GODARD Père & Fils, Manufacturiers de draps

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GODARD père & fils manufacturiers de draps

Fabrique de draps 1819 20 rue des ponts Demeures 1815 63 bis & 65 rue de l’indre


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Avant-propos

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n faisant graver 1815 sur la façade de sa maison du 65 rue de l’Indre à Châteauroux, l’industriel de drap François Godard demandait implicitement aux passants de la rue de l’Indre de se souvenir de cette époque d’activité économique. C’est un peu de cette histoire que nous voulions évoquer les 19 et 20 septembre 2015 lors des Journées du Patrimoine et avec cette publication pour l’édition 2017. Remerciements à Pierre Remérand, rédacteur principal, à Jean-Louis Cirès, archiviste municipal pour leurs travaux et découvertes ainsi qu’à William Etiève pour la mise en forme. Michèle Ballanger

Cour intérieure du 65 depuis l’impasse de la Galère. Photo René Pécherat, vers 1960.

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armi les familles de drapiers installées rue de l’Indre et rue des Ponts, beaucoup sont les héritières des humbles artisans réunis au sein de la manufacture collective créée par Colbert en 1695 pour labelliser la production de drap locale. Seules quelques familles, plus audacieuses, vont créer de véritables

entreprises. À la fin du XVIIIe siècle, profitant des difficultés de la manufacture royale du Parc créée en 1751, les Godard, le père et ses deux fils François et Louis, fondent sur des terrains de la rue des Ponts une grande manufacture. Témoin de cette prospérité, ils font construire en 1815, sur une des rares parcelles encore libre de la rue de l’Indre, deux belles maisons d’habitation. Détruite par un incendie peut-être criminel en 1818, la manufacture est reconstruite l’année suivante. C’est elle qui se cache actuellement sous l’apparence du garde-meuble de l’entreprise Mesnager. Modernisée par l’installation de nouvelles machines jusqu’à la fin des années 1850, la manufacture Godard disparaitra en même temps que l’industrie drapière de la rue de l’Indre et ses locaux seront loués ou vendus pour différents usages. C’est l’histoire des maisons et de la manufacture Godard que le lecteur va découvrir dans cette plaquette richement illustrée.

Pierre Remérand


Deux générations d’entrepreneurs La manufacture a connu un essor tout particulier pendant la première moitié du XIXème siécle. Il est intéressant d’en connaître l’origine.

Des tisserands appelés Godard sont connus à Châteauroux dès le début du XVIIe siècle. Le marchand François Godard est l’époux d’Anne Moreau. Leur fils Vincent épouse Jeanne Lemoine le 29 février 1740 à Châteauroux en la paroisse Saint-Martin. Ils sont les parents de François Godard né en 1744, négociant qui épouse Marie Couny le 4 février 1766 à Châteauroux (Saint-Martin) — fille de Georges Couny marchand et de Marie Guillot — puis en seconde noce Jeanne Gabignon en 1774 morte le 29 nivôse an IV à Châteauroux. François Godard décède le 22 septembre 1820.

Leurs fils François, négociant et Louis, fabricant vont faire de leur entreprise une industrie prospère qui emploiera jusqu’à 250 ouvriers et ouvrières. François Godard, négociant et propriétaire est né en 1772 (ou 1776). Président du tribunal de commerce, chevalier de l’ordre royal de la Légion d’honneur, maire de Châteauroux en 1832, il est aussi spéculateur sur les terrains de l’abbaye de Déols et propriétaire du château de Vaux, commune de Niherne. Il a une liaison avec Marguerite Bodin (décédée le 29 juin 1832 à Châteauroux), d’où naîtra le 4 germinal an XI (25 mars 1803) un enfant non reconnu à sa naissance auquel on donnera le nom de Gilbert Lazard. L’enfant fut reconnu par sa mère le 26 juin 1812 sous le nom de Gilbert Lazard Bodin puis reconnu par son père le 5 juin 1833. À partir de cette date, il portera le nom de François Hippolyte Godard. Il épouse le 16 juillet 1833 à Châteauroux Mariette Louise Godin née le 7 juillet 1812 à Châteauroux, fille de Charles Godin Dérosiers officier de santé et Marie Bourdillon. Il est négociant en 1834, il habite place d’Orléans en 1849. Naîtrons à Châteauroux de cette union

