Les anciens des quartiers HLM face à la rénovation urbaine, entre vulnérabilités et résistances

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ANDRÉ VIVIANE . 2017 . ENSA paris val de seine . mémoire de master 2 . Dirigé par FIJALKOW Yankel, JOURDHEUL Anne-Laure & NEAGU Alexandre - CRH

les

«

anciens

»

des quartiers hlm face aux rénovations urbaines, entre

VULNÉRABILITÉS & RÉSISTANCES EXEMPLE DES ULIS


Chapitre 1 Définition

des termes et enjeux

1.1 Vieillissement et définition de l’âge de la vieillesse

p.12

1.1.1 Vieillissement de la population 1.1.2 L’âge de la vieillesse

1.2 «L’épreuve du grand âge»

p.18

1.2.1 La notion d’ «épreuve du grand âge» 1.2.2 Signification du logement et de l’habitat à l’heure de la vieillesse 1.2.3 Famille et entourage, un soutien face à cette épreuve

1.3 Le vieillissement des locataires de HLM

p.28

1.3.1 Locataires âgés du parc social, des ménages doublement vulnérables 1.3.2 Les politiques du logement face à la vieillesse

1.4 Rénovations urbaines

p.36

1.4.1 L’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine en Île-de-France 1.4.2 Les acteurs de la rénovation urbaine 1.4.3 Parcours résidentiels et «mobilités passives» 1.4.4 Le relogement des personnes âgées

2 Lee Jeffries photography


Chapitre 2 Contexte

de l’étude:

Les Ulis

2.1 La commune des Ulis: portrait

p.48

2.1.1 Histoire de la ville 2.1.2 Les Ulis, une ville à part, longtemps stigmatisée et pourtant dynamique

2.2 La rénovation urbaine aux Ulis

p.60

2.2.1 A l’origine de la rénovation urbaine 2.2.2 L’opposition des habitants 2.2.3 Les accompagnements mis en place par la commune et les bailleurs 2.2.4 Une métamorphose radicale de la ville

2.3 Anjou, un quartier en difficulté totalement transformé

p.76

2.3.1 Deuxième IRIS le plus défavorisé de la ville aux nombreux logements sociaux 2.3.2 Alain, Murielle (72 ans) et Françoise (80 ans) aux Amonts 2.3.3 Bernard (96 ans) aux Hautes-plaines

Chapitre 3

Une épreuve entre vulnérabilité & resistances 3.1 Une mise à nu des vulnérabilités des locataires âgés...

p.88

3.1.1 L’être et l’habiter fragilisés 3.1.2 Un processus mettant en évidence la perte des capacités 3.1.2 Menant à la déprise?

3.2 ...mise en tension avec les stratégies de resistance des «anciens»

p.100

3.2.1 Le statut d’ancien 3.2.2 Resistance des capacités

3.3 Relations à l’espace et capacités d’adaptation des ménages

p.112

2.3.1 Espace temps 3.3.2 Espace du logement 2.3.3 Espace urbain et territoire personnel 2.3.4 Espace affectif

Annexes 1 Bibliographie

p.152

Iconographie

p.158


INTRODUCTION

1. LAROQUE, Geneviève, « Ma maison, c’est mon château », Gérontologie et société, 2011, vol. 136, no 1, p. 8. 2. Ibid, p.9

3. Ibid, op, p. 9.

4. DREYER, Pascal, « Habiter. Réparer. Résister », Cultures et sociétés, juillet 2013, Révoltes, Résistances-Réparation !, no 27, (coll. « l’Harmattan »). p. 1 5. Paul Paillat, cité dans DUPAQUIER, Jacques, Le vieillissement de la population dans le monde, Paris, CNRS, 2006, 1 vol. (72 p.) p.7

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Se loger c’est avant tout trouver un abri, une protection, mais c’est aussi le lieu de la construction personnelle de chaque individu. « Ma maison c’est le lieu de mon intimité, celui dont je peux interdire l’accès, celui dont j’ai la clé. »1 Le logement est un lieu que l’on maitrise, par le biais duquel on fabrique son image, celui qui « justifie ma place dans la société ».2 Le logement est également un véritable marqueur social selon que l’on soit propriétaire ou locataire du parc social ou privé, que l’on habite une maison ou un appartement, dans un quartier huppé ou au sein d’une ZUS (Zone Urbaine Sensible). A l’heure de la vieillesse, dans les dernières années de sa vie, et de son parcours résidentiel, le logement prend une nouvelle dimension. C’est aussi un lieu chargé de mémoire ; plus qu’un repaire , c’est aussi un véritable repère pour l’individu. « C’est mon repère, mon point fixe, celui où les mémoires s’organisent »3. Difficile, donc, de quitter son logement, chargé de souvenirs et véritable colonne vertébrale de la construction de l’individu l’ayant occupé durant des années. A l’heure de la vieillesse, le logement devient alors un véritable palimpseste, reflétant l’histoire de son occupant et de sa famille : « L’habitation de l’homme est avant tout épaisseurs temporelles, feuilletées, tressées »4. Or, « Le vieillissement de la population est le phénomène social le plus important de notre époque. Ses conséquences sont multiples, diverses et diffuses.»5 La génération des « Baby-boomers » en France est aujourd’hui à la retraite, engendrant une nouvelle dynamique économique. Cette génération va bientôt entrer dans un âge où les capacités physiques et cognitives se réduisent, nécessitant des adaptations du logement et augmentant la dépendance. En 2025, la génération des Baby-boomers atteindra 80 ans. Il est aujourd’hui nécessaire de se pencher sur les nouveaux enjeux auxquels les professionnels du logement font face. Le vieillissement des locataires de HLM, en relation avec le vieillissement de la population mondiale et plus spécifiquement de la population des pays occidentaux, dits développés , nécessite des adaptations et des aménagements des logements existants face aux nouveaux besoins qui apparaissent à l’heure du grand âge. Le grand-âge, le vieillissement inéluctable de chaque individu peut d’ailleurs être vécu comme une véritable épreuve.


En reprenant la notion d’épreuve définie par Danilo Martucelli, c’està-dire les « défis historiques, socialement produits, inégalement distribués, que les individus sont contraints d’affronter »1, Vincent Caradec développe la notion « d'épreuve du grand-âge » qu'il définit, notamment par la tension entre, d'un côté, « les ‘‘prises’’ de l'individu sur le monde [qui] tendent à s'effriter » (abandon d'activité, perte de proches, transformation du monde) et de l'autre, celles qu'il « s'efforce de maintenir », « voire de recréer »2 . La vieillesse semble donc être une de ces épreuves de la vie durant lesquelles l'individu est d'avantage vulnérable. Nous le verrons, la notion de vulnérabilité est ici considérée comme «rapport politique et processus de fragilisation»3, elle vise à «appréhender les processus de production de positions résidentielles disqualifiées»4. Les ménages dits vulnérables peuvent faire face à des problématiques variées (insalubrité, inconfort, difficultés financières, difficultés d’integration dans le monde du travail, vieillesse,...). Cette notion ne sous-entend donc pas necessairement pauvreté, ni incapacité à faire face aux difficultés. Cette notion prend égalament compte des «contextes et structures»5 qui entourent les habitants, autrement dit, le cadre socio-politique qui entoure ces populations. Elles sont donc exposées à différents ‘‘risques’’, le terme ‘‘vulnérabilité’’ est d’ailleurs utilisé dans le monde anglosaxons pour parler de risques naturels 6. Vulnérabilité ne sous-entend pas pour autant incapacité à faire face aux épreuves. Ainsi, face au vieillissement croissant de la population, connaissant le rôle essentiel du logement et de l'habitat à cette étape de l'existence, nous nous pencherons sur la double-vulnérabilité à laquelle les personnes âgées modestes sont confrontées, et leurs ressources pour y faire face. Dans le champs du logement, une nouvelle vulnérabilité vient s’additionner pour ces ménages lors des programmes de rénovation urbaine. Ils se multiplient en effet depuis la création de l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU) en 2003. Un grand Programme National de Rénovation Urbaine (PNRU) a été mis en place pour transformer les quartiers définis comme Zones Urbaines Sensible (ZUS) ou aux difficultés sociales et économiques repérées. Les personnes âgées sont de plus en plus nombreuses dans ces quartiers modestes.

1. MARTUCCELLI, Danilo, cité dans CARADEC, Vincent, « L’épreuve du grand âge », Retraite et société, 2007, vol. 52, no 3, p. 11 37.

2. CARADEC, Vincent, « L’épreuve du grand âge », Retraite et société, 2007, vol. 52, no 3, p.13-14 3. BOUILLON, Florence, DEBOULET, Agnès, DIETRICH-RAGON, Pascale, FIJALKOW, Yankel, 17 juin 2015, Les vulnérabilités résidentielles en questions, Metropolitiques. http://www.metropolitiques.eu/ Les-vulnerabilites-residentielles. html, consulté le 7/02/2017 4. Ibid. 5. FIJALKOW, Yankel cité dans Ibid. 3. BOUILLON, DEBOULET, DIETRICH-RAGON, FIJALKOW, op.

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L’ANRU assure la mise en œuvre de ces projets, les valide et les finance par des fonds publics et privés.

1. Anru.fr, consulté le 28/01/2017

2. MARTUCCELLI, Danilo, cité dans CARADEC, op. 3.CARADEC, op.

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« La rénovation urbaine a pour objet de faire évoluer ces quartiers vers des espaces urbains « ordinaires » caractérisés par la diversité des fonctions et des types d’habitat, l’ouverture et les relations avec le reste de la ville, la qualité des espaces publics. Plus fondamentalement, il importe de donner à tous les habitants de ces quartiers la possibilité de devenir des citoyens à part entière de la cité. » 1 Ces grands projets engendrent des démolitions et des transformations radicales. Les démolitions quant à elles obligent les bailleurs à reloger les locataires. Les personnes âgées sont souvent les plus reticentes à quitter leur logement. Les relogeurs doivent ainsi multiplier les statégies pour les convaincre. Les ménages agés occupent souvent de grands logement depuis de nombreuses années. Les bailleurs cherchent donc également, à l’occasion du relogement, à leur proposer des logements plus petits afin d’optimiser l’occupation de leur parc. Les grands logements se font rares et sont très demandés, notamment pour les familles nombreuses. Le relogement des personnes âgées est donc une véritable problématique pour les acteurs des rénovations urbaines. Au-delà des difficultés des professionnels du relogement, notre étude s’interesse aux effets des métamorphoses urbaines sur les modes de vie et les relations à l’habitat des « anciens » des quartiers en rénovation. Comment ces retraités modestes, locataires de longue date de leur logement social vivent-elles les grandes rénovations urbaines? Comment les personnes âgées viventelles la transformation de leur habitat, dont elles perdent alors la maitrise? En s’appuyant sur la définition de la notion d’épreuve 2 développée par Danilo Martucelli et prolongée par Vincent Caradec avec la notion d’épreuve du grand-âge 3, nous chercherons à comprendre dans quelle mesure le relogement des personnes âgées dans le cadre des rénovations urbaines de l’ANRU peut-il être défini comme tel.


La ville des Ulis, dont tout le « quartier Ouest » est classé ZUS depuis 1996, sera le terrain de notre étude. La commune fait l’objet d’une grande Opération de renouvellement urbain depuis 2002. Une partie de la rénovation fera partie du programme de l’ANRU. Cette ville, depuis sa construction ex-nihilo dans les années 1970 a la particularité d’être en grande partie composée de logement sociaux. L’objectif de cette rénovation urbaine est notamment d’améliorer sa mixité en attirant de nouvelles populations. Mais une grande partie de ses habitants, arrivés dans les années 1970, sont aujourd’hui attachés à leur quartier, et à leur logement dans lequel ils ont vu leurs enfants grandir. Quels sont les effets de la rénovation urbaine aux Ulis sur les modes de vie des personnes âgées locataires de HLM et leurs stratégies de conservation? Nous définirons dans un premier temps les termes essentiels à notre étude et leurs enjeux. Dans un second temps nous présenterons la ville des Ulis, terrain de l'étude, l'opération de rénovation urbaine qui est toujours en cours ainsi que les spécificités de l'RIS Anjou dans lequel les entretiens se situent. Enfin, nous tenterons de comprendre, si la rénovation urbaine et le relogement peuvent être définis comme une épreuve pour les personnes âgées, mettant en tension vulnérabilités et stratégies de conservation.

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MÉTHODOLOGIE Les données analysées sont issues d’entretiens menés durant le mois de décembre 2016, dans le cadre de ce mémoire de recherche et d’un stage au sein du CRH (Centre de recherche sur l’Habitat) portant sur l’adaptation du logement face aux évolutions démographiques. Les relogements aux Ulis ayant eu lieu entre 2004 et 2006, les interviews sont réalisées dix ans après les faits. Cette position permet de faire un bilan de ce qu’il reste du traumatisme, mais s’heurte également aux oublis. Il a été difficile d’obtenir des témoignages car, même les services de la commune avaient perdu la trace de nombreux anciens locataires, notamment ceux relogés en dehors de la commune.Les personnes âgées relogées à l’époque étaient pour beaucoup décédées, ou atteintes de maladies dégénératives telles qu’Alzheimer. Le temps très court de l’étude (trois mois) rendait également difficile l’approche progressive du terrain et la mise en place d’une relation de confiance pour aborder les habitants. Nous avons obtenu les contacts par le biais du service habitat de la mairie des Ulis, chargé notamment de l’attribution d’une part des logements sociaux. La prise de contact par téléphone étant trop agressive pour ce public très méfiant, nous avons pris le parti de contacter les ménages par lettre manuscrite. Des petits prospectus ont également été déposés dans les pharmacies et boulangeries. Trois entretiens semi-directifs de une à deux heures ont été menés auprès de trois ménages différents, habitant un logement social dans les résidences des Amonts et des Hautes Plaines. Ces entretiens à domicile nous ont permis de receuillir de véritables récits de vie. L’objectif étant de replacer le relogement et la rénovation urbaine dans l’histoire d’une vie. Comment êtes vous arrivés aux Ulis, dans ce logement? Avez-vous des proches, qui ont pu vous aider lors du déménagement, ou pour les démarches administratives? Quelles sont vos relations de voisinage? Ont-elles changées depuis la rénovation urbaine? Quelles sont les différences entre votre ancien logement et celui ci? Quels sont vos modes de déplacements?

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L’objetif était principalement d’aborder: - le temps de l’ancien logement, qu’ils ont du quitter, - le processus de relogement et de déménagement, les relations avec les acteurs, le processus de tri. - L’installation et la réappropriation du nouveau logement, du nouveau quartier, les nouvelles habitudes et les nouvelles relations de voisinage. Cette discussion ouverte a également permis, au fil des discussions d’aborder des sujets variés et représentatifs des thèmes les plus importants aux yeux des ménages. Nous avons par exemple pour certains, beaucoup parlé de leur vie professionnelle, ou de leurs voyages, tandisque pour d’autres, la famille, ou encore les démarches administratives étaient au coeur de la discussion. Nous avions donc une grille d’entretien (Annexe 2), afin d’aborder des sujets précis à propos du logement, mais la discussion est volontairement restée très libre. Cela nous a permis de dresser le profil socio-économique des ménages. Afin d’anonymiser les témoignages nous utiliserons des noms d’emprunt. Ainsi, les ménages rencontrés sont un couple (Alain et Murielle), un homme seul (Bernard) et une femme seule (Françoise), âgés de 72 à 96 ans. Seul Alain (72ans) était encore en activité au moment du relogement. Bernard (96ans) habitait avec son épouse, aujourd'hui décédée. Une relation suivie a été instaurée avec les ménages permettant par la suite, de réaliser de nouveaux entretiens. Une promenade commentée a par exemple été réalisée avec Bernard de son domicile au cimetière familial. Chaque ménage nous a également fourni des éléments d'analyse intéressants : des lettres relatant les échanges avec les institutions lors du relogement, des poèmes, des objets... (Annexes 2) Les deux premiers ménages (Alain, Murielle et Bernard) ont été touchés par les démolitions et relogés tandis que Françoise (80 ans) habitait dans une partie du quartier mise en vente par le bailleur. Elle a ainsi vécu différents changements de statut d’occupation successifs. Bernard et Françoise étaient en demande d'un nouveau logement social au moment des entretiens. Bernard est aujourd'hui en cours d'installation dans un nouveau logement. Un autre entretien sera réalisé après son installation. Enfin, un nouveau couple, anciens voisins d’Alain et Murielle, relogés dans la même cage d'escalier, seront interviewés dans les mois à venir. 9



Chapitre 1 DĂŠfinition

des termes et enjeux


Vieillissement de la population et âge de la vieillesse

Evolution comparée des éspérances de vie à 0, 15 et 65 ans en France depuis 1950.

Source: DUPAQUIER, Jacques, op.

évolution de la pyramide des âges des pays les plus développés

Source: DUPAQUIER, Jacques, op.

Progression de la population âgée de 80 ans et plus dans le monde

Source: DUPAQUIER, Jacques, op.

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Vieillissement de la population La population mondiale vieillit. La pyramide des âges, et particulièrement celle des pays dits développés, ceux d'Europe de l'ouest par exemple, se déséquilibre. Ce sont les conséquences prévisibles du Baby-boom. Les enfants de l'après-guerre atteignent aujourd'hui l'âge de la retraite et si la dynamique économique, notamment en France, est déja modifiée par leur départ à la retraite, les conséquences sur le logement et bien d'autres domaines ne vont pas tarder à se faire sentir. En effet, « L’augmentation du nombre de personnes âgées est une conséquence d’une transition démographique correspondant au passage de taux élevés à de faibles taux de fécondité et de mortalité. En ce début du XXIe siècle, les personnes âgées sont environ 600 millions dans le monde, soit trois fois plus qu’il y a 50 ans. Vers 2050, elles devraient être quelque 2 milliards, soit, là encore, une multiplication par trois en 50 ans. »1. Les pays européens sont les premiers touchés par ce phénomène, car ils ont connu une baisse de fécondité particulièrement précoce, mais c'est un phénomène mondial. Un autre phénomène est à prendre en compte. Ce n'est pas seulement le nombre de personnes âgées qui augmente mais également leur âge. En effet, nous vivons de plus en plus vieux. L’espérance de vie à la naissance en France dépasse aujourd’hui 80 ans 2. « Le groupe d’âges qui progresse actuellement le plus rapidement dans le monde est celui des personnes les plus âgées (80 ans et plus) : il augmente de 3,8% par an et représente plus du dixième de l’effectif total des personnes âgées. D’ici à 2050, un cinquième des personnes âgées aura 80 ans au plus. » 3 L'espérance de vie après 60 ans a explosée. Elle est aujourd'hui, en France, de 21,7 ans pour les hommes et de 26,6 ans pour les femmes.4 Ainsi, dans les années 2025, la génération du Babyboom atteindra 80 ans, âge auquel il est reconnu une dépendance accrue. Ces observations sont cependant à nuancer. En effet, au-delà du chiffre, l'âge et la vieillesse peuvent englober des réalités et un physique ou psychique très divers. Après tout, « A quel âge est-on vieux » 5 ?

1. DUPAQUIER, Jacques, Le vieillissement de la population dans le monde, Paris, CNRS, 2006, 1 vol. p.9

2. CARADEC, op.

3. DUPAQUIER, op, p.9

4. CARADEC, op.

5. ENNUYER, Bernard, « À quel âge est-on vieux ? La catégorisation des âges : ségrégation sociale et réification des individus », Gérontologie et société, 2011, vol. 138, no 3, p. 127 142.

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Âge de la vieillesse

6. www.larousse.fr , h t t p : / / w w w. l a r o u s s e . f r / d i c tionnaires/francais/vieillesse/81921?q=vieillesse#80953. consulté le 28/01/2017

7. DUPAQUIER, op . p.7

8. BOURDIEU, Pierre, cité dans ENNUYER, Bernard, op, p.142.

9. Ibid.

Le Larousse définit la vieillesse comme la « Dernière période de la vie normale, caractérisée par un ralentissement des fonctions; fait d’être vieux : Avoir une vieillesse heureuse. » ou « Diminution des forces physiques et fléchissement des facultés mentales qui accompagnent habituellement cette période : Vieillesse de l’esprit. » 6 Ainsi, il s’agit bien d’un état et non pas d’un âge numérique. Jacques Dupaquier, démographe, explique, « Traditionnellement, on a l’habitude de choisir le 60e anniversaire comme seuil de la vieillesse, mais aujourd’hui on tend généralement à le porter à 65 ans. Quant à la limite de ce qu’on dénomme « le grand-âge», elle se situe quelque part entre 70 et 85 ans. » 7 Il différencie en effet les « jeunes-vieux », atteints de déficiences physiques ou mentales précoces, et les « vieux-jeunes », ceux qui ont atteint un âge auquel la plupart des gens sont très limités tant physiquement que psychiquement, mais qui conservent de très bonnes capacités. Chacun est touché par l’âge de manière différente. A quel âge délimitons-nous alors la vieillesse ? De nombreuses variables sont à prendre en compte et Bernard Ennuyeux nous rappelle, en citant notamment les travaux de Bourdieu et bien d’autres, que l’âge est une construction sociale subjective. « L’âge est une donnée biologique, socialement manipulée et manipulable »8. Cette construction sociale et cette « catégorisation » des individus s’observent dans la vie quotidienne. Elles sont en effet renforcées par les institutions avec, par exemple, la définition de l’âge de la retraite, ou bien la SNCF qui définit un âge pour bénéficier de tarifs « séniors ». Pourtant, comme le précise Bernard Ennuyeux, il y a plusieurs âges. L’âge « chronologique », l’âge « biologique », l’âge « social » 9 ... Tous les travaux de recherche abordant les problématiques de la vieillesse débutent par une définition de l’âge qu’ils considèreront dans leur étude, tout en nuançant et en précisant la difficulté de cette délimitation. Dans son rapport Vivre ensemble plus longtemps, le centre d’analyse stratégique définit par exemple les différents termes qu’ils utiliseront dans leur étude pour définir les tranches d’âge :

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« Les “seniors” désigneront dans ces pages l’ensemble des individus ayant entre 50 et 75 ans. Encore en emploi ou à la retraite, ils sont bien insérés dans la vie sociale ou économique. Ils sont en bonne santé, même si des distinctions en termes de catégories sociales mettent en évidence des différences importantes. Les “personnes âgées” (ou les “aînés”) désigneront les plus de 75 ans : c’est autour de cet âge que la santé se dégrade durablement et que des vulnérabilités plus ou moins importantes apparaissent. La vie sociale est parfois moins intense et des processus de retrait commencent à s’observer. Un “sous-groupe” mérite toutefois d’être distingué ici : les personnes âgées de 75 à 85 ans, qui malgré la dégradation de leur état de santé restent autonomes (ce sont celles qui, dans le langage courant, sont désignées sous le vocable de “troisième âge”). Enfin, au-delà de 85 ans, le risque de perte d’autonomie s’accroît très fortement : c’est le “grand âge” marqué par des processus souvent accélérés de perte d’autonomie et de grandes fragilités .» 1

1. Centre d'analyse Stratégique, cité par ENNUYER, op, p. 135.

Dans notre étude nous considérerons le statut de « personnes âgées » d’après plusieurs dimensions qui nous paraissent déterminantes dans la relation au logement et dans la capacité d’adaptation des habitants aux rénovations urbaines : Nous nous attacherons en premier lieu au statut d’ anciens : ceux qui habitent depuis longtemps dans le quartier, en ont une connaissance précise et en tirent une certaine légitimité. Nous considérons donc l’âge comme expérience et accumulation de souvenirs ou de connaissance sur un lieu. Nous prendrons également en compte le seuil des 60 ans : âge approximatif de la retraite et du départ des enfants. C’est le moment où le logement, nous le verrons, semble prendre davantage de signification. N’ayant plus d’activité professionnelle, les retraités passent plus de temps à domicile. Le logement est aussi un loeu de vie social, il recoit la famille, les amis. Les relations sociales tissées dans le monde professionnel s’effritent et laissent place aux relations de voisinage et à la famille. 60 ans, au moment de la rénovation urbaine, est donc l’âge

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numérique limite que nous nous sommes fixé, en dessous duquel nous avons considéré que les entretiens seraient hors de propos. Enfin, nous n’oublierons pas la dimension physique du vieillissement qui modifie le rapport au logement et l’ouverture au monde.

1. ENNUYER, op.

2. CARADEC, op.

1. LENOIR, Remy, cité dans ENNUYER, op, p. 66

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Nous prendrons donc la définition de la vieillesse selon plusieurs angles : – Le statut d’ancien, défini par l’expérience, les connaissances et les souvenirs amassés sur un lieu. – L’âge de la retraite comme seuil 1 et son influence sur les relations sociales et familiales – L’âge de la retraite et la baisse des revenus du ménage. – L’âge de la diminution progressive des capacités physiques et de l’énergie vitale 2 (Nous considérons cependant ce dernier point comme résultant avant tout d’un processus et non pas d’un état au moment de l’entretien. Il nous paraît tout aussi intéressant de prendre en compte l’âge auquel la diminution des capacités physiques est à prévoir, que l’âge auquel elle est déjà omniprésente.) Ainsi, comme le résume bien Rémy Lenoir, « l’objet de la sociologie de la vieillesse ne consiste pas à dire qui est vieux et qui ne l’est pas ou à fixer l’âge à partir duquel les agents des différentes classes sociales le deviennent, mais à décrire le processus à travers lequel les individus sont socialement désignés comme tels » 3


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«L’épreuve du grand-âge» La notion d’ «épreuve du grand-âge»

1. MARTUCCELLI, Danilo, cité dans CARADEC, op, p.12.

2. CARADEC, op, p.12 3. Ibid, p.12

4. Ibid, p.13

5. Ibid, p.13-14

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Danilo Martucelli explore dans ses travaux la notion d’ épreuve, c'està-dire les « défis historiques, socialement produits, inégalement distribués, que les individus sont contraints d’affronter »1 . Cette notion nous a semblé particulièrement intéressante à explorer face à la problématique du relogement des personnes âgées. Il définit l'épreuve à deux niveaux : le niveau sociétal et le niveau des expériences individuelles. Au niveau des expériences individuelles, l'intérêt de l'analyse des épreuves se situe avant tout dans la « manière dont les individus s'y confrontent et les surmontent différemment en fonction des ‘‘amortisseurs’’ sociaux dont ils parviennent à s'entourer. » 2. Au niveau sociétal, l'épreuve prend la force d'une « tension entre deux principes conflictuels » 3. Martuccelli dresse ainsi une liste ouverte de 8 épreuves identifiées. Il cite par exemple l'épreuve du travail, caractérisée par la tension entre la vertu (comme capacité de se réaliser et de développer des aptitudes) et la récompense obtenue (qui s'avère souvent insatisfaisante et prend la force d'une « évaluation arbitraire »). Autre exemple, l'épreuve urbaine, est caractérisée par la tension entre enracinement et mobilité. A cette liste, Vincent CARADEC se propose d'ajouter l'épreuve du grandâge. « L’épreuve du grand âge est en grande partie inédite, propre à notre époque. En effet, jamais encore aucune société n’a amené une fraction aussi importante des individus qui la composent jusqu’à un stade aussi avancé de leur existence, ne leur a octroyé une telle période de temps à gérer par eux-mêmes dans la dernière partie de leur vie, ni ne les a confrontés de manière aussi massive et marquée au grand âge et à la tension entre ‘‘éloignement du monde’’ et ‘‘maintien dans le monde’’. » 4 Ainsi, l’auteur cherche à définir l’épreuve du grand-âge selon la tension entre d’un côté « les ‘‘prises’’ de l’individu sur le monde [qui] tendent à s’effriter » (abandon d’activité, perte de proches, transformation du monde) et de l’autre celles qu’« il s’efforce de maintenir » voire de « recréer ».5


Dans son article, il développe cette idée selon trois dimensions que nous retiendrons : - « Le rapport pragmatique au monde » définit par le faire, le faire avec. Il aborde notamment la notion de « déprise des activités ». Ce processus par lequel les personnes âgées se voient obligées d'abandonner certaines activités qui leur sont chères ou de trouver des stratégies d'adaptation pour les maintenir. C'est aussi, au contraire, dans cette dimension que l'on observe le regain d'énergie des personnes arrivant à la retraite, prenant conscience de leur finitude et multipliant les activités pour profiter de la vie. On remarque donc, dans cette première dimension, la tension entre les « prises de l'individu » qui s'effritent, avec l'abandon de certaines activités, et les prises qu'il cherche à maintenir en s'adaptant ou en en s'investissant dans de nouvelles activités. - « Le rapport à soi », qui est de l'ordre de l'être, de la définition de chacun, de la construction de l'individu. La tension entre « l'achèvement de soi » et l’« inachèvement de soi » y est explorée. La personne âgée est-elle située dans le présent ou le passé ? Est-elle définie par ce qu'elle a été ou par ce qu'elle est ? C'est une tension entre le sentiment d'avoir accompli suffisamment de chose pour définir l'image que l'on veut laisser et le sentiment d'imperfection de l'image que l'on laisse. - « le sentiment d'appartenance au monde ». Ici, l'auteur aborde une approche qui nous intéresse tout particulièrement dans notre étude, celle de la tension entre « étrangeté au monde » et « familiarité avec lui ». A l'heure du grand âge, un sentiment paradoxal, déjà présent tout au long de la vie, se renforce. C'est ce sentiment à la fois d'identification à son époque, à son quartier, à des valeurs, mais aussi d'étrangeté face à lui. Il cite notamment à ce propos Margareth Mead, parlant d'« immigrant dans le temps », « porteur d'une culture plus ancienne » 1. Il arrive un âge où le monde évolue plus vite que l'individu, qui, ayant connu d'autre époque, a parfois du mal à s'identifier à la culture actuelle.

1. MEAD, Margareth, cité dans CARADEC, op, p.28.

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Cette approche de la vieillesse nous paraît particulièrement pertinente pour comprendre le comportement et les réactions des personnes âgées lors des rénovations urbaines. Retrouve-t-on cette tension entre deux principes conflictuels? Le relogement et les rénovations urbaines accentuent-elles ce sentiment paradoxal d'appartenance au monde et de familiarité avec lui. Influencent-t-ils le rapport à soi et le rapport pragmatique au monde des personnes concernées ? Nous verrons que la tension entre ces deux principes conflictuels est acentuée par les vulnérabilités des personnes âgées modestes subissant des rénovations urbaines. En effet, le rapport pragmatique au monde est bien plus fragilisé lorsque les personnes âgées n’ont pas les ressources financières pour s’adapter. La rénovation urbaine venant s’additionner à ces deux premières vulnérabilités (âge et revenus) met en lumière toutes les fragilités des ménages, les oblige à s’y confronter et peut considérablement destabiliser le rapport à soi. Cette métamorphose radicale de l’environnement accélère le sentiment d’étrangeté au monde, mais peut également réveiller un mouvement de groupe, un rassemblement d’anciens du quartier, de mémoires de la ville, revalorisant les anciens, leur redonnant une place dans la vie sociale. La mise en lumière des fragilités, est également l’occasion de mettre en lumière les capacités de ces anciens.

