Savoir s'étonner à propos est le premier pas fait sur la route de la découverte
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Louis Pasteur
LA REVUE DES SCIENCES & DE L’INDUSTRIE EN AQUITAINE 2008
Editorial Le beau et l’utile
« L’utilité, il en faut ; mais le beau de la vie n’est pas en elle. » La phrase est de Didier Nordon et vous la retrouverez dans la rubrique rencontre. Elle illustre le grand écart douloureux et jubilatoire que nous vous invitons à pratiquer dans les pages de cette sixième édition de H20. L’utile est au cœur du dossier « question de recherche » consacré à Aerospace Valley : laboratoires et industries d’Aquitaine et de Midi Pyrénées s’allient pour être plus gros, plus efficaces et plus résistants. Chacun tente d’y trouver son compte (et ses comptes) sans perdre son âme. Le beau, lui se niche plutôt dans le dossier « question d’environnement », à la rencontre des chercheurs de l’extrême. Ceux qui veulent toucher du doigt la réalité, même en milieu hostile. Ceux qui font rêver, inquiètent et rassurent en prenant le pouls de la planète pour mieux la comprendre. Ceux qui ne considèrent pas que les progrès de la modélisation doivent les écarter du terrain, au contraire. Du beau encore dans le dossier « question de société » puisqu’il nous replonge dans l’Aquitaine d’il y a quarante ans. En ce mois de mai 68, les pavés de Bordeaux volent et le Grand Théâtre est envahi par la parole. Plus rien ne sera comme avant même s’il est difficile de savoir ce qu’il en reste… Vous trouverez également du beau et de l’utile dans l’histoire des influences du monde sur Bordeaux, dans les visites et les rencontres comme dans ces images étonnantes des matériaux de la ville de Bordeaux. Bonne lecture !
SOMMAIRE LA REVUE DES SCIENCES & DE L’INDUSTRIE EN AQUITAINE 2008
Chronique
7/100 L’actualité des sciences
et de l’industrie en Aquitaine
11 13 16 18 21
23
31 38 41 44 46
49
Visites
Messier-Dowty
des atterrisseurs sur mesure
Carreaux de Gironde et du savoir-faire
Musée de l’ALAT Duras IAPI
de la terre, de l’eau
le lent décollage de l’hélicoptère
une maison de vignerons
levée de rideau
Portfolio
Les matériaux racontent Bordeaux
Mémoire
Bordeaux, fille du grand large
Rencontres
Anne-Marie Gouvet David Smith Alain Juste
un Américain à Gradignan
du tournesol dans le moteur
Philippe Garrigues à l’échelle de la molécule
Débat
notre French Doctor d’Aquitaine
traquer la pollution
Les responsabilités du chercheur
54
Question d’environnement Chercheurs de l’extrême
60
Carottes glacées
58 62 63 65 66 68 70 72 76 77 80 84
A la recherche de cratères de météorites Au cœur de la forêt amazonienne 2000 mètres sous les mers Un tremplin pour l’espace Cartographier le risque
Des hippopotames dans le désert
L’explorateur du septième continent
Question de société MAI 68
Chronologie des événements de mai 68 Le vent de mai apporte son souffle de modernisation politique Toutes les audaces
La culture bourgeoise bousculée
86
Question de recherche Aerospace Valley
92
Premier bilan
89 93 95 96 97 105 109
A la conquête du pôle
Y-a-t-il un pilote dans l’avion ? Au cœur du moteur
Structures de proximité Histoires vécues
Références
A consulter - A voir A contacter
E Q U I P E
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H 2 0
ANNUEL 2008
LA REVUE DES SCIENCES ET DE L’INDUSTRIE EN AQUITAINE
De gauche à droite : Bernard Alaux, Patrice Brossard, Bernard Favre, Gaël Le Dantec, Véronique Le Mao, Jean-Alain Pigearias.
R E D A C T E U R S Marianne Peyri : Titulaire d'une Maîtrise de Lettres modernes et diplômée de l'Ecole Supérieure de Journalisme de Lille, elle travaille actuellement pour le quotidien régional Bordeaux 7 et pour différents magazines dans les secteurs de l'économie (Le Journal de la Marine Marchande, Le Journal des entreprises) et de l'éducation (La Revue des parents). Elle est également l'auteur d'ouvrages touristiques pour les guides Mondéos.
Claire Moras : Titulaire d’une maîtrise de Sciences de la Terre, et diplômée du DESS
de Communication et Information Spécialisées de Bordeaux, elle réalise quelques piges pour des magazines scientifiques et gère une association de sensibilisation à l’environnement. Elle effectue par ailleurs des actions de communication pour différentes structures, notamment l’Année Internationale de la Planète Terre en Aquitaine.
Nathalie Mayer : Physicienne de formation, elle est diplômée du DESS de communication scientifique et technique de Strasbourg. Après avoir enseigné les sciences physiques et avoir exercé en tant que chargée de communication à l'Observatoire aquitain des sciences de l'univers, elle travaille aujourd'hui pour diverses publications, des Editions Atlas aux Technologies Internationales. Donatien Garnier : Journaliste indépendant et membre du collectif Argos (www.collectifargos.com). Il est co-auteur du livre "refugiés climatiques" paru en 2007 aux éditions Infolio.
Julie Fraysse : Diplômée de l’Institut d’Etudes Politiques (IEP) de Toulouse et de l’Institut pratique du journalisme (IPJ) à Paris, elle a commencé sa carrière au sein de l’Agence France Presse (AFP) à Paris. Après avoir travaillé dans différents services de l’agence, elle a nommée en 2000 au bureau de l’AFP à Bordeaux. Depuis deux ans, elle travaille pour différentes publications, dont le quotidien gratuit 20 Minutes. Laure Espieu : Diplômée de l’IUT de journalisme de Tours en 2001, elle débute comme pigiste à Toulouse, où elle collabore avec divers titres (jeunesse, santé, culture). Installée à Bordeaux depuis quatre ans, elle a travaillé pour Sud Ouest en Gironde et pour le journal gratuit 20 Minutes, depuis son implantation. Elle est aujourd’hui correspondante pour Libération.
Directeur de la publication Bernard Alaux Comité de rédaction Bernard Favre, Bernard Alaux, Jean-Alain Pigearias, Marianne Pouget, Gaël Le Dantec, Rédacteurs en chef Bernard Favre / Gaël Le Dantec Ont participé à ce numéro Rédaction : Sandra Lejamble-Dubrana, Nathalie Mayer, Marianne Peyri, Laure Espieu, Claire Moras, Yann Kerveno, Julie Fraysse, Jean-Luc Eluard, Donatien Garnier, Nathalie Caplet, Nicolas Gruszka Photographie : Frédéric Desmesure, Pierre Baudier Documentation et recherche d’information : Véronique Le Mao Maquette et direction artistique Patrice Brossard Impression Korus édition, Eysines Contact rédaction et diffusion H20@cap-sciences.net Publication Cap Sciences, association loi 1901, Hangar 20, Quai de Bacalan, 33300 Bordeaux ISSN 1637-9381 Dépôt légal mars 2008
Jean-Luc Eluard : Titulaire d'une maîtrise de LEA de l'université de Bordeaux III
et d'un diplôme de l'IUT de journalisme de Bordeaux, il collabore notamment au service culture de Sud-Ouest mais aussi à une agence de presse spécialisée pour laquelle il couvre l'actualité de l'éducation et de la formation dans les pays anglo-saxons et l'Allemagne. Il travaille également pour d'autres titres dans les secteurs culturels et éducatifs.
P H O T O G R A P H E S Frédéric Desmesure : Diplômé de l'Ecole nationale de photographie d'Arles en 1991, il travaille comme photographe indépendant en région Aquitaine. Pour la presse nationale avec l'agence Signatures à Paris ou pour la scène culturelle bordelaise, il cherche à garder une démarche d'auteur, même en dehors des salles d'exposition.
H 2 0 est publié par Cap Sciences, avec le soutien du Conseil régional d’Aquitaine, du ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et de l’Union européenne. H 2 0 a bénéficié de la coopération active des universités, des organismes de recherche et de soutien technologique, ainsi que du monde industriel d’Aquitaine.
Pierre Baudier : Diplômé national des Beaux-Arts en 1973, Pierre Baudier fait sa réapparition
sur la scène artistique en septembre 2006. Il est aussitôt pressenti pour représenter la France dans le cadre de la semaine culturelle française à Alexandrie en mai 2007. Pour 2008, "année de la Terre", il se consacre à la préparation d'une série d'expositions et d'installations photographiques dans lesquelles il croisera son regard d'artiste avec celui de scientifiques. Il coordonne également un projet à finalité artistique, scientifique et culturelle entre des pays du nord et du sud de la méditerranée. / www.pierre-baudier.com
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UNION EUROPEENNE
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Chronique•Chronique•Chronique•Chronique
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A tu
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Voici une sélection de quelques faits marquants de l’actualité de la recherche en Aquitaine, découvertes et innovations.
Des nouvelles de Titan
Un traitement anti-paludique bordelais
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e paludisme, également connu sous le nom de malaria, tue chaque année plus d’un million de personnes et accapare 40% du budget santé en Afrique. Les traitements actuels sont lourds, chers et nécessitent la prise de huit cachets par jour pour un adulte. L’université Victor-Segalen Bordeaux 2(1) a mis au point un nouveau médicament, l’ASAQ, développé par la PME Pessacaise Ellipse Pharmaceuticals
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et distribué par Sanofi Aventis. Il s’agit d’un comprimé bicouche, qui réunit les deux principes actifs agissant contre la maladie (Artésunate et Amodiaquine). Cette innovation est des plus importantes car elle va fortement alléger le traitement. Il sera limité à deux cachets par jour pour un adulte et à un seul pour les enfants, pendant une durée de trois jours. Trois dosages différents ont été développés spécifiquement pour les enfants de 3 mois à 13 ans. Les mères qui ont aujourd’hui plutôt tendance à partager les médicaments entre leurs enfants auront plus de facilité à respecter les doses du traitement. L’ASAQ constitue donc une opportunité pour lutter plus efficacement contre la mortalité infantile.
Crédit photo : Cap Sciences / Caroline Blumberg
epuis l’Observatoire de Floirac, l’astrophysicien bordelais Philippe Paillou décrypte les images de la planète Titan, située à plus d’un million de kilomètres de la Terre. Cette lune de Saturne possède une atmosphère dont la composition se rapproche de l’atmosphère primitive de la Terre, c’est-à-dire avant que les premiers êtres vivants ne commencent à produire de l’oxygène. De quoi relancer l’intérêt pour une des explorations les plus lointaines de l’homme… même si les températures actuelles de Titan (de l’ordre de - 180 °C) ne permettent pas d’y envisager le développement de la vie. Après sept ans de voyage interplanétaire, la sonde Huygens, dont le bouclier thermique a été conçu en Aquitaine par EADS, s'est posée sur Titan pour en livrer les premiers secrets avant de s’éteindre, faute d’énergie. C’est désormais le vaisseau Cassini qui, placé en orbite autour de Saturne, frôle une fois par mois la planète et renseigne les équipes scientifiques. Philippe Paillou cherche à déchiffrer les images fournies par un radar pour en extraire les informations pertinentes. Des lacs, des rivières et des dunes de cristaux de glace ont déjà été découverts alors que Cassini n’a balayé que 20% de la surface de Titan. De nouvelles découvertes en perspective puisque que la mission est prolongée jusqu’en 2013… http://www.obs.u-bordeaux1.fr
Coarsucam, la version commerciale, est actuellement disponible sur le marché privé de l'ensemble des pays d'Afrique francophone (réseau de Sanofi Aventis) au prix de 6 euros le traitement. Les inventeurs ont accepté de ne pas breveter leur procédé, l'ASAQ en générique devrait être commercialisé par Sanofi Aventis au prix de 1$ pour l’adulte et de 0,50$ pour l’enfant. Projet dirigé par le Dr. Pascal Millet, Equipe d’Accueil 3677, Base Thérapeutique des Inflammations et des Infections (Directeur Pr. Djavad Mossalayi), et financé conjointement par l’Organisation Mondiale de la Santé, la Fondation Drugs for Neglected Diseases Initiative (DNDi), et l’Union Européenne.
(1)
http://www.actwithasaq.org/fr/asaq1.htm
La forêt et le changement climatique
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Crédit photo : Hervé Meunier pour Communication 22
errière les portes du pénitencier de Neuvic, en Dordogne, 140 capteurs solaires thermiques, pour une surface totale de 325 m2, ont été installés au sol afin de préchauffer l'eau chaude sanitaire. C'est une première en France dans un établissement pénitentiaire. Le système :
Crédit photo : Christian Milet
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elon le chercheur Denis Lousteau, la santé de la filière bois en Aquitaine ne devrait pas trop être menacée par le réchauffement climatique si certaines mesures sont mises en place. Responsable scientifique du projet Carbofor coordonné par l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), il étudie les effets de l’environnement sur les forêts notamment de pins maritimes à partir de mesures en conditions réelles, d’une bonne connaissance du milieu et de simulations. L’objectif est de déterminer la réaction de l’arbre selon les situations pour évaluer les conséquences sur la productivité de la filière économique du bois. Même si l’avenir du pin maritime n’est pas menacé, les résultats de l’expérience sont suffisants pour que la sylviculture se remette en question. Ainsi faudrait-il réduire la densité des plantations, chercher des plantes accompagnatrices en sous-bois moins consommatrices d’eau, diversifier les essences en développant l’acacia… Le Sud-Ouest constitue un bon cas d’étude car c’est l’une des régions de France les plus exposées à la sécheresse et au réchauffement. Son massif forestier est le plus vaste d’Europe et représente plus de 30 000 emplois avec la filière bois et papier. http://www.inra.fr/ephyse
La face cachée du Château de Versailles grâce à Robosoft
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ertaines salles habituellement fermées du Château de Versailles ont pu être explorées à distance par l’intermédiaire d’un robot relié à Internet. Cette première mondiale a été réalisée par Robosoft, entreprise de robotique de Bidart, et le service très haut débit de Orange. Au cours de cette expérimentation qui a lieu pendant quatre semaines au printemps 2007, les clients du réseau « La fibre » d’Orange ont pu voir en direct et en haute définition des images d’œuvres filmées par le robot, accompagnées d’un commentaire vocal explicatif. Cette innovation technologique inédite est rendue
possible par la fibre optique et un système de visiophonie. Robosoft, leader européen de la robotique de service, a préparé et mis à la disposition du projet l’un de ses « Robuters ». Ce robot mobile intelligent, équipé d’une caméra, proposait aux internautes des visites à thèmes préprogrammées, ou se laissait télécommander depuis un ordinateur branché sur Internet. Robosoft, qui existe depuis plus de 20 ans, met en place des solutions robotiques dans le domaine des transports, de la propreté, de la surveillance, de la santé et de la recherche. La société s’engage également de plus en plus dans des applications dans la sphère privée, entre autre dans le secteur de l’aide aux personnes dépendantes. L’expérience acquise au Château de Versailles enrichit les compétences de l’entreprise en particulier dans le domaine du maintien des personnes à domicile à l'aide de systèmes robotisés. http://www.robosoft.com
Neuvic : Première prison solaire de France
un fluide circule dans les capteurs solaires et récupère la chaleur apportée par le rayonnement du soleil, qu'il transmet à l'eau sanitaire via un échangeur à plaques (comme un radiateur). Cette eau préchauffée est stockée dans des ballons de 14 400 litres. Le complément de chauffage permettant de porter cette eau à la température de distribution
souhaitée, est assuré par une chaudière à gaz. Les 400 détenus de Neuvic consomment chaque jour 35 000 litres d'eau chaude. En apportant le quart de l'énergie nécessaire à chauffer cette eau, les capteurs solaires permettent chaque année d'éviter le rejet de 35 tonnes du CO2, qui aurait été produit 2008
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par les chaudières à gaz. Cette installation est le fruit d'un partenariat entre l'administration pénitentiaire, Elyo et L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), qui a financé l'investissement à hauteur de 40%. http://www2.ademe.fr
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Vers l’allumage rapide
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Crédit photo : CEA
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’ici 2011, un laser petawatt (1) sera couplé aux lasers de la Ligne d’intégration laser (LIL), prototype du Laser mégajoule, sur le site du Commissariat à l’énergie atomique (CEA-Cesta) au Barp (Gironde). « Les physiciens ont souhaité adjoindre à la LIL un laser pétawatt (1) afin d’en décupler les possibilités », explique Pierre Aguer, chargé du suivi du projet à la Région Aquitaine qui finance en partie le projet PETAL (PETawatt Aquitaine Laser). Les physiciens espèrent ainsi affiner leurs connaissances en astrophysique et en matière de production de rayonnements intenses et d’accélération de particules. Mais surtout, PETAL les mènera à une meilleure connaissance de la fusion thermonucléaire, processus à l’origine de l’énergie des étoiles. En leurs cœurs, des éléments légers entrent en collision et s’agglomèrent pour former des éléments plus lourds tout en dégageant une importante quantité d’énergie. Maîtriser ce processus permettrait d’offrir à l’humanité une source d’énergie quasi
inépuisable. « Les éléments destinés à fusionner seraient extraits de l’eau et un litre d’eau pourrait fournir une énergie équivalente à celle extraite de 60 litres d’essence », souligne Christine Labaune, directrice de l’Institut Lasers et Plasmas. Plus que la fusion thermonucléaire en elle-même, c’est le concept de l'allumage rapide que PETAL s’apprête à creuser. Les faisceaux de la LIL auront en effet pour charge de comprimer la matière
alors que l’impulsion du pétawatt jouera le rôle de l’allumette. Les expériences réalisées par PETAL feront office de première étape du projet international High Power laser Energy Research (HiPER) qui vise à tester la fusion thermonucléaire..
(1) 1 petawatt = 1 000 000 000 000 000 Watt (1015 Watt)
http://petal.aquitaine.fr
Dans la tête des rugbymen ’Aquitaine a attiré tous les regards pendant la coupe du monde de rugby, mais l’action dans les stades intéresse aussi des chercheurs qui participent à définir de nouvelles approches de l’entraînement. Ainsi, Daniel Bouthier et ses associés de l’équipe bordelaise de recherche « Intervention didactique en éducation et entraînement sportif » (Idées) décortiquent toutes les actions avant, pendant et après les matchs. Ils tentent de comprendre comment les joueurs prennent leurs décisions, au cœur de l’action. La prise de décision s’avère être le résultat d’un perpétuel aller et retour entre ce qui a été prévu et l’adaptation à la situation présente. « Tout se passe comme si les joueurs avaient plusieurs écrans ouverts en même temps » explique Daniel Bouthier. Avant les matchs, ils répètent des combinaisons de jeu. Par des saccades oculaires très rapides, ils analysent leur environnement à chaque instant du match et si nécessaire basculent des activités programmées au mode adaptatif avant de revenir éventuellement au scénario prévu. L’adaptation, et donc la prise de décision, est largement influencée par des paramètres très individuels inhibants ou stimulants : la condition physique, la maîtrise de soi, les valeurs auxquelles on adhère, la technique gestuelle, la capacité d’attention et les motifs personnels que l’on a d’agir. La fatigue et la maladresse jouent sur l’estime de soi,
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qui influe sur la prise de décision. De même, les émotions liées à la mise en danger, à l’enjeu et l’évolution du match, ont des répercussions sur le jeu. « Ces travaux donnent une consistance scientifique à ce que certains appellent le French flair ! » estime Daniel Bouthier. Ces études incitent à sortir de l’opposition entre les méthodes purement basées sur des actions pré-établies et les méthodes essentiellement adaptatives. L’entraînement évolue. Les combinaisons répétées sont moins figées. Quant aux adaptations, elles peuvent également être travaillées avec des références communes, afin que les joueurs utilisent les mêmes éléments d’analyse du jeu et les mêmes critères de prise de décision. Ces recherches n’intéressent pas uniquement le monde du sport, elles trouvent également des applications dans d’autres environnements dynamiques, incertains, voire dangereux, tel que celui des sapeurs-pompiers ou des militaires. Daniel Bouthier Professeur d'Université en Sciences du sport à I'IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres) d'Aquitaine, a été directeur de la Cellule recherche au Centre national du Rugby de 2002 à 2006. L’équipe de recherche Idées du laboratoire « Culture, éducation et société » est une unité mixte IUFM – Université Bordeaux 2.
http://www.aquitaine.iufm.fr/
Des meubles qui font un carton !
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e nombreux produits arrivent dans des cartons d’emballages, ou comme les tissus ou les moquettes, sont enroulés autour de tubes en cartons. Une fois vidés, les cartons s’empilent, les tubes s’amoncellent avant d’être envoyés dans les déchetteries. Christophe Bonnard, en collaboration avec l’agence Rébus, a eu l’idée ingénieuse d’utiliser des tubes de carton pour fabriquer des meubles. Ce spécialiste de design industriel, architecte d’intérieur de
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000 esturgeons ont été lâchés dans la Dordogne avec l'espoir qu'ils repeuplent cette rivière. Alors que jusqu'au XIXe siècle l'esturgeon européen habitait la plupart des rivières d'Europe de l'ouest, il ne subsiste aujourd'hui que quelques milliers d'individus, et ce, malgré son statut d'espèce protégée. Ces 3 000 poissons, nés et élevés dans la station expérimentale du Cemagref à Saint-Seurin sur l'Isle, représentent à eux seuls un succès : ils font partie des 11 000 larves issues de la première reproduction artificielle de l'esturgeon européen. Elle a été réalisée en juin 2007 à partir d'individus élevés en captivité. D'autres poissons ont été conservés pour renforcer les deux stocks de captifs existants, l'un à St-Seurin, l'autre à Berlin, nécessaires au programme de restauration de l'espèce. Ces résultats encourageants couronnent plus de 25 ans de travaux de recherche menés par le Cemagref et ses partenaires scientifiques (Université Bordeaux 1 et Institut des eaux douces de Berlin), aussi bien en milieu naturel qu'en captivité. http://www.cemagref.fr
formation - il est diplômé de l’Ecole nationale des arts décoratifs de Paris - s’est ainsi lancé dans l’aventure du design… en carton. En assemblant les tubes, des tables basses, des stands, des étagères, des paravents, des bars, tout un ensemble de meubles ont ainsi été créés. A la Foire de Bordeaux 2006, l’Ademe (l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) a fait le choix de ce matériau pour son stand Info énergie. Depuis, les tubes ont été réutilisés plusieurs fois et ont donc fait leur preuve. Non seulement ils sont solides mais sont en plus légers, pratiques et peu coûteux. http://www.ademe.fr/aquitaine
Crédit photo : Christophe Bonnard
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omprendre intimement les processus photochimiques présents dans les boissons anisées permet d’améliorer leur durée de conservation et leurs qualités organoleptiques. C'est l'un des objectifs des travaux de Dario Bassani, directeur de recherche au CNRS et membre de l’Institut des sciences moléculaires à Talence. En partenariat avec l'industrie, il a étudié la photochimie du trans-anéthol. Cette molécule est à l'origine du goût anisé si particulier du pastis. Toutefois, ses propriétés photochimiques provoquent une altération sensible du goût et de l’odeur d’anis : sous l'action du soleil, l’arôme d’anis se transforme en un arôme de foin... beaucoup moins agréable. Les molécules d’anéthol sont solubles dans l’alcool mais pas dans l’eau, c’est à dire qu’une fois votre pastis dilué dans l’eau, elles se rassemblent en gouttelettes et sont alors moins sensibles à la lumière. Ainsi, pour éviter l’arôme de foin, conservez votre bouteille de pastis à l’abri de la lumière mais n’ayez aucun remord à boire votre verre (avec modération, bien sûr) sous le soleil puisqu’une fois dilué, il gardera toujours son bon goût d’anis. http://www.ism.u-bordeaux1.fr
L'espoir renaît pour l'esturgeon européen
Crédit photo : Cemagref / D. Borg
Un peu de photochimie à l’heure de l’apéritif…
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Shanghai distingue Bordeaux 1 Crédit photo : Be Tomorrow
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Bateaux virtuels pour régates réelles vec LiveSailing, le produit voile de la société bordelaise BeTomorrow, et grâce aux positions GPS des bateaux, chacun a pu suivre, en direct ou en différé, en 2D ou en 3D, les régates de la 32 e Course de l’America, sur le support de son choix : Internet, téléphone portable, PDA et même podcast. Parmi les autres choix offerts à l’utilisateur : la sélection des angles de vue, la possibilité de zoomer, d’afficher les données météo, les distances entre les bateaux, les classements provisoires… LiveSailing s’est en outre enrichi en 2007 de fonctionnalités supplémentaires parmi lesquelles l’envoi de photos et des commentaires radio transmis en direct par des journalistes. A cela, les ingénieurs de BeTomorrow
ont ajouté un nouveau service qui permet non plus seulement de s’informer mais également de participer virtuellement à l’événement. LiveSkipper est en effet une occasion unique pour les amateurs d’entrer dans la course. Ce jeu massivement multi-joueurs permet aux skippers virtuels de se mesurer aux vrais navigateurs en bénéficiant des même données météo (choix du cap, des voiles…). Sur la ligne de départ de la Barcelona World Race en novembre 2007, aux côtés des équipages réels, déjà des milliers de skippers virtuels. A suivre : la transat en solitaire Artemis où skippers réels et virtuels doivent rallier Boston depuis l’Angleterre (départ le 11 mai 2008). http://www.betomorrow.com
e Classement de Shanghai qui hiérarchise les universités du monde entier, a placé en 2007 l’université Bordeaux 1 au premier rang français dans la catégorie « sciences de l’ingénieur, informatique et technologies ». L’établissement scientifique bordelais fait désormais partie des 100 meilleures universités du monde dans sa discipline, tout comme huit autres établissements français. Le classement est établi par l’université Jiao Tong de Shanghai. Il se fonde sur le nombre de publications scientifiques des universités, leurs performances en recherche ou en éducation et les distinctions des chercheurs et enseignants chercheurs, comme le Prix Nobel ou encore la médaille Fields. Une grande proportion des disciplines intégrées aux « sciences de l’ingénieur, informatique et technologies » sont enseignées et pratiquées à Bordeaux 1 : matériaux, polymères, automatique, informatique, nanosciences, électronique, etc. Le Laboratoire Bordelais de Recherche en Informatique (LaBRI) regroupe près de 300 personnes. Les travaux de ses chercheurs ont été distingués notamment par le prix Gödel. Ses équipes participent à plusieurs projets du Pôle de compétitivité Aerospace Valley. http://ed.sjtu.edu.cn/en
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ociété internationale de pharmacie vétérinaire, Ceva Santé Animale, basée à Libourne, s’implique depuis quelques mois dans un programme de lutte contre la maladie du sommeil en Ouganda. Réservoir principal de parasites de cette grave maladie humaine, le bétail est tout d’abord traité par des injections fournies gratuitement par Ceva. L’entreprise permet ensuite de traiter les bovins par des pulvérisations insecticides mensuelles, opération pour laquelle les éleveurs sont formés. En effet les mouches
tsé-tsé doivent être éliminées car ce sont elles qui transmettent par leurs piqûres les parasites Trypanosomes du bétail à l’homme. Traiter l’animal pour prévenir la maladie humaine est un concept qui a déjà été testé avec succès à petite échelle par l’Université d’Edimbourg. L’université écossaise est maintenant partenaire de l’expérimentation ougandaise qui s’étend à 200 000 têtes de bétail et s’appuie sur l’université de Makerere et les services vétérinaires locaux.
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Crédit Photo : CEVA santé animale
Traiter les animaux pour lutter contre la maladie du sommeil
Les premiers résultats montrent une forte diminution du taux d’infection des animaux dans les zones traitées (de plus de 20 % à moins de 5 %) par rapport aux zones non-traitées. Après avoir attendu la durée de l’incubation chez l’humain qui est de plus de
six mois, Ceva analysera en 2008 l’incidence de l’opération sur le nombre de malades et continuera à travailler avec la population locale afin d’assurer un suivi de l’opération pour en garantir le succès. http://www.ceva.com
Crédit photo : Philippe Boulze Photographies
Messier-Dowty des atterrisseurs sur mesure
Un A320, un Boeing 787, un ATR, un Rafale : tous sont équipés de trains d’atterrissage assemblés au cœur de l’usine Messier-Dowty de Bidos, en Béarn.
«
4 l NATHALIE MAYER
Toutes les deux secondes et demie, l’un de nos systèmes d’atterrissage touche le sol, quelque part dans le monde », annonce fièrement François de la Fontaine, directeur du site. Car si les trains d’atterrissage n’éveillent que rarement l’attention des passagers, ils font malgré tout 2008
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Train central Airbus A340-600
Crédit photo : Messier-Dowty
Nouvel atelier de traitements thermiques à Bidos
partie des pièces maîtresses d’un avion. Sans train d’atterrissage, pas de mouvement au sol possible. Pas de décollage et pas d’atterrissage non plus. La plupart des avions comptent trois trains d’atterrissage : un train avant et deux autres dits principaux. Les appareils les plus lourds, comme l’A380, nécessitent l’ajout d’un, voire de deux atterrisseurs centraux. Autre caractéristique remarquable : la diversité. Dans le monde des trains d’atterrissage, la règle est au « sur mesure ». Chaque système doit pouvoir à la fois répondre aux besoins spécifiques de l’avion et s’intégrer parfaitement dans sa structure. Dans la chaîne de conception et de fabrication de ces atterrisseurs, la spécialité de Bidos, ce sont les tiges d’amortisseurs et l’assemblage des trains. « La tige, c’est la partie coulissante du piston hydraulique que constitue le train et qui supporte les roues », explique François de la Fontaine, à l’entrée de l’unité d’assemblage. Là, les allées sont balisées. Chaque pièce, chaque outil a sa place et le port de vêtements de sécurité est obligatoire. Les ouvriers vont et viennent entre leurs postes et de mystérieux tiroirs noirs. « Toutes les pièces nécessaires à une séquence de montage se trouvent dans un casier », dévoile le directeur. « Une organisation qui permet d’assembler le train d’atterrissage d’un Airbus A320 en seulement deux
Carte d’identité
A sa création, en 1938, l’usine Messier de Bidos s’étend sur une superficie de 6 400 mètres carrés. Elle emploie 200 personnes et produit à peine plus de 300 trains d’atterrissage par an. Depuis, beaucoup d’eau a coulé dans le gave d’Aspe.
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VISITES
Le site porte aujourd’hui le nom de Messier-Dowty, suite à un regroupement avec le constructeur britannique au milieu des années 1990. Ils sont 845 à perpétuer chaque jour, au cœur du Haut-Béarn, la tradition de l’atterrisseur. En 2007, près de 800 jeux H20
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jours. Un délai que nous allons encore optimiser dans la future unité logistique en nous appuyant sur de meilleures pratiques ». L’usine Messier-Dowty de Bidos assure aussi la fourniture de pièces de rechanges pour les trains d’atterrissage qu’elle assemble. Une activité qui représente tout de même 20 % du chiffre d’affaires du site. Car, si la durée de vie d’un train d’atterrissage peut tout à fait coïncider avec celle de l’avion, tout dépend de l’utilisation qui en est faite. En moyenne, les trains d’atterrissage supportent plusieurs milliers de cycles. Un cycle correspond à un décollage, un vol et un atterrissage. « Un avion n assurant la navette entre Bordeaux et Paris réalise ainsi 4 à 5 cycles par jour. Un avion long courrier effectue plus de miles mais moins de cycles et sollicite donc moins ses trains d’atterrissage », souligne le directeur de l’usine de Bidos. Dans un atelier voisin, une tige en titane. Une originalité destinée aux trains d’atterrissage des Boeing 787. « Les tiges en titane, c’est plus cher mais en même temps plus léger et plus “écologique” que les tiges en acier », précise François de la Fontaine. C’est en 2004 que Messier-Dowty a remporté le marché colossal de la conception, du développement, des essais ainsi que de la fabrication des trains avant et des trains principaux des avions de la gamme Boeing 787 Dreamliner soit près de 2 100 atterrisseurs. « Lorsque l’on sait que nous produisons environ 800 trains par an à Bidos… » remarque François de la Fontaine. Les premiers trains avant ont été livrés au printemps 2007. C’est donc une importante croissance de leurs activités que s’apprêtent à vivre les équipes de Messier-Dowty. Pour l’assumer, un programme d’agrandissement et de restructuration de l’usine de Bidos est en cours. Pas si simple, avec la voie ferrée désaffectée Oloron-Canfranc d’un côté et une colline de l’autre. « Nous n’avions qu’une seule solution : rogner le relief pour nous ménager un peu plus d’espace », explique le directeur du site. Un nouvel atelier de traitement thermique, mettant en œuvre des technologies novatrices, a ainsi été inauguré en septembre 2007. Des travaux de réalisation d’une nouvelle unité d’assemblage sont actuellement en cours pour une mise en service prévue fin 2008. ■
d’atterrisseurs sont sortis de l’usine de 40 000 mètres carrés de Bidos. Ils équipent toutes sortes d’appareils. Des Airbus, des Boeing, des appareils militaires, des hélicoptères, des avions d’affaires Dassault Aviation ou des
ATR. Le leader mondial des systèmes d’atterrissage est aujourd’hui propriété du groupe Safran, né du mariage de Snecma et de Sagem.
