Objectif Rodoviarisme

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S E U R R E

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DE L’AUTOPIA À LA DYSTOPIA

SÃO PAULO

OBJECTIF RODOVIARISME




En couverture :

Via Anchieta : inauguração da pista norte. Rafael Dias Herrera, 1947, FAMS.


Xavier Seurre

S達o Paulo objectif rodoviarisme

Sous la direction de Florian Julien

ENSAPM - Villes Architectures et Territoires


Fig.1 :

Captures d’écran : Elevado costa silva rumo a lapa é noissssssss. JHONI MOTOBOY. Youtube, 2014, 5mn38.


Vestige moderne

• Une figure de la mobilité Existe-t-il des formes urbaines spécifiques de la métropole ? À première vue, São Paulo - à l’instar de bien d’autres ville - essaye de nous en persuader et rivalise dans la production d’un skyline de grande hauteur dans son centre incarné par l’Edifício Copan, gratte-ciel le plus marquant du paysage pauliste du non moins célèbre architecte carioca Oscar Niemeyer. Pourtant cela caractérise-t-il vraiment une forme métropolitaine ? Il semblerait que certaines expressions moins évidentes mais tout aussi notables rendent compte du fait métropolitain, comme celles liées aux caractéristiques de la mobilité. Figure qui a profondément marquée l’histoire urbaine de São Paulo et qui y reste inextricablement mêlée. De ces formes urbaines de la mobilité évoquées, l’ouvrage d’art probablement le plus emblématique et sûrement le plus controversé de São Paulo en ce dernier demi-siècle est l’Elevado Presidente Costa e Silva plus communément appelé Minhocão. Cette voie express sur un viaduc routier de 3,4 km de long en plein cœur de São Paulo et prévu pour assurer la liaison est-ouest de la ville interpelle sans difficulté l’observateur étranger pauliste [fig.1]. Projet phare de la politique de Paulo Maluf - alors Préfet de São Paulo - qui, en 1969, le présente alors comme « a maior obra em concreto armado de toda a América Latina1 » -, il est conçu en pleine période de dictature militaire pour diminuer les problèmes d’engorgements du centre de la capitale. Au-delà d’une rhétorique de gouvernance, le Minhocão est symptomatique de cette compulsion pour le béton armé comme instrument politique et des styles et visions du gouvernement pauliste de droite de ces décennies. Ensuite, pensé et conçu en un temps record entre 1969 et 1970, il n’a que partiellement fait l’objet d’études technique pour être validé. On lui reproche en particulier de ne s’être appuyé sur aucune recherche Pesquisa OD : 1 trad. : « le plus grand ouvrage d’art en béton armé jamais réalisé en Amérique Latine » - MALUF, Paulo in Anuncia da construção do Minhocão (1969).

SÃO PAULO

Introduction


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Fig.2 :

Affiche du film documentaire ELEVADO 3.5. João Sodré, Maíra Bühler et Paulo Pastorelo. Primo, 2007.

Origem e Destino2, méthodologie d’étude statistique des transports de référence au Brésil. Cela questionne la légitimité de certaines politiques urbaines qui sont apparues non plus uniquement comme un outil au service de la métropole mais comme un véritable vecteur idéologique et financier où la population ne semble parfois plus se reconnaître. Congestionné dés son inauguration (il nous rappelle le malheureux paradoxe de la Fundamental Law of Highway Congestion3), ce viaduc routier pose de réels problèmes urbains en plus des embouteillages quotidiens dus aux 120.000 trajets journaliers, comme la dévalorisation des alentours immédiats [fig.2] notamment des infrastructures, de 2 trad. : « Enquête OD : Origine-Destination » 3 Ce paradoxe, qu’on pourrait traduire comme loi fondamentale des embouteillages montre que le kilométrage parcouru par un véhicule augmente peu ou prou dans la même proportion que le kilométrage d’autoroutes construites. En d’autres termes, chaque nouvelle route, chaque nouveau pont ne fait que générer davantage de circulation parce qu’elle modifie le comportement des conducteurs d’une manière qui en fin de compte annuler l’amélioration.


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l’insalubrité du « dessous » du viaduc de la pollution sonore et visuelle causées par la proximité de son insertion urbaine brutale. On comprend donc aisément qu’il soit qualifié de « cenário com arquitetura cruel4 » ou comme « uma abberação arquitectônica5 ». C’est pour ces nombreuses raisons qu’il est actuellement de nouveau remis au centre du débat où les deux principales solutions envisagées s’opposent : sa destruction ou sa reconversion. Derrière ces deux options, c’est bien deux conceptions fondamentalement différentes pour la ville qui s’affrontent. D’un côté, on trouve l’assomption de l’histoire urbaine et de son legs à l’image du projet lauréat du Prêmio Prestes Maia de Urbanismo de l’agence Frentes Arquitetura pour sa « revitalisation » dont l’ambition est de transformer le viaduc en parc suspendu, à la manière de la High Line de New York. The recuperation and transformation of this decadent symbol provides a remarkable opportunity (...), the potential to become one of the most inspirational constructions in the city´s infrastructure6.

D’autres pour des raisons socio-sanitaires arguent en faveur de sa démolition et optent donc pour le rejet de cette forme héritée du passé : Só com o seu desaparecimento por completo, São Paulo se libertará do fantasma que assombra a região central há mais de 40 anos7.

Mais quel est ce fantôme ? Est-ce une réplique partielle, imparfaite d’une vision prophétique de Le Corbusier pour São Paulo 40 ans plus tôt ? Si l’on faisait ceci : poser de colline à colline, de sommet à sommet, une règle horizontale de quarante cinq kilomètres puis une seconde même règle, à angle droit à peu près pour desservir les autres points cardinaux. Ces règles droites sont les autostrades de grande pénétration en ville, en réalité de grande traversée. Vous ne survolerez pas la ville avec vos autos, mais vous la « surroulerez ». Ces autostrades que je vous propose sont de gigantesques viaducs (…) sur des structures de béton armé qui constitueront des bureaux au centre et des logements en périphérie8. 4 trad. : « scénario d’une architecture cruelle » 5 trad. : « une abberation architectonique » 6 trad. : « La récupération et la transformation de ce symbole décadent fournit une remarquable opportunité (...), le potentiel pour devenir un des constructions les plus exaltantes au sein des infrastructures de la ville. » - ALVES, José in O novo elevado (2006). 7 trad. : « C’est seulement avec sa disparition complète que São Paulo pourra se libérer de ce fantôme (fantasme) qui assombrit la région centrale il y a plus de 40 ans. » - CÁSSIO, José in Por que o Minhocão deve ser destruído e não revitalizado (2014). 8 Le Corbusier in Précisions sur un état présent de l’architecture et de l’urbanisme (1930). Paris : Vincent, Fréal & Cie, 1960. p. 242.


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Fig.3 :

Perspective aérienne du plan d’urbanisme de São Paulo. Le Corbusier, novembre 1929, Fondation Le Corbusier.

Et cette vision, dans quel contexte a-t-elle pu s’épanouir ? Parce que la venue de Le Corbusier en Amérique Latine n’est pas fortuite. Si c’est bien par l’intermédiaire de son compatriote Blaise Cendrars et de Fernand Léger, qu’il se rend en Amérique du Sud pour la première fois en 1929, Paulo Prado en est réellement l’instigateur pour ce qui est du voyage à São Paulo et à Rio de Janeiro. Fils d’Antônio Prado, Préfet de São Paulo de 1899 à 1911, celui-là même qui instaure lesp premières lois visant à réglementer l’usage de l’automobile. Son fils, ce « planteur, lettré, mondain cosmopolite, grand homme d’affaires international, roi du café, arbitre du modernisme à São Paulo, président de l’Automobile-Club » selon Blaise Cendrars, est lui aussi connu pour être un adepte des autostrades « aux voitures vrombissantes ». Bien que le Brésil soit connu pour être un terreau particulièrement fertile pour les idées de Le Corbusier et ce, encore aujourd’hui, le voyage de ce dernier est bien un échange dans les deux sens. Un échange où les situations urbaines rencontrées auront grandement nourri sa réflexion. En effet, c’est lorsqu’il découvre ces villes d’Amérique du Sud, notamment São Paulo en novembre, que Le Corbusier imagine la transformation radicale de ces dernières par des mégastructures, des « règles » continues, tranchant et cisaillant le territoire de ces agglomérations qu’il voit déjà en métropoles [fig.3]. Ces dernières étant issues de la confrontation qu’il observe entre l’habiter et le paysager et qui engendre


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diverses associations comme celle entre habitation/autoroute. Une association faite d’immobilité (avec l’immeuble-villa) et de vitesse (avec l’autostrade-terrasse) et qui marque une avancée majeure par rapport à ses travaux passés. À posteriori, connaissant les activités économiques de Paulo Prado, la visite de Le Corbusier à São Paulo semble conforter une dynamique politique propre au Brésil : le rodoviarisme, du terme portugais francisé « rodoviárismo ». Du début du XXème siècle à de nos jours, l’option rodoviariste à tracé le chemin de la modernité et du progrès au Brésil. Historiquement et en intensité, São Paulo reste l’exemple le plus éloquent de cette épopée et lui doit en partie son fait métropolitain. Éminemment pluriel, le rodoviarisme, au-delà d’une simple politique publique urbaine, est le fruit d’un processus historique qui fait de lui un modèle d’urbanisme prédominant dans la tradition de la ville de São Paulo. Il explique entre autres pourquoi São Paulo est structurée autour du transport routier, selon une expansion horizontale illimitée. Pourtant, si à l’époque une préoccupation excessive pour le système routier pauliste semblait avant-gardiste, elle apparaît dorénavant pour certains comme anachronique, parce que trop sectorielle. Elle négligerait en conséquence une planification plus globale de la ville, qui aurait permis de mieux répondre aux demandes sociales, économiques et environnementales. Pourtant, dans la réalité, et bien que sectorielle, l’imbrication du rodoviarisme dans les différents marchés urbains est complexe et nous invite à l’aborder avec subtilité. À l’image du Minhocão où Virar parque não resolve o impacto que aquela estrutura monstruosa causa nas ruas que percorre - que viraram uma espécie de subsolo - nem nos prédios em volta. Enfim, não soluciona o problema urbanístico daquele lugar. O elevado atravessa bairros residenciais e mistos da cidade, que se degradaram com sua presença; e mais: ajudou a promover o esvaziamento residencial desses bairros. Sua desativação coloca, então, antes de mais nada, a necessidade de retomar a função residencial da região, lembrando que hoje moradores de menor renda vivem nessa área graças à sua desvalorização. Aliás, a notícia do parque elevado já fez subir as expectativas de preços de imóveis no entorno…9 9 trad. : « La transformation en parc ne résout pas l’impact qu’une telle structure monstrueuse cause aux rues qu’elle parcourt - devenant des espèces de sous-sols - ni aux bâtiments l’environnant. Enfin, cela ne solutionne pas non plus le problème d’urbanité du lieu. Le viaduc traverse des quartiers résidentiels et diversifiés de la ville, qui se dégradent par sa présence ; plus encore : il participe au dépeuplement résidentiel de ces quartiers. Sa désactivation amène donc, avant tout, la nécessité de récupérer la fonction résidentielle de la région, rappelant qu’aujourd’hui, les habitants de faibles revenus vivent dans cette zone grâce à sa dévalorisation. À ce propos, la nouvelle du parc-viaduc fait déjà monter les prévisions des prix de l’immobilier alentours... » - ROLNIK, Raquel. Sobre Minhocão e parques (2014, 6 octobre). Folha de São Paulo.


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Fig.4 : Illustration : ... le loyer est excessivement bon marchĂŠ ! Gilberto Maringoni. Tocaia e Outros Quadrinhos, 2009.


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• Métropolisation et congruence Si en 2010, la Région Métropolitaine de São Paulo comptait environ 20 millions d’habitants - ce qui équivaut à 10% de la population brésilienne totale et à 14 % de son PIB - São Paulo même compte plus de 7 millions de véhicules. Résultat de la croissance économique du pays mais également par le fait que le choix de l’automobile est toujours considéré comme plus avantageux que les transports collectifs, São Paulo a arrêté de se développer, dans le centre et la périphérie ou croît à des taux infimes voire parfois négatifs. En effet, en tant que deuxième plus grande métropole d’Amérique du Sud, elle incarne l’exemple même des conditions de transports auxquels sont confrontées les villes des pays en développement. Insatisfactions de la majorité, et spécialement pour ceux qui n’ont pas accès au transport privé, faible niveau de service de transport public, distribution inégale de l’accessibilité, hauts taux d’accidents de la circulation, embouteillages, pollution environnementale et invasion des espaces résidentiels [fig.4] et de vie collective par un trafic inadapté sont autant de conséquences d’une croissance incontrôlée, rapide menant à un ségrégation spatiale de la population comme le souligne Eduardo Alcântara de Vasconcellos dans son ouvrage Transporte urbano nos paises em desenvolvimento publié en 2000. Dans ce contexte, quel est le rôle du rodoviarisme ? Comme le souligne Jean-Marc Offner, « il est inutile de s’appesantir sur le syllogisme classique qui confond concomitance et corrélation, puis corrélation et rapport de cause à effet10 », donc d’effectuer une causalité linéaire entre rodoviarisme et la structure urbaine pauliste. L’objet de ce mémoire n’est pas d’isoler la « variable rodoviariste » mais de l’étudier dans l’épaisseur politique, économique et sociale de São Paulo ; de parler des processus d’agrégation, de synergie et d’interdépendances. Il y a donc là interaction entre des dynamiques structurelles, dans lesquelles les projets de transport s’inscrivent immanquablement, et des stratégies d’acteurs se positionnant a priori (s’ils sont partenaires ou interlocuteurs de la décision) ou a posteriori par rapport à ces projets, en leur donnant un sens qui n’apparaît ni immuable ni exclusif11.

Il faut prendre de la distance avec les « effets structurants » des infrastructures de transport, c’est-à-dire la modification des structures socio-spatiales et économiques induites par la mise en service d’une 10 OFFNER, Jean-Marc. « Les “effets structurants” du transport : mythe politique, mystification scientifique » in L’espace géographique (1993), n°3, tome 22, 1993, p. 237. 11 Ibidem, p. 238.


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Fig.5 :

Exposition Futurama Ă la Foire Universelle de New York 1939-1940. Norman Bel Geddes/General Motors, Alfred Eisenstaedt/LIFE, 1939.


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infrastructure de transport. Jean-Marc Offner parle de mythe politique et de mystification scientifique parce qu’il voit dans ces derniers des justifications politiques préalables à un investissement majeur dans une infrastructure. C’est pourquoi dans le cas de São Paulo, on peut parler de rhétorique rodoviariste. À quel point les prévisions de Futurama [fig.5] sont devenues une référence pour le Brésil (Lúcio Costa et Oscar Niemeyer étaient présents à l’Exposition Universelle de New York de 1939) ? JeanMarc Offner oppose au « mythe » le concept de congruence pour modéliser les relations entre transport et organisation socio-économique de l’espace. Ce dernier repose sur l’« homologie structurale », la mise en évidence d’un parallélisme entre deux « structures » pour souligner que l’infrastructure de transport forme une condition nécessaire mais non suffisante à la mise en place d’un système - relevant lui de la structuration. Néanmoins, si le mythe existe bien à l’échelle de la décision politique, il est pourtant possible d’observer des effets structurants - qui ne sont pas forcément ceux prévus - à une échelle spatio-temporelle plus large ; ce que nous essaierons de mettre en évidence. Questionner le processus de métropolisation à travers le rodoviarisme comme moyen de sa reproduction amène à penser l’espace urbain comme lieu stratégique de l’impératif de sa continuité. Mais au-delà de sa dynamique même, l’étude de ce processus souligne surtout le caractère indissociable de l’articulation entre les différents plans du réel : de l’économique au politique en passant par le social qui montre l’espace urbain comme un tout. Pour cela, le rodoviarisme est tout à la fois un paradigme de développement, une politique d’aménagement, économique et industrielle, un processus, une idéologie, son expression, une manière de vivre, une forme métropolitaine, etc. Por fim, é interessante notar que, (...) o rodoviarismo no Brasil faz parte de um processo histórico de relações políticas (patrimonialismo, clientelismo, sociedade de elite, desenvolvimento dependente) e cuja base, no fundo, se fundamenta no mesmo princípio: o do atendimento dos interesses da elite em detrimento ás necessidades da maioria pobre. Esse é um dos maiores sinais do nosso subdesenvolvimento e terá de ser superado para que possamos um dia alcançar outro estágio de desenvolvimento social, econômico, político e cultural12.

12 trad. : « Enfin, il est intéressant de noter que, (...) le rodoviarisme au Brésil fait partie d’un processus historique de relations politiques (patrimonialisme, clientélisme, société d’élite, développement dépendant) et dont la base, au demeurant, repose sur un même principe : celui de la satisfaction des intérêts de l’élite au détriments des besoins de la majorité pauvre. C’est un des signaux les plus alarmants de notre sous-développement et il devra être surmonté pour qu’un jour nous puissions atteindre une autre étape du développement social, économique, politique et culturel. » - NOBRE, Eduardo Alberto Cusce. « Ampliação da marginal Tietê: demanda real ou rodoviarismo requentado? » in aU : Arquitetura e Urbanismo (2010, février), p. 61.


