NOUVELLES MOBILITÉS ET MÉTROPOLITAIN : UN RENVERSEMENT THÉORIQUE

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ENSAPM // T6 // 2010 // Xavier Seurre // Enseignant M. Roullin

Nouvelles mobilités et métropolitain : un renversement théorique


Nouvelles mobilités et métropolitain : un renversement théorique Xavier Seurre

En vingt ans, il s’est transformé au rythme de Paris et du monde en général, tout se passant comme si l’espace souterrain, par un effet d’optique particulier, offrait une image « grossie » des évolutions lentes ou accélérées de la société en mouvement. 1 Effectivement, l’hypermobilité caractéristique du capitalisme contemporain n’a cessé de transformer en profondeur les espaces urbains, les échanges qui y prennent place et tout particulièrement les espaces de transports. Si notre époque est productrice de non-lieux 2 - c’est-àdire d’espaces qui ne peuvent se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique – comme les espaces de transports, nous les comprenons d’autant plus qu’ils sont devenus les lieux iconiques de la vie et de la ville contemporaine. Dans ce contexte, le métropolitain parisien n’est pas tout-à-fait un non-lieu. D’abord parce qu’il est investi de souvenirs, d’habitudes. Ensuite parce que l’on y crée une certaine intimité corporelle. Il a cependant adopté par le cours des choses une double posture : trop vieux de cent ans pour avoir inclut ces codes lors de la conception, il ne peut de ce fait que s’y intégrer en s’actualisant. Le retour d’expérience sur la dernière ligne en date METEOR 3 ainsi que le travail de prospection OSMOSE sur la station de demain missionné par la RATP offrent de nouvelles pistes théoriques quant à l’évolution de la station de métro comme espace accueillant le transport. Transport qui se quantifie et qualifie d’abord par la notion fondamentale de mobilité. Et face à cette mobilité 1 M. AUGE, Le métro revisité, Editions du Seuil, 2008, p. 8-9. 2 M. AUGE, Non-lieux, Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Editions du Seuil, 1992, 150 pages. 3 Aujourd’hui la ligne automatisée 14 qui relie la station Saint-Lazare à la station Olympiades.

urbaine toujours plus croissante, quels enjeux se dessinent dans les espaces qui la contiennent ? Correspondants à des évolutions profondes, en sont-ils à la fois expressions et moteurs ? Enfin, les nouveaux principes de mobilité le sont-ils vraiment ?

Pour comprendre cette évolution des transports, il faut passer par les deux composantes fondamentales de la mobilité : la mobilité et l’accessibilité. La mobilité, c’est le mouvement potentiel, la capacité de se rendre d’un lieu à un autre. Fondamentalement, on la mesure par la puissance de transit, à savoir, la vitesse et la capacité. L’accessibilité quant à elle, est le potentiel d’interaction. Elle s’apprécie selon deux facteurs : un qui reflète le temps ou le coût pour atteindre une destination, l’autre qui reflète les qualités de potentielles destinations, leur attractivité. C’est pourquoi le choix est un élément essentiel dans l’appréhension de l’accessibilité. Il est bien nécessaire de distinguer ces deux notions car elles ne sont pas conséquences l’une de l’autre. Ainsi, une ville qui posséderait un système de transport extrêmement rapide mais qui se situerait loin de services essentiels, on dira d’elle qu’elle a une bonne mobilité mais une mauvaise accessibilité. Ainsi, replacé dans le contexte de la surmodernité, les transformations plus ou moins récentes des transports nous amènent à l’hypothèse la suivante : alors que les stratégies pour améliorer la mobilité sont contingentes du progrès technologique et donc leur évolution dans le temps est plus ou moins stable et constante, on assiste à un retournement théorique où les stratégies visant à une meilleure accessibilité deviennent majoritaires dans la conception des transports, voire de l’urbanisme. L’innovation dans ce domaine – si réelle innovation il y a – est la conséquence de plusieurs changements dans la


manière de penser le transport, que ce soit de la part de l’exploitant (ou gestionnaire de réseau), du maître d’ouvrage (ou commanditaire) ou du maître d’œuvre, et qui découle directement du capitalisme contemporain, parce que la facilité de déplacement est d’abord l’ingrédient essentiel de toute croissance économique. Historiquement, la notion de mobilité a toujours existé. Néanmoins, sa signification telle que nous l’admettons aujourd’hui, est empreinte des caractéristiques de la surmodernité. Avant, on pensait le transport uniquement en terme de déplacements, circulations ou trafics. D’abord, c’est devenu une revendication tout-à-fait légitime, un droit. Puis ce désir de mobilité s’est transformé en impératif de mobilité. Dans cette optique, la mobilité en est venue à être appréhendée dans sa singularité, son individualité. L’individualisation des références est bien une figure de l’excès de la surmodernité. De ce fait, les exploitants doivent maintenant faire face à une demande contradictoire : d’un côté, mener à bien un service de transport massif et régulier, et de l’autre, proposer une offre de mobilité plus individualisée. Tout cela exacerbé par la récupération progressive des automobilistes : un des nombreux signes d’un report certain du transport individuel vers le transport collectif. Il y a donc un retour vers l’usager, l’individu moderne, soit le client. Et c’est en premier ce désir de mobilité individualisée qui - à travers les services qu’il génère – exprime ce renversement théorique vers l’accessibilité. Actuellement, ce nouvel équilibre ou déséquilibre entre mobilité et accessibilité s’accompagne d’une pléthore de concepts innovants dont il est de bon ton de questionner la nouveauté. Multimodalité, transmodalité, mixité, etc., sont autant de réponses à la densité urbaine croissante qui méritent d’être analysées d’un point de vue historique et contextuel. De ce point de vue, l’histoire du métropolitain suit plusieurs grandes périodes dont la cohérence résulte d’une innovation technologique constante. Ne s’inscrivant pas dans cette continuité, ce nouvel équilibre engendre une rupture idéologique dans la conception, non pas tant du à l’émergence de nouveaux concepts

