée qu’est le récitatif obligé, procédé connu de Rousseau mais beaucoup moins de ses contemporains français, a été le point de départ de la réalisation musicale du Pygmalion. On semble avoir oublié que cette expression de récitatif obligé, qui ne s’est imposée que tardivement en France et qui trouve son origine dans le recitativo obbligato des Italiens, a été entièrement forgée par Rousseau, et l’on se gardera d’y voir une traduction française purement synonymique 40. La première occurrence française de cette expression se fait sous la plume de Rousseau, dans sa Lettre sur la musique françoise (rédigée au plus tôt en décembre ). Il y reviendra plus tard dans son Dictionnaire de musique (publié en ), qui comporte une nouvelle définition du récitatif en général, scindant ce qui devait être au départ une seule définition en quatre définitions : RÉCITATIF, RÉCITATIF ACCOMPAGNÉ, RÉCITATIF MESURÉ, RÉCITATIF OBLIGÉ, là où pour l’Encyclopédi Rousseau n’avait conçu qu’un seul article sous l’entrée RÉCITATIF. Le hasard a voulu que l’ordonnance soit alphabétique, mais elle me semble en premier lieu avoir été définie par une gradation dramatique, de manière à ce que l’emphase finale soit atteinte par la dernière définition, celle du récitatif obligé. Le premier article RÉCITATIF, qui est aussi le plus vaste des quatre, sert de définition générale.Traitant en premier lieu des rapports entre


déclamation musicale et qualité de la langue, il aborde également le récitatif sous un angle « historique » (dans la vision utopique de Rousseau) en évoquant la poésie des Grecs. La deuxième définition, donnée dans l’article RÉCITATIF ACCOMPAGNÉ, est exemplaire de cette tentative de réinterprétation opérée par Rousseau. Il faut d’abord reconnaître que la définition ne rend pas vraiment justice aux possibilités expressives de l’accompagnato :

RÉCITATIF MESURÉ : Ces deux mots sont contradictoires. Tout Récitatif où l’on sent quelque autre Mesure que celle desVers n’est plus du Récitatif. Mais souvent un Récitatif ordinaire se change

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Rousseau décrit ici un type d’accompagnato où les cordes aiguës créent une texture à plusieurs parties et en valeurs longues. Comment ne pas trouver sous la plume de Jean-Jacques une attitude partiale lorsqu’il passe totalement sous silence les récitatifs accompagnés du type de ceux de La Serva Padrona, pourtant souvent commentés par les comptes rendus de l’époque ? L’article RÉCITATIF ACCOMPAGNÉ nous montre comment Rousseau a restreint au possible la définition du récitatif accompagné, dans une stratégie évidente pour atténuer les vertus de l’accompagnato, afin de mettre d’autant mieux en évidence celles du récitatif obligé. Quant à l’article suivant, RÉCITATIF MESURÉ, il est un autre exemple caractéristique de Rousseau polémiste et italianisant. Typiquement français, le récitatif mesuré est un récitatif caractérisé par une mesure unique, laquelle instaure une pulsation régulière, au contraire du récitatif non mesuré. Si Rousseau nous apprend bien peu de chose sur le récitatif mesuré en tant que déclamation musicale spécifique à la musique française, il est en revanche beaucoup plus disert pour définir ce que n’est pas le récitatif mesuré :

 

RÉCITATIF ACCOMPAGNÉ est celui auquel, outre la Basse-continue, on ajoûte un Accompagnement de Violons. Cet Accompagnement, qui ne peut guère être syllabique, vu la rapidité du débit, est ordinairement formé de longues Notes soutenues sur des Mesures entières ; et l’on écrit pour cela sur toutes les Parties de Symphonie le mot Sostenuto, principalement à la Basse, qui, sans cela, ne frapperoit que des coups secs et détachés à chaque changement de Note, comme dans le Récitatif ordinaire ; au lieu qu’il faut alors filer et soutenir les Sons selon toute la valeur des Notes 41.


tout-d’un-coup en Chant, et prend de la Mesure et de la Mélodie ; ce qui se marque en écrivant sur les Parties àTempo ou à Battuta. Ce contraste, ce changement bien ménagé produit des effets surprenans. Dans le cours d’un Récitatif débité, une réflexion tendre et plaintive prend l’Accent musical et se développe à l’instant par les plus douces inflexions du Chant ; puis, coupée de la même manière par quelque autre réflexion vive et impétueuse, elle s’interrompt brusquement pour reprendre à l’instant tout le débit de la parole. Ces morceaux courts et mesurés, accompagnés, pour l’ordinaire, de flûtes et de cors de chasse, ne sont pas rares dans les grands Récitatifs Italiens. On mesure encore le Récitatif, lorsque l’Accompagnement dont on le charge étant chantant et mesuré lui-même, oblige le récitant d’y conformer son débit. C’est moins alors un Récitatif mesuré que, comme je l’ai dit plus haut, un Récitatif accompagnant l’accompagnement 42.

« Ces morceaux courts et mesurés, accompagnés, pour l’ordinaire, de flûtes et de cors de chasse, ne sont pas rares dans les grands Récitatifs Italiens. » On trouve déjà ici la définition d’un récitatif obligé. Cela permet à Rousseau de montrer qu’il y a gradation d’intensité atteinte par le passage (le « contraste ») entre la déclamation requise par le récitatif ordinaire et celle qui le serait par un récitatif devenant subitement du chant, ce dernier « [prenant] de la mesure et de la mélodie ». Le récitatif obligé apparaît déjà en filigrane dans une définition qui n’est pas la sienne, et ce tout particulièrement au dernier paragraphe. Que restera-t-il donc dans la définition réservée au RÉCITATIF OBLIGÉ ? L’idée que chanteur et orchestre se réunissent en un seul médium expressif, chacun faisant alterner sa propre voix avec celle de l’autre, est le principe même du continuum sonore créé par l’alternance entre les tirades de Pygmalion et les séquences instrumentales : alternance dépourvue de toute solution de continuité, symbolisée par les points de suspension commençant et terminant le plus fréquemment les répliques de l’acteur. C’est dans la Lettre à M. Burney (rédigée en octobre ) que la définition du récitatif obligé par Rousseau coïncide le plus étroitement avec la conception largement répandue du mélodrame, et qui trouvera ses meilleures applications à l’ère romantique. On retrouve ici l’idée de gradation que Rousseau avait déjà mise à jour à travers les définitions successives des différents types de récitatif dans son Dictionnaire de musique. La Lettre à Burney dis-


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • PAROLES, MUSIQUE ET GESTE • L’UTOPIE D’UNE LANGUE-MUSIQUE

tingue trois stades expressifs. Le premier est celui du récitatif que l’on qualifierait aujourd’hui de simple, et qui correspond à un état expressif dépourvu de passion excessive : lorsque le discours est « simplement débité », il doit uniquement être rendu par « l’accent de la déclamation » ; « et quand la langue a un accent, il ne s’agit que de rendre cet accent appréciable, en le notant par des intervalles musicaux […] Voilà le récitatif simple, et ce récitatif doit être aussi près de la simple parole qu’il est possible 43. » Le deuxième stade requiert un degré plus élevé d’intensité dramatique et correspond au récitatif accompagné, et concerne ces « momens où le récitatif, moins récitant et plus passionné, prend un caractére plus touchant [où l’]on peut […] placer avec succès un simple acompagnement de notes tenues qui, par le concours de cette harmonie, donnent plus de douceur à l’expression ». Ce récitatif accompagné « revenant par intervalles rares et bien choisis, contraste avec la sécheresse du récitatif nud et produit un très-bon effet 44. » Le troisième et dernier stade est le plus élevé dans l’intensité dramatique et requiert le récitatif obligé : « Enfin quand la violence de la passion fait entrecouper la parole par des propos commencés et interrompus, tant à cause de la force des sentimens qui ne trouvent point de termes suffisans pour s’exprimer, qu’à cause de leur impétuosité qui les fait succéder en tumulte les uns aux autres, avec une rapidité sans suite et sans ordre 45. » Comme on l’a déjà vu, le récitatif obligé, dramatiquement justifié par une surenchère de l’expression, joue avec la rupture discursive en « entrecoupant » le discours du chanteur par des « ritournelles » instrumentales. Mais cette rupture n’est que de surface, l’intention de Rousseau étant de traiter ritournelles de l’orchestre et déclamation du chanteur comme les deux vecteurs d’expression d’un seul langage qui réunirait de manière utopique musique et parole. Réunissant acteur et orchestre de manière à ce qu’ils se fondent idéalement en un seul médium expressif, le récitatif obligé permet ce cas de figure unique né de la rencontre entre la voix de l’acteur et la voix de l’orchestre qui mènera à la solution mélodramatique du Pygmalion. La Lettre à M. Burney redéfinit dans un premier temps le récitatif obligé (« faire exactement ce qu’on fait dans le récitatif obligé »), et le fait dériver jusqu’à la solution mélodramatique du Pygmalion :


Je crois que le mélange alternatif de la parole et de la symphonie peut seul exprimer une pareille situation. L’acteur livré tout entier à sa passion n’en doit trouver que l’accent. La mélodie trop peu appropriée à l’accent de la langue, et le rhythme musical qui ne s’y prête point du tout, affoibliroient, énerveroient toute l’expression en s’y mêlant ; cependant ce rhythme et cette mélodie ont un grand charme pour l’oreille, et par elle une grande force sur le cœur. Que faire donc alors pour faire agir à la fois toutes ces especes de forces ? Faire exactement ce qu’on fait dans le récitatif obligé, donner à la parole tout l’accent possible et convenable à ce qu’elle exprime, et jetter dans des ritournelles de simphonie toute la mélodie, toute la cadence et le rhythme qui peuvent venir à l’appui. Le silence de l’acteur dit alors plus que ses paroles, et ces réticences bien placées, bien ménagées et remplies d’un côté par la voix de l’orchestre et de l’autre par le jeu muet d’un acteur qui sent ce qu’il dit et ce qu’il ne peut dire, ces réticences, dis-je, font un effet supérieur à celui de la déclamation, et l’on ne peut les ôter sans lui ôter la plus grande partie de sa force. Il n’y a point de bon Acteur qui dans ces momens violens ne fasse de longues pauses et ces pauses remplies d’une expression analogue par une ritournelle [melodieuse et bien ménagée], ne doivent-elles pas devenir encore plus interessantes que lorsqu’il y regne un silence absolu ? J’en veux pour preuve l’effet étonnant que ne manque jamais de produire tout récitatif obligé bien placé et bien traité. Persuadé que la langue Françoise destituée de tout accent n’est nullement propre à la Musique, et principalement au recitatif, j’ai imaginé un genre de drame 46,

C’est précisément sur cette virgule que s’arrête le texte de Rousseau dans l’autographe de la Lettre à M. Burney. Dans la marge, une autre main a écrit : « L’Auteur allait parler de Pigmalion. note du copiste ». On aimerait voir un acte manqué là où les mots ont littéralement failli à Rousseau pour qu’il puisse évoquer son Pygmalion, lui-même fruit de l’impuissance du langage. C’est l’excès des passions qui permet d’atteindre à un audelà du discours, et l’avènement de la forme mélodramatique du Pygmalion est intrinsèquement lié à l’acmé émotionnelle, laquelle provoque la rupture de toute cohérence discursive mise à mal et désormais inapte à trouver des « termes suffisans » pour rendre toute « la force des sentimens ». Si les passions et leur représentation sont la cause de la nouveauté scénique du Pygmalion, la parole (et plus précisément la langue française)


reste néanmoins frappée d’anathème, incapable de véhiculer des passions. La scène lyrique de Pygmalion est née d’un échec, celui de l’effondrement du discours. ROMPRE LE DISCOURS : LE STYLE ENTRECOUPÉ

  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • PAROLES, MUSIQUE ET GESTE • L’UTOPIE D’UNE LANGUE-MUSIQUE

En mentionnant les suspensions, les mots entrecoupés, les silences – ou encore, documentées dans d’autres textes, les réticences et les interruptions –, Rousseau fait allusion à un style bien précis. Les silences reviennent fréquemment sous sa plume à l’occasion de la conclusion de la Lettre sur la musique françoise, en grande partie dévolue à la critique du monologue d’Armidedans la tragédie lyrique de Quinault et Lully. Ces moments où la déclamation s’arrête pour laisser place à l’accompagnement instrumental, sont autant d’éléments propres à la conception rousseauienne du récitatif obligé. Dès la Lettre sur la musique françoise, le philosophe utilisera de façon récurrente un tel vocabulaire pour désigner des situations dramatiques exceptionnelles dont la violence suscite la rupture de la continuité discursive. Néanmoins ce vocabulaire n’est pas nouveau pour le lecteur familier des écrits sur le théâtre de la seconde moitié du XVIIIe siècle, en particulier ceux de Diderot. Il en va de même pour un terme comme « pathétique », utilisé par Rousseau dès la Lettre sur la musique françoise (« On peut, à l’aide d’une symphonie habilement ménagée, faire exprimer à l’Orchestre, par des chants pathétiques et variés, ce que l’acteur ne doit que réciter […] [En note :] J’avois espéré que le sieur Caffarelli nous donneroit, au Concert Spirituel, quelque morceau de grand récitatif et de chant pathétique 47 »). Ce même adjectif sera plus tard investi d’une charge dramatique particulière dans les opéras de Gluck 48. L’exemple des livrets d’intermèdes comiques italiens joués depuis l’arrivée des Bouffons à Paris a sensibilisé le public à la distinction très nette chez les Italiens entre vers réguliers, utilisés pour les airs, et vers irréguliers, réservés aux parties récitatives et souvent terminés ou entrecoupés par des points de suspension permettant ces « jours pour la ritournelle », pour reprendre l’expression de Diderot dans le Troisième Entretien sur le Fils Naturel () 49. À la fin du Troisième Entretien, Diderot utilise d’ailleurs l’expression récitatif obligé. L’avant-dernier dialogue entre Dorval et Moi a pour objet Le Père de Famille, et Dorval développe son


idée du type de tragédie qu’il « [voudrait] établir sur la scène lyrique 50 ». Il s’agit d’un des passages les plus connus et cités du Troisième Entretien, où à partir des vers de l’Iphigéni de Racine (V4), Diderot imagine une scène d’opéra pour Clytemnestre. La scène s’organise en deux parties distinctes qui constituent une gradation dans l’expression pathétique de la mère, fondée sur la succession récitatif obligé-air : Le beau sujet pour un récitatif obligé, que les premiers vers ! Comme on peut en couper les différentes phrases par une ritournelle plaintive !… O ciel !… ô mère infortunée !… premier jour pour la ritournelle… De festons odieux ma fille couronnée… second jour… Tend la gorge aux couteaux par son père apprêtés… troisième jour… Par son père !… quatrième jour… Calchas va dans son sang… cinquième jour… Quels caractères ne peut-on pas donner à cette symphonie… Il me semble que je l’entends… elle me peint la plainte… la douleur… l’effroi… l’horreur… la fureur… 51

Et Diderot d’imaginer Mlle Dumesnil pour jouer la scène : «Voilà, où je me trompe fort, le désordre qu’il y répandra ; voilà les sentiments qui se succéderont dans son âme ; voilà ce que son génie lui suggérera ; et c’est sa déclamation que le musicien doit imaginer et écrire 52. » La référence à la Dumesnil, l’une des plus grandes actrices de la scène de la Comédie-Française, réputée pour ne bien jouer « que les endroits de fureur 53 », montre que désormais « la passion dispose de la prosodie », comme l’écrira Diderot lorsqu’il reviendra sur ce style entrecoupé dans son Neveu de Rameau. Déjà dans les Entretiens on retrouve des termes comme coupé et interrompu, tandis que l’orchestre, avec ses « ritournelles » instrumentales, est défini comme étant une sorte d’interlocuteur. Ce style se répandra de plus en plus dans le théâtre du dernier tiers du XVIIIe siècle, et les exemples étant fort nombreux, on n’en citera qu’un seul, sans doute pas des plus connus, celui de la didascalie introduisant le monologue d’Azélis au début du troisième épisode de L’Union des Arts (Azélis) du Marquis de Sade (rédigée entre 1784 et ). Le style entrecoupé requis pour la déclamation se fait comme l’écho d’un grand déferlement climatique, dont les « ritournelles » évoquent sans ambiguïté un récitatif obligé : Le temps se couvre, les éclairs brillent, mais lentement on entend des coups de tonnerre éloignés. La mer devient agitée, le vent


soulève les vagues, et les brise avec violence sur la côte. Le fond de la scène se remplit de plus en plus de bêtes féroces dont les hurlements effrayent.Toute la déclamation de ce monologue est coupée par des ritournelles qui expriment les diverses gradations de l’orage, les hurlements des bêtes, le sifflement des airs et le mugissement des flots 54.

L’esthétique du style entrecoupé ne fut en rien limitée à la France : elle était largement répandue dans les pays germaniques depuis les années , sous la poussée du Sturm und Drang, amenant l’esthétique mélodramatique sur la scène du théâtre parlé. Le monologue final de Clavigo (acte V) de la pièce homonyme de Goethe () est un monologue désespéré du héros soutenu par un accompagnement musical :

MÉLODRAME ET EXCÈS DE SENS

On veut trop souvent voir dans le mélodrame une insupportable tautologie provoquée par l’utilisation de différents langages exprimant une seule et même chose. Or c’est la raison d’être du mélodrame qui exige cette tautologie. Ce mécanisme est même à l’origine de l’exemple fondateur du Pygmalion de Rousseau, dont les implications expressives furent jugées à ce point extraordinaires par l’auteur pour que se mette en place un nouveau dispositif d’expression dramatique. Pygmalion ne joue pas seulement un rôle clef dans l’avènement du mélodrame musical, il est aussi un texte révélateur des changements décisifs au cours du dernier tiers du XVIIIe siècle, tant sur le plan de la sensibilité que sur celui de l’esthétique du drame, que celui-ci soit en musique

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • PAROLES, MUSIQUE ET GESTE • MÉLODRAME ET EXCÈS DE SENS

C’est précisément la conjonction de ce style poétique et du jeu théâtral qu’il implique avec l’esthétique musicale du Sturm und Drang qu’on retrouvera au cœur de l’écriture des mélodrames de Georg Anton Benda.



Marie ! Marie ! Prends moi avec toi ! prends moi avec toi ! (Une musique triste fait entendre quelques sons de l’intérieur). Ils commencent à marcher vers la tombe ! — Arrêtez ! Arrêtez ! ne fermez pas le cercueil ! Laissez moi la voir encore une fois ! […] (La musique continue). Elle m’appelle ! Je viens ! — Quel peur me saisit ! Quel tremblement me retient ! (La musique reprend pour une troisième fois et continue) 55.




ou non. C’est l’éclosion d’une poésie exigeant une inflation de l’expressivité, « poésie qui veut quelque chose d’énorme, de barbare et de sauvage 56. » Avec Pygmalion, Rousseau a mis sur pied un genre musico-théâtral capable de supporter une nouvelle sensibilité de l’excès. Il fallait donc trouver un nouveau cadre pour un nouveau discours, ou plutôt pour un non-discours renonçant à la régularité métrique du vers, adoptant une prose déchirée par des ponctuations et autres interjections : cadre qui toutefois n’est pas si nouveau puisqu’il transpose dans le mode mélodramatique l’utilisation de la parole chantée telle qu’utilisée dans le récitatif obligé. Le mélodrame est né de cette nouvelle sensibilité, mais il est également le fruit d’un sentiment d’impuissance. Ce constat ne vaut pas pour le seul Pygmalion : il est aussi et avant tout la marque du mélodrame romantique.Toute entreprise mélodramatique est marquée par le renoncement au chant au profit de la parole et du geste, ce qui peut être perçu comme une forme de méfiance envers les pouvoirs expressifs de la musique. Non pas qu’elle ne soit pas assez expressive, mais bien plus parce qu’elle l’est beaucoup trop. Ce trop-plein d’expressivité suscite chez Rousseau un discours original, et obsédant de par la place qu’il occupe dans ses écrits sur la musique. Ce discours est luimême le fruit d’une réflexion nouvelle sur la musique développée depuis la fin de l’ère baroque : dès le début du XVIIIe siècle, le débat sur les mérites respectifs des musiques française et italienne reconnaît à la musique transalpine la faculté de mettre le corps littéralement en transe 57. Cela peut être mal comme cela peut être fort bien : « On est emporté, enchanté, on est extasié de plaisir ; il faut se récrier pour se soulager, il n’y a personne qui puisse s’en défendre ; on attend avec impatience la fin de chaque Air, pour respirer ; on ne peut se contenir jusqu’au bout, on interrompt le Musicien par des cris & par des applaudissemens infinis, la Musique Italienne produit, tous les jours, ces effets 58. » La description de tels effets physiques deviendra même rapidement un lieu commun parmi les commentateurs français de la musique italienne. Et si ses détracteurs ressentent aussi son transport, ils le critiquent d’autant plus qu’il éloigne la musique de son but premier, celui de signifier. C’est le droit au pur plaisir des sens que revendique Raguenet en louant la musique italienne : une musique libérée de ses signes.


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • PAROLES, MUSIQUE ET GESTE • MÉLODRAME ET EXCÈS DE SENS

Moins de trois décennies plus tard, la querelle des lullistes et des ramistes, encore attisée par les premières représentations de la tragédie lyrique Hippolyte et Aricie de Rameau en  à l’Académie Royale de musiqu, s’inscrit dans le droit fil de la querelle Raguenet-Lecerf de la Viéville. Pour les lullistes, la musique de Rameau prend trop de place, reléguant le texte au second plan. Entre les lignes de ces débats se lit quelque chose qui va au-delà des revendications sensualistes de Raguenet : la musique peut non seulement signifier par elle-même, mais plus encore, cette signification va au-delà des mots. Dernier aspect qui prend chez Rousseau une dimension littéralement effrayante : trop de musique « partage l’attention », pour reprendre une expression chère au Genevois. Ce n’est pas le cas de la musique italienne (bien que chez Rousseau l’entité qu’il désigne comme « musique italienne » relève essentiellement d’une construction idéologique), comme il l’avait avancé dans l’article ACCOMPAGNEMENT rédigé pour l’Encyclopédie dès , et publié dans le premier volume en  : « Les Italiens ne veulent pas qu’on entende rien dans l’accompagnement ni dans la basse qui puisse distraire un moment l’oreille du chant ; et leurs accompagnements sont toujours dirigés sur ce principe que le plaisir et l’attention s’évaporent en se partageant 59. » En , la charge contre Rameau se fera enfin directe dans la Lettre à M. Grimm. La musique du Dijonnais est évidemment coupable de cette tromperie sur l’entendement : « Au lieu de fixer plus agréablement l’attention du spectateur, ils [les accompagnements trop travaillés de Rameau] la détruisent en la partageant 60. » Moins de deux ans plus tard dans sa Lettre sur la musique françoise, ce qui était le défaut de Rameau devient celui de la musique de toute une nation : «Tout ce fracas [de l’harmonie], qui n’est qu’un mauvais supplément où le génie manque, étoufferait le chant loin de l’animer, et détruirait l’intérêt en partageant l’attention 61. » Aussi le rejet de la polyphonie est motivé chez Rousseau par le refus d’une polysémie que produit le trop-plein de musique, qui est aussi un trop-plein de voix, et qui résulte en un effrayant excès de sens et de signes. Si le chant de psaumes à quatre voix ravit dans un premier temps Rousseau, son attention se relâche après quelques minutes, et « le bruit [l’]étourdit peu-à-peu » : « La musique doit donc nécessairement chanter pour toucher, pour plaire, pour soutenir l’intérêt et l’attention. Mais comment, dans


nos systèmes d’accords et d’harmonie, la musique s’y prendra-telle pour chanter ? Si chaque partie a son chant propre, tous ces chants, entendus à la fois, se détruiront mutuellement, et ne feront plus de chant 62 ». La position de Rousseau s’explique comme réaction à une caractéristique majeure du Siècle des Lumières, période qui connut une production intense de signes, et dont la contrepartie fut une mise en place d’une entreprise systématique de codifications, visant à juguler ce même déferlement de signes, qu’ils soient sonores ou visuels 63. Rousseau ne fut certes pas le seul à se sentir désemparé par cet excès de sens propre au mélodrame ; et bien qu’on n’y retrouve pas la connotation angoissée proprement rousseauienne, ce thème est encore fortement présent chez Diderot, qui dès  développe la notion de « hiéroglyphe » dans sa Lettre sur les sourds et les muets. Si l’Encyclopédie définit le hiéroglyphe comme « la premiere méthode qu’on a trouvée de peindre les idées par des figures 64 », Diderot en élargit considérablement le sens en définissant le hiéroglyphe (qu’il désigne encore par le terme d’ « emblème ») comme la qualité poétique qu’on trouverait entre signifiant et signifié, pour utiliser une terminologie moderne. La (bonne) poésie est « un tissu de hiéroglyphes entassés les uns sur les autres […] Je pourrais dire en ce sens que toute poésie est emblématique 65. » Plus loin Diderot donne encore l’exemple suivant pour illustrer les « propriétés hiéroglyphiques des mots », en commentant l’it cruor de Virgile : « L’it est en même temps analogue au jet du sang et au petit mouvement des gouttes d’eau sur les feuilles d’une fleur ; et [celui qui ne saisit pas ces propriétés hiéroglyphiques] perdra une de ces bagatelles qui règlent les rangs entre les écrivains excellents 66. » Selon Diderot, les arts imitatifs possèdent leurs « hiéroglyphes particuliers », et il est à souhaiter que l’on puisse un jour les comparer 67. C’est en tout cas ce qu’entreprend Diderot, qui opère une distinction entre la peinture, laquelle ne possède pas de hiéroglyphe puisque « c’est la chose même que le peintre montre » ; « les expressions du musicien et du poète n’en sont que des hiéroglyphes 68. » Le mélodrame possède lui aussi son propre hiéroglyphe, créé par la subtile interaction entre parole, musique et geste. Reste que chez Rousseau cela aura des conséquences uniques, qui


Dans le cas du Pygmalion, comment les séquences instrumentales doivent-elles « commenter » la déclamation du statuaire ? Doivent-elles la précéder ou la suivre ? Il y a certes dans la répartition entre texte et musique quelque chose qui tient bien de l’échange dialogique entre acteur et orchestre, ce qui explique pourquoi l’instance du mélodrame semble requérir d’office le monologue. Comme l’a souligné Alain Cernuschi, « l’absence d’interlocuteur dans le monologue libère une place que le musicien occupe formellement, non comme antagoniste, mais comme interprétant de la parole du personnage 69. » Plus généralement, le dialogue va même à l’encontre du flot narratif qui est l’un des ressorts fondamentaux du mélodrame. En termes de continuité discursive, le dialogue apparaît moins dynamique que le monologue, puisque ce dernier instaure une relation entre verbe et musique qui n’est pas conditionnée hiérarchiquement, alors que dans le dialogue, chaque réplique, qu’elle soit musicale ou verbale, est le résultat de la réplique précédente, tout comme elle

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • PAROLES, MUSIQUE ET GESTE • ÉLOGE DE LA PARATAXE

ÉLOGE DE LA PARATAXE

 

l’amenèrent à concevoir la scène lyrique de Pygmalion, tentative visant à canaliser cet excès de sens que véhicule la musique. Maintes fois montré du doigt pour son « archaïsme » en comparaison avec les mélodrames de Benda, où l’alternance est parfois (quoique rarement) abandonnée pour des raisons dramatiques, le principe d’alternance du Pygmalion et la succession textemusique qu’il propose nous apparaît comme une métaphore de ce langage musical devenu littéralement trop envahissant, et qu’il faut désormais emprisonner dans de brèves séquences qui ne trouvent leur intelligibilité que par l’adjonction d’autres séquences, qu’elles soient parlées ou pantomimiques. Désormais perçu dans cette perspective, il n’est plus possible de considérer le mélodrame, au-delà de l’exemple originel du Pygmalion, comme étant purement sur-expressif et pléonastique, parce que fait de différents langages exprimant un même discours. Le mélodrame parvient à canaliser ces voix qui disent trop et qui finissent par se noyer mutuellement dans ce qui apparaît désormais comme une mise en scène des signes de la parole, du geste et de la musique.


prépare la réplique suivante dans un mécanisme duel qui empêche la gradation dramatique propre au monologue. L’une des visées de la scène lyrique de Pygmalion aura été de trouver de nouveaux moyens pour renouveler le discours dramatique, même si ce principe d’alternance musique-verbe semble du coup limiter le rôle de ce « discours musical », le ramenant au rang de subalterne par rapport au discours de l’acteur – ce que Cernuschi désigne comme interprétant. La situation dialogique évacuée au profit d’un monologue se verrait en quelque sorte reproduite dans un nouveau dialogue entre acteur et musique : les séquences musicales seraient comme les interlocutrices sans paroles du sculpteur, mais elles resteraient également subalternes au texte puisqu’elles ne tirent leur signification que par rapport à celui-ci. L’intention de Rousseau cependant aura été de considérer ces deux termes (acteur et musique) comme le double rouage d’un nouveau langage expressif qui ne peut se développer par la seule parole, et où les rapports texte-musique ne peuvent être ordonnés hiérarchiquement. C’est donc dans un rapport de continuité discursive qu’il faut concevoir leur imbrication (à la manière du récitatif obligé), même si paradoxalement, l’épreuve de l’écoute, avec la sèche alternance paroles-musique qu’elle propose, semble aller totalement à l’encontre de ce schéma. L’une des caractéristiques les plus notables ressortant à l’audition du Pygmalion est la physionomie générale des séquences dont la brièveté empêche tout développement. Aucune des séquences ne va au-delà de la simple exposition d’un matériau mélodique toujours sommaire, la seule forme de développement étant la répétition. On aurait tort de rendre la médiocrité du compositeur Coignet seule responsable de cette particularité. La structure générale du Pygmalion, articulée selon une alternance entre séquences musicales, parlées et pantomimes, propose déjà les caractéristiques propres à la narration mélodramatique fondée sur l’interaction entre musique et procédés discursifs non musicaux. Précisément parce qu’elle est faite de ruptures ou de juxtapositions de ses séquences, qu’elles soient musicales, pantomimiques ou verbales, cette discursivité ne peut pas fonctionner sur le développement à long terme. La rhétorique mélodramatique se conçoit sous le signe de la parataxe et de son corollaire le plus immédiat, la répétition.


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • PAROLES, MUSIQUE ET GESTE • ÉLOGE DE LA PARATAXE

La séquence musicale mélodramatique, ignorant le développement au sens traditionnel du terme, a pour points structurels névralgiques le début et la fin, lesquels importent bien plus que tout ce qui peut se produire entre ces deux bornes. Comme l’a remarqué Emilio Sala dans son étude sur le mélodrame théâtral français des années -, la musique de scène privilégie les formules répétitives, sous forme de trémolos, ostinatos, pédales et autres procédés relevant de ce qu’il appelle la « poétique du montage » mélodramatique. Ce qui explique aussi pourquoi dans ce type d’ouvrages, il est extrêmement aisé de retrancher ou ajouter des éléments à l’intérieur de chaque séquence afin d’en diminuer ou d’en augmenter la durée, si le comédien a besoin de plus ou moins de temps pour réaliser son action, et cela sans porter préjudice à l’architecture générale de l’ensemble 70. À vouloir chercher une cohérence purement musicale dans l’agencement des séquences du Pygmalion, Van derVeen en vient à fustiger « le manque de logique tonale dans la succession [de ces séquences] 71 ».Toujours selon Van der Veen, le principal facteur d’illogisme tonal est constitué par leurs cadences conclusives. À l’exception de l’andante n°  (de Rousseau), aucune séquence ne se termine sur une cadence V-I. On dénombre quatre autres séquences se terminant de manière similaire, pour vingt-et-une demi-cadences (arrêt sur la dominante, mais pas nécessairement celle de la tonalité de départ) : autant de fins ouvertes qui créent un continuum dramatique entre la musique et la parole, sans qu’il y ait solution de continuité. L’intention d’un tel continuum est d’ailleurs rendue visible par les points de suspension qui terminent de nombreuses répliques du statuaire. Dans sa réalisation, l’intention extramusicale de tels gestes musicaux suspensifs est aussi transparente que maladroite : la séquence dépourvue de cadence conclusive n’est pas considérée comme un morceau en soi, mais elle se lie au fragment de monologue qu’elle précède. Van der Veen a voulu y voir exactement le contraire : « La déclamation [est devenue] une espèce de pont entre les interludes, qui ne veulent pas être trop indépendants les uns des autres. Mais ce raisonnement ne rendait pas nécessaire le manque de logique tonale ; ici Coignet a commis une erreur d’esthétique ».Toujours selon Van der Veen, les cadences suspensives des « ritournelles » sont une « idée de Coignet seulement 72. »


Un autre exemple plus complexe se trouve en tout début d’ouvrage, avant même que ne commence le monologue de Pygmalion. Une introduction instrumentale se fait entendre, composée de l’Ouverture, de l’andante n°  et de l’andante n°  (voir exemple 1.2). Si l’Ouverture en trois mouvements forme musicalement un tout, on peut en revanche s’étonner de la succession des deux premières séquences mélodramatiques. L’andante n°  (fa majeur) s’achève sur un accord suspensif : on attendrait la résolution de cet accord sur la dominante de do majeur, mais en fait de résolution il n’y a que deux mesures de silence qui terminent cette séquence. Quant à l’andante suivant, il commence directement en fa majeur, ce qui crée un enchaînement malaisé sur le plan harmonique avec la séquence précédente.Toujours dans la première séquence, on remarque que la dernière mesure est surmontée d’un point d’orgue. Or quelle peut bien être l’utilité pour les musiciens d’avoir sous les yeux cette mesure, précédée d’une autre tout aussi silencieuse ? En effet l’enchaînement entre les deux andante reste maladroit, même avec une pause suffisante à la fin de la première séquence. Cet enchaînement est à ce point malaisé qu’il arrive qu’on inverse la succession prescrite pour donner la succession andante n°  - andante n° 73. Or ce stratagème peut être simplement évité à condition que l’acteur se livre à une pantomime suffisamment développée entre ces deux andante. Sur ce point le texte de Rousseau est explicite quant à l’exigence d’une pantomime avant le début du monologue. Le texte de la scène lyrique s’ouvre sur une longue didascalie en deux parties. Si la première s’attache, comme il se doit, à la description des lieux et du décor, la seconde décrit l’activité du statuaire, ordonnée en trois temps (voir exemple 1.2, les paragraphes § 1, 2 et 3 de la didascalie).


[Ouverture] Le théâtre représente un atelier de sculpteur. Sur les côtés on voit des blocs de marbre, des groupes, des statues ébauchées. Dans le fond est une autre statue cachée sous un pavillon d'une étoffe légère et brillante, orné de crépines et de guirlandes. [§ 1] Pygmalion assis et accoudé rêve dans l'attitude d'un homme inquiet et triste ; [§ 2] puis se levant tout à coup, il prend sur une table les outils de son art, va donner par intervalles quelques coups de ciseau sur quelques unes de ses ébauches, [§ 3] se recule et regarde d'un air mécontent et découragé.

 

Par sa durée,sa rythmique et sa tonalité de ré majeur pour les mouvements extrêmes, l’ouverture se prête mal à soutenir musicalement la rêverie « d’un homme inquiet et triste ». Il faut la considérer comme une musique fonctionnelle précédant le lever du rideau. C’est donc avec l’andante n°  que commence véritablement la scène lyrique, et ce d’autant plus que le caractère de cette séquence musicale s’accorde avec la séquence pantomimique [§ ] de la didascalie initiale. Toujours selon des critères d’interprétation

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • PAROLES, MUSIQUE ET GESTE • ÉLOGE DE LA PARATAXE

Exemple 1.2

J.-J. Rousseau, H. Coignet, Pygmalion, scène lyrique, ritournelles n° 1 à 2 (réd.)


pantomimique, la séquence [§ ], caractérisée par le premier geste brusque de Pygmalion, serait amenée par l’accord suspensif final de l’andante n°  et se déroulerait principalement durant la séquence n° , d’ailleurs surnommée « ritournelle des coups de marteau » 74.

LE MONOLOGUE OU L’IMPOSSIBLE DIALOGUE

Tant le récitatif obligé que la scène lyrique de Pygmalion relèvent du même cas de figure dramatique déclenché par un moment d’intensité expressive extra-ordinaire, symptomatique d’une évolution du drame et d’une nouvelle sensibilité. La scène lyrique de Pygmalion est l’une des preuves les plus éclatantes de l’émergence en France durant le dernier tiers du XVIIIe siècle d’une esthétique qui va se développer dans les monologues et les « tableaux » pathétiques du théâtre dit larmoyant, et qui en musique trouve un terrain de prédilection avec le récitatif obligé. Ce phénomène n’est pas confiné à la France : l’émergence du mélodrame dans les pays germaniques, et en premier lieu les monologues mélodramatiques du compositeur bohème Georg Anton Benda, en témoignent tout autant. Ce retour sur le récitatif obligé se veut en premier lieu éclairer cette instance du monologue. La conjonction entre récitatif obligé et monologue est évidente, puisque dans l’opéra, le cadre offert par le récitatif obligé est le lieu privilégié du monologue, le plus souvent exacerbé et pathétique. Même si les mélodrames ne sont pas toujours des monologues, cette dernière forme d’expression théâtrale a une incidence structurelle fondamentale pour expliquer la cristallisation de la forme mélodramatique. Le Pygmalion est l’exemple fondateur pour les mélodrames à venir, et en premier lieu ceux de Benda. Car Pygmalion est bien un monologue, même si en toute fin d’ouvrage celui-ci est délaissé à un bref moment : Galathée s’anime, descend de son piédestal, et parle. Un échange verbal, certes ténu, se déroule entre celle-ci et son créateur : Dieux immortels ! Venus ! Galathée ! ô prestige d’un amour forcené. GALATHÉE se touche et dit. — Moi. PYGMALION —


Moi ! C’est moi. PYGMALION — Ravissante illusion qui passes jusqu’à mes oreilles, ah ! n’abandonne jamais mes sens ! GALATHÉE fait quelques pas et touche un marbre. — Ce n’est plus moi. PYGMALION , transporté. —

GALATHÉE se touchant encore. —

Pygmalion, dans une agitation, dans des transports qu’il a peine à contenir, suit tous ses mouvemens, l’écoute, l’observe avec une avide attention qui lui permet à peine de respirer. Galathée s’avance vers lui et le regarde. Il se leve précipitament, lui tend les bras, et la regarde avec extase. Elle pose une main sur lui ; il tressaillit, prend cette main, la porte à son cœur, puis la couvre d’ardens baisers. GALATHÉE avec un soupir. — Ah ! encore moi. PYGMALION — Oui, cher et charmant objet : oui, digne chef-

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • PAROLES, MUSIQUE ET GESTE • LE MONOLOGUE OU L’IMPOSSIBLE DIALOGUE

Une dernière réplique de Pygmalion clôt l’ouvrage : ainsi se termine cette scène, par un dialogue sans musique. « C’est un Drame, un seul Acte, une seule scene, un seul personnage qui est Pigmalion. » Si l’on s’en tient au témoignage de Julie von Bondeli (lettre du  janvier ), le texte déclamé par Rousseau à ses amis aurait pu être une version antérieure se terminant par les seuls mots de Galathée : « Galathée saute en bas de son pied d’estal et ne dit que trois mots qui finissent la piece, ces trois mots sont forts, mais ils les falloïent tels dit R., parce qu’ils finissent et qu’elle ne dit que cela 76 ». L’absence complète de musique signifierait-elle que les séquences musicales précédentes concernant le monologue de Pygmalion ont été rendues obsolètes par la voix de Galathée, désormais substituée à celle de la musique ? La musique s’est tue par l’intervention de Galathée : la parole de la statue devenue être animé peut prendre la place de la musique. Elle l’annule, ou plutôt l’intègre, car la parole de Galathée est aussi le verbe dans son état premier. La révélation première qu’a Galathée d’elle-même et de son autonomie par rapport au monde qui l’entoure est ici perçue comme la métaphore de l’origine du verbe, lorsque la parole naissante prend conscience d’elle-même. La parole de Galathée est en fait musique, et cette parole se joint à celle de Pygmalion. Ce dialogue, qui ne comporte pas la moindre interpolation musicale, n’est lui-même qu’une illusion

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d’œuvre de mes mains, de mon cœur et des Dieux… c’est toi, c’est toi seule : je t’ai donné tout mon être ; je ne vivrai plus que par toi 75.




de dialogue. Il tient en fait bien plus du monologue scindé entre deux personnages. Galathée elle-même, dès ses premiers mouvements et paroles, reproduit très clairement l’instance du monologue dans ce qui est littéralement mis en scène comme un dialogue avec soi-même 77. Lorsque Pygmalion et sa statue ne font idéalement plus qu’un, c’est la voix même du statuaire qui se dédouble à travers le corps animé de sa statue, la répétition en écho des « moi » entre Galathée et Pygmalion créant une unité de voix dans ce pseudo-dialogue. Pygmalion, le mélodrame des origines, établit d’emblée l’équation idéale du monologue équivalant à un dialogue avec soi. C’est en fait l’un des thèmes principaux de Pygmalion que de tendre vers cet impossible dialogue, et ce par une progression dramatique parfaitement lisible dans le texte : «Vanité, foiblesse humaine ! je ne puis me lasser d’admirer mon ouvrage ; je m’enivre d’amourpropre ; Je m’adore dans ce que j’ai fait…78 » constate dans un premier temps Pygmalion. Mais la confrontation passive de l’artiste face à son œuvre empêche ce dialogue idéal. Il faut donc passer outre : « Ah ! que Pygmalion meure pour vivre dans Galathée !…. Que dis-je, ô Ciel ! Si j’étois elle, je ne la verrois pas, je ne serois pas celui qui l’aime ! Non, que ma Galathée vive, et que je ne sois pas elle.Ah ! que je sois toujours un autre, pour vouloir toujours être elle ; pour la voir, pour l’aimer, pour en être aimé…79 » La fin du Pygmalion marque un état monologique si extrême que la voix intérieure finit par se scinder en deux voix dialoguantes, celle de Pygmalion et celle de Galathée.


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MÉLODRAME ET STURM UND DRANG DANS LES PAYS GERMANIQUES

 EN MUSIQUE DANS LE TEXTE

Le continuateur le plus notable de la scène lyrique de Pygmalion, et dont l’œuvre mélodramatique, pourtant restreinte, marque un aboutissement sans égal dans le répertoire du mélodrame en tant que genre musical, est le compositeur bohème Georg Anton Benda (ou Jirí Antonín, -). Même s’il ne fut qu’un parmi beaucoup d’autres à s’essayer au mélodrame à partir des années , Benda fut indiscutablement le premier à l’avoir amené en tant que genre musical à son apogée, avec au moins trois mélodrames qui sont parvenus jusqu’à nous : Ariadne auf Naxos ( ; livret de Johann Christian Brandes), Medea ( ; livret de Friedrich Wilhelm Gotter) ; Pygmalion ( ; livret de Gotter d’après Rousseau). Dans le sillage de Benda, on compte un nombre considérable de mélodrames composés dans un style similaire à ceux du compositeur, et la prolifération de tels mélodrames durant le dernier tiers du XVIIIe siècle en Allemagne n’a pas eu d’équivalent dans le reste de l’Europe.Toutefois la qualité de ces œuvres n’atteint pas celles de Medea ou d’Ariadne : certaines d’entre elles n’en restent pas moins fort intéressantes sur le plan de la dramaturgie, comme la Sophonisbe de Neefe sur un livret de August Gottlieb Meissner (Leipzig, ) 1. Kapellmeister de l’orchestre de la Cour de Gotha depuis , Benda compose à la fin de l’année  son premier mélodrame, Ariadne auf Naxos, représenté sur le théâtre de cette même cour le  janvier . Il a été régulièrement affirmé depuis le XIXe siècle que le modèle de Benda fut le Pygmalion de Rousseau, mais sans autre précision, laissant entendre que Benda aurait eu connaissance de la version de Coignet. Aussi est-il




fréquent d’expliquer l’Ariadne comme née de la « découverte » par Benda de la technique mélodramatique directement via le Pygmalion. Certes la scène lyrique de Rousseau fut représentée à la Cour de Gotha en juin , mais très vraisemblablement sur une autre musique, celle d’Anton Schweitzer (partition perdue), qui avait été donnée pour la première fois en  à Weimar. À Gotha, l’ouvrage fut représenté par la compagnie allemande de l’acteur suisse Abel Seyler, qui séjournait dans la ville depuis . Cependant il faut relativiser cette prétendue influence de l’ouvrage de Rousseau (mis en musique par Coignet ou non) sur Benda. Wolfgang Schimpf l’a encore évoquée comme un fait indiscutable 2, mais Ulrike Küster a mis ce fait en doute en s’appuyant notamment sur un compte rendu de Reichardt en , et selon lequel Benda n’aurait eu aucune connaissance du Pygmalion dans la version originale de Coignet 3. Certes on ne voit guère comment Benda aurait pu, résidant à Gotha même, ne rien savoir des représentations du Pygmalion mis en musique par Schweitzer, mais on voit tout aussi mal comment il aurait pu ignorer ce qui s’avérait être alors une véritable vogue. À juste titre, on a rappelé que Benda fut éduqué par les Jésuites à Jicin (-), à une époque où la confrérie faisait représenter des Schuldramen (drames scolastiques), pièces de théâtre en latin avec accompagnement musical au contenu fortement édificateur et dont l’origine remonte au début du XVIe siècle. On en connaît plusieurs de Jan Dismas Zelenka (que les commentateurs actuels d’ailleurs désignent infailliblement comme étant des « mélodrames »), mais il semble que le plus ancien à ce jour et qui soit parvenu jusqu’à nous est le Schuldrama bénédictin Sigismundus Hungariae Rex () de Johann Ernst Eberlin (-), où s’observe déjà une forme d’alternance entre ritournelles musicales et sections déclamées (souvent très courtes et le plus souvent interjectives), auquel vient parfois s’ajouter une voix chantée (voir exemples 2.1 A et 2.1 B). Toutefois il ne s’agit pas encore d’alternance séquentielle aussi nettement dessinée que chez Rousseau puis Benda. On n’y trouve pas non plus la continuité dynamique entre texte déclamé/mimé et musique propre à la narration mélodramatique qui anime déjà le Pygmalion, et on a le plus souvent l’impression générale que la déclamation a été ajoutée sur la musique 4.


 

Exemple 2.1 B

J. E. Eberlin, Sigismundus Hungariae Rex, scène 2, mes. 2-9 (réduction)

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LIEUX TERRIBLES, FEMMES PERDUES • MÉLODRAME ET STURM UND DRANG

Exemple 2.1 A

J. E. Eberlin, Sigismundus Hungariae Rex, scène 1, mes. 10-17 (réduction)


Quoi qu’il en soit, le mélodrame était pour le moins dans l’air du temps et c’est la thèse de Küster que de démontrer comment dans les pays germaniques l’esthétique Sturm und Drang n’avait pu que donner naissance à cette forme musico-théâtrale, en mettant en lumière les rouages d’une rhétorique du pathétique propre au mélodrame de Benda et de ses contemporains. Les livrets de ces mélodrames se caractérisent eux aussi par une syntaxe riche en ellipses et en anacoluthes, truffée d’interruptions et d’interjections qui ne font pas qu’interrompre le discours, mais qui surtout créent un effet de gradation dramatique 5. Toutefois, la carrière musicale de Benda fournit également d’autres arguments pour expliquer sa production mélodramatique, dont il faut rappeler qu’elle n’a constitué entre  et  qu’une brève parenthèse dans l’œuvre d’un compositeur dont la réputation était déjà solidement établie. Au début des années , Benda avait déjà exploré tous les genres de la musique vocale et instrumentale : dans le domaine de la musique vocale, un opera seria, deux intermezzi comici, et des Singspiele 6 ; des cantates profanes et religieuses ainsi qu’un oratorio. Dans le domaine instrumental, Benda fut prolixe tant pour le clavier seul que pour l’orchestre, comme en témoignent ses symphonies, concertos et sonates. Avant cette parenthèse mélodramatique, son langage instrumental, caractéristique du style de l’Empfindsamkeit, se montre toutefois plus audacieux que son langage opératique. C’est à Carl Philipp Emanuel Bach que l’on songe, et il faut souligner les points communs stylistiques entre le fils Bach et Benda, d’ailleurs déjà relevés par leurs contemporains, notamment Charles Burney qui trouva dans les sonates pour clavier de Benda une parenté manifeste avec celles de Bach, le premier ayant le même goût que le second pour des mélodies riches en grands intervalles, des arrêts inattendus et autres changements subits de tempo et de texture 7. On peut déjà déceler dans certaines des productions instrumentales de Benda datant des années  les signes avant-coureurs de son langage mélodramatique. Une organisation formelle procédant principalement par addition de périodes, et visant plus à l’accumulation qu’à l’intégration, fondée sur une succession de brèves séquences donnant au tout un profil rhapsodique, telles sont les caractéristiques les plus aisément perceptibles dans ses sonates pour clavier, surtout dans les mouvements médians. Ce


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LIEUX TERRIBLES, FEMMES PERDUES • MÉLODRAME ET STURM UND DRANG

procédé trouvera sa pleine raison d’être dramatique dans le genre du mélodrame : le langage séquentiel qui caractérisait le Pygmalion, certes conçu de manière encore embryonnaire dans la partition de Coignet, trouvera dans les mélodrames de Benda sa plus parfaite utilisation. Notons au passage que c’est aussi à cause de ce langage séquentiel favorisant la juxtaposition que le style mélodramatique de Benda a été critiqué par Johann Nikolaus Forkel, selon qui aucune justification, même dramatique, pouvait autoriser à rompre de la sorte en « petits morceaux les fils continus et liés du sentiment, non pas tant pour éprouver l’attention de l’auditeur, que pour tout lui communiquer petit à petit, avec repos et moments d’arrêt 8. » Et Forkel de considérer le mélodrame comme un genre inférieur, en ce qu’il ne présume d’aucun effort d’attention chez l’auditeur. La technique mélodramatique ignore le développement, et donc sollicite moins les capacités intellectuelles de ceux qui l’écoute. Aussi, décrète Forkel, le mélodrame est un genre idéal pour satisfaire les capacités d’écoute médiocres de la plupart des dilettantes 9. Le début du mouvement central Largo de la Sonate n°  en fa majeur de Benda (publiée à Berlin en ) fournit un bon exemple de cette technique de juxtaposition (voir exemple 2.2). La séquence initiale s’arrête sur un accord de dominante, tandis que la deuxième commence sur le IVe degré avant de moduler.


Exemple 2.2

G. A. Benda, Sonate pour clavier n° 4 en fa majeur, 2e mouvement Largo, mes. 1-16

Le développement mélodique et harmonique des séquences suivantes est toujours sujet à des interruptions et autres arrêts sur des accords suspensifs. Dans ce paysage déchiré, la cadence conclusiveV-I, soigneusement évitée durant tout ce mouvement, sonne comme une terminaison intempestive venant brusquement mettre un terme à un flot de séquences que rien ne semble pouvoir arrêter. Ce procédé d’écriture démontre en miniature la technique qui sera développée par Benda dans ses mélodrames : le principe d’alternance texte-musique mis en place dès Ariadne auf Naxos était déjà implicitement trouvé dans sa musique instrumentale, et l’on pourrait parfaitement insérer dans les silences de ce mouvement les bribes d’un monologue. Sur le plan dramaturgique, la parenthèse mélodramatique de - aura permis à Benda de sortir d’un horizon italianisant, en appliquant des techniques jusqu’alors utilisées dans sa seule production instrumentale. Cette parenthèse doit être perçue comme une phase de recherche pour sortir du moule de l’opera seria caractérisé par l’alternance récitatif-air. C’est également une réflexion sur le récitatif qui se situe en toile de fond de la période mélodramatique de Benda. Ce dernier a d’ailleurs expliqué sa propre conception du récitatif dans un court texte publié en  dans le Magazin der Musik : « Ueber das einfache Recitativ ». Le texte n’est pas en soi très original, et Benda ne fait aucune allusion à sa propre production mélodramatique. Cependant il montre le degré de pénétration atteint dans les pays germaniques par les idées rousseauistes sur le récitatif et sur la supériorité de la langue italienne dans la musique vocale. À la


Ariadne auf Naxos et Medea constituent le sommet de la production dramatique de Benda, mais ils sont aussi des sommets tout court du genre mélodramatique. On ne saurait en dire autant de son Pygmalion, sur une traduction libre de Gotter, bien en deçà des deux autres ouvrages. L’adaptation de Gotter peut expliquer cet échec : le livret allemand de Pygmalion est beaucoup plus monolithique que celui de Medea, il offre beaucoup moins de gradations d’affects, de ruptures et d’accidents discursifs, ce qu’au contraire la musique de Benda semble naturellement appeler. Aussi la partition s’avère décevante : on n’y retrouve pas le complexe travail motivique – l’une des marques propres au mélodrame de Benda – lié aux changements d’affects, caractéristique tant de Medea que d’Ariadne. C’est d’ailleurs surtout cet aspect de la technique musicale des mélodrames de Benda qui a occupé ses commentateurs, prompts à relever la manière dont le compositeur a su créer une continuité musicale en utilisant des motifs récurrents, souvent investis d’une implication psychologique. Ulrike Küster a développé un chapitre sur la « Leitmotivik » de Benda, montrant comment certains motifs récurrents sont liés à des affects ou à des situations particulières, tels ces Rache-Motiv, Liebe-Motiv, Kinder-Motiv dans Medea 13. Johann Ludwig Huber, un contemporain de Benda, avait déjà relevé de tels motifs

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MEDEA OU LA TERREUR MÉLODRAMATIQUE

 

suite de Rousseau qu’il cite nommément, Benda explique que « la langue italienne a sur d’autres langues européennes l’avantage de l’accent ; et pourtant nous dormons à ses récitatifs 10. » Il ne s’agit pas, pour Benda, de supprimer le récitatif, toujours utile et efficace dans les récits d’oratorios et de cantates. Mais c’est autre chose qu’il faut pour les ouvrages scéniques, où les moments de récit prennent une importance toute particulière pour le déroulement de l’action. Si Benda reste fort imprécis quant à la solution, il s’en remet toutefois clairement à la musique (« un opéra est un opéra 11 ! »), et on lit clairement entre les lignes que le meilleur moyen pour transmettre les passions est le récitatif obligé. Peu importe si l’on ne comprend pas toujours le sens des mots, car leur affect peut être restitué par la musique : « Là où l’on ne comprend pas les mots récités, la musique peut sans autre parler 12. »


récurrents (un motif unisson caractérisant la colère de Médée, un motif andante pour « quelques restes de sentiment 14 »). Dans Ariadne auf Naxos, une cantilène en mineur se fait entendre au hautbois lors du monologue de Thésée, motif qui réapparaîtra ensuite au moment où Ariane endormie appelle Thésée.Toujours au hautbois, une autre cantilène en majeur se fait entendre lorsque Thésée compare son amour pour Ariane à un paradis (voir exemple 2.9, p. 78 ; mes. 117). Cette mélodie reviendra par la suite souligner les mots d’Ariane lorsqu’elle réalise que l’apparition de Thésée n’était qu’un rêve. De là à voir en Benda un précurseur du leitmotiv wagnérien, il n’y avait qu’un pas qui fut plus d’une fois aisément franchi. Van der Veen notamment a évoqué ces « motif[s] de réminiscence […] qui offrent à la mémoire quelque soutien » pour désigner certains affects ou situations 15. Allant au-delà de constatations descriptives sur les affects transmis par ces différents motifs, Arne Stollberg a commenté la relation intrinsèque entre le « caractère », ou l’affect véhiculé par ces motifs, et la manière dont les métamorphoses motiviques constantes observées dans la partition s’avèrent être la conséquence musicale des changements d’affects de Médée. Ces changements justifient en dernier ressort la pantomime de l’actrice, ce dernier point étant plus particulièrement argumenté par Stollberg à la lumière de l’ouvrage de Johann Jacob Engel Ideen zu einer Mimik de - 16. Reste qu’en se concentrant principalement sur l’aspect motivique de ses ouvrages, c’est-à-dire sur la partition seule, les commentateurs de Benda ont moins tenu compte de la partition globale que celle-ci forme avec le livret. Je voudrais pour ma part aborder cet ouvrage non pas en m’axant en premier lieu sur la partition, mais en tentant principalement de dégager la logique narrative propre à cette texture résultant de l’interaction entre texte et musique. Il s’agira de démontrer la manière dont Benda a littéralement transcendé le modèle rousseauien de l’alternance séquentielle, tout en gardant une attitude similaire à celle de son prédécesseur face aux trois points d’ancrage qui fondent le mélodrame, à savoir l’excès des passions menant à un éclatement des formes traditionnelles du discours dramatique, la technique de récitatif obligé adaptée au mélodrame pour servir de cadre à cet excès, et enfin l’instance du monologue.


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LIEUX TERRIBLES, FEMMES PERDUES • MEDEA OU LA TERREUR MÉLODRAMATIQUE

Un simple coup d’œil sur les partitions de Benda et le Pygmalion de Rousseau-Coignet suffit à révéler l’écart entre ces deux approches du genre. Ce constat, qui se fonde uniquement sur l’aspect visuel de la partition, a toutefois permis de différencier deux types de mélodrames. Van der Veen parle de « type français » et de « type allemand » : le mélodrame de type français est beaucoup plus axé sur la pantomime, laquelle deviendra un élément primordial du mélodrame théâtral romantique français, alors que le type allemand est plus soucieux de développer les conflits psychologiques, les agitations de l’âme en proie à diverses passions 17. Emilio Sala évoque quant à lui le type du mélodrame théâtral ou « à numéros », par opposition au mélodrame musical proprement dit 18. Sala voit précisément l’origine du premier type de mélodrame dans le Pygmalion de RousseauCoignet, à cause de sa structure morcelée, ce qui l’incite à présenter cette scène lyrique comme étant déjà un exemple de mélodrame « à numéros », en s’appuyant sur le fait que dans la partition de Coignet les ritournelles sont numérotées 19. L’aspect compartimenté caractéristique de la partition de Coignet, reposant sur une alternance entre blocs de texte et blocs musicaux, n’est toutefois pas moindre dans le mélodrame de Benda. Et ce n’est pas l’absence de numéros ou le retour de certains motifs qui fait que l’imbrication entre déclamation et musique s’y montre plus « organique » que dans le modèle de Rousseau. Chez Benda,la différence principale réside dans le dépassement de cette stricte alternance texte-musique. Si le Pygmalion applique uniquement le principe d’alternance sans jamais superposer la déclamation à la musique, Benda a spécifié pour certains moments (tout particulièrement Medea et Ariadne) des passages où la déclamation se fait sur la musique. Reste que de telles situations doivent être comprises comme des cas particuliers de ce principe d’alternance mélodramatique, voire des formes de dérèglement de cette compartimentation séquentielle entre texte et musique de manière à les superposer : phénomène le plus souvent motivé par des raisons purement dramatiques et correspondant à des situations-limites. D’ailleurs de tels passages ne sont pas fréquents, et ils ne constituent absolument pas la norme dans le traitement mélodramatique pratiqué par Benda. Il est regrettable que les (rares) interprètes actuels de mélodrames ne respectent pas à la lettre la distinction entre passages à déclamer entre la musique et


ceux, bien moins fréquents, à déclamer sur la musique, en récitant plus qu’il ne le faut sur la musique des passages où la partition ne spécifie rien de tel. Dans ses mélodrames, Benda a distingué la déclamation alternée avec la musique de la déclamation superposée à la musique, et cette distinction n’a rien d’arbitraire. Il y a une différence structurelle notable entre ces deux types de déclamation et ne pas en tenir compte, c’est amoindrir les effets de gradation dramatique voulus par le compositeur. On trouve ces superpositions en petit nombre dans Ariadne auf Naxos (surtout dans la seconde partie), à peine plus dans Medea – aucune superposition en revanche dans le plus tardif et moins réussi Pygmalion. De tels passages doivent être pris comme des cas particuliers de la stricte alternance texte-musique. Il s’agit de moments où la situation dramatique dérègle cette alternance et crée un déphasage qui mène à la superposition entre texte et musique. En toute logique, ces situations sont celles correspondant à des moments de tension extrême, ou alors, comme dans l’exemple . d’Ariadne (voir p. 77), lorsque Thésée parle sur le son des trompettes grecques, l’interpellant au lointain. C’est ce que le langage cinématographique appelle un son synchrone, soit un son qui est issu du lieu même de la diégèse : ici ces trompettes sont audibles pour les personnages. Cependant la voix parlée de Thésée sur cette musique synchrone singularise cette dernière, elle en fait un objet sonore concret, à la réalité parfaitement discernable, dont Thésée pourrait expliquer la provenance. Un premier exemple tiré de Medea montre une déclamation qui doit être suivie par la musique, puisque celle-ci a très clairement une fonction illustrative, comme c’est souvent le cas dans le Pygmalion de Rousseau-Coignet. Elle est conçue comme un prolongement des paroles de Médée qui à ce moment ne peut dire l’indicible (la mort de ses fils) : « O solch’eine Rache, ihr Eumeniden – helft sie mir ausdenken ! [O une telle vengeance, Euménides – aidez-moi à l’imaginer !] » s’exclame-t-elle. Un nouveau motif musical andante se fait entendre, très mélodique et suffisamment long pour que la cantilène de violon puisse se déployer librement. Cette mélodie s’arrête sur un accord de dominante permettant à Médée d’enchaîner avec ces paroles : « Dass er schon Kinder von Kreusen hätte… hat er nicht Kinder ? [Si seulement il avait déjà des enfants de Créüse … n’a-t-il pas des enfants ?] », ces


deux tirades intercalées entre des ritournelles qui reprennent le début du motif mélodique. C’est sur cette dernière réplique que Médée entrevoit sa vengeance, ce que la musique restitue par une ritournelle de trois mesures présentant deux affects radicalement opposés. La reprise d’une partie du motif andante laisse place à un allegro modulant en style concitato : « Entsetzlicher Gedanke ! [Pensée terrible !] », les cordes trahissant le « frisson de la mort » qui secoue ses membres. La musique souligne la pantomime de l’effroi de Médée qui a enfin réalisé ce qu’il lui faudra accomplir 20 (voir exemple 2.3).  

Un exemple de déclamation sur la musique survient plus tard lorsque Médée réplique à Jason « Siehst du diesen blutigen Dolch ? [Vois-tu ce poignard ensanglanté ?] » (déclamation entre la musique), suivi de la réplique de Jason réalisant le crime commis. Par contraste sa réplique se fait sur la musique : « Grauenvolle Ahnung ! – meine Kinder ! [Terrible pressentiment – mes enfants !] » (mes. ).

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Exemple 2.3

G. A. Benda, Medea, mes. 313-320 (réduction)


Auparavant, la résolution de Médée aura donné lieu à une gradation d’effets, de la déclamation à nu à la déclamation en musique, avec en manière de transition une pantomime « terrifiante » (mes. 593 sq.). C’est l’invocation à Hécate : « Höre mich, Chaos der ewigen Nacht ! Und ihr des Orkus fürchterliche Mächte ! Pforten des Hölles ! [Écoute moi, chaos de la nuit éternelle ! Et vous, terribles puissances de l’Orcus ! Portes de l’Enfer !] » La partition précise que « toute l’invocation doit se poursuivre de manière ininterrompue sur la musique, et [que] la musique doit toujours tomber sur le mot souligné. [Die ganze Beschwörung geht unter der Musik ununterbrochen fort, und die Musik fällt immer auf das untergelegteWort ein.] » L’effet est d’autant plus marquant si la déclamation qui précède a été faite entre la musique, et non pas sur, l’invocation proprement dite se situant précisément à un moment de climax dramatique qui ne peut être atteint que si l’on respecte les alternances serrées musique-parole.


 

La séquence suivante, durant laquelle Médée va égorger ses fils, constitue le sommet dramatique de l’ouvrage, et c’est d’ailleurs à ce moment que texte et musique marchent ensemble. Benda a créé une texture musicale lisse, c’est-à-dire dépourvue de toute accentuation majeure susceptible d’engendrer une forme de pulsation régulière, les f donnés en début de mesure ne permettant pas de dessiner un motif rythmico-prosodique aussi marqué que dans les exemples précédents 21. Les triolets de croches rapides sur des arpèges, puis les notes répétées et les doubles croches (mes. 596-618), produisent un trémolo qui sous-tend la déclamation de Médée. C’est déjà le procédé du trémolo romantique, signe musical éculé du mélodrame s’il en est, et qui deviendra l’un des lieux communs les plus récurrents de la musique de film dès ses premiers balbutiements. Structurellement, le trémolo est une manière d’étirer le plus longtemps possible une tension harmonique (on songe au trémolo mélodramatique par excellence sur l’accord de e diminuée), et de la maintenir à un niveau constant, sans pour autant que cette tension intervienne de manière trop excessive avec la déclamation : d’où son rythme lisse caractéristique qui n’empiète pas sur celui de la déclamation. Il s’agit plus de donner une couleur à la parole, sans que l’intelligibilité des mots soit perdue ou que ce tapis musical interfère rythmiquement avec la prosodie.

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Exemple 2.4

G. A. Benda, Medea, mes. 593-603 (réduction)


Le moment du meurtre des fils de Médée est organisé de manière typiquement mélodramatique, suivant un certain nombre de conventions qui sont autant de topoi du mélodrame. À commencer par le lieu : neutre comme dans le cas de Medea (le palais de Corinthe) et d’Ariadne (l’île de Naxos), il peut au cours du drame se transformer en un locus terribilis. Ce lieu terrible est souvent une contrée désolée ou aride, tel le désert d’Armide, un lieu sauvage livré aux bêtes fauves, un paysage escarpé : « Ariane dort sur l’un des rochers. Thésée vient de l’un des rochers opposés. » Si cette première indication de décor reste assez neutre, le développement du drame lui apportera progressivement une connotation toujours plus négative, et ce tout particulièrement à travers le point de vue des protagonistes,Thésée en premier : « Dieser von den Ungeheuern des Meeres belagerte Felsen, dieser von Löwen bewohnte Wald, war für unsere Liebe ein Elyseum [Ce rocher encerclé par les monstres des mers, ces bois habités par les lions, furent pour notre amour un paradis] ». Plus tard Ariane éveillée le constatera elle-même : « Alles ist hier wild, fürchterlich ! Das Meer tobt gegen diesen Felsen, will ihn verdrängern ! Schrecklich beugt sich der Felsen, droht einzustürzen ! Der Löwe brüllt ! [Tout ici est sauvage, terrible ! La mer s’abat contre le rocher, elle veut l’engloutir ! Le rocher vacille terriblement ! Il menace de tomber ! Le lion rugit !] » Jusqu’au dénouement qui voit le suicide d’Ariane se précipitant dans la mer après qu’un éclair s’est abattu sur elle : « Un éclair tombe sur elle ; elle crie et tombe du rocher dans la mer. »

Ill. 2.1 Esther Charlotte Brandes dans le rôle d’Ariane à Naxos, grav. de G. A. Liebe d’après G. M. Kraus (1776)

Ill. 2.2 Esther Charlotte Brandes dans le rôle d’Ariane à Naxos, grav. H. Sintzenich d’après A. Graff (1781)


Par extension le locus terribilis peut aussi se référer à tout lieu envahi par l’obscurité. La nuit bien sûr, mais également toute obscurité provoquée par des phénomènes naturels assombrissant le ciel : bon nombre de mélodrames romantiques ont joué de cette imagerie nocturne, qu’il s’agisse de la scène de la Gorge-aux-Loups du Freischütz, des mélodrames pour voix et piano de Liszt (Der traurige Mönch et Lenore), ou encore d’un des mélodrames de l’opéra Hans Heiling de Heinrich Marschner (acte I, n° ) survenant lors d’une nuit d’orage 23. Pour ne rien dire du cachot, endroit sombre et clos par excellence qui

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Ill. 2.3 La Douleur (Ariane à Naxos), aquatinte de Janinet d’après Le Barbier (1786)

 

On trouve plusieurs descriptions de l’île de Naxos comme lieu idyllique transformé en locus terribilis. Ainsi de deux gravures montrant l’actrice Charlotte Brandes, créatrice du rôle d’Ariadne auf Naxos. La première, publiée en  dans le Calendrier du Théâtre de Gotha, date de la première de l’ouvrage; la seconde est reprise d’un tableau du peintre Anton Graff représentant Charlotte Brandes en Ariane éplorée. Dans les deux cas, l’arrière-plan met en évidence un paysage désolé (voir ill. 2.1 et 2.2). C’est un paysage similaire qu’on retrouve dans une gravure tirée de l’anthologie des Costumes et annales des grands théâtres de Paris de Jean-Charles Le Vacher de Charnois (-), et qui évoque les représentations données à partir du mois de juillet  à la Comédie-Italienne de l’ouvrage de Benda, sur un livret adapté en français par Jean-Baptiste Du Bois 22 (voir ill. 2.3).


deviendra un cliché du théâtre mélodramatique dixneuviémiste, et qu’annonce la scène mélodramatique de Fidelio. Les Enfers sont un autre lieu commun du locus terribilis, comme dans le mélodrame Proserpina de Goethe mise en musique par le baron Siegmund von Seckendorff (Weimar, ) puis par Carl Eberwein (Weimar, ) et qui se déroule entièrement dans le royaume des ombres, avec un paysage « sérieux et de style poussiniste », des « ruines d’anciens bâtiments, des châteaux détruits, des aqueducs brisés, des ponts effondrés, des rochers, des forêts et des buissons, le tout abandonné à la nature, tout ce qui est d’ordre humain rendu à la nature 24. » Avant son suicide, Ariane voit le ciel se couvrir : « On entend le tonnerre gronder et le vent d’orage souffler toujours plus : l’air s’obscurcit jusqu’aux ténèbres complètes, parfois déchirées par un éclair. » Quant à Médée, elle invoque la nuit pour commettre son crime : « Das Licht des Tages ist zu heiter, die Sonne zu lieblich, Solche Thaten wollen Finsternis [La lumière du jour est trop sereine, le soleil trop aimable, de tels actes exigent les ténèbres] » annonce-t-elle (mes.  sq.), et cette invocation amène un déchaînement des éléments : « Ha, wenn die zürnende Natur umher dich zur Wut begeisterte ! Wenn der verstehende Himmel über dir, unter dir die erzitternde Erde deine Seele empörten ! [Ah ! Quand la nature en colère autour de toi t’incite à la fureur ! Quand le ciel compréhensif, au-dessus de toi, quand la terre qui tremblante sous tes pieds outragent ton âme !] » La didascalie pantomimique précise qu’elle « s’avance avec des gestes terribles, et enfin s’immobilise dans la pose d’un implorante » (exemple 2.4, p. 62 ; mes. 593 sq.). Le tonnerre, le chaos de la nuit, sont invoqués par Médée : « La nuit tombe sur la scène et un terrible orage se fait entendre » (mes.  sq.). C’est dans l’obscurité que Médée pénètre dans le palais le poignard à la main, tandis que retentit le tonnerre. Mais c’est aussi à ce moment qu’elle disparaît aux yeux des spectateurs. Le moment crucial du drame a bien lieu, mais il doit rester invisible. Médée engloutie dans les ténèbres, c’est une longue plage purement musicale allegro furioso qui se déploie, avec à nouveau l’usage récurrent du trémolo encore plus clairement affirmé. Le cœur du drame se déroule au sein de la musique seule : dans son horreur, le crime de Médée ne va pas seulement au-delà de la parole, mais également au-delà de toute forme de représentation


Bien qu’étant le premier mélodrame composé par Benda, Ariadne auf Naxos (représenté au Théâtre de la cour de Gotha en ) porte d’emblée la technique mélodramatique à un point de perfection. Sur le plan dramaturgique, Ariadne excède même en audace Medea.David Charlton s’est livré à une analyse détaillée de la seconde partie d’Ariadne auf Naxos, mettant en lumière les origines de ce qui deviendra un topos scénique du Grand Opéra, avec une scène finale spectaculaire souvent marquée par une mort violente (le plus souvent par suicide) de l’héroïne, comme dans le cas de La Muette de Portici d’Auber 27. Il a encore démontré à quel point l’organisation d’Ariadne auf Naxos repose sur un parcours tonal à grande échelle qui donne une remarquable cohérence au discours musico-verbal. L’étude de Charlton renvoie ainsi bien des

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LES VOIX D’ARIADNE AUF NAXOS

 

visuelle. Toutefois l’obscurité qui s’abat sur cette scène n’en atténue pas moins son intelligibilité. Elle est au contraire investie d’une fonction « sur-significante » pour reprendre les termes de Christian Metz au sujet du fondu au noir cinématographique « qui ne donne rien à voir, mais qui est très visible 25. » C’est une horreur sublime qu’offre le drame de Medea. Dépassant toutes les normes, allant au-delà de toute morale, il magnifie l’excès. Dans ce qu’elle a d’indicible et d’irreprésentable, et donc de sublime, l’horreur est propre à l’esthétique mélodramatique 26. Médée engouffrée dans le palais, la musique reste seule sur scène pour communiquer l’action. On la qualifierait volontiers de pantomimique, n’était justement l’absence d’action pantomimique. La scène du crime a lieu in absentia, non pas marquant un aveu d’impuissance dramaturgique devant une horreur indescriptible, mais parce que seule la musique s’avère capable de transmettre cette situation-limite au sein d’un dispositif scénique momentanément privé du verbe et de l’image. Cette nuit qui s’abat sur la scène et qui semble rejeter le spectateur hors du drame marque en fait un changement scénique irreprésentable. Le mélodrame se fait ici théâtre ne pouvant se déployer que dans un espace imaginaire, passant d’une scène montrant un personnage dans un cadre extérieur (le palais de Corinthe) et tangible, à une scène impossible à représenter qui n’est autre que la psyché de Médée.


analyses antérieures qui considèrent que la technique de Benda se limite à l’organisation locale d’événements musicaux à petite échelle, l’agencement structurel étant uniquement pris en charge par la seule alternance paroles-musique 28. Mon approche de cette scène d’Ariadne se limitera ici à la première partie, et sera surtout motivée par des questions qui relèvent de ce qu’on nomme plus ou moins inconfortablement la narrativité musicale. Il s’agira de mettre en lumière certains procédés narratifs que le traitement mélodramatique utilise de manière particulièrement explicite. La partition d’Ariadne, et plus particulièrement sa première partie, met en avant l’ambiguïté du « qui raconte quoi » et du « qui parle à qui ». La manière dont le discours narratif est mis en œuvre dans le mélodrame Ariadne illustre d’une part la fonction diégétique remplie par la musique, et d’autre part les notions de point de vue et d’opposition entre l’action en temps réel (le temps de l’histoire) et l’action remémorée, ou « temps imaginaire » 29. À la manière d’un opéra, Ariadne auf Naxos commence avec une ouverture. C’est un drame qui va se jouer, et ce dès le début de cette ouverture, dramatisée par les apparitions successives de son motif initial. Il n’y a en soi rien de très remarquable à cela, et le déroulement prévisible du motif, se déployant en trois sections successives aisément repérables, relève clairement du ritornello baroque dans sa structure tripartite : une première section harmoniquement statique et centrée principalement sur l’accord de tonique (mes. -) ; puis une deuxième section se dirigeant vers l’accord de dominante (mes. -) ; enfin une brève section conclusive revenant au ton principal de mi bémol majeur. Les oreilles des auditeurs contemporains n’auront entendu là rien que de très habituel. Or c’est sur cette force de l’habitude que joue Benda, et c’est en molestant par la suite ce schéma prévisible que se dessinera dans la partition même l’action dramatique d’Ariadne. A la fin de ces quatorze mesures initiales, le rideau se lève, et le motif initial reprend. Le rideau se lève alors pour nous faire découvrir « Ariane [dormant] sur l’un des rochers. » L’ouverture terminée, on découvre le lieu scénique et Ariane endormie. Sur la scène qui s’offre pour la première fois à nos yeux, Ariane, personnage visible mais néanmoins absent, déploie une présence en creux. Si ce lever de rideau s’ouvre sur une quelconque réalité scénique, l’île de


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Exemple 2.5

G. A. Benda, Ariadne auf Naxos, mes. 25-31 (réduction)

 

Naxos, elle n’est pas celle où va se jouer le cœur du drame. Qu’en est-il du drame lui-même ? Jusqu’à présent la musique s’est montrée neutre. Serait-ce un drame qui n’en est pas un, ou plutôt un drame qui aurait déjà commencé ? Les apparitions successives des sections du motif initial de l’Ouverture vont façonner peu à peu une cohérence dramatique entre musique et action scénique. Immédiatement après le lever de rideau, qui doit survenir lors de la conclusion du motif initial, l’orchestre reprend très exactement le début de l’ouverture. Mais en lieu et place de la deuxième section modulante, c’est à nouveau la tonique qui est affirmée, et ce au moment précis oùThésée entre en scène (mes. -). L’accord de tonique résonne juste avant qu’il ne prononce ses premiers mots, offrant un écrin peu dramatique pour le premier personnage actif de ce Duodrama : aucune tension ne naît de cette première succession musique-texte. Surgissant à vide après la tonique, les mots de Thésée n’ont qu’une valeur de constat : « Noch einmal will ich sie sehen ; zum letzten Male ! [Je veux la voir encore une fois ; pour la dernière fois !] » Si nous sommes conviés in medias res à un drame, celui-ci est en train de s’achever, bien plus qu’il ne commence.


La deuxième intrusion textuelle de Thésée suscite une véritable modulation, en obligeant la musique à quitter l’orbe de mi bémol majeur où elle était installée depuis le début. Les mesures suivantes vont développer cette rupture tonale, en reprenant le même profil mélodique (celui de l’Ouverture) et en le transposant en la bémol majeur (voir exemple 2.5 page précédente ; mes. 31). Se mettent alors en place les éléments de la troisième et dernière section du motif initial, mais de manière morcelée, et dans la tonalité de la bémol majeur : les éléments mélodiques et rythmiques du motif initial (en mi bémol majeur), qui étaient d’abord tout à fait neutres sur le plan de la signification dramatique, se chargent désormais d’un nouveau sens, lié au contexte dramatique. Les bribes de ritournelles alternent de manière tou-

Exemple 2.6

G. A. Benda, Ariadne auf Naxos, mes. 42-50 (réduction)


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LIEUX TERRIBLES, FEMMES PERDUES • LES VOIX D’ARIADNE AUF NAXOS

jours plus serrée avec le discours deThésée, créant une chaîne de modulations qui atteint, après une nouvelle section allegro sur un rythme pointé, un changement d’affect (mes  sq.), tandis que la chaîne modulante trouve une première conclusion dans la tonalité de ré mineur. Les alternances entre les tirades de Thésée et les ritournelles instrumentales se font de plus en plus fréquentes, les ritournelles de plus en plus brèves, créant une continuité entre musique et texte du même type que celle observée dans Pygmalion (voir exemple 2.6). Thésée doit se confronter à Ariane endormie, choisir entre son amour et son devoir, sacrifier sa patrie ou sacrifier Ariane : c’est dans la partition même que se joue le drame. L’instabilité nouvelle de la musique, l’éloignement du ton initial de mi bémol majeur, les changements d’affect, de mètre et de tempo, tout comme les alternances rapides et brusques entre texte et musique, témoignent du drame intérieur de Thésée. Dans ces pages où le rhapsodique semble régner, une logique dramaturgique se met pourtant en place. « Und ich sollte sie verlassen ? [Et je devrais la quitter ?] » À ces mots de Thésée répond un nouvel affect musical : la section instrumentale qui s’ouvre réaffirme le ton de ré mineur, et son andante moderato donne libre cours à une mélodie de hautbois, répétée une seconde fois à la dominante (exemple 2.6 ; mes. 47-48). D’une manière ou d’une autre, l’auditeur va relier ce nouveau motif mélodique au personnage d’Ariane, motif d’autant plus remarquable à l’oreille que depuis le début de la partition ont prédominé des motifs mélodiques brefs et surtout définis rythmiquement : pour la première fois se fait entendre un motif mélodique dans toute son ampleur, pour ne rien dire de son profil féminin, par comparaison avec les gestes cadentiels abrupts entendus précédemment depuis le début de l’ouvrage. Si les qualités mélodiques, rythmiques et tonales (le ton de ré mineur/majeur prendra une importance toujours accrue au fil du drame) de ce motif permettent de le désigner comme un « motif d’Ariane », son interruption soudaine est aussi une manière de souligner sa qualité métaphorique. Dominée par la cantilène du hautbois qui semble arrêter Thésée dans son action, cette plage en mineur s’interrompt subitement pour faire place à un rythme pointé, lors d’une nouvelle section marquée Allegro (exemple 2.6 ; mes. 49 sq.), qui finit par moduler brusquement vers


fa majeur. Le retour du majeur, le rythme pointé, les gestes cadentiels conclusifs sont autant de topoi musicaux marquant à nouveau l’idée d’autorité, comme cette cadence finale offrant une dernière péroraison aux paroles de Thésée : « Ich habe mein Vaterland von dem schimpflichen Tribut befreit, die Pflicht des Bürgers erfüllt ! [J’ai libéré mon pays du tribut déshonorant, j’ai rempli le devoir du citoyen !] » (voir exemple 2.7).

Exemple 2.7

G. A. Benda, Ariadne auf Naxos, mes. 54-62 (réduction)

Jusqu’à présent, l’auditeur suit aisément le fil rouge de ces enchaînements abrupts. Disons même que ce jeu semble parfois un peu trop simple, trop démonstratif, comme peut l’être l’emphase de ces symboles d’autorité que la musique véhicule sur les paroles de Thésée. Le mélodrame offre à l’auditeur de telles lectures démonstratives pouvant se muer en autant de pièges pour son attention. Ces enchaînements subits ne sont pas seulement une des marques musicales du mélodrame, ils sont également un de ses poncifs, tout au moins pour ceux qui chercheraient dans toute partition mélodramatique une « unité » cachée. La partition d’Ariadne nous montre qu’un tel fonctionnement musical, fondé sur une structure qui se contente d’enchaîner de brèves séquences différenciées entre elles, est aussi le principe même sur lequel se maintient la tension et l’intérêt dramatiques.


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LIEUX TERRIBLES, FEMMES PERDUES • LES VOIX D’ARIADNE AUF NAXOS

Après cette tonitruante cadenceV-I en fa majeur venant souligner les propos de Thésée, une nouvelle rupture se fait entendre : l’Allegro belliqueux se mue en Allegro quasi allegretto (en do majeur), marquant l’éveil d’Ariane, sur la cadence V-I (exemple 2.7 ; mes. 57-58). Le personnage central du mélodrame, présent sur la scène dès le lever de rideau, va enfin agir. Mais quelle est réellement son action ? À partir de ce moment la musique va faire double jeu, déconcertant l’auditeur qui ne saura désormais s’il suit l’action telle que restituée par le point de vue de Thésée ou par celui de l’endormie : point de vue imaginaire, ou plus précisément onirique pour cette dernière, alors que le récit de Thésée s’articule dans le temps réel. C’est à nouveau la couleur instrumentale du hautbois qui domine. En revanche le motif mélodique en do majeur qui surgit est nouveau, même si sa qualité cantabile l’apparente avec le motif précédent (exemple 2.7 ; mes. 58 sq.). Couleur instrumentale et qualité mélodique font qu’à nouveau la musique nous amène dans la sphère du personnage d’Ariane. À partir de sa réapparition, non pas tant sur la scène où elle nous est apparue endormie dès le lever de rideau que dans la partition, une première rupture discursive se dessine : c’est un moment de stase dramatique qui s’annonce, auquel vient préluder cette introduction mélodique. La cantilène se fond en une nouvelle section construite sur un rythme syncopé, autre topos musical pour signifier l’inquiétude, la tension (mes.  sq.). C’est un tableau musical qui se présente à nos oreilles, où Thésée décrit ce qu’il voit, en l’occurrence Ariane sous l’emprise d’un sommeil agité : « sa poitrine s’élève avec agitation ; elle soupire ». Situation que la musique décrit parfaitement, en particulier avec la figure rhétorique du Seufzer (soupir) qui commence la nouvelle section Andante quasi allegretto (en do mineur) venant s’enchaîner à cette section syncopée (mes. ). Soulignant la tension de ce moment scénique, plusieurs topoi musicaux essaiment cette section. Après les Seufzer, les notes rapidement répétées et les tenues dissonantes jouées par les bois, on quitte le ton de do majeur/mineur pour retrouver celui de ré mineur, désormais bien plus qu’une nouvelle couleur tonale : ré est le ton d’Ariane et cette modulation traduit un changement de perspective narrative, car jusqu’alors la situation était restituée à travers le point de vue de Thésée contemplant Ariane (voir exemple 2.8 page suivante).


Exemple 2.8

G. A. Benda, Ariadne auf Naxos, mes. 82-98 (rĂŠduction)


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LIEUX TERRIBLES, FEMMES PERDUES • LES VOIX D’ARIADNE AUF NAXOS

Une fois atteint l’accord de dominante de ré, Ariane prononce ses premiers mots (mes. 82-84) et ceux-ci introduisent son propre motif, au hautbois, toujours en ré mineur. Les mots de Thésée (« Sie ruft mich ! Auch im Traume ! [Elle m’appelle ! Même en rêve !] ») au sujet des premières paroles d’Ariane, sont désormais perçus à travers la sphère de l’amante délaissée, depuis le rêve qui l’agite. Deux possibilités de lecture nous sont alors offertes. Soit la scène est narrée depuis le point de vue d’Ariane, et auquel cas nous assistons à une séquence onirique développée durant le rêve de celle-ci ; soit la scène se poursuit toujours dans le temps réel qui est celui donné dès le début de l’ouvrage, et donc à partir du point de vue de Thésée. Déjà clairement exprimée par la musique, l’ambiguïté qui en résulte va être renforcée par la scène suivante qui se présente comme un dialogue entre Ariane et Thésée. « Deine Ariadne ? [Ton Ariane ?] » (exemple 2.8 ; avant mes. 88). Saisi par sa propre lâcheté,Thésée, ouvre ce « dialogue », en reprenant les derniers mots de la supplique d’Ariane : « Hilf ! Rette, rette deine Ariadne ! [À l’aide ! Sauve, sauve ton Ariane !] » Mais le terme de « dialogue » est ici excessif.Tout dialogue présuppose une interaction entre les deux parties conversantes, une relation dialectique où chaque réplique crée une nouvelle impulsion, de manière à aboutir à une résolution dudit dialogue ; or il n’y a rien de tel ici.Aucune interaction n’est en jeu entre les répliques de Thésée et d’Ariane ; il s’agit bien plus d’un double monologue en écho. Le « dialogue » commence avec une réplique de Thésée : « Sie ruft mich ! [Elle m’appelle !] », survenant après l’accord de dominante en ré mineur (avant mes. 84). C’est alors qu’Ariane intervient, toujours depuis son rêve : la dominante n’est pas résolue mais est encore étirée par des moyens non musicaux, les propres paroles de Thésée, situées au moment où la résolution sur la tonique aurait dû intervenir (mes. 84). La résolution se fait sur les paroles suivantes d’Ariane : « Hilf ! Rette, rette deine Ariadne ! [À l’aide ! Sauve, sauve ton Ariane !] » Le mouvement dynamique de cet échange en forme de dialogue semble alors maintenu durant les mesures suivantes par les interventions de « fusées » modulantes (mes. 90 sq.). L’agencement des répliques entre Thésée et Ariane montre cependant l’artifice de ce dialogue. Il s’agit bien plus d’un double monologue en écho, chaque réplique reprenant la fin de la réplique précédente :


— I6 ré mineur,Ariane : « Hilf ! Rette, rette deine Ariadne ! » (mes. 85) — I6 ré mineur >V6 sol mineur,Thesée : « Deine Ariadne ? »V > I sol mineur (mes. 88-89) — I sol mineur,Ariane : « Verlassen ? Mich verlassen ? » I6 >V do (mes. 93)

—V do,Thesée : « Verlassen ? »V do > I do mineur (mes. 93-94) Dans le cas d’un véritable dialogue, la tension dynamique aurait été maintenue, mais ici les successions V-I empêchent de développer une quelconque gradation dramatique. Ces mots d’Ariane : « Verlassen ? Mich verlassen ? [Abandonnée ? Moi abandonnée ?] » tombent à un moment où la tension harmonique a considérablement diminué. Paroles qui sonnent à vrai dire plus comme un constat que comme une réponse supposée provoquer à son tour la réaction de Thésée. Distribué sur deux voix, ce monologue déguisé en dialogue implique un double point de vue. Reprenons maintenant les deux lectures proposées plus haut, au sujet de ce point de vue. Dans le cas de la seconde lecture, celle qui se déroule dans un temps onirique, ce monologue serait narré par Ariane. Nous assistons à une scène imaginaire développée dans le rêve d’Ariane, et au sein d’un tel schéma onirique, la voix de Thésée n’est pas réelle. Cette voix ne dit rien, se contentant de répéter les mots d’Ariane. Mais le monologue peut tout autant être celui de Thésée, et dans ce cas la scène à laquelle nous assistons est bien réelle.Thésée contemple Ariane endormie, il perçoit les bribes de paroles qu’elle prononce dans son sommeil agité. Mais cette situation est-elle tellement différente de la première ? Après tout, c’est la voix d’Ariane qui mène ce « dialogue », Thésée ne faisant qu’y répondre sous forme d’écho. Certes,Thésée peut nous apparaître doté d’une stature plus réelle qu’Ariane, notamment parce qu’il a été le premier personnage à agir sur scène : que la figure endormie d’Ariane en fasse une silhouette passive plus qu’un personnage agissant n’y change rien. La musique renforce même la cruauté de cette situation.Thésée a beau crier le nom d’Ariane, ce cri n’atteindra jamais les oreilles de celle-ci, car la tonalité est désormais celle de mi bémol majeur/mineur : tonalité qui sur le plan de la géographie tonale est comme l’inverse de celle de ré mineur, ton d’Ariane (exemple 2.8 ; mes. 96-97). On verra plus loin comment


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LIEUX TERRIBLES, FEMMES PERDUES • LES VOIX D’ARIADNE AUF NAXOS

l’opposition entre ces deux tonalités mi bémol majeur/ré mineur sera maintenue durant toute la seconde partie de l’ouvrage. Construite sur une ambiguïté évidente des points de vue, cette séquence en « dialogue » se termine avec le dernier appel de Thésée : « Ariadne ! (Er will sie umarmen, fährt aber zurück). [Ariane ! (Il veut l’étreindre, mais repart).] » La didascalie pantomimique souligne tout autant ce retour à la réalité avec un dernier désir d’étreinte vite réprimé, tandis que s’amorce le retour vers la tonalité initiale de mi bémol majeur. Le moment de stase dramatique qui s’ouvrait avec le tableau musical du sommeil d’Ariane prend ainsi fin par le retour à la réalité de l’action et par la réapparition du ton de mi bémol majeur, préparé par une longue insistance sur sa dominante. Seules les dernières paroles de Thésée marquent encore la difficulté de cet arrachement du rêve à la réalité : « Welche Gewalt, welche unwiderstehbare Zauberkraft reisst mich zurück ? [Quelle violence, quel sortilège irrésistible me retient ?] » (mes. -). La musique se fait elle aussi témoin de cette dualité entre rêve et réalité. Au sortir de ce tableau se fait entendre une nouvelle séquence clairement différenciée et qui présente un cas typique de son synchrone que nous avons commenté plus haut 30 : un appel de fanfare en mi bémol majeur joué par les vents placés derrière la scène (voir exemple 2.9).



Exemple 2.9

G. A. Benda, Ariadne auf Naxos, mes. 103-122 (réduction)

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La fanfare est la musique queThésée entend au moment où il émerge de son monologue en écho avec Ariane endormie. On a ici un parfait exemple de ce son subjectif défini en filmologie par le terme de « point d’écoute », équivalent sonore de l’image subjective que donne le point de vue 31. Outre que cette sonnerie nous place dans la perspective de Thésée, elle permet également d’opérer un changement dans la perception de l’espace scénique – changement qui est investi d’une valeur symbolique : avec son rythme pointé et ses sonneries cynégétiques, l’appel de fanfare est un topos (que David Charlton, dans son analyse d’Ariadne auf Naxos, a justement décrit comme étant la métaphore de « la voix publique d’Athènes 32 »). Qu’importe d’ailleurs que la scène nous montre ou non les vaisseaux grecs prêts à lever l’ancre dans la baie de l’île de Naxos, et qu’importe même qu’il y ait ou non une scène : la musique seule suffit à l’imposer à notre esprit (nulle part le livret de Brandes ne précise que le dispositif scénique doive montrer des vaisseaux ; on ne voit que les Grecs, au sommet d’un rocher). Cet appel de fanfare apporte une nouvelle profondeur de champ, précisément parce que les vaisseaux sont hors champ. C’est un procédé similaire qu’on trouve dans le mélodrame n°  de la musique de scène de Beethoven pour Egmont de Goethe, lorsque la Liberté apparaît sous les traits de Klärchen dans la cellule d’Egmont, avant de disparaître, apparition encadrée par deux roulements de tambour placés sur la scène. Ces roulements, présentés comme des objets sonores synchrones (ils appartiennent aux soldats espagnols venant chercher Egmont), s’ajoutent à la musique asynchrone de la vision d’Egmont, et




marquent le retour à la réalité en renforçant le sentiment de spatialité. En effet le premier roulement de tambour (mes. ), outre qu’il doit être joué un peu lentement, doit surtout sonner comme étant encore éloigné (« etwas langsam und von weitem ») ; la seconde fois (mes. -) il se fait plus fort et doit surtout couvrir l’arpège conclusif joué pp et pizzicato aux violoncelles qui termine le mélodrame n°  ; d’autre part il doit se poursuivre une fois l’arpège terminé : « Le tambour résonne plus fortement, après que la musique s’est terminée. » MUSIQUE MÉLODRAMATIQUE ET DISTANCIATION CRITIQUE

Au même titre que la scène onirique d’Egmont proposant une séquence mélodramatique encadrée par une musique synchrone, la suite de la première partie d’Ariadne auf Naxos propose une scène encadrée dans une plus grande séquence délimitée par deux appels de fanfare en mi bémol majeur (voir exemple 2.9, pp. 77-78 ; pour le motif ouvrant la séquence mes. 105-111 ; le motif fermant la séquence se trouve mes. -). Entre ces deux motifs de fanfare, que se passe-t-il, quant à la narration et le développement du drame ? Thésée parle sur l’appel de fanfare. Il peut parler sur cette musique car elle est précisément une musique extérieure à sa psyché. Ses paroles se font entendre sur une musique réelle, qu’il peut entendre, rappelant que nous sommes au moment précis où les bateaux, n’attendant que lui, sont prêts à lever l’ancre.Alors que Thésée est comme prisonnier de ces fanfares qui viennent le ramener sur le chemin de la raison, la section suivante, marquée Andante, introduit un nouveau motif où domine le hautbois (exemple 2.9, pp. 78-79 ; mes. 117-119). Il ne s’agit pas du motif défini plus haut comme le « motif d’Ariane », mais sa mélodie, assez longue et ornée, ainsi que la tonalité de la majeur (V/V en ré), permettent de l’y apparenter, indiquant que c’est le personnage d’Ariane (endormie) qui occupe désormais le devant de la scène. L’action cesse d’être action et se mue en réflexion sur le passé : « Dieser von den Ungeheuern des Meeres belagerte Felsen, dieser von Löwen bewohnteWald war für unsere Liebe ein Elysium [Ce rocher encerclé par les monstres des mers, ces bois habités par les lions, furent pour notre amour un paradis] ». La scène est restée identique pour les spectateurs, mais désormais perçue à travers le regard de Thésée, qui devient aussi le nôtre, elle se fait l’évocation d’un temps passé.


+

 mes. 

+

 mes. 

Sans début ni fin, et en rupture subite avec la section Allegro qui l’encadre, ce motif de hautbois lié à Ariane surgit dans la trame narrative à la manière d’un lambeau du passé surgi de son rêve. Le choix de la tonalité de la majeur (dominante de ré, « tonalité d’Ariane ») participe lui aussi de cette intrusion en renforçant ce sentiment d’incomplétude et d’irrésolution propre au motif. La cadence discrète sur le ton de la dominante la (exemple 2.9, p. 79 ; mes. 118) laisse place aux paroles de Thésée : « Aller Widerstand ist vergebens ! Man wird mich mit Gewalt aus ihren Armen reissen ! [Toute résistance est vaine ! On m’arrachera avec violence de ses bras !] » La ritournelle qui suit montre le héros non seulement empêtré dans son dilemme, mais également empêtré par la musique, avec le retour de la section Allegro, identique dans sa texture à la section Allegro précédente qui ouvrait le « cadre » sertissant cette scène imaginaire. Ces trois mesures ont beau renouveler les formules affirmatives et victorieuses

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LIEUX TERRIBLES, FEMMES PERDUES • LES VOIX D’ARIADNE AUF NAXOS

 mes. 

 

À scène imaginaire, musique imaginaire : c’est le cas de ce nouveau motif de hautbois dont la particularité réside dans sa présentation même et dans la manière dont il est énoncé. Ainsi de son début, ou plus exactement son absence de début. Cette mélodie n’a pas de véritable commencement : elle surgit à nos oreilles de manière impromptue, comme si elle avait déjà commencé silencieusement sous les paroles mêmes de Thésée – à la manière d’une radio qu’on aurait allumée au moment où une musique est en train d’être diffusée. La musique a bien commencé en même temps que les derniers mots de Thésée, ou peut-être même avant, comme émergeant directement de ses mots. Et si ce motif musical ne comporte pas de début, il ne comporte pas non plus de véritable fin, celle-ci étant tronquée par l’absence de cadence conclusive V-I. L’accord de dominante est affaibli par un premier renversement, la tonique l’est par sa brièveté et plus encore par le sentiment général d’incomplétude que génère la carrure asymétrique de pulsation de noire ( +  +  au lieu de  +  +  + ) :


(gammes ascendantes, rythmes pointés), la tonalité reste comme bloquée en la majeur, dans l’attente d’une hypothétique résolution en ré majeur qui marquerait la victoire de l’amour (mes. 120 sq.).Thésée n’a pas encore réussi à se défaire de ses sentiments pour Ariane. C’est à nouveau ce que la musique nous dit en modulant (enfin) vers ré majeur après l’exclamation de Thésée : « Zerreiss diese dich entehrenden Bande [Déchire donc ces liens qui te retiennent] » (avant mes. ). Le constat final est toutefois sans appel : « Sei wieder Theseus ! [sois à nouveau Thésée !] » couronne définitivement la décision du guerrier l’emportant sur celle de l’amant, constat assené avec d’autant plus de force qu’il est suivi d’une nouvelle cadence conclusive (mes. -), et dans un geste identique à celui entendu précédemment (« Ich habe mein Vaterland von den schimpflichen Tribut befreit [J’ai libéré mon pays du tribut déshonorant] » (exemple 2.7, p. 72 ; mes. 54-55). Mais aussi clair soit ce geste cadentiel, il se réalise cependant dans la sphère tonale d’Ariane (ici ré majeur). La musique ironise sur l’incapacité de Thésée à se décider et lorsque celui-ci se dit prêt à suivre ses compatriotes (« Ich folg’euch Griechen [Je vous suis, Grecs] »), non seulement la didascalie jette de l’ombre sur cette décision : « Il veut s’en aller : mais il reste sur place et la regarde avec douleur » (avant mes. ). Une fois de plus la musique, en restant dans la tonalité de ré majeur, ironise sur la situation de Thésée : celui-ci est non seulement prisonnier de ses sentiments pour Ariane, il est aussi prisonnier de « sa » musique. La tonalité d’Ariane est cette fois-ci parfaitement en phase avec son propre motif, celui d’« Ariane » entendu pour la première fois avant le tableau musical d’Ariane endormie (exemple 2.7, p. 72 ; mes. 58 sq.), où il apparaissait alors en do majeur. Le nouvel éclairage tonal de ré majeur est aussi le signe de l’échec définitif de Thésée pour échapper à son sentiment de culpabilité et justifier pleinement son acte patriote. Il y a dans la partition de Benda une distanciation critique qui fait de la musique plus que la simple illustratrice du texte.Tout en verticalités et en cadences finales bien sonores et bien pensantes, le personnage sonore de Thésée trahit surtout la lâcheté du héros face à celle qui lui a sauvé la vie, et la musique se fait ici la voix d’un narrateur hors du drame : une sorte de « narrateur non dramatisé », comme l’a défini Wayne Booth 33, qui observe le


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LIEUX TERRIBLES, FEMMES PERDUES • LES VOIX D’ARIADNE AUF NAXOS

déroulement du récit et en restitue une dimension cachée pour ceux qui la vivent. La fin de cette séquence poursuit ce commentaire ironique et décalé par rapport aux paroles de Thésée : ses paroles bravaches (« Ich muss ! Ich muss ! [Je dois ! Je dois !] ») sont comme embourbées dans le caractère syncopé et chromatique de la séquence suivante (avant mes. ). Sur le plan tonal, cette dernière section prépare le retour au ton de mi bémol majeur.Toutefois la résolution se fait attendre, et de manière inattendue le geste cadentiel se résout finalement en sol mineur (mes. ). Cadence en queue de poisson qui marque la fin de ce drame intérieur, ce que signale auditivement la fanfare en mi bémol marquant le retour à l’action en temps réel (mes.  sq.). Mais il y a toujours certains éléments surgissant ça et là, marquant la confusion de Thésée.Alors qu’il voit les Grecs s’approcher pour lui demander de les rejoindre, il jette encore un dernier regard à Ariane endormie : « Mon Ariane ? » (mes. ) : se fait entendre, l’espace d’une mesure, un court motif mélodique sur une basse chromatique, évoluant vers une nouvelle section Allegro assai qui marque un changement subit de texture avec l’apparition du tutti orchestral. L’accord règne sur ces quelques mesures, et plus encore le geste cadentiel. La texture emphatique du tutti, de même que le motif accordal descendant aux violons, sont autant de signes de cette voix ironique et d’un narrateur extérieur à l’action. Il n’y a ici guère autre chose que des cadences. La cadenceV-I introduit les propos de Thésée qui semble désormais laisser parler son cœur plus que sa raison : « Nein, nein, ich eile, ihr Leben zu erhalten ! [Non, non, je me dépêche d’aller lui sauver la vie !] » Paroles héroïques de celui qui accepte de devenir un renégat pour l’amour d’une femme ; n’était-ce justement la musique, qui avant même que ces mots ne soient prononcés, les invalide par sa cadence venant couper court à toute continuité du discours (voir exemple 2.10).


Exemple 2.10

G. A. Benda, Ariadne auf Naxos, mes. 175-187 (réduction)

Benda utilise ici le geste cadentiel conclusif afin de souligner le manque de sincérité de Thésée : ses paroles sont comme annihilées, paralysées par la résolution harmonique qui les a précédées, car placées immédiatement après cette conclusion – et l’accord de tonique surgit de manière d’autant plus attendue que sa dominante a été maintenue durant les quatre mesures précédentes (exemple 2.10 ; mes. 175-178). Il y a quelque chose du couperet final dans ces cadences qui succèdent à la déclamation et qui coupent court à tout développement, résolvant la tension harmonique et mettant à nu l’expression de l’impuissance de Thésée. Et pour encore plus souligner cette impuissance, les faits et gestes du héros sont rigoureusement encadrés par la musique :


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LIEUX TERRIBLES, FEMMES PERDUES • LES VOIX D’ARIADNE AUF NAXOS

lorsque Thésée s’en remet aux dieux et leur demande d’envoyer un sauveur pour Ariane (« Götter ! Erbarmet euch ! Sendet ihr einen Erretter ! [Dieux ! Epargnez-la ! Envoyez-lui un sauveur !] »), sa réplique est enfermée entre les séquences musicales, et plus précisément à l’intérieur d’un moment de tension harmonique, soit entre les enchaînements I-IV et V-I. C’est une fin qui se dessine, non seulement dans la partition mais aussi sur le plan de l’action scénique, puisque Thésée s’apprête à quitter la scène : « Sie bewegt sich — Fort, eh sie erwacht ! Ihr Flehen möchte mich erweichen ! Fort, Sohn des Unglücks ! [Elle bouge — partons, avant qu’elle ne s’éveille ! Ses plaintes pourraient m’attendrir ! Pars, fils du malheur !] » (exemple 2.10 ; avant mes. 184-185). Ce que les gestes de l’actrice et les paroles de l’acteur nous laissent pressentir, la musique nous le confirme par un clair effet de rupture tonale (on passe subitement de mi bémol majeur à ré majeur ; exemple 2.10 ; mes. 185-186). La texture de tutti reste identique avec un nouveau passage Allegro, lequel ne sert que de cadre à la page conclusive de la première partie d’Ariadne auf Naxos, car c’est avec un nouveau tableau musical que le personnage féminin prendra le devant de la scène. Le retour au ton de ré majeur, les changements de texture, de mètre et d’affect permettent aisément de marquer la fin du cadre et le début de ce nouveau tableau, construit sur une Trauermusik au rythme ternaire marqué andante moderato (voir exemple 2.11).


Exemple 2.11

G. A. Benda, Ariadne auf Naxos, mes. 190-202 (réduction)

S’apprêtant à quitter l’île,Thésée jette un dernier regard sur Ariane cette fois-ci bel et bien abandonnée : « Alors qu’il se trouve au sommet de l’autre rocher, il jette un regard plein de nostalgie vers Ariane. » En dépit d’un dernier appel (« Ariadne ! Ariadne ! »), le voilà désormais plus spectateur qu’acteur. Déjà hors de portée d’Ariane, Thésée est encore rejeté hors de la scène par la musique, maintenant en ré majeur. L’ambiguïté de cette situation joue à nouveau sur la confusion entre rêve et réalité : lorsque quelques mesures plus loin Ariane se réveillera, elle se demandera si elle a rêvé cet appel, ou si au contraire il a réellement eu lieu (voir exemple 2.12).


Exemple 2.12

G. A. Benda, Ariadne auf Naxos, mes. 207-214 (réduction)

  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LIEUX TERRIBLES, FEMMES PERDUES • LES VOIX D’ARIADNE AUF NAXOS

Le réveil d’Ariane se situe exactement entre les première et seconde parties de l’ouvrage. Parties qui pourraient être des actes, même s’il est impossible d’affirmer que Benda a lui-même conçu son duodrame en deux actes. Ni le manuscrit autographe de la partition d’orchestre 34 ni la réduction pour clavier publiée en  35 et réalisée par Benda ne font état d’un second acte. N’était la sortie de Thésée et l’éveil d’Ariane, rien ne permet de distinguer une quelconque séparation entre ces deux volets de l’ouvrage. Au contraire, la musique procède ici par un fondu enchaîné sonore, conçu comme la négation même de l’entracte. Un signe distinctif se fait toutefois entendre à l’occasion de cette « transition infime » qui marque l’importance structurelle de ce passage : il s’agit du retour de ce que j’ai désigné plus haut comme étant ce motif « incomplet » dont le début en apparence tronqué se jouerait en silence sous les paroles (exemple 2.9, p. 78 ; mes. 117). Lors de sa seconde occurrence, ce motif fait une arrivée tout aussi impromptue. Ce qui nous était d’abord apparu à l’écoute comme le lambeau d’un bonheur passé ou du rêve d’Ariane, revient à présent sous une forme encore plus effilochée. Le constat de l’héroïne à peine éveillée et prenant conscience de son rêve tout juste enfui (« Nein, es war ein Traum ! der schöne Morgen hat ihn mir entführt [Non, ce n’était qu’un rêve ! Cette belle matinée me l’aura ravi] »), interrompt le motif de manière encore plus abrupte que lors de sa première apparition, laissant la suspension sur l’accord de dominante de ré (exemple 2.12 ; mes. 210). Ici aussi, le jeu avec l’écoute de l’auditeur est évident : lors de cette seconde occurrence, ce motif retrouve le giron de ré majeur, et dès lors acquiert son caractère définitif et stable. Déjà mise en œuvre durant la première partie du mélodrame, l’opposition mi bémol majeur/ré mineur sera pleinement effective


durant toute la seconde partie. Remarquons d’ailleurs qu’à plus grande échelle, la partition d’Ariadne commence en mi bémol majeur, mais se termine en ré mineur, tonalité tragique par excellence 36. Dans cette seconde partie, lorsque Ariane croit encore à un retour possible de Thésée, la tonalité se dirige vers mi bémol qui devient pleinement effectif après l’exclamation d’Ariane (« Er kommt nicht ! Er hört mich nicht ! Theseus ! Theseus ! Er antwortet nicht ! Welcher Schrecken ergreift mich ! [Il ne vient pas ! Il ne m’entend pas ! Thésée ! Thésée ! Il ne répond pas ! Quel effroi s’empare de moi !] ») et qui va se maintenir sur près de soixante-dix mesures (mes.  sq.). De même lorsqu’Ar½ termine son monologue : « Er erschlug das Ungeheuer ! Nahm mich in seine Arme und floh ! Wohin ? — Ach ! In dieser Wüste ! [Il combattit le monstre, me prit dans ses bras et nous fuîmes ensemble ! Où ? Dans ce désert !] », la tonalité revient précisément au ton de mi bémol majeur, pour souligner la fin de ce moment d’évocation dans le passé et le retour au temps présent : retour d’autant plus frappant que le ton de mi bémol coïncide également avec la reprise textuelle de l’Ouverture (mes.  sq.). Mais plus tard, lorsque prise par un accès de nostalgie Ariane évoquera à nouveau son passé, une mélodie adagio jouée par un violon solo se fait entendre, exactement dans le style orné des cantilènes d’Ariane entendues dans la première partie ; si ce n’est que cette fois elle sera énoncée dans le ton de mi bémol majeur, ton dissonant pour Ariane, porteur de l’amère réalité (mes.  sq.). L’éveil d’Ariane au début de la seconde partie de l’ouvrage, la prise de conscience de son rêve enfui, marque ainsi le retour à la réalité : non pas celle de Thésée, mais celle de l’héroïne (« Non, ce n’était qu’un rêve ! Cette belle matinée me l’aura ravi 37 »). Le « motif incomplet » est enfin complété et reprend l’accord de dominante pour s’en revenir au ton de ré majeur, déguisement encore souriant du tragique ré mineur. Le sentiment d’achèvement est atteint par la cadence conclusive intervenant à la fin de la carrure complète (exemple 2.12 ; mes. 209-212) : Ariane, sortie de son rêve, peut désormais affronter un drame qui ne fait que commencer.


LA FUITE DU RÉEL

  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LIEUX TERRIBLES, FEMMES PERDUES • LES VOIX D’ARIADNE AUF NAXOS

Le mélodrame est un mode d’expression idéal pour de telles situations où subitement le drame tangible, tel que nous pouvons le percevoir à travers un dispositif scénique ancré dans la réalité et non dans la fantasmagorie, fait place à une situation purement imaginaire. L’obscurité scénique nous conduisant dans les tréfonds de l’âme de Médée n’est qu’un voile momentané jeté sur une action que nous ne pouvons qu’imaginer mais qui n’en continue pas moins de se dérouler. Cette superposition parallèle de deux temps, celui de l’action réelle et celui de l’imaginaire, est une autre de ces qualités proprement mélodramatiques. Déjà perceptible dans Medea, elle l’est encore plus dans Ariadne auf Naxos, où la confusion entre rêve et réalité est maintenue par un jeu de points de vue dans la première partie de l’ouvrage mettant en scène Thésée et Ariane. La superposition temporelle résulte d’un conflit entre présent et passé : Medea et Ariadne sont des mélodrames qui nourrissent leur dynamique narrative d’une tension irréconciliable entre un passé idyllique à jamais perdu et un présent abominable. Les monologues des héroïnes sont tout deux axés sur le contraste entre leur situation présente et le passé. C’est encore le cas de Sophonisbe ou de Proserpine ; ainsi quand cette dernière erre dans le Tartare et se lamente sur son état, se remémorant le bonheur passé alors qu’elle vivait en compagnie des nymphes dans la vallée d’Enna ; c’est une même nostalgie d’un passé perdu qui obsède les héros homonymes des mélodrames romantiques Manfred et Lélio. L’accent que la narration mélodramatique met sur de tels moments de crise ne va pas sans incidence sur la linéarité du récit. Dans le cas d’Ariadne auf Naxos, le début in medias res invite certes tout naturellement à l’entorse chronologique explicative du pourquoi de ce début – même si la cause des malheurs d’Ariane est supposée être affaire entendue. Mais pour le reste, le déroulement de ce mélodrame apparaît comme une succession d’îlots situés hors de la linéarité du récit, et ces îlots ne sont pas simplement des épisodes explicatifs : ils nous montrent que le héros monologuant a aussi la possibilité du Rückblick, du regard en arrière, de la réflexion ou du moment visionnaire, moments qui sont autant de parenthèses dans le flux discursif. De tels instants ne sont pas que des « ornements » dans le récit mélodramatique ; ils sont les balises principales auxquelles se


raccroche de temps à autre le récit en « temps réel ». Ainsi le moment durant lequel Ariane s’éveille et constate le départ de Thésée agit comme un épisode en temps réel faisant irruption au sein de la trame onirique. C’est dans une optique similaire qu’il faut comprendre le rapprochement opéré par Karl Heinrich Wörner entre le monodrame lyrique Erwartung de Schoenberg et Ariadne auf Naxos de Benda 38.Wörner a vu des similitudes dans la nature du drame vécu par ces deux femmes désormais à la recherche de leur compagnon, ou pour le moins l’évoquant par le souvenir. La recherche peut sembler plus active dans Erwartung, mais il s’agit là aussi d’un parcours mental : la femme d’Erwartung se réfugie dans son passé et dans ses rêves, tout comme Ariane se remémore son bonheur passé avec Thésée. Les deux œuvres relèvent d’un théâtre imaginaire, d’un univers purement mental où la logique de la linéarité temporelle est mise à mal. Toutefois Wörner justifie son rapprochement au prix d’une application pour le moins artificielle de la Momentform de Stockhausen, qui n’est rien d’autre qu’une revendication alambiquée de la nonlinéarité discursive. Selon Stockhausen, une œuvre en Momentform se distingue d’une œuvre qui suit le fil narratif d’une histoire de manière continue dans le temps, de telle sorte que chaque moment de l’histoire n’est intelligible que par rapport aux moments précédents et suivants 39. Dans la Momentform, tout moment existe per se : Stockhausen estime que lorsqu’une composition ne « raconte » pas de manière linéaire une histoire, l’auditeur doit, pour pouvoir comprendre ce récit, considérer chaque moment de celui-ci comme un « centre en soi », relié aux autres moments par un « fil rouge 40 ».

MONOLOGUES MÉLODRAMATIQUES

Le monologue tragique se conçoit sur le mode de l’opposition ; il est une pensée en dialogue avec elle-même. Le traitement mélodramatique permet de magnifier cette intention, en agissant, tel un prisme, sur la personnalité unique du personnage principal, le dédoublant, le confrontant à lui-même et l’obligeant à l’exercice de la prosopopée, qui « consiste à mettre en quelque sorte en scène, les absens, les morts, les êtres surnaturels, ou même les êtres inanimés ; à les faire agir, parler, répondre, ainsi qu’on l’en-


 

tend 41. » S’appuyant sur la fameuse « prosopopée de Fabricius » du Discours sur les sciences et les arts de Jean-Jacques Rousseau, Fontanier a établi le mécanisme fondamental de la prosopopée, qui commence sur l’apostrophe de l’orateur : « Ô Fabricius ! qu’eût pu penser votre grande âme […] ? “Dieux, eussiez-vous dit, que sont devenus ces toits de chaume […] ?” » L’orateur, écrit Fontanier, « se détourne tout à coup de ses contemporains, à qui il s’adressait, pour interpeller Fabricius, qui ne peut plus l’entendre ; et après l’Apostrophe, un Dialogisme, puisque l’orateur cède momentanément la parole à Fabricius, et semble s’interrompre lui-même pour le faire parler 42. » L’un des passages-clefs de Medea est conçu à la manière d’une prosopopée musicale.Venant de réaliser la nature du crime qu’elle devra commettre pour assouvir sa vengeance, Médée est alors comme sous l’effet d’une vision (voir exemple 2.13).

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Exemple 2.13

G. A. Benda, Medea, mes. 380-398 (réduction)

Médée fait ici plus qu’imaginer Jason : elle le met en scène, l’anime devant ses yeux ; plus encore, elle se projette elle-même dans cette scène en se contemplant plongée dans l’extase de son crime (« Und du siehst es, Medea ! [Et tu le vois, Médée !] ») Ce que la musique rend ici possible est une prosopopée seulement suggérée dans le livret de Gotter, et l’étrangeté de ce moment visionnaire est encore soulignée par une déclamation se faisant précisément sur une séquence musicale qu’on réentend d’ailleurs après le meurtre des fils, au moment où Médée, hagarde, ressortira du palais. La venue de Jason à la fin du mélodrame peut encore être perçue comme la suite de la vision de Médée, celle-ci sortie de scène


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H[érodiade]. — Mais n’allais-tu pas me toucher ? N[ourrice]. —…J’aimerais être à qui le destin réserve vos secrets. H[érodiade]. — Oh ! tais-toi ! N[ourrice]. — Viendra-t-il parfois ? H[érodiade]. — Étoiles pures, N’entendez pas !