AUTOPIA

Fig.1 :

Illustrations p. 69 & 72. BANHAM, Reyner. Los Angeles : les quatre ĂŠcologies (1971).


Le rodoviarisme est-il un humanisme ? • Autopia : un fait urbain Pour bien comprendre le rodoviarisme dans toute son épaisseur, il semble pertinent d’établir un corollaire avec la notion d’autopia - néologisme inventé par Reyner Banham combinant les mots automobile et utopia - qu’il désigne comme la quatrième écologie de Los Angeles dans son ouvrage Los Angeles : The Architecture of Four Ecologies publié en 1971. En effet, c’est lors de son voyages à Los Angeles en 1969 que Banham élabore une compréhension de cette ville - si peu ville à ses yeux - autour de quatre écologies, dans l’ordre : Surfurbia (I), Les collines (II), Les plaines du ça (III) et enfin Autopia (IV). Pour ce faire, il se met dans la posture du visiteur, amplifiée par « cette liberté de mouvement qui est le tout premier attribut symbolique de la Cité des Anges1 » et qu’il célèbre tout à la fois [fig.1], bien qu’il assure Je ne partage ni l’optimisme de ceux qui en font le prototype de la cité future, ni la mélancolie de ceux qui y voient le présage funeste d’une universelle décadence urbaine2.

Un des thèmes centraux est donc le changement lui-même, par le mouvement (mobilité collective ou individuelle), son « absolue prégnance » à Los Angeles et la transformation (les métamorphoses urbaines) entre autres. L’autopia joue donc un rôle particulièrement important et s’incarne autour de l’automobile et l’extraordinaire réseau de freeways, qui donnent à la ville son image et son visage actuels parce que (...) le système des freeways, pris dans son ensemble, constitue à la fois un lieu identifiable, un état d’esprit et un mode de vie complet - bref, la quatrième écologie de Los Angeles3. 1 BANHAM, Reyner in Los Angeles : l’architecture des quatre écologies (1971) . Marseille : Parenthèses, 2008, p. 23. 2 Ibidem, p. 11. 3 Ibidem, p. 185.

SÃO PAULO

Chapitre 1


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Il va même plus loin, en élargissant son caractère pluriel à l’idéologique : Pris ensemble, voiture privée et freeway public constituent la version idéale - pour ne pas dire idéalisée - d’un mode de transport urbain vraiment démocratique : trajet de porte à porte à la demande, à vitesse moyenne élevée et sur un territoire extrêmement vaste4.

Cette explicitation de l’autopia, montre qu’outre les différences géographiques évidentes entre São Paulo et Los Angeles, le rodoviarisme est issu d’un même terreau technologique et idéologique (on y retrouve le progressisme) entre autres, le caractère politique et économique en plus. De plus, comme l’on va le voir dans les parties suivantes, l’implantation du rodoviarisme à São Paulo et plus généralement au Brésil, a été en grande partie stimulée par la forte proximité des États-Unis, certains plans ayant même prôné un développement urbain pour São Paulo similaire à celui de Los Angeles. Néanmoins, l’analogie avec São Paulo s’arrête là : on ne peut pas dire que son écologie fondamentale soit les plaines (terrain du mythe de Los Angeles) mais plutôt ses deux fleuves ou encore ses innombrables collines. Et si comme le dit Mike Davis, Banham claimed that Los Angeles’s polymorphous landscapes and architectures were given a ‘comprehensible unity’ by the freeway grid in a metropolis that spoke the ‘language of movement, not monument’5.

On ne peut pas l’exprimer aussi fermement pour São Paulo. Certains accuseront le coup d’une croissance urbaine non planifiée voire anarchique - ce qui n’est pas entièrement faux, mais quelque peu simplificateur - ou encore le manque de continuité d’une action publique se contredisant sans cesse ; ces deux phénomènes se conjuguant dans ce que Lúcio Kowarick nomme « lógica da desordem » ou logique du désordre. Enfin, aborder l’autopia ou le rodoviarisme, dans l’urbain, en tant que « langage du mouvement », c’est surtout regarder les freeways - ou plus généralement la voirie - comme base grammaticale, ce qu’elle autorise ou non. C’est ainsi que Banham souligne deux phénomènes propre aux freeways, présents tant à Los Angeles qu’à São Paulo, qu’on élargit dans ce propos à tout transport individuel, à savoir une ségrégation d’usage, par l’a domination de l’infrastructure routière, l’absence ou l’in4 Ibidem, p. 189. 5 trad. : « Banham affirme que les paysages et les architectures polymorphes de Los Angeles sont la conséquence d’une ‘unité compréhensible’ rendue possible par la grille des freeways dans une métropole qui parle le ‘language du mouvement, pas celui du monument’ » - DAVIS, Mike in City of Quartz: Excavating the Future in Los Angeles. New York : Verso, 1990, p. 89.


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suffisance d’alternative en termes de transport, c’est-à-dire le fait « qu’on ne peut en aucun cas leur échapper, on ne peut pas ne pas les utiliser ». Ensuite, ils mettent en lumière l’un des paradoxes auquel toute société suffisamment développée, urbaine et mécanisée, est confronté : les contradictions qu’engendre la liberté individuelle face à la discipline collective. Néanmoins, Reyner Banham reste fortement enthousiaste face à l’autopia. Cela s’explique entre autre par sa posture pop qui fait qu’il trouve grâce dans presque tout ce qui provoque le dédain des critiques traditionnels, tel que l’automobile entre autres. Mais cette dernière occupe une place tout à fait singulière dans son esprit, comme le montrent certains de ses écrits antérieurs : This is the stuff of which the aesthetics of expandability will eventually be made. It carries the sense and the dynamism of that extraordinary continuum of emotional-engineering-by-public-consent which enables the automobile industry to create vehicles of palpably fulfilled desire. Can architecture or any other Twentieth Century art claim to have done as much? And, if not, have they any real right to carp? All right then, hypocrite lecteur, where are you now with the automobile6?

• Quand le proto-rodoviarisme cède São Paulo à sa classe moyenne C’est très probablement Washington Luís qui partagea au plus près cette vision, du loisir au politique. Ce qui, dans le contexte de l’époque, était assez avant-gardiste au Brésil. Et bien que ce soit en 1893 que circule la première voiture au Brésil, c’est réellement durant la gestion municipale de ce dernier en tant que Préfet de São Paulo (de 1914 à 1919), que s’élabora un proto-rodoviarisme, reflet d’une aspiration consciente et collective d’une élite polymorphe se voulant moderne dans une société rurale qui s’urbanise rapidement. Comme on peut le voir durant son mandat, Wasington Luís donna une forte impulsion aux moyens et à l’économie des transports motorisés, les stimulant avec des discours séducteurs et les satisfaisant avec des ouvrages routiers. Ce faisant, il éleva le rodoviarisme de la simple pratique sportive et aventurière à la condition de raison d’être de l’État brésilien, voire le programme 6 trad. : « C’est la substance dont l’esthétique de l’évolutivité sera faite un jour. Elle porte la signification et le dynamisme de cet extraordinaire continuum qu’est l’ingénierie émotionnelle par le consentement du consommateur et qui permet à l’industrie automobile de créer des véhicules qui sont le produit d’un désir palpable. L’architecture ou n’importe quel autre art du 20e siècle peuvent-ils prétendre en avoir fait autant ? Et dans le cas contraire, ont-ils réellement droit à la critique ? Très bien alors, lecteur hypocrite, où en êtes-vous désormais par rapport à l’automobile ? » in BANHAM, Reyner in « Vehicles of Desire » in A critic writes : essays by Reyner Banham. Berkeley : University of California Press, 1997, p. 5.


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Fig.2 :

Grandir avec le Brésil ! Annonce Ford in O Estado de São Paulo, 17/04/1953.

Fig.3 :

Où que vous alliez, vous trouverer plus de stations-service Ford que toute autre marque. Publicité Ford, 1947.


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tacite du gouvernement en formant de puissants lobbys d’intérêts commerciaux et industriels sous la forte influence des États-Unis et en l’installant au centre du développement national. Suivant un triptyque clair, agissant comme synthèse de ses objectifs de gouvernance qui sont : produire, consommer et [se] transporter - avec l’outil viaire comme le moyen le plus adapté à leur réalisation -,Washington Luís tenta de formuler des « solutions » pour les crises des derniers instants de la República Velha : la « question sociale » entre patrons et employés, la question de la manipulation des votes et du monopole politiques des caféiculteurs, la saturation de la monoculture et des programmes successifs de valorisation, l’émergence politique de la classe moyenne et l’augmentation du coût de la vie dans les centres urbains ; le tout articulé autour d’objectifs dits humanistes et progressistes tels que la prospérité, l’harmonie et la paix sociale. Il est intéressant de noter que ses différents mandats coïncident avec un moment de redéfinition des relations entre le Brésil et les États-Unis (qui ne se définit plus seulement par la caféiculture d’exportation) où ces derniers, alors exportateurs de capitaux en volume sans précédents et sans rivaux assoient définitivement leur influence en conquérant le marché brésilien tout en établissant une base solide pour une expansion ultérieure généralisée du rodoviarisme. Cela est rendu possible d’abord parce qu’il a l’ambition d’une utopie bourgeoise conservatrice, d’un Brésil idyllique à l’image qu’il se fait de la société de classe moyenne unique nord-américaine où le rodoviarisme (ouverture et entretien de routes) comme politique étatique et idéologie devient la fonction première du pouvoir public. À ce moment, l’élite brésilienne identifie le succès économique des États-Unis dans son investissement en autoroutes : la voiture devient vecteur de progrès et objet de statut. Ainsi, en se focalisant autour des valeurs de la famille bourgeoise, de l’automobile et de la sécurité, la politique de Washington Luís fait plus que transformer São Paulo en profondeur, elle la cède à sa classe moyenne. C’est dans ce contexte que General Motors et Ford installèrent entre 1919 et 1925, leurs premières lignes de montage respectivement à Bom Retiro et Moóca, quartiers centraux de São Paulo au moment même où Henry Ford, reconnaissant le potentiel économique du pays, jouit d’un prestige critique du capitalisme industriel. S’ensuit alors l’histoire d’amour bien connue entre Ford et le Brésil [fig.2] et sa bataille pour la suprématie économique et culturelle sur ce dernier [fig.3]. Les deux dirigeants de General Motors et de Ford - William Crapo Durant et Henry Ford - afficheront la même ambition face au Brésil, et affir-


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Fig.4 :

Rodovia Rio-Petrop贸lis, 1928. Blog L贸gistica e Transportes, 2010.


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meront respectivement « Brazil will become one of the greatest automobile countries in the world7... » ainsi que « Automobile is meant to make Brazil a great nation8! » En fait, on observe que Washington Luís commence à mettre ses idées en pratique des premiers plans routiers de 1910 en prévoyant des liaisons entre Rio de Janeiro et les capitales des autres États du Brésil, où les « autoroutes » convergent vers les lignes ferroviaires complétant ainsi les liaisons au Plano Geral de Viação en 1914 qui commence à considérer les exigences des véhicules à moteur. On peut supposer que dans l’imaginaire de Washington Luís, ces autoroutes qu’il fait construire comme la section Rio-Petrópolis par exemple [fig.4], s’apparentent idéologiquement aux « freeways » que Brock Yates voit comme « les limbes existentiels où l’homme où l’homme part chaque jour en quête d’un individualisme de western9 ». Ces autoroutes « boas para o ano todo10 » réalisées à l’aide de techniques modernes concrétisent le discours rodoviariste autour de l’idée d’obsolescence du réseau ferroviaire appelé à être complété puis remplacé voire évincé par le flambant neuf réseau routier. • Une reconquête de l’intérieur pauliste En termes d’organisation territoriale, les débuts du rodoviarisme jouent un rôle essentiel dans la formation de la périphérie de São Paulo : ils créent l’arrière-pays pauliste en se réappropriant la campagne, « o interior paulista » par la rénovation d’anciennes voies permettant à la fin des années ‘20, une nouvelle forme d’exploitation rurale qui associe voies ferrées, véhicules motorisées qui complémentent ces dernières et permettent l’émergence d’un modèle d’agro-exportation modernisé et plus dynamique. C’est en exploitation le potentiel migratoire et intégrateur de la voiture que ce processus ébauche les prémices métropolitains de São Paulo. Il intensifie la production dans l’arrière-pays et la consommation dans la capitale grâce à la flexibilité du dispositif et à son coût réduit. Par conséquent, en combinant ce « nouveau » territoire avec la promotion du modèle du propriétaire privé selon l’équation :

[ transport routier + petite propriété rurale = prospérité ] il augmente la classe moyenne motorisée. Le rodoviarisme se transforme alors en un puissant instrument de valorisation foncière devenant très 7 8 9 10

trad. : « Le Brésil va devenir un des pays les plus importants en matière d’automobile... » trad. : « L’automobile est destinée à faire du Brésil une grande nation ! » Ibidem, p. 193. trad. : « opérationnelles toute l’année »


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attrayant comme bien de capital en viabilisant les terrains. Ce qu’exprime parfaitement le slogan de Washington Luís, dont la première partie est empruntée à celui d’Alfonso Pena, président du Brésil de 1906 à 1909 : Governar é povoar ; mas não se povoa sem se abrir estradas, e de todas as espécies. Governar é pois, fazer estradas11.

Néanmoins, le rodoviarisme prosélytiste qu’il promeut, parce qu’il s’exprime par des financements publiques qui vont majoritairement en direction des usagers privés comme les petits et moyens propriétaires, les industriels et les commerçants, les « self-made », déplaît fortement à la grande bourgeoisie caféière qui dénonce les effets collatéraux et indésirables de ce type d’industrialisation et d’urbanisation. Cela entraîne un conflit idéologique avec les intérêts agraires où s’affrontent un rodoviarisme actif prônant le développement des transports routiers et le rôle de l’industrie dans le développement de São Paulo et un rodoviarisme passif défini comme simple auxiliaire à l’agro-exportation. Dans ce contexte, ce dernier amène une plus grande cohérence territoriale basée sur (...) a oportunidade de aquisição de terras e de sua exploração por pequenos proprietários, a integração das economias locais á economia regional, a diminuição das disparidades de desenvolvimento entre os municípios, a ocupação de terras aptas a cultura entre os eixos ferroviários e a disseminação de propriedades ao longe desses eixos (...)12

Cette première étape du rodoviarisme initiée par Washington Luís durant les premières décennies du XXe siècle montre à quel point São Paulo apparaît d’ores et déjà comme un pôle d’excellence et nous laisse entrevoir son futur monopole géographique sur le marché brésilien. Elle devient ainsi la principale bénéficiaire et en même temps la première victime d’une nouvelle économie marquant une nouvelle étape de développement industriel et politique du pays. • Brésil-États-Unis, de l’hégémonie à l’émancipation

A partir des décennies 1940 et 1950, l’urbanisme rodo-

11 trad. : « Gouverner, c’est peupler. Mais on ne peuple pas sans ouvrir des routes, et de toutes sortes. Gouverner, c’est donc faire des routes. » 12 trad. : « (...) l’opportunité d’acquisition de terrains et de leur exploitation par de petits propriétaires, l’intégration d’économies locales à l’échelle régionale, la diminution des disparités de développement entre les municipalités, l’occupation de terres aptes à la culture entre les axes ferroviaires et la dissémination de petites propriétés le long de ces axes (...) » - LAGONEGRO, Marc Aurélio. Metrópole sem metrô : transporte público, rodoviarismo e populismo em São Paulo (2003), p. 210.