mais bien du changement d’angles sous lequel ils sont abordés. Enfin, la rupture se définit également par la dualité mobilité/accessibilité où ces derniers sont plus que distingués : on les oppose conceptuellement. Nous tenterons donc de mettre en lumière les causes et les évolutions des concepts de mobilité ainsi que des partis pris architecturaux qui en découlent, à travers, l’angle de conception initial qu’on retrouve dans les premières stations de 1900 (avec la station Villiers utilisée comme référence type des ambitions de l’époque), et les divergences idéologiques qu’incarnent d’un côté le projet de prospection OSMOSE : Quelles stations pour demain ? de la RATP et de l’autre, la dernière ligne en date, METEOR.

1900 : une mobilité qui s’inscrit dans les formes dictées par le Génie Civil Si le métropolitain parisien est devenu cette figure emblématique de Paris voire le symbole de la culture parisienne, c’est probablement grâce à son insertion urbaine qui le transforme en cette promotion du décor urbain à la qualité épique 4 . Mais c’est également par sa simplicité et son image standardisée qu’on retrouve dans la presque totalité des stations d’origines (on parlerait maintenant d’identité visuelle) qui le rend si singulier. Cette identité visuelle – qui n’a donc rien d’un concept nouveau – résulte des aménagements simples, reflets des ambitions du génie civil et du savoir-faire technique de l’époque que l’on peut synthétiser en trois points essentiels : une volonté hygiéniste, l’autre fonctionnelle et le dernière de faire du métropolitain parisien une vitrine technologique du savoir-faire français (en effet à l’époque, bien que retardé, il était prévu qu’il soit opérationnel pour l’Exposition Universelle de 1900). Le traitement de la mobilité s’inscrit donc dans ce tryptique, majoritairement par le génie civil.

4 Roger Caillois, cité dans une exposition permanente de la RATP à l’intérieur de la station MontparnasseBienvenüe.


La volonté hygiéniste s’exprimant essentiellement sur des questions de lumière, elle se répercute sur la facilité de déplacement et donc sur la mobilité humaine. Ainsi, le carrelage 7,5x15 biseauté, cet élément le plus reconnaissable du métro, fût choisi pour sa facilité d’entretien, sa pérennité (il peut tenir plus de cent ans) mais surtout pour sa qualité de refléter la lumière qui permet d’améliorer l’éclairage peu nombreux et faible (110V). Il a un côté magique, ça scintille. Il suffit de l’éclairage d’une bougie pour faire scintiller toute la voûte. Légèrement brillant, ça gomme les aspérités du génie civil et empacte les déformations 5 . Il présente également de l’intérêt par le contraste qu’il crée avec la signalétique, ce qui procure une plus grande lisibilité essentielle à la mobilité.

notamment dans les volumes crées. D’abord, ce savoirfaire correspond avec les outils de l’époque, et ce, bien que pour la construction, les techniques n’aient pas changé fondamentalement. Comme la charpenterie où on remarque un magnifique et subtil travail sur le fer forgé à l’époque, sans soudures et où tout est riveté.

Fig. 2- Coupe longitudinale de la station Villiers sur un couloir où l’on peut observer le travail de ferronnerie sur la couverture en voutains.

Fig. 1- Coupe transversale de la station Villiers sur les quais où l’on peut observer l’arrondi du plafond propice à l’éclairage.

Enfin, bien que les réponses fussent moins abouties, on retrouve déjà les mêmes questionnements sur la lumière comme la volonté de faire descendre la lumière naturelle le plus loin possible qui était alors traitée au niveau de la trémie. Le souhait de faire du métropolitain parisien une vitrine technologique du savoir-faire français s’exprime autant dans sa normalisation que dans ses excentricités, 5 X. BERTRAND, Conception et Identité des Espaces, Département des Espaces et du Patrimoine à la RATP, dans un entretien accordé le 8 avril 2011.