 

avant l’arrivée de Jason. On trouve dans d’autres mélodrames d’époques et de styles différents de tels personnages qui s’avèrent être davantage des projections du personnage principal que des entités à part entière. La « voix imaginaire » dans Lélio de Berlioz est un cas exceptionnel, mais on peut encore citer le « drame poétique » Hérodiade de Stéphane Mallarmé, mis en « récitation orchestrale » par Paul Hindemith () et dont le traitement musical révèle la qualité mélodramatique du poème. Si ce texte se présente sous forme de dialogue entre Hérodiade et sa nourrice, on peut également le concevoir comme un monologue dédoublé en deux voix, et c’est dans ce sens que va le traitement musical de Hindemith, puisqu’une seule récitante assume tant la voix principale (Hérodiade) que la voix secondaire (la Nourrice). Dans le poème, le personnage secondaire de la nourrice n’est d’ailleurs vu par Hérodiade qu’à travers son reflet dans un miroir, et elle n’a que des répliques fort brèves et fonctionnant à la manière de ponctuations ou de respirations interpolées dans le monologue d’Hérodiade. Tout monologue fonctionne comme la représentation d’une personne aux prises avec elle-même, à l’image du « stream of consciousness » propre au monologue intérieur des Lauriers sont coupés d’Édouard Dujardin : « Discours sans auditeur, il se construit sur une parole qui va de soi à soi […] [et permet] au personnage de s’exprimer lui-même et directement 43 ». Le dialogue entre Hérodiade et la nourrice peut être perçu comme une parole allant « de soi à soi », que seul un stratagème scénique permet de masquer. Un geste introduit le dialogue entre les deux femmes : Hérodiade demande à sa nourrice de lui tendre un miroir. Pourtant c’est à la nourrice qu’Hérodiade demande « suis-je belle ? » À l’instar de la fin du Pygmalion de Rousseau, le dialogue entre Hérodiade et sa nourrice, cette dernière n’étant qu’un reflet dans le miroir, est une illusion de dialogue. La voix de la nourrice est la voix refoulée d’Hérodiade, qu’elle essaie de ne pas écouter :


N[ourrice]. — Comment, sinon parmi d’obscures Épouvantes, songer plus implacable encor Et comme suppliant le dieu que le trésor De votre grâce attend ! et pourquoi, dévorée D’angoisses, gardez-vous la splendeur ignorée Et le mystère vain de votre être ? H[érodiade]. — Pour moi 44.

Le traitement musical de Hindemith a eu pour conséquence de « lisser » ces ponctuations, en restituant tant voix principale que secondaire dans un même flot. La musique permet ici d’accentuer l’ambiguïté dialogue/monologue inhérente au poème de Mallarmé 45. Ce qui a des incidences sur la nature prétendument scénique du poème de Mallarmé – et Peter Szondi s’est notamment attaché à démontrer ce qui dans ce « drame poétique » était contraire « aux lois du théâtre » et tendait à un « théâtre imaginaire 46 ». Au même titre que les monologues de Pygmalion ou de Medea, celui d’Hérodiade montre comment ce type de discours, mettant le spectateur dans la position d’un spectateur omniscient, lui permet d’entrer de plain-pied dans la psyché du personnage monologuant. Dès ses origines, le mélodrame a ainsi privilégié le monologue, et il n’est que de se pencher sur les ouvrages composés à la fin du XVIIIe siècle dans l’héritage de Benda, pour constater la prédominance de ce type de discours. À tel point qu’à la fin des années , un mélodrame espagnol, attribué au compositeur Blas de Laserna, se piqua de parodier le pathos du monologue, en mettant en musique le « monólogo-soliloquio » d’un auteur anonyme. El poeta escribiendo un monólogo [Le poète écrivant un monologue] décrit les affres d’un librettiste tentant vainement de coucher sur le papier un monologue mélodramatique à souhait. L’ouvrage fut créé au Teatro del Príncipe à Madrid le  septembre , en même temps que l’adaptation espagnole d’Ariadne auf Naxos (sur la musique de Benda 47). Traité selon le principe d’alternance séquentielle (avec des ritournelles musicales souvent caractérisées, comme un « Minué piano », ou encore une « música estrepitosa [musique trépidante] » 48), l’ouvrage utilise allégrement des gestes mélodramatiques déjà largement perçus comme autant de clichés, à la manière de ces grandiloquents récitatifs obligés détournés par l’opera buffa de leur fonction tragique.


DRAMATISER L’ATTENTE

  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LIEUX TERRIBLES, FEMMES PERDUES • MONOLOGUES MÉLODRAMATIQUES

Idéalement, le mélodrame de Benda est un monologue. Une structure dialogique, comme celle esquissée à la fin du Pygmalion, semble aller à l’encontre de l’intention première du mélodrame-monologue, qui ne doit être qu’un moment, qu’un instant d’action, et plus précisément son point culminant. Ulrike Küster a évoqué à ce sujet le mélodrame comme « Handlungsauschnitt » (section d’action) 49, c’est-à-dire une action tronquée dont seules les conséquences sont exposées : les causes en sont soit tues, soit mentionnées plus ou moins brièvement, notamment par des passages réflexifs où l’acteur monologuant revient si nécessaire sur un passé permettant de mieux saisir le drame présent. Dans ce contexte, on s’explique d’autant mieux la nécessité de recourir à des histoires universelles archétypales – d’où la prédilection pour des thèmes mythologiques. Ce n’est pas l’histoire qui importe, mais la manière dont elle est narrée : mécanisme que Strawinsky avait parfaitement compris pour son « opéra-oratorio » Œdipus Rex : « J’avais voulu une intrigue universelle [universal plot], ou pour le moins qui fût suffisamment bien connue pour que je n’eusse point à élaborer son exposition 50. » Dans une telle situation narrative, le spectateur doit forcément faire son deuil de certaines informations, notamment celles concernant les circonstances menant au climax : la vengeance de Médée (et ici le climax n’est pas tant le meurtre lui-même que sa révélation à Jason), le suicide d’Ariane. Concentration et concision régissent le monologue mélodramatique.W. Schimpf avait déjà relevé que la brièveté est l’un des principes structurels du mélodrame 51, et à sa suite, Ulrike Küster a défini le mélodrame de Benda et de ses continuateurs comme une « Kurztragödie » en soulignant les points communs entre tragédie classique et mélodrame : sujets antiques, moyens rhétoriques et poétiques, final tragique, qui deviendra un des topoi du Grand Opéra 52. L’emphase sur le monologue fait du mélodrame non pas simplement une forme de tragédie, mais bien plus une tragédie poussée dans ses derniers retranchements. Le personnage monologuant du mélodrame n’existe qu’à un moment de crise, comme Médée saisie par sa fureur infanticide, Lenore en proie à l’hystérie, ou encore Lélio lors de son délire hypermnésique. C’est avec Pygmalion qu’on trouve pour la première fois ce thème propre au


mélodrame, à travers le personnage du statuaire exprimant l’angoisse de l’artiste au moment même de l’acte créateur : « Il n’y a point là d’âme ni de vie, ce n’est que de la pierre [, le marbre sort froid de mes mains]. Je ne ferai jamais rien de tout cela 53. » L’insistance sur le moment de crise, qu’on peut désigner comme un « moment figé » tant l’intention est manifeste pour ce qui est d’arrêter et de prolonger l’instant-limite, est un procédé dramatique emblématique du mélodrame. D’ailleurs la Kurztragödie, qui n’est que la partie conclusive d’un drame, est elle aussi un moment figé, dans sa représentation amputée de la mention préalable des causes qui l’ont provoquée. Ces moments figés sont révélateurs du mécanisme mélodramatique, où ce n’est pas tant la résolution des tensions du drame qui constitue le climax, mais bien plus la construction de cette tension : Tout doit être clair pour le spectateur. Confident de chaque personnage, instruit de ce qui s’est passé et de ce qui se passe, il y a cent moments où l’on a rien de mieux à faire que de lui déclarer nettement ce qui se passera. […] Lusignan ignore qu’il va retrouver ses enfants ; le spectateur l’ignore aussi. Zaïre et Nérestan ignorent qu’ils sont frères et sœur ; le spectateur l’ignore aussi. Mais quelque pathétique que soit cette reconnaissance, je suis sûr que l’effet en eût été beaucoup plus grand encore, si le spectateur eût été prévenu. Que ne me serais-je pas dit à moi-même à l’approche de ces quatre personnages ? Avec quelle attention et quel trouble n’aurai-je pas écouté chaque mot qui serait sorti de leur bouche ? À quelle gêne le poète ne m’aurait-il pas mis ? Mes larmes ne coulent qu’au moment de la reconnaissance ; elles auraient coulé longtemps auparavant 54.

Dans son Discours sur la poésie dramatique () Diderot avait déjà plus qu’entrevu cette dramatisation de l’attente, que seul un spectateur omniscient peut goûter, puisque pleinement « instruit de ce qui s’est passé et de ce qui se passe ». C’est là pour Diderot une condition sine qua non pour susciter l’intérêt du spectateur : « Que le spectateur soit instruit de tout, et que les personnages s’ignorent s’il se peut 55. » Dans le chapitre XI « De l’intérêt » de ce même Discours, Diderot insiste sur cette fonction primordiale qui permet de créer la dramatisation de l’attente propre au mécanisme mélodramatique : « Pourquoi certains monologues


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LIEUX TERRIBLES, FEMMES PERDUES • MONOLOGUES MÉLODRAMATIQUES

ont-ils de si grands effets ? Parce qu’ils m’instruisent des desseins secrets d’un personnage […] Si l’état des personnages est inconnu, le spectateur ne pourra prendre à l’action plus d’intérêt que les personnages : mais l’intérêt redoublera pour le spectateur, s’il est assez instruit 56. » Cette règle caractérise également la dramaturgie surdéterminée de Medea et Ariadne, et montre que ce principe théâtral du tout savoir, tout connaître, tout prévoir, trouve ses fondements dans les origines mêmes du mélodrame. Le mélodrame est une tentative pour figer la brièveté de tels moments, de manière à les saisir dans toute leur amplitude : c’est là l’esthétique du tableau scénique au XVIIIe siècle et le Pygmalion en est une illustration typique, la seule « action » scénique à proprement parler étant l’animation de Galathée qui n’intervient qu’en conclusion de l’ouvrage. Ce qui est ici une situation propre au monologue du Pygmalion de Rousseau deviendra une caractéristique essentielle du monologue mélodramatique, tel que pratiqué depuis la fin du XVIIIe siècle puis durant tout le XIXe : des mélodrames romantiques comme Lélio ou Manfred ne sont sur ce plan rien d’autre que des monologues intérieurs qui finissent par se scinder en d’autres voix. Mais ce type de situation s’observe déjà dans les mélodrames de Benda, et notamment dans Medea, « Monodrama » où toutefois sont présents des personnages secondaires. Comment assimiler ces personnages sans pour autant détruire cette instance du monologue ? Les voix se faisant entendre dans Medea sont celle de Jason, qui échange à la toute fin de l’ouvrage six répliques avec Médée ; celle de la gouvernante des deux fils de Médée intervient pour quatre répliques, ainsi que celles des enfants (neuf répliques à eux deux). Ces voix secondaires ont surtout une valeur contrastante, permettant de varier le discours dramatique tout en marquant ses principales articulations. Elles n’ôtent rien à la qualité « monologique » de Medea et ce n’est pas un hasard si dans certaines interprétations modernes de cet ouvrage, ces voix peuvent être aisément confiées à la récitante principale. Le sous-titre de « Duodrama » distingue d’emblée Ariadne de Medea. À la lumière de ce qui vient d’être énoncé, l’idée de duodrame semble aller à l’encontre du monologue mélodramatique, car à la différence des autres ouvrages cités, Ariadne auf Naxos nécessite deux acteurs principaux, Thésée puis Ariane : mais cela


signifie-t-il pour autant que la voix de Thésée importe autant que celle d’Ariane ? Thésée est le seul personnage actif durant la première partie de l’ouvrage, même si on entend dans cette partie les deux voix de Thésée et d’Ariane : celle de Thésée d’abord, monologuant sur son sort et sur celui d’Ariane, puis celle d’Ariane endormie et parlant dans son rêve. En revanche la seconde partie de l’ouvrage est entièrement réservée à un monologue d’Ariane, réveillée après le départ de Thésée ; la seule voix secondaire est celle d’une Océanide, voix similaire pour sa fonction dramaturgique à celles qui se faisaient entendre dans Medea, ménageant au mieux la gradation dramatique du final spectaculaire avec la mort d’Ariane. Or la voix de Thésée ne peut s’inscrire dans ce schéma de « voix secondaire » : il est un personnage à part entière, et à ce titre semble se présenter comme une exception notable dans le cas du monologue mélodramatique. Pourtant le dialogue avec Ariane est suffisamment ambigu pour ce qui est de sa réalité : comme on l’a vu, rien n’empêche de le considérer comme un monologue dédoublé en deux voix, où la voix d’Ariane sonne comme un écho des répliques de Thésée. Exemple qui nous renvoie à la conclusion du Pygmalion de Rousseau, dans ce qui apparaissait être un dialogue, mais qui pouvait tout autant être pris comme un cas exacerbé de monologue.


DANS LE SILLAGE DE BENDA : MOZART ET L’EXPÉRIENCE MÉLODRAMATIQUE

Au même titre que Benda, Mozart a abordé le mélodrame par une réflexion sur le récitatif. Les seuls exemples mozartiens de technique mélodramatique sont trois scènes mélodramatiques intégrées dans deux ouvrages : le premier est la musique de scène pour la pièce de Tobias Philipp von Gebler, Thamos, König in Aegypten, K  (composée en  mais révisée en ) et dont la version de  contient un bref mélodrame (acte IV) où le texte doit être constamment déclamé sur la musique. Le

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LIEUX TERRIBLES, FEMMES PERDUES • DANS LE SILLAGE DE BENDA : MOZART…

La troupe de Seyler est ici […]. [Son directeur, von Dalberg] ne me laisse pas de repos tant que je n’ai pas composé un Duodrama […] J’ai toujours souhaité écrire un drame de ce genre […] j’ai autrefois vu ici un tel ouvrage à deux reprises avec le plus grand plaisir ! A dire vrai, rien ne m’a autant surpris ! […] Comme vous le savez, cela n’est pas chanté, mais déclamé, et la musique est comme un récitatif obligé – parfois on parle aussi sous la musique, ce qui est alors du meilleur effet ; – ce que j’ai vu était Medea de Benda – il en a encore fait un autre, Ariadne auf Naxos […] J’aime tant ces deux œuvres, que je les ai avec moi ; imaginez-vous ma joie, d’avoir à faire ce que je souhaitais ! […] On devrait traiter la plupart des récitatifs d’opéra de cette manière – et seulement chanter le récitatif lorsque les mots peuvent bien être exprimés par la musique 59.

 

La nouveauté des mélodrames de Benda et de leurs moyens d’expression dramatique suscita de nombreuses émules à la fin du XVIIIe siècle. C’est dans cette perspective qu’il faut considérer la production mélodramatique de Mozart, même si elle est de moindre importance par rapport au compositeur bohème. Parce que Mozart est Mozart,on a eu tendance à surévaluer sa contribution au genre mélodramatique, alors que celle-ci n’atteint pas la qualité des ouvrages de Benda 57. C’est lors de son séjour à Mannheim en  que Mozart découvrit avec enthousiasme Medea, à tel point qu’il forma rapidement l’intention de composer un mélodrame scénique, Sémiramis. La partition resta toutefois à l’état de projet, et les esquisses ne nous sont jamais parvenues 58. L’anecdote a retenu que, lors de son séjour à Mannheim, Mozart ne se séparait jamais des partitions d’Ariadne auf Naxos et de Medea qu’il avait toujours dans ses poches, comme en témoigne cette lettre souvent citée du compositeur à son père, datée du  novembre :


placement du texte est laissé à l’entière liberté des acteurs, simplement indiqué à des moments stratégiques par l’incipit du texte placé précisément au-dessus de la partition.Toujours en , Mozart s’attelle à la composition d’un nouveau Singspiel, Zaïde. Resté inachevé, l’ouvrage contient deux monologues traités en mélodrames et tous deux désignés par le terme Melolog dans la partition. Le premier de ceux-ci nous montre Gomatz se lamentant sur sa condition d’esclave, tandis que le second évoque la colère du sultan Soliman après la fuite de Zaïde. Autrement dit deux situations clairement axées sur le pathétique et qui décrivent des états perturbés (la plainte pour Gomatz, la colère pour le sultan), d’où le choix de la technique mélodramatique. S’il y a peu à dire sur la récitation mélodramatique de Thamos où la musique se réduit à sa plus simple expression de fond sonore, le cas de Zaïde offre plus d’intérêt. Le premier monologue, celui de Gomatz, est conçu comme une scène autonome ; celui de Soliman est une introduction à l’air qui suit (le n°  dans la partition, Melologo ed Aria), et sa fonction est donc identique à celle d’un récitatif obligé. Le monologue de Gomatz offre plus d’intérêt, en ce qu’il réalise le continuum musique-déclamation selon la technique d’alternance caractéristique de Benda, tout en montrant sur d’autres points l’influence de ses mélodrames sur Mozart, notamment par l’utilisation de procédés formels et le recours à des motifs conducteurs, technique déjà exploitée dans Ariadne auf Naxos. Cela a d’ailleurs souvent été commenté dans des études où l’on s’est le plus souvent attaché à démontrer comment la musique s’imbriquerait idéalement au texte ou à la situation dramatique : ce qui le plus souvent revient à décrire ce qui se passe dans la partition, comme les accords claquants venant ponctuer les exclamations de Gomatz, ou encore, durant le sommeil agité de ce dernier, les brusques alternances entre la cantilène de hautbois en majeur et les tutti en mineur 60. On trouve chez Mozart les deux principaux procédés qui permettent de créer la tension narrative : d’une part la répétition d’une séquence, d’autre part l’utilisation d’un thème mélodique entrecoupé en divers endroits pour laisser place à la déclamation qui vient s’y intercaler. Le premier procédé est illustré dès les premières mesures du monologue, qui s’ouvre comme une aria (en ré mineur), avec une introduction instrumentale caractérisée par la présentation du motif principal (mes. 1-6 ; voir exemple 2.14).


 

Ce même motif va permettre la mise en place de l’alternance musique-déclamation, par la répétition de son début (un arpège en doubles croches, suivi d’une e mineure descendante). Les transpositions successives de ce motif de tête (mes. 7-10) permettent de maintenir la tension harmonique pendant la déclamation, laquelle est toujours amenée par un accord suspensif (ce qui était déjà le cas dans Pygmalion). La première reprise du motif de

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Exemple 2.14

W. A. Mozart, Zaïde, KV 344 (336b), scène n° 2, mes. 1-10 (réduction)


tête (mes. 7-8) s’arrête sur la dominante de la dominante, qui ne sera résolue que par la deuxième séquence sur ce même motif, cette fois au ton de la dominante (mes. 9-10). Ce procédé est à rapprocher de celui la « double recitative cadence », pour reprendre l’expression de Daniel Heartz, que Mozart a utilisé dans Idomeneo afin de créer une plus grande efficacité dans la transition entre récitatif et air (ou chœur). Dans le monologue de Gomatz, la résolution est retardée en interrompant le cours du motif ; dans Idomeneo, il s’agit de terminer le récitatif sur une cadence V/V-V, la résolution sur la tonique n’intervenant qu’après le début de l’air (ainsi dans le premier air d’Elettra, « Tutte nel cuor vi sento » (acte I  ), la résolution sur la tonique intervient à la mesure  de l’air seulement 61). Mais l’utilisation du motif dans le monologue de Gomatz peut également avoir des implications structurelles à plus grande échelle. On perçoit à quel point la pratique de la technique mélodramatique aura marqué un avancement décisif dans la formation du langage dramatique de Mozart tel qu’incarné dans Idomeneo – ouvrage qui doit être perçu comme l’aboutissement de la technique mélodramatique explorée depuis Thamos et Zaïde. Marquée adagio, la section centrale du monologue de Gomatz semble amorcer une réexposition de ce motif initial. Mais l’effet remarquable de ce retour est dû à un surprenant changement de tonalité. Originellement présenté en ré mineur, le motif est ici réexposé dans les profondeurs du ton d’ut mineur (mes. -). Au sein de ce récitatif obligé/déclamé, ce nouveau ton surprend sans doute moins que s’il se faisait entendre lors d’une réexposition d’aria, mais c’est exactement ce même rapport ré mineur-ut mineur que Mozart réutilisera dans l’aria d’Elettra « Tutte nel cor vi sento ». L’autre procédé permettant de justifier un continuum sonore entre musique et déclamation s’oppose à celui qui vient d’être décrit. Il ne s’agit pas de répéter de brèves séquences, le plus souvent transposées, mais de faire entendre un motif caractérisé par sa qualité mélodique, et qui par conséquent doit pouvoir se dérouler sur plusieurs mesures pour prendre tout son sens : or ce sens peut être littéralement perverti par les interpolations de la déclamation. Gomatz invoque le sommeil, s’allonge et tente de s’endormir (mes. ). La cellule mélodique dérivée du motif initial fait place à une nouvelle plage andantino (mes. -), qui


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LIEUX TERRIBLES, FEMMES PERDUES • DANS LE SILLAGE DE BENDA : MOZART…

s’enchaîne avec ce qui précède par une cadenceV/V. Cette nouvelle section se caractérise d’emblée par son profil mélodique : la cantilène de hautbois prend tout son temps pour se déployer pendant que Gomatz tente de trouver le sommeil – on pense à des cas similaires dans Ariadne auf Naxos, avec certaines cantilènes de hautbois liées au contexte dramatique. C’est là un tableau musical qui se déroule, mettant momentanément fin aux alternances serrées entre déclamation et musique, et là aussi l’exemple fondateur de Benda a laissé une trace indéniable chez Mozart. Ce tableau s’ouvre d’ailleurs sur une didascalie pantomimique : « [Gomatz] legt sich nieder [Gomatz s’allonge] ». La musique est ici bien plus qu’une restitution de l’état physique de Gomatz ; elle crée une stase dans le déroulement dramatique, et l’intervention de Gomatz en fin de son demi-sommeil nous ramène d’autant plus brutalement à la réalité (mes. ). Gomatz, désespéré de ne pas trouver le sommeil, tente une seconde fois de s’endormir : la cantilène de hautbois fait sa réapparition, mais cette fois elle nous est donnée sous une forme désarticulée, morcelée par les interpolations de la déclamation (voir exemple 2.15).


Exemple 2.15

W. A. Mozart, Zaïde, KV 344 (336b), scène n° 2, mes. 81-88 (réduction)

Si l’on peut légitimement considérer les mélodrames de Mozart comme une sorte d’apogée Sturm und Drang de sa carrière, ils marquent également le chant du cygne du mélodrame scénique en tant que genre, tel qu’exploité par Benda et ses continuateurs – particulièrement nombreux dans les pays germaniques et dont le plus remarquable reste Christian Gottlob Neefe, compositeur d’une Sophonisbe. Reste que la technique illustrée par Benda de l’alternance séquentielle entre texte et musique allait connaître une importante diffusion dès la fin du XVIIIe siècle, perdurant aisément au cours du siècle suivant, quoiqu’au prix d’une absorption du mélodrame en tant que genre au sein de l’opéra ou de la musique de scène.


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LE MÉLODRAME À LA CROISÉE DES CHEMINS

  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE

Le mélodrame scénique conçu comme œuvre autonome n’a pas disparu au cours du XIX e siècle, mais il s’est fait plus rare : Lélio de Berlioz (⁄) et Manfred de Schumann (), quoique le statut scénique de ces œuvres reste discutable, sont incontestablement les exemples les plus parlants. Ce sont surtout les compositeurs tchèques (Zdenek Fibich, mais aussi Ludvík Celansky ou encore Otakar Ostrcil) qui ont maintenu jusqu’à la fin du XIX e siècle l’héritage de Benda. Reste que de telles œuvres posent le problème de leur appartenance générique. Une œuvre comme la trilogie mélodramatique Hippodamia de Fibich, conçue pour la scène, peut être apparentée au genre de l’opéra (si ce n’est que ses personnages parlent au lieu de chanter), ou encore à la musique de scène : dans ce dernier cas, il s’agirait alors d’une pièce de théâtre constamment soutenue par un accompagnement musical, comme l’est la première version de Die Königskinder de Humperdinck (la seconde, entièrement chantée, est un opéra, voulu comme tel par son compositeur). À la fin du XVIIIe siècle, le mélodrame s’est trouvé à la croisée des chemins : celui de la scène et celui du concert. La première voie a ouvert au mélodrame un très vaste champ d’application,que ce soit dans le domaine de l’opéra, de la musique de scène, et plus tard de l’oratorio dramatique (dans la veine de ceux d’Arthur Honegger). Toutefois cela s’est fait au prix de son autonomie en tant que genre. Sur ce point, il est indéniable que les développements de l’esthétique mélodramatique au sein du théâtre parlé romantique ont eu une incidence sur cette évolution, la scène (tant celle du


théâtre musical que parlé) ayant surtout privilégié l’utilisation de la musique mélodramatique dans l’orbe « illustratif » (l’adjectif est réducteur),en développant notamment bon nombre de techniques narratives qui perdurent jusqu’à nos jours dans la musique de film. Quant à la seconde voie, elle a certes maintenu le mélodrame en tant que genre,mais en l’arrachant à la scène:c’est là le mélodrame dit « de concert » (Konzert-Melodram),genre essentiellement germanique qui privilégie le traitement déclamatoire, et dont le vaste répertoire traversera tout le XIX e siècle;le Pierrot lunaire de Schoenberg en sera l’un des ultimes représentants. Et quand on évoque le mélodrame musical aujourd’hui, c’est premièrement à ce type de répertoire qu’on pense, ce qui explique la conception traditionnelle et quelque peu limitée qu’on s’est fait du mélodrame comme étant avant tout une expérience déclamatoire « en musique ». On peut illustrer la diffusion de la technique mélodramatique à l’aube du XIXe siècle par bien des exemples, dont il serait fastidieux de dresser la liste.Aussi mentionnera-t-on trois exemples particulièrement représentatifs, fondés sur les deux procédés commentés plus haut au sujet de Zaïde (répétition d’une séquence ou utilisation d’un motif mélodique continu qu’interrompt de temps à autre la déclamation). Deux d’entre eux sont français : le premier est extrait de l’opéra Paul etVirginie ou le triomphe de la vertu () de Jean-François Le Sueur et le second d’Ariodant d’Étienne Méhul () ; le troisième se trouve dans la musique de scène de Beethoven pour l’Egmont de Goethe (). En France, sous les effets conjugués du Pygmalion représenté pour la première fois publiquement à Paris en  et la diffusion du mélodrame de Benda (rappelons qu’Ariane à Naxos fut représentée en juillet  à la Comédie-Italienne 1), on voit apparaître une floraison de pièces dramatiques (opéras, pièces de théâtre) utilisant la technique mélodramatique. Ainsi de l’Ariodant de Méhul, opéra comportant un bref mélodrame du héros (I7), dont la fonction est d’introduire l’air du même, tout comme le ferait un récitatif obligé. Ce cas de figure était déjà celui du second mélodrame de la Zaïde de Mozart, servant à introduire l’air de Soliman. Dans Ariodant, le continuum entre musique et déclamation repose sur la répétition de la basse (pédale de dominante) assurant ainsi le maintien de la tension harmonique, qui ne sera résolue qu’avec le début de l’air (voir exemple 3.1).


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Emilio Sala a proposé dans son ouvrage d’autres exemples en tous points similaires, fondés sur des répétitions de séquences accordales séparées par des séquences déclamées 2. Plus développé encore est l’exemple tiré d’une scène de l’opéra Paul et Virginie, déjà commenté par Jean Mongrédien et Emilio Sala 3. Selon les propres termes de Le Sueur, cette scène est un mélodrame « hypocritique » (du gr. hypocritès, acteur), où la composante pantomimique est essentielle pour son intelligibilité. Le Sueur, qui connaissait ses classiques, a pu reprendre ce terme chez l’abbé Du Bos, qui dans la troisième partie de ses Réflexions critiques sur la poésie et la peinture (2) fait référence à la musique des Anciens comme « se [partageant] en art de jouer les instruments, en art du chant et en art hypocritique,ou en art du geste 4.» Plus loin,Du Bos mentionne la « musique hypocritique ou contrefaiseuse, et qui se nommait ainsi parce qu’elle était proprement la musique des comédiens que les Grecs appelaient communément hypocrites ou contrefaiseurs 5. » C’est pour souligner l’importance de la fonction pantomimique au sein de ce mélodrame que l’adjectif s’est imposé à l’esprit de Le Sueur, la musique ayant clairement pour fonction

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Exemple 3.1

E. Méhul, Ariodant, acte I, scène 7, mes. 6-17 (réduction)


première d’illustrer les gestes des protagonistes. Pour le reste, la morphologie de cette scène révèle une alternance séquentielle entre texte-musique similaire à celle des mélodrames de Benda : l’alternance entre tirades déclamées et musique ne se démarque en rien des procédés habituels, et l’enchaînement texte-musique s’appuie ici aussi sur la répétition séquentielle que fournit la

Exemple 3.2

J. F. Le Sueur, Paul et Virginie, acte II, scène 2, mes. 14-40 (réduction)


pédale de tonique aux mes. -, puis celle du motif mélodique des violons aux mes. - (voir ex. 3.2). Le dernier exemple est le mélodrame n°  (acte V) de la musique de scène pour l’Egmont de Goethe composée par Beethoven, qui se divise en deux parties inégales 6. La première est un mélodrame de quatorze mesures, fidèle à la technique de Benda et de ses continuateurs.

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Le procédé mélodramatique utilisé par Beethoven rejoint ici celui illustré par Mozart dans le premier monologue de Gomatz, où un thème mélodique était morcelé, de manière à laisser des séquences sans musique pour la déclamation ou simplement ponctuées par un accord (mes. 4, 7) : ici les séquences musicales se terminent sur

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Exemple 3.3

L. van Beethoven, Egmont, n° 8, mes. 1-16 (réduction)


des accords suspensifs (V en mi bémol majeur, mes. 4, puis V/V, mes. 5 ; déclamation surV en si majeur, mes. 7). Musique toujours plus effilochée, partant en lambeaux de rêve, à l’image du sommeil qui saisit progressivement Egmont (voir ex. 3.3, page précédente). Le mélodrame d’Egmont illustre un type de situation mélodramatique, jouant sur le glissement ou passage entre deux moments, l’un réel l’autre imaginaire, dont on peut dire qu’il deviendra emblématique du mélodrame romantique. Egmont emprisonné a une vision ultime de la liberté sous les traits de Klärchen, laquelle vient de s’empoisonner après avoir appris le sort du héros. Comme l’a spécifié Goethe, la musique doit commencer aussitôt qu’Egmont s’est assis sur le lit 7 : la signification de ce geste musical est transparente, l’irruption de la musique signifiant ici l’irruption de l’imaginaire – c’est à nouveau la musique qui aura pour fonction de marquer le passage entre la vision d’Egmont et le retour à la réalité, lorsque Klärchen disparaîtra de la cellule, marquant la fin de cette séquence onirique, justement encadrée par les roulements de tambour des soldats espagnols. Ces tambours sont un exemple de musique synchrone, telle que déjà commentée au chapitre précédent, au sujet des trompettes d’Ariadne auf Naxos. Est synchrone une musique ou un son localisable dans la source de la diégèse, et donc audible pour ses personnages (on parlera par opposition de musique ou de son asynchrone ou non synchrone lorsque non audible pour les personnages de la diégèse). Le monologue d’Egmont se déroule durant l’introduction poco sostenuto de ce mélodrame (exemple 3.3 ; mes. 114) : Doux sommeil ! Tu surviens tel un pur bonheur qu’on n’a pas attendu, ni demandé.Tu défais les liens des pensées sévères, tu effaces toutes les images de la joie et de la douleur ; sans frein, un flux d’harmonies intérieures s’écoule, et enveloppés d’une agréable folie, nous sombrons et cessons d’être. Il s’endort, la musique accompagne ses soupirs 8.

Les quatre dernières mesures (11-14) sont une pantomime (« [Egmont] s’endort, la musique accompagne ses soupirs »), tout comme la section qui va suivre (poco vivace), et qui constitue l’essentiel du mélodrame n° , dépourvu de toute déclamation. Goethe avait d’emblée spécifié une musique purement pantomimique durant laquelle a lieu l’apparition de la liberté sous les traits de Klärchen, se matérialisant contre l’un des murs de la


cellule (ceux-ci doivent donner l’illusion de s’ouvrir) à la manière d’un tableau projeté. Dans cette longue didascalie, Goethe a minutieusement décrit toutes les actions de Klärchen, qui doit d’abord montrer

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C’est une petite fanfare aux bois et cors qu’a choisie Beethoven pour accompagner l’apparition de Klärchen (mes. -), suivie d’une section andante con moto, marquée par la prédominance du registre aigu aux bois et par des cordes con sordino égrenant des rosalies d’arpèges, tandis que violoncelles et contrebasses ponctuent les temps forts en pizzicato : une musique libérée de ses basses, flottant dans le registre aigu, comme celle d’un rêve. Le mélodrame d’Egmont témoigne d’une esthétique mélodramatique romantique déjà pleinement assumée, qu’une œuvre comme Ariadne auf Naxos laissait plus qu’entrevoir : celle d’une poétique du mélodrame axée sur l’onirique, le fantastique, l’irruption de l’imaginaire au sein du réel. L’adéquation entre mélodrame romantique et l’onirique ou le surnaturel est à maints égards un prolongement et plus encore une exagération du débordement des passions qui caractérisait le mélodrame de la fin du XVIIIe siècle. On ne saurait mieux la décrire que Wagner, qui avait pratiqué le mélodrame dans sa jeunesse, et qui entre  et  avait prévu pour un Trauerspiel de son cru, Leubald und Adelaïde, une musique de scène « analogue à celle de l’Egmont de Goethe [car] seul un accompagnement musical approprié donnerait à l’apparition des esprits, qui appartenaient au monde étrange des fantômes, le coloris qui lui convenait 10. » Et déjà en , Armand Charlemagne avait témoigné de

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une expression triste, semblant plaindre [Egmont]. Mais bientôt elle se ressaisit et avec des gestes plus gais elle prend l’étui de flèches, puis le bâton et le chapeau. Elle lui fait comprendre d’être heureux, et tandis qu’elle lui signifie que sa mort permettra aux provinces de regagner leur liberté, elle le reconnaît comme vainqueur et lui donne une couronne de lauriers. Comme elle s’approche de sa tête avec la couronne, Egmont fait un geste, comme on en fait lorsqu’on dort, et il tourne son visage contre le sien. Elle tient la couronne au-dessus de sa tête ; on entend tout au loin une musique guerrière avec des tambours et des fifres : sur ces faibles sons l’apparition disparaît, l’écho se fait plus sonore. Egmont se réveille ; la prison est fortement éclairée par la lumière du matin […] 9.


cette adéquation au sujet de la vogue du mélodrame de boulevard : « On entend aujourd’hui par mélodrame une action communément magique ou héroïque, dont les personnages ne se meuvent qu’au son de la musique qui annonce leur entrée, leur sortie, la nature et la variété des sensations où ils sont tour à tour en butte dans le courant de la représentation 11. » Ainsi de l’exemple suivant, tiré d’une des nombreuses adaptations théâtrales du roman gothique Le Moine de Lewis (livret de Cammaille-Aubin, avec pantomimes de Ribié et musique de Froment, représentée à Paris au Théâtre de l’Émulation à partir du  décembre ), et qui souligne de manière aussi simple qu’efficace l’utilisation de la musique comme signe du fantastique : AMBROSIO

— Antonia, je succombe !

(Un éclat de tonnerre brise la grotte où est assis Ambrosio.)

— Il est temps encore ; étouffe une passion criminelle, reconnois la nature, cesse d’outrager ses lois et le ciel te pardonne.

UNE VOIX

(Musique) AMBROSIO

— Est-ce un songe, une illusion ? 12

La musique qui se fait ici entendre après le tonnerre est une musique que les protagonistes peuvent entendre et sur laquelle ils peuvent parler : manière de mieux renforcer encore l’étrangeté de cette musique, dont l’origine, impossible à localiser, permet l’irruption du surnaturel.

UN FANTASTIQUE DE CARTON-PÂTE : LE CHÂTEAU DES PLAISIRS DU DIABLE

Ce recours à la musique comme marque de l’irrationnel allait devenir le signe de l’excessif et de l’outré. C’est à cette époque que les développements du mélodrame musical (dans le sillage du Pygmalion de Rousseau) et du mélodrame théâtral (dans la mouvance de Pixérécourt) s’avèrent être les plus proches – avant d’évoluer dans des sphères différentes –, trouvant leur point de contact dans une utilisation de la musique comme marque de l’extra-ordinaire : le surnaturel, mais aussi l’outrance des situations. Le mélodrame de la Gorge-aux-Loups du Freischütz (acte II, scènes  à ) est l’emblème du mélodrame à teneur fantastique, ici conçu comme « une succession de petits tableaux, presque comme un film, chacun étant accompagné par


une apparition fantomatique », pour reprendre la description d’Adorno : esthétique qui trahit l’influence du mélodrame théâtral usant et abusant d’apparitions fantastiques, dans l’esprit des spectacles optiques popularisés dès la fin du XVIIIe siècle (voir illustrations 3.1 A, 3.1 B, 3.1 C) 13.

 

Les mélodrames de Franz Schubert comptent parmi les exemples les plus remarquables et précoces de recours à la technique mélodramatique que justifie l’irruption de l’imaginaire ou du fantastique. L’exemple de Des Teufels Lustschloss (Le Château des plaisirs du Diable ; - 14) montre un Schubert déjà bien conscient de la connotation fantastique du mélodrame, puisqu’il utilise une fantasmagorie truquée. L’unique mélodrame de ce Zauberspiel illustre un cas d’utilisation pour le moins pervertie d’une musique que le dispositif scénique nous présente comme étant synchrone, donc audible pour les personnages fictifs de la diégèse. Si ce type de musique est souvent utilisé de manière fonctionnelle, en se rattachant à une réalité sonore tangible (comme

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Ill. 3.1 A J. M. Rugendas : La Gorge-aux-loups du Freischütz (Augsbourg, c. 1827) Ill. 3.1 B d’après C. A. Schwerdgeburth : La Gorge-aux-Loups (Opéra de Weimar, 1822) Ill. 3.1 C Wolf : « Samiel ! Hilf ! » (Nuremberg, 1830)


les roulements de tambour dans le mélodrame d’Egmont, fanfares en marche, canons et autres sonneries d’horloge…) et non à un événement onirique ou fantasmagorique, la musique du mélodrame de Des Teufels Lustschloss se veut être au contraire signe d’étrangeté : elle marque l’irruption du fantastique, qui pourtant ne s’avérera être, à la fin de l’opéra, qu’une vaste supercherie de carton-pâte. Des Teufels Lustschloss est en effet une parodie de Zauberspiel, soit un Singspiel à teneur fantastique, dans la veine de Die Zauberflöte de Mozart. Le Château des plaisirs du diable fut même génériquement défini comme « ein natürliches Zauberspiel », ce qui relève de l’oxymore, rien n’étant naturel dans un Zauberspiel ; mais cela signifie aussi que dans cet opéra les éléments fantastiques sont en réalité le fruit d’une vaste supercherie. Le livret relate les mésaventures d’Oswald et Luitgarde, jeune couple fraîchement marié contre l’avis de l’oncle de l’épouse, le comte de Schwarzburg. L’action se résume à une série d’épreuves effroyables imposées au couple, et tout particulièrement à Oswald, qui doit non seulement sauver sa tête mais résister aux tentations d’une amazone. Ce n’est que lors de la scène finale qu’on apprendra qu’apparitions fantastiques et autres échafauds nocturnes n’étaient que le produit d’une mise en scène réalisée par le comte pour tester l’amour et la vaillance d’Oswald. Finalement satisfait de la bravoure de son gendre, le comte fait officiellement célébrer la noce. On ne trouve qu’un seul mélodrame dans Des Teufels Lustschloss, lors du deuxième acte où se concentrent les épisodes fantasmagoriques (II6). Au cours d’un épisode uniquement parlé (II3) Oswald nous apprend qu’après s’être battu en vain avec des hommes en grand nombre, ceux-ci l’ont précipité au fond d’un gouffre. La scène suivante (II4) est elle aussi dépourvue de toute musique. C’est durant celle-ci qu’un cavalier, « vêtu de manière fantastique », lui apprend son sort : Oswald devra être jugé. La scène  s’ouvre sur une phrase parlée d’Oswald : « Ein Blutgericht ! — in diesen unterirdischen Wohnungen ? — mein Tod ist beschlossen ! weh mir ! [Un jugement vengeur ! — dans ces sous-sols ? — Ma mort est décidée ! Malheur à moi !] », s’enchaînant sur une aria où Oswald laisse libre cours à son tempérament héroïque : « Nie bebte vor dem nahem Tode der Held [Jamais le héros n’a tremblé à l’approche de la mort] ». L’aria terminée, Oswald a une dernière interjection (parlée) pour Luitgarde : « O möchtest du nie erfahren,


geliebtes Weib, welche ein grausames Schicksal deinen Oswald betroffen ! [Ô puisses-tu ne jamais apprendre, mon épouse bienaimée, quel est le sort cruel de ton Oswald !] » C’est alors que se fait entendre un bref andante con moto instrumental confié aux seuls bois (scène ). « Was hör’ich ? Welche Töne ? Sind sie es, die mir den Tod verkünden ? [Qu’entend-je ? Quels sont-ce ces sons, qui m’annoncent la mort ?] » s’exclame Oswald. La musique résonne ici avec une qualité synchrone, puisque Oswald peut l’entendre ; et de manière caractéristique, se met-il à parler sur elle, comme pour en souligner encore plus sa « réalité ». Mais cette musique nous est présentée comme purement fantastique ; ce qu’elle ne serait plus si la source qui l’énonce était visible sur la scène (voir ex. 3.4).

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Servant de prélude à la scène  en mélodrame, cette section andante adopte l’allure d’une marche sur une harmonie statique, régie par une longue pédale sur la tonique de fa majeur. Le mélodrame qui s’y enchaîne fait entendre dans sa section centrale (mes. 15-34) une longue pédale, cette fois sur la dominante. Nouveau moment de statisme harmonique qui correspond à l’apparition d’une amazone tentatrice. On trouvera certes la technique et l’emploi de ce mélodrame bien rudimentaire, mais en réalité, elle est aussi économe qu’efficace. Après tout, un livret comme celui de Des Teufels Lustschloss semblerait offrir plus d’une scène mélodramatique : or la partition n’en compte qu’une. Et c’est parce que tout est truqué dans ce Zauberspiel que

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Exemple 3.4

F. Schubert, Des Teufels Lustschloss, acte II, scène 6, mes. 1-41, 53-73 (réduction)


le recours au mélodrame se fait aussi rare, et donc d’autant plus remarquable, mais aussi d’autant plus conventionnel. À un moment précis de l’action se fait entendre aux oreilles du protagoniste une musique fantasmagorique, et qu’on nous présente d’ailleurs comme telle. Elle est synchrone, mais forcément étrange et fantastique puisque nous sommes incapables, avec Oswald, d’en localiser la source. La fantasmagorie musicale n’est ici qu’un leurre (pour Oswald et pour nous), puisque dans ce « natürliches Zauberspiel », ici synonyme d’artifice extrême, la magie n’est que carton-pâte, de même que son mélodrame : une musique conventionnelle, sur le rythme immédiatement identifiable et connoté de la marche (au supplice), un statisme harmonique qui permet du coup d’évacuer l’aspect narratif pour mettre plus d’accent sur les quelques paroles d’Oswald. Une apparition de l’amazone (que souligne l’utilisation stéréotypée de l’accord de e diminuée), un passage éminemment descriptif (« Von welchem Zauberlichte schimmern diese Felsen ? [Par quelle lumière enchantée scintillent ces rochers ?] ») : le scintillement des rochers (on pense aux arbres rendus phosphorescents par la foudre de la Gorge-aux-Loups du Freischütz) est traduit par de brefs traits descendants et ascendants en triples croches et triolets de double croches. La scène se termine comme elle avait commencé, les mesures introductives  à  étant reprises à la fin de la marche, enchaînées à la coda, renforçant son caractère statique – et faussement fantastique. APPARITIONS, INVOCATIONS, DÉLIRES : LA HARPE ENCHANTÉE

Un Zauberspiel plus tardif de Schubert, Die Zauberharfe (La harpe enchantée,  ; livret de Georg Edler von Hofmann), approfondit ce même type d’utilisation mélodramatique. L’ouvrage est d’autant plus remarquable qu’il précède d’une année Der Freischütz, dont la scène de la Gorge-aux-Loups synthétise l’adéquation entre mélodrame et fantasmagorie. Il ne semble pas que Weber ait connu Die Zauberharfe : créée àVienne le  août , l’œuvre fut un four et tomba après la seconde représentation (seule l’ouverture allait connaître une gloire ultérieure, en devenant celle de Rosamunde). Die Zauberharfe relate l’histoire d’Arnulf, le duc de Montabor, et de son épouse, la magicienne Melinde. De leur union est née un fils, Palmerin. Ayant un jour appris qu’Arnulf préparait le trône


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA CLEF DES SONGES • LE MÉLODRAME À LA CROISÉE DES CHEMINS

de Brabant pour leur fils au détriment d’Ida, héritière légitime et nièce d’Arnulf, Melinde fait disparaître Palmerin dans le feu enchanté du démon Sutur avec qui elle a pactisé, et l’envoie dans une contrée lointaine où il sera élevé dans l’ignorance de ses origines, avec pour seul compagnon une harpe enchantée. Croyant son fils mort,Arnulf jure vengeance et s’en va détruire Melinde. Après plusieurs péripéties truffées de visions et de chevauchées fantastiques, Arnulf retrouve Melinde qui lui révèle que son fils est toujours vivant. L’époux s’apprête à pardonner Melinde lorsque le démon Sutur fait une ultime apparition et rappelle à la magicienne le pacte qui la lie à lui. Sutur tente d’attirer les époux dans un gouffre, mais appelé par Ida, Palmerin parvient à libérer ses parents et à détruire le démon en jouant de sa harpe magique. L’opéra s’achève dans une célébration des pouvoirs de l’amour et de la musique. On compte six mélodrames dans Die Zauberharfe (scène  de l’acte I, scènes  et  de l’acte II, scènes ,  et  de l’acte III). Si les mélodrames n°  (II8) et  (III10) font office de récitatif à un air, les mélodrames n°  (I4),  (II6),  (III11) et  (III12) sont en revanche des scènes marquées par une atmosphère purement fantastique et qui requièrent au moins l’apparition surnaturelle d’un des protagonistes. Lors du mélodrame n° , Arnulf, épuisé par une chasse, s’endort. Durant son sommeil, il est transporté par magie dans le château de Melinde, celle-ci voulant savoir pourquoi il s’en prend à elle. Dans ce qui lui semble être un rêve, Arnulf explique que sa haine envers elle est justifiée par le meurtre de son fils. Quant au mélodrame n° , il voit l’apparition de Melinde, invoquée par Arnulf. Melinde est alors en proie à une vision : elle décrit à Arnulf comment sa nièce Ida, agenouillée devant lui et l’implorant, est brutalement repoussée par son oncle. Enfin le sixième et dernier mélodrame voit Melinde et Arnulf aux prises avec le démon Sutur, surgi des enfers, et l’anéantissement de celui-ci par la harpe de Palmerin. Mais le plus intéressant de ces mélodrames reste le premier, qui a d’ailleurs déjà donné lieu à deux études, publiées respectivement en  et , la première de Brian Newbould, la seconde de Peter Tenhaef 15. Il est intéressant de les confronter pour éclairer la structure musicale de ce mélodrame et sa portée symbolique. Newbould a démontré que ce mélodrame contenait un palindrome musical. Trois ans plus tard, Peter Tenhaef a étudié


l’utilisation de la figure rhétorique de la circulatio dans ce même mélodrame, figure qui se fonde sur tout ce qui a trait au cercle ou à la notion de cycle, et liée à la transformation ou à la transfiguration. Si Tenhaef n’utilise jamais le terme « palindrome » ni ne cite l’article de Newbould (dont il n’avait vraisemblablement pas connaissance), il a pourtant lui aussi remarqué l’utilisation d’un « miroir inversé presque strict », autrement dit un palindrome dans la partition.Tout au plus Tenhaef semble-t-il faire un sort moindre à ce procédé technique en lui-même, pour tenter de trouver une explication poétique et dramaturgique à celui-ci. Pour Newbould au contraire la présence d’un tel procédé dans un passage mélodramatique s’explique non seulement par le côté expérimental propre au mélodrame, et qui du coup permet les procédés les plus extravagants, mais aussi par la corrélation pour Schubert entre palindrome et « symbole démonique », marque d’un « renversement conscient de valeurs, comme dans la “messe noire” […] L’idée d’un monde inférieur reflétant le monde supérieur n’était pas étrangère à la littérature du temps de Schubert 16. » L’approche de Tenhaef met quant à elle en lumière une facette pour le moins négligée, si ce n’est complètement ignorée de Schubert. En effet, si pour Newbould ce palindrome est un unicum chez un compositeur qu’on n’attend pas vraiment sur le terrain de la Augenmusik, Tenhaef au contraire argumente en faveur d’un Schubert dont la culture musicale et poétique était, parmi les premiers romantiques, la mieux enracinée dans la tradition dixhuitiémiste 17. D’ailleurs Tenhaef montre que la figure de circulatio se retrouve dans toutes les scènes à teneur fantastique de Die Zauberharfe et que la figure du cercle et la symbolique qui s’y rattache forment le leitmotiv principal de la matière musicale de l’ouvrage. Restituer la figure du cercle en musique peut prendre diverses formes. Tenhaef a d’emblée souligné l’importance de la harpe, un instrument ayant « une évidente affinité avec le geste circulaire 18 ». L’importance de la magie noire tout au long de Die Zauberharfe, et son incarnation à travers le démon du feu Sutur, mais également à travers la magicienne Melinde, est un motif tout aussi aisément traduisible par la figure du cercle. Dans le mélodrame n°  (II6), la didascalie précise qu’Arnulf doit « décrire un cercle » pour invoquer la présence de Melinde : à ce moment le basson fait entendre une figure musicale de circu-


harpe 

chevauchée Palmiran   section instrumentale

Sutur obéit 

EMORDNILAP Sutur disparaît  (+  mes.)

Tableau 3.A

Die Zauberharfe, I, 3

Les deux volets externes du palindrome (le conséquent et son rétrograde) ne s’enchaînent pas. Autrement dit, il ne s’agit pas d’un palindrome continu, ces deux segments étant séparés par  mesures. Sutur fait son apparition à la fin du conséquent du palindrome (mes. ) et appelle Melinde (« Melinde höre mich [Melinde écoute moi] », puis « Erscheine Melinde [Apparais Melinde] », mes. -). Se pliant aux ordres de Melinde, Sutur

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PALINDROME apparit. Sutur mes.  

 

latio 19. D’autres figures de circulatio, le plus souvent symbolisées par des intervalles chromatiques ascendants et descendants, dont le caractéristique intervalle de tierce diminuée (ré bémol – si bécarre – do), émaillent le mélodrame n°  du troisième acte 20. En quoi ces constatations, qui concernent la seule matière musicale de la partition, ont-elles une incidence sur la technique mélodramatique ? Celle-ci vise ici clairement à aliéner le rapport entre parole et musique : ils sont deux corps étrangers ne pouvant réellement fusionner. Dans le cas de Die Zauberharfe, la parole ne parvient pas à prendre le dessus d’une « musique des sphères », ou pour le moins d’une musique ne pouvant être perceptible par le commun des mortels. Même détenteurs de secrets magiques, Melinde et Arnulf ne sont que des mortels. Quant à Sutur, il est le seul personnage à ne pas être humain, mais il est aussi celui qui entraîne la musique de ce mélodrame « palindromique » dans une zone non humaine. Ce mélodrame est en deux parties inégales – la seconde partie, qui ne constitue que le dernier quart de l’ensemble, nous montre Ida perdue dans la forêt enchantée ; tout d’abord effrayée, la jeune fille aide une colombe à se sortir des griffes d’un faucon, et en oublie sa peur. La première partie présente la fée Melinde et le démon du feu Sutur. Ce dernier fait une apparition en début de la scène, pour prévenir Melinde de la venue de son mari accompagné de ses chevaliers, prêts à la combattre. C’est ce mélodrame qui contient un palindrome, présenté sur les vingt-six mesures initiales et les vingt-six mesures conclusives de la scène :


disparaît au début du rétrograde (« Ich gehorche [J’obéis] », mes. ). Les quelque trois cents mesures encadrées par les deux segments du palindrome sont donc axées sur Melinde et Sutur, la première soumettant le second à son autorité. Notons encore qu’au centre de cette longue section a lieu un épisode entièrement instrumental, introduit par les invocations de Melinde. Cet épisode est lui-même composé de trois tableaux, chacun proposant une scène fantastique, à la manière des sept séquences fantasmagoriques de la scène de la Gorge-aux-Loups du Freischütz : d’abord Melinde fait apparaître l’image de la harpe enchantée, puis envoie Sutur à la recherche de son fils. Le deuxième tableau est celui d’une chevauchée fantastique instrumentale, celle de Sutur, qui s’achève avec l’image fantasmagorique de Palmiran jouant de la harpe. La musique s’y fait essentiellement mélodique, une clarinette solo dialoguant avec les violoncelles sur un accompagnement de harpe. La rupture avec ce qui précède (et ce qui va suivre) est pour le moins incongrue en termes purement musicaux, mais elle est parfaitement justifiée en termes dramaturgiques et mélodramatiques : l’apparition de Palmiran est un tableau figé hors du temps lui-même fantastique de ce mélodrame. L’utilisation symbolique du palindrome est transparente : c’est la présence de Sutur qui le justifie. L’apparition du démon crée une rupture de la narration linéaire, laquelle devient particulièrement perceptible à la fin du mélodrame, avec le retour du rétrograde. La créature fantastique génère son propre temps fantastique, qui ne se dissipera qu’au moment où le démon obéira à Melinde et se retirera : mouvement de retrait marqué par l’apparition du rétrograde. Celui-ci terminé, le temps présent de la narration reprend ses droits, et nous retrouvons Ida perdue dans la forêt enchantée pour la brève conclusion de cette scène. À l'intérieur du temps fantastique marqué par la présence du démon Sutur, tout devient possible, ce que rend particulièrement explicite la séquence musicale centrale du mélodrame, avec la chevauchée de Sutur, elle-même encadrée par les apparitions fantasmagoriques de la harpe enchantée de Palmiran, puis de Palmiran lui-même, dans un passage remarquable pour son statisme harmonique et son diatonisme, en complète opposition avec le reste du mélodrame.


À L’ÈRE ROMANTIQUE

« Dans sa prison, un homme rêve à celle qu’il aime… son rêve le conduit au pays de l’Oubli. À son réveil, libre, déçu par la réalité, c’est dans le rêve qu’il se réfugiera à nouveau. » Soudain, la porte de la cellule s’ouvre, une grande clarté envahit la pièce. Le prisonnier se lève, franchit le seuil et se retrouve sur un chemin campagnard baigné de lumière.Au loin, un village est accroché à une montagne : c’est le pays de l’Oubli, où Michel va retrouver Juliette, celle qu’il aime ; mais comme tous les habitants de cette contrée amnésique, elle n’a ni mémoire ni souvenirs. Si cela ne s’avère être qu’un rêve, et si à son réveil Michel apprend qu’il est libéré, la vie dehors ne vaut pas plus que celle dans sa cellule. Juliette va en épouser un autre. Quel qu’en soit le prix, Michel préférera retrouver le pays de l’Oubli en franchissant à nouveau la porte du rêve. Fable amère, Juliette ou la Clef des Songes de Marcel Carné ( ; d’après la pièce de Georges Neveux adaptée à l’écran par Carné et Jacques Viot) n’est qu’un long rêve encadrant un pan de réalité que le héros quittera de son plein gré, en ouvrant la porte d’un dépôt désaffecté. La clef des songes est bien sûr la mort, qui

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LE FANTASTIQUE MÉLODRAMATIQUE

 

À l’image de Die Zauberharfe, l’esthétique mélodramatique est principalement justifiée par un goût immodéré pour de telles musiques fantasmatiques, irréelles, ou qu’on entend wie aus der Ferne, « dans le lointain ». Lointain qui peut être pris au sens littéral comme symbolique, permettant des passages constants entre passé et présent, entre réalité et rêve. On est bien loin d’une conception purement linguistique du mélodrame qui viserait à le définir comme le « chant de la langue » : le mélodrame doit avant tout être compris comme un phénomène romantique, de par les pouvoirs extraordinaires qu’il confère à la musique, lui permettant de se jouer des barrières de l’espace et du temps. Son pouvoir d’évocation est sans limites (en dépit d’un conception illustrative de la musique que certains jugeront aujourd’hui puérile), se mouvant dans cet « au-delà des mots » que la scène lyrique de Pygmalion avait déjà entrevu, et qui deviendra l’espace légitime du mélodrame romantique.


dans le film ne dit jamais son nom. De par son atmosphère de conte et le symbolisme de sa fin exaltant la fuite de la réalité, Juliette ou la Clef des Songes est un film onirique dans la veine de Peter Ibbetson de Henry Hathaway (), où la morale de l’histoire, d’emblée présentée dès le générique d’ouverture (par la citation ouvrant ce chapitre), veut que la fuite dans le rêve soit préférable à la réalité. Sorti en  au Festival de Cannes, le film de Carné fut un fiasco, jugé comme démodé dans la France de l’après-guerre où se faisait sentir l’influence du néoréalisme italien. Mais c’est aussi un film indéniablement mélodramatique par le télescopage qu’il propose entre rêve et réalité, et par la manière dont le passage entre ces deux dimensions est rendu perceptible, ce que traduit parfaitement la musique de Joseph Kosma, primée à Cannes. Les deux séquences initiales (dans la cellule puis sur le chemin menant au pays de l’oubli) sont chacune définies par deux musiques très différenciées, correspondant à ces deux dimensions de la temporalité du récit uniquement démarquées par ce qu’on appelle en langage cinématographique un stinger faisant transition entre les deux séquences (ici le bruit de gonds rouillés de la porte de la cellule). La première musique, qui se fait entendre continûment pendant la séquence dans la cellule, est un simple rythme de marche (trois noires suivies de deux croches), joué par des timbales, avec de temps à autre les ponctuations d’un gong grave, celles de brefs trémolos de cordes doublées d’un basson et d’un motif chromatique de clarinette. Autant d’attributs sonores du « sinistre » : une marche funèbre peut-être, qui s’arrête précisément au moment où le bruit des gonds rouillés de la porte provoque le réveil du prisonnier. Une nouvelle musique se fait alors entendre, jouée par des cordes aigues et tissant des harmonies statiques diluant la scansion régulière du rythme – et qui n’est pas sans rappeler la texture du prélude de Lohengrin, modèle depuis longtemps pillé par la musique de film.Toujours sur cette texture de cordes, un motif joué aux ondes Martenot conduit à un crescendo orchestral s’achevant par un chœur, au moment où Michel franchit le seuil. Il est aisé de différencier ces deux musiques par leur seule qualité rythmique. Le pattern constant de la première restitue le temps sur lequel s’énonce le récit : temps réel, que traduit un « temps strié », rythmiquement unidirectionnel, et qui s’oppose au « temps lisse » 21 de la seconde musique marquant l’entrée dans le


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA CLEF DES SONGES • LE FANTASTIQUE MÉLODRAMATIQUE…

pays de l’Oubli, dénuée de toute pulsation rythmique régulière périodique. Souligner par la musique l’opposition entre temps et lieux différents est certes un procédé fréquent au cinéma, mais il est éminemment mélodramatique dans son origine. La Jetée (), moyen métrage de Chris Marker, repose exclusivement sur la confrontation entre deux lieux et deux temporalités différents. Inexorable, la pulsation du rythme cardiaque qui se fait entendre lors des séquences (dans un temps présenté comme réel) montrant un prisonnier soumis à des expérimentations censées l’envoyer dans un passé qui l’obsède, s’oppose à la musique lyrique qui caractérise le temps imaginaire des séquences où le prisonnier est projeté (son propre passé, ou du moins ce qu’il imagine être comme tel). L’opposition entre ces deux temporalités reproduit ici le mécanisme similaire du erzählte Zeit (temps de la lecture ou de la représentation, qui peut varier infiniment d’un lecteur ou d’un spectateur à l’autre) et du Erzählzeit, le temps du récit même (ou temps du représenté) 22. Cette distinction peut être illustrée par le Quatuor n°  d’Elliott Carter (), où le compositeur a distingué les notions de « temps externe » et de « temps onirique », qui lui furent inspirées par le film de Cocteau Le Sang d’un poète, dont l’action purement onirique est encadrée au début et à la fin par deux séquences liées entre elles. Ces séquences relatent un fait réel et même prosaïque, pour mieux marquer le contraste avec le cœur du film. Après une séquence introductive en forme de rébus (accompagnée par la musique de Georges Auric), une deuxième séquence, cette fois sans musique, montre au ralenti les toutes premières images de l’explosion d’une cheminée industrielle, s’interrompant au moment où elle commence à s’effondrer. Après cette séquence commence le film proprement dit. La fin du film se termine avec la seconde moitié de la séquence de la cheminée, toujours sans musique et uniquement avec le bruit de l’explosion, montrant cette fois la chute de la cheminée. Ce double encadrement d’un événement se retrouve dans le quatuor de Carter, l’œuvre s’ouvrant avec une cadence interrompue de violoncelle qui ne trouvera sa conclusion qu’à la fin. L’idée de Carter est que « le temps onirique ne dure qu’un seul instant du temps extérieur, mais il dure longtemps du point de vue du rêveur » – ce qui est très précisément la distinction entre erzählte Zeit et Erzählzeit 23.


Toute forme de discours dramatique restitué de manière sonore et donc ayant une dimension temporelle impose son propre « temps de la lecture » au spectateur. Le récit de Jeanne d’Arc au bûcher d’Arthur Honegger () est organisé sur l’opposition entre deux niveaux temporels : le moment présent durant lequel Frère Dominique fait à Jeanne, déjà attachée au bûcher, la lecture des événements antérieurs et de son procès qui a déjà eu lieu, cela juste avant qu’elle ne soit suppliciée, ainsi que le moment contenu dans la lecture même de ce procès, moment qui constitue l’action principale de l’ouvrage. L’action du procès est entièrement contenue dans un acte de lecture, dont on ne peut cependant dire s’il a réellement eu lieu : peut-être que Frère Dominique n’est que le fruit de la vision de Jeanne avant de mourir. Ce sont pourtant des mots de cette lecture que l’action proprement dite va surgir, à laquelle Jeanne va assister en tant que spectatrice. Ainsi le procès de Jeanne d’Arc s’insère dans une boucle temporelle, introduite par le prologue puis la scène I et la scène II, nous montrant l’héroïne au terme de son procès enchaînée au pied du bûcher, et que conclut la scène finale de l’œuvre, celle du supplice du bûcher. L’espace scénique dans lequel se joue l’oratorio reflète lui aussi cette opposition temporelle.Telle que définie par Claudel dans la didascalie initiale, la scène est unique mais dédoublée. Elle se présente sur deux niveaux : au niveau supérieur, le bûcher avec Jeanne ; au niveau inférieur, un espace où viendront par la suite se placer la foule et les acteurs du procès. La narration mélodramatique est elle aussi mue par cette relation dialectique entre deux temporalités impliquant différents degrés dans la fonction diégétique de la musique, selon la temporalité à laquelle elle appartient. C’est ce que permet l’aspect séquentiel propre au mélodrame (aspect qui a souvent été dénigré comme l’un de ses défauts les plus lancinants), pouvant illustrer les notions de point de vue et d’opposition entre deux types d’action se déroulant simultanément : l’action en temps réel (ou temps « externe » selon Carter ; le erzählte Zeit) et l’action remémorée, qui se déroule dans un temps « imaginaire » ou « onirique » (Erzählzeit), et qui surgit lorsque l’action en temps réel s’arrête, faisant place à un nouveau moment sortant du cadre narratif préétabli 24. Le cadre extérieur peut être un temps réel ou onirique. C’est un temps réel qui fait office de cadre au temps de l’action remé-


Motivé par la présence d’événements extraordinaires, le mélodrame à teneur fantastique implique des moyens narratifs à l’image de ces événements : dans les exemples qui viennent d’être commentés, c’est la musique qui permet à la diégèse d’accréditer l’inexplicable, le surnaturel. Rappelons que c’est au niveau de la narration qu’il faut chercher l’essence même de toute expérience mélodramatique, dont la motivation première est celle de raconter une histoire. L’intrusion du fantastique exige toutefois de rompre avec les codes habituels narratifs et de remettre en question la diégèse. Et si la musique ne peut être narration par elle-même, elle peut en revanche transmettre la narration selon des modes particuliers : ces modes se sont développés de manière privilégiée dans le domaine du mélodrame romantique, et ce dans une perspective qu’on peut déjà qualifier de proto-cinématographique. Les recherches sur l’utilisation de la musique au cinéma sont un sujet que la musicologie anglo-saxonne a largement exploré depuis une vingtaine d’années en puisant habilement dans le domaine des études littéraires (Genette et Ricœur en tête) et cinématographiques (en particulier l’ouvrage très synthétique de Claudia Gorbman, Unheard Melodies. Narrative Film Music, qui

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NARRATION MÉLODRAMATIQUE ET LANGAGE CINÉMATOGRAPHIQUE

 

morée dans Jeanne d’Arc au bûcher ; c’est un temps onirique qui encadre le mélodrame Lélio de Berlioz, dont le début marque la fin d’un rêve, tandis que la fin de l’ouvrage oscille de manière ambiguë entre rêve et réalité. À chaque fois, le traitement mélodramatique permet de rendre perceptible le passage entre ces deux dimensions, faisant se croiser « pointes du présent et nappes du passé 25 ». De telles situations se marient idéalement avec l’instance du monologue, le va-et-vient entre temps réel et temps imaginaire redoublant celui entre l’extérieur du monde réel et la psyché du personnage monologuant. Une fois de plus se constate l’adéquation du mélodrame pour représenter un moment particulier possédant sa propre temporalité, inséré à l’intérieur d’un autre moment se déroulant à un autre niveau de temporalité : une sorte de bulle temporelle, comme le procès de Jeanne, le « tableau » d’Ariane endormie que contemple Thésée dans Ariadne auf Naxos, ou le rêve d’Egmont à l’approche de sa mort.


reste largement redevable aux thèses de Michel Chion et de Christian Metz) 26. Bien qu’uniquement consacré à l’opéra, l’ouvrage de Carolyn Abbate, Unsung Voices ( ; littéralement « voix non chantées », ce qui semble d’ailleurs faire écho aux « mélodies non entendues » de Gorbman), a suscité depuis sa publication une profusion d’études lui étant plus ou moins redevables (et ce jusqu’à un quasi-engorgement du débat, les exégèses d’Abbate ayant à leur tour fait l’objet d’exégèses). Si cet ouvrage n’a plus besoin d’être présenté pour un lectorat musicologique anglo-saxon, il est en revanche d’une réputation encore marginale en France. Sous-titré Opera and the Musical Narrative in the Nineteenth Century, l’ouvrage d’Abbate est une tentative pour analyser les processus narratifs dans l’opéra romantique et tout particulièrement le statut de la voix (bien que son sous-titre soit quelque peu trompeur puisque c’est surtout Wagner qui se taille la part belle de l’ouvrage). Aussi Abbate n’aborde pas les drames musicaux « mixtes », comme l’opéra-comique, les musiques de scène ou le mélodrame, négligence qui s’observe également parmi bon nombre de ses continuateurs. Les raisons de la marginalisation du mélodrame s’expliquent par le fait que trop souvent encore, celui-ci est considéré comme un parent abâtardi de l’opéra, dont il partagerait les mêmes lois narratives. Rien n’est plus faux. Mettant à nu les rapports entre différents moyens discursifs, ainsi que la manière dont la narration doit être délivrée, par des moyens autres que le chant précisément, le mélodrame se démarque de l’opéra à cause de cette mixité discursive inhérente à son mode d’expression, mixité qui est tout autant si ce n’est plus marquée qu’à l’opéra, où le primat sonore de la musique l’emporte sur les autres paramètres. C’est là une caractéristique que le mélodrame partage idéalement avec le cinéma, dont il est l’ancêtre le plus direct, et ce notamment par la manière dont il utilise la musique au sein de la diégèse, en créant plus ou moins de distance entre la musique et la narration. Dans ce domaine, on peut parler de musique « diégétique » ou « non diégétique », sans compter les autres formes composées de cet adjectif qui ont été notamment développées en narratologie par Gérard Genette, et qui ont trouvé un terrain particulièrement fertile dans le domaine des études filmiques, notamment chez Christian Metz 27. Une musique diégétique est communément définie comme une musique audible pour les personnages


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA CLEF DES SONGES • LE FANTASTIQUE MÉLODRAMATIQUE…

de la diégèse. Sa source énonciative doit être identifiable, même si elle se trouve hors de la scène ou de l’écran. De là provient la définition la plus largement répandue voulant qu’une musique soit diégétique lorsqu’elle émane de la diégèse même (plus précisément, du lieu où celle-ci se déroule), et qu’elle soit non diégétique lorsqu’elle se situe hors de la diégèse (et donc sa source énonciative n’est pas dans le lieu de la diégèse). Dans le premier cas, les personnages de la diégèse peuvent entendre cette musique ; dans le second cas, ils l’ignorent car ils ne peuvent pas en avoir conscience 28. A priori, rien n’empêche d’appliquer ces catégories à l’opéra, et par extension, à la musique de scène et au mélodrame. Prenons le début de la scène  de l’acte I de Wozzeck d’Alban Berg, qui fait coexister deux musiques, celle d’un orchestre militaire qu’on entend par la fenêtre de Marie (musique de scène donc), et celle provenant de la fosse d’orchestre, établissant le lien entre la fin de la scène précédente et le début de celle-ci par un motif sinueux des violoncelles et contrebasses qui disparaîtra rapidement sous les accents de la marche militaire (mes.  sq.). Dans la rue, Margret aperçoit Marie à la fenêtre et la provoque sur sa réputation de femme facile. Tandis qu’on entend la musique militaire s’approcher, le ton monte et Marie finit par fermer violemment sa fenêtre. A ce moment précis la musique militaire doit s’arrêter (« la musique militaire est soudainement devenue inaudible, suite à la fermeture de la fenêtre » ; mes. ). On en percevra toutefois encore des lambeaux au cours de cette même scène, lorsque Marie est « perdue dans ses pensées » (mes. ). À nouveau se font entendre deux musiques : celle des derniers éclats de la fanfare retentissant au loin, ainsi que la nouvelle musique de Marie « perdue dans ses pensées ». La fanfare serait donc un exemple de musique diégétique, la musique de Marie « perdue dans ses pensées » une musique non diégétique. Cependant, reprendre ce binôme diégétique/non diégétique et l’appliquer à la musique dramatique s’avère problématique, car toute musique dans un opéra, un mélodrame ou une musique de scène, est forcément de nature diégétique, et ce qu’elle soit entendue ou non par les personnages de la diégèse. Quel que soit son statut d’audibilité, elle transmet, d’une manière ou d’une autre, la diégèse. Évoquer une musique « non diégétique » dans le cas de la musique dramatique sent un peu trop l’artifice verbal, puisque


non diégétique signifie littéralement ce « qui n’est pas relatif à la diégèse » : d’où la nécessité pour certains commentateurs, à l’instar de Gorbman, d’introduire des notions comme « extradiégétique ». En admettant que la fanfare dans Wozzeck soit diégétique, doit-on pour autant définir la musique « de Marie » comme étant non diégétique ? Après tout, il ne s’agit aucunement d’une musique qui se situerait « hors » de la narration (Gorbman la qualifierait d’« extradiégétique », puisqu’elle fonctionne à la manière d’une « intrusion narrative sur la diégèse »). Toutefois nous ne sommes pas ici au cinéma, mais à l’opéra, soit au sein d’un dispositif narratif où la musique omniprésente constitue la principale et constante source sonore diégétique. Même une musique d’entracte, devant combler un temps mort entre deux actes par exemple, n’est jamais vraiment « non diégétique » : de là tout le charme propre à ces musiques qu’on imagine être purement fonctionnelles, mais qui en réalité ne cessent jamais d’être diégétiques, c’est-à-dire qu’elles conservent toujours une fonction narrative, et ce même lorsque l’action scénique est interrompue, le plus fréquemment par le baisser du rideau. Ainsi des entractes musicaux de la musique de scène de Mendelssohn pour Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, op.  (). Le motif initial du Notturno, musique d’entracte, joué aux cors, se fait certes entendre le rideau baissé, mais dès la scène suivante (n° ), un mélodrame au début duquel Obéron va délivrer Titania de son ensorcellement, ce même motif se fait réentendre, précisément après l’injonction suivante d’Obéron : « Ertön, Musik ! [Sonne donc, musique !] 29 » Ce motif fantasmagorique, marque sonore de l’ensorcellement dans lequel la reine a été maintenue, se fait cette fois entendre dans un contexte purement diégétique : ce qui rétrospectivement invalide la nature prétendument « non diégétique » de la musique d’entracte 30. L’opposition binaire « diégétique »/« non diégétique », même lorsqu’atténuée par des niveaux intermédiaires (« extra- », « intra- »…) peut s’avérer par trop restrictive. Si l’on veut se référer sans ambiguïté à ces deux catégories de musiques, audible ou non audible pour les personnages, il serait alors moins équivoque d’utiliser les adjectifs « synchrone » (audible pour les personnages de la diégèse) et non « synchrone » ou « asynchrone » (inaudible pour ces mêmes personnages). Au cinéma, la musique peut être employée de manière fonctionnelle, tel un indice de


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA CLEF DES SONGES • LE FANTASTIQUE MÉLODRAMATIQUE…

réalité, et le plus souvent cet indice sonore s’ancre dans un indice visuel (on parle alors techniquement de « son in » ou « son synchrone »). Ce type de musique trouve sa source énonciative dans la diégèse même, et elle agit souvent à la manière d’un « décor sonore » pouvant renvoyer à des éléments visuels concrets et localisables. Déjà la littérature d’opéra abonde en exemples similaires de telles musiques purement fonctionnelles, utilisées à la manière d’un signal justifié par une situation scénique précise et qui les rend aisément repérables. Dans Lohengrin, la fanfare synchrone qui se fait entendre immédiatement après le Prélude du premier acte nous fait comprendre que le drame commence : elle est un signe de ponctuation, mais elle est également concrétisée par un élément du décor, soit les quatre trompettes du roi présents sur scène (si l’on tient compte de la didascalie de Wagner : la première sonnerie prélude aux paroles du héraut, la seconde signale l’entrée du roi Henri). Dans la scène de Wozzeck, la fanfare militaire est synchrone, la musique « de Marie » asynchrone, et aucune des deux n’est plus ou moins « diégétique » que l’autre. Ce qui les différencie, c’est leur source énonciative : celle de la fanfare est localisable, quoique hors champ. On sait qu’elle parvient de la rue, sur laquelle donne la fenêtre : c’est d’ailleurs une astuce fréquente pour permettre à l’auditeur de spatialiser la scène qui lui est présentée. Pour ces musiques fonctionnelles, parfois réduites à l’état de simples sons ou bruits, il n’est donc pas nécessaire que leur source soit localisée et même rendue visible au spectateur ; elle peut être simplement suggérée, voire montrée après coup, quant elle l’est (lorsqu’une sonnerie de téléphone retentit, si la scène se situe dans un intérieur où de toute évidence il n’y a pas de téléphone, cela suggère qu’il y a un téléphone dans une autre pièce : nous ne pouvons pas voir cette autre pièce, mais nous savons qu’elle existe). Il est facile de définir de telles musiques synchrones, même lorsque leur source est située hors champ : la musique synchrone est par définition une musique sans mystère, car trouvant sa source dans l’univers « réel » créé par la fiction diégétique – comme Thésée parlant sur les trompettes dans Ariadne auf Naxos 31. C’est là un autre point commun entre mélodrame et cinéma, tant les deux aiment à jouer sur l’ambiguïté entre musiques « diégétique » et « non diégétique ». On en a un exemple dans la séquence initiale


de Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick (), nous montrant un couple dans son appartement se préparant pour une soirée. Pendant cette séquence se fait entendre une valse pour orchestre de Chostakovich (laValse n°  de la Jazz Suite n° ), laquelle présente tous les signes audibles d’une musique non diégétique, ou asynchrone : musique que les personnages ne peuvent entendre, car la valse ne semble pas trouver son origine dans ce qui nous est offert à l’écran. Il est en effet impossible d’en déterminer sa source énonciative, au contraire de tous les autres bruits qui se font entendre et qui sont provoqués par les préparatifs du couple (bruit de pas, de vêtements, chasse d’eau ; le volume sonore de la valse est important et maintenu de façon constante tout au long de la séquence). À la fin de cette séquence, le mari s’approche de l’installation stéréophonique et touche un bouton. Aussitôt la musique s’arrête : geste qui nous éclaire soudainement sur son statut « diégétique », c’est-à-dire synchrone, puisque sa source provenait du lecteur CD. Du coup ce geste, révélant la source énonciative de la musique, en détruit aussi quelque peu le charme. Le mélodrame se plaît tout autant à pervertir ce lien entre musique synchrone et sa source énonciative, et ce tout particulièrement lorsqu’il est invoqué par le surgissement du fantastique, de l’onirique ou de l’imaginaire. Que se passe-t-il lorsque sur une scène de cabaret, une chanteuse s’évanouit, tandis que sa voix continue à chanter, et que la convention sur laquelle se fonde cette situation fictive exclut la possibilité de l’explication rationnelle du play-back ? Ou lorsqu’un homme tend un combiné téléphonique où se fait entendre sa propre voix, de toute évidence non enregistrée, et donc signifiant qu’il est à la fois ici et ailleurs ? La voix de la chanteuse et celle du téléphone sont des voix certes synchrones et donc parfaitement audibles pour les autres personnages diégétiques, mais elles ne peuvent plus être rattachées à leur source : le corps inanimé de la chanteuse, l’homme qui tend le combiné. Ces situations deviennent alors inexplicables, fantastiques, et même terrifiantes – séquences tirées respectivement des films Mullholand Drive () et Lost Highway () de David Lynch, réalisateur mélodramatique s’il en est, de par l’attention particulière qu’il apporte aux rapports (ou plutôt à leur dérèglement) entre son et image.


Il en va de même avec des scènes mélodramatiques jouant sur l’ambiguïté créée par une musique que les personnages entendent mais dont on ne peut clairement identifier la source énonciative, parce que cette source n’est pas réelle : la musique synchrone se fait ici marque du fantasmagorique, à l’image du « Ertön, Musik ! » que prononce Obéron dans Le Songe d’une nuit d’été. C’est un exemple similaire de musique synchrone mais fantastique (ou pour le moins donnée comme telle) qu’on entend dans le Singspiel de Schubert, Des Teufels Lustschloss. Et c’est aussi le rôle primordial de la musique dans les mélodrames de Lélio et de Manfred que de nous permettre d’entrer dans un espace scénique oscillant entre réel et imaginaire.

  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA CLEF DES SONGES • LE FANTASTIQUE MÉLODRAMATIQUE…


Ill. 4.1

Henri Fantin Latour : Lélio, la Harpe éolienne (c.1888)


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APRÈS UN RÊVE ? LÉLIO OU LE RETOUR À LA VIE. DU MÉLOLOGUE DE 1832 AU MONODRAME DE 1855

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE

Lélio ou le retour à la vie est le mélodrame romantique par excellence. Pourtant il est aussi le plus insaisissable : qualifié par Berlioz d’« ouvrage moitié musique moitié poésie 1 », ou de « coup d’essai en littérature 2 », Lélio est une œuvre littéraire et musicale dont le texte et la musique sont du même auteur, à l’exception du poème de la Ballade du Pêcheur, adapté en français

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Quelque tristesse se mêle généralement à l’impression que peuvent faire des voix placées à une grande distance, et variables comme le mouvement de l’air. Cet éloignement rappelle celui des heures, et il semble aussi que ces voix ne nous laissent pour jamais : en s’affaiblissant elles renouvellent le sentiment confus de nos pertes. Si au contraire, pendant l’ardeur du jour, il arrive qu’on s’assoupisse, à l’extrémité d’un parc, devant des champs et des prairies dont quelques travaux interrompent le silence, ce ne sont plus les choses qui s’éloignent : nous-mêmes nous les abandonnons. En les oubliant doucement, nous les quittons pour un plus sûr repos, et il restera de cette minute si courte un souvenir qui de temps à autre se présentera dans toute sa puissance durant la saison féconde. Quelquefois, à l’entrée d’un sommeil plus profond, à l’instant même du passage, il est pour nous un trait de lumière, une trace de bonheur, un aperçu dont la rapidité fugitive borne seule l’immensité. Cela semble étranger à tout ce que nous savons, étranger à tout ce qui passionne ; cela tient de la connaissance absolue, et de l’affection illimitée. En serait-il ainsi du détachement de la vie actuelle au dernier moment de notre vie fatiguée sur la terre ? (Senancour, Rêveries)




par Albert Du Boys d’après Goethe 3. Lélio est un hapax générique qu’on ne saurait guère apparenter sur le plan de la technique musicale aux autres mélodrames de son siècle, comme par exemple le Manfred de Schumann, et cela même si les pratiques mélodramatiques propres à l’ère romantique s’y révèlent tout aussi aisément 4. Conçue comme une succession de tableaux nous montrant le personnage principal aux prises avec son propre imaginaire, l’action de Lélio commence « après le songe d’une nuit de Sabbat, au moment où l’artiste revient à la vie 5. » Journal intime mis en musique et en images et qui se nourrit tout autant que la Fantastique d’épisodes autobiographiques 6, Lélio se compose de six monologues, chacun suivi d’un épisode musical. Organisée selon la technique mélodramatique de l’alternance textemusique, la version de  propose un découpage en six tableaux, qui restera identique dans la version de  : . Monologue – tableau n°  : Le Pêcheur, ballade, pour ténor et piano ; . Monologue – tableau n°  : Chœur d’ombres irritées, pour chœur et orchestre ; deviendra Chœur d’ombres dans la version de  ; . Monologue – tableau n°  : Scène de la vie de brigand, pour baryton, chœur et orchestre ; . Monologue – tableau n°  : Chant de bonheur, pour ténor, harpe et orchestre ; . Monologue – tableau n°  : Les derniers soupirs de la harpe, pour orchestre seul ; deviendra La harpe éolienne – Souvenirs dans la version de  ; . Monologue – tableau n°  : Fantaisie dramatique sur la Tempête de Shakespeare, pour chœur et orchestre.

On ne saurait cependant évoquer ici des « séquences » musicales pour désigner les musiques de ces tableaux, toutes conçues comme des pièces indépendantes. Si Lélio conserve la structure alternative habituelle du mélodrame, il en propose une vision comme démesurément agrandie. Les séquences musicales, devenues épisodes musicaux clos en eux-mêmes, se font porteuses d’une signification d’autant plus complexe qu’elles sont tirées de compositions préexistantes : le Chœur d’Ombres est repris de la « Méditation » de la cantate Cléopâtre () ; le Chant de bonheur et Les derniers soupirs de la harpe (La harpe éolienne) réélaborent respectivement un air et le « Tableau musical » final de la cantate


S’il est difficile d’en savoir plus sur les raisons du choix de Berlioz pour ce terme, on peut raisonnablement supposer qu’il s’était d’emblée montré désireux de trouver un autre qualificatif que le très connoté « mélodrame », alors devenu synonyme de drame populaire, et qu’il ne souhaitait pas que son œuvre y pût être assimilée. Qui plus est « mélologue » était pour ainsi dire inconnu en français : certes, l’italien et l’espagnol utilisaient dès la fin du XVIIIe siècle respectivement « melologo » et « melólogo » pour désigner le mélodrame – c’est d’ailleurs le terme de « melologo » qu’avait utilisé Mozart pour les deux mélodrames de Zaïde. Dans une lettre à sa famille du  juin , Berlioz précise qu’il est sur le point de terminer « la musique d’un Mélologue en six parties » et qu’il s’agit d’« une composition sans modèle, d’un genre nouveau, dont l’idée m’a été donnée par une petite ébauche de Th. Moore qui se trouve à la fin de ses mélodies 9. » Quelques jours plus tard, il est question d’un « ouvrage d’un genre nouveau, que j’intitulerai Mélologue, mélange de musique et de discours, dans lequel j’ai pu exécuter plusieurs projets qui m’étaient chers 10. »

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Pour les vers je ne me suis pas amusé à courir après la rime, j’ai fait de la prose cadencée et mesurée, quelquefois rimée, c’est tout ce qu’il faut pour la musique. C’est Moore qui m’en a donné à l’idée ; toutefois la présence de la musique est justifiée dans le mien et c’est sous une forme dramatique que j’ai présenté le sujet 8.

 

La Mort d’Orphée ; enfin la Fantaisie sur la Tempête de Shakespeare avait été composée dès . On est un peu moins sûr quant aux sources de la Ballade du Pêcheur, qui aurait été composée au moins cinq ans avant , ainsi que pour la musique de la Scène de la vie de brigand, elle-même probablement reprise d’une Chanson des pirates antérieure 7. La page de titre du livret de  indique : Le Retour à la vie, mélologue, faisant suite à la Symphonie fantastique intitulée : Episode de la vie d’un artiste, paroles et musique de M. Hector Berlioz. Le choix d’un terme aussi cultivé que « mélologue » a souvent intrigué. Berlioz a repris ce néologisme d’un texte de l’écrivain irlandais Thomas Moore (-), On National Music, A Melologue (), qu’il avait lu dans une traduction française publiée en  sous le titre Les amours des anges et les mélodies irlandaises (le texte original de Moore proposait des poèmes et des chansons populaires irlandais) :


Le qualificatif générique de « mélologue » fut maintenu jusqu’en  : c’est dans une lettre datée du  janvier  qu’on trouve pour la première fois sous la plume de Berlioz un nouveau qualificatif pour définir le genre de Lélio, celui de « monodrame lyrique » 11. On ne sait guère ce qui a motivé Berlioz pour qu’il change « mélologue » en « monodrame » : d’une part peut-être la trop grande sophistication du premier terme, qui ne s’imposa jamais dans le langage courant, tandis que « monodrame » était déjà largement répandu en allemand et en anglais. D’autre part, il n’est pas impossible que Berlioz, alors déjà en relation avec le compositeur Peter Cornelius pour la traduction de son livret, eût été influencé pour utiliser un terme plus parlant pour le public germanophone. Quelle que soit l’explication, il faut bien convenir que « monodrame » convient mieux à Lélio tel qu’il se présente dans la seconde version, en mettant l’accent tant sur le drame, et donc sur son essence intrinsèquement scénique, que sur le monologue, qui en est le mode énonciatif principal. Amplement relatée par Berlioz dans ses Mémoires, la genèse de Lélio, texte et musique, se fit en Italie entre mai et juin  alors que le compositeur sillonnait le pays dans la foulée de son Prix de Rome obtenu en . Sous le titre Le Retour à la vie, l’œuvre fut exécutée pour la première fois le  décembre  dans la Salle du Conservatoire sous la direction de François Habeneck, précédée de la Symphonie fantastique. Imprimé à cette occasion, le livret de Lélio stipule en effet qu’il « doit être entendu immédiatement après la Symphonie Fantastique, dont il est la fin et le complément. » Cette explication fut maintenue sans modification aucune dans le livret de la version de  12. Il faut garder à l’esprit que Lélio n’est qu’une « moitié » d’œuvre, l’autre moitié étant constituée par la Fantastique, et que la réunion de ces deux parties forme un diptyque intitulé Episode de la vie d’un artiste – ce qui était d’abord le sous-titre de la seule Symphonie fantastique. L’idée de réunir ces deux œuvres ne vint certainement pas à Berlioz avant la composition de son Lélio, mais elle fut toutefois contemporaine de la genèse du mélodrame. Dans une lettre datée du  juin , Berlioz le décrit comme un « mélologue faisant suite à l’épisode de la vie d’un artiste ; ce sera peut-être exécuté après la symphonie et cela complètera [sic] un concert 13. » Toutefois la carrière de Lélio fut moins glorieuse que celle de la Fantastique : entre  et , le mélologue ne fut donné qu’à


 Ludwig Wüllner dans Lélio (1914)

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trois reprises dans son intégralité et couplé avec la Fantastique, et ce toujours sous forme de concert 14. La seconde version connut sa première exécution sous forme scénique à Weimar le  février . L’orchestre était dirigé par Liszt et l’adaptation allemande du livret avait été réalisée par Peter Cornelius. C’est à la suite de cette représentation que la seconde version fut publiée. On peut à juste titre la considérer comme définitive, et les passages qui seront commentés dans les pages suivantes montrent à quel point Berlioz a su magnifier l’esthétique proprement mélodramatique qui était parfois malhabilement exploitée dans la première version 15. Curieusement, c’est dans sa version allemande que Lélio allait poursuivre sa carrière concertante : Lélio fut l’un des rôles au répertoire de Ludwig Wüllner (-), artiste mélodramatique d’exception, autant chanteur, récitant qu’acteur (et également chef d’orchestre : ce qui lui permettait de diriger lui-même la Fantaisie sur la tempête de Shakespeare concluant le monodrame 16).Wüllner avait interprété pour la première fois Lélio le  octobre  à Francfort sous la direction de Wilhelm Mengelberg, avant de redonner l’ouvrage à Amsterdam, puis l’année suivante sous la direction d’Oskar Fried à La Haye et à Berlin (voir illustration 4.2). Romantique, Lélio l’est indéniablement par cette surexposition du moi sous le masque de L’Artiste/Lélio. Mais ce n’est qu’avec la

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Ill. 4.2


version publiée en juin , soit quatre mois après la représentation de Weimar, que Berlioz donna le prénom de Lélio au personnage principal, jusqu’alors désigné comme L’Artiste. Mentionnons au passage que pour le choix du prénom, Nicholas Temperley a retenu trois hypothèses : Lélio serait une version féminine de Lélia, héroïne du roman semi-autobiographique de George Sand (), et dont les revers amoureux qu’elle a subi peuvent l’apparenter au Lélio berliozien ; Berlioz aurait pu entendre ce nom à l’occasion de plusieurs comédies italiennes données au Théâtre-Italien de mai à juin , incluant des pièces de Goldoni, où l’on trouve des Lélios, qui est l’un des personnages du répertoire de la commedia dell’arte, souvent destiné à incarner les jeunes amoureux ; enfin le prénom de Lélio aurait pu être choisi en raison de l’assonance qu’il présente avec Berlioz 17. Bien sûr, l’absence de patronyme n’est pas garante d’anonymat, et il était aisé de deviner qui se cachait sous le masque de l’Artiste, déjà mis à nu par le programme de la Fantastique. On peut cependant se demander pourquoi Berlioz attendit la publication de la seconde version de Lélio pour lui avoir enfin donné ce prénom, qui apparaît d’emblée dès le titre : coquetterie littéraire sans doute, où l’auteur a cherché à diminuer la distance entre lui-même et son double fictif. Si « L’Artiste » est une abstraction fictive, présentée et acceptée comme telle, « Lélio » accentue en revanche le processus d’identification, ne serait-ce que par les connotations diverses qui peuvent s’attacher à ce prénom (et l’évidente assonance avec le nom du compositeur). Bien que décidé après la représentation de Weimar, le choix du prénom de Lélio a pu s’expliquer par le désir de Berlioz de faire de celui-ci un simulacre de personnage réel/parlé afin de mieux l’opposer d’une part à son double imaginaire/chanté (La « Voix imaginaire de Lélio » du tableau n° ), et d’autre part à des personnages d’emblée définis comme fictifs. Le livret de  a distingué deux catégories dans la rubrique des Dramatis personae, celle des « personnages réels » – dont on sait bien qu’ils ne peuvent pas vraiment l’être – et celle des « personnages fictifs ». La première catégorie regroupe Lélio, présenté comme « compositeur de musique », ainsi que les musiciens, choristes et élèves de Lélio (ces derniers personnages étant présents pour le tableau n° ) : personnages ou parlants (Lélio) ou silencieux (les musiciens, amis et choristes, qui chantent parce que


Cet ouvrage doit être entendu immédiatement après la Symphonie fantastique, dont il est la fin et le complément.

L’orchestre, le chœur et les acteurs invisibles doivent être placés sur le théâtre, derrière la toile. L’acteur parle et agit seul sur l’avant-scène. A la fin du dernier monologue, il sort, et le rideau, se levant, laisse à découvert tous les exécutants pour le Final. En conséquence un plancher devra être établi au-dessus de l’endroit ordinairement occupé dans les théâtres par l’orchestre.

Le rôle de Lélio exige un acteur habile non chanteur. En outre, il faut un autre premier ténor Il faut en outre un ténor pour la Ballade, pour la ballade chantée derrière la scène, un autre ténor pour le Chant de bonheur, et une basse-taille énergique pour le Capi- et un baryton énergique pour le capitaine taine de brigands. de brigands. Le Retour à la vie, mélologue (livret de 1832)

Lélio ou le Retour à la vie, monodrame lyrique (livret de 1855) Tableau 4.A

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Cet ouvrage doit être entendu immédiatement après la Symphonie fantastique, dont il est la fin et le complément. Il se compose, comme l’indique son titre, d’un mélange de musique et de discours. On peut l’exécuter dramatiquement. Dans ce cas, l’orchestre et les chœurs invisibles doivent être placés sur le théâtre, derrière la toile. L’acteur parle et agit seul sur l’avant-scène. A la fin du dernier monologue, il sort, et le rideau, se levant, laisse à découvert tous les exécutans pour le Final. Pour l’exécution dramatique, il est indispensable que l’acteur chargé du personnage de l’Artiste réunisse le talent du chant à celui de la déclamation ; sa voix est le premier ténor.

 

telle est leur fonction, mais sans toutefois s’exprimer à titre individuel). La seconde catégorie compte Horatio, un capitaine de brigands, des brigands et des spectres : personnages qui cette fois s’expriment uniquement par le chant. Qu’elle ait été motivée ou non par la représentation de Weimar, cette distinction prend cependant tout son sens par rapport aux nouvelles précisions concernant le personnage de L’Artiste devenu Lélio. Le paragraphe liminaire du livret de  de Lélio, qui contient également le programme de la Symphonie Fantastique, donne une indication précisant la nature générique de l’ouvrage, désigné comme « mélange de musique et de discours ». On ne saurait trouver formule plus caractéristique du mélodrame « dans le vieux genre » comme l’a notamment décrit Armand Charlemagne en  dans Le mélodrame aux boulevards 18. En revanche cette indication a disparu dans le livret de , où les indications pratiques concernant l’agencement scénique de l’orchestre, du chœur et des acteurs (déjà données dans le livret de ) ont désormais pris le pas sur la précision générique :


MUSIQUES, IMAGES, TEXTES

En , la représentation scénique de Weimar avait amené la refonte du programme de la Symphonie fantastique de manière à justifier l’ensemble qu’elle formait avec Lélio. Cette refonte a été essentiellement comprise comme une forme d’auto-trahison de Berlioz à sa Fantastique 19, car l’opération aurait eu pour principale conséquence de dénaturer le sens de la Fantastique : le programme de  aurait eu pour effet d’altérer le sens de la Fantastique, faisant de toute la symphonie (et non plus seulement les deux derniers mouvements) le délire d’un opiomane. Il est cependant excessif d’utiliser ces seuls arguments pour infirmer la qualité du diptyque de L'Épisode de la vie d’un artiste, et pour attribuer les changements du programme de  aux seules contingences matérielles liées à l’exécution scénique de Weimar. Ce n’est qu’avec ce mal-aimé Programme de  que l’esthétique mélodramatique de Lélio prend tout son sens, certes au prix d’une modification du « mode d’emploi » de la Fantastique. L’entorse faite au trois premiers mouvements de la symphonie (Rêveries-passions, Un Bal, Scène aux champs) est cependant moins maladroite qu’il n’y paraît. C’est en projetant l’intégralité du programme de la Fantastique dans un univers purement imaginaire que Berlioz est parvenu à créer le lien avec Lélio : dans la version de , l’entière Symphonie est désormais perçue comme le seul délire de Lélio, qui prend fin au début du mélodrame. Et comme l’a vu Temperley, en faisant de la Fantastique un rêve, « Berlioz l’a transformée en une gigantesque ouverture au début de Lélio […] Sans doute le voit-on en train de dormir devant le rideau durant toute la symphonie [sic]. C’est la seule et unique fois que Berlioz a parlé d’exécuter “dramatiquement” la symphonie 20. » Lélio ou le Retour à la vie aurait pu tout aussi bien s’intituler « après un rêve », celui de la Fantastique, dont le nouveau programme devient parfaitement cohérent à la lumière narrative imposée a posteriori par Lélio. C’est dans ce même sens que vont les nombreux remaniements apportés au Lélio de  (livret et musique) en vue de l’exécution scénique de , remaniements maintenus dans l’édition finale et qui témoignent d’une intention double : à la fois extériorisation dramatique pour en augmenter l’impact scénique et pour l’ancrer dans un « temps réel » qui sera progressivement envahi par un « temps onirique », mais aussi inté-


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • THÉÂTRES IMAGINAIRES • MUSIQUES, IMAGES, TEXTES

riorisation du drame en une série de tableaux imaginaires, parce que fondés sur l’ambiguïté des modes énonciatifs. Tout dans Lélio est porteur de ce mécanisme duel qui est la marque de l’ambiguïté : le réseau musique-image-texte qui caractérise le discours mélodramatique de Lélio, tout comme la franchise avec laquelle il revendique cette ambiguïté discursive, et qui va jusqu’à influer son statut scénique – « on peut l’exécuter dramatiquement » comme nous l’apprend le livret de , indication ensuite supprimée dans la version publiée en  (dans le sillage de la représentation de Weimar). Resté identique dans les deux versions, le dispositif scénique de Lélio invite à une lecture non scénique à l’intérieur de la version scénique, à l’occasion du tableau final lorsque le rideau se lève sur l’orchestre dirigé par Lélio. Le geste du lever de rideau instaure un cadre qui va dramatiser ce qui nous est présenté sur la scène, soit l’orchestre. Il y a dès lors mise en relief de la seule musique et de sa source énonciative dans ce qu’elle a de plus évident, ici un groupe instrumental réuni en orchestre. Cette dramatisation du seul appareil instrumental n’est pas une caractéristique propre au seul Lélio. Le jeu avec cet objet sonore concret qu’est l’orchestre fut récurrent au cours du XIXe siècle, et il s’inscrit dans la tradition du concert romantique perçu comme pourvoyeur d’images, parfois même décrit comme un spectacle visuel. Déjà Anton Schindler avait évoqué dans sa biographie de Beethoven l’exécution, le  février , du e Concerto pour piano, joué au Kärtnertheater de Vienne par Carl Czerny pour l’anniversaire de l’empereur François II, et ce entre une exposition de tableaux « représentés » (« mit dargestellten Bilder ») : on avait auparavant montré Salomon et la Reine de Saba de Raphaël, et après le concerto, un tableau vivant représentant L’évanouissement d’Esther de Poussin fut exécuté 21, sans toutefois que l’on sache quelles musiques y furent jouées (et même s’il y en eut) 22. Un autre exemple a été commenté par Matthias Strassner, à propos de deux autres concerts viennois agrémentés de tableaux vivants, les  mars et  avril , réunissant des œuvres de Schubert, parmi lesquelles la ballade Erlkönig 23. On sait également à quel point au cours du XIXe siècle les symphonies de Beethoven (en particulier les e, e, e et e) ont été dramatisées par l’adjonction d’un contexte extramusical, poétique ou visuel 24. L’orchestre est le protagoniste d’un drame, surtout lorsqu’il s’agit de Beethoven –


et les critiques de Berlioz, pour ne citer que celles-ci, sont nombreuses à aller dans ce sens : « C’est l’armée d’Égypte au milieu du désert, applaudissant à la soudaine apparition des gigantesques Pyramides », écrit-il au sujet de l’orchestre de la Société du Conservatoire jouant les compositions du « Shakespeare musical » 25. Les associations entre les symphonies de Beethoven et des œuvres picturales ont été étudiées par Bernhard Appel, dans le cadre de la symphonie « Pastorale », représentée en  à Düsseldorf avec le concours de pantomimes, et de l’oratorio Paulus de Mendelssohn, donné sept ans plus tard dans cette même ville et dans les mêmes conditions 26. Plus récemment Andreas Jaensch a commenté l’essai « Bild und Ton » de Friedrich Mosengeil (), publié sous forme de feuilleton en janvier , où le critique disserte sur l’effet que produirait la contemplation d’un tableau de Guido Reni (La Transfiguration de la Vierge), tandis que se ferait entendre, « depuis une pièce à côté », une répétition de la e Symphonie 27. De telles pratiques sont toutes redevables à la tradition de spectacles para-théâtraux qui s’étaient développés depuis la fin du XVIIIe siècle, et qui étaient fondés sur des procédés optiques permettant la projection d’images mouvantes (fantasmagories) ou fixes (panoramas ou dioramas) : en Allemagne, le prestige de décorateur de théâtre du peintre Karl Friedrich Schinkel (-) devait beaucoup à ses vastes dioramas, entre paysages alpestres et fantasmagories aux perspectives vertigineuses 28. On verra à quel point la tradition de ces spectacles optiques a joué un rôle essentiel dans la genèse et la réception du poème dramatique Manfred de Byron, et qu’elle se révèle encore en filigrane de la partition mélodramatique composée par Schumann pour ce même texte. D’ailleurs on peut bien percevoir dans Lélio un écho de ces correspondances secrètes entre image et son. Dans l’essai « Bild und Ton » de Mosengeil, le visionnement d’un tableau de Guido Reni doublé de l’audition d’une répétition depuis une pièce d’à côté de la e Symphonie de Beethoven aurait été une expérience permettant de démontrer « la secrète communauté entre image et son ; […] le point de contact où musique et peinture se rencontrent, et agissent sur l’âme réceptrice avec une force redoublée 29. » Tant dans ce cas comme dans celui de l’orchestre visible/invisible de Lélio, il s’agit de jouer


Lélio ne peut être appréhendé en tant qu’objet artistique autonome libéré de toute contingence extramusicale. Cette encombrante qualité a empêché Lélio de trouver grâce aux yeux de ses

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L’AMBIGUÏTÉ REVENDIQUÉE DE L’EXTRAMUSICAL

 

sur la source énonciative de la musique en renforçant le doute quant à sa localisation par le procédé de distanciation spatiale. Dans l’exemple de Mosengeil, la musique doit se faire entendre « depuis une pièce à côté ». Dans Lélio, la ballade d’Horatio semble elle aussi venir d’un « à côté », sans qu’on puisse toutefois le localiser précisément : exemples qui s’insèrent dans une tradition romantique bien établie de ces musiques entendues comme au lointain, wie aus der Ferne. L’éloignement spatial devient ici la marque de la réminiscence, mais aussi de la contemplation, de l’acte de méditation souvent à connotation religieuse suscitée par la musique : ces concerts symphoniques en forme de représentations n’avaient pas d’autre but que de provoquer un état contemplatif chez l’auditeur devenu spectateur, et de nourrir son imagination par des projections d’images 30. Déjà en , Heinrich Christoph Koch avait souligné l’effet produit par un choral entendu au loin, éveillant chez l’auditeur un état d’âme contemplatif, voire un sentiment de solennité ou de recueillement religieux que le choral évoque naturellement : « Le chant choral de toute une communauté, lorsqu’il est entendu à quelque distance, a quelque chose de tellement solennel, et son effet est si puissant et déchirant qu’il peut secouer tout un chacun 31. » La distance créée entre la source énonciative et ce qu’elle énonce génère un espace imaginaire que le spectateur est libre de peupler à sa guise, selon les objets pourvoyeurs d’images qui sont présentés à son entendement : projections de tableaux, pantomimes, texte lu ou déclamé. C’est au cœur de cet espace purement mental que se joue le drame de Lélio – caractéristique qu’il partage d’ailleurs avec le Manfred de Schumann – oscillant entre le présent et le passé (et même un hypothétique futur), entre le réel et l’imaginaire, entre l’expérience autobiographique et la sublimation artistique qui dédouble ses personnages en « personnages réels » et « personnages fictifs ». L’ambiguïté de Lélio repose dans ce double mouvement constant, perceptible à tous les niveaux narratifs et structurels de l’œuvre.


commentateurs, et l’on sait à quel point la conception artistique héritée du formalisme pèse encore au sein d’une musicologie qui considère avec méfiance toute forme d’hybride artistique. L’extramusical, pour être ce qui ne relève pas du texte musical lui-même, est tout ce qui a été ajouté à ce texte afin de mieux en définir le sens. Cet ajout prend le plus souvent la forme d’un texte (mais peut être une œuvre plastique, comme le tableau du Sposalizio de Raphaël qui a donné son titre et sa signification à la pièce homonyme de Liszt) et met en place un processus fondamentalement additionnel, puisque ce quelque chose ajouté à la substance musicale n’y est pas intégré d’emblée (et l’est-il jamais ?) C’est là le débat classique qui oppose l’extramusical au purement musical, et sur cette question une musicologie par trop formaliste a toujours répugné à vouloir établir des liens entre ces deux catégories. C’était déjà cette répugnance qui avait animé Robert Schumann dans son compte rendu de la Symphonie fantastique publiée en  dans la Neue Zeitschrift für Musik. Au-delà des louanges à l’écriture de Berlioz, la critique de Schumann se veut être plus généralement une claire condamnation de tout ce qui relève de l’extramusical, dégradant et corrompant ce qui autonomise l’œuvre musicale en tant qu’objet artistique. Aux oreilles de Schumann, la Symphonie fantastique était de la bonne musique corrompue par un programme l’ayant réduite à un objet sonore dont la signification et la valeur musicales ne sont pleinement saisies que par référence à quelque chose hors de la musique elle-même. Strictement binaire, l’argumentation de Schumann conçoit l’extramusical comme dirigé premièrement contre le purement musical. Or l’extramusical ne va pas sans le purement musical : tous deux se justifient, se nourrissent mutuellement par leur opposition. L’extramusical n’existe jamais autant que lorsqu’il s’oppose au purement musical, et inversement. C’est ce qu’il y a de plus paralysant dans l’instauration d’un tel débat qui continue à opposer ces deux catégories lourdement connotées d’un point de vue historique. Force est de constater que ce débat n’a guère évolué depuis Schumann, suscitant bien plus d’interrogations et de contradictions que de réponses. Ce n’est certes pas le propos que d’expliquer ici ce qui à bien des égards relève d’une dérive interprétative – et le cas de Schumann lisant la Fantastique à travers une esthétique musicale qui n’est pas celle de Berlioz en est


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • THÉÂTRES IMAGINAIRES • MUSIQUES, IMAGES, TEXTES

un parfait cas d’école –, mais il faut souligner que c’est là l’une des raisons du rejet du mélodrame en tant que genre musical « inférieur ». Une grossière déformation métonymique a fait que le débat si typiquement germanique entre l’extramusical et le purement musical a été pris comme emblème du romantisme musical : il importe toutefois de l’intégrer au sein des discours portant sur le pouvoir sémantique de la musique, problématique qui a traversé tout le développement de la musique occidentale, en la considérant dans une perspective historique beaucoup plus élargie, remontant au moins jusqu’à Zarlino 32. Excroissance à la Fantastique, dont la réception depuis sa création a montré qu’elle pouvait largement se suffire à elle-même, Lélio a toujours dû batailler pour justifier son existence. Berlioz l’avait parfaitement compris, en insistant dès  sur l’indissociabilité entre Lélio et la Fantastique. Publiée en , la dernière version du programme de la Fantastique propose un nouveau paragraphe stipulant que « le programme suivant doit être distribué à l’auditoire toutes les fois que la symphonie fantastique est exécutée dramatiquement et suivie, en conséquence, du monodrame de Lélio, qui termine et complète l’épisode de la vie d’un artiste 33. » Or c’est dans ce statut de « vient-ensuite » que réside toute la mauvaise réputation de Lélio, statut qui a souvent fourni une excuse suffisante pour renvoyer l’ouvrage au rayon des curiosa romantiques. « Etrange bric-à-brac où Berlioz a jeté pêle-mêle tous ses fonds de tiroir, faufilés bout à bout par le moyen d’un texte littéraire qui est censé leur servir de lien 34 », Lélio reste un ouvrage en porte-à-faux avec la sacro-sainte règle de l’unité érigée par le canon musical, de par l’hétérogénéité de sa substance poétique et musicale et de par sa structure générale fonctionnant sur le principe de la parataxe 35. Wolfgang Dömling a défendu Lélio comme une œuvre où « en lieu et place des habituels critères comme l’unité dramatique ou la vraisemblance se trouvent le hasard, le souvenir, l’association de départ ; et ceux-ci n’ont besoin ni de fondement ni de justification 36. » Encore Dömling est-il resté bien isolé, et la plupart des commentateurs berlioziens ont toujours laissé poindre leur méfiance envers Lélio, même lorsqu’ils en ont souligné l’exceptionnelle et unique audace, désignant surtout son statut d’œuvre marginale. À l’aune de nos critères actuels, on pourra certes trouver à Lélio un aspect « verbeux »,surtout si l’on part du principe


(erroné) qu’il s’agit d’une œuvre musicale, alors qu’il est tout aussi « verbeux » sur le plan visuel, pour le surplus d’images qu’il suscite. UN PROGRAMME DANS LE PROGRAMME

Lélio apparaît comme un commentaire à ce qui est déjà un commentaire, la Symphonie fantastique, si ce n’est que celui de Lélio possède des dimensions exagérées, telle une glose hypertrophiée et forcément tautologique. L’abondante littérature critique que la Fantastique a suscitée depuis sa création démontre qu’elle n’a pas eu besoin d’être considérée à travers le prisme de Lélio pour exister. Pourtant la problématique de Lélio est intrinsèquement liée à celle de la musique à programme. La succession Symphonie Fantastique-Lélio proposée par le diptyque de L'Épisode de la vie d’un artiste s’ordonne selon le binôme tension-résolution : Lélio offre le dénouement au drame de la Fantastique, il en fournit après coup les clefs. Comme l’a avancé N. Temperley à propos du programme de la Fantastique, « Lélio [est] la clef du problème 37 ». On retrouve dans le tout que forment ces deux ouvrages le principe d’alternance mélodramatique entre texte et musique (Lélio fonctionnant comme un mélodrame où cette structure alternative est démesurément agrandie) : le programme de la Fantastique doit être lu par le public avant de l’entendre, les monologues de Lélio doivent être déclamés avant les épisodes musicaux. Le programme (dès sa première version publiée dans Le Figaro du  mai , en préambule à la première audition qui n’eut pas lieu, jusqu’à la révision de ) s’exprime d’ailleurs clairement sur cette relation hiérarchique entre texte et musique, qui est également celle qui organise la structure de Lélio : Le Compositeur a eu pour but de développer, dans ce qu’elles ont de musical, différentes situations de la vie d’un artiste. Le plan du drame instrumental, privé du secours de la parole, a besoin d’être exposé d’avance. Le programme* suivant doit donc être considéré comme le texte parlé d’un Opéra, servant à amener des morceaux de musique, dont il motive le caractère et l’expression. * La distribution de ce programme à l’auditoire, dans les concerts où figure cette symphonie, est indispensable à l’intelligence complète du plan dramatique de l’ouvrage 38.


Si entre  et  Berlioz a souvent remanié le programme de la Fantastique, il est toutefois resté fidèle à deux tournures langagières sentant fortement son mélodrame : « privé du secours de la parole » et plus encore ce « texte parlé d’un Opéra », version à peine altérée de « l’opéra sans chant » de Pixérécourt. Dans le même ordre d’idées, Berlioz avait encore jugé bon d’ajouter pour la seule version de  le commentaire suivant au Programme (qu’il supprima par la suite) :

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • THÉÂTRES IMAGINAIRES • MUSIQUES, IMAGES, TEXTES

En concevant en termes de complémentarité hiérarchique le rapport texte-musique, Berlioz fait preuve d’une dette certaine à la conception mélodramatique. Il en est bien resté quelque chose dans le diptyque de L'Épisode, où Lélio doit nécessairement suivre la Fantastique, qui elle-même a suivi la lecture du Programme. Fondre dans un même creuset la Symphonie et Lélio, deux ouvrages où texte et musique sont en interaction directe (quoiqu’organisée de manière différente dans les deux cas), peut être compris comme une manière de diminuer la distance générique entre eux. Si par programme interposé la Symphonie suscite dans l’esprit de chaque auditeur un théâtre imaginaire personnel, Lélio s’avère être un théâtre de la même espèce, tout aussi imaginaire, mais qui cette fois ne peut être saisi que d’un unique point de vue, celui de L’Artiste/Lélio. L'Épisode de la vie d’un artiste ne propose pas tant une succession Symphonie fantastique-Lélio, où le mélodrame aurait fonction de « suite et fin » (Berlioz l’avait d’ailleurs défini comme « fin et complément »), qu’une confrontation de plusieurs points de vue : ceux des auditeurs de la Fantastique, et celui unique qui nous est restitué à travers le personnage de Lélio. Le Retour à la vie est tout entier contenu dans la Symphonie, il n’a lieu que parce qu’il tire de celle-ci l’essentiel de sa signification tant poétique que musicale.

 

C’est justement afin de combler les lacunes laissées nécessairement dans le développement de la pensée dramatique par la langue musicale, qu’il [le compositeur] a dû recourir à la prose écrite pour faire comprendre et justifier le plan de la symphonie […] Si les quelques lignes de ce programme eussent été de nature à pouvoir être récitées ou chantées entre chacun des morceaux de la symphonie, comme les chœurs des tragédies antiques, sans doute on ne se fût pas mépris de la sorte sur le sens qu’elles contiennent 39.


« CETTE VOIX QUI RETENTIT OBSTINÉMENT EN MOI »

Le début de Lélio est d’abord une fin, celui du délire d’opium de la Fantastique. La succession de tableaux dans Lélio ne présente pas un déroulement chronologique plus ou moins linéaire, comme on peut l’observer dans des mélodrames comme Medea ou Ariadne auf Naxos : actions qui commencent à un moment donné x et se terminent à un autre moment nécessairement postérieur au temps x (ce qui n’empêche pas au cours du parcours narratif d’avoir des retours en arrière, le plus souvent au début de l’action, soit la nécessaire analepse complétive pour nous permettre de prendre « le train en marche » du récit). L’action de Lélio consiste en un télescopage de plusieurs temps du récit : présent, passé et futur. Il est un vaste monologue où différentes voix, réelles et imaginaires, s’imbriquent en créant des temporalités différentes. Cette action se développe non pas linéairement, mais au sein d’une boucle temporelle qui prend forme dans l’imaginaire de Lélio 40. En partant du déroulement chronologique de Lélio qu’a établi Wolfgang Dömling (Souvenir:n°  – présent:n° 2 et  – futur:n°  – postfutur: n°  – présent: n°  41), le tableau suivant illustre comment l’action de Lélio, en tenant compte de l’épisode de la Fantastique, se déroule en une boucle temporelle revenant sur elle-même:

Tableau 4.B

La présence de l’idée fixe, au début et à la fin de Lélio, et qui n’apparaît que dans la version de , indique d’entrée de jeu que l’action a pour personnage principal cette « étrange persistance d’un souvenir » mentionnée dès le début du tableau:« L’inexorable mélodie retentissant à mon oreille jusques dans ce léthargique sommeil, pour me rappeler son image effacée et raviver la souffrance endormie » (voir tableau 4.C, p. 153). Plus que simple citation servant à lier superficiellement la Fantastique à Lélio, l’idée fixe est investie d’une signification structurelle. C’est d’ailleurs le seul élément musical récurrent de


Lélio, non pas utilisé pour donner un quelconque vernis d’unité à l’ouvrage,mais bien plus pour sa fonction de signal narratif.A la réapparition de l’idée fixe dans le tableau n°  (Ballade du Pêcheur) viendra répondre celle de cette même idée fixe lors de la coda de l’ouvrage (tableau n° ): l’idée fixe marque le retour au temps de départ de la narration, temps réel bien que désormais contaminé par le souvenir. Comme on le verra, l’organisation du tableau n°  joue sur une fin supposée nous ramener à la réalité, mais qui n’est peut-être que le début d’une nouvelle séquence fictive se déroulant dans l’imagination de Lélio (voir exemples 4.1 A et 4.1 B).   EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • THÉÂTRES IMAGINAIRES • « CETTE VOIX QUI RETENTIT OBSTINÉMENT EN MOI »

Exemple 4.1A

H. Berlioz, Lélio, tableau n° 1 « Le Pêcheur », mes. 58-79


Exemple 4.1 B

H. Berlioz, Lélio, tableau n° 6 « Fantaisie dramatique sur la Tempête de Shakespeare », mes. 1-14 (réduction) LA BALLADE DU PÊCHEUR

Le début de Lélio met d’emblée à nu la polyphonie temporelle qui va caractériser ses six tableaux. Dans la version de , le tableau n°  La Ballade du Pêcheur est le plus complexe pour ce qui est de l’envahissement progressif du temps réel par le temps imaginaire. Les différences les plus significatives entre les deux versions de cette scène montrent comment le remaniement des procédés mélodramatiques traditionnels mis en œuvre dans la version de , essentiellement fondés sur la ballade utilisée comme musique synchrone, a permis d’accentuer la coexistence de ces deux temporalités au sein de la même scène. Le début du Retour à la vie marque le retour à la temporalité en apparence normale de la réalité. Ce qui se fait d’une manière aussi simple que théâtrale, par un geste (implicite) de Lélio vers une lettre. L’ARTISTE Dieu ! Je vis encore… […] Ce supplice, ces juges, ces bourreaux, ces pas graves et cadencés, tombant sur mon

L’ARTISTE Dieu ! Je vis encore… […] Ce supplice, ces juges, ces bourreaux, ces pas graves et cadencés, tombant sur mon


cœur comme des marteaux de cyclopes…

La voir l’entendre, elle ! elle !…[…] L’ARTISTE Quelle nuit ! […] Horatio m’aurait-il entendu ?… Non ; voilà encore la lettre d’adieux que je lui avais laissée ; s’il fût entré, il l’aurait prise, et… (Piano, prélude de la ballade) je l’entends ; calme et tranquille, il est déjà à son piano ; il ignore tout.

cœur comme des marteaux de Cyclopes… Et l’inexorable mélodie retentissant à mon oreille jusques dans ce léthargique sommeil, pour me rappeler son image effacée et raviver la souffrance endormie. La voir l’entendre, elle ! elle !… […] LÉLIO Quelle nuit ! […] Horatio m’aurait-il entendu ?… Non ; voilà encore la lettre que je lui avais laissée ; s’il fût entré, il l’eût prise… pauvre Horatio !

e, e et e couplets

e couplet

[fin de la ballade]

LÉLIO Sirène ! Sirène ! Dieu ! Mon cœur se brise ! [sur la musique de l’idée fixe] eet dernier couplet [vers  à ] LÉLIO Oui, oui, je ne l’ai que trop écoutée ! [déclamation sur la conclusion du e couplet et fin de la ballade]

L’ARTISTE Quel étrange hasard !… Cette allusion évidente à mon fatal égarement, cette musique, la voix qui la chante, ne semblent-elles pas me dire que je dois vivre encore pour mon art et pour l’amitié ?