Louis Godard est né le 29 décembre 1780. Il épouse Marguerite Louise Lemor (fille d’Augustin Lemor et de Louise Perpétue Destrié) le 28 novembre 1821 à Bagneux (Indre). Il est mort le 8 juin 1856 à Châteauroux. Les enfants de Louis Godard tous nés à Châteauroux sont François Louis Augustin né le 11 décembre 1822, célibataire, décédé le 27 avril 1896 rue de l’Indre à Châteauroux, Perpétue Louise née le 18 août 1824 mariée le 3 novembre 1842 à Châteauroux à Jean Pierre Chambert négociant, Marguerite Cornélie née le 18 septembre 1826, Gabrielle Georgina née le 19 février 1830, célibataire, décédée le 31 mars 1899 à Châteauroux, et Marie Herminie née le 12 novembre 1831. Les immeubles et terrains de la rue de l’Indre dépendant de la succession de Mademoisele Gabrielle Georgina Godard sont mis en vente en quatre lots le 31 mai 1899 en l’étude de Me Louis Suard à Châteauroux.

au moins quatre enfants, François Eugène le 27 novembre 1834, Marie Louise le 20 février 1838, Philippe Jules le 3 février 1840 et Albans Charles Georges le 13 avril 1849 décédé le 24 novembre 1858.

Jusqu’en 1857, les Godard ont été des manufacturiers ambitieux puis des propriétaires-rentiers quand la draperie a déserté la rue de l’Indre.

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L’ancienne fabrique de draps Godard, 2O rue des Ponts La famille Godard va chercher à acquérir différents terrains et constructions rue de l’Indre. L’actuel 80 bis, des remises et écuries sur l’impasse de la Galère ainsi que sur la rue des Ponts. Un plan de 1837 mentionne le long de l’Indre près du moulin de Vindoux, une cour, un pont et une planche mobile. Plus loin une tour Godard et un « endroit où M. Godard dégraisse des laines à chaud ». En 1804, la Société d’Agriculture de l’Indre nouvellement créée offre un prix de 150 francs pour la plus belle pièce de drap fabriquée avec des laines sans mélange. Il est décerné à M. Godard « fabricant distingué ». Dans le bulletin numéro huit de la Société d’encouragement pour l’industrie Nationale de 1817, trois manufactures de la rue de l’Indre se distinguent particulièrement.

La Vieille-Prison depuis l’ancienne manufacture. Photo Pierre Remérand, 2015.

« MM. Godard, père et fils, ont été les premiers à suivre l’heureuse impulsion donnée par M. Muret Debord. Les draps qu’ils fabriquent sont le produit de mécaniques établies depuis quatre ans dans leurs ateliers, et mises en mouvement par un manège à quatre chevaux. La laine y reçoit toutes les préparations ; le cardage et le mélange des couleurs s’opèrent avec une uniformité parfaite, sans que la matière soit altérée ; les métiers à filer fournissent un fil très régulier et aussi fin que la nature de la laine le comporte, il est presque sans nœuds, d’où résulte l’avantage d’augmenter le nombre des fils de chaîne et de trame, et de fabriquer ainsi un tissu plus uni, plus régulier et plus solide, qualité qui distingue particulièrement les draps de Châteauroux bien confectionnés. Le lainage ou garnissage par mécanique, toujours uniforme, donne un beau lustre et de la douceur au drap ; enfin, la tonte par machines vient ajouter à sa perfection, par la régularité des coups de ciseaux et la répétition par rechange qu’on en fait. Cette manufacture, qui livre au commerce des draps superfins, du prix de 28 à 35 francs l’aune, a été la seule, pendant plusieurs années, qui, avec la précédente, ait employé les machines dont la classe ouvrière et même des fabricants refusaient de se servir, tant ils sont attachés à leur ancienne routine ».


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L’incendie de la manufacture Godard Archives municipales de Châteauroux Le 12 février 1818, un incendie consume les ateliers de la manufacture Godard. Cet incendie, comme celui de la manufacture du Parc en 1808, est sans doute criminel. Le jour même, le maire de Châteauroux évoque auprès du Préfet l’incendie qui s’est manifesté dans l’atelier.