Ce savoir faire permit également la création de volumes assez atypiques comme la station Cité ou la station Saint-Michel qui sont percées comme un puit en tôle de bateau rivetée et ce, pour des raisons de génie civil où il fallait traverser une nappe phréatique. Ces puits métalliques, par leur disposition spatiale préfigurent déjà les stations modernes. Ensuite, l’autre facette travaillée du fer : la fonte, partie intégrante de l’identité visuelle assoit la station dans le quartier, marque son insertion urbaine comme le montre les trémies Guimard qui permirent d’assimiler le métro comme Paris. Techniquement, cela se décline du simple garde-corps, de la main courante en fer - qu’on prend à l’accès et qui court jusqu’au quai : une espèce de fil d’Ariane signifiant mais qu’on ne voit pas - jusqu’aux portes esquissés à l’entrée des stations. Tout cela confirme, que les stations étaient déjà conçues comme éléments de centralité au sein du quartier. D’ailleurs, on apportait déjà des réponses à cette centralité. Par exemple quelques


services comme le montrent les commerces abandonnés que l’on peut apercevoir sur les quais de certaines stations d’origine. Pour finir, la volonté fonctionnelle, quant à elle, travaille à plusieurs échelles, du réseau jusqu’aux détails de stations. A l’échelle du réseau, un des premiers objectifs du métropolitain – qui maintenant apparaît comme une évidence - était la multimodalité, c’est-à-dire de lier, associer les différents modes de transport entre eux. Ce qui prouve que ce concept de mobilité a pris une nouvelle forme mais n’est pas en lui-même nouveau. Multimodalité, car son réseau a été pensé intramuros pour relier les gares de Paris. Les gares drainaient déjà bus, trains et métros. Comme le montre la gare SaintLazare où, sous la rotonde 4 ou 5 lignes se croisent dans ce véritable volume d’échange magnifié. La multimodalité, on la retrouve également dans l’essence même du réseau métropolitain. La finesse de la maille du réseau, bien que ce ne soit pas à la même échelle constitue déjà une multimodalité par les correspondances si l’on considère les lignes comme des moyens de transport différenciés. Quant à la morphologie des stations et l’expression fonctionnelle du traitement des flux, on peut trouver sur le détail, plusieurs indices qui nous amènent à penser qu’elles étaient déjà conçues comme continuité de l’espace public et que l’interaction station/ville devait être fluide. Ainsi, le revêtement du sol des stations a été conçu comme un ruban d’asphalte qu’on fait pénétrer naturellement dans le métro et qui devient un prolongement naturel de la voirie jusqu’aux quais. La plus grande différence avec les stations modernes, c’est au niveau de l’articulation des espaces. Les couloirs sont la grammaire volumétrique des stations. Le déplacement dans la station s’effectue selon une succession de couloirs qui relient et distinguent les principaux espaces de cette dernière : trémie, salle des billets et quais. Bien que distingués, les espaces s’appréhendent par le parcours. C’est-à-dire, qu’il faut aller jusqu’au quai pour réaliser que l’on s’est tromper de direction. De plus, il arrive également que certains volumes aient un double usage comme certains quais à

Montparnasse qui font également office de couloir de circulation. La lisibilité de déplacement est moins élaborée qu’actuellement, et pourtant elles ont été élaborées dans un cadre foncier et juridique beaucoup plus simple qu’actuellement. Ce qui les rend moins contorsionnées et ce qui explique qu’un grand nombre de stations des lignes d’origine fonctionnent sous tranchée couverte et sont de ce fait peu profondes (cf. figure 2). Pour résumer, les stations d’origine sont pensées horizontalement comme des tunnels, selon le principe de la taupe, et cela nécessite une mise en œuvre importante de la signalétique pour se situer. Puis, ces tunnels distribuent de cette manière les circulations dans des espaces distincts.

Fig. 3- Coupe transversale de la station Villiers au niveau des quais et des couloirs de circulation distinguables.

1970-2000 : des changements qui préfigurent à la rupture idéologique actuelle de conception Architecturalement parlant, si certaines stations d’origine peuvent être qualifiées de visionnaires quant à la conception, c’est véritablement vers les années 70 qu’on commence à voir émerger un nouveau concept d’organisation qui change majoritairement l’appréhension de la mobilité au sein de la station et qui va devenir la configuration-type des stations modernes telles qu’on les connait aujourd’hui : la mezzanine. Historiquement, cette nouvelle organisation voit le jour dans le cadre de prolongements de certaines lignes et s’inscrit dans une période de travaux de grande envergure dans les transports avec l’arrivée du RER et du périphérique.


Fig. 4- Schéma de principe de la station Puits Mauger de la ligne b du métro automatique de Rennes Métropole réalisé par Egis Rail dans le contexte de l’étude cadrage génie civil.


Sommairement, passer des couloirs de circulation à la mezzanine, c’est passer d’une organisation horizontale des circulations à une autre verticale. Conceptuellement, cela revient à considérer le volume de la station comme un élément de repérage et de compréhension du déplacement que l’on a à faire. Pour ce faire, on renverse les distributions à la verticale par le biais d’un puit de circulation lisible qui permet un enchainement naturel jusqu’aux quais grâce à des volumes simples. J’agrandis la galerie et dans cette galerie j’amène la mezzanine. La mezzanine c’est un point fondamental focal depuis lequel je découvre le quai, je découvre le fonctionnement du métro et j’ai encore la possibilité de me rendre compte d’une erreur et de faire demi-tour. Là l’idée, c’est j’ouvre les espaces pour appréhender globalement les choses et l’avantage quand t’es sur la mezzanine, c’est que tu peux lire la signalétique sur le quai là, et celle qui est sur le quai ci 6 . La conséquence principale en termes de construction est le passage à un ouvrage qui se réalise en amont par le cadrage génie civil, la boîte béton qui va contenir le puit de circulation. Face aux innovations de génie civil et architecturales qui offrent un nouveau cadre au déplacement, se met en route progressivement un mouvement général qui dépasse le seul secteur du transport et qu’on qualifie de modernisation. Sous différentes formes, il amorce ce déséquilibre en faveur de l’accessibilité parce qu’il prône une attention renforcée vers l’usager. En effet, c’est à partir des années 80 que la RATP s’affirme comme une entreprise à travers de nombreuses campagnes de modernisation allant d’une refonte de la signalétique dont le rôle n’est plus que d’être le support exclusif d’informations mais également de devenir le support d’une image, d’une marque et qui doit promouvoir une qualité de services – à des réaménagements intérieurs 6 S. LELIEVRE, architecte pilote des affaires liées à l’architecture à la SEMTCAR (Société d’Economie Mixte des Transports de l’Agglomération Rennaise, Maîtrise d’Ouvrage de la ligne b du métro de Rennes Métropole) dans un entretien accordé le 11 avril 2011.