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viariste va prendre une forte impulsion selon deux facteurs. D’abord, par une consolidation de la politique de rapprochement avec le gouvernement des États-Unis d’Amérique intitulée Política da Boa Vizinhança ou Good Neighbor Policy, initiée avant le début de la Seconde Guerre Mondiale par ce dernier en 1933 lors de la Conférence Panaméricaine de Montevideo et qui s’intensifiera par la Guerre Froide. Sur le plan économique, cette politique représente pour les États-Unis un moyen de récupérer des effets de la crise de 1929. Elle consiste en des investissements et ventes de technologie nord-américaine en direction des pays latino-américains par la création de marchés extérieurs en échange du soutien de ces derniers à la politique nord-américaine et ce, tout en permettant l’approvisionnement en matières premières de ses industries. Ainsi, le rodoviarisme, comme politique publique, devient l’élément essentiel pour établir et asseoir le capitalisme nord-américain de cette période, considérant que l’industrie automobile commence tout juste à avoir un poids considérable dans la production industrielle américaine. C’est également l’occasion pour les États-Unis de propager le mode de vie et les qualités de la culture nord-américaine comme les valeurs démocratiques, l’industrialisme, le libre-échange, etc. Le rodoviarisme, dans sa première phase, apparaît donc comme un capitalisme financier monopoliste visant à une affirmation impériale nord-américaine. Sous couverts d’idéologie rodoviariste, l’hégémonie nord-américaine semble donc être à l’origine de la Seconde Révolution Industrielle Brésilienne. Pourtant, bien que le développement du rodoviarisme s’explique en partie par le lobbying et l’investissement nord-américain sur le Brésil - que certains assimilent à un « siège politique et idéologique » - la relation entre les deux pays n’est pas si unilatérale qu’il n’y paraît. Ainsi, c’est avec l’arrivée de l’industrie automobile dans la Région Métropolitaine de São Paulo que le rodoviarisme va entamer sa deuxième phase. En 1940, durant la Seconde Guerre Mondiale, alors que le parc automobile brésilien ne cesse d’augmenter, les importations commencent à porter préjudice à l’économie parce que les usines montent seulement les voitures mais ne produisent pas leur pièces. Pour favoriser la production nationale, Getúlio Vargas, entreprend alors l’interdiction d’importer tout véhicule déjà monté en plus de créer des obstacles à l’importation de pièces. Résolu à implanter une industrie automobile brésilienne parce que « le futur du Brésil est dans l’industrie », il amorce ainsi le projet nationaliste brésilien qui trouvera son apogée pendant le mandat de Juscelino Kubitschek. L’émergence d’une politique nationaliste au Brésil ne sera d’ailleurs pas du goût du gouvernement


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Eisenhower dont la doctrine prône un renforcement de l’anticommunisme et la lutte contre les mouvements nationalistes. Mais cette volonté d’émancipation dépasse largement le cadre de l’industrie automobile, comme il le souligne lorsqu’il présente son projet de loi en 1951 pour créer la Petróleo Brasileira S.A. qui fonde le monopole étatique sur l’exploitation, le raffinement et le transport du pétrole au Brésil : o petróleo é um fator básico para a emancipação econômica e o bemestar social de nosso povo (...)13

faisant écho à sa campagne « O petróleo é nosso14! » en 1948. Le désaccord entre les nationalistes et les « entreguistas » favorables à l’exploitation des ressources par les États-Unis grâce à des capitaux internationaux n’empêchera pas au Brésil de devenir en 1950, le dixième plus grande parc automobile du monde composé d’environ 600.000 véhicules, la même année où commencent à apparaître à São Paulo, les premiers troubles causés par la structure urbaine entièrement dessinée et définie en fonction du transports routier. On peut considérer que le rodoviarisme atteint sa maturité économique sous la présidence de Juscelino Kubitschek, entre 1956 et 1960, coïncidant avec une croissance importante de l’économie brésilienne, conséquence d’une nouvelle ambition nationale, héritée du président sortant Vargas et visant à renforcer le marché national. Pour réaliser cet objectif, le gouvernement Kubitschek élabore en 1965 le Plano de Metas, une politique de développement prenant la forme d’un programme d’industrialisation et de modernisation visant à intervenir dans cinq secteurs principaux : l’énergie, le transport, l’industrie de base, l’alimentation et l’éducation, dont le slogan est « Cinquenta anos de progresso em cinco anos de governo15 ». Pour autant, cette politique de développement se focalise essentiellement autour du trinôme : électrification/autoroutes/ industrialisation, donnant au développement de l’industrie automobile une place toute particulière au sein du Plano de Metas. D’abord, par la conquête de l’intérieur du Brésil par les autoroutes au moyen d’une expansion rénovée de la frontière agricole, il donne une nouvelle orientation à l’urbanisation et aux inégalités régionales brésiliennes et assoit l’expansion de l’arrière-pays pauliste qui avait été initié par Washington Luís. Ensuite, avec l’inauguration de la fabrication nationale de véhicules dans la région industrielle du Grande ABC (pour Santo André, 13 trad. : « le pétrole est un facteur basique pour l’émancipation économique et le bien-être sociale de notre peuple » 14 trad. : « Le pétrole est à nous ! » 15 trad. : « Cinquante ans de progrès en cinq ans »


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São Bernardo do Campo et São Caetano do Sul : trois municipalités de la région métropolitaine pauliste), il consolide la transformation de São Paulo en épicentre économique du rodoviarisme brésilien. A decisão de criar no Brasil a indústria automobilística foi motivada basicamente pelo fato de que sua implementação, mesmo a curto prazo, significaria uma redução no valor das importações, e conseqüentemente, uma economia de divisas16.

São Paulo devient alors une sorte de showroom national du rodoviarisme triomphant tant sur le plan industriel qu’urbanistique, le symbole de cette nouvelle phase d’indépendance croissante industrielle et économique initiée par le gouvernement. Ainsi, alors qu’il était à l’origine d’une main-mise économique nord-américaine sur le Brésil, le rodoviarisme se voit réapproprié pour devenir un outil d’émancipation politique, économique et culturel. Ces propos doivent néanmoins être nuancés en raison du paradoxe inhérent au Plano de Metas qui réside dans le fait que l’autonomie croissante du Brésil dans sa capacité productive (avec la création de nouvelles industries) consolide la dépendance aux marchés extérieures pour se faire. L’organisation urbaine de São Paulo reflète particulièrement ce processus de développement économique : si São Paulo est cédée à sa classe moyenne par Washington Luís, c’est sous la gestion municipale d’Adhemar Pereira de Barros qu’elle se restructure, s’adapte profondément à l’usage par sa nouvelle classe moyenne qui s’en trouve renforcée, altérant ainsi les logiques des relations de classe par la définition de nouveaux critères de distribution des revenus à travers la domination du transport individuel motorisé. De plus, avec l’inauguration de l’industrie automobile, un nombre croissance de véhicules - dû au report de la classe moyenne vers le transport particulier - se déverse dans les rues et les artères de São Paulo, engendrant une rapide saturation dans les avenues issues du Plano de Avenidas de Prestes Maia dont on considère déjà une éventuelle restructuration. • Vers l’incarnation d’un nouvel ordre spatial L’année 1959 sonne comme le triomphe du rodoviarisme et de l’industrie automobile nationale quand le Brésil atteint le 16 trad. : « La décision de créer au Brésil une industrie automobile a été motivée essentiellement par le fait que son implantation, même à courte durée, signifierait une réduction des valeurs d’importations, et par conséquent, une économie de devises. » - KUBITSCHEK, Juscelino in LAGONEGRO, Marc Aurélio. Metrópole sem metrô : transporte público, rodoviarismo e populismo em São Paulo (2003), p. 252


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Fig.5 :

Inauguration de l’autoroute Imigrantes. O Estado de São Paulo, Jornal da tarde, 29/06/1976, pp. 19-20.


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statut d’exportateur de véhicules en plus de celui de premier fournisseur pour le marché interne brésilien, entraînant ainsi de vastes effets multiplicateurs sur l’ensemble de l’économie. Comme on a pu le voir, celui-ci s’est partiellement émancipé de l’hégémonie nord-américaine tout en digérant les codes culturels et esthétiques construits autour du trinôme automobile/voie express/banlieue résidentielle, pour fonder un modèle urbain garantissant les gains de l’industrie automobile et la spéculation immobilière. Il devient clair que dorénavant, le rodoviarisme ne peut plus être seulement une acculturation nord-américaine mais bel est bien quelque chose de tout à fait brésilien, entrant en connivence avec le local, de la géographie au social. À ce titre, il est tout autant représentatif de l’esprit brésilien, que sa capitale administrative Brasília en ce sens qu’ils incarnent tout deux - à cette époque - un certaine optimisme et une confiance dans l’avenir et le progrès : un rêve de modernisation. Eu já tinha visto fotografias e até comprei um jornal, domingo, que traria um suplemento colorido só sobre a estrada, mas aqui é que a gente vê como ela é bonita. É maravilhosa, mesmo. Tem boa sinalização e a paisagem é muito bonita, também. Daqui para frente não subo mais pela Anchieta, não . Fiz bem em vir conhecer a Imigrantes hoje, mesmo com a chuva ela é bonita17.

Néanmoins, ces promesses de modernisation et cet accès généralisé aux bénéfices du progrès vont devenir peu à peu la matrice systématique de la ville « idéale » brésilienne post-1964 - après le Coup d’État militaire -, incarnée par São Paulo : une ville de classe moyenne et d’élite organisée comme un nouvel espace capable de remplir efficacement son nouveau rôle économique au sein d’un capitalisme modernisé et ce, alors qu’au même moment, les classes ouvrières sont maintenues dans de très mauvaises conditions de transports. La ville rodoviariste montre alors son caractère ostracisant selon une lógica da ocupação do espaço que promove a segregação espacial como reflexo da divisão social do trabalho18. 17 trad. : « J’avais déjà vu des photos et même acheté le journal, ce dimanche, avec un supplément couleur consacré uniquement à cette autoroute, mais ici, les gens peuvent voir combien elle est belle. C’est tout bonnement merveilleux. Il y a une bonne signalisation et également un paysage magnifique. À partir de maintenant, je n’emprunterais plus l’autoroute Anchieta. J’ai bien fait de venir voir l’autoroute Imigrantes aujourd’hui, même sous la pluie elle reste belle. » in « Imigrantes : Imagens do primeiro dia » in O Estado de São Paulo, Jornal da tarde, 29/06/1976, p. 20. 18 trad. : « logique d’occupation de l’espace qui promeut la ségrégation spatiale comme reflet de la division sociale du travail. » in VASCONCELLOS, Eduardo Alcantara. Transporte urbano, espaço e equidade : análise das políticas públicas (1996), p. 26.


Fig.1 :

Réaménagement du centre inspiré du projet du français Bouvard. Raymundo Duprat, 1911.


L’urbanisme selon Prestes Maia • Le legs haussmannien Comme le souligne à plusieurs reprises Eduardo Alberto Cusce Nobre, les pouvoirs publics ont joué un rôle extrêmement important dans le démocratisation des idées rodoviaristes dans la planification urbaine de São Paulo1. À cet égard, le Plano de Avenidas et le contexte de sa conception marque un moment d’inflexion tout à fait essentiel de la fabrique de la ville brésilienne. Ainsi, à l’époque, le désir de moderniser São Paulo était porté par une élite qui envisageait le modernisme ou tout autre solution esthétique et fonctionnelle, aussi longtemps qu’elle donnait forme à une croissance urbaine exponentielle qui permettrait à São Paulo, alors seulement ville provinciale - d’œuvrer à pied d’égalité avec Rio de Janeiro et les autres capitales d’Amérique Latine déjà en concurrence. C’est dans ce cadre, que la municipalité fait venir en 1891, un architecte français consultant Joseph-Antoine Bouvard pour réaliser un schéma d’aménagement pour São Paulo. Dans ce dernier, il concilie intérêts immobiliers locaux et propositions d’embellissements [fig.1], boulevards de type haussmannien avec de grandes avenues résidentielles et des voies modernes implantées le long des berges pour faire face à l’insuffisance du système routier existant. Comme évoqué précédemment, la visite de Le Corbusier en 1929 est également employée comme un autre argument en faveur des voies rapides et de la verticalisation de la ville. Entre 1914 et 1916, la Diretoria de Obras, sous la direction de l’ingénieur civil Victor da Silva Freire en adaptant le projet de Bouvard construit une route avec section de route qui devient référence: les rails du tramway sont intégré dans le projet de la route, qui comprend des dessins de trottoir, de la la chaussée, du drainage, de l’éclairage et 1 Il titre d’ailleurs son ouvrage « A atuação do Poder Público na Construção da Cidade de São Paulo: a Influência do Rodoviarismo no Urbanismo Paulistano » soit, en français, « Le rôle du pouvoir public dans la construction de la ville de São Paulo : l’influence du rodoviarisme dans l’urbanisme pauliste ».

SÃO PAULO

Chapitre 2


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Fig.2 :

Coupe transversale de l’Avenida Tymbiras. Francisco Prestes Maia, 1930.

du mobilier urbain. L’étroite relation de la forme de l’expansion urbaine avec le système de mobilité et la conception de la voirie font partie du même raisonnement urbanistique [fig.2], un raisonnement toujours en mesure d’aménager et d’assurer une régulation du bâti notamment par les façades. Ce même organe municipal est à l’époque, partagé entre deux courants de pensée : la négation de l’apparition de la ville industrielle, (basée sur la valorisation de la ville traditionnelle) et l’adaptation de la ville à sa nouvelle réalité. La seconde l’emportant sur la première, la question de la circulation viaire passa au premier plan, soulignée par les


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préoccupations hygiénistes et esthétiques de l’époque. Richelieu foi acusado de megalomania porque abriu uma rua de 9 metros. A Haussmann exprobaram haver creado um deserto n ocentro de Paris e com elle separado a cidade em duas. Esse deserto... é o boulevard Sébastopol, « celui si congestionné que depuis un an on y a tout essayé : le bâton blanc de l’agent, le sifflet, les agents à cheval, la signalisation électrique, optique et sonore ! ». A campanha que soffreu esse homem foi terrivel, Jules Ferry á frente. E entretanto « Paris-Automobile d’aujourd’hui ne vit que par Haussmann » e um dos ultimos grandes trabalhos de Paris foi a conclusão dum projecto de Haussmann, o boulevard que tem o seu nome2.

• Eugène Hénard, la circulation et l’essor des « avenidas » Ces nouvelles préoccupations amenèrent les techniciens municipaux paulistes à réaliser un plan plus global pour supplanter le schéma en vigueur hérité de celui de Bouvard. Le même Victor Freire qui fit venir ce dernier, commissionna alors un autre ingénieur pauliste, João Florence de Ulhôa Cintra, pour dessiner un plan préliminaire se focalisant, comme toujours, sur la structure viaire urbaine et l’amélioration de la circulation. Ce dernier conçoit donc, en 1921, une ambitieuse proposition basée sur les études d’Eugène Hénard concernant les systèmes radio-concentriques [fig.3] : le Perímetro de Irradiação, une rocade intra-urbaine contournant le centre historique et composée de larges avenues pour faciliter une expansion urbaine généralisée le long de nouveaux axes radiaux. L’élargissement du centre est également pensé dans le but de permettre à la capitale pauliste d’accueillir un quartier d’affaires digne de ses ambitions. Débattu au sein de la Câmara et bien qu’identifié par certains conseillers municipaux comme une initiative cruciale pour organiser la croissance de São Paulo, le plan ne se transforma pas en loi, et la rocade intra-urbaine ne fut pas réalisée les années suivantes. C’est justement dans le Plano de Avenidas, que le plan d’Ulhôa Cintra trouvera l’écho favorable à sa réalisation. En effet, c’est par l’intermédiaire de la Commissão de Melhoramentos do Tietê où il 2 trad. : « Richelieu fut accusé de mégalomanie pour avoir ouvert une rue de 9 mètres. On reprocha à Haussmann d’avoir créé un désert au centre de Paris séparant la ville en deux. Ce désert... c’est le boulevard Sébastopol, “celui si congestionné que depuis un an on y a tout essayé : le bâton blanc de l’agent, le sifflet, les agents à cheval, la signalisation électrique, optique et sonore !”. La campagne dont souffrit cet homme fut terrible, Jules Ferry en tête. Et pourtant, “Paris-Automobile d’aujourd’hui ne vit que par Haussmann” et un des derniers grands travaux de Paris fut l’achèvement d’un projet d’Haussmann, le boulevard qui porte son nom. » - MAIA, Francisco Prestes. Estudo de um plano de avenidas para a cidade de São Paulo (1930), p. 10.


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Fig.3 : Schémas théoriques radio-concentriques de différentes villes. Francisco Prestes Maia, 1930.

siège qu’il commissione, pour le compte de la la Prefeitura de São Paulo, l’ingénieur Francisco Prestes Maia pour synthétiser et imaginer un plan approfondi basé sur son schéma radial périmétrique, le Perímetro de Irradiação et les études réalisées antérieurement. Ce contexte et les études précédentes permettent de mieux comprendre pourquoi les perspectives, les plans et les coupes illustrant le Plano de Avenidas comme les réglementations sur les constructions mitoyennes par la Prefeitura Municipal incarnent ce moment d’inflexion d’où émerge des anciennes pratiques une approche moderne et intégrée. Une ville cosmopolite, composée d’édifices éclectiques, plus élevés où les « avenidas » apparaissent commes des boulevards dans lesquels les piétons circulent en harmonie avec les automobiles particulières. • Les « planos gerais », du marketing urbain avant l’heure Le Plano das Avenidas apparaît donc comme une synthèse des études et tendances d’époque. Son caractère exhaustif sur la circulation se structure autour des transports utilisés comme instruments pour définir les possibilités d’urbanisation, mais ne traite peu des autres thèmes urbanistiques qui apparaissent alors comme secondaires. Central dans le développement de São Paulo à partir des années 1940, le Plano de Avenidas apparaît comme le d’un processus complexe de diges-


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tion, par les cadres techniques de la Prefeitura de São Paulo, des théories et pratiques de planification urbaine qui se développaient en Europe et aux État-Unis et qui ont été introduites dans l’urbanisme pauliste depuis les années 1910. Appréciés des municipalités sudaméricaines des années 1920, les « planos gerais » de transformation d’ensemble et d’embellissement visent à dépasser les interventions localisées jusque là dominantes dans l’urbanisme. Conforme dissemos em 1924 « o valor das idéas e planos geraes subsiste mesmo quando não ha em vista grande obras ou immediatas, não reside na grandiosidade ou na belleza dos projectos, mas na sua unidade e connexão e, sobretudo, neste seu caracter de obra de previsão, que é inestimavel3 ».

