Le « répountchou » qu’es aquò ? (Extraits)

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n t u c o h p ou é R QU’ES AQUÒ

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Michel Poux Anne-Marie Rantet-Poux

Le Tamier du buisson à l’assiette

Éditions

Vent Terral



Michel POUX Anne-Marie RANTET-POUX

LE RÉPOUNTCHOU, QU’ES AQUÒ ? Le tamier, du buisson à l’assiette

Vent Terral


8 – Le répountchou, qu’es aquò ?


Un mythe Comme toutes les passions, ils ne savent que la nommer. La goûter et la nommer. Le répountchou : le nom est mythique. Quelle plante est-il ? Rares sont ceux qui le savent, moins rares ceux qui pensent le savoir. Quoi qu’il en soit, le mythe règne. Peut-être la difficulté à définir la liane précieuse contribue-t-elle au mystère de cette identité marginale, faite de rusticité et d’aristocratie sauvage. Nous verrons plus loin ce qu’il en est de cette pousse, que personne ou presque ne saurait appeler tamier, et de ses vertus réparatrices. Mais pour l’heure ce que désire l’amateur, c’est du répountchou, pour le manger. Mais à la promesse de la saveur s’ajoute le plaisir de le cueillir, et même celui de le chercher. D’abord, c’est la saison, attendue et trop brève. La quin­ tessence du printemps, quand les œufs abondent dans les

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basses-cours, et quand les saloirs de jadis conservaient pieusement le lard. Cette saison qui, tous les ans, marque la fin de l’hiver et le temps de toutes les sèves. Ces élans qui pointent, ces tiges qui s’érigent sont des appels de la nature, généreuse et vertueuse, offerte à qui la prend avec respect et reconnaissance. Et bon goût. Le goût de la simplicité. Pour la mériter, on se griffera, on se mouillera, on s’irritera, on sera frustré à la vue du bouquet inaccessible. Mais jamais le corps ne revient bredouille de cette quête sensuelle. Sensualité et simplicité. C’est que le répountchou est une plante de pauvres et de sans-grade. Sa gratuité ne fut pas pour rien dans l’essor de sa renommée ; gueules noires de toutes les contrées, immigrés Italiens ou Espagnols, Aveyronnais économes (pléonasme, vous dirait un Tarnais), tous ont vu leur table magnifiée à peu de frais. Œufs et lardons sont à cette époque de l’année des denrées bon marché. Quant au prix de la botte de répountchou aujourd’hui à l’étal, il ne peut qu’inciter l’amateur à courir les taillis… Mais le répountchou est une plante de haies, de taillis et de fourrés. C’est la parure des halliers, c’est le prince du bartàs. La marge est son royaume. Le plein champ ne l’intéresse pas, où d’ailleurs on ne l’accepterait plus. Généreux certes, mais difficile à domestiquer. « Es sus la talvera qu’es la libertat », écrivit Joan Bodon ; c’est dans la lisière, ce bout du champ qu’on laboure à contre-sens, qu’est la liberté. 10 – Le répountchou, qu’es aquò ?


Une bonne fois pour toutes Une bonne fois pour toutes, précisons la diversité des termes rencontrés, réels ou supposés. Lorsque quelqu’un se met en situation d’écrire quelque chose sur le répountchou, en général sur son site, blog, etc..., il lui est nécessaire de préciser que celui-ci peut se nommer et se prononcer « répountchou » ou « répountsou », selon la région, et s’écrire reponchon ou reponson conformément à la graphie occitane. De sorte qu’un esprit critique y trouve matière à douter, à persifler ou à ricaner selon l’humeur et l’a priori qui l’habitent. Au commencement était la poncha, pointe en occitan, qui a sans doute influencé la désignation locale de notre tamier. Et ces pointes de printemps, ces repousses, incar­nent des promesses pascales. Pour le reste, la chose est beaucoup plus simple : on dira répountchou si l’accent chuinte (Aveyron par exemple) ou répountsou s’il est plus sifflant (Tarn). Quant à respountchou ou respountsou, nous ne l’avons jamais rencontré, du moins en région Occitanie,

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autrement que par déformation contemporaine (hispanisante ?) de la part de personnes peu au fait de la plante. Mais peut-être existe-t-il ailleurs, dans le sud-est par exemple, d’autres prononciations tout aussi recevables. Comme nous l’avons dit, reponchon et reponson ne sont que l’écrit en graphie normalisée du mot en occitan : le o se prononce « ou », et le n final est muet. Quelles que soient la validité et la légitimité de cette orthographe, nous sacrifierons à la phonétique pour nous faire entendre du plus grand nombre. Ainsi parlerons-nous de répountchou.