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La signification du logement et de l'habitat à l'heure de la vieillesse « Le handicap, le vieillissement et le grand âge sont des moments privilégiés pour observer et comprendre les enjeux vitaux de l’attachement au logement et les fonctions fondamentales qu’il garantit pour permettre à l’homme de rester vivant. » 1 L'heure de la vieillesse exacerbe les particularités des relations de l'individu à son habitat. Pour tous, le logement est un abri, le lieu de notre intimité, le reflet de soi et de notre place dans la société, c'est ce lieu stable d'où l'on part et où l'on revient. Les sans domiciles fixes, les nomades sont alors des anomalies pour la société.2 Mais nous explorerons le sens spécifique qu'il prend lorsque l'âge avance.

1. DREYER, op, p. 1

2. LAROQUE, OP, p.8-11

« Ma maison, c’est mon château, c’est le lieu de mon intimité, celui dont je peux interdire l’accès, celui dont j’ai la clé. (…) C’est mon repaire, (...) mon lieu de ressources où je refais mes forces. » 3 Le logement est, à l'origine, un abri. C'est en premier lieu une protection « contre les aléas de la nature » 4. Son premier rôle est donc d'assurer les qualités de confort minimales de l'individu, le protéger du froid, de l'humidité, du vent, et des agressions extérieures. Les personnes âgées ont d'autant plus besoin de cette protection car leurs défenses réduisent. Elles sont fragilisées. Leurs capacités d'adaptation aux changements de températures s'amenuisent. Le logement doit donc être un lieu sûr à l'écart de tous les dangers. Or, les accidents domestiques sont reconnus comme la troisième cause de décès des personnes âgées après les maladies cardiovasculaires et le cancer, pour 80 % des chutes. 9000 décès par an dus à une chute sont recensés pour les plus de 65 ans.5 Le logement doit donc s'adapter à son habitant vieillissant et continuer à le protéger.

3. Ibid, p.8

4. FIJALKOW, Yankel, cité dans HABOUZIT, Rémi, « Changer les villes pour changer les habitudes : les effets de la rénovation urbaine sur les manières d’habiter » dans Cailly L. et Dureau F., Les espaces du logement : pratiques habitantes et politiques publiques, L’Harmattan., Paris, 2016. p.1

5. DEOUX, Suzanne, MASSOT, Odile, GIRARD, Véronique, « L’habitat, facteur de santé des trente dernières années de vie des aînés ? », Gérontologie et société, 2011, vol. 136, no 1, p. 91 103.

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1. LAROQUE, op, p.8

« Ma maison, c’est aussi le prolongement de moi-même, celui que je connais tellement que je m’y dirige sans le voir, où je sais, sans en être toujours conscient, où se trouve chaque objet, chaque pli, chaque fissure. » 1 Le logement est le reflet de chacun, il participe à la construction de l'individu. Celui des personnes âgées devient donc un palimpseste représentatif de son histoire personnelle, de celle de sa famille et de ses proches. Ses murs, son toit, sa façade, tout comme les meubles et les objets qui le compose, disent quelque chose de son habitant. Avoir la maitrise de son logement est donc aussi maitriser l'image de soi-même.

2. Ibid, p.10

« Mon logis me reflète jusque dans mes difficultés. Mais suis-je prêt à les contempler et à m’y confronter chaque jour ? » 2 Pour les personnes âgées, le logement peut également refléter les difficultés tant physiques que psychiques de la personne. Il nous reflète dans nos qualités comme nos défauts, dans nos aptitudes comme dans nos difficultés.

3. Ibid, p.10

4. Ibid.

5. DEOUX, et all., op.

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« Ma maison ne sera, pour autant, pas fixée et figée : je la transformerai peut-être au fil du temps, au fil de mon évolution, de celle de mes goûts et aussi, de mes capacités. » 3 La difficulté est alors pour les plus âgés d'accepter de modifier leur logement et de l'adapter à leurs capacités régressant. Accepter de modifier son logement c'est accepter de devenir vieux.4 Les professionnels du milieu médical et les proches sont souvent confrontés à un violent refus de tout aménagement. Ces aménagements apportent souvent un caractère médicalisé et froid, une mécanisation du logement qui n'est pas acceptée par les habitants. 5


« C’est mon repère, mon point fixe, celui où les mémoires s’organisent. » 1 Geneviève Laroque utilise même la métaphore de la « prothèse ». Le logement comble ainsi les difficultés de son occupant, il sert de mémoire. Il comporte en effet les traces de ses habitants et du temps qui est passé. Les souvenirs s'amassent, les photos, les objets, ... C'est un repère stable nécessaire à la stabilité psychique de l'individu. C'est le lieu d'où l'on part et où on revient, le lieu stable malgré les tempêtes. « La décision d’abandonner ‘‘ma maison, mon château’’ est une grave défaite si elle n’est que subie. » 2

1. LAROQUE, op, p.9

2. Ibid p.11

En effet, la question du départ des personnes âgées en institutions médicalisées est de plus en plus remise en question, le maintien à domicile, nous le verrons, est de plus en plus défendu, notamment dans les politiques publiques. Le traumatisme dû au départ du logement peut parfois être le déclencheur d’une régression des capacités physiques ou mentales. C’est face à ce constat que notre étude nous semble d’autant plus pertinente. Le relogement ou l’atteinte de l’individu âgé dans son rapport au logement, peut-il être un véritable traumatisme, déclencheur d’un repli sur soi, ou d’un déclin de santé ? « C’est l’existence de ce lieu (...) qui justifie ma place dans la société » 3

3. Ibid, p.8-9

Ce lieu défini et positionne son habitant par rapport à ses contemporains. Il le situe dans l’échelle sociale. Le placement en institution médicalisée peut donc, par exemple, positionner la personne concernée comme une personne dépendante, et non plus active dans la société.

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4. LAROQUE, op, p.8

5. DJAOUI, Elian, « Approches de la “culture du domicile” », Gérontologie et société, 2011, vol. 136, no 1, p. 84

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«C’est aussi le lieu que je peux ouvrir, où je peux recevoir mes amis, ceux à qui je m’intéresse et à qui j’offre ce privilège.» 4 Le logement revêt également un rôle capital dans la vie sociale de son occupant. A la retraite, les dynamiques sociales sont chamboulées. On observe souvent un repli sur la famille. Les relations sociales tissées dans le cadre du travail s’effritent peu à peu et le logement, dans lequel l’occupant passe alors le plus clair de son temps accueille souvent la famille. Les relations de voisinage sont alors également plus importantes. Elian Djaoui, à propos de ce qu’il définit comme « la culture du domicile » rappelle que le domicile est « le lieu où se développe une culture familiale » et que « Cette micro-culture se maintient à travers le temps; et ce même si avec l’avancée en âge, l’habitant se retrouve à vivre seul suite aux changements affectant sa vie familiale et sociale (déménagements, deuils, etc.). » 5 En effet, le logement garde les traces de la vie familiale mais continue également de revêtir le rôle d’accueil et de réunion de la famille.


La famille et les « aidants » un soutien face à «l'épreuve du grand-âge» « La jeunesse est le temps privilégié des amitiés, la maturité celui des relations de travail et la vieillesse celui des relations de parenté » 1 La famille revêt, il est reconnu, un rôle d'aide et de soutien tant financier que pratique. « Dans un contexte de fragilisation des protections sociales, la famille offre à ces ménages, dont les revenus sont modestes et pour qui la précarité n'est jamais très loin, une ‘‘protection rapprochée’’.» 2 Mais plusieurs paramètres doivent être croisés pour mieux comprendre les relations que les membres d'une famille entretiennent en réalité. Pour cela, Catherine Bonvalet, dans son étude sur les relations familliales3 et dans son étude sur les relations familliales des personnes âgées 4, croise trois données : La distance géographique, la fréquence des contacts et l'aide apportée. Elle en ressort différentes catégories de relations familiales dont la « famille entourage-locale » dans laquelle les contacts entre plusieurs ménages de la même famille sont quotidiens, les ménages habitent à proximité (même commune ou commune limitrophe) et s'aident régulièrement. Un sous-groupe se détache, les « familles entourage locales semi co-résidentes » dans lequel les ménages habitent par exemple dans le même immeuble. A l'inverse, il existe des familles « étendue dispersée » dans lesquelles il n'y a pas de proximité géographique, et les rencontres sont moins nombreuses mais les contacts et les aides restent fréquents. Elle dresse également une dernière catégorie, les familles « étendue atténuée » dans lesquelles les liens entre les membres sont distendus indépendamment de la localisation des ménages. A ce propos, contrairement à ce qui a longtemps été supposé, il a été démontré que les citadins et notamment les Franciliens, entretiennent d'importantes relations familiales : « Si la migration vers Paris s’est traduite par un déracinement au moment de l’exode rural, cinquante ans plus tard les familles « ont fait souche », non seulement à Paris, mais en proche et lointaine banlieue ou dans les villes nouvelles. » 4

1. HERAN, Francois, 1988, cité dans BONVALET Catherine et LELIEVRE Éva, « Relations familiales des personnes âgées », Retraite et société, 2005, vol. 45, no 2, p. 55 2. CASTEL R., HAROCHE C, cités dans GILBERT, Pierre, « Devenir propriétaire en cité HLM : Petites promotions résidentielles et évolution des styles de vie dans un quartier populaire en rénovation », Politix, 2013, vol. 101, no 1, p. 90. 3. BONVALET, Catherine, 2003, La famille-entourage locale, Population, vol. 58, no 1, p. 9-43. 4. BONVALET Catherine et LELIEVRE Éva, « Relations familiales des personnes âgées », Retraite et société, 2005, vol. 45, no 2.

4. Imbert, cité dans BONVALET Catherine et LELIEVRE Éva, « Relations familiales des personnes âgées », Retraite et société, 2005, vol. 45, no 2, p.54

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1. BONVALET et LELIEVRE, op.

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L'étude tant quantitative que qualitative dont Catherine Bonvalet fait le rapport est très fournie. Elle dresse le portrait des relations familiales des personnes âgées de 50 à 70 ans en île de France. Cette tranche d'âge est en effet une génération pivot 1 qui soutient à la fois les plus jeunes et les plus âgés. Nous en apprenons donc d'avantage sur les relations familiales des personnes très âgées dans son étude des relations de cette génération pivot avec ses ascendants.


Nous en retiendrons avant tout la disparité des liens qu’entretiennent les membres d’une famille. Les liens sont de plus en plus fréquents plus l’âge de l’ascendant avance mais les liens affectifs n’en sont pas pour autant accrus. La relation peut devenir une contrainte et la proximité affective n’est pas essentiellement renforcée. Nous retiendrons également que les femmes entretiennent davantage de lieux familiaux. « Pour les enquêtés de plus de 60 ans dont un enfant vit hors du foyer, 67 % entretiennent des contacts au moins hebdomadaires avec lui ou elle. Si cet enfant est une fille, cette proportion s’accroît : les deux tiers ont des contacts au moins une fois par semaine.» 1 Enfin, la distance n’influence que la fréquence quotidienne voire hebdomadaire des relations. Au-delà, la distance ne semble pas modifier la fréquence des contacts entre les personnes âgées et leurs enfants. (En moyenne de 2 fois par mois). L’étude montre que 32,5 % des personnes âgées de 50 à 70 ans habitent à proximité de leurs parents plus âgés, 18,8% sont co-résidents. 2 Les relations familiales des personnes âgées sont essentielles dans notre étude puisqu'elles influent sur les décisions liées au logement. « Ainsi 14 % des enquêtés de plus de 60 ans ne souhaitent pas déménager pour rester à proximité de leurs enfants (contre 7 % des générations plus jeunes).» 3 La famille joue un rôle essentiel tant sur la localisation du logement que dans l'accompagnement des décisions qui y sont liées. La famille revêt un rôle de conseil, notamment pour les plus jeunes lors de la première installation, mais également pour les aménagements nécessaires à l'heure de la vieillesse. Le logement des personnes âgées ayant souvent été le logement familial, la relation que les autres membres de la famille entretiennent avec lui est également importante. Le logement, nous l'avons démontré, est particulièrement important dans la construction de l'individu et ce, dès le plus jeune âge. Le logement familial l'est donc aussi pour les enfants et nous le verrons, ceux-ci prennent parfois part aux décisions qui y sont liées. Même s’ils n'y habitent plus, le logement dans lequel ils ont grandi reste un chezeux affectif, un repère, une origine.

1. BONVALET Catherine et LELIEVRE Éva, « Relations familiales des personnes âgées », Retraite et société, 2005, vol. 45, no 2, p.60.

2. L’étude s’appuie sur des données collectées par l’INED de mars 2000 à septembre 2001 en île de France.

3. BONVALET et LELIEVRE, 2005, op, p. 62

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Le vieillissement des locataires du parc social Les locataires âgés du parc social, des ménages doublement vulnérables

1. www.logement.gouv.fr , consulté le 28/01/2017

2. http://www.anah.fr/proprietaires/proprietaires-bailleurs/le-niveau-de-ressources-des-locataires. Consulté le 7/02/2017 3. « Le taux d'effort est le rapport entre la somme des dépenses liées à l'habitation principale et les revenus des ménages. » (insee.fr) Pour les locataires cela comprend le loyer, les charges locatives, la taxe d'habitation, et les dépenses éventuelles en énergie supplémentaires.

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Les logements sociaux ou Habitations à Loyer Modéré (HLM) sont des logements soumis à des règles fixées par l'Etat. Les loyers sont réduits grâce à une subvention de l'Etat. Par conséquent, l'attribution de ces logements est, en théorie, réservée aux ménages aux revenus les plus modestes. Cependant, en France, il existe de nombreuses catégories de logements sociaux. Selon la convention signée entre le bailleur et l'Etat, la subvention sera plus ou moins élevée. En moyenne les loyers du parc locatif social sont deux fois moins chers que ceux du parc privé, parfois trois fois moins. En janvier 2015, le prix locatif moyen d'un appartement dans le privé s'élevait à 22,30 euros au m², contre 7,48 euros dans le parc social. 1 Il existe différentes catégories de subventions pour la construction de logement social, définies au moment de la construction de l'immeuble : - Le PLAI (Prêt locatif aidé d'intégration), qui propose des logements aux ménages les plus précaires. - Le PLUS (Prêt Locatif à Usage Social), correspondant à 80 % du parc social - Le PLS (Prêt Locatif Social), situé dans les zones où le marché locatif est le plus tendu, les loyers sont les plus élevés. Chaque catégorie de subvention plafonne ainsi les revenus des locataires pour les attributions. Pour certaines catégories, les plafonds sont parfois assez élevés. Ainsi, par exemple, en 2017, pour une personne seule, en Ile-de-France, les ressources plafonds définies pour l’accès à un logement aillant bénéficié de conventions à loyers intermédiaires, s’élève à 36 993€ de revenus par an. 2 Les loyers sont réglementés assurant aux ménages un taux d'ef3 fort raisonnable. Les habitants de ces immeubles ne sont donc pas propriétaires, ils doivent régler leur loyer à un bailleur qui définit des règles (d'utilisation des balcons, de respect des parties communes par exemple) que les locataires doivent respecter. Ce sont souvent de grands organismes, des institutions gérant un parc locatif important et donc, de nombreux locataires. Le rapport institué entre le bailleur et les locataires


est donc assez anonyme, c’est une gestion de masse, en comparaison avec la relation qu’un propriétaire privé pourrait entretenir avec les locataires de son logement. Les systèmes d’attribution sont également assez complexes et flous. Les locataires font face à de longs délais d'attente pour obtenir un logement et ne comprennent pas toujours toutes les décisions ni toutes les démarches. Les populations concernées étant les plus modestes, ce sont donc également parfois des ménages immigrés ou peu instruits, n'ayant pas les compétences ou les capacités nécessaires à négocier. Cependant, le logement social représente une certaine sécurité. Il est l'assurance d'un loyer modéré et stable. Les bailleurs assurent le maintien des ménages dans les lieux, sauf en cas d'impayés importants. Mais, même dans ce cas, les ménages sont accompagnés et suivis. Ces grands organismes ont en effet les moyens et les capacités de mettre en place des cellules d'accompagnement pour les difficultés que peuvent rencontrer leurs locataires. Dans le cadre des rénovations urbaines et des démolitions, les bailleurs ont donc une obligation de relogement envers leurs locataires. Les personnes âgées modestes, faisant face, nous l’avons vu, à l’épreuve du grand âge, sont des ménages d’autant plus « fragilisés »1 et vulnérables. Les ménages les plus fragiles parmi les locataires du parc social sont généralement les familles nombreuses, les familles immigrées et les personnes âgées. En plus de leur vulnérabilité financière ces ménages rencontrent d’autres difficultés et contraintes. Nous nous intéressons donc au cas particulier des personnes âgées locataires de HLM pour leur vulnérabilité accrue. Perla Serfaty-garzon associe le couple « habiter et vieillir » au couple « abri et précarité », ce qui nous montre bien la précarité des personnes âgées de toute classe sociale face à leur logement.2 En ajoutant à cela des revenus modestes nous pouvons alors parler de double vulnérabilité ou de double précarité. Ces locataires âgés sont de plus en plus nombreux. En effet, nous l’avons vu, la population française vieillit. Les locataires âgés sont de plus en plus nombreux pour plusieurs raisons. Premièrement, les ménages locataires de ce parc ont souvent une mobilité résidentielle assez limitée. Si, pour certains, le logement social n’est qu’une étape dans une trajectoire résidentielle

1. BONVALET et LELIEVRE, 2005, op

2. SERFATY-GARZON, Perla, 2014, Chez-soi, vieillesse et transmission. Les enjeux de la trace et du don, in Habiter et vieillir Vers de nouvelles demeures, MEMBRADO Monique et ROUYER Alice(sous la direction de ) Toulouse, ERES (coll. « Pratiques du champ social »).p.25-42.

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1. LEVY, Jean-pierre, cité par LELEVRIER, Christine, 2008, Les trajectoires résidentielles des ménages dans les opérations d’île-deFrance, in HUYNH, Phuong Mai et FRANCE. PLAN URBANISME CONSTRUCTION ARCHITECTURE (eds.), Démolitions-reconstructions et trajectoires résidentielles des ménages état des savoirs et perspectives d’action actes du colloque du 15 avril 2008 [à l’École des Ponts et chaussées à Paris], Paris-La Défense, PUCA, Plan urbanisme construction architecture (coll. « Actes de colloque 195 »), 1 vol. (153 p.) p. 64 -76 2. LELEVRIER, 2008, Les trajectoires résidentielles des ménages dans les opérations d'île-de-France, in HUYNH, op.

3. CENTRE D'ANALYSE STRATEGIQUE,2011, L'adaptation du parc de logements au vieillissement et à la dépendance, La note d'analyse n°245, Questions sociales, www.stratégie.gouv

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« ascendante » 1, pour d’autres le logement social est le lieu de leur installation. La modestie de leurs revenus, la précarité de l’emploi, ou la taille de ces ménages peuvent être des freins à une ascension résidentielle. Nous avons donc aujourd’hui un nombre croissant de locataires vieillissants dans des logements qu’ils occupent depuis de nombreuses années. Christine Lelevrier utilise le terme de ménages « assignés à résidence », car aux possibilités de mobilité résidentielles très réduites.2 Ils occupent souvent de grands logements depuis de nombreuses années, que les enfants ont aujourd’hui quitté. Les bailleurs font alors face à une sous-occupation croissante de leur parc locatif. Mais ces locataires vieillissants sont également rejoints par de nouveaux locataires faisant le choix du logement social pour compenser la baisse de leur revenus consécutive au départ en retraite. En 2000, 20 % des locataires du parc social avaient plus de 65 ans contre 16% dans l’ensemble de la population. En 2035, on prévoit 31 % de locataires de plus de 65 ans dans le parc social contre 26,6% dans la population générale.3 Les professionnels du logement social sont donc confrontés à un nouveau contexte et de nouveaux enjeux d’ordre sociaux, politiques, économiques, démographiques, techniques, réglementaires, ou encore de gestion patrimoniale. En effet, ces locataires âgés sont de plus en plus souvent seuls et leur dépendance augmente. Qui dit dépendance et solitude dit besoin de services adaptés et d’aménagements, tant des parties communes que des logements en eux-mêmes. Comment les professionnels du parc locatif gèrent-ils ces nouveaux enjeux ?


Le prix « HLM partenaire des âgées »

1

1. http://www.hlm-partenairesages. fr/ consulté le 07/02/2017

Consciente de ces problématique, la Fondation de France a mis en place un prix pour « récompenser les bonnes initiatives des bailleurs sociaux en faveur de la transition démographique » selon trois catégories : - La catégorie « gestion locative, sociale et de proximité ». En 2015 Le bailleur social Habitat 29 a par exemple été primé pour son approche globale des besoins liés au vieillissement (adaptation de l’offre, développement d’un partenariat élargi, formation et sensibilisation des équipes, etc). - La catégorie « habitats regroupés » récompense « la meilleure réalisation d'habitats regroupés et/ou de logements intergénérationnels, dans laquelle ont été pris en compte de manière spécifique les besoins liés au vieillissement. » En 2015, Noelia a été récompensé pour la création d'un logement laboratoire permettant de tester des équipements domotiques de maintien à domicile. - La catégorie « Lien social » récompense les actions visant à renforcer le lien social et à repérer les locataires âgés fragilisés, comprenant notamment la lutte contre l'isolement des personnes âgées. En 2015, L'OPAC du Rhône a été récompensée dans cette catégorie pour la réalisation d'une conférence débat et le lancement d'une enquête portant sur les besoins liés au vieillissement en direction de l'ensemble de ses locataires. BONNE PRATIQUE

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Les politiques du logement face à la vieillesse

1. MALVERGNE, Eric, op. 2. Ibid 3. Propagande et Action Contre les Taudis 4. Société Nationale des Chemins de Fer (SNCF), Caisse Nationale d’Allocation Vieillissement (CNAV), Caisse Nationale de Compensation d'Assurances Vieillesse des Artisans (CNCAVA), Caisse Nationale de Retraites des Agents des Collectivités Locales (CNRACL). 5. Agence Nationale pour l’Amélioration de l’Habitat.

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Les problématiques et les enjeux des politiques du logement des personnes âgées ont considérablement évolué au fil des dernières années. Alors que dans les années 1960 les enjeux des politiques de la ville étaient avant tout de loger l'ensemble de la population dans des conditions décentes, donnant accès au confort (sanitaires, chauffage, lumière, etc.), les politiques étaient d'avantage orientées vers le logement des familles. Les personnes âgées étaient, dans les années d'après guerres les mieux loties, car propriétaires de petits logements, de « sam suffit » 1, sans chauffage, ni sanitaires mais avec un toit contrairement à beaucoup de jeunes ménages. La construction des grands ensembles apporte alors un confort inédit à de nombreux ménages accédant à des T3, T4 parfois T5, lumineux et spacieux. Les personnes âgées sont quant à elles souvent restées dans les centre bourg délaissés et dans les taudis. C'est alors que ces « nantis d'après-guerre » 2 deviennent les plus mal lotis et que les politiques et associations de défense des conditions de logement des personnes âgées se développent. Le mouvement PACT 3 est le plus actif avec notamment les premiers opérations « peintures, papiers peints ». De nombreuses conventions sont signées avec des organismes comme la SNCF, la CNAV, la CANCAVA, ou encore la CNRACL 4. En 1971 avec la création de l'ANAH 5 les conditions de vie des personnes âgées ne cessent de s'améliorer. Cependant, dans les années 2000, avec la crise financière qui frappe la France, la précarité des conditions de vie des personnes âgées refait surface. Elles sont de plus en plus nombreuses à être soutenues par le secours populaire ou encore Emmaüs qui alertent le gouvernement. En effet, le chômage grandissant et la précarité des emplois a d'importantes répercussions sur le logement. Ces ménages, confortablement installés dans les années 1970, ne parviennent plus à entretenir leur logement et remettent à plus tard les travaux nécessaires. Les grands ensembles vieillissent et les équipements les rendant si confortables à l’origine sont alors vétustes. Les accidents à domicile augmentent et la canicule de 2003 dresse un bilan


catastrophique. Cet événement va mettre en évidence l’isolement social de cette population et le véritable problème d’isolation thermique des bâtiments des grands ensemble. En effet, ce sont bien les populations installées dans les années 1970 qui ont vieilli sur place, notamment en banlieue périurbaine où le problème s’amplifie 1. Elles sont également rejoint, nous l’avons vu, par de nouveaux locataires âgés suite à la baisse des revenus à la retraite. Dans son enquête budget-famille en 2006 l’INSEE révèle l’importance des dépenses liées à l’énergie pour les ménages âgés. Elles représentent 10 % de leurs dépenses contre 6 % pour l’ensemble de la population. 2 Ils soulèvent également la difficulté d’emprunt et la discrimination des banques avec l’avancée en âge. Les coûts d’adaptation et d’aménagement sont pourtant parfois très élevés. En France, les obligations d’adaptation de l’existant sont presque inexistantes. Le locataire ne peut pas obliger son propriétaire à adapter son logement, ni à installer un ascenseur dans les parties communes. L’effort est avant tout fait sur le neuf, mais cela ne représente qu’1% du parc de logement et ces nouveaux logements ne s’adressent pas nécessairement aux personnes âgées souvent réticentes à déménager. En 2009, la fondation Abbé Pierre alerte : « Comment et où se loger quand les ressources diminuent ou lorsque survient la perte d’autonomie ? » 3 Dans les années 2000, c’est donc une nouvelle politique davantage médico-sociale qui est mise en place face aux problématiques de l’habitat. De nombreuses et diverses aides financières ont été mises en place mais la plus importante reste celle de L’ANAH qui lutte activement pour l’adaptation des logements existants et pour le maintien à domicile. En 2010 l’agence nationale des services à la personne a mis en place une nouvelle prestation permettant de détecter les éventuelles nécessités d’aménagement. Les « aidants » du secteur médico-social rapportent alors au mouvement PACT les éventuels besoins. Ces nombreux acteurs se sont regroupés dans un collectif associatif « pour que soit déclarée « Grande cause nationale » la réduction des ‘‘accidents domestiques et de loisirs’’ avec comme principal ‘‘cheval de bataille’’ la baisse des chutes mortelle des personnes âgées dans leur logement. » 4

1. CENTRE D'ANALYSE STRATEGIQUE, op.

2. Ibid.

3. Fondation Abbé pierre, cité dans MALEVERGNE, op, p.56

4. MALEVERGNE,op, p.60

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Les politiques de l'habitat face au vieillissement de la population sont donc aujourd'hui d'avantage tournées vers l'adaptation de l'existant aux nouveaux besoins qui apparaissent à l'heure de la vieillesse. L'aide est à la fois financière et personnalisée, car l'enjeux est également de détecter les besoins des ménages âgés qui expriment rarement l'envie ou la nécessité d'aménagements. Toutes ces actions et initatives pour l’amélioration des conditions de vie des personnes âgées s’appliquent cependant au secteur privé. Les financement de l’ANAH peuvent être decernés à des bailleurs du secteur privé mais ne s’appliquent pas aux logements sociaux. Ce sont aux bailleurs du parc locatif social de prendre l’initatice et de financer ces adaptations.

1. MALEVERGNE,op.

Veilleurs de nuit 1 La fondation de France met en place divers services en complément de l'adaptation du logement. Elle finance notamment depuis 2007 des associations de veilleurs de nuits permettant d'aider les personnes âgées la nuit chez elles. Les veilleurs interviennent de façon itinérante ou en cas d'appel d'urgence. Ce financement vient dans le prolongement du développement des petites unités de vie, une alternative aux établissements médicalisés. Ces petites unités de vies permettaient le regroupement de personnes aux mêmes besoins afin de centraliser et de mettre en commun les services nécessaires. BONNE PRATIQUE

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Suède 1 En suède, l'aide aux personnes âgées revient aux communes, qui n'évaluent pas seulement la dépendance, comme en France, mais les besoins plus larges de la personne âgée et de son entourage. Au-delà du médical, donc, le système suédois étudie l'accès aux commerces de proximité, le nombre de marches, l'éloignement des proches... Les aides couvrent les aménagements du domicile mais également les besoins quotidiens (repas, ménage) et sociaux (mobilité, accompagnement). Ces aides prennent en charge l'intégralité des coûts indépendamment des ressources.

1. MALEVERGNE,op.

BONNE PRATIQUE

2. Ibid.

Danemark

2

Au Danemark, depuis la fin des années 1980, une politique très forte de maintien à domicile à été mise en place. Depuis 1987, la construction de maisons de retraites a été stoppée pour favoriser l'adaptation des logements. Lorsqu'une habitation n'est plus adaptée aux besoins d'une personne vieillissante, les communes ont l'obligation de faire gratuitement des aménagements ou bien de proposer un logement adapté de surface équivalente dans le même quartier.