de stations. Mais la RATP n’est pas un cas isolé : (…), de nombreuses recherches ont montré d’importants déplacements dans la gestion de l’action de l’Etat et de sa bureaucratie qui s’est peu à peu rapproché des univers de référence du secteur privé, notamment via le modèle de la relation de service 7 . Dans ce processus, le service proposé devient une coproduction avec le client qu’incarne l’usager. De ce fait, se met en place une stratégie assez mercantile où l’exploitant est toujours plus demandeur de services mais qui se fait à-priori au bénéfice de l’usager. L’exploitant a totalement changé, il est venu d’un gestionnaire de réseau, c’est-à-dire je dépense le moins possible pour essayer que ça me rapporte le maximum, au prestataire de service au sens où il considère qu’il a plus à faire que de vendre un simple ticket. Cela permet face au maître d’ouvrage qu’il soit payé plus cher en tant que DSP (Délégation de Services Publics) 8 . Parallèlement à cette avancée vers l’accessibilité, une innovation technologique en faveur de la mobilité : l’automatisation des rames entraine une refonte de l’espace des quais et scinde le retour à l’usager en deux périodes. La première a consisté à effacer le rapport à l’usager de manière physique, par la désertion du personnel de station. Alors que maintenant, par le biais des nouveaux concepts et services proposés à l’usager, on assiste à un réinvestissement de la station par du personnel aussi varié que les services proposés. Enfin, par rapport à la notion de multimodalité vue précédemment et qui avait toujours coexistée avec le métropolitain parce que les planificateurs des transports dans la plupart des cas (…) veulent que leurs lignes soient entre des pôles générateurs de transport, ils vont chercher des gens là où ils sont ; ça a presque de tout temps fonctionné comme ça 9 . Elle consiste maintenant à optimiser les accès et les correspondances ; améliorer 7 J. DENIS et D. PONTILLE, Petite sociologie de la signalétique, Les coulisses des panneaux du métro, Presses des Mines, 2010, p.39. 8 Ibidem que 6 9 Ibidem que 6.


le système d’information et l’orientation spatiale (…), aménager l’espace pour accroître la sécurité et créer une ambiance conviviale 10 . Les applications de la multimodalité y sont donc différentes. Architecturalement, on passe de à côté de à imbriqué à, c’est-à-dire à des lieux mutualisés. En terme de conception et d’organisation, cela va plus loin : les PEM (Pôles d’Echanges Multimodaux) permettent aux autorités organisatrices des transports de prendre une attitude nouvelle en tentant de coordonner leur programme qui affecte à la fois la région, l’exploitant pour répondre à différents besoins. Conceptuellement, ce sont donc ces avancées notables (automatisation exclue) et ces changements de mentalité qui vont amorcer la rupture avec l’espace de transport traditionnel par son rapport aux services. Dés lors, deux alternatives se dessinent. Vers un modèle de la surmodernité et son contremodèle, un retour à l’espace de transport traditionnel Si la mobilité est devenue le mode de vie standard de la société et de l’économie contemporaine, elle induit de nouveaux types de relations aux transports. Expression et moteur de l’individu mobile moderne, elle est donc éminemment évolutive et sujette à innovation. Et en même temps, son essence et finalité – à savoir, le bien voyager – reste la même. C’est cette double inscription temporelle qui marque la scission actuelle du projet de transport. Scission résultante du renversement théorique de conception vers l’accessibilité.

des aspects plus « périphériques », qui concernent davantage les modalités d’usage et de relation 11 . La première alternative conséquence de cette rupture s’inscrit dans l’évolution logique du transport, c’est-à-dire une nouvelle définition du marché de services auquel les transporteurs et autres opérateurs s’adressent. Incarnant la stratégie pour une accessibilité renforcée, elle devient un modèle de la surmodernité principalement par l’individualisation des références. En effet, elle se base sur un individu mobile moderne et les nouveaux types de rapport qu’il entretient au corps, au temps, à la technologie et aux autres. Cet investissement vers l’individu se justifie historiquement par la dimension sociale de la RATP où elle a toujours essayé d’être au plus près de l’usager, du voyageur. L’innovation dans les transports urbains est ainsi tirée par une véritable mutation des usages, portée par l’individualisation et la généralisation du désir de mobilité, au service de nouvelles pratiques relationnelles, commerciales, culturelles, de nouvelles formes de l’échange, de la rencontre, de la coopération 12 . Figure de cette première alternative, le projet de prospection OSMOSE (2010) se veut réponse aux nouveaux enjeux de mobilité de la métropole francilienne, résultat d’une démarche de développement durable concernant la synergie entre la ville compacte, dense et les pôles de transport. Dans cette vision, le pôle de transport est placé au premier plan comme outil stratégique des projets d’aménagements, donc de la ville dans toutes ses dimensions.