Au premier avis du feu chez M. Godard, l’autorité s’est empressée de faire prévenir les trompettes et les tambours, les chefs des pompiers, la force armée, et les agents de police, elle s’est elle-même portée sur le lieu de l’incendie et elle a reconnu que le nombre des habitants était tel que ce n’est qu’avec beaucoup de peine qu’elle a pu empêcher la confusion et le désordre qui suivent ordinairement la trop grande affluence (...) MM Godard ont réuni leurs ouvriers et leurs fileuses, leur ont promis de ne les abandonner qu’à la dernière extrémité, distribuant entre eux l’ouvrage, le temps, le local et ce que leur ont prêté des confrères, de manière à conserver le plus longtemps possible à cette espèce de famille ouvrière le pain du travail. En attendant les effets d’une munificence qui puisse s’étendre jusqu’à susciter la restauration de l’établissement, Monseigneur le Duc de Berry, engagé par ses bienfaits précédents à des bienfaits nouveaux, a daigné envoyer un secours spécial aux ouvriers, et son auguste père a daigné faire exprimer sa haute satisfaction comme colonel général des gardes nationales aux sapeurs pompiers qui se sont distingués dans cette nuit fatale.


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L’incendie de la manufacture Godard À Châteauroux, l’incendie du 12 février 1818 est un fait divers qui se produit dans le grand courant de contestation du machinisme dans l’industrie du drap qui touche d’abord l’Angleterre au dix-huitième siècle. Le préfet de l’Indre, Anne-Félix Brochet de Vérigny en informe à son tour le 13 février le Ministre de l’Intérieur :

Monseigneur, un événement funeste vient de plonger la ville de Châteauroux dans la consternation. Un incendie qu’on hésite encore d’attribuer à la malveillance a éclaté le 12 de ce mois à deux heures et demie du matin, dans le bel atelier de filature mécanique, que dirigeait avec une rare intelligence, M. Godard manufacturier renommé de cette ville et président de son tribunal de commerce. Au premier cri d’alarme, je me suis rendu sur le lieu avec la compagnie départementale, les autorités civiles et militaires, les sapeurs pompiers, la gendarmerie s’y sont portés ainsi que les habitants avec le plus vif empressement. Mais déjà, les flammes animées par les huiles des lainages et la combustibilité des salles avaient déjà fait de tels progrès que, renonçant à les maîtriser, on a dû se borner à confiner leur ravage dans le seul édifice embrasé du sol au faite. Ce qu’il y avait de plus menaçant était l’encombrement des édifices voisins dont le rapprochement extrême laissait à peine place aux manœuvres de secours. Les toitures environnantes se couvraient incessamment de flammèches lancées, mais la hardiesse calme des pompiers, la bonne direction et la constance des secours ont contre toute attente préservé les habitations adjacentes et par suite le quartier le plus populeux de la ville. Il est difficile de borner à 50 000 écus la perte de M. Godard, en bâtiments, mécaniques, laines et draps, mais on peut répéter avec ces généreux manufacturiers si dignes de la bienveillance du gouvernement, ce qu’on leur entendait dire incessamment pendant la destruction de leur établissement : « Ce n’est pas tant sur nous que sur nos infortunés ouvriers que nous avons à gémir ». En effet, deux cents ouvriers assurés avant hier de leur substance se trouvent aujourd’hui sans ouvrage . Malgré le trouble des premières alarmes, le chef, le contremaître ont cru voir une fracture des bois de vitre du dehors au-dedans à la fenêtre du cabinet aux laines, foyer de l’incendie, pièce de rez-de-chaussée où jamais on ne pénètre avec de la lumière. Il faut d’ailleurs avouer que le peuple de cette ville qui cardait et filait beaucoup à la main regarde l’introduction des filatures mécaniques comme la cause unique de tout ce que la stagnation du commerce, le poids des événements et l’insuffisance des récoltes lui ont imposé de souffrance depuis deux ans et demi. Il n’a que trop montré cette aversion par les imprécations contre les établissements au voyage de Monseigneur le Duc d’Angoulême. Plusieurs personnes ont entendu dans la nuit de l’incendie des gens du peuple revenant du lieu de la scène en disant : « Au diable les mécaniques, faudrait qu’elles en eussent tout autant ». La police a constaté un souhait de cette nature exprimé par un cardeur du pays sur une manufacture voisine de celle qui se consumait. Enfin au premier moment même de l’incendie et devant que les sentinelles d’ordre et de conservation encore on a dérobé dans la salle de M. Godard, vingt-deux pièces d’argenterie.


