INSTABLE INDUSTRIE

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Aura de la monumentalité et spectacle de l’instabilité, Barre-Thomas : une architecture mutante ENSA Paris-Malaquais 2013-2014 / Département THP / Xavier Seurre Dominique Rouillard & Gilles Delalex Enseignants référents Carlotta Darò Responsable R10


What is objectionable is the staggering conceit and arrogance of those who determine just what part of our built environment should be deemed sacrosanct

« Ce qui est répréhensible, c’est l’extrême arrogance et la vanité de ceux qui déterminent quelle partie de notre environnement construit devrait être considérée sacro-sainte... » ▲ fig. 1 : PRICE, Cedric. The Built Environment The Case against Conservation (1981)


Sommaire

Introduction Processus de destructuration La Barre-Thomas : un nom propre

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I.

Une approche sur-urbaine L’ambiguïté du paysage industriel Paysage et dialectique Devenir-parc

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II.

Mémoire(s) et architecture Des enjeux contradictoires Patrimonialisation Démolition Temporalité(s) Traces et programmes

24 24 30 34 34 36

III. Instabilité programmatique et flexibilité formelle Condensateur social Stratégies spatiales et temporelles Congestion métropolitaine

40 40 42 46

IV.

Métamorphose ouverte Décroissance et opportunités Exploitation du vide Appropriations différenciées

52 52 54 56

V.

Vocations Valeurs et sens du lieu

60 60

Conclusion Projet et conflits

66 66

Bibliographie thématique

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笆イ fig. 2 : CITROテ起. Citroテォn en Bretagne : graphique de production (Rennes, 1972)


Introduction

Processus de déstructuration Pour les 900 salariés de la Barre-Thomas, ce sera Pôle emploi, ou un musée à construire sur les ruines du secteur automobile du bassin rennais1.

Ce que nous dit la friche industrielle, c’est d’abord qu’on ne peut plus perpétuer le monde ouvrier. C’est une conséquence spatiale, architecturale et urbaine qui met en lumière la crise financière de 2007 autant que le délitement progressif de certains territoires industriels et de bassins d’emplois entiers. Elle révèle également le puissant mouvement sous-jacent de désindustrialisation que subit le pays depuis plus de 40 ans, avec ses effets nocifs sur l’emploi, et donc sur l’économie. Au XXIème siècle, le défi des architectes et des urbanistes n’est pas tellement de réparer l’existant ou de le fantasmer, mais de s’adapter de façon cohérente, systématique, à une série de phénomènes aussi bien socio-techniques que spatiaux ou économiques, voire d’inventer des systèmes qui représentent et anticipent le changement même de la société ou au moins lui permettent de se réaliser pleinement. Par conséquent, si la crise s’appréhende comme un processus de déstructurationrestructuration d’un système au cours duquel la dynamique de la déstructuration l’emporte sur celle de la restructuration, alors la friche industrielle comme conséquence de la crise incarne cette prédominance de la déstructuration. N’est-il pas alors possible d’exploiter les opportunités de cette dernière ? Historique et symbolique, cet accident, qui est celui de la chute, est symptomatique d’un changement dans l’histoire du monde : le passage d’une société fondée sur le mythe de l’ascension - avec l’avion, la conquête de l’espace - à celle hantée par la possibilité de la chute2.

1 CFTC in « Cooper Standard : les réactions suite à l’interrogation sur l’avenir » in ouestfrance-entreprises, 31 janvier 2014. Disponible sur entreprises.ouest-france.fr (page consultée le 20 mars 2014). 2 VIRILIO, Paul. Ce qui arrive : livret d’exposition. op.cit., p. 5.

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▲ fig. 3 à 8 : CITROËN. Citroën en Bretagne : photographies historiques (Rennes, 1972)


Si Cedric Price percevait l’incertitude comme un délice dans l’inconnu, elle constitue aujourd’hui une donnée de la société contemporaine. Or, l’incertitude est possibilité. Il faut alors voir le défunt objet industriel non pas comme une relique mais comme un instrument de lutte et un outil d’émancipation : la preuve qu’un futur existe. La Barre-Thomas : un nom propre Quand il faudra réhabiliter toutes ces saloperies qu’on nous met à l’entrée des villes, et les Cuir Center, et les Carrefour, et les Cora, et les stations de lavage et autres. Ou on va les détruire, donc on fera pareil. Mais il y a un mec comme moi, qui dira peut-être dans 50 ans : « Non, c’est l’histoire : un Cuir Center, mes parents on acheté leur banquette là. Moi, je veux le sauver ! » Et donc peut-être qu’à ce moment là, on fera les écoles là-dedans, les hôpitaux, les logements sociaux et ainsi de suite. Donc moi je ne suis pas du tout inquiet. Maintenant écoutez, on va pas faire de toutes les usines un musée, de toutes les piscines un musée. Donc ça va se calmer, et on fera du logement social, on fera des écoles, on fera du commerce, et on refera peut-être même de l’industrie !3

Ayant joué un rôle essentiel dans la constitution de la métropole rennaise - notamment en contribuant à l’absorption de l’exode rural breton - et l’un des acteurs économiques majeurs de la région, l’usine de la Barre-Thomas est en outre le plus grand bâtiment de la ville. Elle incarne également les prémices d’une politique de décentralisation en province lorsque Citroën décide de décongestionner les usines de Clichy et Levallois pour fonder, sur d’anciens terrains militaires, la Z.I. Ouest de Rennes qui sera la première zone industrielle hors Île-de-France. Historiquement, c’est le caractère bon marché et calme (i.e. docile et peu revendicatif) de la main d’œuvre bretonne qui explique cette délocalisation. Le site, qui comprend 25 hectares au total dont 9 hectares de bâti (l’usine principale comprend 6,5 hectares d’ateliers), occupe une place particulièrement stratégique dans l’urbain : il est 3 BOUCHAIN, Patrick in CHAVANON, Claude-Pierre. L’esprit des friches, op.cit., de 49mn42 à 50mn20.

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▲ fig. 9 : L’Humanité (01/03/2010)


pour ainsi dire quasiment en ville. Mais, victime de la crise, de l’essoufflement de certains modèles et d’un surdimensionnement de sa capacité de production, l’usine enchaîne depuis une dizaine d’années plans de restructuration, reventes et changements de propriétaires. En une dizaine d’années, son effectif est passé de 3.000 employés à moins de 900. Finalement, la Barre-Thomas va être délocalisée et mutualisée avec l’usine de Vitré sur un nouveau site à Domagné. Le terrain historique sera ainsi vendu en 2015 à la ville de Rennes pour 21,6 millions d’euros. Le scénario probable, et qui se confirme déjà, est la démolition suivie de l’achat progressif du terrain par des promoteurs immobiliers privés pour construire du tertiaire. Or, n’est-ce pas une opportunité de se poser la question de la présence de ce site dans la ville ? En effet, même si tout le monde connaît Citroën pour ses pratiques antisyndicales, un certain paternalisme social et la culture du silence, on ne peut pas nier le rôle symbolique et social de l’usine : elle a marqué l’histoire industrielle de Rennes et son monde ouvrier, et à ce titre a acquis une véritable légitimité. Dans le prolongement des propos précédemment cités de Patrick Bouchain, ce n’est pas l’attrait esthétique ou tout autre fétichisme patrimonial qui doit guider en premier la considération d’une architecture en déshérence, mais bel et bien son nom, sa renommée (même si elle est connotée), son pouvoir évocateur et sa qualité de lieu dans la ville. Audelà du nom des entreprises qui s’y sont succédées, c’est le nom originel du lieu-dit, la Barre-Thomas, qui est resté la dénomination de référence du lieu pour les habitants de Rennes et de sa banlieue. En fait, ce qui va permettre de faire projet, c’est l’opportunité urbaine que le site représente. En effet, si en soi l’usine ne présente que peu d’intérêt esthétique ou patrimonial, sa morphologie ainsi que ses proportions font d’elle - au-delà du symbole - une architecture tout à fait exceptionnelle de flexibilité. Vidée, elle est capable d’accueillir n’importe quelle variété de programmes, eu égard à son énorme volume intérieur. Où il n’y a rien, tout est possible. Où il y a architecture, rien d’autre n’est possible4. 4 KOOLHAAS, Rem in HIS, Ghislain. « Tschumi vs Koolhaas. La Villette comme champs d’expérimentation disciplinaire ». op.cit., p. 240.