Pour les caractériser globalement, on pourrait dire que ces évolutions marquent un glissement du centre de gravité de l'innovation, qui jusque là placé sur les aspects de puissance (« puissance de transport » mesurée en vitesse et capacité) tend à se déplacer vers

Alors que là, l'enjeu du Grand Paris c'était de se dire qu'on va tirer un système de transport avec ces stations, et que ce sont ces nouveaux lieux « voyageur » qui vont créer le milieu urbain environnement. Et ça c'est un pari

10 G. AMAR, La Défense, cœur transport multimodal, RATP Savoir-Faire, 2001, p.4.

11 G. AMAR, La transmodalité : une mutation des transports urbains, conférence dans le cadre de la table ronde L’émergence des nouvelles demandes en 2007. 12 Ibidem que 11.


que font les architectes : ils pensent très logiquement que l'arrivée de la station crée une centralité, que cette centralité est demandeuse de services et de biens et que c'est dans ces lieux là qu'on offrira ces services et ces biens 13 .

automates de services publics, etc. – ainsi que des animations culturelles. La station devient un pôle de services intégré dans un pôle de transport, son programme s’adapte selon les besoins et opportunités territoriales 14 .

Intégrée à un quartier virtuel, un territoire représentatif de l’agglomération parisienne, la station OSMOSE réalise le croisement entre la ligne 15 existante, qui relie la station à Paris, et la ligne 21 projetée, qui dessert les pôles urbains de la Région Ile-de-France. Ce scénario nous confirme d’abord la vision d’un Paris décentré où le métro n’est plus le symbole d’un Paris intramuros. Ensuite, s’étendant à la Région Ile-de-France, il prend un rôle essentiel dans la redéfinition de l'espace parisien actuel alors que jusqu’à récemment, il faisait seulement office de second rôle comme le montre la ligne 1 automatisée qui, en 1992, lorsqu’elle atteint La Défense, sert de relais au RER A. Mais ce qui la rend si caractéristique, ce sont les objectifs de ce projet de prospection qui se concentrent autour des notions d’intermodalité, d’interconnexion entre les ouvrages et équipements du transport et de la ville, de multiprogrammation et enfin de mixité entre les espaces de transport et les autres fonctions urbaines, notamment l’habitat et les activités publiques et marchandes. Cette accrétion se fait au travers de concepts aux énoncés simples et évocateurs pour sensibiliser l’usager : la mobilité pour tous, le prolongement de la ville, un lieu à vivre, un signal dans la ville, l’anticipation de nouveaux usages, etc. La station du futur s’ouvrira sur la ville, en synergie avec ses fonctionnalités pour devenir un véritable lieu de vie. L’objectif est de répondre aux nouveaux besoins des citadins et d’anticiper leurs nouveaux usages de la ville pour offrir, au sein de la station, tous les services utiles du quotidien, qu’ils soient marchands – commerce, ecommerce, points de livraison, bureaux à partager…– ou non marchands, – crèches, services médicaux, 13 R. FEREDJ, Directeur du département des Espaces et du Patrimoine de la RATP, cité dans la vidéo d’information sur OSMOSE diffusée sur Internet.

Fig. 5- Le « métro ouvert », visuel de la réponse proposée par Foreign Office Architects qui rappelle les principes de continuité de l’espace public ainsi que création de lieux de vie autour de services.

Fig. 6- « L’observatoire du métro », visuel de la réponse proposée par Abalos + Sentkiewicz Arquitecton et Jasper Morrison, Office for Design qui rappelle les principes de mixité programmatique superposée ainsi que de la mise en scène du métro par un atrium vertical.

14 Extrait du dossier de presse Une démarche de conception d’espaces de transport prospective et collaborative de la RATP.


services, on réalise bien plus qu’une décontextualisation du transport. Parce que considérer le temps de transports comme du temps perdu, c’est exacerber les principes de rentabilité et de compétitivité qu’incarne le capitalisme contemporain.

Fig. 7- « Une station minimale et une station maximale », visuel de la réponse proposée par Périphériques Architectes qui mise sur l’intermodalité et l’adaptation

Ces trois réponses au projet OSMOSE mettent en lumière une nouvelle typologie d’espaces publics et de bâtiments, mixant les fonctions de pôle de transports, d’espaces publics et d’usages urbains qui crée une inversion du statut de la station de métro. Elle accueille des services concentrés autour du déplacement en distribuant la dynamique du transport dans la ville. Un lieu souterrain et fermé dans lequel on est déconnecté de la vie publique, (…) un supplice, un moment de tristesse, (…) des voyages par nécessité, (…) une séquence ennuyeuse et subie entre le moment où je sors de mon moyen de transport et le moment où j'arrive dans la vraie vie, dans la vraie ville, (…) c’est pourquoi, le concept même de transport, qui sousentend une certaine passivité du transporté, ainsi qu’une pure transitivité (le transport ne serait pas une « fin en soi ») est désormais insuffisant, etc., sont d’autant de considération, citations extraites du discours des architectes, qui ont conçu les réponses au projet OSMOSE et partagées par la RATP, qui témoignent d’un déni de la dimension temporelle du transport. L’époque où l’on pouvait chanter et s’exalter de la beauté de la vitesse et de la puissance du transport avec les futuristes 15 et désormais révolue. En tentant d’effacer la temporalité du transport par une pléthore de 15 FT. Marinetti, Manifeste du futurisme, 1909, 4 pages.