Crédit photo : Frédéric Desmesure
Carreaux
de Gironde de la terre, de l’eau et du savoir-faire 4 l JULIE FRAYSSE
ous d’immenses hangars, les artisans tuiliers, agenouillés au sol, plongent leurs mains dans un seau de terre argileuse. Puis ils la tassent d’un geste sûr et précis à l’intérieur d’un moule en bois, taillé aux dimensions d’un carreau. La terre est ensuite lissée à l’aide d’un bâton, appelé garotte, afin d’éliminer le surplus, c’est ce que ces professionnels appellent faire « la peau du carreau ». Le démoulage se fait instantanément. Les moules en bois sont aussitôt nettoyés à l’eau et sablés pour que l’argile n’y reste pas collée. Il faudra près
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Les carreaux restent au moins cinq jours à sécher.
La terre argilo-sablonneuse est extraite à proximité du Dropt puis laissée à l’air libre pour se désagréger. Elle est ensuite pétrie puis tassée dans des moules de la forme choisie. Une fois cuits, les carreaux sèchent avant d’être stockés à l’abri du gel.
de deux jours pour recouvrir le sol du bâtiment de centaines de carreaux, tous fabriqués selon la méthode traditionnelle. Après les avoir laissés sécher au moins cinq jours à l’abri de ces bâtiments, dont certains datent de plus de trois siècles, vient la phase de la cuisson. C’est par wagons que les carreaux sont transportés dans un immense four, fonctionnant aujourd’hui non plus au bois, mais au gaz. Cette étape, qui peut durer jusqu’à 35 heures, est essentielle pour déterminer la couleur des carreaux. Plus ils chauffent, plus ils blanchissent, passant du rouge au beige. Vient ensuite le « trempage » dans de l’eau claire afin que le carreau n’éclate pas. « C’est la pierre de chaux, souvent présente dans notre terre, qui peut faire éclater le carreau, mais le fait de le tremper annule ce processus », explique Claude Strorme, aujourd’hui retraité, qui a dirigé pendant 35 ans l’entreprise
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Storme-Pruvost, au coeur de la vallée du Dropt. Après des années passées dans sa tuilerie, c’est toujours avec la même fierté qu’il écoute le bruit produit par l’entrechoquement de deux carreaux. « Ce sont des terres qui sonnent bien. Avec d’autres vous n’obtiendrez jamais un son aussi aigu », explique-t-il. La fabrication manuelle des carreaux demeure l’ultime vestige du métier de tuiliers de Gironde, apparu bien avant le XVIe siècle. Cette activité a connu son expansion parallèlement au développement de Bordeaux où tuiles et carreaux étaient acheminés via des péniches qui naviguaient du port de Dropt jusqu’à la Garonne. Il arrivait également qu’elles partent depuis le port de Bordeaux vers des destinations beaucoup plus lointaines, Alger notamment, où le travail des tuiliers était très apprécié. De nos jours, les tuiles se font mécaniquement. « Les tuiles faites main demandent le double
Crédit photos : Frédéric Desmesure
de temps de travail et se vendent un tiers plus cher », constate Jean-Marie Pruvost qui a repris l’entreprise de son beau-père en 2000. « La dernière fois que nous avons fabriqué des tuiles à la main, c’était dans les années quatre-vingt-dix, elles étaient destinées à recouvrir le toit du nouveau tribunal de Bordeaux », se souvient pour sa part le tuilier retraité. Aujourd’hui, la mécanisation commence dès l’extraction de la terre. « Jusqu’aux années soixante-dix, on la sortait à la main », raconte Claude Storme. Désormais, c’est à l’aide d’une pelle mécanique que Jean-Marie Pruvost, qui dirige la société aux côtés de son beau-frère Dominique Storme, va chercher l’argile dans sa carrière, située à quelques centaines de mètres. « Il faut la trier », explique celui qui connaît désormais chaque veine de sa carrière, les bleutés, les rosés ou les jaunes. Cette terre argilo-sablonneuse se trouve, en grande quantité, des deux côtés du cours du Dropt. Une fois la matière première extraite, elle est laissée trois à quatre mois à l’air libre pour se purifier et se désagréger. « Elle devient ainsi plus friable et donc plus facile à travailler », souligne Jean-Marie Pruvost. Quand elle est enfin utilisable, la terre est amenée sur une machine, appelée trémie, qui, en quelques secondes, va broyer et pétrir cette terre sableuse pour la transformer en une sorte de pâte à modeler. Cette dernière est aussitôt modelée soit sous forme cylindrique pour les tuiles, soit de plaques pour les carreaux. Au sortir de la machine, un ouvrier, muni d’un long manche à la forme d’une tuile, les saisit délicatement pour les déposer sur des
palettes afin de les faire sécher pendant cinq à six jours. Pendant des siècles, le gel, capable de détruire toute une production, a été le principal ennemi des tuiliers. La profession n’est désormais plus saisonnière. L’hiver, tout est fait pour protéger ces carreaux des trop grandes variations de température. Le métier reste difficile et de nombreuses entreprises ont disparu au cours des dernières années. « Il y a 50 ans, il existait encore 90 tuileries dans la vallée du Dropt, maintenant il n’en reste plus que quatre », constate Jean-Marie Pruvost. L’entreprise Strome-Pruvost compte quatre ouvriers. Les nouveaux dirigeants ont en effet réussi à moderniser la tuilerie et à former de jeunes ouvriers à ce métier qui s’est longtemps transmis de génération en génération. Aujourd’hui, l’entreprise vend ses produits aux carreleurs, aux entreprises, aux particuliers mais également à quelques négociants. « Les carreaux faits main sont essentiellement achetés pour la réfection de monuments ou de maisons en pierre », constate, satisfait, Jean-Marie Pruvost. Dernièrement, ils ont servi à la restauration de Sauveterre de Guyenne et de la citadelle de Blaye. Mais depuis quelques années, ces carreaux voyagent aussi jusqu’en Allemagne et en Belgique et pourraient très bientôt traverser l’Atlantique pour un projet à la Nouvelle-Orléans. ■
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Jean-Marie Pruvost et son beau-frère Dominique Storme, dépositaires de techniques qui se transmettent de génération en génération.
Crédit photo : Frédéric Desmesure
de l’ALAT Mleusée lent décollage de l'hélicoptère
4 l JEAN LUC ELUARD
C'est un peu la revanche du mal aimé de l'air : Si nombre de musées sont consacrés à l’avion, un seul lieu, Dax, est entièrement dédié à l’hélicoptère. Symbole d’un destin contrarié pour un appareil qui faillit être le roi des airs.
A gauche, le Vertol H21, construit dans les années cinquante, était surnommé « la banane volante ».
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a paraissait bien parti : les premières esquisses de Léonard de Vinci envisageaient la propulsion aérienne sous forme de pales, presque comme un hélicoptère, mais c'est au début du XXe siècle qu'il faut trouver les raisons du retard pris par l'appareil dans la course aux airs. En 1908, le prix Archdeacon-Deutsch de la Meurthe propose 50 000 francs aux pilotes qui feront voler un engin pendant un kilomètre sur circuit fermé. Le principe de l'hélicoptère et celui de l'avion sont en lice. L'aérogyre de Breguet, Cornu et Léger se soulève mais cet ancêtre de l'hélicoptère est battu par l'aéroplane d'Henri Farman qui boucle de justesse son kilomètre. Les deux procédés étaient en concurrence, les avancées techniques presque équivalentes, mais à partir de là, les passionnés de vol aérien se détournent de l'hélicoptère. Il faudra attendre
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Crédit photos : Frédéric Desmesure
1924 pour qu’Etienne Oehmichen réussisse le kilomètre en circuit fermé en hélicoptère. Et alors que l'aviation se banalise et fait de fulgurants progrès, on attendra la fin de la seconde guerre mondiale pour fabriquer les premiers hélicoptères en série. Comme pour l'avion, c'est l'intérêt de l'armée qui fait avancer sa mise au point. Le musée dacquois le rappelle amplement : il a une origine exclusivement militaire avant de s'ouvrir vers le civil. En 1981, lorsqu'il amorce sa première ébauche, il s'agit à la fois d'une tentative de sauvegarder le patrimoine aéronautique mais aussi d'un outil pédagogique pour les élèves pilotes de l'ALAT (Aviation légère de l'armée de terre). En témoignent les « écorchés » de moteurs d'hélicoptère, spectaculaires assemblages mécaniques. Ce n'est qu'en 1992 que le musée ouvre ses 3 000 mètres carrés au grand public. L'ALAT n'en reste pas moins le pivot du musée. L'aviation légère, créée après le débarquement d'Afrique du Nord en 1943 avec le matériel fourni par l'armée américaine, se compose alors de petites unités de cinq avions légers au rôle peu offensif : évacuations de blessés, liaisons rapides... C'est avec la guerre d'Indochine et l'apparition des premiers hélicoptères de combat, puis surtout en Algérie que le rôle tactique de l'ALAT prend forme. Les hélicoptères permettent une rapidité de mise en place de troupes déposées derrière les lignes et créent un effet de surprise. La cavalerie aéroportée d’« Apocalypse Now » n'est que la déclinaison américaine, avec des moyens décuplés, du concept français.
Un si cle dans les airs La plupart de la trentaine de bénévoles qui animent le musée au quotidien sont d'ailleurs des anciens de cette unité. Ce sont eux qui tentent de convaincre l'armée de ne pas jeter aux oubliettes ses vieux appareils et tout leur entourage de mécanique et d'instrumentation,
de convaincre la Marine de céder des hélicoptères alors que cette arme refuse de donner au musée tout appareil qui n'a pas définitivement quitté le service : « par superstition », affirment les marins. Il y a toujours de l'humain derrière la mécanique. Au musée, l'humain fait vivre la soixantaine de vieilles machines qui constituent le fond. La moitié seulement est exposée, mais toutes sont bichonnées, entretenues, réparées, au point qu'elles n'ont besoin que d'une autorisation ministérielle pour pouvoir reprendre l'air. Les vedettes de la collection sont toujours visibles : le Bell 47 GI de 1945, le premier hélicoptère au monde à avoir reçu un certificat de navigabilité et à avoir été fabriqué en série, aux Etats-Unis. Puis les spectaculaires Vertol H21, surnommé « la banane volante » à cause de sa forme, engin américain très utilisé pendant la guerre d'Algérie ; ou encore le mastodonte soviétique MIL MI8 de 1961, l'appareil le plus construit au monde. La progression chronologique de l'exposition laisse entrevoir la percée française dans l'hélicoptère : les premiers exemplaires, tous états-uniens, laissent peu à peu la place aux fabrications tricolores au fur et à mesure de la croissance de Turboméca, l'entreprise aquitaine leader mondial du marché des moteurs d'hélicoptère. Une percée qui se traduit par la présence de la star des appareils, l'Alouette II, premier appareil à turbine, dont l'apparente fragilité dissimule bien qu'elle détient le record d'altitude. Seul regret pour le musée dacquois : que l'anniversaire du premier « vol » en hélicoptère, réussite franco-française de 1907 (par Volumard en août ? ou Paul Cornu en novembre ? - la question divise les spécialistes), n'aie pas donné lieu à des commémorations plus importantes. Mais Xavier Rivet, président de l'association des Amis du musée, qui est l'âme du lieu, reconnaît qu'il « n'est pas facile d'être un musée national hors de Paris ». ■
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Les moteurs d’hélicoptères se dévoilent comme des mannequins anatomiques écorchés. Vue de l’intérieur d’un Mil Mi8 de la Marine. Dans le hangar une trentaine de machines sont exposées.
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Crédit photo : Frédéric Desmesure
DuneURAS maison
de vignerons
4 l YANN KERVENNO
ncrés dans leur tradition plus sûrement que les arbres dans leurs sols, les vignobles français souffrent depuis des années maintenant d’une crise endémique profonde. Tourment chaque année ravivé à l’heure des vendanges qui plombent tout autant le moral des vignerons que les comptes de leurs exploitations agricoles. À Duras pourtant, l’affaire a pris une autre tournure depuis une paire d’années. Ce n’est pas encore la révolution, mais peut-être le début d’une ère nouvelle, de ce qu’on appelle préparer l’avenir ici et maintenant. Il y a eu tout d’abord comme un vent curieux dans les parcelles, celui de la prise de conscience qu’il faut changer d’optique, de point de vue, d’esprit et qu’une période de crise et de découragement est toujours le moment de déclencher telle réflexion. Puis l’idée est venue de faire de la Maison des vins de Duras, sise au pied de la butte chère à l’écrivaine éponyme, Marguerite, et à l’ancien ministre, Jean-François Poncet, une plaque tournante, une ancre autour de laquelle toute l’appellation pourrait être amenée à s’organiser, à vivre. En 2006, c’est une exposition, réalisée par Cap Sciences, qui propose une vision nouvelle du vignoble, plus précise, concise, et jouant peut-être moins sur l’imagerie habituelle du vin français : tradition et tire-bouchons. Avec « Les clés du vignoble », il s’agit d’être au cœur de la vigne, et de tout ce qui va avec : les gens, la nature et la culture. Le touriste et l’amateur y trouvent une galerie de portraits des vignerons au fil des saisons, des explications géologiques et des activités ludiques pour mieux comprendre les terroirs autant que les goûts.
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Pour mieux faire connaître leurs vins, les vignerons des « Côtes de Duras » expliquent le vignoble. Pour que l’expérience d’une visite sur les terres de cette appellation contrôlée du Lot-et-Garonne ne soit pas seulement une série de dégustations, la Maison des vins propose une immersion pédagogique dans la culture viti-vinicole avec toutes ses facettes, de la composition du terroir à celle du goût.
Crédit photo : Frédéric Desmesure
Un parcours initiatique L’engagement du vignoble dans une démarche œnotouristique promue par le Conseil régional impliquait que l’ensemble des actions menées sur le territoire trouve un point d’ancrage. En l’absence de lieu emblématique, la Maison des vins en ferait office. Jusque-là, la bâtisse 2008
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Crédit dessin : Antoine Luginbühl
L’exposition, les parcours extérieurs et la salle de dégustation permettent de mieux comprendre la vigne et le vin.
Crédit photos : Frédéric Desmesure
assurait essentiellement une fonction administrative, elle veut être aujourd’hui un lieu incontournable du terroir. Outre l’exposition permanente, on y trouve bien sûr une salle de dégustation pour goûter enfin les rouges, les blancs secs, les blancs liquoreux et les rosés de l’appellation. La Maison des vins est également un outil de travail pour les vignerons puisqu’elle héberge le Syndicat des producteurs de l’AOC et l’Union Interprofessionnelle des vins de Duras. Un des objectifs de la Maison des vins est également d’aider les touristes à organiser leurs visites dans les propriétés alentours. Elle est devenue le point de départ ou d’arrivée de toute excursion dans le vignoble. La deuxième étape de la collaboration avec Cap Sciences est en cours : faire des abords de ce bâtiment un espace de découverte de la vigne, de son histoire et de son milieu. A flanc de coteau, on peut se plonger dans l’univers de la vigne, en flânant par exemple dans les jardins
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aménagés en promenade didactique qui donnent à voir, à sentir, à se laisser pénétrer de l’esprit des lieux : un avant goût des futures visites des vraies parcelles. Si l’enjeu est clairement de proposer plus de lisibilité au vignoble pour les visiteurs de la région, il en est un autre plus subtil, à usage interne, qui consiste à redonner du corps à un projet collectif largement malmené par les habitudes, les années, les crises, les évolutions. L’engagement des vignerons eux-mêmes dans tous ces projets durant leur conception traduit peut-être le début de cette réappropriation de l’espace « Duras » par ses principaux acteurs. ■
IAPILevée de rideau
Crédit photos : IAPI
4 l NATHALIE MAYER
Plus connue pour son imprimerie des timbres-poste, Boulazac (Dordogne) abrite également un bureau d’études des plus originaux. Etablie dans de modestes locaux de la zone industrielle, la société baptisée Informatique automatisme prestations industrielles (IAPI) est spécialisée dans la conception de systèmes de pilotage de machineries scéniques. u commencement, le bureau d’études boulazacois conçoit des automatismes industriels on ne peut plus classiques : systèmes d’irrigation et de fertilisation de pépinières ou automatisation du processus de fabrication du St-Morêt. Et puis, voilà que Canal+ vient frapper les trois coups. « L’aventure a commencé grâce à ce contact avec des responsables de la chaîne cryptée. Ils cherchaient une société capable de concevoir un système de pilotage des machineries qui allaient équiper le studio où se tournerait l’émission Nulle part ailleurs », se souvient Claude Adeline, directeur d’IAPI. C’était en 1997. L’année suivante, c’est Jean-Jacques Goldman qui choisit de faire confiance à la société périgourdine pour le guidage des écrans mobiles devant habiller la scène de sa
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tournée « En passant ». « Ça a été le vrai déclic et les commandes ont commencé à affluer », poursuit Claude Adeline. D’autant qu’en France, les sociétés proposant la réalisation d’automatismes scéniques ne sont pas légion. Une niche technologique au sein de laquelle la dizaine d’employés d’IAPI font figure d’experts. Le Grand Théâtre de Bordeaux, Le Festival d’Aix en Provence, la Salle Pleyel, l’Opéra de Monaco, le Futuroscope et même la Télévision Suisse Romande sont depuis devenus leurs clients. Le bureau d’études va placer le secret de la réussite au plus profond des baies informatiques. Tels de gros coffres vitrés, elles contiennent le cœur du système IAPI. Chacune est reliée à des pupitres tactiles et est susceptible de piloter jusqu’à 250 moteurs. L’ensemble est géré 2008
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Pour mouvoir les éléments de décor d’une scène, les systèmes peuvent contrôler jusqu’à 250 moteurs.
Crédit photos : IAPI
Le pupitre tactile permet de commander et de programmer les différents mouvements via une baie informatique.
grâce à un logiciel développé en partenariat avec une autre société périgourdine, Merelybuild. « ApiScène est installé sur nos systèmes depuis 1998 et nous lui apportons régulièrement des améliorations », précise Claude Lariviére, ingénieur informaticien. Derrière son pupitre, l’opérateur peut donc, dans un premier temps, piloter manuellement le déplacement des éléments de décor. Une fonctionnalité très utile pour la mise en place avant le spectacle. Altitude, vitesse, accélération ou encore décélération, tous ces paramètres sont contrôlables par les techniciens depuis les écrans tactiles. Puis, ApiScène donne à l’opérateur la possibilité d’enregistrer une succession d’effets et de temporisations qui permettront un déroulement automatique pendant le spectacle. « Le tout avec une précision de positionnement inférieure au millimètre », souligne Claude Adeline. Une finesse à laquelle s’ajoute une parfaite synchronisation. Car au-dessus de chaque scène, une forêt de câbles soutient des porteuses auxquelles sont accrochés rideaux et autres éléments de décor. Au-dessous, une quantité d’élévateurs. Le tout est actionné par les moteurs commandés par les systèmes d’IAPI. Une synchronisation défaillante et c’est l’ensemble du spectacle qui est en péril.
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« Mais, le plus grave, ce ne serait pas qu’un petit déséquilibre fasse chanceler un panneau. Il ne faut pas oublier qu’en dessous de toutes ces porteuses, qui peuvent supporter chacune des décors pesant jusqu'à 750 kilos, il y a des comédiens », remarque le directeur de l’entreprise boulazacoise. Voilà pourquoi aucun système ne quitte les ateliers d’IAPI sans double frein, boutons d’arrêt d’urgence ou encore pupitres à accès codés. « Quelque soit le lieu de l’installation, la priorité, c’est que le décor puissent être manipulé avec précision et en toute sécurité », insiste Claude Adeline. Bien installé dans la cour des grands, le directeur d’IAPI entrevoit aujourd’hui un nouveau défi pour l’avenir : celui de la conquête du marché des théâtres de tailles plus modestes. « Pour l’heure, nos systèmes sont trop volumineux et, il faut l’avouer, coûtent un peu trop cher pour les gérants de telles salles », confie le directeur d’IAPI. Comme partout, la course à la miniaturisation et à la réduction des coûts est lancée dans le domaine de l’automatisme scénique. ■
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es matériaux racontent Bordeaux
Extraits de la Terre,
bruts, travaillés ou transformés par l’Homme, roches et minerais ont une diversité d’origines géographiques et géologiques. Ils génèrent des matériaux, fruits d’un savoir-faire technique, artisanal ou industriel. Sous le regard croisé de l’historien et du géologue, alliant l’espace et le temps, une approche originale de la ville s’ouvre au visiteur.
4 l Reportage photographique
réalisé par Pierre Baudier Textes de Claire Moras et Michèle Caro
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Au XVIIIe siècle, les bateaux exportant le vin vers l’Angleterre revenaient lestés de pierres variées, dont une partie aurait servi pour daller les rues. Roches magmatiques (granite, andésite), métamorphiques (gneiss), ou sédimentaires riches en silice (grès), les anciens pavés de Bordeaux font aujourd’hui le charme des vieux quartiers.
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La rénovation de Bordeaux offre à la ville un nouveau visage : en provenance d’Inde et de Chine (grands producteurs de granites), des pavés de diverses origines habillent désormais certaines grandes places de la ville, telle que la place de la Bourse. Ici, la place Pey-Berland et ses grandes dalles quadrangulaires en granite noir « de Chine ».
Vert sur les parements du socle de la colonne des Girondins, rouge pour l’obélisque de Theimer de la place de la Victoire, les marbres se déclinent en une grande variété de coloris. Le véritable marbre est un calcaire métamorphisé, riche en calcite cristallisée. Le plus pur est aussi le plus célèbre : blanc, importé de Carrare en Toscane, qui revêt notamment le sol de la place de la Victoire.
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Boues carbonatées ou véritables récifs coralliens de trente millions d’années, les calcaires sont exploités dans de nombreuses carrières de l’Entre-deux-Mers et des coteaux de la rive droite de l’estuaire de la Gironde. La pierre de Frontenac, de Bourg, ou de Saint-Macaire a servi à l’édification de la ville ainsi qu’à l’ornementation des façades, célèbres par leurs mascarons (ci-dessous place de la Bourse). Noircie par la pollution, abîmée par l’érosion ou tout juste rénovée, la fameuse pierre blonde de Bordeaux confère à la ville toute sa singularité.
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Des poivrières de la porte Cailhau aux toits des immeubles XVIIIe, l’ardoise provient du métamorphisme des argiles, soumises à de fortes pressions et températures au cours des temps géologiques. Originaire des carrières de Travassac ou Allassac en Corrèze, elle est taillée en rectangle ou en écailles (toit sud de la gare Saint-Jean). A partir du XIXe siècle, la pose onéreuse au clou a été remplacée par la pose sur crochet.
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Sur les toits ou sur les façades, l’argile cuite, ou terre cuite, est bien présente. A partir du XIXe siècle, de nombreuses usines de Gironde ont fabriqué tuiles et briques (sans oublier le fameux carreau de Gironde) avec de l’argile extraite sur place. Pour limiter les dépenses et les charges supportées par les piles, on utilisa même la brique pour la construction du pont de pierre. Nombre de ces briqueteries ont fermé dans les années quatre-vingt ou se sont élargies à d’autres productions.
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L’art du fer forgé au XVIIIe siècle constitue le fleuron de l’architecture bordelaise. Travaillé dans les nombreuses ferronneries de la région à partir du XVIIe siècle, mais essentiellement importé de l’étranger pour l’usage de la grande serrurerie, le fer accompagne la majeure partie des édifices de l’époque : portes et portails, balcons et garde-corps, rampes d’escaliers, ou « hérissons », les fameuses grilles séparant les balcons, localement appelées « garde-cocu » ! Construite, elle, en fer riveté, la passerelle ferroviaire fut en 1860 une des premières réalisations de Gustave Eiffel.
Le bronze, alliage de cuivre et d’étain, est un matériau de choix pour la réalisation des œuvres ornementales. Teinté de vert par l’oxydation du cuivre, il est la matière première du célèbre groupe ornant la fontaine du monument aux Girondins. Aujourd’hui, la fonte est plus largement utilisée : de majestueuses grilles, découpées au laser et conçues par l’artiste plasticien Pascal Convert à partir de dessins d’enfants, marquent l’entrée du jardin botanique de la ville. 2008
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De grands maîtres verriers bordelais sont à l’origine des verrières et vitraux de la ville. Incontournable matériau de construction, le verre est issu de la silice provenant du sable, mélangé à des carbonates et à de la soude. Parmi les verrières les plus remarquables, l’œuvre de Gustave Eiffel, surplombant les voies de la gare Saint-Jean, ou encore, symbole pérenne de l’Art Nouveau du début du XXe siècle, la verrière du bar Castan sur le quai Richelieu.
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La Grande Huilerie Bordelaise vue depuis les bassins à flots - 1930 Crédit photo : Mémoire de Bordeaux - fonds Puytorac
L’ouverture de Bordeaux sur le monde, ses liens avec de multiples pays étrangers, n’ont cessé, au fil des siècles, d’enrichir l’économie de la ville et d’y impulser un esprit d’innovation et de recherche.
Bordeaux, fille du grand large
4 l MARIANNE PEYRI
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Si Bordeaux n’avait pas été un port, à quoi ressemblerait-elle ? Difficile de l’imaginer tant l’importance des relations portuaires avec l’Outre-Mer a façonné l’histoire de la ville jusqu’à son visage actuel. Dès l’Antiquité, la Garonne a été une voie privilégiée de contact avec les civilisations méditerranéennes. Des bateaux venus d’Italie remplis d’étain font régulièrement escale sur les quais de Burdigala. Le commerce du vin et l’importation de produits de luxe élargissent par la suite les zones d’échanges avec notamment le nord de l’Europe. Dès le Moyen-Âge, on voit ainsi, attirés par le commerce florissant du vin, des négociants venus de Grande-Bretagne, des pays du Nord et de la Baltique s’installer à Bordeaux. Au XVIe siècle, les échanges internationaux se diversifient avec le développement de la pêche à la morue, en haute mer, vers Terre-Neuve. Des produits sont importés du Brésil puis, au XVIIe siècle, des Antilles. L’apogée des échanges portuaires est atteint au XVIIIe siècle avec le commerce colonial. Bordeaux fait alors figure de premier port français et de deuxième ville du royaume. Vins, farines, eaux-de-vie, fruits secs, machines (chaudières, pièces de moulin) partent vers les Antilles, notamment Saint-Domingue et l’Océan Indien. À leur retour, les bateaux apportent du sucre, du café, de l’indigo et autres produits tropicaux. Les réseaux avec l’Angleterre se solidifient aussi avec l’apparition de vins de haute qualité. Des bois venus du nord de l’Europe servent déjà à la fabrication des tonneaux et à la construction navale. Bordeaux s’enrichit également, peu glorieusement,
Marie Brizard depuis 1755
Les épices telles que cannelle, coriandre, cacao, vanille et sucre, envoyées par navire, constituent les matières premières pour la fabrication de liqueurs qui va se développer dans la région. Ainsi est fondée en 1755 la Maison Marie Brizard. Elle produit à ses débuts de l’Anisette puis s’ouvre à de nouvelles fabrications comme le Curaçao, l’Abricot, le Brandy, le Cherry-Brandy et plus tard le célèbre rhum Charleston. Au début du XXe siècle, l’entreprise se mécanise en se dotant de machines à vapeurs,
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MEMOIRE
moteurs, pompes et cuves de macération. Au fil du siècle, Marie Brizard, qui continue à produire l’Anisette qui fit sa fortune, s’est diversifiée (Manzanita, concentré de fruits Pulco, Cognac Gautier, Gin Old Lady’s…). Aujourd’hui, le groupe, qui dès la fin du XIXe siècle distribuait ses produits dans le monde entier, commercialise plus de 200 millions de bouteilles sur les cinq continents. Dans le secteur des alcools, on ne peut aussi manquer H20
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Déchargement des fûts de rhum dans les chais de la maison Bardinet - 1950 Crédit photo : Mémoire de Bordeaux
avec le commerce triangulaire et la traite des Noirs. L’importance du trafic portuaire est telle que, durant le XVIII e siècle, la ville et son agglomération voient leur population se multiplier par cinq, ne cessant d’accueillir de nouveaux migrants d’Angleterre, de Hollande, du Portugal et d’Espagne. Cette effervescence économique n’est pas sans influence sur la vie intellectuelle. Montesquieu fait figure de précurseur de la sociologie avec ses « Lettres persanes » (1721). Des expériences scientifiques sont tentées en public, comme celle du cerf-volant électrique au jardin public en 1759 ou celle des premiers aéronautes bordelais en 1784. Mais c’est surtout au XIXe siècle que ces échanges internationaux auront une réelle influence sur le tissu économique de la région et son esprit novateur.
d’évoquer la Maison Bardinet, créée en 1857 et implantée aujourd’hui à Blanquefort qui,
en particulier avec son rhum Négrita, a conquis le monde.
L’industrie bordelaise émerge
« Le véritable âge d’or de Bordeaux s’étend de 1895 à 1914 durant la Belle Epoque » assure Christophe Bouneau, maître de conférences d’Histoire contemporaine à l’université Bordeaux 3 et directeur de la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine. « Au XVIIIe siècle, en effet, l’économie était surtout portuaire avec peu de redistributions vers l’arrière-pays. Les effets industriels de ce commerce et les transferts de technologies qu’ils impliquent auront réellement lieu au XIXe siècle et jusqu’en 1950. » L’ouverture de Bordeaux sur le monde va faire émerger et vivre une multitude de petites entreprises. Les relations avec l’Afrique occidentale et le Sénégal donnent le jour à la tradition des huileries. L’industrie chimique (phosphates, nitrates) se
développe en lien avec le trafic de minerais depuis le Maroc. Les effets des échanges internationaux se déclinent également dans l’agroalimentaire avec l’apparition d’industries dans la biscuiterie, les rhums et les spiritueux. Au milieu du XIXe siècle, on compte 35 petites raffineries de sucre à Bordeaux, qui traitent 12 000 tonnes de sucre et de mélasses en provenance des Antilles, soit 15 % de la consommation européenne. L’industrie du bois est tout aussi vivace. Les importations se multiplient pour alimenter les chantiers de construction navale. Avec la découverte de certains matériaux, par exemple les bois africains, de nouvelles possibilités s’ouvrent pour les utiliser. On trouve aussi les minoteries, ces grands moulins produisant de la farine exportée vers l’Afrique et les Antilles. Le commerce de la morue est toujours présent et assure une relation importante de Bordeaux avec l’Amérique du Nord et le monde québécois.
Lesieur, dernier témoin La silhouette de l’usine Lesieur dressée près des Bassins à flot de Bacalan rappelle l’importance de l’industrie huilière dans la région. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, Bordeaux compte quatre huileries spécialisées dans l’extraction et le raffinage de coques d’arachides importées du Sénégal. La première usine et la plus importante est lancée en 1857, sur le site actuel de Lesieur, par Maurel et Prom partis développer la culture d’arachides en Afrique.
En 1910, l'Huilerie Franco-coloniale est édifiée par la maison Vézia au nord des Bassins à flot. On trouve également la Grande Huilerie Bordelaise installée rive droite. Les huileries mettront la clé sous la porte dans les années soixante. Seule exception : Lesieur, qui a pris la relève de Maurel et Prom dans les années vingt, perpétue aujourd’hui cette tradition et se consacre désormais à Bordeaux à la fabrication d’huiles, essentiellement de colza et tournesol.