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笆イ fig. 10 : CITROテ起. Citrテカen en Bretagne : plan de situation (Rennes, 1972)


Une approche sur-urbaine

L’ambiguïté du paysage industriel Déformé sans doute par une littérature paupériste, confondant ainsi intellectuellement en une image unique habitations et manufactures de la première révolution industrielle, donc plein de suspicions vis-à-vis de l'usine et prêt à la charger de tous les maux, l'urbanisme avait misé sur une politique simpliste toujours pesante en ses effets ; envoyons donc ces fumées, ces puanteurs, ces bruits à la lointaine périphérie de nos villes, créons un ghetto et nommons-le « zone industrielle ». Et l'urbanisme crut que cela était bon. La formule brutale et terriblement efficace permettait de répondre à la fois aux besoins les plus criants des utilisateurs et de satisfaire facilement les objectifs politico-économiques des municipalités. Heureusement les terrains pourris, les anciennes décharges se trouvaient à foison. Et c'est sur ces sites sans caractère, quadrillés d'une voirie indigente dite de desserte, plantés en tout et pour tout de pylônes en ferraille que devaient s'implanter les industries. (...) Les architectes ne levèrent point leur crayon sur cet urbanisme ectoplasmique, et c'est ainsi que, dans une période historique incroyablement courte, les périphéries urbaines furent, dans l'indifférence générale, défigurées au nom d'un droit légitime à l'expansion économique mais mal analysé par les hommes de l'art. Il appartiendra un jour prochain à l'urbanisme d'apporter des solutions de revalorisation pour ces milliers d'hectares, (...). S'il ne veut pas avoir le triste privilège d'avoir inventé un nouveau zoning, la ZME, zone mouroir d'entreprises1.

Si l’on observe attentivement le plan de l’agglomération rennaise, on réalise que les 147 hectares de la zone industrielle ouest - antérieurs à la rocade - représentent l’unique entorse à la densification urbaine entretenue par le concept de ville archipel. Ce dernier, considérant la ville comme une île entourée d’un océan de nature et de terres agricoles à préserver - communément appelé ceinture verte -, vise à freiner 1 MOTTE, Gaëtan. « Les villages d’activités : une critique des outils de l’urbanisme » in Lieux ? de travail. op.cit., p. 95.

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▲ fig. 11 : Vue aérienne oblique extraite du service de cartographie bing Maps fig. 12 : GUILLOU, Louis. Cooper Standard Rennes (2013)


l’étalement urbain. Au sein de cette structure, la rocade et la ceinture verte forment ensemble un écosystème qui détermine la limite de l’extension urbaine : une sorte de rempart entre des conditions urbaines intérieures et extérieures parfois contraires. En empêchant ainsi les extensions des villes périphériques de rejoindre le cœur urbain, on accroît, depuis les routes qui convergent, la perception de la monumentalité de la ville où la rocade apparaît comme un élément paysager hybride : naturel et synthétique, de bocage et d’asphalte. Dans ce contexte, la ZI constitue moins l’extrémité de Rennes qu’une portion de tissu urbain transpercée par une bretelle d’échangeur de la rocade. Il faut donc cesser de voir la zone industrielle ouest comme un site périurbain et la rocade comme barrière insurmontable. D’ailleurs, cette terminologie est dangereuse en ce sens qu’elle implique presque toujours la référence à un centre, invalidant ainsi toute chance de mettre en place une véritable stratégie urbaine. De plus, s’opposer à cette distinction va dans le sens du caractère multipolaire de l’agglomération. C’est en oubliant les notions de centre et de hiérarchie que l’on peut envisager de générer de l’urbain. Au sein de l’écosystème ainsi constitué, la zone industrielle commence, soudée autour de l’échangeur entre la pénétrante et la rocade perchée en haut de talus, avec pour pierre angulaire l’immense linéaire de façade de l’ancienne usine Citroën de la Barre-Thomas. Celle-ci, par sa morphologie prégnante et la longue répétition de ses sheds, confère un caractère tout à fait cinétique à l’entrée de ville. Malheureusement, les bâtiments fonctionnels constituent un ensemble peu esthétique, car la Chambre de Commerce n’a édicté aucune servitude concernant l’alignement, la forme des bâtiments, les matériaux à employer. Les désirs de rapidité et d’économie l’ont aussi emporté sur les autres considérations : les toits en isorel, en tôle ondulée, les sheds sont très nombreux, les murs préfabriqués, placés ou non sur un soubassement en dur. (...) La boue, l’absence de verdure, le manque d’animation des rues en font une banlieue morne2.

2 GRANIER, Henriette. « La zone industrielle de la route de Lorient, à Rennes » in Norois, op.cit., p. 206.

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â–˛ fig. 13 : WALL, Alex & OMA. Parc de la Villette (Paris, 1982)


Pourtant, dans ce contexte particulier, cette suburbia intérieure3 - limitée au sud par la Vilaine et traversée par la Route de Lorient s‘étirant avec une mise en scène délibérément routière - apparaît avec la rocade comme le point névralgique d’une connexion paysagère exceptionnelle possible entre urbain et bocages. En frappant et/ou menaçant de plein fouet le repère de ce territoire qu’est l’écrasante citadelle de la Barre-Thomas, la crise de l’industrie permet d’inventer un regard et de faire émerger un sentiment patrimonial. C’est ce contexte de crise qui fait entrer en paysage le territoire industriel, au-delà de l’artefact, dans toute sa complexité et son étendue. Ce processus de mise en paysage met en lumière le rôle essentiel du regard potentiellement prospectif pour se faire projet : Les regards de l’ouvrier et de l’industriel sont comparables à ceux du propriétaire terrien et du paysan sur son exploitation. La connaissance et la pratique approfondie du territoire ne sont pas de l’ordre du paysage. Le concept de « paysage industriel » ne vient pas de ceux qui en ont construit le territoire. Il faudra que des regards extérieurs, venus de la ville, se posent sur ces territoires avec des critères étrangers pour qu’une transfiguration du territoire en paysage, « invention de citadins », s’exprime4.

Le site de la Barre-Thomas incarne parfaitement ce rapport dans lequel la matière n’est pas nécessairement végétale, l’homme s’impose à la nature de manière plus dominante encore, et la modernité se substitue toujours plus au sentiment naturaliste. Des bocages et du fleuve à la gigantesque usine cernée par une rocade en section à six-voies, du stade au grand centre commercial, jusqu’aux pylônes haute tension, on peut considérer les composants de ce site monofonctionnel particulièrement contraint comme éléments de nature, du plus naturel au plus synthétique. Encore une fois, l’élément rocade explicite bien ce propos. Tout comme la nature, elle a ses rythmes et la variabilité de ses flux routiers vient générer une forte disparité d’effets. Inversement, on peut dire que la présence du 3 MAROT, Sébastien. « Sub-urbanisme / sur-urbanisme : de Central Park à La Villette », op.cit., p. 306. 4 MONS, Dominique et KOVAL, Serge. « Éloge de la crise : paysages industriels, enjeu d’aménagement », op.cit., p. 119.

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â–˛ fig. 14 : SMITHSON, Robert. Asphalt Rundown (Rome, 1969) fig. 15 : SITE. Ghost Parking Lot (Hamden, 1978)


linéaire des sheds répétés de la Barre-Thomas a une incidence sur la manière dont la zone industrielle est perçue depuis les voies routières, depuis l’entrée de ville. Paysage et dialectique L’œil de l’appareil photo remet en question la notion du parc comme entité statique. La photo a la brutalité d’un instant arraché au cours de la croissance et de l’élaboration continue du parc ; elle indique une coupure dans une continuité qui contribue à renforcer l’impression de transformation, au lieu de donner celle d’une formation isolée dans le temps. Cette photographie nous indique que le développement de la nature se fonde sur la dialectique et non sur la métaphysique5.

C’est par l’examen des photographies des terres mises de côté pour devenir plus tard Central Park, que Smithson met en exergue la malléabilité de la nature qui est continuellement mise en scène, sollicitée, et non pas seulement contemplée. Il montre ainsi que la nature n’existe que comme processus dialectique. Ce que Chemetoff complétera ainsi : (...) dans le rapport, l’équilibre qui s’installe entre les moyens de la transformation, le site existant, la nécessité du changement et le résultat. Ce qui me semble être novateur dans l’art des jardins c’est précisément le rapport entre le projet et l’état des lieux. (...) le jardin est constitué de la mémoire des moments de sa fabrication6.

Si le paysage peut être industriel, alors la zone industrielle, au même titre que la nature, existe comme processus dialectique, comme le parc. Elle doit donc assumer son glissement irréversible caractéristique, que Smithson appelle entropie, et qu’il explorera à travers notamment ses Land Reclamation Projects. Dans ces derniers, sans se reposer sur une image idéalisée du paysage parce qu’il ne souhaite pas dissimuler 5 SMITHSON, Robert. « Frederick Law Olmsted and the Dialectical Landscape » in Artforum, février 1973, p. 64. 6 CHEMETOFF, Alexandre. Le jardin des bambous au parc de la Villette. Paris : Hazan, 1997, p. 6.