Surcharger l’espace du transport avec de nouvelles fonctionnalités prouve que (…) dans la réalité concrète du monde d’aujourd’hui, les lieux et les espaces, les lieux et les non-lieux s’enchevêtrent, s’interpénètrent 16 . De ce fait, malgré la tentative architecturale d’en faire la continuité de la ville, cet espace public par excellence est voué à se défaire de tout signifiant social car si les non-lieux désignent des espaces constitués en rapport à certaines fins (transport, transit, commerce, loisir), et le rapport que des individus entretiennent avec ces espaces, (…) comme les lieux anthropologiques créent du social organique, les non-lieux créent de la contractualité solitaire 17 . D’abord, cette trajectoire conceptuelle comporte plusieurs risques. Comme dans tous les domaines, le transport subit les effets de mode et l’anticipation de nouvelles fonctionnalités – en plus de déconnecter le métro du l’univers du transport – relève d’un besoin récent sur lequel on n’a pas toujours beaucoup de recul et qui de ce fait peut tomber en désuétude. Ensuite, l’émergence de ces bâtiments évolutifs aux fonctionnalités anticipées ne laissent pas le temps de générer des choses, on est dans une course en avant technologique qui elle-même reflète la course contre l’ennui de l’usager, symptôme de la surmodernité. Le voyageur, on lui impose tout ça, on le contraint. Il a l’impression d’être demandeur, on a l’impression de lui faire plaisir. Ce qui lui ferait le plus plaisir c’est d’avoir des espaces propres, une bonne cadence de trains, des espaces fluides agréables à lire, une connexion wifi peut-être. On a une surabondance d’offres comme si on

16 Ibidem que 2, p. 134. 17 Ibidem que 2, p. 118 à 119.


culpabilisait d’avoir un métro dégueulasse. Résolvons d’abord le problème de flux, de transports 18 . Enfin, chaque système de transport possède des caractéristiques propres comme le temps de latence qui appelle des services adéquats (exemple du journal 20 minutes qui reflète le temps moyen passé dans le métro parisien). Dans le cas d’une multimodalité toujours croissante, il y a des risques de services contradictoires dans certains lieux mutualisés.

2. Vitrine technologique du savoir-faire français : un design cohérent avec les lieux, les équipements et le matériel roulant. 3. Intégration urbaine de la ligne : l'accès de METEOR doit être un évènement urbain 20 .

La seconde alternative, contre-modèle anticipé de la première, appelle à un retour aux sources du lieu de transport et prend sa forme la plus manifeste à travers le projet de la ligne 14 METEOR (1991). Sur Météor, aucun commerce, on voulait revenir juste au plaisir du transport. Le transport doit rester un plaisir 19 . Effectivement, - et sans doute ce qui contraste le plus avec la première alternative – la conception du projet METEOR repose sur deux principes : une épuration fonctionnelle de l’outil-métro, à savoir le rejet de services additionnels ainsi que d’un réinvestissement de la station comme espace de transport premier où la dimension temporelle devient parti-pris du projet. Dans ce cas, l’architecture redevient support du transport à défaut d’être un objet hybride, adaptable, anticipé incarnant les nouveaux rapports qu’entretient l’homme avec l’espace et les services. En ce sens, on peut dire que ce projet se rapproche des ambitions premières du métropolitain de 1900, à savoir simplement le bien voyager à travers les questions d’efficacité, de confort et d’esthétique qui s’expriment autour de ces trois points pour y créer une modernité : 1. Automatisme et convivialité : un accueil marquant l'autorité de la RATP et sa sollicitude pour les voyageurs.

18 Ibidem que 5. 19 Ibidem que 5.

Fig. 8- Coupes de principe d’une station de la ligne METEOR qui mettent en évidence les principaux questionnements abordés : accès, lisibilité, traitement de la lumière, réutilisation de la mezzanine, etc.

20 B. Kohn, METEOR, Carnet de détails, Etudes préalables, 1991, p. 3.


En termes de conception, la station METEOR pense l’architecture autour de points névralgiques : accès/accueil/billetterie, circulation verticale, circulation horizontale, mezzanines, quais, tunnels et portes palières. Ces espaces son traités suivant deux objectifs : un de circulation et de transport, l’autre – reflet de l’effet de modernisation cité précédemment – d’image, ce qui permet à la RATP de s’exprimer comme acteur urbain et comme entreprise. Et de ces objectifs naissent les ambiances résultantes. C’est donc par leur processus de conception que l’on peut opposer OSMOSE et METEOR. Pour ce dernier, on part d’objectifs fonctionnels que l’on va confronter avec les formes architecturales, puis l’on va ajouter les fonctionnalités pour aboutir à des scénarios d’aménagements. Alors que pour OSMOSE, en partant de scénarios d’aménagements et de fonctionnalités, on procède dans l’autre sens. Alors, si l’on part d’objectifs fonctionnels sans scénarios incluant des services additionnels, c’est à l’architecture de la station de récupérer l’objectif de rompre la monotonie que font les services dans l’autre alternative. Ce qui donne à naissance à de nouveaux concepts d’organisation des espaces.