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Rivalités complices Bien sûr, les chercheurs de répountchou sont rivaux. La manne est rarement inépuisable. Pourtant, les amateurs de répountchou n’ont pas en eux cette animosité fréquente chez les amateurs de champignons, par exemple ; chez ces derniers la férocité n’est jamais bien loin, que ce soit vis-à-vis des autres chercheurs ou vis-à-vis des propriétaires terriens, voire face au reste de l’humanité. Le pneu crevé est inconnu chez nos arpenteurs de bartàs. Peut-être est-ce parce que le chercheur de champignons arbore le front bas de celui qui ne regarde que par terre ; le quêteur de répountchou, lui, se doit d’observer en bas, à mi-hauteur et surtout en haut. Cela élève la pensée. Pour rivaux qu’ils soient, les amateurs de répountchou ne se haïssent pas. Ils se reconnaissent une complicité, celle de ceux qui partagent l’offrande que leur fait la nature, et dont d’autres ne veulent pas. Ils sont minoritaires, donc complices, mais reconnaissent aux Le répountchou, qu’es aquò ? – 21


autres le droit de ne pas aimer l’objet de leur désir : ils en auront davantage pour eux-mêmes. Sans doute aussi leur propre enracinement est-il d’une autre culture, plus rurale et traditionnelle. Et, nous l’avons vu, il n’y a rien de plus sauvage que le répountchou qui, bien plus que le champignon, défie toute notion de propriété. Alors, au hasard d’une rencontre fortuite entre voisins ou compagnons de taillis, on échange des amabilités, creuses et banales mais éternelles : « Ici il devrait sortir, là-bas il pourrait y en avoir… » Car on ne va quand même pas avouer qu’à l’exact opposé de l’endroit évoqué – où bien sûr l’on n’a jamais rien récolté ! – on en a déjà ramassé une bonne poignée, hé hé… Mais mentir pour protéger un tel secret ce n’est pas mentir, c’est juste montrer un élémentaire bon sens et être conforme à la tradition ancestrale. D’ailleurs, on sait bien que son interlocuteur ne sera pas dupe, et que celui-ci n’espère pas qu’on va avaler ses propos sournois. Les masques n’ont pas besoin de tomber, la pièce se joue depuis la nuit des temps et chacun la connaît par cœur. Ainsi se sépare-t-on à la fin de l’échange, chacun ricanant de l’autre et sachant que la réciproque est sûre. Rivalités complices, vous dit-on.

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Les jeunes pousses Au bout de ces lianes qui tournicotent sur leur support, les jeunes pousses tant convoitées : c’est le fameux répountchou. Seules les jeunes pousses sont assez tendres pour être mangées une fois bouillies ; la tige doit casser sous la pression : si elle est trop élastique, donc dure à manger après la cuisson, cela veut dire qu’il faut couper plus court. Un truc pour trouver l’endroit adéquat : pincer la tige assez bas et remonter en maintenant une légère pression ; lorsque la main atteindra un point suffisamment tendre, la tige cassera. La couleur de ces jeunes pousses peut être verte, elle peut aussi aller vers le pourpre : ce sont d’ailleurs les plus tendres (et les meilleures !). On peut généralement ramasser des pousses entre 20 et 30 centimètres, quitte à raccourcir celles-ci avant la cuisson. On prendra soin de ne cueillir que des tiges d’une grosseur suffisante, 3 ou 4 mm au minimum, sinon celles-ci ne cuiront jamais, demeureront trop amères et deviendront trop filandreuses : de quoi vous dégoûter du répountchou ! À ce stade, le risque de confusion est faible ; aucune ressemblance botanique ne permet d’évoquer l’asperge sauvage (Asparagus acutifolius), le houblon (Humulus lupulus) ou l’aspergette (Ornithogalum umbellatum). Même la bryone est très différente. Mais nous y reviendrons. Le répountchou, qu’es aquò ? – 35


Les feuilles La feuille du répountchou est quasiment unique en son genre. Elle dessine un cœur renversé, échancré à la base, rétréci en une pointe aiguë au sommet. Au bout d’un long pétiole, le limbe est très développé. La couleur, qui peut varier selon la lumière et le degré de vivacité, est d’un vert vif, clair ou foncé, luisant sur le dessus. Bien qu’étant une monocotylédone, le tamier ne présente pas de feuilles à nervures parallèles ; 5 ou 7 nervures principales partent de la base du cœur et parcourent le limbe en convergeant vers la pointe. Un fin réseau de ramifications secondaires irrigue le limbe. L’implantation des feuilles sur la tige est alternée. Comme beaucoup d’humains, le répountchou est une plante héliotrope, c’est-à-dire qui cherche le soleil et se tourne vers la lumière. Ce qui permet au promeneur d’admirer tous ces cœurs qui s’offrent à lui...