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▲ fig. 16 : YOKOYAMA, Yuîchi. Jardin (2009)


les traces de l’exploitation de la nature, Smithson rend disponibles à l’expérience esthétique des paysages post-industriels abimés et délaissés par l’exploitation minière à ciel ouvert. En approfondissant ce thème par le moyen du roman graphique, Yuîchi Yokoyama réalise avec Jardin la co-acclimatation de la nature et de l’ingénierie, soulignant ainsi leur relation dialectique Par une brèche dans un mur, une foule de plusieurs centaines de personnes pénètre dans le « jardin » et découvre peu à peu ce vaste territoire interdit constitué d’une succession de paysages artificiels animés de mouvements automatisés. Le « jardin » est un décor désert, habité uniquement de dispositifs mécaniques, de cliquetis, de chocs et de grincements, un lieu sans orientation ni logique qui paraît généré au fur et à mesure de la curiosité qu’il suscite. Un lieu probablement sans fin, voué à l’inouï, à l’extraordinaire, à l’invention…7

Dans le jardin, les hommes-visiteurs ont bien moins de présence que les machines. Ils viennent en fin de narration pour y apporter la touche finale et conforter ce qui vient de se réaliser. De cette manière, l’auteur, architecte du jardin, transmet ses émotions non pas par le biais de ses personnages ou de leurs actions, mais à travers la mise en scène de grands ensembles synthétiques sans cesse changeants. En tant qu’artefacts, ces méta-paysages, servis par toute une machinerie cachée, ne laissent guère de place à la nature traditionnelle afin de souligner la pureté du sujet représenté à l’intérieur du cadre de l’image et de sa mise en séquence. Le basculement s’opère alors parce que - comme l’auteur l’explique - la nature est considérée telle une entité froide où seul l’ajout de choses artificielles - collections d’artefacts, d’ersatz, de trompel’œil - insuffle un sentiment de vie en formant ce paysage machinique. De leur côté, les personnages sans psychologie, insérés dans le récit et le jardin, ne cessent de verbaliser ce qu’ils observent. Par un habile décalage entre discours, regard et lecture du paysage, la confusion s’installe en superposant, 7 Synopsis de l’ouvrage Jardin de Yuîchi Yokoyama tel qu’il apparaît sur le site de son édition française matiere.org (page consultée le 15 avril 2014)

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â–˛ fig. 17 : WADDINGTON, Conrad Hal. Epigenetic Landscape (1953)


sur plusieurs niveaux de lecture, diégèse (le fait de raconter les choses) et mimèsis (le fait de montrer les choses soit par la simple imitation de la nature soit par sa stylisation) pour élever le processus dialectique à un niveau politique. Devenir-parc La fin de l’activité industrielle sur un site ouvre l’hypothèse de son basculement comme réserve foncière. Le constat de l’inutilité pour l’entreprise de cette tenue en réserve propose une disponibilité foncière. Que, pour ce territoire à céder, il n’y ait pas d’acquéreur possible, introduit cette fin de l’avenir que manifeste l’état de friche. L’inversion est brutale : ce sol que l’entreprise avait en quelque sorte soustrait à l’extension sociale et urbaine se reproduit comme territoire de l’absolu disponible, renouvelle son altérité comme absolu inutile. La friche industrielle est d’abord l’absence d’une possibilité de valeur8.

Sans valeur, au-delà de l’aspect historique et symbolique, le site de la Barre-Thomas est physiquement neutre. Seules l’usine, l’infrastructure de la rocade, de la ligne de chemin de fer et de la route nationale (qui est une redite du fleuve) donnent une orientation. Alors, les facteurs qui ont un effet sur le développement du site sont à trouver, un peu à la manière de l’illustration ci-contre : le paysage épigénétique, selon Waddington, montre l’effet non-linéaire des gènes sur le développement des êtres vivants. L’interaction complexe de beaucoup de gènes (les fils) crée un paysage de possibilités (la topographie) dont les effets concrets seront seulement décidés au fil du temps (le trajet de la balle). Ainsi, sans simplement révéler la machinerie suburbaine existante en la rendant accessible, le parc est surtout l’occasion d’installer sur le site une nouvelle machinerie programmatique, ce qui le rend sur-urbain. C’est-à-dire qu’il devient une démarche de projet qui s’applique littéralement à produire ou à inventer le site à partir de la lecture, de l’analyse et de la manipulation du programme. 8 NOVIANT, Patrick. « La gestion du rien : à propos des friches industrielles » in Lieux ? de travail. op.cit., p. 112.

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â–˛ fig. 18 : PRICE, Cedric. price cuts : the art of memory (2003)


Mémoire(s) et architecture Des enjeux contradictoires

Le passé est marqué d’un indice secret, qui le renvoie à la rédemption. (...) S’il en est ainsi, alors il existe un rendez-vous tacite entre les générations passées et la nôtre. (...) À nous, comme à chaque génération précédente, fut accordée une faible force messianique sur laquelle le passé fait valoir une prétention. (...), que rien de ce qui eut jamais lieu n’est perdu pour l’histoire. (...) La lutte des classes, (...) est une lutte pour ces choses brutes et matérielles sans lesquelles il n’en est point de raffinées ni de spirituelles. (...) Comme confiance, courage, humour, ruse, fermeté inébranlable, elles prennent une part vivante à la lutte et agissent rétrospectivement dans les profondeurs du temps. Elles remettront toujours en question chaque nouvelle victoire des maîtres. (...) L’image vraie du passé passe en un éclair. On ne peut retenir le passé que dans une image qui surgit et s’évanouit pour toujours à l’instant même où elle s’offre à la connaissance. (...) Faire œuvre d’historien ne signifie pas savoir « comment les choses se sont réellement passées ». Cela signifie s’emparer d’un souvenir, tel qu’il surgit à l’instant du danger. (...) Le don d’attiser dans le passé l’étincelle de l’espérance n’appartient qu’à l’historiographe intimement persuadé que, si l’ennemi triomphe, même les morts ne seront pas en sûreté1.

La fermeture d’une usine, et spécialement quand elle incarne une bassin d’emploi depuis longtemps établi, correspond exactement à l’instant du danger dont parle Walter Benjamin. C’est pour cela que le paysage industriel, en ce qu’il est visibilité provocante des symptômes de la crise, implique le politique et les forces sociales. Mais bien souvent, en s’emparant du marché des friches industrielles, architectes et urbanistes, en les destinant essentiellement aux loisirs, se bornent à reproduire les vieilles coupures fonctionnelles et contribuent ainsi à reléguer l’activité industrielle au rang de vieillerie, sans lien avec la ville. Dans ce contexte, 1 431.

BENJAMIN, Walter. « Sur le concept d’histoire ». op.cit., pp. 427-

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▲ fig. 19 : MVRDV/AA Feraru. Forêt MLM (Montceau-les Mines, 2004-2007) fig. 20 : SITE. Best forest building (Richmond, 1980)


le projet de réhabilitation de friche industrielle incarne fréquemment la mise en place d’une nouvelle relation entre les formes héritées et les attentes actuelles de la société. Ainsi, l’optimisme l’emporte sur le fatalisme des premiers instants qui, dans le cas présent, est la fin d’une aventure humaine : le monde ouvrier. On trouve dans les reconversions de friches industrielles deux enjeux qui peuvent paraître antagonistes : la préservation de la mémoire et la demande actuelle de loisir. On peut se demander si l’utilisation systématique d’expressions comme « patrimoine industriel », « friche industrielle », « mémoire sociale » n’a pas conduit à une banalisation de ces termes, devenant des expressionsconcepts toutes faites, servant uniquement à valoriser les projets. Ceux-ci se caractériseraient alors par une utilisation de signes fabriqués sensés évoquer le passé industriel. Ils ne seraient que des citations littérales, alibis permettant de faire accepter des projets qui sousentendent avant tout des enjeux économiques importants !2

Car c’est le principal leurre des lieux de mémoire : faire comme si. Les musées en plein air, les écomusées et autres sentiers didactiques industriels s’apparentent plus à des parcs d’attraction, des fictions du tout ludique que l’on peut arpenter pour se distraire et pour s’instruire. Tout est arrangé, mais cela reste feint. Ainsi, la réhabilitation, telle qu’elle fonctionne dans le cas des héritages industriels, porte globalement sur l’idée de dévoiement, d’aseptisation de la mémoire ouvrière, dans une logique d’esthétisation des rapports de l’homme à la machine : une métamorphose cathartique, comme la désigne Pierre Jeudy, et qui peut conduire à la transfiguration des lieux (par un investissement des institutions culturelles par exemple) et à l’effacement de la mémoire douloureuse. Le discours de légitimation patrimoniale repose d’ailleurs bien souvent sur la mémoire des sites, des matériels, des techniques : une mémoire qui s’inscrit dans l’espace plutôt que sur la mémoire sociale et spécifiquement ouvrière. Cela présente le 2 HARACHE, Sophie. La mémoire sociale, à l’épreuve de la reconversion : île Seguin, de l’industrie automobile à l’industrie de la reconversion. op.cit., résumé du mémoire tel qu’il apparaît sur le site archires.archi.fr. (page consultée le 12 mars 2014).