Suivant le mouvement, São Paulo décide à cette époque d’avoir son propre « plano geral », pour ainsi donner la priorité à l’expansion de la ville à l’inverse d’une régulation. Ces plans n’expriment pas seulement la traduction et l’adaptation d’idéaux urbains étrangers, comme souvent observé en Amérique du Sud mais peuvent être considérés comme des essais stratégiques pour s’exposer et être plus favorablement insérées au niveau de la scène économique internationale en se disputant la suprématie continentale par une meilleure position régionale, nationale, continentale et à l’échelle du réseau urbain global. Un enjeu qui reste toujours d’une grande actualité. • Un urbanisme monopoliste Le Plano de Avenidas, tant dans son contenu que dans son contexte d’élaboration marque un tournant pour le rodoviarisme : il devient une politique urbaine assurant dorénavant un rôle qui transcende la forme d’organisation technique du territoire, pour révéler son caractère hégémonique de directive économique et politique, condition même de la ville moderne brésilienne. Ainsi, dés son implantation au-delà de simplement stimuler l’ascension du transport individuel - le rodoviarisme entraîne le déclin du transport ferroviaire et collectif, soulignant le passage de l’hégémonie politico-culturelle britannique à celle nord-américaine. En effet, jusqu’aux années 1920, le principal moyen de transport collectif à São Paulo était le tramway. La São Paulo Tramway, 3 trad. : « Comme nous l’avons dit en 1924 “la valeur des idées et des ‘planos gerais’ subsiste même quand il n’y a pas en vue d’ouvrages importants ou immédiats, ne réside pas dans la grandeur ou la beauté des projets, mais dans son unité et son rapport et, surtout, dans son caractère prévisionnel, qui est inestimable”. » - Ibidem, p. 2.


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Light & Power Company, entreprise anglo-canadienne, avec un réseau étendu couvrant une bonne partie de l’aire urbaine, en avait le monopole depuis 1901. Bien qu’à partir de 1925, son influence décline au bénéfice des autobus à diesel, ce réseau représente en 1933 plus de 258 kilomètres d’extension et 550 voitures tout en étant responsable pour 84 % des déplacements en transports collectifs dans une ville d’à peine un million d’habitant. Mais en 1942, ses lignes diminuent de 41 kilomètres et il ne représente alors plus que 63 % des déplacements en transports collectifs alors que l’autobus passe de 16 % à 37 %. En 1946, la gestion du service est cédée à la municipalité pour décliner jusqu’en 1968 où elle s’arrête définitivement. Quels ont alors été les mécanismes mis à l’œuvre pour que le rodoviarisme supplante le réseau de tramway existant ? Dés 1920, l’articulation des différentes échelles urbaines mises en place est déjà compromise par la croissance accélérée de la ville et sa dynamique d’expansion horizontale : elle souligne la nécessité de passer par d’autres alternatives pour viabiliser la mobilité urbaine. D’autant plus que l’offre de la São Paulo Tramway, Light & Power Company face à l’expansion devient très inégale. En difficulté par le gel des tarifs et la nouvelle concurrence provoquée par le début du service de bus au diesel, l’entreprise privilégie des quartiers nobles comme Higienópolis et l’Avenida Paulista, laissant sans services les principaux quartiers ouvriers qui s’étaient développés au début du siècle. Elle élabore alors, entre 1924 et 1927, un Plano Integrado de Transportes, proposant un réseau de métro articulé avec les autres moyens de transports (autobus et tramways) pour étendre le système de transports collectifs aux nouvelles dimensions urbaines de la ville et permettre sa survie en répondant aux échelles de déplacements correspondantes. Néanmoins, après un long débat impliquant les différentes mouvances politiques paulistes, la proposition est rejetée par la Prefeitura de São Paulo au bénéfice du Plano de Avenidas de Francisco Prestes Maia, plus cohérent avec la vision rodoviariste de la Diretoria de Obras. C’est donc à ce moment précis qu’ont peut faire le lien entre l’abandon des transports collectifs sur voies ferrées au bénéfice d’un modèle d’expansion périphérique horizontale organisée autour d’un centre verticalisé dense : un modèle plus adapté et plus en accord avec les intérêts immobiliers immédiats. Dans ce contexte, la flexibilité de l’autobus parachève l’évincement du système ferroviaire trop rigide pour supporter les déplacements du centre vers les banlieues sous-équipées en infrastructures et disposées sans grande planification à travers le territoire. • Une perspective expansionniste propice au rodoviarisme


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Fig.4 :

Zones de desserte des différents moyens de transport urbains. Francisco Prestes Maia, 1930.

Le Plano de Avenidas s’appuie sur deux postulats : une croissance verticale et horizontale rapide et illimitée de la ville et la nécessité d’expansion du centre [fig.4]. Et parce qu’ils nécessitent l’établissement d’une mobilité aisée et flexible entre le centre administratif et commercial et les zones résidentielles et industrielles constituant la périphérie, ces deux postulats feront de ce plan, le terreau idéal pour le développement du rodoviarisme pauliste. Sans nul doute, ce processus de croissance vertical et horizontale pour São Paulo sert de support même à la structure radio-concentrique héritée du Perímetro de Irradiação évoqué précédemment et qu’il combine avec le modèle de structure radiale développée par Josef Stübben, dont le caractère centripète et indéfiniment extensible lui donne en retour une impulsion supplémentaire. C’est cette caractéristique qui le fait diverger du schéma radio-concentrique développé par Eugène Hénard dans le sens où Prestes Maia n’adopte pas l’idée d’une ville dense et d’expansion horizontale limitée originellement lié à ce principe et qui fonde la pensée


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urbaine du français. En ce sens, il se rapproche plus de l’organisation radio-concentrique d’expansion illimitée imaginée par Otto Wagner pour Vienne. Ces influences soulignent que pour Prestes Maia, la croissance est un aspect essentiel de la réalité pauliste, qui doit être soutenue et organisée, et non un problème à contenir. Ainsi, sa préoccupation n’est pas de minimiser l’explosion démographique pauliste, mais de chercher des similarités avec des exemples européens et nord-américains qui constituent des influences majeures dans le Plano de Avenidas. En s’assimilant aux pays développés, il légitime ainsi le recours aux idées et arguments de la pensée urbanistique internationale (et en particulier nord-américaine) et de sa préoccupation croissante pour l’usage de l’automobile, l’optimisation de la circulation et de la vitesse. Dans ce contexte, le Perímetro de Irradiação apparaît comme l’élément central de sa pensée, la pierre angulaire de la structure urbaine projetée. À première vue, il semble s’apparenter à un outil ingénieux de décentralisation mais dans son argumentation, au lieu de discuter de cette décentralisation en termes effectifs, c’est-à-dire comme une manière de créer des centres secondaires pour soulager les forces centripètes de la ville, Prestes Maia légitime finalement la rocade interne comme un moyen pour réaffirmer la centralité du schéma radio-concentrique. Si la rocade ne signifie pas une véritable décentralisation, elle permet néanmoins - selon l’auteur - l’expansion du centre, donc de l’aire commerciale et la verticalisation dans les régions adjacentes à ce dernier [fig.5]. En compensant la carence en infrastructures, il tente donc de résoudre les trois grands maux dont souffre le centre : son exiguïté, sa difficulté d’accès et la manière dont il joint les circulations externes. • Une approche holistique du rodoviarisme

Fig.5 :

Schéma explicatif de la zone d’expansion centrale. Francisco Prestes Maia, 1930.


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Fig.6 : Schéma théorique de São Paulo. Francisco Prestes Maia, 1930.

Le caractère ambitieux du plan se traduit dans la méthodologie unique de Prestes Maia où tous les aspects de la vie urbaine et ses enjeux sont définies et régies par leur insertion dans le schéma global [fig.6], et de ce fait, contribuent à légitimer l’option rodoviariste du plan, de l’expansion horizontale illimitée à la monumentalité Art déco discrète. Cette rhétorique fera de lui un diagramme potentiel pour les interventions urbaines à São Paulo et qui sera toujours suivi des décennies après même si l’échelle est maintenant différente : on peut imaginer que les voies radiales soit dorénavant les autoroutes régionales, et le Perímetro de Irradiação le Rodoanel ceignant l’aire métropolitaine. Pour autant, malgré son caractère holistique, sa portée spatiale se réduira à la municipalité même de São Paulo en se concentrant sur le périmètre


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Fig.7 :

Déviation de la circulation N-S et E-O du centre congestionné. Francisco Prestes Maia, 1930.

urbain. L’intervention viaire minutieusement planifiée - considérée comme l’épine dorsale du plan - agit finalement comme un outil de gouvernance pour les pouvoirs publics : expropriations de terrains, ouverture de nouvelles voies, construction de viaducs, harmonie, etc. Des directives qui ne laissent peu ou prou de place pour des considérations sociales, évincées par les objectifs liées au rodoviarisme. Qualquer projeto de rua envolve, explicita ou implicitamente, uma concepção sobre a cidade, sua estructura e seu desenvolvimento4.

Concernant le zonage, Prestes Maia tend, pour l’époque, à sous-évaluer l’importance d’une législation complète de l’utilisation des sols pour São Paulo. Au lieu de l’appréhender comme un instrument indépendant et exhaustif, il est entièrement dicté par le schéma radio-concentrique : les zones de verticalisation tertiaire jouxte le Perímetro de Irradiação et les tronçons originaux des voies radiales, la verticalisation résidentielle s’implante dans le prolongement de ces dernières et des rocades intra-urbaines, le commerce local le long des voies collectrices et les quartiers de résidence dans les vides du tissu radio-concentrique selon les principes de l’unité de voisinage. L’expansion du quartier d’affaires favorise la création d’un « nouveau » centre-ville plus moderne adjacent à l’existant, avec de larges voies de circulation [fig.7] et des parcelles fournissant de l’espace pour des bureaux modernes et des bâtiments institutionnels. Enfin, le système d’espaces verts publics est conçu pour assainir la ville et offrir des activités physiques ou de loisirs aux paulistes, notamment le long des voies « marginais » où il articule la ville même avec la périphérie inspirée des cités-jardin anglaises et américaines. Ce faisant, le Plano de Avenidas instaure le rodoviarisme comme premier instru4 trad. : « N’importe quel projet de rue implique, de manière explicite ou non, une conception sur la ville, sa structure et son développement. » - Ibidem, p. 4.


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ment de spéculation immobilière à l’échelle de la ville toute entière en accord avec la vision qu’il se fait de la ville. En effet, l’orientation libérale en vigueur, semble inciter ce dernier à prioriser l’initiative privée dans ce contexte de croissance urbaine que l’intervention directe des pouvoirs publics sur la vie économique et le marché immobilier en particulier pour ne pas tomber dans l’ingérence abusive. • Le paradigme pauliste Les voies radiales [fig.9] relieraient la circulation principal de la périphérie vers le centre, et vice versa, reliant le centre-ville aux quartiers extérieurs et aux routes étatiques ; tandis que les voies de périmétrales [fig.10] feraient le lien entre les quartiers et radiales à l’autre. Le plan proposé dix-sept routes radiales - certaines d’entre-elles résultant de l’adaptation et de l’amélioration de l’existant - et trois rocades : le Perímetro de Irradiação qui contient le centre-ville et dévie la circulation, les Boulevards Exteriores fonctionnant sur le lit des chemins de fer et le Circuito de Parkways qui encercle l’aire urbaine d’alors en longeant les berges des fleuves Tietê et Pinheiros et qui relie plusieurs parcs. Mais pour accueillir ces avenues « marginais » planifiées, les berges doivent être aménagées [fig.8], de leur remblaiement et l’urbanisation des zones inondables. Or, la croissance exponentielle du parc automobile surchargea en quelques années les nouvelles avenues - notamment les « marginais », bien reliées - causant pollution, manque de places de stationnement et d’autres conflits qui les transformèrent en lieu inhospitalier

Fig.8 :

Avenida Tietê. Ponte da Cantareira. Francisco Prestes Maia, 1930.


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Fig.9 :

Voies radiales et préfiguration des avenues « marginais » Tietê et Pinheiros. Francisco Prestes Maia, 1930.

Fig.10 : Ceintures périphériques et voies express urbaines. Francisco Prestes Maia, 1930.


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contradictoire avec l’image de vie urbaine moderne initialement projetée et donnant à São Paulo, son visage et sa ligne de conduite actuelle. • Volontarisme, avenues et échelons politiques Entre la conception en 1930 et la réalisation à partir du 1938, le Plano de Avenidas souffrit de transformations importantes. Puis, la croissance exponentielle du parc automobile surchargea en peu de temps les nouvelles « avenidas », générant de la pollution, un manque de places de stationnement et d’autres désagréments les transformant en lieux inhospitaliers contradictoires avec l’image de la vie urbaine moderne promue par cette conception et ce, malgré les élégants immeubles modernes qui peuplèrent les avenues du plans substituant les fantaisies éclectiques françaises du plan original par des exemplaires du rationalisme architectonique moderne. Prestes Maia, lorsqu’il fut nommé maire par le régime dictatorial de l’Estado Novo en 1938, commença immédiatement l’exécution à grande échelle des principales infrastructures de son plan : le Perímetro de Irradiação, composé d’une série de viaducs et l’élargissement des rues existantes, les principales voies radiales, élargies ou prolongées ; le système « Y » traversant le centre par une importante voie express qui bifurque vers le Sud ; d’autres démolitions de grande envergure pour faire de la place pour les nouveaux terminaux de bus, places, monuments, ponts, et autres ouvrages de grande ambition. Sa réalisation, au début des années 1940, affirmant le modèle radio-concentrique, encouragerait l’expansion du centre et cèlerait définitivement le rôle du Plano de Avenidas comme document essentiel dans l’orientation des politiques de planification urbaine. Une fois la rocade ouverte et les grandes voies radiales esquissées durant le premier mandat de Prestes Maia en tant que préfet de São Paulo (1938-1945), il resterait à compléter la structure viaire suggérée pour asseoir définitivement la structure radio-concentrique et ses différents dispositifs urbains. Néanmoins, le plan souffrit après 1945 d’adaptations circonstancielles qui lui firent perdre un part de son intégrité présente dans les schémas de 1930. La situation urbaine, après la Seconde Guerre Mondiale, bien qu’elle maintienne le même élan expansionniste, suggéra dorénavant plus de pragmatisme et moins d’audace, dans la mesure où les subtilités de la politique populiste se substituèrent à un volontarisme autoritaire. Ces circonstances se répercutèrent notamment dans le document qui succéda au Plano de Avenidas : le rapport Moses.


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Fig.11 : Un parking en plein-air. Praça da SÊ, un jour normal. Francisco Prestes Maia, 1930.

Fig.12 : Avenida Senador Queiroz. Francisco Prestes Maia, 1930.


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Fig.13 : Praça da SÊ en 1929. Francisco Prestes Maia, 1930.

Fig.14 : Ladeira do Carmo (Avenida Rangel Pestana). Francisco Prestes Maia, 1930.


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Fig.15 : Parque Anhangabaú et viaducto do Chá. Aspect actuel. Francisco Prestes Maia, 1930.

Fig.16 : Parque Anhangabaú. Companhia Paulista de Seguros. Francisco Prestes Maia, 1930.


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Fig.17 : Valle do Anhangabaú. Édifice Mackenzie. Francisco Prestes Maia, 1930..

Fig.18 : Parque Anhangabaú. Vue nocturne soulignant l’éclairage public. Francisco Prestes Maia, 1930.


Fig.1 :

Cross Manhattan Arterials and Related Improvements. Robert Moses, 1950.


Les voies express de Robert Moses • L’adaptation nord-américaine Durant le premier mandat d’Adhemar du Barros comme Gouverneur élu de l’État de São Paulo (1947-1951), l’industrialisation et les travaux routiers prennent une impulsion considérable à São Paulo, pour consolider le marché des biens produits dans la capitale et sa région. En pleine guerre froide et amateur des signes de grandeur nord-américaine [fig.1], ce dernier cherche à instrumentaliser le programme de développement par l’expansion de l’industrie automobile et des transports individuels, pour récolter les fruits d’un électorat futur. Lineu Prestes, alors Préfet de São Paulo (1950-1951) et nommé par ce dernier, contacte par l’intermédiaire du Rotary Club, l’IBEC, International Basic Economy Corporation (et IBEC Technical Service Corporation et Housing Service Corporation), entreprise privée américaine fondée par Nelson A. Rockfeller en 1947, l’IBEC a pour but de développer les « basic economies » des pays en développement, espérant ainsi encourager les entreprises nationales de ces pays à développer un marché concurrentiel et ainsi stimuler l’économie locale. Ce dernier aura une relativement forte influence sur la nord-américanisation de l’urbanisme pauliste qui s’explique d’abord par sa forte implication dont l’intrusion et le développement d’affaires pour satisfaire ses intérêts capitalistes, bien que masqués par une rhétorique du progrès et de la philanthropie ont provoqué d’importantes transformations dans la ville, aussi bien dans les aspects formels de l’architecture et de l’urbanisme, que dans son fonctionnement et surtout son identité. Avec l’IBEC, il s’inscrit dans une politique de continuité avec le Département des Affaires Inter-Américaines dont il avait été nommé responsable par le président Franklin D. Roosevelt et où il avait la charge de superviser le programme de coopération des États-Unis avec l’Amérique Latine pour encourager le développement du niveau de vie, propager l’« american way of life », entretenir de meilleurs relations, mais également

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pour contrer l’ascension de l’influence nazi dans cette région. De prime abord, le recrutement de l’urbaniste Robert Moses par la Préfecture de São Paulo en 1949, semble s’expliquer par la présence d’ingénieurs, architectes, urbanistes au sein des organes publics de la Préfecture très impliqués avec les problèmes de la métropole en développement, son industrialisation et ses conséquences urbanistiques et qui décidèrent de faire appel à des professionnels nord-américains pour travailler dessus. En effet, à l’époque, les professionnels de l’urbanisme sont très fortement influencés par des références urbanistiques nord-américaines. Mais c’est véritablement grâce aux contacts de Nelson A. Rockfeller dont le but, en tentant un rapprochement avec Adhemar de Barros dans les années ‘50, est de consolider ses activités économiques dans le domaine de l’ingénierie et de la construction à partir de l’IBEC et garantir ainsi le recrutement de Robert Moses. Invité par Nelson A. Rockfeller à rejoindre l’IBEC en 1947, il se voit confié la réalisation de rapports et de recommandations d’améliorations publics sur les villes de Caracas, capitale du Vénézuela et São Paulo. En effet, surnommé « the master builder », Robert Moses a conçu et organisé un nombre important de projets urbains pour New York entre 1938 et 1964, dont les plus connus et les plus représentatifs sont ceux concernant la construction des voies rapides urbaines et de ponts ayant pour conséquences la destruction de grands secteurs bien établis dans la ville pour éviter l’abandon de New York à cause de la migration de sa population vers ses banlieues. Ce qui en fait une figure politique des plus controversées dans le milieu de la planification urbaine et c’est comme tel que Nelson A. Rockfeller le présentera à la Préfecture de São Paulo : It is a pleasure to write this letter introducing The Honorable Robert Moses, New York City Construction Coordinator and Commissioner of Parks. Mr. Moses is the one who is responsible for the great parkways systems in this state and a pioneer in this field throughout the United States. He is also associated with IBEC in an advisory capacity1.