La renaissance de la manufacture Godard Le duc de Berry accorde 1 000 Francs aux frères Godard pour « subvenir aux besoins des pauvres ouvriers » privés de travail en attendant la reconstruction des ateliers.

Le commissaire de Police à monsieur le Préfet 12 février 1818

«  Cependant je crois devoir vous donner connaissance qu’à la suite des recherches de la police, l’imprudence d’un ouvrier nommé Travouillat, cardeur, demeurant commune de Déols, a donné lieu à un procèsverbal qui constate que le malheureux a dit à un de ses camarades en passant devant la maison du sieur VollantBidron, fabricant rue de l’Indre : "Diable soit de tes mécaniques, il faudrait qu’il en soit arrivé autant dans cet endroit ici." L’autorité judiciaire en constatant l’incendie a constaté le vol de vingtdeux couverts d’argent, volés dans la maison .

Le Préfet au Ministre de l’Intérieur 17 février 1818 « Le

coup fatal porté à l’industrie même dans une ville qui substituait encore timidement le mécanisme à l’œuvre des mains. La malveillance trop visible en ce malheur échappe aux recherches, mais non pas aux soupçons de la justice. Il demande un secours individuel proportionné à la grandeur et aux conséquences de la perte. Une somme de 30 000 francs prêtée seulement à des hommes aussi rangés, aussi parfaitement exacts et renommés que Messieurs Godard suffirait à la réédification du bâtiment incendié voire même à l’introduction d’une machine à vapeur perfectionnée d’Edwards que ces habiles fabricants étaient au moment de substituer au manège détruit. Les frères Godard qui souhaitent acquérir une machine à vapeur se renseignent auprès d’un fabricant de Louviers propriétaire d’une machine Douglas et auprès d’un fabricant d’Elbeuf qui possède une machine Edwards. Toutes les deux fonctionnent au charbon et donnent toute satisfaction : elles sont économiques et produisent un tissage parfaitement régulier. Ils vont acquérir une machine de Douglas.

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La renaissance de la manufacture Godard Un document du 19 juillet 1819 nous renseigne en détail sur la reconstruction de la manufacture de draps de Godard père & fils de Châteauroux :

« Cet établissement qui a été créé par les sieurs Godard père et fils il y a 25 ans a été consumé par les flammes dans la nuit du 11 au 12 février 1818. Le bâtiment incendié avait 55 pieds de long sur 24 de large dans l’œuvre, un rez-de-chaussée, un premier, un second et de vastes greniers. Il contenait toutes les mécaniques qui avaient pour moteur un manège mu par des chevaux, plus les bélis et partie des métiers à filer en fin. Rien de tout cela n’a pu être retiré des flammes. Encouragés d’abord par Monsieur de Vérigny, Préfet du département ensuite par le Gouvernement, et voulant d’ailleurs continuer de se rendre utiles à la société et ne pas laisser sans travail les ouvriers qu’ils employaient, les sieurs Godard ont fait réédifier leur établissement et confectionner d’autres mécaniques. Le bâtiment qu’ils ont fait construire est absolument semblable à celui incendié. Il renferme toutes les mécaniques. Au lieu d’un manège, les sieurs Godard ont pour unique moteur une pompe à vapeur, de la force de huit à dix chevaux, qu’ils ont achetée en mai 1818 de M. Douglas, ingénieur mécanicien à Paris, laquellezw est placée dans un local construit à l’un des bouts du bâtiment où sont les mécaniques.

Cette pompe, qui est en activité depuis le 7 janvier 1819 et qui exige pour quatorze heures de travail par jour, une consommation de trois cents petits fagots du poids de cinq kilos chacun fait mouvoir le loup, les six carderies, les huit maillets à fouler les draps (ce foulon est le premier et peut être le seul en France qui soit activé par une pompe à vapeur ; la conception est des sieurs Godard), les deux lanneries, les douze tables à tondre, la frise. Lors de la tonte des brebis, les sieurs Godard achètent dans les foires et marchés du département de l’Indre les laines qui leur sont nécessaires et les font blanchir dans un ruisseau qui baigne leur habitation. Ils en emploient par an environ 20 000 kilos en blanc ce qui fait à peu près 50 000 kilos en suint. Au moyen de ce qu’ils font teindre les laines et fouler les draps dans leur établissement, les laines qui y entrent en suint n’en sortent plus qu’en draps ayant reçu tous leurs apprêts. Ces draps sont vendus par euxmêmes dans toutes les parties de la France. Ils occupent journellement de cent cinquante à cent quatre-vingts ouvriers internes ».