BONNE PRATIQUE

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Rénovations urbaines L'agence Nationale pour la Rénovation Urbaine en Île-de-France

1. http://www.anru.fr/index.php/ fre/ANRU/Objectifs-et-fondamentaux-du-PNRU. consulté le 28/01/2017

2. Ibid

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La loi du 1er aout 2003 pour la ville et la rénovation urbaine institue un Programme National pour la Rénovation Urbaine (PNRU). C'est un effort national pour la rénovation des Zones Urbaines Sensibles (ZUS). L'Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine est en charge de sa réalisation, elle approuve les projets qu'elle finance sur des fonds publics et privés. L'objectif de ce grand projet national est de radicalement transformer ces quartiers classés ZUS concentrant des « ménages en difficulté sociale et économique ». « La rénovation urbaine a pour objet de faire évoluer ces quartiers vers des espaces urbains « ordinaires » caractérisés par la diversité des fonctions et des types d’habitat, l’ouverture et les relations avec le reste de la ville, la qualité des espaces publics. Plus fondamentalement, il importe de donner à tous les habitants de ces quartiers la possibilité de devenir des citoyens à part entière de la cité.» 1 Si les situations et les enjeux varient selon les quartiers visés, des orientations fondamentales sont communes à toutes les opérations. L'objectif de « diversification » des quartiers en termes de typologies d'habitat et de morphologies urbaines tant que des statuts d'occupations est clairement affiché. En effet, les quartiers visés sont souvent des quartiers où le taux de logement social est particulièrement élevé. La production de nouveaux logements vise souvent à rééquilibrer la proportion de logements sociaux par rapport au parc privé. La séparation claire des domaines publics et privés vise à une meilleure lisibilité des espaces urbains. Enfin, l'objectif est, pour beaucoup de quartier, de les désenclaver et de tisser de nouveaux liens avec le reste de la ville. Par conséquent, les opérations sont de natures diverses. Les projets peuvent comporter aussi bien des démolitions, des reconstructions, des réhabilitations ou bien de simples résidentialisations. La cration de nouvelles voiries er d’équipements publics est généralement associée à ces opérations sur le parc de logement. L'ANRU s'engage également sur quatres « objectifs fondamentaux » : – Le relogement des ménages concernés par les démolitions, pour qui les propositions doivent être « adaptées à leurs besoins et leurs ressources ». – « La gestion urbaine de proximité » – L'insertion professionnelle des habitants dans le cadre des travaux. 2


« La rénovation urbaine c'est à la fois changer de logement, mais, en changeant de logement, c'est changer de mode de vie. » Henri COING 1

Les acteurs de la rénovation urbaine Yankel Fijalkow et Pascale Dietrich-Ragon dans leur article, « On les aide à partir » 2 présentent les différents acteurs de la rénovation urbaine et du processus de relogement selon trois scènes. La première, celle des décideurs, est la plus éloignée du terrain et des habitants. Ces acteurs sont en charge des grandes lignes du projets. A cette échelle, la mise en œuvre et les aspects pratiques du relogement sont peu interrogés. La seconde scène est celle des acteurs de la politique de la ville, ils sont « entre le social et l'urbain » 3 , ils font le lien entre les acteurs opérationnels, les bailleurs, les associations de locataires ou encore les urbanistes. Ils sont chargés de la communication, par exemple des calendriers de projet. Proches sans réellement l'être des habitants, ils s'heurtent souvent à un manque d'intérêt leur part, qu'ils tentent de compenser avec une « communication à outrance » 4. En « première ligne » on trouve les acteurs en contact direct avec les habitants. Ce sont les agents sociaux institutionnels classiques (CCAS, CAF 5 ) mais également les « relogeurs » ou les gardiens. Ils sont présents régulièrement sur le site et en contact régulier avec les habitants qu'ils connaissent personnellement. Les travailleurs sociaux ont une casquette institutionnelle mais sont chargés d'aider les habitants dans leurs difficultés notamment financières face au relogement. Ils peuvent aider à trouver des solutions personnalisées. Un véritable lien de confiance s'instaure entre les acteurs de cette scène et les habitants. Ceci est d'autant plus vrai pour les gardiens et les relogeurs. Leur spécificité est la capacité à « se mettre à la place des gens » 6 . Ce sont des acteurs indispensables. Par exemple, avec les personnes âgées, public assez difficile, souvent peu réceptif à la communication et parfois renfermés sur eux-mêmes, le gardien devient une personne très importante de leur vie sociale. Parfois plus proche que leur propre famille, il est à l'écoute de leurs difficultés du quotidien et les connait suffisamment bien pour savoir quels sont leurs besoins précis. Les gardiens et relogeurs ont souvent des profils assez similaires de ceux des habitants. Une proximité sociale peut aider à instaurer une relation de confiance. Ils sont également là pour relayer les informations et les expliquer.

1. Dans TISSIER, Catherine, Retour dans l’îlot n°14, d’après une idée de Fijalkow Yankel 2. DIETRICH-RAGON, Pascale , FIJALKOW, Yankel, « “On les aide à partir”. Le relogement comme révélateur des contradictions du développement social dans le cadre de la rénovation urbaine », Espaces et sociétés, 2013, vol. 155, no 4, p. 113 128. 3. Ibid, p.117

4. Ibid, p.121 5. Centre Communal d'Aide Sociale (CCAS), Caisse d'Allocation Familliale (CAF)

6. FIJALKOW et DIETRICH-RAGON, op, p.125.

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Cette lecture des acteurs selon trois scènes permet de comprendre que l'évaluation de la réussite du projet et du processus de relogement se fait souvent selon des critères bien différents. La première scène n'a parfois pas conscience des difficultés rencontrées par les acteurs des deux autres scènes. Pour cette premiere scène, la réussite du processus de relogement dépend avant tout du respect des délais permettant le bon déroulé des opérations qui suivent. Pour les acteurs des autres scènes, et notamment la dernière, la réussite est souvent assez mitigée. En effet, proches des habitants, ils comprennent les difficultés auxquels ils font face au quotidien mais sont avant tout représentants d'une institution et doivent, au final, s'assurer que tous les locataires auront quitté leur logement dans les temps. Conscients des difficultés des habitants sans réelle marge de manœuvre ou de négociation, la réussite du projet pour eux se situe avant tout dans la satisfaction des habitants après le relogement et son déroulement sans heurt.

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Parcours résidentiels et « mobilités passives » Ces grandes opérations de renouvellement urbain influencent la trajectoire résidentielle des ménages habitant ces quartiers. Qu'ils soient concernés ou non par les démolitions et le relogement, tous les habitants voient leur quartier changer. Jean-Pierre Levy parle de « mobilité passive » 1. En effet, même si certains ménages ne sont pas confrontés au relogement, leur statut résidentiel, leur place dans la société et leur relation à l'espace habité sont modifiés par les rénovations. Les quartiers classés ZUS sont souvent stigmatisés par les habitants extérieurs. Une fois rénovés et transformés ce stigmate peut s'estomper avec notamment l'arrivée de nouvelles populations. Mais, ce sont également toutes les relations de voisinage et les habitudes quotidiennes qui sont chamboulées par ces grands travaux. Catherine Montandon explique à propos des transformations à Vitry sur seine, « Les transformations de l'espace public, les bouleversements du tissu industriel et des modes de vie retentissent sur le rapport des individus à leur espace privé au fur et à mesure qu'ils vieillissent là où ils ont vécu. » 2 Christine Lelevrier et Christophe Noyé se sont penchés sur ces problématiques dès les premières démolitions en Ile-de-France 3. Rappelons dans un premier temps les spécificités de l'Île-de-France pour mieux comprendre les enjeux des démolitions et des relogements auxquels les professionnels font face. Les opérations franciliennes sont confrontées à un marché particulièrement tendu. Le relogement s'étale par conséquent sur deux à cinq ans en moyenne voire parfois plus. L'île de France a également connu une baisse importante de mobilité des ménages entre 2000 et 2006 rendant plus difficile pour le bailleur de mettre en place une vacation anticipée en libérant les logements au fur et à mesure. Les démolitions touchent des quartiers particulièrement pauvres. Les immeubles visés par les démolitions sont souvent ceux accueillant les ménages les plus pauvres et où les loyers sont, par conséquent, les plus bas. Il est alors difficile pour les bailleurs de trouver aux ménages relogés des logement offrant les mêmes avantages.

1. LEVY, Jean-Pierre, cité dans LELEVRIER, 2008, Les trajectoires résidentielles des ménages dans les opérations d'île-de-France, in HUYNH, OP.

2. MONTANDON, p.45.

3. LELEVRIER, 2008, Les trajectoires résidentielles des ménages dans les opérations d’île-de-France, in HUYNH, OP. et NOYE, Christophe, 2008, Les mobilités résidentielles dans les opérations de rénovation urbaine en Ile-de-France, In HUYNH, op.

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1. FIJALKOW et DIETRICH-RAEGON, op, p.155

Les ménages les plus difficiles à reloger sont, d'une part, les personnes âgées occupant de grands logements auxquels elles sont attachées et qui refusent les logements plus petits (problème de sous-occupation), et d'autre part, les grandes familles, souvent immigrées et vivant dans des conditions de sur-occupation. Les bailleurs sont en effet confrontés à la resistance des personnes âgées. Ces anciens des quartiers sont souvent les plus difficiles à faire partir, et les plus difficiles à reloger. Les bailleurs essayent de réduire la taille des logements qu’ils occupent. Les personnes seules occupant des logements de trois ou quatre pièces, dans lesquels ils ont habité avec leur famille, sont en effet de plus en plus nombreuses. Or les grands logements sont de plus en plus rares en Ile de France et ce sont ceux occupés le plus longtemps. Enfin, on observe en Île-de-France un manque de coopération intercommunale ou inter-bailleur qui permettrait de mettre en place une véritable mixité et assurerait la déconcentration des populations défavorisées. Le relogement se restreint en effet souvent au parc du bailleur ou du moins, à la commune. Effectivement, dans les six sites étudiés par Christine LELEVRIER et Christian NOYE, 93 % des ménages ont été relogés dans la même commune, beaucoup sont relogés dans le même quartier, même si cette proportion fluctue fortement selon les sites, de 25 à 80 %. Ce chiffre est en effet très influencé par la politique locale et les configurations du parc existant. Il est également important de noter que les relogements dans le neuf sont très rares dans ces opérations (4 à 9 % en 2007). En effet, en Ile-de-France, les opérations débutaient souvent par les démolitions, les constructions ayant seulement lieu dans une seconde phase. L'objectif est clair : déconcentrer les populations défavorisées et les disperser dans le territoire pour accueillir dans les constructions neuves de nouvelles classes sociales. « Le déménagement est une chance pour tous ceux qui sont capables de s’en saisir (les plus dotés en atouts économiques et culturels) mais peut être une épreuve pour les plus disqualifiés socialement et certains groupes sociaux particuliers, comme les personnes âgées » 1

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L’objectif des rénovations est de mettre en mouvement les ménages « assignés à résidence » 1 et d’en faire « pour chaque locataire, un moment privilégié dans son parcours résidentiel pour l’aider à préciser ses choix et vivre ce relogement comme une seconde chance »2 . A ce propos, Christine Lelevrier a donc étudié les trajectoires résidentielles des ménages concernés par les démolitions. Elle considère la notion de « trajectoire résidentielle » comme « une succession de positions résidentielles »3 . Elle fait donc l'étude précise des différentes « étapes depuis le logement autonome, mises en relation avec les évènements familiaux et professionnels du ménage » 4. A partir des entretiens réalisés dans le cadre de six opérations en Île-de-France, elle définit ainsi différentes typologies de trajectoires liées aux démolitions : – Les « trajectoires stabilisées des vieilles familles ouvrières »: Le relogement se situe alors en fin de trajectoire, les ménages ont une capacité de négociation et apportent un intérêt tout particulier à leurs relations de voisinage. Le relogement peut alors être l'occasion d'un repositionnement géographique et social. – Les « trajectoires subies, celles de ménages fragilisés et de grandes familles » : Dans ce cas, les ménages ont généralement peu de marge de négociation, soit en raison de leurs faibles revenus, de leur endettement ou de leurs difficultés à parler la langue et à comprendre les démarches. Le relogement est alors totalement subi. – Les « trajectoires ouvertes de petits ménages salariés » : Le relogement accompagne alors une ascension sociale ou résidentielle. Nous pouvons avoir une idée des proportions que représentent ces différentes typologies au regard des chiffres dégagés par Christian Noyé. En effet, 40 % des ménages sont relogés dans un logement de taille équivalente (en nombre de pièce) tandis que 37 % obtiennent un logement plus grand et 23 % un logement plus petit. 5 Une hausse importante des loyers est aussi remarquée dans le processus de relogement. Il concerne plus de la moitié des ménages et pour certains il est associé à une réduction de surface. Nous pouvons alors parler de « Trajectoire régressive », « neutre » ou « ascendante » 6.

1. LELEVRIER, 2008, Les trajectoires résidentielles des ménages dans les opérations d’île-de-France, in HUYNH, op. 2. Extrait de la chartre de relogement d’un site de seine et marne cité par LELEVRIER, 2008, Les trajectoires résidentielles des ménages dans les opérations d’île-deFrance, in HUYNH, op, P. 64 3. Grafmayer, 1994, cité par LELEVRIER, 2008, Les trajectoires résidentielles des ménages dans les opérations d'île-de-France, in HUYNH, op, p.65 4. LELEVRIER, 2008, Les trajectoires résidentielles des ménages dans les opérations d’île-de-France, in HUYNH, op, P. 65

5. NOYE, Christophe, op.

6. LEVY Jean-Pierre, cité par LELEVRIER, 2008, Les trajectoires résidentielles des ménages dans les opérations d’île de France, in HUYNH, OP, p.35

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En relation avec ces typologies de trajectoire, Christine Lelevrier dresse également des typologies de mobilités liées à la démolition: – La « mobilité-projet », concerne environ 17 % des ménages, difficiles à retrouver par la suite. Dans ce cas, les ménages déménagent par leurs propres moyens. La démolition est au final l’accélérateur d’un projet préexistant. Elle concerne généralement les populations aux revenus les plus stables. – La « mobilité-opportunité » permet souvent un relogement dans le neuf, dans un logement plus grand ou mieux situé sans que le ménage n'en ai fait le projet en amont.

LELEVRIER, 2008, Les trajectoires résidentielles des ménages dans les opérations d’île-de-France, in HUYNH, OP, p. 70 2. Ibid, p.66

3. Ibid. 4. http://www.lacatonvassal. com/?idp=56#, consulté le 30/01/2017 5. MEGNIEUX, Guillaume, 2013, HLM. Habitation Légèrement Modifiée), s.l., cellulo prod, interland film, Le Fresnoy.

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– La « mobilité subie-contrainte » a des effets neutres ou négatifs sur la situation résidentielle du ménage. Par exemple, le ménage obtient un logement plus grand mais dans un secteur moins bien perçu, ou un logement de meilleure qualité mais plus cher ou plus petit. « Ces changements restent un traumatisme pour les personnes seules très âgées, nombreuses dans ces opérations. »1 nous rappelle-t-elle. – Enfin, la « mobilité exclusion » concerne les ménages pour qui le relogement a été l'occasion de révéler des situations illégales ou de grands endettements menant parfois à l'expulsion. 2 Cependant, qu'il y ait amélioration ou non de la situation, le relogement reste en majorité vécu comme un « non choix » 3 . Le processus de relogement est une véritable épreuve. Les logements sont proposés un à un et un nouveau n'est proposé que si le ménage refuse le premier. L'incertitude des ménages concernant leurs conditions de logement futures sont très anxiogènes.


Transformation de la tour bois le prête par Lacaton,Vassal et Druot 4 La tour bois le prêtre, construite dans les année 1960, haute de 50 m, en bordure du périphérique dans le 17ème arrondissement Parisien a fait l'objet d'un projet de l'ANRU dans les années 2010. D'abord visée par la démolition, il a finalement été prévu de la rénover entièrement. La démarche est particulièrement intéressante puisque les habitants qui le souhaitaient ont pu rester sur place durant les travaux. Un agrandissement des logements est prévu par la création de nouveaux planchers en façade, prolongeant les salons et venant ajouter un jardin d'hiver et un balcon. Ce dispositif permet à la fois de changer radicalement la façade de la tour et d'améliorer ses performances énergétiques. Le film HLM 5 (Habitation Légèrement Modifiée) de Guillaume Mégnieux suit tout le processus de rénovation en contact direct avec les habitants. Ainsi, cet architecte-vidéaste a suivi quelques ménages durant toutes les étapes de la rénovation. Il suit notamment une vieille dame qui accepte difficilement de voir son logement se transformer aussi radicalement. En effet, le projet ne prévoit pas uniquement d'ajouter des plancher et des jardins d'hiver en façade. L'intégralité des logements et de la distribution sont repensés. Ainsi, tous les habitants sont amenés à protéger leurs meubles, puis à déménager dans des logements provisoires pour ensuite se voir attribuer un nouveau logement. Tout en restant sur place, ils vivent donc tout de même un déménagement et voient leur habitat se transformer petit à petit. Cette vieille dame s'est notamment vu attribuer un logement plus petit, changement dont elle n'a pas tout de suite pris la mesure, ne comprenant pas les plans que les professionnels lui montraient. D'abord très déstabilisée elle est finalement satisfaite de son nouveau logement et notamment du jardin d'hiver. Le film est particulièrement intéressant car il décrit toutes les étapes de réappropriation, l'installation des meubles et des objets, les concessions et compensations mises en place pour faire accepter le relogement. BONNE PRATIQUE

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1. BONVALET et LELIEVRE, 2005, op, p.61 2. Ibid, p.62 3. LELEVRIER, 2008, Les trajectoires résidentielles des ménages dans les opérations d'île-de-France, in HUYNH, OP. p. 57

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Le relogement des personnes âgées Ces typologies de mobilités et de trajectoires résidentielles nous seront utiles dans notre analyse des parcours résidentiels de nos interviewés. En effet, il est intéressant de se demander dans quelles typologies les personnes âgées que nous rencontrerons se situent. En premier lieu, nous pouvons imaginer qu'elles intègreront les « trajectoires stabilisées des vieilles familles ouvrières » si leur situation financière est relativement stable ou bien les « trajectoires subies, celles de ménages fragilisés et de grandes familles » si elles sont en grande difficulté financière. En reprenant les mots de Perla Serfaty-garzon, si « La vieillesse (…) est l'automne de la vie » et que « l'automne n'est plus le temps de se bâtir un chez-soi », il est peu probable que les personnes âgées entrent dans les « mobilités-projet », à moins que le déménagement soit l'occasion de se rapprocher de ses enfants ou de quitter la région parisienne. Mais, même à l'heure de la retraite, la volonté de déménager n'est pas majoritaire. Dans leur enquête sur les relations familiales des personnes de 50 à 70 ans, Catherine Bonvalet et Eva Lelièvre relèvent que seules 36 % des personnes interrogées avaient l'intention de déménager contre 63 % souhaitant rester dans leur domicile 1. Plus spécifiquement, « 14 % des enquêtés de plus de 60 ans ne souhaitent pas déménager pour rester à proximité de leurs enfants (contre 7 % des générations plus jeunes). » 2 L'effet d'un déménagement sur les populations âgées ne doit pas être sous-estimé. Comme le souligne Christine Lelevrier, « L’ancienneté d’occupation peut renforcer le poids du traumatisme du déplacement pour des ménages qui ont investi matériellement et symboliquement dans leur logement. » 3


Nous l'avons vu, la vieillesse est déjà une épreuve en soit, durant laquelle l'individu fait l'expérience permanente de la perte ; celle des facultés sensorielles, des liens sociaux, des aptitudes, des êtres chers... « La notion de perte infiltre tout le vécu du sujet âgé » 1 Ainsi la perte du son chez soi peut être le déclencheur d'un déclin physique et psychique. Vincent Caradec dresse d'ailleurs une liste d'éléments pouvant accentuer le sentiment d'étrangeté au monde constitutif de l'épreuve du grand-âge dans laquelle il cite notamment « la transformation de l'environnement ». « Face à ces changements incessants, il arrive que les personnes âgées renoncent à s’adapter, qu’elles s’arrêtent sur le bord du chemin et qu’elles laissent passer la caravane de ceux qui évoluent avec leur temps. » 2 Le relogement est donc un moment déterminant. Peut-il être définit selon la notion d’ épreuve développée par Danilo Martuccelli et Vincent Caradec ? Dans ce cas, quels sont les amortisseurs sociaux qui pourraient adoucir cette épreuve et éviter de déclencher un déclin du sujet ?

1. DEOUX et alli, op, p.94

2. CARADEC, op, p.29

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Chapitre 2 Contexte

de l’étude:

Les Ulis


La commune des Ulis, portrait

1. insee.fr

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La ville des Ulis, située à 24 kilomètres au sud-ouest de Paris est, au cœur du département de l’Essonne, le chef-lieu du Canton des Ulis composé de 6 autres communes. Forte d’une population de 24 914 habitants en 2013 1 et d’une superficie de 5,2 km², elle fêtera en 2017 son quarantième anniversaire. En effet, la commune est née d'une concertation entre les villes de Bures sur Yvette et d’Orsay pour la création d’une ville nouvelle sur leur territoire. Construite à la fin des années 1960, selon les principes de la charte d’Athènes et de le Corbusier, elle s’est développée très rapidement avec la création de la zone d’activité de Courtabœuf à l’est, du grand centre commercial Ulis 2 et par la construction massive de logements. A l’origine divisée en deux quartiers sur le territoire de Buressur-Yvette et Orsay, ce n’est qu’en 1977 que les Ulis devient une commune autonome. Les urbanistes Robert Camelot, François Prieur et Georges-Henri Pingusson ont imaginé un ensemble de quartiers majoritairement sur dalle composés d’immeubles de plus ou moins grande hauteur posés sur des parkings. Cette organisation laisse place à de larges espaces piétonniers sur dalle prolongés de passerelles piétonnes permettant de relier l’ensemble de la ville sans traverser une seule route. La ville profite également de deux grands parcs ; le Parc Nord et le Parc sud, très appréciés des habitants et accueillant de nombreuses activités sportives et culturelles. Dominant la vallée de Chevreuse sur le plateau de Courtabœuf, la ville des Ulis laisse apparaître les silhouettes de ses grandes tours, devenues le logo de la ville. Ses grandes tours sont visibles dans toute la vallée mais également sur le plateau. Dernière ville de la conurbation parisienne avant des étendues de champs, elle est visible à plusieurs kilomètres de distance. C’est une forme urbaine bien plus dense que celle des communes alentours et, nous le verrons, une véritable rupture territoriale dans un premier temps revendiquée mais qui a également rapidement stigmatisé sa population.


Terrain de PĂŠtanque, nouveaux logements aux Champs-Lasniers et Tours de logements du quartier Ile-de-France

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1. lesulis.fr

Histoire de la ville

2. insee.fr 3. Service Interassociatif des Ulis, 1993, Dessine moi une ville. Les Ulis, imprimé à Maury-Eurolivres S.A

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Le plateau de Courtabœuf, sur lequel les Ulis a été construite, était, au 18eme siècle, la dernière halte des bestiaux avant leur arrivée aux Halles de Paris. La vallée de Chevreuse a toujours été dynamique notamment avec l'implantation du CEA (Commissariat à l'Energie atomique) à Saclay en 1952 et du campus de la faculté d'Orsay en 1955. En 1960 la décision est prise de développer le parc d'activité de Courtabœuf, parallèlement, dans le cadre du développement de la grande vallée de Chevreuse, une ZUP (Zone à urbanisation Prioritaire) est mise en place par arrêté ministériel. 1 Sur 260he, elle prévoit le développement de 10 000 logements sur les communes d’Orsay et de Bures sur Yvette. (9 880 en 2012) 2 Elle prendra la place de différents fermes alors présentes sur le plateau (Montjay, Mondétour, Courtabœuf, Grand vivier). En 1966, les infrastructures de la ville sont achevées et la première entreprise de la zone d’activité de Courtabœuf s’installe en 1967. Les premiers habitants s’installent en 1968 alors que certains logements n’ont toujours pas l’eau courante. Les Ulis est alors deux quartiers respectivement des communes de Bures sur Yvette et d’Orsay. En 1973 le centre commercial Ulis 2 ouvre ses portes. En 1975, la ZUP des Ulis compte 20 283 habitants alors que Bures sur Yvette n’en compte que 6889 et Orsay 13544. 3 En 1976 un référendum propose aux habitants trois trois possibilités pour le statut des quartiers des Ulis: - Le maintien de la situation administrative du moment (Les Ulis, divisée en deux quartiers des villes de Bures sur Yvette et Orsay.) - La fusion de Bures et Orsay englobant les Ulis, premier projet à l’origine de la création des quartiers des Ulis et du district urbain de Bures-Orsay (DUBO) – La création d’une troisième commune, Les Ulis. Bien que les habitants des quartiers des Ulis étaient majoritairement pour la fusion, les Buressois et les Orcéens votent majoritairement pour la création d’une nouvelle commune. C’est la première rupture territoriale et administrative reflétant la stigmatisation de la population des Ulis par rapport aux habitants de la vallée.


Les Ulis, A l’origine

Zone d’activité de Courtaboeuf

500m

Commerces Logements individuels Logements collectifs

Vue du ciel, les Ulis en construction

Vue du ciel, Parc nord

Centre-ville en construction

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1. http://www.gemgif.fr/wbNewsFront/newsDetail/id/342 dernière consultation 14/01/2017

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Le 17 février 1977 la commune des Ulis est créée par arrêté préfectoral. Dès mars 1977, Paul Loridant (PS) est élu maire, poste qu'il conservera jusqu'en 2008. Rapidement l'hôtel de ville, la médiathèque, le centre culturel Boris Vian, la poste centrale et des commerces de proximité sont créés. La ville développe une politique orientée vers la culture, le sport et la jeunesse. Le centre commercial Ulis 2, la zone de Courtabœuf ainsi que le centre culturel Boris Vian et sa très grande salle de spectacle rendent la ville attractive malgré les stigmates contre lesquels elle se bat déjà. Les Ulis a depuis toujours accueilli un nombre important de populations immigrées. De nombreuses familles issus des rénovations urbaines de la goutte d'Or et d'autres quartiers parisiens se sont vues relogées aux Ulis dans les années 1970 et beaucoup y sont encore aujourd'hui. La commune fait partie de la communauté d'agglomération du plateau de Saclay (CAPS) depuis janvier 2013. C'est une entrée tardive dans la communauté de commune à laquelle appartiennent Bures et Orsay mais certaines communes se sont longuement opposé à l'entrée de la ville dans la CAPS, notamment le maire de Gif-sur-Yvette de l'époque, pour des raisons politiques 1. Il est vrai, et nous le verrons par la suite, que la ville des Ulis fait exception, de par son profil social et économique, au sein de la CAPS mais au même titre qu'elle est une exception dans la vallée et à l'échelle de l'île de France.


Les Ulis, Repères

Zone d’activité de Courtaboeuf

500m

Centre commercial Ulis 2 Centre ville

Communes de la CAPS

Centre-ville avant la rénovation Place du marché

Centre commercial Ulis 2

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Les Ulis une ville à part, longtemps stigmatisée et pourtant dynamique La ville des Ulis apparaît selon de nombreux critères comme une véritable exception par rapport aux communes limitrophes. C’est une ville qui subit une rupture territoriale forte avec les communes avoisinantes, longtemps stigmatisée et mise à l’écart en raison des particularités de sa population et de son urbanisme vieillissant. Rappelons qu’elle est restée durant trente ans unique commune dans son canton. (de 1985 à 2015). Cette rupture sociale et économique est renforcée par une rupture territoriale et un enclavement. En premier lieu, au nord, un relief important sépare la ville de la vallée et des réseaux de transports. Au sud et à l'est la ville est séparée du reste du plateau par de grandes voies de circulation (Nationale 118 et départementale 35). La nationale 118 divise également les quartiers résidentiels de la zone d'activité. Le morcellement de la ville trouve son origine dans la conception selon les principes de la charte d'Athènes. Le zoning des fonctions est en effet très marqué aux Ulis. L'ouest de la ville est principalement résidentiel, avec de grandes tours de logement collectifs et quelques commerces de proximité. L'activité commerciale est concentrée au Sud-ouest avec le centre commercial Ulis 2. Un quartier résidentiel de maison individuelle est excentré, séparé par le quartier de Mondétour appartenant à Orsay. Il s'agit des résidences de L'Ermitage et de la Queue d'Oiseau. Enfin, à l'est de la ville, la grande zone d'activité de Courtabœuf concentre de nombreux emplois mais assez peu de commerce et aucun logement. Depuis 1996 une partie du quartier Ouest de la ville est classé ZUS. En 2007 s'ajoute un autre quartier plus a l'est où le phénomène de paupérisation est également à surveiller. Pour ces deux quartiers, la ville signe un contrat de cohésion sociale le 13 avril 2007, remplacé ensuite par le Contrat de ville signé par la CAPS (Communauté d'Agglomération de Paris-Saclay). En 2014, après les premiers grands travaux de rénovation urbaine, un nouveau décret modifie la définition des quartiers prioritaires. La ZUS « Quartier Ouest » est remplacée, après modification de son périmètre, par un Quartier prioritaire de la

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Les Ulis, quartier prioritaire (QP) et zone urbaine sensible (ZUS) VallĂŠe de Chevreuse

Plateau de Courtaboeuf

Voies rapides Relief

500m

Les Ulis, quartier prioritaire (QP) et zone urbaine sensible (ZUS)

ZUS Quartier prioritaire

500m

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1. Insee.fr

2. Présentation publique de la ville, novembre 2015.

3. Source INSEE 2013, Insee.fr

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Politique de la ville (QPV). Les quartiers de l’ancien périmètre de la ZUS aujourd’hui hors du QPV : Les Amonts et les Hautes Bergères, Les Bathes, Courdimanche, Chanteraine, La Châtaigneraie, Le Barceleau, concernées par le CUCS, sont aujourd’hui classées comme « quartiers de veille active». Les Ulis est une des communes les plus jeunes d’Ile-de-France avec 44,9 % de la population âgées de moins de 30 ans en 2013 1. Cependant, l’étude des effets des rénovations urbaines sur la population âgée reste d’autant plus pertinente. En effet, la ville n’échappe pas au vieillissement mondial de la population et commence également à développer une politique vieillesse. Même les communes les plus jeunes de la région Ilede-France sont donc confrontées au vieillissement de leur population. La ville remarque notamment que les habitants les plus âgées sont des locataires de HLM restés sur place depuis les années 1970 ou 1980. Ce sont donc des anciens de la ville, locataires aux revenus modestes 2. On retrouve, comme dans de nombreuses ZUS un nombre important de familles monoparentales et de familles nombreuses, ainsi qu’un taux de natalité élevé par rapport au reste de l’Île-de-France. Le taux de chômage est particulièrement élevé et le nombre de demandeurs d’emploi augmente d’année en année. Le revenu médian est largement inférieur à celui des autres communes de la CAPS et de la moyenne de l’unité urbaine de Paris. Par conséquent, le taux de couverture de la population par la CAF est élevé, ainsi que le nombre de logements sociaux. Seuls 34,6% des habitants sont propriétaires du logement qu’ils occupent contre 44,9% pour l’unité urbaine de Paris. De plus, ces chiffres comprennent les quartiers résidentiels de l’Ermitage et de la Queue d’oiseau dans lesquels 93,3 % des habitants sont propriétaires. Les autres quartiers ont un pourcentage plus proche de 30 %. La ville compte 51,6 % de locataires du parc social, contre 23,4% pour l’unité urbaine de Paris. En 2013 le taux de pauvreté était de 20,3 % 3.


Revenus médians par UC en 2011

Evolution de l’âge de la population des Ulis (1999 - 2011)

Source: Insee RP1968 à 1990 dénombrements, RP2006 et RP2006 exploitations principales.