Fig. 9- Exemple du diaphragme : séquence qui permet de rythmer le parcours, offrir des respirations, ponctuer l’espace et rompre la monotonie

Enfin, le deuxième principal contraste avec la première alternative réside dans la manière dont sont pensés les rapports entre l’usager et le lieu de transport. Ce sont les deux objectifs suivants qui exprime le mieux ces différentes rapports : faire en sorte que le public estime et protège l'outil-métro, (…) combler le temps d'attente (animer sans contraindre) 21 . 21 Ibidem que 20.

L’usager devient actif d’une autre manière que la première alternative, cela ne passe plus par le choix de services, mais par l’optimisation spontanée du temps de transport par ce dernier qu’on laisse générer (se référer à l’annexe 1). Quand tu vas sortir d’une rame au niveau d’un quai, ton souhait, c’est de remonter le plus rapidement à la surface, et inversement. Organisation, qualité, cheminement, évidence du cheminement sont les maîtres mots. La force de l’habitude fait qu’il y a un rendement spontané, il faut établir ce potentiel préalable à cette spontanéité 22 .

Espace de transport et architecture : de l’urgence du quotidien vers la station de demain On arrive aux années 1972, 1973, où un accord se fait sur la nécessité que la RATP se comporte comme une entreprise, c’est-à-dire qu’elle recherche la succès plus que la préservation en l’état de son modèle, mais que, en sens inverse, le succès est ce qui va permettre de préserver son modèle. (…) On finit par se construire un modèle : on est dans une entreprise dans laquelle un individu est un usager, c’est-à-dire une espèce d’être humain réduit à sa condition sociale d’être transporté sans l’abîmer si possible 23 . Comme nous l’avons vu précédemment, c’est ce souci de préservation du modèle par le succès qui s’exprime à travers la transformation de l’usager en client et de la solution de transport en opérateur de services. C’est-àdire que maintenant, la pensée prédominante - par ampleur et accumulation - vise à faciliter et augmenter l’usage du métro en donnant plus de moyens et d’offres de consommation (ce qu’exprime la couverture). Le renversement théorique vers l’accessibilité étant la conséquence la plus flagrante. 22 Ibidem que 6. 23 L.C., Département systèmes d’information et de télécommunications cité par J. DENIS et D. PONTILLE dans Petite sociologie de la signalétique, Les coulisses des panneaux du métro.


Maintenant, si l’on pose comme condition encore vraie que l’usager/client est dépendant du métropolitain, il subit donc de force les différentes ambitions et politiques changeantes générées par l’entreprise. Il semble donc de bon ton de se demander si tout cela se fait au bénéfice ou en la défaveur du voyageur de toute façon captif de ce système. Qu’est-ce qui est réellement important, quels sont les réels besoins ? Faut-il tendre vers une épuration ou une accumulation de services dans l’espace métropolitain ? Est-ce un leurre ? Le souhait essentiel ne réside-t-il pas dans l’efficacité, le confort et l’esthétique ? Et jusqu’où ? N’est-ce pas là que l’architecture doit intervenir ? Mais le vrai fond du problème qui se cache derrière toutes ces questions, en marge de la surmodernité ou d’un retour aux sources, découle de l’espace de transport même et des conditions dans lesquelles il le supporte. Marqué par le sceau de l’habitude et de la répétition, l’espace de transport, par le quotidien tend vers sa propre dissolution. Au bout d’un moment on ne le voit plus. Et c’est une chose que l’on n’est pas encore capable d’assumer et contre laquelle il n’y a pas de solutions pour l’instant, seulement des prises de parti. C’est donc dans la temporalité du transport que l’architecture peut jouer un rôle important. Et bien qu’actuellement, les deux alternatives principales s’axent autour de l’opposition magnifier, réintroduire la magie du transport/combler la temporalité du temps de transport, il y en a probablement bien d’autres à découvrir. Reflet de la société contemporaine, (…) bien voyager c’est l’homme dans l’espace, c’est un projet d’architecture 24 .

FOND ICONOGRAPHIQUE Page de couverture- Photomontage réalisé à partir du tableau de la section Itinéraires du site Internet de la RATP. Fig. 1 à 3- Fond documentaire extrait du Projet d’exécution de la station de l’Avenue de Villiers.

24 Ibidem que 5.

Fig. 4- Fond documentaire extrait de l’étude de cadrage génie civil réalisé par Egis Rail pour le compte de la SEMTCAR/Rennes Métropole sur le projet de la ligne b du métro automatique de Rennes Métropole. Fig. 5 à 7- Fond documentaire de visuels de la réponse des architectes au projet OSMOSE extraits du Dossier de Presse réalisé par la RATP. Fig. 8 à 9- Fond documentaire de visuels issu du Carnet de détails des Etudes Préalables pour la station METEOR réalisé par l’équipe de B. Kohn mandatée par la RATP.