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▲ fig. 21 : Maquette du Campus Martius montrant le théâtre de Pompée au centre fig. 22 : MATTA-CLARK, Gordon. Bingo (Niagara Falls, 1974)


risque d’aller vers la conservation de symboles neutralisés et vidés de leur substance, faisant ainsi écran à une véritable construction mémorielle. D’autant que dans la mise en mémoire des espaces usiniers, il y a une opposition entre, d’une part, des formes patrimoniales, des monuments associés aux mémoires officielles, aux puissants et à l’idée de domination et, d’autre part, des traces pouvant être réinvesties et qui sont plus à même d’évoquer le monde ouvrier. Rappelons que le monument, ainsi que le dénommaient les romains, est un édifice destiné à conserver la mémoire d’un donateur bien au-delà de sa mort, à l’image du théâtre de Pompée. Les notions de mémoire et de domination sont donc intrinsèquement liées à celle du monument. Cette question est essentielle dans le sens où tout bâtiment est une manifestation de puissance. En occupant l’espace et en lui conférant la signification de son choix, le constructeur domine l’espace et ses signifiés. Ainsi, les espaces et les lieux crées par l’homme sont des témoignages de suprématie inscrits dans la matière. (...) les façades racontent une double histoire : celle d’une certaine façon de produire le mépris des travailleurs et une grande indifférence pour le site. Faut-il aujourd’hui admirer cette histoire ? La forteresse ouvrière se résume en une propriété privée, jalousement gardée par un patron de droit divin, un sing-sing pour les prolétaires que l’on voudrait maintenant transformer en loft pour les nantis. Si les ruines et les abandons émeuvent, les réhabilitations mentent. L’enveloppe conservée offrira, une fois réinvestie, une image aussi heureuse que trompeuse des conditions de travail qui ont condamné le XXème siècle3. Cette citation fait écho au travail de Gordon Matta-Clarke qui, en fragmentant, stratifiant, de manière sémantique et archéologique des contradictions d’architecture en couches multiples de significations, se fait le porte-parole d’une mémoire. Non pas celle conventionnelle du monument traditionnel, mais celle subversive qu’évoque Walter Benjamin. Celle qui a été 3 CRIBIER, Pascal et ECOUTIN, Patrick. « À se focaliser sur la conservation de l’île Seguin, ode aux bâtiments carcéraux, on oublie les projets alentour, dignes des ubuesques échangeurs du pont de Sèvres. Oubliez l’île relique, regardez autour ! » publié le 19 août 1999 dans le quotidien Libération.

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▲ fig. 23 : FANTHOMME, Hubert. L’île vue du ciel (2005)


cachée derrière des façades architecturales et sociales et leur faux-semblant de totalité : une mémoire critique, ouverte sur le présent et sur un avenir de résistance et d’émancipation. Ces considérations permettent avant tout de questionner la pertinence de la conservation des héritages industriels du point de vue de la fidélité mémorielle : patrimonialiser les édifices industriels, n’est-ce pas risquer de figer la mémoire ouvrière ? Car enfin, si la culture ouvrière n’est pas une culture patrimoniale, alors l’esprit des lieux est plus important que la matérialité des lieux. En d’autres termes, on ne peut se singulariser par la possession : il faut davantage développer une identité à travers ce qu’on fait au site, au lieu de ce qu’on sait de lui. Patrimonialisation Ce n’est pas la lente et constante transformation de l’environnement, mais celle qui est abrupte, ou au contraire insidieuse ; c’est le changement qui provoque un sentiment d’impuissance ; ce n’est pas la perte, mais l’accumulation de pertes ; ce n’est pas le chagrin de se voir privé d’un souvenir personnel, mais le deuil d’éléments d’identité collective ; ce n’est pas seulement la qualité de l’objet perdu, mais aussi la quantité des disparitions, qui exigent une impérative et consciencieuse intervention (...)4.

Au-delà de cette exigence, en tant qu’architectes, ne devonsnous pas, à l’instar de certains auteurs, nous demander si nous ne sommes pas entrés dans une période de profusion mémorielle ? (...) nous ne savons plus où nous allons et, du même coup, nous ne savons plus d’où nous venons. (...) voici notre présent promu et condamné à la mémoire, c’est-à-dire au fétichisme de la trace, à l’obsession historienne, à l’accumulation patrimoniale (...). Tout est historique, tout est digne de souvenir, tout appartient à notre mémoire5. 4 GERMANN, Georg. « Éthique de la conservation monumentale » in Conserver ou démolir ? La patrimoine bâti à l’aune de l’éthique. op.cit., p. 34. 5 Pierre NORA, « Les trois pôles de la conscience historique contemporaine » in Présent, nation, mémoire. Paris : Gallimard, 2011, p. 25.

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▲ fig. 24 à 29 : MÄETAMM, Marko. Bleeding Houses (2005-2006)


D’autant plus que le cercle d’amateurs enthousiastes et d’historiens experts n’est en aucun cas assez grand pour soutenir tous les actuels et trop nombreux sites d’héritage industriels. Jürg Federspiel, dans son ouvrage Museum des Hasses (1969), s’exclame même : À chaque être humain son musée ! Et comme on l’a vu précédemment, la patrimonialisation est essentiellement à l’initiative de classes moyennes et supérieures se constituant un patrimoine en transformant un édifice désaffecté, souvent abandonné, dévalorisé, en capital social, culturel, économique. On semble être alors en présence d’un processus de gentrification qui compromet la démocratisation, l’accès du plus grand nombre, notamment des ouvriers eux-mêmes, au conservatoire de l’espace, comme le désigne Michel Verret. À ce processus s’ajoute le fait que, du point de vue de la classe ouvrière, l’identification valorisante à son ancien lieu de travail n’est pas évidente. Ainsi, les héritages industriels - souvent porteurs de mémoires douloureuses (conditions de vie et de travail difficiles) - représentent aussi les formes matérielles d’un échec : la fermeture de l’usine et la désindustrialisation. Dévalorisés et connotés, ces héritages ne suscitent généralement chez les ouvriers que peu de mobilisation, même si leur démolition est généralement mal vécue. La mémoire ouvrière va disparaître avec ceux qui la portent. Dès lors, quelles preuves tangibles de l’histoire industrielle qui a déterminé l’urbanisation du site resteront-elles dans le paysage, sinon quelques témoins architecturaux ou symboliques conservés ?6

Pourtant, à la lumière des travaux précédemment cités, le rôle de témoignage, à savoir montrer que des évènements ont eu lieu, devient essentiel lorsqu’il est pluriel. En promouvant l’histoire locale, le témoignage permet à ceux qui ont vécu l’événement de se le remémorer, et pour tous les autres d’en prendre conscience. Le témoignage confère ainsi la qualité de lieu à l’espace grâce à diverses formes d’appropriation, voire d’attachement, et à l’existence de liens sociaux et de solidarités. Enfin, ce n’est pas seulement la mémoire des 6 COMMÈRE, René. « Inventaire archéologique de l’ancienne usine de l’Ondaine » in L’archéologie industrielle en France, 2005, n°46, p. 18.

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â–˛ fig. 30 : PRICE, Cedric. Battersea Power Station (Londres, 1984)


ouvriers eux-mêmes qui est en jeu mais sa transmission aux générations suivantes, par la possibilité d’évoquer les lieux de travail et les conditions d’existence des ouvriers au-delà des clichés misérabilistes sur une classe en voie de disparition. Démolition Le problème principal des démolitions d’héritages industriels est qu’elles peuvent être interprétées comme la négation symbolique du monde ouvrier et de sa culture lorsque, dans une logique d’identification, ces derniers sont associés aux édifices détruits. Si la démolition est inévitable, il faut alors y intégrer la question du sens, de la symbolique et de la mémoire comme pour le recyclage urbain. Face aux questions de démolition, Cedric Price a une approche originale de la relation entre préservation et démolition dans laquelle la capacité de préservation équivaut à celle d’être transformé ou échangé. Il considère que quand une bâtiment perd sa fonction parce que son utilisation originale est dépassée ou n’est plus appropriée, il devient lui-même gaspilleur de ressources humaines et matérielles. Il n’y a alors aucune raison de forcer des adaptations ou entretenir une conservation sentimentale. Quand l’heure est venue, le changement prend la relève. Dans le meilleur des cas, il y a un changement complet par la réutilisation, la substitution, ou la destruction de la chose originale. Parfois également, un recyclage est possible en exploitant les structures existantes pour le caractère fonctionnel qu’elles possèdent encore. Dans un autre registre, les projets de Lebbeus Woods offrent un cas tout à fait intéressant de posture architecturale post-démolition en incorporant le souvenir de la survenance d’un accident dans la construction du nouvel édifice. Ce faisant, il s’oppose à l’effacement de la mémoire qui consiste à reconstruire à l’identique un bâtiment détruit et à nier la trace de la chute par désir de revenir à la normale. Temporalité(s) Au croisement de toutes ces postures architecturales apparaît en filigrane l’idée de temporalité(s). Que ce soit dans la mise en

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â–˛ fig. 31 : TSCHAIKNER, Eric. Wiedderabau (Berlin, 2002)


scène durable des mémoires, dans la démolition, ou même dans un travail de deuil, toute action va nécessiter un phasage. Concentrer sur une même temporalité, celle du projet, la démolition qui traduit la négation du site et la mise en mémoire qui traduit une revalorisation, c’est contradictoire7.