Taux de logements locatifs sociaux

au 1er septembre 2014

Population des Ulis par tranches d’âge, en pourcentage, 2013

0 à 14 ans 15 à 29 ans 30 à 44 ans 45 à 59 ans 60 à 75 ans 75 ans et plus

Source: Insee 2013

Taux de chômage en 2011

Logement par typologie Maisons Appartements

Logements par type d’occupation A titre gratuit Locataires privé Locataires HLM Propriétaires

Part des actifs occupés

Source: Insee 2013

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1. www.IAU.fr

2. www.IAU.fr

3. www.lesulis.fr

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En effet, la structure de la population active de la commune est tout à fait révélatrice. Un taux important d’habitants ne sont pas diplômés. Les ouvriers et employés sont surreprésentés par rapport aux professions intellectuelles supérieures qui sont d’ailleurs majoritairement concentrées dans les quartiers résidentiels de la Queue d’oiseau et de l’Ermitage. Ces deux résidences totalement excentrées, appartenant aux Ulis mais d’avantage en relation avec Orsay et son quartier de Mondétour, rééquilibrent les statistiques et masquent, en réalité, une véritable rupture sociale. Les difficultés économiques des ménages sont renforcées par l’éloignement des transports (RER) vers Paris. Avec un temps de trajet moyen de 1h30 pour se rendre dans la capitale, les habitants des Ulis qui travaillent à Paris subissent les aléas des transports. Malgré l’attractivité de la Zone d’activité de Courtabœuf permettant à de nombreux Ulissiens de travailler dans leur ville, le nombre de personnes travaillant à Paris reste important 1. La ville des Ulis est donc une exception dans le territoire qui l’entoure. Enclavée et stigmatisée, elle est cependant très dynamique et attire par ses activités culturelles et sportives. La zone d’activité dans laquelle des habitants de l’ensemble de l’Île-de-France viennent travailler et le centre commercial des Ulis qui drainent les habitants de nombreuses communes limitrophes, sont de véritables atouts. On observe une certaine stabilité de la population, attachée à la ville. Le nombre de demande de logement social y est très élevé, elle est d’ailleurs souvent demandée en premier choix 2. Après un déclin dans les années 1990, la rénovation urbaine dans les années 2000 tente de rééquilibrer le territoire, d’améliorer la mixité et de faire venir de nouveaux habitants de la classe moyenne. Son nouveau logo et son nouveau slogan « les Ulis terre de Talents » 3, démontrent la volonté de rupture avec l’image de la cité et de la ville nouvelle, tout en mettant l’accent sur ses atouts. En effet, les Ulis par ses nombreuses activités sportives et culturelles est la ville natale de nombreux sportifs comme Thierry Henry et chanteurs comme Diams ou encore Sinik qui en font sa réputation. Cependant, dès les années 1990 cette réputation est entachée par la hausse de la délinquance, l’insécurité, la paupérisation de la population et le départ de certains habitants.


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La rénovation urbaine aux Ulis évolution de la population de la ville

Ulis (1975-2012)

Nombre d’habitants

des

Source: Insee.fr

1. Contrat de ville, 2000-2006

2. SINIK, 2004, Mals’1 l’Assassin , La main sur le cœur Les mains sur la tête .

3. Contrat de ville, 2000-2006.

4. 20 minutes jeudi 19 mai 2005 5. AVENEL, Cyprien, dans MORIN, Cédric, Comment les habitants de la Daunière résistent, in Lien social n°752, 12 mai 2005. http://www.lien-social.com/L-enjeu-est-d-associer-les-populationsaux-decisions.

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A l’origine de la rénovation urbaine Dès les années 1990 la commune connait un déclin. L’augmentation de la délinquance et de l’insécurité dressent le portrait d’un ghetto, d’une cité que les habitants des communes limitrophes évitent. Un clivage clair s’installe entre le Ulis et les communes limitrophes. Certains habitants quittent la ville qui perd de son attractivité. Entre 1981 et 1999 la commune perd plus de 2400 habitants, soit près de 9% de sa population. En plus du départ de certains habitants et du climat de plus en plus tendu, les familles qui restent sont de plus en plus modestes. La paupérisation de la ville, et plus particulièrement de certains quartiers de la partie ouest, est indéniable. 1 En 2004 Sinik, enfant de la ville, chante : « Les Ulis, ghetto sale et difficile La misère au premier degré même les Cafards refusent de vivre ici » 2 Une partie de la ville est classée ZUS en 1996. En 2000, Le contrat de ville décrit la ville, dès les premières lignes comme « Un tissu urbain postérieur à 1968 qui constitue une poche de pauvreté relative dans un environnement à forte potentialité. » 3 En 2002, une grande Opération de Renouvellement Urbain est engagée (ORU), suite à la signature du contrat de ville. Ces grandes opérations de rénovation vont s’intégrer à un projet National. Rappelons le vote du plan Borloo en 2003 (aussi appelé « plan de cohésion sociale ») avec pour objectif la démolition de 250 000 logements en France avant 2011, la réhabilitation de 400 000 logements et la construction de 250 000 pour un budget de 2,5 milliard d’euros 4. Des équipements publics et des aménagements urbains sont également prévus. Selon Cyprien Avenel, sociologue, les enjeux de ce plan est clair : « L’esprit du plan de cohésion sociale est bien de mettre en œuvre une nouvelle politique de peuplement, qui vise non plus à ‘‘dorer le ghetto’’, comme disent les Anglo-Saxons, mais à ‘‘casser le ghetto’’.» 5


« Une ville non rénovée est une ville qui se meurt. Or, Les Ulis est un corps vivant qui se doit d’être aussi dynamique que ses habitants. » 1

Les premiers travaux financés par la ville ont rapidement lieu, avec quelques aménagements de la voirie, la création de zones 30, la rénovation de certaines dalles. A l’automne 2004, la construction d’une grande piscine à côté du centre commercial débute pour remplacer celle du centre-ville dont la démolition est prévue pour 2007. Les nouvelles étapes à venir sont ensuite la création d’un tout nouveau centre-ville et le désenclavement des quartiers excentrés dans lesquels la délinquance est la plus remarquable. La ville fait par exemple le recensement des halls d’immeuble dans lesquels des trafics de stupéfiants ont été régulièrement repérés. Au final, le projet est divisé en 4 interventions : - La restructuration du centre-ville, comprenant la restructuration du centre commercial de proximité, et grignotant la résidence de La Daunière. - La restructuration des Amonts, comprenant la restructuration de ses commerces de proximité - La restructuration et le réaménagement des résidences des Hautes Plaines, de la Daunière, des Avelines, et du Bosquet. - La création de logement au nord du centre-ville, dans la résidence des champs Lasniers. Ce projet comprend la réhabilitation de 675 logements, la construction de 600 logements, la démolition de 282 logements sociaux, la vente de 57 logements sociaux et la construction de nouveaux équipements publics. Les démolitions concernent 156 logements à La Daunière (bâtiment A et B), 22 logements aux Hautes Plaines (bâtiment 7 et 26) et 104 logements aux Amonts (bâtiment 1,2 22, 30, 35). Les ventes aux Amonts concernent le bâtiment 7 (28 logements) par le bailleur SCIC Habitat Ile de France (Aujourd’hui OSICA). Dans la continuité de la vente de la partie Nord-ouest de la résidence déjà réalisée. Aux Hautes Plaines la vente de 8 bâtiments est planifiée par le groupe LOGIREP représentant 57 logements. 2

1. http://www.lesulis.fr/932/presentation-de-la-ville.htm, consulté le 07/02/2017.

2. Convention ANRU, 11/09/2006, 091_Les-Ulis_Quart i e r- O u e s t _ 1 3 8 _ 11 - 0 9 - 2 0 0 6 _ nc%20(6).pdf

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1. Convention ANRU, 11/09/2006, 091_Les-Ulis_Quart i e r- O u e s t _ 1 3 8 _ 11 - 0 9 - 2 0 0 6 _ nc%20(6).pdf

2. Francoise Marhuenda, adjointe au maire en politique de la ville en 2005 dans JACQUARD, Nicolas, Un chèque de 114 millions d’euros pour changer Les Ulis, le parisien 11 septembre

3. AVENEL, Cyprien, dans MORIN, op.

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Les démolitions, reconstructions et ventes répondent au même objectif : rééquilibrer la proportion de logements sociaux dans la ville et attirer des populations plus aisées, afin d’ « améliorer la mixité » 1. La restructuration des résidences de la ZUS a pour objectif de désenclaver ces quartiers en ouvrant de nouvelles perspectives, d’aérer, dans l’espoir de réduire le sentiment d’insécurité qui y sévit. Dès 2004, les démarches de relogement sont mises en place auprès des ménages concernés par les démolitions. Le 28 février 2005, une convention d'aménagement est signée entre la SORGEM et la ville des Ulis. Le 11 septembre 2005, une convention financière entre l'ANRU et la ville des Ulis est signée lui accordant un budget de 114 millions d'euros pour poursuivre les travaux déjà engagés. En parallèle, les premiers travaux engagés se poursuivent avec la transformation de locaux commerciaux en petits logement sociaux au mont Ventoux, la résidentialisation des Avelines (Installation de clôtures, d'interphones) et l'ouverture de nouvelles voies (rue de la brie, rue des bergères) Mais ce « véritable lifting » 2 de la ville, n'est pas vu d'un bon œil par les habitants qui se mobilisent rapidement et de manière virulente dès l’annonce du projet. C’est en effet 282 familles concernées par les démolitions et 85 par la vente de leur logement qui vont devoir s’adapter. En effet, « la notion de mixité ne va pas de soi. Elle renvoie dans une large mesure à un mythe. On pense à l’image d’une ville caractérisée par la diversité sociale et culturelle. Par extension, on accorde à la mixité des vertus comme l’échange et la tolérance, l’enrichissement mutuel et la cohésion sociale. Elle est considérée, plus particulièrement en France, comme une valeur évidente, que l’on oppose aux ghettos et aux communautarismes. En clair, il s’agit avant tout d’un instrument politique légitimant l’intervention de l’État, qui prend le rôle de bâtisseur du lien social.» 3 explique Cyprien Avenel à propos de la réaction des habitants aux Ulis.


Restructuration des Hautes-Plaines

Restructuration du centre-ville

Les Ulis, quatres interventions

500m

Restructuration des Amonts

Construction de logements (Champs lasniers)


L’opposition des habitants

1. AVENEL, Cyprien, dans MORIN, op.

2. Gaston Grandière, président de l’Amicale, Centre ville : l’amicale des locataires de la Daunière demande au préfet de NE PAS VALIDER LA DEMOLITION des bâtiments A et B, Le phare, numéro 22, juin 2004 3. BARDIN, Guy, porte-parole de l’amicale des locataires de la Daunière le républicain 7 septembre 2006

4. Denise Karminski, maire adjointe en charge des affaires sociales en 2005, dans MORIN, op.

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« Cela peut paraître paradoxal, mais les familles n’ont pas nécessairement envie de quitter ces quartiers, pour lesquels elles ont un attachement ambivalent. Ces quartiers sont très stigmatisés, mais la réalité n’est pas aussi terrible que ce qui se raconte. Ainsi, même si les habitants souhaitent déménager, ils ont un attachement fort dans ces lieux de vie, où ils ont su créer des solidarités, une économie de la débrouille, qu’ils ne sont pas sûrs de retrouver ailleurs. » 1 Les principales oppositions d’habitants se sont faites entendre au sein de la la résidence de la Daunière. En 2005, seules quelques familles avaient accepté de collaborer. L’amicale des locataires de la Daunière multiplie les manifestations, tracts et mobilisations contre les démolitions. Des banderoles « non aux démolitions, oui à la rénovation », « il n’est pas blême mon HLM », ou encore « J’y suis j’y reste » sont accrochées aux fenêtres des bâtiments de la résidence. En effet, l’opposition à la Daunière est compréhensible car c’est un quartier propre qui fonctionne bien, avec des logements en bon état. La raison principale de sa démolition est le projet de nouveau centre-ville 2. C’est aussi la résidence où le plus grand nombre de ménages sont touchés, alors qu’elle a « le taux de rotation le plus faible de la ville. Les gens s’y plaisent » 3. L’incompréhension est forte alors que dans les résidences de Hautes plaines et des Amonts, moins de familles sont concernées, et la décision est mieux comprise car il s’agit de quartiers en difficulté. « Ce projet s’inscrit dans le cadre d’une restructuration globale de la Ville, qui est indispensable. Sur les cités des Amonts et des HautesPlaines, le processus est enclenché et tout se passe bien ; il n’y a que sur la résidence de « la Daunière », où nous connaissons des difficultés et où nous nous heurtons à l’incompréhension des locataires.» 4


Cette opposition massive des habitants de la Daunière face à une relative coopération des deux autres résidences est en réalité principalement due à la dynamique de l'amicale des locataires de la Daunière qui a retrouvé un second souffle avec l'annonce des démolitions. L'énergie de cette association a drainé de nombreux habitants militants des autres résidences. La Daunière est devenue symbole de résistance, citée dans de nombreux journaux durant l'année 2005. Deux grandes manifestations ont particulièrement marqué les esprits. Une grande manifestation le 20 mars 2005 ayant fait parlé d'elle dans de nombreux journaux et la manifestation du 11 septembre 2005, devant la mairie où avait lieu, au même moment, la signature de la convention ANRU. Mais l’opposition des habitants est nourrie par des motivations plus profondes, courantes dans les opérations de renouvellement urbain. En premier lieu, les habitants sont particulièrement attachés à leur quartier. Comme dans de nombreux quartiers dits « sensibles », les habitants ressentent un sentiment paradoxal teinté de stigmatisation et d’entraide. Guy Bardin souligne que les manifestations et la grande mobilisation des habitants face à la démolition ont eu pour effet de rapprocher les gens et réveiller des réseaux de solidarité bien existants : « Les gens se parlent beaucoup plus depuis le printemps 2004 dans la cité, toutes les générations sont concernées, et c’est un traumatisme important. Il ne faut pas oublier que certaines personnes âgées sont là depuis trente ans, et elles ne pensaient partir que les pieds en avant. » 1 De nombreux habitants interviewés par le Parisien ou encore le Républicain en 2005 soulignent l'importance de ce quartier dans leur vie, « C'est angoissant, et ça fait mal au cœur, souffle Jeanine une retraitée qui a passé trente ans à la mairie. Toute ma vie est là. Mes enfants habitent à proximité. Je sers de nounou pour ma petite fille. Où est-ce que j'irai ? En Seine Saint-Denis où je ne connais personne ? » 2

1. BARDIN, Guy, dans MORIN, op.

2. JACQUARD, Nicolas, Des habitants entre révolte et fatalisme, Le parisien 11 septembre 2006

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1. OLLIVIER, Marc, Non à la démolition. oui à la rénovation, le républicain jeudi 24 mars 2005 2. COLCOMBET, Louise, Les cités s’unissent contre les démolitions, 14 juin 2005, le parisien

3. AVENEL, Cyprien, dans MORIN, op.

4. Francoise Marhuenda dans JACQUARD, Nicolas, Un chèque de 114 millions d’euros pour changer Les Ulis, le parisien 11 septembre

5. Le républicain jeudi 7 septembre 2006 Entretien avec Guy Bardin, propos recueillis par Marine Legrand.

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Cette démolition est donc vécue comme un véritable déracinement forcé. On retrouve dans les propos et dans l'analyse de Cyprien Avenel cette tension évoquée par Danilo Martuccelli dans la notion d'épreuve. La rénovation urbaine, pour les personnes âgées comme pour les plus jeunes semble en effet s'intégrer dans ce même schéma. Les habitants expriment des sentiments contradictoires, entre attachement au quartier et conscience de ses difficultés, des stigmates dont il fait l'objet. Le reproche fait par les habitant est aussi dû au déroulement des opérations et aux méthodes mises en place tant par la mairie que par les bailleurs. Les habitants expriment en effet un fort sentiment de contrainte et regrette l’absence de concertation « on a été mis devant le fait accompli » reproche un habitant du bâtiment B de la Daunière 1. Plus qu’un manque de concertation c’est une véritable mise à l’écart qui est reprochée par les habitants. « On nous traite comme des parias » « On nous a pris de haut » 2. Face à cette volonté d’améliorer la mixité dans les villes où le taux de logements sociaux est très élevé comme aux Ulis, Cyprien Avenel nous met en garde contre les dérives possibles : « Il y a une volonté de faire revenir les couches moyennes, de déconcentrer la pauvreté, de se réapproprier le foncier, dans des quartiers hautement stigmatisés, mais, du même coup, le danger est de créer de la ségrégation dans la ségrégation. » 3 La volonté affichée de la ville de faire venir de nouveaux habitants plus aisés et assumant ce « grand lifting » 4 n’était donc peut-être pas la stratégie la plus appropriée. En effet, les habitants ont l’impression d’être mis dehors, et le calendrier des travaux prévus n’arrange pas les choses. « Le problème c’est qu’elles ne commenceront à être construites qu’à partir de novembre. L’idéal serait de faire coïncider destruction de la Daunière et construction de nouveaux immeubles. Mais je ne suis pas sûr que le maire veuille nous voir dans ces futurs logements... » 5 Guy Bardin porte-parole de l’amicale des locataires de la Daunière.


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1. AVENEL, Cyprien, dans MORIN, op. 2. MORIN, op.

3. GILBERT, Pierre, 2013, Devenir propriétaire en cité HLM. Petites promotions résidentielles et évolution des styles de vie dans un quartier populaire en rénovation, Politix, n°101, p.79-104 4. COLCOMBET, op. 5. 150 manifestants contre les démolitions d’immeubles, le parisien, lundi 24 janvier 2005 6. Bureau de l’amicale des locataires des Hautes plaines, Réhabilitation des hautes plaines : « c’est pour quand ? », Le phare, numéro 28, janvier 2006

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Ce sentiment d’être « mis dehors » est assez courant dans les opérations du début des années 2000 en Ile-de-France. La plupart des relogements et des démolitions ayant lieu avant les reconstructions, il est évident que les habitants sont amenés pour beaucoup à être relogés ailleurs malgré l’éventuelle vacance initiale prévue par anticipation par les bailleurs. C’est du moins un des constats que font Christine Lelevrier et Christophe Noyé dans leur étude sur six opérations de relogement en Île-deFrance dans le cadre des rénovations urbaines de l’ANRU, réalisée entre 2006 et 2007. « La question du relogement peut apparaître très paradoxale. En effet, comment reloger alors que le principal problème aujourd’hui, surtout en région parisienne, est de trouver un logement ? » 1 Peu de logements sont disponibles sur la ville en 2005 (300 par 2 an) et les listes d’attente contiennent plus de plus de 1000 personnes. Peu de choix, donc pour les familles relogées, même si elles sont prioritaires. Celles qui ont accepté de coopérer ont parfois obtenu des logements plus petits et excentrés ou dans des communes voisines. Les habitants recherchent à inscrire leur trajectoire résidentielle dans une perspective ascendante 3 et craignent de perdre en qualité de vie, cette préoccupation touche tout particulièrement les personnes âgées, où à la retraite, dont les revenus n’évolueront plus. « Vous nous voyez déménager à notre âge ? » 4 « Pour moi c’est la Daunière ou la maison de retraite ! » 5 Aux Hautes plaines, malgré la relative coopération des habitants au relogement, les difficultés perdurent après les déménagements. En effet, les démolitions sont précédées d’une longue période d’attente. Des bâtiments fantômes se dressent dans le quartier alors que les habitants attendent avec impatience la réhabilitation promise du quartier et de certains appartements.6


L’attente, l’incertitude, l’incompréhension, le manque de communication, l’attachement au quartier sont quelques raisons de la révolte des locataires à l’annonce des démolitions. A propos de la rénovation des Ulis, Cyprien Avenel résume bien les raisons de cette mobilisation : « Au final, la colère des habitants vient exprimer la crainte de perdre à la politique de mixité sociale, en étant relogés dans de moins bonnes conditions, avec un loyer plus élevé, sans même parler du deuil des liens de proximité qui se sont noués au fil du temps. » 1 Face à la colère des habitants la ville propose des groupes de parole et des ateliers théâtre mais rien de très efficace. Cette grande opposition au projet et l’inflexibilité de la mairie explique peut-être la non-réélection de Paul Loridant en 2008 à qui Maud Olivier (PS) succèdera. Pour mieux comprendre la réaction des habitants et l’opposition plus virulente à La Daunière que dans les résidences des Amonts et des Hautes plaines il est nécessaire de faire un point sur les accompagnements au relogement mis en place par les différents acteurs.

1. AVENEL, Cyprien, dans MORIN, op.

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Les accompagnements mis en place par la commune et les bailleurs

1. MORIN, op

Des cellules d’accompagnement social au relogement étaient prévues dans le projet de rénovation urbaine. Ce sont les bailleurs qui sont en charge de la mise en place de ces structures, en faisant appel à des intervenants internes ou externes. En parallèle une commission réunissait les travailleurs sociaux des différentes structures concernées (CCAS de la ville, CAF, conseil général, chargés d’accompagnement social des bailleurs...) Magalie Morand, conseillère en économie sociale et familiale au service habitat de la mairie en 2005, faisant partie de cette commission, explique : « Le relogement des habitants est une mission qui révèle en premier lieu du bailleur, néanmoins l’accompagnement des situations problématiques a été ajouté à ma fiche de poste. Nous n’intervenons que sur la demande du bailleur, et dans les situations difficiles où le relogement classique n’est pas envisageable. Par exemple, quand il s’agit de familles lourdement endettées ou de personne âgées ne pouvant plus vivre seules. La restructuration est donc aussi l’occasion de détecter des problèmes. » 1 En effet, cette commission a été créée dans la continuité de celle, déjà existante, sur les loyers impayés mise en place avec les mêmes acteurs en 1999. Pour gérer les relogements, les bailleurs des résidences des Hautes Plaines (Lorirep) et des Amonts (SCIC Habitat Île-de-France, aujourd’hui OSICA) ont mis en place une MOUS (Maitrise d’Œuvre Urbaine et Sociale) avec des travailleurs sociaux indépendants du bailleur. Une MOUS promeut l’accès au logement des personnes et familles défavorisées. Favorise la prise en considération de situations diverses et de situations exceptionnelles.

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« Les MOUS relogement (...) servent à trouver des solutions de logement dans le parc existant ou à produire des solutions adaptées à la situation de ménages identifiés ; dans ce cas le volet social est prépondérant : il s’agit de bien comprendre les besoins des ménages ainsi que leurs capacités financières afin de faire émerger des projets viables de logement adapté. » 1 Dans ces deux résidences la stratégie mise en place a été plutôt efficace ; en mai 2005 seuls deux ménages n’avaient pas encore trouvé de mesures de relogement. Les bailleurs de ces deux résidences n’ont en effet pas perdu de temps et ont très rapidement déposé un permis de démolition permettant la mise en place des démarches adaptées pour le relogement. « Tous les habitants ont eu très vite des entretiens individuels avec les chargés d’accompagnement social, ils ont donc su, presque immédiatement, où ils allaient aller. » 2 En revanche, à La Daunière, le bailleur i3F a mis en place une toute autre méthode en désignant en interne un chargé d’accompagnement social. « Par ailleurs, ce bailleur a fait le choix de réunions collectives d’information pour expliquer l’opération plutôt que de commencer directement par des entretiens individuels » 3. Les entretiens individuels ont été bien plus tardifs alors que la situation d’incertitude était devenue insupportable et les révoltes déjà très vives. « Nous avons été informés début mai d’une concertation sur la destruction des immeubles, par une affichette du bailleur agrafée dans le hall. Il n’y a eu aucune communication au préalable, et c’était avant même que le projet soit officiellement lancé. » 4

1. www.fiancement-logement-social.gouv.fr (http://www.financement-logement-social.logement. gouv.fr/les-maitrises-d-oeuvreurbaine-et-sociale-mous-a1292. html). Consulté le 2 / 12 /2016

2. MORIN, op

3. Ibid.

4. BARDIN, Guy, cité dans MORIN, op.

Au-delà de la question de la simple participation et de la consultation des habitants au projet, c’est ici le manque de communication et d’accompagnement personnalisé qui a manqué.

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1. MORIN, op.

2. FIJALKOW et DIETRICH-RAGON, op.

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La mairie se dédouane rapidement de toute responsabilité quant aux difficultés rencontrées à La Daunière, car c’est aux bailleurs de mettre en place une stratégie de relogement adaptée. Le bailleur quant à lui rappelait que c’est avant tout la mairie qui est à l’origine du projet 1. De plus, toutes les deux semaines le bailleur organisait des réunions collectives perpétuellement perturbées par les protestations de l’Amicale des locataires. La communication était devenue impossible. D’ailleurs, le nombre de dépressions, d’arrêt de travail augmentait mois après mois à la Daunière. L’incertitude face à l’avenir créait une véritable anxiété. Les possibilités pour les locataires se réduisaient au fur et à mesure que le temps avançait. Pour autant, aucune mesure particulière de suivi psychologique n’a été mis en place. Le CCAS considérait que la plupart des problèmes psychologiques observés étaient antérieurs au projet de rénovation urbaine et rappelait aux habitants que c’était à eux de faire la démarche s’ils le souhaitaient. On remarque donc que la stratégie adoptée tant par la ville que par les bailleurs dans l’accompagnement du relogement infuencent la réception et la bonne volonté des habitants. Cependant, le bon déroulé des opérations aux Amonts et aux Hautes plaines ne suffit pas à considérer que les habitants ont accepté les transformations de leur habitat. En reprenant les trois scènes d’acteurs professionnels agissant dans les processus de relogement mis en place par Yankel Fijalkow et Pascale Dietrich-Ragon 2 , on remarque que cette réussite est avant tout définie par les acteurs de la scène la plus distante des habitants : les décideurs. En effet, les relogements n’ont pas pris trop de retard. Il s’agira dans notre étude qualitative de comprendre si la réussite du processus de relogement peut également être considérée au regard des réactions des habitants âgés et de leur réadaptation, dix ans après.


Une métamorphose radicale de la ville Une fois les relogements effectués, les démolitions ont pu débuter aux quatre coins de la ville. Depuis, les travaux métamorphosent la ville mois après mois. En 2006, les démolitions et la réhabilitation de 350 logements aux amonts débutent. En parallèle la réhabilitation des Hautes Plaines améliore les conditions de vie des habitants. Chaque quartier est résidentialisé et sécurisé avec l'installation d'interphones et de clôtures. Les locaux d'ordures ménagères sont rénovés et améliorés, ainsi que les halls d'immeubles. Toutes ces mesures permettent d'effacer des années de dégradation des parties communes et de limiter les trafics de stupéfiant. L'aménagement du centre-ville et du centre des Amonts peuvent débuter. En 2007, les bâtiments A et B de la Daunière sont finalement démolis ainsi que les derniers bâtiments des Amonts et des Hautes plaines. De nouveaux logements apparaissent aux Champs-Lasniers avec notamment des maisons individuelles. Le marché couvert en centre-ville véritable cœur de la ville est rénové. Cette opération est particulièrement importante car le marché, qui a lieu deux fois par semaine est particulièrement vivant et attire les habitants des communes limitrophes. En 2009, les travaux d'aménagement des espaces extérieurs des Amonts et des Hautes plaines débutent et effacent peu à peu les traces des démolitions. En 2012, la ZAC des Amonts est créée. Avec un projet de réaménagement par AM environnement et Albert et AMAR architecte, l’objectif est d’ouvrir la résidence et faciliter l’accès aux équipements et aux commerces, de mettre en valeur les commerces, la construction de 80 nouveaux logements est également prévue ainsi qu’un nouvel équipement Petite Enfance. A partir des années 2010, de nouveaux bâtiments se construisent dans le centre laissant peu à peu apparaître le nouveau visage de la ville.

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Avec la construction des ilots H et K les commerces du centre-ville déménagent peu à peu tandis qu’aux Amonts SCIC (aujourd’hui OSICA) met en vente 28 logements. En 2013 la réfection des espaces extérieurs des Amonts débute. Elle est aujourd’hui encore en cours. Cette réfection prévoit des noues paysagères, de nouvelles descentes de parking, la réfection des rues de desserte, l’aménagement d’aires de jeux, l’amélioration du système d’assainissement... En 2014 un nouvel équipement multi-accueil ouvre ses portes aux Amonts avec 60 places. La livraison d’un nouveau centre commercial aux Amonts est prévue pour 2018. Aujourd’hui le centre commercial sur dalle (dalle commerciale des Champs-Lasniers) en centre-ville est fraichement démoli, de nombreuses passerelles sont également détruites, modifiant considérablement les habitudes de cheminement piétonnier des habitants. Il est également prévu de rénover l’esplanade de la république sur laquelle se situe la poste, la mairie et la médiathèque. Une extension du centre culturel Boris Vian verra le jour. Voisin du centre culturel, le Radazik, a bruyamment fermé ses portes. Cette petite salle de concert attirait de nombreux artistes et permettait à beaucoup de nouveaux talents de se produire. De nouveaux locaux ont été promis mais les associations attendent toujours. En 2008, avec la nouvelle équipe PS de la ville, un budget spécifique est engagé pour la conception d’un nouveau logo. Exit les tours stylisées et la courbe représentant les passerelles. La ville veut se séparer de cette image, au grand dam de l’opposition. Le nouveau logo, coloré, représentera la mixité de la ville. Cette grande rénovation urbaine, encore en cours, change radicalement l’image de la ville. Est-ce pour cette raison que la commune a enfin pu adhérer en 2013 à la communauté d’agglomération de Saclay ? Nous pouvons également nous demander si l’élection de Francoise Marhuenda au poste de maire de la ville en 2014 reflète un revirement de l’opinion général des habitants, commençant finalement à apprécier le nouveau visage de la ville, ou s’il reflète plutôt un changement de population. 74


Résidence Les Amonts

Centre-ville

Résidence des champs-Lasniers

Résidence

Les Hautes-Plaines

après rénovation

après rénovation

Les Amonts

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les

Hautes-Plaines


Anjou, un quartier en difficulté totalement transformé La ville est composée de huit quartiers correspondant aux IRIS de l’INSEE : La Queue d’oiseau (englobant les résidences pavillonnaires de l’Ermitage et de la queue d’Oiseau ainsi que la Zone d’activité de Courtabœuf), Ile-de-France, Franche-comté, Champagne, Bourgogne, Cévènne, dans lequel se trouve la résidence la Daunière. Enfin, les quartiers Saintonge et Anjou, les plus défavorisés de la ville. Les résidences des Hautes Plaines et des Amonts où se situent nos entretiens appartiennent toutes les deux à l’IRIS « Anjou » à l’ouest de la commune. Les deux résidences appartenaient à la ZUS définie en 1996. Seule une partie de l’Iris fait aujourd'hui partie du « quartier ouest » prioritaire (Les Hautes Plaines et le centre commercial des Amonts encore en rénovation). Délimitation des IRIS Source: Géoportail.fr

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500m


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Après

Démolitions

Avant


1. www.insee.fr

Logements, par statut d’occupation, 2013

Anjou, deuxième IRIS le plus défavorisé de la ville, au pourcentage de logement sociaux élevé. En comparant les caractéristiques économiques et sociales de cet Iris aux autres de la commune on comprend qu’il s’agit d’un des deux IRIS les plus pauvres de la ville, avec l’IRIS Saintonge. Son antipode est sans aucun doute l’IRIS de la Queue d’oiseau.