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De l’usage du répountchou : la conclusion du pharmacien La composition chimique de la racine, l’énumération de ses éléments toxiques, la liste de ses effets nocifs n’apporteront rien au lecteur de ce livre, dont ce n’est pas l’objet. Rappelons simplement que la racine est la réserve, ou mieux le chaudron de fabrication de toutes les substances toxiques : elle est donc hautement dangereuse, du moins crue. La migration des substances toxiques vers les tiges et les feuilles se fait au fur et à mesure de leur croissance. Donc les jeunes pousses de printemps sont encore bien innocentes, mais pas pour longtemps ! Dès que le répountchou prend un aspect grainé, on évitera de le cueillir. C’est la cuisson qui détruira les produits labiles à haute température. D’où la nécessité impérative de faire cuire les jeunes pousses de répountchou. Plus la plante grandit et se fortifie, plus elle fabrique ses fleurs puis ses baies, plus elle concentre ses alcaloïdes dans ses graines : leur belle couleur rouge les rend appétentes, surtout pour les enfants, mais aussi très visibles. Ce sont donc les enfants que l’on aura à l’œil ! Le répountchou, qu’es aquò ? – 63


Tamus communis, Otto Wilhelm Thomé, Flora von Deutschland, Österreich und der Schweiz, Gera, 1885.

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En ce domaine comme dans bien d’autres, chimiste et pharmacien sont d’accord, c’est le bon sens qui doit prévaloir : le diable ne demande qu’à être tenté, mais on évitera les initiatives aventureuses (la mode de la crudité, par exemple, ou de l’automédication empirique), de façon à n’entretenir avec notre répountchou que des relations... naturelles ! Le tamier offre sans doute un gros potentiel à la recherche médicale, de par la teneur de sa racine. Le chimiste qui aurait suppléé le pharmacien vous aurait dit que le tamier contient de nombreux principes actifs : saponosides à génines stéroïdiques (diosgénine, yamogénine,...), des stérols, des composants histaminiques, des phénanthrènes aux activités cytotoxiques (batatasine), etc... Nous avons vu comment sa famille d’ignames s’inscrivait dans la recherche ayant abouti à la pilule contraceptive, et sachons plus généralement que la diosgénine est aussi utilisée en laboratoire, avec d’autres composants, pour la préparation de stéroïdes analogues à la cortisone, la progestérone ou les œstrogènes. Faute de recherches probantes sur le tamier en tant que tel, nous ignorons si celui-ci possède toutes les vertus de ses cousines, ni à quel degré. Mais ne désespérons pas qu’un jour futur nous révèle quelques-uns de ses secrets... Faut-il pour autant souhaiter cette évolution à des fins de recherche aux gastronomes amateurs de répountchou ? Ce n’est pas sûr... Chacun se fera son idée ! Ce qui est sûr, c’est que le répountchou nous offrira toujours de belles perspectives. Le répountchou, qu’es aquò ? – 65


70 – Le répountchou, qu’es aquò ?


La dégustation Voici venue l’heure tant attendue, celle de toutes les grâces : l’heure de manger ce répountchou ardemment conquis dans l’adversité du bartàs. Le répountchou peut se consommer seul, à deux, en groupe, en famille ou en une tablée villageoise festive et citoyenne comme le veut la modernité : la recette est la même, immuable et intemporelle ! Soyons sérieux : évoquer l’idée de « la » recette sousentendrait qu’il n’y en aurait qu’une et qu’elle serait intangible ; loin de nous pareille affirmation, nous considérons que, comme pour toute préparation culinaire, « la » recette est une base qui rend la plante comestible et appétissante, chacun demeurant libre de personnaliser la chose, dans le sens d’un perfectionnement bien sûr. La vérité et l’histoire obligent à dire que rien de bien probant n’est venu enrichir la recette classique. Il existe deux façons recevables de cuisiner le répountchou : en omelette, ou en salade chaude, vinaigrette accom­modée d’œufs et de lardons. Le répountchou, qu’es aquò ? – 71