Parfois, pour que la mémoire collective se constitue, il va falloir qu’elle soit précédée d’un temps d’oubli. D’autres fois, elle nécessitera d’être accompagnée pour ne pas tomber dans la nostalgie d’un temps révolu, à la manière du projet d’Eric Tschaikner pour le Palast der Republik à Berlin qui propose de mettre en scène sa démolition planifiée dans un ralenti radical, le transformant en un processus collectif et participatif.

Traces et programmes Une troisième voie se dessine, qui renonçant au désir de rétention absolue ou au désir d’effacement total, préfère traduire son réfèrent plutôt que de le garder entièrement pour soi et le réduire plutôt que de le détruire8.

Face aux contradictions inhérentes à la patrimonialisation et à la démolition, l’alternative de la trace apparaît pertinente à plusieurs titres. D’abord, elle permet la pluralité des mémoires en prenant en compte leur nature et évite la hiérarchisation matérielle et sociale de l’héritage. Ensuite, par sa valeur d’altérité, la trace renvoie à la fois au présent et au passé pour ainsi jouer un rôle critique dans le débat sur les inégalités et les évènements qu’elle peut évoquer. Enfin, parce qu’elle est plus à même d’évoquer la classe ouvrière et d’être investies par les anciens ouvriers et leurs organisations. Car, comme on a pu le voir précédemment, la culture ouvrière n’est 7 LAHMINI, Naji. « Les démolitions dans les grands ensembles de Grande-Synthe », interventions au séminaire Démolition, mémoire, patrimonialisation dans les grands ensembles, UMR ESO : groupe patrimoine : Caen, 26 janvier 2006 (non publié). 8 URBAIN, Jean-Didier. « Le monument et la mort : deuil, trace et mémoire » in DEBRAY, Régis. L’abus monumental ? Actes des entretiens du patrimoine, n°4. Paris : Fayard - Éditions du Patrimoine, 1999, p. 57.

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▲ fig. 32 : FORMA6. Maison des Syndicats/Gare de l’État (Nantes, 2001)


pas une culture patrimoniale et ne s’inscrit pas, ou peu, dans l’architecture (dans le sens où elle est traditionnellement déconnectée de la matérialité des lieux), mais plutôt dans les corps, à travers les savoirs de travail et les savoirs de luttes. En d’autres termes, elle se constitue autour du vécu, de la pratique et des savoir-faire. Cela explique la fragilité de la mémoire ouvrière qui pose de nombreuses questions, notamment celle de la conservation de ses supports et de leur transmission. Face au mutisme de l’architecture seule, une stratégie programmatique architecturale peut constituer une réponse efficace à ces questions. À l’instar de Nantes, où les anciens syndicalistes ont obtenu les locaux de la Gare de l’État, lieu significatif de la lutte syndicale, pour le réhabiliter en une Maison des Syndicats et ainsi se retrouver, transmettre leur mémoire, entretenir et donner à voir leur savoir-faire. Cet exemple montre bien que ce ne sont pas les traces en elles-mêmes qui sont importantes, mais la manière dont elles sont réinvesties. Ce n’est pas en conservant le « krach des ouvriers » qu’on rendra compte (de la mémoire du site urbain), c’est en essayant de trouver des vocations et des fidélités à ces vocations de la ville, qui soient en ligne directe avec ces héritages, en termes de technologies, en terme de nouvelles couches urbaines, sans être nécessairement fidélité matérielle à l’héritage9.

L’idée de vocation est essentielle car elle permet de réconcilier des revendications patrimoniales et mémorielles avec des exigences de densification urbaine. De plus, qui dit vocation dit perpétuation de pratiques, qui alors n’apparaîtront pas seulement comme souvenirs consommables. En effet, on ne peut pas considérer des sites d’héritage industriel simplement comme résultats de politiques culturelles post-industrielles, mais au moins comme des espaces rétroactifs, dans la mesure où à partir d’un objet ancien peuvent toujours se développer de nouvelles identités. 9 BURGEL, Guy. « Mémoire de la ville et recomposition urbaine » in LOYER, François. Ville d’hier, ville d’aujourd’hui en Europe : Actes des Entretiens du patrimoine. Paris : Fayard, 2001, p. 102, en réponse au pamphlet de Jean Nouvel intitulé « Boulogne assassine Billancourt » publié le 6 mars 1999 dans le quotidien Le Monde.

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▲ fig. 33 à 34 : LEONIDOV, Ivan : Club d’un type social nouveau (1928)


Instabilité programmatique et flexibilité formelle

Le condensateur social

À l’intérieur, l’endroit devient lui-même un lieu à n fonctions. On y entre, et l’on n’y trouve plus seulement un lieu de travail, mais un lieu fort étrange où l’usine paraît masquer un hôtel, l’hôtel masquer une usine, l’usine paraît masquer un jardin, le jardin paraît masquer une usine. Tantôt on a peine à en parler même dans les termes de la simulation et du masque : ce jardin, c’en est bien un, et l’on peut aisément s’y promener ; tantôt il se résume entièrement à sa fonction de simili. L’ère de l’hésitation entre le simili et le vrai commence dans l’architecture du travail. On n’y trouve plus un lieu de travail. Plus du tout1.

À partir d’une certaine étendue, quand l’architecture oscille entre l’échelle du paysage et du bâtiment et que son caractère urbain devient indéniable - comme c’est le cas pour la BarreThomas -, l’œuvre tend à dominer le contexte, et peut même finir par l’absorber. Le site devient alors presque entièrement produit, plutôt que déduit de sa situation initiale. Dans ce contexte, le condensateur social - au-delà de sa signification originelle et de ses limites - reste tout à fait pertinent et actuel comme stratégie programmatique métropolitaine. En effet, ce concept spatial initié par les constructivistes russes durant les années ‘30 ne doit pas être seulement vu comme le produit d’une volonté parfois moralisatrice et naïve surestimant le pouvoir de l’architecture quant à la transformation sociale, mais également comme la matérialisation des forces collectives : un lieu des possibles qui met en valeur le rôle formateur de l’architecture et de l’urbanisme. En s’efforçant de créer le cadre de vie de la société socialiste en construction, d’accélérer l’avènement de cette société par l’architecture et de trouver des solutions spatiales qui permettraient d’atteindre ces objectifs malgré la minceur des crédits et des moyens matériels, les constructivistes font émerger une nouvelle conception de la culture autour des notions 1 p. 120.

SFEZ, Gérald. « La rêgle du lieu » in Lieux ? de travail. op.cit.,

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▲ fig. 35 à 36 : LEONIDOV, Ivan : Concours pour le palais de la Culture du quartier Proletarskij (Moscou, 1930)


de décentralisation, d’accessibilité et d’autoproduction. De plus, en tentant d’éliminer la distinction entre lieu de travail et lieu de culture, ils remettent les activités et leurs mutations inattendues (temporelles et spatiales) au centre des enjeux architecturaux de souplesse et d’adaptabilité. Il est néanmoins évident, dès maintenant, que le « club d’un type social nouveau » où l’homme ne sera pas passivement livré à des distractions abêtissantes, mais où au contraire il sera lui-même créateur de nouvelles valeurs culturelles, se réalisera un jour2.

En appelant les clubs ouvriers gérés par les organisations syndicales Soziales Kraftwerk (usine sociale), Lissitzki, audelà de la métaphore, met en lumière le rôle de l’usine comme principal condensateur social et outil de l’urbanisation. Une usine qui doit faciliter la prise de conscience de l’ancien paysan, l’aider à accéder à une dignité nouvelle, mais surtout une usine qui trouve sa place dans la ville et non plus en marge, et qui de ce fait doit faire œuvre d’architecture. Stratégies spatiales et temporelles L’examen des trois projets iconiques de Leonidov permet de mieux comprendre les mécanismes du condensateur social, son fonctionnement et sa mise en œuvre à différentes échelles. En 1928, c’est avec son projet de Club social pour un type nouveau que Leonidov expérimente ce concept et son architecture socialement interactive à travers le programme du club ouvrier. Visuellement, ce projet se présente comme une composition park-like généreuse et organisée librement, augmentée d’un nouveau spectre de programmes et de jardins s’articulant autour de la figure de la voûte parabolique accueillant le grand hall. Cette organisation en vaste parc d’infrastructures culturelles et éducatives variées (certaines à usage spécifique et d’autres laissées libres) souligne que le nœud du projet se situe dans l’articulation du programme et des espaces collectifs ouverts. En procédant ainsi, Leonidov transpose le programme de club ouvrier de l’échelle du bâtiment 2 LEONIDOV, Ivan. Extrait du programme du projet de Club d’un type social nouveau in C.A., n°3, 1929.