LÉLIO Etrange persistance d’un souvenir ! hélas ! ces vers qui contiennent une allusion évidente à mon fatal égarement, cette musique, cette voix qui retentit obstinément en moi, ne semblent-ils pas me dire que je dois vivre encore pour mon art et pour l’amitié ?

Le Retour à la vie, mélologue (livret de 1832)

Lélio ou le Retour à la vie, monodrame lyrique (livret de 1855)

Tableau 4.C

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • THÉÂTRES IMAGINAIRES • « CETTE VOIX QUI RETENTIT OBSTINÉMENT EN MOI »

[Ballade du Pêcheur. La ballade est jouée en [Ballade du Pêcheur] continu] er couplet er couplet [fin du premier couplet ; la musique s’arrête] LÉLIO L’ARTISTE Je ne me trompe pas, c’est la ballade du Il y a cinq ans qu’Horatio écrivit cette pêcheur de Goëthe, qu’Horatio traduisit, et Ballade imitée de Goëthe et que j’en fis la dont je fis la musique pour lui plaire il y a musique. Nous étions heureux alors ; son quatre ou cinq ans. Nous étions heureux sort n’a pas changé, et le mien… cinq ans ! alors : son sort n’a pas changé, et le mien… que j’ai souffert depuis lors ! (la voix continue)

 

Je crois l’entendre encore si calme et si tranquille, hier à son piano, pendant que je lui écrivais cet adieu suprême… il ignorait les déchirements de mon cœur et ma funeste résolution ; et de sa voix la plus douce, poëte insoucieux des passions cruelles, il chantait sa ballade favorite.


La première version de cette scène (voir Tableau 4.c en page précédente) n’aurait pas déparé au sein d’un mélodrame dans le style de ceux de Pixérécourt. « On » (Lélio, le public) entend un son synchrone, ici un piano hors champ : bien qu’invisible, la source énonciative de la musique n’en existe pas moins pour ce « on », et son invisibilité n’entrave en rien sa qualité strictement fonctionnelle, laquelle s’impose à nos oreilles par des procédés bien établis dans la pratique du langage théâtral. Ainsi de l’irruption de la musique, soigneusement calculée pour interrompre la phrase de Lélio (« il l’aurait prise, et… »), puis le temps verbal de ce « je l’entends », injonction déictique qui confirme ce que nous aussi avons entendu, mais également que Lélio parle d’une musique qu’il est en train d’entendre et dont il est capable d’expliquer la provenance : nous savons, au même titre que Lélio, que c’est Horatio qui joue, puisque nous avons été informés dès le début du tableau que ce personnage n’est sans doute pas très loin, qu’il aurait même pu surgir sur scène aux cris de Lélio durant sa nuit de délire. Même définie de la manière la plus sommaire par une toile cachant le ténor/Horatio et le piano, la scène crée un effet de spatialisation entre Lélio et la musique de la ballade, suffisant pour souligner la qualité synchrone de cette dernière. Le reste de la ballade confirme cette qualité: ses quatre couplets sont chantés intégralement, avec une seule interpolation parlée de Lélio entre le premier et le deuxième couplet.La partition de  donne la ballade entière en continu,sans interruption pour l’enchaînement entre er et e couplets. Il n’y a que deux mesures purement instrumentales entre les couplets, ce qui ne laisse pas suffisamment de temps pour placer la réplique de Lélio. Il est probable qu’un agencement dut être apporté pour les exécutions en concert de la ballade (sans doute une répétition variée de ces deux mesures). Ce début sans mystère a été complètement remanié dans la version de . En supprimant l’amorce musicale du piano (son synchrone qu’entend Lélio), la nouvelle version atténue considérablement l’extériorisation théâtrale de cette scène. La présence de la lettre, qui en  avait servi à fonder la réalité du temps présent, devient ici le prétexte faisant remonter en Lélio le souvenir de la veille, souvenir musical qui dès la fin de son monologue va s’imposer comme tel au spectateur : « Je crois l’entendre […] hier à son piano […] et de sa voix la plus douce […] il chantait sa ballade favorite. »


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • THÉÂTRES IMAGINAIRES • « CETTE VOIX QUI RETENTIT OBSTINÉMENT EN MOI »

La première version présente la ballade comme une musique synchrone qu’entend le protagoniste, et dont la source reste parfaitement identifiable même hors champ. Rien de tel dans la seconde version. D’où vient cette musique et la voix qui la chante ? Sa source énonciative est cette fois impossible à localiser, même hors champ, puisque produit de l’imagination de Lélio. Cette musique devient moins la ballade d’Horatio que celle se faisant l’écho de l’émotion croissante de Lélio qui l’imagine. Alors que la version de  conserve pour l’ensemble de la ballade la même texture pianistique traversée par un mouvement perpétuel de sextolets en doubles croches, celle de  joue au contraire sur un épaississement progressif de la texture : dès le deuxième couplet, les sextolets font place à un trille mesuré en triples croches, puis au troisième couplet à des accords tremolando. La transition entre les couplets a également été modifiée. Pour la deuxième intervention de Lélio (entre les premier et deuxième couplets), les deux couplets ne sont plus enchaînés : une brève coda a été ajoutée à la fin du premier, et la musique s’interrompt pour la tirade de Lélio (« Il y a cinq ans […] ») Quant au « je ne me trompe pas » de la première version, marqueur de la fonction synchrone au même titre que le « je l’entends », devenu dans la seconde version « je crois l’entendre », il ne pouvait plus être conservé. La transition entre les deuxième et troisième couplets est la plus remarquable, avec l’insertion du motif de l’idée fixe qui sonne moins comme une intrusion sonore à la manière d’un « collage » 43 que comme une autre facette de l’imaginaire sonore de Lélio (exemple 4.1 A, p. 151). À l’intérieur de l’espace sonore imaginaire généré par la seconde version, la ballade ne peut désormais être entendue que du seul Lélio : à supposer qu’un autre personnage l’ait accompagné sur scène, celui-ci n’aurait pas pu l’entendre. Bien évidemment, l’accès privilégié de l’auditeur à la ballade n’est possible que parce qu’il est situé hors de la diégèse. Le tableau de  montre Lélio « subissant » la ballade : il ne peut rien faire d’autre que l’écouter, elle est un objet sonore réel sur lequel il n’a aucune prise. Dans la seconde version, projetant sur elle son monde intérieur, Lélio peut désormais mettre en scène la ballade : elle est « cette voix qui retentit obstinément en moi », là où la version de  mentionnait simplement « la voix qui la chante » et en soulignait l’externalité. Si la fonction synchrone


de la musique dans la version de  ancrait solidement le début de Lélio dans le temps réel, la musique de la seconde version permet un passage du temps réel au temps imaginaire autrement plus progressif. Dans la première version, ce n’est que l’intervention de Lélio à la fin de la ballade (« cette musique, la voix qui la chante ») qui va jeter pour la première fois comme un doute sur l’apparente clarté synchrone de la musique ; au contraire, la version de  s’engage plus directement dans la transition temps réel-temps imaginaire en brouillant dès le début de la ballade l’origine de sa source énonciative. C’est essentiellement cette fonction qui sera mise en œuvre dans la seconde version, et qui trouvera même sa plus efficace personnalisation avec la Voix imaginaire de Lélio entendue dans la scène n°  (et qui ne se trouve pas encore dans la version de ). CHANT DE BONHEUR

Alors que le livret de  exigeait pour le rôle de l’Artiste un seul acteur qui fût également chanteur (« Pour l’exécution dramatique, il est indispensable que l’acteur chargé du personnage de l’Artiste réunisse le talent du chant à celui de la déclamation ; sa voix est le premier ténor 44 »), le livret de  a dédoublé le personnage de l’Artiste devenu Lélio. La note introductive du livret précise d’une part que « le rôle de Lélio exige un acteur habile non chanteur », et que d’autre part, pour le tableau n°  Chant de bonheur, on ait « un autre ténor » que celui qui chante la romance du Pêcheur. La désignation est restée volontairement impersonnelle, car ce chant ne doit être qu’une voix : « la voix imaginaire de Lélio » telle qu’indiquée dans le livret et la partition de , là où la version première avait simplement stipulé « l’Artiste chante ». Que Lélio soit donné en version scénique ou non, le changement apporté à la seconde version du tableau du Chant de bonheur est remarquable. Dans ce tableau, Lélio a enfin rejoint l’objet de son amour : projeté dans un futur hypothétique, « [il se voit] dans l’avenir couronné par l’amour » ; d’allégresse, sa voix imaginaire entonne ce Chant de bonheur. Comme on l’a vu, la source énonciative de la voix, parfaitement identifiable dans la première version, ne l’est plus dans la seconde : la voix imaginaire se fait entendre sans se faire voir. Et c’est d’ailleurs pour empêcher tout ce qui pourrait permettre de rattacher cette voix imaginaire à une quelconque source énonciative que Berlioz a ajouté dans la


Il m’a toujours semblé que ce morceau pouvait être le sujet d’une composition musicale pleine d’un grand et sombre caractère. Son souvenir m’émeut en ce moment plus que jamais… Mon instinct musical se réveille… Oui, je l’entends… Quelle est donc cette faculté singulière qui substitue ainsi l’imagination à la réalité ?… Quel est cet orchestre idéal qui chante en dedans de moi ?

(Il médite.) Une instrumentation sourde… une harmonie large et sinistre… une lugubre mélodie… un chœur en unissons et octaves…semblable à une grande voix exhalant une plainte menaçante pendant la mystérieuse solennité de la nuit… (Il semble écouter pendant les premières mesures du morceau suivant. Puis il prend sur une table un volume, l’ouvre et va s’étendre sur un lit de repos, où il reste pendant tout le chœur d’ombres, tantôt lisant, tantôt méditant.) [Chœur d’ombres]

[Chœur d’ombres irritées] Le Retour à la vie, mélologue (livret de 1832)

Lélio ou le Retour à la vie, monodrame lyrique (livret de 1855)

Tableau 4.D

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • THÉÂTRES IMAGINAIRES • « CETTE VOIX QUI RETENTIT OBSTINÉMENT EN MOI »

Il m’a toujours semblé que ce morceau pourrait être le sujet d’une composition musicale pleine d’un grand et sombre caractère. Je n’y suis que trop bien disposé en ce moment… Déjà je sens se mettre en jeu, malgré moi, la singulière faculté dont je suis doué de penser la musique si fortement, que j’aie pour ainsi dire à mes ordres des exécutans imaginaires qui m’émeuvent comme si je les entendais en réalité. Souvent c’est l’effet de la réflexion ; quelquefois de mon imagination enflammée ; l’orchestre idéal part alors comme la foudre, sans qu’il me soit possible de régler ses mouvements. (Il médite.) Ici… oui… il faut une instrumentation sourde… une harmonie large et sinistre… une large mélodie… une lugubre mélodie… un chœur sans harmonie, par octaves… en langue étrange, semblable à une grande voix émanée d’un monde inconnu, incompréhensible pour nous.

 

partition de  la note suivante : « Il vaut mieux pour ce morceau avoir un autre ténor que celui qui a chanté la Ballade, Lélio étant censé entendre sa propre voix. » La Nota placée en tête du livret de cette version précise bien que « l’orchestre, le Chœur et les chanteurs invisibles doivent être placés sur le théâtre, derrière la toile ». Le livret de  donne simplement « l’orchestre et les chœurs invisibles doivent être placés sur le théâtre, derrière la toile », mais il peut s’agir d’un simple oubli. Bien que mentionnée pour la première fois dans le tableau n° , la «Voix imaginaire de Lélio » est pourtant intervenue auparavant. C’est celle-ci qui déjà se profile dans le tableau n° , durant lequel Lélio, après avoir évoqué le « discours du spectre Royal, dévoilant au jeune Hamlet le crime qui l’a privé de son père », laisse place au Chœur des ombres, une composition qui lui a été inspirée par cette page :


La version de  met en scène un Lélio plutôt bavard et dissertant sur son propre acte compositionnel et sur la matière musicale qui sort de son imaginaire créateur (« Ici… oui… il faut une instrumentation sourde… ») dont il dissèque à froid le processus. Celle de  montre au contraire un personnage progressivement soumis à l’emprise d’un souvenir musical d’une force irrépressible qu’il ne peut que subir, et à laquelle il lui est impossible de s’y soustraire. « Quelle est donc cette faculté singulière qui substitue ainsi l’imagination à la réalité ?… Quel est cet orchestre idéal qui chante en dedans de moi ? » Désormais Lélio se fait spectateur de ce qui apparaît déjà être sa voix imaginaire. La version de  a considérablement renforcé cet aspect par l’ajout de didascalies pantomimiques (inexistantes dans la version primitive) à de tels moments cruciaux où entre en scène laVoix imaginaire. Dans le tableau n° , une didascalie pantomimique montre Lélio spectateur de son propre Chant de bonheur : « Il s’assied près de la table sur laquelle il s’accoude plongé dans sa rêverie, pendant l’exécution du chant de bonheur ». C’est une attitude similaire que requérait déjà la didascalie concernant le jeu de Lélio durant le Chœur d’ombres, qui renforce elle aussi ce sentiment de dédoublement ; ou encore dans le tableau n° , lorsque Lélio s’imagine devenu brigand quelque part « dans le Royaume de Naples ou dans la Calabre », et se livre à une pantomime (version de  seulement) durant la chanson du capitaine des brigands, laquelle « exprime la part qu’il prend en imagination à la scène qu’il croit entendre. » Le brouillage de la source énonciative qui s’observe dès le tableau n°  est le mécanisme essentiel de la stratégie mélodramatique de Lélio dans la version de . Elle rend possible les confrontations de Lélio, le personnage monologuant principal, avec autant de « lui-mêmes » pouvant revêtir les atours les plus divers de personnages définis comme fictifs, parmi lesquels sa propre voix imaginaire. LA HARPE ÉOLIENNE — SOUVENIRS

Dans le parcours temporel « en boucle » de Lélio, la progression dramatique trouve son acmé lors du tableau n°  La Harpe éolienne – Souvenirs (intitulé Les derniers soupirs de la harpe dans la version de ), cet épisode étant celui situé au point le plus éloigné du temps présent qui ouvre et conclut l’ouvrage. À propos de la musique de cette Harpe éolienne,Wolfgang Dömling a évoqué des « réminiscences exprimées par une tierce partie » se déroulant


EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • THÉÂTRES IMAGINAIRES • « CETTE VOIX QUI RETENTIT OBSTINÉMENT EN MOI »

Exemple 4.2 A

H. Berlioz, Lélio, tableau n° 4 « Chant de bonheur », mes. 1-14 (Violons I)

 

dans un temps qu’il a désigné comme un « post-futur », le futur rêvé du tableau n°  Chant de bonheur étant désormais perçu dans le tableau n°  au passé 45. Le tableau n°  est un commentaire du tableau n°  : commentaire musical, dont il partage la même substance thématique. Dömling n’a pas cherché à expliquer ce qu’il entendait par son expression prudemment imprécise de « tierce partie » exprimant les réminiscences du tableau n° . En terme de narration mélodramatique, cette « tierce partie » s’apparente à une voix ; mais qui l’énonce ? Bien qu’étant une page purement instrumentale, La Harpe éolienne possède pourtant bien une voix, parvenant même à se faire entendre comme telle par un tour de passe-passe purement instrumental : il s’agit de la clarinette faisant réentendre le motif mélodique des premiers violons joué durant l’introduction du tableau n° . À la manière d’un souvenir, cette clarinette ne reproduit qu’imparfaitement ce motif : il réapparaît étiré par des silences (mes. 13, 17-19, 21-22), ajoute un nouvel ornement en triolets (mes. 14), se brise encore une fois sur un dernier silence (mes. 23) avant de se terminer (voir exemples 4.2 A et 4.2 B).


Exemple 4.2 B

H. Berlioz, Lélio, tableau n° 5 « Les derniers soupirs de la harpe », mes. 10-23 (réd.)

Cette voix a-sémantisée n’en est pas moins porteuse d’une signification bien établie par le monologue qui la précède, et durant lequel Lélio s’est projeté dans un futur hypothétique, après sa propre mort, imaginant comment son ami viendrait creuser sa tombe, et comment il suspendrait [aux] rameaux [d’un chêne] la harpe orpheline, qui doucement caressée par le sombre feuillage, exhalerait encore un reste d’harmonie. A ce funèbre concert, sa mémoire fidèle mêlant le souvenir de mon chant de bonheur, ses larmes couleraient, et il sentirait dans ses veines un frisson inconnu, en songeant au temps… à l’espace… à l’amour… à l’oubli!

suspendrait [aux] rameaux [d’un chêne] la harpe orpheline, qui doucement caressée par le sombre feuillage, exhalerait encore un reste d’harmonie. Le souvenir de mon dernier chant de bonheur se mêlant à ce concert funèbre ferait couler ses larmes, et il sentirait dans ses veines un frisson inconnu,en songeant au temps… à l’espace… à l’amour… à l’oubli!

Le Retour à la vie, mélologue (livret de 1832)

Lélio ou le Retour à la vie, monodrame lyrique (livret de 1855)

Tableau 4.E


SUR LA TEMPÊTE DE SHAKESPEARE

Dans le tableau n° , la dernière occurrence de l’idée fixe reproduit une boucle temporelle inverse à celle qui caractérise l’ensemble de Lélio. Ce n’est pas un temps imaginaire qui est inscrit dans cette boucle, mais un temps réel durant lequel Lélio dirige sa Fantaisie sur la Tempête de Shakespeare. Sortant progressivement du délire mélancolique de la Harpe éolienne, Lélio semble choisir définitivement la vie à la mort, la réalité à la fuite imaginaire : « Mais pourquoi m’abandonner à ces dangereuses illusions ? […] La mort ne veut pas de moi […]Vivons donc ! » C’est l’heure de la répétition : musiciens et choristes arrivent pour exécuter l’esquisse d’une de ses compositions, la Fantaisie dramatique sur la Tempête de Shakespeare. « [Lélio] sort, la toile se lève. Au lever de la toile, les Musiciens sont déjà sur leur estrade, mais le Chœur s’avance un peu sur le plancher […] Lélio entre alors et dit : Laissez la place pour le Piano ! » En effet « la toile se lève » sur les musiciens et les choristes « réels », ainsi que définis dans la rubrique des dramatis personae. Sur cette scène qu’on vient de découvrir, Lélio, après quelques ordres donnés aux musiciens, va diriger sa Fantaisie – ce qui par ailleurs pose un intéressant problème pour

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • THÉÂTRES IMAGINAIRES • « CETTE VOIX QUI RETENTIT OBSTINÉMENT EN MOI »

FANTAISIE DRAMATIQUE

 

Le changement textuel de la version de  peut sembler minime, mais il ajoute une nuance subtile en diminuant la distanciation entre le personnage réel de Lélio et la projection de lui-même dans un futur imaginaire. La version de  introduit « le souvenir de mon chant de bonheur » en tant que complément passif. Il n’est qu’émanation de la mémoire de l’ami fidèle, ce dernier étant le sujet actif narré de ce monologue. Dans la version de , ce même « souvenir de mon chant de bonheur » est dorénavant investi d’une fonction plus active : telle une nouvelle voix imaginaire d’un Lélio désormais disparu, le souvenir devient lui-même personnage et sujet agissant de la phrase. Désincarnée au point de perdre la parole, la voix purement instrumentale du « souvenir de mon chant de bonheur » est bien au cœur dramatique du mélodrame de Lélio : le souvenir est ce qui cimente la matière musicale et poétique non seulement de Lélio mais aussi de la Fantastique.Au même titre que les pérégrinations de l’idée fixe, il agit tel un pôle magnétique qui n’a de cesse d’attirer l’Artiste/Lélio depuis le début de l’ouvrage.


ladite réalisation scénique. Qui dirige l’orchestre ? L’acteur incarnant Lélio, qui doit donc également être chef d’orchestre ? Avant que le rideau ne se lève, l’acteur doit quitter la scène. On peut alors imaginer un subterfuge et faire entrer ensuite un chef d’orchestre en Lélio – mais avant de diriger l’orchestre, Lélio doit encore s’adresser aux musiciens et aux choristes. Une fois la Fantaisie terminée, la toile s’abaisse à nouveau, geste qui toutefois ne termine pas l’ouvrage, mais en amène la coda conclusive qui se jouera devant la toile sur l’avant-scène. Il est plus que facile de voir dans ce geste une mise en abyme de la représentation théâtrale – en révélant son dispositif dans ce qu’il a de plus emblématique, Lélio met à nu l’illusion même de celuici, et plus précisément la tromperie qu’est ce moment de réalité supposée, qui n’est qu’un morceau de fiction inséré dans sa propre fiction. Mais ce lever de toile est encore investi d’une signification directement agissante sur la cohérence temporelle de Lélio. Si les lever et baisser de rideau ont pour fonction habituelle d’encadrer la représentation fictive, la toile de Lélio encadre un moment de réalité supposée au sein de la fiction, ou pour le moins un moment de réalité qui nous est donné à voir et à entendre comme tel.Au même titre que le début de Lélio s’ouvrait sur une fin, sa véritable conclusion (coda du tableau n° ) est elle-même amenée par un simulacre de fin et se termine sur un dernier geste musical qui est l’idée fixe. La nature de ce geste fait qu’il peut être interprété non pas tant comme un début que comme un recommencement, ou pour le moins comme un vaste geste réflexif englobant désormais la totalité de Lélio dans une boucle dont les tenants et aboutissants sont l’univers sonore de la Fantastique : univers symbolisé par la voix imaginaire de Lélio que restitue l’« orchestre idéal » décrit par Berlioz, et se mêlant aux derniers mots de Lélio sous la forme de l’idée fixe (exemple 4.1 B, p. 152).

Bien qu’elle nous reporte au point de départ afin de rétablir la temporalité réelle, la conclusion de Lélio est elle-même irrésistiblement contaminée par le souvenir musical, véritable obsession de Lélio, dont le drame s’apparente à une monstrueuse hypermnésie musicale. Le souvenir est musique parce que la musique est le souvenir même, comme elle l’est pour le personnage de l’accordéoniste du pays de l’Oubli dans Juliette ou la Clef des Songes de Carné, et qui jamais ne prend la parole sans s’accom-


pagner de son instrument aux vertus mnémoniques : « Moi je n’ai pas tout oublié, pas tout perdu… Les choses me reviennent, quand je joue ; ce sont les souvenirs de mon accordéon ; et quand je le presse, il me semble que je les vois qui sortent. »

UN DRAME SANS DRAME : LA SCÈNE FANTASMAGORIQUE DE MANFRED

  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • THÉÂTRES IMAGINAIRES • UN DRAME SANS DRAME

Bien que faisant recours à des procédés mélodramatiques fort différents, Manfred de Schumann offre des points d’apparentement avec Lélio. Au-delà du fait que les deux œuvres furent représentées à trois années d’intervalle au Hoftheater de Weimar sous la direction de Franz Liszt (composé en , Manfred y fut créé en  ; la seconde version de Lélio en ), ces deux œuvres présentent une ambiguïté similaire quant à leur nature dramaturgique : drames scéniques ou non ? La première version de Lélio maintenait comme volontairement l’absence de toute réponse tranchée – ce qui pouvait aussi être mis sur le compte d’une certaine indécision de la part de Berlioz face à son œuvre, laquelle dut attendre l’expérience décisive de  pour le faire pencher en faveur d’une version explicitement conçue pour la scène. Mais le doute subsiste dans la seconde version, justement comme écho du drame purement mental que vit Lélio, et où l’espace scénique est constamment redessiné par la musique elle-même, souvent in absentia (la ballade d’Horatio nous parvient d’un espace que nous ne pouvons percevoir). La musique constitue le véritable lieu de la scène imaginaire de Lélio, et c’est aussi celui de Manfred. Déjà dans sa structure, le poème homonyme de Byron (rédigé entre  et ) narre une action qui n’en est pas une, présentée en une série d’épisodes contemplatifs, tels des tableaux situés dans des paysages alpestres et des espaces fantasmagoriques incitant à une visualisation du texte, et où domine le discours monologique de Manfred.Tant Lélio que Manfred répartissent les différents rôles en deux catégories, celles des personnages « réels » et « imaginaires » (nommément mentionnés comme tels chez Berlioz), et leurs héros respectifs sont en proie à une obsession identique, celle d’un objet perdu qu’ils tentent de retrouver : un souvenir pour Lélio, une voix pour Manfred. Et comme dans la partition


de Berlioz, l’obsession de Manfred est restituée par la musique. Manfred nous présente in medias res le héros en proie à une nostalgie indicible, provoquée par un profond sentiment de culpabilité dont nous ignorons la cause exacte, mais qui semble lié à la mort d’Astarté, femme que Manfred a « aimée et détruite » – Astarté s’est probablement donné la mort, mais le poème ne fournit pas d’explication précise. La quête de Manfred le mènera dans les Alpes suisses, à la recherche du fantôme d’Astarté qui lui apparaîtra sous la forme d’un esprit à la fin du deuxième acte, tandis que dans le dernier acte, Manfred s’éteint en paix, enfin délivré de son remords. Conçu comme « dramatic poem » par Byron, qui souhaitait expressément que son texte ne fût pas porté à la scène, Manfred est caractérisé par une ambivalence générique qu’on retrouve dans la partition de Schumann, elle aussi présentée comme « dramatisches Gedicht mit Musik 46 », poème dramatique avec musique. Le compositeur n’a que très légèrement réadapté la traduction allemande du poème de Byron par Karl Adolf Suckow (publiée en ), et dans son ensemble la partition de Manfred semble refléter certains des soucis de Byron. Quelques mois avant la première de l’ouvrage sous la direction de Liszt à Weimar, les  et  juin , Schumann s’était montré très clair sur ce que son Manfred ne devait pas être : « Il faudra que Manfred soit annoncé au public non pas comme étant un opéra, un singspiel ou un mélodrame, mais en tant que “poème dramatique en musique”. Cela devrait être quelque chose de totalement nouveau et inouï » écrit-il à Liszt le  novembre . Cela dit, Schumann ne s’était pas montré aussi rétif que Byron envers l’idée d’une représentation scénique ; on ne peut cependant guère en dire plus, la maladie ayant empêché le compositeur d’assister à la première de l’ouvrage qu’il ne vit donc jamais. Pour qui connaît le poème Manfred, la farouche opposition montrée par Byron à toute représentation de son texte peut certes étonner, tant celui-ci reprend à son compte les attributs extérieurs propres à une pièce de théâtre, de la liste des dramatis personae à sa didascalie initiale qui accentue d’entrée de jeu la dimension visuelle du poème : « The Scene of the Drama is amongst the higher Alps – partly in the Castle of Manfred, partly in the Mountains [La scène du drame se trouve dans les hautes Alpes, en partie dans le château de Manfred, en partie dans les montagnes] 47. » Ce


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • THÉÂTRES IMAGINAIRES • UN DRAME SANS DRAME

décor ne fait qu’inaugurer d’une série de vues alpestres qui vont caractériser la plupart des scènes suivantes : la Jungfrau puis une maisonnette dans les Alpes bernoises pour la scène  de l’acte II, ou encore une basse vallée alpine et une cascade pour la scène  de l’acte II 48. Tout en effet dans le poème de Byron, tant sur le plan du contenu que de la forme, revendique une représentation scénique : divisé en quatre actes, le poème invoque les différentes voix des dramatis personae sous forme de monologues et de dialogues. Il semble que le souci majeur de Byron fut d’éviter un amalgame entre son Manfred, tout de même empli de magiciens, apparitions et autres esprits, et les œuvres issues de la vogue du théâtre populaire anglais des années -. Ce répertoire était alors saturé de fantasmagories gothiques privilégiant scènes de sabbat et autres chevauchées nocturnes, mais aussi de grandiloquents paysages alpestres qu’on montrait par des dioramas et autres moyens de projection panoramique inspirés du principe de la lanterna magica, et dont l’impression de profondeur pouvait même parfois créer l’illusion d’une troisième dimension. L’effet de ces projections était parfois achevé par l’adjonction d’un accompagnement musical – ce que nous avons déjà mentionné précédemment, au sujet de la dramatisation de l’appareil instrumental (idéalement l’orchestre symphonique), par des procédés qui trouvent leur origine dans les divertissements parathéâtraux de la seconde moitié du XVIIIe siècle 49. La scène de la Gorge-auxLoups du Freischütz de Weber, avec son cortège d’apparitions spectrales décrite dans le livret de Kind et ainsi représentée dès les exécutions de l’œuvre en  à Dresde (une année après la création berlinoise) est un autre rejeton de ces pratiques que Weber connaissait fort bien – Wagner saura plus tard s’en rappeler pour l’apparition du vaisseau-fantôme dans l’opéra homonyme 50. Malgré ses préventions envers toute forme de représentation théâtrale, Byron ne put empêcher son Manfred de tomber entre les griffes de la scène qui eut vite fait de transformer son poème en une succession de tableaux essentiellement visuels – avec le support indispensable de la musique. Dans un récent article, Laura Tunbridge a étudié le Manfred de Schumann à la lumière de la musique de scène du compositeur anglais Henry Bishop, réalisée en  pour des représentations de Manfred à Covent Garden 51.


Le Manfred de Bishop avait été pour l’occasion affublé du soustitre de « A Choral Tragedy », et le journal Era avait décrit les représentations en ces termes : « Manfred […] ne doit pas être regardé comme une pièce de théâtre, mais purement comme un poème avec des illustrations panoramiques […] Aucun visiteur ne doit s’attendre au plaisir que peut procurer un drame passionnant, devant se contenter en lieu et place de cela d’une succession de tableaux poétiques 52. » Ce défilement visuel était effectif dès la scène initiale, où l’apparition successive des six esprits faisait l’objet d’un tableau accompagné d’une « symphonie », à la manière d’un kaléidoscope tant visuel que sonore. C’est cette succession qui caractérisait déjà la scène de la Gorge-aux-Loups du Freischütz (dans son essai « L’image monde du Freischütz », Adorno avait judicieusement rappelé que l’invention du kaléidoscope était contemporaine de la création du Freischütz 53). La dette du Manfred de Byron à l’égard de l’esthétique du drame gothique anglais est transparente – comme par exemple le prénom du héros, probablement tiré du roman gothique Le Château d’Otrante de Horace Walpole (), ou encore l’univers fantasmagorique d’Arimanès siégeant sur un globe de feu et entouré d’esprits, que Manfred visite dans la scène  de l’acte II, et qui a pu être inspiré à Byron par des pages du Vathek de Beckford (). Peu de temps avant que Byron ne se fut attelé à la rédaction de Manfred, le poète Coleridge avait lui-même appliqué des procédés propres à la fantasmagorie gothique du théâtre populaire anglais dans sa pièce Remorse (publiée originellement sous le titre Osorio) jouée à Londres au Drury Lane Theatre en janvier . Mais s’il est aisé de décoder l’univers théâtral de Manfred à travers une pratique bien établie, il est tout aussi facile de déterminer en quoi le poème de Byron ne se prêterait pas idéalement à une représentation théâtrale, tant son action se caractérise par un statisme dramatique qui va à l’encontre des critères que ce type de drame requiert : coups de théâtre, rebondissements, rythme narratif rapide. Si Manfred possède les signes extérieurs d’une pièce théâtrale, on peut tout autant le concevoir comme un long monologue du rôle-titre étalé sur trois actes, et sur lequel viennent parfois se greffer d’autres voix dialoguantes de personnages secondaires : le chasseur de chamois, l’abbé de Saint Maurice, Manuel et Herman, mais aussi celles


Invoquant au début du premier acte les esprits, Manfred leur demande de lui donner ce à quoi il tend le plus ardemment : forgetfulness, l’oubli. « Of what – of whom – of which ? [De quoi, de qui, et pourquoi ?] » demande le premier esprit : « Of that which is within me [De ce qui est à l’intérieur de moi] » répond Manfred, « and I cannot utter it [et je ne peux le dire] 55. »

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LA VOIX PERDUE DE MANFRED

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des personnages fantastiques, comme la sorcière des Alpes, Arimanès, Némésis et les différents esprits. La première rencontre de Manfred avec le chasseur de chamois (I2), traitée musicalement par Schumann dans le n°  « Alpenkuhreigen », est révélatrice de ce qui continue à être un monologue de Manfred, entrecoupé par quelques répliques du chasseur, avec lequel d’abord il ne dialogue pas : l’essentiel de la scène se passe comme si Manfred et le chasseur se déplaçaient sur deux niveaux différents de réalité et de perception, qui ne finissent par se rejoindre qu’à la toute fin de la scène. Le chasseur n’est d’abord pas vu de Manfred et la didascalie de Byron précise même que celui-ci « ne […] perçoit pas » le chasseur ; puis lorsque le chasseur l’interpelle pour l’empêcher d’aller plus loin, Manfred « ne l’entend pas 54. » Les autres personnages non fantastiques « dialoguant » avec Manfred sont des voix secondaires au même titre que la nourrice dans Hérodiade, la gouvernante et les enfants dans Medea, ou celle de l’Océanide dans Ariadne auf Naxos : ils sont bien plus témoins et spectateurs des paroles et des actes de Manfred, alors que les protagonistes agissant en interaction avec lui sont au contraire des personnages fantasmagoriques, dont l’immatérialité en fait autant de voix imaginaires ne trouvant leur source que dans l’esprit du héros. Cette polyphonie de voix imaginaires caractérise le poème dramatique « sans scène » de Manfred, ce que le traitement musical mélodramatique permet de magnifier. On retrouve ici une situation emblématique du mélodrame, vérifiée depuis le Pygmalion de Rousseau, et qui se cristallise idéalement dans la forme du monologue. Au même titre que Lélio, la partition de Schumann traite le poème de Byron comme un immense monologue intérieur scindé en une multiplicité de voix, requérant comme représentation scénique un espace avant tout imaginaire.


Manfred porte en lui une voix qu’il ne peut ou ne veut faire sortir, incapable d’exprimer par sa bouche ce qui lui pèse tant. « Let thy lips utter it [Laisse tes lèvres le prononcer] », lui dit la fée des Alpes (« The Witch » chez Byron, « Die Alpenfee » dans la traduction de Suckow) : « Well, though it torture me, ‘tis but the same ; my pang shall find a voice [Eh bien, quoique cela me torture, c’est toujours la même chose : mon remords trouvera une voix] 56. » Plus loin dans cette même scène, le lien entre le remords et cette voix qu’il lui faut trouver se fera plus explicite : Astarté y est décrite par Manfred comme ayant partagé avec lui les mêmes traits du visage, les mêmes pensées, et surtout la même voix. Une sœur en esprit, et peut-être de sang : « She was like me in lineaments — her eyes,| Her hair, her features, all, to the very tone| Even of her voice, they said were like to mine [Elle était comme moi dans ses caractéristiques — de ses yeux, de ses cheveux, de ses traits, de tout, même du son de sa voix, l’on disait qu’il était comme le mien] 57 ». Il est remarquable que cette scène, qui nous montre un homme que le remords a rendu littéralement sans voix, n’a pas été mise en musique par Schumann. Les commentateurs byroniens ont déjà beaucoup glosé sur ce sentiment qui accable Manfred, en faisant le lien entre le poème et la relation incestueuse que Byron avait entretenu avec sa demi-sœur Augusta Leigh. On peut donc voir dans la quête de Manfred une tentative pour sublimer cet inceste en retrouvant la voix d’Astarté, comme un symbole réinstaurant une relation fusionnelle avec celle-ci 58. Le traitement musical choisi par Schumann pour ce dernier personnage, qui apparaît dans la deuxième partie de la partition (n°  « Beschwörung der Astarté » et n°  « Manfreds Ansprache an Astarté ») a fait l’objet des deux études récentes, celle mentionnée plus haut de Laura Tunbridge () et celle d’Elizabeth Paley (). Partiellement révélée par son titre (« “La voix qui était ma musique” : discours musical narratif et non narratif dans le Manfred de Schumann »), la thèse d’Elizabeth Paley est que « la musique devient un symbole pour la voix d’Astarté », mais que cette musique n’est aussi que la « projection de la psyché narcissique » de Manfred 59. Ce que Paley illustre en faisant un sort tout particulier à un passage précis du n°  de la partition de Manfred (« Beschwörung Astartés », traité mélodramatiquement). Au moment précis où Némésis demande à Astarté de parler, un motif mélodique en mi bémol majeur joué aux premiers violons s’in-


terrompt sur la dominante : on s’attendrait à ce qu’Astarté parle dans ce silence, mais elle reste silencieuse. Ne réussissant pas à la faire parler, Némésis s’en remet à Arimanès : « Gehorche diesem Scepter, Geist ! [Obéis à ce sceptre, esprit !] », déclame-t-il sur la musique, qui se résume ici à une brève séquence de deux mesures en mi majeur (V-I), introduisant le n°  de la partition (« Manfreds Ansprache an Astarté » ; voir exemple 4.3).



EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • THÉÂTRES IMAGINAIRES • LA VOIX PERDUE DE MANFRED

Selon E. Paley, la voix d’Astarté est une voix silencieuse, qui se fait entendre in absentia après la dominante de mi bémol mineur (mes. ). Notre oreille, explique-t-elle, ne peut pas ne pas résoudre la dominante, aussi résolvons-nous mentalement cette cadence interrompue en imaginant l’accord de tonique. Ce silence serait donc musique, mais aussi la voix d’Astarté, voix que Manfred toutefois ne peut pas entendre : « Manfred n’entend pas la résolution en mi bémol mineur parce qu’il ne peut pas l’écouter. […] La musique tue d’Astarté semble nous dire que les morts peuvent parler, à condition que nous sachions comment les entendre 60. » Mais d’une part cette lecture se fonde sur une écoute excessivement structuraliste selon laquelle un accord de dominante implique nécessairement une résolution, que celle-ci soit effective ou non, et d’autre part elle ignore purement et simplement l’alternance séquentielle caractéristique du mélodrame qui crée le continuum entre musique et texte. Il n’y a donc pas vraiment de « vide » après cet accord de dominante, dans la mesure où celui-ci est rempli par une séquence parlée entre Manfred et Némésis : ce qui montre que l’analyse de Paley traite la partition de Manfred de manière abstraite, sans non plus tenir compte de l’imbrication texte-musique et surtout de sa restitution. Laura Tunbridge a répliqué à cette interprétation, mettant au contraire l’accent sur ce que Paley n’a pas commenté, à savoir la très brève séquence musicale suivante (deux

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Exemple 4.3

R. Schumann, Manfred, 2e partie, fin de la scène 10, mes. 15-16 (réduction)


mesures) sur laquelle parle Arimanès, en mi majeur (mes. -). Selon Tunbridge, ce qui importe ici n’est pas l’accord irrésolu de dominante et la résolution mentale qu’il implique, mais l’abrupt passage entre la dominante de mi bémol mineur et celle de mi majeur (la séquence parlée entre les deux séquences musicales ne cache pas la transition abrupte entre ces deux tonalités). Reste que là aussi, cette lecture ne tient pas non plus compte des répliques parlées de Manfred et de Némésis qui sont intercalées entre la succession V (mi bémol min.) et V (mi maj.). Selon Tunbridge, si la résolution en mi bémol mineur ne se fait pas entendre, ce n’est pas parce que la voix d’Astarté est une musique située au-delà de ce que Manfred peut saisir, comme l’avance Paley, mais tout simplement parce que cette voix n’existe pas, ou pour le moins parce qu’elle n’est qu’une illusion, un mirage sonore. Toute la séquence suivante (n°  « Manfreds Ansprache an Astarté »), durant laquelle Manfred tentera de dialoguer avec Astarté, se déroule dans des tonalités diésées, qui sont celles d’Arimanès : « Le passage suivant, incluant ceux durant lesquels Astarté parle, reste du côté des harmonies diésées commandées par Arimanès. La distinction rend la voix [d’Astarté] fausse 61. » Cette idée d’une voix fausse car inexistante est à dire vrai fort séduisante dans la mesure où elle valide l’idée qu’Astarté n’est qu’une projection de l’esprit de Manfred (ce qu’illustrait déjà le texte seul de Byron). En effet le n°  de la partition joue sur l’identité sonore des deux personnages.Tant Manfred qu’Astarté s’y expriment de manière identique, en déclamant constamment sur la musique (après la dernière invocation de Manfred : « Die Stimme, die Musik mir war, — o sprich ! [La voix, qui était ma musique, — ô parle !] ». Rien dans le flot constant de cette déclamation en musique ne permet de différencier les tirades d’Astarté de celles de Manfred : la musique permet à Manfred d’être enfin uni à Astarté. « Mehr ! Ich lebe in deiner Stimme Ton [Plus encore ! Je vis dans le son de ta voix] » s’exclame Manfred après la première réplique d’Astarté. La voix d’Astarté est celle de Manfred, la voix de Manfred celle d’Astarté (voir exemple 4.4).


 Exemple 4.4

UNE VOIX OU DES VOIX ?

Intrinsèquement ambiguë dans sa représentation sonore, la voix d’Astarté peut fort bien n’être qu’une illusion, une émanation de l’esprit même de Manfred, comme l’est la Voix imaginaire de Lélio. Cette ambiguïté caractérisait déjà les répliques en écho d’Ariane aux paroles de Thésée, ou encore les quelques mots de Galathée qui ne font que reprendre ceux de Pygmalion. C’est une lecture qui semble donner raison à la version de concert de ce même Manfred, exécuté avec chœurs et un seul récitant pour le texte non chanté, et qui fut très populaire à la fin du XIXe siècle et au début du XXe en Allemagne. Dans un article consacré aux diverses réalisations scéniques du Manfred de Schumann aux États-Unis et en Allemagne depuis la création de l’œuvre, Ardelle Striker a démontré que deux grandes traditions s’étaient rapidement mises en place. La première était dans le droit sillage de ce que Schumann avait expressément souhaité pour la création de Weimar en , consistant à faire représenter Manfred

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • THÉÂTRES IMAGINAIRES • LA VOIX PERDUE DE MANFRED

On ne saurait d’ailleurs parler de dialogue pour cette scène, les répliques d’Astarté fonctionnant comme de brèves ponctuations aux paroles de Manfred, lequel ne réussit jamais à établir un échange avec la voix d’Astarté. Celle-ci sonne bien plus comme un écho, avec ses répliques qui ne sont pas tant des amorces à un dialogue que des invitations à le conclure (« Leb’ wohl ! » lui lance-t-elle par trois fois avant de disparaître sur un ultime « Manfred ! »)

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R. Schumann, Manfred, 2e partie, scène 11, mes. 36-42 (réduction)


avec plusieurs acteurs pour les différents rôles. En revanche la seconde pratique fut lancée par la publication en  chez Breitkopf & Härtel du livret allemand de Manfred révisé par Richard Pohl : sous cette nouvelle forme, la partie poétique était restituée par le concours d’un seul récitant personnifiant tous les caractères et qui devait également lire entre les numéros musicaux des « Zwischenreden » (textes de liaison), sortes d’entractes verbaux destinés à résumer l’action du poème original et permettant de lier les séquences musicales entre elles tout en se passant des scènes dialoguées. On trouve un précédent similaire dans un document intitulé Beethoven’s Zwischenakte zu Göthe’s Egmont mit declamatorischer Begleitung [Entractes de Beethoven pour l’Egmont de Goethe avec accompagnement déclamé] rédigés par Friedrich Mosengeil et publiés en  à l’occasion d’une exécution de concert d’Egmont à Leipzig. Il avait été nécessaire d’adapter la pièce de Goethe pour pouvoir la jouer sous forme non scénique, sans pour autant évacuer complètement le drame de la musique – ce fut ainsi qu’Egmont fut joué le  décembre  à Vienne dans un concert à la mémoire de Goethe et de Beethoven. Selon Mosengeil, ce nouveau livret, destiné à être récité par un seul récitant (seules les parties chantées par Klärchen restaient confiées à un soprano), devait permettre à la musique de scène d’être jouée en concert sans pour autant qu’elle perde de son impact dramatique : Les incomparables entractes que Beethoven a composés pour cette tragédie perdraient une grande partie de leur effet si on les jouait comme musique de concert, et ce tant que la représentation de la pièce ne puisse pas être remplacée par un moyen artistique pouvant restituer l’unité poétique du tout. – C’est à cet effet que les morceaux de déclamation suivants ont été conçus, faisant connaître cette grande peinture dramatique du dehors comme du dedans, et par là une esquisse faisant surgir la réminiscence vivante des moments principaux suffit 62.

Le livret de Mosengeil fut à nouveau publié en  chez Breitkopf & Härtel (également éditeur des Zwischenakte de Pohl pour Manfred). La démarche de Pohl pour le Manfred de Schumann fut motivée par des fins similaires : permettre à l’ouvrage d’être joué sans pour autant faire appel à un appareil scénique et à plusieurs acteurs. Les adaptations de Mosengeil et de Pohl ont donc réduit


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • THÉÂTRES IMAGINAIRES • LA VOIX PERDUE DE MANFRED

les textes originaux en supprimant les scènes dialoguées entre plusieurs personnages au profit d’épisodes déclamés par un seul récitant, qui peut utiliser soit le style indirect, soit le style direct pour restituer les paroles des personnages agissants. Avant les représentations de Weimar en , Schumann, pourtant partisan d’une réalisation scénique, avait plus d’une fois eu l’occasion de confier à Richard Pohl les problèmes inévitables que pouvait susciter la représentation de son ouvrage, notamment pour ce qui est de l’apparition des esprits : d’une part le compositeur tenait à ce que ceux-ci soient représentés (sans préciser comment), mais d’autre part il craignait que leur présence puisse être « trop concrète 63 » – manière discrète de dire qu’avec les moyens de l’époque, l’exercice pouvait facilement tomber dans le Grand Guignol. S’il était plus pratique de donner le Manfred sous forme concertante et avec un seul récitant, comme le veut la version Pohl, l’ouvrage connut toutefois diverses réalisations à la scène. Des acteurs comme Ernst von Possart (-) puis Ludwig Wüllner (-), soit les deux plus grands récitants de leur époque 64, avaient interprété le rôle-titre, le premier dans des versions scéniques (depuis  jusque dans les années ), le second dans des versions de concert (à partir de  jusque dans les années ). Pour ce qui est des représentations scéniques, il ne faut guère s’étonner de voir que celles-ci virent le jour dans l’orbe de Possart. Sa première incarnation scénique du rôle-titre remonte au  février  au Hoftheater de Munich, sous la supervision de l’Intendant d’alors, Karl von Perfall. Selon Possart, Perfall avait réussi à « conquérir Manfred pour la scène 65 ». Ce qui n’allait pas être une mince affaire. Hans von Bülow était au pupitre, et outre Possart, les autres rôles étaient tenus par les meilleurs acteurs de la troupe, tandis que la salle plutôt exiguë du Residenztheater accueillait, en sus d’un grandiose décor alpin, un orchestre symphonique. Le résultat fut un fiasco complet, que Possart attribua notamment à la petitesse de la salle du Residenztheater qui eut des conséquences néfastes sur l’acoustique de l’orchestre. Quant à « la décoration de la Jungfrau recouverte de glaces, on pouvait la saisir avec les mains, et son effet n’en était que plus dérangeant au fur et à mesure qu’elle apparaissait 66. » Comme en avait conclu un chroniqueur de l’Allgemeine Zeitung en date du  février  : « Byron est un grand poète, mais son Manfred n’est pas un


drame ; Possart est un excellent acteur de caractère, mais Manfred n’est pas un caractère 67. » Toutefois la carrière scénique de l’ouvrage n’allait pas s’arrêter là : cinq ans après cette expérience malheureuse, l’arrivée à Munich du chef d’orchestre Hermann Levi allait relancer Manfred sur la scène. Levi s’était pris d’enthousiasme pour l’œuvre qu’il dirigea le  octobre  au Königliches Hoftheater de Munich, dont la scène était autrement mieux taillée pour l’ouvrage (à nouveau donné dans la version de Perfall). Le succès fut cette fois au rendez-vous et dans la foulée Manfred fut ensuite représenté au Nationaltheater de Berlin. Possart eut encore l’occasion de briller durant près de vingt-cinq ans dans ce rôle en Hollande, en Russie et aux États-Unis, notamment en  au Metropolitan de New York sous la direction de Walter Damrosch 68. C’était l’avis de Possart que Manfred ne pouvait vivre que sous une forme scénique, et plus précisément d’une manière visant au monumental, afin de rendre la scène à la manière d’une gigantesque illusion : il l’a clairement fait savoir dans ses mémoires, soulignant avoir toujours donné l’œuvre dans de grandes salles où l’œuvre pouvait de se déployer librement, afin de ne pas abandonner cette illusion du surnaturel si importante. Le métaphysique ne doit jamais pouvoir devenir saisissable pour le spectateur. Les grandes scènes chorales dans l’enfer d’Arimanès, et qui préludent à l’ascension d’Astarté, doivent pouvoir se développer comme derrière un voile, qui cache à moitié aux yeux du public les mouvements des esprits. Le grand espace réservé à l’orchestre est déjà un avantage pour l’impression générale de l’œuvre : car de par sa surface, il sépare de manière heureuse le public des rideaux de la scène. Quant à la grande réserve dans la réalisation concrète du métaphysique, elle reste la tâche du metteur en scène 69.

À la lumière d’une lecture contemporaine du poème de Byron, on peut certes préférer aujourd’hui la version de Pohl qui fait du personnage de Manfred le seul protagoniste d’un drame dont toutes les autres voix, et en particulier celle d’Astarté, ne sont que le fruit de son imaginaire – et cela même si cette version semble aller à l’encontre de ce qu’avait voulu Schumann. À l’inverse de Possart, c’est une conception non scénique de Manfred que défendit Ludwig Wüllner. Il avait récité le rôle-titre pour la première fois le  février  au Musikverein de


Münster, avec l’actrice Marie Seebach dans le rôle d’Astarté 70 ; il reprit ensuite ce rôle début avril  à Berlin sous la direction d’Arthur Nikisch. Sans doute que Manfred fut donnée dans la version de Pohl, mais on sait que dès , Wüllner déclamait le texte de Byron dans une nouvelle traduction de Adolf Böttger 71. Le succès de Wüllner fut éclatant, et si l’on en juge les comptes rendus, l’absence de scène ne faisait que magnifier la présence du seul Wüllner 72. C’est d’ailleurs grâce à celui-ci que de telles versions de concert de Manfred connurent un regain de popularité sur les versions théâtrales, pour mieux correspondre à la pratique des « récitations en musique » alors en vogue.  LE CHANT DU CHALUMEAU

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • THÉÂTRES IMAGINAIRES • LA VOIX PERDUE DE MANFRED

Que les acteurs soient représentés ou non n’est finalement pas le cœur du problème, puisque c’est la musique de Schumann qui à elle seule, et indépendamment du contexte de sa restitution, permet de mettre à jour l’ambiguïté scénique de Manfred. La partition de Schumann va bien au-delà des limitations du genre pour le moins restrictif de la « musique de scène » inféodée à la représentation théâtrale. Elle n’a pas ici pour but de tisser des interludes musicaux entre les vers de Byron, ni de broder un quelconque tapis sonore qui se contenterait de soutenir la déclamation. La musique n’est pas un simple moyen d’accompagnement, de soutien dramatique, elle est un élément dont le protagoniste principal est pleinement conscient à certains moments du drame, et ce non pas uniquement en tant que musique synchrone. Dans le n°  de la partition (« Alpenkuhreigen »), Manfred entend le chalumeau du berger dans les Alpes, joué par un cor anglais solo sans accompagnement, et qu’on entend « dans le lointain » (« in der Ferne »).Toute la scène, conçue de manière « melodramatisch », fait entendre sur la cantilène pastorale du cor anglais le monologue de Manfred, puis les répliques du chasseur. Cependant, lorsque Manfred entend le début de la cantilène,il ne l’identifie pas uniquement comme telle, c’est-à-dire comme une musique synchrone. Certes l’air du chalumeau est un phénomène sonore extérieur et correspondant à une réalité scénique tangible, et ce même si sa source reste pour nous et pour Manfred invisible (quelque part dans les montagnes, un berger joue du chalumeau).

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LA MUSIQUE D’ENTRACTE COMME TRANSITION INFIME :


Dans un premier temps Manfred l’identifie comme étant « des Alpenrohrs natürliche Musik [la musique naturelle du roseau de la montagne] ». Mais rapidement cette mélodie est intériorisée par Manfred qui en fait sa propre musique : « DieTöne trinkt mein Geist [mon âme boit les sons] 73. » Tout en affirmant la qualité concrète de la musique du chalumeau, la partition présente cette monodie comme un objet sonore surgi d’un ailleurs impossible à localiser. Ce détail du chant du roseau a toute son importance pour comprendre sa nature duelle, à la fois réelle et imaginaire : cela peut être mis en valeur par une particularité de la partition d’orchestre autographe qui a été commentée par Laura Tunbridge, quoique dans une perspective différente de la mienne. La partition autographe montre que pour la fin de cet « Alpenkuhreigen » en fa majeur, qui n’est constitué que d’un solo de cor anglais, Schumann avait d’abord envisagé une conclusion plus longue. Raturée dans l’autographe, elle n’a pas été retenue pour la version publiée. Cette première conclusion comportait onze mesures de plus par rapport à la version finale. Il est impossible d’identifier la main qui a raturé ces onze mesures, mais comme l’avance L.Tunbridge, il pourrait s’agir de Liszt 74 : on sait que ce dernier avait consulté Schumann en vue des représentations scéniques de Manfred.Toutefois rien ne permet d’attribuer avec certitude l’origine de cette suppression à une volonté émanant directement de Schumann. La première version indique que le rideau doit « tomber lentement » (« Der Vorhang fällt langsam ») précisément durant les onze mesures conclusives de la monodie, laquelle se poursuit paisiblement pendant le baisser de rideau, avant de se terminer sur la tonique (fa majeur). Or la version définitive de l’autographe propose tout autre chose : il s’agit ici d’un exemple typique d’une musique synchrone subitement écourtée, à l’exemple de la fanfare de Wozzeck, qui doit cesser au moment même où Marie ferme la fenêtre. Dans la version définitive de Manfred, le rideau doit tomber après la dernière note du chalumeau : ce geste interrompt brusquement la mélodie, dont la dernière note est un la, soit la tierce de la tonique (voir exemple 4.5).


a. 1re version

fa (T)|| le rideau tombe lentement

b. 2de version

la (ce)|| le rideau tombe

  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • THÉÂTRES IMAGINAIRES • LA VOIX PERDUE DE MANFRED


Exemple 4.5

R. Schumann, Manfred, 1e partie, scène 4, version autographe rejetée, mes. 1-60 ; version définitive, mes. 1-52

Selon Laura Tunbridge, la version primitive fait entendre une conclusion « de pure forme » qui prolonge « pour l’audience la conscience du dispositif scénique ». Il faudrait donc lui préférer la fin tronquée de la version définitive : « Dans la fin publiée, [le rideau] tombe simplement alors que [Manfred et le chasseur] sortent, et avec leur sortie, la mélodie, fragmentée, disparaît également tout autant. Cette “mort” rapide aide à maintenir une suspension de l’incrédulité [suspension of disbelief ] 75. » Dans la version définitive, la musique suit précisément les personnages et disparaît en même temps qu’eux. L’argumentation de Tunbridge considère cette dernière version comme supérieure à la première parce que le public n’est pas leurré par le dispositif scénique, ce dernier disparaissant rapidement et entraînant avec le baisser du rideau personnages, scène et musique. En effet poursuit Tunbridge, « la lente descente du rideau durant la phrase finale de la version autographe souligne la théâtralité de l’événement, prolongeant pour l’audience la conscience du dispositif


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • THÉÂTRES IMAGINAIRES • LA VOIX PERDUE DE MANFRED

scénique ; l’exécution de la mélodie complète la ferait entendre comme une conclusion musicale de pure forme, au lieu d’un ranz des vaches sinistre et sans goût voulu comme “réel”. Supprimer la conclusion plus longue [de la première version] de l’autographe était un acte interprétatif portant sur la fonction représentative de la musique telle que conçue par Schumann, et sur la viabilité de cette conception dans un théâtre contemporain 76. » Notre interprétation diffère sensiblement de celle-ci. D’abord nous ne considérons pas ce « Alpenkuhreigen » comme un numéro isolé : en effet sa fonction dramaturgique ne peut s’expliquer que si l’on tient compte de ce qui va suivre le baisser de rideau. Dans la version finale, le baisser de rideau interrompt subitement l’air de chalumeau. C’est donc bien ce geste, et non celui de la version primitive, qui met en valeur la théâtralité de la mélodie et sa qualité purement synchrone (un chant de chalumeau joué au lointain, lui-même partie de la scène). Par cette interruption brusque, la version finale souligne l’appartenance de l’air de chalumeau à la scène fictive qui nous est présentée. Tout au contraire, la première version permet de montrer que si le dispositif scénique, et l’action qu’il supporte, disparaissent en toute logique avec le baisser de rideau, ce geste n’affecte en rien le discours de la musique ; il n’a aucune prise sur l’air de chalumeau qui continue à se mouvoir dans une sphère autonome et indépendante de celle que le rideau vient de souligner en l’interrompant. Or c’est bien dans cette sphère irreprésentable que la seconde partie du drame de Manfred va se jouer, et la fonction de ce « Alpenkuhreigen » est justement de nous l’annoncer. N’étant pas affectée par l’interruption de l’illusion scénique, la musique peut se poursuivre sans autre, montrant qu’elle ne fait pas partie du dispositif scénique et que sa valeur va au-delà d’une simple fonction illustrative ou représentative : elle est aussi et surtout la musique de Manfred (« mon âme boit les sons »), évoluant dans un espace imaginaire qui ne peut se réduire au seul espace tangible offert par le dispositif scénique. Le « Alpenkuhreigen » n’est pas une page marquant une simple conclusion formelle : il possède une fonction bien précise qui doit se comprendre à la lumière de la « Zwischenaktmusik » (musique d’entracte) n°  qui va suivre. Il est une musique de transition, ce qui est déjà perceptible dans le chant du chalumeau, objet sonore réel mais aussi musique de l’imaginaire de


Manfred. Sa continuation au-delà du lever de rideau permet d’ailleurs une transition moins brusque avec la « Zwischenaktmusik » (elle aussi sur un / en fa majeur, jouée mässig après le nicht schnell – langsamer du « Alpenkuhreigen »). Marquant la fin de la première partie et le début de la deuxième (sur les trois que compte l’ouvrage), cette musique d’entracte est aussi la seule de ce poème dramatique : en effet il n’y a pas d’entracte musical entre les deuxième et troisième parties (la deuxième partie se concluant avec la fin de l’apparition d’Astarté). À ce titre, elle possède une fonction de « passage », traduisant l’intériorisation progressive du drame de Manfred, qui va de plus en plus s’apparenter à une fantasmagorie. L’espace imaginaire qu’avait déjà révélé le chant du chalumeau (dans sa version primitive non écourtée) va se prolonger et se poursuivre à travers la musique d’entracte, qui fait réentendre le motif lebhaft du chalumeau (n° 4, mes. 17-19 ; n° , mes. -). Le baisser de rideau ne marque donc en aucun cas la « disparition » de la mélodie du chalumeau, qui se poursuivra durant la musique d’entracte – laquelle n’a « d’entracte » que le nom, car nous sommes ici en présence d’une musique forcément diégétique, montrant que le drame se poursuit bien au-delà du baisser de rideau. Sur ce point, on ne peut s’empêcher de penser à ce qu’a écrit Liszt en  (soit l’année de Lélio à Weimar) à propos de ces musiques d’entracte : « Keine Zwischenakts-Musik ! [Pas de musique d’entracte !] » fut son injonction sur ce qui lui apparaissait être de la « mauvaise musique écrite par de bons musiciens » et qui relevait d’une « habitude qui dans tous les cas est plus une charge pour le musicien, qu’un gain pour la représentation dramatique 77. » En , que pouvait-il bien penser de la seule « Zwischenaktmusik » de Manfred ? On ne saura sans doute jamais pourquoi la version écourtée a été finalement retenue (par Liszt ?) pour les représentations de Weimar et pour la partition imprimée : son effet peut sembler plus efficacement théâtral – une musique s’arrêtant en même temps que le baisser du rideau est un geste dramaturgique des plus conventionnels – alors que la justification dramaturgique de la version première se décrypte moins aisément, et surtout elle ne s’explique qu’après coup, à la lumière de la musique d’entracte suivante. Par ailleurs, la version écourtée définitive permet de mieux isoler la musique d’entracte qui suit, et donc de la présenter per se, c’est-à-dire comme


une de ces musiques de scènes fonctionnelles destinées à remplir un moment de stase diégétique entre deux actes. Ce n’est pas le cas, à notre avis, de la première version, qui parvient à créer une « transition infime » entre le chant du chalumeau et la musique d’entracte. Et c’est justement la qualité de la version première de la mélopée du chalumeau que de révéler la présence d’un espace imaginaire que ne peut tout simplement pas restituer la fin écourtée de la version « finale » : un ailleurs insaisissable et irreprésentable où prendra place le dialogue entre Manfred et Astarté (n° ), et qui n’est autre que l’imaginaire du Manfred.   EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • THÉÂTRES IMAGINAIRES • LA VOIX PERDUE DE MANFRED


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DIRE ET MONTRER



EN MUSIQUE DANS LE TEXTE

Le mélodrame est aussi le mimodrame : rappelons les arguments déjà mentionnés dans notre introduction, au sujet du mélodrame/mimodrame défini par Steinitzer comme étant un certain type de « mise en musique d’un texte », et où le texte peut être restitué par la récitation ou par le mime, quand ce n’est pas les deux 1.Ainsi le premier mélodrame, la scène lyrique de Pygmalion de Jean-Jacques Rousseau, a aussi été le premier mimodrame : œuvre conçue en tant qu’expérience scénique, relevant tant du théâtre musical que du théâtre parlé – et cela même si par la suite bon nombre de mélodrames n’ont pas été conçus pour la scène. D’une manière ou d’une autre, le mélodrame non scénique garde toujours trace de cette dimension visuelle qui peut elle aussi s’inscrire dans des paramètres purement auditifs : la musique doit intérioriser le geste pour pouvoir le restituer. Tenir compte du paramètre visuel inhérent au mélodrame, scénique ou non, est aussi une manière d’élargir notre compréhension de celui-ci, car il n’a que trop longtemps pâti d’une vision réductrice qui le considère uniquement comme l’interaction entre musique et déclamation. Le mélodrame, en tant qu’« action avec musique », pour reprendre les termes de Valéry 2, est une mise en relation particulière entre musique et texte, et il n’y a

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Je vais commencer par vous parler du Geste, & cela vous paroîtra peut-être bisarre. Mais si vous faites attention qu’en paroissant au Théâtre on se présente avant de parler, vous conviendrez que la contenance est la premiere chose dont il faut s’instruire. (François Riccoboni, L’Art du Théâtre)


bien sûr pas que la déclamation pour restituer ce dernier.Tout texte est susceptible de véhiculer une dimension visuelle, comme lorsqu’il est restitué par la pantomime. Si les rapports entre texte et image ont été abondamment commentés, notamment en histoire de l’art par Meyer Schapiro puis W. J. T. Mitchell (auteur du néologisme imagetext), dans le domaine de la linguistique par Aron Kibédi Varga ou encore dans celui du cinéma par Gilles Deleuze 3, les rapports similaires impliquant la musique n’ont quant à eux pas bénéficié de la même faveur. Pourtant le mélodrame doit précisément être compris comme l’interaction entre la musique et l’image-texte. Par sa qualité de multimédia, le mélodrame peut autant dire que montrer : d’où aussi son « défaut » de redondance, notamment lorsqu’il met ces deux fonctions sur un pied d’égalité. Le développement du mélodrame depuis la fin du XVIIIe siècle et tout au long du siècle suivant est sur ce point une parfaite illustration de ce fonctionnement de la musique en complémentarité avec l’image-texte. Or cela a parallèlement engendré l’attitude inverse : celle d’une musique conçue en dehors de tout attachement à ce qui serait susceptible de lui donner un sens autre que « purement musical » – encore qu’il faille se demander ce qu’on doit entendre par « purement musical ». Ce qui démontre à quel point le « purement musical » et l’« extramusical » se justifient l’un par rapport à l’autre. C’est dans ce sens que va Lawrence Kramer, au sujet de ce qu’il a appelé le « music/imagetext », afin de montrer que « toute musique ou presque est en fait produite en alliance avec l’image-texte 4 ». Bien involontairement Kramer avance ici une parfaite définition du mélodrame, car c’est ce même rapport musique-image-texte qui s’observe dès la scène lyrique de Pygmalion, où le geste, et par extension la dimension visuelle, occupent une place essentielle : place qui n’est pas uniquement spécifique à cet ouvrage, mais au mélodrame en général. MÉLODRAME ET ELOQUENTIA CORPORIS

En s’inscrivant dans une préoccupation théâtrale typiquement dixhuitiémiste, celle de la rhétorique du corps ou eloquentia corporis, le Pygmalion s’inscrit dans les débats de son temps sur la justification théorique de ce langage muet mais si éloquent. Le Siècle des Lumières a reconsidéré la place de l’eloquentia corporis au sein de l’actio, soit la manière de restituer le discours, et qui


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LE MÉLODRAME MIMODRAMATIQUE • DIRE ET MONTRER

dans la tradition latine instaurée par De Oratore de Cicéron puis par De institutione oratori de Quintilien, consacrait la préséance de la déclamation sur le geste, ce dernier étant surtout axé sur les mouvements des mains (chironomie) et les mimiques du visage. Deux phénomènes bien distincts ont marqué la conception dixhuitiémiste de l’actio : d’une part l’influence de la pratique théâtrale propre au bas comique par opposition à celle du haut comique, et d’autre part un discours tant historique que théorique façonné par les débats linguistiques des Lumières sur l’origine du langage ainsi que par l’émergence d’un modèle, celui de la déclamation, telle que définie par les Anciens. Quelques mots d’abord sur cette importante distinction entre haut comique et bas comique. Le premier avait fonction de norme selon laquelle l’art de l’acteur était avant tout conçu comme un art de la déclamation, le geste lui étant inféodé. Pour ce qui est du jeu corporel, la pratique traditionnelle du haut comique concernait surtout le haut du corps, soit les mimiques du visage et les mouvements de la tête, des bras et mains, travaillés dans des poses stylisées ; les mouvements des jambes étaient le plus souvent dictés par la position de l’acteur devant déclamer face au public, campé de la manière la plus stable possible avec les pieds raisonnablement écartés 5. Pratiqué notamment dans les théâtres forains et issu de la tradition de la commedia dell’arte, le bas comique conçoit les rapports entre geste et déclamation avec autrement plus de latitude que dans le haut comique. Le geste n’est pas constamment inféodé à la déclamation ; il peut aussi avoir valeur en soi, et être à lui seul un moyen de transmettre le discours. Le jeu du bas comique prend en compte des moyens de communication autres que celui de la déclamation, alors que le haut comique est principalement traité comme un art oratoire dans le sillage de la rhétorique quintilienne.Toutefois, si la gestuelle du haut comique a fait l’objet de discours théoriques au cours du XVIIIe siècle dans de nombreux ouvrages et traités, on ne trouve en revanche rien de similaire pour celle du bas comique, dont la nature surtout improvisée, héritage des pratiques de la commedia dell’arte, explique qu’il ait échappé à toute entreprise de codification systématique. L’important traité de Johann Jacob Engel,Ideen zu einer Mimik (), est lui-même issu de cette interaction entre la pratique du bas comique et le souci historicisant d’une « archéologie du


geste » qui s’est mise en place depuis le début du XVIIIe siècle. Le traité d’Engel n’est pas le seul à témoigner de cet intérêt propre à son siècle, mais il marque l’aboutissement d’une évolution qui a commencé, pour donner au moins un repère chronologique, avec la publication en  de la deuxième édition des Réflexions critiques sur la poésie et la peinture de l’abbé Jean Baptiste Du Bos (la première édition fut publiée en ). Augmentée d’une troisième partie sur la déclamation, la deuxième édition permet à Du Bos de disserter longuement des mérites de l’art pantomime des Romains à l’époque d’Auguste, art tenu pour supérieur à l’éloquence verbale. Les observations de Du Bos sont validées par deux exemples contemporains. Le premier est fourni par certains chœurs dansés de Lully (scènes funèbres de Psyché et d’Alceste, deuxième acte de Thésée, quatrièmes actes d’Atys et d’Isis) qui ne parlaient pas, et qui ne faisaient qu’imiter le jeu muet des chœurs de la tragédie antique […] J’entends parler de ces ballets presque sans pas de danse, mais composés de gestes, de démonstrations ; en un mot d’un jeu muet […] Les demi-chœurs dont je parle, qu’on excuse mon expression, donnaient un spectacle intéressant, lorsque Lully les faisait exécuter par des danseurs qui lui obéissaient et qui osaient aussi peu faire un pas de danse, lorsqu’il le leur avait défendu, que manquer à faire le geste qu’ils devaient faire, et à le faire encore dans le temps prescrit. Il était facile, en voyant exécuter ces danses, de comprendre comment la mesure pouvait régler le geste sur le théâtre des Anciens. L’homme de génie dont je viens de parler avait conçu par la seule force de son imagination ce que le spectacle pouvait tirer du pathétique, même de l’action muette des chœurs, car je ne pense pas que cette idée lui fut venue par la voie des écrits des Anciens, dont les passages qui regardent la danse des chœurs n’avaient pas encore été entendus, comme nous venons de les expliquer 6.

L’autre exemple donné par Du Bos est celui des ballets-pantomimes dansés chez la duchesse du Maine lors des Nuits de Sceaux en . Avant-goût du ballet en action développé dans les années  par Ranieri de Calzabigi, Gasparo Angiolini et Jean Georges Noverre, cet exemple a été maintes fois cité et commenté dans tout texte traitant de la pantomime, qu’elle soit des Anciens ou contemporaine, au-delà du traité d’Engel et jusqu’au XIXe siècle : Il y a environ vingt ans qu’une princesse […] voulut voir un essai de l’art des pantomimes anciens qui pût lui donner une idée de


leurs représentations plus certaines que celle qu’elle en avait conçue en lisant les auteurs. Faute d’acteurs instruits dans l’art dont nous parlons, elle choisit un danseur et une danseuse, qui véritablement étaient l’un et l’autre d’un génie supérieur à leur profession, et pour tout dire, capable d’inventer. On leur fit donc représenter, en gesticulant sur le théâtre de Sceaux, la scène du quatrième acte des Horaces de Corneille dans laquelle le jeune Horace tue sa sœur Camille, et ils l’exécutèrent au son de plusieurs instruments qui jouaient un chant composé sur les paroles de cette scène qu’un habile homme [Jean Joseph Mouret] avait mises en musique, comme si l’on eût dû les chanter […] Nos deux pantomimes novices s’animèrent si bien réciproquement par leurs gestes et par leurs démarches, où il n’y avait point de pas de danse trop marqués, qu’ils en vinrent jusqu’à verser des larmes 7.

Rédigé entre  et  et publié posthume en , l’Essai sur l’origine des langues est le texte où Jean-Jacques Rousseau traite de la manière la plus approfondie du geste, poursuivant un débat déjà développé par Du Bos, Condillac, ou encore Pierre Estève. « Quoique la langue du geste et celle de la voix soient également naturelles, toutefois la première est plus facile et dépend moins des conventions » ; la langue des gestes, « [dictée par] les besoins », a précédé la parole, « [arrachée par] les passions 8 ». L’attachement moindre aux conventions de la langue gestuelle, sa facilité naturelle, font que dans la vision historico-utopique de Rousseau celle-ci est antérieure à la parole, et cette antériorité temporelle la rend supérieure à la parole dans le domaine de l’éloquence :

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LE MÉLODRAME MIMODRAMATIQUE • « L’ON PARLE AUX YEUX… »

« L’ON PARLE AUX YEUX BIEN MIEUX QU’AUX OREILLES »

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L’exemple, pour réunir à la fois l’ancien et le nouveau, frappa les esprits. Ce ballet dont la musique était un chant instrumental composé sur des paroles, se voulait être une référence à la musique instrumentale des Grecs, pour le moins telle qu’on se l’imaginait alors, et l’évocation des larmes que cette pantomime fit verser à ses spectateurs trahit la puissance de l’éloquence du geste, supérieure à la parole. La fureur lacrymale qui saisira les scènes théâtrales d’Europe quelques trente ans plus tard devra elle aussi beaucoup à l’eloquentia corporis de l’acteur.




Mais le langage le plus énergique est celui où le signe a tout dit avant qu’on parle.Tarquin,Trasibule abatant les têtes des pavots, Alexandre appliquant son cachet sur la bouche de son favori, Diogéne se promenant devant Zenon, ne parloient-ils pas mieux qu’avec des mots ? quel circuit de paroles eut aussi bien exprimé les mêmes idées ? […] Ainsi l’on parle aux yeux bien mieux qu’aux oreilles […] On voit même que les discours les plus éloquens sont ceux où l’on enchasse le plus d’images […] 9

Le propos de Rousseau est encore classique, tant on croit lire entre les lignes le jugement de Roger de Piles sur la supériorité de la peinture dans son Cours de peinture par principes, puisqu’il est plus facile de toucher l’esprit par les yeux que par les oreilles : « Les paroles passent & s’envolent, comme on dit, & les exemples touchent […] La raison en est que la parole n’est que le signe de la chose, & que la Peinture qui represente plus vivement la realité, ebranle & penetre le cœur beaucoup plus fortement que le discours 10. » Le langage des gestes est d’autant supérieur qu’il peut dire la chose en étant quasiment la chose même : signifiant et signifié tendent à se fondre en un, alors que leur différence est accentuée dans la parole, plus axée sur la métaphore. Rousseau témoigne ici de la nostalgie typiquement dixhuitiémiste pour la langue adamique, où le geste qui désigne et la chose désignée ne faisaient qu’un – à l’image du geste créateur du logothète dans la Genèse – au contraire du langage contemporain qui ne peut plus transmettre son sens que par le « circuit de paroles » mentionné plus haut par Rousseau. Mais si la supériorité du langage gestuel est telle, pourquoi lui adjoindre le concours de la parole ou de la musique ? La réponse est donnée en théorie dans l’Essai sur l’origine des langues, et en pratique dans la scène lyrique de Pygmalion, où pantomime, musique et verbe correspondent à différents degrés d’expression qui se suppléent l’un à l’autre. Rousseau estime que si « la seule pantomime sans discours laissera [le spectateur] presque tranquille […], le discours sans geste […] arrachera [quant à lui] des pleurs ». Et de conclure que si « les signes rendent l’imitation plus exacte,[…] l’intérest s’excite mieux par les sons 11. » Le discours gestuel d’essence non métaphorique, qui rend « l’imitation plus exacte », est plus précis mais émeut d’autant moins, tandis que le discours verbal, métaphorique, est d’autant plus émouvant qu’il est moins précis.


Dans le chapitre II de l’Essai, intitulé « Que la pre[mière] invention de la parole ne vint pas des besoins mais de la passion », Rousseau explique que ce ne sont pas les besoins (tels la faim et la soif) qui « ont arraché les premiéres voix », « mais l’amour la haine la pitié la colére 12 » : Les fruits ne se dérobent point à nos mains, on peut s’en nourrir sans parler, on poursuit en silence la proye dont on veut se repaitre : mais pour émouvoir un jeune cœur, pour repousser un agresseur injuste la nature dicte ses accens, des cris, des plaintes : voila les plus anciens mots inventés 13.

Langage métaphorique, donc plus arbitraire, d’où va émerger toute sa force expressive. Que le langage des origines ait été métaphorique et non littéral est parfaitement logique dans l’utopie historique de Rousseau, voulant que les premiers hommes aient encore été les premiers poètes. Jonathan Culler a commenté ce paradoxe rousseauien, en avançant que « si le langage trouve son origine dans la figure et est essentiellement métaphorique, alors ce que nous désignons comme “sens littéral” ou “langage littéral” n’est rien d’autre qu’un langage figuratif dont la figuralité a été oubliée 16. »

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LE MÉLODRAME MIMODRAMATIQUE • « L’ON PARLE AUX YEUX… »

[Les] prémiéres expressions [du langage des passions] furent des Tropes. Le langage figuré fut le prémier à naitre, le sens propre fut trouvé le dernier. On n’appella les choses de leur vrai nom que quand on les vit sous leur véritable forme. D’abord on ne parla qu’en poësie ; on ne s’avisa de raisoner que longtems après 15.

 

Ce langage du besoin, qui correspond en quelque sorte à un premier degré de l’expression, n’implique cependant pas d’échange : « On prétend que les hommes inventérent la parole pour exprimer leurs besoins, cette opinion me paroit insoutenable. L’effet naturel des prémiers besoins fut d’écarter les hommes et non de les rapprocher 14. » Suscitée par les passions, la parole naît de la communication, elle requiert un échange communicatif (le « circuit » chez Rousseau), que ce soit « pour émouvoir un jeune cœur [ou] pour repousser un agresseur injuste ». La chose à dire (les passions) est rendue par des signes vocaux, qui prennent quant à eux la forme « des accens, des cris, des plaintes ». C’est la première mise en place d’un langage de conventions, car d’essence métaphorique :


Destinée à l’œil, la pantomime ne possède pas non plus la temporalité propre au discours verbal, puisque son signe nous est perçu immédiatement. L’absence de linéarité temporelle de la langue des gestes la met cette fois en position d’infériorité expressive face à la langue plus conventionnelle des passions : Ainsi l’on parle aux yeux bien mieux qu’aux oreilles […] Mais lorsqu’il est question d’émouvoir le cœur et d’enflammer les passions, c’est toute autre chose. L’impression successive du discours, qui frappe à coups redoublés vous donne bien une autre émotion que la présence de l’objet même où d’un coup d’œil vous avez tout vu. Supposez une situation de douleur parfaitement connüe, en voyant la personne affligée vous serez difficilement ému jusqu’à pleurer ; mais laissez-lui le temps de vous dire tout ce qu’elle sent, et bientôt vous allez fondre en larmes. Ce n’est qu’ainsi que les scénes de tragédie font leur effet. La seule pantomime sans discours vous laissera presque tranquille ; le discours sans geste vous arrachera des pleurs. Les passions ont leurs gestes, mais elles ont aussi leurs accents, et ces accents qui nous font tressaillir, ces accents auxquels on ne peut dérober son organe pénètrent par lui jusqu’au fond du cœur, y portent malgré nous les mouvements qui les arrachent, et nous font sentir ce que nous entendons. Concluons que les signes visibles rendent l’imitation plus exacte, mais que l’intérêt s’excite mieux par les sons 17.

À travers Pygmalion, Rousseau est parti à la recherche de ce langage primitif désormais perdu, langage mythique car doté d’une charge expressive immédiate. Mais si le Pygmalion se veut être une tentative pour renouer avec l’immédiateté expressive du langage des origines, il ne peut que recréer un langage qui ne peut plus être retrouvé : il n’est qu’une pure construction fondée sur l’interaction musique/pantomime/texte, révélant par là même tout son artifice.

ARCHÉOLOGIES DU GESTE ET BAS COMIQUE

A l’instar du Pygmalion, restituer au geste toute son éloquence fut également une préoccupation perceptible à travers les profonds bouleversements que connut la danse au XVIIIe siècle. Ils trouvèrent leur accomplissement avec la « réforme » du maître de ballet et danseur Jean Georges Noverre (-), développée dans ses Lettres sur la danse et sur le ballet publiées à Stuttgart en .


Cette danse parlante doit s’apprendre comme une langue : « Dans la Danse Pantomime il faut d’abord apprendre les pas ou l’Alphabet de notre langage […] Enfin il faut acquérir l’expression, ou l’art de parler en dansant 21 ». Le véritable danseur à venir devra désormais dominer l’art des gestes, mais aussi la musique et l’art de la déclamation. L’intelligibilité du ballet en action se fonde sur une compréhension du geste immédiate, sans relais intermédiaire : d’où son universalité. La tragédie de Sémiramis ne saurait être aussi expressive si elle était uniquement véhiculée par la parole, puisque pour

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On a rapporté le passage de Sidonius Apollinaris sur Caramalus & Phabaton[,] deux Saltateurs illustres ; mais ce fameux passage dit nettement que ces Danseurs fesoient entendre tout ce qu’ils vouloient représenter, par des gestes & des signes, & par des mouvemens des jambes, des genoux, des mains & du corps : & rien ne ressemble plus à la Danse, que l’emploi de tous ces mouvemens 20.

 

Réhabilitation de l’art de la pantomime au sein du langage chorégraphique, la réforme de Noverre vise à redonner à la danse ses lettres de noblesse en la débarrassant de son aspect décoratif. Déjà dans son traité La Danse ancienne et moderne de , Louis de Cahusac avait vu dans les gestes un « langage universel entendu par toutes les nations et par les animaux même ; parce qu’il est antérieur à toutes les conventions, et naturel à tous les êtres qui respirent sur la terre 18. » Une conception du geste similaire a motivé le danseur, chorégraphe et compositeur Gaspare Angiolini, qui travailla avec Gluck pour les ballets-pantomimes Don Juan ou le Festin de Pierre (Vienne, , d’après Molière) et Sémiramis (Vienne, , d’après la tragédie homonyme de Voltaire). En collaboration avec Ranieri de Calzabigi, Angiolini avait fait précéder le livret de Don Juan par une préface et celui de Sémiramis par une Dissertation sur les ballets pantomimes des Anciens publiée pour servir de programme au ballet pantomime tragique de Semiramis. Ces deux textes sont des manifestes en faveur de la pantomime, l’art, selon Angiolini, le plus apte à traduire les passions, dont le modèle en est la pantomime des Anciens faite de « gestes parlans [et de] signes expressifs ». Ces « mouvements [et] gestes devoient former, pour ainsi dire, un discours suivi : c’étoit une espéce de Déclamation, faite pour les yeux 19 ». Angiolini évoque la danza parlante, où à la manière de la saltation des Anciens, le geste se fait déclamation :


Angiolini le geste est défini comme étant supérieur à la parole par son expressivité et par son immédiateté à traduire les passions. Cette faculté du geste permet une compréhension instantanée, et donc une plus grande concision temporelle. Angiolini donne comme exemple la tragédie Sémiramis de Voltaire, laquelle dure plus d’une heure, alors que le ballet homonyme de Gluck n’excède pas la demi-heure : L’art du geste […] abrége merveilleusement les discours, qui par un seul signe expressif supplée souvent à un nombre considérable de paroles, resserre lui-même par sa nature la durée de l’Action pantomime, lorsque le plan est dans les régles. On est forcé même d’asservir son génie inventif en dépit de ses écarts à la précision, à la vivacité de l’éloquence muette. On ne pourrait pas plus l’obliger à étendre ses expressions qu’un langage qui d’un seul mot rendroit une phrase entiére d’un autre ; de maniére qu’on est tout étonné en composant des Ballets Pantomimes sur des plans judicieux & réfléchis, de voir comme l’Action se rétrécit, & nous entraîne tout d’un coup à la catastrophe. Je l’ai éprouvé moi-même en composant le Ballet de Sémiramis. Je crois n’avoir rien laissé à desirer aux Spectateurs pour l’intelligence de l’Action, & cependant elle ne dure que vingt minutes 22.

Dans ses Lettres sur la danse, Noverre ne dit quant à lui pas autre chose : l’immédiateté du geste n’autorise aucun événement superflu. Il faut « [resserrer] l’action, [retrancher] tout dialogue tranquille, [rapprocher] les incidens, [réunir] tous les tableaux épars 23 ». Dans son article GEBEHRDEN (gestes), Sulzer se fait l’écho de cette conception du geste comme actio : Dans bien des cas les gestes sont une exacte et vive illustration de l’état intérieur de l’homme, que nous reconnaissons mieux par leurs expressions que ne le pourrait la plus éloquente expression des mots.Aucun mot ne pourrait traduire de manière si précise, si vive, si rapide, le plaisir ou l’ennui, le mépris ou l’amour que les gestes 24.

Marque innée de l’éloquence, ce langage des gestes, supposé naturel à l’homme antique, se retrouve naturellement dans les contrées du Sud de l’Europe. Déjà Engel avait rapporté dans ses Ideen zu einer Mimik une citation (en français) tirée des Lettres sur la Sicile et sur Malte du comte von Horch, où il est question de


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L’idée que certaines communautés méridionales étaient restées en possession d’un langage gestuel immémorial et à la signification universelle, et donc immédiatement compréhensible pour tous, persistera encore au cours du XIXe siècle (c’est là un avatar de la théorie climatique opposant les langues « froides » et consonantiques du Nord à celles plus chaleureuses et vocaliques du Sud, développée depuis Montesquieu) : manière de relier cette « archéologie du geste » mise en place dès le début du XVIIIe siècle avec des formes de justifications contemporaines comme le ballet en action ou certaines pratiques du bas comique. Ainsi de l’important traité de l’archéologue Andrea de Jorio, publié à Naples en , La Mimica degli antichi investigata nel gestire napoletano [La mimique des Anciens étudiée dans la gestuelle napolitaine] 26. L’ouvrage, qui se réfère entre autres à Lessing, Sulzer, Engel (dans la traduction italienne de Rasori publiée en ) et Winckelmann, se présente comme une enquête sur la gestuelle des Napolitains mise en relation avec la chironomie des Anciens (les sources gréco-latines sont abondamment citées, principalement Quintilien). L’« archéologie du geste » de Jorio permet de mettre en regard cette gestuelle contemporaine avec l’iconographie fournie par des vases grecs 27 ; par ailleurs Jorio a motivé son entreprise en affirmant la nécessité d’offrir un « traité de mimique purement moderne », se référant tout particulièrement au traité d’Engel 28. Le propos de Jorio est complété par vingt-etune gravures (notamment des copies de bas-reliefs grecs), les

 

l’usage des gestes & des signes, dont on se sert ici [en Sicile] communement & dont le langage est si expressif pour les nationaux, qu’à une distance considérable, au milieu d’une compagnie nombreuse, deux personnes, sans ouvrir la bouche, se comprennent mutuellement & se communiquent leurs pensées l’une a l’autre. […] Cela provient du penchant qu’à la Nation pour les gestes : un Sicilien ne peut pas dire la parole la plus indifférente, sans l’accompagner tout de suite d’un geste expressif. On croit, que ces gestes & ces signes datent du temps encore de Dénis le vieux, dont la tyrannie, defendant l’usage de la parole à ses sujets, les obligea d’inventer de nouveaux moyens pour se communiquer leurs pensées […] Je ne vous garantis pas la vérité de cette origine ; mais de quelle source que provienne cet usage, je ne puis que l’admirer & Vous dire, que je le regarde comme la plus sublime pantomime, que j’aie vu de ma vie 25.


Ill. 5.1 A et 5.1 B Andrea de Jorio, La mimica degli Antichi investigata nel gestire napoletano (Naples, 1832)

deux dernières détaillant respectivement des gestes chironomiques et des mimiques du visage (voir illustrations 5.1 A et 5.1 B). Presque un siècle avant Jorio, le compositeur et théoricien allemand Johann Mattheson avait déjà opéré un croisement similaire entre « archéologie du geste » et pratiques pantomimes contemporaines, relevant du bas comique propre à la commedia dell’arte, dans son Abhandlung von den Pantomimen historisch und critisch ausgeführt : ce traité « sur la pantomime, étudié sur les plans historique et critique », fut publié à Hambourg en . Il est difficile de savoir si cet ouvrage fut motivé par la publication en  de la traduction allemande par Lessing de la troisième partie sur la déclamation des Anciens ajoutée par Du Bos dans ses Réflexions critiques de  (Des Abts Dubos Ausschweifungen von den theatralischen Vorstellungen der Alten). Ni Du Bos ni Lessing ne sont mentionnés par Mattheson, mais la parenté du propos est manifeste. Ce texte se présente comme une vaste compilation de sources gréco-latines relatives à la pantomime, ou saltation, notamment traitée par Denys d’Halicarnasse, Calliachus (via Gottsched), Plutarque, Lucien de Samo-


Voilà qui ne peut manquer d’étonner pour argumenter du bienfondé d’un ouvrage d’érudition historique sur la saltation des

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L’art de la pantomime, qui chez les Anciens était tenu dans la plus haute estime, se renouvelle de nos jours. Non seulement les enfants de Monsieur Nicolini suscitent l’attention des spectateurs, mais également obtiennent-ils des acclamations de toutes parts, provenant notamment de personnes qui elles-mêmes ne sont pas habituées à donner dans les sensations sottes et purement sensibles. L’on se demande si nos pantomimes actuelles peuvent se comparer à celles des Anciens, ou si elles sont même plus avancées. Nous ne trouvons pas chez eux que des enfants eussent fait montre d’une telle habileté et admiration, comme ils le font aujourd’hui […] Il nous semble que Monsieur Nicolini a eu l’honneur de recréer cet art 31.

 

sate, Macrobe, entre autres, mais se référant également aux écrits contemporains de Madame Dacier et du père jésuite Claude François Ménestrier (-), organisateur de ballets et théoricien de la danse (Des Ballets anciens et modernes selon les règles du théâtre, ). Mattheson voulait ainsi combler une lacune, car selon lui, aucun ouvrage de la sorte n’existait alors en langue allemande 29. Ce qui n’était pas si excessif, Lessing n’ayant fourni qu’une traduction. Par ailleurs le texte de Mattheson est sans précédent en Allemagne en ce qui concerne l’érudition historique. Avant la Hamburgische Dramaturgie de Lessing (-) et surtout les Ideen zu einer Mimik de Engel (-), les écrits allemands ayant précédé et suivi Mattheson ont uniquement porté sur l’actio, les gestes considérés étant surtout les mouvements chironomiques et les mimiques du visage, tels que traités dans la tradition quintilienne. Pour ce qui est de la pantomime des Anciens, on ne trouve guère avant Mattheson que la Dissertatio de Actione Scenica, cum Figuris eandem Explicantibus, et Observationibus quibusdam de Arte Comica publiée à Munich en  par Franciscus Lang 30. Il faudra attendre la diffusion des thèses de Noverre durant le dernier tiers du XVIIIe siècle pour que l’actio en vienne à être avant tout considérée sous l’angle du geste. L’intérêt de l’ouvrage de Mattheson, qui se montre à son accoutumée dense, érudit et plutôt indigeste, réside principalement dans son avertissement où il précise que sa recherche a été motivée par un exemple de pantomime moderne :


Anciens : la page de titre du traité de Mattheson est d’ailleurs illustrée d’une scène de commedia dell’arte (voir illustration 5.2). Au-delà de la particularité de ces spectacles d’enfants, c’est surtout l’univers forain qu’évoque Mattheson, et la chose est encore assez audacieuse pour son temps, car de tels Ill. 5.2 Mattheson : Frontispice de spectacles n’étaient pas des Abhandlung von den Pantomimen (1749) plus considérés. Lessing, qui avait vu la troupe de Nicolini en  à Leipzig, avait fait part de son aversion en décrivant les enfants acrobates comme des « petits singes 32 ». La référence à Nicolini est précieuse : la troupe itinérante de Nicolini (parfois appelé Nicolini Grimaldi, parfois N. Nicolini, ou encore Philipp Nicolini), fondée en Allemagne, ne semble avoir été connue que par ouï-dire en France (Diderot et Rousseau la mentionnent ; en France, une troupe équivalente était celle du Strasbourgeois F. J. Sebastiani, active dans les années ). Elle fut pour la première fois mentionnée en Hollande en , avant de s’établir à Francfort, tout en poursuivant des tournées itinérantes 33. Son répertoire se composait principalement de pièces en pantomimes sur des canevas de la commedia dell’arte, et de parodies d’intermezzi comici, comme La Serva padrona de Pergolesi. Certes la présence d’enfants sur des tréteaux forains n’avait rien d’exceptionnel. Rousseau a brièvement évoqué dans l’Émile () ces enfants-pantomimes et acrobates, « adroits et découplés » et qu’on peut voir « dans presque toutes les foires […] faire des équilibres, marcher sur les mains, sauter, danser sur la corde. Durant combien d’années des troupes d’enfans n’ont-elles pas attiré par leurs ballets des spectateurs à la Comédie Italienne ? Qui est-ce qui n’a pas ouï parler en Allemagne et en Italie de la troupe pantomime du célébre Nicolini 34 ? » Diderot est quant à lui encore plus évasif dans le troisième des Entretiens sur le Fils naturel où « Moi » déclare avoir « entendu parler d’un spectacle de ce genre [la pantomime finale du Devin du village remaniée par Dorval] comme [étant] la chose la plus parfaite qu’on pût imaginer » :


Vous voulez dire la troupe de Nicolini ? Précisément. DORVAL — Je ne l’ai jamais vue 35. DORVAL — MOI —

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Les Ballets Pantomimes qui ont aujourd’hui tant de succès sur le Théâtre Italien, les Spectacles de la Foire, qui depuis la suppression de l’Opéra-Comique, se réduisent à ces sortes de Pièces, nous ont fait présumer que le Public recevroit avec plaisir une Histoire des anciens Pantomimes. Elle veut mettre en état de les comparer avec les modernes, & de juger auxquels on doit donner la préférence ; ce paralelle pourra servir à former ce genre qui vient de s’introduire parmi nous, & à lui donner tous les avantages qu’il avoit dans le siécle d’Auguste 38.

 

Au sein d’un ouvrage d’érudition historique sur la saltation des Anciens, l’illustration de la page de titre de Mattheson, faisant explicitement allusion au bas comique, est déjà exceptionnelle en soi ; elle aurait certainement été encore plus improbable en France. On sait qu’en principe la gestuelle théâtrale du XVIIIe siècle ne tolérait pas de perméabilité entre ces deux conceptions, surtout en France où le clivage entre haut et bas comique était particulièrement marqué. La politique protectionniste de Lully et l’expulsion des artistes italiens qui s’ensuivit avaient créé des bastions âprement défendus par les comédiens français. Le retour progressif des Italiens au début du XVIIIe siècle ne fit que renforcer l’opposition entre « jeu français » et « jeu italien », ce dernier étant assimilé aux pratiques du bas comique 36. Dans un tel contexte, il faut cependant mentionner la publication en  des Recherches historiques et critiques sur quelques anciens spectacles, et particulièrement sur les mimes et les pantomimes, avec des notes, de Claude François Félix Boulenger de Rivery, qui n’est autre qu’un arrangement de quelques textes anglais publiés au début du XVIIIe siècle et surtout de l’écrit de Mattheson, simplement désigné dans la préface comme « une Dissertation imprimée à Hambourg qui a paru sçavante & judicieuse 37 ». Boulenger de Rivery prétend y avoir joint des « recherches nouvelles & des Réflexions qui ont rapport aux mœurs & au goût de la Nation Françoise. » – ce qu’on a cherché en vain. S’il ne mentionne à aucune reprise les enfants acrobates de Nicolini, pour être bien moins connus en France qu’en Allemagne, Boulenger de Rivery mentionne en ouverture de sa préface ce qui a motivé son entreprise, soit à nouveau la justification du moderne par l’ancien :


Bien qu’isolées et guère originales pour ce qui est du propos, ces Recherches historiques et critiques se situent à une période où en France l’art du théâtre fait l’objet de plusieurs réflexions, dont celle fondamentale sur « l’utilité » de l’art théâtral, qu’emblématise le débat suscité par l’article GENÈVE de d’Alembert publié en  dans le volume VII de l’Encyclopédie, et sa réponse, la Lettre à M. d’Alembert de Rousseau, de . Déjà le premier volume de l’Encyclopédie se fait l’écho de ces réflexions (articles ACTEUR, ACTION). Au cours de cette même décennie, l’élargissement d’une conception de l’art de l’acteur faisant large place à l’art du geste, outre qu’il révèle l’influence durable qu’allait connaître durant tout le XVIIIe siècle le chapitre sur la déclamation des Anciens publié en  dans les Réflexions critiques de Du Bos – mais aussi les écrits de Rémond de Saint-Albine (L’art du comédien, ) ou de François Riccoboni (L’Art du théâtre, ) – revalorise le discours théorique sur la danse : ainsi de Louis de Cahusac, qui défend dans ses articles pour l’Encyclopédie les thèses principales de son propre traité La danse ancienne et moderne (). Si le discours sur le théâtre semble alors faire état de rigoureuses démarcations entre haut et bas comique, ces barrières étaient dans la pratique bien moins rigides qu’il n’y paraît. Et s’il était fréquent de dénigrer l’univers forain et le jeu du bas comique, cela semble avoir tenu du lieu commun rhétorique, comme on peut l’observer chez Diderot qui critique les Forains mais en démontre par ailleurs une connaissance pour le moins assidue 39. Durant la seconde moitié du siècle l’influence des pratiques du bas comique sur celles du haut comique fut accélérée par l’essor de nouvelles formes dramatiques, brouillant la frontière entre comédie et tragédie. Cela allait exiger une nouvelle esthétique théâtrale de la sensibilité, parfois aux frontières de la sensiblerie (le théâtre larmoyant), et où le geste prenait une importance toujours accrue. Le rôle de la pantomime est longuement développé par Diderot : ses Entretiens sur le Fils naturel () puis le Discours sur la poésie dramatique () proposent un art du geste pleinement intégré au sein du dispositif théâtral, dont la puissance d’expression permet de dire bien plus que la parole. En Allemagne, Lessing, lui-même influencé par Diderot, souligne l’importance de la pantomime dans le bürgerlichesTrauerspiel qu’il a expérimenté dès Miss Sara Sampson (), et la manière selon


laquelle elle doit émouvoir le spectateur, en faisant vibrer en lui, à la manière d’une corde, l’affect devant être montré sur scène. Axée sur une rhétorique de l’excès privilégiant les situations outrées, cette nouvelle esthétique théâtrale, dont participe pleinement le mélodrame, favorise une mobilité toute nouvelle du jeu corporel ainsi qu’une utilisation plus dynamique de l’espace scénique 40.

L’ART DE L’ATTITUDE

L’eloquentia corporis dixhuitiémiste témoigne plus d’une évolution allant vers un rééquilibrage des rapports d’inféodation du geste à la déclamation, au travers duquel peut se lire la critique à peine

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LE MÉLODRAME MIMODRAMATIQUE • L’ART DE L’ATTITUDE

Encouragés par leurs succès, ils tentèrent de jouer des actes séparés et la réussite de cette entreprise les détermina enfin à donner des pièces entières qui furent reçues avec des applaudissements universels. Mais ces pièces, dira-t-on, étaient généralement connues ; elles servaient, pour ainsi dire, de programmes aux spectateurs, qui, les ayant gravées dans la mémoire, suivaient l’acteur sans peine et le devinaient même avant qu’il ne s’exprimât 42.

 

Les développements de l’eloquentia corporis au XVIIIe siècle ne visèrent pas à inverser totalement la hiérarchie entre verbe et geste en accordant une primauté absolue du second sur le premier. Même considéré comme forme de discours autonome, l’art du geste ne parviendra jamais à se libérer d’une contrainte textuelle, qu’elle se présente sous la forme d’une didascalie, d’un programme ou d’un livret (pour un ballet en action par exemple). Et lorsqu’on prétendra s’en remettre à la seule éloquence du geste, ce sera par le biais d’une supercherie reposant sur une entente tacite avec l’auditeur. Bruce Alan Brown a bien détaillé ce mécanisme dans son étude sur le ballet en action à Vienne, où certains programmes de ballets étaient habilement distribués « un ou deux mois avant la représentation ; après avoir lu ou entendu parler du ballet pendant tout ce temps, et en le voyant enfin, le spectateur se trompait en croyant que c’était la pantomime seule qui lui rendait l’action intelligible 41. » Déjà dans ses Lettres sur la danse publiées en , Noverre ne disait pas autre chose, à propos des pantomimes romains du temps d’Auguste :


voilée contre une certaine conception du drame sérieux. « Nous parlons trop dans nos drames ; et, conséquemment, nos acteurs n’y jouent pas assez 43. » L’art de l’acteur est désormais repensé à la lumière de cette nouvelle esthétique de la sensibilité axée sur une conception du geste éloquent, et qui a permis de théoriser tout ce qui relève du non verbal. Il faut désormais voir autant qu’entendre. Jeux de scènes et autres actions muettes, parfois en musique, qu’on trouve dans le théâtre de Diderot, Sedaine, Beaumarchais ou encore du Marquis de Sade, font désormais l’objet d’une attention particulière, et sur ce point le mélodrame participe lui aussi de cette évolution décisive de la dramaturgie théâtrale. On peut le voir notamment dans ce qu’écrit Diderot au sujet de son drame Le Père de famille (qu’il commente dans De la poésie dramatique publié comme la pièce en novembre ) : « J’ai tâché de séparer tellement les deux scènes simultanées de Cécile et du Père de famille, qui commencent le second acte, qu’on pourrait les imprimer à deux colonnes, où l’on verrait la pantomime de l’une correspondre au discours de l’autre 44. » À la fin du XIXe siècle, le delsartisme, système de François Delsarte (-) – un « Swedenborg géométrisé » comme on l’a éloquemment surnommé 45 –, a marqué une forme d’aboutissement extrême de cette remise en question de la hiérarchie entre verbe et geste, accordant la primauté au second. L’art du geste comme fin en soi prôné par le delsartisme et poussé dans ses derniers retranchements se fera au prix de sa dédramatisation et de la perte de sa fonction significative, incarné par le geste pur de la gymnastique 46. Discours fondé principalement sur le concours de la vision, l’eloquentia corporis relève au XVIIIe siècle d’une pratique de l’art théâtral en étroite relation avec la conception néoclassique des arts plastiques. Le mélodrame fut ainsi un terrain idéal pour les formes d’expression artistique hybrides telles que l’art du tableau

Ill. 5.3 A à 5.3 F J.-M. Moreau le Jeune : 6 gravures tirées de : J.-J. Rousseau, Pygmalion, Scène Lyrique […] Mise en vers par Mr. Berquin. Le texte gravé par Droüet (Paris, 1775)


EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LE MÉLODRAME MIMODRAMATIQUE

Debout, à genoux, assise, couchée, sérieuse, triste, taquine, excessive, repentante, tentante, menaçante, apeurée, etc., tout cela se

 

scénique (ou « tableau vivant », bien que cette expression soit plus tardive) et de son rejeton, l’art de l’attitude 47. Ceci se perçoit dès le Pygmalion, œuvre privilégiant l’esthétique du tableau scénique et de l’attitude. La scène lyrique de Rousseau est déjà emblématique de cette perception plastique : le spectacle d’une statue que l’on contemple, conçu comme action théâtrale, raconte surtout « l’inaction » du sculpteur en spectateur de sa statue. On peut percevoir cette esthétique du tableau dans une série de six vignettes d’après Moreau le Jeune publiées en  à Paris dans un petit volume in-° contenant le texte de la scène lyrique mis en vers par Arnaud Berquin 48 : à la manière d’une bande dessinée sans texte, elle permet de suivre aisément le cheminement de la scène lyrique (voir illustrations 5.3 A à 5.3 F). Le tableau scénique pouvait être pratiqué de manière autonome, comme dans les tableaux historiques pré-révolutionnaires de Madame de Genlis et ceux montés par Élisabeth Vigée-Lebrun, représentant le plus souvent des compositions de vieux maîtres, des scènes mythologiques ou bibliques. Mais il allait également dériver vers un divertissement parathéâtral en devenant un art de l’attitude, tel que notamment illustré entre les années  et  par les poses « à la grecque » de Lady Emma Hamilton (née Hart), dans son propre théâtre des hauteurs de Naples. Fort courus par les touristes de l’époque, les spectacles d’attitudes de Lady Hamilton puisaient leur inspiration dans la collection archéologique de l’époux, Sir William Hamilton, ministre plénipotentiaire et ambassadeur britannique à Naples, et qui outre sa passion pour sa jeune épouse, était aussi fin collectionneur et marchand d’antiquités, en particulier de vases. En  Goethe laisse un témoignage éloquent des spectacles d’attitudes dans son Italienische Reise :


suit l’un après l’autre. Le vieux chevalier tient la lumière et s’est donné de toute son âme à cet objet. Il trouve en elle tout l’antique, tous les beaux profils des monnaies siciliennes, et même l’Apollon du Belvédère 49.

L’iconographie suscitée par Lady Hamilton est abondante : elle fut portraiturée au naturel mais le plus souvent en « attitude » par Élisabeth Vigée-Le Brun (en Ariane, en sibylle et en bacchante), par Angelica Kaufmann (en Thalie), et surtout par George Romney, qui l’a représentée en Ariane et en assez quelconque Médée 50. En , le peintre prussien Frederick Rehberg publia un recueil de douze dessins « fidèlement coIll. 5.4 Lady Hamilton en Sophonisbe, piés d’après nature à Naples » dessin de Friedrich Rehberg gravé par Thomas Piroli (Rome, 1794) représentant Lady Hamilton dans son art, posant en Marie-Madeleine, en « rêveuse amoureuse solitaire », en « muse de la danse » ou encore en Sophonisbe (voir illustration 5.4). La continuatrice la plus estimable de Lady Hamilton fut sans conteste l’actrice, danseuse et mime allemande Henriette HendelSchütz (-). Élève de Johann Jacob Engel, Henriette était la fille d’un acteur du théâtre de Gotha, ce qui lui permit de recevoir sa formation musicale auprès du musicien de la Cour, Georg Benda. Elle avait d’ailleurs fait ses premiers pas sur la scène en jouant un des enfants de Médée dans le mélodrame homonyme de son maître. Active au sein de la troupe du Nationaltheater de Berlin, Henriette Hendel-Schütz aimait également à se produire seule lors de représentations d’attitudes, qui lui permettaient d’exploiter au mieux ses talents pour la danse et la pantomime. Salué par Goethe, Schiller, Fichte, ou encore par l’acteur allemand August Wilhelm Iffland (-), son génie pantomimique fut lui aussi immortalisé dans un recueil de gravures de Heinrich Ritter, publié en  par Joseph Nicolaus Peroux : Pantomimische Stellungen von Henriette Hendel. Nach der Natur gezeichnet und in 26 Blätter hrsg. Von Joseph N. Peroux, in


Kupfer gestochen von Heinrich Ritter 51. Sorte de pendant aux dessins de Lady Hamilton par Rehberg, les gravures de Ritter la représentent dans des poses inspirées de tableaux de Rembrandt, Raphaël ou du Titien, et dans ses incarnations fétiches, notamment la Vierge, Niobé, ou encore Ariane, qu’elle avait à plusieurs reprises interprétée dans la version mélodramatique de Benda (voir illustration 5.5).

 

MÉLODRAME ET TABLEAU SCÉNIQUE

Le mélodrame correspond dramatiquement à un moment de tension extrême, il « ne comporte que peu ou point d’action, d’intrigue, de mouvement 52 » : l’expression est de J. B. Du Bois, qui adapta le livret allemand d’Ariadne auf Naxos de Brandes pour les représentations parisiennes du mélodrame de Benda en , et qui avait fait précéder son livret d’une préface intitulée Du mélodrame en général, & de celui d’Ariane en particulier. Le mélodrame n’est pas une tragédie complète, mais comme on l’a déjà souligné, il est une tragédie « écourtée » (Kurztragödie) poussée dans ses derniers retranchements 53. On ne fera que mentionner ici à quel point la venue de Christoph Willibald von Gluck à

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Ill. 5.5 Henriette Hendel-Schütz dans le rôle d’Ariane à Naxos, gravure de Heinrich Ritter (Francfort, 1810)


Paris dès  joua un rôle décisif dans la diffusion de ces scènes conçues à la manière de tableaux remplis de « traits terribles et pathétiques qui fournissent au compositeur le moyen d’exprimer de grandes passions, de créer une musique énergique et touchante », selon les termes du bailli du Roullet, librettiste d’Iphigénie en Aulide () et de l’Alceste français () 54. « Terrible », « pathétique », « énergique » et « touchant » sont des adjectifs révélateurs de cette intention d’ébranler le spectateur, de susciter sur la scène des mouvements corporels qui sont l’émanation physique des affects. Au cours du dernier tiers du XVIIIe siècle, la multiplication des didascalies et autres indications de jeu scénique dans le théâtre parlé, marquant aussi une invasion du texte parlé par tout ce qui relève du non verbal, est en rapport étroit avec l’émergence du mélodrame, où l’on observe une invasion similaire. Pour son drame larmoyant Eugénie (Comédie-Française, ), Beaumarchais avait prévu des « jeux d’entracte » placés entre les actes de la pièce. Il s’agit de scènes pantomimes et entièrement muettes ayant pour fonction d’éviter tout relâchement de tension entre les actes : « l’action théâtrale ne se reposant jamais » entre les actes, il est nécessaire de maintenir celle-ci par une « action pantomime » qui puisse soutenir « sans la fatiguer, l’attention des spectateurs 55 ». L’action qui ne se repose jamais, c’est aussi l’action qui se montre constamment aux spectateurs, suivant le principe de monstration absolue du « tout savoir, tout connaître, tout prévoir » qui régit l’esthétique mélodramatique 56. On ne saurait mieux décrire ce principe que dans les termes du Marquis de Sade, dont l’Avertissement de la pièce Sophie et Desfrancs ou le Misanthrope par amour (la pièce fut reçue en  à la Comédie-Française, mais ne fut finalement jamais représentée 57) précise, dans le sillage de Diderot et de Beaumarchais, que l’action doit être représentée d’une telle manière « que le spectateur ne peut ignorer une minute aucun mouvement des différents personnages qui lui sont offerts pendant les deux heures où l’on les place sous ses yeux. » Il importe également que le spectateur soit instruit de l’activité d’un personnage même lorsque ce dernier est absent de la scène : On va même […] mettre [le spectateur] à portée de savoir tout ce [que les personnages] font relativement à l’action dans les moments de repos du dialogue ; de sorte qu’en lisant et les actes


et les pantomimes qui les suivent il aura de l’action le complément le plus certain qu’il soit possible de donner. […] Aucune distraction ne peut ici refroidir l’intérêt du drame, tout se lie, tout s’enchaîne, tout force à arriver au but sans interruption 58.

  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LE MÉLODRAME MIMODRAMATIQUE • L’ART DE L’ATTITUDE

En , il n’aurait pas été plus inhabituel d’exiger des acteurs de telles actions scéniques (même si dans le cas de Sophie et Desfrancs, celles-ci ne virent jamais le jour). Mais encore en , à l’occasion des premières représentations d’Eugénie de Beaumarchais, les acteurs de la Comédie-Française avaient pris ombrage de ces numéros pantomimiques,y voyant l’intrusion de pratiques propres au bas comique et jugées dégradantes pour eux, qu’il fallait par conséquent réserver aux seuls acteurs forains. L’incident fut reporté par Fréron : solidaire des comédiens du Français, Fréron ne vit dans ces jeux d’entracte rien d’autre que l’équivalent des « singeries célèbres dont les Italiens et les Forains sont en possession depuis longtemps 59. » Pour les représentations à la ComédieFrançaise, Eugénie dut être amputée de ces scènes d’entracte. Huit ans après Eugénie,soit en ,les pantomimes de Pygmalion ne suscitèrent aucun esclandre dans ce même théâtre lors de ses premières représentations. Signe des temps, ce fut même en grande partie pour ses vertus pantomimiques que le Pygmalion put être représenté publiquement à Paris sur la scène de la ComédieFrançaise, et ce grâce à l’acteur Larive (Jean-Mauduit, dit aussi Larrive, Delarive ou De la Rive, -). Créateur du rôle du statuaire à la Comédie-Française, Larive s’était déjà taillé de beaux succès dans ce même rôle en province, et avait fait de ces pantomimes son pain bénit 60. Acteur au physique avantageux, quoique doté d’une diction « plus éblouissante que profonde 61 », moqué par Grimm qui l’avait comparé à « un oiseau de proie superbe, mais sans esprit [et] fort bête 62 », Larive eut à souffrir durant toute sa carrière de la concurrence des Talma et Lekain. Aussi fit-il de son port de tête et de son physique ses principaux atouts. Larive était généreux dans ses gestes qu’il avait tendance à « [multiplier] un peu trop », mais surtout, « il était si ambitieux des effets qu’il sacrifiait maintes fois de très beaux morceaux, des scènes entières, pour en produire de surprenans aux endroits qu’il avait marqués 63. » C’est ce dont semble témoigner le livret du Pygmalion imprimé par le libraire Gui chez la Veuve Duchesne à l’occasion des représentations de l’ouvrage en  à la Comédie-Française. Il est probable que la


copie sur laquelle Gui établit son livret a pu provenir de Larive lui-même, lequel aurait remanié le texte ad usum delphini. En effet l’édition de  a modifié à trois reprises le texte du monologue, comme le démontre une comparaison avec le texte original établi d’après l’autographe, lequel correspond également aux versions imprimées avant  : [Pygmalion] — Je ne sais quelle émotion j’éprouve en tou-

chant ce voile ; une frayeur me saisit ; je crois toucher au sanctuaire de quelque divinité. Pygmalion ! c’est une pierre ; c’est ton ouvrage ;… Qu’importe ? On sert des Dieux dans nos temples qui ne sont pas d’une autre matiére, et n’ont pas été faits d’une autre main. Il léve le voile en tremblant, et se prosterne. On voit la statue de Galathée […] 64

Ill. 5.6 L’acteur Larive dans le rôle de Pygmalion (1787)

La dernière phrase du monologue a été supprimée après l’interjection « Qu’importe ? » Ainsi le geste du dévoilement qui doit suivre gagnerait en impact et le retranchement de l’indication « et se prosterne » ne signifie pas pour autant que Larive ne faisait rien d’autre qu’ôter le voile. Certainement devait-il, une fois


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LE MÉLODRAME MIMODRAMATIQUE • L’ART DE L’ATTITUDE

la statue dévoilée, se figer dans une pose debout signifiant la surprise et l’émotion, bras écartés, paumes des mains ouvertes, yeux écarquillés, comme le requiert les us gestuels de l’époque. Le nouveau soin apporté au costume est lui aussi conséquence de l’eloquentia corporis : Larive avait fait sensation en apparaissant sur la scène du Théâtre Français vêtu d’une simple toge blanche marquant sa taille et découvrant ses beaux bras, ruban blanc dans les cheveux et cothurnes tout aussi blanches aux pieds, créant d’ailleurs un saisissant contraste avec Mlle Raucourt en Galathée, qui n’avait pas renoncé à la robe à paniers. C’est ainsi que nous le montre une aquatinte illustrant l’un des passages les plus pantomimiques du Pygmalion (voir illustration 5.6). Sur la musique de la séquence n° , après s’être approché de la statue de Galathée, Larive laisse tomber le maillet (il devrait s’agir d’un ciseau selon le livret), et sa main droite, paume ouverte face à la statue, fait le geste caractéristique de la surprise et même de l’effroi : moment idéal pour être figé en une attitude. La représentation de Larive est ici un cas typique de ce que Pierre Frantz a défini comme un « tableau-comble », qui « montre un comble d’agitation [tout en] le [fixant] 65 ». Il est instructif de confronter l’attitude de Larive avec celle plus tranquille et dépassionnée adoptée par l’acteur August Wilhelm Iffland, qui avait joué le rôle de Pygmalion à Weimar en  sur l’instigation de Goethe (et probablement sur la musique d’Anton Schweitzer). Un portrait de l’artiste suisse Anton Graff (), outre qu’il fournit des renseignements non négligeables sur l’accoutrement de l’acteur, lui aussi dans le goût grec, nous montre Iffland dans une épure de décor représentant l’atelier de Pygmalion, avec une statue dans le lointain (voir jaquette de l’ouvrage). Quant à la statue de Galathée, réduite au profil de son buste, elle se devine plus qu’elle ne se voit, le bas du corps étant encore recouvert du voile. À la différence de l’attitude de Larive, celle d’Iffland relève davantage de la contemplation admirative. Le bras droit fait un geste dépourvu de sens particulier tant il est fréquent : mouvement purement indicatif signalant Galathée, dirigeant notre attention sur l’ombre gauche du tableau. La paume ouverte de son autre main, le bras replié, ne signifie non pas tant l’effroi qu’une admiration encore craintive devant le prodige, bien que chez Iffland ce geste soit représenté avec moins d’amplitude que chez Larive.