9 Archives départementales de l’Indre

Le métier à filer mule-jenny qui a contribué au développeent spectaculaire de la filature mécanique.

A. Ruban B. Bobine sur laquelle s'enroule le ruban étiré C. Cylindre étireur du ruban N. Ensemble du mécanisme pour filer et retordre le ruban.


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La renaissance de la manufacture Godard Godard obtient un prêt de 30 000 francs, mais il apprend qu’il devra 5% d’intérêt en plus. Il décide de refuser le prêt du Trésor Public.

«

Parce que n’ayant jamais eu recours à emprunt quelconque pour l’établissement et le progrès de la fabrique et de sa maison, il croirait altérer son crédit et la renommée de cette maison par un prêt à titre onéreux, qui au contraire en relevait infiniment la considération quand il n’avait que le caractère d’encouragement et de protection (...) L’édifice se relève en ce moment et je sais que les machines à vapeur qu’il m’importait tant de voir introduire dans la fabrique de cette ville sont commandées. J’ai donc satisfaction sous le rapport de l’intérêt de l’industrie et du travail populaire de cette ville, mais la profonde sensation produite par la munificence du Roi, cette confiance qu’il inspirait au commerce secouru, aidé si à propos, cette reconnaissance si essentielle à propager à la veille du rassemblement électoral, ces heureuses impressions dis-je vont s’effacer et se perdre plus fâcheusement que si elles n’eussent pas existé ».

En 1819, un rapport nous renseigne sur les manufactures Godard et Vollant-Bidron :

La manufacture de M. Godard un peu moins considérable que la précédente (la manufacture du Parc) attache à la finesse des tissus. Un rapport fait à la société d’encouragement constate qu’il a été reconnu par M. Ternaux que deux échantillons soumis l’année dernière à cette société par M. Godard sont équivalents aux qualités de Louviers, cotés à un prix dont la modération a surpris ce grand manufacturier. Quant aux perfectionnements introduits dans les moyens de fabrication de cet établissement, M. Godard avait consacré le prêt gratuit de 30 000 francs que lui avait accordé la généreuse bonté du roi à l’acquisition d’une machine à vapeur à double effet de Douglas qui chauffée au menu bois, fonctionne en ce moment avec une économie et une perfection admirables. Cette heureuse innovation donne chaque jour à son estimable auteur des résultats plus satisfaisants et serait de nature à être proposée pour exemple dans les pays qui réunissent à la fois des matières ouvrables et des bois sans débouchés. Plusieurs autres fabriques qui ne comptaient il y a peu d’années que quelques métiers commencent à devenir des ateliers considérables et à acquérir de l’importance. Les spéculations des propriétaires s’agrandissent tous les jours et les perfectionnements arrivent avec elles. Un de ces fabricants, M. Vollant-Bidron a récemment élevé sur les bords de l’Indre, une belle filature hydraulique à cours et tors mécaniques, d’après les modèles inventés par M. Bélanger de Rouen, où est en ce moment en marché pour introduire une presse hydraulique de Montgolfier pour la presse des draps de l’un de nos grands ateliers. En général, on peut assurer que la fabrique du lainage fait dans cette ville les progrès les plus satisfaisants…


La fin de l’industrie drapière rue de l’Indre D

ans son histoire de Châteauroux publiée en 1873, le docteur en médecine Victor Alban FauconneauDufresne écrit que le drap se vendait bien dans la Manche, le Limousin, l’Auvergne, Paris et surtout la Bretagne. Dans les années 1830, des difficultés apparaissent. Dans une pétition qui a recueilli quatre-vingts signatures, les fabricants de draps exposent au Préfet de l’Indre la fâcheuse position dans laquelle ils se trouvent, occasionnée par la stagnation des ventes. Il reste une soixantaine de tisserands en 1847, presque tous petits artisans bien incapables d’investir pour moderniser leur matériel et que la concurrence des très grandes entreprises condamne rapidement à la fermeture. En 1852, la manufacture Godard, Chambert et Cie est une des rares à investir encore, on le sait par une demande d’autoriser l’installation dans les dépendances de leur fabrique « d’une chaudière à vapeur destinée à faire mouvoir un mobilier industriel servant à la fabrication des draps ». Ces ateliers vont disparaître pour la plupart sous le Second Empire. L’activité des établissements Godard, Chambert et Cie cesse en 1857. Dans les années 1856-59, c’est peut-être cette baisse d’activité qui incite Louis Godard à louer des locaux à la ville de Châteauroux afin d’y aménager les ateliers provisoires de la manufacture impériale des tabacs. Les vastes locaux de la manufacture sont alors en construction route de La Châtre. En 1874, à propos des fabriques drapières, Fauconneau-Dufresne constate « qu’aujourd’hui, on peut dire qu’il n’y en a plus ».