L’ethnographie prédominante Bien avant qu’on ait imaginé la création d’une chaire universitaire d’ethnologie, un musée est constitué dès 1894 au sein de la faculté de médecine de Bordeaux. Revenus de leurs voyages à l’étranger, les médecins de Santé Navale, des humanistes voyageurs ou des négociants bordelais ramènent dans leurs bagages des objets
témoignant de la richesse des civilisations étrangères d’Océanie, d’Asie, d’Afrique : statues, crânes, sépultures, vêtements, instruments de musique, armes. Le musée, dont l’essentiel des pièces a été recueilli à la fin du XIXe siècle, connaîtra ses heures de gloire jusqu’à la première Guerre mondiale. Condamnées à la poussière depuis des décennies,
Usine Lesieur - Crédit photo : Patrice Brossard
les collections sont pourtant constituées actuellement de plus de 6 000 objets. Elles devraient à nouveau être visibles avant 2010. Le Musée Ethnographique de Bordeaux, situé dans les locaux de l’université Bordeaux 2, à la Victoire, a en effet entrepris des travaux pour redonner vie à ces trésors passés. On peut signaler 2008
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également qu’en 1953, une chaire d’ethnologie a vu le jour à Bordeaux, la troisième en France, s’appuyant sur une forte tradition de l’étude des sociétés et civilisations étrangères menées à Bordeaux dans la lignée des Montaigne, Montesquieu, Eugène Casalis, Durkheim, Mauss…
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L’innovation industrielle stimulée
Au XIXe siècle, la recherche, telle qu’on la connaît aujourd’hui, n’est pas encore organisée en laboratoires et unités. C’est au cœur des industries que les cerveaux s’échauffent en quête d’innovations, portés par le désir d’accompagner le dynamisme des échanges internationaux. « Dans les années 1850-1880, Bordeaux est en pointe. Même si la ville ne possède pas un grand pôle d'ingénieurs, elle est peuplée de héros inconnus, de techniciens dispersés mais inventifs travaillant de manière empirique, souvent pressés par le besoin. Même s’il n’y a pas eu de grandes découvertes, c'est l'époque de la révolution des procédés », décrit Hubert Bonin, professeur d’histoire économique à l’Institut d’études politiques de Bordeaux. La conservation et le conditionnement des produits en partance pour le grand large sont l’un des défis à relever. Bordeaux, en se lançant dans la fabrication de conserves pour aliments, accompagne ainsi la révolution du fer-blanc, jusqu’à devenir en 1910 le premier centre de fabrication de conserves en France. A travers un tissu de petites entreprises, Bordeaux fait également figure de royaume de la fonderie et de la mécanique appliquée. Elle s’illustre dans la
fabrication de pressoirs et machines pour les huileries et sucreries, la conception de pièces de bateaux et de moteurs. L’usine Gasquet, fabricant de matériel vinicole, a, par exemple, stimulé cette recherche mécanique tout comme la société Priva dont les techniciens œuvraient pour la viticulture et les chantiers navals. « Dans l’agroalimentaire, les chefs d’entreprise se tiennent au courant, lisent des revues, font travailler leur imagination », décrit Jean Dumas, historien-géographe et professeur émérite à Sciences-Po Bordeaux. « Par exemple, Eugène Olibet, dont l’entreprise est dans la région, ajoute du beurre dans les biscuits de marine et lance ainsi la demi-lune Olibet. Vers 1905-1910, Bordeaux devient aussi une des trois capitales de la fabrication automobile après Paris et Lyon. On le doit à quelques ingénieurs et mécaniciens, très au courant des nouveautés et très formés, travaillant jusqu’alors dans la construction navale. Cette aventure s’est révélée possible car Bordeaux était aussi une ville puissante avec une clientèle aisée susceptible d’acheter ces premières voitures à essence. L’essor a été brisé avec la première Guerre mondiale », explique Jean Dumas. Cependant, selon lui, « c’est parce qu’il y a eu un savoir-faire régional qu’il y a une ouverture vers l’international. L’ouverture de Bordeaux sur le monde est plus une conséquence qu’une cause. Elle est due à l’existence d’entreprises innovantes qui trouvent des segments où elles prennent place et non l’inverse ».
La matière grise dans les chantiers navals
Dernières installations de construction navale rive gauche en 1875 Photographie Terpereau - Archives Municipales de Bordeaux
La construction navale à Bordeaux a démarré dès le XVIIIe siècle. L’originalité de chaque bateau impliquait déjà le besoin d’innover. On voit ainsi dès 1818 les frères Chaigneau
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concevoir, pour le transport de passagers entre Bordeaux-Langon et Macau, La Garonne, le premier bateau à vapeur français qui ait obtenu des résultats indiscutables. Mais c’est H20
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durant la période de 1850 à 1955, alors que 230 navires de guerre furent construits que l’on peut parler de réelles innovations technologiques. Sur les sites de SainteCroix, Lormont, Bacalan et Bastide travaillaient des ingénieurs et techniciens réputés pour leur savoir-faire. L’audace et l’invention étaient au rendez-vous que se soit dans les procédés de construction (machine à vapeur, travail de blindage, adaptation des métaux) ou dans les essais de traitement chimiques pour calfater les coques. D’importants progrès ont ainsi été réalisés dans le domaine de la physique, notamment
en mécanique des fluides, pour améliorer la rapidité des navires. Bordeaux a aussi été un des trois pôles mondiaux dans la conception des Clippers (grands voiliers de transport). C’est parmi cette matière grise liée à la construction navale que seront recrutés les pionniers de la construction aéronautique en Aquitaine. De cette industrie navale, pratiquement disparue aujourd’hui, il ne reste plus que la CNB, Construction Navale de Bordeaux, installée quai de Brazza et spécialisée dans la construction de voiliers de plaisance de luxe.
Avec le déclin des activités portuaires au XXe siècle, la difficulté s’accroît pour mesurer l’impact de l’ouverture de Bordeaux sur l’économie. La constitution du tissu économique régional durant les 2e et 3e révolutions industrielles tient autant à des raisons géographiques, à la présence de certaines familles de négociants, à des influences politiques, à l’audace de certains hommes qu’à une ouverture internationale. Si des usines d’aéronautique et d’armement s’implantent, c’est en effet en raison de l’éloignement du front germanique. On doit également l’arrivée de quelques fleurons industriels étrangers (Ford, IBM, Siemens) à la présence de Jacques ChabanDelmas, alors simultanément maire de Bordeaux et Premier ministre. Cependant, durant ce XXe siècle, de nouveaux échanges tournés vers les Etats-Unis marquent fortement la région. Bordeaux, durant la première Guerre mondiale, a été choisie par les Etats-Unis comme l’un de leurs grands ports en Europe. De 1917 à 1925, elle devient la première ville où est produite la Ford-T qui utilise, pour l’époque, une haute technologie mécanique. « Les transferts de technologies, de procédés industriels, ont été essentiellement américains, dans différents secteurs : équipement du port, communications, électrification de 1900 à 1946, apport de matériel
Le port de Bordeaux en 1890 Photographie d’une peinture sur toile Fonds Mérilleau - Archives municipales de Bordeaux
dans les centrales thermiques… Aujourd’hui, les liens internationaux sont désormais orientés vers l’Europe, les Etats-Unis, le Canada, l’Asie », commente Christophe Bouneau.
Des influences jusque dans la recherche contemporaine
La recherche, qui se développera au cours du XXe siècle, découle en partie de ces décennies d’ouverture de la ville vers d’autres horizons. Après la Seconde Guerre mondiale, les juristes organisent un programme de législation coloniale, les médecins réactivent leur diplôme de médecine coloniale créé en 1901 et lancent un prix de médecine tropicale pour des travaux scientifiques. Un diplôme d’études coloniales voit aussi le jour à la Faculté des Lettres. Les liens passés avec l’Outre-Mer ont une place prédominante dans l’enseignement et la recherche en géographie.
Le quai des Salinières, rive gauche, au début du XXe siècle Carte postale ancienne. Collection Jacky Marchon
Effervescence en géographie tropicale
Les liens de Bordeaux avec l’Outre-Mer ont eu sans conteste une influence sur le dynamisme de l’enseignement et de la recherche en géographie tropicale dans la région Aquitaine. De 1945 à 1967, une puissante équipe de chercheurs développe ses relations avec l’Afrique, les Antilles et l’Amérique latine. Les Cahiers d’Outre-Mer sont lancés par
des géographes bordelais, Louis Papy et Eugène Revert, qui s’appuient sur l’existence à Bordeaux de la Société de géographie commerciale de Bordeaux (1874) et de l’Institut colonial (1901) devenu l’Institut de la France d’Outre-Mer en 1947. Le géographe Guy Lasserre fonde également en 1968 le CEGET, Centre d’Etudes et de Géographie Tropicale,
qui deviendra en 1995 la Maison des Suds, toujours très active. Depuis les années soixante, ce centre a multiplié les thèses, sur l’Amérique latine, l’Afrique et les Antilles et a publié de nombreux livres et atlas. Il a passé de multiples conventions interuniversitaires jusqu’à devenir un laboratoire du CNRS reconnu en géographie tropicale. 2008
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Des atlas d’Hanoï et de Thaïlande viennent d’être réalisés. Les chercheurs ont également orienté leurs travaux vers l’Asie, l’Inde, le Canada tout en gardant une attention très particulière aux pays d’Afrique, menant, par exemple, en 2007, un programme sur les dynamismes en Afrique.
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L’arrivage des sucres à Bordeaux - 1954 Crédit photo : Mémoire de Bordeaux
Biscuiterie Olibet - 1910 Crédit photo : Mémoire de Bordeaux - collection Jean Fournol
Les Etablissements Vinatié : manufacture bordelaise de boîtes métalliques - 1966 Crédit photo : Mémoire de Bordeaux - opérateur J. Deluga
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Bordeaux joue de même un rôle prépondérant dans la création d’universités dans des pays d’Afrique noire francophone. À la fin des années cinquante et durant les années soixante, plusieurs centres de recherche, toujours dynamiques aujourd’hui, sont créés, résolument tournés vers l’étranger. Le Centre d’étude d’Afrique noire (CEAN) est reconnu depuis 1958 comme l’un des principaux centres de recherche internationaux pour l’analyse du politique en Afrique contemporaine. La Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, fondée en 1967, est un vivier de nombreux chercheurs en sciences humaines et sociales. Leurs travaux, consacrés aux questions d’échanges et de transferts, d’immigration et de diaspora, sont fortement orientés vers l’Afrique et le Canada. Dans les années soixante est apparu également le Centre d’études linguistiques et littéraires francophones et africaines (CELFA). On retient de même une
très forte tradition d’hispanisme en Lettres. Enfin, des liens privilégiés ont émergé très tôt et perdurent au sein des universités bordelaises avec des pays comme le Maroc et les Antilles, passant par l’accueil de nombreux étudiants et chercheurs étrangers. L’Institut national de la recherche agronomique (INRA), dédié aux sciences du végétal, entretient depuis toujours des relations suivies avec l’Outre-Mer. La liste est longue à tel point que Bordeaux est l’une des rares villes en France à offrir une représentation aussi large de toutes les disciplines liées à la recherche tropicaliste.
L’étude des maladies tropicales
Ce n’est pas pour rien que l’université Bordeaux 2, des Sciences de la Vie, de la Santé et de l’Homme s’appelle Victor Segalen, du nom du célèbre écrivain orientaliste qui avait fait ses études comme « navalais » à la fin du XIXe siècle sur le sol bordelais. Les passerelles entre la médecine bordelaise et les divers continents ont toujours été multiples à travers le prisme de l’étude des maladies tropicales. La création en 1890 et la survivance aujourd’hui de l’Ecole de Santé des Armées (Santé navale) confirme cette orientation
et a fait vivre jusque dans les années soixantedix une médecine dite coloniale à Bordeaux à travers l’équipe constituée par Michel Le Bras. De nombreuses recherches ont ainsi été entreprises, notamment en immunologie, en biologie parasitaire ou ophtalmologie. Mais globalement Bordeaux s’est davantage illustrée dans les soins, dans la formation aux maladies tropicales et dans l’accompagnement d’universités étrangères. Les diverses recherches menées actuellement, comme celle de l’ISPED,
La promotion 1891 de l’Ecole de Santé Navale de Bordeaux Photo : Santé Navale
(Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement), sur l’épidémiologie du SIDA en Afrique, découlent davantage
de la mobilisation de certaines personnes et organismes que de l’ouverture historique, à proprement parler, de Bordeaux sur le monde.
Remerciements à Guy Di Méo, Robert Pierron, Jean Dumas, Hubert Bonin, Roger Salamon, Christophe Bouneau, Catherine Château-Goniak. Sources : « Bordeaux et l’Outre-Mer 1948-1997 », Les cahiers d’Outre-Mer, n° 200-Octobre-Décembre 1997. « L’ethnologie à Bordeaux », Cahier I. Les colloques ethnologiques de Bordeaux par le Centre d’étude et de recherche ethnologique, 1995. « Histoire des Bordelais », tome 2, Une modernité arrachée au passé (1815-2002) », Mollat-Fédération historique du Sud-Ouest, 2002. « Bordeaux 1900-2000 : un siècle de vie », Jean-Paul Jourdan, Ed. Des Falaises, 2005. « Bordeaux, Métropole régionale, ville internationale », sous la direction de Pierre Laborde, Documentation française, 1998. Déchargement de la morue sur la rive gauche au début du XXe siècle Photo : Panajou-Bordeaux
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Crédit photo : Frédéric Desmesure
Anne-Marie Gouvet
Notre French Doctor d’Aquitaine 4 l Julie FRAYSSE
Une envie et un besoin d’aider. C’est cet altruisme qui, depuis plus de 25 ans, guide Anne-Marie Gouvet auprès des victimes des quatre coins de la planète. Du Kurdistan iranien au Kosovo en passant par l’enfer du Rwanda, cette anesthésiste-réanimatrice paloise a toujours exercé son métier avec le même amour forcené des autres. « Dès que j’ai commencé à parler, j’ai dit à mes parents : je serai médecin », se souvient cette fille de militaire. Son diplôme de réanimatrice en poche, elle commence à exercer comme réanimatrice spécialisée en pédiatrie au sein de l’hôpital d’Angers. En 1981, alors âgée de 32 ans, l’idée de partir à la découverte de nouveaux horizons commence à la tarauder. « Je travaillais jour et nuit à l’hôpital, alors j’ai eu envie d’aller voir ailleurs ce que je pouvais faire et si j’étais capable de soigner avec peu de moyens. » Son aventure humanitaire commence au Kurdistan iranien… un séjour de trois mois qui se solde notamment par un passage dans les prisons turques. Mais cette douloureuse expérience n’entame en rien la volonté d’Anne-Marie. En 1982, la jeune femme à la fine silhouette repart donc pour une mission au Tchad avec Médecins du Monde. Puis, pendant une dizaine d’années, elle met entre parenthèse son désir d’humanitaire, le temps de fonder
une famille. Ses trois enfants ayant grandi, elle décide de repartir. Pour cette nouvelle mission, elle met le cap sur le Rwanda. « En voyant les images de réfugiés rwandais à la télévision, l’appel était trop fort, je me sentais aspirée par ces enfants qui souffraient », se souvient-elle. A ce conflit succèdent les bombardements au Sud Liban. « Curieusement, même sous les bombes, je n’ai jamais eu peur, je me sentais invincible. » Vient ensuite la guerre du Kosovo. Au départ, ces absences sont mal comprises par ses trois enfants mais la médiatisation autour du conflit au Kosovo va tout changer. « Un jour, ma fille Pauline, qui avait alors 12 ans, a dit en me voyant à la télé : « je prête ma maman aux enfants de la guerre ». Aujourd’hui, Anne-Marie Gouvet parle encore avec beaucoup d’émotion de ce conflit qui reste sans doute son souvenir le plus fort. Les images des centaines de milliers de réfugiés arrivant à la frontière albanaise continuent à l’habiter. « J’avais noué un lien très fort avec un jeune réfugié kosovar qui était mon interprète. Cela a été très dur de le quitter. » Dix ans après, la photo de Kenan est toujours en bonne place dans son portefeuille. Une façon pour elle de ne pas oublier, en dépit de l’absence de nouvelles, ce jeune homme aux côtés duquel elle a vécu de douloureuses épreuves. « On travaillait 24 heures sur 24, on avait très peu de moyens. » Au retour de cette guerre, elle se replonge dans les études afin d’obtenir de nouvelles qualifications pour accomplir ses missions humanitaires. Au bout de deux ans, elle obtient son diplôme d’anesthésiste. C’est avec ce nouveau titre en poche qu’elle repart en mission en Ethiopie puis en Côte d’Ivoire. En 2006, c’est dans le très moderne hôpital de Kaboul qu’elle travaille comme anesthésiste 2008
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Crédit photo : DR
Anne-Marie Gouvet (au centre) avec ses collègues lors d’une mission au Pakistan.
Les ailes de la vie, journal de missions humanitaires. Édition Les 2 encres, 2004. (1)
pédiatrique. « J’ai noué des relations extraordinaires avec les Afghans, ce sont des gens très riches. » Anne-Marie Gouvet a consigné tous ses souvenirs de mission dans un livre, « Les ailes de la vie » (1), paru en 2004. Cette « croisée de l’humanitaire », comme la définit Benoît Duquesne (France 2) qui a préfacé son livre, est également engagée, depuis 2005, auprès de la mission « opération sourire » de Médecins du Monde qui la conduit régulièrement au Pakistan et en Mongolie. Là-bas, la médecin anesthésiste de la polyclinique de Navarre à Pau opère notamment des enfants gravement brûlés dans les yourtes à cause du froid (poêles, marmites d'eau bouillante renversées...) ou par les tuyaux d’eau chaude qui parcourent le sous sol de la capitale Oulan-Bator. « L’hiver, comme il fait jusqu’à – 40 °C, les enfants pauvres vivent sous terre pour être au chaud mais beaucoup se brûlent en tombant ou en s’approchant trop près de ces canalisations d’eau bouillante », explique-t-elle. Pendant toute la durée de ces missions, huit à dix jours, les interventions s’enchaînent. « Avec les chirurgiens et l’infirmière de bloc, on opère toute la journée. Les interventions sont très longues et compliquées et nous en faisons en moyenne une vingtaine au cours de chaque mission. » A chaque fois, la même équipe opère dans le même hôpital. « On se retrouve tous, c’est génial, et avant chaque départ on se fait des cadeaux, c’est devenu un peu notre famille », s’enthousiasme-t-elle. Mais une autre mission lui tient tout particulièrement à
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cœur : celle qui la conduit régulièrement auprès des femmes pakistanaises défigurées après avoir été vitriolées. « On leur jette de l’acide sulfurique juste parce qu’elles ont parlé à un homme dans la rue ou qu’elles ont refusé de se marier avec un homme plus âgé qu’elles », explique Anne-Marie, amère. L’acide ainsi jeté ruisselle doucement le long de leur visage, de leur poitrine et même parfois de leur ventre. Certaines femmes meurent de leurs blessures, d’autres se retrouvent avec de lourds handicaps : la bouche définitivement fermée, un trou béant à la place du nez ou le menton collé au reste du corps, sans possibilité de lever ou tourner la tête. « Avec Delphine, la chirurgien réparatrice de l’hôpital des grands brûlés de Lyon, nous les opérons pour leur redonner les fonctions vitales. » Les interventions durent parfois jusqu’à six heures et une quinzaine de patientes au total sont opérées. « C’est une mission de femmes pour les femmes », explique Anne-Marie. Très souvent, les victimes, qui ont entre 16 et 30 ans, ne veulent pas avouer les véritables causes de leur défiguration, préférant parler de chute dans le feu ou de brûlures à l’essence. « C’est à la fois une mission d’horreur et d’espérance car on leur redonne un visage vaguement humain », souligne celle qui entend continuer encore longtemps ces missions qui, « donnent du sens à la vie ». ■
David Smith
Un Américain à Gradignan 4 l JEAN-LUC ELUARD
d'un dispensaire isolé en pleine forêt tropicale. Un vieil immeuble blanc perdu au milieu de la végétation. « L'avantage du CENBG(1), c'est qu'on y est tranquille. L'inconvénient... c'est qu'on y est tranquille.» David Smith reçoit dans son bureau du deuxième étage, un bureau ordinaire où seules les feuilles couvertes d'équations rappellent que l'on s'occupe ici de la conception du Glast (Gamma-ray Large Area Space Telescope), un télescope spatial qui doit multiplier par 125 le nombre de sources de rayons gamma observés jusqu'à présent dans le ciel. Un projet international (États-Unis, France, Japon, Italie, Suède et Allemagne) dans lequel la France est engagée via le CNRS et le CEA (Commissariat à l'énergie atomique).
Crédit photo : Frédéric Desmesure
Le bâtiment a quelque chose
Ici, à Gradignan, David Smith, formé à Berkeley, passé par l'université d'UrbanaChampaign (Illinois) fait figure d'extra-terrestre. « Je suis atypique au CENBG et à Bordeaux, mais pas dans l'astronomie gamma. Dans ce domaine, on est les héritiers de la physique des particules, du Cern (Organisation européenne pour la recherche nucléaire) qui est typiquement un établissement cosmopolite. » Les énormes équipements nécessaires à cette discipline ne peuvent qu'être internationaux et rassemblent des équipes façon Babel. Dans le bureau de David Smith, les posters et souvenirs accrochés aux murs témoignent, dans un ordre chronologique qu'il préfère présenter comme involontaire, des pérégrinations de celui qui est depuis cinq ans responsable national du CNRS pour le projet Glast. D'abord une photo de Berkeley où il voit le jour en 1959. Le dôme de l'accélérateur de particules de l'université, puis son école, et son lycée juste à côté. Cette proximité ne 2008
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CENBG : Centre d'études nucléaires Bordeaux-Gradignan, dépendant de l'IN2P3 (Institut national de physique nucléaire et de physique des particules), laboratoire du CNRS.
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Crédit photo : Frédéric Desmesure
laissait pas augurer d'une carrière qui l'amènerait à parcourir le monde. Par contre, avec un père physicien spécialisé dans les accélérateurs de particules et une mère mathématicienne universitaire, la voie scientifique semblait tomber sous le sens. Une année en famille à Strasbourg en 1970-71 lui forge un français qu'il parle désormais sans accent ou si peu, un master au bercail de Berkeley en 1981. Puis c'est le départ pour l'université d'Urbana-Champaign où il soutient sa thèse de doctorat avant de « fuir à Polytechnique » en 1982. Même s'il revient dans l'Illinois, au Fermilab, l'énorme accélérateur de particules américain, il rêve d'un retour en France. Une occasion se présente de travailler à Pise, en Italie, qu'il saisit. Sur le mur de son bureau, l'inévitable tour d'où Galilée tentait ses expériences gravitationnelles et de nombreux clichés témoignent de l'attachement de David Smith à ses années italiennes. La souplesse du fonctionnement de la recherche en Italie lui permet de passer en douceur de la physique des particules à l'astrophysique, domaine qui le tentait depuis ses années Berkeley mais que le cloisonnement des spécialités l'empêchait d'atteindre. En 1994, il revient pour travailler sur le projet Thémis dans les PyrénéesOrientales, une ancienne centrale solaire reconvertie en télescope gamma. Déjà, il sait que le projet Glast est en cours d'élaboration et il tourne autour de ce qui doit devenir un magnifique outil pour le petit monde de l'astronomie gamma. Sur le mur de son bureau, c'est le dernier pan : il est recruté en 1995 par le CNRS pour être affecté à Bordeaux, sur le projet Celeste, télescope gamma terrestre dont Thémis est la cheville ouvrière et qui ouvre la voie au Glast.
Les rayons gamma
« Ce qui est troublant, c'est que l'on est à 95 % aveugle de la matière de l'univers. Il y a 20 ans, je pensais que le problème allait disparaître, que c'était dû à de mauvais calculs, que l'on devrait voir ce que l'on avait mal vu. Mais c'est le contraire, le problème s'aggrave », reconnaît David Smith. L'étude des rayons gamma devrait permettre de retrouver une partie de la matière qui manque à l'appel. Les rayons gamma sont
L'homme est chaleureux, direct, souriant. Il trouve vite sa place au sein d'une équipe qui s'étoffe à grande vitesse, au fur et à mesure que le projet progresse et que la France s'y investit. « C'est formidable d'être l'étranger. Quand il est admis dans une société, il ne connaît pas les codes, on lui pardonne beaucoup. J'arrive dans un système cartésien avec mes grosses bottes, je me sens moins contraint. » Une manière affable et bon enfant de bousculer des habitudes qui ne le gênent pas. A tel point qu'il n'est pas question pour lui de parler d'une recherche française sclérosée : « Ah, ça ? pfff. Il n'y a guère que les Français qui sont au courant. Ils ne se rendent pas compte de leur bonheur. Il y a tellement de choses bien dans la recherche nationale ». A commencer par la qualité de la recherche astronomique. « Depuis François Arago(2), les Français mènent la course dans ce domaine. Les Américains sont parfois un peu perplexes devant leur manière de faire, mais ils se rendent compte qu'on est des acteurs importants. » Le lancement du Glast, par la Nasa, devrait concilier deux mondes dans un même univers. ■
issus des pulsars, phénomènes célestes mettant en jeu les forces gigantesques engendrées par l'effondrement d'une étoile mais aussi et surtout des noyaux actifs des galaxies. Ces particules pocèdent plusieurs millions de fois l'énergie des photons, étalonnée entre 1 MeV (1 Mégaélectron-volt, 106 eV) et 1 Tev (1 Téraélectron-volt, 1012 eV) sachant que la lumière visible est étalonnée autour de 1 eV, un électron-volt. Détectés
de manière théorique en 1962, ils sont mis en évidence en 1972. L'astronomie gamma permet de « voir » l'univers dans des fréquences supérieures à celle des rayons X, non accessibles à la perception humaine parce plusieurs millions de fois plus chargées en énergie que les photons. Des rayons qui sont d'autant plus difficiles à saisir qu'ils ne traversent quasiment pas l'atmosphère terrestre. 2008
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Astronome et phisicien français 1786-1853
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Crédit photo : Yann Kerveno
Alain Juste
Du tournesol dans le moteur
4 l YANN KERVENO
Ce n’est ni de la patience,
ni de l’obstination, sûrement un peu des deux mélangé à des convictions politiques qui guident Alain Juste depuis tant d’années que c’est à peine s’il ose les compter. Son combat : avoir le droit de rouler à l’huile végétale. Tout remonte à un jour de 1974, lorsqu’il croise le livre « L’utopie ou la mort » de René Dumont, premier candidat écologiste à une élection présidentielle en France. Le monde change, vite, découvre les affres de sa dépendance au pétrole. Mais ce n’est pas tant la politique et les interminables discussions qui l’intéressent, Alain Juste préfère l’action. Il en aura pour son argent et trois pleines décennies. Paré de ses nouvelles convictions écolos, il se lance dans le micro-solaire, s’empare des problématiques énergétiques, redécouvre que les moteurs diesels ont été conçus pour fonctionner avec des huiles végétales et pas seulement avec du pétrole. L’idée est là. Puisque le monde souffre des prix du carburant, choc pétrolier oblige, il est temps de passer à autre chose. Le principe est simple : au prix de quelques modifications bénignes sur les moteurs diesel, il est possible de remplacer tout ou partie du carburant acheté à la pompe par de l’huile végétale pure directement pressée de graines oléagineuses, comme celles du tournesol, puis simplement filtrée. Le tout pour un coût de revient sans commune mesure avec celui des carburants d’origine fossile. Il crée alors une société, dans les années quatre-vingt, Valénergol, en Lot-et-Garonne où il réside, pour produire et commercialiser ces huiles végétales pures. C’est là que les ennuis commencent. Les Douanes voudraient percevoir
la si fameuse taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP), qu’il refuse d’acquitter puisque cette taxe s’applique aux produits pétroliers dont le tournesol n’est pas. Tribunal de Police, de grande instance, cour d’appel, cour européenne, Alain Juste et son équipe de passionnés ne lâchent rien, s’appuient sur les règlements européens que l’État français n’est guère pressé de transcrire dans ses livres de loi. Avec le changement de siècle, la pression ne faiblit pas sur l’équipe Lot-et-garonnaise, mais les temps changent, au propre comme au figuré. Le réchauffement climatique devient une préoccupation et voici que l’on envisage même la fin du pétrole. Le monde agricole se saisit lui aussi des carburants verts, mais dans une logique autre, industrielle, basée sur la production d’alcools qui sont mélangés à de l’essence. Le projet mené par Alain Juste va au-delà, il est écologiste au sens plein du terme, fait fonctionner les moteurs diesel avec une légère odeur de friture mais permet aussi de rendre les fermes autonomes en carburants et leur procurerait une nouvelle source de recettes si la vente des huiles était autorisée. Les résidus peuvent même être valorisés en alimentation animale. En 2007, l’engagement de la communauté de communes du Villenevois et la médiatisation ont donné un nouveau coup de pouce à son combat maintenant porté par l’Institut des huiles végétales pures, installé à Agen. Il regarde les embrouilles et les procès sans regrets, en viendrait presque à éprouver de la reconnaissance pour l’acharnement de l’État français qui a sans cesse, par ses procédures, redonné de l’énergie au mouvement. Alors qu’il n’a pas atteint la soixantaine, Alain Juste reste un écologiste atypique, qui refuse les dogmes habituellement prônés, qui concilie défense de l’environnement et agriculture moderne. ■
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Philippe Garrigues
Traquer la pollution à l’échelle de la molécule 4 l LAURE ESPIEU Collecte de moules sur un corps mort
Chimiste et spécialiste
de l’environnement marin à Bordeaux, il a développé l’étude des contaminations environnementales à travers la pratique d’analyses biologiques dans le milieu. Une nouvelle vision de la chimie moderne.
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Aujourd’hui, il est le directeur de l’Institut des Sciences Moléculaires, unité mixte de recherche entre le CNRS et l’université Bordeaux 1. Mais les choses se seraient-elles passées de la même façon sans cette intense passion de jeunesse pour le surf et la plongée sous-marine ? Passionné de glisse, Philippe Garrigues fut l’un des pionniers du snow-board dans les Pyrénées il y a plus de 30 ans et puis du mascaret. Des activités qui prirent une telle importance, que ce sont elles qui finalement l’orientent dans sa démarche professionnelle. « Je me sentais très proche du milieu marin, se souvient-il, et vivre loin des côtes me semblait quasiment impossible. » C’est pourtant à Strasbourg qu’il obtient son diplôme d’ingénieur chimiste. Il poursuit avec un doctorat d’Etat ès Sciences à l’Université de Bordeaux 1, et y
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décroche aussi un certificat en biologie/écologie marine. Sa voie est tracée. « C’est un domaine que j’adorais, se félicite-t-il, et dans lequel je savais qu’une vision de chimiste avait beaucoup à apporter. » Ses recherches portent sur le devenir et les effets des contaminants organiques dans l’environnement, en particulier aquatique. Il piste les hydrocarbures, les pesticides, les dioxines, les insecticides. Il analyse leur impact. « Le principe est simple, explique-t-il : il s’agit en premier lieu de détecter ces composés dans l’environnement. Mais les mettre en évidence ne suffit pas, car cela ne dit rien de leur toxicité si un animal y est exposé. L’idée, c’est donc de déterminer les impacts, avec des paramètres biologiques spécifiques. On suit alors le même principe que pour des analyses de sang ou d’urine chez le médecin. On regarde l’augmentation ou la baisse de marqueurs tels que des enzymes, par exemple, en fonction de l’exposition ».
Erika, c’est l’urgence
sollicitée, l’antenne touche à l’essence de sa vocation. Certaines études seront même effectuées totalement bénévolement.