L’importance de cet art de l’attitude dans le Pygmalion de Rousseau peut être illustrée par un livret de l’œuvre, imprimé à Vienne en  par le libraire Kurzböck, à l’occasion des représentations de cet ouvrage lors du Carnaval des  et  février, sur une musique de Franz Asplmayr 66. Le livret de l’édition Kurzböck donne le texte de Rousseau dans la langue originale ainsi que dans ses versions allemande et italienne 67. Ces traductions sont assez libres, et comme nous l’apprend l’avis en p. [ii] : « L’Éditeur de cet Ouvrage de l’éloquent Rousseau a pris la liberté de sacrifier quelques beautés de l’Original, il l’a dû faire par des motifs toujours respectables : il ne s’est pas permis de les remplacer, il n’aurait pu l’entreprendre sans une folle témérité. B. ». Le « B » est l’initiale du poète et librettiste Johann Christian Brandes, dont l’épouse Charlotte fut la créatrice du rôle d’Ariane dans son propre livret Ariadne auf Naxos mis en musique par Benda. Le principal intérêt de cette édition réside dans ses nombreuses indications musicales et pantomimiques, ainsi que dans la disposition du texte et des indications afférentes, en trois colonnes. Cette présentation est identique dans les trois versions française, allemande et italienne. La colonne de droite donne le texte de Rousseau, celle de gauche la « description des ritournelles », c’est-à-dire les séquences musicales entrecoupant le monologue du statuaire, tandis que la colonne du centre indique leur durée. Les emplacements musicaux choisis par Asplmayr diffèrent sensiblement de ceux de la version Rousseau-Coignet, et les « ritournelles » sont exclusivement d’ordre pantomimique, puisqu’elles concernent toujours des didascalies indiquant des gestes ou attitudes de Pygmalion. Ce n’était pas toujours le cas dans la partition de Coignet : les séquences n° , ,  ne concernent pas des didascalies et sont placées directement avant la reprise du monologue de Pygmalion. La version d’Asplmayr diffère, sauf pour les très brèves séquences n°  à , où un coup d’archet vient à chaque fois « entrecouper » le discours de Pygmalion. Ces indications sont d’une grande précision, ce qui a fait dire à Georges Becker puis à Edgar Istel qu’elles étaient de Rousseau luimême : « Quiconque est familier avec sa manière d’écrire [de Rousseau] s’en convaincra 68. » Cette opinion est cependant douteuse : des expressions comme « quelques mesures qui peignent une tendre mélancolie », « la musique parle », « une musique fré-


quemment coupée par des soupirs et des demi-soupirs » et « la Pantomime commence en silence » étaient alors d’authentiques lieux communs dans le vocabulaire théâtral et musical du XVIIIe siècle. Ces expressions témoignent au contraire d’une tradition bien établie dans le domaine de la musique pantomimique, alors en plein renouvellement sous la poussée des réformes de Noverre.

  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LE MÉLODRAME MIMODRAMATIQUE • L’ART DE L’ATTITUDE



 

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LE MÉLODRAME MIMODRAMATIQUE • L’ART DE L’ATTITUDE


On pourra sans doute sourire aujourd’hui de la naïveté émanant de ces correspondances entre ritournelles et pantomimes descriptives de l’édition Kurzböck, tant elles témoignent d’une conception d’une musique qui se veut être aussi expressive qu’illustrative : dire et montrer. C’est là une tradition qui s’est fermement maintenue jusqu’au XXe siècle, et qui est restée tout particulièrement vivace en France, avec des ouvrages protéiformes mêlant musique, danse, mime et déclamation, à l’exemple de la Perséphone de Gide mise en musique par Strawinsky, ou encore des mélodrames de Valéry pour Honegger (Amphion,  ; Sémiramis, ) 69. Mentionnons simplement ici que dans le livret original de Perséphone envoyé à Strawinsky en , Gide avait soigneusement précisé ce qui dans le vocabulaire du XVIIIe siècle pourrait s’appeler la « description des ritournelles ». Jugés puérils par Strawinsky, les efforts de Gide avaient été motivés par la conception d’une musique illustrative identique à celle dont témoigne le livret Kurzböck, visant à renforcer le sens des gestes et de la parole, et qui s’est développée tout au long du XIXe siècle : on y reviendra tout particulièrement avec les scènes pantomimes de La Muette de Portici d’Auber 70.


 

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • CHAPITRE • SS-CH


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DU LAVATÉRISME AU STATUE POSING



EN MUSIQUE DANS LE TEXTE

La conception quintilienne de l’actio, fondée sur les rapports hiérarchiques entre déclamation et geste, instaure une forme de discours autoréflexif où le geste est dépendant de ce qu’énonce la voix, en ce qu’il la représente : il doit toujours suivre la parole. Quintilien n’ignorait pas le défaut de tautologie ou de redondance pouvant en résulter, et ses conseils, portant principalement sur la « mesure » et la « modération », ne parviennent toutefois pas à donner des préceptes clairs afin d’éviter ces redites. La correspondance entre ce qu’énonce la voix et ce que dit le corps relève de la préoccupation des Anciens pour la relation entre corps et âme, conçue selon un rapport de cause à effet de la seconde sur le premier : l’image du corps dépend de l’âme qu’il contient. L’idée que le corps représente l’âme à un moment précis, celui d’une crise, est l’un des fondements de l’esthétique mélodramatique. L’actio quintilienne est toutefois moins préoccupée dans son ensemble par le corps que par la seule gestuelle des mains (chironomie) et les mimiques faciales. La chironomie est d’ailleurs restée l’un des plus persistants avatars de la tradition quintilienne. On la trouve déjà remise au goût du jour en  dans un traité de Giovanni Bonifacio : L’Arte de’cenni, con la quale formandosi favella visible, si tratta della muta eloquenza, che non è altro che un facondo silenzio [L’art des gestes, par lequel se formant fable visible, il est traité de l’éloquence muette, qui n’est rien d’autre

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A magnificent bit of plastik, that ! (George Eliot, Daniel Deronda)


qu’un silence parlant]. L’ouvrage reste toutefois exceptionnel pour l’attention qu’il porte à la gestuelle du corps, allant bien au-delà de questions purement chironomiques : André Chastel a d’ailleurs décrit ce traité comme étant une « sémiologie du corps tout entier 1 ». La chironomie quintilienne fit également l’objet des deux volumes de John Bulwer publiés en  : Chironomia et Chirologia 2, lesquels connurent plusieurs rééditions et imitations jusqu’au XVIIIe siècle, comme la Scoperta della chironomia ossia L’Arte di gestire con le mani [La découverte de la chironomie ou l’art de parler avec les mains] de Vincenzo Requeno (Parme, ). Considérée comme partie principale de l’art oratoire, la chironomie est encore au cœur du célèbre traité sur la déclamation du révérend dublinois Gilbert Austin publié en  : Chironomia or a Treatise on Rhetorical Delivery (bien qu’Austin ne mentionne nulle part Bulwer). Outre un nombre considérable de sources antiques, les références les plus fréquentes faites par Austin sont celles renvoyant à Engel, Du Bos et Marmontel. Ses préceptes chironomiques (surtout le chapitre XIII) sont illustrés par cinq planches de gravures (sur les onze que compte l’ouvrage) directement inspirées des indications de Quintilien 3. Quant à l’étude des mimiques, elle avait dès l’Antiquité rejoint le domaine de la physiognomonie, l’étude des manifestations physiques des dispositions de l’âme. Il s’agit d’un domaine parallèle, car bien que n’étant pas née de l’art oratoire, la physiognomonie s’est développée à la manière d’une dérive de celui-ci, montrant à quel point la frontière entre ces deux disciplines peut être ténue. Ce phénomène s’observe très nettement à la fin du XVIIIe siècle, avec le retentissement européen des Physiognomische Fragmente (-) du pasteur zurichois Johann Caspar Lavater, fruit de l’illuminisme de la fin du XVIIIe siècle, et dont le succès allait se maintenir durant tout le XIXe siècle (Goethe, Jean-Paul, Madame de Staël et Balzac, pour ne citer que ceux-ci, furent de ses admirateurs). La physiognomonie allait revêtir les atours les plus divers, dérivant vers les théories les plus fantaisistes, comme la phrénologie, déjà raillée par Rodolphe Töpffer dans son propre Essai de physiognomonie (), et ce jusqu’aux théories morphopsychologiques actuelles 4. « Le sacripant ouvrit la porte et sortit… Ha ! Lavater ! vous l’auriez bien jugé ! C’était le crime personnifié, pour la laideur, la dureté du regard et du front, l’affreux des mouvements spontanés de ses traits odieux » écrivait en


 Restif de la Bretonne dans ses Nuits de Paris, témoignant de la popularité précoce de ces théories 5. Déjà en , Engel avait mis en garde ses lecteurs : « [On observe entre] les deux arts [de la mimique et de la physiognomonie] une lisière commune ». Et Engel de souligner sa méfiance à l’égard des Physiognomische Fragmente qu’il ne pouvait pas ne pas connaître mais qu’il aurait préféré ignorer : « Je n’ai pas les Physiognomische Fragmente de Lavater sous la main, mais si je les voyais sur mon pupitre, je ne les recommanderais qu’à contrecœur 6. »

 

Ill. 6.2 Le Flegme, grav. anon., in Henry Siddons, Practical Illustrations of Rhetorical Gestures and Action (Londres, 21822)

Il est pourtant difficile de ne pas percevoir sous la plume de Engel des pointes de lavatérisme, tout particulièrement dans certaines de ses descriptions qu’on qualifierait aujourd’hui de morphopsychologiques. Le personnage de la gravure n° , plutôt trapu, avec un ventre proéminent et un visage rond, les mains dans le dos, représente selon Engel « un grand flegme, une inattention achevée, de l’insouciance […] L’épaisseur du ventre, où les bras tombent par eux-mêmes, peut rendre cette position encore plus confortable 7 » (voir illustration 6.1). Ce n’est pas tant l’attitude et les gestes du personnage qui indiquent son état, que sa constitution physique. Il y eut bien comme une relation de cause à effet entre cette nouvelle esthétique théâtrale et la diffusion populaire du lavatérisme, qui mena à une trivialisation de l’eloquentia corporis au XIXe siècle. De même, à l’intense production de codes qui vit le jour durant le XVIIIe siècle répondit une forme de régulation au

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Ill. 6.1 Attitude flegmatique, gravure de J. W. Meil, in Johann Jakob Engel, Ideen zu einer Mimik (Berlin, 1785)


cours du siècle suivant. La prolifération de traités sur l’art de l’acteur durant le XIXe siècle témoigne de cette trivialisation. Ces traités sont d’ailleurs pour la plupart d’entre eux largement redevables à Engel, lequel connut une importante diffusion européenne depuis sa publication en - 8 et au cours de la première moitié du XIXe siècle. Publiée en , la traduction anglaise du traité d’Engel par Henry Siddons – fils de la célèbre actrice Sarah Siddons et lui-même dramaturge – est une adaptation au goût de son époque, non seulement du texte allemand, mais aussi des gravures d’attitudes originales. L’édition de Siddons accentue le lavatérisme latent de certaines des gravures originales du traité de Engel, transformant certaines des plus typées en authentiques caricatures (par exemple les gravures n°  : flegme, voir illustration 6.2 ; n°  : étonnement ; n°  : volupté ; n°  : arrogance vulgaire ; n°  : suffisance ; n°  : triomphe vulgaire ; n°  : obséquiosité. ). Henry Siddons a également pris la peine de légender précisément toutes les gravures. L’ouvrage s’ouvre sur une série de soixanteneuf attitudes soigneusement définies (outre celles nommées plus haut, on en trouve d’autres qui traduisent l’admiration sublime, la soif, la servilité, la grandeur déchue, l’amour sans espoir, la ruse paysanne, l’impudence à la mode…) Chez Engel, les versions originales de ces gravures, non légendées, correspondaient le plus souvent à des cas individualisés, tirés de pièces précises, qui plus est distribuées au sein du texte même de manière à les relier aisément avec l’explication verbale. Les gravures publiées par Siddons sont au contraire offertes aux lecteurs comme des attitudes-types à valeur universelle, présentées en début d’ouvrage et de ce fait bien moins faciles à mettre en rapport avec le texte explicatif. Cette trivialisation du geste va de pair avec une approche poussant à outrance sa taxonomie. Il est intéressant de noter que l’ouvrage de Dene Barnett (), traitant de la gestuelle tragique au XVIIIe siècle, se présente comme un catalogue ou dictionnaire de gestes : approche taxonomique qu’on ne trouve toutefois pas dans les traités de Riccoboni ou Engel, ceux-ci n’étant pas conçus comme des « catalogues raisonnés » de gestes 9. L’approche de Johann Georg Sulzer dans son Allgemeine Theorie der schönen Künste (-) témoigne en revanche d’un souci plus taxonomique. Dans l’article dévolu aux gestes, il se lamente


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de l’absence d’un tel catalogue raisonné et du fait que Cicéron et Quintilien n’ont donné que des instructions générales. Il est dommage, toujours selon Sulzer, que les rhéteurs grecs, qui ont pourtant donné méticuleusement un nom et des explications pour chaque figure rhétorique, n’en aient pas fait autant pour les gestes : « Il est à désirer, qu’un bon dessinateur puisse commencer une collection de gestes emphatiques et parlants. […] Cela serait une digne entreprise pour une académie d’art, que d’organiser une telle collection 10. » Déjà en  le peintre anglais William Hogarth avait donné dans son Analyse de la beauté une condamnation implicite de toute entreprise de codification du geste : « L’action est un langage que l’on parviendra peut-être un jour à soumettre à des règles exactes, mais jusqu’à présent elles n’ont été apprises que par routine et par imitation 11. » Car décrire, que ce soit avec une fastidieuse méticulosité (comme le font Riccoboni ou Rémond de Saint Albine, d’ailleurs sur ce point critiqués par Engel), ou au contraire avec un flou caractéristique (comme chez Engel), ce n’est pas définir : quiconque a consulté ces sources sait à quel point elles s’avèrent être au bout du compte systématiquement décevantes, pour qui voudrait chercher le geste ad hoc pour tel mot ou telle situation donnée. La floraison de traités au XIX e siècle est certes symptomatique, mais elle s’avère généralement bien décevante lorsqu’on se penche sur le contenu de ces textes. Ces ouvrages témoignent avec plus ou moins de bonheur de l’ampleur historique vaste de plusieurs siècles qui s’offre désormais à leurs auteurs. À dire vrai on ne trouve guère quoi que ce soit de nouveau dans ces livres se contentant de reprendre dans les grandes lignes ce qui a été énoncé depuis Cicéron et Quintilien jusqu’à Engel. En donnant un nouvel habillage aux théories ressassées depuis l’Antiquité, bon nombre de ces textes offrent la vulgarisation d’un art rhétorico-pantomimique débité en définitions, sous forme de catalogues de gestes et d’attitudes, le plus souvent avec le secours d’illustrations à but didactique. À cette époque, l’éloquence du geste se mettra « à la portée de tous ». La Chironomia d’Austin () inaugure en la matière, en donnant des planches pour les « complex significant gestures », chacune renvoyant à un cas précis ; deux planches sont consacrées au système de notation de gestes établi par Austin (bras, jambes et position générale du corps :


pl.  et pl. ) ; deux planches pour les « positions systématiques des bras » (pl.  et ) ; cinq planches pour les « positions des mains utilisées par les anciens orateurs » et inspirées des préceptes de Quintilien (pl.  à ). Les figures n°  à n°  de la planche  ont quant à elles été inspirées par la gestuelle de l’actrice Sarah Siddons dans son répertoire, lors de certaines répliques (chaque figure renvoie ainsi à une citation précise ; voir illustrations 6.3 A et 6.3 B) 12.

Ill. 6.3 A et 6.3 B Dessins de Kelly pour Austin, Chironomia, or a Treatise on Rhetorical Delivery, planches 10 et 11 (Londres, 1806)

Explication des figures : n° 99 : terreur ; n° 100 : aversion (i) ; n° 101 : aversion (ii) ; n° 102 : horreur ; n° 103 : écoute craintive ; n° 104 : admiration ; n° 105 : vénération ; n° 106 : déprécation ; n° 107 : invocation au ciel ; n° 108 : honte ; n° 109 : résignation ; n° 110 : joie mêlée de surprise.

Explication des figures : n° 111 : doute (i) ; n° 112 : doute (ii) ; n° 113 : chagrin ; n° 114 : peur de l’esprit ; n° 115 : Lear ; n° 116 : The Fair Penitent (i) ; n° 117 : The Grecian Daughter (i) ; n° 118 : Constance ; n° 119 : The Grecian Daughter (ii) ; n° 120 : The Fair Penitent (ii) ; n° 121 : Lady Randolph ; n° 122 : Belvidera.


Ce qui signifie : tête et yeux vers le haut (U. pour « upwards »), les deux mains (B. pour « both hands ») croisées (cr. pour « crossed ») sur la poitrine (br. pour « breast »). C’est là un cas de geste simple, mais Austin donne par ailleurs des enchaînements de gestes plus complexes pour des monologues (un extrait des Nuits de Young, ou encore le soliloque de Brutus sur la mort de César, dans Jules César de Shakespeare, III2). Par leur raideur bien conventionnelle, les silhouettes d’Austin annoncent déjà l’art populaire des tableaux vivants tel qu’il se développera tout au long du XIXe siècle et le statue posing de la fin du XIXe siècle. Victor Hugo, pour citer un exemple célèbre,

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See where she stands like Helen [Vois où elle se tient comme Hélène] U. B. cr. br 16.

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À la lumière de ces planches, il est aisé de décoder l’attitude de Larive saisi d’effroi, avec ce qui relève chez Austin de la peur ou de l’horreur (la peur pouvant être provoquée par quelque chose de sublime, ou d’effroyable). La figure n°  (illustration 6.3 A) représente « l’horreur, qui est de l’aversion ou de l’étonnement mêlé à la terreur, [et qui] est rarement capable de battre en retraite, mais reste pétrifiée en une attitude, avec les yeux fixés sur son objet, et le bras tendu en avant pour protéger sa personne, les mains à la verticale, et tout le corps tremblant 13. » On peut encore rapprocher l’attitude d’Iffland de la figure de l’admiration chez Austin (figure n°  ; illustration 6.3 A) : « L’admiration, si créée par l’environnement d’objets naturels d’une sorte agréable, élève ses deux mains à la verticale et des deux côtés, et les meut à l’extérieur de la position, étendus comme dans l’illustration. Si l’admiration est provoquée par quelque circonstance extraordinaire ou imprévue, les mains sont dressées à la verticale, de même que le maintien général et les yeux 14. » Quant à la figure n°  (illustration 6.3 B), elle traduit l’attitude de la « résignation, mêlée avec du désespoir […], la tête renversée en arrière,les yeux tournés vers le haut et fixes,les bras croisés.Un bel exemple est donné par la figure de l’attitude de Mrs. Siddons 15. » Plus précisément, cette attitude correspond à la scène de l’acteV de The Fair Penitent (Nicholas Rowe, ), pour lequel Austin a minutieusement décrit la pantomime de Sarah Siddons en usant de son propre système de notation des gestes:


s’était fait le témoin en , à la Porte Saint-Martin et au Cirque, de ces spectacles composés de femmes « nues, vêtues seulement d’un maillot rose et d’une jupe de gaze, exécutant des pauses qu’on appelait Tableaux vivants avec quelques hommes pour lier les groupes […] Ces gens étaient tous anglais. De cinq en cinq minutes, le rideau s’entr’ouvrait, et ils exécutaient un tableau. Pour cela ils étaient montés et disposés dans des attitudes immobiles 17 ». Si Hugo ne mentionne pas la présence d’une musique, celle-ci était cependant souvent sollicitée, bien que de manière surtout décorative. Cette tradition du tableau vivant allait se maintenir dans le cinéma muet, dont on observe la prédilection pour des statues prenant vie : ainsi du somnambule Cesare dans Le Cabinet du Docteur Caligari (RobertWiene, ), et de sa « suite » artistique, Genuine, du même Wiene (), qui n’est autre qu’un « tableau vivant » filmé, relatant l’animation progressive d’une figure féminine dans un tableau et qui finit par en franchir le cadre, après une série d’attitudes plastiques ; le Golem dans la légende homonyme filmée par Paul Wegener et Carl Boese () participe de ce même goût pour la statue prenant vie, de même que les mannequins du Cabinet des figures de cire de Paul Leni () dont les trois épisodes (Ivan le Terrible, Haroun Al Rachid et Jack l’Éventreur) ont pour point de départ leurs statues exposées dans une baraque de foire. Encore en , Pier Paolo Pasolini met en scène dans son moyenmétrage La ricotta deux tableaux vivants dans le droit sillage de ceux de Vigée-Lebrun, inspirés d’une Crucifixion de Pontormo et d’une Déposition de Rosso Fiorentino : scènes tragiques transformées en séquences loufoques par une erreur d’accompagnement musical (l’assistant du metteur en scène passe des tubes italiens au lieu d’un choix de Sinfonie d’Alessandro Scarlatti). Le tableau vivant est aussi au cœur de l’intrigue du film de Raúl Ruiz, L’hypothèse du tableau volé (), dont la narration se déroule selon une série de six tableaux vivants reconstituant des œuvres d’un peintre fictif du XIXe siècle, Frédéric Tonnerre ; de même que Passion de Jean-Luc Godard (), où les reconstitutions d’œuvres d’El Greco, Goya, Rembrandt, Delacroix et Ingres illustrent le dilemme du « dire ou montrer » propre au récit filmique (« pourquoi faut-il toujours avoir une histoire ? » répond le réalisateur aux figurants des tableaux vivants se plaignant qu’il n’y ait « pas d’histoire »).


Dans les pays anglo-saxons l’art bourgeois du statue posing allait rester particulièrement vivace jusqu’au début du XXe siècle ; on trouve dans le roman Daniel Deronda () de George Eliot une savoureuse description d’un de ces spectacles (avec fond musical réalisé au piano) qui se donnaient dans les salons bourgeois, et où l’attitude artificielle de l’héroïne, posant dans un tableau où elle incarne Hermione, est subitement altérée par un événement imprévu qui la terrifie, la transformant en « magnificent bit of plastik [un magnifique morceau de plastique] » autrement plus saisissant de réalisme que sa singerie hellénisante 18.  

Le statue posing fut vulgarisé dans de nombreux ouvrages anglosaxons de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, principalement destinés à un public féminin, et proposant plusieurs poèmes et monologues destinés à être « mis en gestes » dans une série d’attitudes rigoureusement détaillées – le plus souvent expliquées en toutes lettres, ou renvoyant à des photographies ou des gravures de poses « ready-made », d’ailleurs guère éloignées des figures d’Austin. L’attitude suivante tirée des Delsartean Pantomimes with Recital and Musical Accompaniment. Designed for Home, School, and Church Entertainments () de J.W. Shoemaker, l’une des nombreuses

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Ill. 6.4 « On this home by horror haunted ! » Attitude pour « The Raven » d’Edgar Allan Poe, in J. W. Shoemaker, Delsartean Pantomimes…, (Philadelphie, 1902)


disciples américaines de François Delsarte, illustre le passage suivant du poème d’Edgar A. Poe The Raven : « Dans cette maison hantée par l’horreur – Corps tiré en arrière. Transition – main droite près du front, paume faisant face, coude bien en dehors, main gauche dans la zone inférieure, de côté et poing fermé 19 » (Voir illustration 6.4). Bien souvent le statue posing se faisait en musique (comme l’indique d’ailleurs le titre de l’ouvrage de Shoemaker), mais en général ces livres de recettes gestuelles restent remarquablement imprécis pour ce qui est des suggestions d’accompagnement musical. Le plus souvent, les éditeurs recommandent qu’on utilise une musique dont « l’atmosphère » s’adapte au ton du poème ou de l’attitude à représenter, quand ce n’est pas le texte qui fait une allusion précise à telle ou telle œuvre 20. DONNER CORPS AUX PASSIONS

L’approfondissement de la connaissance des passions de l’âme, ou pathognomonie, avait déjà été une caractéristique du XVIIe siècle, quoique premièrement axée sur le visage, miroir de l’âme et siège des passions, au détriment du corps dans son ensemble. On pense bien sûr au traité de Descartes sur les passions de l’âme (), et plus encore à l’œuvre pathognomonique (et non physiognomoniste ou physionomiste comme on le lit parfois) du peintre Charles Le Brun, dont la teneur fut pour la première fois présentée dans sa « Conférence sur l’Expression des Passions » prononcée à l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture en , avant d’être publiée sous une forme remaniée en  avec les célèbres « têtes d’expression » 21. Mais Le Brun n’est pas tant redevable à Descartes qu’à Marin Cureau de La Chambre, médecin ordinaire de Louis XIV qui avait publié entre  et  les cinq volumes des Charactères des passions 22. L’œuvre de Cureau de La Chambre s’inscrit dans une tradition représentée par plusieurs traités du XVIe siècle, eux-mêmes dans la lignée des physiognomonistes gréco-latins et plus particulièrement d’Hippocrate 23. La « Conférence » de Le Brun avait notamment pour but de mettre en image ces signes, tels que définis par Marin, dont l’ouvrage était dépourvu de toute gravure. Si les traités seiziémistes font encore état des préoccupations humanistes où microcosme et macrocosme participent d’un univers commun régi par les mêmes concordances, le traité de Cureau de La Chambre porte


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • CORPS PARLANTS • DU LAVATÉRISME AU STATUE POSING

la marque de son temps en rompant avec la conception des caractères des passions perçus comme des allégories. En effet l’iconographie du XVIe siècle ignore pour ainsi dire la représentation humaine de la passion. Il suffit de se pencher sur les gravures de la troisième édition de l’Iconologia ovvero descrizione dell’Imagini universali cavate dall’antichità et da altri luoghi de Cesare Ripa (Rome, 3 ; les première et deuxième éditions de  et  furent publiées sans illustrations), ouvrage fondateur consacré à la mise en image des « vertus, vices, affects, passions humaines, corps célestes, le monde et ses parties », et dont l’utilité devait être destinée selon l’auteur aux « prédicateurs, poètes, faiseurs d’emblèmes et estampes, sculpteurs, peintres, dessinateurs, copistes, architectes & concepteurs d’appareils 24. » Beaucoup plus développé que dans ses principales sources d’inspiration 25, l’anthropomorphisme des allégories de Ripa restitue cependant un univers peuplé de silhouettes hiératiques et généralement féminines, où le visage est réduit à sa plus simple expression, mettant d’autant mieux en valeur les attributs symboliques des costumes et des accessoires. En revanche, les gravures des rééditions et autres imitations de cette même Iconologia au XVIIIe siècle témoigneront d’une influence indéniable de cette nouvelle manière de représenter les passions qu’avait inaugurée Le Brun. C’est le cas de l’édition de Johann Georg Hertel publiée en  avec les gravures dessinées par le peintre Gottfried Eichler le jeune 26, qui semble placer ses allégories sur une scène de théâtre. En comparaison avec d’autres adaptations dixhuitiémistes de l’Iconologie de Ripa, celle de Hertel se distingue tout particulièrement par la grande économie du texte, la valeur illustrative des gravures suffisant largement à leur propre intelligibilité 27. Les gravures sont légendées d’un bref fatto, souvent tiré des Écritures, et qui n’est d’ailleurs pas toujours en rapport direct avec l’image. La gravure du « Désespoir » montre bien ce processus de théâtralisation de l’allégorie. Simplement légendée au sujet de Judas Iscariote (« Judas ne réfléchit point au moment de sa trahison ; mais plus tard il se pendit pour ce qu’il avait commis »), la gravure représente une femme (quoique fort androgyne) le corsage ouvert montrant un poignard planté dans le cœur ; à ses pieds un cadran solaire brisé, symbolisant l’égarement. La gravure d’Eichel a suivi à la lettre la description de Ripa : « La personnification du désespoir est une femme qu’on voit sur un fond de


ruines. Elle a une épée en travers du cœur 28. » Tout en ayant conservé les traits principaux de l’allégorie de Ripa, l’illustration s’est muée en scène théâtrale, avec un personnage-spectateur à l’arrière-plan semblant accourir vers la femme, et un paysage en ruines et sauvage en guise de locus terribilis, tandis que la figure féminine évoque le personnage de Didon (voir illustration 6.5). La passion est une déviation qu’il faut transcender : dans le système de Charles Le Brun, l’expression de base est celle de la tranquillité, caractérisée par un état de complète neutralité, et qui, sur le plan de la mimique, se traduit par un état musculaire dénué de toute tension ou relâchement excessifs. C’est à partir de cette expression que toutes les passions vont se construire, celles-ci étant représentées graphiquement comme autant de déviations à la position normative qu’incarne le faciès de la tranquillité : les figures de la crainte, de la frayeur, de la colère, sont marquées par des mouvements des muscles faciaux modifiant le placement des sourcils, des lèvres et des yeux par rapport à cet axe normatif. En établissant la représentation des passions selon des normes purement anthropométriques, Le Brun montre que les passions en elles-mêmes sont irreprésentables : seuls leurs effets peuvent être décrits et observés. Le peintre donne à voir non pas les passions en elles-mêmes, dans une vision qui serait purement allégorique, mais leurs signes provoqués par la dynamique du corps. Dans le sillage de Le Brun, les traités physiologiques et physiognomoniques du XVIIIe siècle allaient poursuivre cette recherche sur les signes physiques des passions. Les planches publiées à Londres en  dans l’essai Human Physiognomy Explain’d de James Parsons montrent notamment le visage d’une femme au repos, muscles relâchés, puis ce même visage sous l’effet des contractions musculaires suscitées par la colère ou le mépris. Ces gravures s’inspirent très clairement – quoique sans mention aucune – des planches de Le Brun 29.Trente ans plus tard, les planches de Parsons seront encore reprises sans modification dans les Physiognomische Fragmente de Lavater 30, ainsi qu’en  dans l’ouvrage du médecin anglais Charles Bell : Essays on the Anatomy of Expression in Painting, fort représentatif de son temps pour offrir une investigation physiologique mâtinée de considérations lavatériennes. Il y a certes un paradoxe dans ces représentations de Le Brun, qui sont de purs moments fugitifs, des fruits de l’instant ne pouvant


 

être restitués qu’au prix de leur immobilisation. L’esthétique du tableau mélodramatique développée depuis la fin du XVIIIe siècle se nourrira de cette tension résultant d’une part du mouvement du corps sous l’effet de la passion, et d’autre part du statisme inhérent à sa représentation visuelle, qui ne peut que figer le mouvement – ce qui est aussi en quelque sorte le nier. L’état mélodramatique ignore le repos du corps et de l’âme, l’état de tranquillité correspondant à l’état le plus dépassionné qui soit, tel que le voulait l’idéal antique de l’ataraxie du sage. Au contraire l’esthétique mélodramatique met en scène l’âme humaine aux prises avec le monde, dans un état de confrontation perpétuelle. Précisément parce que les passions sont des mouvements de l’âme, la crise mélodramatique ne peut se concevoir que dans un dynamisme constant qui permet de projeter la psyché dans le monde extérieur, de la rendre concrètement visible à travers les mouvements de l’acteur. Au paradigme mélodramatique du « tout savoir, tout connaître, tout prévoir » répond ce moyen d’expression idéal qu’est le tableau scénique régi par un principe de monstration absolue : tout montrer, tout expliquer, tout dire, comme l’avait déjà recommandé Diderot au sujet de ce « spectateur omniscient » évoqué dans De la poésie dramatique 31.

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Ill. 6.5 Le Désespoir, dessin d’Eichler le jeune gravé par E. Eichel, in J. G. Hertel, Des beruehmten italienischen Ritters Caesaris Ripae allerley Kuensten… (Augsbourg, 1758-1760)


Durant le dernier tiers du XVIIIe siècle, l’esprit des ContreLumières aidant, les développements du théâtre larmoyant et la mise en place d’une esthétique du sentiment allaient remettre au goût du jour l’idée de la représentation visible des passions et des affects magnifiée dans le tableau scénique et l’art de l’attitude. Le personnage de Médée est emblématique d’une telle esthétique.Témoin privilégié de cette corporification des passions, Johann Jacob Engel a consacré quelques lignes à ce personnage dans son Ideen zu einer Mimik, tout en faisant preuve d’un jugement critique envers l’excès susceptible de menacer à tout moment le jeu de l’acteur, risquant de le rendre incontrôlé, et donc trop vrai, ne pouvant dès lors plus signifier l’artifice : Parmi les gestes du corps, beaucoup obéissent mal à la volonté de l’âme, ou ne se retiennent pas aisément lorsqu’un sentiment authentique veut s’exprimer ; et qui ne peuvent non plus, lorsqu’un tel sentiment fait défaut, être correctement exprimés par l’art.Telles sont les larmes de tristesse, la pâleur de la peur, le rougissement de la honte ; des phénomènes que je ne désigne pas comme des gestes, mais qui peuvent toutefois l’être, selon mes explications. Comme l’impossible ne peut être exigé, on s’en remet volontiers à l’acteur pour toutes ces modifications échappant à la volonté, et on peut se montrer satisfait quand il imite fidèlement, mais avec mesure, celles pouvant être contrôlées. Avec mesure dis-je, car il y a ici la règle de la modération […] Une fureur qui s’arrache les cheveux, qui grimace de tout le visage et rugit jusqu’à ce que tous les muscles se gonflent et les yeux s’injectent de sang, une telle fureur peut être très vraie dans la nature, mais dans l’imitation [théâtrale] elle est repoussante. Je me rappelle de certaines Médées, qui ça et là exagèrent leur jeu gestuel jusqu’au révoltant, et hurlent si bien qu’on voudrait se boucher les oreilles. Les sens doivent-ils vraiment devenir insupportables pour ébranler le cœur 32 ?

L’une des gravures du traité Ideen zu einer Mimik de Engel (seizième lettre, er volume) présente d’ailleurs une Médée (bien que l’image ne soit pas en relation avec ce qu’a écrit Engel dans sa neuvième lettre), représentée au moment où l’idée de son crime lui vient à l’esprit : Lorsque Médée, dans sa fureur vengeresse, pense à infliger à Jason la plus mortelle et douloureuse des blessures,et lorsque cette réflexion la mène à ce souhait terrible et à cette question qui l’est encore plus:« Si seulement il avait déjà des enfants de Créüse!… n’a-t-il pas


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des enfants ? » Ainsi s’avance-t-elle avec une mimique appropriée, les mains en avant et le corps replié sur soi, alors que soudain la nature outragée s’écrie du fond du cœur de la mère « pensée terrible! Comme le frisson de la mort secoue mon corps 33. »

La gravure nous montre l’attitude d’une femme cherchant à fuir cette vision d’horreur, en tournant la tête, yeux vers le sol, tandis que les bras sont tendus et élevés vers le ciel, avec les paumes ouvertes caractéristiques qu’on trouve chez Larive, Iffland et la pantomime delsartéenne (« dans cette maison hantée par l’horreur ! » Voir illustration 6.6). L’attitude de cette Médée est par ailleurs fort similaire à l’une des silhouettes d’Austin (planche n° 10, n° 101 ; voir illustration 6.3 A), justement une pose provoquée par le dégoût qu’inspire une pensée ou un spectacle horrible et repoussant. Fenêtre sur le monde sensible, le tableau et l’attitude qu’il magnifie permettent le passage de l’externe (le corps) à l’interne (la passion qui l’anime), rejoignant l’idée du corps perçu comme reflet de l’âme. L’émergence du mélodrame à la fin du XVIIIe siècle est un des symptômes les plus révélateurs de ce désir de donner littéralement corps aux passions, tout en définissant ses signes. L’eloquentia corporis favorise l’interaction entre la psyché et le monde extérieur, tisse des analogies entre microcosme et

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Ill. 6.6 « Pensée terrible ! Comme le frisson de la mort secoue mon corps. » Gravure de J. W. Meil, in Johann Jakob Engel, Ideen zu einer Mimik (Berlin, 1785)


macrocosme, célébrant une conception de l’homme perçu comme un système de signes, lui-même placé au centre d’un univers participant de ce même système : tout est hiéroglyphe. Encore source d’effroi chez Rousseau, cette prise de conscience de l’excès de sens que provoque un monde envahi par les signes sera au contraire pleinement assumée au siècle suivant. Cette source d’effroi est encore perceptible chez Engel, qui redoute l’attitude d’un comédien littéralement devenu la proie de signes qu’il ne peut plus contrôler. Le tableau glorifie la passion humaine en inversant la donnée selon laquelle l’homme doit dominer ses passions, si ce n’est les réprimer, pour au contraire favoriser l’image du corps sous l’emprise de celles-ci.

SUPERCHERIES DU LANGAGE PANTOMIMIQUE

Dans les premiers temps, lorsqu’un pantomime dansait, un crieur public annonçait aux populations de Carthage ce que le danseur voulait exprimer. Et beaucoup de vieillards, grâce au récit de qui nous entendons habituellement parler de ces faits, se souviennent encore de ce détail. Or, nous devons les croire parce que, maintenant encore, si quelqu’un entre au théâtre sans être initié à de pareilles puérilités, c’est en vain qu’il prête son attention s’il n’apprend pas d’un autre les significations des gestes des acteurs. (Saint Augustin, De la doctrine chrétienne)

Noverre en ,puis Angiolini en ,ne furent pas les premiers à dénoncer la prétendue universalité du pouvoir d’éloquence du geste. La supercherie se fonde sur une nécessaire information du spectateur, lequel ne réalise pas toujours qu’il a été habilement informé auparavant. Noverre avait mentionné cette forme de supercherie au sujet des pantomimes du temps d’Auguste, de même qu’Angiolini à propos des actions muettes des ballets-pantomimes,ces dernières miraculeusement intelligibles pour tous les spectateurs, pour la simple raison qu’on leur avait habilement mis entre les mains quelques mois auparavant les programmes de ces ballets 34. On peut pour le moins faire remonter les origines de ce mythe jusqu’à Saint Augustin, cité par Du Bos dans la deuxième édition de ses Réflexions sur la poésie et la peinture, au chapitre « Des pantomimes, ou des acteurs qui jouaient sans parler » :


Comme les pantomimes employaient plusieurs gestes d’institution dont la signification était arbitraire, il fallait du moins être habitué à les entendre pour ne rien perdre de tout ce qu’ils voulaient dire. En effet, Saint Augustin nous apprend […] que lorsque les pantomimes eurent commencé à jouer sur le théâtre de Carthage, il fallut durant longtemps que le crieur public instruisît le peuple à haute voix du sujet qu’ils allaient représenter avec leur jeu muet. Même encore aujourd’hui, ajoute ce père, il y a des vieillards qui se souviennent, à ce qu’ils m’ont dit, d’avoir vu pratiquer cet usage. D’ailleurs nous voyons que ceux qui ne sont pas initiés aux mystères de ces spectacles n’entendent guère ce que les pantomimes veulent dire, à moins que celui auprès de qui ils sont placés ne le leur explique 35.

  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • CORPS PARLANTS • SUPERCHERIES DU LANGAGE PANTOMIMIQUE

Le mythe dixhuitiémiste du pouvoir d’éloquence universel du geste a eu encore la vie dure au cours du siècle suivant. Et sans doute que nul ne fut mieux son apôtre que le ténor FrançoisAlexandre-Nicolas-Chéri Delsarte (-), fort célèbre en son temps pour ses activités de pédagogue et même d’inventeur (on lui doit le guide-accord ou sonotype pour accorder les pianos, présenté à l’Exposition Universelle de l’Industrie à Paris en  et raillé par Berlioz dans A travers chants), et accessoirement pour être l’oncle maternel du compositeur Georges Bizet 36. Pensionnaire de l’École royale de musique et de déclamation de  à , Delsarte fut ensuite engagé à l’Opéra-Comique où ses premières expériences furent desservies par des problèmes vocaux qui avaient débuté dès ses années de pensionnat, l’obligeant à replacer radicalement sa voix (selon la technique de voix sombrée inspirée de celle de Gilbert Duprez). Abandonnant la carrière de chanteur, Delsarte poursuivit le métier d’acteur à l’Ambigu-Comique puis aux Variétés. Il allait dès lors se consacrer exclusivement à l’enseignement et au concert 37. Ses cours furent rapidement très fréquentés : parmi ses élèves, on compte la soprano Caroline Barbaut (qui créa le rôle de Léonore dans La Forza del Destino à Saint-Pétersbourg en ), ou encore l’actrice Rachel qui voulut même le faire jouer à ses côtés à la Comédie-Française. Selon Camille Saint-Saëns, ce fut auprès de Delsarte que la cantatrice Caroline Carvalho avait appris son art de la diction, bien qu’elle l’ait nié 38. Catholique enclin au mysticisme, Delsarte avait mis au point un système fondé sur l’intime union entre microcosme et macrocosme où le corps humain est conçu comme une vaste caisse de


résonance des phénomènes universels, les vibrations résultantes de cette interaction s’incarnant dans les gestes. Delsarte commença à élaborer son système dès les années , notamment à travers l’expérience de la « Famille trinitaire » qu’il prétendit avoir fondé en  (date probablement anticipée par Delsarte). Destinée à « apporter les principes du catholicisme dans la sphère de l’enseignement spécialisé 39 », cette confraternité semble bien avoir conservé quelques traces de la fréquentation avérée par Delsarte du cercle des Saint-Simoniens 40. Tel qu’il fut développé dans ses nombreux écrits, le système delsartien connut une très importante diffusion dès les années  par son principal disciple, l’acteur américain James Steele MacKaye, fondateur du « Delsarte System » enseigné via sa propre School of Expression à NewYork 41. MacKaye forma l’actrice Genevieve Stebbins, auteure du Delsarte System of Expression 42. Plus tard Stebbins lança avec Mary S.Thompson des spectacles de statue posing et de tableaux vivants inspirés de compositions antiques, représentés par un aréopage de jeunes filles vêtues de drapés à la grecque 43. Bien des pistes ont mené Delsarte sur la voie du mélodrame : sa passion pour Gluck 44, ainsi que sa filiation directe avec la tradition du ballet en action noverrien. Delsarte avait été l’élève de André-Jean-Jacques Deshayes (-), qui fut l’interprète des chorégraphies post-noveriennes de Jean Dauberval, Gardel le jeune et Gardel l’aîné, ou encore de Louis Milon. Deshayes avait succédé à Auguste Vestris dans le rôle-titre du célèbre ballet Télémaque de Gardel le jeune au programme de l’Opéra de Paris jusqu’en . C’est avec Deshayes que Delsarte se familiarisa avec l’étude de ce qu’il appelait « la tenue théâtrale » et de la mimique, selon lui à la source des passions, et qui doit être conçue comme une pantomime pathognomonique. Les témoignages de Delsarte livrent à quel point la conception pantomime de Deshayes se fondait encore solidement sur celle déjà défendue par Angiolini d’une danza parlante : pour Deshayes, c’était le geste juste qui donnait la « couleur à la voix » – l’expression est de Delsarte 45. Mais plus encore, Delsarte était resté fidèle au mythe du geste en tant que langage universel. Parmi les nombreuses anecdotes qu’il aimait à rapporter dans ses cours, il en est une au sujet du danseur Louis Milon, que le jeune Delsarte avait fréquemment vu sur la scène de l’Opéra : dans un


ballet tragique (non identifié), Milon se livrait à une pantomime très simple, incarnant un chasseur s’en revenant de la chasse. Fatigué, après avoir posé son fusil et avoir donné deux perdrix à sa servante, il s’asseyait pour manger quelque chose. Selon Delsarte, durant cette pantomime en apparence anodine, le génie de Milon était tel qu’il réussissait à faire comprendre sans autre secours que celui de ses gestes qu’il était un père ayant eu à subir récemment la mort de son fils 46. Anecdote totalement invérifiée, mais qui en dit long sur la persistance du mythe de l’éloquence gestuelle.  LA MUETTE DE PORTICI

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • CORPS PARLANTS • UN MÉLODRAME « SANS PAROLES »

C’est cette même croyance en ce mythe de l’éloquence muette qui justifie le recours à la pantomime dans l’opéra de DanielFrançois-Esprit Auber, La Muette de Portici ( ; livret d’Eugène Scribe et de Casimir Delavigne). Se déroulant à Portici dans les environs de Naples en , l’action de La Muette est centrée sur le personnage d’une jeune muette, Fenella, qui a perdu la parole à la suite d’un choc terrible que nous ignorons (le livret ne mentionne qu’un « événement terrible », lequel peut être associé avec la perte de sa virginité, non mentionnée non plus, mais qui peut aisément se deviner).Toujours au début de l’opéra, nous apprenons que Fenella a été séduite puis abandonnée par Alphonse, héritier du trône, qui s’apprête à épouser Elvire. Le pêcheur Masaniello, frère de Fenella, promet vengeance, après avoir appris les déboires de celle-ci, ce qui sert également ses motifs politiques, puisqu’il va armer la rébellion contre le pouvoir qu’incarne Alphonse, et qui aura lieu durant le dernier acte sur fond d’éruption du Vésuve. Toutefois pris de remords, Masaniello laissera la vie sauve à Alphonse et à son épouse, avant d’être tué par ses frères d’armes. Effondrée, Fenella se précipite dans leVésuve. On peut aussi comprendre le mutisme de Fenella comme motivé par le fait qu’elle ne veut pas parler, ou plutôt par le fait qu’elle ne veut pas utiliser un langage qui ne serait pas le sien. Fenella ne s’exprime pas comme le personnage d’Elvire, sa rivale en amour, figure vocale par excellence, au chant orné et virtuose. La jeune

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UN MÉLODRAME « SANS PAROLES » :


muette est déjà emblématique d’une catégorie bien définie d’héroïnes du Grand Opéra,dont la pureté d’âme trouve son corollaire dans un chant d’une simplicité évangélique en comparaison avec les normes belcantistes. Mais il fallait continuer à plaire au public, et à compenser cette perte, dramatiquement justifiée, de vocalité. Dans La Muette, Elvire est aussi vocale que notre muette est silencieuse. Le modèle portera ses fruits, et à la simplicité vocale d’Alice (Robert le Diable, Scribe et Meyerbeer, ) et de Rachel (La Juive, Scribe et Halévy, ) répondent respectivement les sophistications vocales d’Isabelle et d’Eudoxie. Le personnage de Fenella était certes une nouveauté sur une scène d’opéra (le rôle avait été créé par la danseuse Lise Noblet) ; en revanche, il s’inscrit parfaitement dans une tradition déjà bien établie, accordant au geste son droit de cité, et ce tout particulièrement au sein du ballet-pantomime, genre alors largement popularisé sur la scène de l’Opéra de Paris 47. Par ailleurs le mélodrame scénique des boulevards privilégiait lui aussi la pantomime, et le personnage de Fenella appartient à la même famille que celui d’Éloi, l’un des rôles principaux du mélodrame de Pixérécourt Le Chien de Montargis ou la Forêt de Bondy, représenté dès  à Paris avec une musique de L.-A. Piccinni (l’œuvre fut l’un des plus grands succès de Pixérécourt, et connut de nombreuses adaptations en allemand dès ). Personnage muet, Éloi s’exprime par des pantomimes mises en musique selon le même principe d’alternance utilisé dans les séquences mimodramatiques de La Muette de Portici. C’est justement parce qu’elle est muette que Fenella est une héroïne typique de son temps. Ne s’exprimant que par des gestes, Fenella navigue avec le plus grand naturel dans cette forêt de signes qu’est la scène théâtrale. Son langage naturel est la métaphore. Fenella ne dit pas les passions, elle les représente. Ce qui est certes le comble de l’artifice, mais parce qu’elle utilise un langage investi d’un pouvoir d’immédiateté expressive (ou du moins perçu comme tel), nous croyons qu’elle s’exprime de manière encore plus naturelle et plus sincère que ne le font les autres personnages. Le langage gestuel de Fenella a cependant une fonction purement déictique, c’est-à-dire indicative. Cette fonction du geste permet de désigner l’objet, mais elle ne signifie pas l’objet : le geste ne représente pas l’objet même, il ne peut que l’indiquer. Le corps-pantomime se fait instrument déictique qui ne signifie pas en lui-même, mais qui ne devient signifiant que si mis en pré-


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • CORPS PARLANTS • UN MÉLODRAME « SANS PAROLES »

sence de l’objet désigné. Dans les cas les plus simples, l’objet désigné est une chose concrète, comme un meuble, le ciel. Mais il peut également être une présence allusive, sous-entendue ou métaphorique. Les pantomimes de Fenella sont précisément investies d’une telle fonction déictique, car elles ne font que désigner quelque chose : ses malheurs, sa crainte, son accusateur. La manière dont Fenella use de ce langage met l’accent non pas sur l’objet, mais sur le mécanisme déictique : l’acte de désignation est plus important que l’objet désigné. Pour le reste il ne faut pas se leurrer : en dehors de quelques pantomimes aisément décodables par tout un chacun (par exemple un geste de prière), la gestuelle de Fenella est prétendument riche de sens parce que nous l’acceptons comme telle. Les pantomimes de Fenella nous intéressent tout particulièrement car contrairement aux héroïnes mélodramatiques de Benda, qui « corporifient » des passions primaires à travers leur gestuelle hautement stylisée, Fenella ne présente pas les passions dans leur état primaire, mais les représente en les mettant en scène dans sa propre pantomime et en les intégrant dans une perspective narrative : Fenella raconte son histoire, et ce faisant, elle inverse la situation traditionnelle propre à la scène mélodramatique telle qu’elle avait été cristallisée dans les ouvrages de Benda. Alors que ces derniers fonctionnent à la manière d’arrêts sur image, figeant les moments d’intensité passionnelle en une suite de tableaux, La Muette conçoit le discours mélodramatique de manière autrement plus dynamique. Si auparavant la pantomime mélodramatique devait illustrer le discours, il s’agit désormais de créer le discours. Mais le stratagème cache mal ses ficelles : la technique mélodramatique de La Muette ne peut se mettre en place qu’au prix d’une modification indispensable du modèle d’alternance tel qu’exemplifié par Benda, et qui concerne le monologue. À l’exception de deux scènes (IV5 et V5), toutes les apparitions scéniques de Fenella sont des monologues mis en scène pour les personnages du drame, et commentés par ceux-ci. Ainsi Fenella n’est jamais complètement seule sur scène pour nous communiquer son histoire. Il faut que ses signes nous soient traduits pour qu’ils acquièrent un sens, et cette traduction s’effectue infailliblement par le verbe mis dans la bouche d’autres personnages chantants. Marian Smith a relevé que les pantomimes de Fenella se situent dans des scènes, récitatifs ensembles et finales, et non


dans des formes closes comme l’aria 48 : autrement dit, des formes permettant plus aisément la circulation de différents personnages, justifiant leur présence notamment parce qu’ils peuvent nous expliquer les gestes de Fenella. Il y a cependant comme exceptions les scènes  des actes IV et V, toutes deux conçues à la manière de purs monologues pantomimiques, Fenella étant seule sur scène. Pourtant là aussi, le stratagème est aisément démontré. Dans la première scène (IV5), la seule indication du livret donne : FENELLA , seule. — Elle a tout entendu, elle frémit : mille sentiments confus l’agitent ; le danger d’Alphonse, le souvenir de sa trahison. On frappe à la porte de la chaumière ; Fenella s’effraie, elle hésite ; on frappe de nouveau : elle se décide à ouvrir, reconnaît Alphonse et cache sa figure dans ses mains 49.

Or le début de cette pantomime est tout à fait intelligible pour qui a vu la scène précédente, un dialogue entre son frère Masaniello, Pietro et leurs compagnons d’armes, durant lequel ceux-ci accusent Masaniello de trahison (il a voulu protéger Alphonse) : scène à laquelle a également assisté Fenella, feignant d’être endormie. Le même procédé est utilisé pour la seconde scène (V5) où Fenella doit d’abord suivre du regard son frère parti rejoindre la rébellion ; puis elle revient sur le bord du théâtre et prie pour que le ciel le protège. C’est tout ce qu’elle demande ; car pour elle il n’y a plus d’espoir de bonheur… Elle regarde encore cette écharpe qu’Alphonse lui a donnée ; elle veut s’en détacher, elle ne peut s’y résoudre ; elle la regarde, la couvre de baiser ; elle entend marcher et la cache… C’est Elvire, c’est sa rivale qui entre pâle et en désordre ; Fenella court à elle : Comment vous trouvez-vous seule en ces lieux ? D’où venez-vous 50 ?

La prière ne requiert pas un très difficile effort de décodage ; quant à l’écharpe, elle est aussi connotée que le mouchoir de Desdémone : le public n’ignore plus depuis le premier acte que c’est Alphonse qui l’a offerte à Fenella. Enfin, les premières paroles d’Elvire au début de la scène suivante finiront par nous apporter toutes les informations : « N’approchez pas ! le meurtre et l’incendie dévastent ce palais 51. » Fenella n’est donc jamais complètement livrée à elle-même et à ses seuls gestes. Les pantomimes de La Muette de Portici respectent rigoureusement l’alternance séquentielle propre au mélodrame : la musique gagne sa


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • CORPS PARLANTS • UN MÉLODRAME « SANS PAROLES »

signification grâce à ce qui est dit. On est bien loin de l’idée fort répandue et encore largement admise que c’est la musique qui permet de donner du sens aux pantomimes de Fenella. La Muette favorise le plus souvent la succession musique (avec pantomime)-explication verbale. En entendant la musique et en voyant les pantomimes, nous croyons les comprendre immédiatement, alors qu’en réalité nous en décodons le sens grâce aux commentaires verbaux qui les suivent immédiatement. Ce qui fait sens dans La Muette, ce n’est pas la muette Fenella, ses gestes et mimiques, et encore moins la musique sur laquelle ceux-ci se déroulent, mais la manière dont l’information a été diffusée, après ses gestes (et non avant : l’effet tomberait à plat), le plus souvent par l’intermédiaire des personnages qui parlent pour elle. Deux cas de dialogue se présentent dans les scènes où Fenella apparaît. Pour communiquer, soit Fenella réplique par le mime à ceux qui lui parlent, soit elle amorce le dialogue par ses seuls gestes en musique, et à ceux-ci lui répond-on par la parole (chantée) – ce qui permet aussi de fournir une explication a posteriori de ses gestes. On peut observer ce mécanisme dès la première scène où apparaît Fenella (fin de la scène , scène  de l’acte I). « Dans ces jardins quel bruit se fait entendre ? » dit Elvire (fin de la e scène). « C’est une jeune fille ; elle fuit des soldats, accourt dans ce palais et tend vers vous les bras » lui répond sa dame d’honneur 52. Cette réplique n’est rien d’autre qu’une didascalie descriptive ou d’action, comme on peut en trouver en début d’acte ou de scène, et qui a été ici transmise oralement via un personnage secondaire (voir exemple 6.1).





EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • CORPS PARLANTS • UN MÉLODRAME « SANS PAROLES »

L’image de Fenella courant, les bras tendus vers Elvire, est restituée par la musique avant même que Fenella n’apparaisse sur scène au début de la scène . L’agitation musicale, qui a lieu dès la fin de la e scène, fait entendre un topos musical, celui d’un motif bref axé sur le demi-ton accompagné en trémolo, et il se charge ici d’un sens précis. C’est l’image de Fenella courant qui nous est restituée par la plage musicale suivant immédiatement les paroles explicatives de la dame d’honneur. Dans un premier temps, la musique nous est donnée sans qu’il ne soit possible de l’appliquer à une situation visuelle précise. Dans un deuxième temps (début de la scène ), la musique revient, mais cette fois par l’entremise d’une information verbale qui permet de la préciser dramatiquement. On a donc un processus explicatif : la musique nous est d’abord présentée seule, avant que n’interviennent des paroles explicatives. Puis la musique se fait réentendre, mais cette fois avec une connotation dramatique et visuelle précise. Il s’agit de conditionner l’attention du spectateur, qui d’abord entend à l’orchestre ce qu’il verra ensuite sur la scène. Nous sommes ici dans le domaine de la pure redondance descriptive : Elvire nous dit qu’elle entend un bruit ; la dame d’honneur lui répond en décrivant précisément ce que nous allons ensuite voir sur la scène.

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Exemple 6.1 D.-F.-E. Auber, La Muette de Portici, acte I, scène 4, mes. 1-29 (réd.)


CODES VISUELS, CODES SONORES

La Muette de Portici fait partie de ces opéras prisés par les commentateurs, tant sa partition s’offre aisément à « l’explication de texte » 53 : ce que Fenella mime, la musique nous le confirme. « La musique [clarifie] les gestes de Fenella […] à plusieurs niveaux [:] par madrigalismes ; en suggérant une atmosphère ; en portant des motifs de réminiscence ; et en faisant subtilement allusion à d’autres œuvres, cela en connexion avec un lexique d’expressions gestuelles simples 54. » Cela dit, de tels procédés ne sont en rien une originalité à l’opéra. Est-ce vraiment la musique et les gestes seuls qui permettent cette clarification de l’intelligibilité ? Lorsque dans la scène  de l’acte I, Elvire demande à Fenella « qui troubla ton repos ? », la réponse en musique et en gestes de Fenella repose d’une part sur un topos musical, ici un caractéristique canto di slancio à / propre à toutes sortes de situations dites « passionnées », et qui ne pouvaient tromper un public averti. Mais en réalité la clarification de cette séquence se fait grâce au commentaire d’Elvire, qui décode pour nous le sens de la pantomime musicale de Fenella (voir exemple 6.2).


 

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Exemple 6.2

D.-F.-E. Auber, La Muette de Portici, acte I, scène 4, mes. 47-83 (réduction)

Dans cette même scène, Fenella mime ensuite « le geste de tourner une clef et de fermer des verrous [; et] elle exprime qu’on la plongea dans un cachot. Là, elle priait, triste, pensive, plongée dans la douleur, quand tout à coup l’idée lui vint de se soustraire à l’esclavage. Montrant la fenêtre, elle fait signe qu’elle a attaché des draps, qu’elle s’est laissée glisser jusqu’à terre, qu’elle a remercié le ciel » (voir exemple 6.3). Pantomime si éloquente qu’Elvire après coup ne peut qu’ajouter, émerveillée, « que ses gestes parlants ont de grâce et de charmes ! » L’éloquence gestuelle de Fenella repose, tout autant que les exemples cités plus haut par Saint Augustin, Du Bos, Noverre et Angiolini, sur un pacte implicite avec le spectateur


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • CORPS PARLANTS • UN MÉLODRAME « SANS PAROLES »

Exemple 6.3

D.-F.-E. Auber, La Muette de Portici, acte I, scène 4, mes. 106-136 (réduction)


au préalable informé. Car un geste circulaire d’une main, doublé d’un motif descendant de triples croches, n’a aucunement la signification « universelle » d’une clef qu’on fait tourner dans une serrure. Cette prétendue « clarification » des gestes de Fenella par la musique, si souvent commentée, est surtout créée par les propos d’Elvire qui, immédiatement après, explique les gestes de Fenella. Auber a joué de la réminiscence pour mieux caractériser certaines pantomimes de Fenella. Un exemple est fourni par le motif de la Marche qui se fait entendre pour la première fois dans la scène  du premier acte, à l’occasion de la cérémonie de mariage d’Elvire et d’Alphonse. Les apparitions successives de ce motif au cours de cette même scène vont aider à affirmer l’association entre celui-ci et Fenella, ou plutôt un certain état de Fenella : la piété, lorsque la jeune fille s’agenouille ainsi que la foule au son de la prière « Ô Dieu tout puissant » qui se fait entendre avec le motif, ou encore l’affliction, lorsque Fenella se « tord les mains de désespoir ». Le retour de ce motif lors de la scène  de l’acte II se fait réentendre au moment où Fenella tente d’expliquer par ses gestes à son frère Masaniello qu’Alphonse « devait être son époux, qu’il le lui avait juré à la face du ciel, qu’elle a cru son serment 55 ». C’est sur cette pantomime que se fait entendre pour la deuxième fois le motif de la Marche, ce qui permet dès lors de mesurer toute la portée métaphorique dont il est désormais chargé 56. Signalons encore dans ce même dialogue, lorsque Fenella mime « qu’il s’est uni à une autre », l’apparition du motif du choral qui avait été entendu pour la première fois lors du mariage d’Elvire et d’Alphonse (voir exemple 6.4).


 

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Exemple 6.4

D.-F.-E. Auber, La Muette de Portici, acte II, scène 8, mes. 48-83 (réduction)

Cependant de tels procédés – madrigalismes, atmosphères musicalement dépeintes (comme une texture de choral pour traduire un sentiment de contemplation ou un moment de prière), ou autres motifs de réminiscence – n’ont finalement rien de bien original dans le domaine de l’opéra. La discursivité de la musique lors des pantomimes de Fenella illustre sur le plan auditif ce qu’Aron KibédiVarga a commenté au sujet de l’image autonome, « qui ne peut par conséquent posséder une rhétorique intentionnelle et univoque que si elle est soutenue soit par un texte, soit par un savoir préalable qui lui enlève son caractère indéfini et qui l’arrache au monde sensible 57. »


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • CORPS PARLANTS • UN MÉLODRAME « SANS PAROLES »

La force dramatique de La Muette de Portici et le discours muet de son héroïne doivent beaucoup au respect d’une des règles implicites du mélodrame, déjà définie par Diderot, et qui relève de la « dramatisation de l’attente » 58. Ainsi le spectateur croit comprendre les gestes de Fenella sans aucun intermédiaire puisqu’il est instruit des principaux tenants et aboutissements du drame : la séduction de Fenella par Alphonse, puis son abandon et la perte de sa faculté de parler qui lui fut « ravie par un horrible événement », comme nous l’a déjà appris Alphonse dans la scène première de l’acte I. Une surinformation bien préparée est ce qui permet l’intelligibilité de ces pantomimes. On a souvent reproché à la musique d’Auber de manquer d’épaisseur psychologique, de faire preuve de faiblesse dans la caractérisation des personnages. Anselm Gerhard s’est encore fait l’écho de ces failles, en soulignant l’inhabileté d’Auber à utiliser l’aria lorsqu’il s’agit de mettre en valeur un caractère ou un conflit psychologique. Si tout est dans le livret, la musique d’Auber n’offre aucune des « expressions musicales d’un conflit interne que Rossini développe dans Guillaume Tell. Dans l’aria d’entrée d’Alphonse, et dans celle d’Elvire qui la suit, Auber se contente de juxtaposer des émotions schématiquement, et d’une manière qui ne peut être qualifiée que de rigide 59. » Mais on peut aussi inverser cette proposition, et avancer que c’est justement l’utilisation de telles juxtapositions qui fait l’originalité d’Auber. Les airs d’Alphonse et d’Elvire sont sans doute « superficiels » ; Auber privilégie d’ailleurs dans La Muette les formes brèves de l’opéra-comique, de manière à ce qu’elles contrastent encore mieux entre elles. Mais cela peut être un moyen tout aussi efficace pour caractériser ce qu’il y a de convenu dans de tels personnages face à la muette Fenella, laquelle est d’autant plus sincère et originale dans son discours qu’elle ne peut, elle, s’exprimer en utilisant les formes conventionnelles du chant opératique. Par ailleurs le génie dramatique propre à La Muette réside également dans ce que la musique n’a pas tout à exprimer. Un ouvrage comme La Muette ne tire pas sa force dramatique de la seule partition, et un personnage comme Fenella incarne à lui seul cette conception « totalisante » où la dimension visuelle est indispensable à l’intelligibilité de l’œuvre.Ainsi s’explique le mécanisme dramatique de la scène finale de La Muette, lorsque Fenella se jette dans les flammes du Vésuve. À en juger


par la seule partition, le saut de Fenella dans les flammes est tout juste souligné musicalement par une gamme ascendante, marquée à son sommet par un coup de tam-tam. Des commentateurs aussi avertis en matière de Grand Opéra que William Crosten et Karin Pendle se sont ainsi étonnés de la relative discrétion musicale de ce suicide spectaculaire. K. Pendle, dans le sillage de son prédécesseur, estime que « la simplicité frappante » de ce passage ne pouvait que donner raison au jugement de Crosten « selon qui, de tous les éléments essentiels du Grand Opéra, la musique aura été la dernière à recevoir sa définition, ayant dû attendre pour cela la venue de Meyerbeer 60. » La Muette de Portici réussit l’entente entre les différents modes d’expression invoqués dans l’ouvrage, qu’il soient destinés à l’ouïe ou à la vue : entente qui est particulièrement perceptible pour ce qui est de la gradation dramatique. Le suicide de Fenella ne doit surtout pas être porté par la musique seule, la pantomime de l’héroïne et le décor doivent également y participer. Il est indéniable que dans La Muette la musique était un moyen parmi d’autres : la danse, la pantomime, les décors, les costumes. Crime de lèse-majesté pour ceux qui estiment qu’un compositeur ne s’en remettant pas strictement à la seule musique pour faire fonctionner son drame montre ses insuffisances. L’argument est notamment avancé par Anselm Gerhard lorsqu’il estime que l’effet créé dans La Muette n’est pas dû à la seule musique, mais surtout au livret. Mais le livret de La Muette lui-même ne doit surtout pas porter sur ses épaules tout le poids dramatique de l’ouvrage 61.Tout dans cet opéra est affaire de subtil dosage, et la musique de La Muette est le plus souvent moyen et non fin. Ce n’est pas seulement un opéra qu’il faut entendre, c’est avant tout une œuvre scénique qui doit se voir et qui paie un tribut essentiel à l’esthétique mélodramatique.


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EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • CHAPITRE • SS-CH


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LE MÉLODRAME HORS DE LA SCÈNE : DÉCLAMATIONS LYRIQUES

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Dès la fin du XVIIIe siècle, le mélodrame, genre par essence scénique, allait rapidement s’aventurer hors de la scène théâtrale sans pour autant que sa théâtralité en fût effacée. Née à l’aube du romantisme, la ballade mélodramatique est l’exemple le plus abouti de ce mélodrame sans scène, mais qui tire paradoxalement son indéniable puissance théâtrale de cette absence de scène, la théâtralité du mélodrame se concentrant sur la voix, principal médium de restitution du texte. On parle souvent de « mélodrame de concert » (Konzertmelodram), dont les exemples les plus connus sont les ballades mélodramatiques de Schumann, Liszt, Richard Strauss, ou encore Max von Schillings. On évitera ici cette expression quelque peu trompeuse, tant elle établit de manière implicite une ambiguïté entre mélodrame « de concert » et mélodrame « non scénique ». Même conçu sans scène, le mélodrame n’est pas moins théâtral que le mélodrame scénique. Bien au contraire, l’inflation du discours qui le caractérise s’explique par le phénomène de complémentarité des paramètres. Si le mélodrame est conçu comme une construction musique-imagetexte où les deux derniers termes (l’image pouvant être restituée par le texte) sont idéalement transmis par le geste et la voix, il faut dès lors compenser la perte d’un de ces paramètres qu’entraîne l’absence de dimension visuelle propre à la représentation scénique : le genre non scénique de la ballade mélodramatique met pour ainsi dire la scène dans la voix. La ballade mélodramatique est le fruit de deux traditions romantiques croisées : celle typiquement germanique de la ballade chantée, elle-même participant de l’univers du Lied, et celle de la




récitation avec musique. Cette dernière relève de la technique mélodramatique stricto sensu, puisqu’il s’agit de déclamation non chantée et en musique. Mais ces deux éléments étant constamment superposés, la récitation en musique n’a pas grand-chose à voir avec la technique d’alternance séquentielle. Rappelons que les différences morphologiques entre ces deux traitements mélodramatiques ne doivent en aucun cas être négligées, puisqu’elles ont des implications fondamentales pour ce qui est de la narration. C’est à dessein que nous utiliserons ici l’expression de « récitation en musique », souvent utilisée pour désigner la ballade mélodramatique romantique avec un accompagnement musical le plus souvent confié au piano (ou à l’orchestre, comme Das Hexenlied de Max von Schillings), mais qui à dire vrai s’applique plus justement à la déclamation lyrique (lyrische Deklamation), laquelle consiste à déclamer un texte sur la musique et ce de manière quasi systématique, comme on peut l’observer dans Abschied von der Erde de Franz Schubert, brève page pour piano et récitant. À l’origine, cet Adieu à la terre venait conclure un poème dramatique de l’écrivain Adolf von Pratobevera, Der Falke, dont Schubert avait composé la musique accompagnant le monologue final (« Leb wohl, du schöne Erde »). Der Falke fut représenté le  février  au Bürgerspital de Vienne, avec son monologue conclusif et la musique de Schubert, à l’occasion de l’anniversaire du père de Pratobevera. La musique de Schubert est un lied en fa majeur tripartite, qui en soi pourrait passer pour un exquis « moment musical » du Schubert tardif. Avec sa modulation à la tierce mineure supérieure, cette page se suffit parfaitement à elle-même, la partie de piano fournissant non seulement l’accompagnement mais également la ligne mélodique purement instrumentale : lied sans paroles sur lequel un texte est déclamé (voir exemple 7.1).


 

Le texte poétique d’Adolf von Pratobevera n’apporte rien de plus à ce lied instrumental. Sans prétention et assez banal, le poème se laisse écouter sans jamais interférer avec la musique, et cette dernière n’est pas non plus totalement engloutie sous la déclamation. Abschied von der Erde n’est certainement pas un « mélodrame de concert » comme l’a décrit Cesare Scarton, qui voit dans cette page les origines du Konzertmelodram, tel que représenté par les mélodrames de Schumann, Liszt, R. Strauss, ou encore M. von Schillings 1. En réalité cet Adieu à la terre (destiné à la scène et non au concert) n’a que peu, si ce n’est rien en commun avec les mélodrames pour piano et voix de Liszt, Schumann et consorts. Il s’agit d’une page en déclamation lyrique, à laquelle on a ajouté un « fond musical », où jamais la musique n’alterne avec la parole, et où jamais non plus ne s’observe une quelconque « fusion » entre déclamation et musique 2.

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Exemple 7.1

F. Schubert, Abschied von der Erde, D 829, mes. 1-15


Le jeune Wagner a encore eu recours à ce type de déclamation lyrique pour le « Melodram » n°  de la musique de scène pour le Faust de Goethe (Sieben Kompositionen zu Goethes Faust, op. ,  3). Le type de mélodrame mis en œuvre dans le n°  fait appel à la récitation lyrique déclamée en continu sur une « bande sonore » fonctionnant à la manière de la technique cinématographique du mickey-mousing, soit une musique servant d’illustration au premier degré (voir exemple 7.2).

Exemple 7.2

R. Wagner, Faust, scène n° 7, mes. 22-38 (réduction)


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Les nombreux mélodrames de Fibich relèvent eux aussi de ce type de déclamation lyrique, où la musique ne cesse pour ainsi dire

Exemple 7.3

Z. Fibich, Hippodamia, acte II, scène 4, mes. 383-391 (réduction)

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3 j j 4 œ œ œ

 

C’est ici le texte qui donne à la musique sa raison d’être, laquelle se contente d’être illustrative, d’où l’aspect durchkomponiert de la partition : ainsi de l’agitation du cœur de Marguerite (« Was mein armes Herz hier banget, was es zittert, was verlanget, weisst nur du ! [Ce que mon pauvre cœur redoute, ce qui le fait trembler, ce qu’il exige, seul toi le sais !] »), traduite par des octaves brisées au piano (mes. 23-26), ou encore les figures de Seufzer sur « Weh’ ! wie weh’, wie wehe wird mir im Busen hier ! [Malheur ! malheur ! je souffre en mon sein !] » (mes. 28-29) 4. Le mélodrame pour récitant et piano de Friedrich Nietzsche, Das zerbrochene Ringlein ( ; Eichendorff) superpose lui aussi constamment déclamation et musique. Ce type de déclamation lyrique se rencontre également dans le « mélodrame » récité par Baucis de l’opéra Philémon et Baucis (I4) de Charles Gounod (, seconde version , toujours avec ce mélodrame), où la déclamation se déroule tout aussi paisiblement sur un accompagnement musical incessant et uniforme, ponctué par la répétition constante du rythme :


jamais sous le débit des paroles, même si elle peut parfois se réduire à de longues tenues 5. (voir exemple 7.3, page précédente) Massenet a quant à lui quelque peu varié le procédé, appliquant parfois la déclamation rythmée sur la musique, tout en ayant également recours à la technique d’alternance séquentielle. On utilise parfois la déclamation lyrique de manière moins stricte, dans les « ballades pour déclamation avec accompagnement de piano » (Balladen für Deklamation mit Klavierbegleitung) de Robert Schumann, où la déclamation se déroule parfois sur la musique. Dans ce cas, la musique se réduit fréquemment à un fond sonore tissé d’accords tenus soutenant la déclamation à la manière d’un récitatif, et soulignant les inflexions rythmiques de la déclamation ; parfois aussi elle utilise une texture en trémolo ou constituée de brefs motifs mélodiques répétés à la manière de rosalies, créant un « temps lisse » qui n’empiète pas sur le rythme de la déclamation 6 (voir exemples 7.4 et 7.5).

Exemple 7.4

R. Schumann, « Die Ballade von Haidenknaben » op. 122, n° 1, mes. 63-80


 

GENRES PÉRIPHÉRIQUES : RÉCITATIONS POÉTIQUES ET « ADAPTATIONS » MUSICALES

Si la déclamation lyrique met en parallèle et dans un rapport additionnel un texte et une musique qui s’écoulent en continu, la ballade mélodramatique a quant à elle recours à un discours fait de séquences alternées entre texte et musique, où seulement parfois la déclamation se superpose à la musique, lorsque l’alternance séquentielle est déréglée par un événement narratif. Évidemment, tant ballade mélodramatique que déclamation lyrique sont des pratiques jumelles, toutes deux issues du même creuset et fort prisées au cours du XIXe siècle dans les pays germaniques (quoique la France ne fût pas en reste dès la fin du XIXe siècle avec la vogue des adaptations musicales). Leur popularité allait perdurer jusqu’au début du XXe siècle, le Pierrot lunaire de Schoenberg marquant en quelque sorte une forme d’aboutissement – ou de non-retour 7. Pour la plus grande majorité d’entre elles, ces pièces appartiennent au répertoire de la Salonmusik (certains diront même Trivialmusik), lequel ne trouve guère sa place au sein du canon musical

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Exemple 7.5

R. Schumann, « Die Flüchtlinge », op. 122, n° 2, mes. 1-9


que la musicologie tend toujours quelque peu à fétichiser. L’étude de ces productions mélodramatiques appartient à une micro-histoire de la musique qui resterait encore à faire pour ce qui est d’établir des zones communes entre le répertoire canonique et ce « bas » répertoire, et qui montrerait à quel point les limites entre ces deux catégories restent fluctuantes. On trouve ainsi tout au long du XIXe siècle des mélodrames « fabriqués » à partir de pièces appartenant à ce prétendu canon. En , l’Allgemeine musikalische Zeitung publia un bref compte rendu sur « un essai mélodramatique » du compositeur Johann Heinrich Clasing, membre de la Singakademie de Hambourg : il s’agit d’une pièce pour piano, cordes et récitant, sur un poème d’un auteur resté non identifié (Clasing lui-même ?) et intitulé An Psyche. La partie musicale se présente comme une paraphrase de l’andante con moto du Concerto n°  op.  de Beethoven : C’est une petite chose, qui toutefois trahit plus sûrement de l’esprit, du goût et un doux sentiment, que maint commun acte d’opéra. Le poème anonyme est une sorte d’imitation, quoique dans une direction différente, du Kennst du das Land de Goethe. M. Clasing a pris quelques-unes des principales idées de ce bel andante et les a utilisées différemment. Les mots sont rarement séparés de la musique, mais sont la plupart du temps parlés rythmiquement sur celle-ci 8.

La transposition mélodramatique de Clasing relève d’un parti pris similaire à celui des Drei Melodramen zu Tönen von Beethoven, Schubert und Chopin, op.  (c. ) de Wilhelm Kienzl (), ou de ce choix de pièces pour piano de Chopin arrangées par un élève de Liszt, Richard Burmeister (-), qui avait réalisé dans ces mêmes années cinq arrangements mélodramatiques pour récitant et piano de poèmes du Polonais Kornel Ujejski, à déclamer sur des morceaux choisis de Chopin, dont la Marche funèbre (ce même poète était au répertoire pour l’année  de la récitante Albertine Zehme, dont on sait qu’elle avait récité plusieurs de ses poèmes sur des pièces pour piano de Chopin, probablement dans la version Burmeister). Nous sommes là dans le domaine de la récitation poétique avec accompagnement musical, dont découle également ce qu’on a appelé l’« adaptation musicale », essentiellement représentée par les œuvres du compositeur Francis Thomé (-) : cette expression, forgée par Thomé, désigne un poème à déclamer sur


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • METTRE LA SCÈNE DANS LA VOIX • LE MÉLODRAME HORS DE LA SCÈNE

une musique originalement conçue dans ce but. L’« adaptation musicale » ne se différencie en rien du type de récitation qui alors abondait entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, et qu’on trouve dans maint traité de gestuelle et d’élocution d’inspiration plus ou moins delsartéenne. La plupart de ces traités proposent, outre une section d’attitudes relative à l’étude du statue posing, une partie de « readings with musical accompaniments », soit des pages de poésies souvent insignifiantes, ou survolent quelques morceaux de choix (Shakespeare, Poe…), à déclamer sur un accompagnement musical. Ce dernier relevant du topos, les éditeurs de tels recueils ne mentionnent que fort rarement une musique spécifique, recommandant simplement un accompagnement « s’y adaptant » (soft music, lively tune, etc.) Rares sont les cas plus précis, comme ce poème « Aux Italiens » (en français dans le texte) sans doute de la plume des éditeurs du manuel The Ideal Orator () : il s’agit d’une soirée à l’Opéra de Paris, en présence de Napoléon III et de son épouse (l’impératrice a le mal de l’Espagne), durant une représentation du Trouvère de Verdi. Les troisième et dernier quatrains du poème, qui en compte vingt-sept, doivent être suivis par le début de l’air de Manrico dans la scène du « Miserere » (« Sconto col sangue mio »). L’effet du tout serait encore plus réussi, précisent les éditeurs, si « la musique pouvait être jouée doucement pendant toute la récitation. Quant aux paroles italiennes, elles devraient être chantées par un assistant invisible dans une claire voix de ténor à la fin des troisième et dernier quatrains 9. » On a tendance à voir aujourd’hui dans de telles pratiques une forme de profanation du canon, identique à celle pratiquée dans le répertoire instrumental de la musique de salon qui a varié et recyclé à tour de bras les « motifs favoris » du répertoire, des airs de Lucia di Lammermoor à l’allegretto de la Symphonie n°  de Beethoven. Mais au-delà de ces pratiques, se profile toute une conception de la musique parfaitement acceptée en tant qu’art non absolu (adjectif à prendre ici dans son sens premier et non dans son acception musicale courante opposée à « programmatique »), et qui ne fait que souligner l’artifice de cet absolu musical qui tient plus de la construction théorique, utilisé comme un rempart protégeant l’œuvre de tout lien qui la ferait sortir d’elle-même et mettrait dès lors en péril son essence proprement musicale. Les exécutions d’œuvres instrumentales,


comme notamment certaines symphonies de Beethoven dont l’audition devait être agrémentée par la présentation d’œuvres d’art, sont une autre facette de cette même perception alors largement répandue de la musique comme ouvroir de métaphores potentielles 10. Il s’agit d’une perception témoignant d’une familiarité avec le répertoire et une acceptation des conventions d’ordre extramusical qui s’y rattachent, différente selon les époques et les provenances géographiques, et dont on a aujourd’hui pour bon nombre d’entre elles perdu les clefs. Ce qui nous rappelle à nouveau à quel point le mélodrame est à la lisière de la musique à programme 11 ; après tout, l’idée de faire correspondre au mouvement lent du e Concerto de Beethoven un poème intitulé An Psyche n’est pas plus saugrenue que celle d’Adolf Bernhard Marx qui avait proposé en  une lecture programmatique de ce même mouvement, fondée sur l’histoire d’Orphée aux prises avec les Furies 12. Reste que l’essentiel du répertoire de la ballade mélodramatique « avec déclamation » ou « pour déclamation », à l’exemple de celles de Schumann et de Liszt, a été écrit sur des musiques originales, et a priori vierges de toute connotation. Mais là aussi, la prégnance des conventions fait que ce type de musique mélodramatique est fondée sur un matériau musical non original : elle est topos avant d’être musique.

LES ORIGINES DE LA BALLADE MÉLODRAMATIQUE

1. DIE FRÜHLINGSFEIER

La ballade mélodramatique a pris son essor dans la pratique des « déclamations en musique » composées depuis la fin du XVIIIe siècle et que Wolfgang Schimpf a commentées pour les années  et  13. C’est ainsi que depuis Van der Veen on a pu voir à l’origine de la « récitation en musique » non scénique (qu’il s’agisse de la ballade mélodramatique ou de la déclamation lyrique) une œuvre de Johann Rudolf Zumsteeg (), Die Frühlingsfeier pour récitant et orchestre, composée en  sur une ode de Klopstock, mais qui ne fut publiée qu’en  à Leipzig chez Breitkopf & Härtel. Scarton fait encore remonter au mélodrame de Zumsteeg l’origine de ce qu’il appelle le « melologo da concerto » ou Konzert-


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • METTRE LA SCÈNE DANS LA VOIX • LES ORIGINES DE LA BALLADE MÉLODRAMATIQUE

melodram, vaste catégorie qui selon lui équivaut à celle de la « récitation en musique » de Van derVeen 14. Un peu plus nuancé, Wolfgang Schimpf a mis en avant le fait que dans le sillage immédiat de Zumsteeg, de tels exemples d’œuvres mélodramatiques sont des mises en musique de textes poétiques préexistants qui n’ont donc pas été conçus expressément pour un traitement mélodramatique scénique 15. Mais il s’agissait aussi pour Zumsteeg, alors âgé de dix-sept ans, de faire montre de son assimilation de la technique mélodramatique dans le style de Benda, en partant d’un texte qui ne fut pas un livret, donc non conçu dans le seul but d’être mis en musique. Zumsteeg connaissait bien les partitions d’Ariadne auf Naxos et de Medea qu’il avait eues entre les mains à la Carlsschule, l’académie militaire de Stuttgart, et la ressemblance entre l’application de la technique mélodramatique de Zumsteeg et celle de Benda est flagrante. De par sa structure poétique composée de vingt-sept quatrains, l’ode de Klopstock met encore mieux à nu ce principe d’alternance séquentielle : la première partie de l’ode fait alterner strictement texte et musique après une courte introduction instrumentale, et ce n’est que lorsque les vers se font plus irréguliers que les interpolations musicales deviennent plus fréquentes.Afin de créer une gradation dramatique, Zumsteeg a également suivi une des lois implicites du mélodrame en abandonnant par moments l’alternance séquentielle pour superposer déclamation et musique, bien que cela ne survienne que durant le dernier tiers de l’ode et pour tout le quatrain final, précisément lorsque le texte se fait le plus descriptif. Hymne religieux et panthéiste, l’ode de Klopstock est une mine à images sonores : vent, tempêtes, ruisseaux, forêts et autres beautés de la Nature y sont invoquées. Un motif de gamme ascendante en triples croches se fait entendre une première fois pour évoquer la pluie, puis revient pour d’autres madrigalismes similaires : celui d’une tempête (« Wie hebt sich der Strom ! [Comme se soulève la tempête !] ») ou encore le tonnerre de Jéhovah (« Hört ihr Jehovas Donner ? [Entendez-vous le tonnerre de Jéhovah ?] » L’autre procédé descriptif amplement utilisé par Zumsteeg est celui du trémolo en accords répétés et batteries rapides à la basse pour souligner « den erschütternden Donner des Herrn [le fracassant tonnerre du Seigneur] » ; des triolets de croches ascendants et descendants illustrent les tourbillons du vent :


« Nun schweben sie, rauschen sie, wirbeln dieWinde ! [Ainsi flottent, murmurent, tourbillonnent les vents !] » Le quatrain final est quant à lui entièrement déclamé sur une pédale de dominante en do majeur, les cordes tenant l’accord en batteries de doubles croches (voir ill. 7.1).

Ill. 7.1

J. R. Zumsteeg, Die Frühlingsfeier, partition d’orchestre (Leipzig, 1804), p. 43

En ce qui concerne la supposée filiation entre Die Frühlingsfeier et la ballade mélodramatique romantique, il y a encore tout un monde séparant l’ode de Klopstock, moment contemplatif d’adoration panthéiste purement descriptif et dépourvu de toute action ou intrigue, de la ballade mélodramatique romantique aux accents légendaires ou fantastiques, qui est au contraire narrative. Comme on l’a vu dans le cas d’Ariadne et de Medea, la déclamation se faisait sur la musique au moment où l’héroïne était en proie à un moment d’extrême intensité passionnelle : c’est exactement ce qui se produit dans Die Frühlingsfeier, si ce n’est qu’ici le moment de climax dramatique n’est pas tant motivé par des événements narratifs que par le phénomène de la description, et plus précisément lorsque véhiculé par l’utilisation de la figure rhétorique de la prosopopée, déjà commentée dans Medea 16. Par ailleurs si l’ode de Klopstock adopte le mode narratif du monologue (seul le narrateur parle), elle se présente


Les mêmes arguments se retrouvent dans un article plus tardif de , cette fois signé Rochlitz, à nouveau à l’occasion de concerts à Leipzig : Ode de Klopstock, Frühlingsfeier, avec la musique de Zumsteeg pour la déclamation. Devrait-on trouver cette musique trop longue dans plusieurs interludes, et vieillie dans certaines de ses figures, on ne saurait toutefois ignorer ce qu’elle a de bon et de

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Parmi les pièces connues, nous avons entendu la magnifique ode de Klopstock, Frühlingsfeier, avec la musique pleine de goût et d’expression de Zumsteeg, laquelle, bien que ne datant pas de ses dernières années, compte parmi ses plus belles œuvres. Quelques interludes [Zwischensätze] sont trop longs et coupent le texte plus qu’il n’en faut ; mais la plupart sont si bien assortis, et plusieurs sont si frappants, qu’on a peine à comprendre pourquoi cette œuvre ne semble pas être plus connue aujourd’hui, et cela d’autant plus qu’elle a été publiée depuis quelque temps déjà. M.Weidner, membre du Théâtre de la Cour, a déclamé le poème avec fermeté, dignité et sentiment. Le tout a fait une profonde impression 17.

 

comme une forme de dialogue avec la Nature, le narrateur parlant pour elle. Ce que traduit le passage du « je » initial du narrateur actif (« Nicht in den Ozean der Welten alle| Will ich mich stürzen ! [Je ne veux pas me précipiter dans l’océan des mondes !] ») au narrateur passif qui au contraire décrit et fera entendre sa voix dans le reste du poème (« Da entranntest du Tropfen, der Hand des Allmächtigen ! [Tu t’es échappée, larme, de la main du Tout-Puissant !] » ; « Aber du Frühlingswürmchen [Mais, toi, vermisseau du printemps] » ; « Mit tiefer Ehrfurcht schau ich die Schöpfung an ; denn du ! Namenloser, du ! Schufest sie ! [Avec une profonde révérence je contemple la création ; car toi ! Sans nom, toi ! Tu l’as créée !] ») On ne possède pas de témoignage sur des exécutions de l’ode du vivant de Zumsteeg, mais on sait que l’œuvre fut donnée en tout cas en ,  puis , comme le rapportent des comptes rendus de l’Allgemeine musikalische Zeitung. Bien que non signé, le premier article, portant sur une série de concerts donnés au début de l’année à Leipzig, est probablement de la plume de l’écrivain Johann Friedrich Rochlitz (-), alors éditeur de ce journal. Die Frühlingsfeier était déjà connue du public et du chroniqueur :


véritablement beau. (La musique fit son effet ; Mlle Böhler l’aînée, du théâtre, a non seulement récité de manière juste et avec dignité, elle a également senti ce qu’elle disait et a su le faire ressentir 18. 2. DER ERSTE TON

Ces comptes rendus de Die Frühlingsfeier sont d’autant plus précieux qu’ils semblent indiquer que l’ode a pu servir de modèle à Der erste Ton ( Le premier son), un bref mélodrame non scénique de Carl Maria von Weber publié en . Cette œuvre, qui pourrait bien être le chaînon manquant entre l’ode de Zumsteeg et la ballade mélodramatique romantique, est une « cantate » pour récitant, chœur et orchestre (Melodramatische Kantate für Declamation, Chor und Orchester). Der erste Ton fut composée par Weber sur le poème homonyme de Johann Friedrich Rochlitz, et publiée en partition d’orchestre en  par Simrock à Bonn puis, en , dans une réduction pour piano et sous un titre générique modifié, le mot de « Cantate » n’y apparaissant plus : Der Erste Ton| Gedicht von Rochlitz| mit| Musik zur Deklamation| von| Carl Maria von Weber| Clavierauszug. On ne possède toutefois aucune information quant aux circonstances qui menèrent Weber à écrire cette œuvre, mais il est probable que Rochlitz ait d’emblée conçu son poème pour être mis en musique, dans un traitement similaire à celui de Die Frühlingsfeier. Par ailleurs, il y a plus d’une similarité entre Die Frühlingsfeier et Der erste Ton incitant à penser que la dernière fut conçue sur le modèle de l’ode de Zumsteeg. À commencer par les textes poétiques : celui de Klopstock revêt une tonalité panthéiste qu’on retrouve dans celui de Rochlitz, dont l’objet est le début de la Genèse, narrant les épisodes initiaux de la Création divine, l’effroi de l’homme, d’abord muet et interloqué, puis son émerveillement progressif lorsqu’il prend conscience du spectacle de la nature. Certes Der erste Ton se termine quant à lui par un chœur (ce qui peut étonner pour une œuvre de dimensions aussi modestes), après un monologue mélodramatique entrecoupé de séquences musicales décrivant avec force madrigalismes la Création divine : l’enchaînement de la déclamation parlée à un chœur chanté est justifié par le ton fervent du poème de Rochlitz. L’intervention du chœur est un peu grandiloquente, surtout pour une œuvre n’excédant pas une dizaine de


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Ill. 7.2

C. M. von Weber, Der erste Ton, version pour récitant, chœur et piano (Bonn, 1810), p. 9

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minutes, et qui semble avoir été diffusée le plus souvent dans son arrangement pour piano avec récitant (et chœur). On pense au livret de Gottfried van Swieten pour La Création de Haydn, ouvrage qui a certainement été une source d’influence musicale pour Weber. Il y a comme des échos du « Chaos » haydnien dans les premières mesures de l’Einleitung (introduction) instrumentale de Der erste Ton, se construisant progressivement sur deux accords de septième diminuée, dans un geste musical qui n’est pas sans rappeler le motif du chaos. De manière encore plus accentuée que dans Die Frühlingsfeier, Der erste Ton se caractérise par un discours séquentiel favorisant le traitement musical illustratif. La brièveté de l’œuvre – une sorte de mélodrame-minute rendant la présence du chœur final quelque peu incongrue – fait que ses séquences musicales en sont réduites à leur plus simple expression, n’allant pas au-delà de dix mesures, parfois même ramassées sur deux à trois mesures, voire une seule. Les enchaînements texte-musique sont uniquement justifiés par la qualité purement illustrative de la partition. Au même titre que Die Frühlingsfeier, Der erste Ton est une « bandeson » ayant recours à une sorte de primitivisme musical illustrant le grondement des rivières, le babil des ruisseaux, le murmure des feuilles, ou encore le bêlement du bélier, le rugissement du lion (restitué par un trémolo suivi d’un arpège à l’aigu !), le chant de l’alouette puis du rossignol (voir ill. 7.2).


Comme pour l’ode de Zumsteeg, Der erste Ton eut une carrière plutôt modeste au concert : nous n’avons trouvé qu’un seul article (non signé) pour l’année  mentionnant une exécution de cette œuvre à l’occasion des concerts d’abonnement à Stuttgart. C’est à nouveau l’Allgemeine musikalische Zeitung qui rapporte les faits, cette fois de manière fort lapidaire : l’œuvre y fut toutefois exécutée dans sa version orchestrale et avec chœur, et, faut-il s’en étonner, elle fut couplée avec Die Frühlingsfeier 19.

LA BALLADE MÉLODRAMATIQUE ROMANTIQUE : L’EXEMPLE DE LISZT

Œuvre-charnière, Der erste Ton fait en quelque sorte le lien entre la récitation en musique non scénique de la fin du XVIIIe siècle et la ballade romantique mélodramatique, car il reste difficile de considérer le mélodrame de Weber comme un exemple de ballade mélodramatique à part entière, à l’instar des exemples romantiques de Schumann ou de Liszt, voire même encore ceux plus tardifs de Richard Strauss ou Max von Schillings. Der erste Ton possède certes la structure séquentielle caractéristique de la ballade ; mais la présence d’un chœur final et l’absence d’une véritable narration (il s’agit plus d’une longue description du moment de la Création) semble encore la relier à certains modèles mélodramatiques de la fin du XVIIIe siècle – et rappelons que la version originale de cette cantate exigeait un orchestre. Le succès de la ballade mélodramatique, qui n’a cessé de s’amplifier au cours du XIXe siècle, peut notamment s’expliquer par le fait que son interprète n’a pas besoin d’être un chanteur ni même un musicien consommé. Précisément à cause de cela, la ballade mélodramatique continue à être perçue comme un genre mineur ; au mieux la considère-t-on comme un produit surtout expérimental. Ce dernier point est le plus souvent invoqué pour justifier les productions mélodramatiques de Schumann et de Liszt par exemple. Il est vrai que chez ces deux compositeurs, la ballade mélodramatique n’a représenté qu’un moment particulier de leur carrière. Les mélodrames pour déclamation et piano de Schumann, désignés comme Balladen für Deklamation mit Klavierbegleitung (Schön Hedwig op.  de , et les Zwei Balladen op.  comprenant la « Ballade von Haiden-


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • METTRE LA SCÈNE DANS LA VOIX • LA BALLADE MÉLODRAMATIQUE ROMANTIQUE

knaben » et « Die Flüchtlinge » de ), ont été composés dans le sillage immédiat de ses deux uniques œuvres dramatiques que sont l’opéra Genoveva (-) et la ballade mélodramatique avec orchestre Manfred (-), soit à un moment où le compositeur expérimentait intensément son langage dramatique. C’est dans ce voisinage qu’il faut trouver la raison d’être de ces ballades, qui ne semblent pas non plus avoir été composées pour un interprète précis : tout au plus sait-on que Schumann dédia l’op.  à l’un de ses plus fervents admirateurs, l’écrivain, critique musical, acteur et musicien viennois Carl Debrois van Bruyck (-). Cependant ses ballades furent plus tard au répertoire de la comédienne Marie Seebach, elle aussi interprète des mélodrames de Liszt 20. À la différence de Schumann, la composition des mélodrames de Liszt s’étend sur une période longue, de  à . Mais là aussi, ces œuvres souffrent de l’étiquette fort restrictive d’« expérimentations » musicales, surtout dans le cas de la ballade Der traurige Mönch composée en  et que Liszt ne publia que douze ans plus tard. Il semble qu’il eût craint un rejet de l’œuvre, à cause de ses « lugubres dissonances [qui] sonnent de façon indescriptiblement sauvage et monstrueuse 21. » Ce Moine triste a souvent frappé les esprits, notamment pour être la première œuvre à utiliser de manière rigoureuse la gamme par tons et annonçant avec près de vingt ans d’avance ses ultimes pièces pour piano Nuages gris () ou La lugubre gondola () – contemporaine de ces pièces est la ballade mélodramatique Der ewige Jude (Schubart), composée en  mais aujourd’hui perdue. Certaines des ballades mélodramatiques de Liszt sont issues de commandes destinées à célébrer un événement, ou sont des pièces offertes en guise de marques d’amitié : le mélodrame avec orchestre Vor hundert Jahren fut joué en  à l’occasion du centenaire de Schiller, et A holt költö szerelme [ L’amour du poète défunt], également avec orchestre, était destiné à un hommage funèbre à Petöfi donné en  à Budapest. L’année suivante, Liszt composa un autre mélodrame pour récitation et piano, Der blinde Sänger sur un poème de Tolstoï, publié en  à SaintPétersbourg. Der traurige Mönch fut quant à lui composé en  à la demande de la nièce de Wagner, Franziska Wagner-Ritter (laquelle aurait aussi choisi le poème de Lenau), qui venait de


créer avec succès Lenore, le plus célèbre des mélodrames de Liszt sur le poème homonyme de Gottfried August Bürger. La ballade de Lenore s’inscrit elle aussi dans une tradition bien établie, le poème ayant déjà été très souvent mis en musique dès la fin du XVIIIe siècle (il fut publié en ), quoique systématiquement sous forme de Lied, notamment par Johann Rudolf Zumsteeg en , à l’exception toutefois d’un traitement mélodramatique avec accompagnement de clavier par Friedrich Ludwig A. Kunzen publié en  et sur lequel il nous faudra revenir. Ce fut à la demande de l’actrice et récitante Marie Seebach que Liszt composa ce mélodrame. Pourtant Seebach ne l’interpréta jamais : si l’on en croit le témoignage rapporté par Lina Ramann, l’actrice avait trouvé l’accompagnement pianistique trop envahissant, et ce fut Franziska Wagner-Ritter qui créa l’œuvre à Iéna en novembre  ; le mélodrame fut d’ailleurs publié cette même année 22. La position marginale de ces mélodrames dans le catalogue lisztien, tout comme leur statut d’œuvres « de circonstance », leur aura certainement porté préjudice, même s’il arrive qu’on découvre ces pièces de temps à autre, au détour d’un enregistrement ou d’un concert, s’émerveillant de tant d’audace (surtout harmonique) et de sensibilité exacerbée. Il importe de voir cependant que la ballade mélodramatique romantique participe d’une pratique musicale bien établie et que son vocabulaire puise dans un répertoire de figures musicales qui est aussi celui du mélodrame théâtral populaire de la première moitié du XIXe siècle : effets de surprise ou d’effroi soulignés par des trémolos, ponctuations par des accords de septième diminuée (on en a un exemple opératique dans Des Teufels Lustschloss de Schubert, lorsqu’apparaît sur scène une amazone fantastique : exemple 3.4, p. 116), batteries d’accords, fuites et autres poursuites évoquées par des galops, pseudo-chorals ou harmonies statiques pour dépeindre le religieux, la réflexion, voire le rêve (rappelons, toujours au sujet du mélodrame de Des Teufels Lustschloss, comment l’harmonie se fait subitement statique par l’utilisation de pédales). La musique mélodramatique fonctionne à la manière d’une mosaïque constamment changeante selon les affects ou la situation dramatique du texte,ce qui explique sa structure elliptique,faite de petits épisodes bien compartimentés, concentrés sur une seule idée


musicale (un motif en canto di slancio pour une situation passionnée; des appels de trompes pour toute évocation guerrière; un choral pour un moment de prière…) Ainsi des clichés musicaux qui essaiment Das zerbrochene Ringlein d’Eichendorff (et qui répondent aux images du texte),traité en déclamation lyrique avec piano par Nietzsche (), dans un style qui n’est en rien différent de ce qu’on peut entendre chez Liszt ou Schumann: J’aimerais tel un chevalier, voler dans la bataille sanglante ! [motifs de fanfare et rythme pointés, forte, d’abord sous la déclamation, puis répété avant le vers suivant]| Me reposer auprès d’un feu tranquille, dans la nuit obscure du champ de bataille. [pédale harmonique, harmonies suspensives, tempo subitement ralenti, nuance piano] 23.

La strophe dans laquelle le chevalier bénit un tas de cendres, puis rêve, donne lieu pour ces deux actions à une même séquence musicale dans le style religioso (mes. -). Du même ordre, la séquence onirique du rêve d’Annie dans le mélodrame pour récitant et piano Enoch Arden de Richard Strauss ( ; Alfred Tennyson) est introduite par une évocation de petite harmonie dans le registre aigu du piano sur des accords répétés. Les toutes premières mesures de Die Flüchtlinge de Schumann peuvent aisément être décodées avant même d’entendre la déclamation : tempo agitato, vagues chromatiques et trémolos (voir ex. 7.5, p. 253)… Impression d’orage, sans doute. C’est bien d’une tempête

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Exemple 7.6 F. Liszt, Der traurige Mönch, mes. 31-35

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De même pour l’histoire gothique du Traurige Mönch de Liszt : batteries d’accords soutenant le motif par tons entiers (le fantastique justifie l’audace harmonique), ou encore lors des vers « Der Regen strömt, ein Ritter naht [La pluie bat, un chevalier s’approche] » (mes. -), et pour souligner l’apparition du moine fantôme, forcément évoqué par le trémolo (voir exemple 7.6).

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marine qu’il s’agit, comme l’illustre d’ailleurs la page de titre de l’édition originale de Die Flüchtlinge, publiée à Leipzig (voir illustration 7.3).

Ill. 7.3 Frontispice pour Robert Schumann, Die Flüchtlinge, op. 122 n° 2 (Leipzig, 1853)

De tels gestes musicaux descriptifs sont innombrables à l’opéra (où ils sont aussi souvent à teneur pantomimique, comme on l’a vu dans l’exemple de La Muette de Portici), et ils envahissent tout autant le mélodrame, scénique ou non. Dans Lenore, lorsque la Mort frappe à la porte pour en faire sauter le verrou, la musique illustre le geste musical, à l’exemple de ce qu’on trouvait déjà dans le Pygmalion de Rousseau-Coignet, lorsque le statuaire dévoile la statue de Galathée (voir exemple 7.7) 24.

Exemple 7.7. F. Liszt, Lenore, mes. 215

Ces pièces reposent sur des procédés musicaux interchangeables et utilisables dans les situations les plus diverses, qui n’auraient pas déparé dans la musique de scène pour un drame de Pixérécourt ou même plus tardivement pour un film de l’ère du muet. Toutefois l’exercice qui consiste à désigner ces figures et à indiquer comment le texte en confirme le sens n’aidera guère à comprendre le mécanisme qui motive ce type de composition ; bien au


contraire, cela ne fera que donner raison à ceux qui continuent à voir dans le mélodrame un objet de valeur artistique moindre. L’esthétique du mélodrame musical se nourrit justement de l’utilisation de telles conventions. L’intérêt est à chercher ailleurs : une œuvre comme Lenore de Liszt nous fait entrer de plain-pied dans la pratique musicale du mélodrame telle qu’elle s’était codifiée durant le XIXe siècle – et d’autres mélodrames comme ceux de Richard Strauss ou les ballades mélodramatiques avec orchestre de Max von Schillings participent également de cette pratique, qui doit être avant tout perçue comme l’art particulier de raconter une histoire. LENORE OU LE RÉCIT FANTASMAGORIQUE

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Mêlant le ton légendaire à l’histoire, en l’occurrence celle de la Guerre de Trente ans, le poème Lenore de Bürger se situe au lendemain de la bataille de la Montagne Blanche, dans les environs de Prague. Battus, les hommes de Frédéric, roi de Bohème, rentrent au pays. Attendant le retour de son époux Wilhelm, Léonore se refuse à admettre qu’il ait pu l’abandonner ou qu’il soit mort au champ de bataille. La jeune femme reste sourde aux injonctions de sa mère (« Ach, Kind, vergiss dein irdisches Leid,| und denk’an Gott und Seligkeit !| so wird doch deiner Seelen| Der Bräutigam nicht fehlen. [Mon enfant, oublie ta douleur terrestre, pense à Dieu et au bonheur céleste ; car pour ton âme il ne te manquera pas un époux.] » Léonore continue à attendre désespérément Wilhelm, allant jusqu’à blasphémer la providence divine. La nuit venue, un cavalier frappe à sa porte, que Léonore reconnaît pour son époux. Le cavalier, qui n’est autre que la Mort, emmène Léonore sur sa monture pour leur banquet de noces.Au terme d’une chevauchée d’épouvante, ils finissent par s’abîmer « dans les profondeurs de la terre ». « Mit Gott im Himmel hadre nicht !| Des Leibes bist du ledig,| Gott sei der Seele gnädig ! [Ne blasphème jamais le Dieu du ciel ! Du corps tu es délivrée ; Que Dieu fasse grâce à ton âme !] » entonnent les esprits à la fin de la ballade. Long poème narratif de trente-deux huitains, cette ballade est l’une des plus représentatives du genre, de par l’atmosphère gothique qu’elle véhicule, ainsi que par le ton épique et légendaire propre à la ballade poétique. Le texte de Lenore convient idéalement à une « mise en scène » musicale, non seulement par son imagerie fantastique, mais aussi par les seules sonorités du

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texte de Bürger qui joue sur de nombreuses onomatopées et allitérations : « Sing und Sang », « Kling und Klang », « trapp trapp trapp », « klingklingkling », « Hurre hurre, hop hop hop », « Husch husch husch ! », « Rapp’! Rapp’! », « huhu », « hui »… Un autre procédé invoquant le traitement musical, tout en étant une particularité du style poétique de la ballade, est l’utilisation récurrente de refrains périodiquement répétés au cours de la ballade : « O Mutter, Mutter ! Hin ist hin ! [Ô mère, mère ! tout est fini !] », « O weh, O weh mir Armen ! [Ô malheur, ô malheur de moi !] », « “Graut Liebchen auch vor Toten ?” Ach nein ! — “Doch lass die Toten !” [“Mon aimée a-t-elle peur des morts ?” “Non ! Laisse donc les morts !”] » — refrains qui, pour être systématiquement attribués à des personnages du poème, sont chantés dans la version mélodramatique de Kunzen 25. Dans le traitement musical de Liszt, la ballade Lenore se découpe en deux parties inégales : une introduction pour les onze premiers huitains (relatant l’attente de Léonore et l’arrivée nocturne de Wilhelm/La Mort), suivie d’une longue section pour les vingt-et-un huitains restants (la chevauchée nocturne). L’introduction fait entendre une alternance régulière entre séquences musicales et séquences déclamées. L’alternance entre blocs de texte et blocs de musique qui en résulte privilégie un récit elliptique, qui se développe comme une série d’arrêts sur images, à la manière d’une bande dessinée musicale 26. On peut d’ailleurs voir Lenore comme une suite de petits tableaux, dont le plus frappant reste celui de Léonore hystérique – ce qu’on peut rapprocher avec la Lenore mi-récitée mi-chantée de Kunzen, dont le manuscrit porte la mention Lenore, ein musikalisches Gemählde [Léonore, un tableau musical]. La seconde partie du mélodrame de Liszt est en revanche beaucoup plus longue et moins séquentielle que ne l’était la première ; le plus souvent la déclamation se déroule sur un accompagnement musical quasi continu (la galopade effrénée du coursier de la Mort), renforçant le contraste avec les abruptes alternances entre déclamation et musique de la première partie. C’est la structure du poème qui le veut, et dans la version de Kunzen le traitement mélodramatique tend à abandonner dans cette seconde partie l’alternance stricte texte-musique, notamment parce que le dialogue entre Léonore et la Mort, en style direct, se fait sur le mode chanté.


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • METTRE LA SCÈNE DANS LA VOIX • LA BALLADE MÉLODRAMATIQUE ROMANTIQUE

Ce partitionnement du poème correspond d’ailleurs à deux temps du récit. La seconde partie, narrant l’équipée nocturne de la Mort et Léonore, est conçue de manière strictement linéaire, sans flash-back ou parenthèse évocatrice d’un quelconque passé. En revanche la première partie, ancrée dans le réel et dépourvue de tout élément fantasmagorique, s’avère être plus complexe pour ce qui est du traitement temporel. Drame avant le drame, cette introduction se meut entre le passé du récit, raconté à la troisième personne par le narrateur, et entre le présent du style direct, lorsqu’il s’agit de faire parler les voix des personnages : polyphonie de voix qui est d’ailleurs le propre du Rollengedicht (poème de rôles) 27, largement représentée dans ce type de ballade narrative. Il en résulte plusieurs voix, qui outre celle du narrateur sont celles de Léonore, de sa mère, ainsi que des bribes de voix secondaires provenant des femmes et enfants dans la foule. Au cours de la seconde partie se feront surtout entendre en dialogue la voix de Léonore et de Wilhelm/la Mort, ainsi que celles des esprits à qui incombe la conclusion (ou plutôt la morale) de l’histoire (voir exemple 7.8).



 

La première séquence déclamée de Lenore nous met d’emblée devant cette polyphonie de voix. Le passage du style indirect au style direct fait basculer du passé au présent : « Lenore fuhr ums Morgenrot|empor aus schweren Traümen […] “[Lenore :] Bist untreu, Wilhelm, oder tot ?| Wie lange willst du säumen ?” [Léonore se lève à l’aube, agitée par de sombres rêves. [Léonore :] “Es-tu infidèle, Wilhelm, ou mort ? Tarderas-tu encore longtemps ?”] » Passé qui se fait toujours plus présent avec les vers suivants, à nouveau dits par le narrateur, et qui restituent par une analepse complétive la parenthèse temporelle d’un passé antérieur à celui de l’histoire de Léonore. Cette entorse habituelle à la linéarité chronologique du récit a pour seule fonction de nous informer des circonstances ayant mené à l’histoire qui va nous être narrée : on y apprend pourquoi Wilhelm est attendu au pays, après être parti guerroyer sous la bannière du roi Frédéric. Cette première séquence déclamée est introduite par le piano, avec un motif bicéphale, qui sillonnera la partition de Lenore à la manière d’un

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Exemple 7.8 F. Liszt, Lenore, mes. 1-39


« blason » musical. Blason énigmatique car harmoniquement ambigu, flottant entre le ton de la majeur (tonalité de la pièce, si l’on en juge l’accord conclusif) et son relatif fa dièse mineur (l’accord final du blason), mais aussi dramatique dès ses trois premiers accords augmentés et enchaînés chromatiquement : s’agit-il de marquer un invisible lever de rideau, de frapper les trois coups signalant le commencement du drame ? (Exemple 7.8 ; mes. 1-4). Cette séquence musicale est déjà une manière d’isoler dramatiquement la voix du récitant. À la première partie du blason marquée heftig und rasch s’enchaîne une phrase mélodique langsam constituée de deux accords. Ce sont les retours périodiques de la deuxième section de ce blason qui vont structurer la première partie de la ballade : il s’agit d’un signal sonore utilisé en guise de refrain (exemple 7.8 ; mes. 27-28, 29-30, 31-32 et 33-34). Cette partie se caractérise par une alternance régulière entre séquences musicales et séquences déclamatoires, comme le montre l’agencement de la partition d’où se dégage un sentiment de linéarité que renforcent encore les changements d’affects et de tempo caractérisant chaque séquence musicale (voir mes. 5-14 ; 15-20 ; 21-26). La deuxième occurrence de la musique (séquence n° 2, soit mes. 5-20) va permettre à l’analepse complétive de se résorber dans le temps du récit, par l’intervention d’une musique synchrone (fonctionnant comme un mickey-mousing). La guerre terminée, les soldats s’en reviennent au pays. Leur cortège se fait entendre dans cette séquence descriptive et statique, dont la première partie est harmoniquement bloquée sur une pédale de dominante en ré majeur (mes. 11-14) : batteries d’octaves à la main gauche soulignant le rythme de marche avec tambour, sonneries de cors et exclamations jubilatoires de la foule à la main droite, puis les chants de bienvenue des femmes et des enfants (mes. 1519). Onomatopées musicales auxquelles viennent s’ajouter les onomatopées et allitérations du texte (« mit Sing und Sang », « und Kling und Klang »). Bien que le texte soit toujours restitué par la voix du narrateur au passé, celui-ci s’actualise, prenant corps et image à travers cette musique synchrone. La qualité objective de cette séquence descriptive est renforcée par l’utilisation de figures sonores, fondées sur les topoi traditionnels que sont les batteries, pédales et autres motifs d’accords : figures accumulées par le procédé de la parataxe, lequel est dans Lenore la principale


Le quatrième huitain est à nouveau une séquence déclamatoire (Léonore échevelée demande à la foule qu’elle croise des nouvelles de Wilhelm), et l’on pourrait se demander pourquoi, à l’occasion d’une scène aussi dramatique, la musique a renoncé à sa propre voix. Des raisons structurelles peuvent y répondre (on a vu qu’il s’agissait, dès le début de la ballade, de préserver une alternance séquentielle musique-déclamation assez rigide). Mais plus encore, ce renoncement permet d’accentuer une gradation dramatique passant de la déclamation à la musique seule, afin de restituer l’état de crise extrême atteint par Léonore : « Zerraufte sie ihr Rabenhaar| Und warf sich hin zur Erde| Mit wütiger Gebärde. [Elle s’arrache les cheveux| et se jette à terre| avec des gestes furieux.] » S’enchaînant à cette séquence déclamée, la séquence musicale suivante (exemple 7.8, p. 270 ; mes. 21-26) se fait tableau musical : il s’agit d’une miniature illustrant la pantomime musicale de la douleur de Léonore, dont on ne perçoit plus que le corps hystérique.Au paroxysme de sa douleur, Léonore se fait personnage hors champ et devient une absence en creux, comme l’est Médée engloutie dans les ténèbres lors de la réalisation de son crime 28. D’ailleurs l’esthétique mélodramatique a souvent privilégié la représentation de l’hystérie féminine à travers le topos de la « femme folle » : elle est une figure de l’excès, dégageant une aura de sexualité terrifiante car inassouvie – le tota mulier in utero de Saint Thomas.

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UNE HYSTÉRIE SOIGNEUSEMENT ENCADRÉE

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technique d’agencement des éléments musicaux – et l’un des principaux moyens de construction musicale de toute partition mélodramatique. Du coup, la fin de cette séquence prend une tournure d’autant plus surprenante. Un changement de perspective s’opère, on passe de la description extérieure (la foule en liesse) à la description intérieure, soit le désespoir de Léonore : « Aber für Lenore war Gruss und Kuss verloren [mais pour Léonore salut et baiser étaient perdus] ». La musique en perd aussitôt ses droits descriptifs : elle n’est plus conçue comme un élément diégétique nous informant du décor (le cortège des soldats, les clameurs, les sonneries), dans la mesure où l’on ne peut plus localiser sa source énonciative. Son accord suspensif se résout dans le silence, ou plutôt sur les derniers mots du vers (mes. 19-20), tandis que la déclamation se poursuit seule.


Dans « Excess and Frame, the Musical Representation of Madwomen », Susan McClary a commenté quelques cas de ces représentations musicales de femmes folles 29, soulignant comment la représentation musicale de l’excès propre à la femme hystérique ne peut se faire qu’à l’intérieur de certaines limites rigoureusement établies, dont elle ne peut outrepasser les bornes : cette représentation musicale doit être encadrée, enfermée. De par la charge sexuelle qu’elle comporte, la figure de la femme hystérique fascine autant qu’elle fait peur. Le personnage de Salomé en est l’illustration la plus typique, et de tels personnages n’ont pas droit à la pleine satisfaction de leurs désirs : ils sont musicalement bridés par un cadre. Dans le Lamento della Ninfa de Monteverdi, le cadre contre lequel la nymphe folle d’un amour inassouvi vient constamment se heurter est celui de la figure obstinée du tétracorde descendant qui organise toute la section centrale du lamento – et à cette figure de basse obligée s’ajoutent également les interjections régulières des trois voix d’hommes, spectateurs-voyeurs ponctuant régulièrement son lamento de leurs interjections sur « miserella » (malheureuse). Le lamento lui-même est encadré et neutralisé par deux autres sections faisant office de garde-fous, et comme le rappelle McClary, il « est si efficace qu’on en oublie souvent son cadre 30 », soit les deux sections externes qui l’entourent. La nymphe et ses soupirs ont beau être « la principale attraction » de ce madrigal en forme de triptyque, ils sont eux-mêmes emprisonnés et neutralisés dans la forme générale de la pièce. L’hystérie de Léonore est tout aussi rigoureusement cernée dans ce tableautin musical de six mesures, cadre étroit qui empêche tout développement de la substance musicale, et qui encore traduit sur le plan dramatique la frustration de Léonore et son statut potentiel de victime – on peut par ailleurs rapprocher cette situation avec l’un des tableaux d’Ariadne auf Naxos, montrant l’héroïne endormie et offerte aux regards de Thésée, mais en proie à une agitation qui est comme le signe annonciateur de son hystérie 31. Dépourvue du support visuel d’une scène théâtrale, la ballade mélodramatique doit créer sa propre réalité scénique. La séquence musicale de l’hystérie de Léonore nous rappelle à quel point le mélodrame non scénique n’a de « non scénique » que le nom, tant il tire sa rhétorique musicale d’un répertoire éprouvé et enraciné dans une tradition parfaitement établie d’une musique conçue pour la scène.