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▲ fig. 37 à 39 : LEONIDOV, Ivan : La Cité de l’O.C.A. (Magnitogorsk, 1930)


à celle de toute une zone culturelle. En 1930, le Concours pour le Palais de la Culture du quartier Proletarskij lui sert de prétexte pour étendre la stratégie du condensateur social à l’échelle urbaine en mettant l’accent notamment sur le caractère paysager des vastes espaces ouverts accueillant les activités collectives. Pour ce faire, il adapte ce concept selon une disposition linéaire : une ligne composée d’une succession de quatre secteurs programmatiques spécifiques subdivisés ensuite en différentes infrastructures. Une stratégie de bandes qui, en fonctionnant comme une séquence d’événements, crée une combinaison de spécificités locales tout en maintenant une continuité et une unité d’ensemble. Il favorise ainsi de multiples interactions, appropriations et improvisations de la part des usagers. La ville socialiste, ce n’est pas l’ancienne ville, fruit du développement spontané, une ville faite de quartiers détachés de la nature, reliés d’une manière accidentelle aux centres de production, et qui, par sa monotonie, déprime l’homme. (...) L’habitation et le lieu de travail, les lieux de repos et de culture doivent être liés en un tout organique3.

Enfin, toujours en 1930, avec le projet de Ville Socialiste pour Magnitogorsk, c’est à la planification urbaine que Leonidov applique le principe d’organisation linéaire, toujours dans cette perspective de flexibilité. L’implantation linéaire de la ville socialiste consiste en trois différentes lignes programmatiques limitées par des voies à circulation rapide recoupées par une voirie secondaire orthogonale constituant autant de blocs fonctionnellement différenciés. Les blocs constituant la bande centrale sont réservés à l’habitat, alors que les équipements sociaux, administratifs et culturels se trouvent répartis dans les bandes latérales. C’est l’acte de division de ces lignes en bandes d’infrastructures organisant la ville qui , comme dans les projets précédents, recrée des séquences, des stratégies, autorisant les mutations sans affecter l’organisation générale. Par ce jeu de fractales, chaque ligne programmatique devient un condensateur social et l’ensemble des lignes forme une ville de condensateurs sociaux 3

LEONIDOV, Ivan. C.A., n°3, 1930.

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â–˛ fig. 40 : KOOLHAAS, Rem & OMA. Parc de la Villette (Paris, 1982)


tendant vers un équilibre entre individuel et collectif. Ces trois exemples mettent en lumière le potentiel du condensateur social en ce qu’il est architecture socialement interactive et programmatiquement condensée : une stratégie unificatrice et anticipatoire visant une instabilité programmatique et une flexibilité formelle. Spatialement, c’est la combinaison de la stratégie des bandes (développement linéaire) avec la stratégie de la grille (subdivisions) qui permet d’optimiser et d’initier au maximum les improvisations tactiques souhaitées. C’est là que réside la richesse du condensateur social. Congestion métropolitaine Extraordinaire renversement que cet usage « naturel » des retombées du monde industriel mis en scène pour nos plaisirs, que ce nouveau paysage enfin reconnu dans toute sa beauté, que cet espace venu de la frange des villes enfin accepté et lu dans toutes ses potentialités ... et transfiguré4.

Même si la dimension « plaisir » évoquée ci-dessus est discutable, le concours international pour le Parc de la Villette marque un tournant quant aux rapports de force entre programmes et site et en même temps fait inexorablement écho au condensateur social. D’abord, en souhaitant favoriser la concentration de différents acteurs sociaux sur un même site, l’objet du concours s’apparente à un parc à programme ou, pour le dire autrement, un parc d’attraction à forte thématique sociale. Avec pour objectif d’allier génie du lieu et esprit du temps, l’énoncé du concours souligne que la question contemporaine n’est plus tant l’extension des villes que l’approfondissement des territoires dans leur complexité. Nous ne savons rien de la multitude. Nous ne pouvons pas y faire face, ni comme architectes, ni comme urbanistes, ni comme personne d’autre5. 4 GOULET, Patrice. « Concours International pour le Parc de la Villette, Paris Décembre 1982 ». op.cit., p. 72. 5 VAN EYCK, Aldo in FRAMPTON, Kenneth. L’architecture moderne : une histoire critique. Paris : Philippe Sers, 1985, p. 258.

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▲ fig. 41 à 43 : VAN DER STELT, Chiel & OMA. Parc de la Villette (Paris, 1982) fig. 44 : STARRETT & VAN VLECK. Downtown Athletic Club (New York, 1930)


Par la diversité du programme, tous les projets donnent à voir la même chose : de la densité sans architecture, une dispersion d’éléments programmatiques sur un même lieu. Or, élément programmatique ne veut pas forcément dire architecture. Dans ce contexte, l’idée de parc prend tout son sens en ce qu’il reprend le rôle et les fonctions de l’architecture. Site, programme, histoire et nature fonctionnent conjointement pour définir le parc davantage comme infrastructure que comme représentation, avec un appareillage temporel plus physique que simplement mental. Et cette infrastructure est source de positionnements divers. Alors que Jean Nouvel structure sa proposition autour d’un renversement dialectique en faisant de la technique une nature et de la nature un objet technique, il se demande, vis-à-vis de l’histoire d’un tel site : Comment assumer le présent ? Comment le faire l’égal de tous ces passés déjà mythiques ? (...) Que les dites nostalgies n’y ont pas de place, ou alors, au travers d’un processus critique dépourvu d’intolérance (...)6.

Et si Bernard Tschumi s’évertue également à éviter toutes sortes d’effets pittoresques et déplacés, dans un contexte qui, de mémoire récente, n’a jamais été champêtre ou pastoral, Rem Koolhaas, quant à lui, s’attache presque uniquement à radicaliser la dialectique programmatique du parc. Il s’inscrit ainsi naturellement dans la lignée des projets de Leonidov autour des questions de spécificité architecturale et d’indétermination programmatique. En d’autres termes, nous concevons cette proposition plutôt comme une stratégie que comme un « design » : il s’agit de tirer un profit optimal de l’implantation efficace et explosive d’un certain nombre d’installations, tout en offrant un expérience esthétique (relativement) stable. (...) Ce concours revient essentiellement à orchestrer sur ce terrain métropolitain, la coexistence dynamique d’activités x, y et z, et à provoquer une réaction en chaîne d’événements sans précédent, en faisant interagir ces activités. Autrement dit, la question est de savoir comment, à partir d’une congestion horizontale, concevoir 6 Nouvel, Jean in GOULET, Patrice. « Concours International pour le Parc de la Villette, Paris Décembre 1982 ». op.cit., p. 76.

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▲ fig. 45 à 48 : ARCHIGRAM. Features Monte-Carlo : l’exposition des espaces (Monte-Carlo, 1970)


un condensateur social, à l’échelle du parc7.

En fait, la méthode d’intégration du projet, qu’il appelle « tapisserie programmatique », n’est que la combinaison optimisée (notamment par l’ajout du facteur temps) de la stratégie des bandes avec celle de la grille. En subdivisant systématiquement la parcelle originelle, il tend vers une congestion analogue à celle de Leonidov, où chaque activité est libre de s’implanter où elle veut. C’est une manière de laisser à chacun, et non à l’architecte, la responsabilité de déterminer son emplacement. Et la succession de bandes interprétation horizontale et à l’air libre du gratte-ciel induit une longueur maximale de frontières entre un maximum d’éléments programmatiques divers et, par la perméabilité de chaque bande à toutes les autres, garantit le plus grand nombre de mutations programmatiques. Cette stratégie permet également une mise en scène du site même et de ses catégories de nature en révélant longitudinalement les infrastructures nécessaires à sa propre transformation comme paysage. Le parc agit donc comme un incubateur métropolitain, instable mais cohérent, au moyen d’une matrice intégrant l’imprévu d’intentions diverses (actions déjà entreprises, déterminations, orientations, réflexions, etc.). En définitive, le projet de Koolhaas est une posture critique sur la manière dont les programmes apparaissent, disparaissent, changent et interagissent. D’une certaine manière, le parc fait également écho au projet Features Monte-Carlo d’Archigram prônant une égalité totale entre architecture et services (le rejet de la tridimensionnalité par l’enfouissement en est une manifestation). Dans ce projet, les bandes programmatiques sont remplacées par des strates d’équipements mécaniques riches et complexes (plug-ins) et autres kits d’éléments donnant du sens à l’édifice, dans un souci de grande flexibilité. En permettant par la polyvalence de l’édifice des utilisations épisodiques précises et des finalités permanentes de « tout ce qu’on voudra » (sic), Archigram se concentre sur le même enjeu que la Villette : la gestion future de l’installation complète et de ses potentialités. 7 KOOLHAAS, Rem in GOULET, Patrice. « Concours International pour le Parc de la Villette, Paris Décembre 1982 ». op.cit., p. 73.