C’est dans ce contexte que Robert Moses apporte à São Paulo le modèle de la Highway Research Board, lequel prétend adapter les villes à se proportionner à l’expansion horizontale périphérique vers les banlieues

1 trad. : « C’est un réel plaisir d’écrire cette lettre pour présenter l’honorable Robert Moses, New York City Construction Coordinatot et Commissioner of Parks. M. Moses est le responsable du remarquable système de voies express dans cet État et un pionnier dans ce domaine à travers les ÉtatsUnis. Il est aussi associé à l’IBEC à titre de consultant. » - ROCKFELLER, Nelson A. in Rockfeller Archive Center, Rockfeller Family Collection, record Group III-4, Series Project Robert Moses, Box 118, Folder 1158.


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Fig.2 :

Exemple de quelques voies express à New York City. Robert Moses, 1950.

résidentielles de classe moyenne motorisée. A l’inverse de produire un système d’auto-suffisance, la banlieue jardin nord-américaine accompagne le développement de l’industrie automobile, créant la nécessité de grands déplacements urbains quotidiens par ses habitants. Ainsi, on retrouve pour São Paulo, les mêmes préconisations que dans l’ensemble de ses propositions pour New York où les « rodovias urbanas » accompagnent d’autres interventions, telles qu’un système de parcs ainsi que la modernisation du transport public grâce à l’augmentation du nombre d’autobus. Il s’agit donc d’une transposition [fig.2] du modèle nord-américain dans la capitale pauliste. Dispositif qu’il suggère dés le début du


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rapport par cet avertissement tout en se dédouanant dans le même temps des effets pervers que peut engendrer un tel processus : North Americans interested in rapidly growing cities will feel at home in São Paulo, which has many aspects of New York, Chicago, Miami, Omaha and the new cities of Texas. (...) What we suggest is frankly based upon analogies with our own problems, and we know that analogies can be pressed too far (...)2.

Pragmatique et générique, le rapport - notamment en terme de documents graphiques - semble à première vue, se décliner en une proposition de schémas de circulation, où sont signalés les principaux éléments structurants de la ville comme les fleuves, les aéroports, les espaces verts, les grandes infrastructures routières, etc. Les objectifs clairement énoncés par le contrat entre le groupe de consultants formé par Robert Moses et la ville de São Paulo, seront présentés ainsi : A detail report concerning the general planning of public works for the Municipality of São Paulo, including studies, recommendations or plans relating to : a general map and zoning ; highway system ; mass transportation ; parks and playgrounds ; straightening of the Tietê River and reclamation of adjacent lands ; sanitary engineering ; suggestions concerning financing methods for the execution of public works and services ; Pinheiros Canal reclamation ; waste disposal3.

• Un changement d’échelle Mais ce programme marque surtout le premier geste assumé d’un désir conscient de métropolisation pour São Paulo. En effet, par ce dernier, Robert Moses préfigure l’adoption d’une lecture territoriale étendue de São Paulo en mettant en avant sa qualité de polarité régionale et étatique souligné par l’impact du réseau de « rodovias estaduais ». Une vision territoriale régionale qui défend une certaine idée de la ban2 trad. : « Les nord-américains qui apprécient les villes de croissance rapide se sentiront à la maison à São Paulo, qui possède de nombreux traits similaires à New York, Chicago, Miami, Omaha et les nouvelles villes du Texas. (...) Ce que nous suggérons est franchement basée sur des analogies avec nos propres problèmes, et nous savons que les analogies peuvent être poussées trop loin. » - MOSES, Robert in Program of Public Improvements for São Paulo (1950), pp. 9-10. 3 trad. : « Un rapport minutieux et détaillé concernant la planification générale des travaux publics, pour la Municipalité de São Paulo, incluant études, recommandations ou plans relatifs à : un plan directeur et règlement de zonage ; un système d’axes routiers ; du transport de masse ; des parcs e des aires de jeux ; le redressement du fleuve Tietê et la récupération des terrains adjacents ; de l’ingénierie sanitaire ; des suggestions au sujet des méthodes de financement pour la réalisation des travaux publics et des différents services ; le remblaiement du canal du Pinheiros ; traitement des déchets. » Ibidem, p. 8.


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Fig.3 :

Schéma global de l’aménagement territorial. Robert Moses, 1950.

lieue conforme au modèle sus-cité de la Highway Research Board qui se retrouve connectée à la ville par une distribution de voies express permettant les conditions d’une plus grande mobilité quotidienne. Une mobilité culturelle propre aux métropoles où l’on peut habiter en ville la semaine et retourner vivre à la campagne le week-end. Ceci parce qu’il y voit une situation géographique privilégiée - en rapport au climat, au


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Fig.4 :

SchĂŠma global du Plano de Melhoramentos para SĂŁo Paulo. Robert Moses, 1950.


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potentiel hydraulique de la ville ainsi que la possibilité d’un accès facile et rapide à la mer, comme le montre l’incorporation de Santos, ville de loisir pauliste dans la conception spatiale [fig.3]. Traffic in São Paulo is similar to that in all large North American cities, where the bulk of the traffic daily moves between the suburbs and the heart of the business areas (...). In comparison, the through movement of vehicles between large cities is not great4.

Le plan consiste sommairement en la proposition d’un système de voies express radiales, liant le centre à ses périphéries, où les fleuves Tietê et Pinheiros deviennent l’épine dorsale d’une interconnexion régionale en accueillant le long de leur vallée les voies « marginais » [fig.4]. Ces dernières, déjà conçues schématiquement dans le plan de Prestes Maia - sont aménagées pour recevoir le trafic des « rodovias expressas » et des autoroutes récemment construites comme les voies Anchieta, Anhangüera ou Dutra ainsi qu’un système de parcs métropolitains. Avec la construction des ces autoroutes, le programme induit une expansion urbaine le long de ces dernières, unifiant de ce fait la municipalité de São Paulo avec ses municipalités voisines par ses fleuves devenus avenues. En préfigurant le rôle structurant de rocade que les avenues « marginais » accomplissent encore aujourd’hui, le programme de Moses consolide le processus de métropolisation. En fait, bien qu’il s’appuie et se développe dans le sillage du Plano de Avenidas conçu 30 ans plus tôt par Francisco Prestes Maia (ce dernier a toujours défendu la croissance et l’expansion de São Paulo en métropole), le Plano de Melhoramentos modifie la dimension et l’orientation urbaine de ce dernier qui était alors plus proche d’un urbanisme à l’européenne alors que la vision de Robert Moses est essentiellement nord-américaine : plus préoccupée par des critères de fonctionnement et d’efficacité que d’esthétisme. Aux boulevards et aux rues du Plano de Avenidas se substituent les voies express urbaines et leur grammaire venant diversifier le maillage de São Paulo [fig.4] qu’il juge ainsi plus approprié à un trafic important, conformément à la politique de priorisation du transport routier. Ces dernières - le plus indépendantes possible du tissu urbain existant qu’elles traversent dans un souci d’efficacité maximal jusqu’aux sorties de ville pour s’articuler aux autoroutes via les avenues « marginais » - incarnent l’outil fondamental [fig.5], et en 4 trad. : « La circulation à São Paulo est similaire à celle de toutes les grandes villes d’Amérique du Nord, où la majeure partie du trafic quotidien se situe entre la banlieue et le cœur des quartiers d’affaires (...). En comparaison, le mouvement des véhicules entre les grandes villes n’est pas si important. » - Ibidem, p. 36.


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Fig.5 :

Section-type des voies express proposées. Robert Moses, 1950.

même temps la condition de continuité et de transformation du territoire préconisée par le programme. To define : an expressway is a limited access artery providing for the free movement of vehicles, without crossings at grade, left hand turns, traffic lights or right of access except at a few designated points. (...) An expressway should improve the communities through which it passes and should not become a mere « gasoline gulley » carrying large volumes of vehicles5.

• Main-mise politique et économique Pourquoi peut-on affirmer que le programme de Robert Moses est en

grande partie prétexte à des enjeux rodoviaristes et mercantiles forts ? D’abord, parce que sa réalisation engendrerait des gains importants pour les investisseurs liés à Nelson A. Rockfeller - qui à travers le placement stratégique de ces derniers souhaite profiter de certains enjeux liés à l’industrialisation et à la forte urbanisation du Brésil - en suivant trois objectifs fondamentaux du programme. Le premier objectif découle de l’élimination de l’option métro par Moses et son équipe qui ne s’explique pas seulement par des raisons économiques comme ils le prétendent. En effet, au paragraphe suivant, le programme préconise l’achat immédiat de 500 bus diesel modernes de grande capacité et de fabrication étrangères, amenés à être montés sur place afin de créer de l’emploi pour la main d’œuvre brésilienne suivi par l’achat progressif de 1.000 autres bus au rythme de 100 par an durant 10 ans. Cette solution « raisonnable et économique » d’acquisition que défend le programme est soutenue par d’autres ob5 trad. : « Pour définir : une voie rapide est une artère à accès limité prévoyant la libre circulation des véhicules, sans passages à niveau, virages à gauche, feux de circulation ou péages, sauf ponctuellement. (...) Une voie rapide devrait améliorer les communautés qu’elle traverse et ne devrait pas devenir un simple « gouffre à essence » transportant de grandes capacités de véhicules. » - Ibidem, p. 34.


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jectifs non moins essentiels : amélioration de la voirie et des terminaux, création nouvelles artères de communication qui permettent le transport rapide entre le centre de la ville, les quartiers et la banlieue. Cette préconisation permettrait en fait de concrétiser la vente de bus General Motors [fig.6] - déjà bien implanté dans le marché des transports collectifs à São Paulo et dont le président est lié à Nelson A. Rockfeller pour la CMTC, Companhia Municipal de Transportes Coletivos de São Paulo. La circulation de ces derniers favoriseraient l’augmentation du nombre de chaussées en asphalte, la consommation de carburants, de lubrifiants, dérivés du pétrole, de pneus et de pièces automobiles pour de nombreuses années à venir. While it is true that São Paulo today has only 1 motor vehicle for 32 people, as against 1 for 8 in New York City and 1 for 3 in Los Angeles, this proportion will inevitably increase as more motor vehicles are imported, assembled and manufactured in Brazil6.

En continuité, le second objectif exploiterait la nouvelle configuration viaire territoriale engendrée par l’interconnexion des voies express pour orienter São Paulo vers un renforcement du transport routier pour favoriser son émancipation industrielle et ainsi profiter des matières premières visées par Nelson A. Rockefeller : comme le minerai et le pétrole. Le troisième objectif était d’organiser avec la São Paulo Tramway, Light & Power Company la canalisation des fleuve Tietê et Pinheiros ainsi que l’aménagement de leurs plaines alluviales pour permettre l’urbanisation, la valorisation des terres adjacentes [fig.7] - qui représentent alors 60.000.000 m² inondables - et la construction des avenues « marginais » financées par les fonds publics générant de grands profits pour les entreprises concernées. La réaction locale est forte. Il s’agit du moment où commence à apparaître à São Paulo - dans les revues spécialisées et les évènements d’architecture - les idées de la Charte d’Athènes. La diffusion de ce concept de ville fonctionnelle, au début de la Guerre Froide et l’opposition de gauche à l’augmentation de l’influence nord-américaine au Brésil expliquent la virulence de l’opposition des architectes à la présence de Robert Moses et son équipe à São Paulo. Cependant, en dépit de cette opposition, les propositions du Plano de Melhoramentos engendreront de nombreuses résonances les années suivantes. 6 trad. : « S’il est vrai que São Paulo possède aujourd’hui 1 véhicule motorisé pour 32 personnes, contre 1 pour 8 à New York et 1 pour 3 à Los Angeles, cette proportion va inévitablement augmenter plus les véhicules motorisés seront importés et manufacturés au Brésil. » Ibidem, p. 15.


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Fig.6 :

Une voie express prévue soulignant l’objectif d’intermodalité. Robert Moses, 1950.

Fig.7 :

Urbanisation des berges du fleuve Tietê. Robert Moses, 1950.


Fig.1 :

Illustrations du PUB, p.12 et 17. Prefeitura da Cidade de S達o Paulo, 1969.


Nouvelles polarités du PUB • Un nouveau regard sur la croissance En plein régime autoritaire (« les années de plomb ») instauré par le Coup d’État militaire du 31 mars 1964, le PIB brésilien connaît entre 1968 et 1973, une croissance annuelle moyenne importante et le taux d’inflation reste raisonnable. C’est la période du « milagre brasileiro » : le miracle économique brésilien, référence au « wirtschaftswunder », miracle économique allemand désignant la rapide croissance économique en Allemagne de l’Ouest (RFA) après la Seconde Guerre Mondiale. Suivant une demi-décennie de stagnation, c’est parce que cette croissance est si rapide, qu’on la qualifie de « miracle », parce qu’un taux de croissance de 8,5 % en moyenne durant cinq ans reste assez exceptionnel. Cette période s’accompagne d’une refonte du modèle économique à travers une politique d’industrialisation massive où les choix de l’État se tournent vers les investissements productifs - au détriment du social - incitant les entreprises étrangères à venir s’installer. Le faible coût de la main-d’œuvre, un ordre politique garantissant la sécurité des investissements, un marché prometteur attirent de nombreuses firmes, notamment dans le domaine de l’automobile avec l’implantation de General Motors, Ford et Chrysler rejoignent Fiat et Volkswagen à São Paulo. C’est au regard de ces nouveaux enjeux économiques et industriels, et des profondes insuffisances structurelles [fig.1] pour soutenir cette croissance qu’on commence alors à reconnaître la nécessité d’appréhender São Paulo et son agglomération à l’échelle métropolitaine. Establishment and growth of Brazil’s automobile industry came during the 1950’s, and had a direct influence not only on the expansion of the nation’s highway system, but more importantly on the further solidification of the metropolitan area’s overall industrial expansion1. 1 trad. : « L’implantation et le développement de l’industrie automobile au Brésil durant les années cinquante eut une influence directe, non seulement sur l’expansion du réseau routier national, mais surtout sur la poursuite de la solidification de l’expansion industrielle globale de la région métropolitaine » - Prefeitura da Cidade de São Paulo in Plano Urbanístico Básico : relatório Sintético (1969), p. 11.

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Produit le plus emblématique de cette période, le Plano Urbanístico Básico ou PUB témoigne de cette période de « miracle » dans toutes ses dimensions notamment par ses prévisions optimistes quant aux niveau de vie et la motorisation toujours plus importante de la population et la « générosité » des interventions proposées. De ce point de vue, il incarne parfaitement le courant du « planejamento urbano integrado » comme nouveau paradigme de l’action urbaine alors mis en œuvre durant le régime autoritaire post-1964. The Basic Urban Plan provides not only the framework for developing solutions to the Municipality’s problems, but also suggests approaches to the development of an integrated metropolitan area having appropriate population distribution, placement of economic activities, and transportation and urban service systems, all aimed at continuously meeting the needs foreseen by future urban development2.