En collaboration avec des collègues biochimistes et toxicologues, et notamment Jean-François Narbonne, Philippe Garrigues oeuvre particulièrement au développement du concept de marqueurs biologiques de pollution, destiné à évaluer l’état de santé des systèmes aquatiques. Dès le milieu des années quatre-vingt, il contribue à la prise en compte de ces indicateurs précoces de contamination, thématique extrêmement novatrice pour l’époque. Il assure aussi durant les années quatre-vingt-dix, la coordination de grands projets de recherche européens fédérant jusqu’à 30 laboratoires, tels les projets BIOMAR (1) et BEEP(2). Et, il y a dix ans, Philippe Garrigues crée finalement le Laboratoire de Physico-ToxicoChimie (LPTC). Démarche pluridisciplinaire, regroupant une quinzaine de chercheurs dont le but est l’étude du devenir et des effets biologiques des contaminants chimiques dans l’environnement. Le 12 décembre 1999, c’est l’urgence. Le cargo pétrolier Erika vient de se briser en deux, libérant en mer près de 15 000 tonnes de fuel lourd. Toutes les capacités d’études du LPTC sont immédiatement mobilisées. Et le laboratoire participe ainsi à proposer des seuils d’exclusion à très court terme permettant d’écarter les produits alimentaires touchés par la pollution, à établir des moyens de surveillance analytiques, ou encore à procéder à l’évaluation des risques pour la santé. Très
Une révolution vers la durabilité « Etre chercheur est un état d’esprit permanent, souligne Philippe Garrigues. Nous sommes avant tout des militants du savoir et de la connaissance, des passionnés de la découverte. » Désormais, le LPTC a été fondu au sein de l’Institut des Sciences Moléculaires de Bordeaux (ISM), créé depuis janvier 2007, et qui regroupe plus de 250 personnes, dont une centaine de doctorants et post-doctorants. Il rassemble une communauté de chercheurs organiciens et physico-chimistes, se déclinant autour de quatre grandes compétences identifiées : théoriciens en chimie quantique et dynamique moléculaire et réactionnelle, chimistes organiciens de synthèse, expérimentateurs physicochimistes (spectroscopie, photochimie, reconnaissance moléculaire et analyse), physicochimistes et toxicochimistes de l’environnement aquatique et atmosphérique. Cette pluridisciplinarité des compétences permet d’élaborer des projets de recherche sur des thématiques transverses au sein de l’Institut. La tendance, dans la science en général, et dans la chimie en particulier est ainsi à une approche nouvelle, fondée sur la 2008
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Philippe Garrigues surfant sur le mascaret
Biomarqueurs de pollution dans les organismes marins
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Biological effects of environmental pollution in marine coastal ecosystems
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durabilité. « La chimie, bien que responsable du progrès dans nos sociétés, a toujours eu une image assez négative, reconnaît Philippe Garrigues, considérée comme forte consommatrice et productrice de produits dangereux et d’énergie. Mais elle a énormément évolué et la chimie verte est même en train
Philippe Garrigues lors d’une collecte d’eau
de devenir un moteur majeur des pratiques industrielles. C’est une révolution. Elle est en route et elle doit aussi se faire dans nos pratiques quotidiennes ». ■
Inauguration de l'Institut des Sciences Moléculaires
Crédit photo : ISM
La tendance est au rassemblement des laboratoires pour mettre en commun les moyens et atteindre une « masse critique » permettant une meilleure visibilité. C'est dans cette mouvance qu'est né l'Institut des Sciences Moléculaires
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(ISM, Université Bordeaux 1 - CNRS). Créé au 1er janvier 2007 et inauguré officiellement le 21 mai, il rassemble 250 personnes travaillant sur la conception, la synthèse, la caractérisation, la réactivité et l'analyse d'édifices moléculaires. L'ISM est issu de cinq laboratoires de différentes spécialités de chimie : le Laboratoire de Chimie Organique et Organométallique (LCOO), le Laboratoire de PhysicoChimie Moléculaire (LPCM), le Laboratoire Physico et Toxico Chimie des Systèmes Naturels (LPTC), le Laboratoire de Chimie des Substances Végétales (LCSV)
et le Laboratoire d'Analyse Chimique par Reconnaissance Moléculaire (LACReM). « Le rassemblement de toutes ces compétences en chimie théorique et dynamique moléculaire, synthèse, spectroscopie, analyse et reconnaissance moléculaire, physicoet toxico-chimie de l'environnement, permet à l'ISM d'être un acteur important au sein de grandes thématiques telles que la chimie verte, l'environnement, l'énergie, les nano-sciences, l'astrochimie et la chimie thérapeutique » explique Philippe Garrigues, directeur de l'ISM.
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Les responsabilités du chercheur
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orsque l’on veut débattre du rapport entre science et société, entre chercheurs et opinion publique, entre monde scientifique et médias - ce qui est l’objectif de cette rubrique - il faut s’attendre à toucher très vite à une question sous-jacente : à quoi sert le chercheur ? Quelle place la société lui assigne-t-elle ? Car aujourd’hui, plus encore qu’hier, les rouages économico-politiques entraînent la recherche dans un monde de concurrence. La constitution de pôles avec les industries, la décentralisation, la compétition que se livrent les universités, les laboratoires et même les pays pour attirer les chercheurs et les financements sont autant de forces qui
contribuent à redéfinir, dans un certain silence, la place du scientifique dans notre société. L’obligation de résultat, la pression sociale et économique, la responsabilité à court ou à long terme sont des éléments quotidiens pour de nombreux acteurs de la recherche et il est urgent de s’interroger et de débattre publiquement du rôle, de la place et de la fonction de la recherche scientifique. Didier Nordon et Jean Etourneau ont des approches différentes sur la question - c’est pour cela que nous avons souhaité les faire débattre et nous offrent des pistes de réflexion sur notre rapport à la recherche.
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4 l GAEL LE DANTEC / JEAN-ALAIN PIGEARIAS
Jean Etourneau
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Les chercheurs ont-ils une responsabilité sociale ?
Didier Nordon A mon sens, la responsabilité d’un chercheur scientifique serait de refuser un certain nombre d’idées qui sont proposées, imposées peut-être, par la société : refuser l’excellence, refuser l’efficacité. A mon avis, un chercheur scientifique ne doit être ni excellent ni efficace, parce que la recherche scientifique, que je distingue de la technique, est une interrogation sur le monde, une interprétation du monde, une tentative de compréhension. Quand on essaie de comprendre et d’interpréter le monde, on se trompe tout le temps, on est dans l’approximation, le jamais fini. Dans une société qui ne jure que par l’excellence et par l’efficacité, je crois que l’honneur et la fonction sociale du scientifique, ce serait de dire : il n’y pas que cela dans la vie, il y a aussi les hésitations face à un monde essentiellement incompréhensible et dont on ne comprend que des petits bouts de temps en temps. Pour moi, un scientifique n’est pas quelqu’un qui doit seulement découvrir les lois de la nature, si l’on accepte cette expression, il doit aussi essayer d’interpréter ce qu’il trouve, d’avoir une vision du monde qui, évidemment, est toujours imparfaite, incomplète, discutable, donc ni excellente ni efficace.
Jean Etourneau Tout citoyen a une responsabilité sociale. Le chercheur est un citoyen. Quand on dit « science et société » ça me gène un peu parce qu’on sépare deux mondes, on devrait dire « science en société ». Je ne crois pas que le chercheur soit un individu à part. On peut dire simplement que le chercheur n’est pas toujours visible dans la société. La recherche doit-elle se faire sur commande ? Je prends un domaine très sensible qui est celui de la santé : on est tous, malheureusement, à
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plus ou moins long terme, victime de maladie, donc on s’interpelle : est-ce qu’on peut progresser scientifiquement ? Là, c’est une commande, mais c’est une commande presque naturelle. Maintenant, imaginons une commande en lien avec l’énergie, par exemple travailler sur les batteries de nouvelle génération et ainsi promouvoir l’utilisation de la voiture électrique pour moins polluer. Est-ce que le chercheur doit refuser cette commande ? Il ne peut refuser mais il doit être libre, libre de sa pensée et de sa conscience, il ne doit pas être contraint. La science, au fond, quel est son aboutissement ? Réfléchir, oui, et après aboutir à des réalisations sans pour autant que la réflexion au début ait été orientée vers une réalisation particulière. Citoyens, à l’écoute de la société, nous nous interrogeons : tiens, ce serait intéressant de développer telle ou telle chose. Puis, on porte l’idée à un plus haut niveau pour la faire valider. Une validation qualitative s’impose pour transformer l’idée en produit ou en technologie et donc nécessite d’obtenir des moyens humains et matériels. Didier Nordon Certains chercheurs prétendent que ce qu’ils font pourra être utile. Ils disent cela pour pouvoir faire ce qu’ils veulent. Je trouve leur attitude triste. Je pense que les scientifiques devraient revendiquer le droit de réfléchir pour réfléchir, parce que c’est intéressant, quitte à s’opposer à d’autres professions de la société. Il y a différentes façons d’être au monde, il n’y a pas que la façon efficace.
La recherche est-elle utile ?
Didier Nordon Qu’est-ce que ça veut dire, l’utilité ? Ce n’est pas parce que tel résultat intervient dans des objets quotidiens qu’il est utile. L’utilité ne donne pas un sens à la vie. La vie ne vaut que par ce qu’elle a d’inutile. Mettre
Didier Nordon son nez dans une rose n’est pas utile mais, si on ne le faisait pas, la vie perdrait toute saveur… Les choses utiles ne sont pas ce qui fait le sel de la vie. L’utilité, il en faut ; mais le beau de la vie n’est pas en elle. J’aime mieux des scientifiques qui disent : « Nous sommes beaux », que des scientifiques qui disent : « Nous sommes utiles » !
Jean Etourneau Et les derniers médicaments pour le traitement le cancer ? Les prothèses de hanches en composites carbone/carbone ?
Didier Nordon Oui, bien sûr, je ne conteste pas cela. Ce sont les contraintes quotidiennes. Mais si le patient sauvé du cancer n’a rien d’autre que d’être sauvé du cancer, il va s’ennuyer dans la vie. Il faudra qu’il ait de l’inutile, c’est-à-dire de la beauté, de l’interrogation… Ce que je préfèrerais, mais peut-être est-ce là une déformation d’ex-matheux « pur », ce serait des scientifiques qui disent : « Vous avez besoin de beauté, nous en avons à vous fournir ». Je trouve assez triviale, pour employer un mot cher aux matheux, l’insistance sur l’utilité.
La société peut-elle entendre ce discours ?
Didier Nordon Quand on est chercheur, scientifique, disons intellectuel, il faut de l’orgueil. Souvent, on tombe à plat. Tant pis. Je ne vais pas me jeter au cou de ce qui est admis en ce moment par la société. Je reconnais que c’est facile pour moi, qui suis fonctionnaire et qu’on paye même s’il profère des bêtises. Mais peut-être notre société est-elle assez riche pour pouvoir payer des gens dont les dires sont hasardeux, un peu « tangents ». Peut-être sont-ils aussi enrichissants, nécessaires, que les gens utiles.
La recherche, phénomène naturel ?
Jean Etourneau On parle des nanotechnologies, par exemple. On vit depuis la nuit des temps avec les nano-objets, sans le savoir. La tendance du scientifique, c’est d’observer la matière à des échelles de plus en plus petites, d’abord avec les yeux, puis avec des microscopes de plus en plus puissants, etc. Ensuite, il est naturel de vouloir maîtriser cette matière. Il y a un va-et-vient entre l’observation, l’étude de l’objet et sa réalisation maîtrisée. Didier Nordon Qu’il y ait une tendance, dans certaines sociétés, à aller de plus en plus loin dans l’analyse, oui. Notre société est ainsi. Mais cela n’est pas inhérent à l’esprit humain. Il y a des tendances, religieuses ou autres, qui disent qu’il ne faut pas chercher, que la curiosité est un défaut. La démarche scientifique est une réalisation culturelle possible. Il y a mille façons de réagir face aux mystères. Je ne suis pas sûr que la science soit plus explicative des grands mystères du monde que ne le sont les mythologies.
Responsable jusqu’où ?
Didier Nordon Le scientifique est soumis au sort commun, qui est de ne pas être maître du sens de ce qu’il fait. Je dis cela, et pourtant je ne l’accepte pas ! Toute l’histoire montre que jamais un homme n’a pu maîtriser le sens de ce qu’il faisait mais, quand même, mon honneur à moi est d’essayer de donner du sens à ma vie et à mon intervention dans la société. Tout en sachant bien que je cours des risques énormes, évidemment. Mais je crois que l’on n’en finira jamais avec 2008
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Quelle communication entre les scientifiques et le reste de la société ?
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le : « Je n’avais pas voulu cela ». Tous ceux qui vivent assez vieux sont amenés à dire un jour : « Ce n’est pas ça que j’avais voulu » ! Il y a un drame de l’être humain dans cette impossibilité d’être maître des conséquences de ce qu’il fait. Et je trouve que la science et la technique modernes, avec la façon dont elles sont cadrées, ne veulent pas voir cet aspect vertigineux, passionnant et effrayant, de la condition humaine.
Jean Etourneau Les scientifiques travaillent sur un acquis de connaissances qui doit conduire à des découvertes dont on ne mesure pas toujours les retombées. Par exemple, l’énergie nucléaire, peut servir à produire de l’énergie pour le bien être de l’homme mais aussi pour le détruire. Becquerel, Marie Curie, puis Frédéric Joliot Curie etc. pouvaient-ils penser que leurs recherches sur la radio-activité et la fission de l’atome contriburaient des années plus tard à la réalisation de la bombe atomique dans le cadre du projet Manhatan ?
Didier Nordon Il y a une formule qui remonte à la Bible : Qui accroît son savoir accroît ses souffrances. Toute augmentation des connaissances est un danger. Elle peut être un bénéfice et elle peut être un danger. Même en médecine : de nouveaux soins peuvent aussi permettre des horreurs nouvelles et inimaginables. Si on est radical, ce que je ne suis pas, il faut refuser toute la connaissance. Pascal a eu ce genre d’attitude. Il y a des arguments qui autorisent à dire : « Il vaut mieux l’ignorance pas trop nocive que la science qui risque d’être plus nocive ». Cette position n’est pas absurde. Jean Etourneau Le progrès scientifique impose des contraintes à la société. A chaque fois que l’on progresse, il y a des conséquences et il faut trouver le remède à ces conséquences.
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Jean Etourneau S’il y a des organismes comme Cap Sciences et des manifestations comme la Fête de la Science, c’est parce qu’il y a un besoin de communication. Mais cela manque de spontanéité. C’est de l’information canalisée. Une année, à la Foire de Bordeaux, nous avions tenu un stand qui avait permis à plein de gens de découvrir par hasard la recherche et les chercheurs. Il y a une vingtaine d’années, j’avais participé à une émission de télévision sur TF1 à une heure de grande écoute en soirée qui s’appelait « l’avenir du futur » où nous avions réalisé des expériences scientifiques pour parler de différents matériaux. Cela avait suscité beaucoup de réactions intéressées. Les gens avaient découvert des choses de manière spontanée et cela avait attisé leur curiosité. Aujourd’hui cette émission n’existe plus, les rares émissions scientifiques sont le samedi ou le soir tard, quand il y en a. Il y a un vrai problème de communication. On devrait davantage développer … Didier Nordon On devrait pourquoi ? Est-ce que la science gagne …
Jean Etourneau Intrinsèquement, en tant que science, non. Cela informe le citoyen qui est un contribuable et influence le politique et les décideurs qui financent et qui souhaitent connaître les enjeux. Didier Nordon Mais là, on est en pleine consommation.
Jean Etourneau Elle est inévitable aujourd’hui dans nos champs disciplinaires. Le scientifique est aussi un citoyen donc d’une certaine manière un consommateur. Didier Nordon Notre boulot, c’est d’éviter l’inévitable.
Comment mettre en débat la question des nanotechnologies ?
Jean Etourneau Le fonctionnement d’un scientifique est le suivant : il va raisonner, observer, faire preuve de rigueur, fabriquer des modèles, puis il va poser des barrières a posteriori. Le public, lui, a tendance à mettre des barrières a priori car il travaille sur un mode émotionnel. Avec les nanotechnologies, on a mis les barrières avant d’avoir des doutes. Si on regarde les têtes de lecture, c’est de
la très haute nano-technologie, est-ce que c’est dangereux pour le corps humain ? Si on écoute la musique trop fort, peut-être… Ceci dit, il y a les nano poudres, c’est-à-dire des particules à l’échelle nanométrique - un nanomètre c’est 30 000 fois plus fin que l’épaisseur d’un cheveu - qui peuvent s’infiltrer dans les cellules. Quel est l’impact de ces particules sur le corps humain ? Il y a débat. On ne sait pas. On dit que les nanotubes de carbone génèrent des lésions dans les muqueuses et dans les poumons, un peu comme l’amiante, mais rien n’a été démontré. Il y a débat et on met la barrière a priori, en tous cas dans le discours. S’il est démontré qu’il y a un danger, il faudra alors interdire ou prendre des précautions.
Didier Nordon Personne n’est capable de prévoir l’avenir. L’homme engendre des actes qui le dépassent. Je crois que le principe de précaution est une absurdité. Il est bon pour les hommes politiques qui ont besoin de se couvrir. Mais une absence de décision peut entraîner d’autres maux. Un jour, on dira : « Mais pourquoi n’avez-vous pas pris telle ou telle mesure ? Du coup, il s’est passé ceci et cela… ». Notre société rêve de risque zéro. Mais le danger se réalisera par des biais que l’on n’imagine pas. ■
Jean Etourneau
Spécialiste des matériaux, Jean Étourneau est professeur de physique à l’université Bordeaux 1. Il a fondé et dirigé l'Institut de Chimie de la Matière Condensée de Bordeaux (ICMCB). En 2004, il a créé le réseau d'excellence Functional Advanced Materials and Engineering of Hybrids and Ceramics (Fame), un institut virtuel qui réunit plusieurs laboratoires européen. http://www.famenoe.org
Didier Nordon
Professeur de mathématiques à l'Université Bordeaux 1. Ecrivain, il a publié plusieurs ouvrages sur les rapports entre science et société. Son dernier livre, “ Vous reprendrez bien un peu de vérité ? ” (éditions Belin Pour la Science) est un recueil de textes publiés dans la revue Pour la Science dont il tient la rubrique Blocnotes. http://www.didiernordon.org
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Chercheurs de l’extrême
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Page 54-55 Fumerolles à El Tiato, au Chili, en 1988
Le site de gravures rupestres de l’Adrar n’Metgourine au Maroc Le sous-marin Le Nautile, de l’Ifremer, avant sa descente dans les profondeurs de l’océan.
Aventuriers de la science L
Crédit photo : Roger Griboulard
es outils modernes de modélisation et d’observation de la planète, tels que les satellites ou les sonars, offrent une meilleure connaissance de la Terre, mais ils sont rarement suffisants. Dans bien de domaines, l’œil et le savoir-faire humains sont irremplaçables. Des expéditions sur le terrain sont ainsi nécessaires pour approfondir les connaissances. Mais s’enfoncer dans l’eau des océans à 3 000 mètres de p r o f o n d e u r dans une capsule
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Icebergs vus depuis le Marion-Dufresne II en Antarctique
où il est impossible de remuer pendant des dizaines d’heures est-il à la portée de chacun ? Fouler la glace de l’Antarctique par - 40 °C, coupé du monde extérieur pendant plusieurs mois, est-il vraiment accessible à tous ? Eloignement des proches, isolement, privations, manque d’intimité au sein du groupe… Au delà des compétences scientifiques, les chercheurs doivent parfois disposer de qualités physiques et psychologiques qui leur permettent d’évoluer dans des milieux hostiles. A partir de questionnaires distribués au personnel de la station antarctique franco-italienne Concordia, des psychologues ont pu identifier plusieurs types de perturbations : trouble du sommeil et de la digestion, douleurs, troubles émotionnels ou relationnels liés à des épisodes anxieux ou dépressifs, agressivité, désintérêt pour les missions ou
au contraire, hyper investissement vis-à-vis de certaines tâches de routine. Et pire encore, prise de risque inconsidérée, ou délire. C’est ainsi que le cosmonaute soviétique Vitaly Zholobov, isolé depuis plusieurs mois dans une station orbitale, fut pris d’un délire psychotique en annonçant vouloir ouvrir le hublot pour sentir le vent frais sur son visage. Les différentes études sur le sujet ont montré que l’être humain commence à être anxieux lorsqu’il sent qu’il ne pourra pas être secouru rapidement en cas d’incident. C’est le cas par exemple des plongées en eaux profondes ou des missions en Antarctique. Les chercheurs des laboratoires aquitains, eux, n’ont pas vraiment subi de préparation avant leurs expéditions. Ils n’ont pour la plupart même pas réalisé ce qui les attendait. Leur mission les a
pourtant conduits à affronter la glace, les déserts, les forêts tropicales ou les profondeurs sous-marines…. Etre chercheur, c’est aussi être explorateur. « A - 45 °C, la première bouffée d’air est terrible. On a l’impression d’avoir deux blocs de glace dans les poumons ! », raconte Bruno Malaizé, paléoclimatologue du laboratoire EPOC, suite à une mission de trois mois en Antarctique. « Le premier mois a surtout été difficile moralement, mais au fur et à mesure, j’ai réussi à trouver un équilibre. » Il faut dire que c’était un rêve de gamin, comme pour un bon nombre d’entre eux. CLAIRE MORAS
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« Mieux vaut choisir de très bons conducteurs… » Philippe Paillou
A la recherche de cratères de météorites Arkenu : le double impact découvert en Libye, à gauche vu par le satellite Landsat 7, à droite révélé sous les dépôts de sable par le satellite radar JERS-1.
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GKCF13 : un des plus gros cratères découverts dans le sud du désert égyptien, il fait 950 m de diamètre
Grâce aux images radar fournies par un satellite de l’Agence spatiale japonaise (JAXA), Philippe Paillou, planétologue du Laboratoire d’Astrophysique de Bordeaux(1), a découvert le plus grand champ de cratères de météorites au monde. Situé dans le sud-ouest du désert égyptien, il s’étend sur plus de 40 000 kilomètres carrés, et compte plus d'un millier de cratères. En 2003 déjà, le scientifique avait révélé dans le désert de Lybie deux énormes cratères de 10 kilomètres de diamètre chacun. « Mais leur détection reste difficile car ils sont généralement recouverts de dépôts sédimentaires. L’utilisation de radars orbitaux permet justement de révéler ces structures enfouies en accédant aux premiers mètres du sous-sol. » Mais quelle est l’origine de ces cratères ? Pas évident par image radar… Alors on enfile sa tenue d’aventurier, et en avant ! Dans la zone la plus aride de la planète. Pas d’eau à plus de 500 km à la ronde, il vaut mieux partir avec des gens qui
connaissent bien le milieu ! Prévoir suffisamment de vivres, de carburant. « Et surtout, choisir de très bons conducteurs », souligne le chercheur qui parle en connaissance de cause. Hormis les quelques pannes, voitures enlisées et tempêtes de sable, le plus dur semble finalement être le climat. Pour éviter les 50 °C à l’ombre, l’équipe part plutôt en hiver. Mais là, il fait froid, très froid. « Dormir par 2 °C sous une tente, ça va bien deux ou trois semaines. On est content d’arriver en fin de mission pour retrouver le confort… et la douche ! » Ces missions sur le terrain ont permis d’en savoir un peu plus : le double cratère libyen résulterait d’une chute de météorites de plus de 500 mètres de diamètre. Le climat de toute l’Afrique de l’Est a pu en être modifié il y a 140 millions d’années. Quant au champ colossal de cratères dans le désert égyptien, c’est encore une énigme. Deux hypothèses expliqueraient ces structures : des évents hydrothermaux ou une pluie de météorites issues de la fragmentation
d'un astéroïde. « Mais là, c’est presque de la science fiction ! » Une prochaine expédition fin 2008 devrait permettre d’apporter des précisions. CLAIRE MORAS LAB, Laboratoire de l’Observatoire Aquitain des Sciences de l’univers (OASU – Université Bordeaux 1-INSU/CNRS)
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Crédit photo : Xavier Crosta
Carottes glacées
Des conditions climatiques extrêmes, des millions de kilomètres carrés de glace vierge à perte de vue, des colonies de manchots égarés sur des icebergs à la dérive... La recherche en paléoclimatologie pousse parfois des hommes à affronter des milieux aussi fascinants qu'hostiles.
Au départ des côtes australiennes, le 23 Janvier 2003, le fameux navire de recherche océanographique Marion Dufresne II met le cap au sud. A son bord : une quarantaine de scientifiques de toutes origines, dont douze sont issus de laboratoires aquitains. « La mission était de prélever des carottes sédimentaires d’une soixantaine de mètres au large de la Terre Adélie, afin de reconstituer les variations océaniques et climatiques au cours de l’Holocène », explique Xavier Crosta, à l’origine du projet et chercheur au laboratoire EPOC(1)
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(CNRS / Université Bordeaux 1). Durant six semaines, l’opération nommée CADO (2) a permis d’extraire une dizaine de carottes actuellement en cours d’étude. « On analyse notamment les diatomées qu’elles contiennent, ces organismes phytoplanctoniques ont des préférences écologiques connues, c’est-à-dire que les espèces se répartissent différemment en fonction des conditions du milieu. Selon les assemblages d’espèces relevés, on peut ainsi retrouver l’évolution des températures de surface et du couvert de banquise,
année par année, depuis 10 000 ans ». Ce découpage annuel est rendu possible grâce au taux de sédimentation exceptionnel que cette zone du globe a connu pendant toute cette période. La forte productivité en surface offre aujourd’hui un dépôt de sédiments à haute résolution. Le dépouillage des carottes devrait ainsi permettre, à terme, de mieux comprendre le fonctionnement de l’Antarctique, un acteur majeur du climat global. Une entreprise longue et minutieuse, et non sans risque : le travail à
scientifiques américains, russes et français. Au cœur de l’Antarctique, à 3 000 mètres d’altitude avec une température extérieure de - 45 °C, il devait effectuer des carottages de plusieurs kilomètres de profondeur. Ces tubes de glaces ont permis de remonter à plus de 300 000 ans d’archives. Evidemment, ce type de mission ne tolère aucun problème de santé. « La station est totalement coupée du monde, donc tout problème latent doit être éliminé au préalable, tel que appendicite ou dents de sagesse », précise Bruno Malaizé. Dans le but d’affiner les connaissances sur les climats passés et à venir, ces chercheurs ont ainsi pu fouler un des derniers endroits du globe
encore préservés. Ils attendent une éventuelle prochaine expédition. CLAIRE MORAS
(1) Laboratoire « Environnements et Paléoenvironnements Océaniques » (EPOC / CNRS / Université Bordeaux 1) (2) Mission « Coring Adelie Diatom Oozes » : mission internationale associant le CNRS, le CEA, l'Ifremer, l'université Bordeaux I, l'Institut Universitaire Européen de la Mer de Brest, l’Institut Polaire Français Paul-Emile Victor, et de nombreux laboratoires étrangers
Base fondée par les soviétiques en 1957 en plein cœur de l’Antarctique, proche du pôle géomagnétique
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Crédit photo : Xavier Crosta
Crédit photo : Bruno Malaisé
bord a parfois été très difficile, voire totalement interrompu à cause de conditions météorologiques trop rudes ou de casse de matériel. Outre le froid, le vent et la neige recouvrant le bateau, l’équipage a dû faire face à une importante tempête aux abords des cinquantièmes hurlants, occasionnant une houle démesurée et un bateau à la limite du chavirage. « Cependant, même dans des conditions climatiques extrêmes, le moral et le corps trouvent peu à peu leur équilibre », raconte Bruno Malaizé, paléoclimatologue du laboratoire EPOC qui a effectué une mission de plus de trois mois sur la base de Vostok (3), avec des
Page 60 : Manchots Adélie et un des bâtiments de la Base Scientifique Française de Dumont D'Urville localisée sur l'Ile des Pétrels en Terre Adélie, dans l'Archipel de Pointe Géologique (66°40'S - 140°01'E). En arrière plan, le Continent Antarctique recouvert de glace. Cette étendue de glace représente 90% de la glace mondiale et 30% des réserves d'eau douce mondiale. Photo prise en Février 2003.
Du matériel adapté
Comment prélever des carottes de sédiments d’une longueur de soixante mètres, à six kilomètres de profondeur dans les océans ? Un bateau adapté et suffisamment grand est indispensable (type le Marion Dufresne II avec ses 120 mètres), 6 500 mètres de câbles ultralégers et résistants en kevlar (matériau utilisé pour les bateaux
de course, dont la densité est égale à celle de l’eau de mer), des treuils énormes supportant une tension de 20 tonnes, et enfin, un carottier géant à piston stationnaire, soit l’unique « Calypso » développé par l’IPEV(1) et la société Kleyfrance. Une technologie prévue pour résister à des contraintes extrêmes. « La particularité du Calypso est
A gauche : Base soviétique de Vostok au coeur de l'Antarctique, construite en 1957 au niveau du pôle géomagnétique terrestre
de fonctionner en chute libre. Son mécanisme lui permet d’atteindre une vitesse de chute très importante, quelque soit la profondeur », explique Pierre Sangiardi, océanographe de l’IPEV. L’outil a ainsi permis de remonter des carottes sédimentaires d’une longueur exceptionnelle, notamment au cours des 2008
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Ci-dessus : Zone de vents violents, entre Tazmanie et Antarctique, au niveau des 50e hurlants
missions océanographiques CADO et PACHIDERME(2). Et pour supporter une pression sous-marine de 600 bars, surtout pas d’électronique… (1) Institut Polaire Français Paul-Emile Victor (2) Mission « PAcifique-CHIliDynamique des Eaux inteRMEdiaires » : mission internationale dans les fjords chiliens (2007).
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Crédit photos : DR
Nathalie Mesmers-Dudons à bord de l’une des pirogues de la mission.
Au cœur de la forêt amazonienne Au Laboratoire Environnement et Paléoenvironnement Océanique de la station marine d’Arcachon (EPOC / CNRS / Université Bordeaux 1), une équipe de chercheurs étudie l’impact du mercure sur l’environnement, au cœur de la forêt amazonienne de Guyane. Ce programme, lancé en 1994 par le ministère de la Santé, a pour objectif de prévenir les risques sanitaires. « Nous prélevons des échantillons de muscles de poisson afin de mesurer la concentration de mercure dans les organismes présents dans les rivières, explique Nathalie MesmerDudons, assistante ingénieur au sein du laboratoire. Certains poissons sont plus contaminés que d’autres car ils se situent à la fin de la chaîne alimentaire. C’est le cas de l’aymara,
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un poisson pouvant atteindre 40 kg, très apprécié là-bas. » Véritable désastre écologique et sanitaire, la contamination au mercure provient de l’orpaillage. Comme le mercure a la propriété de se lier à l’or, les orpailleurs clandestins l’utilisent pour retenir les particules d’or, puis chauffent les agrégats pour ne garder que le métal précieux. Le poison est alors rejeté dans l’air et dans les cours d’eau. Pour étudier l’impact de cette pollution dans la rivière La Mana, au nord de la Guyane, Nathalie Mesmer-Dudons a accepté une mission en novembre 2006, sans vraiment réaliser ce qui l’attendait. Quinze jours en autonomie totale, avec des pirogues pour seul moyen de locomotion. « Malgré les cinq
piroguiers qui nous accompagnaient, ça n’a pas toujours été facile. Chaque soir, il fallait construire le « carbet », une toile maintenue par des piquets, pour dormir dans un hamac au cœur d’une forêt remplie d’animaux sauvages, y compris de jaguars. Le jour, on restait extrêmement prudent car les orpailleurs, quasiment tous armés, étaient très méfiants à notre égard. Ils ne comprenaient pas ce que nous faisions là. Sans compter les risques d’accidents de pirogues, les caïmans, les orages, les trombes d’eau », raconte Nathalie avec le sourire. « Il faut surtout partir avec des gens équilibrés, et être bien physiquement et psychologiquement pour supporter l’hostilité du milieu. C’est sûr que ça change du laboratoire ! » CLAIRE MORAS
Crédit photo : Roger Griboulard
Roger Griboulard dans l’habitacle du sous-marin.
2000 mètres sous les mers A bord du Nautile, le sous-marin de poche de l’Ifremer, les chercheurs viennent voir de leurs yeux à quoi ressemble le fond des océans. A plusieurs kilomètres sous la surface, d’étranges animaux aux proportions inquiétantes, des curiosités géologiques et le grand silence.