A titre gratuit Locataires privé

Locataires HLM Propriétaires

Ménages non-imposables, 2010

Plus de 50 % Entre 40 et 49 % Entre 30 et 39%

Entre 20 et 29 % Entre 10 et 19%

Résidences principales par typologie, 2013

Selon l’INSEE 1 , Anjou est un petit IRIS, avec 2632 habitants en 2012, soit 10 % de la population de la ville. Le nombre de locataires sociaux est particulièrement élevé, on n’observe en effet que 9% de propriétaires, issus de la vente de logements sociaux à leurs propriétaires par le bailleur il y a quelques années. Il compte en effet plus de 90% de locataires, 88,1% de locataires HLM. Les familles nombreuses y sont surreprésentées (trois enfants ou plus) ainsi que les familles monoparentales (plus de 30% en 2005 et 2012). Il compte par conséquent assez peu de ménages d’une seule personne (moins de 20 % en 2012 contre plus de 25 % sur la commune et plus de 35 % dans l’unité urbaine de Paris). Avec un nombre moyen de personnes par ménage de plus de trois, la plupart des logements sont des trois ou quatre pièces, susceptibles d’accueillir des familles. Le quartier compte uniquement des appartements contrairement à l’IRIS Queue d’oiseau qui comprend presque uniquement des maisons individuelles. La proportion de logements vacants en 2012 est la plus faible de la ville. (1,2 % contre une moyenne de 4,2 % sur la ville et de 6% dans l’unité urbaine de Paris). C’est un quartier apprécié dans lequel de nombreuses familles relogées ont souhaité rester.

Maisons

Appartements

Source: Données Insee 2010 et 2013 sig.ville.gouv.fr/Territoire/91692/onglet/DonneesLocales

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La population qui le compose est en revanche particulièrement défavorisée. Caractérisée par un taux de chômage particulièrement élevé par rapport au reste de la ville, le revenu fiscal médian y est faible. Les ouvriers et employés sont surreprésentés (70 %) par rapport aux professions intellectuelles supérieures (moins de 10 % contre 15 % sur les Ulis). Seul 15 à 20 % de la population y a atteint un haut niveau de formation et plus de 30 % ne sont pas diplômés. Par conséquent, beaucoup reçoivent des allocations de la part de la CAF, qui, pour plus de 25% d’entre eux, représentent plus de la moitié de leurs revenus. C’est également un quartier dont la proportion d’habitants immigrés ou étrangers est plus importante avec un taux de 18,1% d’étrangers et de 27,2% d’immigrés. C’est un quartier jeune, dans lequel on trouve une proportion de personnes âgées encore plus faible que dans la commune. En 2012, après les démolitions et la rénovation, ils étaient 5,6% a avoir plus de 65 ans contre 13,2% dans l’unité urbaine de Paris. Seuls 3% ont plus de 75 ans. A l’inverse, plus de 50 % des habitants ont moins de trente ans. Un taux important de ces jeunes ne sont pas scolarisés entre 15 et 17 ans. (9,5 % contre 3% pour les Ulis et l’unité urbaine de paris) Le sentiment d’insécurité et la délinquance étaient particulièrement présents dans ces quartiers avant la rénovation urbaine et la résidentialisation.

Part des cadres et professions intellectuelles supérieures, 2013

Part des CSP ouvriers et employés, 2010

plus de 65 % Entre 55 et 64 % Entre 45 et 54 %

Entre 35 et 44 % Entre 25 et 34 %

Population âgée de plus de 65 ans, 2013

65-79 ans

80 ans et plus

Source: Données Insee 2010 et 2013 sig.ville.gouv.fr/Territoire/91692/onglet/DonneesLocales

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Rencontre avec trois ménages aux Amonts et aux Hautes-Plaines

Chez Alain et Murielle

Les Amonts est une résidence gérée en grande partie au bailleur OSICA (anciennement SCIC Habitat Ile de France). Seuls les bâtiments 7 à 17 ont été vendus à leurs occupants dans le cadre des politiques d'accession à la propriété dans les années 1990, puis reproposés à la vente dans le cadre de la rénovation urbaine en 2005. Une grande opération de réaménagement des espaces publics, de rénovation d'appartements et de ravalement des façades est presque achevée. La résidence est dotée d'une ‘‘Maison pour tous’’ très dynamique accueillant de nombreuses associations et cours pour toutes les générations. Les habitants profitent également d'un très grand gymnase, de terrains de tennis, et d'une plaine de jeux. Deux LCR (locaux communs résidentiels sont mis à la disposition des habitants, ainsi qu'un centre médico psychologique. Le collège Aimé Césaire se trouve également dans la résidence, ainsi qu'un accueil de loisir, un centre de PMI et une crèche multi accueil. La résidence est donc dotée d’un grand nombre d’équipements, sans oublier qu’elle profite d’un petit centre commercial aujourd’hui en complète transformation.

PMI Gymnase

Commerces

Poste annexe

MPT

Chez Françoise Collège Aimé Césaire

Chez Alain et Murielle Alain et Murielle, logement démoli

Les Amonts avant 80

la rénovation urbaine

50m


Dans le cadre de la rénovation urbaine de la ville, les bâtiments 5 et 35 ont d'abord été démolis pour désenclaver le quartier. Les bâtiments 1, 2 et 22 ont ensuite suivi pour laisser place à un nouveau centre commercial et 80 nouveaux logements. Deux ménages interrogés pour notre étude habitent dans cette résidence. Le couple, Alain et Murielle, 72 ans chacun, habitaient le numéro 35, dans un T4, aujourd'hui démoli. Ils ont obtenu un T4 au numéro 45, au troisième étage, sans ascenseur, juste en face. Ils sont au cœur de la partie dans laquelle de nombreux logements ont été rénovés et où les espaces extérieurs ont été totalement repensés. Françoise, 80 ans, vit seule dans un T3 au numéro 10. Elle habite dans la partie qui a été vendue par le bailleur, dans laquelle aucun ravalement n'a été fait. Son logement, qu'elle occupait depuis 1981, lui a été proposé en accession dans les années 1990. Changement de statut qu'elle a refusé n'étant pas en mesure de souscrire à un crédit. En 2005, dans le cadre de la rénovation urbaine, un nouveau prix lui a été proposé mais, ne pouvant toujours pas souscrire à un crédit, en raison de son âge, l’appartement a finalement été acheté par sa fille.

Chez Françoise

Démolition

Poste annexe

Partie mise en vente non rénové

Nouveau centre ville

Les Amonts bâtiments démolis

50m

Les Amonts Projet

81


La résidence des Hautes-Plaines fait partie du quartier prioritaire. Elle fait l’objet d’une grande rénovation de ses espaces extérieurs après la démolition des bâtiments 7 et 26. Les parkings couverts au nord du quartier ont également été démolis afin d’aérer l’espace et d’ouvrir des perspectives. La résidence profite d’un LCR et d’une ludothèque. Quelques associations y sont domiciliées. Son atout majeur est la proximité du centre-ville, de ses commerces et de son marché et du centre commercial des Amonts. Les Hautes-Plaines faisaient régulièrement l’objet d’articles dans les journaux locaux avant la rénovation urbaine pour ses nombreux incendies, problèmes de propreté, pour la dégradation des locaux d’ordure ménagère, le trafic de stupéfiant et le dépôt illégal d’ordures. Bernard, 94ans, habite cette résidence depuis son arrivé aux Ulis avec sa famille dans les années 1970. Ils habitaient un T4 au numéro 7, au 5ème étage avec ascenseur avant la rénovation urbaine et occupe actuellement un T4 au numéro 37, en Rez-de-chaussée surélevé sans ascenseur. Au moment du relogement, il vivait encore avec sa femme très handicapée physiquement. Aujourd'hui veuf, il demande un logement plus petit dans la même résidence.

Tous les ménages interrogés sont ainsi arrivés aux Ulis dans les années 1970. Leur logement a été touché par les démolitions ( Murielle et Alain, et Bernard) ou bien vendu aux locataires (Françoise). Il s'agit donc du logement dans lequel ils ont vécu le plus lontemps (entre 25 et 35 ans) et dans lequel leurs enfants ont grandis. Ils sont tous des « anciens » du quartier et de la ville des Ulis qu'ils connaissent depuis ses débuts et qu'ils n'ont pas quitté depuis.

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Les Hautes-Plaine avant la rénovation

Démolitions

20m

Les Hautes-Plaine après la rénovation

20m

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1. CARADEC, op. 2. Castel R. cité dans GILBERT, op.

Ces trois ménages subissent, à des degrés différents, l'épreuve du grand-âge 1. Alain et Murielle, les plus jeunes, ne sont pas touchés par la solitude, font partie de la classe populaire dite stable 2 avec des revenus modestes mais suffisants à assurer leur confort sans inquiétude. En bonne santé, ils profitent de leur retraite. Bernard, le plus âgé, 94 ans, est marqué par la perte. Entouré des décès de ses contemporains, et du décès récent de sa femme il est touché par la solitude et la baisse de ses revenus. Malgré une retraite confortable, la disparition de sa femme l'oblige à réorganiser sa vie quotidienne et ses dépenses. Encore en bonne santé pour son grand âge, il est cependant de plus en plus limité physiquement.

3. Ibid.

4. O. Schwartz, cité dans, GILBERT, op, p.80

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Françoise, est probablement le ménage le plus vulnérable et le plus touché par l'épreuve du grand-âge. Handicapée, et endettée, elle fait partie de la classe populaire dite précaire 3. Ayant accumulé les emplois précaires les uns après les autres, entrecoupés de périodes de chômage tout au long de sa vie, ayant élevé ses enfants seule et vécu de nombreux drames familiaux, elle est le ménage le plus représentatif de la double vulnérabilité des personnes âgées modestes. Cependant, les trois ménages interviewés font partie des « milieux populaires instruits » 4 . En effet, Bernard a longtemps occupé un poste de plus en plus important au sein du service presse du ministère du logement. Alain et Murielle sont tous deux diplômés, et travaillaient respectivement dans la technique du bâtiment et dans le milieu hospitalier, tandis que Françoise, malgré la précarité et l'instabilité de ses emploi a repris ses études dans les années 1990 et a obtenu un diplôme de juriste. Leur instruction et leur force de caractère leur donnent des outils de résistance et une capacité à développer, nous le verrons, des stratégies de conservation.


Les Hautes-Plaine, Logements de Bernard

Avant les dÊmolitions (T4) Après le relogement (T4) lors des entretiens Futur logement (T2)

20m

Chez Bernard

Hautes-Plaines partie Ouest

Hautes-Plaines partie Est 85



Chapitre 3

Une épreuve entre vulnérabilités & resistances


Une mise à nue des vulnérabilités des locataires âgés Si, comme le définit Vincent Caradec, le grand-âge est une épreuve, caractérisée par la tension entre les « prises » qui s’effritent et celles que l’individu cherche à maintenir, voire récréer, l’épreuve de la rénovation urbaine peut-elle, au grand-âge, s’exprimer de la même façon ? Nous verrons que les habitants rencontrés sont en effet tiraillés entre la perte et la résistance. D’un côté, la rénovation de leur quartier les fragilise dans leur manière d’être et d’habiter, met en évidence leurs faiblesses et leur statut. De l’autre, leur position d’ancien du quartier, leur instruction et leur force de caractère, leur donnent des outils de défense et de résistance. Face aux épreuves, chacun fait appel à des ressources qui lui sont propres. Nous verrons cependant, en quoi les relations à l’espace des ménages âgés sont intimement liés à leus capacités d’adaptation.

Atteinte de l’être et de l’habiter

1. DJAOUI, op, p.85

Le relogement, les démolitions, les expulsions vont à l’encontre des principes fondamentaux de l’habiter. En effet, nous l’avons vu, habiter, c’est se fabriquer un espace défendable, c’est le lieu de l’intimité, c’est une forteresse dans laquelle l’occupant est le souverain. « Par cet espace défendable (...) Le domicile emplit cette fonction d’espace propre, domaine non contesté et non revendiqué par les autres. » 1 Lors de rénovations urbaines, des institutions viennent revendiquer ce domaine. Que ce soit pour démolir ou pour vendre le logement, l’atteinte fondamentale à la souveraineté de son espace habité est aussi importante. « On nous a viré » explique Alain. « Ouah. C’était violent hein. C’était violent. » Se souvient Murielle La violence de la perte de la souveraineté de son habitat est unanime, d’autant plus que les habitants étaient souvent bien installés dans leur logement, et ce depuis de nombreuses années. La première incompréhension est là : Pourquoi dois-je quitter un logement dans lequel je suis bien, un logement en bon état ?

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« On ne regarde pas la ville de la même façon suivant que l'on a vécu l'épisode antérieur ou qu'on ne l'a pas vécu. » Henri Coing 1 « Bin premièrement, comme beaucoup, ça me plaisait pas de quitter un appartement où je vivais bien. » Bernard « On veut rester dans notre logement, qui n’est pas vétuste » Murielle Aux Amonts, en effet, les bâtiments démolis n’étaient ni vétustes, ni dégradés. Leur démolition a permis d’ouvrir le quartier et de le désenclaver. C’est un argument parfois difficile à comprendre pour les habitants qui s’attachent à la qualité de l’espace du logement qu’ils ont aménagé et qu’ils se sont approprié. Aérer, désenclaver, semble des considérations bien futiles face à la perte qu’ils subissent. « Ces gens-là vont detruire de beaux appartements Pour dégager la vue et « aérer » l’espace » Bernard Francoise se rend compte, au moment de la mise en vente de son logement, qu’elle a très peu de pouvoir sur son logement, elle subit des décisions sur lesquelles elle n’a pas de prise. « L’agence immobilière l’a acheté en cours de bail, donc ils pouvaient pas m’augmenter, c’était en 2013. En 2016, six mois avant je recois un papier de l’agence immobilière.. ils triplaient mon loyer ! » Dans le cas des démolitions, ce sont tous les souvenirs et l’investissement des habitants qui disparaissent. Murielle prend l’exemple du carrelage qu’ils venaient de refaire lorsqu’ils ont été informés du projet : « On s’était bien investis dans l’autre, puis ça a été démoli. Il y avait pas longtemps qu’on avait investi. On avait même fait le carrelage et tout. On avait fait…On a vu ça, on avait pas plus envie, ohlala... On avait mis des beaux tableaux là... oui oui... c’est desesperant » Ils étaient fiers de leur logement et des aménagements qu’ils avaient réalisés au fil des années. Les femmes sont d’avantage attachées à cette dimension du logement. Perla Serfaty-garzon évoque en effet le « devoir féminin d’entretien et d’enchantement de la maison » auquel renvoie, encore aujourd’hui, l’espace du logement. Le travail d’appropriation et d’enchantement des femmes, progressif et minutieux « transforme les objets en décor domestique familier qui soutient la sécurité ontologique des membres de la maisonnée » 2. Le foyer est, encore aujourd’hui, associé à l’épouse ou la mère. C’est donc, tout l’équilibre famillial, son intimité, et ses valeurs qui sont ébranlées par la démolition.

1. Dans TISSIER, Catherine, Retour dans l’îlot n°14, d’après une idée de Fijalkow Yankel

2. Giddens, 1979, cité par SERFATY-GARZON, Perla, 2014, Chez-soi, vieillesse et transmission. Les enjeux de la trace et du don, dans Habiter et vieillir Vers de nouvelles demeures, MEMBRADO Monique et ROUYER Alice(sous la direction de ) Toulouse, ERES (coll. « Pratiques du champ social »), 2014.p.25-42. p.28

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Pour Bernard son ancien logement était aussi celui de sa famille, de ses souvenirs. Le logement en lui-même contient plusieurs années de sa vie. Il écrit alors, dans un journal local : « Ils vont fouler aux pieds trente années de ma vie, Avec ces bâtiments que l’on veut démolir. La mixité, dit-on, leur a donné l’envie De réduire en poussière, dans les jours à venir, Les murs de ma demeure, où je vivais heureux » (…) « J’ai vécu vingt-neuf ans en ce cinquième étage D’un immeuble HLM avec vue sur…la mère De trois jeunes enfants ; puis j’ai tourné la page : Ils se sont envolés (je suis ocotgénaire). » Plus que les murs et les qualités du logement se sont donc les souvenirs qui sont démolis. Cette perte est particulièrement plus importante pour les personnes âgées résidant, dans le cas de mes entretiens depuis plus de vingt-cinq ans dans ce logement au moment des démolitions. Ce logement était, celui dans lequel leurs enfants ont grandi. Ayant emménagé dans les années 1970, peu de temps après la construction, ils en étaient parfois les tout premiers occupants. Ce ne sont pas juste des murs, mais des années de leur vie qu’ils ont le sentiment de devoir abandonner. Et ce ne sont pas que les logements qui sont démolis mais tout le quartier et les repères qui changent. A propos de la réfection des espaces extérieurs et des façades, Alain est assez résigné : « C'est des décisions qui sont extrêmement… qui nous regarde pas on va dire. »

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Murielle, quant à elle, est profondément perturbée par les « prises » qu’elle pouvait avoir sur son environnement habité qui aujourd’hui disparaissent subitement : « Il y a une commune où le maire justement (…) demandait à la population si ça les intéressait de rester dans le logement. Faire venir des experts et vraiment voir si ça valait le coup d'être démoli ou... retaper enfin donc et après ils les remettaient dans les logements. Donc il leur demandait leur avis. Nous rien du tout.(…) Là ils nous ont rien demandé, rien du tout. Ils nous ont dit "vous pouvez pas, c'est pareil, vous devez sortir!" [rire] "C'est nous qui décidons c'est pas vous". Non mais c'est ça, on a senti qu'on était vraiment ... on était... une obligation de partir en fait. On nous a pas demandé notre avis... Les arbres! Pareil les arbres ils les coupent comme ça. Des beaux arbres qui étaient là depuis... qui étaient là depuis ..pff! depuis qu'on était arrivés hein... (…) Ils nous demandent jamais, ils nous demandent jamais. (…) non jamais jamais jamais... Tu vois des travaux tu te dis mais... "que font ils là?.. qu'est ce qui se passe là?" Tu es étonné, tu découvres [rire] voila. On est pas au courant, pas du tout. Alors là ils commencent à couper là derrière. Je lui dis "attention parceque les arbres ça nous protège au moins de la pollution" ... "non non on coupe pas, on coupe pas!" Et puis ils nous ont quand même coupé trois ... trois ou quatre.. ils ont laissé là comme ça. Non mais c'est sans arrêt comme ça, ça m'énerve ça m'énerve.. » Si l’intensité de l’épreuve du relogement est proportionnelle à la quantité de souvenirs rassemblés et au nombre d’années vécues dans le logement et le quartier, nous comprenons que les plus « anciens » des quartiers soient les plus ébranlés par les démolitions.

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Un processus mettant en évidence les multiples pertes du grand-âge. Quelque soit l’âge des ménages, le relogement est un moment difficile, un processus marqué par l’incertitude. « Alors comme je savais pas où j'allais être relogé je me disais je vais peut être quitter la ville, pour aller habiter ailleurs... alors hein… alors qu'on nous avait promis de nous reloger dans la ville même. Dans d'autres appartements. Mais on était quand même une vingtaine de locataires à reloger hein. » Cela peut également, être un processus très long : « Tout ça, ça prend… c'est étalé sur disons sur...sur quatre ans.. trois ou quatre ans je sais pas exactement. J'ai pas les dates en tête » Alain Mais, cette incertitude est d’autant plus anxiogène pour les personnes âgées qui voient alors toutes leurs difficultés mises en lumière. Avec l’âge leurs facultés baissent, leurs contraintes augmentent et, par conséquents, les critères auxquels le logement doit répondre sont de plus en plus nombreux. Le prochain logement leur assurera-t-il le même confort ? Seront-il en mesure de le payer ? Le logement qu’ils occupaient depuis des années a vieilli avec eux . Ils ont progressivement adapté leurs habitudes. Ils n’en voient plus les inconvénients. Françoise a refusé de déménager malgré la mise en vente de son logement car elle craignait de ne pas retrouver l’équivalent. « C'est pour ça que je l'ai gardé » me dit-elle a propos de la position en rez-de-chaussée. Bernard, malgré ses 85 ans passés, au moment du relogement, était encore en relative bonne condition physique. Il était encore capable de marcher et de monter des escaliers mais ce n’était pas le cas de sa femme. Il n’était pas sûr non plus de conserver ces capacités indéfiniment. Son logement au cinquième étage avec ascenseur lui apportait une certaine assurance, quelque soit l’évolution de ses facultés physiques.

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« Oui alors j'avais,.. oui j'habitais au 5ème, moi, là-bas. J'habitais au 5ème.. dans celui qui a été démoli, il y avait un ascenseur et quand on m'a relogé ici, comme ma femme était, pratiquement impotente, j'ai dit ‘‘je voudrais un Rez-de-chaussée’’... - Mais ils vous ont attribué un faux rez-de-chaussée. Oui, bin oui. Alors quand le docteur de l'hopital, quand elle est revenue de l'hopital qu'il m'a dit « il faut la sortir tous les jours »... Mais je lui ai dit « Mais je vous ai déjà dit qu'il y a 15 marches ! Comment voulez vous que je descende 15 marches, elle peut pas se.. elle peut pas poser le pied par terre !» - On ne vous a pas proposé d'autre logement ? Et bien ils m'ont proposé évidement une aide ménagère, mais.. à porter le fauteuil.. enfin... - Il y a de vrais rez-de chaussée pourtant dans la résidence. Oui mais il n'y en avait pas de libre, alors on m'a donné celui-là... » Malgré la nécessité pour ce couple âgé, de diminuer au maximum le nombre de marches pour atteindre le logement, les bailleurs n’avaient pas de logement en Rez-de-chaussée qui convienne. En effet, aux Ulis, les immeubles de grande hauteur étaient prioritairement visés par les démolitions, bâtiments alors équipés d’ascenseurs. Aux Hautes-Plaines, les bâtiments restant étant pour la plupart de trois ou quatre niveaux, et n’étaient pas necessairement équipés d’ascenseur. Le rez-de-chaussée était alors la seule solution restante pour Bernard et sa femme. La réduction de leurs capacités physiques, n’était, avant le relogement, pas un problème majeur au quotidien. Ce n’est qu’au moment du relogement qu’ils ont dû réellement y faire face. Aujourd’hui installé dans un rez-de-chaussée surélevé, Bernard compte les marches à chacune de ses sorties.

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L’offre du bailleur de Bernard sur la commune est en effet assez réduite, elle se limite au quartier des Hautes-Plaines. Afin de simplifier les démarches et réduire les couts de déménagement, il ne souhaitait pas changer de gestionnaire : « Ah bin les nouveaux qui se construisent c'est plus pareil moi j'aurai voulu rester au sein de la société pour faire un simple échange, vous comprenez, ça m'aurait couté beaucoup moins cher et pas de déménagement. » Les démarches complexes et la multiplicité des acteurs en charge du relogement sont en effet un autre obstacle, particulièrement contraignant pour les personnes âgées. Difficile pour certains, de tout comprendre et de suivre. En me montrant les courriers échangés avec le bailleur et la mairie, Alain et Murielle expliquent : «Alain : Oui vous voyez après vous avez des courriers du bailleur oui... De la mairie c’est passé au bailleur vous voyez [rire] Alors est-ce que c’est un problème d’organisation euh.... oui bon vous voyez on ne sait pas encore hein. (…) C’est des.. problèmes administratifs qu’il faut gérer, après je sais pas comment ça fonctionne hein. Il faut être... il faut être vraiment dans la gestion des logements. Murielle: Si vous êtes en dehors vous savez pas. Alain: C’est comme ça en France hein, c’est un millefeuille avec plusieurs étages. Vous avez la région... la commune, le département... Murielle: C’est compliqué. » Murielle rappelle souvent que ce sont des décisions prises par des personnes haut placées sur lesquelles ils n’ont pas de pouvoir et dans des circonstances qu’il leur est difficile de comprendre. « Borloo était ministre des.. Pour les logement je sais pas quoi là... là-haut là... ». La métaphore utilisée, « là-haut », montre bien la distance entre eux et les décisionnaires.

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Malgré son intérêt pour l’informatique, Françoise, quant à elle, est parfois un peu dépassée par les démarches en ligne pour les demandes de logement social. En cours de procédure, notamment avec son gestionnaire, suite à la vente de son logement et l’augmentation progressive de son loyer, elle a du s’équiper et acheter une imprimante, afin de gérer les démarches. « J'en avais plein la maison. » me dit-elle à propos des papiers administratifs « pff... Non mais je vais faire des cocottes à la fin j'en ai ras le bol ! » Les soucis engendrés par les démarches peuvent d’ailleurs être épuisants pour les personnes âgées et accélérer le déclin physique et/ou intellectuel: « Vous savez j'ai de la mémoire. Et... elle revient quelquefois maintenant avec tous mes.. c'est mes soucis qui me font ca. Ca revient à retardement. Tandis qu'avant c'était plus rapide. Là j'ai trop de soucis. » (Françoise) La recherche d’un nouveau logement met également en évidence les difficultés financières de ces ménages âgés modestes. Nous l’avons vu, c’est une des motivations de Bernard pour ne pas changer de bailleur. Pour Françoise, la mise en vente de son logement aurait pu être une opportunité de devenir propriétaire, mais, dans les années 1990, étant au chômage, elle n’était pas en mesure d’acheter. « En 1990. Mitterand, qui était donc président de la république et son gouvernement ont mis en place un système d’accession à la propriété pour les locataires de HLM. Pour faire croire tout simplement, qu’un pauvre pouvait être propriétaire ! n’est ce pas ? » Elle dut alors faire face à sa grande précarité économique, la plaçant en bas de l’échelle sociale, contrairement à ses voisins qui eux, avaient les moyens. « C’est qu’il y en a qui.. 80 % qui avaient des revenus beaucoup plus larges et habitaient des HLM.(…) Donc la plupart du temps les gens achetaient en 1990. Les locataires sont devenus propriétaires, pour une somme modique... » En 2007, alors qu’elle est à la retraite, une nouvelle proposition lui a été faite: « En 2007, on m’a fait une relance avec 10 000 € de moins pour l’acheter 44 000. C’était une bouchée de pain, alors je vais vite voir la banque. ‘‘Alors non Madame … parce que vu votre âge maintenant c’est plus possible.’’ »

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1. SERFATY-GARZON, 2014, op., p.25.

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Cette seconde proposition lui a fait prendre conscience, en plus de sa vulnérabilité économique, de son âge et de la diminution de ses possibilités. Selon les banques, elle était trop âgée pour saisir cette opportunité. Reprenant le métaphore de Rilke « La vieillesse est l’automne de la vie », Perla serfaty-garzon nous dit « L'automne n'est plus le temps de se bâtir un chez soi, qui maintenant n’a point de maison n’en bâtira plus » 1. L’adage serait donc vrai ? Pour ces personnes âgées modestes, ayant toujours été locataires, l’heure n’est plus à l’achat, à l’investissement, tant financier que personnel, dans un chez-soi ? Murielle et Alain se sont également vu proposer des appartements à la vente aux Amonts, mais ils ont refusé. « On a trouvé maintenant le gout de voyager, on va pas se mettre un crédit sur le dos » explique Murielle. La retraite n’est plus le temps d’acheter et de rembourser des prêts pour ce couple. Enfin, à ce propos, Bernard explique qu’il n’a jamais envisagé d’acheter, « parceque j'ai considéré que j'aurai pas les moyens. J'avais pas les moyens de m'engager dans un crédit de 20 ans ou... je sais pas combien. Alors j'ai jamais fait. Je me suis toujours contenté du logement HLM où c'était à peu près raisonnable.» La rénovation urbaine oblige donc les ménages agés à se confronter à leurs faiblesses. Le relogement et les propositions d’achat sont alors l’occasion de faire un bilan de son parcours résidentiel. Pour les personnes âgées, l’heure ne semble plus être à l’ascension mais au maintien des conditions de vie actuelles. Ce processus mettant les ménages face à leurs difficultés peut engendrer une perte de l’estime de soi et de l’énergie vitale, menant progressivement à un déclin tant physique que psychique.


« La notion de perte infiltre tout le vécu du sujet âgé. (…) A la perte des aptitudes, des facultés sensorielles, de l'estime de soi, des liens sociaux, des êtres chers, la perte du chez soi est vécue comme l'antichambre de la mort » 1

Un processus menant à la déprise ? La déprise est une notion importante de l’épreuve du grand -âge. Avec la perte de certaines facultés, les personnes âgées sont souvent amenées à abandonner progressivement certaines activités. Le schéma le plus couramment observé est un regain d’énergie au moment de la retraite avec la multiplication de nouvelles activités, comme on peut le voir dans le comportement de Murielle et Alain, multipliant les voyages et curieux de découvrir le monde. On observe dans un second temps l’adaptation des activités. Les personnes âgées, n’arrêtent pas leurs activités mais opèrent un tri. Elles ne réservent leur énergie que pour celles qui leur tiennent à cœur, ou bien trouvent des stratégies d’adaptation ou de substitution 2. Françoise, de plus en plus handicapée physiquement, incapable de conduire seule, ne sort plus beaucoup. En contrepartie, elle s’intéresse à l’informatique et aux réseaux sociaux qui lui permettent de garder un contact avec le monde extérieur. Bernard, grand marcheur sportif jusqu’à ses 70 ans, a aujourd’hui arrêté la marche sportive mais continue de se déplacer à pied. Enfin, certaines activités sont totalement abandonnées. « Parceque moi je peins aussi, mais je peins aussi des... simplement pour me distraire. Quand je pouvais ! Mais maintenant…» nous confie Françoise.