TROMPER L’ATTENTE

  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • METTRE LA SCÈNE DANS LA VOIX • LA BALLADE MÉLODRAMATIQUE ROMANTIQUE

Le cinquième huitain est un dialogue entre Léonore et sa mère : il s’agit d’une séquence sans musique, sauf pour son dernier vers : « O weh, o weh mir Armen ! [Ô malheur, ô malheur de moi !] » qui doit être déclamé sur le motif de la seconde partie du blason initial (exemple 7.8 ; mes. 27). Le retour d’un motif musical est rarement gratuit : il s’agit le plus souvent de souligner un moment précis, un changement, le début d’une nouvelle section. Mais dans le cas de Lenore, le retour de ce motif n’est pas seulement justifié par des raisons purement structurelles. C’est aussi la signification extramusicale de celui-ci qui est mise en évidence : le motif est investi d’un sens verbal qui en précise la teneur poétique. La suite de la première partie de Lenore confirme que ce motif doit désormais être perçu comme un signal qui va baliser le déroulement des huitains suivants, systématiser l’alternance déclamation-musique et imposer une gradation dramatique pour amener le cœur du drame. Le dépouillement des moyens musicaux mis en œuvre peut sembler quelque peu dérisoire, avec cette cellule mélodique soutenue par deux accords qui sera simplement transposée au demi-ton supérieur lors des deux répétitions suivantes (mes. 29-31). Mais simplicité n’est pas simplisme, et aussi bref soit-il, ce motif, non seulement porteur d’instabilité harmonique, est aussi un motif incomplet, puisqu’il ne donne que la seconde moitié du « blason initial ». Ce n’est qu’au terme d’une série de répétitions qui va marquer la fin de la première partie de Lenore que se fera entendre, en guise de conclusion médiane, la première partie du blason, heftig und rasch, encadrant une dernière séquence déclamée (mes. 35-36). Répéter un élément musical, surtout si celui-ci est bref et aisément reconnaissable, est un procédé permettant de jouer avec l’attente de l’auditeur. Installer ce qui s’annonce être une répétition régulière de ce motif (mes. 27-31), entrecoupée par des séquences tout aussi régulières de déclamation, permet certes de susciter l’attente de l’auditeur, mais également de la tromper. C’est précisément ce qui se passe avec la séquence déclamée des mesures  et  : ce n’est plus un seul, mais deux huitains qui s’enchaînent. Ce surplus de texte (étirement du dialogue entre Léonore et sa mère) dérègle l’alternance régulière entre séquences déclamées et musicales et le retour périodique du motif, ce que confirme son retour retardé (mes. 33). Il est cette fois-ci répété sans


transposition au demi-ton supérieur et sur les mêmes paroles que lors de sa précédente occurrence : « Ô malheur, ô malheur de moi 32 ! » Si ce signal finit par devenir l’image musicale de la voix de Léonore, le retour du premier motif du blason (heftig und rasch ; mes. 35) qui vient ponctuer la tirade de la mère, agit à la manière d’un couperet avec ses accords martelés. La consolation maternelle (« car pour ton âme il ne te manquera pas un époux ! » 33) ne fait que plonger un peu plus Léonore dans son désespoir : « O Mutter ! Was ist Seligkeit ? O Mutter ! Was ist Hölle ? Bei ihm, bei ihm ist Seligkeit,| Und ohne Wilhelm Hölle ! [Ô Mère ! Qu’est-ce que le bonheur ? Ô Mère ! Qu’est-ce que l’enfer ? C’est avec lui, avec lui qu’est le bonheur, et c’est l’enfer sans lui !] » C’est après le retour de ce premier motif du blason que Léonore prononcera les mots qui décideront de son sort : « Lisch aus, mein Licht, auf ewig aus ! | Stirb hin, stirb hin in Nacht und Graus ! | Ohn’ihn mag ich auf Erden,| Mag dort nicht selig werden. [Éteins-toi, ma lumière, pour toujours ! | Meurs, meurs dans la nuit et les ténèbres !| Sans lui je ne voudrais, sur terre, | ne voudrais devenir bienheureuse.] » Manière de boucler la boucle, la première partie de Lenore est bien une fin en soi, que marque le retour du premier motif du blason, comparé plus haut à un lever de rideau ou aux trois coups marquant le début du drame. En répétant ce geste initial, le drame va entrer dans son acmé : tous les éléments sont désormais en place pour narrer la chevauchée de Léonore avec la Mort. LE GALOP COMME MÉTAPHORE DU RÉCIT

Lenore joue sur la dramatisation de l’attente d’un moment décisif qui ne se concrétisera que dans la seconde partie de la ballade. Dans cette seconde partie les séquences musicales sont plus longues et plus étirées, le plus souvent la déclamation se fait sur la musique, tandis que les séquences purement déclamatoires se font beaucoup plus brèves. L’impression générale qui en résulte est celle d’une longue page durchkomponiert, avec un découpage bien moins séquentiel que ne l’était la première partie, mais qui par ailleurs permet une perception plus accrue du temps, sans aucune parenthèse anachronique, et où la musique se fait beaucoup plus présente. Essentiellement synchrone (sa source peut être localisée dans le récit même), la musique de cette seconde partie, premièrement conçue comme illustration au premier


degré relevant de la technique du mickey-mousing, est investie d’un fort pouvoir d’objectivation. Récit d’une longue chevauchée allant implacablement de l’avant, la seconde partie de Lenore est fondée sur l’illustration musicale du galop (voir exemple 7.9).

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Au cours de cette chevauchée d’épouvante (qui commence mes. 54) s’insèrent les cinq épisodes fantasmagoriques de la chevauchée, soit le dialogue entre Léonore et Wilhelm/la Mort, la procession funèbre sur les douze coups de minuit puis le chœur « nuptial » (voir exemple 7.10), l’apparition d’un spectre, la Mort tombant en poussière, et enfin la coda des esprits (mes. -fin).

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Exemple 7.9 F. Liszt, Lenore, mes. 50-60


Exemple 7.10 F. Liszt, Lenore, mes. 141-152

On compte au sein de ce galop sept brèves séquences purement déclamées marquant autant d’arrêts étranges au sein de ce galop fantastique, toujours judicieusement placées avant ou après les épisodes fantasmagoriques. Trois d’entre elles ont valeur de refrain, comme l’était le second motif du blason dans la première partie, mais ici purement parlé. Il s’agit d’un dialogue entre Wilhelm/la Mort et Léonore : « [Wilhelm :] Graut Liebchen auch vor Toten ? [Lenore :] Ach ! Lass sie ruhn, die Toten ! [(Wilhelm) : Mon aimée a-t-elle peur des morts ? (Léonore) : Ah ! Laisse-les en paix, les morts !] » Ces refrains déclamés à nu sont les seules concessions au rythme implacable du galop, mais on comprendra qu’ils doivent précisément être déclamés sans musique, placés soit après, soit avant les passages déclamés sur la musique 34.

Tableau 7.A Seconde partie de Lenore, mes 54-fin

Le cauchemardesque galop de Lenore est bien plus qu’une pure image sonore aux vertus illustratives : il est la ponctuation marquant la régularité inexorable du déroulement temporel, donnant une réalité quasi palpable à ce temps fantasmagorique de la chevauchée. On peut pour cela se référer aux catégories de « temps lisse » et « temps strié » qu’a utilisées Pierre Boulez, et


Participant de la tradition germanique de la déclamation mélodramatique « avec accompagnement musical » (mit begleitender Musik), la ballade mélodramatique pour récitant et orchestre Das Hexenlied () de Max von Schillings (-) est elle aussi redevable à l’esprit de la ballade poétique germanique du début du XIXe siècle. Dû à l’écrivain allemand Ernst von Wildenbruch (-), ce long poème narratif est conçu comme un Rollengedicht,qui ne traite pas tant de sorcellerie que d’un amour impossible entre une jeune fille prétendument sorcière et un jeune moine. Créé en , Das Hexenlied connut durant la première moitié du XXe siècle une immense popularité dont il ne reste plus grandchose aujourd’hui – avec son opéra Mona Lisa (), ce mélodrame fut aussi le plus grand succès du compositeur. Certes, la gloire de ce Chant de la Sorcière doit beaucoup à son dédicataire et premier interprète, l’acteur et récitant Ernst von Possart 37. Encore plus que les trois autres mélodrames avec orchestre de Schillings, également dédiés à Possart (Kassandra et Das eleusische Fest sur des poèmes de Schiller, tous deux de , et Jung Olaf sur un poème de Wildenbruch, de ), Das Hexenlied obtint dès sa création un immense succès qui dépassa largement les frontières de l’Allemagne, l’œuvre ayant été adaptée en anglais, français, italien et russe.

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DAS HEXENLIED OU LE RÉCIT-GIGOGNE

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dont Deleuze et Guattari ont donné la définition suivante : « Dans un espace-temps lisse on occupe sans compter, […] dans un espace-temps strié l’on compte pour occuper 35. » Si le temps lisse est un temps suspendu, étiré et flottant, dépourvu de toute pulsation régulière, le temps strié se caractérise le plus souvent par une pulsation régulière (sinon « systématique » selon Boulez). Le déroulement temporel de la seconde partie de Lenore fait usage d’un temps strié, défini par une pulsation régulière et fondé sur la répétition d’un pattern rythmique. C’est ce temps strié qui tisse la trame du récit présenté sous la forme musicale traditionnelle du galop musical, et qui est l’image sonore de cette ponctuation inexorable, celle du temps que rien n’arrête. Le galop est comme « la précipitation des présents qui passent […] », il « accompagne le monde qui court à sa fin, le tremblement de terre, la formidable entropie, le corbillard… 36 »


Le principal intérêt du poème de Wildenbruch réside dans sa morphologie de récit-gigogne fait de trois histoires imbriquées. Chronologiquement, la plus ancienne est celle de la jeune fille, racontée par elle-même au moine Medardus ; puis vient l’histoire de Medardus tenté par cette jeune fille, racontée par Medardus à ses frères en religion,et enfin l’histoire des derniers instants de Medardus, qui est aussi la somme des deux précédentes. Dans le poème, la chronologie n’est cependant pas aussi linéaire, puisque le poème part du présent du récit pour remonter dans le passé, avant de revenir au présent,avec la mort du moine.Pour un tel récit, dont les seules actions sont justement l’acte du récit, le traitement non scénique semble s’imposer tout naturellement. Das Hexenlied a pour fil conducteur le chant ensorcelant et tentateur d’une jeune fille, métaphore de sa sexualité en éveil. Comment restituer ce chant sans chant, d’évoquer la musique par une autre musique ? Le mélodrame est particulièrement propice à traiter de tels dispositifs, qui sont d’ailleurs le plus souvent des chants que nous n’entendons jamais comme tels. La partition de Schillings ne fait ainsi jamais entendre ce chant, mais l’impression qu’il produit. Dans le poème de Wildenbruch, la première allusion faite à ce chant n’est qu’une évocation. Ce n’est pas le chant tel qu’il fut chanté par la jeune fille, mais son souvenir, restitué par la voix brisée d’un vieillard mourant. « Da horch, da von ferne her überklang mit klagender Stimme ein düstrer Gesang [Là, écoute, au loin résonnait d’une voix plaintive un chant sombre] » (mes. 47-51) nous dit le narrateur : l’injonction déictique, ce « là, écoute », agit comme dénonciation de l’artifice narratif, mais sur le plan dramatique il permet de souligner le caractère extraordinaire de ce chant.Alors que les moines terrifiés ne saisissent que des bribes du chant de Medardus, un premier motif mélodique se fait entendre à trois reprises, entonné par la clarinette basse cantando lugubre, dessinant son aura diabolique (voir exemple 7.11).


 

Ce n’est que lorsque les moines se rapprochent de la cellule de Medardus qu’ils entendent tout à fait ce qu’ils perçoivent être un « chant sauvage ». Chant qui cette fois révèle une tout autre dimension, éveillant chez les moines une subite et irrépressible nostalgie : « Sie dachten an Dinge, die einst sie besessen, an Tage der Jugend, die lange vergessen. [Ils pensaient à des choses qu’ils avaient autrefois possédé, à leur jeunesse, depuis longtemps oubliée.] » (Voir exemple 7.12).

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Exemple 7.11 M. von Schillings, Das Hexenlied, mes. 44-63 (réduction)


Exemple 7.12 M. von Schillings, Das Hexenlied, mes. 91-127 (réduction)

Enfin ces deux motifs seront fondus en un seul au moment où Medardus s’apprêtera à prendre la parole pour raconter son histoire : motif transfiguré par une modulation au ton majeur et par la tessiture subitement aiguë (mes.  sq.). Le chant de la sorcière est inaudible puisqu’inchantable, mais il revit à travers les impressions qu’il aura suscitées chez tous ceux qui l’ont écouté : les moines, Medardus et même la jeune fille, qui elle-même l’a


À la différence de bon nombre de mélodrames, les ballades mélodramatiques romantiques ne sont pas des œuvres scéniques, ce qui est déjà en soi une contradiction, tant le dispositif mélodramatique est depuis ses origines lié à la scène. Ce qui caractérise la ballade mélodramatique non scénique, c’est justement l’inflation dramatique qui agit sur tous les paramètres du discours, et notamment sur cette « voix qui raconte ». Inflation du discours qui est la conséquence de la polyphonie de voix propre à la ballade poétique conçue comme Rollengedicht. Cette polyphonie de voix déployée tout au long de son récit semble naturellement appeler une musicalisation du texte. Qu’on songe à la ballade Erlkönig de Goethe, où se font entendre tour à tour la voix de l’enfant, du père, du Roi des Aulnes, mais aussi la voix qui raconte, et qui amène à nous demander constamment « qui parle ? » C’est encore le cas de Lenore, dont la seconde partie est un dialogue entre Léonore et La Mort, ou du Hexenlied, où se côtoient voix du passé (celle du jeune moine Medardus et la sorcière) et du présent (Medardus devenu vieillard, ses correligionnaires). En miroir à son propre principe d’alternance texte-musique qui en

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LA « VOIX QUI RACONTE »

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appris de sa grand-mère. Et lorsqu’elle évoque ce chant, le premier motif ressurgit sous un éclairage quasi virginal, joué par un violon avec sourdine contrepointé par une mélodie de choral à la flûte (mes. -). Fidèles à la technique du leitmotiv wagnérien, les autres occurrences de ces deux motifs se retrouvent lors de la séquence durant laquelle la jeune fille, parlant à la première personne, tente de convaincre Medardus de prendre la fuite avec elle. Le premier motif est joué au violoncelle solo accompagné d’une flûte qui contrepointe sa déclamation (mes.  sq.) avant que le second motif est énoncé sur ces paroles : « Du hast kein Weib an das Herz noch gedrückt, du weisst nicht, wie Weibes Liebe beglückt. [Tu n’as pas encore serré une femme contre ton cœur, tu ne sais pas combien rend heureux l’amour d’une femme.] » ; puis dans l’épisode du bûcher (restitué par le récit de Medardus) : « Und plötzlich vernahm ich ein Klingen, vom brennenden Holzstoss begann sie zu singen ! [Et soudain j’entendis un son, sur le bûcher enflammé elle commença à chanter !] » (mes.  sq.).


régit son organisation structurelle, la ballade mélodramatique se nourrit de ce jeu d’alternance entre ces voix et temps différents. La question du « qui parle ? » prend d’autant plus d’acuité lorsqu’un poème de ce type est mis en musique, cette dernière pouvant dès lors avoir la valeur d’une voix – le chant de la sorcière dans Das Hexenlied est une monodie purement instrumentale. On observe déjà ces changements de voix narratrices dans la première version mélodramatique de Lenore, composée en  par Friedrich Ludwig Kunzen. La particularité de cette œuvre est qu’elle requiert tant le chant que la déclamation, selon des instances bien précises. Il faut chanter lorsque le discours passe au style direct ; mais lorsque Léonore, sa mère, la Mort ou les esprits parlent, le narrateur les chante. En revanche tous les passages en style indirect, et donc narratifs ou descriptifs, sont récités, le plus souvent entre les épisodes du piano, selon le principe d’alternance traditionnel. Beaucoup moins nombreux, les tuilages musique-déclamation sont motivés par un effet de crescendo dramatique, et c’est surtout dans la seconde partie du poème, lors de la chevauchée de Léonore sur le coursier de la Mort, que ces superpositions déclamation-musique surviennent 38. Partons de ce qui semble être un truisme : la ballade mélodramatique romantique est avant tout caractérisée par ce qui la distingue du Lied, c’est-à-dire par l’absence de chant et par la présence d’une voix parlée, dont la source est le récitant. Celui-ci n’est pas un personnage à l’intérieur du récit : il n’est pas Léonore, ni sa mère, ni la Mort (dans la ballade de Liszt), ni l’enfant de la lande (« Ballade vom Haidenknaben » de Schumann), ni le moine Medardus, ni la jeune sorcière (Das Hexenlied). Cependant il dit ces personnages, de même qu’il restitue les autres voix qui les environnent. Comment désigner ce récitant, par la voix duquel la diégèse nous est restituée, voix qui pourtant est hors de la diégèse ? Si ce récitant est d’abord une voix, celle-ci n’est pas instrumentale, et encore moins est-elle instrumentalisée comme pourrait l’être une voix chantée – on songe ici à la voix mélodramatique du Pierrot lunaire, soumise à une notation qui trahit la volonté de Schoenberg de musicaliser la déclamation récitée. Au sein du dispositif musical, « la voix qui parle » du récitant est un corps sonore étranger reconnaissable entre tous, agent perturbateur non musical utilisé dans un contexte musical.Toutefois ce


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récitant extérieur est lui aussi plongé au cœur même du récit, pour être celui sans qui le récit ne serait pas. On peut le considérer comme un récitant à côté du récit, ou récitant paradiégétique, puisque cette source énonciative est par essence impossible à localiser dans le récit même. Il en va de même avec certaines voix off utilisées à une fin commentative dans des documentaires, énoncées par ce que Christian Metz a appelé une « voix insituable » 39, qui n’appartient à aucun des personnages pris dans la diégèse du documentaire. Cas de figure a priori moins fréquent dans la fiction cinématographique, où la voix off est le plus souvent subjectivée et donc identifiable en tant que voix appartenant à l’un des personnages de la diégèse, même momentanément invisible à l’écran lorsque résonne sa voix hors champ. On peut rapprocher de telles voix de ce que Michel Chion a appelé acousmêtre, soit une voix « acousmatique », terme repris de Pierre Schaeffer, et désignant un son entendu sans que sa source ou sa cause puisse en être déterminée 40. L’impact dramatique de ces voix acousmatiques réside dans leur capacité à rester non identifiables et non subjectivées par l’attribution d’un réceptacle corporel qui puisse justifier leur présence sonore. En reprenant la notion d’acousmêtre développée par Chion, Carolyn Abbate a fait un sort particulier à ces voix d’opéra n’appartenant à personne, voix au sujet desquelles l’auditeur se demande « qui chante ? » et qui sonnent à nos oreilles comme des voix sans corps, voix ectoplasmiques cherchant un hôte qui puisse les abriter 41. Sur l’effet perturbateur de ces voix, on pourrait encore développer la discussion – Abbate l’a fait, poursuivant dans son dernier recueil d’articles publié en  le propos déjà développé dans Unsung voices (). Seulement, une voix ne peut jamais n’appartenir à personne : derrière toute voix, il y a toujours un corps. Phénomène sonique forcément matériel, puisque production corporelle, la voix se refuse à être appréhendée comme un objet in abstracto. Une voix acousmatique, détachée d’un corps quelconque de manière à lui ôter tout lien avec une source énonciative identifiable, n’en devient, paradoxalement, que d’autant plus réelle par sa matérialité sonore,et d’autant plus inquiétante.À l’opéra toutefois, il est plus facile d’accepter de telles voix acousmatiques, car comme l’a souligné Abbate, la convention première posée par toute fiction opératique nous oblige à accepter que pour de telles voix, le corps qui les produit ne peut être identi-


fiable 42. Et toujours à l’opéra, il est certes plus intéressant de discuter des effets de ces voix, plutôt que de s’arrêter justement sur leur origine – puisqu’une fois mise à nu, cette origine dépoétise considérablement le sortilège opératique ! Il serait possible dans le cas du mélodrame de considérer la voix de la récitation comme une sorte de voix acousmatique, insoumise à toute subjectivation qui permettrait de la désigner comme une voix appartenant à un personnage précis. Cependant une telle hérméneutique taillée pour l’opéra ne convient pas au mélodrame non scénique ou « de concert »,parce que dans ce dernier l’instance narratrice, qui n’est jamais la voix propre à un personnage de la diégèse, fonctionne selon un mécanisme en tout point inverse à celui de l’opéra: il ne s’ancre pas dans une représentation scénique concrète de la diégèse. C’est sur ce plan que le mélodrame non scénique pose problème, à moins d’inverser la donnée de ce prétendu problème. Au contraire de l’opéra, la voix narratrice du mélodrame s’exhibe sans retenue, elle se donne à entendre/voir telle qu’elle est et dans tout son artifice.Nul ne peut ignorer la présence vocale et physique de ce récitant en queue-de-pie, se tenant à côté du piano, mettant en pleine lumière la convention narrative dont il est l’emblème. En donnant à la musique un narrateur, le mélodrame met à nu un artifice que l’opéra cherche quant à lui à masquer. La ballade mélodramatique met en scène une voix suffisamment insaisissable pour qu’elle reste détachée par rapport à la diégèse, pouvant à volonté s’en éloigner comme s’en approcher, parfois même au point d’y entrer, en prêtant momentanément sa voix à un personnage. C’est la présence trop présente de cette voix narratrice qui fait que la ballade mélodramatique est un genre aujourd’hui perçu comme vieilli – et les récitals consacrés à ces curiosa romantiques ont immanquablement un parfum de réexhumation archéologique. Nous percevons la ballade mélodramatique comme excessivement infantile et tendant au grotesque, que ce soit par l’inflation expressive de la voix récitante, par l’illustration sonore au premier degré qu’est le mickey-mousing du piano. Pourtant elle reste fascinante, au même titre que les films muets. Comme pour ceux-ci, nous n’en revenons pas de ce qui est pour nous une naïveté outrancière, et nous n’en revenons pas d’être, malgré tout, émus par ce spectacle.


VOX PEREGRINA, OU QUI RACONTE QUOI ?

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Dans la ballade mélodramatique, l’impact dramatique et éminemment théâtral propre à ce type d’œuvre non scénique réside dans la nature même de cette voix insaisissable, telle une vox peregrina : voix voyageuse tour à tour voix narratrice et voix narrée. Comme on l’a vu, se pose, constamment les questions du « qui parle ? qui raconte ? » Quelle est cette voix qui rapporte d’autres voix ? Le mélodrame entretient soigneusement cette confusion comme moteur principal de la tension narrative. Par la voix du récitant, le narrateur paradiégétique n’hésite pas à se poser comme tel, et même à montrer quelque conscience de son activité narratrice. Ce narrateur peut affirmer sa présence au sein de la diégèse : c’est le cas du narrateur de L’Histoire du Soldat de Strawinsky (désigné comme « Lecteur »), et qui est représenté scéniquement de telle manière qu’il met en évidence sa position privilégiée de narrateur omniscient par rapport à un récit qu’il contrôle, et au sein duquel il peut même intervenir personnellement en interpellant les personnages de la diégèse. C’est une situation quelque peu différente qui se dessine avec le Speaker de Œdipus Rex du même Strawinsky, où la parole récitée est utilisée dans un but affirmé d’objectivation du récit, provenant d’un narrateur cette fois purement extérieur à l’action : il est celui qui fait le récit et le présente avant même que ce récit ne soit proprement représenté par le chœur ou l’action scénique. La conscience narrative d’un narrateur peut se révéler avec plus ou moins de discrétion, par des amorces à forte intention déictique balisant de temps à autre le récit et s’adressant au narrataire 43. Si elle reste encore faible dans le poème Der traurige Mönch de Lenau, l’utilisation du temps présent (les ballades poétiques privilégiant plutôt le passé qui permet d’asseoir encore mieux l’autorité du narrateur en le détachant de son récit, présenté comme un fait accompli) trahit dès le début du poème cette attitude réflexive, en instaurant d’abord le cadre du récit de manière typiquement phatique : « Im Schweden steht ein grauer Sturm… [Il est en Suède une tour…] », relevant d’une formulation propre au conte ou au récit épique, du même ordre que le « il était une fois », dont la seule fonction consiste à marquer le début de l’histoire. Plus évidente encore est la fonction de ces écoute ! vois ! qui ne signifient pas autre chose que je suis en train de vous raconter l’histoire de… Dans Lenore : « Und aussen, horch ! gings


trapp trapp trapp […] und horch ! und horch ! [Et dehors, écoute ! [un cheval fait] trapp trapp trapp […] et écoute ! et écoute !] » ; « Horch, Glockenklang ! Horch,Totensang ! [Écoute, le son des cloches ! Écoute, le chant des morts !] » ; « Sieh da ! sieh da ! [Vois là ! vois là !] » et « Ha sieh ! Ha sieh ! [Ah vois ! ah vois !] » Dès le début du poème Das Hexenlied, le narrateur remet au personnage du prieur son droit absolu de narrer : « Zu Hersfeld in Kloster der Prior sprach : “Der Bruder Medardus ward alt und schwach” [À la porte du couvent, le Prieur dit :“Frère Medardus était vieux et faible”] ». Mais le narrateur n’en disparaît pas pour autant ; plus loin, c’est sa voix paradiégétique qui se fait entendre à nouveau : « Da horch, da von ferne her überklang mit klagender Stimme ein düstrer Gesang. [Là, entends-tu, de loin résonnait d’une voix plaintive un chant sombre.] » Ou encore « Und siehe und siehe, herein in die Pforte der Beichtiger kam voll Schrecken und Hast. [Et vois, et vois, à la porte l’aumônier s’en revint plein de terreur et en hâte.] » Dans le poème de Ludwig Uhland Das Schloss am Meere (), mis en musique par R. Strauss, les amorces déictiques sous forme de questions sont d’autant plus justifiées qu’il s’agit d’un poème conçu comme un dialogue entre un personnage qui questionne et un personnage qui répond : « “Hast du das Schloss gesehen,| Das hohe Schloss am Meer ? […]” “Wohl hab’ich es gesehen” [“As-tu vu le château, le haut château vers la mer ? […]”“En vérité je l’ai vu” » ; « “Sahest du oben gehen| Den König und sein Gemahl ? […]” “Wohl sah ich die Eltern beide […] in schwarzen Trauerkleide.” [“As-tu vu là-haut sur la terrasse, le roi et son épouse ? […]” “Le roi et la reine, je les ai vus […] dans leurs habits de deuil.”] » Ces amorces sont autant de manières pour le récit de dénoncer l’artifice de son propre dispositif narratif en le mettant à nu, tout en restant lui-même pris dans ses propres rouages, et finissant par devenir, via son récitant, personnage à part entière au même titre que les personnages de la diégèse. Ce n’est toutefois pas tant cette polyphonie de voix propre à la ballade narrative que le traitement musical cherche à mettre en valeur, par exemple en encadrant chaque tirade d’un personnage par une séquence musicale – ce qui rendrait le récit peu dynamique et constamment ralenti par ces incises musicales. Bien au contraire, on observe dans les ballades mélodramatiques l’usage privilégié du


POUR UN ART DE L’ELLIPSE

Par bien des aspects, on pourrait établir un parallèle entre l’alternance séquentielle propre à la narration mélodramatique et la narration de la bande dessinée, de par la manière dont toutes deux s’organisent selon un découpage séquentiel. À l’instar de la bande dessinée, le mélodrame est également un art mixte combinant aux moins deux types de discours (musique/image-texte) : ce qui a aussi été jugé comme étant leur point faible. Le discours théorique sur les arts a longtemps été rebuté par l’impureté du médium artistique – à titre de comparaison, on peut évoquer les

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BANDE DESSINÉE ET BANDE SONORE :

 

procédé de Benda de l’alternance séquentielle, laissant à la pure déclamation sans musique des blocs entiers de texte dialogués (ou alors simplement soutenue par de longues tenues d’accords, comme c’est fréquemment le cas chez Schumann), ou faisant alterner le style indirect du narrateur avec le style direct d’un des personnages, sans que les changements de voix propre à chaque personnage soient marqués par un quelconque signal musical. C’est ainsi que fonctionnent les ballades de Schumann, de Liszt, celles plus tardives de Richard Strauss, ou encore les mélodrames avec orchestre de Schillings. Comme quoi la multiplication des voix narratives propre au Rollengedicht n’a pas nécessairement une incidence structurelle sur la musique. Le traitement mélodramatique impose au poème un découpage discursif différent de celui implicitement donné par le seul texte, comme on peut l’observer dans Lenore et Das Hexenlied, où le découpage du texte poétique est d’abord fondé sur l’alternance des voix. Mais à partir du moment où la musique vient s’ajouter au poème, une nouvelle articulation du récit se dessine, régie par l’interaction entre texte et musique. Interaction qui va prendre le pas sur la narration elle-même en la vampirisant et en se faisant narration de la narration. Le mélodrame agit sur le récit comme pour le pervertir, ou, pour reprendre cette belle image de Barthes, il agit à la manière d’un « discours [qui tend] le miroir à sa propre structure 44 ». Dans le mélodrame, ce n’est plus l’histoire qui importe, mais le jeu déformant que ce miroir provoque sur les codes et mécanismes de la narration.


débats sur le cinéma naissant et les questions quant à sa respectabilité artistique. Quant aux préjugés à l’égard de la bande dessinée, qui peuvent se résumer par l’équation art populaire = art mineur, ils ne diffèrent guère de ceux exprimés à l’encontre du mélodrame. Le mélodrame musical et la bande dessinée proposent deux manières de constituer un récit en jouant sur au moins deux langages différents.Tous deux ont pour but la restitution d’un texte, transmis le plus communément par le phylactère dans la bande dessinée, par la voix ou par le mime dans le mélodrame. Dans le cas d’un narrateur hors diégèse (à l’exemple d’une voix off), la source énonciative reste non identifiable dans le mélodrame, le récitant n’étant pas un personnage de la diégèse. Lorsqu’un tel narrateur est invoqué dans une bande dessinée, le phylactère abandonne le plus souvent sa forme habituelle de bulle pour celle d’un rectangle, généralement placé dans l’un des coins de la vignette, et dépourvu de la virgule indiquant sa source énonciative, soit le « personnage qui parle ». Dans les deux cas également, le déroulement du récit est d’ordre séquentiel : caractéristique morphologique qui oblige à un traitement elliptique du discours, comme dans le cas exemplaire de Lenore. La bande dessinée procède par l’ordonnance des vignettes, elles-mêmes regroupées en unités plus larges appelées bandes (strips) et qui comportent habituellement entre trois et quatre vignettes ; le mélodrame procède quant à lui par l’alternance plus ou moins stricte entre parole et musique. Ce qui dans les deux cas oblige à épurer le récit dans le sens de l’ellipse, et à lui ôter tout ce qui est par trop transitionnel : le phénomène est aisément observable dans les comic strips en feuilletons publiés dans les journaux, où chaque historiette doit nécessairement occuper un espace maximal d’une, voire deux bandes. Mélodrame et bande dessinée font tous deux du pléonasme, de la tautologie, l’un des ressorts principaux de leur mécanisme discursif ; le mélodrame sur le plan sonore, la bande dessinée sur le plan visuel. À l'instar du mélodrame, la bande dessinée est un art tautologique, le dessin commentant ce que le texte du phylactère énonce (pour le moins dans l’acception traditionnelle de l’art bédéique, idéalement représenté par les représentants de la ligne claire). Il y a relation de cause à effet entre le texte et le dessin au sein d’une même vignette ; cas de figure qui peut être


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transposé de manière générale dans celui du mélodrame, où la voix énonce ce que la musique commente. Mais à l’intérieur de ce modèle théorique, bien des déviations sont possibles.Tout comme la bande dessinée doit épurer son discours en séquences parfaitement définies, le mélodrame reconsidère la relation entre narration et musique de manière à se débarrasser de tout ce qui relève du superflu musical – les exemples d’une telle superfluité par excellence étant les fonds musicaux soutenant constamment la déclamation, comme on peut l’entendre dans nombre de musiques mélodramatiques qui trahissent une conception abâtardie du genre. Idéalement, le mélodrame devrait aboutir à l’établissement d’une relation dépourvue de hiérarchie entre déclamation et musique. Mais à ce constat théorique, la réalité sonore de l’expérience mélodramatique restitue une tout autre facette, sur laquelle se sont d’ailleurs concentrées les critiques. La musique mélodramatique nous apparaît bien souvent comme étant prisonnière de la signification qui lui est infligée : ainsi lorsqu’elle est utilisée pour des effets de mickey-mousing, traitée comme une enfilade de lieux communs musicaux. La mauvaise réputation du mélodrame musical doit beaucoup à ce qu’il fait si souvent appel à des formules musicales éculées : galops soulignant une poursuite effrénée ; une sicilienne en majeur pour une romance amoureuse ; ou encore le poncif du trémolo signifiant l’inquiétude, la peur, l’attente d’un événement peut-être fatal, souvent utilisé par enchaînements chromatiques sur l’accord de e diminuée. Le face-à-face entre Peer Gynt et la créature monstrueuse du Courbe dans la musique de Grieg pour la pièce d’Ibsen (scène n° ), est un modèle du genre, de par son utilisation conjuguée de trémolos et d’enchaînements d’accords de e diminuée, soulignée par des interjections du chœur (on y reconnaît aisément le modèle de la scène de la Gorge-aux-Loups du Freischütz). Le signifiant de telles formules est bridé par le signifié que lui impose le texte poétique. Ce point, déjà plus qu’en germe dans le mélodrame du dernier tiers du XVIIIe siècle, sera le stigmate le plus encombrant qu’aura eu à subir le mélodrame romantique, qu’on peut à bien des égards considérer comme un cas extrême de fétichisme de l’icône musicale, soulignant involontairement une sorte de désarroi créateur chez le compositeur, obligé de composer avec un matériau musical « déjà composé ».


Emilio Sala a distingué deux catégories de mélodrames romantiques, le mélodrame « populaire » para-opératique en vigueur sur les théâtres de boulevard et le mélodrame « d’extraction cultivée et expérimentale » (pour cette dernière catégorie E. Sala donne comme exemples Manfred de Schumann, Lenore de Liszt et Enoch Arden de Richard Strauss) ; cependant ces deux catégories se fondent très exactement sur le même langage et les mêmes procédés narratifs, puisant dans le même répertoire d’icônes et de conventions musicales 45. Enfin, utiliser avec une telle constance ce répertoire qui finit par envahir la musique en la surchargeant de sens est aussi une manière de mettre à nu l’artifice et la convention d’un tel répertoire. C’est là un autre point d’apparentement, et peut-être le plus important, entre mélodrame et bande dessinée traditionnelle, dont les mécanismes narratifs reposent sur un répertoire éprouvé de codes visuels, d’images stéréotypées participant d’un fétichisme iconique similaire, comme on peut le voir dans certains tableaux de Roy Lichtenstein inspirés par les comics américains et où les icônes visuelles s’investissent d’une signification sonore 46. Ainsi il y a bien plus d’une similarité morphologique entre la bande dessinée et l’agencement textuel et musical propre au mélodrame, tel qu’il nous est donné à voir depuis la scène lyrique de Pygmalion de Rousseau, œuvre reposant strictement sur ces principes de l’ellipse et d’alternance entre texte et musique où le texte est soit restitué par la parole déclamée, soit par la pantomime. Comme nous l’avons déjà avancé, la morphologie propre au mélodrame est principalement régie par un rapport de succession entre texte et musique 47. Cette caractéristique est la ligne de partage des eaux entre le mélodrame et les autres formes d’expression musicale où un texte est invoqué, et cette ligne doit servir de garde-fou dans l’approche du phénomène mélodramatique. Ce procédé de succession propre au mélodrame fait de l’ellipse sa figure rhétorique privilégiée, mais il crée encore une emphase sur ce qui relève du commentaire, de la glose. Non pas que cet aspect ne se retrouve pas dans la musique vocale ; mais il s’y présente d’une manière tout autre. Premièrement parce que, dans cette dernière, la voix est d’abord musique. Or la voix déclamée du mélodrame est un verbe nu, une parole qui se présente à l’auditeur vierge de tout artifice musical : une parole hors


Musique mélodramatique et image bédéique acquièrent du sens par le texte. Or une musique conditionnée par un texte, c’est aussi ce qui définit la musique à programme 48. Cette dernière implique une démarche précise, qui consiste à prendre un texte, puis à élaborer une musique qui s’y rapporte ; ou, pour l’auditeur, à lire d’abord le texte puis à écouter la musique qui s’y rapporte. Pourquoi dès lors ne pas considérer le mélodrame comme une sorte de musique programmatique qu’on ferait se dérouler en même temps que le texte qui la fonde ? Cette idée de musique à programme « en action » peut être entrevue derrière le Werther du compositeur et violoniste turinois Gaetano Pugnani (c. ) 49, œuvre fort problématique qui passe pour être un mélodrame depuis son enregistrement sous cette forme en  50, c’est-à-dire en tant qu’œuvre musicale avec des interventions de texte déclamé, tirées du roman homonyme de Goethe 51.

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UNE MUSIQUE À PROGRAMME « EN ACTION » ? L’AMBIGU WERTHER DE PUGNANI

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de la musique. Dans la musique vocale, le déroulement simultané de la musique et du texte, transmis par la voix chantée, tend à brouiller la source du message narratif et à créer une empathie sonore entre ces deux termes : le mélodrame, au contraire, repose précisément sur l’absence d’une telle empathie. Non seulement il dissocie texte et musique, mais il aggrave encore plus cette dissociation en démusicalisant le texte, lequel se maintient comme distancié à la fois de son propre énoncé et de celui de la musique. C’est le contraire qui s’observe dans un texte transmis par la voix chantée, cette dernière permettant un effet d’empathie avec l’accompagnement musical, diminuant du coup cette distance critique entre texte et musique. Le texte transmis par la voix chantée possède une valeur d’absolu pour l’auditeur, faculté que ne possède pas le texte mélodramatique. Même lorsque ce dernier restitue la voix d’un personnage de la diégèse, il est un discours a-musical énoncé dans un environnement musical, qui se livre à nous dans toute l’étrangeté que crée l’objectivité supposée d’un verbe qui ne se chante pas. Bien plus qu’un mariage forcément impossible entre texte et musique, le mélodrame célèbre le divorce entre ces deux termes et se nourrit de leurs rapports contradictoires.


On ignore quand Werther fut joué pour la première fois : sans doute durant la seconde moitié de l’année  à Turin. En revanche on sait qu’il fut exécuté le  mars  au Burgtheater de Vienne, dans le cadre des concerts de la Tonkünstler-Societät. La partition de Werther, telle que restituée par les parties séparées viennoises (c’est à partir de ce matériel d’orchestre qu’Alberto Basso en a édité la musique), consiste en une succession de vingt-deux numéros instrumentaux séparés assez brefs : physionomie qui ressemble fort à un ballet en action, tel qu’il était pratiqué sur ce même Burgtheater de Vienne, notamment par Gluck à partir des années  52 ; reste que Werther ne semble pas non plus avoir été conçu comme un ballet. On ne dispose pas de précisions quant à la nature scénique ou non de l’œuvre et donc de son exécution, mais les conditions de celle-ci semblent exclure toute forme de représentation scénique. Cependant, nulle mention qu’il y ait eu, en plus de l’orchestre, un récitant. Comme le rapporte Basso, on sait simplement qu’avant l’exécution de l’œuvre, un texte avait été distribué à l’auditoire. Ce texte est malheureusement perdu : s’agissait-il d’un programme, comme l’affirme Basso ? Il pouvait bien s’agir d’une description des épisodes du roman de Goethe mis en musique. Cela dit, le problème de l’identité générique de Werther reste entier : le titre de l’œuvre, Werther, est donné sans autre indication (nulle part dans les sources n’apparaît le terme de « mélodrame » ou de son équivalent italien « melologo »), et ce simple titre n’est pas un élément suffisant pour déterminer sa nature mélodramatique, même s’il semble indiquer une intention narrative fondée sur le roman homonyme de Goethe. Toutefois la physionomie en mosaïque de la partition, unifiée par le texte, telle une bande dessinée musicale, justifie une telle intention : les vingt-deux épisodes sont tous conçus comme des pièces indépendantes, s’enchaînant sans solution de continuité ni lien thématique. On ne peut pas non plus y trouver un parcours tonal à grande échelle : la logique narrative de la partition ne se trouverait donc pas dans la partition, mais dans le roman. Selon le musicologue suisse Albert Müry, qui en  retrouva le matériel de Vienne, Werther est une « suite symphonique » en vingt-deux morceaux, et c’est sous une forme concertante qu’elle fut très vraisemblablement exécutée 53. Évidemment, le terme de « suite symphonique » utilisé par Müry est tout aussi


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • METTRE LA SCÈNE DANS LA VOIX • BANDE DESSINÉE ET BANDE SONORE

connoté que ceux de « programme » et même de « mélodrame » utilisés par Basso. Selon Müry, certains numéros semblent se référer très précisément à certains épisodes du roman de Goethe (surtout dans le dernier tiers de l’œuvre, quand les événements se font toujours plus dramatiques jusqu’à la catastrophe finale). Il s’agirait d’une musique instrumentale dont les différentes sections fonctionneraient telles des illustrations musicales d’un texte littéraire : une musique à programme avant la lettre. Sans doute que le cas le plus évident d’une telle adéquation musiqueroman se trouve dans le dernier accord sec et fortissimo de l’avant-dernier numéro, en guise de coup de feu fatal. Pour le reste, c’est affaire de conventions musicales qu’on accordera autant que faire se peut avec le contexte dramatique adéquat. Pour pouvoir justifier sa version mélodramatique de Werther, Basso a repris à son compte l’hypothèse de Müry quant à une possible adéquation entre épisodes musicaux et épisodes du roman, soutenant sans ambiguïté que cela fournissait bien la preuve que Werther était un « melologo ». Le terme italien est ici à prendre au pied de la lettre, melos + logos : selon Basso il ne fait pas de doute que le Werther de Pugnani faisait appel à un texte destiné à être récité, ce qui explique la structure particulière de la partition, conditionnée « par la présence de la parole » : « [cela] est confirmé par le fait que plusieurs des pages musicales, et spécialement celles en conclusion de la fin tragique, impliquent nécessairement la présence d’un texte récité 54. » Le problème, c’est que nulle part n’apparaît dans le matériel d’orchestre viennois une quelconque référence à de la déclamation, et Basso ne fournit pas d’autre argument pour asseoir cette nécessaire implication d’un texte récité. Les deux seules informations allant plus ou moins en faveur d’une version mélodramatique sont des faits postérieurs à la mort de Pugnani :le Werther fut donné avec un texte récité àVienne, à une date indéterminée, mais pas avant , sans qu’on sache non plus de quelle manière ces récitations prirent forme. L’autre indice fut publié en  dans les Souvenirs du ténor Felice Blangini, qui a évoqué une cantate avec orchestre sur le sujet de Werther, donnée à la cour de Cassel. L’ouvrage toutefois n’est pas de Pugnani, mais cette évocation rappelle à Blangini un autre Werther, celui du « célèbre Pugnani », œuvre pour laquelle, rapporte Blangini, le compositeur avait eu l’intention d’écrire une musique suffisamment imitative pour que l’orchestre puisse


« reproduire, à lui seul, les principales situations du roman de Goethe, sans le soutien d’aucun texte ». Pour se faire, un texte avait été distribué au public décrivant les « situations dramatiques » décrites par la musique. Mais là aussi, Blangini ne mentionne pas la présence d’un récitant devant lire ce texte 55. Pour faire de Werther un véritable « melologo » tel que présenté dans l’enregistrement de , Basso a reconstitué un texte destiné à être déclamé entre les séquences instrumentales, mais assez souvent aussi sur la musique (rappelons toutefois que les superpositions déclamation-musique dans le mélodrame de la fin du XVIIIe et début du XIXe siècle restent encore assez exceptionnelles, confinées aux moments les plus dramatiques 56). L’adéquation entre les épisodes musicaux et ceux du roman de Goethe est parfois fort réussie : comme l’évocation par Werther d’un locus amœnus près de son village, qui amène l’épisode musical n°  largo-andante, / pastoral dont les trilles d’un violon et des flûtes peuvent cependant évoquer aussi bien le bruissement d’une source que le chant d’oiseaux (n° ) ; ou à l’occasion d’un robuste menuet à danser soutenu par les cors et qui se fait entendre dès que Werther pénètre dans le salon d’un bal de campagne (allegro moderato n° ), puis les échos d’une contredanse anglaise dansée par Charlotte (allegro-inglese n° ). De même lorsque Charlotte chante en s’accompagnant du piano, la mélodie (clarinette) est soutenue par une basse d’Alberti jouée par les cordes pizzicato (un poco andante n° ). Il faut cependant reconnaître que dans bien d’autres endroits cette adéquation est plus forcée. Rien n’indique que la musique d’une légère gavotte avec un solo de flûte soutenu par un accompagnement de guinguette soit destinée à illustrer Charlotte jouant au pianoforte l’une de ses pièces préférées (allegretto n° ). On peut également trouver la tonalité majeure de l’adagio sans doute un peu trop désinvolte pour évoquer l’état lacrymal de Werther (adagio n° ). Et pourtant cela fonctionne : c’est que la musique, quelle qu’elle soit (sauf dissonance extrême entre l’affect musical et la situation dramatique qui créerait un effet pour le moins comique), comblera toujours l’attente de l’auditeur – ou plutôt, dans son conditionnement, puisqu’il sait qu’il va entendre une musique lui restituant un drame dont il connaît la teneur. Que je trouve la gavotte n°  un peu trop vocale pour une pièce de piano ou l’adagio n°  trop désinvolte pour des larmes n’est


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • METTRE LA SCÈNE DANS LA VOIX • BANDE DESSINÉE ET BANDE SONORE

finalement qu’un jugement de valeur personnel. La partition de Pugnani repose sur des gestes musicaux à connotations suffisamment imprécises, et donc pouvant endosser plusieurs significations, pour que l’auditeur, conditionné par le texte déclamé qu’il aura entendu juste auparavant, croie y entendre ce qu’on lui a décrit. Il s’agit moins de trouver un topos musical s’y prêtant un tant soit peu qu’une figure musicale suffisamment floue pouvant se prêter à plusieurs lectures possibles (le trille par exemple, qui peut évoquer aussi bien l’eau d’une source que le chant d’un oiseau). L’adagio n°  devant illustrer les larmes de Werther est même trop vague dans ses connotations, ce qui paradoxalement lui permet malgré tout de correspondre à la situation de Werther en larmes. L’adagio commence d’abord par un tutti, derrière lequel on pourra y entendre quelque chose de solennel ou de grave, préparant l’entrée du violon soliste. L’aspect général de cette ritournelle est celui d’un divertissement instrumental assez développé dans le style concertant, ici utilisé à la manière d’un interlude : en quoi il diverge de la plupart des autres ritournelles instrumentales de ce Werther, en général bien plus brèves et plus illustratives.Toutefois cet adagio, plus long et à l’affect fort indéterminé, peut ainsi se prêter à toutes sortes de situations ; dès lors, chaque auditeur y trouvera son compte. La signification des ritournelles instrumentales de Werther relève d’un phénomène qui serait comme la transposition auditive de l’effet Kouleshov au cinéma, selon lequel un plan peut se charger de différentes significations par le montage, les plans le précédant et le suivant inférant nécessairement sur sa perception 57. C’est en vertu de ce principe que se multiplieront au cours du XIXe siècle les lectures ou récitations poétiques sur un accompagnement musical, qu’on aura été puiser dans le répertoire : Marche funèbre de Chopin, extrait du « Miserere » du Trovatore, le mouvement andante con moto du e Concerto pour piano de Beethoven 58… La musique de Werther se fonde sur l’idée d’une musique universellement expressive et signifiante : mieux que les mots, elle peut dire le texte de Goethe. Mais en réalité, nous sommes déjà ici dans le domaine d’une musique fonctionnelle, à caractère interchangeable. Pour que puisse se maintenir l’illusion de l’adéquation entre situation dramatique et musique, il est nécessaire de respecter le principe d’alternance déclamation-musique,


selon la hiérarchie traditionnelle voulant que ce soit le texte qui va charger de sens la musique. Sur ce point il est indéniable que Werther est une partition mélodramatique, à condition de comprendre « mélodrame » dans le sens défini par Steinitzer, soit en tant que « mise en musique d’un texte » : la lecture proposée par Basso est une réalisation possible de la qualité mélodramatique du Werther de Pugnani, mais ce n’est bien sûr pas la seule. Et pour paraphraser Steinitzer, que ce texte soit récité ou non, cela n’a finalement guère d’importance.


 

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • CHAPITRE • SS-CH


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Les développements de la récitation mélodramatique au XIXe siècle ont fait de celle-ci un art théâtral à part entière. À l’instar de la ballade mélodramatique, le métier de récitant fut une activité essentiellement germanique : c’est là l’objet d’étude du livre d’Ulrich Kühn (qui est, rappelons-le, non pas tant consacré au mélodrame qu’à la récitation mélodramatique, laquelle n’est qu’un cas particulier du mélodrame).Aussi ouvrira-t-on ce chapitre en évoquant deux récitants mélodramatiques, qui furent aussi les plus grands et ultimes représentants de cet art : l’acteur Ernst von Possart (-) et son continuateur, sinon rival, le chanteur et acteur Ludwig Wüllner (-), dont l’activité de récitant s’est nourrie tant de ses qualités de chanteur que d’acteur, marquant un point d’aboutissement dans l’art de la récitation mélodramatique. I. ERNST VON POSSART

Avant de s’adonner de manière presque exclusive à la carrière de récitant, Ernst von Possart fut d’abord l’un des plus grands acteurs de son temps, brillant dans les rôles shakespeariens de Iago, Shylock, le Roi Lear, Richard III, mais aussi dans ceux de Nathan le Sage, Mephisto, Don Carlos (dans Clavigo de Goethe

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE

DE RÉCITANTS SACHANT CHANTER…

 

Comme la mélodie tire son caractère des accents de la langue, le rythme tire le sien du caractère de la prosodie, et alors il agit comme image de la parole… Jean-Jacques Rousseau, Dictionnaire de musique, article RYTHME)


Ill. 8.1 O. Gulbransson : Ernst von Possart en César et en Napoléon (1905)

et Don Carlos de Schiller), pour ne citer que ceux-ci.Après avoir fait ses premiers pas à Berne puis à Hambourg, il devint membre du Hoftheater de Munich en , puis fut nommé Oberregisseur en  et Intendant général en , succédant à Karl von Perfall (qui avait fait donner le Manfred de Schumann avec Possart dans le rôle-titre en  1). À partir de cette date, Possart dut mettre son activité scénique entre parenthèses, et trouva un exutoire en se consacrant à l’art de la récitation mélodramatique 2. Dès ses débuts en tant qu’acteur à Munich (Franz Moor dans Les Brigands de Schiller), Possart fut loué pour sa présence scénique, qui reposait sur une maîtrise remarquable de la gestuelle et de la déclamation. Mais Possart eut aussi des détracteurs qui virent quant à eux un excès de calcul dans ses poses par trop étudiées et sa déclamation modulée à la limite du chant, qui pour certains atteignait à un comble du maniérisme (voir illustration 8.1). Une rumeur prétendait qu’il travaillait la déclamation de ses rôles au piano 3 ; véridique ou non, l’anecdote est éloquente. Sans pouvoir prétendre à un niveau professionnel, Possart était en effet un bon chanteur qui n’hésitait jamais à se faire entendre sur scène. Encore en , alors qu’il était pris par sa charge d’intendant et avait déjà réduit son activité artistique à la seule récitation mélodramatique, Possart s’était dans un premier temps réservé le rôle du Joueur de violon des Königskinder d’Engelbert Humpedinck destinés à être créés au Hoftheater l’année suivante – rôle pour lequel un numéro chanté est spécifié.


 Ernst von Possart (1913)

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA RÉCITATION MÉLODRAMATIQUE • DE RÉCITANTS SACHANT CHANTER

C’est sans doute de par la nature excessive de ses qualités d’acteur que Possart allait rapidement connaître une nouvelle gloire inégalée en tant que récitant, le trop-plein dramatique du jeu de Possart trouvant dans l’absence de scène propre au mélodrame dit « de concert » un exutoire idéal. Dès -, Possart donna ses premières séries de récitals mélodramatiques accompagné par Richard Strauss au piano, interprétant notamment les mélodrames de Liszt et de Schumann, en sus de récitations de poèmes et monologues théâtraux. Strauss composa à son intention les mélodrames pour piano et récitant Enoch Arden () puis Das Schloss am Meere, que Possart et Strauss créèrent en . Dans le sillage immédiat de Strauss, le compositeur Max von Schillings allait encore trouver en Possart son interprète de prédilection, lui composant et dédiant coup sur coup les ballades mélodramatiques avec orchestre Kassandra ( ; Schiller), Das eleusische Fest ( ; Schiller) et Das Hexenlied ( ; Ernst von Wildenbruch), ce dernier marquant l’apogée de Possart Récitant. En , sans doute désireux de recréer le succès international du Hexenlied, Schillings composa encore Jung Olaf sur un poème du même Wildenbruch. Mais l’étoile de Possart avait déjà pâli aux côtés de celle montante de Ludwig Wüllner, qui avait également interprété Das Hexenlied dès .Toutefois en , le nom de Possart était à ce point lié à la déclamation

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Ill. 8.2


mélodramatique qu’au mois de janvier le comité du Chœur de la Philharmonie de Vienne avait envisagé de lui confier la partie récitante des Gurre-Lieder de Schoenberg – ce fut finalement à Anna Bahr-Mildenburg qu’échut cette partie exigeant que le récitant soit aussi un chanteur aguerri, ce qui n’était pas le cas de Possart 4 (voir illustration 8.2). Possart ne fut lui-même que l’un des derniers représentants d’un art de la diction qui s’est forgé tout au long du XIXe siècle, et qui s’adressait aussi bien aux acteurs qu’aux chanteurs – des récitants comme Auguste Götze, interprète des mélodrames de Liszt, et plus tard Albertine Zehme, la commanditaire du Pierrot lunaire de Schoenberg, ainsi que Ludwig Wüllner, étaient des chanteurs de formation représentant au mieux cette lignée de récitants qui se mouvaient idéalement dans l’entre-deux du parlé et du chanté. Marie Seebach, qui n’était pourtant « que » comédienne, avait elle aussi travaillé le chant, ce qui explique l’art de ses « merveilleux sons murmurés entre le chanté et le parlé 5. » En voulant domestiquer l’incodifiable souplesse de la déclamation, et par là en séparant le chanté du parlé, la Sprechstimme du Pierrot lunaire a sonné le glas du métier de récitant mélodramatique : c’est ce qu’on verra au cours du chapitre suivant. Albertine Zehme en fit d’ailleurs les frais, n’ayant pu rendre justice à une notation qui allait à l’encontre de sa conception de la déclamation mélodramatique. L’effet du Pierrot eut pour conséquence de rendre cet art de la déclamation, dont il est pourtant issu, aussi passé de mode que le genre qu’il sert idéalement. Il est d’ailleurs révélateur que nombre de traités, opuscules, ouvrages didactiques, publiés dans les pays germaniques au cours du XIXe siècle, avec une concentration particulièrement remarquable à la fin du siècle et au début du XXe siècle, traitent de la déclamation sous un angle ouvertement musical. Parmi les plus importants, citons celui du compositeur Wilhelm Kienzl, auteur de plusieurs mélodrames (dont la musique de scène pour Der Evangelimann, Berlin,  ; Don Quixote, tragi-comédie musicale, Berlin,  – ces deux œuvres sur ses propres livrets), ainsi que du traité Die musikalische Declamation, dargestellt an der Hand der Entwicklungsgeschichte des deutschen Gesanges ; musikalisch-philologische Studie [ La déclamation musicale, représentée à la lumière de l’histoire du développement du chant allemand ; étude musico-philologique] (Leipzig, ). Exceptionnel par sa pré-


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA RÉCITATION MÉLODRAMATIQUE • DE RÉCITANTS SACHANT CHANTER

cocité mais déjà annonciateur de la tradition de récitation mélodramatique, le traité de Detlev Friedrich Bielfeld, Über Declamation als Wissenschaft mit Beispielen oder pyschologischer Entwicklung der Laute und Töne nebst ihrer praktischen Anwendung [Sur la déclamation en tant que science avec exemples ou développement psychologique des bruits et des sons ainsi que de leur application pratique] (Hambourg, ), annonce ce que seront dans les grandes lignes les traités de la fin du siècle où la déclamation devra être au diapason de la gestuelle, elle-même émanation de l’expression. Un siècle plus tard, Ottmar Rutz poursuit cette même investigation d’une expression tant vocale que corporelle, dans son traité Musik,Wort und Körper als Gemütsausdruck [Musique, mot et corps en tant que moyen d’expression] (). Le delsartisme en moins, ces ouvrages sont fort similaires à ceux publiés aux États-Unis à la même époque. Par exemple le Kunst desVortrags [Art de la récitation 6] d’Emil Palleske (), où dans un souci post-quintilien, il est question du maintien et du contrôle des gestes, ne diffère pas beaucoup des règles du Ideal Orator de  7. Dans un registre similaire Possart avait publié Die Kunst des Sprechens [L’art du parlé] en , consistant en un cours de bonne prononciation allemande, c’est-à-dire une standardisation des accents régionaux, et qui devait servir d’étude préliminaire à un autre de ses ouvrages, Technik der Schauspielkunst [Technique de l’art du théâtre], celui-ci beaucoup plus concentré sur l’eloquentia corporis. Encore dans les années  on trouve des traités approfondissant cet « art de la récitation », à l’instar de celui de Roderich Benedix, Redekunst. Anleitung zur mündlichen Vortrage [L’art de parler. Introduction à la récitation orale] (7 ; la première édition date de , sous le titre Katechismus der Redekunst). Désormais, plus que le parlé en tant que restitution orale du texte verbal, c’est la voix pour elle-même et en tant que matériau sonore qui devient l’objet de toutes les attentions : en témoigne l’un des écrits d’Albertine Zehme, Die Grundlagen künstlerischen Sprechens und Singens [Les fondements du parlé et du chanté artistique] () 8, Von der Urkraft der Stimme [ De la puissance originelle de la voix] de George Arnim (), ou encore les deux volumes du plus tardif Die Stimmkunst d’Herbert Biehle ().


Illustration 8.3

Ludwig Wüllner en chanteur de Lied (1896)

2. LUDWIG WÜLLNER

On ne connaît pas d’ouvrage théorique laissé par Ludwig Wüllner sur son art de récitant, mais les témoignages qui lui ont été consacrés et les quelques enregistrements sonores dont nous disposons font plus que pallier cette lacune. Au contraire de Possart, Wüllner fut avant tout un musicien, et de premier ordre. Ténor, violoniste et chef d’orchestre, il n’avait rien du dilettante : son père, Franz Wüllner (-), ami de Brahms, était l’un des chefs d’orchestre les plus respectés de son temps, directeur musical de la Staatskapelle de Dresde (-) et du Gürzenich-Orchester de Cologne (-) – il créa notamment L’Or du Rhin et La Walkyrie à Bayreuth. Après le gymnase, Ludwig Wüllner avait obéi aux injonctions paternelles en étudiant à l’université (germanistique médiévale), et devint à vingt-cinq ans Privat-docent à l’Université de Münster. Mais dès  il reprit ses études musicales au Conservatoire de Cologne, et allait succéder à Humperdinck à la tête de la classe de chant choral et d’ensemble instrumental. Toutefois, la grande passion de Wüllner fut le théâtre, et elle fut d’autant plus forte qu’il avait été depuis son plus jeune âge handicapé par un bégaiement. Wüllner a évoqué dans sa correspondance comment, à l’époque de son baccalauréat, il avait été voir Possart en secret pour lui demander conseil, puis s’était rendu tout aussi secrètement à Dresde pour visiter l’actrice et récitante Marie Seebach 9. À l’âge de  ans et après plusieurs années d’un entraînement considérable pour vaincre son bégaiement,


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA RÉCITATION MÉLODRAMATIQUE • DE RÉCITANTS SACHANT CHANTER

Wüllner prit la décision de se consacrer au théâtre en joignant la troupe du Meininger Hoftheater où il se familiarisa avec le répertoire jusqu’en . La correspondance entre Ludwig Wüllner et son père, au sujet de sa décision d’abandonner sa carrière académique pour le métier d’acteur, révèle l’ampleur de l’incompréhension mutuelle entre les deux hommes. Franz Wüllner avait placé tous ses espoirs dans la carrière universitaire de son fils, et considérait le métier d’acteur comme une forme de déchéance. Le fils ne manqua pas de lui rappeler qu’après tout, la propre condition de musicien du père ne valait guère mieux. Selon Ludwig Wüllner, son bégaiement ne fut d’ailleurs que la conséquence de l’incompréhension familiale manifestée depuis sa plus tendre enfance envers son talent théâtral 10. En tant qu’acteur, Wüllner allait également se produire au Deutsches Theater de Max Reinhardt à Berlin et au Burgtheater de Vienne (-), tout en continuant à donner des récitals de Lieder : les Ballades de Loewe constituaient son répertoire de prédilection, qu’il défendit en concert dans les années , jusqu’à sa tournée aux États-Unis de  à . On considère souvent l’année  comme celle marquant le début de sa carrière mélodramatique, avec l’exécution de la partie récitante du Hexenlied de Schillings, donné à Hambourg sous la direction de Richard Barth ; mais en réalité Wüllner avait pratiqué l’art du Rezitator ou Deklamator dès ses années d’études à Münster: un cercle restreint d’amis y donnait des pièces de théâtre en lecture, comme par exemple l’Iphigénie en Tauride de Goethe (Wüllner lisait la partie d’Oreste), et en guise d’entractes musicaux on jouait à quatre mains des mouvements de symphonies de Beethoven.Toutefois Wüllner récitait le plus souvent seul, comme par exemple de larges extraits du Faust ou d’Egmont de Goethe, avec pour cette dernière œuvre la partition de Beethoven réduite par son fidèle ami le pianiste Eugen d’Albert, que Wüllner avait rencontré en  à Berlin. Avant les années , le nom de Wüllner apparaissait sur les affiches non seulement en tant que chanteur ou violoniste, mais encore comme récitant 11. Wüllner mena de front une carrière de récitant et de chanteur de Lied jusqu’en , date à laquelle son délabrement vocal était devenu trop important : cette année Wüllner inaugura le dernier pan de sa carrière à Bonn avec un récital entièrement dédié à la récitation de textes de Goethe et Homère. Toutefois dès , les exigences vocales de son métier d’acteur et les risques que pou-


vait créer ce surmenage sur ses cordes vocales incitèrent Wüllner à repenser sa technique auprès du pédagogue George Arnim – en , Wüllner allait d’ailleurs préfacer son Von der Urkraft der Stimme 12. Les carrières mélodramatiques de Possart et Wüllner furent fort similaires pour ce qui est du répertoire (quoique, contrairement à Wüllner, Possart n’interprétât ni les versions allemandes de Lélio et du Roi David d’Honegger 13), mais le style des deux récitants était fort différent, si ce n’est opposé. Doté d’un physique quelconque, Possart avait génialement usé de l’artifice vocal et gestuel pour transcender sa présence scénique. Rien de tel chez Wüllner, fort bel homme à la taille imposante, dont les documents photographiques restituent tout le magnétisme naturel (voir illustrations 8.3, 8.4, 8.5, ainsi que l’illustration 4.2, p. 139). L’homme n’avait qu’à paraître : cela explique sans doute sa prédilection pour le mélodrame non scénique, qui mettait d’autant mieux en valeur la théâtralité immanente du récitant. Lorsqu’en  Wüllner récita Das Hexenlied pour la première fois, nul ne pouvait éviter la comparaison avec Possart, et très rapidement se mit en place l’opposition topique entre la maîtrise technique (Possart) et le génie de l’inspiration (Wüllner), comme en témoigne déjà le compte rendu des Hamburger Nachrichten publié au lendemain du concert : Pour ce qui est de la maîtrise des moyens et de la langue, Possart est supérieur. Mais il reste toujours un artiste, toujours un récitant. En revanche Wüllner va au-delà du génie artistique, il nous donne la nature dans ce qu’elle a de plus pur, de plus douloureux et de plus béni ; il oublie qu’il récite, que l’estrade de concert ne peut plus être une scène théâtrale. Peu importe. Avec lui elle se fait scène théâtrale, il joue, il vit une tragédie en étant lui-même tragique victime, si tant même on peut encore appeler cela une « pièce de théâtre », où le plus terrible sérieux de la vie et de la douleur, par chaque mine de son visage, par chaque muscle de son corps, parle une langue éloquente et émouvante. Combien supérieur est l’impulsif Wüllner, homme et artiste des sentiments qui par son tempérament emmène tout sur son passage, au mot froid et bien réfléchi de Possart, homme et artiste de raison doué pour la scène et pour le monde ! Lorsque Possart dit Das Hexenlied, c’est un plaisir artistique ; lorsque Wüllner le dit, c’est une expérience humaine. Possart récite et déclame ; les mots de Wüllner brûlent comme le feu 14.


 Ill. 8.5. Ludwig Wüllner en choryphée dans l’Orestie d’Eschyle (1921)

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA RÉCITATION MÉLODRAMATIQUE • DE RÉCITANTS SACHANT CHANTER

Dans l’esprit de cet article, les commentaires contemporains de Wüllner ont souvent mis en évidence l’aspect quasi religieux qui se dégageait de ses récitals, et durant lesquels le récitant, tel un mage, faisait surgir dans la nudité d’une estrade de concert un drame par la seule force de son verbe 15. Publié en , l’ouvrage de Franz Ludwig sur le récitant consacre l’art de Wüllner comme étant l’émanation d’une faculté visionnaire et mystique, qui s’était forgée dès ses premières expériences mélodramatiques. Ainsi de son Manfred (en ), qui « à la manière d’une apparition surnaturelle, [agit] avec une magie irrésistible sur le grand auditoire. M. Wüllner a montré par son maintien et sa gestuelle comment il était entré entièrement dans son rôle 16. » Au-delà de la mythologie du récitant et des témoignages qui l’ont formée, il nous reste quelques enregistrements de la récitation de Wüllner datant du début des années  (avant ), et des années ,  et  17.Aucun acteur aujourd’hui ne déclamerait comme Wüllner : il suffit d’écouter des morceaux choisis comme les fameux « Erzählung Wallensteins » (Wallensteins Tod) ou Fausts letzte Worte (« Ein Sumpf zieht am Gebirge hin ») enregistrés respectivement en  et  pour réaliser à quel point cet art déclamatoire, tout en inflexions chantantes et scansions fortement rythmiques, était conçu comme une véritable musicalisation du

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Ill. 8.4. Ludwig Wüllner en récitant (1919)


texte. Mais on aurait tort d’assimiler ce type de déclamation à celle d’une Sarah Bernhardt, tout aussi emphatique mais beaucoup plus monotone dans ses intonations : la technique de chanteur de Wüllner explique aussi son impressionnante mobilité dans les registres grave, médium et aigu, et bien souvent la déclamation parlée se fait chez lui mélodie chantée – style de déclamation déjà caractéristique de Possart, qui toutefois ne semblait pas avoir possédé la qualité de timbre de Wüllner. L’art déclamatoire d’un Wüllner peut sonner à nos oreilles bien vieilli, mais on se gardera de tomber dans un darwinisme théâtral qui veut que les acteurs d’aujourd’hui ne commettent plus les travers de leurs collègues du siècle passé. Dans son enregistrement du Hexenlied réalisé en  sous la direction de Max von Schillings à la tête de la Philharmonie de Berlin, la déclamation de Wüllner est toute en oppositions et en gradations de nuances, passant du murmure à la vocifération, du grave à l’aigu, utilisant la voix de tête lorsqu’il prend les intonations de la jeune fille ou poitrinant les paroles du Prieur, usant généreusement du trémolo, quel que soit le registre de son émission. Que le style de Wüllner soit surprenant, voire même involontairement cocasse pour nous, est un fait, mais la confrontation de son enregistrement avec celui réalisé en  par la grande chanteuse wagnérienne Martha Mödl révèle chez le premier une force d’évocation infiniment supérieure à la lecture fort plate de Mödl, qui quant à elle semble avoir été constamment bridée par la crainte « d’en faire trop ». Autant la déclamation de Mödl se cantonne dans la monotonie d’une récitation quasi recto tono, autant celle de Wüllner se fait chantante, passant d’un registre à l’autre, changeant constamment de couleur par la variation d’émissions, à tel point qu’il serait d’ailleurs aisé de transcrire musicalement certaines de ses inflexions de hauteurs ou de ses scansions : intervalles allant au-delà de la quinte, inflexions de sixte majeure ascendante, comme sur les mots « Vor Sündenfrevel » ou « Du kannst noch weinen ! » C’est bien cette exagération, ce grossissement expressionniste du trait que requièrent de telles partitions éminemment théâtrales, bien que conçues exclusivement pour le concert, et qui exigent de la voix qu’elle se fasse entendre comme la manifestation sonore d’un corps fictif : magie d’une « voix qui raconte » et qui littéralement parvient à nous donner à voir ce qui ne peut être qu’entendu.


MUSICALISER LA PAROLE

  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA RÉCITATION MÉLODRAMATIQUE • MUSICALISER LA PAROLE

« L’inquiétante étrangeté » du mélodrame ne réside pas dans une prétendue union entre texte et musique. Bien au contraire : c’est la profonde et inaltérable différence entre ces deux termes qui suscite le charme mélodramatique. L’envahissement de la musique par un langage non musical la dépossède de sa pureté et de son autonomie, telle que louée par les Frühromantiker. C’est à cause de cela que Wagner détestait le mélodrame. La parole mélodramatique peut devenir un phénomène par trop inquiétant, lorsqu’elle finit par vampiriser la musique.Aussi a-t-on toujours vu, depuis que le mélodrame existe, des tentatives pour contrôler, d’une manière ou d’une autre, cette a-musicalité de la langue, afin de la ramener dans le giron de la musique. Une scène du film Singin’ in the rain (Gene Kelly et Stanley Donen ; ) montre l’acteur Don Lockwood, gloire du muet sur le point d’être has-been, prenant des cours de diction : comme tant d’autres, il s’agit de franchir le cap redouté du film parlant.Aussi répète-t-il auprès d’un professeur Nimbus cet exercice de diction, aidé par son ami Oscar : « Moses supposes his toeses are roses ; but Moses supposes erroneously. Moses he knowses his toeses aren’t roses as Moses supposes his toeses to be 18 ». Le rythme qui découle de cette scansion absurde entraîne vite les deux comparses dans une chanson dansée toujours plus effrénée. C’est la qualité rythmique des paroles qui génère la musique, et le spectateur assiste littéralement à la naissance de cette chanson, sortie de la scansion même des mots qui crée la pulsation rythmique et le contour mélodique. Le voisinage entre musique et déclamation peut parfois créer une musicalisation de la déclamation. Le rythme du texte finit par contaminer la musique, et si souvent cette musicalisation est laissée au bon vouloir du récitant qui peut choisir de mettre en valeur ou non le contour prosodique, elle peut aussi être mise en avant par le compositeur. C’est ce qu’on observe dans la Medea de Benda, où parfois le principe d’alternance texte-musique est justifié par la qualité rythmique des mots, comme lorsque Médée soupire. À deux reprises, ses « ach » sont ponctués par de brefs accords (voir exemple 8.1).


Exemple 8.1 G. A. Benda, Medea, mes. 532-535 (réduction)

L’exemple suivant est encore plus développé et relève d’une musicalisation de la déclamation, sans pour autant avoir recours à une notation rythmique. Ce sont les seules syllabes accentuées du texte qui permettent d’insuffler un rythme généré par l’enchaînement, qui frôle le tuilage, entre texte et musique : « Treibt ihn her ! Reisst ihn her den Verbrecher ! Peitscht ihn her ! Peitscht ihn her ! Treibt ihn her ! [Amenez-le ici ! Lacérez-le, le criminel ! Fouettezle ! Fouettez-le ! Amenez-le !] ») Un autre effet de musicalisation est créé par l’accentuation des deux syllabes du verbe : « dass er se-he, dass er hö-re [qu’il voie, qu’il entende] » (voir exemple 8.2).


Exemple 8.2 G. A. Benda, Medea, mes. 695-703 (réduction)

Mais cette musicalisation rampante ne concerne pas que la déclamation. L’influence de l’opéra s’observe dans le mélodrame scénique tel qu’expérimenté par Benda, ses contemporains et ses continuateurs, notamment sur les plans formel et structurel. Toujours dans le cas de Sophonisbe, Neefe emprunte notamment des éléments au Singspiel : dialogues parlés sans aucune musique entre les actes ; mais aussi, comme l’a relevé Ulrike Küster, Neefe a recours à la forme de l’aria. L’exemple cité plus haut de déclamation rythmée est le début d’une « gesprochene Arie » (air parlé) de forme ABA 19. Un autre signe de l’influence opératique sur le mélodrame scénique réside dans l’utilisation du chœur.

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Ill. 8.6 C. G. Neefe, Sophonisbe, réduction pour pianoforte (Leipzig, 1776), p. 21

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Sophonisbe de Neefe (Leipzig,  ; livret de August Gottlieb Meissner) est un autre mélodrame où la déclamation parlée tend parfois à être rythmée : pour mieux la mettre en valeur, Neefe a rythmisé le texte, sans pour autant utiliser une notation rythmique, mais simplement en plaçant les syllabes du texte précisément sous le rythme musical. La déclamation doit se faire sur la musique, en suivant le rythme de celle-ci. L’indication donnée par Neefe en tête de ce passage précise qu’à cet endroit, « il faut, autant que possible, parler a tempo » (voir illustration 8.6) :




Sophonisbe se conclut par un double chœur, et sur ce point Neefe n’est pas isolé. La liste dressée par Wolfgang Schimpf de mélodrames allemands composés entre  et le début du XIXe siècle montre qu’à partir du milieu des années , un nombre non négligeable de mélodrames faisait intervenir un ou plusieurs chœurs : Armida und Rinaldo (Munich,  ; livret Joseph Marius Babo, musique Peter von Winter) est un mélodrame en quatre actes, « mêlé de chœurs et de danses 20 » ; on trouve des chœurs dans le mélodrame Herkules Tod (Berlin,  ; livret et musique de Johann Friedrich Reichardt 21), ou encore Polyxena (Bayreuth ; livret publié en , Carl Gottlob Rössig ; musique inconnue 22). Mentionnons également ici le mélodrame (ou plutôt duodrame) Orfeo ed Euridice du compositeur russe Jewstignej Fomine (-), représenté à Saint-Pétersbourg en , joué avec grand succès en Russie jusqu’en , et qui révèle une conception du mélodrame beaucoup plus axée sur la structure de l’opéra qu’elle ne l’est chez Benda. Le mélodrame est « symétrisé » par des numéros clairement différenciés ; on y retrouve la division par scènes qui caractérisait déjà Sophonisbe et d’autres mélodrames dans le sillage de Benda. Outre un évident hommage à Gluck pour la scène aux Enfers, le mélodrame de Fomine se termine par un chœur, qui intervient encore à trois autres reprises au cours du drame, à la manière d’un choryphée répondant aux questions et doutes d’Orphée. Le court texte de Goethe sur son propre mélodrame Proserpina (à l’occasion de la seconde version mise en musique par Carl Eberwein, jouée à Weimar en  23) donne à ce sujet quelques règles de bonne conduite mélodramatique, et des observations d’importance sur l’usage du chœur. Tout mélodrame doit prendre en compte la décoration, la récitation et la déclamation, les mouvements du corps, le costume, la musique et notamment « la manière dont elle accompagne la déclamation » selon qu’elle « permette des mouvements descriptifs » ou qu’elle « fasse entrer mélodiquement le chœur. Tout cela doit se terminer par un tableau 24. » Mais surtout insiste Goethe, « c’est un fait indéniable que l’action mélodramatique doit se résoudre dans le chant et par là garantir une complète satisfaction 25. » Goethe ne va pas plus loin, mais on peut déjà bien percevoir entre les lignes de ce principe une forme de méfiance implicite envers la parole non chantée qui se maintiendra jusqu’au début du XXe siècle, l’obli-


geant à trouver son accomplissement dans une musicalisation qui finira par la transformer en chant véritable. PAROLES RYTHMÉES : LES VOIX DE PRECIOSA

  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA RÉCITATION MÉLODRAMATIQUE • MUSICALISER LA PAROLE

Il peut y avoir une grande force dramatique dans l’utilisation de la gradation du parlé au chanté (ou inversement). Certes l’opéra contemporain a su intégrer toutes les modalités de la voix : mais rappelons que ce n’est pas le but ici de discuter cette variété de techniques d’émission qui apparaissent comme autant de modalités du chant opératique, et qui ont trouvé un essor spectaculaire depuis l’avènement de la Sprechstimme schoenbergienne. Il s’agit plutôt de considérer certaines spécificités de la technique mélodramatique où la déclamation parlée est par moments soumise à des procédés cherchant à lui insuffler un peu de cette musicalité qui l’entoure, sans pour autant que cette voix mélodramatique perde de sa qualité intrinsèquement a-musicale. Évidemment, la lisière est floue, et à force de la frôler la voix mélodramatique finira en voix rigoureusement régie par une notation musicale : c’est là le point de non-retour que marque le Pierrot lunaire de Schoenberg. On trouve de telles tentatives de « musicalisation » tout au long du XIXe siècle. Il serait même plus juste, pour la plus grande partie d’entre elles, de les considérer comme des tentatives de « rythmisation », à l’instar de celles déjà commentées au sujet de Medea de Benda et de Sophonisbe de Neefe. Au cours du XIXe siècle, de tels recours ne sont en rien une finalité de la déclamation mélodramatique : tout au plus sont-ils utilisés comme une manière de transition entre le purement parlé et le purement chanté. On trouve cependant déjà de tels recours au début du XIXe siècle. Ainsi d’un des mélodrames (acte I, n° ) de l’opéra Hans Heiling de Heinrich Marschner (Berlin,  ; livret de Eduard Devrient) qui commence par une déclamation sur la musique, avant de se résorber en chant, à la manière d’un récitatif accompagné menant à l’air. La transition du parlé au chanté est encore plus efficace par le chant à bouche fermée sur le motif de l’air, avant d’entonner celui-ci à pleine voix. La volonté de musicaliser la déclamation passe aussi, comme on l’a déjà vu, par le contrôle de son débit.Aussi rudimentaire soit-elle, la technique de Neefe dans Sophonisbe, qui exige de la récitante qu’elle « suive le tempo », annonce déjà les premières tentatives


pour fixer le rythme de la prosodie comme on les trouve dans la musique de scène pour la pièce Preciosa de Pius AlexanderWolff, mise en musique par Carl Maria von Weber (Dresde, ). Déjà pour une autre musique de scène destinée au drame König Yngurd d’Adolph Müllner (), Weber avait prévu de faire chanter une berceuse sans accompagnement (ce qui ne fut pas retenu dans la partition définitive), mais dont la déclamation devait suivre des directives bien précises, selon un procédé de notation spécifique : « La mélodie doit seulement donner les contours musicaux ou les limites dans lesquelles l’artiste doit se mouvoir [vocalement] ; car il est bien entendu qu’il ne s’agit pas de chanter dans le sens habituel. Il serait une bonne chose, lorsqu’il y a + de laisser le son dominer, mais de l’observer plus précisément lorsqu’il y a ++ 26. » L’utilisation de la déclamation mélodramatique dans la musique de scène de Preciosa est un autre exemple du souci propre à Weber pour organiser musicalement le discours parlé, puisqu’il allait y utiliser pour la première fois une notation spécifique, permettant de coordonner le flot de la déclamation à celui de la musique, en notant précisément le rythme de la déclamation 27. Dans une lettre à son librettiste Wolff, Weber s’est expliqué sur la composition des parties mélodramatiques de Preciosa et sur son système de notation : J’ai attribué à Preciosa une ligne de la portée et ai noté le rythme avec des petites notes, afin que la déclamation puisse s’ajouter et suivre la musique sans la déranger. Par ailleurs j’ai noté la syllabe ou le mot lorsque l’orchestre doit entrer. Mais le mieux reste cependant de laisser cela au chef d’orchestre, à qui son sentiment doit indiquer si les entractes doivent suivre rapidement la déclamation […] 28.

Si Weber semble avoir dicté dans un premier temps des règles précises, il s’empresse toutefois d’ajouter qu’après tout, il faudrait laisser tout cela au bon vouloir de celui qui dirige… Notons ici que ce désir constant de compenser la précision, voire la rigidité de la notation, se retrouvera plus tard chez Humperdinck lorsqu’il tentera d’expliquer comment interpréter sa notation du « gebundenes Melodram » dans Die Königskinder ; de même ensuite chez Schoenberg au sujet de la Sprechstimme du Pierrot. N’était-ce la nouveauté de la notation, la manière dont Weber use de la technique mélodramatique reste quant à elle parfaitement


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA RÉCITATION MÉLODRAMATIQUE • MUSICALISER LA PAROLE

traditionnelle. Ce qui l’est moins, c’est l’utilisation de cette technique pour caractériser le personnage de Preciosa. Inspiré d’une des Nouvelles exemplaires de Cervantes, la pièce de Wolff relate les aventures de Preciosa, d’origine inconnue et élevée par des gitans. Amoureuse de Don Alonso, jeune noble de Valence, Preciosa ne peut se résoudre à quitter sa famille gitane. Après s’être battu avec un autre soupirant de la jeune fille, Don Alonso est jeté en prison.Alors que Preciosa se décide d’aller le libérer, on découvre qu’elle est la fille du seigneur de Valence. Don Alonso est libéré, et la pièce se termine par une noce générale. Outre sa distinction naturelle, l’une des qualités de Preciosa est sa voix, à nulle autre pareille. Lors de la troisième scène, pressée par les gitans qui louent ses talents musicaux, Preciosa doit chanter. Or comme tout le monde chante dans cette musique de scène, et que Preciosa doit nécessairement se démarquer des autres personnages, celle-ci, bien que chantant dans quelques numéros d’ensemble, dont un air dans le n°  de la partition, s’exprime essentiellement en ayant recours à la déclamation parlée. Preciosa ne chante pas, mais déclame sur, ou entre la musique. La contradiction apparente, qui veut que Preciosa s’exprime en utilisant la parole déclamée alors qu’elle est dotée d’une voix que tous jugent être merveilleuse, est neutralisée par son traitement mélodramatique. La voix de Preciosa est singularisée, le traitement mélodramatique soulignant ses qualités exceptionnelles en la différenciant des autres voix. La sincérité qui anime Preciosa justifie le renoncement à la convention du chant pour s’exprimer – au même titre que Fenella dans La Muette de Portici. Pour sa chanson parlée qui évoque la tristesse de ces enfants trouvés qui n’ont ni mère ni père pour les aimer, Preciosa s’accompagne d’une cithare et déclame son texte le plus souvent dans les silences de la musique, ou alors sur des séquences en accords ou en trémolo, ce qui permet une assez grande souplesse rythmique pour faire correspondre la déclamation à la musique. N’était la partie vocale de Preciosa, non chantée, on aurait ici un parfait exemple de récitatif accompagné. La même technique est utilisée dans les scènes  et  mettant en scène plusieurs personnages dont Preciosa. À plusieurs reprises, Weber a utilisé le procédé signalant les moments où telle syllabe doit être prononcée sur tel accord. Quant à la notation rythmique, elle est notamment utilisée avec beaucoup d’efficacité au cours


de la scène n°  : Preciosa décrit l’effet que produit dans le cœur de l’orphelin l’image d’un ami. Le texte est à la troisième personne, mais ce passage restitue depuis le point de vue de l’enfant l’émotion déclenchée par l’image bienveillante. Par sa scansion régulière, la musique restitue les battements de cœur de l’orphelin, et à ce moment précis la déclamation doit suivre ce rythme (voir exemple 8.3).

Exemple 8.3 C. M. von Weber, Preciosa, scène 3, mes. 31-48 (réduction)


Or c’est ce même motif qui se faisait déjà entendre dans la scène a (mélodrame), précisément lorsque Preciosa saisit le bouquet de fleurs d’Alonso et le presse contre son cœur. À nouveau est utilisé le procédé consistant à souligner la syllabe du mot à prononcer sur le changement de mesure (voir exemple 8.5).

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA RÉCITATION MÉLODRAMATIQUE • MUSICALISER LA PAROLE

Exemple 8.4 C. M. von Weber, Preciosa, scène 11, mes. 30-35 (réduction)

 

Le motif mélodique qui encadre ce passage (joué à la clarinette, con anima e fuoco, mes. 31-38 et 47 sq.) est utilisé dans Preciosa comme un motif de réminiscence, ou « Erinnerungsmotiv ». Lors de la scène finale, alors que Preciosa s’apprête à épouser Don Alonso et à quitter sa condition de gitane, elle se remémore plusieurs moments de sa vie passée. Weber avait eu dans un premier temps l’intention de constituer la scène « de mélodies précédemment employées, qui lient le tout de manière organique 29. » Le compositeur n’a toutefois réutilisé que cette seule mélodie, et qui lors de sa première occurrence précède ce moment d’intériorité où la déclamation de Preciosa évoque, à l’unisson de la musique, les battements de cœur de l’orphelin. Lors de la scène finale, ce motif fera sa réapparition lorsque l’orpheline évoque ses parents adoptifs (voir exemple 8.4).


Exemple 8.5 C. M. von Weber, Preciosa, scène 5a, mes. 8-16 (réduction)

Dans la scène n° , un autre bref passage utilise la déclamation rythmique, et il est clair qu’ici l’intention est plus musicale que purement dramatique, justifiée par le rythme déclamatoire qui se dégage de la scansion des mots « verschmäht, verbannt, verstossen [repoussé, exilé, chassé] » (voir exemple 8.6).

Exemple 8.6 C. M. von Weber, Preciosa, scène 3, mes. 70-74 (réduction)


Dans Preciosa se profile ainsi une utilisation mixte de la voix, qui peut soit chanter, soit parler, et cette dernière modalité peut s’effectuer de deux manières différentes, pour ce qui est du traitement rythmique : libre ou au contraire mesuré. On peut voir dans ce soin prosodique l’un des avatars de la nostalgie dixhuitiémiste d’une origine commune entre langage et musique, et qui aura revêtu des atours très divers au cours du XIXe siècle, cherchant à musicaliser la voix déclamée, sans pour autant la transformer en chant. LA DÉCLAMATION DES ANCIENS REVISITÉE PAR MENDELSSOHN

  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA RÉCITATION MÉLODRAMATIQUE • MUSICALISER LA PAROLE

Les différentes expériences pour contrôler la récitation mélodramatique incitent à dessiner une évolution du mélodrame qui partirait du mélodrame « archaïque » des origines et qui trouverait son achèvement dans la déclamation stylisée du Pierrot lunaire. Certaines expériences mélodramatiques de l’ère romantique semblent bien être empreintes de cette nostalgie archaïsante, à l’image de celles de Felix Mendelssohn-Bartholdy, une figure qu’on associerait guère a priori à l’univers mélodramatique. La pratique mendelssohnienne du mélodrame ne présente guère d’affinités avec les mélodrames romantiques de Weber, Liszt ou Schumann. L’intérêt de Mendelssohn pour le discours mélodramatique relève d’ailleurs du concours de circonstances. L’hellénomanie était alors à la mode à la cour berlinoise : en , le roi Frédéric Guillaume IV avait confié à Mendelssohn un projet de musique de scène pour l’Antigone de Sophocle, traduite en allemand par Johann Christian Donner. Fin lettré, Mendelssohn ne pouvait être qu’attiré par un tel projet, et à son habitude il s’y prépara minutieusement en étudiant les pratiques dramaturgiques des Grecs. Le résultat fut une réalisation mélodramatique hellénisante, conçue à la manière d’une fresque sonore soutenant le drame de Sophocle. Outre l’orchestre, la musique de scène pour Antigone fait appel à deux chœurs d’hommes, afin de faire répondre en alternance strophe et antistrophe conformément à l’habitude de la tragédie grecque antique, ainsi qu’à trois rôles parlés : un coryphée (Chorführer), Antigone et Créon. Seuls ont été mis en musique les chœurs ayant pour fonction de relier les séquences dialoguées ou les monologues des acteurs. Par ailleurs, c’est bien plus la déclamation que


l’aspect pantomimique et scénique qui a intéressé Mendelssohn. À tel point que le compositeur souhaitait dans un premier temps traiter les chœurs dans un style récitatif, et même utiliser les instruments du temps de Sophocle. Souci d’investigation caractéristique du compositeur, bien que celui-ci ait rapidement réalisé qu’il relevait de la pure utopie. On en perçoit tout particulièrement des traces dans Antigone, représentée en , et où le vœu pieux de Mendelssohn, celui de retrouver la déclamation des Grecs, fit progressivement place à une déclamation plus libre. « Progressivement », car si la déclamation libre est pleinement effective dès Œdipus in Kolonos (composé dans le sillage d’Antigone en ), des vestiges quant à une volonté de régir plus ou moins précisément la déclamation sont encore bien présents dans Antigone. Si le souci premier résidait dans la prosodie, Mendelssohn s’était cependant rapidement rendu compte de l’artifice propre à toute notation fixant le rythme (tel qu’expérimenté par Weber) et qui finirait par déboucher sur une tentative puérile singeant cette mythique déclamation des Anciens. Mendelssohn a essayé de trouver des alternatives à l’habituelle déclamation libre telle qu’on la trouve chez Benda (vers intercalés entre les ritournelles, ces dernières sur des motifs brefs répétés en transposition) ; cependant il a également eu recours à cette technique, comme on peut le voir dans la scène n°  (mes. -, ou scène n° , mes. -) en tentant de musicaliser les parties parlées. Mais l’effet sent parfois un peu trop l’artifice, comme dans la première scène d’Œdipe où celui-ci et Antigone dialoguent en échangeant de brèves répliques. Insuffler de la musique dans ce dialogue risquerait de ralentir davantage la dynamique de cet échange parlé : aussi la déclamation doit se placer après la première croche de chaque mesure (comme l’indique le placement du texte au-dessus de la mesure concernée ; voir exemple 8.7).

Exemple 8.7 F. Mendelssohn, Œdipus, scène 1, mes. 83-87 (réduction)


En d’autres endroits Mendelssohn a su recréer la dynamique du discours dans les parties chantées par des moyens proprement musicaux, notamment en utilisant le procédé « trompe-oreille » d’une déclamation parlée devant modeler ses inflexions rythmiques sur celle de la musique. Bien que non explicitement rythmée, cette déclamation est signalée dans la partition par l’indication « mit den Noten gesprochen » [parlé avec les notes] ou « nach den Noten [gesprochen] » [(parlé) selon les notes], signifiant qu’acteur et musique doivent tenir compte l’un de l’autre. Ce cas de figure intervient à six reprises dans Antigone, et toujours à des moments de grande intensité dramatique :

Si à trois reprises cette déclamation « mesurée » est insérée dans un passage en déclamation libre (ex. c, d et f), les trois autres occurrences proposent la déclamation mesurée comme transition entre déclamation libre et chant permettant une gradation d’effets (voir exemple 8.8).

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA RÉCITATION MÉLODRAMATIQUE • MUSICALISER LA PAROLE

* « Mit den Noten gesprochen » ; ** « Nach den Noten [gesprochen] ».

 

a) scène n°  (mes.  sq.) déclamation libre — mesurée* — chœur chanté (voir ex. 8.8) b) scène n°  (mes.  sq.) déclamation libre — mesurée* — chœur chanté c) scène n°  (mes.  sq.) déclamation libre — mesurée* — libre d) scène n°  (mes.  sq.) déclamation libre — mesurée** — libre — chœur chanté e) scène n°  (mes.  sq.) déclamation libre — mesurée** — chœur chanté f) scène n°  (mes.  sq.) déclamation libre — mesurée** — libre


Exemple 8.8 F. Mendelssohn, Antigone, scène 4, mes. 83-92 (réduction)

Suite au succès de la musique de scène pour Antigone, la Cour passa commande à Mendelssohn de réalisations similaires pour l’Œdipe à Colone de Sophocle et Athalie de Racine. On retrouve dans ces deux ouvrages un dispositif mélodramatique identique à celui d’Antigone avec les deux chœurs, le coryphée et les rôles parlés.Assez répétitif, ce dispositif n’évite pas la monotonie que génère l’alternance entre séquences parlées et numéros chantés. Il y a quelque difficulté à gérer un tel ensemble, puisqu’il faut d’une part que les dialogues parlés puissent conserver toute la rapidité et la nervosité du débit déclamé, et que d’autre part puissent se développer les parties chorales. Or les dialogues parlés et les parties chorales ont des fonctions narratives radicalement opposées, les dialogues faisant partie de la diégèse, les chœurs s’insérant bien plus autour de celle-ci, à la manière de commentaires. Mais c’est tout particulièrement dans Œdipus que l’on perçoit au mieux cette volonté de dépasser la stricte alternance entre séquences parlées et séquences musicales. L’alternance est dynamisée par l’utilisation de brefs motifs mélodiques présentés durant les plages de la déclamation, ensuite repris et soumis à un développement durant les parties chorales : le résultat est une alternance entre parole déclamée et parole chantée, qui s’apparente à la succession récitatif-air. La scène  d’Œdipus (« Von deinem Töchtern ») nous présente la dispute entre le héros et Créon, entrecoupée de répliques du coryphée et des chœurs. La première partie est un échange verbal tendu entre Œdipe et Créon, et ce dialogue parlé est musicalement soutenu par une cellule musicale qui sera ensuite développée dès l’entrée du chœur. Cette scène maintient le procédé d’alternance parole-musique, avec certains passages déclamés sur la musique : passages en trémolos ou en accords tenus, et donc dépourvus de toute articulation rythmique


pouvant interférer avec celle du texte. L’effet le plus surprenant, et qui démarque cette scène du procédé d’alternance habituel, est l’insistance sur la cellule rythmique c œj œ .

j œ ˙

œ

Œ

Ó

avec l’octave ascendante sur les deux premières notes : cette cellule organise le dialogue entre Œdipe et Créon avec des interventions du chœur, tandis que l’élément mélodique, souligné par son accentuation rythmique, prend un poids toujours plus important au cours de cette scène, jusqu’à ce qu’il soit chanté par le chœur, réalisant un crescendo dramatique entre déclamation et chœur (voir exemple 8.9).

  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA RÉCITATION MÉLODRAMATIQUE • MUSICALISER LA PAROLE


Exemple 8.9 F. Mendelssohn, Œdipus, scène 4, mes. 1-27 (réduction)

ENTRE PARLÉ ET CHANTÉ : MASSENET ET LES MODES DE L’ÉNONCIATION LYRIQUE

Parler ou chanter ? La question s’est posée tant à Weber qu’à Mendelssohn, chez qui déjà s’observent deux modalités bien différenciées entre ce qui est « déclamation libre » et « déclamation rythmée ». Cette distinction sera de plus en plus fréquente durant le XIXe siècle, tant dans la ballade mélodramatique non scénique qu’à l’opéra. Dans ce dernier genre, le compositeur Jules Massenet (-) fut sans doute l’un des plus habiles à utiliser l’une ou l’autre de ces modalités. On trouve beaucoup d’occurrences de la technique mélodramatique dans ses œuvres dramatiques 30, et notamment pour ce qui est des passages du parlé au chanté (ou l’inverse), qui signifient le plus souvent un passage de la réalité au rêve (ou au passé). Ce cas de figure est donné dans l’acte II de Manon, lors de l’air de Des Grieux « En fermant les yeux ». Moment intemporel de rêverie, l’air est brusquement interrompu par l’irruption du parlé dans la bouche de Manon qui s’écrie « Oh ! Ciel ! Déjà ! » et qui marque le retour à la réalité. L’utilisation mélodramatique est aussi utilisée pour signifier l’excès des passions : le parlé est parfois invoqué lorsque le chant se brise sous l’effet de l’émotion. Il y a donc un effet de crescendo dramatique du chanté au parlé (et non le contraire, qui nous semble plus habituel), et qui dans une conception vériste finit même par aboutir au cri, comme conséquence extrême d’une vocalité poussée dans ses derniers retranchements – quoique facile, cet effet est remarquablement efficace, comme dans le film Phantom of the Opera ( ; Arthur Lubin) où la soprano, alors sur le point d’aboutir à son apogée vocal dans le registre aigu, conclut dans un


cri perçant son air au moment précis où elle voit le fantôme accroché au grand lustre de la salle. C’est aussi dans un cri similaire que Massenet termine le e acte de son opéra naturaliste Sapho ( ; livret de Henri Cain et Bernède), lorsque l’héroïne apprend que son compagnon va la quitter après avoir découvert son passé de prostituée (voir exemple 8.10).

 

L’opposition entre voix chantée et voix parlée est également le ressort de la scène  de l’acte II de Thérèse ( ; livret de Jules Clarétie). Dans le Paris de la Révolution,Thérèse et André sont chez eux ; rêveuse,Thérèse regarde par la fenêtre, tandis qu’on

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Exemple 8.10 J. Massenet, Sapho, fin du 1er tableau, acte III, mes. 498-506 (réd.)


entend « dans le lointain de sourds grondements de tambours, de vagues rumeurs. » Trois mesures avant que Thérèse ne commence sa rêverie chantée sous forme d’air (« Jour de Juin ! Jour d’été ! ») se fait entendre la voix d’un enfant (déclamation libre) vendant à la criée le bulletin de l’après-midi. Plus loin au cours de cette même scène se présente une situation similaire ; mais si la première fois la voix intérieure deThérèse dans sa rêverie prenait justement son sens par opposition à la voix extérieure de l’enfant crieur, la seconde occurrence crée une ambiguïté manifeste entre ces deux registres jusqu’à les confondre : les musiques synchrones de la rue (un violon, un homme et une femme chantant la ronde de Fabre d’Eglantine « Il pleut, il pleut bergère », un crieur de journaux) non seulement se superposent au chant d’André et de Thérèse, mais encore soulignent l’angoisse croissante de Thérèse, la colère d’André. Ces bruits de la rue sont un exemple de ce que Michel Chion a désigné au cinéma comme un « effet anempathique », non pas un effet « de distanciation, mais d’émotion décuplée, par lequel la musique, lors d’une scène particulièrement éprouvante […] affiche son indifférence en continuant son cours comme si de rien n’était 31. » Dans la scène déjà commentée de Wozzeck 32, la musique militaire est une autre illustration de cet effet anempathique qui renforce le caractère empathique de la musique « de Marie ». Si ce n’est que dans le cas de Thérèse les bruits de la rue sont ensuite comme contaminés par la tension croissante perceptible chez Thérèse et André. Entendant la chanson de Fabre d’Eglantine depuis son bureau où il est en train de ranger des papiers,André reprend le refrain en y faisant poindre sa colère ; c’est alors que les bruits de la rue s’accentuent et un nouveau crieur se fait entendre sur ce crescendo de « cris lointains, plus accentués, plus terribles ». L’angoisse qui sourd de la rue rejoint cette fois, en empathie, l’effroi croissant de Thérèse et d’André. Comme dans Wozzeck, le geste libérateur est celui de Thérèse fermant la fenêtre (voir exemple 8.11).


 

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Exemple 8.11 J. Massenet, Thérèse, acte II, scène 1, mes. 161-177 (réduction)

Massenet a également exploité le chanté et le parlé dans ses Expressions lyriques, recueil de dix mélodies pour chanteur-récitant et piano, qui concilient chant et technique mélodramatique 33. Publiées une année après la mort du compositeur entre  (leur composition s’étale de  à  ; en , Massenet avait orchestré trois d’entre elles, « Les Nuages », « Battements d’ailes » et « Mélancolie »), les Expressions lyriques sont une manière d’« exercice de style » en forme de testament mélodramatique, où le compositeur a condensé son art déclamatoire forgé précédemment dans ses opéras. Cependant ce n’était pas la première fois que Massenet faisait usage de la voix parlée dans la mélodie : on la trouve dans le Poème d’avril op. , sur des vers d’Armand. Mi-chanté mi-déclamé, le Poème d’avril est traité en huit parties différentes, évoquant un cycle de mélodies (sur un seul texte). Les cinq mélodies sont encadrées par des sections traitées en mélodrame : . Prélude : Mélodrame « Une rose frileuse » . Mélodie « Les étoiles effarouchées » . Mélodie «Voici que les grands lys » . Mélodrame : « Riez-vous ? Ne riez-vous pas » — interlude instrumental


. Mélodie : « Le doux printemps » . Mélodie : « Que l’heure est donc brève » . Mélodie : « Sur la source elle se pencha » . Introduction parlée (sans musique) : « Nous nous sommes aimés trois jours » — mélodie « Je pars, adieu ma chère âme ».

  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA RÉCITATION MÉLODRAMATIQUE • MUSICALISER LA PAROLE

Dans les sections déclamées  et , la technique mélodramatique s’en tient strictement au principe d’alternance : la déclamation suit de manière systématique de brèves plages musicales d’une poignée de mesures, se terminant par un accord suspensif sur lequel vient s’enchaîner la déclamation. En revanche, les plus tardives Expressions lyriques utilisent un autre versant de la technique mélodramatique, ici traitée exclusivement en déclamation lyrique. La musique soutient constamment la déclamation, laquelle toutefois se présente sous deux formes que Massenet a précisées en tête de chaque mélodie : déclamation libre et déclamation rythmée. La première, uniquement utilisée dans les deuxième et dernière mélodies, consiste à réciter librement des mots ou vers sur la musique, la portion de texte étant placée pardessus la ou les mesures, sans qu’aucune autre indication rythmique ne soit donnée ; la seconde consiste à donner la mélodie uniquement rythmée sur la portée de la ligne de chant, sans en spécifier les hauteurs. Quant aux textes, ils ne dérogent en rien aux habitudes littéraires du compositeur : ils ont été puisés chez des auteurs contemporains mais aujourd’hui bien oubliés, tels Marc Varenne, Madeleine Grain, Suzanne Poirson, qui publie entre  et  des textes sur l’éducation et le féminisme, la comtesse Roch de Louvencourt, ou encore le comte Roger de Gontaut-Biron, un admirateur de Maurice Barrès qui a surtout écrit sur ses ancêtres (son seul recueil poétique semble avoir été Les reflets et les rêves, publié en ). À peine plus connus sont Théodore Maurer (« En voyage » n° ), auteur d’un recueil poétique intitulé Fleurs morvandelles (), et dont Massenet avait mis en musique le poème « Je m’en suis allée vers l’amour » (), ou Jeanne Dortzal, poétesse et auteur dramatique – Les Cloches de PortRoyal (), et surtout Perce-neige et les sept gnomes, conte en vers en quatre actes d’après Grimm, dont Massenet écrivit la musique de scène 34. Massenet fit également une mélodie avec piano de son poème « Parfums », sans doute à la même époque que les Expressions lyriques. Les autres auteurs des Expressions


apparaissant tous en revanche pour la première fois chez Massenet, il est possible que leur choix ait été dicté par la créatrice de l’œuvre, la mezzo-soprano Lucy Arbell (de son vrai nom Georgette Wallace), en qui Massenet avait vu son interprète de prédilection pour la maîtrise de sa diction. S’exprimant en  au sujet de Thérèse et de l’utilisation dans cette œuvre de la déclamation rythmée, Massenet explique qu’il a repris un procédé « [tenté] avec Ariane : [celui] de faire déclamer sur la musique certaines parties dramatiques du poème. La difficulté, c’était de trouver l’artiste lyrique qui sache dire le vers ; je l’ai découverte : c’est Mlle Arbell 35. » La genèse de l’opéra Ariane est en effet étroitement liée avec l’idylle entre Massenet et sa dernière muse chantante, de quarante ans sa cadette, qui créa six rôles dans ses ouvrages, dont Perséphone (Ariane, ), le rôletitre de Thérèse (), Dulcinée dans Don Quichotte, ou encore le rôle-titre de Cléopâtre (création posthume en ). Bien que relevant de l’univers de la mélodie, les Expressions lyriques possèdent un côté éminemment théâtral par le traitement mélodramatique, tant elles s’apparentent à des scènes miniatures d’un opéra secret dont les clefs ne furent connues que des seuls Massenet et Lucy Arbell. Elles mettent évidemment en valeur la diction de leur créatrice – qui par ailleurs compensait ses limitations vocales par une forte présence scénique. Dans « Battements d’ailes », la dernière interjection (chantée) « Des roses ! des roses ! » est une citation (texte et musique) de l’« air des roses » de Perséphone dans l’opéra Ariane ; plus attendues, les allusions à l’opéra Werther qui émaillent « La dernière lettre de Werther à Charlotte », comme sur « Je vous écris de ma petite chambre » (mes.  sq.) ou encore les bribes de la nuit de Noël (« Noël ! j’entends au loin des airs gais sur des flûtes… », mes. -). Ces mélodies sont restées très négligées par les interprètes et sans nul doute que leur particularité mélodramatique aura nui à leur réputation. Massenet en fut bien conscient, puisque dans l’édition originale de  (l’autographe a disparu) une « variante musicale pour les chanteurs qui ne voudraient pas employer la déclamation parlée » est donnée pour tous les passages en déclamation rythmée, soit une ligne vocale sur le même rythme mais proprement chantable avec des hauteurs définies – on sait par exemple que Sybil Sanderson, créatrice du rôle-titre d’Esclarmonde, préférait chanter certaines répliques parlées de Manon :


aussi Massenet avait dû lui sacrifier quelques passages mélodramatiques, comme en témoignent certaines sources 36.Toutefois aucune alternative chantée n’est proposée pour les passages en déclamation libre des Expressions lyriques. Serait-ce que la déclamation libre, ne requérant aucun artifice et n’ayant plus rien d’intrinsèquement musical, peut finalement fort bien se passer d’une « mise en musique », alors que la déclamation rythmée, qui reste malgré tout une déclamation en musique par la présence du seul paramètre rythmique, est encore perçue par certains comme une mise en musique incomplète ? LA DÉCLAMATION RYTHMIQUE DE FAÇADE : POÉSIES SONORES

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À la différence du mode mixte parlé-chanté des Expressions lyriques, Façade ( ; rév. ) de William Walton sur des poèmes d’Edith Sitwell est une œuvre faisant exclusivement appel au mode de la déclamation rythmée (la remarque reste valable pour Façade  de , poèmes et musique des mêmes auteurs 37). Mais à quel genre appartient Façade ? Les Expressions lyriques se rattachent sans équivoque au genre de la mélodie, leur particularité résidant uniquement dans le recours à la technique mélodramatique de la déclamation, laquelle n’a aucun impact sur leur qualité générique. Façade semble au contraire tenir du hapax générique. Musique « pour voix » plus que musique « vocale », l’œuvre requiert un sextuor instrumental (flûte/piccolo, clarinette/clarinette basse, saxophone alto, trompette, percussion, violoncelle) et un récitant. Si la présence de ce dernier signifie en tout cas utilisation de la technique mélodramatique, il n’en fait pas pour autant un mélodrame… Façade fut d’ailleurs défini par Walton comme un « divertissement ». Et nulle part on ne trouve, ni chez le compositeur ni chez Edith Sitwell, l’utilisation du terme « mélodrame » pour se référer à l’œuvre. La technique mélodramatique de Façade a pour but avoué d’atteindre à une musicalisation du texte sans passer par le chant. On peut y voir là un point commun avec le Pierrot lunaire, si ce n’est que la réalisation de cette musicalisation se fait selon des chemins divergents. C’est le rapport au texte et à la voix récitante qui expliquent ces divergences : il est essentiel dans Façade, mais bien plus accessoire dans le Pierrot. Les poèmes de Façade sont à l’origine de leur « mise en musique », puisque c’est de leur prosodie et




de leur qualité sonore qu’émane la musicalité de l’ouvrage. Au contraire, la musicalité du Pierrot ne doit émaner que de la musique seule : ce que Schoenberg s’est évertué à préciser dans la préface de son Pierrot 38. Alors que cette dernière œuvre a cherché à instrumentaliser la voix récitante en lui imposant le carcan de la Sprechstimme, de manière à ce que celle-ci semble émaner de la texture instrumentale, la poésie de Façade traite au contraire la texture instrumentale comme étant l’émanation des poèmes récités. Façade trouve son origine dans les poèmes rassemblés sous ce même titre, et écrits par Edith Sitwell (-) en . Fille aînée du baronet Sir George Sitwell, Edith fut jusqu’à son décès la figure de proue d’un trio littéraire composé d’elle-même et de ses deux frères cadets, Osbert (-) et Sacheverell (). Leurs premières ambitions littéraires et artistiques prirent corps entre  et  dans les pages de leur propre revue annuelle d’anthologie poétique appelée Wheels ( Roues), sorte d’étendard levé contre l’esthétique compassée des « Georgian poets » (dont Robert Graves et Walter de la Mare), toute empreinte d’un bucolisme artificiel – ils s’étaient ainsi baptisés dans le sillage de l’accession au trône de George V en , qui devait marquer symboliquement une nouvelle ère poétique. À l’époque de Wheels, les Sitwell se démenaient beaucoup pour parfaire leur réputation d’avant-gardistes, sinon d’agitateurs artistiques. On a parfois eu tendance à réduire la passion des Sitwell pour les arts à une pose snob, bien réelle, mais qui en aucun cas ne doit masquer leur exceptionnel flair artistique, surtout chez Edith et Osbert. La genèse de Façade en est certainement la meilleure illustration, avec notamment le « patronage » éclairé dont les Sitwell firent preuve envers le jeune William Walton (-). Walton avait fait la connaissance de Sacheverell Sitwell lors de ses études au Christ Church College d’Oxford, où il était entré comme choriste en . Ayant échoué de peu en  pour l’obtention de son diplôme de Bachelor of Music,Walton fut invité à venir s’installer au domicile londonien d’Osbert, Carlyle Square, où allait être créée six ans plus tard la première version de Façade.Walton devint un membre du clan Sitwell durant près de quatorze années, et comme il l’a rapporté quelques années plus tard, « pour un jeune compositeur mal dégrossi qui ne savait absolument rien, le fait


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA RÉCITATION MÉLODRAMATIQUE • MUSICALISER LA PAROLE

d’être avec les Sitwell fut tout simplement une extraordinaire éducation 39. » C’est dans un tel environnement que Façade vit le jour.Walton commença à travailler sur un choix de vingt-et-un poèmes parmi ceux qu’Edith avait écrits quelques mois auparavant, et qui forment son recueil intitulé Façade. Bien des années plus tard, Walton a expliqué que la composition de Façade et le traitement prosodique des poèmes fut chose aisée, tant les poèmes appelaient selon lui tout naturellement un traitement musical 40. Les propos de la poétesse, eux aussi fort tardifs, sont divergents, puisque selon elle, il y eut étroite collaboration avec le compositeur, lequel aurait d’abord fourni à Edith le matériau rythmique des poèmes, ce qui laisse croire que la musique eût pu être écrite en même temps, voire même avant les poèmes : « Willie [Walton] m’avait donné quelques rythmes et dit : “voilà Edith, voyez donc ce que vous pouvez faire avec ça.” Alors j’y allais et je le faisais. Je voulais prouver que je pouvais le faire 41. » Explication qui va également à l’encontre de la chronologie des faits, puisqu’on sait que les poèmes de Façade furent rédigés avant que Walton ne commence la composition en novembre . C’est là un enjolivement parmi d’autres des hauts faits de plume de la poétesse, qui toutefois montre bien la manière dont elle a voulu après coup magnifier la valeur « abstraite » de ses poèmes, laissant entendre que leur source d’inspiration première résidait dans des rythmes dessinés par le compositeur, qu’elle avait ensuite mis en paroles. La première audition de Façade fut donnée dans un cadre strictement privé à Carlyle Square le  janvier , dans la salle de dessin d’Osbert. Edith Sitwell, accompagnée par un quintette instrumental dirigé par le compositeur, avait récité une première version de l’œuvre, qui ne comportait alors que seize poèmes. Le public était constitué d’un petit parterre choisi d’amis artistes, peintres et poètes, qui firent un accueil des plus chaleureux à l’œuvre, malgré l’effet désastreux sur l’intelligibilité du texte causé par l’acoustique inappropriée des lieux.C’est le  juin  que l’œuvre connut sa première exécution publique au Æolian Hall,toujours avec Edith Sitwell etWalton.Il y eut quelques changements par rapport à la première version : quatorze nouveaux poèmes avaient été mis en musique, tandis que quelques numéros de la première privée avaient été rejetés ou révisés.


À cela, Walton ajouta encore un saxophone alto au quintette instrumental. Mais l’œuvre n’avait toujours pas trouvé sa physionomie définitive. Façade allait encore subir des modifications en , à l’occasion de deux exécutions données aux New Chenil Galleries de Chelsea, où la récitation était cette fois partagée entre Edith et le comédien Neil Porter, puis le compositeur Constant Lambert, lequel fut dès lors consacré par Walton et les Sitwell comme insurpassable interprète de l’œuvre, que seul allait égaler par la suite Sir Peter Pears 42. Cette version de  avait encore supprimé quelques poèmes de  et ajouté onze nouveaux numéros. En , Walton composa encore les deux poèmes conclusifs. Ce n’est qu’en  que l’œuvre, dédicacée à Constant Lambert, allait connaître son visage définitif en se présentant désormais sous la forme de trois fois sept poèmes : transparente allusion au Pierrot lunaire de Schoenberg, qui contient lui aussi vingt-et-un poèmes, « dreimal sieben Gedichte ». Geste qui ne peut manquer d’étonner, car Façade est loin d’être un Pierrot british, mais relève du néoclassicisme ambiant, et Walton n’a jamais admis qu’une seule influence, celle de L’Histoire du Soldat de Strawinsky (). La présence de rythmes de fox-trot, de paso doble ou encore de tango évoque certes Strawinsky, mais en , elle n’avait rien non plus de très exceptionnel, et cela d’autant plus qu’à l’époque Walton travaillait en tant qu’arrangeur pour le jazz band des Savoy Orpheans, alors particulièrement populaire à Londres. Il n’y a rien non plus de très déroutant, ni même de très original dans le traitement prosodique par Walton des poèmes de Sitwell : jamais le traitement rythmique ne va à l’encontre de la scansion prosodique du texte anglais, et Walton n’utilise que des mesures régulières sans aucune complexité métrique ou rythmique. Il y a beaucoup de savoir-faire dans ce parti pris de simplicité (Edith Sitwell savait lire la musique, sans toutefois dépasser le stade d’amateur), et il ne fait guère de doute que Walton a su tenir compte des limitations de son interprète. L’effet de Façade est créé par la rapidité du débit déclamatoire, sollicitée dans plusieurs des poèmes, notamment le n°  « Hornpipe », où cependant ce débit rapide se fait sur un rythme de doubles croches égales.


On ne trouve pas non plus de contrepoint rythmique : bien au contraire, la scansion du texte a été le paramètre prioritaire dans la partition de Façade. Le traitement rythmique des instruments ne s’oppose jamais à la scansion du texte, mais au contraire il est fidèlement modelé sur celle-ci (voir exemple 8.12).

 

Sollicitée dans la plupart des numéros de Façade, la percussion a pour but de fournir au récitant des points d’attache, ou de souligner l’impulsion de la déclamation, comme dans « Scotch Rhapsody » n°  (voir exemple 8.13).

Exemple 8.13 W. Walton, Façade, n° 18 « Scotch Rhapsody », mes. 40-43

Les complexités rythmiques ne vont pas au-delà de la superposition, entre récitation et instruments, de quelques  contre , lesquels ne

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Exemple 8.12 W. Walton, Façade, n° 3 « Mariner Man », mes. 1-9


Exemple 8.14 W. Walton, Façade, n° 6 « Tango Pasodoblé », mes. 1-8, mes. 51-53


« Modèles abstraits » (abstract patterns) était d’ailleurs l’expression utilisée par Edith Sitwell pour définir les poèmes de Façade : il s’agissait selon elle de « motifs sonores », traités à la manière d’« exercices virtuoses dans une technique d’une extrême difficulté, tout comme certaines études de Liszt sont des études de technique musicale transcendante 43. »

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Erotis notices that she| will| Steal| The| Wheat-king’s luggage, like Babel| Before the League of Nations grew| So Jo put the luggage and the label| in the pocket of Flo the Kangaroo| […] (« Tango-Pasodoble », Façade n° ) By Queen Thetis,| Pelisses| Of tarlatine blue,| Like the thin plaided leaves that the castle crags grew,| Or velours d’Afrande […] (« Valse », Façade n° )

 

vont toutefois jamais à l’encontre de la scansion des principaux temps d’appui (voir exemple 8.14). N’en déplaise à Dame Edith, qui dans ses Mémoires voulait présenter la genèse de Façade comme une collaboration étroite entre la poétesse et son musicien et où la poésie aurait été l’émanation du rythme musical, l’impression générale résultant du traitement prosodique est que le texte a d’abord servi de fondement à la musique. Les poèmes de Façade font des mots et de leur scansion la matière première d’où va surgir la musique. Jamais l’œuvre ne donne l’impression d’un texte qui aurait été ajouté après coup à une musique, utilisée quelque peu indifféremment comme « fond sonore », tout comme elle ne correspond pas non plus au type de déclamation autour de laquelle une musique-commentaire serait venue se greffer, se déroulant soit simultanément soit en alternance avec la déclamation, comme c’est le cas dans la ballade mélodramatique. À aucun moment la récitation de Façade ne se fait indépendamment de la musique (il en va de même dans Façade 2). Il s’agit d’une récitation en musique au sens le plus strict du terme, et non de récitation sur la musique. Cette particularité du traitement déclamatoire s’explique par la qualité même des poèmes de Façade, particulièrement représentatifs de l’art poétique que commençait alors à expérimenter Edith Sitwell. La poétesse les a définis comme des « exercices » fondés sur sa propre technique poétique alors conçue de manière musicale, de manière à créer des « textures » sonores. Les mots de Façade sont traités comme des objets sonores, au même titre que le sont, pour un compositeur, les hauteurs et les rythmes :


Comme on l’a vu, la difficulté d’exécution déclamatoire est l’aspect principal qui ressort tout particulièrement à l’écoute de Façade. L’effet de la vitesse sur la déclamation fut sans aucun doute ce qui motiva le plus Edith Sitwell : « Les expériences techniques de ces poèmes consistent pour la plupart à étudier l’effet sur le rythme et sur la vitesse causé par les rimes, assonances et dissonances placées non seulement à la fin des vers, mais également au début […] Elles explorent les conséquences qu’ont des syllabes équivalentes sur la vitesse [de déclamation] 44. » L’exemple donné par Sitwell est celui des deux vers du poème n°  « Old Sir Faulk » (sur un rythme de fox-trot) : « Sally, Mary, Mattie, what’s the matter why cry ?| The huntsman and the reynard-coloured sun and I sigh » : la rime en fin des deux vers (« why cry ? » et « and I sigh », soit un rapport rythmique de /) doit sonner « comme des sauts en l’air 45. » Bien que réalisées avec des moyens certes éprouvés, de la rime à l’assonance, les sonorités du langage poétique de Façade permettent de ne pas se concentrer exclusivement sur le texte et sa seule signification, en tant que pourvoyeuse d’images poétiques : c’est ainsi que la musique de Walton tire sa principale raison d’être non pas du sens des mots, mais de leur sonorité et de leur rythme. On ne peut d’ailleurs guère reprocher à la musique de Façade d’être illustrative : ce que la musique illustre, c’est le rythme même des poèmes. À la manière de la chanson « Moses supposes his toeses are roses », les poèmes de Façade doivent être considérés comme des compositions rythmiques, dont la scansion semble tout naturellement appeler une mise en musique. C’était d’ailleurs l’intention explicite d’Edith Sitwell que de travailler sur ce qu’elle appelait la « texture » des mots, bien plus que sur leur signification. « À l’époque où je commençais à écrire [les poèmes de Façade], un changement de direction, d’image et de rythme était devenu nécessaire en poésie […] Le rythme est l’un des principaux interprètes entre le rêve et la réalité. Le rythme peut être décrit comme étant, au monde du son, ce que la lumière est au monde de la vue. Il donne forme et donne un nouveau sens. Le rythme a été décrit par Schopenauer comme une mélodie dépourvue de hauteur 46. » Les poèmes de Façade font de la voix la source même de la musique. Le dispositif scénique de l’œuvre, telle qu’elle fut donnée à partir de , en est l’illustration métaphorique. Il est fort probable que les Sitwell et leur compositeur in residence


avaient entendu parler du Pierrot lunaire, mais pour eux, l’esprit avant-gardiste soufflait depuis Paris. Bien plus que le Pierrot, Façade trahit l’influence de deux ballets de Cocteau, Parade, sur la musique d’Erik Satie (), et Les Mariés de la Tour Eiffel, sur la musique du Groupe des Six (), et les Sitwell ne cachaient guère leur intention de connaître à Londres le succès de scandale qu’avait obtenu Parade lors de sa création à Paris 47.