Entre les Petites Antilles et l'océan Atlantique existe une zone de subduction (frontière de plaques lithosphériques) qui engendre un prisme d’accrétion, une chaîne de montagnes sous-marines, dont le sommet constitue l’île de la Barbade. C’est à cet endroit que Roger Griboulard, chercheur du laboratoire Epoc(1), a découvert, par imagerie, une morphologie sous-marine insoupçonnée : une multitude de volcans de boue, de profonds canyons et de vastes structures plissées. Mais les sonars ne suffisent pas. Quand c’est possible, il faut aller voir de plus près, se rendre compte. Roger Griboulard fait partie de cette génération de géologues qui a débuté comme « casseur de caillou ». Il regrette aujourd’hui que les jeunes chercheurs soient parfois déconnectés de la réalité du terrain. Dans le cadre de recherches en géomorphologie structurale et dynamique sousmarine, la possibilité lui est donnée
de descendre au fond de l’océan à bord du Nautile, le submersible de l’Ifremer. Il réalise trois plongées sur cette zone, d’une dizaine d’heures chacune(2). « Sur fond de musique classique, le Nautile est descendu très lentement, sur plus de 2 000 mètres de profondeur. Il règne au fond un calme extraordinaire, un monde du silence dans lequel la vie abonde. On a pu observer des biocénoses peuplées de tubes de vers, de gorgones, d’éponges : une véritable oasis de vie. » Cette vie est proche de celle que l’on trouve autour des dorsales, où les plaques s’écartent, le magma remonte et les températures sont élevées. Ici, la vie se développe dans les remontées de méthane. Ce retour dans le temps, aux premières formes de vie sans oxygène, lui a permis d’observer le gigantisme de certaines espèces : une moule de 30 centimètres ou des gorgones de plusieurs mètres ! 2008
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Crédit photos : Roger Griboulard
« Personne à bord du navire de l’Ifremer n’a voulu goûter les moules géantes… » Sous l’effet de la pression, la sphère en titane de 10 cm d’épaisseur se déforme. « Au fond, on est lâché. En cas de problème, personne ne peut venir vous aider.» Pourtant le plaisir de l’exploration semble plus fort que l’angoisse et la claustrophobie. Afin de préciser les connaissances sur les structures tectoniques de ces grands fonds, une autre mission serait souhaitable, avec le Nautile. « Il est doté d’une technologie plus pointue que celle du domaine aérospatial », précise Roger Griboulard. Conçu pour résister à
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des pressions de 600 bars, sur 24 heures d’autonomie, le sousmarin français permet d’accéder aux profondeurs abyssales de notre planète et de mieux comprendre les processus tectoniques, sédimentaires, et biologiques qui les affectent. CLAIRE MORAS
(1) Laboratoire « Environnements et Paléoenvironnements Océaniques » (EPOC / CNRS / Université Bordeaux 1) (2) La mission Diapisud s'est déroulée en janvier 1993, associant le laboratoire EPOC, l’Ifremer et l’Université Pierre et Marie Curie – Paris VI (UPMC)
Oasis de vie profonde (biocénose) sur un volcan de boue sous marin et réunissant des moules, des calyptogénas (coquilles claires), des tubes de vers vestimentifères, etc. Gros poulpe dérangé par le Nautile Gorgonne géante (taille supérieure à 3 m.) fixée sur des blocs de carbonates vers 1700 m de profondeur
Crédit photos : Novespace/CNES
Opération chirurgicale en apesanteur réalisée par le professeur Dominique Martin dans la cabine de l’A300 zero G
Un tremplin pour l’espace Il n’y a pas que les chercheurs qui se mettent dans des situations extrêmes. Pour permettre aux scientifiques d’expérimenter l’impesanteur, un avion pas tout à fait comme les autres, l’A300 Zéro-G, basé à Mérignac, monte et redescend en piqué. Aux commandes, des équipages confrontés à des situations limites. Pour obtenir la qualification Zéro-G, symbole de sa capacité à assurer des vols en impesanteur (ou apesanteur), l’Airbus A300 de la société girondine Novespace n’a subi que quelques modifications mineures. Des sièges passagers remplacés par un vaste espace d’expérimentation et une génération électrique protégée. La principale différence entre l’A300 Zéro-G et ses cousins de ligne concerne la pilotabilité. En décrivant une parabole, l’avion permet aux chercheurs installés à bord de se retrouver pendant une vingtaine de secondes en impesanteur. Mais faire décrire à un avion une série de montées et descentes en plein ciel exige qu’on le pousse dans ses retranchements. Pendant que les scientifiques profitent des moments de chute libre pour
mener leurs expériences, l’équipage enchaîne les manœuvres délicates. Dans le cockpit, deux pilotes et deux mécaniciens navigants. « Chacun a un rôle très précis à jouer », raconte Stéphane Pichené, pilote de l’A300 Zéro-G, rattaché au Centre d’essais en vol de la base de Cazaux. Le pilote « tangage » est chargé de maintenir le cabré puis le piqué de l’appareil. Pour simplifier sa tâche, un manche est fixé directement à la colonne de tangage afin de forcer ses mouvements dans l’axe vertical. A côté, le pilote « roulis » profite d’un dispositif à la pointe de la technologie : deux petites cordes suspendues à son manche... De quoi l’aider à maintenir l’horizontalité des ailes de l’appareil sans agir sur son axe vertical. Enfin, pendant que l’un des mécaniciens navigants se charge de réguler la poussée de l’avion afin de compenser exactement la traînée, le second garde les yeux rivés sur le tableau de bord pour détecter le moindre signal d’alarme anormal.
20 secondes d’apesanteur
A 20 000 pieds (environ 6 km d’altitude), le commandant de bord lance la première parabole. L’avion est poussé à 340 nœuds (630 km par heure), à deux doigts de sa vitesse maximale autorisée, puis progressivement cabré. En prenant
de l’altitude, il perd de la vitesse. « L’important c’est qu’à l’apogée de la parabole, la vitesse reste suffisante pour nous permettre de continuer à piloter », souligne Stéphane Pichené. Lorsque le cabré atteint 47°, c’est l’injection de la trajectoire parabolique proprement dite. Le pilote peut brièvement relâcher le manche. Toutes les conditions sont alors réunies pour que l’avion atteigne tout seul l’état d’impesanteur. Mais si le pilote veut espérer maintenir cet état pendant une bonne vingtaine de secondes, il lui faut très vite reprendre les commandes. Et c’est peut-être là le moment le plus délicat de la manœuvre. L’accéléromètre, qui indique aux pilotes l’état de la pesanteur à bord de l’avion, a beau être très sensible, il ne réagit aux effets du pilotage qu’après une seconde et demie. « On dit qu’un décalage de quelques dixièmes de secondes peut faire perdre le contrôle d’un appareil à l’atterrissage alors, une seconde et demie… », remarque Stéphane Pichené. Le secret de la réussite : avoir toujours une longueur d’avance ! « L’expérience est bien sûr utile mais l’essentiel, c’est d’avoir saisi le truc. Et ce qui force le plus à l’humilité, c’est qu’on ne peut jamais savoir de quoi la prochaine parabole sera faite. » NATHALIE MAYER
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CrĂŠdit photo : Simon Pomel
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Crédit photos : Simon Pomel
Cartographier le risque
Au sein de l’UMR « Aménagement, Développement, Environnement, Santé et Sociétés » de l’université Bordeaux 3, Simon Pomel étudie l’impact des éruptions volcaniques sur le climat. Pour lui, cela ne fait aucun doute : « les volcans ont une influence essentielle sur les gaz à effet de serre et le réchauffement climatique » même si « la part du volcanisme dans les évolutions climatiques est encore loin d’être définie ». Actuellement, il établit « une cartographie des risques d’éruption du Popocatépetl », près de Mexico. Dans le même temps, il évalue les risques que représentent les volcans très explosifs de l’archipel indonésien de Florès à Sumbawa « afin de mettre en garde la population et d’élaborer des plans d’évacuation ». Pour cela, ce directeur de recherche au
Page 66 : Lac de soufre en Indonésie Éruption phréatomagmatique de 1986, Etna (Sicile-Italie) Coulées 1977, Etna Cendres de l’éruption du Pinatubo de juin 1991 aux Philippines
CNRS se rend sur le terrain pour établir des archives de ce qui s’est produit au cours des derniers millénaires et dresser la cartographie volcanique. Si les volcans sont le domaine de prédilection de Simon Pomel, il réalise également des cartographies d’autres milieux, en particulier pour les sols et leur mémoire naturelle. Il s’est rendu dans le désert du Sahara où, à partir de carottages réalisés dans d’anciens lacs, le chercheur a reconstitué l'historique climatique de cette zone, en collaboration avec des chercheurs allemands. Actuellement, il travaille à l’élaboration d’une cartographie des risques d’érosion au Nord Vietnam dans le cadre de l’AUF (Agence Universitaire de la Francophonie). Depuis quelques mois, son périmètre de recherche s’est étendu. En partenariat avec l’Institut d’Etudes Politiques de
Ses recherches l’ont conduit sur les volcans des quatre coins de la planète, de l’Argentine à la Méditerranée en passant par l’océan Indien et la Tanzanie. Menaces d’éruption, impact sur le climat, Simon Pomel, géographe, a fait du risque sa spécialité. Bordeaux et la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine (MSHA), il tente d’évaluer les risques en Afrique, qu’ils soient naturels, volcaniques ou liés à la santé, à l’eau, au pouvoir ou à la guerre. « Les pays africains n’ont aucune stratégie dans ce domaine », regrette-t-il. Tout cela le conduit cependant à faire moins de « volcanisme », un manque pour un chercheur qui se sent véritablement dans son élément au milieu des volcans. « L’éruption volcanique est un phénomène grandiose, au cours duquel on ressent plus d’effroi que de peur », raconte celui qui, à 63 ans, a approché les plus grands volcans de la planète. JULIE FRAYSSE
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A proximité du site de gravures de l'Adrar n'Metgourine (province de Tata, Maroc). Ce canyon et son débouché était, à l'holocène moyen (vers 5 000-3 000 ans avant maintenant), de riches pâturages dont les nombreux rochers de grès ont gardé le souvenir.
Crédit photo : M. Boizumault.
Des hippopotames dans le désert
Lorsque Max Schvoerer a demandé à l’Union Européenne un financement pour re-créer la patine des rochers du désert, on lui a fait comprendre que cela ne constituait pas vraiment une priorité. Mais lorsqu’il a expliqué que l’on trouve sur ces rochers un exceptionnel témoignage humain de l’adaptation aux changements climatiques, son programme est devenu un enjeu important. Afin de découvrir comment nos ancêtres se sont adaptés aux crises climatiques et plus particulièrement au réchauffement de la Terre, le professeur Max Schvoerer, physic i e n et spécialiste des matériaux du patrimoine culturel, privilégie l’art rupestre préhistorique
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du Sahara : « Depuis 10 000 ans, de nombreux groupes humains ont gravé ou peint sur les parois des abris et sur les rochers, laissant ainsi de précieux témoignages de la manière dont ils vivaient, chassaient et s'adaptaient aux crises climatiques. » Au début, les gravures représentent
notamment des troupeaux d’éléphants, girafes et hippopotames. « Cela prouve qu’à l’époque, il y avait de l’eau sur ce territoire grand comme dix fois la France », explique le fondateur du Centre de Recherche sur les Archéomatériaux de l’université de
Avec l'aimable autorisation du Centre National du Patrimoine Rupestre de Marrakech (Dr. M. El Graoui), Ministère de la Culture du Maroc, Direction du Patrimoine Culturel Crédit photos : Max Schvoerer
Site d'Oum La Leg (province de Tata, Maroc). Des centaines de rochers de grès, tels que ceux-ci, sont porteurs de gravures figurant essentiellement des animaux sauvages ou domestiques. Au centre de la vallée, un autre massif qui a servi de refuge aux gardiens de troupeaux néolithiques.
Bordeaux 3 et du CNRS. Mais au fil des siècles, l’eau s’est raréfiée, les populations sont donc allées se réfugier plutôt vers les hautes terres à l’abri des vecteurs de maladies graves, les insectes. Parallèlement, les troupeaux sont devenus plus restreints, constitués d’abord de bovidés puis de capridés. Vers le début de notre ère, l’aridité s’est accrue et le Sahara est devenu vide d’eau mais aussi d’hommes. Il s’avère que pour s’adapter, « les groupes avaient des structures sociales de dimensions modestes afin de changer rapidement de lieu de pâture, dès lors que l’eau tendait à manquer ». Actuellement, ces
peintures ou gravures rupestres ne sont pas protégées et la fragile paroi rocheuse se détériore en particulier, à cause des écarts d’humidité et de température. C’est pour cela que depuis 2004 Max Schvoerer coordonne un programme européen intitulé « Patine du désert » destiné à la re-création de la patine des grès sahariens. Avec une équipe de préhistoriens, géomorphologues, physiciens et spécialistes de la conservation des matériaux, de huit nationalités différentes, il s’est rendu régulièrement au Sahara. Grâce à des techniques mises au point au laboratoire, les chercheurs ont ensuite reconstitué
Les figurations animales les plus fréquentes sont des bovidés domestiques ou/et des animaux sauvages, souvent des antilopes. (site d'Oum La Leg).
A gauche : Représentation d'un bovidé. La gravure de la roche est profonde et la patine, naturellement, s'est reformée sous l'effet conjugué des écarts thermiques et d'humidité et du vent (site d'Oum La Leg).
sur sites les patines endommagées afin d’assurer la pérennité des œuvres. Les conditions de travail y sont souvent difficiles en raison des écarts thermiques (la température peut passer selon la période de - 10 ° à + 30 °C en quelques heures), du vent parfois violent et de protocoles qui demandent beaucoup de minutie. Les résultats intéressants obtenus amènent le professeur Schvoerer et son équipe à envisager d’étendre ce programme à d’autres régions du monde. JULIE FRAYSSE
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Crédit photo : Benjamin Lans
L’explorateur du septième continent Descendre dans des gouffres situés dans les zones les plus reculées de la planète : telle est la passion de Richard Maire. Ce géomorphologue bordelais est devenu, depuis quelques années, le spécialiste de la spéléologie scientifique d’exploration. 70 Q U E S T I O N S
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Tout commence par un goût immodéré pour l’exploration. Etudiant en géographie à l’université de Nice, ce petit fils du célèbre botaniste René Maire, passe le plus clair de son temps dans la montagne, à étudier et escalader les karsts(1) haut-alpins. Puis, très vite, à 22 ans, il découvre le monde souterrain avec les spéléologues lyonnais. « Explorer des gouffres et comprendre comment ils se forment » devient son principal objectif. Pour cela, « rien ne valait le terrain ». En 1980, alors qu’il vient de rentrer au CNRS à Aix-en-Provence, il se lance donc dans l’exploration géographique
des karsts les plus lointains ainsi que des gouffres alpins et tropicaux. « J’ai alors parcouru le monde », raconte ce grand sportif à la silhouette fine. Ses expéditions le mèneront aux quatre coins de la planète : de la Cordillère des Andes à la Nouvelle Guinée en passant par la Grèce, la Turquie et l’Iran. « J’ai découvert des endroits merveilleux », se souvient ce scientifique âgé de 58 ans, qui aime à qualifier le milieu souterrain de « septième continent ». Après avoir obtenu sa thèse d’Etat en 1990 sur les différentes recherches menées à travers le monde, Richard Maire est nommé à
Crédit photo : Richard Maire
Page 70 : Richard Maire dans le Trou Noir (Entre-deux-Mers, Gironde) Gour de calcite au premier plan Photo au microscope de fines couches composées d'argile (en rouge) et des sables fins (grains multicolores). Chaque doublet (sables fins + argile) représente le dépôt d'une crue. Photo historique (en 1980) lors de l'exploration du gouffre BU56 (Pyrénées, Navarre), l'un des gouffres les plus profonds du monde (- 1338 m). Richard Maire dans une galerie très étroite en méandre.
Crédit photo : Serge Fulcrand
Bordeaux au Centre d’Etude de Recherche de Géographie Tropicale devenue ensuite Maison des Suds. Il est actuellement directeur de recherche au sein de l’unité mixte de recherche Aménagement, Développement, Environnement, Santé et Sociétés (ADES). « J’ai demandé à venir ici car je suis un naturaliste intéressé par les recherches situées à l’interface Homme / Milieu naturel », explique-t-il. Ces recherches s’orientent alors vers la paléoclimatologie. « Les grottes sont de véritables enregistreurs de l’évolution de l’environnement et des paléoclimats », explique le géomorphologue. Le milieu souterrain étant à l’abri de l’érosion, tout ce qui est apporté par l’eau sédimente et demeure piégé. L’étude de ces dépôts (argile,
Début de la descente d'un puits géant de 424 m (gouffre de la Pluie Blanche, Guizhou, Chine).
Crédit photo : Richard Maire
stalagmites) permet donc de comprendre ce qui s’est passé autrefois au niveau du climat et de la végétation. « On a ainsi une très bonne vision du climat passé, mais aussi de ce qui se passe actuellement. » Des données à ses yeux essentielles car, « si l’on veut comprendre ce qui se passe aujourd’hui en matière climatique, il faut comprendre ce qui s’est passé autrefois », souligne celui qui aime à comparer les grottes à des « boîtes noires qui enregistrent la mémoire de la Terre ». Pour cela, il se rend régulièrement depuis 1994 dans les archipels de Patagonie chilienne. « Même si les conditions climatiques y sont dures, c’est extraordinaire pour l’exploration et les études scientifiques, on y voit la Terre telle qu’elle était avant l’intervention de l’homme »,
s’enthousiasme Richard Maire. Le spéléologue travaille beaucoup en Chine depuis 1997. « C’est l’endroit de la Terre où il y a le plus de grottes et les reliefs calcaires y sont superbes », remarque celui qui partage depuis quelques années sa vie avec une Chinoise. Il y étudie notamment l’environnement très dégradé par l’homme des karsts chinois qui ont subi une érosion des sols et une déforestation catastrophique. JULIE FRAYSSE
(1) karst = le paysage du karst, ses effondrements et grottes souterraines, résulte des écoulements des eaux souterraines qui se mettent en place progressivement dans les roches carbonatées (calcaires et dolomies) et dans les roches salines (gypse et parfois sel gemme).
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l’Aquitaine aussi
Crédit photos : archives Sud Ouest
a lutte pour la mixité dans les dortoirs étudiants. C’est la toute première revendication du mouvement révolutionnaire qui embrase Nanterre, le 22 mars 1968. A Bordeaux aussi, Michel Brana se souvient qu’en ce début de printemps, au sein de la CGT on débattait de… sexualité. L’époque est à l’audace, et surtout à la libéralisation des mœurs. Un vent de légèreté souffle sur la France. Les jeunes veulent en finir avec une société corsetée et hypocrite où les hommes font la loi à la maison et les patrons dans l’entreprise. La mode est au rock, à la saoul, aux hippies et aux cheveux longs. L’émancipation est en route et l’orgasme se pare de vertus politiques. La lutte gagne donc rapidement tout le corps social et s’étend à la province. En Aquitaine, le mouvement est moins violent qu’à Paris, moins marqué par la présence des étudiants, mais plus influencé par des revendications locales issues du monde agricole et industriel. L’engagement des travailleurs est d’ailleurs plus social que politique. La contestation
Page 72 : Charge des CRS place Pey-Berland, Bordeaux
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Manifestation dans les rues de Bordeaux en juin 1968 Page 75 : Meeting de la CGT devant la bourse du travail à Bordeaux Barricades à Bordeaux Devant le Palais Rohan
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étudiante est largement dépassée par les manifestations de masse et les occupations d’usines qui se multiplient. L’acteur principal étant probablement la classe ouvrière. La première manifestation du 7 mai rassemble environ 4 000 étudiants et marque le début de l’occupation des facultés. Les grèves s’étendent et toute activité est bientôt suspendue. Les usines, mais aussi le Grand Théâtre, sont occupés. Une banderole révolutionnaire est tendue au-dessus de la grande porte du palais Rohan, et le 25 mai, Bordeaux connaît sa « nuit des barricades ». Sans surprise, c’est la faculté de Lettres qui est le pôle majeur de la contestation étudiante. Mais le mouvement ne présente pas d’unité. L’époque est au romantisme révolutionnaire. Les nouveaux héros sont Mao, Trotski ou Che Guevara. Face à ces « gauchistes », socialistes et communistes traditionnels ont du mal à se faire entendre. Ils sont surpris par une tourmente qu’ils n’avaient pas anticipée et accusent « les révolutionnaires à la CohnBendit » d’entraîner les jeunes dans des provocations que de
Gaulle pourrait mettre à profit. Le reflux de la contestation commence d’ailleurs dès l’annonce par le président, le 29 mai, de prochaines élections. Pour beaucoup, la lassitude est grande. Et la peur des débordements prend le dessus. A l’image d’un communiqué publié dans Sud-Ouest, proclamant : « il n’est plus question de tolérer qu’une minorité de saboteurs professionnels et de militants de la destruction se livrent dans notre pays à une parodie de révolution culturelle ». Le ton est à la reprise en main. L’occupation des locaux dure jusqu’au 17 juin en Lettres, mais la gauche perd les législatives, et essuie l’un de ses pires revers politiques. Ce sont les salariés des entreprises d’armement et d’aviation, les ouvriers des usines de vêtements et chaussures, les dockers et les cheminots de la région qui bénéficieront des plus grandes avancées. Depuis longtemps, ils ressentent un profond malaise et un sentiment d’injustice sociale. Ils défilent donc massivement pour la liberté syndicale, l’augmentation des salariés, la réduction du temps de travail.
D’un seul coup, ils mettent fin aux vieux blocages, et obtiennent l’ouverture d’une véritable négociation. Le passage à 40 heures par semaine sans perte de salaire est d’ailleurs l’un des acquis les plus importants du mouvement. Parallèlement, l’augmentation générale des salaires en France, de 20 %, et chez Dassault de 30 %, permet une amélioration du niveau de vie très importante. Avec l’humanisation dans les rapports hiérarchiques aussi bien à l’université qu’en entreprise, l’ère des contraintes semble révolue. Celle du désir de liberté et de maîtrise de sa vie s’impose. Pour les femmes, c’est le rejet de l’inégalité et de la discrimination, la force novatrice du féminisme, des droits de la femme. Bref, une vaste demande de libéralisation des mœurs, qui marque une véritable rupture culturelle. Elle imprègnera durablement tout une génération et ses effets continuent à se faire sentir bien au-delà. LAURE ESPIEU
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Chronologie des événements de mai 68 à Bordeaux Mercredi 1er mai
Défilé organisé par la CGT de la place Jean-Jaurès à la place de la Bourse, puis bal à la Bourse du Travail.
Mardi 7 mai Tout commence avec la première manifestation d'environ 4 000 étudiants et le début de l'occupation des facultés. Vendredi 10 mai Meeting étudiant puis occupation de la faculté des lettres jusqu'à une heure du matin.
Lundi 13 mai 15 à 20 000 personnes défilent de la place de la République à la place de la Victoire.
Vendredi 17 mai Les étudiants décrètent « l'occupation
permanente » de la fac de lettres et la dissolution du conseil de faculté. Un « doyen » de 23 ans est nommé. Les étudiants de médecine et de pharmacie proclament aussi leur autonomie de gestion et de pédagogie.
Samedi 18 mai L'assemblée générale de la fac de droit et de sciences économiques vote à son tour l'autonomie. Dimanche 19 mai La gare de Bordeaux est fermée.
Lundi 20 mai Banques et chèques postaux fermés. Le conseil général adopte une motion de solidarité avec « les travailleurs, les enseignants, les étudiants et les agriculteurs » . Mardi 21 mai Occupation des locaux de l'ORTF BordeauxAquitaine par les techniciens.
Mercredi 22 mai Grands magasins fermés. Autobus en grève.
Jeudi 23 mai Manifestation d'étudiants place Saint Michel, puis occupation du Grand Théâtre.
Vendredi 24 mai Affrontements entre jeunes et forces de police jusqu'à 1h30 du matin place de la Comédie. Samedi 25 mai Bordeaux connaît sa « nuit des barricades ». Bilan : 109 blessés et 90 interpellations.
Mercredi 29 mai Après l'annonce par de Gaulle de prochaines élections, le reflux de la contestation commence. L'occupation des locaux dure des lettres.
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jusqu'au 17 juin à la faculté
Le vent de mai apporte son souffle de modernisation politique
Jacques Chaban-Delmas, alors Maire de Bordeaux et président de l’Assemblée Nationale.
ien sûr, le « mai étudiant » concerne avant tout Paris. Mais les mouvements sociaux et la contestation politique atteignent rapidement l’ensemble du pays. Et de longue date, l’Aquitaine tient sa place au sein de la France qui récuse la majorité au pouvoir. En 1965, déjà, au premier tour de l’élection présidentielle, le général de Gaulle recueille moins de suffrages qu’à l’échelle nationale dans trois départements sur cinq (Dordogne, Gironde et Lot-et-Garonne), alors que François Mitterrand réalise des scores nettement supérieurs à la moyenne. Un an et demi plus tard, les législatives des 5 et 12 mars 1967 confirment cette orientation. Les gaullistes sont partout en dessous de leur score national, alors que la gauche non
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communiste recueille davantage de voix que dans le reste du pays. Sur les 24 députés élus en Aquitaine, six seulement appartiennent à la majorité (UNR) et la FGDS (Fédération de la Gauche Démocrate et Socialiste) emporte quatorze sièges. C’est une poussée de la gauche socialiste, qui, en Gironde, conquiert trois nouvelles circonscriptions : Talence-VillenaveBègles, avec Henri Deschamps, le Sud-Gironde avec Pierre Lagorce et le Blayais avec Jacques Maugein. Les gaullistes, pour la plupart réunis dans l’UNR (Union pour la Nouvelle République), comptent dans la région quelques personnalités de poids au sommet de l’Etat. Leur leader régional, Jacques Chaban-Delmas, « duc d’Aquitaine », député-maire de Bordeaux depuis 1946-47 est le troisième personnage de l’Etat en
tant que président de l’Assemblée Nationale (depuis 1958). Le gouvernement, en mai 68, compte deux autres gaullistes venus d’Aquitaine : Robert Boulin, député de la 9e circonscription de la Gironde et maire de Libourne et Yves Guéna, député de la première circonscription de la Dordogne. Le PCF représente aussi depuis les années 1930 une importante force politique, avec des leaders de poids, tels Yves Péron, Lucien Dutard et Hubert Ruffé. Il dispose d’une bonne assise à Bordeaux et dans la banlieue bordelaise, notamment à Bègles. Quant à la SFIO, elle compte deux « papes » : Robert Brettes sur la rive gauche et René Cassagne sur la rive droite.
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Les partis préfèrent la prudence
Le vrai tournant, à la veille de mai 68, c’est l’éclosion d’une nouvelle gauche, plus extrême et très minoritaire. Parmi ces nouvelles forces, on compte le PSU (Parti Socialiste Unifié), créé en 1960, les mouvements trotskystes, pas encore organisés localement et dont les militants sont isolés et les maoïstes, qui depuis 1967 ont implanté à Bordeaux l’UJCML (Union des jeunesses communistes marxistesléninistes) et le PCMLF (Parti communiste marxiste-léniniste de France) qui diffuse son journal, l’Humanité rouge. Qualifiés en mai de « gauchistes », ces mouvements d’extrême gauche touchent principalement l’université. Absents des combats électoraux, ils ne sont pas représentés dans les assemblées locales, mais ils sont actifs et décidés à proposer d’autres voies. En Aquitaine, comme ailleurs, toutes les formations politiques ont été surprises par la tourmente de mai 1968. Rapidement, les forces de l’opposition interviennent et soutiennent le mouvement. Dès le 13 mai, elles participent à la manifestation organisée par les syndicats contre de Gaulle, au cri de « Dix ans ça suffit ». Ce sera le plus puissant mouvement de rue que la France ait connu. Pourtant, cette irruption des partis politiques dans le conflit ne va pas sans susciter quelques réserves. Ni les étudiants ni les syndicats ne veulent se voir confisquer leur combat. Très vite, les relations entre les communistes de l’UEC (Union des étudiants communistes) et les « gauchistes » deviennent difficiles. Le fossé se creuse entre les partis de gauche parlementaire et les groupuscules de l’université. A Bordeaux, lorsque les syndicats étudiants appellent à manifester le 25 mai à 17 h place Saint-Michel, pour « protester contre l’ultimatum insultant de de Gaulle », le PCF répond deux jours plus tard en organisant un meeting de rue le 27 mai. Et les tensions
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Le préfet de la Gironde, Gabriel Delaunay, au Grand Théâtre, lors de la manifestation du 23 Mai.
s’exacerbent avec le durcissement du mouvement. Au lendemain de la « nuits des barricades » des 25 et 26 mai, la condamnation des excès d’une manifestation qui a conduit à « l’émeute » selon le terme du socialiste René Cassagne, est unanime. Le communiste Claude Scipion oppose même « le calme, la force tranquille, l’assurance de la classe ouvrière » aux débordements des « gauchistes ». « Il y avait des provocateurs, des voyous et une partie de la lie de Bordeaux. »
La peur conforte le pouvoir
Les communistes craignent en fait une récupération politique du désordre par le gouvernement. Les gaullistes, d’ailleurs, cherchent à mobiliser leurs troupes. Ils n’entrent réellement en action qu’après le discours du 30 mai, dans lequel de Gaulle annonce la dissolution de l’Assemblée Nationale et appelle au ressaisissement du peuple et à l’organisation de l’action civique. La campagne du pouvoir est alors centrée sur le thème du danger de la « subversion ». Les forces de gauche abordent le scrutin divisées et le renversement de tendance est spectaculaire. « C’est la douche froide », analyse Alain Anziani, auteur de « Cent ans de socialisme en Gironde »(1). Avec quatorze députés, l’UDR (et non plus UNR, pour souligner l’objectif de « défense » de la République ) sort grand vainqueur, au premier rang des forces politiques dans chaque
département. La FGDS ne compte plus que cinq sièges. En Gironde, elle perd deux circonscriptions, dont celle de Jacques Maugein, ce qui, paradoxalement, marquera le début du destin des Madrelle dans le Blayais. Conséquences immédiates de cette victoire, les gaullistes d’Aquitaine renforcent leur présence dans les hautes sphères du pouvoir. Chaban est réélu président de l’Assemblée Nationale et trois Aquitains figurent au nouveau gouvernement : Robert Boulin à l’Agriculture, Yves Guéna aux Télécommunications et Michel Inchauspé, secrétaire d’Etat aux Dom-Tom. La victoire des gaullistes fut éphémère. En 1973, six des quatorze députés de la région sont battus et aucun d’entre eux ne retrouvera son siège par la suite. La gauche, elle, est en mutation. « Politiquement, ce fut une des défaites les plus cinglantes, note Alain Anziani. Mais aussi un tournant qui permit aux socialistes de se réorganiser avec le congrès d’Epinay en 1971. » Arrive une nouvelle génération. Sur la rive droite, Philippe Madrelle remplace René Cassagne. Et sur la rive gauche, Robert Brettes laisse la place à Michel Sainte-Marie. C’est la rupture qui coupe avec les figures de l’après-guerre. Et la flambée des courants révolutionnaires, en plein âge d’or. Même si, en réalité, l’organisation des forces politiques reste relativement inchangée. LAURE ESPIEU
« Cent ans de socialisme en Gironde » Editions du Populaire Girondin, 1999
(1)
Les différents courants « gauchistes »
Les trotskistes : se réclament du communisme révolutionnaire selon les idées de Léon Trotski. Ce militant communiste révolutionnaire russe mena aux côtés de Lénine la Révolution russe de 1917, puis devient un opposant de Staline qui incarnait, selon lui, la bureaucratie russe parasitaire. Il fut exclu du Parti communiste d'Union soviétique en 1927 et banni de l'URSS en 1929. Les trotskystes conçoivent donc la lutte du prolétariat comme une lutte internationale, visant à la destruction de la puissance économique et politique de la bourgeoisie. Ils sont représentés au sein de la Ligue communiste révolutionnaire, de Lutte ouvrière et du Parti des travailleurs.
Les maoïstes : suivent
l’idéologie développée au XXe siècle par Mao Tse-Toung (comme on l’écrivait alors), leader du Parti communiste chinois. Après les révélations sur les crimes du stalinisme, elle a été parfois considérée comme un recours par certains intellectuels de gauche. Idéologiquement, c’est une forme très dure de stalinisme qui réprime l'ambition personnelle et interdit même toute velléité d'améliorer l'ordinaire. Elle bénéficie du large rayonnement de la Chine dans les milieux étudiants et intellectuels. Et débouche, après 1968, sur la création d’une organisation appelée Gauche prolétarienne. Les partis maoïstes ont disparu en France depuis la fin des années 1970. Il n’existe plus que des groupuscules.
Le Parti socialiste unifié (PSU) : Parti politique français
fondé le 3 avril 1960, puis dirigé de 1967 à 1973 par Michel Rocard. Il tenta tout d'abord d'occuper l'espace politique entre la SFIO et le PCF. Il était composé majoritairement de socialistes anti-colonialistes, qu'ils soient « révolutionnaires » ou « réformistes », partisans de l'Union de la gauche. Mais il évolua en s'amoindrissant, surtout après mai 1968, vers un parti contestataire et autogestionnaire. Le PSU s'est auto-dissout en 1989.
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Toutes les audaces Les manifestations ont lieu dans toute la région Aquitaine : Barrages paysans à Brannes, en Gironde, le 30 mai et défilé à Périgueux
la veille de mai 68, Bordeaux offre un visage terne et triste, avec ses façades noires et ses rues désertes dès la tombée de la nuit. Les quartiers de Mériadeck et du Grand-Parc commencent doucement à s’élever. Les premières HLM séduisent face à des logements souvent petits et sans confort. Le pont Saint-Jean relie depuis peu les deux rives. Une partie des facultés vient de déménager sur le campus de Pessac. Au cœur de la ville, fonctionnaires en grand nombre, salariés de petites entreprises et bourgeois se côtoient. Les étudiants, eux, sont trois fois moins nombreux qu’aujourd’hui. Malgré la fermeture d’entreprises métallurgiques et les menaces sur les chantiers navals de la Gironde, le plein emploi règne, profitant encore de la vague des Trente Glorieuses. Au sein des foyers, télévisions et automobiles se multiplient. De plus en plus de Bordelais prennent des vacances. Pourtant, dans le monde ouvrier, le tiers de la population active en Gironde, règne le sentiment d’une prospérité mal répartie. Fatigués de travailler 45 h par semaine pour des revenus très bas, exaspérés par le mépris des employeurs et l’absence de discussion possible, les salariés des entreprises d’armement et d’aviation, les ouvriers des usines de vêtements et chaussures, les dockers et les cheminots de la région ressentent un malaise. Les grèves de 1967 chez Dassault révèlent le mécontentement ambiant. Plus globalement, dans la société, la
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Mai 68 fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le ciel économique et social bordelais. Cristallisant les frustrations et les aspirations de l’époque, le mouvement étudiant et ouvrier réussit à faire sauter le couvercle et à bouleverser modes de vie et mentalités. chape de plomb du gaullisme, l’immobilisme politique, l’absence de partis neufs et alternatifs exaspèrent. Une loi sur la légalisation de la contraception, pourtant promulguée en décembre 1967, reste dans les tiroirs faute de décret d’application. L’avortement est toujours considéré comme un crime et la vie en couple hors mariage est moralement condamnée.