1. DÉOUX et alli, op, p.94.

2. CARADEC, op.

La déprise est une des manifestations des « prises de l’individu [qui] tendent à s’effriter ». Si elle est souvent progressive, des éléments déclencheurs peuvent cependant engendrer l’abandon soudain d’une activité, comme le veuvage, une hospitalisation, ou le placement en structure médicalisée . Le relogement peut déclencher ou accélérer cette déprise, par les effets multiples qu’il a sur la vie quotidienne des ménages. Le relogement modifie, dans un premier temps, la vie sociale et les relations de voisinage. « Donc là ils sont obligés de... de de... brusquer un peu les gens qui habitent parce que les gens ont leurs habitudes, gardent leurs habitudes, leurs voisinages, leurs voisins. Ils ont des bons voisins donc... en fin de compte ça éclate, la cellule de votre environnement éclate. » Alain

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Il est alors souvent difficile pour les personnes âgées de recréer des liens sociaux. Ils perdent le contact de leurs anciens voisins rencontrés progressivement au fil des années, et des relations de proximité tissées, souvent par le biais des enfants, du travail, ou des activités extérieures. Aux Ulis, de plus, la mobilité résidentielle étant assez faible, les locataires partagent souvent avec leurs voisins des similarités (âge, origines, valeurs…). Le relogement et les rénovations urbaines « éclatent » alors ces petites communautés. Souvent, les personnes âgées ont alors du mal à tisser de nouveaux liens avec leurs voisins : « Oui c'était mieux là bas on s'entendait mieux, c'est drôle hein mais c'est comme ça. » confie Bernard. Le logement lui-même est souvent considéré comme moins bien, moins confortable. Pourtant, Bernard, Murielle et Alain ont obtenu un logement strictement identique, n’ayant pas changé de résidence, ni de typologie de logement. Mais certaines choses changent malgré tout. « On veut rester dans notre logement, qui n'est pas vétuste, et puis on avait vue sur cour, là.. là on a toute la pollution de la route là... C'est vrai que on a une plus belle vue mais dans un sens ... » regrette Murielle. En effet, le couple a désormais un logement donnant sur la rue : « On était un peu à l'écart de la circulation, on avait moins de contraintes... moins qu'ici, parce qu’ici on entend quand même la circulation. Ça c'est important vous voyez quand vous habitez une habitation. Parce qu’ici on apprend les normes euh... Isolation c'est c'est... ils ont mis des fenêtres mais c'est pas du triple vitrage hein. C'est du double vitrage... c'est un habitat qui date des années 60 euh... 68, 70 vous voyez à peu près. Donc euh... » (Alain) Au-delà du bruit, la circulation engendre selon eux une pollution plus importante, notamment sur les fenêtres ce qui les oblige à les nettoyer plus souvent. Le couple ne s’investit plus autant dans ce nouveau logement. Remis en état avant leur installation, malheureusement pas à leur gout, ils n’ont pas souhaité refaire des travaux. « ... c'est désespérant on va pas refaire des... donc tanpis on laisse comme ça. » confie Murielle. Nous l’avons vu, Bernard a désormais quinze marches à monter pour atteindre son logement, ce qui, lorsque sa femme était encore vivante, 98


l’empêchait de la faire sortir tous les jours. Incapable de se déplacer seule et dépendante de son fauteuil roulant, elle était alors littéralement «assignée à domicile» 1. Aujourd’hui, cela ne semble pas l’empêcher de sortir mais nécessite d’avantage d’organisation. En revanche, il regrette la vue et la luminosité de son ancien appartement du cinquième étage. « Je voyais la tour Eiffel de mon… de ma fenêtre, tous les jours, elle est en face la tour Eiffel, hein. Et bin maintenant je peux plus la voir maintenant. »

1. LELEVRIER, Christine, 2008, Les trajectoires résidentielles des ménages dans les opérations d’îlede-France,

Face aux complexités des démarches, à la fatigue physique… « Oui parce que je ne peux plus travailler. J'ai une prothèse d'épaule. Et euh... on va me mettre en handicap sérieux puisque je ne peux plus marcher comme avant. Et je marchais beaucoup. » ….et à la fatigue intellectuelle, Françoise me confie ne plus avoir l’énergie de faire des demandes de logement social, ni de se battre pour que son loyer n’augmente pas. « Je suis criblée de dette. J'ai voulu me battre… et il faut énormément d'argent. Et je suis trop âgée. J'ai beaucoup de gens qui auraient pu m'aider mais ils sont décédés. (…) aujourd'hui je me trouve en surendettement… donc... et bientôt sans logement. » Chez Françoise, la perte progressive des prises sur le monde qui l’entoure et sa capacité à assurer ses conditions de vie, à maitriser son habitat, s’effritent. Il semble donc que la rénovation urbaine accentue le sentiment de perte déjà très présent chez les personnes âgées et qu’elle les fragilise dans leurs manières d’être et d’habiter. Le processus de relogement et de vente des logements exacerbe à chaque étape les difficultés des personnes âgées et les met face à leur propre vieillissement. Ce face à face avec soi-même et ses capacités peut engendrer une déprise et un enfermement progressifs mais, il peut aussi au contraire déclencher des résistances. L’épreuve est là : dans la tension entre vulnérabilités et résistances. Si les anciens de ces quartiers modestes sont plus vulnérables que d’autres, ils ne manquent pas pour autant de faire valoir leurs forces pour conserver leurs conditions de vie et protéger leur espace habité.

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Les stratégies de conservation et de resistance des anciens Face aux rénovations urbaines et aux démolitions, les anciens des quartiers HLM déploient toutes leurs compétences pour défendre leur chez-eux et reprendre le contrôle. Toutes les stratégies sont bonnes pour maintenir ses prises sur le monde. L’épreuve du relogement peut aussi donner un regain d’énergie et mettre en évidence leurs capacités.

Le statut d’ « ancien » Les locataires rencontrés défendaient tous ce statut d’ ancien du quartier. En effet, occupant leur logement depuis plus de vingt-cinq ans au moment des démolitions, ils ont vu la ville se construire et évoluer. Ils font partie de l’histoire de la ville et le revendique. Ils la connaissent mieux que personne et y ont développé un réseau de connaissances. Ils ne sont pas « n’importe qui » (Bernard): « La ville des Ulis comporte 26 000 habitants et par mes actions passées dans la ville je suis connu de... moi quand je dis aux gens que.. je connais la moitié de la population, j'en connais... il y a plus de 10 / 15000 personnes que je connais ou qui me connaissent. » (Bernard) « J'ai été voir Madame Decan, puisque Monsieur Paul Loridant me connait. Je connais Madame Françoise Marhuenda, très bien, sous le nom Demond parce que j'ai été chef du personnel du CNTS, avant qu'elle soit maire. J'étais connue. » (Françoise) « Je connais bien la région. Je connais bien tous les coins.» (Alain) Cette position engendre des relations particulières avec les acteurs professionnels. Bernard affirme par exemple, a propos de l’aide que le bailleur propose pour le déménagement : « Ils font ça pour me faire plaisir parce qu’ils me connaissent bien, mais ils font pas ça à tout le monde hein. Il ne le ferai pas pour n’importe qui hein. Moi je suis en bon terme avec tout le monde.» Ils sont par conséquent plus exigeants et attendent une reconnaissance, une attention particulière. 100


« Le domicile emplit cette fonction d’espace propre, domaine non contesté et non revendiqué par les autres. » 1 « il est avant tout le lieu de l'exercice d'une pleine souveraineté » 2

« J’étais connue. Mais vous savez. Malgré tout ça, on me propose rien. rien. On s’occupe des gens qui ont des enfants, qui en ont un dans le ventre un dans le dos... » Françoise C’est d’ailleurs par cette relation de proximité et plus intime que les relogeurs ou les gardiens parviennent le mieux à discuter avec les personnes âgées qui peuvent, autrement, être un public difficile. Le relogement apparait alors d’avantage comme un « service rendu ». 3

1. DJAOUI, op., p.85 2. DREYER, op, p.6

3. DIETRICH-RAGON et FIJALKOW, op., p.126

Murielle, quant à elle, espérait, lors du relogement, une attention particulière qui n’est pas venue. « Ils proposaient ce qu’il y avait. Pour libérer. ‘’Il y a ça, Allez prenez ça il y a ça , allez voir, allez visiter.’’ Non.. non ça va, ça m’intéresse pas. [rire] » Ils sont alors assez exigeants dans leurs critères de relogement. Alain et Murielle ont refusé de nombreux logements avant d’obtenir un logement absolument identique, dans la même résidence. Ils m’expliquent : «Alain : Oui euh.. l’équivalent, qu’il soit au moins l’équivalent, niveau superficie vous voyez? Et qu’il soit bien disposé parce que le problème vous voyez à Massy, on était coincé entre une voie ferrée et une avenue de circulation bruyante alors vous voyez... et puis la pollution…Les particules euh. Le TGV arrive il freine brusquement à Massy, c’est des particules de frein... qui se retrouvent dans l’atmosphère. Murielle: Exactement. Oui ils expliquent hein dans les documentaires mais bon, que font ils pour ça hein? » L’absence de reconnaissance ou d’attention particulière est une véritable rupture pour Murielle dans son rapport à la commune dans laquelle elle vit depuis de nombreuses années : « J’étais déçue. J’ai été déçue. Très déçue, c’est terminé là. Je vois plus les Ulis de la même façon. J’ai été très déçue. » Cette position d’ancien semble donc leur octroyer une sorte de légitimité dont ils usent volontiers pour conserver leur statut et leur mode de vie. «Et je n’irai.. je n’accepterai pas n’importe quoi. » Bernard

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1. O. Schwartz, cité dans, GILBERT, op, p.80

Nos trois ménages ont également la particularité de faire partie d’une classe, certes, populaire, mais plutôt instruite 1. Malgré l’absence de diplôme, Bernard a été embauché juste après la guerre au ministère du logement où il est resté pendant 40ans en tant que secrétaire du service presse. Issu d’une famille de constructeurs, le monde de l’immobilier et de la construction lui est familier. Alain travaillait également dans le monde du bâtiment en tant que technicien. Murielle travaillait dans le milieu médical. Aujourd’hui à la retraite, ils apprennent l’anglais, voyagent et lisent beaucoup. Françoise, quant à elle, malgré un parcours professionnel chaotique composé d’emplois précaires et de période de chômage a, après des débuts dans le milieu de l’esthétique, du commerce et du bâtiment (décoration), repris ses études pour devenir juriste. L’obtention de son diplôme à presque cinquante ans ne lui a pas permis de trouver un emploi stable, mais révèle des capacités d’adaptation, une force de caractère et une curiosité qui, nous le verrons, l’ont aidée à se défendre. « Et encore, je crois j'ai pas assez le temps pour apprendre encore. » ajoute-elle. De cette instruction, ces anciens tirent donc une forme de sagesse qu’ils revendiquent. Ils défendent la légitimité de leur point de vue qui devrait être écouté. Ils ont ainsi une position particulièrement critique vis-à-vis du projet et le font entendre. « Murielle: Voila voila! exactement. Tout à fait. On s’est battu. Ah oui, par contre on s’est battus. Alain: Oui oui on s’est battus, c’est pour ça on a été... vraiment dans les derniers à partir. Murielle: On a fait de la résistance. Ca a été long oui parce que vous vouliez exactement le même. Murielle: On a fait de la résistance. Alain: C’est pour ça que sur la fin il y a des tensions quand même.. entre les deux parties parce que.. ils voyaient que.. on voulait pas partir et eux ils avaient des dates peut-être je sais pas... »

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A propos des aménagements extérieurs de la résidence, Murielle et Alain reproche un gaspillage inutile de l’argent public : « Alain: C’est important hein, c’est démesuré hein. Ah ouais, c’est vraiment pour du..., c’est du visu hein. C’est quelques arbres, des... des petits aménagements euh.. mobilier, quelques… Murielle: Ah c’est du gaspillage hein! » Bernard, dans son poème publié dans un journal local attaque ouvertement le Maire et ses élus. Lors de notre entretien, il m’en fait la lecture commentée : (Annexe 2) « Alors j’ai fait un poème... uniquement comme ça, comme ça dans la nuit du conseil municipal où ils avaient confirmé la démolition, malgré l’opposition de beaucoup d’habitants, on a fait des.. des conférences on a fait des défilés dans la rue où ils... avec des drapeaux. J’ai participé à chaque fois.(…) Alors mon poème je l’ai intitulé, ‘‘en choisissant mes mots’’ (...) ‘‘Ils vont fouler au pied 30 années de ma vie’’ Parce que tu vois j’habitais déjà là depuis 30 ans. Bon.’’Avec ces bâtiments que l’on veut démolir.’’... ‘‘La mixité’’, Parce qu’ils avaient ça comme argument, la mixité de la ville ‘‘Dit-on, leur a donné l’envie, de réduire en poussière dans les jours à venir’’ C’est de la poésie hein. ‘‘Les murs de ma demeure où je vivais heureux sur le sol des Ulis dénommé ‘‘hautes-plaines’’ La mairie démolit, par un projet foireux’’ Ca c’est déjà méchant hein... ‘‘Ce qu’elle avait construit ça valait-il la peine?’’ de démolir. Alors... là une deuxième accusation encore. ‘‘La faconde des uns, la fatuité des autres, ce besoin d’innover, leur folie des grandeurs, tout cela permettra à tous ces bons apôtres, d’assouvir leur désir et...’’ tu vois, rien que celui là, tous les mots sont méchants, envers la municipalité. Alors ces gens là ‘‘vont détruire de beaux appartements pour dégager la vue’’ [rire] C’est ça qu’ils ont dit aussi [rire] ‘‘Pour dégager la vue et aérer l’espace. Vous serez relogés, on m’a dit ça crument’’ Oui fin bon oui... ‘‘Vous serez relogés. Mais moi je ne veux pas , mettez vous à ma place’’ Hein j’ai passé 30 ans de ma vie là. ‘‘J’ai vécu 29 ans en ce 5ème étage d’un immeuble

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HLM avec vue sur la mère... de mes trois jeunes enfants’’ Parce que... évidemment ils étaient jeunes mes enfants. ‘‘Ils ont tourné la page, ils se sont envolés’’ Bin oui, tu vois, il se sont mariés etc. J’avais 80 ans à ce moment là. J’en ai 94 maintenant. ‘‘Pourquoi ont-ils le droit de décider pour nous?’’ Tu vois, le conseil municipal. ‘‘Nous les avons élus, ils sont majoritaires.’’ Ils font ce qu’ils veulent quoi. ‘‘Ce qu’ils ont décidé peut vous paraitre fou, le plus fort a gagné et nous devons nous taire.’’ Donc... on doit fermer sa gueule. Voila. Alors je l’avais écrit... en une seule nuit j’ai écrit ça. C’est un poème vengeur tu vois.’’ Bernard, Alain et Murielle ont activement participé aux manifestations. Alain avait même conservé un prospectus de la grande manifestation du 20 mars 2005. (Annexe 2) De leur position d’ancien, les locataires tirent donc une force et une légitimité. Ils défendent leur place dans la vie sociale et citoyenne, ainsi que leur droit à la parole. Le relogement est l’occasion pour eux de réactiver leurs réseaux de connaissances. L’épreuve de la rénovation urbaine semble donc également déclencher un regain d’énergie des personnes âgées.

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Une résistance révélant les facultés et forces de caractères de chacun Nous l’avons vu, les trois ménages que nous avons interrogés sont plutôt instruits. Ils comprennent alors très bien les enjeux de la rénovation et sont capables de décrypter le jeu politique. « Loridant il s'est engagé parce qu’il a vu que les gens étaient pas quand même d'accord parce que.. parce que vous savez un maire politiquement ça demande à être réélu. Donc si il sent une partie de sa population des quartiers qui sont... qui sont... qui sont pas bien, qui ont une animosité vis à vis du maire.. c'est.. ‘‘le prochain coup je serai pas maire’’. [rire] Alors il dit "on va vous créer une poste". (…) Donc vous voyez un la poste c'était pour amadouer un peu le citoyen hein... C'est bon.. c'est attrape euh... » Alain « En 1990. Mitterrand, qui était donc président de la république et son gouvernement ont mis en place un système d'accession à la propriété pour les locataires de HLM. Pour faire croire tout simplement, qu'un pauvre pouvait être propriétaire n'est ce pas. » Françoise Ainsi, ils souhaitent avant tout ne pas être lésés. Comprenant les enjeux, au bout de quelques temps, leur résistance n’était plus nécessairement sur le fond, mais sur les circonstances et le conditions de relogement. Ils veulent avant tout faire valoir leurs droits. Alain et Murielle ont d’ailleurs refusé les propositions d’achat aux Amonts : «Alors à un moment ils ont voulu nous faire acheter. Alors j'étais pas d'accord. Ils avaient mis.. aux Amonts, les premiers, le numéro .. au numéro 12!, ah oui oui.. que les locataires deviennent propriétaires de leurs appartements. (…) Mais sans rénovation vous voyez. Donc c'était un peu un marché de dupe parce que vous.. le logement vous pouvez l'acheter, vous faisiez un prêt et tout mais ce qu'on savait pas c'est que toute la rénovation est à votre charge, donc euh... (…) jamais ils ont été ravalés, alors tous ceux qui ont été vendus les gens ils ont été lésés.. pas de ravalement... ravalement extérieur, ravalement de l'intérieur. donc euh.. les gens ont perdu... ça a couté parce que si il a fallut mettre le... le logement aux normes.. et les gens ils arrivent pas à vendre en ce moment. » Alain

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Conscients de leurs droits en tant qu’occupants ils en jouent pleinement. « Ah oui ils pouvaient pas nous mettre dehors comme ça. » Alain « Non. Parce qu’il y a des lois. Comme je suis juriste, il y a des lois. J'ai fait savoir que je n'étais pas d'accord pour acheter. » Françoise Françoise a en effet l’avantage de connaitre particulièrement bien les lois de par ses études de juriste qu’elle a réalisé alors qu’elle était au chômage et que le bailleur commençait à monter le projet de vente de son immeuble. Elle souhaitait pouvoir se défendre. A propos de son gestionnaire actuel, souhaitant augmenter son loyer, elle m’explique « Il m'a envoyé devant le juge de proximité pour euh.. Parce que j’ai... j'ai pas voulu accepter sa proposition. Mais moi j'avais déjà pris un avocat. Ils se sont rencontré et j'ai gagné en procédure. En première procédure j'ai gagné. Il était tellement en pétard qu'il a mis l'appartement en vente. Donc il attend un acheteur pour me mettre dehors. Moi en attendant... Il a vu mon avocat qu'il m'avait volé 3600 €, sur les charges. Moi vous savez, j'ai payé. Je me suis mis dans les dettes pour payer. Si vous payez pas votre loyer il est endroit de vous secouer, de vous mettre dehors. Même si vous êtes vieille et même si vous êtes handicapé comme je suis. C'est terrible hein. Avec un spéculateur il faut savoir les lois quoi. » La résistance est l’occasion de faire émerger chez les locataires des traits de caractère et des facultés qu’ils mettent en avant durant les entretiens. En effet, ces anciens mettent un point d’honneur à souligner leurs points forts. Par exemple, Françoise explique qu’elle a toujours été une femme très indépendante et met en avant sa force de caractère. Elle se définit comme une « femme de travail » et démontre au travers d’anecdotes qu’elle est une femme indépendante. « Je suis pas douillette moi (rire) C'est parce que j'ai vécue seule... les personnes seules elles sont plus costaudes que les autres. J'étais seule à 15 ans alors (rire) » Les nombreux obstacles qu’elle a rencontré tout au long de sa vie on fait d’elle quelqu’un de résistant. 106


Etre en mesure de surmonter l’épreuve de la rénovation urbaine est donc une fierté pour elle. Elle met toute son énergie dans la résistance et dans les procédures depuis de nombreuses années et tente de relativiser. Tout comme pour Murielle, ses faibles revenus reflètent des valeurs qu’elle oppose à ceux des « riches » : « On est pénards chez toi mamie » lui a un jour dit un de ses petits-fils. « Il pouvait pas me faire un plus beau compliment. Parce que chez l'autre mamie, très aisée, c'était plus classe, et il y avait beaucoup à manger. » Elle ajoute plus tard : « C'est pour ça que l'argent ne veut pas dire intelligent quoi » Murielle s’inquiète, elle, de la rénovation urbaine et de cette fameuse « mixité » : « Faut pas non plus que ce soit une ville de... de riches. voilà, parce que après voilà.. Ils disent que les logements ils sont tellement chers à Paris que les gens de paris viennent là… et puis les gens des Ulis bin... » La rénovation urbaine est donc aussi l’occasion de se situer dans l’échelle sociale et d’affirmer les valeurs que l’on défend. Alain quant à lui démontre des capacités de négociation. Posé et calme, il tire de son expérience du monde professionnel des qualités en matière de relations sociale. « Bin oui! mais moi j'ai toujours essayé d'avoir des bons rapports avec les personnes. Il y a des gens qui sont un peu expansifs, qui sont violents, même des fois, mais bon... Il faut trouver... il faut trouver une issue, il faut trouver un... un compromis pour les deux parties qui soit raisonnable. Que chacun garde sa... Que les deux parties se respectent en fin de compte... (…) Alors nous ça s'est fait toujours dans la concertation vous voyez, parce que nous on aime pas trop brusquer les choses on aime bien que ça se fasse correctement »

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Il nuance souvent les propos de sa femme. Aujourd’hui à la retraite, il met à profit les facultés de dialogue qu’il a développé dans le milieu professionnel : « Alain: Si quand même il faut le reconnaitre il y avait une ouverture il a voulu faire ça avec une ouverture d'esprit. Murielle: Que? quelle ouverture? Alain: Si quand même euh... Vous savez tu es devant des constructions existantes déjà. C'est ça le souci qu'ils avaient pratiquement donc euh... ici tu en avais 20, tu en avais 20 là. Donc c'est des gens que tu vas sortir pour les mettre ailleurs tu vois donc euh... » Bernard quant à lui, en plus de mettre à profit ses relations et ses connaissances dans le milieu du bâtiment, démontre sa générosité et tente de laisser, à l’occasion de cette épreuve qu’est le relogement, une image positive. Ainsi, il tient, selon lui, sa légitimité et la reconnaissance qui lui ai due, de son bon caractère et de sa gentillesse. « J’ai obtenu une médaille d’Or du service civique, du service civique, pour les... pour les dons médicaux. Alors voilà. J’ai obtenu des quantités de médailles et de coupe pour le... sur le plan sportif, ce qui fait que je suis un homme, je suis un homme... Honoré, médaillé et honoré. » A l’occasion du grand tri qu’il effectue en vue de son déménagement, il a donné de nombreux meubles à ses voisins et souligne que c’est un acte particulièrement généreux de sa part. Enfin, le relogement est également l’occasion pour les personnes âgées de mettre en avant leur bonne santé et leurs facultés. Françoise, cette « femme de travail » a été profondément atteinte dans son estime d’ellemême quand elle n’a plus été en mesure de travailler. Très handicapée physiquement, elle met en avant ses capacités intellectuelles et sa curiosité notamment envers les nouvelles technologies : « J’y arrive quand même hein… Mais c’est la machine qui… Ecoute c’est marqué dessus ! c’est la machine qui... c’est idiot les machines, ça me fait pas peur l’informatique. »

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Bernard souligne à plusieurs reprises que les 15 marches qui le séparent de la rue ne sont pas un obstacle. Ancien grand marcheur il met un point d’honneur à marcher le plus possible et à conserver une grande mobilité : « Bin oui mais vous savez je ne marche plus comme quand j'avais 20 ans hein. Mais ça, je le dis, je vais chez carrefour presque tous les jours, bon mais... il faut une demi-heure pour aller chez carrefour... à pied. Je pourrai prendre l'autobus qui y va mais je le fais pas. Je prends mon caddie je vais chez carrefour, une demi-heure aller, une demi-heure de retour, une heure dans le magasin ça fait, ça me fait 2h de sortie. Oui ? Alors pour le reste évidemment je peux aller à Paris. Je l'ai fait l'autre jour aussi. Je peux aller à Paris par l'autobus aussi, le métro, le RER, etc. » Aujourd’hui veuf, il fait un grand tri dans son T4 afin de pouvoir déménager dans un logement plus petit. Il refuse toute aide et déplace les meubles seul : « ... Bin je fais tout seul le tri des objets. Quand je te dis que j'ai descendu moi-même par l'escalier des... des meubles qui faisaient deux mètres de long hein. » Pour le nouveau logement qui lui sera bientôt attribué, il n’a pas voulu nécessairement d’appartement au rez-de-chaussée. Il ne veut pas « chipoter » pour les 7 marches de plus qu’il y a dans le logement qu’on lui a attribué. Ses capacités physiques sont sa grande fierté et être capable de monter 22 marches tous les jours sera la preuve de sa bonne condition physique. Murielle et Alain, plus jeunes, habitant un troisième étage sans ascenseur n’ont pas du tout envisagé le déclin de leurs capacités physiques dans leurs critères de relogement : « - Et comment est-ce que vous envisagez les années à venir? Elle: Je sais pas.. Lui: Bin on sait pas. - Pour l’instant vous restez là? Elle: Ah bin oui on va pas embêter encore Lui: Tant qu’on est valides euh...

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Elle: On préfère... - C'est vrai qu'ici vous n'avez pas d'ascenseur. Elle: Ah non ça, ça me gêne pas moi ça fait de la... - Ca fait de la marche oui (rire) Elle: Voilà, c'est bon pour le cœur! Lui: Bin oui on a 70 ans.. On est en bonne santé. 71 ans. Il y a pas de soucis. Elle: Bin oui tout à fait même 102 ans. Elle était en forme elle buvait le champagne et tout. C'est pas une question d'âge il y a des gens qui vieillissent bien et il y a des gens qui vieillissent pas bien. puis c'est tout. Lui: Non c'est pas un problème ça. On va se trouver un endroit où on va se poser puis on sera bien. » La rénovation urbaine est donc également l’occasion pour ces anciens de prouver leurs capacités et leurs forces de caractère. Réussir à surmonter cette épreuve peut redonner de l’énergie vitale et soigner l’estime de soi. Ainsi, en se concentrant sur ce qui persiste et non uniquement sur les changements incessants du monde et de leur personne, les personnes âgées parviennent à transformer la rénovation en une expérience en partie positive. Avec du recul, dix ans plus tard, Murielle reconnait par exemple : « Ah oui oui au début... Bon là ça va mieux voilà. Avec tout ce qui bon... il y a quand des choses plus importantes, plus intéressante, on oublie un peu on voyage, on fait autre chose mais c’est vrai que ça a été traumatisant pendant un moment. » Aujourd’hui, elle est en mesure d’entrevoir les points positifs de la rénovation : « Bin disons que... je sais pas si c’est la rénovation qui a changé mais bon euh... peut-être les gens sont un peu plus... parce qu’en fait il y a avait... il y avait des petits échauffement des fois avec les jeunes... mais je pense que c’est des quartiers qui viennent de... parce qu’on dit ça vient des Ulis mais c’est pas vrai. C’est des gens de l’extérieur qui font des bandes, des groupes et puis qui se... qui viennent attaquer en fait... Mais là il y a un calme depuis quelques années là... je touche du bois mais... ah oui [rire] oui ça s’est calmé là. » 110


Après avoir surmonté cette épreuve, ils se remettent alors timidement. Bernard quitte d’ailleurs bien plus facilement aujourd’hui son T4, pour un T2. En effet, alors que le premier logement avec vue sur la tour Eiffel, au cinquième étage, avec ascenseur, était le logement dans lequel il avait fondé sa famille, celui qu’il occupe actuellement est celui dans lequel sa femme est décédée, celui qui lui a été imposé il y a quelques années. Il est aujourd’hui heureux d’avoir obtenu un nouveau logement, bien plus petit, et moins cher. Les 22 marches ne semblent alors pas insurmontables, ni l’idée de déménager. Le relogement est alors l’occasion, même pour ces ménages âgés, de débuter une nouvelle étape de leur vie et de prouver leurs compétences. Nous pouvons, après cette première analyse, dégager des tendances générales. Les personnes âgées semblent, en effet, face aux rénovations urbaines, tiraillées entre deux principes conflictuels : - d’un coté la perte des prises sur le monde, la mise en lumière de leurs faiblesses et la déprise progressive que les rénovations urbaines peuvent accélérer. - de l’autre, la reprise, la résistance, le maintien des facultés et de son statut, permettant un regain d’énergie et soignant l’estime de soi. L’épreuve de la rénovation urbaine est alors un défi à surmonter. Nous allons cependant nuancer cette première conclusion. En effet, malgré des observations communes aux trois ménages, des nuances importantes sont à noter. Le rapport au territoire, à la ville, à l’espace habité et l’entourage affectif des personnes âgées est, nous le verrons, intimement lié aux capacités d’adaptation des ménages. Il pourrait expliquer les différences observées.

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Relations à l’espace et capacités d’adaptation des ménages La tension entre vulnérabilité, déprise, perte progressive de l’estime de soi et légitimité de l’ancien, résistance, semble donc bien présentes dans l’épreuve des rénovations urbaines. Cette tendance générale doit cependant être nuancée, et pour mieux comprendre les réactions de nos trois ménages, il est nécessaire de se plonger dans leurs relations à l’espace et de parcourir leur histoire personnelle. Pour mieux appréhender la capacité de réadaptation des personnes que nous avons rencontré, nous analyserons le rapport des ménages avec quatre types d’espaces : - L’espace-temps. Nous replacerons la rénovation urbaine par rapport à l’histoire personnelle des ménages afin de mieux comprendre l’importance de cet évènement. Entre passé, présent et avenir, nous chercherons à comprendre comment les personnes rencontrées se situent dans le temps. - L’espace du logement. Cet espace est celui de l’habiter, de l’appropriation, de la relation aux objets et aux souvenirs. L’analyse des logements dans lesquels les ménages nous ont reçu lors des entretiens permet de mieux comprendre les comportements face à la rénovation urbaine. - L’espace urbain et celui du « territoire personnel ». Cet espace est le plus large que chaque individu est capable d’appréhender. Nous y analyserons par exemple la mobilité des ménages, les points d’attache, ou encore le rôle de l’habitation principale dans ce système. - L’espace « affectif », celui de l’entourage et de la famille. Nous chercherons à comprendre comment cet espace abstrait s’organise et dans quelle mesure il peut avoir une influence sur la capacité des personnes âgées à faire face à l’épreuve de la rénovation urbaine.