Sans vouloir en dégoûter qui que ce soit, l’hypothèse de l’omelette, ou de la quiche, nous laisse perplexes : d’une part parce que chacun y va de son mélange forcené, qui avec des carottes, qui avec du fromage, d’autres avec de la crème, avec un empirisme peu convaincant et dénué de toute réflexion gastronomique ; d’autre part parce que ces mélanges ne nous paraissent profiter ni à l’omelette, ni à ses composants, ni au répountchou. Ajoutons que le répountchou y est consommé souvent quasi-cru, ou blanchi quelques secondes, ce qui, nous l’avons vu, n’est peut-être pas sans risque... On aura compris que nous préférons la deuxième option, celle de la salade. C’est celle qui nous parait la mieux à même d’exhausser le goût de notre plante, à base d’amertume. On notera que la nature fait bien les choses, qui font arriver le répountchou en ce printemps où les poules pondent euphoriquement et où les saloirs sont saturés de cochonnaille... Car le répountchou doit beaucoup aux œufs et aux lardons qui vont le transcender. Les œufs atténuent l’amertume, les lardons (ou mieux la ventrèche) apportent du « feu » et du craquant à la verdure, dans un mélange de rudesse et de finesse accommodées. Notre recette reste celle de la simplicité : on prend le répountchou (une demi-poignée par personne environ, ou davantage lorsque le vice s’est installé) avec des tiges d’environ 20 centimètres, qui seront suffisam­ment grosses et tendres. Ces tiges peuvent se conserver un ou 72 – Le répountchou, qu’es aquò ?


deux jours, si on les maintient dans un fond d’eau : on prendra soin de jeter la partie immergée avant la cuisson. Avant celle-ci, on les partagera en deux : la jeune pousse étant plus tendre que la tige, cette dernière devra cuire plus longtemps, alors que la pousse perdra de sa qualité à trop bouillir... On laissera donc bouillir les tiges pendant 15 minutes, avant éventuellement de jeter l’eau de cuisson ; on remettra ces tiges dans de l’eau nouvelle bouillante, en y intégrant les pousses pour 10 à 15 minutes supplémentaires. L’eau a été légèrement salée, certains y ajoutent même un peu de vinaigre pour atténuer l’amertume. Concernant celle-ci, on comprendra sans mal qu’elle doive être raisonnée, sous peine de phagocyter le plat, mais qu’elle est aussi caractéristique de la plante, et donc nécessaire jusqu’à un certain degré. On peut repartager les tiges cuites si on le souhaite, mais le répountchou n’a rien de la complexité du spaghetti ! Les œufs durs seront coupés en morceaux, comptons-en un par personne. Les lardons ou la ventrèche seront dorés à la poêle ; si on n’a trop d’a priori diététiques, et le gras atténuant l’amertume, on les déglacera avec le vinaigre avant de vider le tout sur la verdure et les œufs mélangés. Le répountchou ne doit pas être consommé trop chaud, mais il gagne à garder une certaine température.

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n t u c o hou p é R QU’ES AQUÒ

Le Tamier du buisson à l’assiette Une quarantaine de photos illustrent cette plante qui est la seule dioscoréacée européenne… • La cueillette • La plante • La racine • La liane • Les jeunes pousses • Les feuilles • Les fleurs • Les baies et les graines • Les confusions fréquentes • L’usage • La cuisine • La dégustation …etc.

Anne-Marie RANTET-POUX : pharmacienne et photographe, est secrétaire de la Société des sciences naturelles de Tarn-et-Garonne et spécialiste de la nature et de ses richesses.

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Michel POUX est né en Rouergue de racines paysannes ; depuis quinze ans, son écriture s’attache aux hommes, dans leurs rapports avec le travail, avec l’histoire, avec l’art et la terre.

978-2-85927-120-6

C’est une plante emblématique de l’Occitanie et au delà. Inconnu des uns, vénéré par les autres, le Répountchou revient à chaque printemps le long des routes et des haies, où, par goût ancestral, les amateurs cueillent ses pousses qu’ils savoureront, agrémentées d’œufs et de lardons. C’est le temps du Répountchou, aristocrate des taillis, qui ne peut être que sauvage et rebelle. Enraciné dans la culture des pays d’oc, lié à l’histoire des bassins houillers, pour célèbre qu’il soit, il reste cependant l’objet de nombreuses méprises et confusions. Aussi lo Reponchon, c’est son nom occitan, ou Tamier commun, c’est son nom français que beaucoup ignorent, méritait-il qu’un ouvrage lui soit enfin consacré. Outre ses vertus gastronomiques et diurétiques, susceptible de guérir contusions et ecchymoses, il hérite de l’appellation aujourd’hui difficile à porter d’Herbe aux femmes battues. Une approche vécue et sensible, qui se veut aussi scien­ tifique et botanique, avec sa présentation, sa définition, son histoire, sa cuisine, ses dangers et ses vertus médicinales. Mais aussi avec les croyances qui lui sont attachées, faisant de lui un personnage mythique au cœur de la société et de la ruralité traditionnelle et contemporaine.

12 € ISBN


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