Une jeunesse au ralenti
Les jeunes, qui constituent la génération du baby-boom, sont les premiers à ressentir un sentiment d’étouffement, à s’agacer des carcans, de l’hypocrisie et du conformisme des relations sociales. Tabliers à carreaux obligatoires et maquillage interdit dans les lycées, costards recommandés pour aller en fac, impossibilité d’inviter son flirt dans sa chambre universitaire, de se mettre en pantalons pour les femmes professeurs… sont autant de petits faits quotidiens qui passent de plus en plus mal auprès de jeunes baignant depuis peu dans la mode yéyé ou le culte de « Salut les copains ». Ceux qui se retrouvent dans les quelques bars étudiants de la Victoire ou du cours Pasteur pour taper le carton, ceux qui vont au cinéma l’Etoile cours Victor Hugo ou au Victoria, près du cours de l’Argonne, voir et revoir « Le Lauréat » ou les films de Bunuel et Resnais, rêvent d’autre chose. Les perspectives de trouver un emploi et un bon salaire les rendent suffisamment
optimistes pour envisager une société meilleure, avec moins de hiérarchie dans les universités, où règne le mandarinat, moins d’ordre moral, moins de pouvoir des anciens. « Nous qui avions toujours baigné dans les témoignages de la Résistance, on découvrait aussi la vérité sur la France collaboratrice. Ce mensonge social plus les effets de la guerre coloniale créaient une forme d’amertume à laquelle se mêlait l’espoir que les choses pouvaient être autres. Il y avait une réelle contradiction entre le vécu du moment et ce qu’on sentait accessible. On ne voulait plus vivre notre jeunesse au ralenti », témoigne Guy Di Méo, étudiant bordelais de 22 ans en géographie en 1968 et aujourd’hui directeur d’un centre de recherche à la Maison des Suds de Pessac.
Le « mois de la parole »
Lorsque les premières manifestations parisiennes éclatent, les étudiants bordelais se mobilisent rapidement. Porté au début par des étudiants de Lettres, notamment Histoire et Géographie, le mouvement s’étend peu à peu aux autres facultés. Les locaux sont occupés, les cours cessent, les AG se multiplient, les étudiants défilent massivement dans les rues. « Ça a été un coup de tonnerre dans un ciel serein. Il y avait déjà eu auparavant quelques manifs à Bordeaux contre la guerre au Vietnam ou des actions de groupuscules d’extrême gauche, de deux ou 2008
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trois maoïstes par-ci par-là et de quelques tenants de la contre-culture américaine, mais tout ça restait très discret. A Bordeaux, Jacques Ellul amorçait une critique des sciences et des médias, mais restait marginalisé. Cette mobilisation en masse créa, je crois, un effet de surprise incroyable », estime François Dubet, sociologue à Bordeaux 2 et étudiant de 22 ans en sociologie à Bordeaux en 1968. Différentes revendications enflamment les assemblées générales : réforme de l’université, redéfinition des rapports hiérarchiques et des méthodes pédagogiques, départ du général de Gaulle, fin du capitalisme, lutte contre l’injustice sociale... « On parlait de pendre le dernier bourgeois avec les tripes du dernier curé sur fond de drapeau rouge et de poing levé, mais on savait bien que ce n’était pas sérieux. Ce langage hyper politique n’avait rien à voir avec le langage de la réalité et était surtout un défouloir pour s’en prendre aux mœurs familiales et sociales », analyse François Dubet. Pour tous les témoins de l’époque, mai 68 reste avant tout « le mois de la parole ». Les langues se délient, différentes catégories sociales et générationnelles se rencontrent. « Dans la rue, tout le monde se parlait, on était gais, on se souriait. Dans mon lycée, lors des AG, les élèves osaient dire pas mal de choses sur les cours, les comportements des profs. Tout ça était impossible avant », se souvient Marie-Claire Traverse, alors enseignante au lycée BordeauxBastide, aujourd’hui François Mauriac.
Les ouvriers les pieds sur terre
Derrière ce visage joyeux de mai 68, se cachent pourtant les peurs d’une partie de la population, les patrons réticents, les incompréhensions, les rivalités fortes entre individus. Seuls 20 % des étudiants bordelais participent réellement à la mobilisation. À la mi-mai, d’ailleurs, beaucoup rentrent chez eux et seul un noyau
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dur de quelques centaines œuvre encore aux côtés des salariés et ouvriers, devenus le fer de lance du mouvement. A partir du 20 mai, les piquets de grève se multiplient dans les entreprises : Dassault, PTT, banques, chantiers navals, Snecma, grands magasins, industries de l’habillement, bus et train… « On se mobilisait pour la liberté syndicale, l’augmentation des salaires, la réduction du temps de travail. On avait d’autres objectifs que les étudiants, qui, dans leur utopie, voulaient un changement politique profond, faire tomber le gouvernement, voire faire la révolution. D’ailleurs, on acceptait mal que ces jeunes, qui seraient plus tard nos cadres, viennent nous donner des leçons ou nous traiter de réformistes », se souvient Guy Joubert, salarié chez Dassault et secrétaire CGT en Gironde en 1968. Quoiqu’il en soit, l’évolution des mentalités est en route. Grèves, AG, occupation du Grand Théâtre, manifestation massive de 20 000 personnes le 13 mai à Bordeaux, échauffourées avec la police dans la nuit du 24 mai, n’auront pas été vaines.
La conquête des acquis sociaux
« Pour nous, salariés, l’acquis le plus important de 68 a été la réduction du temps de travail, le passage à 40 h par semaine sans perte de salaire. Ça nous a vraiment permis de respirer. L’augmentation générale des salaires en France, de 20 %, et, pour nous, à Dassault, de 30 %, a permis une amélioration du niveau de vie très importante. Comme beaucoup, j’ai pu alors m’acheter une maison. Enfin, on a gagné la liberté syndicale dans l’entreprise et l’humanisation dans les rapports hiérarchiques », récapitule Guy Joubert. Les règles du jeu changent également au cœur des universités. « Dès la rentrée, un conseil de faculté provisoire a été mis en place, intégrant des assistants, des étudiants et pas uniquement des profs titulaires faisant la pluie et le
beau temps. Obtenir la possibilité de s’exprimer, avoir des décisions communes, par exemple sur les programmes ou la mise en place des contrôles continus, a été une révolution formidable », se souvient Jean Dumas, militant CFDT actif et jeune professeur de géographie à Bordeaux 3 en 1968. Dans les lycées, les clubs d’activité et les foyers se multiplient. Les méthodes pédagogiques classiques sont remises en question. Des mouvements comme la pédagogie Freinet ou la dynamique de groupe apparaissent. Au-delà de ces réformes assez immédiates, le couvercle de la marmite sociale se soulève peu à peu et provoque des répercussions jusqu’au milieu des années soixante-dix.
Un remueménage dans les têtes et dans les corps
« On se sentait libre de vivre chacun nos expériences personnelles : partir en 2CV dans un pays étranger, vivre en communauté, élever des moutons dans les Landes et écrire des chansons en occitan, fabriquer un bateau et même, pour certains, quitter l’université pour travailler en usine et devenir militant politique. Contrairement à aujourd’hui, on n’avait pas peur. Il y avait de l’optimisme et une confiance en l’avenir. Mai 68 a été avant tout, malgré l’échec politique et au-delà de la réussite de la grève ouvrière, une vraie révolution culturelle », analyse François Dubet. Les mœurs se détendent en effet peu à peu dans les années soixante-dix : union libre, naissance hors mariage, libération sexuelle. Jeans, cheveux longs et style baba-cool se multiplient dans les rues de Bordeaux. Bob Dylan, les Beatles et Dutronc cartonnent, ce qui se traduit par un petit festival régional : le Bagas Cheap Festival. Certains jeunes partent s’installer dans les campagnes posant là la première pierre de l’écologisme. D’autres, dans une veine plus politique, se solidarisent avec les paysans salariés de grandes
exploitations landaises et charentaises. Des groupes maoïstes partent au Pays-Basque « porter la bonne parole ». Les médias adoptent un nouveau ton. Les discussions battent leur plein dans les groupes politiques et syndicaux. « Des ponts se dessinaient entre les différentes classes sociales mais aussi entre les différents pays. Il y avait une autre idée de l’Homme qui émergeait, au-delà des frontières, dans une nouvelle mouvance tiers-mondiste : l’idée qu’on était tous dans le même bateau et solidaires », précise Guy Di Méo. Tous se souviennent également d’une époque de rencontres et de boulimie intellectuelle. Les classiques Malraux, Sartre et Camus sont remplacés par Althusser, Marx, Reich, Castoriadis ou Foucault.
Critique de la société de consommation, thèses autogestionnaires, premiers pas vers la décentralisation agitent les esprits. « Au-delà de toutes les libérations acquises par les femmes, conséquence selon moi la plus importante de 68, ça a été un sacré remue-ménage dans les têtes, les corps, les relations entre les gens », estime Marie-Claire Traverse. « Les esprits se libéraient. On avait envie d’inventer, d’innover, d’être audacieux. C’était bien « l’imagination au pouvoir » et surtout une découverte incroyable de l’engagement collectif et du « faire ensemble ».
Eboueurs votant pour ou contre la grève sur le site de Latule, à Bordeaux, le 31 mai
MARIANNE PEYRI
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La culture bourgeoise bousculée ulturellement, mai 68 commence en novembre 1965. C'est là que tout bascule à Bordeaux, ville considérée comme bourgeoise, représentée depuis 1950 par le Mai Musical, manifestation classique de haut niveau, reflet d'une ville qui a le Grand Théâtre pour vaisseau amiral en matière culturelle. Sigma naît de la rencontre de Roger Lafosse et de Jacques Chaban-Delmas et va bouleverser durablement le paysage culturel. « Roger Lafosse est un découvreur de talents, il sent ce qui va se passer en création contemporaine. Il a l'oreille de Chaban qui est un intuitif. » Pour Françoise Taliano-des Garets(1), « Chaban est un modernisateur. Quand on lit son discours sur la Nouvelle Société en 1969, on comprend Sigma en 1965. » La vie culturelle bordelaise, même soutenue par un maire qui a compris avant les autres les enjeux politiques de la culture en terme d'image, est jusqu'alors d'un strict classicisme, même si quelques passionnés ont tenté dès 1948 d'imposer, à l'occasion, du jazz à l'Opéra. Une seule compagnie de théâtre permanente rythme la saison, celle de Félix de Rochebrune, dont le répertoire tourne autour de « Roussin, Achard, Guitry et réciproquement », comme le résume Guy Suire, alors élève au conservatoire. Avec les tournées Hebert-Karsenty et leur cortège de
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vaudevilles pour compléter, la cité girondine s'ennuie, alors même que l'âge d'or du cinéma laisse derrière lui des salles qui auraient pu être réexploitées différemment. Le reste de la région « est un désert culturel » estime Françoise Taliano-des Garets. Les premières éditions de Sigma font évidemment scandale. Pierre Henry donne à l'Alhambra un concert où le public est couché, dans une fumée qui n'est pas seulement de tabac, le Living Théâtre fait défiler dans la rue des gens avec un sac en papier sur la tête, les happenings se succèdent, une partie du conseil municipal s'offusque mais Chaban s'entête. Mai 68 n'aura pour effet que de dissiper les critiques qui finissent par s’éteindre au début des années soixante-dix. D'autant que Roger Lafosse aura su se montrer conciliant : à la demande du maire, il accepte d'annuler l'édition de novembre 68 pour éviter qu'une trop grande effervescence ne provoque d'éventuelles répliques aux journées de mai.
Sigma 68 annulé
En avril 1967, un nouvel acteur culturel est venu à son tour bouleverser la donne. « L'Onyx », encore appelé "Le poisson lune", fait souffler sur le théâtre classique le vent rafraîchissant du café-théâtre qui a été « inventé » l'année précédente à Paris par Bernard Da Costa, un
Bordelais. Quelques anciens élèves du conservatoire décident de briser le moule et ouvrent un laboratoire des tendances de l'époque dans l'arrière salle de l'Iberia, rue Camille-Sauvageau. « C'était un pôle d'innovation, ça bougeait, c'était drôle, loufoque, excessif » rappelle Françoise Taliano-des Garets. Guy Suire se souvient surtout que « comme le spectacle était dans la rue en mai 68, on a fermé. » Il se souvient aussi de la tête de Margot Fonteyn et Rudolf Noureev, invités prestigieux du « Mai musical » de cette année, assistant, décontenancés, suffoqués, à la prise d'assaut du Grand Théâtre par les foules hurlant à la mort de la « culture bourgeoise ». La brise de Mai emportera aussi la première équipe de l'Onyx, jusqu'à Bourgnac, en Dordogne - 250 habitants dans la forêt du Landais. Là, ils rassemblent les paysans qui font les costumes, les décors et jouent « Les Plaideurs » de Racine. Pas de metteur en scène, quinze jours en prise directe avec la population, l'aventure durera dix ans, tous les mois de juillet. Car s'il y a un effet « Mai 68 » dans le monde culturel, c'est aussi là qu'il faut le chercher, dans ce besoin d'aller à la rencontre des populations rurales que l'on estime privées de culture. La création d'« Uzeste Musical » par Bernard Lubat, même si elle est très postérieure (elle date de 1977), s'appuie sur « la persistance
de l'utopie soixante-huitarde ». C'est là qu'il faut chercher les traces du retour à la nature, culturel ou pas, et de l'émergence des musiques traditionnelles. Même si, selon Christian Vieussens, fondateur de la compagnie qui porte son nom, l'incursion des urbains dans les campagnes n'aura pas suffit à effacer les oppositions traditionnelles. Le saxophoniste avait vécu Mai 68 chez les paras où il faisait son service. « Je l'ai pris dans la gueule à mon retour. » Musicien de balloche pour assurer sa subsistance, il commence dans les années soixante-dix à collecter la mémoire du fifre, l'instrument emblématique du SudGironde. « Il fallait réinventer son présent pour fabriquer son futur. Il y avait une recherche d'identité : comment être encore plus soimême, cultiver sa différence et être plus forts. En résumé : comment grandir ? » Pour lui aussi, le mo u v e m e n t « trad' » était en ferment. « Ça a aidé au déclenchement de Mai 68 et inversement. C'est l'oeuf et la poule. » Mais ce qui est certain, c'est que ce retour aux racines lui a permis d'être « comme un poisson dans l'eau ; tout s'ouvrait. J'ai pu parler avec mon accent, parler occitan. » Cette exportation de la culture hors des grands centres aura peu à peu conduit à l'élaboration de politiques de décentralisation culturelle. Frottant les cultures entre elles, « elle aura permis d'effacer les clivages
entre les différents types de culture et conduit à l'avènement de la culture de masse » estime Françoise Taliano. L'achèvement de ce cycle a abouti à la politique Lang qui, après 1981, prône peu ou prou l'égalité des cultures entre elles. Plus critique, Christian Vieussens note que Mai 68 « n'aura pas empêché la loi du marché. » C'est à cette époque que le bal disparaît au profit de la musique marchande, l'invasion des disques qui permet aux discothèques de détrôner les orchestres. Guy Suire, après 40 années passées à la tête de l'Onyx, devenu un théâtre sans café, estime que « on s'est peut-être embourgeoisés dans la tronche mais on est resté libertaires. » Et Sigma, outre ce même Suire, aura accueilli dans son équipe Gérard Lion, coordonnateur de Novart et directeur de l'Opéra, Richard Coconier, directeur du TNBA et chargé de porter la candidature de Bordeaux 2013, capitale européenne de la culture, Guy Lenoir, directeur de Porte 2A, ou encore Gilbert Tiberghien, cofondateur du TNT. La comète reste encore visible quarante ans après.
Dès le 7 mai, les étudiants font un sit-in devant le Grand Théâtre. Le 23, ils investissent les lieux. Rudolf Noureev et Margot Fonteyn étaient les invités du Mai Musical cette année-là. Ils assistent à la « prise » du Grand Théâtre par les manifestants
JEAN-LUC ELUARD (1) Maître de conférence en histoire contemporaine à Sciences-Po Bordeaux et auteur de : "La vie Culturelle à Bordeaux, 1945-1975" Presses Universitaires de Bordeaux, 1995.
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CrĂŠdit photo : EADS
Aerospace Valley
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Une stratégie commune pour deux régions L
Crédit photo : Turbomeca
orsque, fin 2004, le gouvernement français lance son appel à projets pour la création de pôles de compétitivité, l’élaboration d’un pôle aéronautique et spatial dans le Sud-Ouest a tout de l’équation insoluble. Il faut tout d’abord réussir à fédérer un grand nombre d’acteurs hétérogènes : pouvoirs publics, grands industriels, PME, universités et laboratoires de recherche. Il existe naturellement des collaborations approfondies, entre tel industriel et tel laboratoire, mais celles-ci, souvent bilatérales et marquées par les exigences de confidentialité, ont nécessité de longues années de mise en route. Or la nature même d’un pôle de compétitivité est de généraliser rapidement – en les ouvrant à de multiples partenariats - ce type de collaboration. Il faut ensuite réconcilier les deux grandes régions rivales, Midi-Pyrénées et Aquitaine, en compétition pour l’obtention du label qu’elles partagent aujourd’hui. Les résistances culturelles sont assez vite dépassées du fait de l’importance des enjeux. Il s’agit ni plus ni moins que de maintenir l’avance technologique et la compétitivité des entreprises françaises dans un contexte international marqué par l’intensification de la concurrence. C’est ainsi que les deux régions décident de monter un projet de pôle commun, fondé sur leur grande complémentarité : des activités plutôt militaires en Aquitaine (Dassault, EADS…) et des activités plutôt civiles (Airbus, Air France Industries…) en MidiPyrénées. Labellisé « pôle mondial » en juillet 2005 et baptisé « Aerospace Valley » par la suite, il est le leader mondial dans la
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production d’avions de plus de cent places, l’aviation d’affaires haut de gamme, les turbines d’hélicoptères, les trains d’atterrissage et les batteries d’aéronefs. Il est également leader européen pour la construction de satellites, les avions militaires ou les matériaux composites. Restait cependant à constituer une intelligence stratégique collective capable d’initier des projets en accord avec le climat de compétition internationale et en phase avec le temps, très long, de la conception des avions, des fusées et des satellites. Pour relever ce défi, les laboratoires, les entreprises et les universités ont été groupés en neuf grands « domaines d’activités stratégiques ». Ils concernent aussi bien les matériaux que les moteurs, la gestion de tous les systèmes informatiques embarqués, les systèmes de navigation et de communication, la sécurité du trafic aérien, la modélisation et la simulation pour la réduction des coûts de développement, la maintenance, l’exploitation des satellites ou l’exploration spatiale. Lieux de rencontre et creusets de réflexion, ils ont, en deux ans, abouti à la labellisation par le pôle de plus de 100 projets associant entreprises et laboratoires. Peu a peu, à partir de ces projets, une stratégie transversale est esquissée. Le maintien des entreprises françaises parmi les leaders mondiaux des secteurs aéronautique et spatial dépendra, en grande partie, de sa pertinence. NATHALIE MAYER et DONATIEN GARNIER
Crédit photo : EADS
À la conquête du pôle Avec l’irruption d’industriels chinois, coréens, indiens et russes dans le duel euro-américain, la compétition pour le leadership aéronautique et spatial ne risque pas de perdre en intensité. Aussi les acteurs historiques, parmi lesquels les Français, cherchent-ils à conserver leur avance dans chaque domaine stratégique. Depuis le pilotage des simulations numériques jusqu’à la mise au point de nouveaux matériaux.
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lors que la troisième génération de matériaux composites est au banc d’essai, les industriels savent qu’il ne sera guère possible d’améliorer leurs rendements sans passer par une rupture technologique majeure : le passage à l’échelle nanométrique, celle du millionième de millimètre. À cette échelle, il est en effet possible de jouer sur la structure de la matière ou d’y introduire des nano-particules susceptibles d’augmenter les performances de ces matériaux de façon significative. Créer des composites aux propriétés inédites, capables de résister à de très hautes températures – permettant ainsi de se passer d’équipements de refroidissement – de s’autoréparer ou de se défendre contre la corrosion, tel est l’objectif du programme Nacomat (Nano Composite Materials), l’un des premiers à avoir été lancé par le pôle
Aerospace Valley, via l’un de ses neuf domaines d’activités stratégiques : « aéromécanique, matériaux, structures ». Etant donné l’enjeu, les principaux intéressés n’avaient pas attendu la création du pôle pour mettre sur pied un ambitieux programme de coopération entre industriels et chercheurs. Mais celui-ci buttait sur son financement. Trop important pour les fonds français alors disponibles et trop faible pour les appels d’offre européens. Le pôle est donc arrivé à point nommé pour permettre à Nacomat de prendre son envol. Avant de passer devant le comité de labellisation, le projet, rédigé par les trente partenaires, a été redimensionné par l’arrivée de nouveaux intervenants. À peine labellisé, Nacomat boucle son budget : dix millions d’euros (hors financement du personnel permanent des laboratoires) dont 2008
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Crédit photo : Turbomeca
3 millions sont apportés par l’Etat et les collectivités territoriales et 7 millions par les industriels. Une répartition qui en dit long sur le rôle moteur joué par les industriels. Jean Roman, chercheur à l’Inria (Institut National de Recherche en Informatique et en Automatique), partie prenante de plusieurs programmes de recherche labellisés par Aerospace Valley, ne cache pas qu’il reste vigilant. « Nous devons nous assurer que les collaborations qu’on nous propose présentent un vrai enjeu de recherche et non une simple mise en œuvre de résultats existants, ce qui est le rôle d’un prestataire de service. Nous n’avons pas de temps pour cela. » Les relations entre entreprises et laboratoires ne partent pas de zéro. Les collaborations, souvent ponctuelles et bilatérales, existent depuis longtemps. Elles avaient même commencé à s’élargir et à s’intensifier avant la création des pôles de compétitivité. D’une part parce que les industriels ont pris conscience que c’est dans les travaux de recherche fondamentale que se trouve la clé des innovations décisives pour leurs secteurs et, d’autre part, parce que la recherche s’est récemment organisée pour mieux collaborer avec les entreprises, notamment avec les Instituts
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Carnot qui œuvrent à la constitution de réseaux. Avec le pôle, le processus se pérennise : des cloisons tombent, des liens se tissent et des projets se montent. Au Laboratoire de Chimie et Polymères Organiques (LCPO), Valérie Heroguez l’a vérifié au profit de son unité de recherche. Avant de rejoindre Nacomat, son équipe, spécialisée dans l’encapsulation de molécules dans des réceptacles de taille nanométrique, était plutôt tournée vers des collaborations dans le domaine médical et n’avait jamais travaillé sur des problématiques aéronautiques. C’est le réseau mis en place par Christophe Magro de l’Institut Carnot MIB(1) - l’un des instigateurs du programme Nacomat - qui l’a identifiée comme pouvant apporter une réponse à un problème jusqu’alors insoluble : la corrosion de réservoirs liée à la présence d’une bactérie. « Cela nous a permis d’avoir de la visibilité dans un secteur où nous n’en avions pas », explique Valérie Heroguez. Mais ce n’est pas le seul avantage. « Ce qui est intéressant dans ce projet, c’est que nous travaillons avec tous les intervenants de la chaîne : les fabricants de matériaux et les constructeurs. Les uns nous donnent toutes les informations dont nous avons
besoin sur leur produit, les autres sur leurs conditions d’utilisation : nous avons une vision d’ensemble qui nous permet d’être plus efficaces. » Sur cette idée, Richard Castanet, directeur de L’Enseirb (École nationale supérieure d'électronique, informatique et radiocommunications de Bordeaux) va plus loin : « Les industriels nous permettent de tester nos modèles en réel, c'est-à-dire avec des quantités de données qui peuvent être jusqu’à un million de fois supérieures à celles dont nous disposons en laboratoire. C’est ce que nous appelons « le passage à l’échelle ». Cela nous permet d’identifier les limites de notre approche et peut déboucher sur de nouveaux développements théoriques. » Vue depuis les laboratoires, la création du pôle Aerospace Valley ressemble à un succès. Beaucoup de relations qui préexistaient ont depuis été approfondies et densifiées. Les laboratoires qui avaient des relations durables avec des entreprises se sont ouverts à d’autres collaborations et ceux qui n’avaient que des relations ponctuelles ont inscrit leurs échanges dans le long terme. Responsable recherche et technologie à SPS (Snecma Propulsion Solide) et animateur du domaine d’activité stratégique « Aéromécanique Matériaux Structures », Fabrice Laturelle confirme : « Cela a créé un climat de confiance entre nous. Entre les deux régions et entre leurs différents acteurs. L’augmentation du nombre de PME – traditionnellement méfiantes à l’égard des grandes entreprises intervenant en tant que porteurs de projets est un signe positif. » Lune de miel ? « Disons que la première étape s’est très bien passée, relativise Fabrice Laturelle, nous devons maintenant penser au deuxième étage de la fusée c'est-àdire renforcer nos moyens et affiner notre stratégie. » La période d’évaluation des pôles décidée par le gouvernement d’ici à 2009 devrait y contribuer. DONATIEN GARNIER
MIB Materials and systems Institute of Bordeaux
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Crédit photo : EADS Astrium / D. Apikia
EADS Astrium est le maître d’oeuvre de la plate-forme et de la charge utile pour le satellite Intelsat-10-02 qui fournit depuis 2004 une large palette de services de télécommunications fixes, transmission de chaînes TV et programmes radio au-dessus de l’Europe, du continent américain et du Moyen Orient.
Qu’est-ce qu’un pôle de compétitivité ? Face à une économie mondiale de plus en plus concurrentielle, la France a choisi, en 2004, de mettre en place une nouvelle politique industrielle, calquée sur celle des clusters étrangers. Objectifs : doper l’innovation, parfaire l’attractivité, donner aux savoirs français une visibilité internationale et freiner les délocalisations. Un pôle de compétitivité
est une association d’entreprises, de centres de recherche et d’organismes de formation engagés dans une stratégie commune de développement, sur un territoire donné. Le label a, à ce jour, été attribué à 71 pôles par le Comité interministériel d’aménagement
et de compétitivité des territoires. Le plus souvent, les pôles de compétitivité sont animés par une association qui élabore la stratégie globale du pôle, encourage la coopération avec les autres clusters et facilite le montage de projets par les différents acteurs du pôle. Car les partenariats autour 2008
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de projets recherche et développement, formation, infrastructures, etc., principaux facteurs de compétitivité et de développement économique des territoires, sont les clés de voûte de la politique des pôles de compétitivité. Nathalie Mayer
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Premier bilan Deux ans et demi après la labellisation d’Aerospace Valley, Pierre-Eric Pommellet, vice-président du pôle et directeur de Thales Avionics militaire, en dresse un bilan très positif.
Crédit photo : Thalès
Etait-il réellement nécessaire de créer des pôles de compétitivité ? Pour rester à la pointe du marché mondial, il est indispensable d’encourager les gens à travailler ensemble. Longtemps, le monde de la recherche et celui de l’industrie se sont cordialement ignorés. Aujourd’hui, l’un ne peut plus survivre sans l’autre. L’industrie n’a plus les moyens de payer sa recherche en amont. Les universitaires ne peuvent plus se contenter de faire de la recherche pour la recherche. Les pôles ont institutionnalisé le rapprochement entre ces deux mondes et chacun a vraiment à y gagner. Comment cette nouvelle proximité est-elle vécue ? La dynamique est exceptionnelle. Dès la création du pôle, tout le monde a voulu en être. Peut-être que l’idée avait déjà mûri dans la plupart des esprits. Les liens entre laboratoires et grands groupes se sont rapidement noués et les organismes de formation se sont penchés avec nous sur les besoins de demain. Et les PME ? Il est plus aisé aux grands groupes de s’adapter à la nouvelle donne. Mais, les PME sont très présentes au sein des structures de gouvernance d’Aerospace Valley. Maintenant, c’est à nous d’éduquer nos bureaux d’étude afin de les amener à travailler régulièrement avec des PME
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innovantes. Déjà 35 % des acteurs engagés dans les projets de coopération du pôle sont des PME. Et la politique des régions est très claire : la priorité va au financement de projets impliquant des PME. Quel bilan peut-on tirer des deux premières années d’activité du pôle ? Aerospace Valley, c’est 250 millions d’euros investis dans des projets de coopération dont plus de 100 millions issus de subventions. C’est supérieur à nos objectifs initiaux. Au départ, nous craignions que la pompe à projets ne se referme rapidement et c’est tout l’inverse qui s’est produit. En 2007, nous avons fait émerger près de 50 nouveaux projets. D’autre part, Aerospace Valley compte aujourd’hui 550 membres soit pratiquement la totalité des acteurs du secteur qui prennent tous très au sérieux leur implication dans le pôle. Le succès est total. Comment le pôle cohabite-t-il avec ses cousins ? Entre Aerospace Valley, ASTech (Ile-de-France) et Pegase (PACA), les deux pôles aéronautique et espace labellisés en juillet 2007, il existe une forte complémentarité. Nous avons signé une convention qui établit les principes de coopération entre nos trois pôles et qui garantit la cohérence de nos programmes tout en préservant notre autonomie. Au niveau européen, les collaborations avec
les pôles allemands, anglais ou espagnols sont valorisées par des subventions et les échanges sont fréquents. Enfin, pour ce qui concerne nos rapports avec le reste du monde, les Etats-Unis, la Chine, l’Inde, la Russie, le Brésil et le Canada, bien que tout à fait cordiaux, ils sont encore un peu plus fragiles. Mais, les choses vont évoluer. Comment voyez-vous l’avenir d’Aerospace Valley ? D’abord, il faut noter que, si tout se passe bien, c’est aussi grâce à l’Etat et aux collectivités qui ont su débloquer d’importants moyens pour soutenir nos projets. Ce qui nous inquiète un peu pour le futur, c’est de voir les pôles se multiplier. Il serait dommageable que leur nombre ne finisse par dépasser les capacités de subvention et que celles-ci se trouvent trop diluées pour être vraiment porteuses. Concernant plus spécifiquement le fonctionnement d’Aerospace Valley, nous souhaitons mieux concilier deux stratégies. Celle dites du « bottom-up » que nous pratiquons depuis le début et qui consiste à mener des recherches en amont puis à leur trouver des applications et celle du « top-down » encore trop marginale et qui à l’inverse est initiée par une application appelant à l’innovation. Propos recueillis par NATHALIE MAYER
Crédit photo : Paringaux
Y-a-t-il un pilote dans l’avion ? Cockpit du Rafale
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Créé il y a trois ans, l’Institut de cognitique (IdC) de l’Université Bordeaux 2 forme des ingénieurs très prisés par le secteur de l’aéronautique et de l’espace. Il accueille également le laboratoire « cognition et facteurs humains » impliqué dans divers projets de coopération d’Aerospace valley.
a cognitique est un concept né au début des années 1980 de la prolifération des interactions entre l’homme et la machine. « Pour optimiser le travail accompli, il est bon de comprendre le fonctionnement des hommes tout autant que celui des outils qu’ils utilisent », raconte Bernard N’Kaoua, directeur du laboratoire « cognition et facteurs humains ». La cognitique est ainsi la science qui étudie les rapports entre les hommes et leurs machines. Objectif : concevoir des interfaces adaptées au mieux à leurs utilisateurs. C’est ce que les spécialistes du secteur de l’aéronautique et de l’espace désignent sous le terme de « prise en compte du facteur humain ». Une question qui les intéresse depuis bien longtemps déjà. On comprend mieux dès lors le rapprochement tout naturel entre l’Institut de cognitique et Aerospace Valley. « La philosophie des pôles de compétitivité, c’est de resserrer les liens entre laboratoires de recherche, industries et organismes
de formation. » Et cette philosophie, l’Institut de cognitique l’a bien comprise. La formation d’ingénieurs en cognitique, la seule du genre en France, dispensée par l’Institut a été élaborée avec le concours de grands donneurs d’ordres du domaine de l’aéronautique et de l’espace et de PME locales(1). « Forts de leur double compétence, en sciences de l’ingénieur et en sciences de l’homme, nos ingénieurs pourront bientôt assister les industriels qui peinent à prendre en compte le facteur humain dans la conception de leurs produits », précise le directeur de l’IdC. Second aspect de la participation de l’Institut de cognitique à Aerospace Valley : sa contribution à plusieurs projets de coopération. « La recherche est en profonde mutation et les pôles de compétitivité en sont un peu le symbole. Aujourd’hui, il est devenu indispensable de faire de la recherche appliquée », analyse Bernard N’Kaoua. Depuis plusieurs mois, le laboratoire « cognition et facteurs humains »
travaille donc en étroite collaboration avec l’industrie, Thalès et Airbus par exemple. Il étudie la fiabilité humaine dans les cockpits d’avions afin de définir l’interface la plus pertinente possible, celle qui d i m i n u e r a le nombre de dysfonctionnements. Après avoir été recueillis auprès de pilotes, des scénarios d’incidents sont simulés en réalité virtuelle dans le but d’identifier l’origine des erreurs. Ne reste ensuite plus aux ingénieurs cogniticiens qu’à proposer un réaménagement du cockpit qui permettra d’éviter au maximum les méprises. Un indicateur déplacé ou une alerte visuelle qui devient sonore peuvent suffire. « Mais parfois, les solutions suggérées sont plus compliquées. Et, pour l’heure, celles-ci restent encore confinées dans le secret des laboratoires », explique le directeur de l’IdC. NATHALIE MAYER
(1) Airbus, Dassault, EADS, Thalès, Bertin Technologies, i2S et ALTEP
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Crédit photo : Equivox/Snecma
Page 94 : Vol réussi pour Ariane 5 ECA : le 12 février 2005, le 164e vol d’une Ariane du centre spatial européen de Kourou (Guyane Française). Ci-dessus : Tuyère du moteur à propergol solide d'Ariane 5
Au cœur du moteur S
ur un site de plus de cent hectares à proximité de l’aéroport de Mérignac, les ingénieurs de Snecma Propulsion Solide conçoivent et produisent des moteurs à propergol solide notamment pour la force de dissuasion et Ariane 5. Comme dans les autres moteurs chimiques, les réactions provoquent l’éjection de gaz fournissant la poussée nécessaire au décollage et à la propulsion d’une fusée. Mais aujourd’hui, la poudre d’antan est remplacée par une pâte de propergol, stockée dans le propulseur sous forme de blocs solides. Autre spécialité de SPS : les matériaux composites utilisés dans les secteurs de la défense, de l’espace, de l’aéronautique et de l’industrie. « L’innovation est à la base du développement de Snecma Propulsion Solide. Un dispositif tel que celui du pôle de compétitivité
Installée au Haillan, leader européen dans son domaine, la société Snecma Propulsion Solide (SPS) fait figure de grand nom de l’industrie aérospatiale. L’industriel est naturellement devenu l’un des acteurs majeurs d’Aerospace Valley.
est en parfaite adéquation avec notre stratégie », explique Fabrice Laturelle, responsable des programmes de recherche et technologies. D’autant que, même si la participation à Aerospace Valley demande de l’investissement humain, les avantages tirés par SPS sont nombreux. D’un point de vue financier tout d’abord. « Nous n’aurions pas les moyens d’autofinancer tous les projets qui constituent notre plan de recherche et technologies, ni de compter uniquement sur nos clients traditionnels. Grâce au pôle et aux nouveaux dispositifs de financement, beaucoup de choses deviennent possible », reconnaît Fabrice Laturelle. Mais l’argent ne fait pas tout. « Seuls, nous serions proches d’atteindre nos limites. La coopération avec des partenaires et l e partage des idées sont
indéniablement les bases de nos succès futurs. » Des bases déjà bien établies avec le milieu de la recherche qui, en parallèle de la naissance des pôles, a su se rendre plus abordable. Plus besoin aujourd’hui d’éplucher l’annuaire, des structures sont créés pour guider efficacement les industriels vers les laboratoires adéquats. Côté PME, le pari semble plus loin d’être gagné. « Les PME sont parfois un peu méfiantes. Elles ont peur de perdre le bénéfice de leurs idées. A nous d’instaurer une véritable relation de confiance afin de rassurer les entreprises innovantes. » Car l’enjeu est de taille. « Ce sont elles qui vont créer de l’emploi et de ce point de vue, SPS a une responsabilité socio-économique à assumer », explique Fabrice Laturelle. NATHALIE MAYER 2008
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Airbus S.A.S 6006, HCSGM Computer Graphic Passion Graphic
Structures de proximité
Cockpit de l’A350 (photo simulation)
Les « projets structurants » doivent favoriser les échanges et l’émergence de projets de coopération en regroupant en un même lieu des acteurs de la recherche et de l’innovation, des organismes de formation et des industriels.