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L’espace-temps Les effets de la rénovation urbaine sur les habitants ne peuvent être compris qu’au regard des trajectoire et des histoires personnelles. Et ceci est d’autant plus vrai concernant les personnes âgées et les anciens des quartiers. La vieillesse est l’âge durant lequel le passé prend le dessus. L’homme a alors davantage d’années derrière que devant lui. Ainsi, le poids de l’histoire personnelle est d’autant plus important dans le regard que l’ancien porte sur le monde, sur lui-même, et sur l’espace qui l’entoure. Au fil des années, l’homme amasse des expériences, des capacités, mais également des blessures et des traumatismes, qui influencent son comportement. Comment comprendre les effets du relogement sans prendre en compte tout l’arrière-plan personnel ? Au cours de nos entretiens, ce sont donc également des histoires personnelles que nous avons tenté de reconstituer, au travers de récits de vie. Bernard est le plus âgé des personnes rencontrées. Né en 1923, dans les Ardennes, c’est un « vieux bonhomme » comme il le dit, qui a eu une vie bien remplie. Issu d’une fratrie de six enfants, il travaille dès ses 17 ans auprès de son père, dans le bâtiment. Lorsque la guerre est déclarée, le gouvernement invite les familles du nord de la France et de la région parisienne à se réfugier dans le sud. C’est à cette période qu’il commence à écrire des poèmes. Il déménage ainsi avec sa famille dans la creuse et occupe le poste vacant de facteur. En 1942, alors que la France est occupée, Bernard arrive sur ses vingt ans. Avec la création du STO (Service du Travail Obligatoire) il est envoyé en Allemagne pour travailler jusqu’à la fin de la guerre. Il y restera ainsi plus de deux ans. Les souvenirs de cette période sont particulièrement présents dans son esprit et dans son discours. Il nous raconte avec précision diverses anecdotes. Il nous raconte notamment comment il est rentré de Berlin au petit village de Perreux, dans la Loire où ses parents étaient réfugiés. Après la guerre, toute la famille s’installe en région parisienne, et plus précisément à Orsay, chez une de ses tantes paternelles. Il trouve alors un emploi au sein du ministère de la construction qu’il gardera

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plus de 40 ans. En 1949 il épouse une belge, mère d’une petite fille de 4 ans qu’il adoptera et élèvera comme sa fille. De ce mariage il aura un fils et une deuxième fille. Il célèbre aux Ulis et en Belgique, ses noces d’argent, d’or, puis de diamant. Ses 67 ans de mariage sont pour lui une grande fierté. Il s’installe à Orly avec sa famille jusqu’en 1970, quand son fils perd la vie dans un accident de moto alors qu’il n’avait que 18 ans. Il exhume alors son père pour enterrer son fils auprès de lui dans une concession familiale qu’il achète au cimetière d’Orsay. Il y enterre également sa mère, puis un frère. Il s’installe alors en 1970 aux Ulis, alors que la ville sort de terre. Il élèvera, auprès de sa femme, ses deux filles dans un T4 aux Hautes plaines. Sa femme travaille à la boucherie du centre commercial Ulis 2 et lui à Paris. En 2005, lorsque la démolition de son immeuble est annoncée, il est alors octogénaire. Ses filles ont quitté le domicile familial et sont mariées. Il déménage alors avec sa femme. En aout 2016, sa femme décède des suites de multiples maladies qui l’auront handicapée durant de nombreuses années. Aujourd’hui veuf, il est très proche de sa fille cadette habitant Montlhéry. Il s’apprête à déménager dans un T2 dans la même résidence afin de réduire ses dépenses. La vie de Bernard est donc marquée, dans un premier temps par la perte des êtres chers, comme il le dit lui-même : « Mon père est mort, ma mère est morte, [silence] mon fils, ma femme maintenant, ça fait donc déjà 4 personnes. Puis j’ai accueilli un frère [dans le caveau familial]…» La mort est omniprésente dans son discours et c’est avant tout la perte des êtres chers qui, le concernant, semble influencer son parcours résidentiel. Il quitte son logement à Orly et s’installe aux Ulis suite à la mort de son fils, quitte son logement actuel suite à la mort de sa femme. Le relogement et la démolition est un traumatisme, mais il n’est pas omniprésent dans son discours car d’autres douleurs prennent le dessus. Il a en effet, déjà depuis son adolescence, été habitué à déménager, notamment à cause de la guerre. Deux grandes périodes de stabilité ressortent : de 1949 à 1970, entre son mariage et le décès de son fils, et 114


Parcours résidentiel de Bernard

Récit de vie de Bernard

Parcours professionel de Bernard

entre 1970 et 2005, période durant laquelle il a occupé le logement des Hautes-Plaines aujourd’hui démoli. Bernard envisage l’avenir avec sérénité. En effet, sa vie est derrière lui, il est fier de ce qu’il a réalisé, tant dans le milieu professionnel, sportif, que littéraire. Il a investi depuis désormais 47 ans dans un carreaux familial, qui sera sa dernière demeure auprès de ses proches décédés. Une seule incertitude plane encore. Sa fille cadette prendra sa retraite dans trois ans et souhaite alors se rapprocher de ses enfants et petits-enfants en Auvergne, où elle a acheté une maison. « Elle veut m'emmener avec elle. Elle me dit ‘‘Il n'y a pas d'autre solution, quand je prends ma retraite tu viens avec moi.’’ Si je suis encore vivant dans trois ans. On sait pas hein. » 115


Françoise, 80 ans, a eu une vie jonchée d’obstacles et d’épreuves. A quelques kilomètres de Nantes, elle nait en 1937, juste avant la seconde guerre mondiale, « entre le feu et la glace » comme elle le dit ellemême. Sa mère, descendante des ducs de Bretagne, perd le château familial. Sa naissance coïncide, pour sa famille à une rupture et à un déclin financier. Son frère décède à l’âge de dix ans, ce qui marquera profondément ses parents. Ayant eu une enfance difficile, elle vit seule depuis l’âge de 15 ans. A 18 ans, elle s’installe à Paris après avoir gagné un championnat d’esthétique. Elle accumule les petits emplois dans le domaine de l’esthétique et du commerce. Elle se marie, s’installe aux Ulis et donne naissance à deux filles. Elle travaillera quelques années avec son mari dans le bâtiment, comme décoratrice, puis, suite à de longues années de souffrance dans ce mariage difficile, elle divorce en 1981 et déménage en urgence dans un logement social, grâce, notamment, au soutien du Maire des Ulis. Elle élève alors seule, ses deux filles, et trouve un emploi dans l’administration du CNTS dans la zone de Courtabœuf. Suite au scandale du sang contaminé elle est licenciée. En 1990, lorsqu’une première proposition d’achat de son logement lui est faite elle est alors au chômage depuis 2ans, et ne peut emprunter. Ses deux filles, encore chez elles, refusent de déménager. Elle reprend alors des études de droit pour devenir juriste. Jonglant entre études et petits boulots, elle obtient son diplôme et devient grand-mère en même temps. Sa fille ainée, lui ayant caché sa grossesse, lui laisse l’enfant et disparait. Elle se retrouve ainsi à cinquante ans, fraichement diplômée avec une petite fille à élever. Elle ne trouvera jamais d’emploi stable en tant que juriste mais parviendra a joindre les deux bouts jusqu’à ce, suite à un accident, elle soit gravement handicapée de l’épaule. Incapable de travailler, elle est alors à la retraite avec des revenus très faibles. En 2005, lorsqu’une seconde proposition d’achat lui est faite, la banque refuse de lui octroyer un crédit. Sa seconde fille, alors mariée, achète à sa place, lui promettant de ne pas modifier le montant du loyer. En 2013, sa fille divorce et revend l’appartement à l’agence immobilière qui gère la location. En aout 2016, Françoise se fait agresser en sortant de chez elle, pour la huitième fois aux Ulis. Gravement blessée au genou elle ne peut désormais que très difficilement se déplacer. 116


Parcours résidentiel de Françoise

Récit de vie de Françoise

Parcours professionel de Françoise

La vie de Françoise est donc jonchée d’épreuves. N’ayant jamais trouvé d’emploi stable, ni de stabilité affective, elle s’est battue, depuis les années 1990, pour protéger son logement. Cet appartement, obtenu en urgence suite à son divorce, est peut être dans son récit de vie, le seul élément relativement stable. Elle occupe ce logement depuis 1981, malgré les changements de statut et les batailles qui y sont liées. En 1981, ce logement est un repaire, un abri qu’elle se constitue pour se reconstruire après son divorce difficile. 117


1. VINCENT-GESLIN, Stéphanie, RAVALET, Emmanuel, KAUFMANN Vincent, 2016, Des liens aux lieux : l’appropriation des lieux dans les grandes mobilités de travail, Espaces et sociétés, vol. 164165, no 1 2, p. 179-194.

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Alain et Murielle sont les plus jeunes. Agés tous deux de 72 ans, ils sont originaires de la région Parisienne. Alain est né à Magny les Hameaux et a grandi en Essonne. Ils ont eu trois enfants, deux filles et un garçon qui ont grandi aux Ulis. Une de leurs filles est aujourd’hui au Canada tandis que les deux autres habitent près de chez eux (Les Ulis et Villebon). Les grandes ruptures qui ressortent de leur récit de vie sont d’avantage liées à leur vie professionnelle. Occupant tout deux des postes plutôt stables, ils ont cependant vécu, à un moment de leur carrière, un déménagement de service ou une fermeture. A l’inverse de Bernard dont la vie professionnelle est particulièrement stable depuis la fin de la guerre. Murielle a dans un premier temps travaillé sur Paris en tant qu’aide-soignante puis a trouvé un poste à la clinique des Ulis. Au début des années 1990, la clinique est sur le point de fermer. Murielle s’empresse donc de trouver un nouveau poste. Elle travaillera alors jusqu’à sa retraite à l’hôpital d’Orsay. C’est une petite rupture professionnelle. La rupture la plus importante est celle que vit Alain, dans les années 1995 également, lorsque son entreprise décide de fermer le service dans lequel il travaille, dans la zone de Courtabœuf. L’entreprise lui propose un poste similaire à Lyon. A cinquante ans, conscient qu’il lui sera difficile de trouver un nouvel emploi, il accepte la mutation. Murielle refuse de le suivre. Il fera alors les allers-retours hebdomadaires Paris-Lyon pendant 10 ans. « Monsieur TGV on m'appelait oui. ». Il occupe alors un petit studio à Lyon la semaine et rentre aux Ulis le Week-end. Ce déménagement est pour lui une véritable rupture, notamment dans ses relations sociales : « Quand vous changez de travail comme ça, ça éclate la cellule de travail , c’est une communauté c’est une famille. Ca éclate complétement, il y a des gens qui partent... J’en ai retrouvé un à Nantes, j’en ai retrouvé un à Clermont Ferrand, un à Toulouse là bas. A Lyon une partie.. Il y en a d’autres qui sont partis.. sur Courtabœuf là. Il y en a qui ont monté une entreprise à Courtabœuf là. D’autres sont partis à Egly ah oui oui. » En 2005, à l’annonce des démolitions, il travaille donc à Lyon depuis déjà presque dix ans. C’est alors une seconde rupture, un second déracinement qui s’annonce. On peut alors comprendre la résistance et la bataille que le couple a mené. Le logement familial était, pour ce «grand-mobile» 1 le point d’attache stable qui lui permettait de tenir, un repère.


Parcours résidentiel de Murielle et Alain, de leur installation aux Ulis à Aujourd’hui

Récit de vie de Murielle et Alain, de leur installation aux Ulis à Aujourd’hui

Parcours professionel de Murielle et Alain, de leur installation aux Ulis à Aujourd’hui

Peu de temps après l’emménagement, Alain part à la retraite et cesse donc les allers retours incessants. Une nouvelle période commence alors pour le couple, celle de la retraite. Leur fille s’installe au Canada et, en lui rendant visite, ils sont pris de passion pour la culture nord-américaine et la langue anglaise. Depuis, ils profitent de leur retraite pour voyager. La retraite et le déménagement est une véritable rupture, ils coupent les ponts avec une vie professionnelle très contraignante. L’heure n’est plus aux contraintes mais aux voyages et à la curiosité. Le relogement se situe donc à un moment charnière de leur vie. Ils voulaient être bien installés et ont donc été exigeants, mais n’ont pas souhaité acheter pour ne pas « se mettre en crédit sur le dos ». Au regard de ces différents récits de vie, on comprend la place et la signification que prend le logement. Symbole de stabilité pour Bernard, Murielle et Alain, de repaire pour Françoise. 119


L’espace du logement

1. SERFATY-GARZON, 2014, op., p.31

Les personnes rencontrées nous ont reçu chez-elles, ce qui a permis d’aller plus loin dans l’analyse de leurs relations à l’espace habité. Dix ans après les faits, le nouveau logement est totalement réapproprié tandis que les souvenirs de l’ancien sont de plus en plus flous. Nous aurions aimé dessiner, avec les habitants, le plan de l’ancien logement et celui du nouveau. Il a cependant été très difficile de les faire parler de leur ancien logement. En effet, Bernard, Alain et Murielle ont, suite à leur résistance, obtenu exactement le même logement. En dehors de la localisation ou de l’orientation, ils ne parvenaient pas à exprimer les différences. Cependant, les objets, les meubles sont souvent au centre des inquiétudes des ménages lors du relogement. Le discours des habitants vis-à-vis des meubles est souvent très représentatif de leur relation à l’espace habité. Dans son article, Chez-soi, vieillesse et transmission. Les enjeux de la trace et du don, Perla Serfaty-Garzon explique : « Les objets de l’environnement domestique jouent alors un rôle majeur : par leur présence, ils assurent la permanence du monde qui entoure l’individu et lui permettent ainsi de pérenniser un sentiment de stabilité alors qu’à l’extérieur, tout se transforme. (…) Qu’ils soient chargés d’une signification particulière ou que, de manière plus banale mais non moins fondamentale, ils assurent la stabilité de l’environnement proche, ces objets constituent un rempart face à l’instabilité du monde et aux ruptures de l’existence. » 1 Ainsi, même s’il a été difficile de retranscrire une image nette de l’ancien logement, nous avons pu, au travers du discours et suite à un relevé des logements, comprendre d’avantage le rapport des personnes âgées à leur habitat et les stratégies mises en place pour conserver une stabilité au travers des épreuves de la vie et du relogement.

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Alain et Murielle ont souhaité, lors du relogement, conserver tous leurs meubles. Aucun tri n’a été effectué. Ils souhaitaient obtenir exactement le même logement afin de pouvoir tout remettre à sa place. « - Ce logement, c'est donc exactement le même que l'ancien? Murielle: Exactement Alain: Oui oui exactement. - Le même plan, juste orienté différemment ? Murielle: Voila! - Du coup vous avez pu remettre tout à sa place, vous avez gardé les mêmes habitudes ? Murielle: Voila voila! exactement. Tout à fait. On s'est battu. Ah oui, par contre on s'est battus. Alain: Oui oui on s'est battus, c'est pour ça on a été... vraiment dans les derniers à partir.» «Murielle :Voila, voila. Parceque enfait on avait beaucoup de meubles, parceque ce qu'on nous a proposé c'était des 2 pièces, des 1 pièce. Bah oui mais, on met où les meubles ?… voila, on demande un 4 pièces on se retrouve dans une pièce ! Alain: Et les meubles on les met où à un moment donné ? Faut faire attention à tout quand on déménage, comme ça. [rire] faut prendre la cote des meubles… ça rentre pas... [rire] » Conscient que leur bailleur n’avait rien de disponible qui leur convienne, ils ont envisagé de changer de résidence, et de s’adresser à d’autre bailleurs comme I3F dont le parc locatif est plus important sur la ville. Seulement, le changement de gestionnaire leur faisait perdre le droit à un 4 pièces : « Oui c'est possible oui. Parce qu’on a demandé, justement à.. I3F là, "Ah c'est pas le même bailleur gnagnagna, c'est pas possible." Alors on nous a proposé un logement mais c'était... attends, c'était qu'une pièce je crois il y avait pas de... de cave, où mettons-nous nos affaires? et puis le balcon en fait il a.. il était pas protégé en fait. Il y avait rien au-dessus.» Murielle

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Le salon, dans lequel ils m’ont reçue lors de l’entretien, est en effet très densément meublé. Ce sont des meubles imposants, de bonne qualité, dans lesquels ils ont investi. La densité d’ameublement du salon du couple démontre une véritable appropriation du logement. Ils sont véritablement installés et n’envisagent pas de déménager avant un moment. Le logement est, pour eux, un lieu stable, un point fixe, autour duquel leur vie s’organise. Nous verrons, notamment dans l’analyse de leur territoire personnel et de leur espace affectif, le rôle central de leur logement. Ce couple, aujourd’hui à la retraite, a beaucoup travaillé. Ils ont investi progressivement dans leur logement. A la fin de leur carrière, le relogement a donc été un choc, c’était l’investissement de toute une vie qui disparaissait. Si le carrelage, les papiers peint et les aménagements qu’ils avaient pu faire au cours du temps ont aujourd’hui disparus, ils ont pu emporter avec eux leurs gros meubles. C’est, aujourd’hui encore, un logement bien entretenu, soigné, même s’ils n’y ont pas investi autant de temps et d’argent que dans l’ancien logement. Peu d’objets sont visibles, tout est parfaitement organisé, chaque chose a sa place. Lors de notre entretien, Alain retrouve en effet, en quelques seconde, les documents archivés concernant le processus de relogement, soigneusement rangés dans le tiroir d’une commode, annotés et rassemblés dans un dossier. (Voir annexe 2) Les seuls petits objets visibles sont les souvenirs de voyages. Mais à nouveau, ils sont soigneusement exposés dans une vitrine ou minutieusement posés sur les buffets. L’appropriation de l’espace du logement chez Murielle et Alain nous en apprend donc d’avantage sur leur caractère, mais reflete également une vie de travail et d’investissement progressif. L’interieur de leur logement, soigné et bien meublé, reflete leur place dans l’echelle sociale. Locataires de HLM, ils n’ont jamais acheté et n’ont pas souhaité devenir propriétaires, non pas parcequ’ils n’en avaient pas les moyens, mais parcequ’ils préférait dépenser leur argent autrement. Leur logement est l’achevement de nombreuses années de travail.

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Salon de Murielle et Alain Un logement densément meublé

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Souvenirs de voyage

1m

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Bernard, quant à lui, lors de son relogement, a également souhaité conserver tous ses meubles, qu’il possédait de longue date : « Etant donné qu'on a 67 ans de mariage, on avait beaucoup de meubles qui sont de cette époque à peu près. Si vous voulez j'avais beaucoup de meubles qui datent de 50 ou 60 ans hein. D'autant plus que j'avais moimême hérité des meubles de mes parents quand ils sont décédés. Alors j'avais mon appartement vraiment était... bien meublé. Bien encombré.» C’est donc, également pour conserver tous les meubles qu’il a souhaité, avec sa femme, emménager dans un 4 pièces. « Malgré qu'on était plus vieux et qu'on avait pas d'enfants, j'ai obtenu quand même un logement de 4 pièces. Le même, pour être dans le même, pour être à l'aise. »

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Veuf depuis quelques mois lors de notre entretien, son comportement vis-à-vis de son logement a alors radicalement changé. Quelques jours après le décès de sa femme, il dépose une nouvelle demande de logement auprès de son bailleur. Il souhaite un logement plus petit pour, premièrement, des raisons financières : « Ma femme avait 4 pensions. Une pension principale de la sécurité sociale et 3 petites pensions complémentaires. Et bin je n'ai aucun droit de reversement de ces pensions parce que mes revenus dépassent les normes. (…) Par conséquent je vis actuellement avec… Sur mes revenus d'avant... bin je perd 800 €, qui me sont pas reversés. Et faut que je vive avec quand même. J'ai un loyer de 700 € moi ici. Tandis que si j'obtiens plus petit je pourrais récupérer 200 € en moyenne, de moins cher. » Bernard évoque également des raisons pratiques, entretenir un appartement de 4 pièces, seul, à 94 ans, devient difficile : « Bin... à la mort de ma femme hein. Fin disons 8 jours après ma fille m’a dit tu peux pas rester là, essaye d’avoir un logement plus petit. Parce que.. J’ai un 4 pièces. Donc j’ai trois chambres, pour moi tout seul. Donc je couche que dans une. J’ai donc deux chambres qui sont vides » Mais des raisons sentimentales expliquent également ce déménagement aussi rapide. Ce logement qu’il occupe depuis 10 ans, est imprégné des gestes quotidiens et des habitudes qu’il entretenait avec sa femme alors qu’elle était très malade. Lorsqu’il me fait visiter son appartement il m’explique : « On avait les deux chambres face à face. Elle m’appelait souvent la nuit parcequ’elle souffrait. » « je la sortais du lit, je faisais sa toilette je faisais tout hein. Je faisais sa toilette, je l’habillais, je la ramenais ici... Et puis elle restait dans.. [sanglot] sur cette chaise jusqu’au... jusqu’au soir. Puis je faisais les choses à l’envers je la ramenai au lit et tout... voilà. »

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A la mort de sa femme, et en prévision du déménagement, Bernard a ainsi commencé à faire un grand tri, notamment parmi les meubles : « J’ai donc deux chambres qui sont vides. Ou que j’ai vidé en... en foutant dehors tous… tous les meubles qui me convenaient pas » «J’en ai jeté énormément déjà. T’as, t’as pas vu dans les chambres il y a des chambres il y a plus rien presque... oui là c’est le fouilli là bas aussi. Je trie au fur à mesure et je jette. J’ai laissé aux encombrants des quantités de choses. Des armoires, des buffets,.. Ici j’avais un buffet, qui faisait 4 m de long. Un buffet pour la vaisselle hein. Sur le côté là contre le mur j’en avais un autre pareil, la vaisselle les verres etc. » A 94 ans, Bernard fait le vide, trie toute une vie d’accumulation de souvenirs et de meubles. Perla Serfaty-Garzon explique ce comportement, au grand-âge, comme une volonté de laisser une image propre et nette. 1 Conscientes de leur finitudes, de nombreuses personnes agées font le tri afin de ne pas laisser à leurs enfants cette tache. C’est aussi un moyen de maitriser l’image que l’on laisse, de faire le tri parmi les choses trop intimes et personnelles que l’on ne veut pas que ses enfants retrouvent après notre mort. Elle évoque notamment dans son article le cas de certaines personnes en couple avec des accumulateurs, refusant de jeter et de trier. Le conjoint est alors souvent frustré de ne pas pouvoir trier, de ne pas maitriser et « arranger » l’image qu’il laissera. Peut-être étaitce le cas de Bernard. Peut-être était-il en réalité moins attaché à ces meubles que sa femme. Quoi qu’il en soit, on observe de façon très nette dans son logement un rétrécissement de l’espace approprié et vécu au quotidien. Deux chambres sur trois sont déjà vides. Il ne reste que des cartons. Il a, d’ailleurs, rapidement vidé sa chambre et est allé dormir dans celle de sa femme, qui, lors de notre entretien n’avait encore subi aucun tri. Presque sacralisée, la pièce était remplie de photo d’elle; il n’avait encore rien jeté.

1. SERFATY-GARZON, 2014, op.

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On remarque dans le plan, que l’essentiel des espace utilisés au quotidien sont la cuisine, la chambre de sa femme et un espace devant la cuisine, qui lui sert de bureau, de salon, de salle à manger. Il y mange, y regarde la télé, s’occupe de ses papiers. A chaque extrémité de la table, deux fauteuils roulants se font face. Lors de l’entretien il m’invite dans un premier temps à m’asseoir sur une chaise, au centre de la table. Au bout d’une heure de discussion, une relation de confiance s’étant installée, il m’invite alors à m’asseoir dans le fauteuil où s’asseyait sa femme. On sent ainsi, malgré le tri par le vide effectué, que certains objets, certaines pièces ont davantage de sens pour Bernard. La volonté de renouveau et de rupture affichée dans l’acte du tri radical est donc nuancée par un fort attachement aux objets symboliques. Lors de la visite de son appartement il s’arrête en effet longuement devant un tableau sur lequel sont rassemblés tous les objets en relation avec son mariage. On y trouve les faire-part pour les noces d’argent, d’or, de diamant, ainsi que de nombreuses photos. Dans le couloir menant aux chambres, il s’arrête également devant une très grande photo de son fils décédé. A côté de ce poster, il avait soigneusement accroché des coupures des journaux relatant les faits, ainsi que des éléments décoratifs en relation avec l’univers des motos. Sur son bureau, lui servant également de table à manger, sont empilés de nombreux papiers administratifs et journaux. On y trouve également des poèmes ou encore des livres. Sur le mur, sont exposées des centaines de photos et d’objets, principalement en lien avec ses proches décédés. Enfin, la télé est entourée de papillons et de photos de sa femme, car elle était passionnée par les papillons. Ces papillons créent un filtre entre lui et le monde extérieur lorsqu’il regarde la télé. Il me le dit lui-même, cela encadre, embellit le monde et les actualités. Le logement peut ainsi être séparé en deux. Les pièces donnant sur cour sont sous-utilisées, délaissées. Ce sont des espaces de stockage. Sur le grand balcon du salon on ne trouve qu’une grande bassine dans laquelle il fait pousser des pommes de terre. Il remplit une fonction de garde-manger.

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Espaces délaissés, stockage

COUR

Espaces appropriés

Un logement en recomposition

ROUTE

Logement Bernard Ech 1:100

1m

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1. SERFATY-GARZON, 2014, op., p.31.

A l’inverse, la petite loggia donnant sur la route lui permet de donner à manger aux oiseaux : « Tu vois toutes ces traces-là. C'est tout ce que je donne à manger aux pigeons qui viennent là ils sont bien connus, je les connais il y en a un qui est rouge il en a ... il y a des pies. Ce qui est interdit dans les HLM, de jeter par la fenêtre. Mais je ne jette pas ! La nuance, je le mets sur la terrasse, pour les oiseaux. Seulement il est interdit de nourrir les animaux. » Cette appropriation est tout à fait inédite et n’est pas exportée de son ancien logement. En effet, il profite du toit du hall de l’immeuble, sur lequel il peut déposer, à l’aide d’une pelle, de la nourriture pour les oiseaux. Ayant de grandes difficultés pour mâcher et déglutir, il mange en effet très peu et fini rarement ce qu’il se prépare. Il partage ainsi ses repas avec les oiseaux. L’usage et les aménagements de l’espace du logement de Bernard sont particulièrement intéressants car on remarque que, lors du relogement il était encore attaché à ses meubles, mais à la mort de femme ce sont d’avantage les objets qui prennent du sens. En effet, « Leur présence familière et réconfortante constitue un support précieux au moment du veuvage – au point que l’espace domestique peut devenir, notamment en cas de veuvage tardif, un conservatoire des souvenirs de la vie passée. Et c’est en s’entourant de ces mêmes objets matériels – meubles et bibelots familiers, photographies de ses proches, vivants ou disparus – que les personnes qui entrent en maison de retraite parviennent parfois à recréer un « chez-soi » et à retrouver un certain équilibre. » 1 L’usage informel du toit du hall de l’immeuble pour nourrir les oiseaux et les astuces qu’il développe pour, non pas « jeter » la nourriture aux oiseaux mais la « déposer », démontrent une capacité d’adaptation et une inventivité encore en action, malgré le relogement et le déracinement au grand-âge.

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Photos et objets liés aux proches décédés

Logement Bernard Ech 1:100

1m

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Francoise, quant à elle, n’a toujours pas déménagé, mais son rapport à l’espace du logement et la façon dont elle envisage le déménagement est très différente des deux autres ménages. « Moi je donne tout ce que j'ai ici. J'emmène rien. enfin, j'essaye de vendre peut etre cette table, qui m'a coûté un peu cher, dans le temps. L'ordinateur bon bin... (…) Je suis Hightech. J’aime pas les meubles (…) J'aime pas les meubles. J'aime pas les souvenirs, j'aime pas. J'ai pas de photos. » Le salon dans lequel elle me reçoit est très épuré, extrêmement propre et sans aucune photo, sans aucun objet personnel, sans décoration exceptée une grosse lampe posée sur la table. Son logement ne laisse transparaitre aucune information personnelle, ne laisse rien entrevoir de son intimité. Cette absence totale de souvenir, ou de quelconque élément personnalisé peut s’expliquer par les nombreuses épreuves qu’elle a traversé au cours de sa vie. Elle cherche à maitriser au mieux son logement. Son « chez-soi » doit la protéger et non lui rappeller de mauvais souvenirs ou laisser transparaitre ses faiblesses. Elle entretient le même rapport avec son propre corps. Très élégante, mettant un point d’honneur à être présentable et à ne laisser transparaitre aucune faille. Malgré ses grandes difficultés à se déplacer, elle refuse d’utiliser le fauteuil roulant qui lui a été fourni après son agression. « Et puis comme j'ai donné mon corps à la science, à la faculté de médecine pour servir à quelque chose dans la vie parce que je trouve que ça sert à rien (rire).. tant qu'on a un .. tant qu'on a.. tant qu'on est mort tant qu'on fasse avancer la médecine »

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Elle entretien ainsi le même rapport distancié avec son propre corps. Aimant l’ordre, le ménage, elle souligne : « J’ai trop de soucis.... il faudrait être zen. (rire) bon. On va faire le tri » Les meubles, les objets, les souvenirs ne sont donc pas pour elle nécessaires à sa stabilité émotionnelle, bien au contraire. Consciente qu’elle ne sera pas en mesure de payer le loyer que son nouveau propriétaire lui demande, elle envisage d’avantage son déménagement comme une rupture avec ses soucis présents et ne souhaite rien emmener. Ce lien entre déménagement et renouveau est assez similaire à ce qu’elle a vécu lors de son divorce. Ainsi, la réappropriation de l’espace par les personnes âgées après le relogement et les préoccupations liées au déménagement sont particulièrement représentatives de la relation des ménages au logement et de sa symbolique dans leur histoire personnelle.

Salon de Françoise Un aménagement épuré

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Espace urbain et relation au territoire Les trois ménages rencontrés ont une relation au territoire et à la ville très différente. Nous avons dans un premier temps comparé les points d’attache et les lieux que les ménages ont évoqué durant les entretiens. On remarque alors que le territoire personnel de chaque individu s’organise à différentes échelles. Alain et Murielle ont le territoire personnel le plus large, ouverts au monde et ayant pris goût aux voyages, leur territoire s’étale à l’échelle mondiale. Une de leur fille a en effet émigré au Canada et où ils lui rendent visite régulièrement pour de longues périodes. Ils sont également imprégnés de diverses cultures et sont particulièrement sensibles à la mentalité nord-américaine. Passionnée par la langue anglaise Murielle prend des cours lorsqu’elle ne voyage pas. Lors de notre entretien les comparaisons entre la France et le Canada étaient récurrentes : « Alain: Au canada euh... Ma fille elle habite au Canada. Euh, la mairie plante des arbres devant la maison là-bas. Parce que là-bas c'est des pavillons là-bas. Murielle: Alors que nous on les.. pouh! [rire] c'est le contraire. Alain: Ils plantent trois arbres devant la maison et c'est à la charge de la commune on dit après, pratiquement. Après derrière dans le jardin le particulier il fait ce qu'il veut il plante ses arbres, il plante un arbre ou deux arbres. Murielle: Ah bin c'est.. C’est sympa ça. Ouais... c'est génial ça. » Ils apprécient notamment la facilité avec laquelle il est possible de déménager aux Etats-Unis. Leur fille a en effet déménagé trois fois depuis son arrivée au Canada. Ils apprécient la rapidité de construction et l’attachement moindre des nord-américains à leur maison. « Alain : En France ça devient... tout devient compliqué. Réglementé... règlementations... décisions... Au Canada, entre le moment où vous voulez construire votre maison et l’habiter... c’est 7 mois. [rire] »

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« Murielle: Trois fois qu’elle a changé de maison. Alain: Trois fois oui. Ah oui oui... En 10 ans ça fait 3 maisons qu’elle a fait. Là-bas la maison est pas considérée comme un bien de valeur. C’est fonctionnel là-bas la maison. Murielle: Oui tout à fait. Alain: Vous construisez votre maison, vous changez de travail, hop vous vendez la maison. Murielle: C’est ça. Puis il y a la facilité aussi. » Leurs nombreux voyages leur permettent donc une certaine ouverture d’esprit. Mais cette mobilité n’est cependant pas nouvelle. En effet, la mobilité professionnelle fait également partie integrante de leur vie. La mobilité, la flexibilité et la capacité d’adaptation sont pour Alain essentielles aujourd’hui. « Monsieur TGV on m’appelait oui. Non ça c’est.. c’est ça la vie moderne maintenant. vous avez un poste là, votre entreprise ou votre labo, il va pas tenir 20 ans ou 30 ans, faut être appelés à aller à Toulouse, à Lyon, à Marseille je sais pas où.. donc.. » A propos de la culture patrimoniale des européens, de l’attachement au bien immobilier qui se transmet de générations en générations, Alain explique : « Mais ça aussi il faut que ça change hein. parce que vous avez... l’emploi... moi j’ai commencé ma carrière à.. dans l’Essonne et j’ai finis ma carrière à Lyon. Donc il faut être, il faut être souple, il faut être malléable en ce moment. » Ainsi, nous pourrions penser que la même philosophie s’applique à leur logement. Pourtant, même s’ils sont conscients que la mobilité est nécessaire dans le monde actuel, leur logement semble être un repère fixe et immuable important. En effet, même si les allers-retours hebdomadaire Paris-Lyon étaient difficiles et que, Alain le souligne, c’est un véritable déracinement, cette épreuve était surmontable car il avait toujours

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un point d’attache fixe : le logement famillial. Alain est en effet particulièrement attaché à la région. Etant né à Magny les hameaux, il connait très bien l’Essonne. Murielle est elle aussi attachée à ce département. Elle a refusé de partir à Lyon : « Murielle: Parce qu’au départ ils offraient le logement aussi à la famille, la femme pouvait suivre avec les enfants et tout mais j’ai dit « Ah non, non pas question. Au secours! Alain: Non c’est pas facile les enfants qui sont scolarisés ici, les changer d’école et tout... en pleine année. Murielle: Ah oui, changer de travail moi... ah non j’ai dit non, je suis restée la moi. »

Anciens lieux de travail

L’annonce de la démolition est arrivée durant les dernières années de la carrière d’Alain, alors qu’il travaillait encore à Lyon. La perte de l’habitation principale, repère, point fixe, était alors insupportable. La grande mobilité apparente de ce couple est donc uniquement possible grâce à l’existence d’un point fixe et stable. Ayant retrouvé dans le nouveau logement cette stabilité, ils sont à nouveau en mesure de voyager.