Élu préfet en 1965, José Vicente de Faria Lima choisit d’orienter ses appuis politiques et le budget vers la réalisation de grands ouvrages telles les voies express prévues dans le rapport Moses. Adoptant une posture technocratique et cherchant à contourner l’appareil bureaucratique et le débat législatif, la Prefeitura crée en 1967, le GEP ou Grupo Executivo de Planejamento : un organisme directement subordonné au préfet pour conduire la procédure de planification urbaine de la municipalité, retirant ainsi cette attribution au Departamento de Urbanismo dans un souci d’une plus grande autonomie. Souhaitant éviter la dilapidation des ressources par le recrutement d’une équipe nord-américaine comme ce fut le vas pour Robert Moses, Faria Lima commande un plan exemplaire, à travers le GEP qui le coordonnera : le Plano Urbanístico Básico. Il contracte pour ceci un consortium international financé par le Governo Federal et l’United States Agency for International Development, et composé d’entreprises brésilienne, Montreal et Asplan, ainsi que deux firmes américaines, choisies après un appel public à la concurrence. • Changement de paradigme rodoviariste ? Dans la posture idéologique de ce nouveau plan transparaît un désir de surmonter le modèle rodoviariste qui s’implante du2 trad. : « Le Basic Urban Plan fournit non seulement le cadre nécessaire à l’élaboration de solutions aux problèmes auxquels fait face la municipalité, mais suggère également des approches pour le développement d’une région métropolitaine intégrée avec une distribution appropriée de la population, un positionnement pertinent des activités économiques, du transport et des systèmes de services urbains adaptés, tous coordonnés dans le but de répondre aux besoins prévus par le développement urbain futur. » - Ibidem, p.12.


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rablement dans la planification urbaine de cette époque, caractéristique du Plano de Avenidas et du rapport Moses, en le remplacant par un autre modèle, toujours rodoviariste, mais intégrant cette fois une vision plus sociale, héritière des études SAGMACS de 1957 avec une attention particulière sur le traitement du décalage entre les besoins de la population et la capacité de services offerts au sein de la métropole principalement en logements, transports, éducation et santé. The seriousness of the problem is compounded by a high concentration of urban services in the central areas, contributing heavily to the imbalance between population and employment. This poor distribution will be accentuated if present trends in the provision of urban services continue. General shortages in adequate mass transportation, services, and employment in the outlying areas means that large numbers of residents must spend three or four hours a day traveling to and from the central area for work3.

Ainsi, lors de la présentation du PUB, Faria Lima réaffirme l’enjeu de ce dernier qui ne doit pas seulement se définir comme un simple « plano diretor » et se résumer à la construction d’avenues et de viaducs mais doit aussi refléter l’objectif d’« humanizar4 » São Paulo et de « quebrar o tabu do metrô5 ». Ainsi, face aux plans précédents, le PUB marque un changement de paradigme structurel où l’expansion urbaine et la croissance accélérée de la ville - jusque là considérée comme inévitable et sans cesse alimentée voire incitée et motif de fierté - commence à être vue comme la principale source des problèmes auxquels fait face São Paulo, faisant émerger l’idée que le processus de métropolisation doit être encadré et régulé (l’insuffisance des recettes publiques municipales face à cette croissance allant dans ce sens) tout en satisfaisant une plus grande mobilité et une meilleure intégration sociale dans la métropole projetée pour les années ‘90. Après une analyse comparative d’autres métropoles, tant européennes que nord-américaines, parce que « São Paulo (...), ranks in size which such cities as Paris, London, Tokyo and Chicago6. », 3 trad. : « La gravité du problème est accentué par une forte concentration des services urbains dans les régions centrales, contribuant fortement au déséquilibre entre population et emploi. Cette mauvaise répartition sera accentuée si les tendances actuelles dans la fourniture de services urbains continuent. Une pénurie générale de transports de masse adéquats, de services, et d’emplois dans les aires périphériques signifie qu’un grand nombre d’habitants doivent passer trois ou quatre heures par jour circulant vers et depuis la zone centrale pour le travail. » - Ibidem, p. 4 trad. : « humaniser » 5 trad. : « casser le tabou du métro » 6 trad. : « São Paulo se classe en termes de taille parmi des villes comme Paris, Londres, Tokyo et Chicago. » - Ibidem, p. 11.


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Fig.2 : Concepts de structure urbaine schématiques pour l’aire métropolitaine. Prefeitura da Cidade de São Paulo, 1969. Le Concept One incarne le prolongement du développement existant, avec une croissance soumise à certains contrôles et orientations. Le Concept Two est basé sur la dispersion de la population et de l’emploi sur tout le territoire métropolitain. Le Concept Three repésente l’ajustement et la circonscription de la croissance future dans les limites de l’aire urbaine actuelle. Le Concept Four reflète la distribution d’une grande partie de la population et de l’activité à travers une portion urbanisée élargie de l’aire métropolitaine pauliste.


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le PUB se développe selon quatre concepts d’organisation urbaine de formes diverses [fig.2]. Confrontés à plusieurs hypothèses de répartition spatiale des emplois et de la population, ils permettent aux consultants la simulation de différents modèles qui sont ensuite utilisés comme base pour l’élaboration de cinq alternatives de structures de transports. Il est intéressant de noter que c’est l’utilisation de simulations mathématiques que permettent les technologies de l’époque (1990) qui permirent de sélectionner l’alternative la plus performante de manière « rationnelle ». Néanmoins, pour des raisons de ressources financières et physiques, les données informatiques seront traitées aux États-Unis, révélant ainsi les liens forts existants entre les forces politiques nord-américaines et le régime militaire alors en place. On peut supposer que c’est une occasion pour les États-Unis d’acquérir une connaissance plus approfondie sur la plus grande ville du pays à l’époque. C’est finalement une variation du Concept Four de structure urbaine qui emporte l’adhésion : ce dernier propose la densification du centre ainsi que l’interconnexion et la densification également de cinq autres centres régionaux. Ainsi, par sa taille dans le tissu métropolitain, le centre de São Paulo se voit assigner très clairement dans le PUB le rôle de polarité de premier plan au regard des municipalités voisines et ce, tant dans le commerce, les affaires que l’administration de la métropole. Ainsi, le PUB adopte un modèle de développement suburbain typiquement nord-américain - en particulier celui de Los Angeles, alors deuxième région de concentration de l’industrie automobile aux États-Unis juste après Detroit - soutenu par un vaste réseau de voies express, de faibles et moyennes densités pour la majeur partie de la ville et de fortes densités pour le « Central Business District » de São Paulo. De ce fait, il est l’expression même du rodoviarisme de cette période. Un rodoviarisme où transport de masse (un métro passant des 66 km existants à un système de transport rapide de 450 km) et transport individuel se dissocient en deux réseaux de modèles distincts, respectivement radial et orthogonal afin de « circular pela cidade de forma rápida et confortável7 » et surtout réorienter - grâce aux voies express prévues - le système de bus afin qu’il complémente plus qu’il ne fasse concurrence avec le nouveau métro prévu pour relier les différents centres sous-régionaux entre eux, et avec le « Central Business District ». Il en résulte une structure réticulée abstraite, avec la proposition d’un aménagement de 815 km de voies express - avec 388 km s’insérant dans São Paulo même et intégrant 187 km de voies ex7

trad. : « circuler dans la ville rapidement et confortablement »


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Fig.3 : Débit journalier de passagers en transport individuel - 1967. Prefeitura da Cidade de São Paulo, 1969.

Fig.4 :

Débit journalier en transport rapide - 1990. Prefeitura da Cidade de São Paulo, 1969.


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press déjà existantes ou en construction - disposées selon une grille orthogonale, une maille de voies express en viaduc, distantes d’environ 10 km chacune formant le squelette du futur système routier métropolitain pour une occupation totale de 5 % de la superficie de l’aire urbaine pauliste. Son objectif est de soutenir 55 % du trafic journalier moyen avec l’assurance d’une pleine capacité de fonctionnement. Ainsi, cette nouvelle structure de mobilité urbaine modifie profondément celle développée antérieurement par Prestes Maia ou encore Moses en se superposant à elle : on assiste à un deuxième changement de paradigme structurel : du radio-concentrique [fig.3] au réticulaire [fig.4], afin de soutenir la croissance inéluctable du parc automobile et permettre une meilleure gestion des problèmes en découlant, notamment en opérant une meilleure distribution de la circulation pour lutter contre l’engorgement du centre de la ville causé par le modèle radio-concentrique. Car Ownership - One of the most visible indicators of rising living standards is the increase in registration and use of private cars. This trend has been quite evident in São Paulo, (...). By 1990, 45 % of all households will be car-owning compared with the present 25 %. This means that (...), about 2.4 million cars will be registered in the metropolitan area - a rate of 133 car per 1.000 inhabitants. There are about 425 cars per 1.000 persons in Los Angeles, a very low-density urban area, compared to 177 cars per 1.000 persons in New York, where present densities resemble those predicted for São Paulo8.

• Ou retour aux sources ? Certes, ce plan fait passer São Paulo d’une ville monocentrique à une structure métropolitaine polycentrique qui accueillera 42 millions d’habitants pour l’an 2000. Mais cette maille directionnelle de voies express se superposant au réseau viaire existant et desservant tout le territoire métropolitain - pour peu que l’on s’y attarde - fait étrangement écho à la proposition de Le Corbusier pour São Paulo déjà citée précédemment. Ne peut-on pas voir dans l’orthogonalité de cette vaste structure urbaine, massive et généreuse, ces « viaducs-autostrades » parcourant les collines paulistes [fig.5] du territoire métropolitain ? 8 trad. : « L’un des indicateurs les plus visibles de la hausse du niveau de vie est l’augmentation de l’immatriculation et de l’utilisation des voitures privées. Cette tendance a été tout à fait évidente à São Paulo, (...). En 1990, 45 % de tous les ménages possédera une voiture par rapport aux 25 % actuels. Cela signifie que (...), environ 2,4 millions de voitures seront immatriculées dans l’aire métropolitaine - un taux de 133 voitures pour 1.000 habitants. Il y a environ 425 voitures pour 1.000 personnes à Los Angeles, une zone urbaine de très faible densité, par rapport à 177 voitures pour 1.000 personnes à New York, où les densités actuelles ressemblent à celles prédites pour São Paulo. - Ibidem, p. 59.


Fig.5 :

Corollaire brésilien. Le Corbusier, non daté, Fondation Le Corbusier.

Fig.6 : Système de parcs urbains et métropolitains. Prefeitura da Cidade de São Paulo, 1969.


69 The freeway network will provide connections from any point to any other in the metropolitan area. Because this network has great impact on the entire spatial form of the metropolitan area, it is regarded as a basic defining elements for the various urban centers9.

En effet, dans le rapport du PUB, la densité résidentielle souhaitée est de 300 hab/ha dans les immeubles de l’aire centrale et le long des nouvelles voies express ; de 150 hab/ha dans les aires jouxtant ces dernières, constituées d’immeubles et de pavillons ; et enfin de 75hab/ha dans les zones périphériques selon une logique d’occupation horizontale. Cette analogie montre le caractère fortement polycentrique prévu pour São Paulo et accentué par la création de « sub-centros » aux croisement des grands axes routiers que dessinent les voies express [fig.7]. Ensuite, en piochant dans un même esthétisme de la vitesse, en confrontant l’urbain et le paysager, le minéral et le végétal, une orthogonalité artificielle et une « souplesse » de la nature, comme on peut très clairement l’observer sur le plan des parcs métropolitains [fig.6], à la manière dont les voies express structurent l’urbain pour devenir en s’éloignant du centre des « scenic drives » qui traversent les « major open space reserves » dans un véritable souci de mise en scène de l’arrière-pays pauliste. Integrate the transportation system into the urban environment by emphasizing aesthetic as well as functional and structural considerations in the development of transportation facilities10.

Finalement, des raisons de viabilité économique vis-à-vis de la réalisation d’une telle structure, et le peu de considération qu’il eut pour la topographie de São Paulo et ses infrastructures firent que ce plan resta un urbanisme de papier et que très peu de ses propositions furent exécutées, du moins à l’échelle proposée. Néanmoins, il servit de base conceptuelle à un certain nombre de plans, de projets et d’opérations urbaines sous le régime militaire - période prolixe en interventions infrastructurelles de grande envergure - qui ont radicalement changé le visage de São Paulo tel le Minhocão, cité précédemment, qui peut être considéré comme un de ses « rejetons », un tronçon de la maille orthogonale originale, tout à fait caractéristique de ces implantations partielles, par fragments, moins légitimes car compromettant la cohérence du modèle initial. 9 trad. : « Le réseau de voies express fournira des connexions de n’importe quel point à un autre dans l’aire métropolitaine. Parce que ce réseau a un grand impact sur l’ensemble de la forme spatiale de l’aire métropolitaine, il est considéré comme un éléments basique de définition pour les différentes centralités urbaines. » - Ibidem, p. 81. 10 trad. : « Intégrer le système de transport à l’environnement urbain en soulignant les considérations esthétiques aussi bien que fonctionnelles et structurelles (...). » - Ibidem, p. 25.


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Fig.7 :

Structure de la région métropolitaine proposée. Prefeitura da Cidade de São Paulo, 1969.


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Fig.1 : Réseau routier codifié pour le test de 1980 - R-1 Grupo Executivo da Grande São Paulo, 1971.

Fig.2 :

Réseau routier codifié pour le test de 1980 R-2. Grupo Executivo da Grande São Paulo, 1971.


PMDI & PDDI, la métropole réguléeh • La métropole : une échelle plus pertinente À la fin des années 1960, la vision rodoviariste de la planification urbaine se renforce, notamment par le recours à la modélisation [fig.1-2]. Le modèle urbain prévu par Prestes Maia et consolidé par Robert Moses est incorporé dans tous les plans urbains de l’époque - à l’exception du PUB, comme on a pu le voir précédemment. Néanmoins, cette vision prend une nouvelle tournure lorsqu’en 1971, l’ingénieur José Carlos de Figueiredo Ferraz est nommé Préfet. Sur certains points, ce dernier s’inscrit dans la lignée politique du PUB, en particulier autour de l’idée d’une croissance urbaine et métropolitaine qui doit être contrôlée et dont il est un fervent défenseur. Il sera l’un des premiers à exprimer aussi fermement que « São Paulo deve parar1 », et de ce fait, se positionne en rupture totale avec Adhemar de Barros, son prédécesseur - celui-là même qui fit venir Robert Moses et son équipe en 1960 - dont le slogan était « São Paulo não pode parar2 ». Une des premières mesures de Ferraz sera l’achèvement par le GEP d’un Plano Diretor officiel pour la ville, tandis que le gouvernement étatique élabore, par le GEGRAN - Grupo Executivo da Grande São Paulo - créé quatre ans plus tôt, le PMDI ou Plano de Desenvolvimento Integrado. Ce dernier - toujours composé d’un consortium d’entreprises brésiliennes et évidemment nord-américaines - équivaut au GEP, mais à l’échelle métropolitaine. En coordonnant les investissements distribués à la région, les solutions envisageables au regard des problèmes métropolitains soulèvent la nécessité d’une interdépendance des infrastructures. De ce fait, le GEGRAN, incarne la reconnaissance administrative de l’aire métropolitaine et le PMDI, le premier plan marquant l’emphase sur le territoire métropolitain, se fondant autant sur les analyses réalisées par les études SAGMACS que celles du PUB, dont il tire plusieurs directrices. Enfin, il reconnaît la nécessité d’identifier les 1 2

trad. : « São Paulo doit arrêter [de croître de manière désordonnée] » trad. : « São Paulo ne peut pas [se permettre] de s’arrêter »

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Fig.3 :

Modèle d’organisation de l’espace métropolitain - 1980. Grupo Executivo da Grande São Paulo, 1971.


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différentes fonctions métropolitaines et leurs dysfonctionnements dus à la croissance désordonnée et dont l’impact est global du fait de leur interconnexion. A Grande São Paulo é constituída por 37 municípios, por onde se estende a área urbana contínua de São Paulo. Por isso, é entendida como uma única cidade (...). É, hoje uma grande metrópole, ao nível de Londres, Paris e Los Angeles. É área estratégica para o desenvolvimento do país, pois responde por 40 % da produção industrial do Brasil. (...) Como se sente facilmente, os problemas da Grande São Paulo afectam toda a vida económica do País3.

Pour ce faire, les objectifs de la nouvelle structure urbaine projetée sont d’une part, de réorienter l’expansion urbaine en direction de l’est [Mogi das Cruzes] et du nord-est [Guarulhos], en plus de décourager celle en direction du sud et du sud-ouest ; d’autre part, de stimuler le développement de nouveaux centres d’activités tertiaires en « corridors » le long de la structure ferroviaire, capables d’absorber l’expansion du secteur tertiaire dans la métropole tout en viabilisant le système de transport rapide de masse. Les objectifs suivants vont dans le sens d’une plus grande continuité urbaine - l’idée même du Grande São Paulo - en augmentant la densité dans les régions périphériques et en réduisant l’occupation dispersée, extensive et raréfiée afin de soulager son rythme de croissance démographique [fig.3]. Mais malgré la planification du metrô, ce plan présente toujours un fort caractère rodoviariste et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, on observe que le nouvel axe de croissance et de développement urbain est-ouest est rigoureusement structuré par l’infrastructure routière antérieure (Presidente Dutra) et plus récente (Raposo Tavares et Castelo Branco) qu’il accompagne et renforce de fait. (...) propõe-se uma série de vias metropolitanas (...), reforçando as condições dos eixos e centros existentes e propiciando a criação de novos, onde as condições de urbanização forem favoráveis4.