Technocité au Pays Basque L ’histoire de Technocité, c’est avant tout l’histoire d’une reconversion. « En 2002, lorsque Ruwel a mis la clé sous la porte, nous sommes restés avec un désastre industriel sur les bras. Un désastre industriel qui touchait près de 340 personnes », explique Alain Estrade, directeur du développement économique de la Communauté d’agglomération de Bayonne Anglet Biarritz (CABAB). « Il aurait été regrettable de laisser à l’abandon ou de donner une destination commerciale à un terrain aussi remarquable, situé à deux pas de l’autoroute et de l’aéroport. » C’est ainsi que Didier Borotra, président de la CABAB, avec les industriels locaux, a décidé de lancer la reconversion industrielle du site sur le secteur de la métallurgie et plus précisément de l’aéronautique. Un projet qui s’est inscrit ensuite comme l’un des douze premiers projets structurants
d’Aerospace Valley. Les travaux d’aménagement du site ont débuté en novembre 2007 sur près de 6 hectares constructibles disponibles. Déjà de premiers industriels ont arrêté leur choix sur Technocité. Le groupe Lauak par exemple, spécialiste de la tôlerie aéronautique, dont le siège se trouve à Ayherre dans le Pays Basque, ouvrira sur le site, d’ici l’été 2008, une unité d’assemblage et un atelier de tôlerie dotés d’équipements très spécifiques qui accueilleront près de 150 salariés. Objectif : devenir l’un des leaders européens de la soustraitance aéronautique. Pour cela, les responsables du groupe misent également sur le « lean manufacturing ». Cette méthode de gestion de la production consiste à faire la chasse aux pertes d’efficacité qui jalonnent la chaîne de production, de la réception des matériaux à l’expédition du produit fini.
Réalisant près d’un quart de son chiffre d’affaires avec Dassault, Lauak a remporté un contrat de deux millions d’euros par an avec Airbus concernant des sous-ensembles qui seront fabriqués sur Technocité. La PME 2MoRo, spécialiste des systèmes d’information, s’implantera aussi prochainement sur le site de Bayonne. Elle sera l’un des acteurs majeurs du projet de coopération Smmart-Isis. Porté par Turbomeca, ce projet est destiné à repenser la maintenance des aéronefs, un secteur tout particulièrement touché par la concurrence internationale. L’idée : optimiser l’utilisation des nouvelles technologies de l’information afin de suivre, automatiquement et à distance, les conditions d’usage des éléments de moteurs. De quoi apporter une forte valeur ajoutée aux services de maintenance français.
e futur parc d’au moins 50 hectares est à cheval sur les communes de Mérignac, Le Haillan et Saint-Médard-en-Jalles. Il est localisé à proximité de cinq groupes : Dassault, TAT Sogerma, Thalès, Snecma et SNPE, et de l’Institut de maintenance aéronautique. L’objectif que s’est fixé l’Aéroparc est de générer
2000 à 4000 emplois sur 10 ans. Une association, Bordeaux Aéroparc, a été créée pour mettre en place et animer le nouveau parc d’activité. Le conseil régional d'Aquitaine, la communauté urbaine de Bordeaux, la préfecture et les villes de Mérignac, du Haillan et de Saint-Médard-en-Jalles, se sont joints, dans cette association,
aux organismes de recherche, d’enseignement supérieur, aux industriels et structures socioéconomiques concernés. Les partenaires comptent aussi la ville de Saint-Laurent (Canada) qui a servi de « référence » avec son Technoparc, ses équipements de qualité et ses 5 000 emplois créés en 4 ans.
Aéroparc en Gironde L
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ans le catalogue baroque des acronymes baptisant les projets de recherche, PLUS – c'est-à-dire Positionnement Laser Uni Source – n’a pas volé son nom. Ce projet a pour objet l’étude et la réalisation d’un système de positionnement de haute précision destiné à suivre les mouvements d’un viseur placé sur le casque d’un pilote d’avion de chasse afin de les comparer aux informations liées aux modifications de son environnement comme l’apparition
de menaces, la transformation du paysage ou la prise en compte de cibles. La conception d’un tel outil, qui permettrait de renforcer la sécurité du pilote, est portée par la division Aerospace du groupe Thalès basée au Haillan. Elle est appuyée par les sociétés I2S et Novalase qui apportent leur expertise dans les domaines de l’imagerie et de l’optique. Côté scientifique, le laboratoire de L’Intégration du Matériau au Système (IMS) a mobilisé ses équipes de
HISTOIRES VECUES
Deux labels pour le prix d’un
recherche sur les thèmes du traitement du signal, de la conception de systèmes et de matériaux pour la microélectronique. La diversité des compétences mise en œuvre lui a permis d’obtenir une double labellisation : celle du pôle Aerospace Valley et celle du pôle de compétitivité aquitain « la route des lasers ». Un petit plus qui, s’il n’a pas valu de publicité à ce projet très confidentiel, révèle au moins son envergure. DONATIEN GARNIER
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Crédit photo : EADS
Du liège dans l’espace Ariane 5
l y a quatre ans déjà, Agnès de Montbrun rachetait une entreprise de production de lièges située à Lavardac (Lot-et-Garonne) afin d’éviter sa délocalisation. « La seule planche de salut d’une PME française, c’est la valeur ajoutée. » Aujourd’hui, elle mise notamment sur sa participation à l’aventure Aerospace Valley pour pérenniser les 32 emplois et diversifier l’activité des Lièges HPK. Car le liège, du fait de ses performances en matière de
protection thermique, acoustique et vibratoire, est susceptible de trouver des applications intéressantes dans les domaines de l’aéronautique et de l’espace. « Nous travaillions déjà en collaboration avec Astrium (spécialiste européen des satellites) », explique la présidente de la société. Une collaboration qui a conduit à la mise au point d’un matériau résistant à des températures extrêmes, au-delà de 1 500 °C. « Lorsque le pôle a vu le jour, nous n’avons pas hésité à y adhérer », poursuit la propriétaire de l’entreprise. Même si, deux ans après, quelques imperfections ont été révélées comme les lourdeurs administratives ou le clivage persistant entre PME et grands donneurs d’ordres, elle confirme son choix. « Aerospace Valley est pour nous l’occasion rêvée d’échanger tant avec des responsables
de grandes entreprises qu’avec des représentants d’institutions, tout en intensifiant nos relations avec les autres PME adhérentes. » Depuis juillet 2007, HPK est donc engagée dans un projet baptisé Aeroconf pour finaliser un système capable d’amortir les phénomènes de vibrations dans les fuselages d’avion. « Les vibrations subies par les fuselages sont sources d’inconfort, car elles transmettent le bruit vers l’intérieur de la cabine. Elles sont aussi sources de fatigue pour la structure. Grâce à des collaborations européennes, nous avons déjà démontré la faisabilité d’un tel produit. Nous allons nous appuyer sur Aerospace Valley pour mener le produit jusqu’à la qualification et à l’industrialisation », explique Madame de Montbrun. NATHALIE MAYER
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des perspectives allechantes irecteur de recherche à l’Inria Futurs(1), Olivier Coulaud est très attaché à la région Aquitaine où il a passé sa thèse en mathématiques appliquées. L’ouverture de l’antenne Inria à Bordeaux a été l’occasion d’y revenir après 12 ans passés à Nancy. À priori, la naissance d’Aerospace Valley est une aubaine pour lui car elle porte en germe des projets taillés pour l’Inria. Notamment sur des aspects qui l’intéressent au premier plan : le calcul à haute performance et le pilotage des simulations informatiques. La collaboration devait s’amorcer avec Macao(2), un projet labellisé par le pôle. Dans le volet qui concernait Olivier Coulaud, il s’agissait d’aider le fabriquant de trains d’atterrissage Messier-Dowty à limiter le nombre de ses longs et coûteux essais en les remplaçant par des simulations. À l’origine, ce volet comprenait à la fois le calcul et le pilotage, deux
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sujets qui passionnent le chercheur. Mais la partie calcul a finalement été attribuée à un autre partenaire. Restait à se concentrer sur la simulation. Problème : l’attente de Messier-Dowty dans ce domaine est insuffisante pour constituer une problématique de recherche : il ne s’agirait que d’appliquer des solutions existantes. Ce qui, selon l’Inria, est du ressort d’un prestataire de services. Faut-il abandonner pour autant ? Olivier Coulaud ne le pense pas : « ce pourrait être un point d’entrée pour nous dans l’aéronautique où les perspectives de recherche dans notre domaine sont très importantes. » Habitué à travailler sur de grosses problématiques industrielles, notamment avec le CEA, le chercheur attend ainsi avec gourmandise le moment - proche - où tous les acteurs de la construction aéronautique chercheront à faire fonctionner ensemble leurs systèmes de simulations – a priori peu
Crédit photo : Airbus
HISTOIRES VECUES
Inria
L’unité d’assemblage de l’A380 à Toulouse
compatibles les uns avec les autres – pour modéliser l’ensemble d’un avion. Il n’est donc pas question de laisser passer l’occasion offerte par MessierDowty: « Nous voulons travailler ensemble. Nous sommes donc à l’affût d’un élément qui pourrait faire jaillir une thématique de recherche suffisante pour justifier notre intervention. » DONATIEN GARNIER
Inria : L'Inria, institut national de recherche en informatique et en automatique mène des recherches fondamentales et appliquées dans les domaines des sciences et technologies de l'information et de la communication (STIC). Inria Futurs : Le centre de recherche Futurs regroupe les équipes-projets de recherche situés dans le sud-ouest et dans le nord de la France qui seront amenées à être rattachées aux futurs centres de recherche installés à Bordeaux, Lille et Saclay. (1)
(2) Modélisation Avancée des Composants Aéronautiques et développement des Outils associés
20 % des diplômés de l’Ecole nationale supérieure d’arts et métiers travaillent dans le secteur de l’aéronautique et de l’espace. Un chiffre qui dès 2002 a encouragé le centre Ensam de Bordeaux-Talence à proposer une troisième année Ingénierie en aéronautique et espace. atthieu Garcia a intégré la formation à la rentrée 2007. « Déjà au lycée, j’étais attiré par ce secteur. Lorsque j’ai eu l’opportunité de rejoindre l’Aerospace Valley, je n’ai pas hésité un instant », raconte l’ingénieur en herbe. Bientôt, il travaillera peut-être sur le projet Perseus. Initié par le Centre national d’études spatiales, il vise à confier à des étudiants encadrés par des professionnels, la conception et le développement d’un système de lancement pour de petits satellites. « Une occasion unique de toucher du doigt de vrais enjeux », souligne Matthieu, des étoiles dans les yeux. Dès leur 2e année, les étudiants du centre Ensam de Bordeaux se voient offrir l’opportunité de découvrir le secteur de l’aéronautique et de l’espace. Ainsi, Jean Pechambert espère bien pouvoir suivre les traces de son aîné. « Mon rêve de travailler dans ce domaine pourrait bientôt devenir réalité. C’est à la fois très enthou-
Crédit photo : Ensam
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siasmant et un peu angoissant », confie-t-il. Alors, en attendant de faire ses premiers pas dans la cour des grands, il travaille, avec deux de ses camarades et sous la houlette de professionnels, sur un projet de conception et de réalisation d’une mini-fusée expérimentale. Pour Anthony Béjuy, l’enjeu est différent mais, la passion reste la même. « Travailler dans ce secteur, c’est souvent un véritable choix du cœur », confirme-t-il. Après une expérience de sept années dans un bureau d’études en région parisienne, il a choisi de suivre le Mastère
spécialisé Ingénierie aéronautique et spatiale proposé par l’Ensam et plusieurs grandes écoles bordelaises depuis 2006. « J’avais envie de me réorienter vers des tâches plus pratiques comme on en trouve dans le domaine des essais. L’enseignement dispensé à Bordeaux correspond à ce que je recherchais. Les partenariats avec les acteurs du pôle Aerospace Valley m’offrent de belles perspectives d’avenir. » NATHALIE MAYER
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Sur la rampe de lancement
•••Chronique•Chronique••• L
L’énergie solaire modernisée par Exosun
es chercheurs de l’équipe d’Ecologie fonctionnelle et physique de l’environnement (Ephyse - INRA Bordeaux Aquitaine) ont montré l’influence qualitative et quantitative du vent et de la pente du terrain sur le développement des racines. Ces données non seulement permettent d’améliorer nos connaissances fondamentales sur les arbres, mais débouchent également sur des préconisations précieuses pour la sylviculture. Dans le vent, on trouvera chez le Pin maritime de nombreuses racines très ramifiées et très longues. « Comme pour consolider une tente on plante de nombreux piquets du côté du vent », explique Frédéric Danjon du laboratoire Ephyse. Sous le vent, de l’autre côté de l’arbre, les racines sont moins nombreuses et moins ramifiées mais elles sont plus épaisses et plus solides. Sur des petits semis en serre, quelques minutes de perturbations mécaniques par jour (pour imiter le vent, un bâton est passé doucement sur le haut des plantes) pendant quelques mois, entraînent de grosses différences sur les racines par rapport aux plantes non perturbées : la grosse racine centrale (pivot) est plus trapue quand les plantes ont été perturbées. La pente du sol a aussi son influence. Pour des plantes non perturbées, les racines se développent surtout à l’horizontale (peu vers le haut et le bas de la pente). Si les plantes subissent des perturbations mécaniques, elles « s’accrochent » en développant des racines vers le haut de la pente. http://www.inra.fr/ephyse
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auréate du concours national d’aide à la création d’entreprises innovantes 2007, la toute nouvelle société Exosun développe des dispositifs de suivi et de concentration solaire. Afin d’augmenter le rendement des panneaux solaires photovoltaïques, l’équipe d’Exosun (10 personnes) crée des systèmes à deux axes qui orientent tout au long de la journée et des saisons les panneaux suivant l’angle le plus rentable. Associées à des nouvelles techniques qui concentrent la lumière, ces méthodes vont jusqu’à doubler le rendement initial. La société girondine implantée à Martillac destine ses créations
aux industriels et aux centrales solaires. Le bureau d’études travaille sur le design et sur de nouveaux prototypes. L’un d’entre eux utilise une technique qui permettrait de fournir à la fois de l’eau chaude et de l’électricité à partir d’une même source solaire. Un autre constitue un moteur à air chaud, fonctionnant à l’énergie solaire. Le prix du concours a contribué au financement du projet initial et à l’embauche de deux salariés supplémentaires. http://www.technopole-bordeauxmontesquieu.com
Accros au sucre
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Crédit photo : INB
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Crédit photo : INRA
Des arbres dans le vent…
e sucre aurait un potentiel addictif plus élevé que la cocaïne. C’est l’une des hypothèses émises à la suite d’une série d’expériences réalisées sous la direction de Serge Ahmed (Institut des neurosciences, Bordeaux 2). Lors de ces expériences, sur 100 rats, 94 préféraient le goût sucré aux sensations artificielles de la cocaïne. « Notre travail devrait permettre de mieux comprendre pourquoi face à l’abondance de produits riches en sucre (et en graisse, car les deux sont souvent associés), il est très difficile pour bon nombre d’entre nous de ne pas succomber à la surconsommation, malgré les conséquences négatives associées », explique Serge Ahmed. Pour se rapprocher de la situation des consommateurs humains de drogue, la dimension du choix a été introduite dans les expériences sur l’addiction. « Nous avons choisi le sucre comme alternative à la drogue car c’est une récompense facilement contrôlable et commune aux hommes et à la plupart des mammifères ». Ces résultats pourraient également indiquer que l’homme serait plus vulnérable face aux drogues et à l’addiction que les rats. Une vulnérabilité qui serait liée à l’évolution d’un cortex préfrontal sophistiqué. « Sans lui et sans les fonctions qu’il incarne, il est peut-être absurde et déplacé d’employer le concept d’addiction. Si cette hypothèse se confirmait, elle devrait avoir de lourdes conséquences sur la recherche fondamentale dans le domaine », prédit Serge Ahmed. http://www.inb.u-bordeaux2.fr 2008
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u menu du jour, une entrée à base de fromage de chêvre et de mousse de tomate-basilic, ainsi que d'étranges perles de fruits. Ce sont les plats qui ont permis aux étudiants de l'Istab (Institut des Sciences et Techniques des Aliments de Bordeaux 1) de remporter en 2007 les deux premiers prix du concours national Trophélia à Avignon. Leurs deux chef-d'œuvres, Cabrissimo et Perléa, ont été appréciés non seulement pour leur aspect novateur, mais également pour leurs qualités gustatives et nutritionnelles. Les créations devaient évidemment être conformes à la réglementation et pouvoir être produites industriellement. Les étudiants ont été épaulés par des spécialistes, dont le chef-cuisinier Thierry Marx, par des
Crédit photo : Istab
Les étudiants de l’ISTAB primés
entreprises du secteur et par le lycée Magendie qui a participé à l'élaboration de l'emballage. Ces deux premiers prix sont une belle récompense pour ces étudiants qui consacrent de nombreux mois d'études à la création, au marketing, à la production, à la gestion du budget et à l'emballage de nouveaux produits
alimentaires. Outre les 8 000 et 4 000 euros remportés par les gagnants, une société agroalimentaire va permettre au projet Cabrissimo de se concrétiser par la vente du produit. http://www.istab.u-bordeaux1.fr
Des souris dans l’espace L
Toit végétal
Crédit photo : agence Hémisphère Sud
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omprendre l’influence de la gravité sur le fonctionnement vasculaire des mammifères : tel est, depuis dix ans, le domaine de recherche du physiologiste Jean-Luc Morel, chercheur au Centre de Neurologie Intégrative et Cognitive (Université Bordeaux 1). Pour étudier ces phénomènes, douze souris ont été envoyées en 2007 à bord de la navette américaine Endeavour lors de la mission « STS 118 ». De retour sur Terre, les veines portes de ces rongeurs ont été prélevées et envoyées au physiologiste bordelais, qui les étudie pendant plusieurs mois. En 2006, il avait envoyé dans l’espace des cellules vasculaires de rats mises en culture. « Nous les avons apportées jusqu’au centre spatial de Baïkonour d’où elles sont parties pour huit jours à bord d’une navette Soyouz », explique Jean-Luc Morel. Une expérience qui a demandé plus d’un an de préparation mais qui a permis de valider les théories élaborées au sein de son laboratoire. Parallèlement. « Le domaine sur lequel nous travaillons est important au niveau vasculaire, mais il peut avoir aussi d’autres applications », souligne le scientifique. http://www.cnic.u-bordeaux1.fr/
e toit végétal, qui existe depuis la préhistoire, revient au goût du jour en raison de ces avantages esthétiques, environnementaux et isolants. Vertige, une nouvelle entreprise implantée à Villenave d’Ornon en Gironde, conçoit des rouleaux de prêt-à-poser de végétaux. En hiver, l’éloignement du point de gelée permet de limiter la déperdition de chaleur. En été, les plantes, comme tous les êtres vivants, transpirent et perdent de l’eau. Cette dépense d’énergie refroidit le système. C’est le principe de l’évapotranspiration, grâce auquel la température est régulée en toutes saisons. Contrairement à ses concurrents qui se basent sur la rétention de l’eau de pluie par les plantes, l’entreprise Vertige utilise un système d’auto-irrigation. Ainsi, le toit végétal peut être posé même dans des milieux très secs. Le prêt-à-poser est constitué de trois tapis, que l’on déroule sur n’importe quelle toiture de pente inférieure à 30 °. Le premier est une couche de drainage ; le second constitue le substrat végétal et contient le réseau d’irrigation ; les plantes grasses non envahissantes, appelées Sédum, forment le troisième tapis. Le tout fait 8 cm d’épaisseur et pèse environ 25 kg par mètre carré, à saturation d’eau. Une sonde hygrométrique permet de réguler l’arrosage. Ce système consomme 4 m3 d’eau par an, pour 100 m2 de toit végétal. L’entreprise, créée en mai 2007, a déjà installé 500 m2 de toits végétaux et s’apprête à dérouler ses produits sur des toits étrangers. http://www.vert-tige.eu
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Les jussies : des plantes aquatiques difficiles à réguler Crédit photo : Alain Dutartre / Cemagref
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es jussies font partie des plantes aquatiques les plus envahissantes en France. Le Cemagref de Bordeaux, qui a coordonné un programme de recherche pluridisciplinaire sur les deux espèces présentes en France, tente de comprendre les mécanismes de cette invasion. Accidentellement importées d’Amérique du Sud, les jussies sont connues pour leur rapidité de croissance, leur facilité de reproduction et leur grande capacité de colonisation de nouveaux milieux. Un partenariat technique et scientifique est engagé depuis 1994 avec l'Institution Interdépartementale du Bassin de la Sèvre Niortaise dans le Marais Poitevin, pour permettre à la structure gestionnaire de mettre en place des interventions régulières à grande échelle. « Nous avons commencé par enlever quelques tonnes et nous sommes allés jusqu’à 1 000 tonnes, maintenant nous n’arrachons plus qu’une centaine de tonnes par an », explique Nicolas Pipet, chef de projet dans le Marais Poitevin. Cela prouve l’efficacité de cette démarche. Cet exemple n'est cependant pas directement généralisable à d'autres types de milieux aquatiques. D'autres solutions intégrant le type de milieux, les usages qui y sont développés, les enjeux patrimoniaux
des sites à gérer, doivent être élaborées. La recherche menée sur les jussies comporte également des travaux sur la biologie et l’écologie des deux espèces, par exemple sur la germination des graines et le développement de plantules dans les milieux aquatiques. Les scientifiques se penchent aussi sur la gestion, en particulier sur les interventions techniques de régulation et leurs conséquences économiques. De plus, une analyse ethnologique sur certains des sites de l'ouest de la France a été menée, notamment sur les lacs et les étangs landais, où ces plantes font l'objet d'interventions régulières (arrachage mécaniques). Ces recherches ont été financées par le ministère de l’Ecologie et du Développement Durable dans le cadre du programme INVABIO (pour INVAsions BIOlogiques).
Un appel aux internautes Avec l'aide de l'Agence de l'Eau AdourGaronne, des chercheurs du CNRS et du Cemagref ont mis en ligne des informations sur plus de 60 espèces végétales et animales introduites dans la région et ont lancé une enquête auprès de toutes les institutions, collectivités, associations concernées par ces invasions biologiques pour obtenir des informations sur leur localisation et leur dynamique. Ces informations participeront à l'élaboration de modèles expliquant les invasions et pouvant faciliter l'amélioration des pratiques de gestion de certaines de ces espèces. Pour participer, connectez-vous au site d’EcoLab, laboratoire d’écologie fonctionnelle : http://www.ecolab.upstlse.fr/spip.php?rubrique59
À Bordeaux, une maison gallo-romaine digne de Pompéi !