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▲ fig. 49 : TORIYAMA, Akira. Dragon Ball : L’initiation (1993)


Métamorphose ouverte

Décroissance et opportunités La flexibilité intégrée ou son obsolescence alternative programmée, peut être réalisée de manière satisfaisante seulement si le facteur temps est inclus comme un facteur de conception absolu dans le processus total du projet. Une telle connaissance délibérée du facteur temps liée aux activités contenues et leur corrélation doit s’étendre à une estimation de la durée de vie valable du complexe total, estimée principalement en termes socio-urbains1.

À l’image du personnage Tortue Géniale rangeant sa maison dans une capsule hi-tech pour remédier au sous-dimensionnement de l’île qui n’est plus adaptée aux activités souhaitées, les facteurs essentiels à prendre en compte lors de la projection d’une friche industrielle sont évidemment le dimensionnement, le temps, la réversibilité, la gestion de l’abondance des ressources matérielles, celle du manque de ressources financières, ainsi que celle des pleins et des vides. En bref, tout ce à quoi on a affaire dans un lieu de décroissance. La Barre-Thomas, en tant que friche, est un site spécifique avec une forte matérialité : extrêmement flexible par sa structure et ses dimensions, il est donc programmatiquement ouvert. Ce sont ces caractéristiques déjà reconnaissables qui méritent d’être maintenues et accentuées. Ainsi présenté, le lieu peut s’assimiler au condensateur social qui se définit par une spécificité architecturale et une indétermination programmatique. Avec son caractère historique et hautement symbolique, son genius loci, l’espace spécifique indéterminé qu’il est devient tout de suite un vide énigmatique, un espace qui attend l’arrivée de l’événement. Car, là où il y a du vide, tous les usages (variété, proximité temporaire, densification et changement) sont possibles. Il faut alors développer une conscience aiguë du site pour générer attraction et responsabilisation. Dans cette situation locale ambivalente, les opportunités et les risques s’équilibrent. Cet état transitoire incertain persistera pendant plusieurs années, créant ainsi un cadre temporel : un parc des possibles et des 1 p. 33.

ISOZAKI, Arata. « Erasing Architecture into the System ». op.cit.,

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â–˛ fig. 50 : UNGERS, Oswald Mathias. La ville dans la ville : Berlin, un archipel vert (Berlin, 1977) fig. 51 : OMA. Ville Nouvelle Melun-SĂŠnart (Meulin, 1987)


transformations de la ville pour le développement de nouveaux modèles spatiaux ainsi que de nouvelles identités. Sans prendre le contre-pied du site, la métamorphose graduelle programmatique et spatiale invite à considérer le projet comme une stratégie : non pas une stratégie industrielle avec planification à long-terme et esprit déterminé, mais plutôt comme un dispositif environnemental. Exploitation du vide Tandis que l’urbanisme contemporain est obsédé par l’hyperdensité des pays asiatiques, nous sommes confrontés à la croissance spectaculaire du... vide. Il y a donc une dimension fondamentale d’entretien et d’accompagnement, qui génère progressivement les formes de ce paysage en fonction des opportunités et de ce que nous apprenons2.

En 1977, confronté au problème de décroissance que connaît Berlin, Ungers, considérant que la notion de réparation urbaine n’est que le résultat d’une vaine nostalgie et que la décroissance doit générer de nouvelles références, propose plusieurs enclaves, ou nœuds, connectés par des espaces verts pour former une sorte d’archipel vert urbain. Les îles urbaines y ont une identité marquée par les empreintes de leur histoire, de leur structure sociale et de leur qualité spatiale. L’ensemble de la ville est formé par la fédération des ces entités urbaines dont les structures, très différentes, se sont développées de façon délibérément antithétique3.

Pour la ville de Melun-Sénart en 1987, OMA va plus loin en croisant le concept d’Ungers avec la notion d’instabilité programmatique évoquée précédemment. Sur des terrains vierges de toutes construction aux portes de Paris, le projet définit des ceintures programmatiques avec des fonctions collectives parsemées de zones vertes ouvertes qui, sans tenir compte de comment l’architecture future pourrait se développer à côté, sont destinées à garantir 2 RUDOLP, Michael in ARMENGAUD, Marc. « La ressource, c’est l’aménagement des vides : entretien avec Michael RUDOLPH, confondateur de Station c23 ». op.cit., p. 68. 3 UNGERS, Oswald Mathias. La ville dans la ville : Berlin, un archipel vert. Zürich : Lars Müller, 2013, p. 94.

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â–˛ fig. 52 : L21 Architekten. Kern & Plasma (Leipzig, 2001)


l’identité de la ville et sa beauté. Définis ou non, les caractères des îles pourront ainsi librement se développer au cours de la période de construction, selon leurs emplacements respectifs, les architectes et les programmes de développement proposés. Enfin, dernier projet sous influence des travaux d’Ungers, la stratégie Core & Plasma par L21, un groupe d’architectes de Leipzig, se consacre à la transformation urbaine. Ainsi, en réponse à la réduction attendue de 50 % des implantations dans Lepizig, l’ensemble des édifices est divisé en deux catégories. Les zones core - à préserver complètement - correspondent aux concentrations les plus viables et plus dynamiques de population. Le plasma, pour sa part, a deux composantes : le loud plasma, zone de désinvestissement, qui serait démoli pour céder la place au reboisement, et le soft plasma qui fonctionnerait comme un amortisseur, absorbant autant les fluctuations de croissance venant des zones core que la décroissance de la périphérie. Adapté au cas de l’usine principale de la Barre-Thomas, cette stratégie serait particulièrement pertinente, que ce soit en termes programmatiques que financiers ou énergétiques et permettrait d’opérer une démolition, ou plutôt une déconstruction, stratégique et graduelle. Appropriations différenciées Il faut faire confiance à l’auto-organisation programmatique du site, dans le sens où la réalité naturelle sera toujours plus forte que l’architecture artificielle. En d’autres termes, il faut savoir céder aux conditions d’un urbanisme non prédéterminé et non permanent tout en leur donnant le moyen de s’accomplir : des infrastructures. C’est l’interaction, non le lieu, qui est l’essence de la ville et de la vie en ville4.

New Suburbanism s’inscrit dans cette perspective. Il présente un urbanisme bottom-up des quartiers déshérités où des parcelles vacantes sont achetées et utilisées par les propriétaires des parcelles adjacentes ou à l’initiative des collectivités locales. Cette démarche permet une densification urbaine inverse et un 4 PRICE, Cedric in Archigram, n°7, 1966 cité dans SADLER, Simon. « Beyond architecture: Indeterminacy, Systems and the Dissolution of Buildings » in Archigram : Architecture without architecture. op.cit., p. 128.

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â–˛ fig. 53 : Interboro Partners & CUP (Center for Urban Pedagogy). However Unspectacular : The New Suburbanism (Detroit, 2005)


redécoupage qui redéfinissent les frontières créées et, de ce fait, entraîne la formation de nouvelles parcelles. Dans cette même logique bottom-up, une stratégie de réactivation a été appliquée à Helle Tempo à Berlin dans le but d’en développer l’attractivité et de créer de nouveaux usages, de nouvelles formes de coopération et d’interactions sociales dans ce quartier en décroissance. Pour ce faire, les édifices du quartier ont été réaffectés à des usages intérimaires et éphémères par une simplification des démarches administratives et financières inédite (les affectations sont coordonnées et l’usage des espaces est gratuit, excepté les coûts d’entretien et d’exploitation). Cette nouvelle dynamique, initiée à moindre coût, s’accompagne d’une modification progressive du regard porté sur le quartier, redonnant valeur et considération aux édifices. Elle favorise également des investissements alternatifs et progressifs (squatteurs, associations, petites entreprises, etc.) qui, à leur tour, vont permettre le retour d’usages et d’investissements plus formels et plus stables. Ces démarches, dans le cas d’une friche industrielle de plain pied (qui finalement s’assimile à une gigantesque parcelle), entrent en résonance avec l’idée de parc et de condensateur social et soulignent que Il faut apprendre à lire le rien monétaire en tant qu’il est peuple, richesse concrète, porteur de l’alternative ; par-delà les générations perdues, les retours possibles du lieu5.

Cette dimension d’adaptabilité permanente, d’appropriation directe et collective du réel, transforme l’architecture en un dispositif consommant sa propre disparition. C’est-à-dire que tout se dissout dans ce qui est déjà là : l’éducation dans l’industrie, l’industrie dans le transport, le logement et les conditions de vie dans absolument tout. Comme l’annonce Cook : Nous discutons vraiment de la possibilité que l’architecture se dissolve au point de devenir un bien de consommation6. 5 NOVIANT, Patrick. « La gestion du rien : à propos des friches industrielles » in Lieux ? de travail. op.cit., p. 115. 6 COOK, Peter. Experimental Architecture. Londres : Studio Vista, 1970, p. 127.