La Cloche de la Manufacture : Bénie en 1781, installée dans la chapelle Saint-Sébastien de Grangeroux, acquise au 19ème par M. Godard puis revendue en 1862 à l’Administration des Tabacs de Châteauroux. Longtemps déposée dans la salle des mariages de la mairie de Déols, elle est depuis 2007 dans le clocher de l’abbaye... Sources : Didier Dubant / Robert Pasquiet « Pour la défense du Patrimoine de la Seita et sa pérennisation ».

Les maisons disparues des abords de la Petite-Echelle. Photo René Pécherat, vers 1960.

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Deux maisons construites en 1815 Recensement de 1836

L

a famille Godard était précédemment domiciliée rue des Ponts à la hauteur du n°16 actuel. François Godard père, son fils Louis, sa femme Marie-Louise Lemor décèdent dans la maison, les cinq enfants de Louis Godard y naissent, Auguste y décède en 1896 et Georgina en 1899. Louise, fille de Jean-Pierre Chabert et de Perpétue Godard y nait en 1844. Georges, fils de Léopold Barilleau et Marie Herminie Godard y nait en 1853. En 1836, date du 1er recensement il y a douze personnes au 65 rue de l’Indre, le couple Louis et Marie-Louise Godard, cinq enfants, l’employé Jean-Baptiste Marcel, Pierre Chambert et trois domestiques.

65 rue de l’Indre

Recensement de 1896

E

n 1896, il ne reste plus que trois personnes, les deux enfants célibataires de Louis à savoir Auguste et Georgina Godard et une domestique Marguerite Devilliers.


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Localisation des propriétés

Futures maisons Godard, construites en 1815.

Future manufacture de draps, reconstruite en 1819.

Propriétés Godard. Cadastre de 1825. Archives municipales de Châteauroux.

Cadastre de 2000.

Extraits du plan Crochet de 1784. Archives nationales de France.

Du moulin de Vindoux à son déversoir en 1837. Archives municipales de Châteauroux.


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La manufacture et son architecture, 20 rue des Ponts Pour des raisons de sécurité, l’escalier est dans une cage indépendante appuyée contre le corps principal de l’ancienne manufacture. Il a gardé ses menuiseries d’origine.

A

u fond de la cour, le grand bâtiment sur trois niveaux et à toit à quatre pans est celui reconstruit à l’identique par les frères Godard suite à l’incendie de février 1818 pour les besoins de la manufacture en pleine expansion. « Le bâtiment incendié avait 55 pieds de long sur 24 de large dans l’œuvre, un rez-de-chaussée, un premier, un second et de vastes greniers... /… Le bâtiment qu’ils ont fait construire est absolument semblable à celui incendié » lit-on dans un document du 19 juillet 1819.

Enclavé en cœur d’îlot, il était accessible par l’actuel 80 bis de la rue de l’Indre et après franchissement du ruisseau de la Font-Charles par un terrain qui communiquait avec une cour longeant ledit bâtiment. Deux entreprises de déménagement se sont succédées au vingtième siècle sur le site qui ont contribué à la conservation de l’ancienne manufacture à étage. Devenue le garde-meuble de l’entreprise Mesnager installée ici depuis les années 1930, cette construction a gardé de belles proportions malgré la modernisation de sa façade et les constructions qui la masquent en partie.

L’essentiel de l’ancienne structure est toujours bien reconnaissable. Au rez-de-chaussée à gauche se trouve l’emplacement d’une ancienne écurie, témoignage de l’époque où les déménagements se font avec des voitures hippomobiles. Une rangée de trois poteaux avec potences renforce les poutres.


Aux étages, les planchers d’origine fixés par des clous forgés sont toujours en place. Les espaces sont compartimentés par des cloisons de bois modernes. Au grenier, un coffrage cache la charpente. Seules apparaissent les parties basses des fermes qui s’appuient sur les poutres et les murs.