 

Pour la première exécution publique de Façade le  juin  au Æolian Hall de Londres, il s’agissait surtout de ne pas répéter les erreurs acoustiques de la première privée, qui avaient complètement noyé la récitation.Afin de ne rien perdre de l’intelligibilité du texte, tout en évitant que les instruments couvrent excessivement la voix, Sacheverell Sitwell aurait eu l’idée de faire déclamer sa sœur à travers un grand mégaphone en papier mâché, appelé « Sengerphone » 48 (voir illustration 8.7). L’utilisation d’un mégaphone avait déjà été exploitée dans Les Mariés de laTour Eiffel : c’est par les pavillons géants de deux gramophones placés des deux côtés de la scène que devait sortir la voix des deux récitants (appelés par Cocteau les « gramophones humains »). Cocteau avait d’abord prévu un mégaphone pour Parade, afin de restituer la déclamation et le chant du « spectacle intérieur » se

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Ill. 8.7 E. Sitwell en compagnie de l’acteur N. Porter, Chelsea (1926)


donnant parallèlement au ballet principal, mais caché par un rideau. Ce procédé devait créer une perception distanciée du spectacle principal, présenté comme une illusion scénique cachant un spectacle réel mais caché. Osbert Sitwell aurait ensuite suggéré de placer sur la scène un grand rideau afin de cacher la récitante, ainsi que les instrumentistes et leur chef : mais là aussi, la suggestion semble avoir été inspirée par l’utilisation des deux « gramophones humains » des Mariés de la Tour Eiffel, eux aussi cachés aux yeux du public – on pense au dispositif « scénique » du Pierrot lunaire, où les instruments sont cachés par une toile noire, au contraire de la récitante qui fait face au public. Osbert confia la réalisation du rideau de Façade à l’un de ses amis, le peintre et sculpteur Frank Dobson. Au centre du rideau, un masque bicolore, moitié rouge et moitié blanc, laissait passer par sa bouche le pavillon du Sengerphone. Le soir de la première, Osbert Sitwell avait présenté ce visage comme étant celui de Vénus, si l’on en croit la critique publiée le lendemain du concert dans The Daily Express 49. Quant au petit masque de droite, lui aussi doté d’une ouverture pratiquée au niveau de la bouche, il servait à cacher Osbert, qui annonçait les titres des poèmes de Façade (voir illustration 8.8). Aujourd’hui disparu, le rideau de Dobson fut utilisé depuis  avant d’être remplacé en  par un rideau du peintre Gino Severini (dont il ne subsiste aucune reproduction). Enfin un troisième rideau fut réalisé en  par John Piper. Resté assez proche de l’esprit du premier, ce dernier décor montre en son milieu une figure chenue et barbue dont la bouche est représentée par un trou circulaire pour laisser passer le pavillon du Sengerphone 50. Toutefois ce premier concert public fut un fiasco.William Walton a expliqué plus tard que cette première se fit dans la confusion et l’amateurisme les plus complets : Edith Sitwell, qui s’était perdue à plusieurs reprises en cours d’exécution, avait piqué quelques fous rires malencontreusement amplifiés par le Sengerphone. La presse ne fut pas en reste, et railla cet amateurisme : Poésie à travers un mégaphone. Concert sur une note par Edith Sitwell. Si Miss Sitwell considère que la meilleure façon de réciter ses poèmes doit se faire à travers un mégaphone et avec une voix tragique sur une note, c’est son affaire. Elle les a écrits, et donc elle




Les propos sont similaires dans les colonnes du Sunday Express : « Miss Edith Sitwell “monotonise” ses propres vers avec un accompagnement musical. Effet de corne de brume. Public habituel. Hommes aux cheveux longs, femmes aux cheveux courts. Mégaphone en grande forme […] Très déprimant, mais cela élève le statut du mégaphone 52. » Fort différent en est le récit laissé par Edith et Osbert Sitwell, qui auraient tant voulu avoir pour la première de Façade le scandale de Parade. S’il est avéré que la première de  suscita surtout une indifférence polie et une série de critiques raillant Miss Sitwell et son Sengerphone, le récit qu’en a fait par la suite la poétesse évoque une véritable insurrection: « En juin , la première exécution publique […] fut tout sauf paisible. Jamais, je pense, un nouvel ouvrage ne suscita une volée aussi imposante de critiques. […] L’attitude de certaines personnes était si menaçante que j’avais été avertie de rester sur la scène, cachée par le rideau 53. »

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est dans son droit de savoir mieux que quiconque. Le Æolian Hall était à moitié rempli hier pour l’entendre. Il y avait vingt-huit pièces au programme, mais seulement une note est sortie du Sengerphone, sauf lorsque Miss Sitwell a semblé s’oublier et a prononcé deux ou trois mots de manière naturelle. […] Lors du premier entracte, une femme, regardant autour d’elle parmi l’audience, de s’exclamer tragiquement : « Où est l’intelligentsia ? Où est l’intelligentsia ? » Oh, mais c’est qu’elle était bien là. Dans la semi-obscurité, des groupes de pâles jeunes hommes et femmes, portant frange et cheveu court, pouvaient être vus s’étreignant mutuellement en extase […] 51.

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Ill. 8.8 Frank Dobson, dessin de rideau pour Façade (1922) in Vogue 1923


Les premières exécutions satisfaisantes de Façade (qui, rappelons-le, fut dès  l’objet d’inlassables remaniements de Walton) n’eurent lieu qu’à partir du  avril , aux New Chenil Galleries de Chelsea. Edith Sitwell partageait sa fonction de récitante avec un acteur professionnel, Neil Porter, et cette fois le public et le succès furent au rendez-vous. Dans un moment d’enthousiasme aussi débordant qu’excessif, le critique londonien Ernest Newman n’hésita pas à comparer l’écriture de Façade avec celles de Pelléas et de Tristan 54. L’œuvre y fut redonnée à plusieurs reprises, et c’est à l’occasion d’une nouvelle exécution de Façade, le  juin de cette même année,que le compositeur Constant Lambert remplaça Neil Porter, alors engagé ailleurs. Dès lors, la popularité de Façade dans les îles britanniques n’allait cesser de croître. On connaît aujourd’hui deux témoignages enregistrés à des périodes différentes de la récitation d’Edith Sitwell, dont le plus connu est la version intégrale de Façade réalisée en , où elle partage ses récitations avec celles du ténor Peter Pears 55. L’autre enregistrement a été effectué le  septembre  aux New Chenil Galleries (à l’occasion d’une nouvelle exécution de l’œuvre), et il ne comprend que deux poèmes de Façade (n°  « Jodelling Song » et n°  « A Man from a Far Countree »), dirigés par William Walton avec un ensemble instrumental non identifié 56. Ce témoignage montre en tout cas le travail sérieux qui avait été entrepris dans la foulée du fiasco de , car la récitation de Dame Edith y est déjà parfaitement fluide, avec cette diction aristocratique, mélange de hauteur et de nonchalance, lui permettant un rubato unique que des enregistrements ultérieurs par d’autres interprètes n’ont jamais égalé. À juger par ces seuls deux exemples, on peut même préférer cette version de  à celle de , plus apprêtée pour ce qui est de la récitation d’Edith Sitwell : le tempo (en tout cas pour les poèmes n° 25 et ) est un peu plus lent, les consonnes s’y font plus dures, notamment à cause d’une articulation que l’âge a rendue plus lourde, tandis que la récitation pâlit quelque peu à côté du mordant de celle de Peter Pears. C’est en  qu’Edith Sitwell récita pour la dernière fois les poèmes de Façade à l’occasion d’un concert organisé à Oxford. Le triomphe fut complet – malgré la rage que lui avait causée le voisinage de son Façade avec le Pierrot lunaire, ce « chef-d’œuvre pathologique, psychopathe et sado-masochiste » (dixit Edith Sitwell) qui eut l’honneur de conclure le programme 57.


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HUMPERDINCK ET LE « GEBUNDENES MELODRAM »

  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE

Sans doute les « arrangements » chantés proposés par Massenet pour certains passages parlés des Expressions lyriques illustrent-ils le cliché tenace sur les chanteurs n’aimant pas parler : le compositeur allemand Engelbert Humperdinck (-) en fit les frais avec son opéra Die Königskinder, dont la première version fut entièrement écrite en « gebundenes Melodram » (littéralement, le « mélodrame lié »), une expression de son cru pour signifier une déclamation mélodramatique notée sur le plan du rythme et des hauteurs, et qui fait plus que s’apparenter, pour ce qui est de sa notation et de sa réalisation, à la Sprechstimme que Schoenberg allait mettre en pratique moins de vingt ans plus tard avec son Pierrot lunaire. Selon Humperdinck, le mélodrame est avant tout affaire de déclamation, et son intérêt pour la déclamation mélodramatique date d’avant la genèse de Königskinder. Dans une chronique de  au sujet de la musique de scène composée par Hans Pfitzner pour la pièce de Henrik Ibsen, Das Fest aus Solhaug, et pour laquelle Pfitzner avait parfois fait appel à une notation rythmique, Humperdinck avait déjà avancé « que le mélodrame, pour son étroite relation entre parole et musique [Wort und Ton] » était encore susceptible de riches développements, espérant qu’un jour cela puisse déboucher sur une méthode permettant l’union la plus étroite possible entre la « déclamation […] et l’accompagnement musical[ ;] une méthode qui certes soumettrait l’acteur récitant à quelques liens inconfortables, mais qui par ailleurs pourrait élever au plus haut niveau l’action commune entre discours et mélodie 1. » Les vues de Humperdinck sur le mélodrame allaient se concrétiser


avec Die Königskinder, dont la première version fut conçue comme une musique de scène pour la pièce de théâtre homonyme d’Ernst Rosmer (pseudonyme d’Elsa Bernstein, fille du musicien wagnérien Heinrich Porges), faisant toutefois largement appel à la déclamation notée selon la technique du « gebundenes Melodram ». Sous cette forme, Die Königskinder furent créés au Hoftheater de Munich le  janvier , suscitant d’ailleurs un débat sur le bien-fondé de ce sempiternel mélodrame, qu’avait particulièrement attisé le concours plutôt tiède des chanteurs peu ravis par cette nouvelle technique de déclamation. Après le succès de l’opéra Hänsel et Gretel (Weimar, ), Humperdinck était à la recherche d’un nouveau livret pour ce qui devait être une « komische Oper ». Le livret de Königskinder, défini comme « pièce féerique », fut suggéré à Humperdinck par l’acteur Ernst von Possart, alors Intendant général du Théâtre de la Cour à Munich 2. Si l’idée du « gebundenes Melodram » et du mode de déclamation spécifique qu’il requiert, par le biais d’une notation conçue à cet effet, fut sans aucun doute celle du seul Humperdinck, le voisinage avec Possart est plus que remarquable, et il faut se demander s’il n’y eut pas non plus une influence du côté de celui-ci pour inciter Humperdinck à un traitement mélodramatique. Dans un tel contexte, le « gebundenes Melodram » apparaît moins comme une pure innovation que comme une conséquence naturelle d’un art mélodramatique alors des plus populaires, et ce en dépit des difficultés techniques qu’il requiert. La décision de Humperdinck de traiter Die Königskinder sous cette forme ne se concrétisa qu’au printemps , à l’occasion d’un séjour italien. La correspondance de Humperdinck révèle que dès , un certain malentendu avait régné entre la librettiste et le compositeur, la première ayant émis le souhait d’une musique de scène pour sa pièce, autrement dit d’une partition réduite à sa portion la plus congrue servant principalement d’accessoire pour les entractes, les ballets et autres pantomimes. Cette conception utilitaire de la musique ne correspondait pas aux vues de Humperdinck, dont l’idée première était de composer une « Volloper », et donc de mettre complètement en musique le livret. Le choix de Humperdinck pour la déclamation mélodramatique semble alors avoir satisfait la librettiste, hostile à l’idée d’un opéra chanté, et sans doute cette solution lui apparut


comme un compromis favorable : pour le compositeur, le procédé du « gebundenes Melodram » était une manière de « mettre en musique » l’ensemble du livret à la manière d’un opéra 3. Cependant Possart avait dès janvier  émis le souhait d’interpréter la partie du Joueur de violon dans Die Königskinder. Ce souhait eut-il un impact sur la décision finale de Humperdinck pour un traitement mélodramatique ? Dans sa lettre à Possart du  janvier , Humperdinck semble déjà bien décidé à traiter le livret en mélodrame, et il fait le lien avec le rôle de Manfred que Possart avait interprété dès  dans la version mélodramatique de Schumann 4 :

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Entre ces lignes élogieuses, la lettre de Humperdinck laisse tout de même poindre quelques crainte à l’idée que l’organe chantant de Possart ne puisse pas être à la hauteur. Possart avait répondu à cette lettre informant le compositeur qu’il était bien décidé à prendre le rôle, mais que sa voix n’allait pas au-delà du ré [du baryton] : « Si vous ne vous sentez pas trop contraint par cette limitation, je me ferai un plaisir de faire entendre personnellement vos fraîches mélodies 7. » En juillet , Humperdinck envoie à Possart une lettre détaillée avec l’explication d’une nouvelle notation qui permet « une très étroite fusion de la musique accompagnante avec le mot parlé, telle qu’elle n’est que possible dans le chant. […] Ces notes ne doivent pas être chantées, mais elles doivent servir de signes indicateurs, montrant comment les vers doivent approcher les hauteurs et être parlés exactement en rythme 8. » Dans cette

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On m’a fait savoir que vous voudriez bien interpréter la partie du Joueur de violon. Cela serait néanmoins fort réjouissant pour moi, car lorsque je pense au Manfred de Byron, je ne peux rien m’imaginer de plus beau que d’atteindre avec vous quelque chose de similaire à l’unité de ces effets harmoniques, comme la scène finale le requiert 5, bien que cela ne soit pas chose aisée pour le compositeur. Je me demande seulement si l’on peut confier les chants derrière la scène lors des deuxième et troisième actes à un baryton, au cas où pour vous même ceux-ci ne vous seraient pas confortables [à chanter]. De manière instinctive – dans un vif souvenir de votre organe – j’ai réalisé ceux-ci de manière douce et élégiaque pour ce qui est de la couleur, afin de pouvoir réaliser l’illusion qu’ils proviennent d’une seule et même personne 6.


lettre, Humperdinck donne un exemple de cette notation, fondée sur la « Sprechnote » (note parlée), requérant une notation spéciale pour ce qui est des têtes de notes, remplacées par des croix. C’est également en  que le compositeur utilise pour la première fois le terme de Sprechgesang 9. Pour le reste, la portée traditionnelle de cinq lignes, ainsi que les notations métrique, rythmique et dynamique, restent inchangées. Il semble que sur le moment Possart ne trouva rien à redire à cette notation, ni à ce qu’elle exigeait du récitant-un peu chanteur. Jusqu’en septembre , la correspondance entre Possart et Humperdinck est strictement axée sur des problèmes d’honoraires. Mais le  septembre, Humperdinck est informé du retrait de Possart, à cause d’un mal de gorge 10. Deux jours plus tard, Humperdinck ne peut s’empêcher de faire part de sa déception à Possart: Je peux bien imaginer le sacrifice que représente pour votre immense charge administrative l’étude d’un rôle aussi nouveau et particulier. Cependant j’avais réalisé cette partie en tenant compte de votre individualité personnelle et artistique – comme elle l’a si typiquement été, par exemple, dans votre incarnation du rôle de Manfred –, que votre retrait, si vous l’avez bien considéré sérieusement, va me causer une déception double… Cela dit je ne perds pas espoir que vous puissiez reconsidérer l’affaire, et je serais même éventuellement prêt à partir pour Munich, afin d’étudier avec vous la partie 11.

On ne connaît pas de réponse immédiate de Possart à cette lettre, mais l’acteur ne revint plus sur sa décision. RAMENER LA VOIX DANS LE GIRON DU CHANT

La première version des Königskinder fut créée en  au Hoftheater de Munich. Dès les premières répétitions de l’ouvrage, Humperdinck prit rapidement conscience de l’envergure du problème que posait son style de déclamation pour les chanteurs d’opéra. Les documents rassemblés par Eva Humperdinck sur la genèse des Königskinder 12 montrent que ces répétitions ne furent qu’une longue suite de tracas, fâcheries et malentendus entre Humperdinck et ses chanteurs. Deux jours seulement avant la première, Humperdinck écrivit à Possart pour se plaindre des « incessants remaniements et altérations » que la partition avait déjà subis, et pour lui demander de retirer l’ouvrage de l’affiche, ce qui lui fut refusé. Celui-ci fut représenté à la date prévue du


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 janvier , et sans être un succès éclatant, ce ne fut pas non plus un four, comme on peut parfois le lire. Die Königskinder connut jusqu’au début des années  près de soixante-dix représentations à Munich et près de soixante autres sur différents théâtres germaniques et européens (Francfort, Magdeburg, Berlin,Vienne, Prague, Riga, Londres, Dublin…). Pourtant passé le premier succès de curiosité, l’œuvre fut rarement remise à l’affiche (surtout à cause de son Sprechgesang techniquement ardu pour les chanteurs). En , Humperdinck se décida à remanier l’ouvrage pour le Metropolitan Opera de New York, où la version chantée fut créée en  avec un très grand succès ; le Met avait toutefois donné la version mélodramatique en . Reste qu’à partir de , Die Königskinder furent toujours donnés dans leur version chantée, habitude qui s’est maintenue jusqu’à nos jours. Il est dommage qu’on ne connaisse aujourd’hui Die Königskinder que dans la seconde version sous la forme d’un opéra entièrement chanté. Se pose d’ailleurs à ce sujet un problème terminologique révélateur : pour des raisons contractuelles, la première version ne pouvait pas être définie comme un opéra, le contrat passé par Humperdinck avec le Hoftheater de Munich portant sur une « musique de scène ». Pourtant la partition nous montre bien quelque chose qui est une mise en musique du livret dans son ensemble trop continue pour s’apparenter à une musique de scène, et qui tient beaucoup plus de l’opéra. L’observation se maintient en dépit de quelques rares passages où un bref dialogue parlé est invoqué, pour ne rien dire de la notation spécifique des « Sprechnoten », laquelle, à l’exception des têtes de note en forme de croix, ne marque aucune différence avec la notation vocale habituelle. Ce n’est que la seconde version, entièrement chantée, qui est désignée comme « opéra ». La comparaison entre ces deux versions montre tout ce que la seconde a perdu par rapport à la première, et ce non pas tant pour ce qui est de la caractérisation des personnages que pour ce qui touche à la narration et à sa dramatisation. C’est pourtant une opinion contraire qu’a défendue Bernd Distelkamp dans sa récente monographie sur Die Königskinder 13. L’auteur voit dans la version chantée la pleine réalisation des intentions opératiques de Humperdinck, et considère la version en « gebundenes Melodram » comme une sorte d’étape intermédiaire et expérimentale. C’est faire assez peu de


cas de la réflexion profonde développée par Humperdinck depuis le début des années  sur les possibilités techniques d’une déclamation « en musique », qui allaient l’amener à élaborer un nouveau type de notation. Et il n’est guère difficile non plus de comprendre que la réalisation de la version chantée fut avant tout entreprise pour des raisons d’ordre pratique et financier. C’était là le prix à payer pour que l’œuvre puisse survivre scéniquement, car il était plus facile d’engager des chanteurs chantant que récitant – et les comptes rendus publiés dans la foulée des premières représentations de , à Munich puis ailleurs, montrent que la bonne volonté des chanteurs laissait fort à désirer. Les critiques, même les plus élogieuses, s’entendent sur la performance vocale qui dans l’ensemble fut jugée piètre pour la réalisation du Sprechgesang. Bien des critiques ont souligné la difficulté pour les chanteurs de se faire tout simplement entendre, la déclamation parlée (ou en tout cas plus proche du parlé que du chanté) ne permettant pas d’obtenir un volume sonore adéquat. C’est ce qu’on peut lire au sujet de la création de l’ouvrage le er octobre  à Leipzig : « Mais on ne peut dénier que bien des passages mélodramatiques sont parfois un peu trop exigeants et rendent difficile la compréhension des mots 14. » Et auparavant, lors de la création de l’ouvrage à Vienne le  mai , le critique avait remarqué que les chanteurs « [n’avaient] pas récité les parties mélodramatiques en respectant les rythmes et les hauteurs strictement définis par Humperdinck, mais [avaient] parlé de manière conventionnelle et libre, en ayant montré peu d’égards pour l’accompagnement orchestral 15. » Dans la seconde version, Die Königskinder a vu son livret remanié (principalement par des coupes), la plupart de ses préludes instrumentaux raccourcis, et les quelques dialogues parlés de la première version mis en musique. Quant aux parties mélodramatiques, elles ont été pour l’essentiel remises en musique, Humperdinck ayant le plus souvent conservé la ligne déclamatoire telle qu’elle était déjà dessinée dans la première version, comme le montrent certaines corrections autographes dans la version mélodramatique. Les modifications apportées à la ligne déclamatoire vont généralement dans le sens de l’emphase vocale, le chant pouvant mieux soutenir à l’aigu certains contours mélodiques : comme si dans la version mélodramatique la ligne mélodique avait bien été implicitement pensée et composée. L’exemple


suivant a légèrement modifié et décalé la mélodie en « gebundenes Melodram » pour mieux la contrepointer dans sa version chantée avec le motif de clarinette (voir illustration 9.1).

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La première version des Königskinder proposait au moins deux modalités d’expression du texte : d’une part la déclamation en « gebundenes Melodram » pour la plus grande partie de l’ouvrage, mais parfois également déclamation libre sans musique, et ce le plus souvent lorsqu’il s’agit d’introduire en début de scène la déclamation en « gebundenes Melodram » ; d’autre part le chanté, lorsque la situation dramatique l’exige. Non seulement la seconde version a supprimé ces modalités, mais elle a encore mis systématiquement en musique les passages parlés qui se faisaient « à vide » dans la première version,selon la technique de l’alternance mise en œuvre dans le mélodrame du type de ceux de Benda. La seconde version a ainsi supprimé toute possibilité de gradation allant du parlé au chanté. Dans sa version mélodramatique, le début de l’acte II présente la déclamation parlée sur ou entre la musique; ces différences ont été supprimées dans la version chantée (qui a gardé les mêmes lignes mélodiques), en poursuivant l’accompagnement instrumental pour les parties dialoguées « à vide ». La seule présence d’une phrase ou de quelques mots chantés au cours d’une déclamation peut aussi contribuer à l’instauration d’un climat particulier. Un passage chanté se démarque du reste de la scène déclamée par un renforcement de l’intensité expressive que ces irruptions soudaines de vocalité instaurent. Au

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Ill. 9.1 E. Humperdinck : Die Königskinder, part. d’orch., 1e vers. (Leipzig, 1897) avec annotations autographes en vue de la réalisation chantée


début du premier acte (première version), la gardeuse d’oies, ne pouvant s’échapper de la chaumière et de ses alentours enchantés où la sorcière la retient prisonnière, s’assied près d’une fontaine et entonne sa complainte (« Ach, bin ich allein ! [Ah, comme je suis seule !] ») Celle-ci se fait en déclamation rythmée sur la musique, avant de passer au chant, lorsque la gardeuse d’oies demande aux fleurs de lui parler : « Redet doch, ihr kleinen Blumen [Parlez donc, petites fleurs] ». Les fleurs ne lui répondent pas, mais la gardeuse d’oies répond pour elles, en chantant le refrain d’une chanson : « Ich möchte eine Silberspindel [J’aimerais un fuseau d’argent] », puis revient à la déclamation pour s’adresser aux oiseaux. Autant de nuances qui ont été éliminées dans la seconde version par une ligne mélodique uniformisée par le chant (voir exemples 9.1 A et 9.1 B).

Ex. 9.1 A E. Humperdinck, Die Königskinder, 1e version, acte I, sc. 4, mes. 1-20 (réd.)


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Le troisième et dernier acte offre un exemple similaire, alors que la gardeuse d’oies et le fils du roi errent dans la montagne après avoir été chassés de la ville. Suite à la mort du roi père, la sorcière avait prédit à ses habitants que le couple qui entrera dans la ville sur les douze coups de midi sera le nouveau couple royal. Mais la foule n’a pas voulu reconnaître le fils du roi dans ce jeune homme famélique, ni la nouvelle reine dans une gardeuse d’oies en haillons. Désormais les deux enfants affrontent le froid et la faim dans la montagne. La fillette est épuisée, et avant de manger un pain ensorcelé qui leur sera à tous deux fatal, elle a un dernier accès de chant au cours de sa scène mélodramatique, dansant sur une chanson évoquant l’été. Intrusion du chant qui fait aussi

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Ex. 9.1 B E. Humperdinck, Die Königskinder, 2e vers., acte I, sc. 4, mes. 31-50 (réd.)


bien plus d’effet si elle est précédée par la déclamation rythmique (voir exemples 9.2 A et 9.2 B).

Ex.9.2 A E. Humperdinck, Die Königskinder, 1e vers., acte III, sc. 22, mes. 9-32 (réd.)


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Ex. 9.2 B E. Humperdinck, Die Königskinder, 2e vers., acte III, sc. 22, mes. 28-51 (réd.)


La scène finale est quant à elle clairement construite sur une gradation dramatique allant du parlé au chanté, et dont l’effet n’est d’ailleurs pas sans similarité avec celui du mélodrame des GurreLieder de Schoenberg (-), partition dans laquelle ce dernier a utilisé pour la première fois l’écriture mélodramatique. Le ménétrier a découvert les corps des deux enfants morts dans la neige, et il a reconnu en eux les « Königskinder ». Il décide alors de jouer une dernière mélodie sur son violon, avant de le briser et de le jeter dans leur tombe. La perte du violon marque cependant le début d’un crescendo vocal indiqué par Humperdinck dans la partition : « À partir de cet endroit la déclamation du ménétrier s’anime toujours plus, jusqu’au chant. » Si la ligne vocale du ménétrier reste toujours déclamée, certaines notes sont clairement situées dans le registre aigu de la voix de basse ; quant à la version chantée, elle s’écarte souvent du profil mélodique de la version déclamée pour encore accentuer l’emphase dramatique. Dans les deux versions, le point culminant est atteint avec la dernière exclamation du ménétrier (« die Königskinder ! »), mais la version déclamée donne encore plus de poids en développant après cette exclamation un grand crescendo orchestral de cinq mesures, qui non seulement parachève la gradation à l’aigu, mais encore prépare idéalement l’entrée des voix aiguës d’enfants qui vont conclure l’opéra sur l’exclamation « Königskinder ! Königskinder ! », cette fois-ci pleinement chantée. Plus platement la seconde version enchaîne directement les voix d’enfants au chant du ménétrier, sans le moindre interlude orchestral (voir exemples 9.3 A et 9.3 B).


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Ex. 9.3 A E. Humperdinck, Die Königskinder, 1e vers., acte III, sc. 24, mes. 53-85 (réd.)


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Ex. 9.3 B E. Humperdinck, Die Königskinder, 2e vers., acte III, sc. 24, mes. 77-105 (réd.)

CONTRE UNE LECTURE DARWINIENNE DU MÉLODRAME

Une conception darwinienne du mélodrame est encore tenace parmi ceux qui portent sur son évolution, depuis ses origines dixhuitiémistes, un regard rétrospectif et comme contaminé par le Pierrot lunaire, ce cas-limite du mélodrame.Ainsi du compositeur Friedrich Cerha, pour qui il n’existe aucune œuvre mélodramatique antérieure au Pierrot qui ait fait preuve d’une association plus étroite entre texte et musique, réalisée par des figures rythmiques ou descriptives : « Nulle part dans Pierrot se trouve ce voisinage entre parole et musique caractéristique du vieux mélodrame 16. » Cerha fait ici allusion aux tentatives romantiques pour créer une dépendance entre texte et musique à travers une notation rythmique, comme on peut le voir dans Preciosa de Weber ou Manfred de Schumann – mais Cerha ne s’attarde pas sur le fait que l’utilisation de la notation rythmique dans ces œuvres-là est tout à fait exceptionnelle. Quant à son


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Depuis les débuts de cette forme à la fin du XVIIIe siècle, la difficulté principale du mélodrame, relative à la technique de notation, a consisté dans la fixation temporelle du texte déclamé par rapport à l’accompagnement instrumental, lorsqu’on ne la laissait pas au bon

 

expression pour le moins condescendante de « vieux mélodrame », elle est caractéristique d’une vision rétrospective qui situe une œuvre comme le Pierrot au sommet de l’échelle d’une prétendue évolution mélodramatique, et elle schématise à l’excès la production mélodramatique antérieure à cette œuvre, englobant sans distinction aucune les mélodrames des XVIIIe et XIXe siècles. En considérant les œuvres propres au « vieux mélodrame » à travers la perspective du Pierrot, Cerha oublie que leurs motivations étaient fort différentes de celles de Schoenberg. Selon Cerha, le mélodrame se réduirait à des œuvres faisant appel à la déclamation rythmée sur la musique, alors que Weber et Schumann, pour ne citer que ceux-ci, utilisaient bien plus fréquemment le type de déclamation libre entre les passages musicaux (ce que l’on trouve également chez Humperdinck, lequel n’est pas resté cantonné à la seule déclamation sur la musique). Il y a de fait une distance énorme entre cette entité protéiforme que Cerha désigne comme le « vieux mélodrame » et le Pierrot lunaire. Le voisinage parole-musique du « vieux mélodrame », qu’il soit scénique ou non, traité en tant que genre à part entière ou en tant que technique, relève d’un tout autre type d’apparentement dont la préoccupation première ne concerne pas la manière dont un texte doit être déclamé, ou même intégré à la substance musicale.Tel qu’il fut pratiqué depuis le dernier tiers du XVIIIe siècle et au cours de l’ère romantique, le mélodrame doit avant tout être considéré comme une exploration et une remise en question de la logique narrative. Reste que le point de vue de Cerha n’est en rien isolé : il constitue même une norme dans la perception du mélodrame en tant que phénomène premièrement motivé par la déclamation. D’autres commentateurs de la Sprechstimme chez Schoenberg et ses continuateurs, comme Ulrich Krämer et Ulrich Kühn, ont eux aussi fait preuve de ce point de vue « pierrot-centriste » en projetant sur les mélodrames antérieurs une problématique spécifique à cette œuvre, mais qui s’avère anachronique pour les mélodrames des XVIIIe et XIXe siècles. C’est ce qui ressort des propos de Krämer :


vouloir de l’interprète. La plupart du temps il s’agissait de placer la portion de texte déclamé sur le passage musical correspondant, ou entre les voix instrumentales notées de manière conventionnelle, les barres de mesure, en plus de leur fonction métrique, assumant la coordination temporelle entre texte et musique. Dans le cas de la poésie métrique, l’ordonnance des syllabes sur la musique de fond ne posait pas de problèmes, puisque la mélodie de l’accompagnement instrumental correspondait le plus souvent à la mise en musique [des vers] et à leur nombre de syllabes 17.

D’une part il n’y eut jamais, depuis le mélodrame « classique » (Rousseau, Benda) et dans celui de ses continuateurs romantiques, un souci aussi marqué et constant pour une fixation temporelle exacte de la déclamation par rapport à la musique.Telle qu’elle s’est pratiquée de temps à autre au XIXe siècle, cette « ordonnance des syllabes », parfois réalisée en plaçant des portions de texte le plus précisément possible par rapport au texte musical, ou par l’utilisation d’une notation rythmique, fut toujours, rappelons-le, un cas particulier du traitement mélodramatique : Krämer au contraire l’érige en norme. D’autre part la dernière affirmation au sujet de la métrique ne repose sur aucun argument tangible. Il peut arriver que parfois la ligne rythmique, voire mélodique, de la partie instrumentale semble s’inspirer du contour prosodique d’un mot ou d’une expression 18. Mais à nouveau les exemples de ce type sont suffisamment exceptionnels pour montrer qu’il ne s’agit en rien d’une norme. C’est là une approche partiale du mélodrame perçu comme étant une musicalisation de la langue, et l’expression utilisée par Krämer de « musique de fond » (unterlegte Musik) est révélatrice de cette emphase sur la composante linguistique et le souci prosodique qui va au détriment de la composante musicale. Emphase qui d’une part fait oublier les rapports particuliers entre musique et texte, car non fusionnels, mais s’additionnant l’un à l’autre dans un rapport de supplémentarité bien plus que de complémentarité, et qui d’autre part néglige la discontinuité que ceux-ci impliquent dans le traitement narratif. Notons qu’une telle perception n’a pas été forgée par les seuls commentateurs de Schoenberg : c’est principalement à l’époque de la création des Königskinder qu’une telle perspective historique s’est mise en place, tant chez Humperdinck lui-même que chez les commentateurs de son ouvrage. Die Königskinder fut


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conçu par son compositeur comme un essai « pour appliquer la technique formelle wagnérienne au mélodrame. […] Il y a dans l’étroite liaison entre le mot parlé et la mélodie orchestrale la possibilité pour des formes d’expression nouvelles et originales 19. » En  déjà, Humperdinck avait utilisé le terme de Sprechgesang pour désigner une nouvelle manière de déclamation qui témoignerait de cette « étroite liaison » entre parole et musique. La première occurrence de ce mot se trouve dans une lettre du compositeur datée du  février  au récitant et chanteur Ludwig Wüllner, où il est question du « nouveau style mélodramatique » expérimenté dans Die Königskinder. Selon Humperdinck, le Sprechgesang garantit la maîtrise des différents degrés allant du simple ton parlé [von einfachen Sprechton] au chant véritable, permettant au chanteur de maîtriser « toutes les plus fines transitions entre parlé et chanté 20 ». Non sans naïveté, Humperdinck croyait pouvoir poursuivre l’idéal wagnérien avec le « gebundenes Melodram » des Königskinder, précisément pour avoir mis sur pied ce qu’il pensait être une technique permettant enfin de fondre idéalement déclamation et musique. Or la critique wagnérienne du mélodrame aborde un tout autre angle que ce rapport purement linguistique ; ce qui démontre la compréhension pour le moins biaise qu’avait Humperdinck des pages d’Oper und Drama 21. Rien de surprenant non plus à ce que Humperdinck invoque la vieille chimère de la déclamation des Grecs : « Pour la première fois l’essai a été fait pour utiliser les formes wagnériennes dans le mélodrame, et où les inflexions de la déclamation sont prescrites par ma notation (notes parlées). […] Si cela réussit, nous aurons alors une forme d’expression qui peut-être possède une ressemblance avec la récitation mélodramatique du théâtre grec antique 22. » C’était là pour Humperdinck le futur de l’opéra : « Notre opéra moderne suit un chemin qui doit mener au mélodrame 23 ». Certes le raisonnement de Humperdinck se fonde sur l’identité réductrice mélodrame = déclamation, mais il faut constater que les développements du Sprechgesang dans l’opéra du XXe siècle allaient cependant lui donner raison.

»


LE SPRECHGESANG COMME IDÉAL WAGNÉRIEN ?

En , le musicologue allemand Rudolf Stephan publia un article intitulé « Zur jüngsten Geschichte des Melodrams » [ L’histoire récente du mélodrame], où il rendit à Humperdinck ce qui lui revenait de droit : la conception de la Sprechstimme, qu’on considérait alors généralement comme une « invention » de Schoenberg 24. Encore en , lorsque Gunther Schuller demanda au pianiste Eduard Steuermann, qui fut l’un des créateurs du Pierrot lunaire en  à Berlin, comment Schoenberg en était venu à la Sprechstimme, le musicien pouvait répondre en toute sincérité que celle-ci avait « trouvé son origine dans l’esprit de Schoenberg. C’était – si vous voulez – une inspiration. » Et lorsque Schuller soulève la possibilité que Schoenberg eût pu être influencé d’une manière ou d’une autre par Humperdinck ou Max von Schillings, Steuermann ne s’en démonte pas pour autant : « Étant donné que Schoenberg vivait, pour ainsi dire, dans un monde complètement différent, il est très improbable qu’il entendît du Humperdinck, excepté peutêtre Hänsel und Gretel. Et moi-même, en tant que fidèle disciple de Schoenberg, je n’aurais jamais écouté une telle musique 25. » Les dires de Steuermann sont révélateurs de cette perception darwinienne du développement du mélodrame depuis ses origines, qui aurait commencé avec les expériences « archaïques » de Benda et autres avant de trouver son achèvement dans le Pierrot. Tout aussi révélateurs de cette perception sont les préjugés alors tenaces que le terme de « mélodrame » colportait et qui s’étaient développés depuis l’expérience houleuse de la version mélodramatique des Königskinder. Une vision tout aussi darwinienne aurait incité Humperdinck à mettre au point le « gebundenes Melodram » et sa notation ad hoc. Comme l’explique le compositeur dans une lettre à Ernst von Possart ( juillet ), sa notation vise en effet à atteindre « une très étroite fusion de la musique accompagnante avec le mot parlé, telle qu’elle n’est que possible dans le chant 26. » Et pour mieux asseoir son explication, Humperdinck prend exemple sur le Manfred de Schumann. Possart avait interprété le rôle-titre dès , dans une version dont la traduction allemande de Suckow avait été par endroits rejetée en faveur d’une traduction par Cosima Wagner (alors von Bülow) du texte original anglais de Byron. Ces changements avaient pour but de faciliter la récita-


tion du texte sur la musique, et ils furent en tout cas réalisés en deux endroits, la « Verschwörung der Astarte » et le « Abschied von der Sonne ». On ignore exactement comment furent réalisés ces remaniements, mais selon le témoignage de Possart, Cosima s’était inspirée du procédé de notation rythmique utilisé par Schumann dans la scène finale de Manfred, où le récitant doit soumettre sa déclamation à une notation rythmique, car toujours selon Possart il s’agissait d’obtenir « une heureuse adhérence des mots à la musique 27 » (voir exemple 9.4).

  • HUMPERDINCK ET LE

« GEBUNDENES MELODRAM

»

[Ernst von Possart] m’avait fait part il y un ou deux ans de la manière dont vous aviez rendu possible Manfred pour la scène. Pour ce qui est des difficultés qu’il avait alors fallu surmonter, pour restituer de manière logique et efficace le poème byronien avec les passages musicaux quelque peu arbitrairement placés, et qui peut-être à l’origine n’étaient pas conçus pour être joués avec le texte, j’ai songé à travailler de manière différente […] 29.

?

Pourtant la notation rythmique de la scène finale est un cas remarquablement isolé dans cette partition, tous les autres passages parlés se faisant en déclamation libre. Mais c’était précisément cette déclamation libre qui incommodait grandement Cosima et Possart, pour ne pas permettre l’union idéale avec le discours musical. C’est à cette version scénique que fit allusion Humperdinck dans une lettre à Cosima datée du  août  28 :

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Exemple 9.4 R. Schumann, Manfred, 3e partie, scène 15, mes. 1-6 (réduction)


La technique mélodramatique de Schumann relevait donc pour Humperdinck, à l’instar de Cosima et de Possart, du « mélodrame de l’ancien type » (Melodram alter Observanz) : ainsi des mélodrames de Benda et autres « imitations de Mozart 30 », qui pèchent par les « trous » entre passages déclamés et passages instrumentaux, et où « texte et mélodie se côtoient de manière hasardeuse » – un défaut reproché par Wagner, rappelle Humperdinck, lequel souhaite atteindre à ce chimérique mariage de la musique et de la parole. Chimère qui deviendrait réalité grâce au « gebundenes Melodram » permettant « une plus grande unité entre musique et déclamation 31 », ou, comme déjà cité plus haut, la « fusion la plus étroite possible » entre ces deux termes 32 : l’utilisation par Humperdinck du terme Sprechgesang dès février  résume parfaitement ses vues 33. Dans le sillage des Königskinder, ce terme allait se populariser, et on le trouve déjà dans un compte rendu d’octobre  au sujet de la première de l’ouvrage à Munich : « La distribution des rôles incombait à des chanteurs, car c’est bien à ceux-ci qu’appartient l’expression artistique du Sprechgesang conçu par Humperdinck 34. » Encore plus éloquente est l’utilisation de ce terme en  sous la plume d’Ernst Otto Nodnagel dans son essai Das naturalistische Melodram, où le Sprechgesang est explicitement relié à Wagner et présenté comme étant la tentative la plus aboutie, « léguée par Wagner » lui-même, pour marier musique et déclamation. Lui aussi partisan de cette vision darwinienne de l’évolution du mélodrame, Nodnagel annonce que la régénération à venir du mélodrame par le Sprechgesang marquera la réalisation de ce à quoi la déclamation wagnérienne tendait 35. Tout comme Humperdinck, Nodnagel a une perception biaise du mélodrame, où les exemples de mélodrames « dans le genre ancien » sont également compris comme des tentatives pour chercher une prétendue union organique entre parole et musique. Ce qui n’était absolument pas le cas : l’alternance séquentielle qui caractérise le mélodrame de Benda et encore la plupart des mélodrames romantiques joue précisément sur cette absence de fusion. Cependant les vues de Humperdinck et de ses contemporains allaient se maintenir. Déjà en , le critique Richard Batka, qui fut l’un des défenseurs de la version mélodramatique des Königskinder en , voyait dans le « gebundenes Melodram » l’aboutissement du mélodrame, enfin sorti de sa période archaïque :


Humperdinck n’a pas seulement réalisé la somme des achèvements de ces prédécesseurs, il a élevé et enrichi d’une manière exceptionnelle les moyens traditionnels du genre. Que l’on compare la facture primitive de la Medea de Benda ou les tentatives de Weber et de Schumann, ou encore les arbitraires conglomérats de Mendelssohn avec le bel organisme de la musique des Königskinder, pour reconnaître en elle une étape marquante dans le genre du mélodrame 36.

? • DE HUMPERDINCK À SCHOENBERG

On peut difficilement ne pas entrevoir dans le « gebundenes Melodram » ce qui deviendra la Sprechstimme du Pierrot, à commencer par la notation et la réalisation vocale de ces « Sprechnoten », et ce d’autant plus lorsqu’on prend connaissance des différentes explications laissées par Humperdinck. La partition d’orchestre des Königskinder s’ouvre sur la notice explicative suivante : « Les “Sprechnoten” employées dans les parties mélodramatiques signifient que le rythme et l’intonation du discours animé (mélodie du vers parlé) doivent s’accorder avec la musique qui les accompagne 37. » Mais la version autographe de cette notice est encore plus instructive par ses repentirs : « Les “Sprechnoten” employées dans ce mélodrame signifient que le rythme et la hauteur relative [surcharge : intonation] de la déclamation du discours animé (mélodie du vers parlé) doivent s’accorder avec la musique qui les accompagne 38. » « La hauteur relative de la déclamation » avait d’abord écrit Humperdinck : ce qui implique une conception déjà assez musicalisée de la déclamation parlée, l’adjectif « relatif » ne suffisant pas à masquer l’idée que ce type de déclamation doit tout de même prendre les hauteurs des notes comme données de départ.Au contraire la

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DE HUMPERDINCK À SCHOENBERG

 

Sans doute sommes-nous aujourd’hui encore victimes de cette perception particulière du mélodrame, considéré essentiellement sous l’angle de l’interaction entre déclamation et musique, si chère au compositeur de Hänsel et Gretel, et qui a obsédé bon nombre de compositeurs à la recherche d’un mariage idéal et somme toute impossible entre ces deux termes. Dans une telle perspective, le Pierrot lunaire de Schoenberg marquerait l’aboutissement logique de toute histoire du mélodrame.


version définitive a cherché à atténuer l’idée d’une déclamation d’abord conçue comme musicalisée et qu’il faudrait ensuite infléchir vers le parlé : en évoquant « l’intonation du discours animé », Humperdinck cherche plutôt à faire partir l’interprète d’une déclamation parlée qui serait ensuite infléchie vers le chant ; et il faut noter que la version finale de son explication semble mieux taillée pour un récitant que pour un chanteur. Les termes de « discours animé » et de « mélodie du vers parlé » sont d’ailleurs caractéristiques du style de déclamation qui était alors pratiqué par des acteurs-récitants comme Ernst von Possart ou plus tard Ludwig Wüllner, et bien sûr Albertine Zehme, commanditaire et créatrice du Pierrot lunaire.Évidemment,cela ne nous fournit pas la clef de la réalisation de ces « Sprechnoten ».Dans une lettre de ,Humperdinck a expliqué qu’il ne s’agissait pas de chanter ces « Sprechnoten », « mais de les parler avec le plus d’égard possible à l’intonation et au rythme 39 ».Ce qui est pour le moins peu précis,et ce sont des ambiguïtés identiques qui émailleront une quinzaine d’années plus tard les explications de Schoenberg sur la Sprechstimme du Pierrot. Dans ses notes sur le mélodrame rédigées vers , Humperdinck allait revenir une fois encore sur ces « Sprechnoten », qui ne doivent pas donner la « hauteur absolue, mais [la hauteur] relative, la ligne des élévations et des abaissements de la voix 40 ». Il s’agit donc de déclamer le texte et non de le chanter : la hauteur indiquée par les « Sprechnoten » ne doit pas être restituée de manière déterminée par le chant, mais de manière déclamatoire et donc indéterminée. Les propos de Humperdinck montrent que deux versants sont possibles : celui qui musicalise la déclamation, et celui qui au contraire la rapproche au plus près du ton parlé. C’est ce qu’Ulrich Krämer a appelé le paradoxe entre la notation exacte et l’interprétation inexacte 41 (qu’il applique à la problématique Sprechstimme du Pierrot). D’ailleurs à l’instar de Humperdinck, Schoenberg reconsidéra à partir des années  ses premières règles édictées en , de manière à introduire l’idée de hauteurs relatives et non absolues. Tant chez Humperdinck que chez Schoenberg, on conçoit bien vite l’artifice caché sous cette notation, que seul un détail « ajouté » permet de différencier d’une ligne vocale traditionnelle. Pourquoi n’avoir pas simplement donné le rythme, sans aucune indication de hauteur, comme par exemple dans Preciosa


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? • DE HUMPERDINCK À SCHOENBERG

Tout le monde ou presque sait aujourd’hui que dans le mélodrame cette « union » éprouvée de deux arts frères est à peine une union, mais au contraire un combat inoffensif, une sorte de compétition en parole et en musique ; tous les essais entrepris à cette fin depuis le début du siècle ont prouvé, lorsqu’une telle « union » du drame et de la musique ne représente pas celle profonde et véritable du drame chanté, que l’effet artificiel immanquablement produit par cette curieuse manière doit toujours rester à l’arrière-plan des attentes suscitées par la nouveauté. […] Lorsque l’acteur doit parler sur la musique, laquelle exige un rythme et des hauteurs spécifiques, il est empêché dans l’exercice de son art [qui] ne connaît ni le rythme ni la tonalité. Et par ailleurs la musique, après s’être de son propre chef violemment intensifiée pour aller dans le sens du drame […], doit subitement cesser et faire taire ce qu’elle a de mieux, afin que l’acteur puisse en venir aux mots – lorsqu’il n’est pas dans un de ces moments décisifs du drame requérant la représentation pantomime –, et où au lieu de parler il doit crier, afin de se faire comprendre par-delà le déluge de notes 42.

 

ou dans la scène finale de Manfred ? La présence de croix en lieu et place des têtes de notes (ou même lorsque déplacées sur la hampe, comme dans le cas de la notation de Schoenberg) ne parvient pas à faire oublier la précision diastématique, d’autant plus frappante qu’elle a été conservée pour l’essentiel dans la seconde version chantée des Königskinder. Le chant vient en premier, mais il s’agit ensuite de l’oublier, de ne garder que son contour restitué par des hauteurs indéterminées. Une telle notation ne parvient pas à faire oublier l’idée que c’est d’abord une ligne de chant qui a été conçue, et cela est encore plus flagrant chez Schoenberg, où la croix est placée sur la hampe. La création des Königskinder en « gebundenes Melodram » eut vite fait de réveiller dans la presse un débat sur la viabilité du mélodrame ; et en , la création du Pierrot lunaire allait avoir le même effet. Dans le cas des Königskinder, les critiques les plus unanimes venant tant des pros et des contras concernaient surtout les chanteurs, de toute évidence fort empruntés dans ce style déclamatoire. L’un des comptes rendus les plus intéressants fut celui publié dans le Musikalisches Wochenblatt de Leipzig, en octobre . Fort négatif, le chroniqueur s’empresse de démonter cette « étroite fusion » chère à Humperdinck :


Quant à Cosima Wagner, fidèle à l’opinion de son mari sur le mélodrame, elle trouva la musique des Königskinder exquise, mais l’expérience mélodramatique absolument détestable. « Estce le problème de la note parlée ou du mot chanté ? Sur ce point je n’ai rien remarqué, les chanteurs crièrent tant qu’à la fin je n’ai plus rien compris, mon oreille ne supportant pas le cri 43. » Ce « plus de cri » que du chant ou de la parole sera aussi une antienne fréquemment entendue à partir de , au sujet du Pierrot lunaire et de son interprète Albertine Zehme.

PIERROT LUNAIRE

« Der ersten Interpretin Frau Albertine Zehme in herzlicher Freundschaft [À la première interprète Madame Albertine Zehme en cordiale amitié] » peut-on lire en page de titre de la partition du Pierrot lunaire. La dédicace de Schoenberg à celle qui fut non seulement la créatrice mais aussi l’instigatrice de l’ouvrage était parfaitement justifiée. Ce n’est pas rien que d’avoir commandité l’une des œuvres-phare du XXe siècle. D’Albertine Zehme (), on aura surtout retenu ce geste, car, pour le reste, c’est l’image d’une dilettante au sens artistique plutôt sujet à caution qui s’est dessinée au fil des témoignages et anecdotes sur sa personne. En , le pianiste Eduard Steuermann, qui fut aux côtés de Zehme l’un des créateurs du Pierrot à Berlin le  octobre , avait évoqué une actrice retraitée nourrissant encore quelque ambition artistique et des « idées étranges, parmi lesquelles son identification avec le personnage de Pierrot 44. » Pour ne rien dire des Mémoires de la sœur de Steuermann, l’actrice SalkaViertel, qui brossent un portrait quelque peu caricatural d’une bourgeoise fortunée et désœuvrée : Pour échapper à l’ennui bourgeois de son existence, [Albertine Zehme] avait décidé de se lancer dans une carrière artistique. Costumée en Pierrot, elle voyageait à travers l’Allemagne en récitant ces doux poèmes rêveurs. Quelqu’un lui avait dit qu’une peinture musicale augmenterait leur effet et c’est ainsi qu’elle se mit en contact avec Schoenberg pour lui commander la composition de la musique de son cycle Pierrot. Comme il avait un pressant besoin d’argent, il avait accepté, cependant en exigeant de la commanditaire une soumission artistique totale. Madame Zehme dut accepter non seulement la musique mais également l’interprétation des poèmes, et dut se faire expliquer par Eduard


Ill. 9.2 Albertine Zehme (vers 1912)

  ? • PIERROT LUNAIRE

En réalité Albertine Zehme était loin d’être une dilettante.Agée de  ans lorsqu’elle rencontra Schoenberg en  (voir illustration 9.2), elle avait déjà derrière elle une brillante carrière d’actrice principalement accomplie sur la scène du théâtre de Leipzig. Également chanteuse, elle avait étudié à Bayreuth en  les trois rôles de Brühnnilde dans le Ring, celui de Kundry (Parsifal) et de Vénus (Tannhaüser) sous les directives de Julius Kniese, le corépétiteur du théâtre. C’est après son mariage avec un avocat fortuné du barreau de Leipzig, le Dr Felix Zehme, qu’Albertine fit ses adieux à la scène dans le rôle d’Obéron du Songe d’une nuit d’été 46. Depuis les années ,Albertine Zehme avait réorienté ses activités vers le mélodrame. En , elle donnait des récitals mêlant déclamation mélodramatique et Lieder, récitant des poèmes polonais de Kornel Ujejski sur des musiques de Chopin, et elle avait également à son répertoire certaines ballades mélodramatiques romantiques, dont la Lenore de Liszt. Zehme s’était familiarisée avec les poèmes du Pierrot lunaire d’Albert Giraud en tout cas dès , si ce n’est avant, pour avoir donné cette année-là au Choralion Saal de Berlin trois récitals sur ces poèmes mis en musique par le compositeur Otto

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[Steuermann] les rythmes compliqués et les modulations vocales de la partie parlée. Elle n’était pas très musicienne, et je me rappelle bien des doutes d’Eduard. Mais leur passion semblait n’avoir aucune limite 45.


Vrieslander. La brochure du dernier concert, le  mars , donne l’indication suivante : « Dichterische Erlebnisse im Ton. Pierrot lunair [sic] [Expériences poétiques en musique. Pierrot lunaire] 47 ». Le programme comportait vingt-deux poèmes tirés du recueil Pierrot lunaire –  Rondels bergamasques, publiés en  par le poète symboliste belge Albert Giraud, l’un des représentants du mouvement littéraire « le Parnasse de la Jeune Belgique ». Ces poèmes avaient été popularisés en Allemagne dès  avec la publication à Berlin de l’adaptation allemande (plus que traduction) du poète Otto Erich Hartleben. À cette même époque en Allemagne, on comptait plusieurs adaptations musicales du Pierrot de Giraud-Hartleben plus ou moins contemporaines du Pierrot lunaire de Schoenberg, dont la plus intéressante reste celle de Max Kowalski : Zwölf Gedichte aus Pierrot lunaire, op.  (Berlin, ) 48. Évidemment, il s’agit de Lieder pour voix chantée, tout comme les mélodies de Vrieslander interprétées par Albertine Zehme dès . Cette même année, l’éditeur munichois Georg Müller fit publier à  exemplaires un volume contenant les cinquante poèmes de Hartleben adaptés de Giraud, avec en complément la publication inédite de quatre Lieder de Vrieslander sur les poèmes suivants : « Rot und weiss », « Spleen », « Landschaft », « Die Harfe » 49. Le volume contient encore deux textes introductifs de l’écrivain viennois Franz Blei ; le premier, à la mémoire de Hartleben, témoigne du degré de popularité et de prestige qu’avait acquis son recueil dans les années - ; le second consiste en une notice explicative sur l’adaptation de Vrieslander, où il est surtout question des rapports entre texte et musique. Conventionnels et raisonnablement post-romantiques, les Lieder de Vrieslander n’offrent quant à eux rien de bien particulier. Toutefois on comprend parfaitement le vœu de Zehme pour avoir une réalisation musicale et vocale plus originale que celle deVrieslander, et on voit en effet assez mal, au vu de leur traitement vocal (comme illustré par le début du Lied « Rot und weiss »), comment Zehme aurait pu laisser plus librement cours à son talent de diseuse (voir illustration 9.3). Dans ses Mémoires, Salka Viertel n’a pas épargné Schoenberg en le montrant surtout intéressé par la généreuse contribution financière proposée par l’actrice. Sur ce point précis la sœur de Steuermann pensait bien faire : en faisant de la motivation finan-


 

Pierrot Lunaire. Mit vier Musikstücken von Otto Vrieslander (1911), pp. xi-xii

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Ill. 9.3 O. Vrieslander, Pierrot lunaire, « Rot und weiss », in A.Giraud/O. E. Hartleben,

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cière le principal motif du compositeur, elle a du coup abaissé la part jouée par Zehme dans l’élaboration du Pierrot. Or on sait que Schoenberg fut d’emblée conquis par la traduction allemande des textes de Giraud qui lui avaient été montrés par Zehme dans le volume édité par Georg Müller, et qu’il avait immédiatement saisi leur potentiel musical ; tout comme il ne fait guère de doute non plus que les premières conversations qu’il eut avec Zehme, où cette dernière dut lui faire précisément part de ses propres conceptions déclamatoires, jouèrent un rôle moins que négligeable sur la genèse de l’œuvre. Il faut se garder d’expliquer le Pierrot comme une œuvre « sans précédent », ce vers quoi tendent les propos de Viertel, et ce en quoi elle est loin d’être isolée. Nul


ne songera à contester la place du Pierrot au sein du canon musical de la modernité, mais il ne faut pas non plus sous-estimer le contexte particulier dans lequel cette œuvre a vu le jour par le biais de son instigatrice, c’est-à-dire au sein d’une pratique théâtrale et déclamatoire alors vivace en Allemagne, et telle qu’elle était notamment représentée par les mélodrames de Max von Schillings. Rappelons que son célèbre Hexenlied, créé en  par Ernst von Possart, allait jouir jusque dans les années  d’une très grande popularité, grâce à Ludwig Wüllner. Lorsque Pierrot lunaire fut créé le  octobre , le terme de mélodrame évoquait en premier lieu pour beaucoup d’auditeurs le nom de Max von Schillings. Son Hexenlied restitue parfaitement ce que fut « l’air du temps » musical et théâtral des années  en Allemagne, et il est même à ce titre une œuvre bien plus emblématique de son époque pour ce qui est de la conception de la récitation mélodramatique, que ne le fut le Pierrot. Pourtant la Sprechstimme schoenbergienne n’est en rien surgie de nulle part : elle idéalise les caractéristiques de la déclamation théâtrale alors en vigueur. S’il ne subsiste aucun document sonore témoignant du style d’Albertine Zehme, les comptes rendus et critiques de l’époque indiquent que son art était à la croisée du naturalisme propre au cabaret et de l’art plus stylisé de récitants comme Possart et Wüllner, qui cependant partageaient avec Zehme le même répertoire des ballades mélodramatiques de Liszt et de Schumann. Possart et Wüllner évoluaient certes dans un répertoire théâtral plus élevé que le cabaret (mais n’oublions pas que Zehme avait commencé sa carrière comme actrice de théâtre à Leipzig dans le répertoire classique).Toutefois ils étaient eux aussi influencés par ce mode de déclamation emphatique, véritable Sprechgesang non pas avant la lettre, puisque déjà connu comme tel : rappelons le rôle de Possart dans la genèse des Königskinder et la connaissance qu’avait eue Ludwig Wüllner dès  du Sprechgesang de Humperdinck 50. Les enregistrements de Wüllner, réalisés dans les années  et , permettent de juger de ce style particulier, qui était également favorisé par les acteurs de la troupe de Max Reinhardt 51. Et sur les scènes d’opéra, l’art d’une Fritzi Massary, étoile emblématique de l’opérette viennoise, avait su tirer avantage d’une petite voix par une grande souplesse quasi parlando. Là aussi, ses enregistrements en sont des témoignages précieux 52.


? • PIERROT LUNAIRE

Le Pierrot lunaire ne pouvait s’inscrire dans un paysage plus favorable à son avènement, précisément parce que le Sprechgesang schoenbergien (terme plus tardif que Sprechstimme, et qui s’applique à toute forme de déclamation entre parlé et chanté) existait déjà bien avant le Pierrot. Les propos de Steuermann, qui encore en  prétendait que Schoenberg ne savait rien des mélodrames de Humperdinck ou de Max von Schillings, peuvent aisément être démontés, car plus personne aujourd’hui ne songera à contester que Schoenberg était activement impliqué dans la vie musicale de son temps (et pas uniquement celle de

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« L’INSTRUMENT DE MON ÂME » : LE MÉLODRAME SELON ALBERTINE ZEHME

 

La carrière d’Albertine Zehme se situe précisément entre celles d’Ernst von Possart et de Wüllner, qui mena de front dès les années  une carrière de chanteur, acteur et récitant (rappelons qu’il se concentra sur cette dernière activité à partir de , soit une année après la création du Pierrot Lunaire). Bien que développée dans un milieu autre que celui de Wüllner, l’activité d’Albertine Zehme s’inscrivait elle aussi dans cette tradition de la déclamation théâtrale, telle qu’elle se pratiquait dans les cercles littéraires et le cabaret. L’un des foyers principaux de cette mouvance était le cabaret berlinois Überbrettl du baron Ernst vonWolzogen, qui avait attiré dans son orbe des poètes comme Richard Dehmel, Franz Wedekind, ou encore Otto Erich Hartleben, et Schoenberg n’était absolument pas étranger à cet univers puisqu’il avait été entre  et  le directeur musical du Überbrettl, où sa tâche consistait essentiellement à composer des chansons et à réaliser des arrangements. Certaines de ses compositions ont d’ailleurs survécu, comme les sept Brettl-Lieder () 53. Certes l’expérience du Überbrettl fut brève, et Schoenberg porta par la suite un regard rétrospectif méprisant pour ce qu’il devait considérer comme une activité purement alimentaire (l’antisémitisme de Wolzogen a pu être un motif suffisant de rancœur). Cependant cet épisode, qui eut lieu à un moment où la carrière musicale de Schoenberg était marquée par l’esprit de recherche caractéristique de sa période atonale,a laissé une empreinte indéniable sur le cycle du Pierrot lunaire. Au-delà de sa spécificité musicale, l’œuvre a gardé l’empreinte de l’esprit frondeur et de la poétique provocatrice du cabaret des années .


l’avant-garde), qu’il ne dédaignait pas les amusements de la Salonmusik et qu’il avait tout de même fréquenté l’univers du cabaret allemand. Pour ce qui est du mélodrame, tel que pratiqué dans les années , Schoenberg n’était pas non plus sans ignorer les activités d’Ernst von Possart, dont le nom avait été mentionné à l’occasion des préparatifs de la première des GurreLieder 54. Cela dit, Schoenberg était bien conscient des préjugés qui entachaient le mélodrame : sa correspondance avec Zehme montre que la question du genre auquel devait appartenir le Pierrot avait été plus d’une fois soulevée. Pour la diseuse, le Pierrot devait tout naturellement être un cycle de « mélodrames », mais sans doute pas tant pour Schoenberg.Tout porte à croire qu’il craignait que ce mot charrie trop de connotations négatives, ou fût trop axé sur l’univers du cabaret 55. Ces questions relatives au genre du Pierrot durent même occasionner quelques tensions entre Zehme et Schoenberg. C’est d’ailleurs par l’intermédiaire de l’impresario du compositeur, Emil Gutmann, que Zehme fit transmettre ses vues sur ce que devait être le Pierrot : J’ai aujourd’hui reçu un mot de Frau Dr Zehme, laquelle demande à ce que l’on considère les souhaits suivants : […] si l’ouvrage ne doit pas être désigné comme « Mélodrame », elle demande dans ce cas à ce qu’il soit nommé « Musique pour des mots parlés » ou « Lieder parlés ». Elle motive tout cela dans une longue explication, laquelle culmine dans le fait qu’elle n’est pas une machine à parler [Sprechmaschine] mais une interprète musicalement éduquée 56.

L’expression « machine à parler » utilisée par Zehme traduit sans doute l’énervement et les frustrations de la diseuse n’ayant pas réussi à faire comprendre à son compositeur la vraie nature de son art. Cela pourrait également indiquer que dans les discussions préliminaires qu’elle eut avec Schoenberg, il fut d’abord question du Sprechen, du « parler », ce qu’on retrouve d’ailleurs dans ses propositions de genre alternatives au « mélodrame » : « musique pour des mots parlés » ou « Lieder parlés ».Vaincu par tant de bon sens ou plus probablement désireux de ne pas entrer dans la querelle, Schoenberg conserva néanmoins le terme de « Melodramen » pour qualifier le cycle du Pierrot. Les comptes rendus rédigés dans le sillage des premières exécutions du Pierrot témoignent eux aussi de la mauvaise réputation qu’avait alors le genre du mélodrame. Certains proposent d’intéressantes collisions terminologiques par les confusions qu’elles


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA FIN DU MÉLODRAME

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génèrent : le Pierrot y est notamment décrit comme un « arrangement mélodramatique » (« melodramatische Bearbeitung ») des « Lieder » de Giraud 57, un « Melodram » sur des « Lieder » de Giraud 58, ou encore des « deklamierte Melodramen 59 ». Encore plus révélateurs sont les commentaires comparant les vertus mélodramatiques du Pierrot avec le mélodrame en général, ou pour le moins tel qu’il était alors perçu en . Élogieux ou non, ceuxci laissent cependant entendre que le mélodrame était alors considéré comme une expérience dépassée, ou pour le moins problématique pour ce qui est du mariage entre parole et musique. Est-ce nécessaire, rappelle un chroniqueur, de « répéter ce qui a déjà si souvent été dit sur la justification de cette forme artistique 60 ? » Farouchement opposé à tout ce qui provenait de l’École deVienne, Julius Korngold, le critique conservateur de la Neue Freie Presse de Vienne, ne vit dans le Pierrot que la forme usée du mélodrame, tout au plus grossièrement déguisée sous les nouveaux et dissonants atours de la musique de Schoenberg (« une conception artistique faite de bruits étranges »). Pour le reste, « la vieille rengaine du mélodrame n’a plus à être entonnée à nouveau 61. » Si la Sprechstimme du Pierrot doit beaucoup au style de déclamation mélodramatique pratiqué par Zehme et par d’autres, elle révèle aussi à quel point ces pratiques étaient alors répandues : c’était là le style d’une époque, et le succès du Hexenlied de Schillings en est un signe difficilement réfutable. La Sprechstimme a trouvé ses origines dans un terrain déjà favorable à ce type de déclamation ; mais il est tout aussi indéniable qu’elle en a tiré les conséquences bien au-delà de ce qu’étaient les pratiques mélodramatiques de l’époque. Cela explique pourquoi Albertine Zehme ne fut jamais l’interprète idéale du Pierrot, et ce en dépit de toute la motivation et l’acharnement dont elle fit preuve pour défendre l’œuvre. Les circonstances relatives à la création du Pierrot nous montrent que la diseuse n’eut pas la tâche facile, et sur ce point on peut tout de même faire confiance au récit de Salka Viertel, corroboré par d’autres sources. Cependant Zehme n’était pas tant « nicht sehr musikalisch » (pas très musicienne) que déroutée par une partition d’un genre totalement nouveau pour elle, qu’il avait fallu répéter sous la direction d’un Schoenberg lui-même pas tout à fait sûr de ce que sa Sprechstimme devait être.


Ill. 9.4 Les créateurs du Pierrot lunaire : Karl Essberger, Jakob Maliniak, Arnold

Schoenberg, Albertine Zehme, Eduard Steuermann, Hans Kindler, Hans W. De Vries ; photo prise après la création mondiale de l’œuvre au Choralion Saal de Berlin (16 octobre 1912)

Les très nombreuses études sur le Pierrot ont le plus souvent tenté de cerner la Sprechstimme depuis la seule perspective de Schoenberg, minimisant le rôle d’Albertine Zehme, et plus encore la tradition de déclamation mélodramatique dont elle était l’une des représentantes majeures 62. Or c’était précisément l’outil sonore et vocal de Zehme qui servit de matériau premier à Schoenberg, et cela même si la Sprechstimme acquit en définitive des caractéristiques proprement schoenbergiennes, s’éloignant radicalement de ce que la diseuse avait d’abord souhaité. Des divergences inévitables durent surgir assez rapidement autour de la conception de la Sprechstimme de Schoenberg et du style déclamatoire de Zehme. On en trouve quelques échos en lisant entre les lignes de la correspondance de Schoenberg et d’autres documents relatifs aux répétitions du Pierrot en vue de sa création le  octobre  (l’œuvre avait déjà été donnée le soir du  pour la critique. Voir illustration 9.4). Dans une lettre à Schoenberg du  janvier  (au lendemain qu’il fut informé de sa commande par le biais de son impresario Emil Gutmann),Albertine Zehme écrivit à Schoenberg pour lui expliquer son art de diseuse : J’ai construit mon propre style de récitation sur mes moyens, qui sont mes possibilités vocales et expressives, et j’aimerais volontiers vous introduire à l’instrument de mon âme [seelisches Instrument] pour lequel vous voulez bien donner de votre talent 63.


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA FIN DU MÉLODRAME

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L’expression « seelisches Instrument » révèle déjà un peu de la posture artistique de Zehme, qu’elle eut l’occasion de développer dans deux écrits mettant en lumière une conception de la voix et de la déclamation allant radicalement à l’encontre de la Sprechstimme. Le premier texte, intitulé Warum ich diese Lieder sprechen muss [Pourquoi je dois dire ces Lieder], fut imprimé dans le programme de sa série de récitals de  sur les poèmes du Pierrot lunaire mis en musique par Otto Vrieslander. Il n’a été retrouvé qu’en  et publié pour la première fois la même année dans l’appareil critique du Pierrot lunaire de l’édition des Œuvres complètes de Schoenberg établie par Reinhold Brinkmann. Le second écrit est une méthode de technique vocale, publiée en , Die Grundlagen künstlerischen Sprechens und Singens mit völliger Entlastung des Kehlkopfes für den Selbstunterricht [ Les fondements du parler et du chant artistique par le relâchement complet de la glotte, pour l’enseignement autodidacte]. Ce dernier écrit n’offre rien de très révolutionnaire, ce qui peutêtre explique qu’il n’a été que mentionné furtivement dans les études consacrées au Pierrot. Comme bon nombre d’autres écrits de cette époque, ce texte favorise une approche globale du chanté et du parlé : « Je propose d’emblée que le parlé et le chanté soient un.Tout ce qui peut être dit pour l’épanouissement du matériel vocal est valable pour les deux 64. » L’ouvrage est dédié à la mémoire de King Clark, un professeur de chant qui fut le maître à penser d’Albertine Zehme, et selon elle auteur d’une « méthode vocale libératrice » (stimmbefreien Methode). De nationalité américaine, King Clark avait succédé à Julius Kniese à Bayreuth au poste de répétiteur de chant, où il avait rencontré Albertine Zehme. Il s’était ensuite établi à Berlin où il enseigna jusqu’à sa mort en . En réalité la méthode de Clark n’est pas si nouvelle que ne veut nous le faire croire sa disciple.Tout au plus met-elle l’accent sur la caractéristique sonore propre à la langue allemande, riche en consonnes. Caractéristique qui est aussi son principal défaut, et pour laquelle Zehme utilise l’expression de « culte de la consonance » (Konsonantenkult), qui selon elle fut injustement favorisé par la pratique du chant wagnérien (qu’elle-même connaissait bien) : « La langue allemande riche en consonnes, [a véhiculé] l’idée erronée qu’une consonne perçante, dure, explosive, permet la compréhension de la langue et du texte […] Cette corruption de


la langue, par un mauvais traitement de la consonne, doit être attribuée à un malentendu de l’art du chant de Bayreuth 65. » La méthode de Zehme s’est donnée pour but d’extirper le mal fondé technique de ce souci d’intelligibilité qu’ont imposé le chant wagnérien et les propos de Wagner : « Wagner lui-même a donné des indications pour le traitement vocal de ses textes dans ses observations sur Parsifal : “Avant tout il faut s’en tenir à la plus grande compréhension du texte. Les plus petites parties des mots doivent être immédiatement compréhensibles […] 66.” » Telle que restituée par Zehme, la méthode de Clark se veut surtout être une forme d’italianisation technique appliquée au chant allemand. Bien que séparés par neuf années et conçus dans des buts différents, les deux textes de Zehme sont mus par des préoccupations identiques. Sous de maladroites implications pseudo philosophiques, leurs propos restent profondément révélateurs d’une manière de concevoir chant et parole comme les deux facettes d’un seul et même art, celui du mélodrame, pour le moins tel que ce terme était compris par Zehme. En dépit d’un ton général pour le moins assez irritant dans son exaltation naïve, le court texte de  montre à quel point il importe de replacer dans son contexte l’« innovation » de Schoenberg pour ce qui est de la Sprechstimme. Le raisonnement d’Albertine Zehme s’inscrit dans une conception d’un langage idéal, ici symbolisé à travers sa plus simple et naturelle expression qui est le cri du nouveau-né. Ce langage-cri originel est reconnu comme un don essentiel et inné : « Dès que l’enfant souffle dans ses poumons pour son premier cri, afin d’expulser l’air, et qu’il a désormais à vivre sa vie, ainsi de même commence-t-il sa première expérience sonore 67 ! » On reconnaît là un lieu commun véhiculé depuis le Siècle des Lumières, et sur ce point Zehme est dans le sillage d’idées linguistiques développées depuis le Traité de l’origine du langage (Abhandlung über den Ursprung der Sprache) de Johann Gottfried Herder (publié en ), où le philosophe a opéré une synthèse entre ses propres vues sur l’origine du langage et celles essentiellement développées en France depuis Condillac dans son Essai sur l’origine des connaissances humaines de . L’idée directrice de Zehme est qu’il existe une langue originelle ou première, définie par son accent, et qui est plus un cri ou un accent modulé qu’une parole articulée. Cette langue encore non-


langue est conçue comme étant perfectible, puisque destinée à se développer progressivement jusqu’à devenir parole articulée. Mais ce cri originel porte en lui les germes de sa décadence : en effet plus la langue se fera précise, plus elle perdra de son accent, qui est sa substance sonore originelle et qui en fait toute sa musicalité.Ainsi la mère comprend-elle sans le secours de signes arbitraires ce que son enfant dit, par les seuls accents de sa voix :

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C’est en grandissant, poursuit Zehme, que l’enfant développe l’échelle de ses sons : « La tête prend au cours des années le pas sur l’oreille, et ce jusqu’à ce qu’elle l’emporte. Il est plus confortable de s’en tenir au mot […] Tout le monde connaît le chant de louange que Faust chante au “mot 69” ». L’idée que la précision du langage s’acquiert au détriment de la qualité expressive, que l’intellect prend le pas sur l’oreille pour ce qui est de l’organisation du langage, repose sur le principe selon lequel le langage originel, représentant la chose même sans l’intermédiaire d’aucun signe arbitraire, s’abâtardit avec le progrès – vieille chimère rousseauiste. Certes le progrès rend le langage plus précis (« il est plus confortable de s’en tenir au mot »), mais il lui ôte sa qualité expressive et dénature son accent naturel ; il fait du langage un réseau de signes arbitraires ne renvoyant à l’objet désigné que par un système de connotations. Schoenberg avait-il eu connaissance de ce texte, publié en  ? En tout cas, il ne pouvait ignorer les grandes lignes de la conception mélodramatique de Zehme, pour avoir été dès février  en contact fréquent avec elle durant la composition puis les répétitions du Pierrot. Les propos de Zehme sont plus proches d’une conception de la poésie sonore ou bruitiste que de cette forme extrêmement instrumentalisée de déclamation qu’est la Sprechstimme. C’est à un au-delà des mots, et plus précisément à un au-delà de leur sens arbitraire que tend Zehme, de manière à retrouver leur qualité sonore originelle, telle qu’elle peut se percevoir dans le cri du nouveau-né : « Je veux reconquérir la place

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[La mère] reconnaît au son de la voix [de son enfant] ce qu’il exige. Elle met son oreille à la portée de sa langue de sons, qui pourtant semble si différente de la langue [parlée], avec laquelle elle se conduit dans le monde. Dans la vie quotidienne l’oreille n’est pas l’intermédiaire, car nous nous sommes habitués à tirer du sens du mot ce que nous voulons savoir et ce que nous souhaitons communiquer 68.


que l’oreille a dans la vie. Les mots que nous parlons, ne doivent pas être uniquement interprétés comme des concepts, mais ils doivent également nous permettre en tant que sons d’avoir part à notre expérience intérieure 70. » Le prix à payer pour retrouver cet au-delà est celui d’une absolue liberté sonore : « Aucune des mille oscillations pour l’expression des sentiments ne doit être interdite. Je n’exige pas la liberté de pensée, mais la liberté sonore 71 ! » Ce qui va très précisément à l’encontre de ce que Schoenberg allait ériger en principe une année plus tard dans le Vorwort de son Pierrot. Certains détails donnés dans la correspondance Zehme-Schoenberg et relatifs aux premières répétitions du Pierrot montrent que la diseuse avait à affronter un type de déclamation bien nouveau pour elle. Dans une lettre de Zehme datée du  mai , il apparaît que la fidélité au rythme et même aux hauteurs était l’un des vœux les plus marqués du compositeur : « Nous nous en tenons strictement au rythme et aux hauteurs [Tonlage], ainsi qu’au mouvement à l’intérieur des phrases. » De même pour les hauteurs, ou en tout cas pour ce qui est de la manière de faire ressortir la voix dans l’aigu : « J’espère que je pourrai bien réaliser les passages un peu aigus 72. » LA SPRECHSTIMME, OU LE MÉLODRAME SELON SCHOENBERG

On doit toujours trouver un nom pour nommer ce qui est nouveau : or à cette époque, Schoenberg ne semblait pas avoir forgé le terme de Sprechstimme pour désigner la récitation du Pierrot. L’expression n’apparut pour la première fois que dans le manuscrit définitif du Pierrot, établi de mars  à janvier , et sur lequel se fonde le premier tirage de la partition publiée par Universal en juillet de cette même année. La première occurrence est donnée dans la page de titre : « Dreimal sieben Gedichte […] für eine Sprechstimme », la seconde dans le Vorwort. Mais comme la page de titre et le Vorwort font partie des dernières pages à avoir été ajoutées au manuscrit, l’expression Sprechstimme a pu être forgée sur le tard. Ce manuscrit, tout comme la version publiée par Universal, montre que pour le reste Schoenberg s’en est tenu au mot « Recitation » (ainsi orthographiée, et non « Rezitation »). La partie récitante du Pierrot a été expressément conçue pour une voix non chantante. Mais c’est à partir de cette première constatation – qui musicalement est aussi une sorte de limitation – que


• PIERROT LUNAIRE

II. La différence entre la note chantée [Gesangston] et la note parlée [Sprechton] soit bien marquée : la note chantée maintient la

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I. Le rythme soit strictement respecté, comme si on le chantait, et non avec plus de liberté que lorsqu’on chante une mélodie.

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PRÉFACE La mélodie donnée dans la partie vocale [Sprechstimme] par des notes (à l’exception de quelques endroits) ne doit pas être chantée. L’exécutant a le devoir de transformer de manière raisonnable ces hauteurs convenues en une mélodie parlée [Sprechmelodie]. Cela se produit, à condition que

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surgissent les difficultés concernant son exécution. Tenter de l’expliquer comme une continuation de ce qui avait été exploré précédemment dans le mélodrame des Gurre-Lieder serait faire fausse route : on le sait, la récitation du Pierrot ne s’apparente pas à celle des Gurre-Lieder, et Schoenberg eût désapprouvé que l’on considérât la partie récitante de ses Gurre-Lieder comme un précédent de son Pierrot. Quant à la partie déclamée des GurreLieder, elle est attribuée à un Sprecher (récitant), sans qu’aucun autre terme générique n’ait été appliqué à cette récitation. Enfin le recours à la technique mélodramatique dans les Gurre-Lieder est avant tout justifié par une utilisation symbolique : l’exaltation poétique progressive de la narration fait passer la voix du récitant de la parole au chant, gradation vocale soutenue par le crescendo orchestral et par l’arrivée du chœur à l’apogée de ce climax. Dans les Gurre-Lieder, le mélodrame est la réalisation même de ce moment de transition entre parole et chant. Rien de tel dans le Pierrot, dont le type de vocalité qu’il propose est déjà bien au-delà de ce moment critique propre au mélodrame des Gurre-Lieder. Dans l’absolu, le compositeur ne propose pas dans le Pierrot un état aussi transitoire de la voix ; la réalité musicale s’avère moins tranchée. Ces vingt-et-un mélodrames se cantonnent certes dans un type de récitation particulier, mais les nuances dans la manière de la réaliser, telles qu’indiquées par la partition, montrent que cette récitation n’a rien d’uniforme. C’est précisément sur ce point que se concentre toute la difficulté d’exécution de la partie vocale, et les propres explications du compositeur n’ont fait qu’ajouter à la confusion. Comme l’a expliqué Schoenberg dans la notice explicative du Vorwort, la Sprechstimme du Pierrot est avant tout affaire de technique vocale :


hauteur de manière fixe, tandis que la note parlée, si elle la donne, la quitte en descendant ou en montant immédiatement. L’exécutant doit néanmoins éviter de tomber dans une manière de parler « chantante ». Cela n’est absolument pas recommandé. Il ne s’agit en aucun cas de réaliser un parlé réaliste-naturel. Au contraire il faut bien marquer la différence entre le parlé habituel et une forme de parlé qui agit au sein d’une formule musicale. Mais cela ne doit pas non plus ressembler à du chant. III. Par ailleurs il faudrait ajouter cela concernant l’exécution : jamais les exécutants n’ont le devoir de modeler l’atmosphère et le caractère de chacune des pièces en se référant au sens des mots ; ils doivent s’en tenir uniquement à la musique. Si pour l’auteur la peinture musicale des événements et des sentiments est importante, celle-ci se trouve uniquement dans la musique. Là où l’exécutant ne les relève pas, il doit renoncer à donner quelque chose que l’auteur n’a pas voulu. Il ne devra ici pas donner, mais prendre.

Concentrée sur la Sprechstimme, la première partie de ce texte (paragraphes I et II) a déjà été plus qu’amplement commentée par les exégètes du Pierrot 73 – au contraire de son troisième et dernier paragraphe, sur lequel je reviendrai 74. Le premier paragraphe du Vorwort pose la donnée du problème. D’une part il stipule que la mélodie donnée dans la Sprechstimme ne doit pas être chantée, sauf pour quelques endroits ; d’autre part, c’est à l’exécutant de « transformer de manière raisonnable [sic] les hauteurs » de la Sprechstimme, de manière à en faire une mélodie parlée. Il ne s’agit donc pas de chant, mais de « mélodie parlée », ce qui a priori n’est pas la même chose. La différenciation entre « chant » et « mélodie parlée » est d’autant plus floue que le conseil de Schoenberg est des plus vagues. Pour ne rien dire de cet éloquent « raisonnable » qui dit à la fois tout et surtout rien. Reste à considérer le mode d’émission, qui permet de déterminer la différence entre « chant » et « mélodie parlée ». S’il faut chercher une définition de la Sprechstimme, c’est sans doute ici qu’il faut la trouver : « La note chantée maintient la hauteur de manière fixe, tandis que la note parlée, si elle la donne, la quitte en descendant ou en montant immédiatement. » La Sprechstimme ne serait-elle donc qu’une simple affaire de soutien ? Déjà dans ses « Notes sur le Sprechgesang », Boulez avait en toute logique récusé cette explication, puisque la voix parlée quitte nécessairement « le son à cause de la brièveté de


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA FIN DU MÉLODRAME

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l’émission ; […] d’où l’impossibilité totale du son parlé proprement dit sur une durée longue 75. » Quelle que soit la réponse, la pratique s’avère infiniment plus retorse que la théorie. Comment contrôler ce soutien et surtout le relâcher – ce relâchement étant la caractéristique du Sprechton –, et ce dans le débit rapide du Pierrot ? Cela explique pourquoi dès les années suivantes, Schoenberg tenta d’assouplir les règles de la Sprechstimme. Il fut en cela principalement motivé par l’échec indéniable que furent l’interprétation de Zehme et l’incapacité de celle-ci à rendre justice à cette Sprechstimme. Mais qui l’aurait pu ? À ce sujet, les comptes rendus de presse rassemblés par Brinkmann sont éloquents. On ne connaît de Schoenberg qu’un seul jugement où il évoque directement l’interprétation du Pierrot par Zehme, dans une lettre à Franz Schreker datée du  novembre , alors que ce dernier préparait l’exécution en concert des Gurre-Lieder (qui eut lieu le  mars  à Vienne avec Anna Bahr-Mildenburg en récitante) : Schoenberg recommande à Schreker d’engager Zehme pour les Gurre-Lieder, car « elle y est bien meilleure que dans le Pierrot. Elle le fait tout différemment. Sans affectation, très calmement. Mais avant tout : toujours en mesure 76. » Financée par Felix Zehme, la première exécution allemande des Gurre-Lieder avait eu lieu à Leipzig le  mars de cette même année sous la direction de Schoenberg, avec Albertine Zehme comme récitante. Deux autres lettres de novembre  adressées à Schoenberg sont encore plus critiques envers l’interprétation du Pierrot par Zehme. La première fut envoyée après le  novembre  par Hermann Scherchen, qui venait de diriger le Pierrot avec Zehme à Munich : « Que la performance de Frau Dr. Zehme n’est pas bonne, nous l’avons tous constaté du premier coup. […] Steuermann m’a donné le plus amicalement ce conseil, que durant l’exécution je ne devais pas tant me soucier [des instrumentistes] que de Frau Dr. Zehme 77. » La seconde lettre, datée du  novembre, est d’Arthur Bodansky (qui avait assisté au concert du  novembre à Stuttgart) et va dans le même sens : « Peut-être était-ce à cause de la récitante, dont l’amour dévoué et l’enthousiasme pour cette œuvre est certes évident, mais qui ne fut pas en état de résoudre définitivement un problème aussi difficile [de la déclamation]. Par ailleurs il lui manquait la technique et peutêtre aussi le talent 78. »


Encore en , Schoenberg se montrait intraitable sur le respect des hauteurs dans le Pierrot, à la différence de celles du mélodrame des Gurre-Lieder, comme il le fit savoir à Alban Berg : Pour ce qui est du mélodrame dans les Gurre-Lieder : ici la notation des hauteurs ne doit en aucun cas être prise aussi sérieusement que dans les mélodrames du Pierrot. En aucun cas une sorte de mélodie parlée chantée [gesangsartige Sprechmelodie] ne doit en résulter, comme [dans les Gurre-Lieder]. Le rythme et l’intensité du son doivent rester constamment perceptibles (selon l’accompagnement). Aux quelques endroits où elle [la récitation] se comporte de manière presque mélodique, on pourrait un peu (!!) parler de manière musicale. Les hauteurs doivent être uniquement prises comme des « différences de niveau » ; c’est-à-dire qu’aux endroits concernés (!!! non pas la note seule) il faut parler respectivement plus haut, plus bas. Mais pas les proportions d’intervalles 79 !

Quelques années plus tard, l’idée de relativité des hauteurs, qui n’était valable que pour les Gurre-Lieder, le deviendra aussi pour le Pierrot. Dans une lettre du  juillet  à son ancien assistant Josef Rufer, Schoenberg précise que les hauteurs du Pierrot se conforment à l’étendue de la voix. Il est « bien » d’en tenir compte mais il ne faut pas s’y tenir « strictement ». On peut diviser l’étendue de la voix en autant de parties qu’on veut, pouvant être utilisées comme demi-tons ; peut-être même que chaque intervalle n’est qu’un / de ton. Il ne faut pas exécuter cela de manière trop pointilleuse, car les hauteurs n’engagent pas de relations harmoniques. L’étendue de la voix parlée ne suffit naturellement pas. La dame doit même apprendre à parler en voix de tête ; ce que chaque voix possède. Engagez donc plutôt [pour le Pierrot] Madame Wagner [Erika Wagner-Stiedry] ou la Gutheil [Marie Gutheil-Schoder], qui l’a étudié avec Kolisch. Le plus important est d’atteindre à la « mélodie parlée » 80.

On appréciera au passage le paradoxe qui surgit dès la deuxième phrase : d’une part il est une bonne chose de tenir compte des hauteurs de la Sprechstimme ; d’autre part il ne faut pas s’y fier trop strictement. L’idée de relativité de la Sprechstimme allait être défendue dans un article d’Erwin Stein publié en  dans les Musikblätter des Anbruch (et sans doute directement inspiré par la réponse de Schoenberg à Rufer) : La mélodie parlée [du Pierrot] est bien notée en hauteurs absolues, mais elles ne sont comprises que de manière relative. Le son


initial [Anfangston] est tellement bref, qu’il n’est pas pris en considération en tant que valeur harmonique. C’est pour cela que le récitant est autorisé à transposer sa partie non seulement sans égard envers l’accompagnement, mais encore peut-il diminuer les intervalles particuliers selon sa propre tessiture. Seules les proportions de la ligne mélodique sont essentielles. C’est ainsi que la Sprechstimme est devenue un instrument. En tant que nouveau moyen permettant de lier le mot et la musique, elle a pris place à côté du chant 81.

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Si le Pierrot fut d’abord conçu en tenant compte des « possibilités vocales et expressives » de Zehme, comme celle-ci l’avait d’ailleurs spécifié dès sa première lettre à Schoenberg en date du  janvier  85, le compositeur alla très rapidement au-delà

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA FIN DU MÉLODRAME

INSTRUMENTALISER LA VOIX

 

Si la notation est en valeur absolue pour ce qui est des hauteurs, elle ne doit indiquer que les valeurs relatives, puisque seules les proportions intervalliques de la ligne mélodique sont importantes, et la récitante peut à loisir transposer, augmenter ou diminuer l’ambitus de ces intervalles. Se pose donc la même question, qui concerne le respect ou non des hauteurs, et qui sera toujours au cœur du problème pour ce qui est de la réalisation de la Sprechstimme. Soit dit en passant, on a souvent essayé de chercher des circonstances atténuantes aux explications pour le moins confuses de ce Vorwort en justifiant ses contradictions pourtant évidentes, alors qu’il eût peut-être mieux fallu dire d’emblée qu’en  Schoenberg était encore prisonnier d’une vue de l’esprit pour cette Sprechstimme. Pierre Boulez fut sans doute le premier à critiquer sans ambages les explications de Schoenberg, dans un texte de , « Notes sur le Sprechgesang » 82 publié comme notice de la pochette de son enregistrement  t du Pierrot avec la soprano Helga Pilarczyk : Boulez y fustige le manque de clarté des explications de Schoenberg, et constate que « la divination de ces oracles par des disciples abusifs, loin d’apporter la lumière, n’a créé qu’une confusion inextricable de “traditions” prétendument héritées du Maître 83. » Et Boulez, qui en  ne s’embarrassait guère de nostalgie, de trouver par ailleurs l’enregistrement de Schoenberg avec son interprète préférée, Erika Wagner-Stiedry (), « terriblement démodé » avec son style de déclamation « point éloigné de Sarah Bernhardt 84 ».


des espérances de la diseuse, si ce n’est de ses possibilités. La récitation du Pierrot, rigoureusement domestiquée par une notation ad hoc, est avant tout une voix instrumentalisée. On conçoit dès lors les difficultés qu’eut Albertine Zehme pour réaliser cette Sprechstimme, qui ne pouvait en aucun cas s’accommoder avec la « liberté sonore » (Tonfreiheit) revendiquée en . Qui plus est dans ce même texte, Zehme rappelle qu’il est tout à fait « cruel de soumettre la voix chantée [Singstimme] à un tel “asservissement” ». La voix chantée ainsi brimée ne peut s’exprimer qu’en « s’effilochant, se brisant 86 ». Zehme condamne d’avance les règles de Schoenberg qui visent à brider la déclamation par le maintien d’une notation diastématique traditionnelle. C’est précisément dans la notation de la Sprechstimme que se concentre le nœud du problème : ce sujet a été déjà traité de manière approfondie par Ulrich Krämer dans son article « Zur Notation der Sprechstimme bei Schönberg » (), aussi n’en donnerai-je ici qu’un bref aperçu. Élaboré entre mars  et janvier , l’autographe du Pierrot lunaire montre que Schoenberg avait repris la notation utilisée dans le mélodrame des Gurre-Lieder, c’est-à-dire la « notation Humperdinck ».Toutefois celle-ci pose un problème pour les valeurs plus longues que la noire, comme la blanche et la ronde. Schoenberg avait rencontré ce problème dans le cas du mélodrame des Gurre-Lieder, où l’on trouve trois blanches : celles-ci sont écrites dans la notation traditionnelle, avec une croix X ajoutée au-dessus de la tête de chaque blanche. Dans le manuscrit du Pierrot lunaire, la valeur de blanche est exprimée par une double croix XX remplaçant la tête de la note. Ce n’est que dans la première édition imprimée du Pierrot, en grande partition, publiée par Universal Edition en juillet , qu’apparut la notation définitive de la Sprechstimme, c’est-à-dire avec les croix sur les hampes. Cette nouvelle notation avait cependant été déjà utilisée par Schoenberg dans les esquisses de Die glückliche Hand composée de  à . Une lettre de Schoenberg à Emil Hertzka, datée du  décembre , fait état de la notation typographique à adopter pour l’impression du Pierrot, et Schoenberg de citer comme possible exemple à suivre la notation adoptée dans Die glückliche Hand. Cette dernière notation, qui évite une graphie spéciale pour les valeurs de blanche et de ronde, et qui possède l’avantage de maintenir une convention


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA FIN DU MÉLODRAME

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uniforme (la croix sur la hampe), s’avère être un bien meilleur choix que la notation Humperdinck. Mais il se peut que de simples problèmes de composition typographique aient finalement décidé de cette graphie. D’ailleurs Schoenberg n’insiste pas tant sur le type de notation à adopter, c’est-à-dire croix pour la tête de note ou croix sur la hampe, que sur le respect des hauteurs : « Le graveur doit cependant placer précisément sur la portée les signes de notes selon leurs hauteurs désignées 87 !! » Quelles que furent les raisons qui amenèrent Schoenberg à abandonner la notation Humperdinck, les préoccupations du compositeur démontrent qu’à travers ses nombreux revirements typographiques, la valeur diastématique restait essentielle pour l’intelligibilité de la partie vocale. La typographie de la Sprechstimme, en restituant à la note sa tête habituelle, eût bien pu être pour Schoenberg une manière visuelle de montrer que la hauteur restait investie d’une importance certaine qu’il avait jugée peut-être atténuée dans la notation Humperdinck – et cela même si Schoenberg continua à utiliser ce type de notation bien après la publication de la partition du Pierrot, quoiqu’uniquement dans ses manuscrits de travail. Reste que dans ces derniers cas, la notation Humperdinck a pu être justifiée par le fait d’être tout simplement plus rapide dans l’écriture cursive 88. Remplacer la tête de note par une croix, comme dans la notation Humperdinck, ou garder la tête de note habituelle avec la croix déplacée sur la hampe, sont des concessions surtout cosmétiques apportées à la notation traditionnelle et qui révèlent crûment toute l’ambiguïté de ce chant qui ne veut pas se donner comme tel : dans les deux cas la détermination des hauteurs est maintenue. C’est ainsi que pour Boulez, le Vorwort du Pierrot témoigne (pour le moins dans son texte de ) d’« une erreur d’analyse […] quant aux rapports de la voix parlée et de la voix chantée 89 » : la voix peut être chantée ou parlée, mais certainement pas les deux. Dans son enregistrement réalisé en  avec la mezzosoprano Yvonne Minton, Pierre Boulez ira au bout de son raisonnement en donnant du Pierrot une version strictement chantée. On a pu objecter que cette version allait à l’encontre de la pratique d’exécution propre à cette œuvre, telle qu’elle s’était forgée depuis sa création en , mais il faut reconnaître qu’elle a eu le mérite de mettre en lumière le monde qu’il y a entre le texte musical tel que le restitue la partition seule, sous sa forme


notée qui a également valeur de forme « idéalisée », et le texte musical restitué par l’exécution 90. Tout dans la partition du Pierrot tend à l’instrumentalisation de la Sprechstimme, et donc à sa musicalisation. C’est d’ailleurs l’aspect qui a été le plus largement débattu dans les études consacrées au Sprechgesang schoenbergien 91. Certains l’avaient perçu dès , comme Ferruccio Busoni, qui avait comparé cette « déclamation rythmique et musicalement modulée » à un « nouvel instrument, plein de charme et d’expression 92 ». D’autres y ont entendu une récitation « instrumentale » car « ignorant toutes les lois de la déclamation », et « visant uniquement à des effets rythmiques et sonores 93 ». La Sprechstimme peut même se faire voix accompagnant celle des instruments : dans le mélodrame n°  « Eine blasse Wäscherin », Schoenberg a indiqué que la récitation « est la voix secondaire [Nebenstimme], la voix principale [Hauptstimme] étant celle des instruments. » L’instrumentalisation de la Sprechstimme est également perceptible à travers les nombreuses indications l’affectant tout au long des vingt-et-un mélodrames – indications qui trahissent un désir constant d’aller à l’encontre de la rigidité de la notation diastématique. Plusieurs types d’inflexion vocale sont requis, pouvant tous être inscrits entre les deux « modes de jeu » extrêmes (pour rester dans le vocabulaire instrumental) que sont « gesungen » (chanté) et « gesprochen » (parlé), d’ailleurs souvent placés côte à côte. Si l’on veut rendre cette différentiation effective, il faut donc bien se résoudre à chanter, puis à parler : deux manières de

Exemple 9.5 A. Schoenberg, Pierrot lunaire, n° 1 « Mondestrunken », mes. 10-11


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA FIN DU MÉLODRAME

restituer le texte que cependant prohibe le Vorwort, excepté à certains endroits expressément désignés. Dans le n°  « Mondestrunken », la transgression momentanée de cette interdiction de chanter est même visuellement autorisée par l’abandon des croix sur les tiges des deux notes de « stil-len » (voir exemple 9.5). Le spectre inclus entre les deux extrêmes du « parlé » et du « chanté » permet toute une gradation par l’usage de ces indications, parfois même renforcées par une notation ad hoc, entre l’émission appréciable (hauteurs définies) propre au chant, et l’émission inappréciable propre à la parole. En elle-même, dénuée de tout type d’indication, la Sprechstimme se veut être une sorte de norme qui se situerait entre l’émission appréciable et inappréciable. Il faut toutefois beaucoup d’imagination pour saisir la nuance entre, par exemple, « gesprochen » (parlé) et « mitTon gesprochen » (parlé avec du son), « Ton » (son), « tonlos » (sans son), et cela tout en tenant compte des règles de la Sprechstimme. On en a des exemples dans le n°  « Der Dandy » (voir exemples 9.6 A ; 9.6 B, 9.6 C), ou encore dans les pièces suivantes : n°  « Eine blasse Wäscherin », mes. - ; n°  « Gebet an Pierrot », mes. - ; n°  « Rote Messe », mes - ; n°  « Nacht », mes. - ; n°  « Raub », mes. . Comment, par exemple, réaliser un mode d’émission tel que « fast gesungen, mit etwasTon, sehr gezogen, an die Klarinette anpassend » (presque chanté, avec un peu de son, très étiré, en suivant la clarinette) et le différencier de la Sprechstimme dans son état neutre, tel que dans le n°  « Der Dandy » (exemple 9.6 B ; mes. 18 sq., voir page suivante) ?

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Exemple 9.6 A A. Schoenberg, Pierrot Lunaire, n° 3 « Der Dandy », mes.6-8

Pour certains de ces exemples, Schoenberg a pallié l’imprécision de ces seules indications par une notation spéciale : dans le n°  « Raub », la notation de la Sprechstimme est conservée, si ce n’est que les notes devant être émises « tonlos » ont une tête blanche ou


Exemple 9.6 B A. Schoenberg, Pierrot Lunaire, n° 3 « Der Dandy », mes. 15-20

Exemple 9.6 C A. Schoenberg, Pierrot Lunaire, n°3 « Der Dandy », mes. 30-31

évidée (voir exemple 9.7, page suivante) ; tandis que dans le n°  « Der Dandy » le « tonlos geflüstert » ne conserve que les hampes, marquant le détimbrage complet des hauteurs (voir exemple 9.6 C). Ce signe visuel aisément déchiffrable marque le détimbrage des notes sans pour autant abandonner la précision diastématique; mais sans non plus simplifier la tâche de l’interprète – et encore Schoenberg ne s’est pas montré systématique dans le cas de cette




? • PIERROT LUNAIRE

L’utilisation de tels procédés typographiques est un autre indicateur de cette instrumentalisation de la voix. Dans les n°  « Der kranke Mond » (mes. -) et n°  « Gebet an Pierrot » (mes. ), les parties vocales font respectivement usage de mordants et d’un trille signifiant un glissando entre deux notes : symboles de modes de jeu propres non seulement au langage instrumental mais aussi au langage vocal, dans ce qu’il a justement de plus technique et virtuose. Ce traitement de la Sprechstimme ne fait que refléter le traitement des instruments du Pierrot. Les parties de violon/alto et violoncelle sont riches en sonorités avec sourdine, ayant souvent recours au jeu col legno et sul ponticello, aux sons harmoniques, aux pizzicati et glissandi, tandis que la flûte joue parfois flatterzunge. Le piano lui-même doit faire résonner un accord dont les notes sont enfoncées silencieusement (n°  « Der Dandy », mes. , n°  « Rote Messe », mes. ).

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA FIN DU MÉLODRAME

indication « tonlos », puisque dans le n°  « Der Dandy » cette même indication n’a donné lieu à aucun changement dans la notation de la Sprechstimme. L’indication « tonlos geflüstert » (chuchoté sans son) se présente ici comme un cas aggravé du « tonlos » précédent : cette fois toute indication diastématique a disparu, et seul le rythme subsiste. On peut ainsi cerner une gradation implicite dans le détimbrage progressif de la Sprechstimme, aboutissant à un chuchotement indéterminé pour ce qui est de la hauteur :

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Exemple 9.7 A. Schoenberg, Pierrot lunaire, n° 10 « Raub », mes. 9


Au-delà de la conception de la Sprechstimme, le Pierrot a été avant tout motivé par la recherche d’un nouveau son : « Je vais au devant, je le sens, d’une nouvelle expression. Les sons gagnent une expression franchement animale, immédiate, des mouvements des sens et de l’âme. Comme si tout était directement traduit 94 » écrit le compositeur dans son journal, trois jours après avoir signé le contrat avec Zehme. Il faut s’attarder sur ce que Schoenberg laisse déjà plus qu’entrevoir dans cette lettre, pour ce qui est du traitement tant de la voix que de l’expression. L’expression du Pierrot est avant tout véhiculée par la qualité sonore, ici « animale » (tierisch) de la voix, et cette qualité contamine également l’ensemble des instruments.Vouloir réduire la partition du Pierrot pour piano serait ainsi une absurdité. C’est en tout cas ce que Schoenberg a tenté d’expliquer à son éditeur Emil Hertzka, dans son style exclamatif habituel : « Une réduction pour piano est impensable ! Vous devez me croire ! […] Et encore plus dans ces œuvres où les couleurs signifient tout, les notes absolument rien 95. » « L’ART POUR L’ART » ?

Dans le Pierrot, Schoenberg a cherché à restituer la force expressive du son (Klang) et de ses couleurs à travers l’usage de la Sprechstimme, et c’est aussi une préoccupation qui a motivé Albertine Zehme dans son expérience mélodramatique. Mais là s’arrête toute similitude, car rien de plus divergent que les attitudes de la diseuse et du compositeur. Pour Zehme, c’est avant tout au sens du mot et du texte que la déclamation mélodramatique doit rendre justice, ce qui requiert toutes les possibilités vocales du chant et de la parole : « Nous avons besoin des deux : le son du chant et le son de la parole 96. » Pour Schoenberg, c’est très précisément le contraire : il s’agit de faire du mot rien de moins et surtout rien de plus qu’un outil sonore à valeur purement instrumentale. Là où Zehme investit ce « Klang » d’une valeur expressive, liée à sa signification, Schoenberg le considère dans sa pure valeur sonore et musicalement structurale, dénué de toute propriété sémantique. Le contenu poétique des textes de Giraud, et plus précisément leur « illustration », n’est pas le but du Pierrot : il n’est que le point de départ servant à élaborer une nouvelle texture sonore tirant l’essentiel de sa couleur de l’instrumentalisation de la voix. Si Schoenberg s’est montré sincèrement enthousiaste de la poésie de Giraud/Hartleben, il faut sou-


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA FIN DU MÉLODRAME

? • PIERROT LUNAIRE

ligner qu’il n’a jamais voulu mettre en avant ce texte pour ses seules qualités intrinsèques. Bien au contraire Schoenberg cherchait à éviter un style de déclamation conçu en termes quasinaturalistes, où ce tant redouté « sens des mots » incite l’interprète à un surcroît démonstratif à l’égard du texte et plus particulièrement de sa déclamation mélodramatique : son recours à l’expression « tonmalerische Darstellung » (peinture musicale) en est révélatrice.Toutefois les premières critiques suscitées par la création de l’œuvre ne se montrèrent guère sensibles à l’aspect a-pictural du Pierrot. Il n’est pas impossible qu’à l’occasion de l’avant-première de l’œuvre à l’attention de la critique (le  octobre ), le texte du Vorwort, ou pour le moins quelque chose de fort approchant, fut distribué. Comment sinon expliquer le commentaire suivant du chroniqueur du Börsen-Courier ? « Lors de la déclamation il était évident qu’il s’agissait de “peindre” chaque mot en l’allongeant, en le raccourcissant et en changeant de tessiture, etc. Mais je sais qu’une telle récitation, qui sans l’ombre d’un doute correspondait exactement à l’intention du compositeur, devrait être considérée dans un tout autre contexte comme une exagération excessive et même impossible à expliquer 97. » Le plus souvent, le Pierrot fut fustigé pour n’être qu’une peinture musicale des mots réalisée de manière plus ou moins grossière. Schoenberg fut accusé de dégrader la musique pour en faire la servante du texte : « Schoenberg veut de manière allégorique mettre doublement en valeur la beauté de la sonorité du mot [Wortklang] […] et il essaie à travers les instruments accompagnateurs d’imiter les “bruits” de la langue parlée. Ce faisant il dégrade la musique, l’asservit comme servante de la langue et n’atteint certainement pas son but 98. » Le Pierrot n’est rien d’autre qu’un « mélodrame illustré [rempli d’] effets naturalistes, […] un phonogramme de couleur 99 » ; ou encore il n’est qu’une « exacte peinture avec des sanglots, des stridences, des ruminements 100 » ; pour Julius Korngold, ces « associations d’idées provoquées par les mots » ne peuvent être que destinées « à la plus primitive sous-conscience de l’oreille 101 ». Plus que la musique, il n’est pas impossible que l’interprétation d’Albertine Zehme ait eu elle-même une part de responsabilité sur ces jugements, parce que son style de déclamation était avant tout au service du mot. Ce qui ressortait déjà clairement de son


texte de , et allait l’être encore plus dans sa méthode de technique vocale de , Die Grundlagen künstlerischen Sprechens und Singens. Pour Zehme, c’est en définitive au sens du mot et du texte que la déclamation mélodramatique doit rendre justice. Pour Schoenberg, c’est exactement le contraire : il s’agit de faire du mot un outil sonore à portée purement instrumentale. Le contenu poétique des textes de Giraud/Hartleben, et plus précisément son « illustration », n’est pas le but du Pierrot, il n’est que le point de départ servant à élaborer une nouvelle texture sonore, notamment fondée sur l’instrumentalisation de la voix. Non pas que le sens des poèmes ait été complètement évacué par Schoenberg : mais bien plus, ce sens a été traité malgré lui. Certes, Schoenberg n’était pas Strawinsky, et on ne trouve pas chez le compositeur viennois une posture aussi jusque-boutiste que celle du compositeur de Perséphone, un ouvrage où précisément la musique est traitée comme « un organisme musical indépendant », dont le but n’est ni d’embellir le texte de Gide, « beau en soi », ni de le colorer, ni de guider le public dans l’intrigue – au sens wagnérien de la Leitmusik 102. Reste qu’il y a quelques points de contact entre la posture strawinskienne de Perséphone et le Pierrot, ce que restitue assez bien le jugement de Strawinsky sur cette dernière œuvre. L’esthétique « périmée » que fustige Strawinsky concerne la poétique des textes de Giraud/Hartleben : « Je ne fus nullement enthousiaste de l’esthétisme de cette œuvre qui me parut un retour à la période périmée du culte de Beardsley. Par contre, la réussite instrumentale de cette partition est, à mes yeux, incontestable 103. » C’est une critique similaire à celle de Strawinsky qu’on trouve dans Palmström (Studien über Zwölfton-Reihen), op.  de Hanns Eisler. L’œuvre, composée en  à l’occasion du cinquantième anniversaire de Schoenberg, consiste en cinq petits poèmes de Christian Morgenstern mis en musique pour flûte (piccolo), clarinette en la, violon (alto), violoncelle et Sprechstimme : soit tous les instruments du Pierrot, à l’exception du piano. Bien que le sous-titre de Palmström pointe vers l’intention didactique (« études sur des séries de douze sons »), l’œuvre est un hommage paradoxal en forme de parodie du Pierrot. Eisler souhaitait montrer qu’à cette époque, le style dodécaphonique de Schoenberg était devenu une nouvelle norme musicale. Pour l’anniversaire de Schoenberg, les Musikblätter des Anbruch consa-


crèrent au compositeur un numéro spécial (publié le  septembre ) : parmi les articles, celui d’Eisler justement, intitulé « Arnold Schönberg, der musikalische Reaktionär ». Qu’on ne se méprenne pas sur la portée du texte d’Eisler : le qualificatif de « réactionnaire » signifie ici simplement le rapport étroit qu’a conservé Schoenberg avec la tradition musicale 104. L’article d’Eisler doit se lire comme l’éloge d’un disciple à son maître : Le monde musical doit se recycler et Schoenberg ne doit plus être perçu comme un destructeur et un agent subversif, mais au contraire comme un maître. Il est clair pour nous aujourd’hui : il s’est créé un nouveau matériau, afin de faire de la musique dans la plénitude et l’unité des classiques. Il est le véritable conservateur : il s’est même créé une révolution, afin de pouvoir devenir réactionnaire 105.

? • PIERROT LUNAIRE

Ironiquement, les critiques d’Eisler s’étaient elles aussi concentrées sur un point que Schoenberg avait stigmatisé dès le Vorwort de  : la prétendue qualité illustrative de la musique. Pour

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA FIN DU MÉLODRAME

En tant qu’œuvre d’art, son Pierrot lunaire est de loin plus problématique [que l’opéra Von heute auf morgen]. Sur une merveilleuse musique de chambre, une Sprechstimme déclame des poèmes d’Albert Giraud, un faible imitateur de Verlaine.Avec ces poèmes, dont le goût naïf peut à peine simuler l’art, la musique de Schoenberg se comporte de manière conformiste, illustrative, expressive. L’inepte démonisme de province de Giraud est restitué par l’expression exagérément empathique de la Sprechstimme, que Schoenberg a fixée rythmiquement et qui s’avère être péniblement exigeante, tout en détournant [l’attention] de la musique. J’ai souvent proposé à Schoenberg d’abandonner le texte de cette musique grandiose pour en faire des « Charakterstücke ». Il n’était pas d’accord avec cette proposition 107.

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Toujours dans le même article, Eisler présente le Pierrot lunaire comme une œuvre emblématique de la posture schoenbergienne : « [Dans le Pierrot] Schoenberg est revenu vers les formes anciennes ; il écrit à nouveau des formes lied à deux ou trois parties, une valse, une passacaille, une fugue 106 ». En revanche, Eisler ne fait encore aucun commentaire sur la Sprechstimme et les textes de Giraud. C’est dans un texte plus tardif de  qu’Eisler livrera ce jugement qui révèle une ambivalence similaire à celle ressentie par Strawinsky, se déclarant indéniablement fasciné par la musique tout en déplorant le goût selon lui douteux des poèmes de Giraud :




Eisler, Schoenberg n’avait pas réussi à échapper à ce fléau ; non pas parce qu’il était mauvais compositeur, mais surtout parce que les textes de Giraud/Hartleben étaient bien trop médiocres 108.Tout l’aspect parodique de Palmström réside dans cette recherche de l’expression à tout prix qui a caractérisé le Pierrot, ou plutôt la manière dont on a perçu cette œuvre (et ce aux dépens de ce que Schoenberg avait voulu au départ), à travers l’outrance déclamatoire de la Sprechstimme, pour le moins telle que véhiculée depuis les premières interprétations d’Albertine Zehme, ainsi que dans la poétique des cinq brefs poèmes de Morgenstern. Eisler ne pouvait avoir fait un meilleur choix que ces textes, publiés en  et qui sont eux aussi une parodie d’un symbolisme poétique tombé dans l’abscons. On y distingue deux personnages, le naïf et exalté Palmström et le cérébral Korf, présentés en cinq saynètes qui semblent tenir tant de la bouffonnerie que de la comptine, tournant en dérision une certaine idée de « l’art », comme dans le premier texte « Venus Palmström », où Palmström, « qui parfois souhaite se dissoudre comme du sel dans un verre d’eau », s’imagine renaître au lever du soleil et surgir de l’eau, tel une « Venus Palmström Anadyomene ! » Ou encore dans « Notturno » : Palmström déchire du papier et le répand « artistement ». Le troisième poème s’appelle d’ailleurs « L’art pour l’art » (en français dans le texte) : Le gazouillement d’un moineau effrayé enthousiasme Korf à en faire un objet d’art, qui ne serait que coups d’œil, mines et gestes. On vient avec des appareils, pour le photographier : mais Korf ne se rappelle plus de son œuvre, il ne se rappelle plus de son œuvre, à cause d’un moineau effrayé 109 !

À l’humour absurde des textes de Morgenstern, s’ajoute celui du traitement musical d’Eisler, qui a également fait un clin d’œil au jeu pantomimique : à la toute fin de « L’art pour l’art », « le récitant secoue la tête avec un visage pensif » (mes. ). Quant au dernier poème, « Couplet von der Tapetenblume » [Couplet d’une fleur de papier peint], il détourne les poncifs poétiques, à travers le chant d’une fleur sérigraphiée qui se répète « à l’infini, non pas en mai ni au clair de lune, mais sur chacun des quatre murs. » Et pour accentuer encore plus le prosaïsme de cette fleur un rien vulgaire, la récitation doit se faire « comme au cabaret : demi-chanté », avec une notation légèrement modifiée, les notes « demi-chan-


tées » étant indiquées par un simple trait diagonal sur la hampe, au lieu de la croix usuelle pour la notation de la Sprechstimme. Et il n’avait guère été nécessaire pour Eisler d’avoir eu à forcer le trait : les miniatures de Palmström requièrent simplement deux modalités de la Sprechstimme, le « demi-chanté » à la manière du cabaret et le « geflüstert » (une indication qui sent bien son Pierrot), qui concerne tout le « Notturno ». «…AU DÉBUT ÉTAIT LE MOT… »

  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA FIN DU MÉLODRAME

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En traitant de manière parodique les principales caractéristiques de la Sprechstimme et en mettant son artificialité au service de textes pastichant la pose de « l’art pour l’art », Palmström a résumé au mieux le paradoxe du Pierrot, œuvre où se sont télescopées deux intentions, celle d’une interprète et de son « instrument de l’âme », tout à l’idée de se mettre au service du mot, et celle de son compositeur, qui bien rapidement alla au-delà du texte pour concentrer son intérêt sur les couleurs instrumentales, celle de la Sprechstimme comprise. C’est à la lumière de ces deux intentions divergentes qu’il faut lire le paragraphe III du Vorwort. Comme mentionné plus haut, les deux premiers paragraphes apportaient déjà un démenti flagrant à la conception mélodramatique de Zehme, telle qu’expliquée dans son texte de  (Warum ich diese Lieder sprechen muss). Bien moins discuté que les deux premiers, ce paragraphe représente en quelque sorte la pomme de discorde pour ce qui fut de la conception mélodramatique entre Schoenberg et Zehme, dans la mesure où il trahit entre les lignes les griefs du compositeur à l’égard de son interprète. Alan Lessem a vu dans ce paragraphe la volonté de Schoenberg de faire « absorber la parole dans la musique 110 ». Mais n’est-ce pas précisément aller à l’encontre de ce qui définit le mélodrame ? Il n’y est plus question de la Sprechstimme, mais de conseils d’interprétation donnés par le compositeur à son interprète. On y devine également toute la méfiance de Schoenberg à l’égard du texte en tant que pourvoyeur d’images poétiques, lesquelles peuvent influencer le récitant dans sa déclamation. La musicalité inhérente de l’œuvre doit venir de la musique, et non des mots et de la manière dont ils sont récités : « Jamais les exécutants n’ont le devoir de modeler l’atmosphère et le caractère de chacune des pièces en se référant au sens des mots ; ils doivent s’en tenir uniquement à la musique. Si pour l’auteur la peinture


musicale [tonmalerische Darstellung] des événements et des sentiments est importante, celle-ci se trouve uniquement dans la musique 111. » C’est avant tout une certaine conception du mélodrame qui est visée dans ces propos, et plus exactement celle d’Albertine Zehme, dont on sait qu’elle n’hésitait pas à accentuer la « peinture » des mots 112. Et il n’est pas impossible de lire comme une tentative de réplique de sa part dans les Grundlagen künstlerischen Sprechens und Singens qu’elle publia en . Cette méthode vocale disserte également de la déclamation mélodramatique, et en des termes bien peu schoenbergiens. Si la Sprechstimme fut pour Schoenberg un but en soi, travaillée pour sa matière sonore et non pour sa valeur sémantique, elle devait être pour Zehme un moyen de transmettre le verbe. Revenant sur sa position artistique soutenue en , Zehme défend l’idée que le mot doit avoir la primauté absolue : « au début était le mot ». Serait-ce en réponse à un implicite « au début était la musique » qu’a défendu le compositeur du Pierrot ? « Au début était le mot ».Tant dans la récitation que dans la représentation, la chose principale est toujours le mot. Il est la pensée qui dirige, et qui nous est communiquée par le mot. Il est l’échafaudage sous les riches ornements de la beauté parlée, des images poétiques et des atmosphères artistiques. Le récitant […] doit avant tout bien comprendre et transmettre le sens, afin que l’auditeur ne perde pas le fil des pensées […] Cependant la mélodie du parlé est une sœur plus libre que celle de la musique vocale stricte – comme son ombre –, et elle ne peut pas être ligotée par des lois inflexibles, à laquelle l’autre est soumise 113.