3 trad. : « Le Grand São Paulo est constitué de 37 municipalités, par lesquelles s’étend l’aire urbaine continue de São Paulo. Pour cela, il est appréhendé comme une ville unique (...). C’est, aujourd’hui, une grande métropole, au même titre que Londres, Paris ou Los Angeles. C’est également une aire stratégique pour le développement du pays, parce qu’elle correspond à 40 % de la production industrielle du Brésil. (...) Alors, on peut aisément comprendre que les problèmes du Grand São Paulo affectent toute la vie économique du pays. » - GEGRAN. Plano metropolitano de desenvolvimento integrado da grande São Paulo (1971), p. 3. 4 trad. : « (...) il est proposé une série de voies métropolitaines (...), renforçant les conditions des axes et des centres existants et favorisant la création de nouveaux, où les conditions d’urbanisation sont favorables » - Ibidem, p. 16.


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Ensuite, c’est par la densification dans certaines aires désignées le long des principaux élements du système de transports pour renforcer l’accessibilité et la concentration en certains points du bassin d’emploi. • Changement d’échelle pour la structure radio-concentrique La modification la plus profonde qu’apporte le PMDI en termes de structure viaire fondamentale à São Paulo est en fait tiré d’une étude du GEIPOT - Grupo Executivo de Integração de Políticas de Transporte - qui propose la création d’une petite et grande ceinture périphérique, utilisant les voies « marginais » des fleuves Tietê et Pinheiros qui s’apparenteront dés lors comme les principales voies express de raccordement métropolitain, régional et étatique. Cette structure reste encore aujourd’hui, la représentation la plus éloquente et la plus présente du rodoviarisme pauliste. En effet, ce modèle urbain est réaffirmé par le PMDI, qui l’assoit définitivement comme élément central de São Paulo, en plus de proposer la construction d’un systèmes d’avenues radiales et de rocades métropolitaines et d’encourager la décentralisation de l’emploi tertiaire. Ce dernier, face aux embouteillages du Centro Metropolitano, est réorienter en concentrant ses es activités le long de ces nouveaux « corridors » stratégiques cités précédemment. No setor de Transportes, o PMDI recomenda principalmente (..) a implantação de um sistema de vias expressas (freeways) para atender ao transporte individual e de cargas, sistema êste, composto do Pequeno Anel Ferroviário, das rodovias Norte, Anhanguera, Castelo Branco, Raposo Tavares, Regis Bittencourt, Imigrantes, Anchieta, São PauloMogi, Dutra e Fernão Dias, e de duas vias expressas internas ao anel rodoviário, uma no sentido norte-sul ligando Anchieta e Dutra, e outra no sentido leste-oeste ligando o ABC e Morumbi5.

En réalité, le concept viaire adopté par le PMDI n’a en rien changé les propositions déjà consacrées par le GEIPOT - Grupo Executivo de Integração da Política de Transportes - et dans la modèle radio-concentrique existant, reconnaissant que le modèle urbain adopté se base sur l’évolution et la transformation naturelles de la structure existante, seulement interprétée et renforcée en certains éléments [fig.4-5]. De même pour 5 trad. : « Dans le domaine des transports, le PMDI recommande principalement (..) l’implantation d’un système de voies express (freeways) pour répondre aux besoins du transport individuel et de charge, le système est, composé du Pequeno Anel Ferroviário, des axes routier Nord, Anhanguera, Castelo Branco, Raposo Tavares, Regis Bittencourt, Imigrantes, Anchieta, São Paulo-Mogi, Dutra et Fernão Dias, et de deux voies express internes à la rocade, une dans le sens nord-sud reliant Anchieta et Dutra, et l’autre dans le sens est-ouest raccordant l’ABC et Morumbi. » - Ibidem, p. 3.


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Fig.4 : Volume total journalier en transports motorisés - 1980 - R-1. Grupo Executivo da Grande São Paulo, 1971.

Fig.5 :

Volume total journalier en transports motorisés - 1980 - R-2. Grupo Executivo da Grande São Paulo, 1971.


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l’organisation du réseau routier promue à l’échelle territoriale qui semble issue d’un compromis entre une dynamiques radio-concentrique et un système en grille [fig.6]. Les propositions concernant l’occupation des sols différaient par leur tendance naturelle à la diminution des densités urbaines et du mouvement des activités économiques - jusque-là confinées au centre - vers la périphérie. Enfin, les propositions routières du GEIPOT et du PMDI auront quelques répercussions concrètes en stimulant ultérieurement la réalisation du Minianel Viário et de l’Anel Viário Metropolitano et le renforcement de la macrostructure routière [fig.4-5] dans les plans municipaux et métropolitains suivants. La réalisation de ces derniers (de respectivement 7 et 12 km) au milieu des années 1990, rompit le paradigme qui imposait au centre élargi le croisement de toute la circulation métropolitaine depuis les années 1960. • Du PMDI au PDDI Dans le programme du PDDI, se détache une vision directrice et régulatrice de l’expansion urbaine où, comme nous l’avons vu précédemment, le problème majeur serait la croissance désordonnée. Le plan dénonce le rythme accéléré de l’urbanisation et l’absence de mécanismes de contrôle efficaces. Il se charge de récupérer du retard encombrant en termes de régulation urbaine : « das grandes cidades do mundo (...), São Paulo é uma das únicas que não possui um Plano Diretor6. » Pour cela, serait nécessaire une « fixação das densidades demográficas e a ordenação das atividades e funções urbanas7. » Pour le PDDI, les différentes intensités d’occupation du sol furent établies en ayant en tête le dimensionnement du système viaire et des moyens de transports, et la réduction du coefficient maximal d’utilisation est considérée une des conditions basiques pour discipliner la développement urbain de São Paulo. Il était prévu que les plus fortes concentrations démographiques et de multiples activités s’implanteraient le long des lignes de métro, conformément aux études réalisées par la Companhia do Metrô depuis 1968, alors en train de réaliser la première ligne du métro pauliste - Norte-Sul - inaugurée en 1974. Faisant référence à l’étude SAGMACS et au PUB, le PDDI adopte un système d’« unidades territoriais » hiérarchisées : le niveau 1 correspondant à l’unité de voisinage, s’ensuivant un niveau in-

6 trad. : « des grandes villes mondiales (...), São Paulo est une des seules qui ne possède pas de Plan Directeur. » - CAMPOS, Candido Malta et SOMEKH, Nadia. A cidade que não pode parar : planos urbanísticos de São Paulo no século XX (2008), p. 124. 7 trad. : « fixation des densités démographiques et la mise en ordre des activités et des fonctions urbaines » - Ibidem, p. 124.


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Fig.6 :

Perspectives d’aménagement du réseau routier. Grupo Executivo da Grande São Paulo, 1971.


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termédiaire puis le niveau équivalant aux Administrações Regionais. Un cadre définit les objectifs pour répondre aux besoins de la population en termes d’équipement, de services et d’infrastructures afin de supprimer les déficits existants. En outre, le plan prévoit également des projets de rénovation pour les zones détériorées et le développement de zones non urbanisées, attribuées à l’Empresa Muncipal de Urbanização ou aux architectes consultés à cet effet. Selon le PDDI, le zonage serait le mécanisme central de contrôle du développement urbain. Il s’organise selon huit typologiques basiques de zones, avec coefficients maximaux d’utilisation [fig.7]. • Du PDDI à la Lei de Zoneamento de 1972 Ayant approuvé le plan, l’administration Figueiredo Ferraz concentra ses efforts dans l’élaboration d’un loi complète de zonage et d’occupation des sols, avec la délimitation des périmètres de chaque zone, le détail des paramètres urbains et des dispositions légales, renforçant la législation qui s’élaborait progressivement depuis les années 1940. Ayant comme base les principaux concepts venant du PUB et du PDDI (une structure viaire organisée selon une maille, le contrôle de la croissance, de grands investissements en voies express, métros, logements et assainissement, etc.) et dans les études réalisées précédemment par la Prefeitura, la première législation complète de zonage de São Paulo fut soumise à la Câmara et approuvée en 1972 comme principal outil de régulation urbaine. Ses motifs clairs explicitent sa relation directe avec le PDDI et sa dette envers la Chartes d’Athènes, son objectif est de « estabelecer equilíbrio entre as diferentes funções urbanas - habitação, trabalho, lazer e circulação8. » Pourtant, la loi ne suit pas entièrement les normes modernistes de séparation absolues entre les fonctions. Seules deux typologies de zonage ont un caractère monofonctionnels, alors que les zones restantes sont mixtes, incorporant du résidentiel uni- et multifamilial, des commerces, services, etc. Abandonnant le concept de zone fonctionnelle spécialisée, la loi cherche seulement à stimuler la prédominance d’usages. La périphérie devient ainsi une zone immense et indifférenciée majoritairement résidentielle de faible densité, composée de commerces et de services locaux, et ayant la possibilité de se verticaliser mais, étant de faible densité d’usage, ne peut attirer suffisamment d’investissements immobiliers. Il est intéressant de noter que l’urbanisme de papier de 8 trad. : « établir une équilibre entre les différentes fonctions urbaines - habitation, travail, loisir et circulation » - Ibidem, p. 126.


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Z1 Z2 Z3 Z4 Z5 Z6 Z7 Z8

strictement unifamilial résidentiel (1) résidentiel uni- et multifamilial prédominant, commerces et services locaux (1) résidentiel de moyenne densité prédominant, commerces et services de grande portée (2) zone mixte de plus grande densité (3) zone mixte centrale de haute densité (4) industriel prédominant strictement industriel usages spécifique

Fig.7 : Plan d’occupation des sols de São Paulo, 1972. Sarah Feldman, 2005.

l’ambitieuse maille de voies express prévue par le PUB trouva un écho dans la Lei de Zoneamento en déterminant, là où il n’y avait aucune autre référence, la localisation de zones Z3 et Z4 qui fonctionnent comme des bandes commerciales, et des centres de quartier. En effet, ce sont les directrices en vigueur à l’époque, en termes de prévision de voies express et de lignes de transport de masse, qui orientèrent la démarcation de bandes de faible et haute densités ainsi que la définition de pôles et de corridors. Le zonage alla même plus loin en s’articulant autour de poches délimitées par la maille de voies express, dans lesquelles une base résidentielle est marqué par des bandes de résidentiel combiné avec des services de grande portée et des pôles, véritables zones mixtes de grande densité. De plus, au sein de chaque poche, le tracé des voies artérielles contribue à définir la distribution des différentes densités. Au cœur de la loi n°7805, on retrouve la posture de


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régulation métropolitaine prédominante au sein de l’administration Figueiredo Ferraz, à savoir la critique du morcellement urbain, jugé responsable des problèmes structurels de São Paulo, tout autant que les vides urbains et la spéculation immobilière encouragée par les aménageurs clandestins. Pourtant, malgré une intention ferme d’enrayer la carence notoire de zones publics, vertes et de loisirs à São Paulo, ce modèle contribue à renforcer une culture de l’isolement pour certaines couches sociales moyennes et supérieures, fuyant la croissance désordonnée et la violence urbaine en espaces collectifs privés, emmurés et surveillés, créant un idéal en harmonie avec le rodoviarisme dont les figures sont le « condomínio fechado » et le shopping center, que nous expliciterons dans le dernier chapitre. En lieu et place d’édifices hauts isolés par de grands espaces verts, partageant jardins et aires de loisirs ouvertes, émerge un paysage d’édifices visuellement disparates, bien que volumétriquement semblables, sur de grandes parcelles fragmentés par des murs, garages ou encore par le dénivelé. La formule dite d’Adiron, adoptée dans la loi participe à ce phénomène de ville faite à partir de la somme d’espaces privés. Cette dernière permet d’augmenter l’aire constructible des édifices qui laissent une grande étendue sans constructions sur la parcelle et encouragent de ce fait la création de zones de loisirs privatisées pour leurs habitants. De lá para cá, pouca coisa mudou e a discussão do zoneamento foi dominada pelo debate sobre abrir ou não um bairro para uso comercial, permitir ou não que o modelo de condomínios com lazer exclusivo se espalhe pela cidade9…

Une année après la validation de la loi n°7805, sont créés les corridors d’usage spécifique, permettant à des voies déterminées d’autoriser des usages différenciés en relations avec les zones traversées - réminiscence rodoviariste - qui contribuent de manière décisive à la structuration fonctionnelle métropolitaine. Néanmoins, dans les secteurs les plus valorisés de São Paulo, en particulier les régions centrales et Sudoeste, la distribution des zones s’aligne toujours sur les conditions et tendances déjà existantes. Cela ne va pas sans créer des problèmes, à l’instar de la zone Leste qui fût basée sur l’application des principes de poches, bandes et pôles cités précédemment, qui découlent eux-mêmes de la grande maille de voies express et du métro prévus dans le PUB. Mais, avec l’ag9 trad. : « Depuis, peu de choses changèrent et la discussion sur le zonage fut dominée par le débat sur le fait d’ouvrir ou non un quartier à un usage commercial, autoriser ou non que le modèle de “condomínios” avec aménités privatisées se répandent dans la ville... » - ROLNIK, Raquel. « Agora é a vez do zoneamento » (14 juillet 2014) in Folha de São Paulo.


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gravation de la crise brésilienne durant les années 1980, la municipalité et le gouvernement fédéral ne purent alors construire que quelques voies express et un métro d’une étendue insuffisante. Le résultat est un traitement inégal des différentes parties de la ville, consacrant les traditionnelles dichotomies centre-périphérie et Sudoeste-Leste. Cette attitude contribue à perpétrer deux motifs récurrents dans l’urbanisme pauliste. D’un côté, on observe un centralisation métropolitaine, qui renforce les forces centripètes du modèle radio-concentrique et empêche une décentralisation effective et la création d’autres pôles d’attraction dans le Grande São Paulo. Ce qui entraîne à la place, un grossissement du noyau originel, formant le Centro Expandido. D’autre part, la priorisation des zones investies par les couches privilégiées de la population avec le déplacement progressif des usages centraux de prestige en cette direction forme de nouveaux centres toujours plus distants du Sudoeste. En outre, on ne peut pas confirmer une véritable régulation des densités d’occupation du sol. Ainsi, des quartiers soumis à une gentrification verticale peuvent souffrir de desserrement, alors que l’occupation périphérique croît fortement, accompagnée d’une paupérisation et favelisation des espaces libres, compromettant conditions de vie et salubrité. Ainsi, dans la majorité des cas, la verticalisation ajoutée dans la législation de 1972, eut tendance à épuiser l’infrastructure disponible, une fois que les coefficients de zonage furent décrétés en fonction de prévisions non concrétisées des lignes de métros et des voies express, présentes dans les plans directeurs antérieurs. Et même aux endroits privilégiés par le trop rare métro et par de coûteux ouvrages viaires, la provision supplémentaire d’infrastructures devint insuffisante pour satisfaire la demande refoulée. Sur le temps long, ces dynamiques créent un privilège/densification/ épuisement de zones investies par des usages de prestige et d’investissement immobiliers, tandis que les régions occupés par la population à faible revenu restent en marge, enfermées dans un cercle vicieux que le zonage n’arriva pas à éliminer. D’autant plus que la survalorisation foncière découlant de la création de privilèges, renforce l’exclusion de ces populations ainsi que leur éloignement vers les zones périphériques. Bien qu’il n’apparaît pas comme acteur de premier plan dans cette loi, le rodoviarisme joue un rôle essentiel dans le sens où ce sont les voies express - héritées du PUB - qui orientent la mise en place même des dispositifs censés organiser les différentes zones et réguler les densités. Ce plan, plus que tout autre, met en lumière les ramifications sectorielles du rodoviarisme et esquisse son rôle dans les différents marchés urbains de la métropole pauliste en devenir.


Fig.1 :

L’échangeur autoroutier João Jorge Saad « Cebolinha ». Marcos Rosa, 2003.


Le palimpseste des transports • Une dialectique entre effacement et réapparition Une ville construite autour de la notion de transport »... Comme tout truisme, celui-ci ne fait que rendre les choses plus confuses, du fait qu’on l’interprète toujours comme si le transport se réduisait à l’automobile - une interprétation si triviale et historiquement si vide de sens, qu’elle discrédite d’emblée celui qui la soutient. De fait, le transport est à Los Angeles un épiphénomène presque aussi récent que dans n’importe quelle autre métropole (...). Le mode de développement extensif - unique par sa régularité, sa finesse et son homogénéité - (...), trouve son origine dans des moyens de transport plus anciens, (...). Sur une carte superposant en un palimpseste complexe tous les systèmes ayant permis de se déplacer dans et autour de la cuvette, le réseau des tramways n’est que le troisième ou le quatrième1.

Dans le contexte de Los Angeles, le principe du palimpseste permet à Reyner Banham de dépasser la simple stratification pour décrire ce phénomène d’accumulation, d’autant plus qu’on ne fait pas qu’ajouter : on efface. Ainsi, pour mettre en place de nouvelles infrastructures, comme les freeways, il est souvent indispensable de modifier la substance du sol urbain de façon irréversible. Or, comme il le souligne, c’est l’absence d’une forme urbaine angelena - au sens courant de l’expression - qui a rendu l’adaptation au transport motorisé plus facile et plus massive. On ne peut pas endommager ce qui est absent. Ce qui - sans être passéiste - n’est pas le cas de São Paulo. Mais alors que se cache-t-il derrière les « gigantescos emaranhados de alças viárias e túneis onde um pedestre não encontra nenhum amparo físico2 » ? L’idée du palimpseste amène à aborder l’espace urbain comme un système où des opérations contradictoires s’organisent pour donner sens et valeur à des aspirations tant collectives qu’individuelles, entre reproduction et anticipation, perma1 BANHAM, Reyner in Los Angeles : l’architecture des quatre écologies (1971) . Marseille : Parenthèses, 2008, p. 59. 2 trad. : « gigantesques bretelles routières enchevêtrées et les tunnels où est absente toute protection physique pour les piétons » - MEYER, Regina Maria Prosperi. São Paulo Metrópole (2004), p. 10.