Les menuiseries, portes et encadrements et certains éléments de serrurerie sont d’origine. Les encadrements de fenêtres aujourd’hui cimentés ne permettent pas de savoir si elles ont gardé leurs dimensions initiales.

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La manufacture et son architecture, 20 rue des Ponts Au début des années 1850, Louis Godard est âgé de 70 ans, il est associé avec son gendre Jean-Pierre Chambert. Les affaires de la manufacture vont moins bien, il pense à passer la main. Il décède le 8 juin 1856 dans sa maison du 65 rue de l’Indre. C’est sans doute à cette époque qu’il souhaite mettre en location les locaux de l’entreprise situés sur la rue des Ponts et ceux construits sur la parcelle en profondeur, dont le grand bâtiment de la manufacture en fond de parcelle. Le plan non daté qu’il fait faire à cette époque (ADI J 1554) montre aussi la coupe des constructions à étages. Le bâtiment du garde-meuble actuel est bien reconnaissable dans le bâtiment A du plan. En voici la description : Bâtiment à deux étages. Rez-de-chaussée dallé en pierres de pays, planchers en chêne sur poutre apparente, mansarde au-dessus avec plafond en bois blanc au-dessus des entraits et en terre sur les côtés. Ce bâtiment est en assez bon état avec charpente en pavillon couverte en tuiles et escalier extérieur en appentis. L’aire de cet escalier est en pavés debout. Les autres constructions signalées sur le plan sont aujourd’hui détruites ou ont été très transformées.

Près de l’usine, les écuries et les salles des machines à vapeur.


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Rez-de-chaussée du bâtiment A.

Plan des premier et second étage du bâtiment A.


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L’architecture des maisons, 63 bis & 65 rue de l’Indre

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es maisons 63 bis et 65 rue de l’Indre furent construites par les manufacturiers Godard père et fils sur un terrain acquis à la famille Veillat-Degalle. Les deux maisons communiquent entre elles de l’intérieur et à l’arrière sur cours. Au 65, la maison porte la date de 1815 et l’inscription Rue de l’Indre sur une pierre de chaînage d’angle. Ces maisons sont remarquables par leur cage d’escalier, leurs lambris dissimulant de grands placards, les cheminées et leur plaque, les trumeaux ornés de motifs allégoriques et de moulures finement décorées caractéristiques du style Empire.


Eléments de décoration / Bas-relief des cheminées

Amour pleurant d’avoir brisé son arc.

Cheminée en marbre blanc style Louis XV, au 63 bis vers 1900.

Enfant nu se réchauffant devant un feu de bois. Amours se réchauffant autour d’un feu de bois.

Amours atellant un lion.

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Eléments de décoration / Trumeaux du 63 bis

Tête dans une couronne avec décor de palmettes.

Pilastres latéraux. Motif détaché de vase et rinceaux.

Vase antique / Lion et amour au luth / Lion et amour à l’archer. Pilastres et roses. Enfant au lion / Femme Cerès avec corne d’abondance. Guirlandes, rubans, rosaces et arabesques.

Niche. Arc mouluré et pilastres.


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Eléments de décoration / Trumeaux du 65

Amour au flambeau. Taureau couronné de fleurs. Déesse Io.

Tête de faune.

Femme et satyre. Corbeille d’abondance.

Enfant conduisant un char et fouettant deux griffons ailés.

Cérès avec corne d’abondance. Enfant au lion.


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Elément architecturaux du 63 bis

Au fond de la cour, dans le rempart, est creusée une petite cave.

Imposte de porte donnant sur cour. Plafond de la cage d’escalier.


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Elément architecturaux du 65

Vues de la cage d’escalier.

Imposte de porte donnant sur cour.

Plan du rez-de-chaussée. Echelle 1/200e. Façade sur cour. Lucarne et poulie.


La cour adossée au rempart présente une amorce de passage muré au fond, s’enfonçant dans le rempart. Une belle galerie extérieure en bois le long du mur sur cour relie le premier étage à un jardin en terrasse.

Sources documentaires Archives nationales de France Archives départementales de l’Indre Archives municipales de Châteauroux Collections particulières Textes & photographies Pierre REMÉRAND Jean-Louis CIRÈS Dessin de Pierre Hémery, vers 1974.

Mise en page William ÉTIÈVE Conception graphique MEMORIZZ / 15 septembre 2017


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