Ces « lois inflexibles » prennent ici une résonance particulière, et ce d’autant plus que Zehme cite intégralement, dès la phrase suivante, le Vorwort de Schoenberg. Sans doute n’était-ce pas intentionnel ou pour le moins mal intentionné, mais cela démontre que la diseuse en avait une compréhension aux antipodes de celle voulue par le compositeur. La citation du Vorwort est suivie d’un commentaire qui constitue à ce jour le témoignage le plus abouti de ce que Zehme a bien voulu y comprendre. Il est une critique à peine voilée du système de notation de Schoenberg, puisque pour Zehme la voix parlée possède une échelle de nuances sonores infiniment plus riche que celle de la voix « musicale » (c’est-à-dire chantée) :


Il s’ensuit qu’il existe une échelle de nuances bien plus fine et subtile pour les sons parlés en comparaison avec les sons musicaux. Il y a beaucoup d’oscillations possibles avant de parvenir à une hauteur absolue, et le récitant de mélodrame, tout comme celui de poésie pure, peuvent en faire usage sans scrupule.Aucune peur des hauteurs ne l’effraie, il ne doit se soumettre à aucun système de têtes noires et de lignes, aucun veilleur ne veille – libre, absolument libre, il laisse résonner ses rythmes parlés 114.

Zehme s’éloigne encore plus des intentions de Schoenberg en construisant un parallèle entre l’acteur et le récitant. Le récitant ne peut jouer qu’avec les sons que lui fournit le texte poétique (ce que Schoenberg ne voulait en aucun cas), là où l’acteur peut jouer de son corps :

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA FIN DU MÉLODRAME

? • PIERROT LUNAIRE

Si pour l’acteur les mouvements physiques sont l’illustration pantomimique de ce que véhicule le texte, les seuls mouvements autorisés au récitant sont la musique qui résulte des sons du texte poétique : une pantomime sonore de mots. On peut y voir comme le stade ultime de l’évolution du mélodrame romantique, prônant l’intériorisation complète de la dimension scénique. Bien que guidé par des idéaux tout différents de ceux de Zehme, Schoenberg a lui aussi atteint ce stade ultime : en transformant par l’artifice de la Sprechstimme la déclamation mélodramatique en une voix instrumentalisée relevant bien plus du chant que du parlé, il a ôté tout ce qu’il y avait de mélodramatique dans cette œuvre, révélant à quel point la qualité mélodramatique du Pierrot est une qualité ajoutée qui n’est en rien inhérente à l’œuvre elle-même, à son matériau musical et même à sa structuration dramatique. Le Pierrot porte en lui la condamnation du mélodrame, par son refus catégorique de tout ce qui pourrait suppléer à son discours purement musical (« la peinture musicale […] se trouve uniquement dans la musique ») et dans son rejet du parlé : la voix n’est pas intégrée à la musique, elle y a été complètement « absorbée »

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L’acteur doit ordonner son devoir selon une logique dramatique, le récitant selon une logique musicale et raisonnablement conditionnée par les sentiments, car la musique est le médium des sentiments, tandis que le mouvement est le médium pour ce qui est dramatique […] Chez l’acteur la tension spirituelle se résout en un mouvement extérieur, chez le récitant elle est transférée dans l’élan rythmico-mélodique du mot 115.




comme l’a remarqué Alan Lessem, mais ce au prix d’un dépouillement qui l’a débarrassée de tout ce qui en elle n’est pas musique, par le carcan diastématique et rythmique de la Sprechstimme. Cependant le Pierrot reste encore aujourd’hui perçu comme le mélodrame par excellence, œuvre ayant atteint un point de perfection dans l’évolution de ce genre par le biais d’une déclamation musicalisée à tout prix 116. Par l’artifice de la Sprechstimme, le Pierrot a franchi un point de non-retour dans la musicalisation du parlé, geste ultime qui nie l’essence même du mélodrame. Tournant délibérément le dos aux spécificités discursives qui définissent le discours mélodramatique, le Pierrot est la fin du mélodrame bien plus que son point de perfection.

« CECI N’EST PAS UN MÉLODRAME »

Dans le sillage du Pierrot lunaire, il sera de plus en plus difficile de cerner une quelconque esthétique mélodramatique dans des ouvrages où le travail sur le matériau vocal nous mène plus ou moins directement dans le domaine de la poésie sonore. Domaine qui a pu trouver bien des fondements avec la Sprechstimme du Pierrot lunaire : on oublie trop souvent que dans cette œuvre le souci du compositeur concernait moins le texte et sa sémantique que les sonorités devant résulter d’une conception instrumentalisée de la voix. L’emphase mise sur la composante vocale et sa nature sonore explique ce processus de désémantisation qui est au cœur tant de Façade que du Pierrot (bien que ces deux œuvres y parviennent par des chemins fort différents). On peut encore citer l’exemple des Choéphores de Darius Milhaud (), sur le texte d’Eschyle traduit par Claudel, qui tiennent autant de la musique de scène que de l’oratorio. Claudel avait expliqué à Milhaud qu’il voulait de la musique pour exprimer le lyrisme propre à certaines scènes, tandis que « l’exaltation féroce » d’autres scènes lui semblaient seulement pouvoir être rendue par « la parole seule 117 ». Cette « parole seule » est ce qui fait toute l’originalité de la partition des Choéphores : dans « Présages » et « Exhortation », deux scènes typiques de cette « exaltation féroce », « le caractère sauvage posait un problème[. Milhaud fit] parler le texte en mesure par une récitante, pendant que les chœurs pro-


nonçaient des mots ou des lambeaux de phrases notées en valeur rythmique, mais ne reposant sur aucune note 118. » Ces « lambeaux » de phrases (qui parfois ne sont qu’un mot, comme « chienne », ou des agrégats de consonnes ou de syllabes) sont simplement soutenus par des instruments de percussion à son indéterminé. L’effet qui en résulte est assez saisissant, le traitement rythmique et la décomposition de certains mots créant

  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA FIN DU MÉLODRAME

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« CECI N’EST PAS UN MÉLODRAME

»


Exemple 9.8 D. Milhaud, Les Choéphores, IV. « Présages », mes. 24-31

une texture dont la couleur sonore et les contours rythmiques finissent par l’emporter sur le sens du texte (voir exemple 9.8). L’utilisation de la voix dans Les Choéphores est d’ailleurs très proche des compositions du compositeur suisse d’origine russe Wladimir Vogel (-), principalement connu pour son traitement quasi bruitiste de la déclamation, et qui est au cœur de ses grands « drames-oratorios » composés depuis la fin des années  jusqu’en , et dont le plus abouti reste Wagadus Untergang durch die Eitelkeit [La descente de Wagadus dans la vanité] (-, poème de Leo Frobenius). Bien que conservant les divisions traditionnelles propres au genre de l’oratorio (récitatifs, airs, chœurs, duos, trios…), Wagadus fait appel à un Sprechchor (chœur parlé), comme dans la plupart de ses autres compositions vocales. Contrairement à ce qui est souvent écrit, il est un peu excessif de présenter Vogel comme « l’inventeur » du chœur parlé : déjà Schoenberg avait utilisé dans le « drame avec musique » Die glückliche Hand ( ; créé en ) un chœur écrit selon la technique de la Sprechstimme du Pierrot lunaire. Mais plus encore que Schoenberg, Vogel a développé l’idée d’une voix instrumentalisée à travers l’utilisation du chœur parlé où le sens du texte n’a plus guère d’importance. Sans atteindre encore à la désémantisation extrême propre à la poésie bruitiste d’un Kurt Schwitters par exemple, la technique du Sprechchor de Vogel vise toutefois à une utilisation de la voix considérée comme un timbre pouvant être varié selon un large spectre d’inflexions allant du murmure au cri. Stylisation extrême du traitement vocal qui trouve son correspondant dans une écriture tendant à une Augenmusik, où les volumes sonores


sont disposés tels des architectures de formes géométriques (voir exemple 9.9). L’aboutissement de ce traitement particulier de la déclamation a pris un impact considérable dans les techniques vocales (le pluriel s’impose) de la musique contemporaine. On ne saurait mieux l’exprimer que Cesare Scarton, pour qui « le mélodrame [au XXe siècle] accentue encore plus son éclectisme en se configurant comme une constellation dense de concessions, de stilèmes linguistiques et de structures formelles,lesquels participent de toutes les catégories expressives 119. » Propos qui montrent la difficulté à vouloir saisir ce qu’est devenu le mélodrame post-Pierrot, éclaté en une myriade d’expérimentations musico-théâtrales, de

  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • LA FIN DU MÉLODRAME

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« CECI N’EST PAS UN MÉLODRAME

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Exemple 9.9 W. Vogel, Wagadus Untergang durch die Eitelkeit, n° 11, mes. 1


croisements et d’hybridations génériques qui participent d’ailleurs plus d’une transformation/destruction de l’opéra. Emblématique sur ce point est le Melodramma de Luciano Berio, dont le titre en aura trompé plus d’un, puisqu’il ne s’agit pas d’une référence au mélodrame mais à l’opéra (melodramma en italien ; sinon le titre aurait été Melologo). Avec les deux autres sections Air et E vó, Melodramma est l’une des trois parties formant Opera, action scénique en trois parties (- ; rév.  ; livret de Berio et de Vittoria Ottolenghi). Melodramma peut être joué séparément en version de concert, bien que cette dernière indication gagne à être comprise comme une parodie scénique d’un récital vocal, puisque cette pièce est un soliloque délirant d’un mauvais chanteur de Lied. Et si une œuvre témoigne mieux que tout autre de cet éclatement du mélodrame au XXe siècle, qui correspond également à un éclatement du traitement vocal, c’est sans conteste la Sequenza III du même Berio (). Mais peut-on encore évoquer là une voix mélodramatique, une voix dont la fonction, précisément, est de parler, et surtout, de raconter ?


 

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • CHAPITRE • SS-CH


  

«… UN GENRE DES PLUS ODIEUX… »



EN MUSIQUE DANS LE TEXTE

L’Orphelin et le meurtrier, Les Deux galériens et autres mélodrames terrifiants où je voyais mon père jouer le rôle du traître, m’avaient rempli d’épouvante, et on me demanda de jouer la comédie. Dans une pièce de circonstance […] La Vigne au bord de l’Elbe, dont

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L’hétérogénéité discursive est sans doute ce qui caractérise idéalement le mélodrame, mais c’est aussi ce qui en a fait sa tare. Comprendre le fonctionnement du mélodrame, c’est non seulement démêler les rouages de l’imbrication entre musique et texte, mais surtout accepter que cette imbrication ne soit pas homogène : c’est là le paradigme fondateur de la partition mélodramatique du Pygmalion de Rousseau. Bon nombre de commentateurs ont vu et continuent à voir dans l’hétérogénéité propre au mélodrame une hérésie suffisante pour en amoindrir sa valeur artistique, à commencer par Richard Wagner. Arrêtons-nous d’ailleurs sur ce compositeur, qui semble être le grand absent de toute histoire du mélodrame. Certes, la conception wagnérienne du chant en tant que déclamation est la forme d’expression qui se refuse le plus ouvertement à la déclamation mélodramatique. Mais on ne saurait en dire autant de l’esthétique mélodramatique, qui a joué un rôle décisif dans la formation de la dramaturgie wagnérienne, et qui reste aisément discernable dans bon nombre de ses ouvrages 1. Le dédain wagnérien pour le mélodrame signifie justement que le mélodrame, ce n’est pas que la déclamation. Ce que Wagner savait fort bien, lui dont l’enfance baigna dans des productions de théâtre mélodramatique. Il ne s’en est pas caché dans Ma vie, et c’est là en grande partie l’héritage de son beau-père, l’acteur Ludwig Geyer, grâce à qui Richard enfant fit ses premiers pas sur une scène de théâtre :


l’accompagnement était du maître de chapelle Carl Maria von Weber, je me rappelle avoir figuré dans un tableau vivant, dans le rôle d’un ange, entièrement cousu dans un tricot, avec des ailes attachées à mon dos et dans une attitude gracieuse que j’avais eu beaucoup de mal à apprendre 2.

Les premières œuvres dramatiques de Wagner se ressentent fortement de l’esthétique mélodramatique, comme dans Leubald und Adelaïde (-), ainsi que ses musiques de scène pour le Faust de Goethe () et pour König Enzio (), un Trauerspiel alors fort prisé de Ernst Raupach 3. Œuvres de jeunesse vite reniées, car pour le Wagner d’Oper und Drama (-), le mélodrame était devenu un « Genre von unerquicklichster Gemischtheit », soit « un genre des plus désagréables » pour une traduction littérale, quoiqu’efficacement traduit comme « genre des plus odieux » par Prodhomme 4. Ce jugement, qui est à peu près tout ce qu’on a voulu retenir de Wagner sur le mélodrame, est trop connu pour avoir été cité à tout va dès qu’il s’agit de justifier les critiques à l’encontre du mélange entre déclamation et musique. Mais en remettant ce jugement dans son contexte, on réalise qu’il n’a rien à voir avec une telle conception déclamatoire du mélodrame. Relisons tout ce qui précède ce jugement dans le chapitre « Le spectacle et la poésie dramatique », où Wagner est parti d’une réflexion sur le Laocoon de Lessing, et de l’entreprise par ce dernier pour délimiter les pouvoirs entre poésie et peinture : Les efforts loyaux qu’a faits Lessing pour marquer les limites de ces arts séparés, qui ne peuvent plus représenter directement, mais seulement décrire, ont été méconnus de nos jours par ceux qui, sans aucune clairvoyance, n’ont pas compris l’énorme différence qui sépare ces arts de l’art vrai proprement dit. N’ayant jamais en vue que ces espèces d’arts isolés, impuissantes à donner par elles-mêmes une représentation directe, ils n’attribuent naturellement à aucun d’eux – non plus qu’à l’art en général (ils le croient) – la tâche de surmonter la difficulté avec le moindre effort, en donnant à l’imagination un point d’appui solide dans la description ; en accumulant les moyens de cette description, on n’arrive évidemment qu’à embrouiller la description et à détourner l’imagination de l’intelligence du sujet en la rendant compliquée ou dispersée par la présentation de moyens de description disproportionnés 5.


Ce que Wagner fustige ici, c’est l’hétérogénéité des langages artistiques, l’absence de fusion. En effet, poursuit Wagner, « la pureté d’un genre d’art est donc la première condition pour se faire comprendre ; au contraire, le mélange des arts ne peut qu’égarer l’intelligence. » Wagner s’oppose à toute forme de tautologie artistique : un peintre ne peut pas représenter le mouvement – ce qui chez Wagner sous-entend également qu’il ne doit pas le faire, puisque ce faisant il empiéterait sur le domaine du poète. « Une peinture dans laquelle les vers du poète sont écrits devant la bouche d’une personne nous semble sans aucun attrait 6. » Pour le « musicien absolu », chercher à peindre signifie ne faire ni musique ni peinture :

[Depuis que nos esthéticiens modernes] ont rangé le drame dans la catégorie des genres d’art, […] de ce que l’immixtion d’un autre

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • UN NOUVEAU LAOCOON • «…UN GENRE DES PLUS ODIEUX… »

À première vue, c’est un discours ouvertement hostile contre tout ce qui relève de l’extramusical, et qui en contrepartie célébrerait le statut d’une musique absolue (mais non dans le sens formaliste d’un Hanslick). La critique de Wagner est plus précisément dirigée contre un certain type de spectacles, qu’on a déjà mentionné au sujet des mélodrames de Lélio (Berlioz) et de Manfred (Schumann), soit ces concerts-expositions mêlant musique (le répertoire symphonique beethovénien en particulier) et peinture, popularisés depuis le début du XIXe siècle et invoquant tant l’ouïe que la vision, de manière à exalter ce que déjà en  le critique Friedrich Mosengeil avait appelé « la secrète communauté entre image et son 8 ».

 

[Si le musicien] veut, par sa musique, accompagner la contemplation d’une peinture réelle, il peut être certain qu’on ne comprendra ni la peinture ni la musique. Celui qui ne peut s’imaginer l’union de tous les arts dans l’œuvre d’art, autrement que de la manière suivante, par exemple, la lecture d’un roman de Goethe au milieu d’une galerie de tableaux, ou d’une exposition de statues, et jointe à l’exécution d’une symphonie de Beethoven*, celui-là a raison, certes, d’insister sur la division des arts, et de vouloir la maintenir entre eux, car elle aide à une description aussi précise que possible de leur objet. *C’est ainsi, en effet, que des littérateurs puérils et prudents s’imaginent l’« œuvre d’art » que j’ai définie, quand ils croient devoir la considérer comme un acte du « mélange barbare » de tous les arts […] 7.


art, comme la musique, a besoin en elle d’une excuse, […] cela équivaut à tirer de la définition de Lessing une conséquence qui ne donne pas l’ombre d’une justification. Or, ces gens-là ne voient dans le drame rien autre chose qu’une branche de la littérature, […] avec cette seule différence [qu’]au lieu d’être lue, [elle] doit être apprise par cœur et déclamée par plusieurs personnes, avec un accompagnement de geste et l’éclairage de lampes de théâtre. Vis-à-vis d’un drame littéraire représenté sur la scène, une musique se comporterait presque absolument comme si elle était exécutée pour un tableau peint, et c’est avec raison que le genre appelé mélodrame a été condamné comme un mélange des plus odieux. Ce drame que nos littérateurs ont seuls à l’esprit, est aussi peu un véritable drame, qu’un piano est un orchestre ou une troupe entière de chanteurs. Le drame littéraire doit entièrement son origine au même esprit égoïste de notre évolution artistique générale, que le piano 9.

Comme on le voit, la critique de Wagner n’effleure pas le moins du monde le problème de la déclamation parlée en musique. L’intérêt critique de Wagner pour le mélodrame porte sur un tout autre point, et on pourrait, pour paraphraser Nietzsche, avancer que le compositeur a intériorisé le langage mélodramatique : « Chez Wagner il y a d’abord l’hallucination : non pas celle des sons, mais celle des gestes 10. » C’est ce que l’exemple suivant, tiré de la scène  de l’acte I de Tristan et Isolde, donne à voir et surtout à entendre : car qu’est-ce que cette chute de l’épée sur « Das Schwert… ich liess es fallen », sinon du mélodrame ? Illustration d’un procédé des plus éculés à l’opéra, mais qui trahit la familiarité de Wagner avec l’univers mélodramatique. Isolde raconte à Brangaine comment elle a autrefois reconnu Tristan sous le nom de Tantris, et comment, pour venger le meurtre de son fiancé Morold, elle décida alors de le tuer. Le temps passé qu’elle raconte à Brangaine se fait temps présent : « Avec la claire épée, dit Isolde, je me dressai devant lui, lui l’insolent, afin de venger la mort de Morold » (mes. -). Poursuivant son récit, Isolde va troquer son rôle de personnage actif au sein de la diégèse pour celui d’un narrateur momentanément situé hors de ce récit dans le récit. Isolde n’est plus un personnage agissant mais racontant, spectatrice de son propre récit. Ce que la musique traduit par un effet de spatialisation : « De sa couche [Tristan] me regarda — non pas l’épée, non pas la main — il me regarda dans les yeux. Sa détresse m’émut ! — l’épée — je la laissai tomber ! » (« Das Schwert — ich liess es fallen ! »)


Ponctuant le mot « das Schwert », l’orchestre nous fait entendre la chute de l’épée, par un sourd staccato des cordes graves (mes. 676 ; dans la deuxième partie du récit d’Isolde, une nouvelle mention de ce moment fait à nouveau entendre ce procédé, mes.  ; voir exemple 10.1).



EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • UN NOUVEAU LAOCOON • «…UN GENRE DES PLUS ODIEUX… »

La chute de l’épée n’a aucune réalité concrète, si ce n’est dans le récit qu’en fait Isolde. Qu’il soit exprimé ou non par une pantomime scénique, le geste peut être induit et représenté par la musique seule, laquelle dessine le geste. On sait que le mélodrame n’exige pas toujours la présence physique de la scène, mais il repose toujours sur un dispositif où la temporalité inhérente au discours musical doit nécessairement entrer en interaction avec un ou plusieurs autres moyens d’expression. Même si ces moyens ne peuvent prendre place qu’en se déroulant dans le temps (comme un texte qu’on lit ou qu’on récite), ils sollicitent d’une manière ou d’une autre l’attention visuelle de l’auditeur/spectateur – et cela même si le stimulus visuel ne possède aucune réalité scénique : c’est ce que nous avons abordé dans le chapitre VII au sujet du mélodrame non scénique, qui n’est pas moins théâtral que le mélodrame scénique. Dans le texte publié d’une conférence donnée à Munich en , Carl Dahlhaus a commenté la manière dont « le drame [wagnérien] se réalise dans l’action scénique, au sein de laquelle sont également contenus les caractères agissants et gestuels de la langue et de la musique 11. » Il n’y a là rien de redondant : « La relation entre séquence musicale et geste visible est complémentaire, non tautologique : la musique prend le relais, pour exprimer par la répétition intensifiée d’une emphase dont la représentation extérieure est refusée au chanteur, s’il ne veut pas

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Exemple 10.1 R. Wagner, Tristan und Isolde, acte I, scène 3, mes. 675-679 (réduction)


s’exposer au danger d’une transition du sublime au ridicule. La séquence est la continuation du geste par des moyens musicaux 12. » Nietzsche l’avait également senti, quoique dans une perspective purement critique : « La musique [de Wagner fonctionne] en tant que moyen d’explication, de renforcement, d’intériorisation du geste dramatique et de restitution des sentiments de l’acteur 13. » D’où le blâme nietzschéen envers « der ganze Gebärden-Hokuspokus des Schauspielers 14 ! », soit « toute cette agitation gestuelle du comédien », et qui selon le philosophe démontre que Wagner ne fut rien d’autre qu’« un incomparable histrion, le plus grand mime, le plus étonnant génie de théâtre, qu’eurent les Allemands, notre homme de scène par excellence 15. » Nietzsche a stigmatisé l’opéra wagnérien en le présentant comme ce qu’on pourrait appeler un « wax-work opera », une succession de poses statiques et de tableaux figés. Il est tout entier dirigé vers un art de l’attitude : contrairement au discours théorique de Wagner qui prétend faire de la musique le moyen du drame, « l’attitude est le but, le drame et la musique n’en sont que ses moyens. […] L’opéra wagnérien n’est rien d’autre qu’une occasion pour beaucoup d’attitudes intéressantes 16 ! » Le geste est omniprésent chez Wagner, et cette omniprésence ne peut que mettre à nu la prégnance de l’esthétique mélodramatique chez un compositeur qui l’a pourtant toujours violemment reniée. À travers le Gesamtkunstwerk, Wagner a cherché à sublimer l’alternance entre geste, déclamation et musique, les intégrant dans le seul discours musical, le gestuel ayant été comme repoussé à l’orchestre. Ce n’est pas tant un reniement de l’esthétique mélodramatique qu’a effectué Wagner qu’une intégration de celleci, de manière à intérioriser le drame, le faisant passer d’une dimension sensible, telle qu’elle s’incarne dans le geste de l’acteur, à une dimension abstraite, que restituerait la seule musique.

L’HYBRIDE MÉLODRAMATIQUE SELON PAUL VALÉRY

Le mélodrame continue à être perçu comme un exercice certes audacieux, novateur même ; à vrai dire surtout novateur, cette qualité permettant de rattraper son déficit artistique, tant il reste avant tout considéré comme un produit expérimental avec


lequel le compositeur aura cherché à renouveler son langage dramatique. La perplexité que suscite encore aujourd’hui le mélodrame est assez proche de celle qui accompagna la venue du cinéma parlant au début des années . Dans son ouvrage classique Le cinéma est un art, publié en anglais en  mais qui rassemble des textes publiés entre  et , Rudolf Arnheim a évoqué le cinéma parlant comme un « nouveau Laocoon », un assemblage hétéroclite de langages trop différents pour s’accorder :

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Dans ce même chapitre, Arnheim a tenté « de définir sous quelles conditions les œuvres d’art peuvent s’appuyer sur plus d’un moyen d’expression (par exemple un texte parlé, une image en mouvement et une musique) ». Selon Arnheim, le cinéma crée nécessairement une rivalité entre image et discours. Rivalité d’autant plus surprenante que « si nous réfléchissons un peu à notre expérience quotidienne, parler nous empêche rarement de voir, ou voir d’entendre. Mais, dès que nous sommes assis devant l’écran de cinéma, nous remarquons cet antagonisme 18. » L’argument peut sembler aujourd’hui discutable et daté, mais il est vrai que nous n’avons pas vécu la révolution du parlant. Toutefois on trouve un argument en tout point similaire, quoiqu’exprimé en  par le librettiste Heinrich Wilhelm von Gerstenberg au sujet du mélodrame et de la rivalité que crée l’utilisation de deux discours de nature différente : « La déclamation parlée et la musique sont toutefois des choses complètement hétérogènes : il leur manque un point de contact ; l’attention de

 

Chaque fois que je vois un film parlant, j’éprouve une sensation de malaise que n’apaisa pas ma connaissance de plus en plus grande de ce nouveau moyen d’expression. J’ai l’impression que quelque chose ne va pas, que nous avons affaire à des ingrédients qui sont incapables d’une véritable existence commune en raison de principes intrinsèquement contradictoires. Manifestement, ce sentiment de malaise est dû au fait que l’attention des spectateurs est tiraillée entre deux directions. En essayant d’attirer le public, deux moyens d’expression s’entre-déchirent au lieu de s’unir dans un même effort pour le capturer. Étant donné que les deux moyens luttent pour exprimer le même sujet de deux façons différentes, une cacophonie troublante en résulte, chaque voix empêchant l’autre de dire plus que la moitié de ce qu’elle voudrait dire 17.


l’auditeur est divisée parce qu’elle doit s’attacher tantôt à l’art du récitant et tantôt à l’art de la musique, de sorte qu’elle ne peut pas, ainsi qu’elle le devrait pourtant, rester attachée à un seul objet 19. » Idéalement une œuvre d’art doit nous montrer les choses de telle façon que notre entendement effectue un travail de sélection, décidant de la hiérarchie entre les moyens d’expression mis en jeu. À la manière du cinéma parlant, pour le moins tel que perçu par les oreilles et les yeux encore novices d’Arnheim, le mélodrame fonctionne à la manière d’un numéro d’équilibriste entre différents moyens d’expression, sans pour autant qu’une réunion fusionnelle entre ceux-ci en soit nécessairement la finalité. C’est dans cette perspective qu’il faut considérer bon nombre de ces ouvrages hybrides faisant appel à la technique mélodramatique et qui virent le jour dans les années  et . Ouvrages conçus pour la scène, faisant appel à la musique, au chant et à la récitation, à la danse et à la pantomime, et qu’une métonymie plus ou moins justifiée incite parfois à les appeler « mélodrames » – d’ailleurs la vogue de tels hybrides va de pair avec les développements de l’art cinématographique, et son évolution alors contemporaine du muet au parlant n’est évidemment pas un hasard. On sait le rôle qu’a joué la danseuse-mime-récitante Ida Rubinstein pour la vogue de tels ouvrages, dont elle fut pour bon nombre d’entre eux commanditaire et interprète. Au début des années , Ida Rubinstein était au sommet de sa gloire mélodramatique, son nom étant régulièrement associé à des ouvrages mêlant récitation, action scénique et ballet. Ancienne danseuse des Ballets russes (-), Rubinstein avait fondé sa propre compagnie en , et connut son premier coup d’éclat cette même année avec la musique de scène de Claude Debussy pour Le Martyre de Saint Sébastien de Gabriele d’Annunzio. Mais c’est surtout avec Arthur Honegger que Rubinstein allait trouver son compositeur de prédilection, depuis la musique de scène que le compositeur écrivit à sa demande pour L’Impératrice aux rochers, miracle de Notre-Dame, un « mystère en cinq actes et un prologue » sur un livret de Saint Georges de Bouhélier 20. Bien que Bouhélier ait été réfractaire au mouvement symboliste, le texte de L’Impératrice se ressent encore de l’esthétique mystico-gothique du Martyre de Saint Sébastien qu’Ida Rubinstein prisait tout particulièrement (elle


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Musique et architecture sont des arts qui se passent également de l’imitation des choses ; ce sont des arts dans lesquels la matière et la forme ont des relations beaucoup plus intimes entre elles que

 

avait aussi confié à Honegger la musique de scène pour la Phaedre de d’Annunzio, créée à Rome en ). Toutefois L’Impératrice ne réussit guère, et dès  le compositeur s’empressa de la transformer en suite d’orchestre. En , Rubinstein passa une troisième commande à Honegger, celle d’Amphion, un hybride d’oratorio et de ballet, requérant solistes vocaux, chœurs et danseurs. L’œuvre fut créée à l’Opéra de Paris le  juin  avec une chorégraphie de Léonide Massine et des décors d’Alexandre Benois. Ida Rubinstein incarnait le rôle-titre, dansé, mimé et donc muet, à l’exception notable d’une seule scène où Amphion récite sur la musique – ce mélodrame est d’ailleurs maladroitement inséré à la fin de l’ouvrage ; qui plus est sa durée occupe presque un quart du temps total de l’ouvrage (et après les premières représentations, le compositeur avait eu l’intention de transformer ce long numéro en scène chantée 21). Amphion a été précisément appelé « mélodrame » par son librettiste, Paul Valéry. Le terme est trompeur si l’on s’en tient à une conception strictement déclamatoire du mélodrame, puisque Amphion ne recèle qu’une seule scène exigeant la déclamation mélodramatique. Le choix du terme « mélodrame » révèle la préoccupation première de Valéry pour une forme dramatique hybride, nécessitant le concours de la musique, de la parole et du geste, motivée par le thème de l’œuvre, qui est l’union fondamentale entre la musique et l’architecture. Le personnage d’Amphion, à qui Apollon offre une lyre, découvre progressivement la musique. Il invente d’abord la gamme, puis l’harmonie. Au fur et à mesure que le jeu musical d’Amphion s’enhardit, des pierres, soulevées par la seule musique, se mettent à former un temple : symbole de l’architecture née de la musique, selon la tradition pythagoricienne. Valéry a amplement commenté cette union entre musique et architecture, qui trouve une forme de réalisation idéale dans la danse et la pantomime, constamment invoquées dans l’ouvrage. Ses autres écrits se sont souvent fait l’écho de cette conception, et tout particulièrement son « Histoire d’Amphion », une conférence prononcée le  janvier , reprise depuis dans les Pièces sur l’art :


dans les autres […] Ils admettent tous deux la répétition, moyen tout-puissant ; ils recourent tous deux aux effets physiques de la grandeur et de l’intensité […] Enfin, leur nature respective permet ou suggère tout un luxe de combinaisons et de développements réguliers, par lequel ils se rattachent ou se comparent à la géométrie et l’analyse 22.

On n’a cependant pas suffisamment prêté attention à l’explication fournie par Valéry du choix du terme « mélodrame », et à ce qu’il implique pour le poète. C’est à l’occasion d’une conversation avec Claude Debussy (avant ) que l’idée d’Amphion lui était venue. Or ce qui premièrement incita Valéry à opter pour le mélodrame fut une réaction hostile contre l’opéra : L’opéra m’apparaissait un chaos, un usage désordonné de parties lyriques, orchestrales, dramatiques, mimiques, plastiques, chorégraphiques, un spectacle, en somme, grossier. […] Je dis à Debussy que j’entrevoyais un système extravagant fondé sur une analyse des moyens et sur une convention rigoureuse (quoiqu’arbitraire) par laquelle je donnais à chacun de ces moyens une fonction très nette et très stricte à remplir. Ainsi, l’orchestre et le chant recevaient des emplois profondément distincts, l’action dramatique, la mimique et la danse étaient rigoureusement séparées et produites chacune en son temps, pendant des durées bien déterminées. J’allais, je crois, jusqu’à diviser l’espace de la scène en lieux, en plans et en étages, et ces diverses régions devaient, dans chaque œuvre, être assignées à tel ou tel groupe chantant, ou dansant, ou mimant, ou même à tel personnage à l’exclusion de tous autres. […] L’ensemble représenterait le plus impérieux système de contraintes et de division du travail que l’on pût imaginer. C’est une débauche de discipline et de construction formelle 23.

Poussé dans ces derniers retranchements, ce système de contraintes viserait à « [exclure] méthodiquement l’imitation directe de la vie sur scène ». En définitive, « ce système s’approchait beaucoup d’une conception liturgique des spectacles ». « J’ai donc écrit Amphion, conclut Valéry, et j’ai appelé ceci : Mélodrame. Je n’ai pas trouvé d’autre terme pour qualifier cet ouvrage qui n’est certainement ni un opéra, ni un ballet, ni un oratorio. Dans ma pensée, il peut et doit se rapprocher d’une cérémonie de caractère religieux 24. » Valéry allait rester fidèle à cette conception du mélodrame pour son ouvrage suivant, mis en musique par Honegger, le ballet-


pantomime Sémiramis, cinquième commande d’Ida Rubinstein au compositeur, et qui comme Amphion, ne comporte qu’un seul mélodrame faisant appel à la récitation sur la musique. L’œuvre fut créée le  mai  à l’Opéra de Paris, toujours avec la commanditaire dans le rôle-titre. Dans un article paru en juin de cette même année, Valéry est revenu sur cette conception du mélodrame au sujet de Sémiramis, conception toujours motivée par son rejet de l’opéra et du drame lyrique, « impures combinaisons » ne permettant pas la coordination entre « mimique, musique, déclamation, chorégraphie, vision et plastique 25 ». PERSÉPHONE, UN ANTI-MÉLODRAME

  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • UN NOUVEAU LAOCOON • L’HYBRIDE MÉLODRAMATIQUE SELON PAUL VALÉRY

À dire vrai, le musicien idéal pour ce type de mélodrame, conçu comme une géométrie sonore et visuelle, est peut-être plus Strawinsky que Honegger. Ou pour le moins, le Strawinsky de Perséphone, tant cet ouvrage se rapproche au plus près de la conception liturgique voulue par Valéry et caractérisée par une grande sévérité formelle. À nouveau, Ida Rubinstein fut à l’origine de cette œuvre, créée à l’Opéra de Paris onze jours avant Sémiramis, le  avril , et toujours avec la commanditaire dans le rôle-titre, parlé et dansé. Chronologiquement, Perséphone se rattache parfaitement à la lignée des mélodrames précédents écrits pour Rubinstein. On ne sait pas ce que Strawinsky pensa de ce voisinage ! Toujours est-il que la question de la nature mélodramatique de Perséphone fut au cœur de la collaboration entre le compositeur et son librettiste, André Gide, laquelle se transforma rapidement en descente aux Enfers. Travaillant sur Perséphone, Strawinsky ne pouvait rien ignorer de l’équation Ida Rubinstein-mélodrame, et de la conception élargie de ce dernier, faisant une place primordiale à la pantomime et à la danse.Toutefois Strawinsky n’aimait pas désigner Perséphone comme un mélodrame, terme à son avis trop connoté, préférant les termes de « masque » ou « ballet-pantomime coordonné avec un texte parlé et chanté 26 ». Si Perséphone s’avérera être taillée sur mesure pour l’art de Rubinstein, cela ne doit pas cacher les profondes difficultés qui surgirent entre Gide et le compositeur, tant les deux hommes campaient sur leurs positions respectives et irréconciliables. Gide avait d’emblée fait savoir à Strawinsky qu’il souhaitait que la musique illustrât son texte : en étant soumise à celui-ci, la


musique devait en tirer sa substance et sa signification. Dans le livret original envoyé à Strawinsky en , Gide avait soigneusement précisé la teneur illustrative de la musique : « Le chœur entoure attentivement Perséphone, et se penche anxieusement vers elle. Une inquiétude inconnue s’est glissée dans l’orchestre qui jusqu’alors exprimait une pure joie. » Ou encore : « Le rythme accéléré de la musique, ironique et stridente au moment où Mercure selon le chant d’Eumolpe, bondit pour s’emparer de la grenade […] Perséphone a pris la grenade et y mord. Éclat de rire dans l’orchestre. » Précisions des plus irritantes pour Strawinsky qui nota dans la marge du premier exemple « !?! », et dans celle du second, en russe : « Quelle mentalité 27 ! » De telles directives ne pouvaient qu’horrifier Strawinsky, lequel attendait avant tout du texte poétique qu’il pût lui fournir « des syllabes, de belles et fortes syllabes, et seulement après cela une action 28. » Une lettre du compositeur à Gide, datée du  mars , fit clairement comprendre sa position : la partition de Perséphone devait être « un organisme musical indépendant » et non une musique destinée « à embellir le texte » et encore moins à « guider le public », à la manière de Wagner 29. Dans Perséphone texte et musique se meuvent dans des aires clairement délimitées, évoluant librement dans des sphères étrangères l’une à l’autre. Plutôt que de chercher un hypothétique mariage idéal entre musique et déclamation, Strawinsky a magnifié leurs différences 30. Dans la première partie de l’ouvrage, jamais ne s’observe un véritable échange ou dialogue entre la parole déclamée de Perséphone et les voix chantées du chœur ou d’Eumolpe. Les répliques parlées de Perséphone se situent toujours à des points d’articulation structurels : elles ne sont jamais insérées au cours d’un air ou d’un récit, mais elles fonctionnent à la manière d’une ponctuation. C’est dans la deuxième partie (« Perséphone aux Enfers ») qu’une forme de dialogue entre texte et musique se met en place. Ce dialogue commence au moment où Perséphone s’éveille : « Dans quelle étrangeté je m’éveille… où suisje ? » Mais en réalité les répliques de Perséphone gardent toujours leur fonction de signal structurel. La parole ponctue toujours des fins ou des débuts de périodes musicales, comme dans la séquence du chœur « sur ce lit elle repose », clairement organisée en deux parties, et où les interventions de Perséphone se situent avant la reprise de ce chœur.


— Je dis : Non ! — Qu’est-ce qu’elle dit ? — Elle dit qu’elle dit oui ! (Jeanne d’Arc au bûcher)

A priori, on trouvera plus d’une similitude entre les hybrides mélodramatiques scéniques que sont Perséphone de Strawinsky et Jeanne d’Arc au bûcher de Honegger :œuvres contemporaines (Jeanne d’Arc fut créée en , soit quatre ans après Perséphone), elles furent toutes deux suscitées par une même commanditaire qui fut aussi leur principale interprète, Ida Rubinstein. Mais en réalité leur esthétique mélodramatique est on ne peut plus divergente.

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • UN NOUVEAU LAOCOON • L’HYBRIDE MÉLODRAMATIQUE SELON PAUL VALÉRY

JEANNE D’ARC AU BÛCHER

 

Il n’est que de comparer le texte original de Gide avec celui retravaillé par Strawinsky pour comprendre le processus d’aliénation entre texte et musique voulu par le compositeur. Dans la première partie, Gide avait clairement conçu un dialogue entre Perséphone et les nymphes, dialogue encore renforcé par les nombreuses didascalies d’action : le chœur des Nymphes devait entourer Perséphone, l’empêcher d’approcher du narcisse. Autant d’indications de jeu scénique qui irritèrent Strawinsky, lequel les supprima 31. Le chœur des nymphes, conçu dans la version de Gide à la manière d’un chœur en action dialoguant avec Perséphone, est devenu chez Strawinsky un chœur purement abstrait : « Pourquoi des Nymphes ? Et si un chœur d’hommes le chantait ? » avait écrit le compositeur dès la première intervention du chœur des Nymphes dans le livret dactylographié de Gide 32. Pour Strawinsky « le chœur [devait] se tenir à part et rester en dehors de l’action 33 ». Perséphone refuse la conception d’une musique mélodramatique pléonastique qui serait cantonnée à un rôle de commentaire, d’illustration sonore, au contraire de ce qu’avait souhaité Gide. En poussant les conséquences du mariage mélodramatique ad absurdum, Perséphone est une œuvre qui, au même titre que le Pierrot lunaire, marque un point de non-retour dans l’histoire du mélodrame, telle qu’elle s’est développée depuis le Pygmalion de Rousseau.


Autant Perséphone se refuse à l’esthétique mélodramatique d’une musique inféodée au texte, et donc à toute rhétorique marquée par le pléonasme entre différents vecteurs d’expression (musique, mime, texte), autant Jeanne d’Arc semble glorifier la redondance mélodramatique. Terminée en , Jeanne d’Arc au bûcher (livret de Paul Claudel 34) est la sixième et dernière commande passée par Ida Rubinstein à Honegger. C’est aussi l’œuvre qui se démarque le plus de ses collaborations précédentes avec elle:on n’y trouve pas de ballet,comme dans Amphion, Sémiramis ou Les Noces d’Amour et de Psyché, et on ne saurait pas non plus la définir comme une musique de scène, à l’exemple de L’Impératrice aux rochers ou de Phaedre. Qualifiée par le compositeur d’« oratorio dramatique en onze scènes »,Jeanne d’Arc a toutefois été d’emblée conçue comme un oratorio scénique, et de ce fait l’ouvrage marque également sa distance avec les autres oratorios d’Honegger faisant appel à la récitation. Prévue pour  à l’Opéra de Paris, la création de l’œuvre fut constamment repoussée en raison de maints revirements et difficultés posés par Ida Rubinstein. Jeanne d’Arc fut finalement créée en , mais sous forme concertante (avec la commanditaire dans le rôle-titre) à Bâle le  mai  puis le  mai  à Rouen. La première représentation scénique n’eut lieu que le  juin  à Zurich et en allemand 35. Depuis, la carrière de Jeanne au bûcher a été surtout scénique. Mais il faut s’interroger sur la nature scénique de cet oratorio, dont l’action principale nous est restituée par un acte de lecture 36, celui de Frère Dominique qui lit à Jeanne l’illettrée le livre retraçant les événements antérieurs de sa vie et son procès. L’action proprement dite du procès est précédée par une introduction que constituent le prologue (ajouté par Claudel et mis en musique par Honegger en ), la scène I (« LesVoix du Ciel ») et la scène II (« Le Livre »). Cette dernière, durant laquelle a lieu le premier dialogue entre Frère Dominique et Jeanne, se fait d’ailleurs sans aucune musique. Le dialogue a ici une fonction précise : informer le spectateur sur la teneur du drame qui va suivre, soit le procès, lequel toutefois a déjà eu lieu.Ainsi l’action scénique de Jeanne d’Arc ne revit que par la force des mots : elle est un acte de parole, réalisée à travers la voix de Frère Dominique, qui est celui par qui le récit peut avoir lieu.


  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • UN NOUVEAU LAOCOON • L’HYBRIDE MÉLODRAMATIQUE SELON PAUL VALÉRY

Ce sont les paroles du procès, celles de Jeanne et de ses accusateurs, qui constituent le cœur même du drame : paroles qu’on répète, commente et déforme à n’en plus finir. On peut tracer un parallèle avec La Passion de Jeanne d’Arc de CarlTheodor Dreyer (), où justement le réalisateur avait voulu concentrer la matière de son film sur le seul procès, sans avoir à s’étendre sur des épisodes corollaires. Cette concentration du sujet a littéralement contaminé le traitement de l’image, avec l’utilisation de gros plans sur les protagonistes, parfois isolant jusqu’à la déformation une seule partie de leur visage dans une esthétique délibérément outrée : l’excès visuel, sa déformation, sur lequel influe également le rythme du montage faisant se télescoper des bribes de visages, sont autant de métaphores visuelles qui signifient l’outrance verbale absurde du procès. Ce que Dreyer a traduit par la force rythmique du montage, la mise en musique d’Honegger l’a restitué en soulignant la circulation intense des paroles (récitées et chantées), que se renvoient incessamment les acteurs du procès. Jeanne d’Arc au bûcher fait surtout usage de la voix récitante au sein d’un dispositif purement musical : ce n’est pas tant la récitation pour elle-même, comme vecteur de discours a-musical, qui intéresse le compositeur, que le crescendo expressif et dramatique qu’elle permet d’apporter au sein de la partition. L’ouvrage n’utilise que très rarement la voix récitante seule, sans le moindre soutien musical, sauf pour quelques parties bien précises, où l’absence de musique s’explique par le fait que ces séquences parlées sont situées hors du drame proprement dit. Ainsi de la scène II (« Le Livre »), durant laquelle un dialogue entre Frère Dominique et Jeanne a lieu, sans aucune musique – séquence dont le but est d’informer suffisamment le spectateur sur la teneur du drame qui va suivre, soit le procès. Ce faisant, il révèle aux spectateurs l’illusion théâtrale qui va se jouer, puisque le drame auquel il est convié à assister a déjà eu lieu, entièrement contenu dans les pages du livre que va lire Frère Dominique, et qui place Jeanne en spectatrice d’elle-même. Seule la scène IV (« Jeanne d’Arc livrée aux bêtes ») exige que Jeanne soit présente devant ses juges (au premier niveau de la scène), tandis que la scène suivante (« Jeanne d’Arc au poteau ») la replace dans sa position de spectatrice, soit au second niveau.


C’est également au cours de cette cinquième scène qu’un dialogue entre Jeanne et Frère Dominique se fait sans musique : parenthèse explicative faite par Frère Dominique à Jeanne, qui interrompt momentanément l’illusion théâtrale et justifie l’absence de la musique. Pour le reste, la récitation est constamment soutenue, amenée, suivie ; en un mot elle est envahie par la musique. La déclamation rythmée est elle aussi traitée de manière purement musicale, comme lors de la scène IV, où les acteurs du procès répètent en déclamation rythmique certains mots comme « Le Tigre ! », « Le Renard ! », « Le Serpent ! », « Mais alors ? », « Si, si, si ! », dans une écriture qui rappelle certains chœurs quasibruitistes des Choéphores de Milhaud (voir exemple 9.8, pp. 401-402). L’utilisation de la voix parlée dans Jeanne d’Arc vise à créer l’emphase sur ce que le chœur chante. Les voix récitantes sont toutes investies de ce rôle sur-expressif, que met particulièrement en valeur un procédé récurrent, soit une forme d’amplificatio de la parole au chant, mettant en valeur le chant plus que la parole. La voix récitante agit comme le doigt qui désigne, elle a une fonction déictique : non pas « voyez ce qu’on vous montre », mais « écoutez ce qu’on vous dit ! » Cette redondance s’observe dès le Prologue, lorsque le récitant scande « il y eut une fille appelée Jeanne », mots immédiatement repris par le chœur. Même procédé lorsque Frère Dominique (scène ) récite la prière en déclamation rythmée : « Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit[,] Ainsi soit-il » : à quoi vient s’enchaîner le chœur chanté répétant le « ainsi soit-il ». Toujours dans cette scène, le même mécanisme se produit avec la répétition chantée par le chœur de la déclamation de Frère Dominique:« Hérétique[,] sorcière[,] relapse[,] Jeanne! Jeanne! Jeanne! » Constamment répétées par le chœur, ces interjections créent une texture sonore et rythmique qui soutient le dialogue en déclamation libre entre Frère Dominique et Jeanne. Le chœur de Jeanne d’Arc joue le rôle d’un chœur-spectateur, procédé opératique et proto-cinématographique, témoignant également de cette volonté constante au cours de l’oratorio de confirmer ce qui vient d’être énoncé:« [Jeanne:] Je l’avoue! [Chœur récité:] Elle l’avoue! » Cette manière de systématiser la redondance est sans doute ce qui définit le mieux la qualité mélodramatique de Jeanne d’Arc au bûcher. D’où la nature quelque peu factice que possède, pour le moins à nos yeux, toute représentation scénique de l’œuvre. Pourquoi sur-montrer visuellement ce qui fait déjà l’objet d’une


sur-énonciation ? L’esthétique mélodramatique de Jeanne d’Arc au bûcher trahirait ce qui serait selon certains une conception abâtardie du mélodrame, parce que reposant sur un dispositif scénique dont le but est de permettre la restitution constante d’un moment par définition irreprésentable : emprisonnée dans un système scénique, Jeanne d’Arc au bûcher tombe dans le piège de sa propre représentation.

TOUT SAVOIR, TOUT CONNAÎTRE, TOUT PRÉVOIR : LE MÉLODRAME OU LE PLÉONASME SUBLIME

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • UN NOUVEAU LAOCOON • TOUT SAVOIR, TOUT CONNAÎTRE, TOUT PRÉVOIR

On laissera au goût de chacun le soin de décider si l’inflation du discours qui caractérise Jeanne au bûcher, constamment entretenue au cours de l’œuvre et que viendrait encore aggraver sa représentation visuelle, doit être perçue comme pléonasme ou périssologie, tels que distingués par Pierre Fontanier dans ses Figures du discours (). Le cas particulier de Jeanne d’Arc nous rappelle qu’avant même d’être un genre ou un procédé technique, le mélodrame doit être compris comme une esthétique. C’est ce qu’a démontré Peter Brooks dans The Melodramatic Imagination (, 2), et si son approche a beau être purement littéraire, cela n’ôte rien à la profondeur de ses vues pour aborder le mélodrame sous l’angle musical. L’esthétique mélodramatique est motivée par ce que Brooks a appelé le « overstatement », ce

 

Pléonasme a signifié dans le principe plénitude ou superfluité… Or, qu’est-ce, dans ce dernier sens, que le Pléonasme ? C’est une figure par laquelle on ajoute à l’expression de la pensée, pour en augmenter la clarté ou l’énergie, des mots d’ailleurs inutiles pour l’intégrité grammaticale… Dans quelles occasions a-t-on coutume d’employer ces mots surabondans ? N’est-ce pas lorsqu’on a de la peine à persuader ceux à qui l’on parle ? Et pourquoi les emploie-t-on ? N’est-ce pas afin de faire cesser tout doute, toute incertitude, et d’opérer une conviction entière ? Je l’ai vu de mes yeux, entendu de mes oreilles… Combien d’idées accessoires surabondantes renfermées dans ces mots, De mes yeux, De mes oreilles ! Combien ces idées n’ajoutent-elles pas à la clarté, à l’énergie, et combien ne contribuent-elles pas à l’effet qu’on se propose ! Ces mots ne sont donc pas aussi oiseux ni aussi superflus qu’on aurait pu le croire 37.


mode de l’excès s’exprimant à travers une rhétorique qui lui est propre, mais elle est aussi ce qui justifie le péché d’hétérogénéité ou d’impureté propre au mélodrame, cet objet artistique si typiquement romantique. Pourquoi aujourd’hui la rhétorique mélodramatique est-elle largement perçue comme un défaut ? Brooks a ainsi expliqué ce qu’il appelle la « rhétorique de l’étonnement » : « La rhétorique mélodramatique […] tend vers l’emphase et le sentencieux. Ses figures les plus typiques sont l’hyperbole, l’antithèse, l’oxymore : ces figures, précisément, qui expriment un refus de nuance. » Le mélodrame est motivé par « le désir de pouvoir tout exprimer […] Rien n’est épargné car rien n’est tu : les personnages sont sur la scène et disent l’indicible, ils donnent voix à leurs sentiments les plus profonds, dramatisent par leur vocabulaire et leurs gestes élevés et polarisés la leçon entière de leur relation 38. » Seulement, dans ce surplus d’expression et d’images résultant des mots, des gestes et de la musique, nous ne percevons plus aujourd’hui que les symptômes d’un genre inférieur, car n’offrant aucune résistance au décodage dramatique. Un spectateur désireux de sentir son intelligence mise à l’épreuve par les codes dramatiques ne sera guère flatté par le mélodrame, où tout lui est directement présenté. Dans un chapitre éloquemment intitulé « Romantic Opera : Politics, Trash, and High Art » de son Romantic Generation, Charles Rosen a fait preuve de son jugement mordant envers l’opéra romantique 39. Il n’y est que brièvement question du mélodrame, et même plutôt entre les lignes : défenseur d’un certain canon romantique réifié autour de la figure mythique du « grand compositeur », Rosen n’a cure de l’esthétique mélodramatique qui caractérise l’opéra romantique italien et franco-italianisant, mais il est dans une perspective totalement erronée lorsqu’il n’y voit que la preuve de la plus éclatante débilité artistique : « L’opéra du XIX e en France et en Italie est plus proche du trash que de l’art élevé ou de l’art populaire 40. » Avancer cela, c’est déjà dessiner clairement trois camps, dont celui de l’art « élevé » et de son antithèse. Mais ces trois camps résultent d’une lecture a posteriori. Un extrait de la Lucrèce Borgia deVictor Hugo montre à quel point Rosen, à l’instar de tant d’autres encore, semble se refuser obstinément à vouloir comprendre pourquoi, à un certain moment de notre histoire, dans notre musique et dans notre théâtre, il a fallu que cer-


tains ouvrages aient pour fondement même ce qui relève aujourd’hui des plus plates conventions, et qui se traduit par l’exagération des sentiments, l’exaltation de l’expression et le redoublement outré des intentions : Il est difficile pour un lecteur moderne d’avaler la scène […] où Lucrezia dit au jeune Gennaro, qui espère se venger de l’empoisonnement de ses amis, qu’il ne doit pas la tuer, car il est lui aussi un Borgia, le fils de Cesare. L’échange de répliques suivantes a lieu : GENNARO —

[…] Ah ! vous êtes ma tante ! Ah ! Madame ! Sa tante !

DOÑA LUCREZIA , à part. —

Puissé-je voir de mes yeux […] veut dire surtout : Puissé-je voir, et même plus que voir la foudre tomber sur elle ! Puissé-je repaître mes yeux de ce spectacle ! et en faire ma joie, mes délices ! Le Pléonasme a donc là un objet et un caractère un peu différent que lorsqu’on dit : Je l’ai vu de mes yeux. Il fait plus qu’ajouter à l’énergie du discours ; il lui communique toute la fureur de la passion terrible de Camille ; il le rend, s’il faut le dire, forcené, frénétique 43.

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • UN NOUVEAU LAOCOON • TOUT SAVOIR, TOUT CONNAÎTRE, TOUT PRÉVOIR

Cette scène peut certes passer pour risible, surtout à l’aune de nos critères contemporains, mais l’intention de Hugo ne fut certainement pas d’atteindre au ridicule. Rosen ne doit pas l’ignorer, mais c’est quelque chose qu’il refuse de commenter. Pour ce qui est de la réalisation théâtrale de tels moments, l’exercice est évidemment difficile : cela, le public de l’époque le savait parfaitement, et ces passages obligés mélodramatiques où le jeu « sublime » d’un acteur se risquait nécessairement à frôler l’emphase ridicule, étaient d’autant plus attendus et goûtés. Ce fut d’ailleurs avec de telles répliques (« Ah ! vous êtes ma tante ! ») qu’un acteur comme Frédérick Lemaître avait construit sa réputation, faisant à chaque fois frémir d’horreur (délicieuse) son public 42. Ce qui est ici en jeu est une esthétique du pléonasme, en partant de la définition donnée par Fontanier du pléonasme rhétorique, exemplifié par les imprécations de Camille dans Les Horaces, « Puissé-je de mes yeux y voir tomber la foudre ! »

 

durant lequel l’actrice doit montrer au public qu’elle est sa mère, et qu’il est né d’une union incestueuse. Je cite cela pour montrer à quel point le drame sérieux de l’époque peut seulement être apprécié en tant que théâtralité affectée. La Lucrezia Borgia de Donizetti suit de près l’original hugolien, et c’est dommage que cet extrait du dialogue ait été supprimé 41.


Le mélodrame est le lieu scénique idéal pour un tel déploiement du pléonasme, ce qui explique également ce paradigme du « tout savoir, tout connaître, tout prévoir » qui fait du mélodrame un spectacle entièrement axé sur la dramatisation de l’attente : Le mélodrame traite ses sentiments et idées à la manière d’entités plastiques : des modèles tactiles et visuels livrés aux regards et aux agissements de tous. Les émotions sont restituées dans un jeu total, dans une représentation totale offerte à nos yeux. Nous en venons à attendre le moment durant lequel les personnages vont révéler la source de leur être, leurs motifs, leurs relations, le moment durant lequel une fille s’écriera : « Oh mon père ! » ou un traître : « Oui, c’est moi qui ai cherché la ruine de l’innocence ! » Ils profèrent non seulement aux autres personnages mais également à nous une claire image de leur âme, ils désignent sans le moindre embarras des vérités éternelles. Rien n’est entendu, tout est exagéré [nothing is understood, all is overstated] 44.

Ce principe provoque un renversement des valeurs dans le déroulement de la narration. Ce n’est pas ce à quoi tend le drame, sa résolution, qui fournit le climax mélodramatique, mais la tension elle-même, et plus précisément la manière dont elle va se construire. Il y a dans le mélodrame une saturation de l’information qui implique une saturation de l’expression : d’où le danger de la dérive mélodramatique, qui est le défaut de périssologie, cette forme abâtardie du pléonasme, expression de la superfluité poétique, comme définie par Fontanier. Dès le début du XIXe siècle, les développements de l’esthétique mélodramatique, que ce soit à l’opéra, sur les théâtres de boulevard ou encore en littérature, n’ont fait que mettre encore plus en lumière ce mécanisme fondamental du surcroît expressif poussé jusqu’à l’absurde. Or c’est justement dans la déchéance de cet excès rhétorique que nous percevons aujourd’hui le mélodrame. Si le mélodrame s’est fait mélo, c’est parce que nous maintenons une vision linéaire excessivement simpliste en considérant son évolution comme un phénomène de décadence, amorcé dès les premiers mélodrames conçus dans un esprit novateur à la fin du XVIIIe siècle, puis rapidement devenus l’apanage des foules populaires dès le début du XIXe siècle. Peut-être est-ce à cause de notre sophistication postmoderne que nous ne prenons plus le mélodrame « sérieusement » – peut-être même ne l’a-t-il jamais été – mais toujours avec un certain déta-


chement ironique. Toutefois il est remarquable qu’en tant que spectateurs nous pouvons opposer une réserve à ce qui est mélodramatique – le prendre pour une farce parfois – tout en étant sérieusement ébranlés. L’excès peut être excitant, même lorsqu’il s’agit plus d’une citation de systèmes passés de signification que d’un investissement sérieux dans la réalité présente 45.

  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • UN NOUVEAU LAOCOON • TOUT SAVOIR, TOUT CONNAÎTRE, TOUT PRÉVOIR

La remarque de Brooks, et en particulier ce qu’il désigne comme une « citation de systèmes passés de signification », nous fait entrer de plain-pied dans ce qui pourrait être défini comme la sémiotique du mélodrame romantique et de ses « pratiques signifiantes », qui exigent l’usage de la musique et d’autres « signes non verbaux 46 ». Le mélodrame devient même « le drame du signe […] joué sur toute une échelle de codes – ou peut-être plus justement, un ensemble de différents registres de signes, qui peuvent se renforcer et se relayer les uns aux autres. Le mélodrame tend au théâtre total, son signe est projeté, par séquences ou simultanément, sur des plans différents 47 ». Rendre l’outré toujours plus outré est le mécanisme fondamental du mélodrame. C’est ainsi qu’il débouche sur la cristallisation d’un signe, d’une icône, supposément investis d’une valeur universelle, identifiable et décodable par tous. Mais à trop vouloir toucher le sublime, le mélodrame a fini par se brûler les ailes : entre l’esthétique mélodramatique poussée à son comble et le plaisir de masse qui caractérisera l’essor des genres populaires parathéâtraux au cours du XIXe siècle, la distance se fait pour ainsi dire inexistante. Il faut aborder dans une optique moins réductrice ces redondances et tautologies signifiantes propres au mélodrame. Celui-ci doit être compris comme une remise en question du langage dramatique musical, impliquant une distance avec les conventions d’alors qui étaient surtout formées par la pratique de l’opéra : dans le sillage immédiat du Pygmalion de Rousseau, les mélodrames de Benda en sont les exemples fondateurs les plus flagrants, et s’il faut voir une filiation entre le mélodrame dans le style de Benda et le mélodrame à l’ère romantique, c’est sur ce point qu’il faut la trouver. Évidemment le mélodrame musical s’accorde mal et même contredit ce modèle idéal romantique et d’obédience germanique qui fait de la musique le plus sublime et le plus universel de tous les arts, art autonome pouvant donc se dispenser du


concours des mots, pour paraphraser une perception typiquement schumannienne. C’est ainsi que Leonard B. Meyer a pu parler de la « répudiation des conventions » propre à la musique romantique 48 ; ou plutôt, propre à une certaine conception de celle-ci : car le mélodrame, qui est après tout l’une des formes d’expression les plus emblématiques du romantisme, ne répudie en aucun cas ces conventions. Ce qui ne signifie pas non plus qu’il s’y soumette aveuglément. Au contraire, il se nourrit de celles-ci et les célèbre dans ce qui apparaît bien être ce « drame du signe » évoqué par Peter Brooks, un jeu sur les pratiques signifiantes propres au langage dramatique. En s’érigeant sur des systèmes de codifications des signes (visuels, musicaux, poétiques) développés depuis le XVIIIe siècle, le mélodrame s’est fait cristallisation dramaturgique de ces mêmes signes : fonctionnant à la manière d’arrêts sur images (le tableau scénique), le mélodrame doit d’une part contenir l’excès des passions dans une image figée, tout en maintenant son déferlement expressif. Pour démontrer ce qu’il y a de plus sublime, et donc de plus indescriptible et irreprésentable, doit s’ériger un dispositif dramatique permettant de représenter cet instantlimite. Il faut définir l’indéfinissable, le décrire afin de le concrétiser et l’enfermer dans les délimitations d’une représentation (c’est là tout le problème d’une œuvre comme Jeanne d’Arc au bûcher). C’est ainsi que nos jugements contemporains persistent encore trop souvent à ne voir dans le mélodrame que la baudruche ridicule gonflée d’un sublime irreprésentable. Essayons au contraire de ne pas nous montrer exclusivement sensibles à ce moment d’après – quand le sublime retombe, rattrapé par sa propre représentation – et réapprenons à aimer le mélodrame pour ce qu’il est : un exercice périlleux qui tend à la jouissance de l’instant-limite, où le sublime, à tout moment, risque de sombrer dans l’outrance.


Notes p. 

Annexe.

      ² p.  Bibliographie p. 

Liste des illustrations p. 

Liste des exemples musicaux p. 

Remerciements p. 

Index p. 


NOTES DE L’INTRODUCTION 1 SCARTON : 1998 ; quatrième de couver- 6 Article M ELODRAM par Monika Schwarz-

ture ; c’est moi qui souligne.

Danuser, in FINSCHER (éd.) : 1994-, vol.

2 JIRÁNEK : 2001, p. 95. vi, p. 68 ; c’est moi qui souligne. 3 Gérard Condé dans son texte de présen- 7 Article MÉLODRAME, in WEBER et al. (éd.) :

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1992, p. 486 ; c’est moi qui souligne. Les auteurs auront été trompés à la fois par l’allemand « Monodrama », terme désignant un monologue théâtral, et par l’italien melodramma. SCARTON : 1998, p. 5 ; c’est moi qui souligne. Scarton soutient que le mot italien melologo, documenté en Italie depuis le dernier tiers du XVIIIe siècle, a été créé par José Subirà en 1949, afin de remplacer « les équivoques Melodrama ou Melodram en allemand, melodrama en anglais et en espagnol [sic], mélodrame en français […] » (idem, note). PESSON : 2004, p. 172. Lors d’entretiens radiophoniques avec l’auteur, diffusés sur France Musique en 1998. CD Sony SMK48466. BROOKS : 21995 ( 1 1976). STEINITZER : 1919, p. 2. STEINITZER : 1919, p. 1 ; c’est moi qui souligne. « Die Darstellerin der Martha hat diese ihre Seelenstimmung schildernde melodramatische Musik in massvollster, aber in einer dem Charakter der musikalischen Phrasen entsprechenden Weise mimisch auszufüllen » (KIENZL : 1895, I4). RÜHM : 2001, pp. 243-244. Propos de Valéry au sujet de Sémiramis publiés dans Le Mois, n° 41, juin 1934, in VALÉRY : 1960, vol. ii, p. 1580.

 EN MUSIQUE DANS LE TEXTE NOTES DE L’INTRODUCTION

tation du mélodrame en trois actes et cinq tableaux d’Alphonse Daudet : L’Arlésienne, musique de Georges Bizet. 2 CD Valois V4839, p. 15 ; c’est moi qui souligne. 4 Le livre de Van der Veen étant épuisé, le lecteur francophone doit se rabattre sur l’italien et l’allemand pour avoir accès aux deux seuls ouvrages de fond actuellement disponibles sur le mélodrame : celui de Cesare SCARTON, Il melologo. Una ricerca storica tra recitazione e musica [Le mélodrame, une recherche historique entre déclamation et musique] (1998), et celui d’Ulrich KÜHN, Sprech-Ton-Kunst. Musikalisches Sprechen und Formen des Melodrams im Schauspiel– und Musiktheater (1770-1933) [Parole-son-art. Le parler musical et les formes du mélodrame dans le théâtre et le théâtre musical] (2001). L’ouvrage de Scarton est pour l’essentiel une actualisation de l’ouvrage de Van der Veen, et il s’en tient à l’habituelle perception du mélodrame traité comme heureux mariage entre musique et déclamation (ce que signale d’ailleurs le titre de son livre). L’ouvrage d’Ulrich Kühn annonce quant à lui encore plus clairement qu’il traite non pas du mélodrame en général mais des questions liées à la déclamation mélodramatique, celle-ci principalement étudiée dans l’orbe germanique. 5 VAN DER VEEN : 1955, pp. 110-111.


NOTES DU CHAPITRE I 1 Tel que décrit par l’abbé Galiani dans la 18 Ce texte (« Particularités sur J. J. Rous-

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Gazette des spectacles, 27 février 1773 (EPINAY, GALIANI : 1992-1997, vol. iii, p. 207). Notamment par Charles Burney : voir p. 26. Selon Quirino Principe dans Richard Strauss, 1989, cité in SCARTON : 1998, p. 19, note. Sur cette version, dont la musique est aujourd’hui perdue, voir p. 208 sq.. BECKER : 1878. L’ouvrage le plus complet à ce jour reste SUBIRÁ : 1949-1950. SUBIRÁ : 1949-1950, vol. i, p. 25. SUBIRÁ : 1949-1950, vol. ii, pp. 251-252 (sur Hanníbal), et p. 363. L’andante de l’Ouverture correspond note pour note, sauf pour de très légères modifications dans la tête du motif initial et dans les parties intermédiaires, à l’« Air des songes » de la première entrée (Hésiode) du ballet Les Muses galantes, composé par Rousseau entre 1744-1745. Je remercie Jean-Jacques Eigeldinger pour m’avoir fourni cette information. Julie von Bondeli au docteur Johann Georg Zimmermann, 21 janvier 1763 (ROUSSEAU : 1965-1998, Lettre n° 2445, vol. xv). Autographe conservé dans le fonds DuPeyrou de la Bibliothèque Publique et Universitaire de Neuchâtel, cote Ms. R. 27. Le fac-similé de ces deux folios est donné dans ROUSSEAU, COIGNET : 1997, pp. 55-56. JANSEN : 1884, p. 296. C’est Rousseau « qui a traité le sujet de Pygmalion » (GRIMM et al. : 1879, vol. ix, pp. 22-24). In L’Observateur François à Londres, repris dans le Mercure de France, novembre 1770, p. 125. Le « voyageur anglois » était William Constable, un correspondant occasionnel du Mercure de France. En aucun cas il ne peut s’agir de Charles Burney (SCARTON : 1998, p. 32). Mercure de France, janvier 1771, p. 198. Mercure de France, janvier 1771, p. 199.

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seau, pendant le séjour qu’il fit à Lyon en 1770 ») a été publié dans MAHUL : 1822, pp. 123-128. In MAHUL : 1822, p. 128. Les parties séparées de la musique de Pygmalion furent imprimées au frais de Coignet chez Castaud à Lyon durant l’hiver 17701771. In MAHUL : 1822, p. 124 ; c’est moi qui souligne. In MAHUL : 1822, p. 125. Denis DIDEROT : Troisième Entretien sur le Fils Naturel (DIDEROT : 1988, pp. 161162). Rédigés durant l’été 1756, après la visite de Rousseau à l’Ermitage en avril, les Entretiens montrent « la voix altérée » ou encore « le fantôme de Rousseau » en filigrane de Dorval, pour reprendre ces expressions de Paul Vernière dans son introduction aux Entretiens (DIDEROT : 1988, pp. 73-74). Mercure de France, janvier 1771, p. 198. Horace COIGNET : « Particularités sur J.J. Rousseau, pendant le séjour qu’il fit à Lyon en 1770 », in MAHUL : 1822, p. 124. Lettre datée du [début mai 1771] (ROUSSEAU : 1965-1998, vol. xxxviii, lettre n° 6861). Essai sur l’origine des langues (ROUSSEAU : 1995, p. 410). Article GÉNIE, Dictionnaire de musique (ROUSSEAU : 1995, pp. 837-838). DIDEROT : 1969, vol. xiii, p. 800. ROUSSEAU : 1781, pp. 3-4. ROUSSEAU : 1995, p. 328. DIDEROT : 1977, p. 79. DIDEROT : 1977, pp. 88-89 ; c’est moi qui souligne. DIDEROT, D’ALEMBERT (éd.) : 1754, vol. iv, p. 689. DIDEROT, D’ALEMBERT (éd.) : 1754, vol. iv, p. 690. COUVREUR : 1999 a démontré que cette anecdote ne se fondait sur aucun fait avéré durant la vie de Lully. DIDEROT, D’ALEMBERT (éd.) : 1765, vol. xiii, p. 854. Ce passage a été conservé à l’identique dans le Dictionnaire de musique. DORAT : 1767, p. 4. Ce texte a été publié sous le titre factice


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Arts, vaste cycle théâtral de quatre pièces, ne fut jamais intégralement représenté, et seul son deuxième épisode, Le Suborneur, fit l’objet d’une unique représentation au ThéâtreItalien en 1792. On trouvera également dans ROUGEMONT (éd.) : 1998, des exemples de parodies de ce style (dont la célèbre pochade de la déclamation de Lekain, toute entrecoupée de points d’exclamation, de suspension et autres interjections), et qui témoignent de sa diffusion et popularité. « Marie ! Marie ! nimm mich mit dir ! nimm mich mit dir ! Eine traurige Musik tönt einige Laute von innen. Sie beginnen den Weg zum Grabe ! — Haltet, haltet ! Schliesst den Sarg nicht ! Lasst mich sie noch einmal sehen ! […] die Musik geht wieder an. Sie ruft mir ! sie ruft mir ! Ich komme ! — Welche Angst umgibt mich ! Welches Beben hält mich zurück ! Die Musik fängt zum drittenmal an und fährt fort… » (GOETHE : 81974, vol. iv, pp. 303-304). Plus encore que dans cet exemple et dans celui de son mélodrame Proserpina, c’est dans le projet de concevoir la seconde partie du Faust comme un opéra que l’influence mélodramatique est la plus importante – il n’est d’ailleurs guère étonnant que certains commentateurs aient vu dans Faust un Gesamtkunstwerk avant la lettre. Voir FÄHNRICH : 1963, p. 261 ; BRAITO : 2002, pp. 187-202. Denis DIDEROT : De la poésie dramatique (DIDEROT : 1988, p. 261). Voir FLAHERTY : 1989. RAGUENET : 1702/ R 1976, p. 59. DIDEROT, D’ALEMBERT (éd.) : 1751, vol. i, p. 77. Lettre à M. Grimm (ROUSSEAU : 1995, p. 273). ROUSSEAU : 1995, pp. 304-305. Dictionnaire de musique, article UNITÉ DE MÉLODIE (ROUSSEAU : 1995, pp. 1143 et 1 144). Sur le XVIIIe siècle comme siècle des encyclopédies, dictionnaires, lexiques et autres catalogues, des pictogrammes et des langages codés de toutes sortes (notamment le langage des sourdsmuets de l’abbé de l’Epée), voir

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54 SADE : vol. ii, 1991, p. 209. L’Union des

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[L’origine de la mélodie] in WOKLER : 1987, pp. 202-220, et in ROUSSEAU : 1995, pp. 329-343. ROUSSEAU : 1995, pp. 1012-1013. L’expression italienne recitativo obbligato s’utilise pour désigner un cas particulier du recitativo accompagnato (récitatif accompagné). Ce dernier est un récitatif où la voix n’est pas accompagnée par le seul continuo qui soutient la déclamation par une succession d’accords, mais par une texture instrumentale plus étoffée confiée aux cordes. Le récitatif accompagné est ainsi caractérisé par les « ritournelles » et autres « traits de symphonie » venant couper ou entrecouper (pour reprendre le vocabulaire de l’époque) le discours du chanteur à la manière d’une ponctuation musicale. À cette texture peut parfois s’ajouter le concours d’un instrument soliste (violon, flûte, hautbois, trompette). Lorsque cette partie instrumentale est exploitée de manière à être mise en avant, on évoque alors plutôt le recitativo obbligato : récitatif obligé, c’est-à-dire avec le concours d’un instrument devant littéralement être « obligé » à la voix. ROUSSEAU : 1995, p. 1012. Dictionnaire de musique (ROUSSEAU : 1 995, p. 1012). ROUSSEAU : 1995, p. 446. ROUSSEAU : 1995, p. 447. ROUSSEAU : 1995, p. 447. ROUSSEAU : 1995, pp. 447-448. Lettre sur la musique françoise (ROUSSEAU : 1995, p. 321). Voir également dans le plus tardif article RÉCITATIF OBLIGÉ du Dictionnaire de musique : « Que ne seroit point le Récitatif obligé dans des scènes grandes et pathétiques, si l’on en peut tirer ce parti dans un genre rustique et badin ? » (ROUSSEAU : 1995, p. 1013). GARDA : 1994 a traité de la notion de « pathétique » et de « terrible » chez Gluck. DIDEROT : 1988, p. 169. DIDEROT : 1988, p. 167. DIDEROT : 1988, pp. 169-170. DIDEROT : 1988, p. 170. Journal de Collé, cité par Paul Vernière dans son introduction aux Entretiens sur le Fils naturel (DIDEROT : 1988, p. 169, note).


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KNOWLSON : 1965 ; DROIXHTE : 1978 ; MIRZOEFF : 1992 ; ECO : 1994 ; DIDIER : 1996. La revue Critique a consacré un numéro à la lexicographie dixhuitiémiste : Dicomania, la folie des dictionnaires, liv/608-609 (1998). Article H IÉROGLYPHE, par Denis de Jaucourt, in DIDEROT, D’ALEMBERT (éd.) : 1765, vol. xviii, p. 101. Lettre sur les sourds et les muets (DIDEROT : 1996, vol. iv, p. 34). DIDEROT : 1996, vol. iv, p. 41. DIDEROT : 1996, vol. iv, p. 43. DIDEROT : 1996, vol. iv, p. 46. CERNUSCHI : 1990, p. 65. SALA : 1995, pp. 147-148, donne comme exemple celui de La Pie voleuse ou la servante de Palaiseau, « mélodrame historique » de Caignez et Baudoin, sur une musique de Louis-Alexandre Piccinni (Porte Saint-Martin, 1815).

71 VAN DER VEEN : 1955, p. 10. 72 VAN DER VEEN : 1955, pp. 10-11. 73 Comme ce fut le cas lors de représenta-

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tions scéniques du Pygmalion données à Lyon en 1980, à Genève en 1997, à Montréal en 2001. Voir p. 19. ROUSSEAU : 1964a, pp. 1230-1231. Voir p. 21. On trouvera dans STAROBINSKI : 1971, p. 92 une réflexion sur cette statue qui ayant pris vie « prend conscience de soi » avant de prendre conscience du monde extérieur : « Galathée se touche et dit. Moi. » Puis « Galathée fait quelques pas et touche un marbre [.] Ce n’est plus moi. » ROUSSEAU : 1964a, p. 1226. ROUSSEAU : 1964a, p. 1228.

NOTES DU CHAPITRE 2 1 Wolfgang Schimpf a livré une liste fort

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complète (l’exhaustivité en la matière semble impossible) de soixante-quinze mélodrames et de trente-cinq ouvrages utilisant la technique mélodramatique (parodies, cantates, opéras, Trauerspiele avec chœurs…) composés en Allemagne entre 1772 et 1815. Il y a malheureusement un nombre non négligeable de sources disparues ou pas encore localisées, comme pour ce Doktor Faustus, Lustspiel mit melodramatischen Szene de 1778, dont on ne connaît que le livret de Johann Friedrich Schink, ou encore pour le monodrame Hekuba, livret de Johann Friedrich Kinderling (1801), sur une musique non identifiée ni localisée (SCHIMPF : 1988, pp. 200-243). SCHIMPF : 1988, p. 26. KÜSTER : 1994, p. 199. Le compte rendu en question est « Ariadne auf Naxos, ein Duodrama […] », publié dans le vol. 1/2 du Musicalisches Kunstmagazin, 1782, pp. 86-87. Sur Eberlin, voir HAAS : 1920. Les protomélodrames de Zelenka ont été étudiés par KOHLHASE : 1997 ; KROUPA : 1997 ; SCHERL : 1997. KÜSTER : 1994, p. 132, pp. 134-135. Xindo riconosciuto, opera seria en 3

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actes (Gotha, 1765) ; Il buon marito, intermezzo en 2 actes (Gotha, 1766) ; Il nuove [sic] maestro di capella, intermezzo (Gotha, 1766) ; Der Jahrmarkt, Singspiel en un acte (Gotha, 1775) ; Walder, Singspiel en un acte (Gotha, 1775) ; Romeo und Julie, Singspiel en 3 actes (Gotha, 1776) ; Der Holzbauer oder Die drey Wünsche, Singspiel en un acte (Gotha, 1777) ; Das Findelkind oder Unverhofft kömmt oft, Operette en un acte (1782-1787 ; probablement jamais représenté) ; Das tartarische Gesetz, Singspiel en 2 actes (Mannheim, 1787). BURNEY : 1935, vol. ii, p. 956. C. P. E. Bach eut la plus grande sympathie pour Benda, le visitant de temps à autre à Gotha, où il donna d’ailleurs deux concerts en 1754 (KÜSTER : 1984, pp. 198-199). FORKEL : 1778-1779/ R 1964, vol. iii, p. 258 (1779). FORKEL : 1778-1779/ R 1964, vol. iii, p. 255 (1779). Benda, in CRAMER (éd.) : 1783, vol. i, p. 752 ; 28 juillet 1783. Benda, in CRAMER (éd.) : 1783, vol. i, p. 753 ; 28 juillet 1783. Benda, in CRAMER (éd.) : 1783, vol. i, p. 753 ; 28 juillet 1783.


13 KÜSTER : 1994, p. 217. Sublime and Beautiful de 1757 (KÜS14 Cité in KÜSTER : 1994, p. 217. TER : 1995, pp. 97-104). 15 VAN DER VEEN : 1955, pp. 60-61. On 27 « Storms, Sacrifices : “The Melodrama

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Model” in Opera », in CHARLTON : 2000, chapitre x, pp. 1-61. CHARLTON : 2000, chapitre x, pp. 11-12. Voir p. 125. Voir p. 60. CHION : 1985, p. 56. CHARLTON : 2000, chapitre x, p. 11. BOOTH : 21983. Ariadne | auf | Naxos | Ein Duodrama | mit | Musikalischen Zwischensätzen | von Georg Benda (Staatsbibliothek zu Berlin, Mus. Ms. Autogr. Benda G5). Klavierauszug von Ariadne auf Naxos, einem Duodrama. Im Musik gesetzt von Georg Benda. Leipzig, im Schwickertschen Verlage. 1778. On trouvera dans CHARLTON : 2000, chapitre x, p. 13 un aperçu détaillé du parcours tonal de la seconde partie d’Ariadne, où s’observe la prééminence du ton de ré mineur. Voir également le mélodrame d’Egmont, p. 109 sq. « Schönbergs “Erwartung” und das Ariadne-Thema », in WÖRNER : 1970, pp. 91-117. Toutefois les récits purement linéaires et respectueux de l’ordre chronologique ne sont en rien une norme, et comme l’a avancé Genette, ils sont même plutôt exceptionnels (GENETTE : 1972, chapitre i « Ordre », pp. 77-121). STOCKHAUSEN : 1963, vol. i, p. 190. FONTANIER : 1977, p. 404. J’utilise ce terme dans son sens rhétorique le plus strict, comme défini par Fontanier dans ses Figures du discours (1821-1830), et non comme métaphore des rapports musique-texte telle que développée par Carolyn Abbate qui en a élargi sa signification de manière à l’appliquer à toute forme de langage critique destiné à décrire les « voix multiples et décentrées [de la musique], localisées dans plusieurs corps invisibles » (ABBATE : 1991, p. 13). FONTANIER : 1977, p. 405. DUJARDIN : 1931, pp. 214-225. Sur le monologue comme « une tentative pour représenter les “mouvements de l’âme” », voir CULLER : 1975, p. 381, ainsi que COHN : 1978 ; ZELTNER : 1 995.

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trouvera de nombreux articles publiés sur ce sujet, depuis le début du XXe siècle. Particulièrement révélateur de cette approche du mélodrame axée sur la « Leitmotivik » wagnérienne est le fascicule « Das Melodram » de Heinrich Martens (MARTENS : 1933). McCREDIE : 1985 offre une approche récente avec un regard modéré sur Benda comme « précurseur » du leitmotiv. STOLLBERG : 2002, p. 138, note. « La différence essentielle entre le type français et le type allemand du mélodrame consiste en ce que le premier est divisé en un certain nombre de morceaux musicaux qui sont presque indépendants les uns des autres, tandis que le second est conçu comme un tout, où la déclamation s’intercale sans rompre, ou sans chercher à rompre l’unité musicale qui se réalise notamment par l’emploi du leitmotiv. Dans ce dernier type l’union de la déclamation et de la musique est plus étroite, tandis que dans le mélodrame français la musique tend plutôt à remplir les intervalles de la déclamation : elle se rapporte plutôt à la mimique et à la pantomime, qu’à la déclamation » (VAN DER VEEN : 1955, pp. 44-45). On reconnaît entre les lignes ce que la conception du mélodrame du second type doit à un certain idéal organiciste propre à l’esthétique musicale germanique. SALA : 1995, p. 53, et SALA : 1998. SALA : 1995, p. 53. Passage qu’Engel a commenté d’un point de vue pantomimique : voir p. 226 sq. Pour une discussion détaillée de ce genre de texture lisse, par opposition à une texture striée, voir p. 278 sq. SALA : 1995, p. 24 sq. Voir p. 313. Goethe : « Proserpina » (GOETHE : 1858, vol. xxxv, p. 390). METZ : 1981, p. 127. U. Küster a rapproché l’esthétique sublime du mélodrame de Benda et de ses continuateurs avec l’essai d’Edmund Burke : A Philosophical Enquiry Into the


44 MALLARMÉ : 1998, vol. i, p. 87. 45 Ce dernier point a d’ailleurs été com-

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menté par Alfred Thibaudet, pour qui toutefois les répliques de la nourrice sont des interruptions en mauvais vers du monologue d’Hérodiade (THIBAUDET : 1926, pp. 389-390). Peter Szondi s’est demandé si « la forme dialoguée de ce poème ne lui est pas étrangère plutôt qu’essentielle. Ce drame poétique n’est-il pas, en fin de compte […] un monologue lyrique ? » (SZONDI : 1981, p. 97). « Le drame poétique ne trouve pas sa réalité sur la scène, mais dans la réalité de l’imagination, qu’évoque la langue. La qualité du dialogue, dans les drames poétiques, n’est pas liée à la possibilité de ce dialogue dans une situation donnée ; la question est de savoir si la situation se réalise pour l’imagination par les moyens de la langue. Bref, le drame poétique n’est pas de la poésie dialoguée, mais du théâtre imaginaire. » (SZONDI : 1981, p. 87). Sur cette Ariane madrilène, voir SUBIRÁ : 1949-1950, vol. i, pp. 167-177. Voir SUBIRÁ : 1949-1950, vol. ii, pp. 342345 ; le texte complet du monologue est donné pp. 483-490. KÜSTER : 1994, p. 133. STRAWINSKY, CRAFT : 41968, p. 22. SCHIMPF : 1988, pp. 108-111. KÜSTER : 1994, pp. 140-147. ROUSSEAU : 1964a, p. 1224. Le passage entre […] est donné dans l’autographe mais n’a pas été reporté dans l’édition de la Pléiade. Denis DIDEROT : De la poésie dramatique, chapitre xi « De l’intérêt » (DIDEROT : 1988, p. 227). Chapitre xi « De l’intérêt » (DIDEROT : 1988, p. 229). DIDEROT : 1988, p. 229. Dans les pays germaniques, les vues de Diderot allaient trouver écho grâce à Gotthold Ephraïm Lessing, qui avait traduit le Discours dès 1760, et qui commenta avec enthousiasme le passage susmentionné du chapitre ix « De l’intérêt » dans l’un des feuilletons de sa Hamburgische

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Dramaturgie (13 octobre 1767), rappelant toutefois qu’Euripide avait déjà suivi cette règle implicite selon laquelle le spectateur se devait d’être surinformé par rapport aux personnages : « [Euripide] montrait presque toujours aux spectateurs vers quel but il voulait les mener » (LESSING : 1912, vol. v, pp. 231235 ; p. 234 pour la citation). BUCK : 1992 a commenté l’influence des théories théâtrales de Diderot sur Lessing. Pourtant, on présente en général la brève production mélodramatique de Mozart comme supérieure à celle de Benda, ne serait-ce que parce qu’elle lui est postérieure chronologiquement ! Voir notamment MAUSER : 1986 ; McCREDDIE : 1993 ; LÜTTEKEN : 1994 . La genèse de cette Semiramis est traitée par McCREDIE : 1993. « Die seylerische trupe ist hier […] H. v. Dallberg ist Director davon. Diese lässt mich nicht fort, bis ich im ein Duodrama componirt habe […] ; deñ, diese art Drama zu schreiben habe ich na i[mm]er gewunschen ; […] ich habe damals hier ein solch stück 2 male mit den grössten vergnügen auführen gesehen ! — in der that, mich hat noch niemal etwas so surprenirt ! […] sie wissen wohl, dass da nicht gesungen, sondern Declamirt wird — und die Musique wie ein obligirtes Recitativ ist — bisweilen wird auch unter der Musique gesprochen, welches alsdann die herrlichste wirckung thut ; — was ich gesehen war Medea von Benda — er hat noch eine gemacht, Ariadne auf Naxos […] ; ich liebe diese zwey wercke so, dass ich sie bey mir führe ; nun stellen sie sich meine freüde vor, dass ich das, was ich mir gewunschen, zu machen habe ! […] man solle die meisten Recitativ auf solche art in der opera tractiren — und nur bisweilen, wen die Wörter gut in der Musick ausdrücken sind, das Recitativ singen. » (MOZART : 1962-1975, vol. ii, pp. 505-506). VAN DER VEEN : 1955, pp. 87-90 ; McCREDDIE : 1985 ; MAUSER : 1986. HEARTZ : 1989, p. 83 sq.


NOTES DU CHAPITRE 3 1 Voir p. 203. 2 En particulier Echo et Narcisse de Jean-

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Baptiste Rochefort représenté en 1786 à l’Ambigu-Comique et Le Délire de Henri Montan Berton joué à l’Opéra-Comique en 1799 (SALA : 1995, pp. 48-52). MONGREDIEN : 1980, i, p. 320 sq. ; SALA : 1995, p. 44 sq. DU BOS : 3 1740/ 1993, iii, p. 362. DU BOS : 31740/ 1993, iii, p. 362. C’est à l’occasion de la première viennoise d’Egmont prévue pour 1810 que le Burgtheater avait passé commande de la musique à Beethoven dès l’automne 1809. Egmont fut donné au théâtre le 24 mai 1810, mais sans la musique que Beethoven n’avait pas encore terminée. La pièce fut finalement représentée avec la musique de Beethoven le 15 juin 1810. La partition d’Egmont comporte neuf numéros : une ouverture (n° 1), quatre musiques d’entracte (nos 2, 3, 5 et 6), le « Lied Klärchens » (n° 4, pour soprano et orchestre) et deux mélodrames : le n° 7, dépeignant la mort de Klärchen, fait entendre la déclamation sur les dernières mesures de la pièce ; le n° 8 est le mélodrame d’Egmont « Süsser Schlaf » ; le n° 9 est la Siegssymphonie. « Er setzt sich aufs Ruhebett. Musik. » (GOETHE : 81974, vol. iv, p. 452). « Süsser Schlaf ! Du kommst wie ein reines Glück ungebeten, unerfleht am willigsten. Du lösest die Knoten der strengen Gedanken, vermischt aller Bilder der Freude und des Schmerzes ; ungehindert fliesst der Kreis innerer Harmonien, und eingehüllt in gefälligen Wahnsinn, versinken wir und hören auf zu sein. Er entschläft, die Musik begleitet seinen Schlummer. » (GOETHE : 81974, vol. iv, p. 452). « […] Sie drückt eine bedauernde Empfindung aus ; sie scheint ihn zu beklagen. Bald fasst sie sich, und mit aufmunternder Gebärde zeigt sie ihm das Bündel Pfeile, dann den Stab mit dem Hute. Sie heisst ihn froh zu sein, und indem sie ihn andeutet, daß sein Tod den Provinzen die Freiheit verschaffen werde, erkennt sie ihn als Sieger und reicht ihm einen Lorbeer-

kranz. Wie sie sich mit dem Kranze dem Haupte nahet, macht Egmont eine Bewegung, wie einer der sich im Schlafe regt, dergestalt dass er mit dem Gesicht aufwärts gegen sie liegt. Sie hält den Kranz über seinem Haupte schwebend ; man hört ganz von weitem eine kriegerische Musik von Trommeln und Pfeifen : bei dem leisesten Laut derselben verschwindet die Erscheinung, der Schall wird stärker. Egmont erwacht ; das Gefängnis wird vom Morgen mässig erhellt. Seine erste Bewegung ist, nach dem Haupte zu greifen : er steht auf und sieht sich um, indem er die Hand auf dem Haupte behält. » (GOETHE : 81974, vol. iv, p. 453). WAGNER : 1983, p. 33. Des extraits de Leubald und Adelaïde ont été publiés dans DAUBE (éd.) : 1960, pp. 24-29. CHARLEMAGNE : 1809, p. 14. CAMMAILLE-AUBIN : [1797], p. 37. Cité in NEWCOMB : 1995, p. 76. J’aurai l’occasion de revenir sur ces spectacles optiques au chapitre suivant, pp. 144 et 165. Le livret de August Friedrich Ferdinand von Kotzebue avait été conçu pour le Singspiel de Ignaz Walter en 1787. Il fut ensuite mis en musique avant Schubert par Christian Ludwig Ritter (Stuttgart, 1802) et par Johann Friedrich Reichardt (Berlin, 1802 ; ce dernier sous le titre Das Zauberschloss). Schubert s’est attelé à la composition de cet ouvrage dès 1813, et le termina en 1814. L’ouvrage ne fut jamais représenté de son vivant. NEWBOULD : 1992 ; TENHAEF : 1 995. NEWBOULD : 1992, pp. 209-210. Tenhaef fait notamment référence à la présence de la figure de la circulatio dans certains passages du livret de Die Zauberflöte, présence encore bien plus abondante que dans celui de Die Zauberharfe – et ce bien que Mozart n’ait pas restitué musicalement ces figures de circulatio (TENHAEF : 1995, pp. 368 et 369). TENHAEF : 1995, p. 371. TENHAEF : 1995, p. 374. TENHAEF : 1995, pp. 374-377. Voir p. 278 sq.


22 L’origine de cette distinction remonte à

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manière, nous pouvons l’entendre à la Thomas Mann, exposée dans Die Zaufois comme non diégétique – à cause de berberg (MANN : 1974, pp. 748-749). l’absence de source narrative – et métaDans le domaine de la théorie littéraire, diégétique, puisque la conversation les notions de « erzählte Zeit » et « Erdéclenche dans la mémoire de X la zählzeit » ont été définies par Günther romance et la chanson qui l’a accompaMüller en 1946 (MÜLLER : 1968), puis gnée. » Cette musique fonctionne à la WEINRICH : 1964. manière d’une voix intérieure, qui expriElliott Carter dans son texte de présenmerait ce que ressent le héros à ce tation pour l’enregistrement de ce moment précis. Elle nous offre le priviQuatuor ; disque microsillon Nonesuch lège, comme l’explique Gorbman, « de H-71249, 1970. lire dans ses pensées » : d’où le recours David Charlton a lui aussi utilisé l’exà l’adjectif « métadiégétique », qui pression « temps réel » pour évoquer signifie que la valeur diégétique de cette certains moments propres à faire musique est perçue à un niveau supéavancer l’action dans le mélodrame rieur à celui où se déroule la diégèse Ariadne auf Naxos de Benda (GORBMAN : 1987, p. 23). Toutefois (CHARLTON : 2000, chapitre x, p. 13). Gorbman introduit également la notion DELEUZE : 1985, pp. 125-136. d’« extradiégétique », et il est difficile de La narratologie musicale est ainsi depercevoir la différence qu’elle souhaite venue une discipline à part entière dans souligner entre « extradiégétique » la musicologie anglo-saxonne. Outre (repris de Genette) et « métadiégétiGORBMAN : 1987, la plupart de ses praque », cela d’autant plus qu’elle parvient tiquants se réfère encore principalement à une forme d’équivalence entre le « non aux études de Seymour Chatman (CHATdiégétique » et l’« extradiégétique » (ce MAN : 1978 et CHATMAN : 1990). qui n’est certainement pas la même Du « non diégétique » au « extra- », chose) : « Extradiégétique [signifie l’] « intra- », « homo- », « hétérodiégétiintrusion narrative sur la diégèse, que » (GENETTE : 1969, p. 201 sq. ; qu[’elle désignera] dorénavant comme GENETTE : 1972, chapitre v « Voix » ; non diégétique. » (GORBMAN : 1987, METZ : 1991). p. 23). Voir GORBMAN : 1987, pp. 21-25. 29 À partir de la mes. 10 du mélodrame n° 8. Claudia Gorbman a illustré cette opposi- 30 On aura l’occasion de voir un cas de tion entre musique diégétique et figure similaire au cours de la ballade musique non diégétique par l’exemple dramatique Manfred de Schumann pour suivant : un homme X vit une romance, le poème de Byron. La « Zwischentragiquement interrompue par la guerre aktmusik » n° 5 n’est pas une simple (et à l’époque de leur première renpause musicale, qui servirait uniquecontre, une chanson à la mode se fait ment à délimiter la fin de la première souvent entendre, qui devient un motif partie et le début de la suivante : elle musical lié à leur romance). Des années marque au contraire le passage de plus tard, ce même homme se reméManfred de la réalité à un univers de more, suite à une conversation dans un pure fantasmagorie, transformant procafé, le nom de son amante. Une gressivement la mélodie d’un chalumusique orchestrale se fait alors meau joué dans les montagnes, qui entendre, jouant le thème de la chanson nous est présentée comme une mélodie qui avait marqué leur première renbien réelle (au sein de l’espace scécontre. Cette musique est « certainenique), en mélodie de l’imaginaire de ment non diégétique, car l’orchestre Manfred. Voir p. 175 sq. n’est vu nulle part, ni n’est suggéré dans 31 Voir p. 60. l’espace filmique du café. D’une certaine


NOTES DU CHAPITRE 4 1 Lettre à Adèle Berlioz, 6 juin 1831, Rome

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2 juillet 1831, Rome (BERLIOZ : 19832003, vol. i, p. 461). BERLIOZ : 1983-2003, vol. iv, p. 697. BERLIOZ : 1987, p. 232. Dès le 2 juillet 1831 dans sa lettre à Madame Lesueur envoyée de Rome, Berlioz avait évoqué Lélio comme devant être « le complément et la fin » de la Symphonie fantastique (BERLIOZ : 1983-2003, vol. i, p. 461). Lettre à Thomas Gounet, 14 juin 1831, Rome (BERLIOZ : 1983-2003, vol. i, p. 456). 9 décembre 1832, Paris, Conservatoire, dir. Habeneck ; 30 décembre 1832, Paris, Hôtel de L’Europe littéraire, dir. Habeneck ; 3 mai 1835, Paris, Conservatoire, dir. Habeneck. Une exécution partielle de Lélio à Vienne avec la « Scène de la vie de brigand » fut donnée le 23 novembre 1845. Le détail des exécutions tant partielles que complètes des versions de 1832 et 1855 est donné dans HOLOMAN : 1987, pp. 55 et 115. On sait également par César Cui que des fragments de Lélio furent souvent exécutés en Russie (STASOV : 1968, p. 163). Peter Bloom a publié plusieurs extraits de comptes rendus portant sur Lélio (après les deux concerts parisiens de décembre 1832) et qui montrent que le diptyque Fantastique-Lélio fut un réel succès (BLOOM : 1978). L’édition critique de Peter Bloom dans BERLIOZ : 1987 se fonde sur la version de 1855, considérée comme « finale », mais elle permet aisément de retrouver la physionomie de la version de 1832. Sur Ludwig Wüllner, voir p. 304 sq. BERLIOZ : 1987, pp. xiv-xv. CHARLEMAGNE : 1809, p. 14, note. Nicholas Temperley a surtout vu un remaniement uniquement destiné à justifier le mal-aimé Lélio, pourtant cher à son géniteur (TEMPERLEY : 1971, p. 599). TEMPERLEY : 1971, p. 600. Lequel fait également l’objet d’un tableau vivant dans Les Affinités électives de Goethe.

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1983-2003, vol. i, p. 459). 10 Lettre de Berlioz à Madame Lesueur,

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(BERLIOZ : 1983-2003, vol. i, pp. 453455). Lettre à Thomas Gounet, 14 juin 1831, Rome (BERLIOZ : 1983-2003, vol. i, p. 456). C’est par commodité qu’on se réfère le plus souvent à cette œuvre en l’appelant Lélio, bien que ce ne fut jamais son titre exact : en 1832, le mélodrame s’intitulait Le Retour à la vie, et en 1855 Lélio ou le Retour à la vie. Cela n’empêcha pas Berlioz lui-même de le désigner simplement sous le titre de Lélio. Curieusement, ce mélodrame qu’est Lélio est également l’un des moins commentés en tant que mélodrame. Van der Veen a préféré l’esquiver sous prétexte qu’il offrait des particularités trop uniques pour être considéré comme un véritable mélodrame ; voir Introduction, p. 10. Lettre de Berlioz à Thomas Gounet, 14 juin 1831, Rome (BERLIOZ : 19832003, vol. i, p. 457). Rappelons que c’est au cours de la Symphonie fantastique que Lélio tente de s’empoisonner : dès la quatrième partie de la Symphonie fantastique dans la version de 1832 ; dès le début de celle-ci dans la version de 1855. Dont la rupture de Berlioz avec sa fiancée, la pianiste Marie Moke : le compositeur a relaté dans ses Mémoires comment il avait appris par l’intermédiaire de Madame Moke mère l’annonce du mariage de sa promise avec le facteur de pianos Camille Pleyel, ce qui l’incita dans un premier temps à envisager de rentrer à Paris (il était alors à Florence) afin d’assassiner l’infidèle, sa mère et le nouvel élu. Episode mélodramatique à souhait qui a trouvé sa sublimation artistique en devenant la « Scène de la vie de brigand ». BLOOM : 1978 donne un aperçu complet des emprunts de Berlioz à lui-même. Lettre de Berlioz à Thomas Gounet, 14 juin 1831, Rome (BERLIOZ : 19832003, vol. i, pp. 456-457 ; c’est moi qui souligne). Lettre envoyée de Rome (BERLIOZ :


22 SCHINDLER : 1860, p. 206 ; voir égale-

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ment HOLMSTRÖM : 1976, pp. 223-226 et JAENSCH : 2000. STRASSNER : 1997. Voir GREY : 1992. « Société des concerts du Conservatoire : première séance », Revue européenne, avril 1833, in BERLIOZ : 19962003, vol. i, p. 85. APPEL : 1993. L’auteur discute également le cycle de peintures de Lorenz Clasen réalisé dans la foulée de la première exécution à Dusseldorf de la Symphonie « Eroica » dirigée par Mendelssohn en 1839. JAENSCH : 2000 ; MOSENGEIL : 1825, n° 3, 4 janvier 1825, p. 21. Inventé à Londres en 1781, l’Eidophusikon du peintre strasbourgeois Philippe Jacques de Loutherbourg (17401812) en est l’exemple fondateur. Loutherbourg travaillait depuis 1773 au Drury Lane Theatre, où il avait été engagé par le comédien David Garrick pour réaliser les décors et maquettes de ses spectacles, et avait parallèlement développé son propre « théâtre mécanique » miniature dont on pouvait modifier à volonté le décor et les éclairages pour créer des effets atmosphériques les plus divers. L’utilisation du terme panorama pour décrire ce genre de spectacle fut faite pour la première fois par le peintre miniaturiste anglais John Barker en 1787. Les premières décennies du XIXe siècle virent également la vogue du panorama, qui compte parmi ses rejetons le diorama parisien du photographe Louis Daguerre, lequel projetait entre 1822 et 1839 dans l’obscurité complète des paysages sur une large bâche qu’on éclairait par derrière avec plusieurs torches, tandis que les phénomènes atmosphériques étaient obtenus en couvrant ces sources lumineuses par un système de volets. Carl Gustav Carus a donné un témoignage détaillé de ce diorama : CARUS : 1865, vol. ii, pp. 449450 ; voir également COMMENT : 1993. MOSENGEIL : 1825, n° 3, 4 janvier 1825, p. 21. Thomas Grey (GREY : 1997, GREY : 2000) a ainsi fait un rapprochement entre la pratique de tels concerts agrémentés de

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pantomimes ou de projections visuelles et les dessins et aquarelles de Mendelssohn avec ses propres symphonies n° 3 et 4 – ouvrages qui n’ont toutefois pas fait l’objet de tels concerts. KOCH : 1802/ R 2001, p. 322. Voir à ce sujet CHUA : 1999 qui renouvelle considérablement les arguments sans cesse ressassés depuis le XIXe siècle. Pour les quatorze différentes versions du programme de la Symphonie fantastique, voir DÖMLING : 1975, p. 266 et BERLIOZ : 1972, pp. 167-170. BARRAUD : 1979, p. 207. Ma lecture de Lélio diverge de celle proposée par Christian Berger où l’idée fixe, pour être le seul motif musical récurrent de l’ouvrage, est présentée comme fil conducteur et par conséquent « unificateur » de Lélio, alors qu’il n’y a tout simplement pas d’« unité » générale à défendre dans la partition de Lélio (BERGER : 1997). DÖMLING : 1976, p. 258. TEMPERLEY : 1971, p. 599. Version de 1845, in BERLIOZ : 1972, p. [3] ; c’est moi qui souligne. L’intégralité de ce paragraphe sera entièrement éliminée dans le Programme de 1855. La version de 1845, qui en est l’avant-dernière révision (la dernière étant celle de 1855 pour l’exécution scénique, est celle qui a été retenue comme faisant autorité par Nicholas Temperley dans BERLIOZ : 1972. BERLIOZ : 1972, p. xix ; c’est moi qui souligne. C’est une boucle similaire qui s’observe dans le poème Das Hexenlied (Wildenbruch), mis en musique par Max von Schillings, ou dans le livret de Claudel pour la Jeanne d’Arc au bûcher d’Honegger : tous deux s’achèvent en revenant au temps présent du début de l’histoire, puisque dans ces deux cas l’action est d’abord celle d’un récit se déroulant dans un temps antérieur. Voir pp. 126 et 280. On trouvera dans BERGER : 1997 une lecture quelque peu différente du parcours temporel de Lélio, qui s’organise autour des récurrences du motif de l’idée fixe.


42 « Souvenir » est motivé par l’apparition

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tions rédigées par le compositeur luimême pour les représentations de Dresde. TUNBRIDGE : 2003 ; p. 155. Cité in TUNBRIDGE : 2003, p. 156. Cité in NEWCOMB : 1995, p. 76. BYRON : 1996, pp. 474-475. BYRON : 1996, p. 468. BYRON : 1996, p. 480. BYRON : 1996, p. 482. Les études sur la relation ManfredAstarté et les origines autobiographiques de celle-ci sont nombreuses : voir en particulier RAPF : 1981 et STEIN : 1992, pp. 199-215. PALEY : 2000, pp. 7 et 9. PALEY : 2000, p. 9. TUNBRIDGE : 2003, p. 174. MOSENGEIL : [1821], p. [1]. Cité in TUNBRIDGE : 2003, p. 161. Pour un aperçu détaillé de l’art déclamatoire de Possart et Wüllner, voir respectivement p. 299 sq. et 304 sq. POSSART : 51916, p. 224. POSSART : 51916, p. 225. POSSART : 51916, p. 226. POSSART : 51916, p. 227. POSSART : 51916, p. 228. LUDWIG : 1931, p. 69. LUDWIG : 1931, p. 160. Voir p. 307. Schumann a d’ailleurs été mieux servi par l’adaptation de Suckow que par l’original byronien, plus hypothétique : « My soul would drink those echoes [Mon âme voudrait boire ces échos]. » TUNBRIDGE : 2003, pp. 166-167. La rature de l’autographe portant sur ces onze mesures finales est également le seul endroit de la partition qui porte une trace tangible d’exécution. TUNBRIDGE : 2003, p. 167. TUNBRIDGE : 2003, p. 167 ; c’est moi qui souligne. Le ranz des vaches « sinistre et sans goût » est une allusion à la critique de Fétis au sujet de la Symphonie fantastique de Berlioz, point que Schumann avait lui-même commenté (allant à l’encontre de l’opinion de Fétis) dans son fameux article de 1835. LISZT : 1881, vol. iii ; pp. 136-150 ; ici p. 143, p. 136.

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au milieu de la ballade du thème de l’idée fixe, mais le tableau n° 1 se déroule néanmoins dans le présent (DÖMLING : 1976). DÖMLING : 1976, p. 256. Dans sa lettre à Madame Lesueur envoyée de Rome le 2 juillet 1831, Berlioz précise déjà qu’« il faudra un acteur pour réciter les monologues et chanter un morceau ; je compte pour cela sur A. Nourrit, qui, j’en suis sûr, me comprendra à merveille. » (BERLIOZ : 1983-2003, vol. i, p. 461). DÖMLING : 1976, p. 258. La partition schumanienne de Manfred n’a été encore que peu commentée. PALEY : 2000 et Tunbridge : 2003 restent à ce jour les deux études les plus détaillées pour ce qui est de sa dramaturgie musicale. ZANONCELLI : 1981 a quant à elle abordé la poétique du Manfred byronien et sa réception chez Schumann, sans pourtant aborder la genèse de l’œuvre ni même mentionner la spécificité mélodramatique de l’ouvrage. BYRON : 1996, p. 463. Sur l’esthétique de ce type de décor alpestre et ses implications symboliques à l’opéra (dans le cas d’Eliza de Cherubini), et notamment l’aspiration au sublime, voir FEND : 1993 ; EDLER : 1 995 a traité de ce sujet dans le cas précis de Manfred, tant celui de Byron que de Schumann. Voir p. 113. Ces divertissements para-théâtraux (fantasmagorie, panoramas) eurent un impact considérable sur la dramaturgie de la scène de la Gorge-aux-Loups du Freischütz, telle que conçue dans le livret de Kind. Pour les premières représentations de l’ouvrage à Dresde en 1822, il n’avait pas été possible à Weber et Kind de faire appel à la technique de la fantasmagorie, laquelle requiert une très petite salle et une obscurité totale ; aussi fut mis au point un dispositif mécanique très complexe pour permettre l’enchaînement rapide des apparitions. Cela a été traité par NEWCOMB : 1995, qui a reproduit en annexe les instruc-


NOTES DU CHAPITRE 5 1 Voir pp. 14-15. 2 Voir p. 9 et 413 sq. 3 SCHAPIRO : 1994 ; MITCHELL : 1994 ;

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KIBEDI-VARGA : 1989 ; DELEUZE : 1983 et 1985. Voir le chapitre « Hercule’s Hautboys », in KRAMER : 2002, p. 145 sq. ; p. 147 pour la citation. Kramer s’appuie en grande partie sur les thèses de W. J. T. Mitchell (MITCHELL : 1994). Sur la gestuelle classique de l’acteur au XVIIIe siècle voir HUGUES : 1987 ; BARNETT : 1976 ; BARNETT : 1977a, 1977b, 1977c et BARNETT : 1987. L’ouvrage de Barnett (BARNETT : 1987) reste encore aujourd’hui la référence la plus synthétique pour ce qui est de la compilation des sources dixhuitiémistes, mais il faut souligner que son approche tend à restituer une vision idéalisée et uniformisée d’un jeu tragique qui dans la réalité variait grandement selon les pays et selon les décennies. DU BOS : 31740/ 1993, p. 436 ; chapitre « De la danse ou de la saltation théâtrale. Comment l’acteur qui faisait les gestes pouvait s’accorder avec l’acteur qui récitait. De la danse des chœurs ». Du Bos souligne également que dans le ballet des trembleurs d’Isis de Lully, réglé par le maître de ballet d’Olivet, « il n’y entrait point un seul pas de notre danse ordinaire » (p. 436). DU BOS : 31740/ 1993, pp. 449-450 ; chapitre « Des pantomimes, ou des acteurs qui jouaient sans parler ». Essai sur l’origine des langues (ROUSSEAU : 1995, pp. 376 et 380). ROUSSEAU : 1995, pp. 376-377. PILES : 1708, p. 469-471. ROUSSEAU : 1995, p. 378. ROUSSEAU : 1995, pp. 380-381. ROUSSEAU : 1995, pp. 380-381. ROUSSEAU : 1995, p. 380. ROUSSEAU : 1995, p. 381. CULLER : 2001, p. 26. ROUSSEAU : 1995, pp. 377-378. Mentionnons l’importance de ce débat sur les qualités respectives entre signes auditifs se déroulant dans le temps et signes visuels s’offrant immédiatement dans l’espace, et qui est avec l’ekphrasis

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l’une des questions ayant taraudé Lessing dans son Laocoon (LESSING : 1990, p. 120 sq.). CAHUSAC : 1754, Livre Premier, § iv « Origine de la danse […] ». Préface au ballet Don Juan (ANGIOLINI : 1761, pp. [3] et [2]). ANGIOLINI : 1765, p. 10 ; c’est moi qui souligne. ANGIOLINI : 1765, p. 21. C’est originairement chez Lucien de Samosate qu’on trouve cette idée que le pantomime devait avoir reçu une instruction complète non seulement de la maîtrise du corps et des mimiques, mais également de la musique et de l’histoire : appliqué au comédien contemporain, ce précepte traversera tout le XVIIIe siècle. On le retrouve notamment chez Du Bos, puis chez Jaucourt dans ses articles pour l’Encyclopédie. Dans les pays germaniques (en particulier chez Lessing et Sulzer), il permet de justifier l’idée selon laquelle désormais l’art théâtral doit s’élever au rang des autres arts : à l’article SCHAUSPIELKUNST de son Allgemeine Theorie der schönen Künste, il est précisé que le comédien doit posséder tout autant de talents que n’importe quel artiste (SULZER : 1775-1776/ R 1967, vol. ii, p. 597). Dès la fin du XVIIIe siècle, l’évocation des différents talents et aptitudes de tout bon comédien allait devenir un lieu commun : on le trouve par exemple dans les Mémoires d’Hyppolite Clairon, qui attribue le génie de Le Kain, homme quelconque au naturel, à ses « excellentes études », à son don des langues et à sa culture (CLAIRON : [1799], pp. 259 et 285-294). ANGIOLINI : 1765/ R 1956, pp. [23]-[25] ; c’est moi qui souligne. Passage cité en français par ENGEL : 1785-1786/ R 1968, vol. ii, lettre XXX, p. 46 note. SULZER : 1773-1775, vol. i, p. 571. ENGEL : 1785-1786/ R 1968, vol. ii, lettre XXXII, pp. 67-68. Sur l’importance de ce traité en histoire de l’art, voir HASKELL : 31995, pp. 155158. JORIO : 1832, pp. v-vi.


28 JORIO : 1832, p. xix. 29 MATTHESON : 1749, p. [iii]. 30 LANG : 1727/ R 1975 (traduction alle-

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mande). Conçu pour les théâtres de collèges jésuites, cet écrit fait référence à la pantomime comique mais reste encore largement redevable à Quintilien, et donc à l’actio rhétorique. Voir SCHEID : 1901 et ZAUFT : 2003. MATTHESON : 1749, pp. [i]-[ii] et [vii]-[ix]. Cité in DIEKE : 1934, p. 41. La source d’informations la plus complète sur la troupe de Nicolini et d’autres troupes d’enfants acrobates reste encore aujourd’hui DIEKE : 1934 ; voir également SCHEDLER : 1972. La pourtant très complète Enciclopedia dello Spettacolo ne donne pas d’entrée pour Nicolini. Selon Martine de Rougemont, Nicolini aurait été formé à Paris par l’acteur et acrobate anglais Mainbray, à l’époque où celui-ci était membre de la « Grande Troupe étrangère des Danseurs de corde, sauteurs et pantomimes », soit entre 1740 et 1742. Elle ne donne toutefois pas d’autre information permettant de vérifier la présence de Nicolini à Paris (ROUGEMONT : 1988, p. 128). En revanche les sources mentionnées par Dieke sur la présence de Nicolini en Hollande puis à Francfort au début des années 1740 semblent difficilement réfutables (DIEKE : 1934, pp. 10-46 ; un aperçu du répertoire de la troupe est donné pp. 190-200) ; sur Nicolini à Francfort, voir également MENTZEL : 1882. ROUSSEAU : 1964b, livre II, p. 402. DIDEROT : 1988, pp. 166-167. Voir COURVILLE : 1958 et COURVILLE : 1963 ; LAGRAVE : 1979. BOULENGER DE RIVERY : 1751, p. vi. BOULENGER DE RIVERY : 1751, pp. i-ii. Sur Diderot et la Foire, voir LOY : 1955 et PROUST : 1955. La monographie la plus complète sur le théâtre allemand au XVIIIe siècle, précisément étudié à la lumière de l’eloquentia corporis, sans non plus négliger le théâtre français de cette même période, est KOSENINA : 1 995 ; HEEG : 2000, traitant du classicisme de Weimar, consacre un chapitre entier à l’émergence du mélodrame. Ce sujet est également étudié dans les essais rassemblées par FISCHER-LICHTE, SCHÖNERT

(éd.) : 1999. En revanche on ne trouvera guère d’équivalent pour le théâtre français à la somme de Kosenina. GOODEN : 1986 reste sommaire pour ce qui est des liens avec l’Allemagne et de l’importance des pratiques du bas comique ; l’émergence du mélodrame n’est pas non plus mentionnée. Pratique décrite par Gasparo Angiolini dans ses Riflessioni sopra l’uso dei programi nei balli pantomimi (Londres, 1775) et commentée par Bruce A. BROWN dans son chapitre « La formation d’un public pour le ballet-pantomime réformé : Paris, Vienne », 2006, à paraître. NOVERRE : 1760/ 1979, lettre VI, p. 138. Engel a également cité ce passage dans son traité Ideen zu einer Mimik (ENGEL : 1785-1786/ R 1968, vol. ii, lettre XXX, pp. 43-44). Deuxième Entretien sur le Fils naturel (DIDEROT : 1988, p. 100). DIDEROT : 1988, p. 250, chapitre xvi : « Des scènes ». Mentionnons encore ici l’exemple de Blaise le Savetier de Sedaine mis en musique par Philidor (Foire Saint-Germain, 1759), riche en actions simultanées superposant actions muettes et chant, et qui a été commenté par CHARLTON : 1987, pp. 241-242. Sur Delsarte, voir p. 229 sq. Voir RUYTER : 1996 et RUYTER : 1999. La littérature sur le tableau vivant est fort riche : depuis HOLMSTRÖM : 1967, l’ouvrage le plus synthétique et à jour sur ce sujet est VOUILLOUX : 2002 ; voir également LANGEN : 1968 ; MILLER : 1972 ; HOFF, MEISE : 1987 ; DELON : 1989 ; SEIBERT : 1989. Sur l’émergence du tableau dans le théâtre dixhuitiémiste, voir en particulier SZONDI : 1978 ; FRIED : 1980 et FRANTZ : 1998, ainsi que LEDBURY : 2000. Récemment, Hans OST a publié une plaquette richement illustrée et centrée sur le tableau peint par Anton Graff de l’actrice Charlotte Brandes en Ariane dans l’Ariadne auf Naxos de Benda (voir illustrations 2.1 et 2.2) mais portant également sur les rapports entre mélodrame et peinture au XVIIIe siècle (OST : 2002). ROUSSEAU : 1775. GOETHE : 81974, vol. xi, p. 209. Sur Goethe


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et l’art de l’attitude, également mentionné dans son texte sur Proserpina, ou encore avec le personnage de Lucienne dans Les Affinités électives, voir LANGEN : 1968. Voir ITTERSHAGEN : 1998. PEROUX (éd.) : [1810]. DU BOIS : 1781, p. 9. Voir p. 95. Lettre à M.D., un des Directeurs de l’Opéra de Paris, publiée en 1781 dans les Mémoires pour servir à l’histoire de la révolution opérée dans la musique par Gluck, cité in GARDA : 1994, p. 335. BETZWIESER : 2000 discute également de l’importance du chœur dansé chez Gluck dans la réalisation de tels tableaux. Préface à Eugénie (BEAUMARCHAIS : 1988, p. 154). Voir p. 96 sq. SADE : 1991, vol. ii, pp. 333-334. SADE : 1991, vol. ii, p. 346. Année littéraire, vol. viii, 1768, p. 328. Au sujet de Beaumarchais et de l’esthétique mélodramatique, voir WAEBER : 2000. Pour obtenir la permission de Rousseau, Larive, en compagnie d’un de ses collègues, l’acteur Gourville, avait été frapper

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à sa porte, rue Platrière à Paris. Selon les Mémoires secrets de Bachaumont, Rousseau répondit « qu’il n’acquiesçoit point à cela [les représentations du Pygmalion], mais qu’il ne s’y opposoit point ; qu’il ne feroit aucune démarche pour ou contre : qu’il les [Larive et Gourville] prévenoit seulement que cet ouvrage lui avoit été enlevé, imprimé furtivement. » (BACHAUMONT : 1785, vol. viii, pp. 265-266, octobre 1775). RICORD L’AÎNÉ : 1821, vol. ii, p. 152. GRIMM et al. : 1879, vol. ix, p. 236. RICORD L’AÎNÉ : 1821, vol. ii, p. 153. ROUSSEAU, COIGNET : 1997, p. 33. FRANTZ : 1998, p. 168. Rappelons que le Pygmalion de l’édition Kurzböck est l’un des nombreux exemples attestant de la diffusion et du retentissement considérables dans l’Europe entière qu’eut cet ouvrage avant ses premières représentations publiques parisiennes de 1775 : voir pp. 18-19. Le texte de cette édition a été reproduit dans BECKER : 1878. ISTEL : 1905, p. 149. C’est encore l’avis de PILKOVA : 1982, pp. 496 et 498-499. Sur ces œuvres, voir chapitre X. Voir p. 231 sq.