BIBLIOGRAPHIE J. Adams. The social implication of hypermobility, ENV/EPOC/PPC/T(99)3/FINAL/REV1, 2000. G. Amar, La transmodalité : une mutation des transports urbains, conférence dans le cadre de la table ronde L’émergence des nouvelles demandes en 2007. M. Augé. Un ethnologue dans le métro, Paris, Hachette, 1986. M. Augé. Non-lieux : introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Le Seuil, 1992. M. Augé. Le métro revisité, Paris, Le Seuil, 2008. C. Berto et A. Ossadzow, Fulgence Bienvenüe et la construction du métropolitain de Paris, Paris, Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, 2000. M. Castells. The Information Age – Economy, Society and Culture, Volume I – The Rise of the Network Society, Chapter 6 – the Space of Flows, Oxford, Blackwell, 1996. M. Crang. Between places: producing hubs, flows, and networks, Environment and Planning A, volume 34, 2002. J. Denis et D. Pointille, Petite sociologie de la signalétique – Les coulisses des panneaux du métro, Collection Sciences Sociales, Paris, Presse des MINES, 2010. RH. Guerrand, Mémoires du métro, Paris, Editions de la Table Ronde, 1961. RH. Guerrand, L’aventure du métropolitain, Paris, Editions La Découverte, 1986. S. Handy, Accessibility- VS. mobility-enhancing strategies for addressing automobile dependence in the US, 2002. B. Kohn, METEOR, Carnet de détails, Etudes préalables, 1991. FT. Marinetti, Manifeste du futurisme, 1909. R. Queneau, Zazie dans le métro, Paris, Gallimard, 1959. RATP, Dossier de presse OSMOSE, Une démarche de conception d’espaces de transport prospective et collaborative, 2010. W. Schivelbusch, The Railway Journey: the Industrialization and Perception of Time and Space, Chapter 3, Railroad space and railroad time, University of California Press: Berkeley, CA, 1987. M. Sheller et J. Urry, The new mobilities paradigm, Environment and Planning A, volume 38, 2006. P. Virilio, Vitesse et Politique : essai de dromologie, Paris, Galilée, 1978. P. Virilio, L’espace critique, Paris, C. Bourgois, 1993.


ANNEXES L’habitué d’une ligne de métro se reconnaît aisément à l’économie élégante et naturelle de sa démarche ; comme un vieux loup de mer qui descend d’un pas calme au petit jour vers son canot et apprécie d’un coup d’œil le moutonnement des vagues à la sortie du port, mesurant la force du vent sans avoir l’air d’y toucher, aussi cabotin mais moins appliqué qu’un goûteur de vin, écoutant sans paraître y porter attention le clapotis du flot contre le quai et la clameur des mouettes encore rassemblées sur le rivage ou déjà éparpillées sur la mer en petites troupes avides, le voyageur chevronné, surtout s’il est dans la force de l’âge et ne cède pas facilement à l’envie d’un démarrage soudain dans l’escalier pour le plaisir, se reconnaît à la parfaite maîtrise de ses mouvements : dans le couloir qui le conduit au quai, il marche sans paresse mais sans hâte ; sans que rien ne laisse voir, ses sens sont en éveil. Lorsque, comme surgi des murs de faïence, le bruit d’une rame se fait entendre, affolant la plupart des passagers d’occasion, lui sait s’il doit presser le pas ou non, soit qu’il apprécie en pleine connaissance de cause la distance qui le sépare du quai d’embarquement et décide de tenter ou non sa chance, soit qu’il ait identifié l’origine du tintamarre provocateur et reconnu dans ce leurre (spécifique des gares où passent plusieurs lignes et que le français pour cette raison dénomme correspondances alors que l’italien, plus précis et plus évocateur, parle à leur propos de coïncidences) un appel venu d’ailleurs, l’écho trompeur d’un autre train, la tentation de l’erreur et la promesse de l’errance. Parvenu sur le quai il sait où arrêter ses pas et déterminer l’emplacement qui, lui permettant d’accéder sans effort à la porte d’un wagon, correspond en outre exactement au point le plus proche de « sa » sortie sur le quai d’arrivée. Ainsi peut-on voir les vieux habitués choisir avec méticulosité leur place de départ, prendre leurs marques en quelque sorte, comme un sauteur en hauteur, avant de s’élancer vers leur destination. Les plus scrupuleux poussent le zèle jusqu’à choisir le meilleur endroit du wagon, celui qu’ils pourront quitter le plus vite possible une fois arrivés.

Plus fatigués ou plus âgés, quelques-uns essaient de concilier cet impératif tactique avec la nécessité du repos et s’emparent volontiers du dernier strapontin resté libre avec un mélange de discrétion et de célérité qui traduit, lui aussi, l’homme d’expérience. L’extrême précision de ces gestes machinaux évoque assez l’aisance de l’artisan à modeler l’objet de son travail. L’usager du métro ne manie pour l’essentiel que du temps et de l’espace, habile à prendre sur l’un la mesure de l’autre. Annexe 1 : L’habitué du métro M. Augé, Un ethnologue dans le métro, chapitre Mémoires, Paris, Hachette, 1986, p. 13 à 16.


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