Logement actuel Anciens logements Points d’attache (Proches)

A l’échelle du département on remarque de nombreuses attaches puisqu’Alain y vit depuis l’enfance et qu’ils y ont tous deux travaillé toute leur carrière. Leurs deux autres enfants y vivent également. Une fille habite les Ulis, et leur fils Villebon. Leurs déplacements se font essentiellement en voiture. Murielle fait la « navette » entre Villebon et Les Ulis, afin de s’occuper de leurs petits-enfants. Au sein de la ville ils ont moins d’attaches ou d’habitudes. Ils font leurs courses au centre commercial Ulis 2 en voiture et se rendent en centre-ville à pied pour profiter des services (poste, mairie, etc).

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500m


Ancien lieu de travail Logement actuel Points d’attache (Proches)

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Bernard, quant à lui, est depuis toujours un grand marcheur. Il a parcouru l’Europe à pied. Son territoire ne s’étale donc pas à l’échelle mondiale mais fait partie de son mode de vie. Il n’a jamais eu de voiture et a toujours tout fait à pied : « Je n'ai pas de voiture, je n'ai jamais acheté de voiture. Pourquoi ? Parce que je faisais de la marche. Partout où j'avais besoin d'aller j’étais... à pied, le bus, le métro tout ça. Et ma femme, pareil elle n'a jamais pensé, elle n'a jamais voulu avoir une voiture. »

Ancien lieu de travail Logement actuel Anciens logements Points d’attache (Proches)

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Ainsi, lorsqu’il partait en vacances en famille, il partait une semaine plus tôt et se rendait sur le lieu de vacances à pied. Originaire des Ardennes, il a vécu de nombreux déménagements avec ses parents durant la seconde guerre mondiale. Il a également été emmené de force en Allemagne dans le cadre des GTO (Groupe de Travail Obligatoire) durant 2 ans. Sa famille a, après la guerre été accueillie par une de ses tantes, à Orsay. C’est ainsi qu’il a trouvé un travail à Paris, qu’il a conservé plus de 40 ans. Ayant épousé une belge, il a régulièrement fait les allers-retours Les Ulis-Courcelles, d’où elle était origine. Ils ont célébré leur mariage et chaque anniversaire de noces aux Ulis et à Courcelles. Contrairement à Murielle et Alain, la grande mobilité de Bernard fait partie d’un mode de vie, elle est simplement limitée par son mode de déplacement qui est la marche : ses plus grandes distances réalisées à pied étant d’environ 400km, son territoire personnel se déploie à l’échelle de la France et des ses pays voisins. Ayant toujours travaillé à Paris, l’utilisation des transports en commun est également une habitude. Très à l’aise avec le réseau de bus, le RER ou encore le métro, Bernard se rend régulièrement à Paris. Il va également plusieurs fois par semaines au cimetière d’Orsay où se trouve une concession familiale. Son père, son frère, son fils, et sa femme y sont enterrés. Ce cimetière, dans lequel il a enterré ses proches, années après années, est peut-être le point d’attache le plus important pour lui.

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Logement actuel Anciens logements Points d’attache (Proches, Origines, Vacances)

A l’échelle de la ville des Ulis, Bernard se déplace donc à pied : « Mais ça, je le dis, je vais chez carrefour presque tous les jours, bon mais... il faut une demi-heure pour aller chez carrefour... à pied. Je pourrai prendre l'autobus qui y va mais je le fais pas. Je prends mon caddie je vais chez carrefour, une demie heure aller, une demi-heure de retour, une heure dans le magasin ça fait, ça me fait 2h de sortie. Oui ? Alors pour le reste évidemment je peux aller à Paris. Je l'ai fait l'autre jour aussi. Je peux aller à Paris par l'autobus aussi, le métro, le RER, etc.» Il se rend principalement au centre commercial Ulis 2 et en centre-ville comme Murielle et Alain pour les démarches administratives. Sa fille, Résidant à Montlhéry vient régulièrement lui rendre visite et l’accueille parfois chez elle pour le week-end. Elle vient alors le chercher en voiture.


Ancien lieu de travail Logement actuel

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Enfin, Françoise semble avoir le territoire personnel le plus réduit. Limitée tant financièrement que physiquement depuis plusieurs années, elle se déplace difficilement. Née en Bretagne, à quelques kilomètres de Nantes, elle est arrivée à Paris à l’âge de 18 ans et n’a, depuis, jamais quitté la région parisienne. Très vite, elle s’installe aux Ulis et accumule les petits emplois à Paris, puis dans la zone de Courtabœuf. Elle se rendait au travail en transports en commun. Elle n’utilisait la voiture que pour se rendre dans les communes voisines, ou faire des courses, lorsqu’elle en avait une. Aujourd’hui, elle n’a plus de permis depuis son agression, n’a pas de voiture et marche très difficilement. Elle utilise donc les transports en commun mais, depuis son agression, les quelques marches qui séparent le hall de l’immeuble de la rue sont un véritable obstacle. Ses quelques attaches en dehors de la région parisienne sont la suisse, car la petite-fille qu’elle a élevée y réside, mais elle n’y est jamais allée. Elle évoque également un ami résidant à Narbonne et une amie coréenne mais à nouveau, ce sont eux qui viennent lui rendre visite plutôt que l’inverse. Bien qu’elle soir originaire de Bretagne et qu’elle ai, durant un temps, travaillé et habité à Paris, son territoire personnel semble se déployer plutôt à l’échelle de la région parisienne, voire, aujourd’hui à la ville des Ulis. Elle sort principalement pour se rendre à la poste, à la mairie ou à la médiathèque.

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« Je vais à la médiathèque tout le temps. J'aime la médiathèque. Bin je suis une liseuse hein. » Françoise

Logement actuel Anciens logements Points d’attache (Proches, Origines, Vacances)

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Ces différentes morphologies de territoire personnel peuvent être résumées selon différentes typologies :

Territoire solaire

Territoire en constellation

Territoire linéaire

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Murielle et Alain ont un territoire personnel centripète à grande échelle. Leur logement est le point d’attache principal d’où ils partent et où ils reviennent. Leurs multiples points d’attache secondaires sont plus ou moins importants, plus ou moins éloignés, mais tous sont reliés à une origine fixe. Nous le qualifierons de terrioire «solaire». La fixité et l’importance du coeur permet une rayonnance du terrioire à grande echelle. Le territoire personnel de Bernard prend la forme d’un maillage, reliant différents points. La particularité de cette morphologie est l’importance des liens. La marche, le mode de déplacement est tout aussi important que la destination. Il n’y a pas de point d’attache principal, c’est un système plutôt polycentrique, en constellation. Nous le qualifierons de territoire en constellation. Françoise aurait d’avantage un territoire personnel linéaire. Ayant quelques points d’attache extérieurs, son lieu de vie actuel reste primordial, elle ne retourne pas nécessairement sur les lieux qui lui sont chers. Ses proches lui rendent visitent plus qu’elle ne se déplace. Ainsi les lieux de vie se succèdent les uns après les autres. Cette morphologie linéaire entre en résonnance avec son comportement de rupture et d’effacement entre chaque période résidentielle de sa vie. Lorsqu’elle passe d’un logement à un autre, elle repart de zéro, ne garde rien, ni objet, ni meuble ni souvenir. Nous verrons qu’il est également difficile pour elle de garder contact avec les personnes qu’elle a rencontré dans sa vie. Cette première analyse des territoires personnels permet de mieux comprendre les positions et les réactions des locataires face aux rénovations urbaines mais mériterait un approfondissement notamment à propos des morphologies des réseaux. Nous comprenons donc, que chaque personne interrogée a un rapport au territoire et à la ville qui lui est propre. Il résulte de l’histoire personnelle de chaque individu mais également de ses capacités tant physiques que financières. Notons également l’importance des relations familiales et des proches dans la définition de ce territoire personnel.


L’espace « affectif » Vincent Caradec, dans son article sur l’épreuve du grand-âge identifie des ressources dont les personnes âgées disposent pour surmonter l’épreuve du grand âge. Il souligne qu’elles ne sont pas uniquement, comme nous l’avons précédemment vu, de l’ordre de « l’équipement personnel » (capacités physique, intellectuelles, force de caractère, capacités d’adaptation etc). Ces ressources peuvent également provenir des « entours sociaux » de chaque individu. 1 «Ce dernier type de ‘‘support’’ apparaît particulièrement important alors qu’il se trouve très inégalement distribué. » 2 En effet, à l’image des trois ménages rencontrés, les personnes âgées ne sont pas toutes également entourées et soutenues. Pour mieux comprendre les ressources dont chacun de nos ménages disposent, nous analyseront leur « espace affectif », soit un espace abstrait que nous définirons selon les critères utilisés par Catherine Bonvalet 3: Le nombre de personnes citées comme « proches », la proximité spatiale, la fréquence des contacts, et l’entraide présente ou non dans ces relations, ou, autrement dit, la nature des contacts entretenus. L’espace affectif est étroitement lié au territoire personnel des ménages et à leurs points d’attache. Nous avons vu, au court de nos entretiens, l’importance de la famille comme soutien. Ce soutien peut prendre différentes formes. En effet, il peut en premier lieu être financier. A l’âge de la retraite, les rôles se renversent souvent. Les enfants peuvent dans des occasions spécifiques, venir en aide à leurs parents. Par exemple, les filles de Bernard l’ont aidé à payer les frais d’obsèques de sa femme. La fille de Francoise quant à elle a racheté l’appartement de sa mère, afin qu’elle n’ai pas d’augmentation de son loyer. Au contraire, l’absence de soutien familial peut mettre les personnes âgées dans de grandes difficultés. Suite à son divorce, la fille de Françoise revend l’appartement et se dispute avec sa mère. Sa dispute avec sa fille a donc directement modifié sa situation résidentielle. Désormais locataire du parc locatif privé elle s’apprete à subir une importante augmentation de son loyer, et ne dispose plus d’entours sociaux pour l’aider à faire face à cette épreuve.

1. CARADEC, op. 2. Martuccelli, cité par CARADEC, op.

3. BONVALET, 2003, op.

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Mais le soutien et le rôle des « entours sociaux » va au-delà d’une simple aide financière. Ils peuvent aider les personnes âgées à entrevoir l’avenir, leur permet de faire des projet, leur évite la solitude. Bernard est par exemple très proche de sa fille cadette, résidante à Monthléry. Elle l’appelle tous les jours à heure fixe. C’est un rendez-vous quotidien important qui rythme ses journées. Elle envisage également de l’emmener en Auvergne lorsqu’elle sera à la retraite. Elle lui a donc fait la promesse de ne pas le laisser seul. Il peut ainsi envisager l’avenir plus sereinement. Il n’est d’ailleurs pas particulièrement enthousiaste à déménager en Auvergne, région dans laquelle il n’a absolument aucune attache : « Elle est pas dans la ville du Puy elle est dans un, dans un petit patelin où il y a peut être 200 personnes. Alors pour moi... Là bas je serai un étranger... là bas. On parlera de moi on dira ‘‘tu sais le parisien qui habite là, c'est sa fille.’’ Parce que, eux, ils la connaissent » Mais la relation qu’il entretient avec elle est un élément stable très important dans son quotidien, il acceptera donc de s’éloigner du cimetière familial dans lequel reposent tous ses proches pour ne pas être seul. Pour Alain et Murielle, leur fille, résidant au Canada leur a également donné un œil neuf sur l’avenir. Son déménagement les a poussé à voyager et à s’ouvrir à une nouvelle culture pour laquelle ils se sont découvert une véritable passion. Grace à leur fille, vivant à l’autre bout du monde, ils ont considérablement modifié leur mode de vie et leur regard sur l’avenir. Ils souhaitent désormais voyager le plus possible et apprennent l’anglais. « On y a pris gout hein! finalement c’est grâce à ma fille en fait. On s’est dit ohlala elle est partie loin comment on va faire et puis finalement je me dis heureusement hein! De Montréal déjà la première fois, on est allés la voir, elle me dit ‘‘mais toi qui a envie d’aller aux Etats Unis, bin on est à côté, tu y aller en car , c’est moins cher.’’ Quoi? [rire] ohlala, Ah bin il faut pas me le dire deux fois hein. [rire] Alors on l’a fait deux fois. La première fois on s’est perdus, c’est pour ça que je me suis mis un peu à l’anglais après et puis maintenant je suis... oh.. j’adore. et puis donc après euh... on a fait l’Ouest américain, on a fait l’Est américain, et puis l’Angleterre, qui est a coté. On était jamais allés alors que c’est à coté. Donc voila ça nous permet de bouger donc c’est bien.» Murielle 142


On comprend alors que proximité affective et proximité spatiale ne sont pas nécessairement liés et que d’autres critères entrent en jeu. Françoise a très peu de contacts, il lui est difficile de conserver des contacts entre les différentes périodes de sa vie. Elle n’a plus d’attache avec les entours sociaux de son enfance, ne parvient pas à garder contact avec ses anciens collègues, et n’est pas en bon terme avec ses filles. Alain et Murielle sont passés des relations de travail aux relations familiales, selon un schéma assez classique. « La jeunesse est le temps privilégié des amitiés, la maturité celui des relations de travail et la vieillesse celui des relations de parenté » 1. Leur espace affectif est totalement lié à la famille. Lorsqu’ils sont en France, ils profitent de leur statut de grands-parents et font les allers-retours entre les Ulis et Villebon. Plusieurs mois dans l’années, ils voyagent et rejoignent leur fille avec qui, malgré la distance, ils entretiennent une réelle proximité affective. Bernard est, quant à lui, tiraillé entre deux dimensions affectives : - Celle de ses proches disparus, enterrés à Orsay, dans la concession familiale dans laquelle il investit depuis de nombreuses années, et qui sera sa dernière demeure. - Celle des vivants : sa fille, qui souhaite l’emmener en Auvergne, avec qui il a un contact régulier. Il entretient également encore des relations avec des amis de longue date qu’il n’a jamais perdu de vue. Il a récemment repris contact avec une amie, qu’il n’avait pas vu depuis plus de 30 ans. Une autre grande amie habite dans les Pyrénées. Son espace affectif est donc tiraillé entre le local et le lointain, le passé et le futur, mais il est capable de conserver des liens avec des personnes et, nous l’avons vu, des lieux, de ces différentes dimensions de sa vie. Le schéma de la constellation, de la nappe, semble donc aussi fonctionner pour son espace affectif et les relations qu’il fabrique avec les personnes et les lieux. Nous comprenons alors, après l’analyse plus fine des relations qu’entretiennent les personnes âgées avec l’espace-temps, l’espace du logement, le territoire et avec cette dernière dimension « affective », que les capacités d’adaptation et de résistance des personnes âgées résultent d’une multitude de paramètres. L’histoire de chacun, ses acquis, ses faiblesses, ses « entours sociaux » lui permettront ou non, de surmonter l’épreuve de la rénovation urbaine.

1. HERAN, Francois, 1988, cité dans BONVALET Catherine et LELIEVRE Éva, op., p. 55

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Conclusion

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« La rénovation urbaine c'est à la fois changer de logement, mais, en changeant de logement, c'est changer de mode de vie. » nous disait Henri COING 1, à propos de la rénovation urbaine de l’îlot 13, à Paris. C’est en effet l’objectif des politiques de la ville, et principalement celles des premières opérations dans les années 1970. Avec la construction des grands ensembles, les habitants quittaient les îlots insalubres et accédaient au confort et à la modernité. Pour soutenir ce nouveau mode de vie, ils travaillaient alors davantage et pouvaient espérer une ascension sociale. Ces grands ensembles représentaient un renouveau. 40 ans plus tard, ils sont, dans de nombreuses villes périurbaines de région parisienne, stigmatisés. Dégradés au fil du temps, accueillant les populations les plus modestes, ils sont aujourd’hui la cible des rénovations urbaines. Les ménages installés dans les années 1970, sont alors délogés, de nombreux immeubles sont démolis. Aujourd’hui âgés, comment ces « anciens » des quartiers populaires réagissent aux transformations de leur quartier, autrefois symbole de renouveau ? Les enjeux du vieillissement des locataires du parc social sont, nous l’avons vu, particulièrement importants pour les bailleurs. C’est une toute nouvelle dynamique démographique, économique et sociale à laquelle ils font face aujourd’hui. Comment dialoguer avec ces ménages âgés, attachés à leur logement ? Comment les convaincre de partir ? Le relogement estil alors, pour ces ménages, l’occasion d’une modification des modes de vie, comme l’affirmait Henri Coing pour l’ensemble des ménages dans les années 1970 ? Peut-il être l’occasion d’accéder à un logement plus adapté à la perte des capacités physiques, et à l’évolution de la taille du ménage ? En effet, les ménages retraités, occupent souvent de grands logements, qu’ils ont conservé après le départ des enfants. Quels sont alors les critères de relogement à l’heure de la vieillesse ? Nous pourrions en effet penser que, à l’occasion des démolitions, les personnes âgées, libérées des contraintes professionnelles, n’ayant plus d’enfants à charge, modifient leur mode de vie et les caractéristiques de leur logement. Nous cherchions donc, dans un premier temps, lors de cette étude, à comprendre comment les personnes âgées réadaptent leur mode de vie et se réapproprient leur nouvel environnement.

1. Tissier, op.

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1. LEVY, Jean-Pierre, cité dans LELEVRIER, 2008, Les trajectoires résidentielles des ménages dans les opérations d’île-de-France, in HUYNH, OP.

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Nous avons choisi, pour notre étude, de rencontrer des personnes âgées modestes, locataires de HLM. La problématique qui nous intéressait dans un premier temps était la tension entre logement subi et logement choisi. Supposant que les personnes âgées modestes étaient un public particulièrement vulnérable avec peu de capacité de négociation, l’objectif était de comprendre comment, dans des circonstances difficiles, face à un relogement subi, les habitants se réappropriaient l’espace et recréaient un ‘’chez eux’’. L’âge rend-t-il plus difficile la réappropriation ? Nos lectures, rencontres et observations ont peu à peu soulevé de nouvelles questions et de nouvelles problématiques. Plus que l’effet du relogement et des rénovations urbaines sur les modes de vie, c’est le processus dans son ensemble qu’il est intéressant d’analyser. Nous avons peu à peu compris l’importance de l’histoire personnelle de chacun et de son parcours tant résidentiel que professionnel dans les capacités d’adaptation aux épreuves. Ces populations, sur le papier, particulièrement fragilisées, se sont en réalité révélées pleines de ressources pour faire face à l’épreuve du relogement. Les personnes âgées semblent en effet davantage conforter leur mode de vie que le modifier lors des rénovations urbaines. Le relogement entre ainsi dans la continuité du parcours des personnes rencontrées. Au-delà des démolitions et du relogement, nous avons également abordé la problématique des « mobilités passives »1, en rencontrant Françoise, qui, sans avoir déménagé, a dû se battre pour maintenir son mode de vie. Nous n’avons rencontré que 3 ménages, tous relogés dans la même commune, n’ayant pas subi une modification radicale de leur mode de vie. Cette première approche a cependant permis de mettre en évidence la résistance des anciens des quartiers HLM lors des rénovations urbaines quelles que soient leurs ressources et leurs fragilités apparentes. En effet, le statut d’ancien, leur donne une certaine légitimité. La vieillesse est alors une force. Les anciens connaissent la ville et les acteurs du jeu politique. Malgré les pertes multiples vécues à l’heure de la vieillesse, les personnes âgées confortent leur mode de vie au travers du processus de relogement. C’est alors l’occasion d’affirmer les acquis de toute une vie.


En effet, le logement est, à cet âge, un véritable palimpseste résultant de la construction progressive de l’individu. Défendre son logement et son mode de vie c’est défendre ses valeurs. Pour les personnes âgées, le relogement ne semble pas donner lieu à une « mobilité projet » 1, c’est plutôt l’occasion d’affirmer la place du logement et son rôle dans le territoire personnel de l’individu. La question de l’accession à la propriété à l’âge de la retraite est particulièrement intéressante à ce sujet. Parmi les ménages rencontrés, aucun n’est devenu propriétaire à l’occasion de la rénovation urbaine. Bernard ne l’a jamais envisagé, et la rénovation urbaine ou les propositions d’acquisition n’y ont rien changé. Alain et Murielle ont considéré que ce n’était plus le moment d’investir. Et Françoise, à cause de son âge et de sa faible retraite n’a pas eu les moyens d’investir. Nous avons bien ici, pour nos trois ménages, la preuve que la rénovation urbaine se place dans la continuité des trajectoires individuelles et, qu’à l’heure de la vieillesse, elle ne semble pas influencer radicalement les modes de vie. Nous sommes alors en mesure de nous demander, quand, l’accession à la propriété dans les immeubles collectifs est-elle intéressante ? Peut-elle l’être pour certaines personnes âgées ? Il serait intéressant à ce sujet de rencontrer de nouveaux locataires du parc social, qui, suite à la baisse de leurs revenus à la retraite, ont choisi de déménager. Ces ménages, ayant choisi de modifier leur mode de vie serait-elles prêtes à investir dans un appartement en accession ? L’installation en logement social, représentant une régression dans l’échelle sociale aux yeux de certains, peut-elle être compensée par l’accès au statut de propriétaire. Pour changer leur mode de vie, les personnes âgées semblent avoir besoin d’une raison intime et personnelle entrant en résonnance avec l’ensemble de leur parcour résidentiel personnel. Si la mobilité résidentielle n’est pas choisie, la priorité sera à la conservation et à l’affirmation d’un mode de vie. Cette première étape de l’étude, a permis, durant 3 mois, de cerner les enjeux du relogement des personnes âgées. Elle permet de mettre le doigt sur les problématiques plus particulièrement intéressantes pour les architectes, notamment celles des relations à l’espace et de leur influence sur les capacités d’adaptation des personnes âgées. Il ressort en

1. LELEVRIER, 2008, Les trajectoires résidentielles des ménages dans les opérations d’île-de-France, in HUYNH, op.

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1. LEROI-GOURHAN André, MUMFORD Lewis, SEGUAUD Marion,...

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effet de nos trois entretiens, trois morphologies de territoire personnel et de relation à l’espace. Chaque ménage présente une relation à l’espace spécifique, qui s’exprime dans leurs relations sociales et familiales, dans leur mobilité, leur appropriation de l’espace du logement et dans leurs comportements face au processus de relogement. Ces premières typologies - le territoire solaire, le territoire en constellation et le territoire linéaire - ouvrent des pistes de réflexion. Chaque individu construit au fil du temps, un rapport à l’espace et au territoire qui lui est propre. Si cette morphologie se lit également dans les capacités d’adaptation à l’heure de la vieillesse et tout au long des épreuves de la vie, il serait particulièrement intéressant de compléter et d’ajuster cette liste. Pour cela, il faudrait confronter ces premières hypothèses à d’autres théories de morphologie des réseaux, comme celles issues de l’anthropologie 1. L’âge de la vieillesse est alors l’occasion d’observer ces comportements plus clairement. L’intérêt de l’étude de cette période de la vie est alors de lire plus aisément cette structure. L’étude des comportements et des rapports à l’espace en situation critique (celle de la rénovation urbaine) permet de mettre en lumière cette structure. Les multiples vulnérabilités (âge, revenus, rénovation urbaine) visées au début de notre étude nous ont permis de mettre en évidence cette nouvelle problématique qu’il serait intéressant de creuser. Existe-t-il pour chacun, une typologie de rapport à l’espace résultant de l’ensemble de notre parcours résidentiel et personnel, qui se lit également dans nos rapport affectifs et professionnels ? Cette typologie est-elle continue, comme nos entretiens semblent le montrer ou existe-t-il des variations, des renversements et des ruptures? Il serait intéressant pour poursuivre notre réflexion de rencontrer d’autres personnes âgées ayant été touchées par les rénovations urbaines. Il serait intéressant de rencontrer par exemple des personnes relogées dans d’autres communes, ou ayant accédé à la propriété. Nous pourrions également analyser les raisons qui, à l’âge de la retraite, peuvent motiver les personnes âgées à déménager. Nous en connaissons quelques-unes : veuvage, baisse des revenus, logement inadapté à la baisse des capacités physiques. Ces mobilités, résultent-elles d’autres typologies de rapport à l’espace construites au fil du temps ?


Territoire solaire

Territoire en constellation

Territoire linéaire

Alain et Murielle

Bernard

Françoise

‘‘Les voyageurs’’

‘‘Le marcheur’’

‘‘La sédentaire’’

Un territoire pouvant s’étendre à très grande echelle. La stabilité du noyau, du point d’attache central, permet une ayonnace et une capacité d’adaptation importante.

Un terriotoire personnel large. De nombreux points d’attaches liés à des personnes et des évènements intervenus à différents moments de l’histoire personnelle.

Un territoire personnel réduit. S’il est possible qu’il y ai eu divers lieux d’habitation, plus ou moins distants les uns des autres, cette morphologie se caractérise par les ruptures entre les étapes du Capacité à entretenir des contacts parcours personnel et résidentiel. En revanche, en cas de avec des personnes de cercles destabilisation du noyau central, différents, rencontrées dans des Peu, voir aucun, lien conservé avec tout l’équilibre s’effondre. les personnes et les lieux du passé. circonstances différentes. Les liens sont tout aussi importants Réadaptation et réappropriation dans le systemes que les pôles. d’un nouvel habitat possible par effacement des traces du passé. Grande capacité d’adapation et de réappropriation à un nouvel habitat.

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Annexes 1


Journaux quotidiens

Le phare

BELBENOIT, Pierre, juin 2004, Edito. Actualité contrastée aux Ulis, n°22, p.1 ANONYME, juin 2004, Pour la propreté de notre ville : la pomenade citoyenne du samedi 3 avril 2004, n°22, p.2 GRANDIERE, Gaston, juin 2004, Centre ville : l'amicale des Locataires de la daunière demande au préfet de NE PAS VALIDER LA DEMOLITION des bâtiments A et B, n°22, p.12 DE BERNARDI Severin, juin 2004, En choisissant mes mots... Voici ce que je pense, n°22, p.12 Bureau de l’amicale des locataires de Hautes plaines, janvier 2006, Réhabilitation des hautes Plaines : « C'est pour quand ? », n°28, p.9

Ulis Mag

LORIDANT, Paul, juin 2004, Edito, p.2

Le républicain

OLLIVIER, Marc, ‘‘Non à la démolition, oui à la rénovation’’, 24 mars 2005 LEGRAND, Marine, 7 septembre 2006, Ils disent non au projet ANRU. LEGRAND, Marine, 14 septembre 2006, Rénovation des Ulis : c'est parti.

Le parisien

BUREAU, Olivier, 24 janvier 2005, 150 manifestants contre les démolitions d'immeubles. AUGUY, Stéphanie, 1 mars 2005, Dix ans de travaux pour casser l'image de la ville. ANONYME, 21 mars 2005, Aux Ulis, les locataires défilent pour leurs HLM. CAZI, Emilie , COLOMBET, Louise, 14 juin 2005, Les cités s'unissent contre les démolitions. JACQUARD, Nicolas, 11 spetembre 2006, Un chèque de 114M€ pour changer les Ulis. BUREAU, Olivier, 12 septembre 2006, Ils dénoncent la destruction de leurs immeubles. JACQUARD, Nicolas, 6 avril 2007, La Daunière solidaire de la retraitée sinistrée. 152


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Iconographie http://www.uncubemagazine.com/sixcms/media.php/1323/Ch%C3%A2teauroux,%202%20juin%202002%20copy.jpg

Lee Jeffries Photographie, série ‘‘Homeless’’ http://leejeffries.500px.com/homeless

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http://www.lacatonvassal.com/?idp=56

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1: http://caue91.asso.fr/Emergence-d-un-nouvel-espace.html 2: http://www.unibail-rodamco.fr/W/cms_sites/SITE_16406/ images16406/group2/Ulis---1.jpg

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http://www.lair-roynette.fr/projet-anru-rehabilitation-en-milieu-occupe-de-378-logements

http://www.ekopolis.fr/realisations/logements-avenue-des-champs-lasniers

1: http://roland.mercier.free.fr/OEnophiles/les-ulis.gif 2: http://www.annuaire-mairie.fr/carte-electorale-les-ulis.html

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http://www.lesulis.fr/1041/realisations-dans-les-quartiers.htm

http://www.lesulis.fr/901-846/fiche/travaux-de-renovation-des-amonts. htm

1,2 et 3 : http://www.lesamonts-lesulis.com/Demolition-des-batiments-1-2-et-22_a58.html

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4

4 : http://www.lair-roynette.fr/projet-anru-rehabilitation-en-milieu-occupe-de-378-logements 159



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