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Crédit photo : Patrice Cambra, SRA, DRAC Aquitaine
e 8 novembre 2007, rue du Hâ à Bordeaux, les archéologues ont fait une découverte majeure. A l’occasion d’un programme de fouilles préventives sur un chantier de construction immobilière, les restes d’une habitation romaine datée du premier siècle après Jésus-Christ ont été mis au jour. Cette maison patricienne est intéressante à plus d’un titre. En effet, on a retrouvé dans une pièce de 15m2 une mosaïque en très bon état de conservation mais aussi des éléments muraux qui vont permettre de reconstituer le décor dans lequel vivaient ces gallo-romains de Burdigala. La mosaïque, noire et blanche, présente des entrelacs géométriques tandis que les peintures murales varient du sol
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au plafond. Sur la partie basse figurent des vases à boire à deux anses sur fond noir. Au dessus, guirlandes et candélabres se détachent sur fond rouge. Enfin, en haut des murs, oiseaux et feuillages précèdent les moulures du plafond. Les archéologues ont recueilli le matériel d’étude avant que le chantier de construction ne reprenne ses droits. Après une phase d’analyse et d’étude, ils pourront envisager une reconstitution… et on se prend à rêver d’une visite guidée de cette maison romaine au Musée d’Aquitaine ! http://www.inrap.fr
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Drôle de drone
A la conquête de l’ouest américain…
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’entreprise bordelaise Asobo a été choisie pour développer le jeu interactif Ratatouille, inspiré du film d’animation éponyme de Disney sur les consoles Sony PS2, Nintendo Wii, Game Cube, PC/Mac et la console Microsoft XBOX. Créée en 2002, l’entreprise bordelaise avait déjà sorti une demi douzaine de jeux, destinés pour la plupart aux enfants. Elle regroupe d’anciens salariés de feu la société Kalisto. Ce contrat californien l’a propulsée vers le haut. Les conditions financières lui ont permis de renforcer
ses effectifs et d’investir dans la recherche et développement pour satisfaire la grande exigence du client quant à la qualité graphique, aux délais et au fonctionnement du jeu. L’équipe est passée d’une trentaine à une cinquantaine de salariés, et ce n’est sans doute pas fini… Car après avoir doublé la superficie de ses bureaux qui dépasse aujourd’hui les 600m2, Asobo envisage d’embaucher une vingtaine de personnes supplémentaires (ingénieurs, infographistes etc.) pour faire face en 2008 à deux nouveaux contrats confidentiels, comme l’était celui de Ratatouille. http://www.asobostudio.com
CHU de Bordeaux : un robot en cardiologie
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mphibie et volant, Aelius est un engin sans pilote, né de l’imagination et du travail de jeunes entrepreneurs aquitains. Equipé d’une caméra, d’un sonar et d’un système de communication radio et satellite, ce drone d’observation pourrait servir dans des domaines variés comme la sécurité côtière ou l’océanographie. La particularité de cet appareil est de pouvoir voler, se déplacer à la surface de l’eau et s’immerger jusqu’à 300 mètres de profondeur. Les premiers tests ont été réalisés sur la base du centre d’essais en vol de Cazaux, ce qui a permis à ses concepteurs de présenter une vidéo au salon du Bourget. Aeroart, la toute jeune société qui a développé Aelius, installée à Mérignac, a bénéficié du soutien de la pépinière de Bordeaux Technowest et de financements privés pour démarrer. Si les fondateurs d’Aeroart sont à la recherche de capitaux pour se développer, ils ont déjà signé un accord de partenariat industriel et commercial prometteur avec un groupe américain, Mercury Computer Systems, qui possède une filiale spécialisée dans les drones. http://www.aeroart.eu
Crédit photo : Aeroart
l y a 10 ans, l'équipe du Pr Michel Haïssaguerre et Pr Pierre Jaïs, au centre de cardiologie du CHU de Bordeaux, découvrait que les troubles du rythme cardiaque, et notamment la fibrillation auriculaire, trouvaient leur origine dans un endroit très localisé : les veines pulmonaires. Elles pouvaient contenir des cellules électriques excitables générant des battements cardiaques anormaux. Une révolution pour cette maladie. Considérée jusqu'alors comme incurable car censée naître de multiples sites, il était maintenant possible de détruire les cellules perturbatrices dans un site spécifique. La technique : introduire un cathéter, une sorte de bistouri, pour venir brûler les cellules électriques avec des ondes de radiofréquence (comme celles du micro-ondes). Aujourd'hui, le CHU de Bordeaux fait à nouveau figure de pionnier en s'équipant du système robotique américain Niobe ®, qui vient remplacer la main du chirurgien dans l'opération. Basé sur un pilotage par de puissants aimants, cet équipement permet de téléguide rà distance les cathéters d'ablation, d'accéder plus rapidement aux zones à neutraliser et d'accroître la précision de l'intervention. Partenaire de cette innovation, le CHU de Bordeaux consacrera 5 ans à optimiser le système, en vue notamment d'améliorer les techniques de cartographie des sites anormaux. http://www.stereotaxis.com/Products-Technology/Magnetic-Navigation/ 2008
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REFERENCES
Au cours de l’année, nous avons été sensibles à quelques publications : elles transmettent une recherche menée en Aquitaine, elles portent un regard sur l’Aquitaine ou tout simplement leurs éditeurs ou leurs auteurs sont aquitains. Cette sélection à été faite en partenariat avec l’ARPEL (Agence Régionale Pour l’Ecrit et le Livre en Aquitaine)
A CONSULTER
LIVRES
LIVRES
A CONSULTER
Carnet d'un voyage spatial, récit de mission dans les étoiles Patrick Baudry, Elytis, 2007
Un récit et deux histoires croisées. Celle de la conquête spatiale et celle de Patrick Baudry, spationaute français. En 1957 d'abord, quand Patrick Baudry âgé de 11 ans, passionné de Tintin et des romans de Jules Verne, assiste émerveillé au lancement de Spoutnik. En 1969, quand il est un tout jeune pilote de 23 ans et que Neil Armstrong fait les premiers pas sur la Lune. Et deux histoires qui ne font qu'une, lorsqu’en 1985 Patrick Baudry embarque pour un voyage de 7 jours à bord de la navette spatiale Discovery. Et c'est bien sous la forme d'un carnet de voyage que Patrick Baudry nous livre son aventure : ses années de préparation à la Cité des étoiles à Moscou, puis au centre d'entraînement de Houston au Texas, les 9 minutes les plus intenses de sa vie au moment du décollage, les petits tracas du quotidien dans l'Espace et l'émerveillement devant la "beauté presque irréelle de la Terre". Le récit de Patrick Baudry est ponctué de hors-textes, revenant sur les explorateurs du Vieux Monde, les pionniers de l'astronautique ou les grandes dates de la conquête spatiale. L'ensemble offrant un véritable documentaire, complet et très illustré. Une Odyssée qui se lit d'un seul coup, et dont on aimerait bien connaître la suite…dès maintenant. Patrick Baudry est né en 1946 à Douala (Cameroun). Il passe deux ans à la Cité des Etoiles près de Moscou avant d'être sélectionné en 1984 pour une mission spatiale avec la NASA. Il totalise plus de 13 000 heures de vol sur plus de 350 types d'appareils différents Marianne Pouget
Le livre de la lamproie Jean-Etienne Surlève-Bazeille, Editions confluences, 2007
« Une bête impressionnante, voire inquiétante », comme la qualifie Jean-Marie Amat, la lamproie est un véritable fossile vivant apparu il y a 500 millions d’années. Vampire s’accrochant sur ses proies et les dévorant, un cerveau pas plus gros qu’une noisette mais une tête redoutable et des dents acérées capables de déchirer ses proies, ce poisson ne laisse pas indifférent. Jean-Etienne Surlève-Bazeille nous ouvre ici le journal de son long compagnonnage avec ce poisson mythique. Une belle leçon de choses, récit à plusieurs voix : une anthologie littéraire avec Lise Chapuis, des photographies de Jérôme Buchholtz, Jean-Luc Chapin et Alain Bèguerie, et même un DVD présentant un film
de Dominique Garing, « Dans le sillage de la lamproie ». On y découvre que la lamproie, très prisée chez nous qui redoutons sa disparition, est un véritable ennemi pour les pêcheurs des grands lacs américains qui mobilisent des scientifiques pour lutter contre sa prolifération. On y apprend que des chercheurs en bio-robotique s’intéressent au mode de locomotion de cet animal serpentiforme ou que des pharmacologues étudient la nature des enzymes anticoagulants qui lui permettent de sucer le sang de ses victimes. On découvre sa longue vie cachée dans les gravières -une période larvaire qui peut durer 5 ans- ; on suit son périple de 2 à 3 ans dans les océans et on assiste à son retour dans les frayères après une épuisante remontée jusqu’à 250 km dans les terres. On part à la rencontre des pêcheurs et de leurs techniques ancestrales, on est témoin des « noces barbares » de la recette bordelaise qui allie le vin rouge au sang même de la lamproie. Et l’on est intrigué de savoir que Freud, bien avant de jeter les bases d’une théorie de la psyche, s’est penché sur le fonctionnement des cellules nerveuses des anguilles et de la lamproie… Jean-Alain Pigearias
L’affaire de l’abri du poisson Randall White, Fanlac, 2007 Voilà une affaire qui fit grand bruit en 1912. Cette année-là, un poisson — un saumon datant de la préhistoire — sculpté sur la voûte de la Gorge d’Enfer aux Eyzies-de-Tayac (Dordogne) fait l’objet d’une violente tentative d’extraction en vue d’une vente à l’étranger. Les événements qui suivirent déclenchèrent un des plus grands scandales dans le milieu de la préhistoire française. En quelques 240 pages illustrées et étayées de documents d’archives, Randall White rétablit la vérité sur cette affaire dont la version couramment répandue mettait en cause un certain Otto Hauser, archéologue d’origine suisse alémanique, accusé de dilapider à bon compte le patrimoine archéologique français. L’universitaire américain — professeur à New York University et responsable de fouilles en Dordogne — a mené une enquête minutieuse et dévoile ici une tout autre réalité. Ce n’est autre que celui qui a découvert le poisson aidé de plusieurs grands préhistoriens français — dont Denis Peyrony et l’Abbé Breuil — qui a entamé des négociations avec le musée de Berlin… Ceux-là même en somme qui criaient haro sur Otto Hauser… Randall White recherche dans le contexte à la fois historique — le sentiment anti-allemand de l’avant-guerre —, social — une population rurale pauvre, politique — l’absence de protection du patrimoine historique et de financements des collections — jusque dans le statut des scientifiques de cette époque, les raisons d’une telle supercherie dont les épisodes à rebondissements ont duré près de deux ans. Un ouvrage passionnant à lire comme un polar. Catherine Lefort 2008
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Tour du monde des vignes et des vins Récit de voyage d’une odyssée viticole Delphine Moussay-Derouet, Editions Féret, 2007
La mondialisation permet aujourd’hui aux amateurs de déguster un vin blanc argentin, un Bordeaux blends d’Afrique du Sud, un pinot californien, un sauvignon blanc de Nouvelle-Zélande ou un Shiraz australien en gardant les pieds sur son propre terroir. Ce « tour du monde des vignes et des vins », permet enfin de mettre en image les goûts de ces vins d’ailleurs. Une fois que l’on a rencontré les vignerons, observé les parcelles, foulé la terre, senti le soleil, les vins exotiques prennent une autre dimension. Au-delà des classiques chiliens, californiens ou australiens, ce périple hors de l’Europe permet de découvrir des régions viticoles insoupçonnées et souvent surprenantes, notamment en Asie. En Thaïlande, par exemple, les vendanges se font deux fois par an et les rangs de vigne sont séparés par des canaux ; à Bali, le climat permet de vendanger toute l’année. En revanche, la Chine a visiblement déçu les voyageurs dans son approche un peu superficielle et mécanique du vin alors que la Nouvelle-Zélande ou l’Afrique du Sud les ont séduits tant par la qualité des produits que par celle de la gestion ou de l’accueil oenotouristique. La lecture de ce beau livre donne soif, elle rend jaloux tant on voudrait soi-même avoir fait le voyage. Il s’agit avant tout d’un carnet de voyage avec comme passionnant prétexte la vigne. Gaël Le Dantec Robert Esnault-Pelterie du ciel aux étoiles, un génie solitaire Félix Torres - Jacques Villain - Pierre Bétin Editions Confluences, 2007
Voici la première biographie française d’un héros méconnu de l’histoire mondiale de l’aviation et de la conquête spatiale. Alors que l’on célèbre les premiers pas de l’homme dans l’espace , cette oeuvre d’historiens est bienvenue : elle invite à plonger dans les ambiances des débuts de l’aviation et des inventions qui ont mené à la mise au point des premières fusées. Mais la vie de ce pionnier est aussi un modèle caractéristique de ces aventuriers de la physique appliquée qui étaient des entrepreneurs autant que des ingénieurs , qui furent des visionnaires anticipant les projets les plus fous au risque hélas vérifié d’y perdre la raison , la santé et la fortune… Une biographie très factuelle, sans fard, qui donne la mesure exacte des dimensions paradoxales du personnage : perspicace, pathétique, héroïque en somme, sans être un gagneur. Une histoire qui illustre la fin de l’époque des savants-entrepreneurs et l’incompréhension technocratique pour les pionniers trop visionnaires. Rendez-vous compte, il y a 100 ans, cet homme a fait voler le premier monoplan conçu et construit par lui-même, moteur inclus , il a inventé des solutions comme le manche à balai, le moteur en étoile. Il y a 80 ans, il a décrit « les possibilités de bombardement à longue distance par les fusées, et publié un ouvrage majeur : « L’astronautique » où il développe deux raisons de lancer l’exploration planétaire… On peut placer Esnault-Pelterie au côté des autres grands de l’aventure des airs et de l’espace : Goddard, Tsiolkovski, Oberth, Von Braun… Il meurt deux mois après avoir été le témoin du vol inaugural de Spoutnik. C’est en Russie que sa première biographie avait été publiée. Pour celle-ci , les auteurs , en vrais connaisseurs ont voulu « tout en donnant à revivre la carrière exceptionnelle et haletante d’un inventeur hors normes, faire réfléchir aux conditions de la diffusion de l’innovation dans la société moderne ». Bernard Favre
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Sociologie de Bordeaux Émile Victoire (auteur collectif) Éditions La Découverte Collection Repères. Sociologie, 2007
Fruit d’un travail collectif de sept sociologues enseignants-chercheurs à l’université Victor-Segalen-Bordeaux 2, cet ouvrage a le mérite d’offrir une « lecture » socio-économicoadministrative de la capitale de l’Aquitaine, loin de l’image convenue de Bordeaux et des clichés dans lesquels on l’enferme habituellement. Comme toute ville, Bordeaux a été façonnée par son histoire, le développement de son port et l’activité de la vigne dont les empreintes sont encore bien présentes. Elle a tout autant été marquée par ses rapports sociaux, sa façon d’être gouvernée et administrée. « Pour comprendre Bordeaux, il faut s’en éloigner » nous disent les auteurs dans leur conclusion. Bordeaux, aujourd’hui, ne peut être appréhendée que dans un tout, une entité globale qu’est l’agglomération. Si elle reste attachée au patrimoine historique et culturel de centre, il n’en demeure pas moins que la cité aquitaine « s’américanise ». Depuis les années soixante, de nouvelles industries, de nouvelles populations émergent dans la métropole régionale entraînant un étalement urbain périphérique important. De même, les enjeux politico-administratifs dépassent amplement les frontières de la seule ville de Bordeaux. « Aujourd’hui, l’avenir de l’agglomération est lié à celui des transformations économiques européennes ». Bordeaux, ville européenne ? Elle en a le potentiel, mais elle s’inscrit dans une région où le dynamisme démographique et la qualité de vie ne peuvent masquer de profonds déséquilibres. Etayé de quelques sources notamment de l’Insee, ce petit livre est indispensable à celui qui veut connaître les rouages de la ville. Catherine Lefort Voyage extraordinaire au centre du cerveau Jean-Didier Vincent, Odile Jacob, 2007
Du thalamus à l’hypothalamus, d’un hémisphère à l’autre en passant par les cortex, c’est à un fabuleux voyage au coeur de notre cerveau, « unique en son genre et pourtant semblable à tous les autres » que nous invite Jean-Didier Vincent. Scientifique, certes, ce voyage est aussi tour à tour littéraire, poétique, historique… et humoristique. Chapitre après chapitre, la clarté des propos nous rend intelligible le fonctionnement du cerveau, siège de nos sens, de nos humeurs, de nos souvenirs, de nos souffrances, de nos plaisirs et de nos désirs plus ou moins avouables. On s’étonnerait presque de cette richesse qui est la nôtre, à la fois si complexe et si lumineuse. Au bout du chemin, alors que s’achève cet enivrant voyage, on ne peut cependant se défaire de l’impression que le cerveau a su conserver sa part de mystère. On n’est pas impunément à la fois « je » et « autre »… Ce voyage extraordinaire est rythmé par des encadrés, illustrations ou extraits d’œuvres, qui répondent au texte et constituent de judicieuses petites pauses dans une lecture parfois un peu ardue. Les hommes et les époques se croisent ainsi, nous accompagnant tout au long du voyage, nous apportant des éclairages souvent brillants, choisis avec beaucoup de finesse et de pertinence. Si ce livre est une invitation au voyage destinée à tout un chacun, « il a aussi pour vocation d’aider ceux qui souffrent ». En effet - mais est-il vraiment besoin de le rappeler ? - l’écrivain et le médecin sont toujours indissociables chez Jean-Didier Vincent. Claire Blin
Bordeaux colonial 18501940 Christelle Lozère Préface de Dominique Jarassé , Editions Sud
La voirie bordelaise au XIXème siècle Sylvain Shoonbaert, PUPS Capitale provinciale célèbre pour son architecture et son urbanisme au siècle des Lumières, Bordeaux connaît au siècle suivant un développement urbain spectaculaire. Public averti Une brève histoire du rugby Sébastien Darbon, L’oeil Neuf éditions Après avoir retracé l’histoire du rugby, l’auteur, ethnologue, aborde l’esprit de ce sport, ses valeurs, sa diffusion dans le monde, ses mutations, ses crises et son avenir. Tout public Guide de la faune et de la flore du littoral MancheAtlantique Laurent Couzi et Hervé Roques, Editions Sud Ouest Présentation des principales espèces d’animaux et de plantes que l’on peut rencontrer le long du littoral MancheAtlantique. Photographies et fiches signalétiques. Tout public Où est passé l’amour ? Lucy Vincent, Odile Jacob Interrogations d’une neurobiologiste sur les conclusions qui s’imposent concernant la nature des relations entre les femmes et les hommes. Tout public
Ouest Bordeaux était-elle la capitale de la culture coloniale française au début du XXème siècle ? Une importante collection d’objets d’art et d’ethnographie en témoigne. Tout public Le verre et le vin de la cave à la table Du XVIIè à nos jours Sous la direction de Christophe Bouneau et Michel Figeac, Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine Fruit d’un travail entre milieu universitaire, monde du travail et économistes, ces communications présentent la rencontre du verre et du vin à travers l’histoire en France et en Europe. Public averti La prostitution à Bordeaux au temps de la tolérance 1802-1946 Serge Pacaud, Atlantica L’auteur retrace l’histoire de la prostitution à Bordeaux, ville portuaire à l’activité économique florissante qui connut une forte concentration de marins, d’ouvriers et de voyageurs favorable au développement de la prostitution. Public averti Les visiteurs de Lascaux Chantal Tanet et Gilles Tosello, Editions Sud Ouest Des magdaléniens, il y a 13 200 ans, remontent une rivière (la Vézère) afin de trouver un refuge pour
l’hiver. Nirut, Marut et Fréa trois enfants de ce groupe découvrent l’entrée d’une grotte et l’explorent. Romandocumentaire sur la grotte de Lascaux. Jeune Public Vous reprendrez bien un peu de vérité ? Didier Nordon et illustrations de Matyo, Belin Pour la science Recueil humoristique d’articles scientifiques, parus dans le mensuel Pour la science, dénonçant paradoxes et contradictions. Tout public Des moulins en PaysBasque Labourd, BasseNavarre, Soule JeanPierre Etchebéheïty, Atlantica Pays de montagne et d’eau, le Pays-Basque a connu une forte activité autour des moulins. Il en reste encore quelques uns, représentatifs d’un patrimoine régional important. Tout public
Bacalan-Beach Autour des bassins à flots de Bordeaux-Bacalan Pierre Cétois et Didier Périz, Pleine page Ouvrage consacré à l’histoire des bassins à flots situés au nord de Bordeaux dans le quartier de Bacalan à partir de la construction du premier bassin à flot en 1869. Tout public L’Aquitaine archéologique Le Festin, Hors-série octobre 2007 En donnant la parole aux 2008
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chercheurs aquitains, ce numéro propose de découvrir la richesse d’une discipline encore assez méconnue dont les territoires d’exploration sont aussi divers que les sommets pyrénéens, l’urbanisme des cités antiques ou l’architecture du Moyen-Âge… Tout public Bordeaux Langage de pierre Jean Missègue, Les Dossiers d’Aquitaine A travers son histoire et celle des tailleurs de pierre, Jean Missègue nous raconte l’histoire de Bordeaux et de sa pierre. Ouvrage captivant et abondamment illustré. Tout public
Langage et construction des connaissances à l’école Un exemple en sciences Martine Jaubert, PUB Cet ouvrage s’intéresse au rôle du langage des élèves dans la construction de savoirs en sciences à l’école primaire. Il existe une forte liaison entre la construction des savoirs et celle de la cohérence des énoncés. Public averti La naissance de la gérontologie Jean Bassaler, témoin et acteur JeanJacques Amyot, L’Harmattan Etude des débuts de la gérontologie en France autour du parcours personnel de Jean Bassaler, directeur de la CPAM de Gironde de 1972 à 1983. Public averti
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Les défis écologiques de Bordeaux et sa région Agir localement, penser globalement Sébastien Darsy, Editions Sud Ouest Sébastien Darsy, journaliste, décrit les différentes initiatives publiques et privées , mises en place dans la région en matière de traitement des déchets, de gestion des ressources en eau, de maîtrise de la pollution de l’air, d’organisation des transports publics et de développement des énergies renouvelables. Tout public Trois hommes dans l'espace, trois histoires de la conquête spatiale Patrick Baudry, Vladimir Soloviev et Joe Allen, Elytis A l'occasion du 50e anniversaire du lancement le 4 octobre 1957 du premier satellite Spoutnik, les trois hommes de l'Espace reviennent sur l'Histoire et évoquent leurs expériences. Tout public Apprendre à lire la nature pour la comprendre et mieux la protéger Josette DéjeanArrecgros Préface de Nicolas Hulot, Editions Sud Ouest 10 leçons sur le terrain pour apprendre à connaître les espèces animales et végétales, les associations d’êtres vivants et le fonctionnement des écosystèmes. Tout public Dogons, Peuls et Touaregs Nomades, sédentaires Réponses d’Afrique Nadine Péhau, Editions Bastingage Magnifique ode à l’humanité des Dogons, Peuls et Touaregs que Nadine Péhau a photographiés là où ils se rencontrent pacifiquement autour
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des points d’eau et sur les marchés. Tout public Guide pratique des champignons Francis Massart, Editions Sud Ouest Un regard différent sur un univers d’une étonnante richesse de formes, de couleurs et d’odeurs. 400 espèces décrites et illustrées. Tout Public Le rugby Que sais-je ? Daniel Bouthier, Editions Puf Cet ouvrage présente la richesse et la variété des mises en oeuvre de ce jeu qui connait, depuis les années 1980, une forte expansion sportive, économique et médiatique. Tout en pointant les répercussion de sa professionnalisation progressive, il montre la continuité d’un “esprit de jeu” propre au rugby dans ses différentes formes et pratiques. Tous public
DVD
Petites histoires de matériaux dans l'agglomération bordelaise et en Aquitaine Cinq petits films d'animation sur le Pin des Landes, le nanotube de carbone, la fusée Ariane, les biomatériaux et les polymères. Tout public Edition Cap Sciences. Disponible à Cap Sciences
H20
2008
Enseigner, apprendre le surf CRDP Aquitaine En 180 vidéos, photos, cartes et schémas, ce DVD-Rom guide l’apprentissage du surfeur et du bodyboarder. Gestes techniques, connaissance du milieu et règles de sécurité. Public averti
EXPOS VIRTUELLES
Clim City Clim City est à la fois une exposition virtuelle et un jeu interactif sur les questions du changement climatique, des modes de vie éco-responsable, d'écocitoyenneté et plus globalement de développement durable. A partir des objets de l'environnement virtuel le visiteur s'informe : textes, vidéos, interviews, schémas, graphiques, animations... En basculant dans la partie jeu, il devient acteur de l'environnement et agit sur les différents objets dans le but de réduire les émissions de gaz à effet de serre de Clim City. S'adressant à un public à partir de 12 ans, l'expo/jeu est en accès libre à partir du site Internet de Cap Sciences. Clim City est également éditée en format cédérom pour une distribution gratuite dans les collèges et lycées aquitains. www.cap-sciences.net
Sociétés humaines en Aquitaine Une histoire de peuplements
3e exposition virtuelle de CAP SCIENCES, génération web2
La troisième exposition virtuelle de Cap Sciences propose un regard historique sur la mise en place des territoires et des sociétés humaines en Aquitaine : comment les populations, leurs langues, leurs déplacements, leurs échanges ont façonné le visage de la région, au fil des siècles. Les articles, rédigés par de jeunes doctorants ou docteurs en Histoire, sont présentés en grands chapitres : échanges culturels et commerciaux, aménagement du territoire, démographie, réseaux de déplacements et de transports, architecture, langues, nourriture… En référence à des périodes significatives : période gallo-romaine, Moyen-Âge, 16e – 18e siècle, 19e et 20e siècle, période contemporaine… chaque article aborde une facette de l’histoire des peuplements de l’Aquitaine. C’est à un véritable voyage dans le temps que l’internaute est invité. Il pourra, selon ses centres d’intérêt, constituer son propre atlas, en sélectionnant les articles qu’il souhaite rassembler. Mais il pourra aussi devenir auteur et proposer des articles qui, après validation par un comité de lecture, seront eux-mêmes mis en ligne, une manière de partager et de faire partager les connaissances historiques. Rendez-vous en avril 2008 sur le site www.cap-sciences.net à la découverte de cette exposition collaborative.
A CONTACTER MÉMOIRE
VISITES ■ Messier-Dowty Des atterrisseurs sur mesure Messier Dowty SA Etablissement de Bidos 64401 Oloron Sainte Marie T : 05 59 89 60 00 I : www.messier-dowty.com
■ Carreaux de Gironde De la terre, de l’eau et du savoir-faire Storme Pruvost, carreaux de Gironde 6, lieu dit Larroque 33190 Gironde sur Dropt T : 05 56 71 11 46 I : www.storme-pruvost.fr ■ Musée de l'ALAT Le lent décollage de l’hélicoptère 58 avenue de l'aérodrome 40 100 Dax. T : 05.58.35.95.24 I : www.museehelico-alat.com ■ Duras Une maison de vignerons Maison des Vins de Duras 47120 Duras T : 05.53.20.20.70 contact@cotesdeduras.com I : www.cotesdeduras.com ■ IAPI Levée de rideau Z.I Landry 1 24750 BOULAZAC T : 05 53 54 34 37 info@iapi.fr I : www.iapi.fr
RENCONTRES ■ Anne-Marie Gouvet Notre french Doctor d’Aquitaine Médecins du Monde I : www.medecinsdumonde.org/fr/nos_ missions/etranger/operation_sourire ■ David Smith Un américain à Gradignan Centre d’Etudes Nucléaires de Bordeaux Gradignan Chemin du Solarium 33175 Gradignan Cedex T : 05 57 12 08 00 smith@cenbg.in2p3.fr I : www.cenbg.in2p3.fr Projet Glast : I : http://glast.in2p3.fr/
■ Alain Juste Du tournesol dans le moteur Institut des huiles végétales pures I : www.ifhvp.org/ ■ Philippe Garrigues Traquer la pollution à l’échelle de la molécule Institut des sciences moléculaires Université Bordeaux 1 CNRS UMR 5255 Batiment A12 351 cours de la libération 33405 Talence cedex T : 05 40 00 36 15 direction@ism.u-bordeaux1.fr I : www.ism.u-bordeaux1.fr
BORDEAUX, FILLE DU GRAND LARGE
■ La Mémoire de Bordeaux Centre de documentation et de recherche 1, rue de Cursol 33000 Bordeaux T : 05 56 52 59 19 contact@memoiredebordeaux.asso.fr I : www.memoiredebordeaux.asso.fr ■ Marie Brizard 130- 142 rue Fondaudège 33 002 Bordeaux T : 05 56 01 85 85 I : www.mariebrizard.com ■ Bardinet Domaine De Fleurenne Blanquefort T : 05 56 35 84 85 I : www.bardinet.fr
■ Musée ethnographique de Bordeaux 3 ter, Place de la Victoire Bordeaux T : 05 57 57 18 97 musee.ethnographie@musethno.ubordeaux2.fr I : www.meb.u-bordeaux2.fr ■ Construction Navale de Bordeaux 162, quai de Brazza 33100 Bordeaux T : 05 57 80 85 50 cnb@cnb.fr I : www.cnb.fr
■ Maison des Suds 12 Esplanade des Antilles 33607 Pessac T : 05.56.84.68.52 I : www.ades.cnrs.fr
■ Centre d’études d’Afrique Noire CEAN - IEP de Bordeaux 11 allée Ausone Domaine universitaire 33607 Pessac Cedex T : 05 56 84 42 82 info.cean@sciencespobordeaux.fr www.cean.sciencespobordeaux.fr ■ Ecole du service de Santé des Armées 149 bis, Cours de la Marne 33 000 Bordeaux T : 05 56 92 42 08 etudes@essa-bdx.fr www.essa-bdx.fr
DÉBAT
QUESTION DE SOCIÉTÉ QUESTION D’ENVIRONNEMENT CHERCHEURS DE L’EXTRÊME
■ A la recherche des cratères de météorites Philippe Paillou Observatoire Aquitain des Sciences de l’Univers UMR 5804 – LAB 2 rue de l’Observatoire, BP 89 33270 Floirac, FRANCE T : 05 57 77 61 26 philippe.paillou@obs.u-bordeaux1.fr I : www.obs.u-bordeaux1.fr
MAI 68
Département de sociologie Université de Bordeaux 2 3 ter, place de la Victoire 33000 Bordeaux T : 05 57 57 18 00 I : www.sociologie.u-bordeaux2.fr Sciences Po Bordeaux 11, allée Ausone Domaine Universitaire 33607 Pessac-cedex T : 05 56 84 42 52 I : www.sciencespobordeaux.fr
■ Carottes glacées UMR CNRS 5805 EPOC - OASU Université Bordeaux 1 Avenue des Facultés 33405 Talence T : 05 40 00 88 67 I : www.epoc.u-bordeaux.fr
■ Au cœur de la forêt amazonienne UMR 5805 EPOC - OASU Station Marine d'Arcachon Université Bordeaux 1 Place du Docteur Bertrand Peyneau 33120 Arcachon T : 05 56 22 39 29 I : www.epoc.u-bordeaux.fr ■ 2000 mètres sous les mers Roger Griboulard UMR CNRS 5805 EPOC - OASU Université Bordeaux 1 Avenue des Facultés 33405 Talence T : 05 40 00 88 67 I : www.epoc.u-bordeaux.fr ■ Un tremplin pour l’espace Novespace rue Marcel Issartier 33700 Mérignac T : 05 56 34 05 99 I : www.novespace.fr
■ Cartographier le risque Simon Pomel ADES Aménagement, Développement, Environnement, Santé et Société Maison des Suds 12 espl. des Antilles 33607 Pessac T : 05 56 84 68 32 I : www.ades.cnrs.fr ■ L’explorateur du septième continent Richard Maire ADES Aménagement, Développement, Environnement, Santé et Société Maison des Suds 12 espl. des Antilles 33607 Pessac T : 05 56 84 68 32 I : www.ades.cnrs.fr
QUESTION DE RECHERCHE AEROSPACE VALLEY
■ 2 ADI, agence aquitaine de développement industriel 37 avenue Général de Larminat T : 05 57 57 84 84 I : www.2adi.fr ■ Aerospace Valley 2 avenue Edouard Belin 31055 Toulouse T : 05 61 14 80 30 I : www.aerospace-valley.com
■ Y a-t-il un pilote dans l’avion Institut de cognitique Université Victor Segalen Bordeaux 2 T : 33 05 57 57 17 00 idc@u-bordeaux2.fr I : www.idc.u-bordeaux2.fr
LES RESPONSABILITÉS DU CHERCHEUR
■ Jean Etourneau Laboratoire virtuel Fame I : www.famenoe.org
■ Au cœur du moteur Snecma Propulsion Solide Les 5 chemins 33187 Le Haillan T : 05 56 55 30 00 33187 Le Haillan 05 56 55 30 00 communication.bordeaux@snecma.fr I : www.snecma-propulsionsolide.com
■ Didier Nordon I : www.didiernordon.org
2008
H20
REFERENCES 109
LA REVUE
n o i t c e l l o C
Les dernières publications de la revue H 20 Numéros disponibles à Cap Sciences 2003 Chroniques
Mémoire
Débat
Dix pages de faits marquants de l’actualité de la recherche en Aquitaine, découvertes et innovations
Patrimoine industriel Astronomie d’hier Le chevalier de Borda Des pierres précieuses en Aquitaine Les ailes d’un géant Les pionniers de la recherche La maison des sciences de l’homme d’Aquitaine Bassin de Lacq, la ruée vers le gaz Dans le fief des arithméticiens Mise en perspective historique du « voyage en industrie » Des paquebots volants à Biscarrosse La fulgurante ascension de la sociologie bordelaise
Voyage au bout de la Terre
Visites 2004
2005
2006
2007
Site de la colline de Gaztelu La grotte de Cussac Bordeaux dans tous ses états Les logiciels du grand large Emballage Popnat Neurobit IECB des chercheurs en synergie Semer les tabacs demain Recyclage brûlant Musée basque et de l’histoire de Bayonne Le lac Mouriscot Les dessous de l’estuaire Un pavillon pour la génomique Gardiens de la qualité alimentaire Sur les traces des polluants Patrimoine industriel L’exposition phare du Cap-Ferret Construire le plus grand laser du monde L’harmonie retrouvée du parc bordelais Port Médoc, une ouverture sur l’Atlantique Un centre où le fruit est roi La chirurgie en apesanteur Les étangs à monstres de Jean Rostand Grottes de Sare, entre mémoire et modernité Le traité de la perspective Pour le meilleur des plantes Une table trois étoiles avec vue sur le ciel L’imprimerie des timbres-poste Sokoa assoit son authenticité Pyrenex des duvets 100% nature Exameca un alliage de savoir-faire et d’innovation Bayonne métamorphose d’un port Le trésor souterrain du Périgord Esquad tisse le jean costaud des fous de moto Nérac c’est ici que tout commence Les Lasers ont rendez-vous avec l’Aquitaine Créateurs d’images Un monde de polymères Des systèmes embarqués plein le ciel Eaux minérales, eaux de sources
Rencontres Mission Polar Observer Francis Tassaux Pierre Meyrand L’homme qui fait vivre l’Antiquité Scientifique « sans frontières » Visages de sciences Quand la science se met en scène La foi d’un entrepreneur Regards de chercheurs étrangers Lascaux, de l’ombre à la lumière Contre toutes les maladies, même l’injustice Le musée de la mer à Biarritz Ces sangsues qui soignent Une planète faite de vagues Annie Hubert, une femme de passion Lorsque ingéniosité et science moderne s’allient L’homme des origines de l’art Traquer le mercure au cœur de l’Amazonie Hubert Montagner au côté de l’enfant qui grandit Voyage au pays des fractales Nadine Ninin alliance d’idée et d’audace Emeric d’Arcimoles un assembleur de talents
Portfolio Le Pont d’Aquitaine Yachts, créations haute-couture L’aéroport de Bordeaux Destin de déchets Le CHU à cœur ouvert
Question d’environnement Aquitaine : les ressources en eau sont-elles menacées ? Aquitaine Océan, un univers en conquête Le bois de la forêt Le climat en Aquitaine, demain il fera chaud La chimie verte
Question de société Vieillissement de la population Les Aquitains pour mieux les connaître Les Aquitains au travail La santé des Aquitains Les femmes en Aquitaine
Question de recherche Sur les traces de nos ancêtres Chercheurs-entrepreneurs La pratique du design Les matériaux de demain La vigne et le vin
Souhaitez-vous commander la revue ? Tél 05 56 01 07 07
Info Sciences Aquitaine, CAP SCIENCES, Hangar 20, Quai de Bacalan, 33300 Bordeaux
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Partager l’esprit découverte Au cœur de la métropole bordelaise, Cap Sciences offre un lieu pour explorer les sciences et l’industrie : expositions, animations, manifestations. Toute l’année, une programmation variée, pour une visite en famille ou en groupe, des ateliers éducatifs pour les établissements scolaires.
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Un équipement culturel Au cœur du réseau aquitain, en partenariat avec des collectivités, des institutions, des entreprises et des laboratoires de recherche, Cap Sciences coordonne les grandes opérations de culture scientifique, technique et industrielle et va à la rencontre des publics. En Aquitaine et au-delà, Cap Sciences propose un catalogue d’expositions itinérantes, d’ateliers découverte, de malettes pédagogiques et d’animations ludiques.
Un pôle de compétences Concevoir et réaliser des produits culturels, accompagner des projets éducatifs, organiser des événements. Accueillir et animer, gérer et distribuer, éditer et diffuser, autant de savoir-faire que Cap Sciences met au service de ses partenaires.
C E N T R E
HANGAR
DE
QUAI DE BACALAN
C U LT U R E
SCIENTIFIQUE
Contrat de Projets Etat-Région
TECHNIQUE UNION EUROPEENNE
20
33300 BORDEAUX
INDUSTRIELLE
T (33) 05 56 01 07 07
REGION AQUITAINE
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