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▲ fig. 54 : GURSKY, Andreas. Mayday V (2006)


Vocations

Valeurs et sens du lieu Si les investisseurs ne sont pas aveugles aux besoins des utilisateurs (dont ils dépendent), ils n’en prennent en compte qu’une partie et assument ainsi le découplage entre l’immobilier dans lequel ils investissent et la variété du tissu productif du territoire sur lequel ils interviennent. Il leur est en effet moins coûteux de gérer de grands immeubles occupés par un nombre limité de locataires installés pour dix ans - surtout lorsqu’il s’agit d’une entreprise assurée de son avenir - qu’une multitude de petites surfaces où se succéderaient des entreprises naissantes ou de petite taille. Le serpent finit par se mordre la queue : en finançant une offre spécifique, métropolitaine et orientée vers les grands utilisateurs, les investisseurs majeurs contribuent à formater la demande des entreprises dans le sens qui les intéresse et auquel elles s’adaptent. Leur arrivée chasse d’autres activités. Les start-ups et certains métiers de la création, des artisans, des petits commerces, des activités de production et de services ordinaires... n’ont pas les moyens de résister à la hausse des loyers. Autrement dit, le processus de gentrification de l’habitat des centres-villes s’applique aussi aux quartiers de bureaux. Ces activités se voient repoussées ailleurs, au risque de disparaître, ou doivent se tourner vers un immobilier soutenu par des financements publics, à l’image des pépinières d’entreprises. Ce qui pose la question du « droit à la ville » pour certains1.

Le droit à la ville est un principe particulièrement pertinent lorsqu’il s’agit d’une friche industrielle, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, comme on l’a vu précédemment, l’idée de vocation programmatique - à exploiter avant tout matérialisme - est de rendre le terrain disponible à l’espace urbain, auquel il avait été auparavant soustrait, pour être support de l’implantation industrielle. Ensuite, sans oublier le rôle mémoriel social du site évoqué précédemment, il faut également se rappeler qu’il est avant tout un lieu de travail. Permettre une concordance programmatique en vue de cette antécédence, 1 SABBAH, Catherine. « Le bureau est-il soluble dans la ville ? » in Work in Process : Nouveaux bureaux / nouveaux usages. op.cit., pp. 111-113.

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« Alors là, il s’est passé un truc très bizarre. Je crois que cette fois on s’est vraiment bien fait avoir. Tout était tellement bien foutu, c’est ça, tellement bien foutu, qu’on ne savait même plus qu’on travaillait quand on travaillait… » ▲ fig. 55 à 57 : PRÉVIEUX, Julien. Anomalies construites (2011)


est évident, certes, mais surtout judicieux. La double exigence de transformation et de conservation d’un lieu industriel du XXème siècle en un lieu de vie et de travail contemporain va favoriser le confrontation de la culture et de la mémoire avec les activités économiques pour donner du sens et évoquer des valeurs à ceux qui vont l’expérimenter au quotidien. En ce sens, la mise en contexte programmatique apparaît beaucoup plus porteuse et dynamique qu’une simple muséification. Comment, enfoncés dans la précarité de ces lieux amovibles, ouvrages de mécano, lieux de transit, eux-mêmes mobiles dans un lieu qui n’est plus qu’un « mobile » et un alibi les hommes pourraient avoir le droit à la liberté de la mémoire ?2

Techniquement, la recherche d’une flexibilité toujours plus importante nécessite une banalisation accrue des espaces d’atelier. Paradoxalement, la capacité de l’outil flexible à s’adapter à des architectures existantes offre des possibilités nouvelles de réhabilitation qui vont de pair avec l’organisation de l’usine de plain pied, où il est moins coûteux d’étaler les produits que de les stocker ou de les manipuler en hauteur. D’autant plus qu’en utilisant comme matière première des constructions conçues à l’origine pour un autre usage, l’architecture des bureaux, de l’habitat, des équipements publics, découvre de nouveaux espaces générateurs de situations d’habitabilité imprévues et productives. D’ailleurs, lieu évident de création de lien social et d’identification, le bureau n’est-il pas aussi une usine ? Il ne transforme ni n’assemble des matières mais produit essentiellement de l’information. Davantage aujourd’hui où, grâce au numérique, la production industrielle peut être potentiellement mise dans toutes les mains. La fabrication et la production sortiront ainsi de l’usine pour s’installer dans les bureaux, comme au domicile , et une grande partie des emplois industriels du futur seront non plus à l’usine, mais dans des bureaux d’un nouveau genre réunissant dans un même espace des équipes pluridisciplinaires. Le secteur manufacturier et le monde des 2 p. 122.

SFEZ, Gérald. « La rêgle du lieu » in Lieux ? de travail. op.cit.,

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▲ fig. 58 : VAN DE KLUNDERT, Marty & VAN WINDEN, Willem. Spacevalue Ltd. (2012)


services seront encore plus imbriqués l’un dans l’autre : Le bureau se redéfinit en s’éloignant de la civilisation industrielle de masse vers la civilisation de personnes3.

Dans ce contexte, et par sa structure, la Barre-Thomas représente une possibilité unique de créer des architectures à partir de nouvelles conventions temporelles et spatiales : des conventions orientées vers la concentration au lieu de la dispersion (mixité fonctionnelle), vers l’interaction au lieu de l’isolement (mutualisation et partage des espaces), vers la socialisation au lieu du repli sur soi (l’espace individuel est collectif et l’espace collectif privé), vers la stimulation au lieu de l’inhibition, etc... notions qu’on retrouve dans le concept de condensateur social. Finalement, en s’appropriant l’usine et en puisant dans ses ressources abondantes, on donne également le moyen aux futurs usagers/entreprises de créer leurs propres conditions de travail et d’utilisation du lieu. Dans cette optique, son architecture se transforme progressivement en un dispositif urbain spécifique. Un catalyseur dont les subdivisions - génériques et indéterminées - seront entièrement ouvertes à l’appropriation collective à travers des éléments de services. Ce choix de privilégier la multitude et la pluralité est également une manière de dire qu’on ne pourra jamais plus remplir de manière singulière l’énorme quantité de vide laissée par la désindustrialisation. En outre, au lieu de soustraire de nouveaux lieux à la ville à chaque nouvel âge, ne vaut-il pas mieux procéder à une stratification qui s’avérera archéologique ? De cette manière, les quartiers d’affaires, prochaines friches tertiaires de l’âge du capitalisme de la connaissance et symboles de l’âge post-industriel se superposeront aux friches industrielles. Et ainsi de suite, dans un mouvement ad libitum.

3 Philippe Michel, publicitaire et fondateur de CLM/BBDO, cité dans LABASSE, Alexandre. « 50 millions de mètres carrés, émoi, émoi, émoi » in Work in Process : Nouveaux bureaux / nouveaux usages. op.cit., p. 9.

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« Je suis déchirée entre le désir de création et celui de destruction... » ▲ fig. 59 : SCHULZ, Charles M. Strip 1-27 (27/01/1957)


Projet et conflits Conclusion

Si nous voulons traduire dans l’espace la succession historique, nous ne pouvons le faire qu’en plaçant spatialement les choses côte à côte ; la même unité de lieu ne tolère point deux contenus différents1.

Le réinvestissement de l’existant met en exergue ce qu’est finalement tout projet d’architecture : la création d’un système à partir de mouvements contradictoires, de forces antinomiques et de désirs incompatibles. Le rôle social et politique de l’architecte doit être questionné : il pourrait se résumer à un combat vain et schizophrénique avec la réalité s’il n’interrogeait pas l’avenir et le passé d’un territoire en difficulté. La complexité de la réalité nous amène à nous engager de manière plus subtile et plus responsable tout en repensant les outils mis à notre disposition. C’est en embrassant ses contradictions que le projet se met en marche : son succès réside dans leur confrontation. C’est ce que vise à illustrer ce projet de fin d’étude sur la Barre-Thomas : comment unifier un désir de création et de destruction, de renouveau et de conservation ? Comment conserver l’instabilité ? L’urbanisation est « déjà là ». Le construit est accepté en tant que tel. Il n’est pas à raser ou à refuser, mais on peut s’appuyer dessus pour le transformer. Il est possible de faire bifurquer le récit du réel. La forme bâtie (...), en tant justement que forme et sens morphologie -, elle est la présence de la mémoire, (...) une volumétrie incroyablement spécifique, prégnante, une forme qui est un nom propre. Cette évidence dépasse toute question de classement du site ou de quelque morceau d’architecture, et c’est à partir de cette donnée de forme, réelle et pour elle-même, et hors de toute référence à l’histoire de l’architecture ou à ses images fétiches, qu’un travail créateur - une invention - commence à s’établir2. 1 FREUD, Sigmund. « Section I » in Malaise dans la civilisation. op. cit., p. 9. 2 GUIHEUX, Alain. « Pour un urbanisme de situation » in Architecture Dispositif. op.cit., p. 109.

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Barre-Thomas : une architecture mutante Si Cedric Price percevait l’incertitude comme un délice dans l’inconnu, elle constitue aujourd’hui une donnée de la société contemporaine. Or, l’incertitude est possibilité. Il faut alors voir la défunte architecture non pas comme une relique mais comme un instrument de lutte et un outil d’émancipation : la preuve qu’un futur existe.

[THP]


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