NOTES DU CHAPITRE 6 1 CHASTEL : 2001, p. 23 ; BONIFACIO : 5 N° 168 : « Les Mauvais Lieux » (MERCIER,

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RESTIF DE LA BRETONNE : 1990, p. 884).

2 BULWER : 1644/ R 1974. 6 ENGEL : 1785-1786/ R 1968, vol. i, 3 L’ouvrage d’Austin fut publié en Allelettre X, p. 115. magne dans une traduction expurgée en 7 ENGEL : 1785-1786/ R 1968, vol. i,

1818 par Christian Friedrich Michaelis lettre X, pp. 112-113, gravure n° 5. (AUSTIN : 1818/ R 1970). 8 L’édition française fut publiée en 1788 4 Ainsi le peintre-philosophe et géologue sous le titre Idées sur le geste et l’action allemand Carl Gustav Carus publia en théâtrale, suivie d’une traduction hol1831 une Esquisse d’une physiognolandaise en 1790, italienne en 1818monie des montagnes (FRIEDRICH, 1819. Sur la diffusion européenne du CARUS : 2003). Les Fragmente de Lavater livre d’Engel, voir l’introduction de furent publiés en français entre 1781 et Martine de Rougemont dans ENGEL : 1803 à La Haye sous le titre Essai sur la 1788/ R 1979. Claudia Jeschke a étudié le Physiognomonie, puis entre 1806 et traité d’Engel à la lumière de Lessing et 1809 dans une nouvelle édition de Noverre (JESCHKE : 1992). (LAVATER : 1806-1809), et en 1845 (nou- 9 Voir en particulier la section 3 « Exvelle traduction de H. Bacharach : pressive Gestures » du deuxième chaLAVATER : 1845/ R 1979), pour ne citer pitre « The Basic Gestures », qui passe que celles-ci. en revue les gestes-types en vigueur


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humane, Corpi celesti, Mondo e sue partie. […] Fatica necessaria ad Oratori, Predicatori, Poeti, Formatori d’Emblemi & d’Imprese, Scultori, Pittori, Dissegnatori, Rappresentatori, Architetti, & Divisatori d’Apparati » (RIPA : 41611/ R 1976, page de titre). Notamment les Emblemata de Alciatus (1531) et les Hieroglyphica de Pietro Valeriano (1556). Voir MANDOWSKY : 1939 ; PANOFSKY : 1967 et PRAZ : 1964, pp. 472-475. RIPA : 1971. Comme par exemple chez BAUDOIN : 1744, BOUDARD : 1766/ R 1759, DELAFOSSE : 1911 (éd. de 1768). E. A. Manzer a donné des exemples de telles éditions allemandes, in RIPA : 1971, p. xvi. RIPA : 1971, § 59. PARSONS : 1746/ R 1963-1964. LAVATER : 1775, vol. i, table II. Voir p. 96 sq. ENGEL : 1785-1786/ R 1968, vol. i, lettre IX, pp. 101-102. ENGEL : 1785-1786/ R 1968, vol. i, lettre XVI, pp. 198-199. Voir p. 199. DU BOS : 31740/1993, p. 443 ; chapitre « Des pantomimes, ou des acteurs qui jouaient sans parler ». Le volume d’études le plus complet sur la vie et l’œuvre de François Delsarte est RANDI (éd.) : 1993. Delsarte est avec Charles-Valentin Alkan l’un des grands oubliés du renouveau de la musique ancienne en France au XIXe siècle. Les concerts historiques qu’il donna régulièrement jusqu’au 15 avril 1862 (salle Herz), comportaient des œuvres de Lully, Couperin, Rameau, ou encore Gluck. Ses Archives du Chant, recueillies par François Delsarte (s.d., publiées avant 1857) en sept volumes, sont une anthologie d’airs de Lully, Philidor, Monsigny, Duni, Grétry et Gluck, contenant également de diverses chansons à danser, brunettes, musettes, cantiques et romances anonymes. SAINT-SAËNS : 1913, p. 244. Extrait du Règlement de la Famille Trinitaire ; ms. sans date de la Delsarte Collection, Hill Memorial Library, Louisiana State University, Baton Rouge, cité in RANDI (éd.) : 1993, p. 133.

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dans le théâtre sérieux, comme la tristesse, la surprise, la terreur, la colère, le mépris, la jalousie, l’aversion ou le refus, le dénigrement, la honte, la bienvenue, etc. (BARNETT : 1987, pp. 36-68). Article GEBEHRDEN, in SULZER : 1773, vol. i, pp. 571-572. HOGARTH : 1991, pp. 168-169, chapitre xvii, « De l’Action ». Les gravures sont de Miss M. H. « daughter of the Right Honourable S. H. ». Austin ne donne pas d’autres précisions (AUSTIN : 1806/ R 1966, p. 495, note 29). AUSTIN : 1806/ R 1966, p. 488. AUSTIN : 1806/ R 1966, p. 488. AUSTIN : 1806/ R 1966, p. 489. AUSTIN : 1806/ R 1966, p. 495. Choses vues. Le Temps présent II, 18451847 (HUGO : 1985-2002, vol. xii, pp. 933-934). ELIOT : 1995, p. 61. Le roman d’Edith Wharton, The House of Mirth (1920), livre également de minutieuses descriptions de ces spectacles bourgeois donnés dans le cercle familial. SHOEMAKER : 1902, p. 170. Sur Delsarte, voir p. 229 sq. Voir à ce sujet le poème « Aux Italiens » avec l’accompagnement musical tiré du Trouvère de Verdi, commenté p. 255. Le texte de la « Conférence » de 1668 fut réimprimé en 1696, puis au XVIIIe siècle en 1727. Au XIXe siècle, on le trouve dans le volume ix de l’édition française des œuvres de Lavater (Paris, 1820). L’intégralité de ce texte et de ses illustrations a été publié et commenté dans DAMISCH : 1980, pp. 123-131 ; une autre édition du texte avec l’ensemble des autres écrits théoriques du peintre est donnée dans LE BRUN : 1994. CUREAU DE LA CHAMBRE : 1640-1662. Parmi les traités les plus connus, à en juger par leurs rééditions jusque durant le dernier quart du XVIIe siècle : Chiromantie & Physionomie compendium de Cocles (Bartolomeo della Rocca, dit Cocles, Bologne, 1504), Introductiones in Chyromantiam, Physiognomiam de Jean de Indagine (Strasbourg, 1522), De Humana Physiognomia de Giovanni Battista della Porta (Naples, 1586). « Iconologia overo descrittione d’imagini delle virtu, Vitij, Affetti, Passioni


40 L’information est notamment donnée 44 Voir Elena RANDI : « La biografia : ele-

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menti fattuali e trasfigurazione simbolica », in RANDI (éd.) : 1993, pp. 119-142 ; pp. 125-126, note. Ms. sans date de la Delsarte Collection, Hill Memorial Library (Louisiana State University, Baton Rouge), cité in RANDI (éd.) : 1993, p. 126. Anecdote rapportée par une notice nécrologique de Delsarte (Delsarte Collection, Hill Memorial Library ; voir note supra), citée in RANDI (éd.) : 1993, pp. 125-126, note. Marian Smith a consacré un chapitre à ce sujet : « Ballet-Pantomime and Silent Language », in SMITH : 2000, pp. 97-123. SMITH : 2000, p. 129. SCHNEIDER, WILD (éd.) : 1993, p. 177. SCHNEIDER, WILD (éd.) : 1993, pp. 190191. SCHNEIDER, WILD (éd.) : 1993, p. 191. SCHNEIDER, WILD (éd.) : 1993, p. 145. Voir SALA : 1990, CLARK : 2003, HIBBERD : 2003 ; cette dernière fournit un tour d’horizon bibliographique des études sur La Muette. HIBBERD : 2003, p. 157. SCHNEIDER, WILD (éd.) : 1993, p. 159. Pour d’autres utilisations de telles motifs de réminiscence dans La Muette, voir HIBBERD : 2003, pp. 159-160. KIBÉDI VARGA : 1990, p. 193. Voir p. 225. GERHARD : 1998, p. 134. PENDLE : 1979, p. 412. À ce sujet Gerhard a relevé que ce livret était le plus court des livrets en cinq actes écrits par Scribe (GERHARD : 1998, p. 134).

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par Fétis dans sa Biographie universelle des musiciens ; mais Ralph P. Locke signale que son appartenance n’a jamais pu être établie avec certitude (LOCKE : 1986, p. 125 et note). 41 Les principes de Steele MacKaye sont résumés dans MACKAYE : 1877. 42 STEBBINS : 61902/ R 1977. 43 On trouve dans STEBBINS : 61902/ R 1977 plusieurs reproductions de statues antiques prises comme modèles pour l’étude de la pose ; des documents photographiques de Genevieve Stebbins et de ses disciples « en tableau » ont été reproduits dans RUYTER : 1996. Les spectacles de Stebbins firent forte impression sur la danseuse Ruth SaintDenis, qui allait ensuite épouser Ted Shawn, lui-même disciple de Delsarte via l’enseignement de Henrietta Hovey, une élève de Gustave Delsarte, fils de François. En 1915, Ted Shawn et Ruth Saint-Denis ouvrirent leur Denishawn School, dont l’enseignement chorégraphique était entièrement fondé sur le Delsarte System, dont allait bénéficier la danseuse et chorégraphe Martha Graham. L’art d’Isadora Duncan, tout en voiles et drapés à la grecque, se ressent également de cette esthétique du geste, et l’influence des techniques delsartéennes est restée encore largement perceptible dans le jeu d’acteurs du cinéma muet, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe, de même qu’à travers l’enseignement de Stanislavski, qui s’intéressa de près à la technique delsartéenne.


NOTES DU CHAPITRE 7 1 SCARTON : 1998, pp. 119-120. 2 SCARTON : 1998, p. 119, a encore sou-

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ligné que « l’effet de la récitation sur cette musique inspirée » est un parfait exemple de cette « fusion idéale [entre texte et musique] et ce malgré la diversité des deux langages ». Ces propos sont révélateurs du malaise constant qui accable tout commentateur du mélodrame, lequel tente comme il peut de justifier le mariage de la musique et du verbe. Si Scarton souligne « la fusion idéale » entre texte et musique qui caractérise ce lied, il ne peut par ailleurs s’empêcher de rappeler que cette fusion a réussi « malgré la diversité des deux langages » : le « malgré » veut tout dire. Or il n’y a pas le moins du monde fusion dans cette page, ni même un quelconque idéal y tendant. Pourquoi ne pas trancher plus simplement en déclarant d’emblée que c’est justement l’incompatibilité, l’absence de fusion entre ces deux langages, qui fait tout l’intérêt de ce lied ? 3 Les sept numéros sont tous conçus avec accompagnement de piano et les six premiers sont chantés, à l’exception du dernier, traité en mélodrame pour le personnage de Marguerite (n° 7 « Ach neige, du Schmerzenreiche »). Les autres numéros sont : n° 1 « Lied der Soldaten » pour chœur d’hommes ; n° 2 « Bauer unter der Linde » pour ténor, soprano et chœur ; n° 3 « Brandes Lied » pour une basse et chœur d’hommes ; n° 4 « Lied des Méphistopheles » pour basse et chœur d’hommes ; n° 5 second Lied de Méphistophélès pour basse solo ; n° 6 « Gretchen am Spinnrade » pour soprano solo. 4 On peut se demander pourquoi Wagner a choisi pour ce poème la technique mélodramatique. Et pourquoi ne l’avoir pas appliqué à d’autres poèmes de ce même Faust, comme par exemple pour l’un des deux Lieder de Méphistophélès ? Serait-ce parce que ce poème est le plus intériorisé des sept numéros, parce que Marguerite s’adresse à ellemême (« Was mein Herz hier banget ») dans un pur monologue où elle évoque

sa douleur amoureuse (et cela même si le contexte dramatisé est ici souligné par une didascalie pantomimique en début de ce mélodrame – Marguerite doit mettre des fleurs dans un vase) ? L’argument reste cependant ténu, notamment lorsqu’on compare ce texte aux deux Lieder de Méphistophélès, répondant également à l’instance du monologue. Wagner a pu ordonner ces sept numéros selon une gradation dramatique, le dernier numéro devant marquer la fin par l’utilisation d’un procédé permettant de le démarquer des autres. Ici aussi, il reste difficile de poursuivre l’argument, même s’il semble clair que la teneur dramatique de ce texte, plus sombre que tous les autres, aura finalement justifié le traitement mélodramatique. À l’heure actuelle, l’étude la plus complète sur les « déclamations lyriques » de Zdenek Fibich est celle MABARY : 1999. Toutefois Mabary ne signale pas la différence morphologique essentielle qui sépare les mélodrames dans le sillage de Benda (qu’elle traite au début de sa thèse) et ceux en « déclamation lyrique » de Fibich. Voir également JIRÁNEK : 1994 et 1997. Je reviendrai sur cette notion de « temps lisse » par opposition à un « temps strié », p. 278 sq. Sur cette culture typiquement germanique de la déclamation avec accompagnement musical au XIXe siècle, KÜHN : 2001 offre le tour d’horizon le plus complet. Allgemeine Musikalische Zeitung, n° 9, 1820, p. 155. WESLEY HANSON, WOODWARD GUNCKEL (éd.) : 1895, p. 321. Voir p. 143 sq. Voir pp. 15-16 et 148 sq. La lecture programmatique de Marx (également soutenue par Liszt) a été discutée et défendue par JANDER : 1984, suscitant une réponse de CONE : 1984, et enfin une « coda » du même JANDER : 1994. Dans son article de 1984, Jander allait encore au-delà de la lecture de Marx, en donnant de cet andante une


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25 Voir p. 284. 26 On traitera plus en avant des similitudes

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discursives entre mélodrame et bande dessinée : voir p. 289 sq. Voir à ce sujet le commentaire de Käte Hamburger sur le « Rollengedicht » (HAMBURGER : 31977, pp. 264-272). Voir pp. 66-67. McCLARY : 1991, pp. 80-111. McClary commente dans ce chapitre trois figures de « femmes folles », la nymphe du Lamento della Ninfa de Monteverdi (Huitième Livre de madrigals), Lucia di Lammermoor et Salomé dans les opéras homonymes de Donizetti et R. Strauss. Voir également SMART (éd.) : 2000. Elaine Showalter a également discuté de certaines figures emblématiques de l’hystérie féminine, dont l’inévitable Salomé (SHOWALTER : 1997, chapitre vii « Hysteria and the Histrionic »). Quoique uniquement axésur la littérature française au XIXe siècle, Juan Rigoli offre cependant bien des pistes pour la compréhension du récit mélodramatique (RIGOLI : 2001, chapitre v « Récits de folie »). McCLARY : 1991, p. 87. Voir p. 73. Voir p. 268. Voir p. 267. Ce que certains récitants de mélodrame préfèrent ignorer en déclamant ce refrain sur la musique (soit la fin de la séquence précédente, soit le début de la séquence suivante), pensant en accentuer le dramatisme, et ce en dépit de ce qui est spécifié dans la partition. DELEUZE, GUATTARI : 1980, p. 596. C’est dans Penser la musique aujourd’hui que Boulez a développé pour la première fois ces notions : « Nous distinguerons de même deux catégories dans le temps musical : le temps pulsé […] et le temps amorphe. […] Le temps amorphe est comparable à la surface lisse, le temps pulsé à la surface striée ; c’est pourquoi, par analogie, j’appellerai les deux catégories ainsi définies du nom de temps lisse et temps strié » (BOULEZ : 1963, pp. 99-100). Plus loin Boulez précise que la pulsation du temps strié peut être régulière ou irrégulière, mais elle doit toujours être systématique (BOULEZ : 1963, p. 104). Le

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lecture implicitement mélodramatique, faisant correspondre certains passages musicaux du mouvement lent de Beethoven avec des extraits de la légende d’Orphée, tirés des textes de Virgile et d’Ovide, à la manière d’un découpage mélodramatique textemusique. SCHIMPF : 1988, p. 72. VAN DER VEEN : 1955, p. 71 ; SCARTON : 1998, p. 117. Sur le Konzertmelodram au XIXe siècle, voir ZELM : 1998. SCHIMPF : 1988, pp. 72-73. Voir p. 90 sq. Allgemeine musikalische Zeitung, 17 mai 1809, pp. 524-525. Allgemeine musikalische Zeitung, 8 avril 1818, p. 257. « Lors de ces concerts nous avons entendu […] le Erste Ton de Rochlitz et C. Maria von Weber, ainsi que Die Frühlingsfeyer de Klopstock et Zumsteeg ; [les deux œuvres] furent déclamées par le régisseur du Théâtre royal de la Cour, M. Esslair » (Allgemeine musikalische Zeitung, n° 9, mars 1820, p. 153). Liszt l’avait accompagnée en 1857 dans Die Ballade von Haidenknaben. Bien qu’ayant interprété à plusieurs reprises les mélodrames de Liszt et de Schumann, Marie Seebach n’en fut jamais la dédicataire, comme on le lit souvent. Propos de Liszt rapportés par La Mara, in WALKER : 1989, p. 993. Selon Alan Walker, Der traurige Mönch est « une étrange combinaison de voix déclamée et d’accompagnement atonal [qui] nous fait irrésistiblement penser au [sic] Sprechstimme de Schoenberg [resic]. Il ne faut guère s’étonner que cette œuvre futuriste fasse désormais figure d’objet de culte auprès des compositeurs dodécaphoniques d’aujourd’hui. » (WALKER : 1989, p. 993). Selon Lina Ramann, « [les] accents [de Franziska Wagner-Ritter dans Lenore] étaient saisissants, prenants, et s’unissaient à la musique. » (RAMANN : 1894, p. 364). « Ich möchte auch als Reiter fliegen,| Wohl in den blutige Schlacht ! | Um stille Feuer legen, | Im Feld bei dunkler Nacht. » Voir le livret de Kurzböck, pp. 209-212.


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italien Alberto Basso, qui a édité la partition de Pugnani (sans la moindre interpolation mélodramatique : voir PUGNANI : 1985). L’œuvre avait déjà été donnée en concert sous cette forme en 1978 à Turin, également dans une reconstitution de Basso. Le Werther de Pugnani est l’une de ces œuvres de la fin du XVIIIe siècle témoignant de l’extraordinaire popularité européenne du roman de Goethe (dont le premier état fut publié en 1774). Selon Alberto Basso, l’idée d’un ouvrage musical fondé sur le roman aurait pu lui être inspirée à l’occasion d’une conférence théologique sur le Werther de Goethe, donnée en 1790 à Turin. Pugnani aurait pu s’y rendre, la conférence ayant eu lieu dans le palais où le compositeur résidait. Cependant on ne dispose pas d’autre élément permettant d’en savoir plus sur les motivations de Pugnani pour le sujet de Werther, de même qu’on ignore les raisons qui l’auraient amené à le mettre en musique sous forme de mélodrame, puisque telle est l’hypothèse défendue par Basso. Le mélodrame n’eut jamais en Italie la popularité qu’il eut dans les pays germaniques ou en France, mais en faveur de Basso, il faut signaler les adaptations mélodramatiques italiennes du Pygmalion de Rousseau, celles de Cimadoro en 1790 à Venise et d’Asioli en 1796 à Turin (voir p. 18). Voir p. 191. MÜRY : 1941. Basso, in PUGNANI : 1985, pp. xvi-xvii ; c’est moi qui souligne. BLANGINI : 1834, p. 368. Pour sa reconstitution mélodramatique, Basso a choisi une traduction italienne de Werther de 1931. Le cinéaste soviétique Lev Kouleshov avait fait en 1920 la démonstration de ce procédé avec le plan fixe d’un visage d’homme volontairement neutre ; selon le montage, ce visage signifiait tour à tour pour les spectateurs la tristesse (lorsque monté avec le plan d’une femme morte dans un cercueil) ou encore la faim (lorsque monté avec le plan d’un bol de soupe). Voir p. 254.

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compositeur reprendra cette distinction entre temps lisse et temps strié dans Jalons (pour une décennie) : « temps lisse, involontaire, suspendu et temps strié, volontaire, pulsé. » (BOULEZ : 1989, p. 289). DELEUZE : 1985, p. 125, au sujet de Fellini. On trouvera dans MONELLE : 2000, pp. 45-65, une discussion développée sur les divers topoi du galop en musique. Sur Ernst von Possart, voir p. 299 sq. Van der Veen a reproduit en fin d’ouvrage les quatre dernières pages en facsimilé du manuscrit de cette œuvre (VAN DER VEEN : 1955, facs. IV). METZ : 1991, p. 145. CHION : 1982, pp. 29-39. ABBATE : 2001, pp. 153-158. ABBATE : 2001, p. 152. Sur cette activité narratrice (« act of narrating ») et la mise en évidence d’un narrataire, voir LANSER : 1981, pp. 180-181 ainsi que PRINCE : 1973. BARTHES : 1985, p. 172. SALA : 1995, pp. 253-254. Sur le rôle de l’icône visuelle dans la bande dessinée traditionnelle mise en relation avec le son, voir COUPERIE, DESTEFANIS, et al. : 1967 ainsi que dans LACASSIN : 1971/ R 1982, le chapitre « L’expression graphique de la colonne son : musique et bruits », pp. 409-432. VARNUM, GIBBONS (éd.) : 2001 propose une série d’études sur les rapports texte-image, dont les observations gardent une certaine pertinence pour ce qui est des rapports texte-musique. Voir p. 32. Voir pp. 15-16 et 148 sq. Second violon au Teatro Regio de Turin, Pugnani est surtout connu pour sa production instrumentale, qui compte œuvres orchestrales (notamment sept symphonies, six concertos) et musique de chambre. Il composa également huit opéras, dont Achille in Sciro (Turin, 1785) et Demofoonte (Turin, 1787), opere serie sur des livrets de Métastase. Enregistrement par l’Academia Montis Regalis, dir. Luigi Mangiocavallo (CD OPUS 111 OPS 30-197/198). La reconstitution de Werther en tant que mélodrame a été réalisée par le musicologue


NOTES DU CHAPITRE 8 1 Voir p. 173. 2 Possart a également joué un rôle moins

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que négligeable dans la genèse de la musique de scène de Die Königskinder d’Engelbert Humperdinck, ouvrage entièrement traité en déclamation mélodramatique notée, déjà appelée Sprechgesang par le compositeur : j’aurai l’occasion d’y revenir dans le chapitre suivant. Voir KRAVITT : 1976, p. 584, note. Proposition qui ne plut guère à Alban Berg, ainsi qu’on l’apprend par une lettre à Schoenberg, sans doute écrite le 13 janvier 1913 : « Etait également présent, outre le comité du chœur de la Philharmonie, Reichenberg, un homme sympathique, quoique pas très judicieux (il proposa par exemple Possart pour la partie du récitant !) » Je remercie Ulrich Krämer pour m’avoir communiqué le texte de cette lettre, conservée à la Library of Congress, Washington, et qui sera bientôt publiée dans la correspondance complète de Schoenberg éditée par le Staatliches Institut für Musikforschung (Berlin). BIEHLE : 1931, vol. i, p. 231. Quoique ce terme de récitation soit quelque peu impropre, l’allemand possédant également Rezitation et Deklamation. Vortrag signifie « lecture », « conférence », et doit donc être pris ici comme l’action de présenter un texte. WESLEY HANSON, WOODWARD GUNCKEL (éd.) : 1895. Cet écrit, qui sur bien des points consiste en une réponse au Schoenberg théoricien de la Sprechstimme, sera discuté plus en détail p. 377 sq. LUDWIG : 1931, pp. 75-76. LUDWIG : 1931, p. 73 sq. a publié de larges extraits de cette correspondance. LUDWIG : 1931, pp. 68-71. ARNIM : 1921, pp. 5-6. Sur le répertoire de récitant de Wüllner, voir LUDWIG : 1931, p. 204 sq. Signé Ferdinand Pfohl, Hamburger Nachrichten, 14 novembre 1903, cité in LUDWIG : 1931, p. 206. « Dans la bouche de Wüllner, le dernier vers [de Die Glocke de Schiller] s’est fait

à lui seul un drame […] ». Tägliche Rundschau de Berlin, 26 janvier 1914, cité in LUDWIG : 1931, p. 212. Article publié dans le Reichsbote de Berlin, début avril 1896, cité in LUDWIG : pp. 159-160. Les enregistrements aujourd’hui disponibles sont rassemblés sur le CD Ludwig Wüllner « Deutschlands grösster Barde ». CD BAYER DA CAPO, BR 200 049. On ne trouve qu’une seule œuvre mélodramatique, Das Hexenlied de Schillings enregistré en 1933, sous la direction du compositeur, ainsi que des enregistrements de monologues extraits de Wilhelm Tell et Wallenstein de Schiller, Faust de Goethe et des poèmes de ces mêmes auteurs. La chanson est signée Betty ComdenAdolph Green. KÜSTER : 1994, pp. 246-247. SCHIMPF : 1988, p. 208. SCHIMPF : 1988, p. 213. SCHIMPF : 1988, p. 225. Sur les circonstances historiques des deux mises en musique du livret de Goethe, voir GÜLKE : 1995 et BRAITO : 2002, pp. 204-207. GOETHE : 1858, vol. xxxv, p. 390. GOETHE : 1858, vol. xxxv, p. 394 ; c’est moi qui souligne. WEBER : 1908b, vol. iii, p. 368. Selon U. Kühn, l’absence de documents empêche de savoir si cette technique (la déclamation rythmiquement fixée) n’avait pas déjà été expérimentée avant Weber (KÜHN : 2001, p. 171). WEBER : 1908a, vol. iii, pp. 63-64. WEBER : 1908b, vol. iii, pp. 368-369. Cet aspect a été étudié par BRANGER : 1995 pour l’opéra Manon, bien qu’il traite également d’autres opéras. CHION : 1995, p. 229. Voir p. 129. N° 1 « Dialogue », n° 2 « Les Nuages », n° 3 « En voyage », n° 4 « Battements d’ailes », n° 5 « La dernière lettre de Werther à Charlotte », n° 6 « Comme autrefois », n° 7 « Nocturne », n° 8 « Mélancolie », n° 9 « Rose de Mai », n° 10 « Feux-follets d’amour… » L’ouvrage fut représenté à partir du


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immédiatement ensemble à la fin de chaque vers doit sonner comme des sauts en l’air. » (SITWELL : 1965, p. 124). SITWELL : 1965, p. 123. John Pearson a rappelé à juste titre l’admiration qu’un poète et dandy comme Osbert Sitwell portait à Jean Cocteau – laquelle se doublait inévitablement d’une envie secrète d’égaler son modèle, ce qui a également incité Pearson à avancer l’hypothèse selon laquelle Façade doit avant tout d’avoir vu le jour grâce à l’ambition d’Osbert (PEARSON : 1994, p. 77). Du nom d’un chanteur d’opéra suisse, Senger, qui avait breveté ce mégaphone pour chanter la partie de Fafner dans Siegfried de manière à assurer d’une part une parfaite élocution tout en donnant une sonorité caverneuse à la voix du dragon. « Poetry through a megaphone », The Daily Express, 13 juin 1923. Un dessin préparatoire pour ce rideau a été reproduit in PEARSON : 1994, pp. 7879. The Daily Express, 13 juin 1923. The Sunday Express, 17 juin 1923, cité in GLENDINNING : 1987, p. 79. SITWELL : 1965, p. 122. Cité in PEARSON : 1994, p. 84. CD DECCA 425 661-2, avec l’English Opera Group Ensemble, dir. Anthony Collins. Ces enregistrements ont été reportés sur CD dans l’anthologie The Spoken Word. Poets. Historic Recordings from the British Library Sound Archive. British Library Publishing : Londres, 2003, NSA CD 13.

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45 « L’utilisation de deux rimes placées

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE NOTES DU CHAP.

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2 février 1909 au Théâtre Femina à Paris ; la partition est aujourd’hui perdue. donnée au Figaro, Interview 11 novembre 1906, in BRANGER : 1995, p. 275. BRANGER : 1995, p. 248, note. En 1977, Oxford University Press commanda un second Façade pour le 75e anniversaire du compositeur. L’œuvre, pour laquelle Walton a choisi huit des poèmes d’Edith Sitwell qui avaient été rejetés dans la version définitive du premier Façade publié en 1951, est dédiée à Cathy Berberian (qui ne l’a pas créée mais l’a enregistrée). D’abord appelée Façade Revived, l’œuvre fut créée à Londres le 25 mars 1977 sous la direction de Sir Charles Mackerras avec le récitant Richard Baker. Toutefois l’année suivante Walton allait encore supprimer trois poèmes de la version de 1977 pour les remplacer par trois autres. Cette dernière version, appelée Façade 2, fut jouée pour la première fois lors du Aldeburgh Festival avec Sir Peter Pears en récitant. Voir p. 397 sq. Cité in PEARSON : 1994, p. 76. Cité in PEARSON : 1994, p. 76. Edith Sitwell à sa secrétaire Elizabeth Salter, in SALTER : 1967, p. 60. Selon Osbert Sitwell, Lambert était un « speaker sans pareil du vers, clair, rapide, incisif, infatigable, et maîtrisant vocalement un spectre d’inflexions extraordinaire. » Cité in PEARSON : 1994, p. 96. SITWELL : 1965, pp. 123-124. SITWELL : 1965, p. 124.


57 Cité in GLENDINNING : 1987, p. 334.

 EN MUSIQUE DANS LE TEXTE NOTES


NOTES DU CHAPITRE 9 1 Frankfurter Zeitung, 1890, cité in HUM2

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PERDINCK, NICKEL (éd.) : 1992, p. 7. Première mention du livret est faite dans une lettre de Humperdinck à Possart, datée du 9 janvier 1896 : « Vous avez eu l’amabilité de me rendre attentif […] à deux poèmes dramatiques : Blonde Kathrein de Richard Vossen et Königskinder de Ernst Rösmer, et vous m’avez honoré du devoir flatteur d’en écrire la musique nécessaire. » C’est également dans cette lettre que Humperdinck informe Possart de son choix final sur Die Königskinder (HUMPERDINCK, NICKEL (éd.) : 1992, p. 24). Voir à ce sujet les échanges épistolaires entre le compositeur et sa librettiste, in HUMPERDINCK, NICKEL (éd.) : 1992, pp. 7-182. Sur le Manfred interprété par Possart, voir p. 173 sq. Dans la réalisation mélodramatique de Schumann, la scène finale de Manfred requiert une notation rythmique : voir p. 363, exemple 9.4. Lettre de Humperdinck à Possart, 9 janvier 1895 (HUMPERDINCK, NICKEL (éd.) : 1992, p. 24). Lettre de Possart à Humperdinck, 14 janvier 1895 (HUMPERDINCK, NICKEL (éd.) : 1992, p. 26). Lettre du 25 juillet 1897 (HUMPERDINCK, NICKEL (éd.) : 1992, p. 34). Voir p. 361. HUMPERDINCK, NICKEL (éd.) : 1992, p. 57. HUMPERDINCK, NICKEL (éd.) : 1992, pp. 57-58. HUMPERDINCK, NICKEL (éd.) : 1992. L’opinion de Distelkamp sur la « supériorité » de la version chantée de Die Königskinder repose essentiellement sur un avis d’Eva Humperdinck, la petite-fille du compositeur, selon laquelle « la fantaisie [de Humperdinck] inspirée par le poème [d’Elsa Bernstein] n’avait pas pu se déployer de manière satisfaisante dans les limites étroites d’une musique de scène. » (HUMPERDINCK (éd.) : 1996, vol. i, p. 239). Reste que la première version de l’œuvre va déjà bien au-delà d’une musique de scène, et sa physionomie est

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déjà celle d’un opéra. Dans une lettre du compositeur à Elsa Bernstein datée du 8 janvier 1895, Humperdinck a fait part des préjugés envers les musiques de scène en général (considérées au théâtre « comme un boulet plus ou moins dérangeant », et conclut de la sorte : « Au mieux j’aurais voulu composer le Rosmer [pseudonyme d’Elsa Bernstein] en une fois ! » Distelkamp décèle dans cette phrase l’« inclination latente » de Humperdinck à vouloir traiter le livret sous forme d’opéra (donc chanté). Toujours selon Distelkamp, un autre indice est la mention « Ende der Oper » à la fin de l’autographe de la première version, ce qui avait posé des problèmes pour des questions d’honoraires (DISTELKAMP : 2003, p. 90). Ernst Berndorf, in Signale für die musikalische Welt, n° 44, 5 octobre 1897, p. 689. Oskar Merz, in Musikalisches Wochenblatt. Organ für Musiker und Musikfreunde, n° 44, 28 octobre 1897, p. 593. D’autres témoignages allant dans le même sens ont été rassemblés dans HUMPERDINCK, NICKEL (éd.) : 1992, et HUMPERDINCK (éd.) : 1993. CERHA : 2001, p. 69 ; c’est moi qui souligne. KRÄMER : 2001, p. 7. Comme dans Medea de Benda et Sophonisbe de Neefe, voir pp. 310-311. HUMPERDINCK, NICKEL(éd.): 1992, p. 34. Lettre à Ludwig Wüllner (HUMPERDINCK, NICKEL (éd.) : 1992, p. 92). Sur Wagner et sa détestation du mélodrame, voir p. 405 sq. Lettre de Humperdinck à Arthur Smolian, 5 août 1895 (HUMPERDINCK : 1965, p. 36). Lettre de Humperdinck au Dr Theodor Distel, 2 novembre 1898 (HUMPERDINCK, NICKEL (éd.) : 1992, p. 144). STEPHAN : 1960. SCHULLER : 1964, p. 25. Voir pp. 345-346 POSSART : 51916, p. 225. On ignore la date exacte de cette représentation. HUMPERDINCK, NICKEL(éd.): 1992, p. 37.


30 Humperdinck les mentionne dans un

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nant Albertine Zehme, la source la plus documentée reste STUCKENSCHMIDT : 1974, p. 179 sq. La page de titre de ce programme est reproduite dans BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 306. Ce volume est à ce jour l’outil le plus précieux pour étudier l’histoire du Pierrot et sa réception, grâce à son annexe qui reproduit de manière exhaustive, s’il est possible, les principaux documents relatifs à la genèse de cet ouvrage. BRINKMANN : 1977. En 1994, le compositeur Johannes Schöllhorn a transcrit le recueil de Kowalski pour l’effectif du Pierrot de Schoenberg. GIRAUD, HARTLEBEN : 1911. De cette sélection, il semble que seul le Lied « Rot und weiss » a été interprété par Zehme lors de ses récitals de 1911. Voir p. 361. Voir p. 305. Sur les acteurs de la troupe de Max Reinhardt et leur style de déclamation, voir KÜHN : 2001, pp. 256 sq. et 268 sq. Fritzi Massary singt (enregistrements de 1926-1932), Preiser Records, CD 90033. Sur des poèmes de Wedekind, Bierbaum, Hugo Salus, Gustav Hochstetter, Colly, et Emanuel Schikaneder. Voir p. 448, note 4. Une lettre d’Arthur Bodansky à Schoenberg, datée du 20 novembre 1912, fait précisément référence à sa mauvaise réputation, opinion sans aucun doute partagée par le compositeur : « C’est certainement la seule solution [la Sprechstimme du Pierrot] pour aider le mélodrame hybride à s’en sortir de sa situation asexuée. Moi-même autrefois je n’ai pu être séduit par aucune impression convaincante de ce genre. » (BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 270). Lettre de Gutmann à Schoenberg, 24 février 1912 (BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 226 ; c’est moi qui souligne). Berliner Börsen-Courier, 10 octobre 1912 (BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 248). Berliner Morgenpost, 10 octobre 1912 (BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 249).



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p. 79. 44 SCHULLER : 1964, p. 27. 45 VIERTEL : 1970, p. 109. 46 Sur ces détails biographiques concer-

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essai incomplet, rédigé vers 1901. Il a été publié sous le titre « Notizen zum Thema “Melodram” » in HUMPERDINCK, NICKEL (éd.) : 1992, pp. 160-161. Lettre au Dr Arthur Seidl, 12 décembre 1900 (HUMPERDINCK, NICKEL (éd.) : 1992, p. 155). Voir supra, note 26. Dans cette perspective, la 2de version de Die Königskinder est apparue à bon nombre de commentateurs comme marquant un aboutissement par rapport à la première version traitée en mélodrame. C’est notamment la thèse de DISTELKAMP : 2003. Voir p. 361. OskarMerz,inMusikalischesWochenblatt. Organ für Musiker und Musikfreunde, n° 44, 28 octobre 1897, p. 593. NODNAGEL : 1902, p. 153. BATKA : 1899, chapitre « Melodramatisches », p. 253 ; l’article reprend la teneur de son article « Der Kampf um’s Melodram » publié dans la Musikalische Rundschau en mars 1897 à l’occasion de la première des Königskinder. HUMPERDINCK : 1897, p. [vi]. La transcription de la notice autographe, insérée dans le ms. des actes 2 et 3, est la suivante : Fehlt noch die Erklärung der Noten| Etwa so :| (Auf der Rückseite des Personenverzeichnis)| Zur Einführung.| Die in diesem Melodram angewandten “Sprech-| noten” sind dazu bestimmt,| Rhythmus und relative Tonhohe [surcharge : Tonfall] der| Deklamation gesteigerten Rede (Melodie| der Sprachverses) mit der begleitenden| Musik in Einklang zu setzen.| Für die vorkommenden Liedsätze gelten| die üblichen Musiknoten. (Ms. autographe conservé à la Universitätsbibliothek Johann Christian Senckenberg, Francfort/M., Mus Hs 2489, vol. 2.) Lettre de Humperdinck à Mme Tony Kwast, 13 mars 1896 (HUMPERDINCK, NICKEL (éd.) : 1992, p. 46). HUMPERDINCK, NICKEL (éd.) : 1992, p. 164. KRÄMER : 2001, p. 17. Oskar Merz, in Musikalisches Wochenblatt. Organ für Musiker und Musikfreunde,n° 44, 28 octobre 1897, p. 592. HUMPERDINCK, NICKEL (éd.) : 1992,


59 Norddeutsche Allgemeine Zeitung, 11 84 octobre 1912 (BRINKMANN (éd.) : 1995, 85 86 p. 249). 60 Vossische Zeitung, 11 octobre 1912

(BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 250). 61 Neue Freie Presse, 9 novembre 1912 87

(BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 263). 62 À l’exception de KRÄMER : 2001, et

CERHA : 2001. 63 Lettre d’Albertine Zehme à Schoenberg,

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26 janvier 1912 (BRINKMANN : p. 225 ; 88 c’est moi qui souligne). ZEHME : 1920, p. 7 ; sur des traités similaires, voir p. 302 sq. ZEHME : 1920, p. 7. ZEHME : 1920, pp. 7-8. ZEHME : « Warum ich diese Lieder sprechen muss » (1911), in BRINKMANN 89 (éd.) : 1995, p. 307. ZEHME : « Warum ich diese Lieder spre- 90 chen muss » (1911), in BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 307. ZEHME : « Warum ich diese Lieder sprechen muss » (1911), in BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 307. ZEHME : « Warum ich diese Lieder sprechen muss » (1911), in BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 307. ZEHME : « Warum ich diese Lieder sprechen muss » (1911), in BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 307. Lettre d’A. Zehme à Schoenberg (BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 229. Pour un aperçu des plus complets sur la question, agrémenté d’une riche bibliographie, voir l’ensemble du volume Schönberg und der Sprechgesang. Musik-Konzepte, 112/113 (2001) et tout particulièrement dans ce volume CERHA : 2001. Voir p. 397 sq. BOULEZ : 1995, p. 63. BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 286. BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 262. BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 299. Lettre de Schoenberg à Alban Berg, 14 janvier 1913 (BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 298 ; c’est moi qui souligne). BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 300 ; c’est moi qui souligne. STEIN : 1928, p. 371 ; c’est moi qui souligne. BOULEZ : 1995, pp. 61-63. BOULEZ : 1995, p. 62.

BOULEZ : 1995, p. 62. Voir p.376. ZEHME : « Warum ich diese Lieder sprchen muss » (1911), in BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 307. BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 292. Pour un aperçu détaillé des différents types de notation essayés par Schoenberg, on consultera tant BRINKMANN (éd.) : 1 995 que KRÄMER : 2001. On la trouve notamment dans les esquisses préliminaires de la particelle de Jakobsleiter (1917), les manuscrits de travail de Moses und Aaron (1930-1933), le début du premier manuscrit de travail de l’Ode à Napoléon (1942) et les deux esquisses pour le Psaume 130 (1950). « Notes sur le Sprechgesang », in BOULEZ : 1995, p. 62. La partition du Pierrot lunaire montre que dans l’absolu les hauteurs de la Sprechstimme importent. On a déjà relevé les occurrences où les contours mélodiques de la Sprechstimme se retrouvent dans les parties purement instrumentales (LESSEM : 21979, pp. 133-136). L’exemple le plus parlant est celui du mélodrame n° 17, « Parodie », qui propose cinq canons stricts entre les instruments et la Sprechstimme (pour l’analyse détaillée de ces canons, voir LESSEM : 1979, pp. 156-157). Pour Lessem, ce raffinement contrapuntique a une valeur programmatique car il décrit les rayons de lune imitant le mouvement des aiguilles à tricoter serties dans le chignon d’une duègne amoureuse de Pierrot. L’exécution doit-elle rendre justice à ce canon précisément en respectant les hauteurs fixes, de manière à faire coïncider Sprechstimme et partie d’alto ? Une telle question ne se poserait tout simplement pas dans le cas d’une partition tonale. Mais dans le cas de l’atonalité du Pierrot, ne serait-ce pas bien plus un geste de canon qu’aurait cherché Schoenberg, au même titre que les gestes de phrasés tonals qui persistent au sein de l’organisation sérielle de ses œuvres, tels que décrits par Charles Rosen (ROSEN : 1976, p. 109) ? Tel qu’il est fixé par la partition, ce geste est rendu clairement perceptible par l’apparentement des rapports intervalliques de la Sprechstimme avec ceux


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Kunstgebilde, das nur aus Blicken, Mienen und Gebährden besteht. Man kommt mit Apparaten, es aufzunehmen : doch von Korf “entsinnt sich seines Werks nicht mehr”, entsinnt sich keines Werkes mehr anlässlich eines “aufgeregten Sperlings !” » 110 LESSEM : 1979, p. 136. 111 Pour la citation complète de ce paragraphe, voir p. 382. 112 Les comptes rendus de presse n’ont fait que confirmer la récitation quasi hystérique d’Albertine Zehme : « Cris ou chuchotements hystériques » (Berliner Kleine Börsenzeitung, 12 octobre 1912, in BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 252) ; « Elle déclame […] avec une intonation chantante, tantôt en croassant ou en aboyant brièvement dans le grave, tantôt mi-roucoulant mi-miaulant » (Die Welt am Montag, 14 octobre 1912, in BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 252) ; « Albertine Zehme criait, ou récitait, comme vous le voulez. » (Musical America, 9 novembre 1912, in BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 264) ; « On entendit une voix, tantôt brusquement criarde, tantôt étirée mielleusement, dans des roucoulements et tapages hystériques, ainsi que des mots, dans lesquels les syllabes graves et aiguës, avec une extase furieuse sur chaque voyelle, tombaient comme depuis une hauteur escarpée dans un gouffre. » (Neues Wiener Journal, 10 novembre 1912, in BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 264) ; « La voix parlante […] alternativement murmurait puis explosait de manière extatique même lorsque les sons suraigus des autres exécutants la noyaient. » (Musical America, 16 novembre 1912, in BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 267). 113 ZEHME : 1920, pp. 32-33. 114 ZEHME : 1920, p. 33 ; c’est moi qui souligne. 115 ZEHME : 1920, pp. 32 et 35. 116 À l’instar de ces propos de Jonathan Dunsby : « L’histoire a prouvé que [le mélodrame] n’était qu’une vogue passagère, bien qu’[il] ait fourni un chefd’œuvre pérenne [le Pierrot lunaire]. » (DUNSBY : 1992, pp. 2-3). 117 MILHAUD : 1949, p. 54. 118 MILHAUD : 1949, p. 79. 119 SCARTON : 1998, p. 167.

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE NOTES DU CHAP.

de l’alto, mais l’exécution ne vise ici pas tant à restituer ce canon en pleine lumière, qu’à en évoquer comme en pointillé les contours : « Parodie » offre là un bel exemple de Augenmusik atonale. 91 Voir entre autres STEIN : 1928 ; STEPHAN : 1960 ; DUNSBY : 1992 ; KÜHN : 2001 ; KRÄMER : 2001 ; ALLENDE-BLIN : 2001 ; CERHA : 2001. 92 Lettre de Busoni à Egon Petri, 19 juin 1913 (BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 285). 93 Frankfurter Zeitung, 18 novembre 1912 (BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 269). 94 SCHOENBERG: 1974, entrée du 12 mars 1912, p. 34 ; c’est moi qui souligne. 95 Lettre du 5 juillet 1912 (BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 233). 96 ZEHME : « Warum ich diese Lieder sprechen muss » (1911), in BRINKMANN (éd.) : 1995, p. 307. 97 10 octobre 1912 (BRINKMANN : p. 248). 98 Norddeutsche Allegemeine Zeitung Berlin, 11 octobre 1912 (BRINKMANN : p. 250). 99 Allgemeine Musikzeitung, 3 janvier 1913 (BRINKMANN : p. 274). 100 Pan, 1er novembre 1912 (BRINKMANN : p. 271). 101 Neue Freie Presse, 9 novembre 1912 (BRINKMANN : p. 263). 102 Voir infra la lettre de Strawinsky à André Gide, du 5 mars 1933, p. 416. 103 STRAWINSKY : 1962, p. 54. 104 Voir à ce sujet le commentaire de Jürgen Schebera, in SCHEBERA : 1998, pp. 31-32. 105 EISLER : 1924, p. 313 ; c’est moi qui souligne. 106 EISLER : 1924, p. 312. 107 « Gesellschaftliche Grundlagen der modernen Musik » [1948], in EISLER : 1983, vol. ii (1948-1962), p. 13 ; c’est moi qui souligne. 108 À regarder de plus près la critique d’Eisler, on peut bien relever une contradiction : si cette musique se comporte de manière illustrative, comment donc pourrait-elle se justifier sans le secours du texte, comme le souhaiterait Eisler ? En ôtant le texte, l’intention illustrative ne disparaît en effet pas pour autant de la musique. 109 « Das Schwirren eines aufgeschrekten Sperlings begeistert Korf zu einem


NOTES DU CHAPITRE 10 1 Sur Wagner et son « absorption » de l’es- 9 WAGNER : 1910/ R 1982, vol. i, pp. 202-

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thétique mélodramatique, voir SPOHR : 1999. LAROCHE : 1993 a étudié les rapports du Hollandais volant (1843) avec The flying Dutchman d’Edward Fitzball (Londres, 1826) appartenant à la tradition anglaise du « nautical melodrama », pièce de théâtre à effets spectaculaires se déroulant en pleine mer. WAGNER : 1983, pp. 13-22 ; p. 15 pour la citation. Sur Leubald, voir p. 111 ; sur l’utilisation de la technique mélodramatique dans Faust, voir p. 250 sq. Il ne reste plus rien de la musique de ce Roi Enzio, dont la composition fut sans doute motivée par le fait que la sœur de Wagner, Rosalie, devait y tenir le rôle principal de Lucia. Une annonce du Königliches Sächsisches Hoftheater de Leipzig précise que pour cette pièce Wagner avait composé l’ouverture et une « Schluss-Musik » (dans Ma vie Wagner ne mentionne que l’ouverture ; voir WAGNER : 1983, p. 52). On ne sait rien de plus sur cette dernière, si ce n’est que lors de l’échange entre Enzio et sa bien-aimée Lucia, un bref motif de guitare se faisait entendre pendant le dialogue. Déguisée en troubadour, Lucia rend visite à son amant emprisonné et lui chante une ballade sur un accompagnement de quatre mesures, tandis qu’Enzio répond en chantant une chanson sur quatre autres mesures. Ces renseignements se fondent sur un témoignage par ailleurs peu fiable de Richard Batka fait en 1910 et qui donne la transcription de ces huit mesures : toutefois les éditeurs du Wagner Werk-Verzeichnis doutent de l’authenticité de ce témoignage, notamment parce que les indications scéniques du drame de Raupach ne font aucune allusion à une « SchlussMusik » (DEATHRIDGE et al. (éd.) : 1986, pp. 90-91). WAGNER : 1910/ R 1982, vol. i, pp. 202203. WAGNER : 1910/ R 1982, vol. i, p. 201. WAGNER : 1910/ R 1982, vol. i, p. 201. WAGNER : 1910/ R 1982, vol. i, pp. 201202. Voir p. 144 sq.

203 ; c’est moi qui souligne. 10 Der Fall Wagner (NIETZSCHE : 1969, vol.

vi/3, p. 21). 11 DAHLHAUS : 1970, p. 8. 12 DAHLHAUS : 1970, p. 18. 13 Nietzsche contra Wagner (NIETZSCHE :

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1969, vol. vi/3, p. 417) ; c’est moi qui souligne. Der Fall Wagner (NIETZSCHE : 1969, vol. vi/3, p. 23). Der Fall Wagner (NIETZSCHE : 1969, vol. vi/3, p. 24). Nietzsche contra Wagner (NIETZSCHE : 1969, vol. vi/3, p. 417). ARNHEIM : 1989, p. 207. Le titre du chapitre est « Un nouveau Laocoon : les arts hybrides et le cinéma parlant ». ARNHEIM : 1989, p. 208. Schreiben eines Freundes, cité et traduit in VAN DER VEEN : 1955, p. 79. L’œuvre fut créée à l’Opéra de Paris, le 18 février 1927. Lors de sa création en 1934, Amphion ne connut d’ailleurs aucun succès et disparut complètement du répertoire dès 1936. La quatrième commande d’Ida Rubinstein à Honegger est le ballet Les Noces de l’Amour et de Psyché (1928). La sixième et dernière, Jeanne d’Arc au bûcher, est un oratorio dramatique (1938). VALÉRY : 1960, p. 1279. VALÉRY : 1960, p. 1279. VALÉRY : 1960, p. 1282. Propos de Valéry publiés dans Le Mois, n° 41, juin 1934, in VALÉRY : 1960, p. 1579. STRAWINSKY, CRAFT : 41968, p. 36. Le livret original de Gide, annoté par Strawinsky, a été reproduit dans STRAWINSKY : 1985, pp. 490-506. STRAWINSKY : 1985, p. 479 ; extrait de l’avant-propos écrit par Strawinsky au sujet de Perséphone et publié dans l’Excelsior, 1er mai 1934. STRAWINSKY : 1985, p. 189. Il est donc bien difficile de percevoir dans Perséphone un exemple de mélodrame sur le modèle des Grecs où « la récitation se fond spontanément avec le


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1942 à Paris, sous la direction de Charles Münch : Jean-Louis Barrault incarnait Frère Dominique, Marie-Hélène Dasté Jeanne d’Arc. Au même titre que Das Hexenlied : voir pp. 126 et 280. FONTANIER : 1977, p. 299. BROOKS : 21995, pp. 4 et 40 ; c’est moi qui souligne. ROSEN : 1995, pp. 599-608. ROSEN : 1995, p. 604. ROSEN : 1995, pp. 606-607. Lemaître, qui avait fait ses débuts à l’Odéon, était issu du théâtre populaire ; c’est lui qui avait ajouté à la conclusion de la pièce le fameux « Vous êtes ma mère ! » proféré par Gennaro à l’adresse de celle qu’il avait d’abord cru être sa tante (ce que le spectateur sait déjà). Lemaître avait joué le rôle de Gennaro dans la Lucrèce d’Hugo créée en 1833 au Théâtre de la Porte Saint-Martin. FONTANIER : 1977, p. 300. BROOKS : 21995, p. 41 ; c’est moi qui souligne. BROOKS : 21995, p. ix ; c’est moi qui souligne. BROOKS : 21995, p. viii. BROOKS : 21995, p. 46. MEYER : 1989, pp. 164-167.

 EN MUSIQUE DANS LE TEXTE NOTES DU CHAP.

35

rythme musical » (SCARTON : 1998, p. 161). Voir p. 212. STRAWINSKY : 1985, p. 493, exemple 7. STRAWINSKY, CRAFT : 41968, p. 37. Après avoir pensé un premier temps à solliciter Jeanne d’Orliac pour le livret, Honegger approcha finalement Paul Claudel, lequel d’abord refusa. Les circonstances qui amenèrent Claudel à travailler sur le texte sont assez connues : « Est-ce qu’on dore l’or et blanchit-on les lis ? » fut la réponse de Claudel donnée à Honegger le 3 décembre 1934. Le lendemain le poète eut la vision de deux mains faisant un signe de croix ; le 16 décembre, le livret fut envoyé à Honegger. Les premières réticences de Claudel peuvent aisément s’expliquer au vu de la vogue que connaissait alors le personnage de la Pucelle, depuis la sortie en 1928 du film de Carl Theodor Dreyer La Passion de Jeanne d’Arc. Son interprète principale, Renée Falconetti, allait encore incarner ce même rôle dans la pièce Jeanne d’Arc, la Pucelle de France de Saint Georges de Bouhélier donnée à Paris au Théâtre de l’Odéon en 1934. La première française eut lieu le 25 juin

10


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scénique ; 2 rôles parlés, orch. ;

B ENDA , Georg Anton Ariadne auf Naxos, ein Duodrama (mélodrame scénique, 2 rôles parlés, orch. ; J. C. Brandes ; Gotha, 1775) Medea, ein mit Musik vermischtes Drama (mélodrame scénique, rôle parlé, orch. ; F.W. Gotter ; Gotha, 1775) Pygmalion, ein Monodrama […] nach einer neuen Übersetzung mit musikalischen Zwischensätzen begleitet (mélodrame scénique, rôle parlé, orch. ; F.W. Gotter d’après J.-J. Rousseau ; Gotha, 1779) N EEFE , Christian Gottlob Sophonisbe, ein musikalisches Drama, mit historischen Prolog und Chören (mélodrame scénique, rôle parlé, chœurs, orch. ; A. G. Meissner ; Leipzig, 1776)

E N M U S I Q U E D A N S L E T E X T E • L E M É L O D R A M E D E R O U S S E A U À A U J O U R D ’ H U I (17 7 0 -1 7 7 6 )

C OIGNET, Horace Pygmalion, scène lyrique (mélodrame J.-J. Rousseau ; Lyon, 1770)

 

Cette liste ne se veut guère exhaustive ; notre sélection, établie avec le concours de Martin Kaltenecker, a retenu les œuvres scéniques ou de concert faisant appel à la récitation, ce qui correspond à la conception habituelle (mais en rien exclusive) du mélodrame musical. Nous n’avons pas mentionné les scènes mélodramatiques insérées dans des opéras ; en revanche, nous avons inclus des musiques de scène lorsqu’elles faisaient appel de manière soutenue à la technique mélodramatique. Le relevé suit l’ordre chronologique ; lorsqu’il y a plusieurs œuvres pour un seul compositeur, nous les avons regroupées chronologiquement après la mention de la première œuvre de sa production. Quand la date indiquée est précédée d’un nom de lieu, il s’agit de celle de la création. Pour les très nombreux mélodrames scéniques du dernier tiers du XVIII e siècle-début XIX e siècle (certains restés impubliés et parfois difficilement localisables dans les bibliothèques), nous renvoyons à l’annexe établie parWolfgang Schimpf dans son ouvrage LyrischesTheater. Das Melodram des . Jahrhunderts (voir SCHIMPF : , pp. -).


R EICHARDT , Johann Friedrich Cephalus und Prokris, ein Melodrama (mélodrame scénique, 2 rôles parlés, orch. ; K.W. Ramler ; Hambourg, 1777) Ino, ein musikalisches Drama (mélodrame scénique, rôle parlé, orch. ; J. C. Brandes ; Leipzig, 1779) Herkules Tod (mélodrame scénique, rôle parlé, chœur, orch. ; J. F. Reichardt d’après Sophocle ; Berlin, 1802)

Z UMSTEEG , Johann Rudolf Die Frühlingsfeier, eine Ode von Klopstock zur Deklamation mit Begleitung des Orchesters (récitant, orch. ; Klopstock ; 1777) Tamira, ein Melodrama (mélodrame scénique, rôle parlé, orch. ; J. L. Hubert ; Stuttgart, 1788)

S ECKENDORFF, Karl Siegmund, Freiherr von Proserpina, ein Monodrama (mélodrame scénique, rôle parlé, chœur, orch. ; J. W. von Goethe ; Weimar, 1778) VOGLER , Georg Joseph Lampedo, ein Melodrama (mélodrame Lichtenberg ; Darmstadt, 1779)

scénique, rôle parlé, orch. ;

C. F.

W INTER , Peter von Lenardo und Blandine, ein Melodram nach Bürger (mélodrame scénique, 2 rôles parlés, orch. ; J. F. von Götz, d’après G.A. Bürger ; Munich, 1779) Cora und Alonzo, ein monologisches pantomimisches Ballet […] mit einem von Josef Marius Babo verbunden Melodram (mélodrame scénique, 2 rôles parlés, Babo, d’après F. Marmontel ; Munich, 1780)

orch. ; J. M.

DANZI , Franz Cleopatra, ein Duodrama (mélodrame scénique, 2 rôles parlés, orch. ; J. L. Neumann ; Mannheim, 1780) C ANNABICH , Johann Christian Elektra, eine musikalische Declamation (mélodrame scénique, rôle parlé, orch. ; W. H. von Dalberg ; Mannheim, 1781) DALBERG , Johann Friedrich Hugo Evas Klagen bei dem Anblick des sterbenden Messias. Eine Deklamation mit musikalischer Begleitung.Aus Klopstocks Messiade 8n Gesang (récitant, orch. ;

Klopstock ; Speyer, 1784) Jesus auf Golgotha, eine Declamation aus Klopstocks Messias mit musikalischer Begl. (récitant, orch. ; Klopstock ; Offenbach, 1809)


K AFFKA , Johann Christoph Rosemund, ein musikalisches Drama (mélodrame scénique, rôle parlé, orch. ; C. F. Bretzner ; Breslau, 1782 ; version pour pianoforte avec deux violons pour l’accompagnement, 1784)

K UNZEN , Friedrich Ludwig Æmilius Lenore, ein musikalische Gemählde (chant et récitation, pianoforte ; G. A. Bürger ; 1788) C IMADORO , Giovanni Battista Pimmalione, scena drammatica (mélodrame scénique, rôle parlé, orch. ; A. S. Sografi ; Venise, 1790) 

F OMINE , Jewstignej Ipatovic Orfej (mélodrame scénique, 2 rôles parlés, chœur, orch. ; J. B. Knjaznin ; SaintPétersbourg, 1792)

A SIOLI , Bonifacio La festa di Alessandro ossia Timoteo, azione teatrale

(mélodrame scénique,

rôles parlés, orch. ; d’après J. Dryden ; Turin, 1796)

Pigmalione, azione teatrale (mélodrame scénique, rôle parlé, orch. ; d’après J.-J. Rousseau ; Turin, 1796)

P ELISSIER ,Victor Ariadne Abandoned by Theseus in the Island of Naxos

(mélodrame scénique, 2 rôles parlés, orch. ; d’après J. C. Brandes ; New York, 1797)

R EICHA ,Anton Abschied der Johanna d’Arc (récitant, harmonica de verre, orch. ; F. Schiller ; Vienne, 1806)

W EBER , Carl Maria von Der Erste Ton, Cantate (récitant, chœur, orch. ; J. F. von Rochlitz ; 1808 ; version pour récitant, chœur, piano, 1810)

Preciosa, op. 

(musique de scène ; rôles parlés, chœur, orch. ; d’après Cervantes ; Berlin, 1821)

P. A.Wolff,

E N M U S I Q U E D A N S L E T E X T E • L E M É L O D R A M E D E R O U S S E A U À A U J O U R D ’ H U I (17 7 7 -1 8 0 8 )

I RIARTE (Yriarte),Tomás Luis de Guzmán el bueno, soliloquio o escena trágica unipersonal, con música en sus intervalos (mélodrame scénique, rôle parlé, orch. ; T. L. de Iriarte ; Madrid, 1791)



ROMBERG ,Andreas Jakob DerTaucher (récitant, clavier ; F. Schiller ; c. 1790)


B EETHOVEN , Ludwig van Egmont, op.  (musique de scène ; rôle parlé, soprano, orch. ; J. W. von Goethe ; Vienne, 1810) König Stephan oder Ungarns erster Wohltäter, op.  (musique de scène ; rôle parlé, chœur, orch. ; A. von Kotzebue ; Pest, 1812) Leonore Prohaska, WoO (musique de scène ; rôle parlé ; soprano, chœur, orch. ; J. F. L. Duncker ; 1815) E BERWEIN , Carl Proserpina, Melodram (mélodrame scénique ; rôle parlé, chœur, orch. ; J.W. von Goethe ; Weimar, 1815) S CHUBERT , Franz Abschied von der Erde, D  (récitant et piano ; A. von Pratobevera ; 1826) L INDPAINTNER , Peter Joseph von Das Lied von der Glocke, op.  (récitant et piano ; F. Schiller ; 1831) Hero und Leander, op.  (récitant et piano ; F. Schiller ; 1834) Die Bürgschaft, op.  (récitant et piano ; F. Schiller ; 1836-1837) DerTaucher, WoO (récitant et piano ;F. Schiller ; c. 1840) WAGNER , Richard Sieben Kompositionen zu Goethes Faust (récitante, solistes vocaux, piano ; J. W. von Goethe ; 1831) B ERLIOZ , Hector Lélio, ou le Retour à la vie, mélologue (version 1832) ; monodrame (version 1855) ; (mélodrame scénique ; rôle parlé, solistes vocaux, chœur, orch. ; H. Berlioz ; Paris, 1832 ; rév. Weimar, 1855)

L ORTZING ,Albert Darum sprenget auf dasThor der Klänge (récitant et piano ; T. Drobisch ; 1841) M ENDELSSOHN -B ARTHOLDY , Felix Antigone, op.  (musique de scène ; rôles parlés, chœur d’hommes, orch. ; Sophocle, trad. J. J. C. Donner/A. Böckh ; Postdam, 1841) Ein Sommernachtstraum, op.  (musique de scène ; rôles parlés, chœur de femmes, orch. ; Shakespeare, trad. A.W. Schlegel ; Postdam, 1843) Athalie, op.  (musique de scène ; rôles parlés, chœur d’hommes, orch. ; Racine, trad. E. Raupach/F. Mendelssohn ; Berlin, 1845) Œdipus in Kolonos, op.  (musique de scène ; récitants, chœur d’hommes, orch. ; Sophocle, trad. J. J. C. Donner ; Berlin, 1845)


S CHUMANN , Robert Manfred, dramatisches Gedicht, op.  (rôles parlés, solistes vocaux, chœur et orch. ; G. Byron, trad. K.A. Suckow, rév. R. Schumann ; Weimar, 1852) Schön Hedwig, Ballade für Declamation mit Begleitung des Pianoforte, op.  ( F. Hebbel ; 1853) Zwei Balladen für Declamation mit Begleitung des Pianofortes, op.  (n°  « Ballade von Haidenknaben » ; F. Hebbel ; n°  « Die Flüchtlinge » ; P. B. Shelley ; 1853)

Helge’sTreue, für Declamation mit melodramatischer Pianoforte-Begleitung (récitant et piano ; M. von Strachwitz ; Hambourg, 1874) Der blinde Sänger, Ballade mit melodramatischer Musik-Begleitung (récitant et piano ; A.Tolstoï ; Saint-Pétersbourg, 1877) N IETZSCHE , Friedrich Das zerbrochene Ringlein, Romanze (récitant et piano ; J. von Eichendorff ; 1863)

M ASSENET , Jules Poème d’avril, op. , cycle pour voix (chant et récitation, piano ; A. Silvestre ; 1866) Expressions lyriques (chant et déclamation, piano ; M.Varenne, M. Roch de Louvencourt, T. Maurer, J. Dortzal, R. de Gontaut Biron, S. Poirson, M. Grain ; 1902-1912) La Vision de Loti, cycle pour quatuor vocal avec déclamation (récitant, quatuor vocal, piano ; E. Noël d’après P. Loti ; 1912) G RIEG , Edvard Bergliot, Deklamation mit Orchester, op.  (récitant et piano ; B. Björnson ; 1871 ; version orchestrale 1885)

E N M U S I Q U E D A N S L E T E X T E • L E M É L O D R A M E D E R O U S S E A U À A U J O U R D ’ H U I (18 1 0 -1 8 7 1 )

A. Dux ; Budapest, 1874)

 

L ISZT , Franz Vor hundert Jahren, Festspiel zur Säkularfeier des Geburtstages Schillers (musique de scène ; 3 rôles parlés, orch. ; F. Halm ; Weimar, 1859) Lenore, mit melodramatischer Pianoforte-Begleitung zur Declamation (récitant et piano ; G.A. Bürger ; Leipzig, 1860) Der traurige Mönch, mit melodramatischer Pianoforte-Begleitung zur Declamation ( N. Lenau ; Leipzig, 1872) A holt költö szerelme, mit melodramatischer Musik [Des todten Dichters Liebe/L’amour du poète mort] (récitant et piano ; M. Jókai, trad. all.


F IBICH , Zdenek Stedry Den [Le jour de Noël], op.  (récitant et piano ; K. J. Erben ; 1875 ; version orchestrale, 1899)

Pomsta kvetin [La vengeance des fleurs] (récitant et piano ; F. von Freiligrath, trad. J.Vrchlicky ; 1877) Vecnost [Éternité], op.  (récitant et piano ; R. Mayer ; 1878) Kralovna Ema [La reine Emma] (récitant et piano ; J.Vrchlicky ; 1883) Vodnik [Le porteur d’eau], op.  (récitant et orch. ; K. J. Erben ; 1883) Hippodamia, trilogie mélodramatique scénique (acteurs, chœur et orch. ; J.Vrchlicky, d’après Sophocle, Euripide et Apollodore) ; Namluvy Pelopovy [La cour de Pénélope], op.  (Prague, 1890) ; SmirTantaluv [Le supplice de Tantale], op.  (Prague, 1891) ; Smrt Hippodamie [La mort d’Hippodamie], op.  (Prague, 1891 ; Prague, 1893 pour la trilogie complète)

Hakon, op.  (récitant et orch. ; J.Vrchlicky ; 1893) ROCHLICH , Gustav Die Wallfahrt nach Kevlaar, op.  H. Heine ; c. 1880)

(récitant, chœur de femmes, piano ;

A LBÉNIZ , Isaac Rimas de Bécquer, melodías con recitado (récitant et piano ; G. A. Bécquer ; c. 1886)

S IBELIUS , Jan Trånaden [Mélancolie] (récitant, piano; E. J. Stagnelius, 1887) O, om du sett [Oh, si tu avais dormi] (récitant, piano ; E. Hackzell ; 1888) Svartsjukans nätter [Nuits de jalousie] (récitant, violon, alto, violoncelle, piano ; J. L. Runeberg ; 1888) Skogsrået [La nymphe des bois] (récitant, deux cors, cordes ; V. Rydberg ; 1895 ; version orchestrale, 1895)

Grevinnans konterfej [Le portrait de la comtesse], tableau vivant en musique (récitant et cordes ; 1906)

Ett ensamt skidspår [La trace de ski solitaire] (récitant et piano ; B. Gripenberg ; 1925 ; version pour harpe et cordes, 1928 ; version orchestrale, 1948)

B URMEISTER , Richard Fünf Dichtungen über seine Kompositionen, frei nach K. Ujejski für melodramatischem Vortrag mit Pianoforte eingerichtet von Richard Burmeister (récitant et piano ; K. Ujejski ; c. 1890)


O STRCIL , Otakar Krasne dedictvi [Bel héritage] (récitant et piano ; E. Krasnohorska ; 1891) Kamenny mnich [Le moine de pierre] (récitant et piano ; V. St’astny ; 1892) Lilie [Lilas] (récitant et piano ; K. J. Erben ; 1895) Balada mrtvém sevci a mladé tanecnici [Ballade du cordonnier mort et de la jeune danseuse], op.  (récitant et piano ; K. Leger ; 1904) Balada ceská [Ballade tchèque], op.  (récitant et piano ; J. Neruda ; 1905) Osirelo díte [L’orphelin], op.  (pour récitante [mezzo soprano] et orchestre ; texte populaire ; 1906)

Skrivan [L’Alouette], op.  (récitant et piano ; M.Valenta ; 1934)

K LOSE , Friedrich Das Leben ein Traum, poème symphonique

(récitant, chœur de femmes,

orch. ; d’après Calderón de la Barca ; 1896)

DieWallfahrt nach Kevlaar (récitant, 3 chœurs, orch., orgue ; H. Heine ; 1911) H UMPERDINCK , Engelbert Die Königskinder (mélodrame scénique, rôles parlés et chantés [Sprechgesang], chœur, orch. ; E. Rossmer ; Munich, 1897) « Maiahnung », in Junge Lieder, n° 8 (Sprechgesang et piano ; M. Leiffmann ; 1898) Bübchens Weihnachstraum. Ein melodramatisches Krippenspiel für Schule und Haus (rôles parlés, chœur, ensemble instrumental ; G. Falke ; Berlin, 1906) S TRAUSS , Richard Enoch Arden (récitant et piano ; A.Tennyson ; 1897) Das Schloss am Meere (récitant et piano ; L. Uhland ; 1899)

E N M U S I Q U E D A N S L E T E X T E • L E M É L O D R A M E D E R O U S S E A U À A U J O U R D ’ H U I (18 7 5 -1 8 9 7 )

H AHN , Reynaldo Portraits de Peintres (récitant et piano ; M. Proust ; 1896)

 

C ELANSKY , Ludvik Zebrak [Le mendiant] (récitant et orch. ; I.Tourgueniev ; 1894) Zeme [Le pays] (récitant et orch. ; J.Vrchlicky ; 1894) Balada o dusi Jana Nerudy [Ballade de l’âme de Jan Neruda] (récitant et orch. ; A. Klastersky ; 1895) Ceska pisen [Chanson tchèque] (récitant et orch. ; J.Vrchlicky ; 1902) Zvony [Les cloches] (récitant et orch. ; E.A. Poe ; 1903) Tryzna nasim padlym [Commémoration pour nos morts] (récitant et orch. ; J. Kvapil ; 1919)


S UK Josef Raduz a Mahulena [Raduz et Mahulena], un conte de fée slovaque, op.  (mélodrame scénique, rôles parlés, orch. ; J. Zeyer ; 1898) M C E WEN , John Romney’s Remorse (récitant et piano ; A.Tennyson ; 1899) Graih my Cree (récitant, quintette avec piano, percussion ; H. Caine ; 1900)  Poems for inflected Speech (récitant et piano ; M. Forbes ; 1943) K IENZL ,Wilhelm Die Brautfahrt, mit melodramatischer Pianofortebegleitung zur Declamation, op.  (récitant et piano ; J. von Eichendorff ; 1900) Drei Melodramen zu Tönen von Beethoven, Schubert und Chopin, op.  (récitant et piano ; c. 1902)

Zwei Melodramen, op.  (récitant et piano ; R. Hamerling, F. K. Ginzkey ; 1919) Die Jungfrau und die Nonne, melodramatische Erzählung mit Chören, op.  (récitants, chœur de femmes, orch. ; G. Keller ; 1919) Eine Marienballade von François Villon, op.  (récitant et piano ; F.Villon ; sd) S CHILLINGS , Max von Kassandra, op.  n°  (récitant et orch. ; F. Schiller ; 1900) Das eleusische Fest, op.  n°  (récitant et orch. ; F. Schiller ; 1900) Das Hexenlied, op.  (récitant et orch. ; E. von Wildenbruch ; 1902) Jung Olaf, op.  (récitant et orch. ; E. von Wildenbruch ; 1911) H AWLEY , Stanley Dramatic Poems for Recitation (récitant et piano ; E.A. Poe ; 1904) U HL , Edmund Die Wallfahrt nach Kevlaar, für Deklamation mit Pianofortebegleitung, op.  (récitant et piano ; H. Heine ; 1904) L EWIN , Gustav Das klagende Lied, melodramatische Musik für Orchester oder Pianoforte (récitant et orch. ou piano ; M. Greif ; 1906) In höchster Not, Melodram (récitant et piano ; H. Eschelbach ; 1916) Die Alte von Hulsum, als Melodram komponiert (récitant et piano ; H. Eschelbach ; 1920)


Z ERLETT , Johann Baptist DieWallfahrt nach Kevlaar, für Declamation mit Begleitung von Streichorchester oder Klavier, op.  (récitant, orch. à cordes ou piano ; H. Heine ; 1906) DALE , Frederic Ghosts, recitation with pianoforte accompaniment (récitant et piano ; L.Worrall, 1908)

What will people say ? A musical monologue (récitant et piano ; L.Worrall, 1910)

When Earth’s last Picture is painted. A musical monologue (récitant et piano, R. Kipling ; 1910) Wot’s de good ob grousin’ ? An Old Nigger’s philosophy.A Musical monologue (récitant et piano ; F. Chester ; 1930)

H UMMEL , Ferdinand Die Mette von Marienburg. Melodram mit Pianofortebegleitung, op.  (récitant et piano ; F. Dahn ; 1911)  Patriotische Melodramen nach Dichtungen von Ernst von Wildenbruch, op.  (récitant et piano ; H. von Wildenbruch ; 1912) Heldentod. Melodram mit Pianofortebegleitung, op.  (récitant et piano ; P. Langenscheid ; 1921) S CHOENBERG ,Arnold Dreimal sieben Gedichte aus Albert Girauds Pierrot Lunaire, op.  (Sprechstimme, flûte piccolo, clarinette/clarinette basse, violon/alto, violoncelle, piano ; O. E. Hartleben d’après A. Giraud ; Berlin, 1912)

Kol Nidre, op.  (récitant, chœur et orch. ; 1938) Ode to Napoléon, op.  (récitant, piano, quatuor à cordes/orch. cordes ; G. Byron ; 1942) A Survivor fromWarsaw (récitant, chœur d’hommes, orch. ; A. Schoenberg ; 1947)

Moderner Psalm, op. c (récitant, chœur, orch. ; A. Schoenberg ; 1950)

E N M U S I Q U E D A N S L E T E X T E • L E M É L O D R A M E D E R O U S S E A U À A U J O U R D ’ H U I (18 9 8 -1 9 1 2 )

B ERGH ,Arthur The Raven. A Melodrama for recitation with pianoforte, op.  (récitant, piano ; E.A. Poe ; 1910) The Pied Piper of Hamelin. Recitation with pianoforte, op.  (récitant, piano ; R. Browning ; 1914)



M ACKENZIE ,Alexander Campbell Recitations set to music for piano (récitant et piano ; T. Hood, T. Ingoldsby, L. Carroll et al., 1908)




F RIED , Oskar Die Auswanderer (pour Sprechtonstimme et grand orch. ; E.Verhaeren ; trad. S. Zweig ; 1913) M ARTINU , Bohuslav Le Soir, H.  (Sprechstimme et harpe ; A. Samain ; 1913) La Libellule, H.  (Sprechstimme, harpe, piano ; H. d’Orange ; 1913) Danseuse de Java, H.  (Sprechstimme, alto, harpe, piano ; A. Symons ; 1913) S TEINITZER , Max Die Braut von Korinth, Ballade von Goethe für Deklamation mit durchgehender Klavierbegleitung (récitant et piano ; J.W. von Goethe ; 1913) VOGEL ,Wladimir Man sieht nicht die tiefblauen Himmel (récitant et piano ; E. Kalmejer ; 1913) Die Bekehrte (récitant et piano ; J.W. von Goethe ; 1920)  Sprechlieder nach August Stramm (voix de basse et piano ; A. Stramm ; 1922) Wagadus Untergang durch die Eitelkeit (chœur et chœur parlé, 5 saxophones ; L. Frobenius ; 1930) Les Adieux de Claes, Le Supplice de Claes (récitant, soprano, orch. ; d’après C. De Coster ; 1942) Thyl Claes, fils de Kolldrager (2 récitants, soprano, chœur parlé, orch. ; d’après C. de Coster ; 1945) Jona ging doch nach Ninive (récitant, baryton, chœur parlé, chœur, orch. ; M. Buber ; 1957) Das Lied von der Glocke (récitant, chœur parlé et orch. ; F. Schiller ; 1959) Meditazione sulla maschera di Amedeo Modigliani (récitant, solistes vocaux, chœur et orch. ; F. Filippini ; 1960) Flucht, Dramma-Oratorio (4 récitants, solistes vocaux, chœur parlé, orch. ; R.Walser ; 1964) Gli spaziali (2 ou 3 récitants, solistes vocaux, orch. ; L. da Vinci, J.Verne, H. Meier ; 1971) DasVerhör (2 récitants, quatuor à cordes ; M. Boulgakov ; 1983) P ÁSZTHORY , Casimir von Die Weise von Liebe und Tod des Cornets Christoph Rilke orch. ; R. M. Rilke ; 1914) Die wilden Schwäne (récitant et orch. ; H. C.Andersen ; 1937)

(récitant et


S TRAWINSKY , Igor L’Histoire du Soldat (récitant, rôles parlés, mime, ensemble instrumental ; C.-F. Ramuz ; Lausanne, 1918) Perséphone, mélodrame (rôle parlé, solistes vocaux, chœur, orch. ; A. Gide ; Paris, 1934)

Babel, cantate (narrateur, chœur d’hommes, orch. ; textes bibliques ; 1944) A Sermon, A Narrative, and A Prayer, cantate (récitant, solistes vocaux, chœur, orch. ; textes bibliques ; 1961)

The Flood. A musical play (narrateur, solistes vocaux, chœur, orch. ; R. Craft ; 1962)

R IEDE , Erich Gorm Grymme, Melodram, op. 2 (Sprechstimme et piano ; T. Fontane ; c. 1920)

orch. de chambre ; Lyon, 1923) ; e version : id. (récitants et orch. ; Paris, 1924)

Judith. e version : musique de scène pour Judith, drame biblique (rôles parlés, solistes vocaux, chœurs, orch. ; R. Morax, Mézières 1925) ; e version : Judith, opéra sérieux (1925) ; e version : Judith, action musicale (récitant, orch. ; Rotterdam, 1927)

Amphion, mélodrame (rôle parlé, orch. ; P. Valéry ; Paris, 1931) Jeanne d’Arc au bûcher, oratorio dramatique (rôles parlés, solistes vocaux, chœur, orch. ; P. Claudel ; Bâle, 1938) La Danse des Morts, cantate sacrée (récitants, solistes vocaux, chœur et orch. ; P. Claudel ; 1938 ; Bâle, 1940) Nicolas de Flue, légende dramatique (récitants, rôles parlés, chœurs, orch. d’harmonie et orch. ; D. de Rougemont ; Soleure, 1940) B URIAN , Emil Frantisek Beznadejna samomluva [Monologue sans espoir] (quatuor vocal, récitant, violon et piano ; E. F. Burian ; 1922) Balada o nemarozemem diteti [La ballade de l’enfant non né] (récitant et orch. ; J.Wokler ; 1924) Evzen Onegin [Eugène Onéguine] (récitant et piano ; E. F. Burian ; 1957)

E N M U S I Q U E D A N S L E T E X T E • L E M É L O D R A M E D E R O U S S E A U À A U J O U R D ’ H U I (19 1 3 -1 9 2 2 )

H ONEGGER ,Arthur Le Roi David. e version : musique de scène pour Le Roi David, drame biblique (rôles parlés, solistes vocaux, chœurs, orch. de chambre ; R. Morax ; Mézières, 1921) ; e version : psaume symphonique en  parties (récitants et

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W INTERNITZ ,Arnold Der Fluch der Kröte (récitant et piano ; G. Meyrink ; c. 1920) Die Nachtigall, Märchen von H. Chr.Andersen, mit begleitender Musik (récitant et orch. ; H. C.Andersen, trad. P. Ernst ; 1927)




WALTON ,William Façade, An Entertainment

(récitant, flûte/piccolo, trompette, clarinette/clarinette basse, saxophone, violoncelle, percussion ; E. Sitwell ; 1922 ; rév. 1951)

Façade 

(récitant, flûte/piccolo, trompette, clarinette/clarinette basse, saxophone, violoncelle, percussion ; E. Sitwell ; 1979)

E ISLER , Hanns Palmström, für eine Sprechstimme und kleines Ensemble, op.  (Sprechstimme, flûte, violon, alto, violoncelle, piano ; C. Morgenstern ; 1924) S CHREKER , Franz DasWeib des Intaphernes (récitant et orch. ; E. Stucken ; 1930) J INDRICH , Jindrich Chodsky Kraj, [Le Pays chod], Melodram

(récitant et piano ; Z. Tucek ; 1933)

C ASTELNUOVO -T EDESCO , Mario The Princess and the Pea, op.  (récitant et orch. ; d’après H. C. Andersen ; 1943) L’arca di Noè (récitant et orch. ; d’après la Genèse ; 1945) Platero e yo, op.  (récitant et guitare ; J. R. Jiménez ; 1960) H INDEMITH , Paul Hérodiade, récitation orchestrale* S. Mallarmé ; Washington, 1944)

(2 rôles dansés, ensemble instrumental ;

U LLMANN ,Viktor Die Weise von Liebe und Tod des Cornets Christoph Rilke,  Stücke aus der Dichtung Rainer Maria Rilke für Sprecher und Klavier (récitant et piano ;

R. M. Rilke ; Theresienstadt, 1944) P OULENC , Francis L’Histoire de Babar, le petit éléphant, fable pour enfants (récitant et piano ; J. de Brunhoff ; 1945) O HANA , Maurice Llanto por Ignacio Sanchez Mejias (récitant et orch. ; F. García-Lorca ; 1950) D ESSAU , Paul Lilo Hermann (Sprechstimme, chœur mixte, flûte, clarinette, trompette, violon, *

Bien que la partition publiée donne le poème minutieusement placé au cours des passages correspondants de la musique, il n’est spécifié nulle part qu’il faille déclamer le texte sur la musique.


alto, violoncelle ; F.Wolf ; 1953) H OMOLA , Bernhard Das Lied vom Kinde, op.  (récitant, chœur parlé, chœur de femmes, piano et harmonimu ad lib. ; C. Brentano ; 1954)

S CHIBLER ,Armin Das kleine Mädchen mit den Schwefelhölzchen [La petite fille aux allumettes], Melodram, op.  (Sprechstimme, orch. de chambre ; d’après H. C. Andersen ; 1955) B LACHER , Boris Die Gesänge des Seeräubers O’Rourke und seiner Geliebten Sally Brown, beide auf das Felseneiland En Vano Anhelar verschlagen (récitant, voix aiguë,

Ariadne, Duodram (deux récitants, bande magnétique ; Berlin, 1970)

H ENZE , Hans Werner Versuch über Schweine (Sprechgesang [baryton] et orch.; G. Salvatore ; 1968) G IELEN , Michael die glocken sind auf falscher spur, melodramen und zwischenspiele (récitant, soprano, guitare, piano, percussion, métallophone, harmonium ; H.Arp ; 1969) C ONDÉ , Gérard Les Fêtes galantes (récitant et piano ; P.Verlaine ; 1973) C HION , Michel La Tentation de Saint-Antoine, mélodrame concret

(musique sur bande ;

G. Flaubert ; 1984)

R ÜHM , Gerhard präludien zum finale, sechs kleinen melodramen (récitant et piano ; 1984) field-anekdote, Mimodram (mime ad libitum, piano ; F. Liszt ; 1986) alltägliche gewalt ( dokumentarische melodramen) (récitant et piano ; 1993) ashtavakra spricht, meditatives melodram (Sprechstimme, célesta ; 1993) wintermärchen, melodramatisches hörspiel (citations de mélodrames de Benda, Liszt, Schillings, Strauss…)

E N M U S I Q U E D A N S L E T E X T E • L E M É L O D R A M E D E R O U S S E A U À A U J O U R D ’ H U I (19 2 2 -1 9 8 4 )

K AGEL , Mauricio Phonophonie, vier Melodramen (2 voix, diverses sources sonores ; Munich, 1965) Intermezzo (récitant, voix, instrument ; Stuttgart, 1983) Interview avec D., pour Monsieur Croche et orchestre (récitant et orch. ; 1994)

 

chanteuse de cabaret, baryton, chœurs parlés, orch. ; G. von Rezzori, 1958)


S CIARRINO , Salvatore Lohengrin, azione invisibile (récitante, S. Sciarrino d’après J. Laforgue ; 1984)

chœur, ensemble instrumental ;

F OSS , Lukas Elegy for Anne Frank (récitante et orch. ; A. Frank ; 1989) S CHÖLLHORN , Johannes Der Vorhang geht auf. Das Theater stellt ein Theater vor (récitante, violon, clarinette, cor, violoncelle, percussion ; L.Tieck ; 1989) Vor Augen (voix, flûte, violoncelle, clarinette ; M. Kaltenecker ; 1993) Damenstimmen (voix et piano ; G. Stein ; 1995) P ESSON , Gérard Histoire de M. Vieux Bois (récitante, trio à cordes ; C. Gautier, d’après R.Töpffer ; 1991)

Écrits à Quinzhou (récitant et piano ; Du Fu ; 1994) L ACHENMANN , Helmut Zwei Gefühle (2 récitants, ensemble instrumental ; L. deVinci ; 1992) R EVERDY , Michèle Le Nom sur le bout de la langue, conte (récitant, ensemble instrumental ; P. Quignard ; 1993) Les Ruines circulaires (récitant et piano ; J. L. Borges ; 1995) J ARRELL , Michael Cassandre (récitante et orch. ; C.Wolff ; 1994) C ONSTANT , Marius Sade-Teresa, mélodrame fantastique en  tableaux (4 acteurs, 5 voix, 13 musiciens ; P. Bourgeade ; Château-Lacoste, Lubéron, 1995) Des saisons en enfers, mélodrame lyrique (3 acteurs, 5 voix, un danseur, 6 musiciens ; P. Bourgeade ; Paris, 1999) L INDE , Hans-Martin Vier Melodramen (récitant, ensemble de flûtes à bec ; H.-M. Linde ; 1999) Z IMMERLIN ,Alfred Ein Lachen, Melodram (récitant et piano ; I. Fichtner ; 2003)


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



EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • INDEX

• A - B erio

B Babo, Joseph Marius  Bach, Carl Philipp Emanuel ,  Bahr-Mildenburg, Anna ,  Baker, Richard  ballade , , , , , , , -, -, , , , , -, , , ,  ballet pantomime , , , , , , , ,  Balzac, Honoré de  Bambini, Eustacchio  bande dessinée , , -,  bande sonore , ,  Barbaut, Caroline 

Barnett, Dene ,  Barrès, Maurice  Barth, Richard  Barthes, Roland  Basso, Alberto -, ,  Batka, Richard , ,  Baudron, Antoine L.  Beardsley, Aubrey  Beaumarchais, Pierre Caron de , , ,  Eugénie ,  Becker, Georges ,  Beckford, William  Beethoven, Ludwig van , , , , , , , -, , , , ,  e Concerto pour piano et orchestre,  e Concerto pour piano et orchestre,  Egmont , , , -, , , , , ,  Fidelio  e Symphonie, « Eroica » ,  e Symphonie  e Symphonie, « Pastorale »  e Symphonie  Bell, Charles  Benda, Georg Anton , , , , , , , -, , , , , , , , , , , , -, -, , , , , , , , , -, , , , , , , , -,  Ariadne auf Naxos , , -, , -, , -, , , , , , , , , , , , , , , , , ,  Medea , -, , , -, -, , , , , , -, ,  Pygmalion , , , , , ,  Sonate n°  en fa majeur  Benedix, Roderich  Benois, Alexandre  Berg, Alban , , , ,  Wozzeck , , ,  Berger, Christian  Berio, Luciano 



A Abbate, Carolyn , ,  acousmêtre ,  Adorno, Theodor W. ,  Alciatus (Andrea Alciati)  Alembert, Jean le Rond d’ ,  Alkan, Charles-Valentin  alternance séquentielle , , , , , , -, , , , , , , , , , , , , , , , , , , , -, , , , , , ,  anempathique, effet  Angiolini, Gasparo , , , , , ,  Appel, Bernhard  Arbell, Lucy  Arnheim, Rudolf ,  Arnim, George ,  Asioli, Bonifazio ,  Asplmayr, Franz ,  attitude , , , , , , , , , , , , ,  Auber, Daniel François Esprit , , , , ,  La Muette de Portici , , , -, ,  Auguste (Caïus Julius Cæsar Octavianus Augustus) , , ,  Auric, Georges  Austin, Gilbert , -, , , , 


Berlioz, Hector , , , , , -, , , , , , , -, , , - Cléopâtre  La Mort d’Orphée  Lélio , , , , , , , , , -, -, , , , , , ,  Le Retour à la vie , , , , , , , , , ,  Mémoires ,  Symphonie fantastique , -, -, , ,  Bernède, Arthur  Bernhardt, Sarah ,  Bernstein, Elsa ,  Berquin, Arnaud ,  Biehle, Herbert  Bielfeld, Detlev Friedrich  Bierbaum, Otto Julius  Bishop, Henry ,  Bizet, Georges ,  Blangini, Felice ,  Blei, Franz  Bloom, Peter  Bodansky, Arthur ,  Boese, Carl  Bondeli, Julie von , , ,  Bonifacio, Giovanni  Booth, Wayne C.  Böttger, Adolf  Boulenger de Rivery, Claude François Félix  Boulez, Pierre , , , , , , ,  Brandes, Charlotte , , ,  Brandes, Johann Christian , , ,  Brinkmann, Reinhold , ,  Brooks, Peter , , , ,  Brown, Bruce Alan ,  Bulwer, John  Bürger, Gottfried August , ,  Burke, Edmund  Burmeister, Richard  Burney, Charles , ,  Busoni, Ferruccio ,  Byron, George Gordon Lord , -, , , , , , , ,  Manfred , -,  C cadre -,  Caffarelli (Gaetano Majorano, dit)  Cahusac, Louis de ,  Cain, Henri 

Calliachus 

Calzabigi, Ranieri de ,  Cammaille-Aubin, Nicolas  Carné, Marcel , ,  Juliette ou la Clef des Songes , , ,  Carter, Elliott , ,  Quatuor n°  Carus, Carl Gustav ,  Carvalho, Caroline  Cerha, Friedrich ,  Cernuschi, Alain ,  Cervantes, Miguel de  Champmeslé (Marie Desmares, dite La –)  Charlemagne, Armand , ,  Charlton, David , , , ,  Chastel, André  Chatman, Seymour  Cherubini, Luigi  Chion, Michel , ,  Chopin, Fredéric , ,  Chostakovich, Dimitri  Cicéron (Marcus Tullius Cicero) ,  De Oratore  Cimadoro, Giovanni Battista , ,  Clairon, Hyppolite  Clarétie, Jules  Clark, King ,  Clasen, Lorenz  Clasing, Johann Heinrich  Claudel, Paul , , , ,  Cocles (Bartolomeo della Rocca, dit)  Cocteau, Jean , ,  Le Sang d’un poète  Les Mariés de laTour Eiffel  Parade  Coignet, Horace -, -, , , , , , , , , ,  Coleridge, Samuel Taylor  Colly  Comden, Betty  Comédie-Française , , , , , , ,  Comédie-Italienne ,  comique bas comique , , , -, ,

, ,  haut comique ,  commedia dell’arte , , ,  Condillac, Étienne Bonnot de ,  Constable, William ,  convention , , , , , ,  Corneille, Pierre  Cornelius, Peter ,  Couperin, François  Crosten, William  Cui, César 


Culler, Jonathan  Cureau de La Chambre, Marin  Czerny, Carl 

diégétique musique diégétique , -, , ,



E Eberlin, Johann Ernst ,  Sigismundus Hungariae Rex  Eberwein, Carl ,  Proserpina  effet Kouleshov  Eichendorff, Joseph von ,  Eichler, Gottfried – der Junge  Eisler, Hanns -,  Palmström -

• B erlioz - E isler

Lucia di Lammermoor ,  Lucrezia Borgia  Donner, Johann Christian  Dorat, Claude  Dortzal, Jeanne  dramatisation de l’attente , , , ,  Dreyer, Carl Theodor ,  Du Bois, Jean-Baptiste ,  Du Bos, abbé Jean-Baptiste , , , , , , , ,  Réflexions critiques sur la poésie et la peinture , ,  Du Boys, Albert  Duclos, voir sous Pinot Duclos, Charles Dujardin, Édouard  Dumesnil (Marie-Françoise Marchand, dite Mlle –)  Duncan, Isadora  Duni, Egidio ,  duodrame , , , ,  Duprez, Gilbert  Durante, Francesco 



EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • INDEX

musique non diégétique - diorama, voir sous panorama Distelkamp, Bernd ,  Dobson, Frank  Dömling, Wolfgang , , ,  Donen, Stanley  Donizetti, Gaetano , , 



D d’Albert, Eugen  d’Annunzio, Gabriele ,  Le Martyre de Saint Sébastien  Dacier, Anne  Daguerre, Louis  Dahlhaus, Carl  Damrosch, Walter  Dauberval, Jean  Daudet, Alphonse  De la Mare, Walter  Debrois van Bruyck, Carl  Debussy, Claude ,  Le Martyre de Saint Sébastien  Pelléas et Mélisande  déclamation -, -, -, -, , , , , , , , , , , , , , , , , -, , , , -, , ,  — des Anciens , , , , , ,  — en «gebundenes Melodram» , , -, , , , ,  — en musique , , , , , , , , , , ,  — libre -, , , , , , , ,  — lyrique , , -, ,  — mélodramatique , , , , , , , , -, , , , -, , , , , ,  — rythmée , , , , , , , , -, , -,  — rythmique , -, , , , , , , , , , , , , , ,  Dehmel, Richard  déictique , , , , , ,  Delacroix, Eugène  Delavigne, Casimir  Deleuze, Gilles , ,  Delsarte, François-Alexandre-Nicolas-Chéri , , , , -, , ,  Denys d’Halicarnasse  Descartes, René  Deshayes, André-Jean-Jacques  Devrient, Eduard  dialogue , , -, -, , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , -, 

Diderot, Denis , , , , , , , , , , , , , , ,  De la poésie dramatique , , ,  Entretiens sur le Fils naturel , , , , -,  Le Neveu de Rameau ,  Le Père de famille ,  Lettre sur les sourds et les muets  Observations sur un ouvrage intituléTraité du mélodrame  diégèse , , , -, , , , , , , 


Geyer, Ludwig  Gide, André , , -, - Perséphone   Girardin, René-Louis de ,  Eliot, George ,  Giraud, Albert , , , -,  ellipse , , , ,  Gluck, Christoph Willibald , , , , eloquentia corporis , , , , , , , , , , ,  , , ,  Alceste ,  Encyclopédie -, , , , ,  Don Juan ou le Festin de Pierre  Engel, Johann Jacob , , , , , Iphigénie en Aulide  , , -, -, , ,  Orfeo ed Euridice  Ideen zu einer Mimik , , , , , Semiramis  , ,  Godard, Jean-Luc  entracte, musique d’ , , - Goethe, Johann Wolfgang von , , , , Erinnerungsmotiv (motif de réminiscence) , , -, , , , , , , , , , ,  , , , , -, , , , Eschyle ,  , , , , , ,  Estève, Pierre  Clavigo ,  Euripide  DieWahlverwandtschaften ,  extramusical , , -, , ,  Egmont , , , ,  F Erlkönig  Fabre d’Eglantine, Philippe François  Iphigenia aufTauris  Falconetti, Renée  Proserpina , , , ,  Fantin Latour, Henri  Goldoni, Carlo  Fétis, François-Joseph ,  Gontaut-Biron, Roger de  Fibich, Zdenek , ,  González del Castillo, Juan Ignacio  Hippodamia ,  Gorbman, Claudia , ,  Fichte, Johann Gottlieb  Gotter, Friedrich Wilhelm , , ,  Fitzball, Edward  Götze, Auguste  Fomine, Jewstignej  Gounod, Charles  Fontanier, Pierre , , , ,  Philémon et Baucis  Forkel, Johann Nikolaus  Goya y Lucientes, Francisco de  François II, Empereur d’Autriche  Graff, Anton , , ,  Frantz, Pierre  Graham, Martha  Frédéric Guillaume IV, Roi de Prusse  Grain, Madeleine  Fréron, Élie  Grand Opéra , , ,  Fried, Oskar  Graves, Robert  Frobenius, Leo  Green, Adolph  Grieg, Edvard  G Grimm, Friedrich Melchior , , ,  Garcin, Laurent  Lettre sur Omphale  Gardel, Maximilien (dit Gardel l’aîné)  Groupe des Six  Gardel, Pierre (dit Gardel le jeune)  Les Mariés de laTour Eiffel  Garrick, David  Guattari, Félix  Gautier, Caroline  Gutheil-Schoder, Marie  Gebler, Tobias Philipp von  Gutmann, Emil , ,  Genèse ,  Genette, Gérard ,  H Genlis, Stéphanie Félicité du Crest de SaintHabeneck, François ,  Aubin, comtesse de  Halévy, Jacques-François  GeorgeV, Roi d’Angleterre  Hamilton, Lady Emma - Gerhard, Anselm ,  Hamilton, William  Gerstenberg, Heinrich Wilhelm von  Hanslick, Eduard  geste , , , , , -, -, Hartleben, Otto Erich , , , ,  -, , , -, -, , Hasse, Johann Adolf  , , , , , , , ,  Hathaway, Henry  ekphrasis  El Greco (Domenikos Theotokopoulos, dit)


Kinderling, Johann Friedrich  Kirchberger, Nicolas-Antoine de  Klopstock, Friedrich Gottlieb -,  Kniese, Julius ,  Koch, Heinrich Christoph ,  Kolisch, Rudolf  Korngold, Julius ,  Kosma, Joseph  Kotzebue, August Friedrich Ferdinand von  Kowalski, Max  Kramer, Lawrence ,  Krämer, Ulrich , , ,  Kubrick, Stanley  Kühn, Ulrich , , , , , ,  Kuhnau, Johann  Kunzen, Friedrich Ludwig A. ,  Lenore ,  Kurztragödie , ,  Küster, Ulrike , , , , , 

EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • INDEX

• e k p h r a s i s - L ichtenstein

L Lacombe, Jacques  Lambert, Constant , ,  Lang, Franciscus  Larive, Jean-Mauduit (dit aussi Larrive, Delarive ou De la Rive) -, , ,  Laserna, Blas de ,  El Poeta escribiendo un monólogo  Lavater, Johann Caspar , , , ,  Physiognomische Fragmente ,  I-J-K Le Brun, Charles -,  Lecerf de laViéville de Fresneuse, JeanIbsen, Henryk  Laurent ,  Iffland, August Wilhelm , , ,  image-texte , , ,  Lekain ou Le Kain (Cain, Henri-Louis, dit) Indagine, Jean de  ,  Ingres, Jean Auguste Dominique  Lemaître, Frédérick ,  Iriarte, Tomás de  Lenau, Nikolaus ,  Istel, Edgar  Der traurige Mönch ,  Jaensch, Andreas  Leni, Paul  Jansen, Albert ,  Leo, Leonardo  Jaucourt, Denis de ,  Lessem, Alan , ,  Jean-Paul (Johann Paul Friedrich Richer, dit) Lessing, Gotthold Ephraïm -, ,  , , , ,  Jommelli, Niccoló  Le Sueur, Jean-François ,  Jorio, Andrea de ,  Paul etVirginie - LeVacher de Charnois, Jean-Charles ,  La Mimica degli antichi investigata nel gestire Levi, Hermann  napoletano ,  Kaufmann, Angelica  Lewis, Matthew  Kelly, Gene  Lichtenstein, Roy  KibédiVarga, Aron ,  Kienzl, Wilhelm , ,  Kind, Friedrich , 

 

Haydn, Joseph  Heartz, Daniel  Hendel-Schütz, Henriette ,  Herder, Johann Gottfried  Hertel, Johann Georg ,  Hertzka, Emil ,  hiéroglyphe , ,  Hindemith, Paul ,  Hérodiade , ,  Hippocrate  Hochstetter, Gustav  Hofmann, Georg Edler von  Hogarth, William ,  Holoman, D. Kern  Homère  Honegger, Arthur , , , -, -, , ,  Amphion  Jeanne d’Arc au bûcher , , -, , ,  Sémiramis  hors champ , , , , ,  Huber, Johann Ludwig  Hugo, Victor , , , , ,  Lucrèce Borgia , ,  Humperdinck, Engelbert , , , , -, -, , , -, , , , , , ,  Die Königskinder , , , , , -, -, , , , , , ,  Hänsel und Gretel , ,  hystérie , , , , 


Liszt, Franz , , , , , , , , , , , , , -, , , , , , , , , , , , , ,  Der ewige Jude  Der traurige Mönch , , , , ,  La lugubre gondola  Lenore , , , -, -, ,  Nuages gris  Sposalizio ,  locus terribilis -,  Loewe, Carl  Loutherbourg, Philippe Jacques de  Lubin, Arthur  Lucien de Samosate ,  Ludwig, Franz  Lully, Jean-Baptiste , , , , , ,  Alceste  Armide ,  Atys  Isis ,  Psyché  Thésée  Lynch, David  M Mabary, Julia  MacKaye, James Steele ,  Macrobe  Mainbray  Maine, Anne Louise Bénédicte de Bourbon, duchesse du  Mallarmé, Stéphane ,  Mann, Thomas  Marker, Chris  Marmontel, Jean-François  Marschner, Heinrich ,  Hans Heiling ,  Marx, Adolf Bernhard ,  Massary, Fritzi ,  Massenet, Jules , , , -,  Ariane  Cléopâtre  Don Quichotte  Esclarmonde  Expressions lyriques - Manon , ,  Sapho  Thérèse -,  Werther  Massine, Léonide  Mattheson, Johann - Maurer, Théodore 

McClary, Susan ,  Méhul, Étienne  Ariodant ,  Meissner, August Gottlieb ,  mélodrame gebundenes Melodram, voir déclamation — non scénique , , , , ,

, ,  — scénique , , , , ,  melólogo (esp.), melologo (it.) , , ,

, -, ,  mélologue , , -,  Mendelssohn-Bartholdy, Felix , ,

-, , ,  Antigone , ,  Ein Sommernachtstraum , ,  Œdipus in Kolonos , ,  Paulus  e Symphonie  e Symphonie  Ménestrier, Claude François S.J.  Mengelberg, Wilhelm  Metastasio (Pietro Antonio Domenico Bonventura Trapassi, dit) , ,  Metz, Christian , , , ,  Meyer, Leonard B.  Meyerbeer, Giacomo ,  Michaelis, Christian Friedrich  mickey-mousing , , , ,  Milhaud, Darius ,  Les Choéphores -,  Milon, Louis ,  mimodrame , , ,  Minton, Yvonne ,  Mitchell, W. J.Thomas ,  Mödl, Martha  moment figé ,  Momentform  Monelle, Raymond  Mongrédien, Jean  monodrame , , , , , , ,  monologue , , , , , , -, , , , -, , , , , , , , -, , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,  monologue intérieur ,  Monsigny, Pierre Alexandre  Montesquieu, Charles de Secondat, baron de la Brède et de –  Monteverdi, Claudio ,  Lamento della Ninfa ,  Moore, Thomas 


Moreau, Jean-Michel ( dit Moreau le Jeune)  Morgenstern, Christian , ,  Mosengeil, Friedrich , ,  Mouret, Jean Joseph  Mozart, Wolfgang Amadeus -, , , , , , ,  Die Zauberflöte  Idomeneo  Sémiramis  Thamos, König in Aegypten , ,  Zaïde -, ,  Müllner, Adolph  Müry, Albert ,  musique à programme -, -, , , , -,  musique absolue , , 

  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • INDEX

• L iszt - R aphaël

Pearson, John  Pendle, Karin  Perfall, Karl von , ,  Pergolesi, Giovanni Battista  La Serva Padrona  périssologie ,  Peroux, Joseph Nicolaus ,  Pesson, Gérard  Petöfi, Sandor  Pfitzner, Hans  Philidor, François André ,  physiognomonie , , , , ,  Piccinni, Louis-Alexandre  Pilarczyk, Helga  Piles, Roger de  Pinot Duclos, Charles  Piper, John  Pixérécourt, René Charles Guilbert de , N-O , , ,  Napoléon III  pléonasme , , , , , , , narrataire ,  ,  narrateur (voir aussi "récitant") , , , Pleyel, Camille  , , , , , , -,  Pleyel, Marie (née Moke)  narration , , , , , , -, Plutarque  , , , , , , , , Poe, Edgar A. , ,  , , , ,  Pohl, Richard - Neefe, Christian Gottlob , , - point d’écoute  Sophonisbe , , , -,  Poirson, Suzanne  Neveux, Georges  polysémie , -,  Newbould, Brian , ,  Pontormo (Jacopo Carucci, dit)  Newman, Ernest  Porges, Heinrich  Nicolini (Nicolini Grimaldi, parfois N. NicoliPorta, Giovanni Battista della  ni, ou encore Philipp Nicolini) -,  Porter, Neil , ,  Nietzsche, Friedrich , , ,  Possart, Ernst von , , , -, Nikisch, Arthur  -, -, -, , -, Noblet, Lise  , , ,  Nourrit, Adolphe  Poussin, Nicolas  Noverre, Jean Georges , -, , Pratobevera, Adolf von ,  , , , ,  Principe, Quirino  Ottolenghi, Vittoria  prosopopée -,  P Pugnani, Gaetano , -, ,  Paley, Elizabeth -,  Werther , - Palleske, Emil  Q-R panorama , , ,  Querelle des Bouffons ,  pantomime , , , , -, , , , Quinault, Philippe  , , , , , , , , , , Quintilien , , , , , , , , , -, -, -,  , -, , , , -, , Rachel (Elisa Félix, dite Mlle—) ,  , , , , , , -, , Racine, Jean ,  , , - Athalie  parataxe -, ,  Iphigénie  Parsons, James ,  Raguenet, François ,  Pasolini, Pier Paolo  Ramann, Lina ,  pathognomonie ,  Rameau, Jean-Philippe ,  Pears, Peter ,  Raphaël (Raffaello Sanzio) , , 


Raucourt, Françoise  Raupach, Ernst ,  récitant , , , , , , , , -, , , , , , , , , , , , , , , , , , -, , , , , ,  récitant paradiégétique - récitatif , -, , , , , , , , ,  — accompagné , , ,  — mesuré - — non mesuré  — obligé -, , , , , , , , , ,  redondance , , , , ,  Rehberg, Frederick ,  Reichardt, Johann Friedrich , ,  Reinhardt, Max , ,  Rembrandt (Rembrandt Harmensz van Rijn, dit) ,  Rémond de Saint-Albine, Pierre ,  Reni, Guido  Requeno, Vincenzo  Restif de la Bretonne, Nicolas-Edme ,  Riccoboni, François (dit Lélio fils) , , ,  Ricœur, Paul  Rigoli, Juan  Ripa, Cesare - ,  Ritter, Christian Ludwig  Ritter, Heinrich ,  Roch de Louvencourt, comtesse  Rochlitz, Johann Friedrich , ,  Rollengedicht , , , ,  Romney, George  Rosen, Charles , ,  Rosmer, Ernst (v. Elsa Bernstein) ,  Rössig, Carl Gottlob  Rossini, Gioacchino  Rosso Fiorentino (Rosso Giovanni Battista di Iacopo, dit)  Roullet, Marie Francois Louis Gand-Leblanc Bailli du  Rousseau, Jean-Jacques , , -, -, -, , , , -, , , , , , , , -, , , , , , , , -, , -,  Consolations des misères de ma vie  Dictionnaire de musique , , , ,  Discours sur les sciences et les arts  Du Principe de la mélodie ou Réponse aux erreurs sur la musique  Essai sur l’origine des langues où il est parlé de la mélodie et de l’imitation musicale , , ,-, 

La Nouvelle Héloïse  Le Devin du village , ,  Lettre à M. Burney - Lettre à M. d’Alembert  Lettre à M. Grimm , ,  Lettre sur la musique françoise , , , , , ,  Pygmalion , , , -, , , -, , , -, , , , -, , , , , , , , , , , , , -, , , , , , , , ,  Rowe, Nicholas  Rubinstein, Ida , , , , ,  Rufer, Josef  Rühm, Gerhard  Ruiz, Raúl  Rutz, Ottmar  S Sade, Donatien Alphonse François de , ,  L’Union des Arts (Azélis) ,  Sophie et Desfrancs ,  Saint Augustin , ,  Saint Georges de Bouhélier (StéphaneGeorges Lepelletier de Bouhélier, dit) ,  Saint Thomas  Saint-Denis, Ruth  Saint-Saëns, Camille  Sala, Emilio , , ,  Salus, Hugo  Sand, George  Sanderson, Sybil  Satie, Erik  Scarlatti, Alessandro  Scarton, Cesare , , , , , , ,  Schaeffer, Pierre  Schapiro, Meyer  Scherchen, Hermann  Schikaneder, Emanuel  Schiller, Friedrich , , , , , ,  Schillings, Max von -, , , , , , , , , , , , ,  Das Hexenlied , -, , , , , , , , , , ,  Schimpf, Wolfgang , , , , ,  Schindler, Anton  Schink, Johann Friedrich  Schinkel, Karl Friedrich 




EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • INDEX

• R aucourt - S uckow

, , , , , ,  Severini, Gino  Seyler, Abel ,  Shakespeare, William , , , , , , , ,  Shawn, Ted  Shoemaker, J.W. ,  Showalter, Elaine  Siddons, Henry ,  Siddons, Sarah , ,  signe , , , -, , , , , , , , , ,  Sitwell, Edith -, , , -,  Sitwell, Osbert , , ,  Sitwell, Sacheverell ,  Sitwell, Sir George  Smith, Marian ,  Sophocle ,  source énonciative , , , -, , , -, , , , , , , ,  spectateur omniscient , , , ,  Sprechgesang , -, , , , , , , , ,  Sprechstimme , , , , , , , , , , , , -, , , , , ,  Staël (Necker de Staël-Holstein,Anne Louise Germaine dite Madame de)  Stanislavski (Konstantin Alexeïev, dit)  statue posing , , , , ,  Stebbins, Genevieve ,  Stein, Erwin  Steinitzer, Max , , ,  Stephan, Rudolf , ,  Steuermann, Eduard , , , , , ,  stinger  Stockhausen, Karlheinz ,  Momentform  Stollberg, Arne  Strassner, Matthias  Strauss, Richard , , , , , , , , ,  Das Schloss am Meere ,  Enoch Arden , ,  Salomé ,  Strawinsky, Igor , , , , , , -, ,  L’Histoire du Soldat ,  Œdipus Rex ,  Perséphone , , -, ,  Striker, Ardelle  Sturm und Drang , , ,  Suckow, Karl Adolf , , , 



Schoenberg, Arnold , , , , , , , , , , , , , , , -, -, , , , ,  Brettl-Lieder  Die glückliche Hand ,  Die Jakobsleiter  Erwartung  Gurre-Lieder , , , , , ,  Moses und Aaron  Ode à Napoléon  Pierrot lunaire , , , , , , , , , , , , , , , , -, , -, , -, , , , - Psaume   Von heute auf morgen  Schreker, Franz  Schubart, Christian F.  Schubert, Franz , , , , , , , , , ,  Abschied von der Erde  DesTeufels Lustschloss -, ,  Die Zauberharfe -, ,  Erlkönig  Rosamunde  Schuldrama  Schuller, Gunther , ,  Schumann, Robert , , -, -, -, -, , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,  Ballade von Haidenknaben , , ,  Die Flüchtlinge , , ,  Genoveva  Manfred , , , , , , , -, , , , ,  Schön Hedwig  Schwarz-Danuser, Monika  Schweitzer, Anton , ,  Pygmalion , ,  Schwitters, Kurt  Scribe, Eugène , ,  Sebastiani, F. J.  Seckendorff, Siegmund von  Sedaine, Michel Jean ,  Seebach, Marie , , , , ,  Seidl, Arthur  Senancour, Étienne Pivert de  Sengerphone - séquence , , , -, , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , -,


Sulzer, Johan Georg , , , ,  Swedenborg, Emanuel  Swieten, Godfried van  synchrone , , , , , , , , -, , -, , , , , ,  asynchrone , , , - Szondi, Peter ,  T-U tableau vivant , -, , , ,

, ,  Talma, François-Joseph  Temperley, Nicholas , , , ,  temps — imaginaire , -, , ,  — lisse , , , , - — réel , , , , , -, ,

, , , ,  — strié , , , - Tenhaef, Peter , ,  Tennyson, Alfred  théâtre larmoyant , , ,  THÉÂTRES ET SALLES DE CONCERT Ambigu-Comique (Paris)  Burgtheater (Vienne) ,  Choralion Saal (Berlin) , ,  Conservatoire (Paris) , , ,  Drury Lane Theatre (Londres) ,  Hoftheater (Weimar)  Königliches Hoftheater (Munich) , ,

, , ,  Metropolitan Opera (NewYork) ,  Nationaltheater (Berlin) 174, 202 Residenztheater (Munich)  Théâtre de la Porte Saint-Martin (Paris) ,  Théâtre desVariétés (Paris)  Thomé, Francis  Thompson, Mary S.  Titien (TizianoVecellio, dit Le –)  Tolstoï, Léon Nikolaïevitch  Töpffer, Rodolphe  topos , , , , , , , , , , , -, , , , , , -,  trémolo , , , , , , , , , , , ,  Tunbridge, Laura , -, ,  Uhland, Ludwig  Ujejski, Kornel , 

V-W Valeriano, Pietro  Valéry, Paul , , , , , -,  Amphion , ,  Sémiramis , ,  Van DerVeen, Jacques , , , , , , , , ,  Varenne, Marc  Verdi, Giuseppe ,  IlTrovatore , ,  Verlaine, Paul  Vernière, Paul ,  Vestris, Auguste  Viertel, Salka , , ,  Vigée-Le Brun, Élisabeth , ,  Viot, Jacques  Virgile (PubliusVergilius Maro) ,  Vogel, Wladimir  Wagadus Untergang durch die Eitelkeit ,  Voix — chantée , , , , , , ,

,  — insituable  –– off ,  — parlée , , , , , , ,

, , , , , , , , ,  Voltaire (Jean-Marie Arouet, dit) ,  Vrieslander, Otto , ,  Wagner, Cosima -,  Wagner, Richard , , , , , , , , , , , , -, , , , , ,  Faust ,  Leubald und Adelaïde , , ,  Lohengrin ,  Tristan und Isolde , ,  Wagner-Ritter, Franziska ,  Wagner-Stiedry, Erika ,  Walpole, Horace  Walter, Ignaz  Walton, William -, , , , ,  Façade -, ,  Façade   Weber, Carl Maria von , , -, -, , , , , , ,  Der ErsteTon -,  Der Freischütz , , , , , , , ,  KönigYngurd  Preciosa -, ,  Wedekind, Franz , 


Wegener, Paul  Wharton, Edith  Wiene, Robert  Wildenbruch, Ernst von , , ,  Winckelmann, Johann Joachim  Winter, Peter von  Wolff, Pius Alexander ,  Wolzogen, Ernst von  Wörner, Karl Heinrich  Wüllner, Franz ,  Wüllner, Ludwig , -, , , , -, , , , , , , , 

  EN MUSIQUE DANS LE TEXTE • INDEX

Y-Z Young, Edward  Zarlino, Gioseffo  Zehme, Albertine , , , , , , , , , -, - Zehme, Felix ,  Zelenka, Jan Dismas ,  Zumsteeg, Johann Rudolf -, , ,  Die Frühlingsfeier -, 

• S ulz er - Z umsteeg


Cet ouvrage, le cinquième de la collection « Musique » , dirigée par Martin Kaltenecker, a été achevé d’imprimer dans l’Union européenne, pour le compte de VAN DIEREN ÉDITEUR

à Paris,

sur les presses de l’Imprimerie Darantière à Quétigny (Côte d’Or, France)

   , rue Henry-Monnier •  Paris courriel : diffusion@vandieren.com

www.vandieren.com

isbn --- • issn - • numéro d’imprimeur  • dépôt légal ⁄


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