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nence et substitution [fig.1] ou encore sédimentation et modernité. Par exemple, une mémoire urbaine sans projet entraîne la ville-musée, figée dans le temps. A l’inverse, un projet totalement indifférent à la mémoire aboutit à un technocentrisme, à l’instar du fonctionnalisme et de la table rase ; d’où l’importance de la décision politique. On a longtemps conceptualisé ce processus en termes de sélection cumulative. Il s’agirait plutôt d’un système décisionnel complexe à travers lequel la société, ou celui ou ceux qui, dans la société, détenaient ce pouvoir, ont décidé, non sans se tromper à maintes reprises, ce qu’il fallait conserver (...) et ce qu’il fallait au contraire modifier ou détruire, parce qu’inutile, (...) remplaçable en somme par quelque chose qui, au moment du choix semblait plus intéressant3.

Le lien particulier que le rodoviarisme entretient avec le modernisme met en avant le côté projectif de sa logique urbaine. Comme l’affirme l’auteur du blog Temporalités4, cela s’explique en partie par la supériorité, dans la pensée moderniste, du projet sur la ville, dont le futur constitue le fondement essentiel. Le rodoviarisme, en suivant son rêve de modernisation, substitue les alternatives plus anciennes, plus « naturelles » de transports - par le quasi-monopole des transports routiers. Dans cette démarche, l’effacement apparaît comme préalable à l’action. En conséquence, on peut définir le rodoviarisme pauliste comme facteur de restructuration et de déstructuration du territoire existant et projeté suivant une nouvelle organisation viaire et la croissance du transport motorisé. Le principe du palimpseste, même s’il est ici globalement basé sur l’effacement, est lourd de sens dans l’exemple pauliste parce que l’opposition entre déplacements individuels et déplacements collectifs a fini par annihiler l’usage systématique du transports ferroviaire comme manière d’orienter l’urbanisation et l’urbanisme même. C’est là sa limite structurelle : la dépendance excessive entre le système de transport et la disponibilité viaire qui engendre des conflits de tous types conflits de toutes sortes dans l’espaces urbain. De plus, son extension systématique et sans plans d’ensemble conditionne l’implantation du système de transports collectif à une nécessite d’adaptations permanentes dans l’espace urbain. Le hâte et le systématisme des interventions ont parfois favorisé le destruction de l’espace public pour répondre aux demandes croissantes de circulation. 3 SECCHI, Bernardo. « Images de la ville contemporaine » in CROSET, Pierre-Alain. Pour une école de tendances : mélanges offerts à Luigi Snozzi. Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes, pp. 133-134. 4 dejolivet. « Les logiques duales d’une ville stratifiée » (11 mars 2013) in temporalites. wordpress.com.


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• Compétition et substitution Après la Seconde Guerre Mondiale, la concurrence entre les bus ne permettent plus aux différentes compagnies de transport d’offrir des services compétitifs dans les aires d’expansion urbaine. Elles se retrouvent toutes progressivement démantelées pour être remplacées par des opérateurs publics (comme la CMTC - Companhia Municipal de Transportes Coletivos) et privés. De plus, peu d’efforts sont faits pour garantir un système de transport de masse, délaissant alors un système de transports publics extrêmement dépendant des opérateurs privés de bus, doublé d’un réseau ferroviaire précaire. Quant au tramway, il se trouve sous la critique constante quant au supposé préjudice qu’il génère au sein de la circulation générale. La voiture, elle, acquière une importance croissante dans la mesure où le développement économique diversifie les activités et génère une classe moyenne avide de mobilité sociale. Dans ces conditions, l’augmentation du transport de personnes et de marchandises et la concentration des activités dans l’aire centrale de la ville provoquent les premières crises de circulation et accroît en conséquence la pression sur tous les secteurs liés. L’État, à travers la DST - Divisão de Serviços de Transito, tente alors, sous plusieurs formes d’intervention, d’amoindrir les répercussions négatives. Entre 1960 à 1980, alors que la Brésil est en pleine dictature et que la croissance économique bat son plein, São Paulo connaît de majeures transformations physiques ainsi que de profonds changements dans les politiques publiques de transports et de circulation, en raison de la modernisation économique qui réorganise l’espace urbain du pays. La construction de nouvelles artères et de voies express est conjointement réalisée avec l’utilisation de techniques modernes de gestion du trafic, transformant significativement les conditions de circulation. Parallèlement, l’occupation progressive des banlieues augmente les distances moyennes et le système de transport public n’arrive plus à répondre à la demande convenablement. En effet, le système centrifuge des lignes de bus, qui commandait la croissance métropolitaine jusque là, n’est plus suffisamment étendu pour atteindre toute l’étendue de la périphérie. S’ajoute à cela, le système tarifaire unique - et sans aides - qui incite les opérateurs de transport - pour des raisons de rentabilité - à adapter leur offre constamment et à desservir en priorité les zones les plus densément peuplées. Ce qui explique pourquoi, à la fin des années 1970, le temps moyen pour atteindre une voiture en stationnement était inférieur à trois minutes quand l’usager du transport public devait marcher


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entre 13 et 15 minutes pour atteindre l’arrêt de bus le plus proche. Enfin, les infrastructures de transport réalisées durant les décennie antérieures et basées sur l’utilisation du tramway, de l’autobus, et d’une motorisation individuelle naissante mais rapidement croissante le long des « avenidas » du plan de Prestes Maia, deviennent obsolètes et de fait, son complètement saturées. L’enjeu n’est alors plus simplement de fournir une simple amélioration du système existant, mais de repenser et de créer des infrastructures urbaines de caractéristiques et d’échelles entièrement nouvelles. Une tâche qui est prise en main par des politiques principalement rodoviaristes à travers de nombreux plans urbains - comme nous avons pu le voir dans les chapitres précédents - et dont les traces ont profondément marqué le tissu urbain. Néanmoins, la plupart des propositions furent réduites à tel point, qu’ensemble, elles reproduisent- après une période initiale de soulagement accompagnée d’une timide restructuration de l’agglomération métropolitaine - voire exacerbent le niveau de carence des infrastructures routières et de transports. Essentiellement, ce qui fut implanté jusqu’à l’aune du XXIe siècle, est un embryon de chacun des projets. Du projet de metrô originel - à ne pas confondre avec la CPTM, un réseau de trains de banlieue relié à ce dernier - est implanté à partir de 1974 un réseau composé aujourd’hui de sept lignes représentant 80 kilomètres de voies. Quant au système de voies express, il en est réduit aux avenues « marginais » Tietê et Pinheiros ainsi que 24 de Maio, Radial Leste et Bandeirantes. À partir de années 1980, qui correspondent au début de la redémocratisation formelle du système politique, on n’observe pas vraiment d’améliorations importantes des conditions de transport dans un contexte de relative stagnation économique marquée par de fréquentes crises (notamment la crise fiscale que subit l’État), une baisse des investissements publics, d’importants taux d’inflation et la perspective du chômage. Les inégalités perdurent d’autant que la croissance accélérée à laquelle São Paulo s’était habituée durant un siècle d’explosion démographique prend fin. Le taux de croissance à plus de 5 % par année tombe à moins de 3 % - valeur tout juste supérieure à la croissance végétative - dans un contexte où la périphérie remplit ses vides en concentrant le plus gros de la croissance. Le contrôle tarifaire des bus - afin maîtriser l’inflation - affaiblit les niveaux de service du transport privé et les investissement en grandes infrastructures de transport sont de moins en moins viables économiquement. Ainsi, pour les mêmes raisons historique, São Paulo reste très dépendante des réseaux de bus, mal coordonnés et en crise permanente. Quant au réseau ferroviaire connectant


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le centre aux différentes banlieues et géré conjointement par l’entreprise étatique FEPASA - Ferrovias Paulistas S.A. et par le RFF - Rede Ferroviária Federal, il est dans un état similaire, c’est-à-dire également en crise permanente. Le manque dramatique de transports dans les zones périphériques génère alors des mouvements sociaux, quoique très limités. En conséquence, avec les crises antérieures répétées, en particulier pendant le régime autoritaire, les politiques de transport cristallisèrent les inégalités. D’un côté, on observe un système de transport public précaire, en crise permanente, caractérisé par l’irrégularité, le manque de fiabilité et de confort et mal intégré ; de l’autre, le transport individuel qui occupe de plus en plus l’espace de circulation causant des contrastes profonds des conditions de transports et d’accessibilité. Ces contrastes feront perdurer la dualité entre transport individuel adapté et transport public inadapté, en plus des efforts continus d’optimisation de la circulation automobile et d’une certaine négligence dans l’exploitation et l’offre du transport public. • Le découp(l)age de la metrô-pole Comme on a pu le voir précédemment, l’espace métropolitain pauliste est marqué, du fait du rodoviarisme, par une dissociation entre le processus d’expansion urbaine et l’offre en transport public. À titre d’exemple, le mêtro se construit à une vitesse extrêmement faible avec un rythme historique de 2 km/an pour monter jusqu’à 4 km/ an - voire 6,4 km/an - depuis les années 1990. Un article de la BBC affirme même qu’il faudrait 172 années au métro de São Paulo pour être de même importance que celui de Londres5. Ces rythmes apparaissent évidemment incompatibles avec les niveaux de demande de la région métropolitaine de São Paulo. Cette déficience du système de transports collectifs de masse pénalise en particulier les classes les plus basses de la population et également la circulation routière. Quanto aos efeitos da não-ampliação da rede de Metrô podem ser avaliados pelos 120-150 km de congestionamento diàriamente relatados em todos os jornais, em dias sem chuva ou inundação - e apesar da recessão provocada pela política econômica praticada desde 19946. 5 Wasserman, Rogerio. « No ritmo atual, SP levaria 172 anos para ter metrô como o de Londres » (11 janvier 2013) in bbc.co.uk/portuguese. 6 trad. : « Quant aux effets de la stagnation du réseau métropolitain, ils peuvent être évaluées par les 120-150 km d’embouteillages journaliers rapportés par tous les quotidiens les jours sans pluie et sans inondation - et en dépit de la récession provoquée par la politique économique pratiquée depuis 1994. » - DEÁK, Csaba. « Elementos para uma política de transporte público em São Paulo », in Espaço & Debates, n°30, p. 43.


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Fig.2 : Maillage autoroutier de l’État de São Paulo. Réalisation personnelle.


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Néanmoins, après un déclin du transport collectif, le tendance s’inverse. La dernière étude statistique sur le sujet, nommé Pesquisa Origem-Destino recense 37,6 millions de trajets journaliers dans la région métropolitaine de São Paulo, dont 11,2 millions relève du mode individuel (30 %); 13,8 millions du mode collectif (37 %) et 12,3 millions du mode piéton (33 %). Ce qui équivaut à dire qu’aujourd’hui, au sein des trajets motorisés, 55 % sont effectué en transport collectif et 45% en transport individuel. Ce qui nous permet d’affirmer que, même si le réseau de metrô de São Paulo est très réduit en comparaison des autres métropoles mondiales - notamment celles d’Amériques Latine, comme Mexico dont la taille est sensiblement la même - il est néanmoins très efficace en vue du nombre de passagers transportés par kilomètre de ligne. En effet, 3,3 millions de passagers par jour utilisent le réseau du métro pauliste en moyenne. Suivant une structure urbaine métropolitaine très ségrégée et différenciée, les classes supérieures occupent les zones centrales, renouvellées et réaménagées, mieux fournies en emplois, services, équipements urbains et en infrastructures, alors que les classes inférieures se concentrent dans des cités dortoirs périphériques, dépourvues de ces aménités et dépendantes du transport collectif pour y avoir accès. Cette distribution spatiale de la population par le revenu est le fruit de siècles de négligences du pouvoir public, allant de l’absence d’une politique de logement social au rejet d’une véritable politique de transport collectif suffisamment étdendue et bien distribuée. À l’exception du Rodoanel et de l’avenida Jacu-Pêssego, tous les travaux routiers réalisés les trente dernières années se situent et valorisent en priorité le Centro Expandido de la métropole pauliste. C’est-à-dire la zone déjà la plus structurée, là où vivent les classes supérieures de la population. Entre 1975 et 2000, des 20,8 milliards de reais (l’équivalent d’environ 6,25 milliards d’euros) dépensés en ouvrages routiers, 62 % ont été investis dans la région centrale au détriment de la périphérie qui concentre les classes inférieures de la population. Un montant dont certains - à l’instar d’Eduardo Alberto Cusco Nobre - jugent la valeur suffisante pour que - si elle avait été dépensé autrement - São Paulo ait l’équivalent, aujourd’hui, d’un réseau de métro fondamental pleinement fonctionnel ainsi qu’un réseau ferroviaire modernisé. Sans compter que l’augmentation des investissement publics et privés dans les parties centrales de la ville a mené à une concentration naturelle des activités économiques dans ces zones, produisant une forme urbaine clairement polarisée et ségréguée. En somme, c’est la conséquence d’une absence d’inves-


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tissements dans l’infrastructure urbaine à des niveaux ne serait-ce qu’approximativement compatibles avec la croissance urbaine entraînant - selon les termes de l’urbaniste Deák Csaba - une « aguda escassez7 » des infrastructures basiques urbaines là où s’étendent les quartiers périphériques qui, avec les traditionnels quartiers pauvres, favelas et bidonvilles logent la population ouvrière. Ce qui explique pourquoi - contrairement à Rio de Janeiro où les favelas se juxtaposent au tissu urbain central la paupérisation de zones où se concentre la pauvreté de la métropole pauliste et ses habitants s’opère historiquement dans des agglomérations toujours plus distante suivant l’étalement urbain. Ce découpage, ou devrait-on dire découplage, de l’agglomération métropolitaine en subdivisions connectées de manière précaire est particulièrement prégnant dans les zones Norte (3 millions d’habitants) et Leste (6 millions d’habitants). Quem trabalha em Diadema, mora fora. Quem mora em Diadema trabalha fora8.

Énoncée dans les années 1980, cette simple constatation que l’on doit à Ricardo Putz, alors préfet de la ville de Diadema - grand centre industriel de la région métropolitaine -, pourrait presque être érigée en règle générale du Grande São Paulo. Elle souligne le décalage entre les marchés de l’emploi et de l’habitat principalement à l’échelle de la métropole. Historiquement, cela s’explique en partie par l’implantation, à partir de 1850 de complexes industriels manufacturiers le long des axes ferroviaires générant une logique spatiale particulière de répartition de la population dans la région métropolitaine. Lorsqu’en 1950, cette logique se déplaça le long des autoroutes [fig.2], elle modifia de nouveau et profondément la structure métropolitaine, exacerbant le décalage cité précédemment. On observe aujourd’hui ce phénomène de densification de l’habitat à l’échelle même des tronçons urbains d’autoroutes. En effet, à partir des années 1990, les autoroutes atteignant la ville même de São Paulo ont entraîné la concentration d’un nombre croissant d’édifices résidentiels produits par le marché immobilier [fig.3]. Il s’agit d’une nouvelle option de localisation utilisée par les marché immobilier et fonciers, et qui visent les population de faibles et moyens revenus. Actuellement, l’objectif des pouvoirs publics est de transformer ces tronçons autoroutiers en voies express pourvues d’accès locaux afin d’augmenter l’offre de logements dans ces zones. 7 8

trad. : « pénurie aigüe » trad. : « Qui travaille à Diadema, n’y habite pas. Qui habite à Diadema, n’y travaille pas. »


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Fig.3 :

Vue sur l’autoroute Raposo Tavares et des ensembles résidentiels. Regina Maria Prosperi Meyer, 2004.

• Rodoviarisme et spéculation immobilière L’apparent chaos de la croissance métropolitaine peut être vue à travers de son tracé irrégulier et la déconnexion de ses espaces vides et occupés qui suggèrent des formes disparates d’occupation du sol comme le montrant la voirie prolixe et l’importance des logements clandestins. Dans ce contexte, le rodoviarisme semble servir des processus plus complexes, liés à la valorisation des sols : A especulação imobiliária (...) adotou um método, próprio, para parcelar a terra da cidade. Tal método consistia (e consiste) no seguinte: o novo loteamento nunca era feito em continuidade imediata ao anterior, já provido de serviços públicos. Ao contrário, entre o novo loteamento e o último já equipado, deixava-se uma área de terra vazia, sem lotear. Completado o novo loteamento, a linha de ônibus que o serviria seria, necessariamente, um prolongamento a partir do últi-


97 mo centro equipado. Quando estendida, a linha de ônibus passa pela área não loteada, trazendo-lhe imediata valorização. O mesmo ocorreria (e ocorre) com os demais serviços públicos: para servir o ponto extremo loteado, passariam por áreas vazias, beneficiárias imediatas de melhoramento público. Desta forma, transferia-se para o valor da terra, de modo direto e geralmente antecipado, a benfeitoria pública. Ainda hoje, sempre que se chega a um centro secundário da cidade de Santo Amaro à Penha, indistintamente - e se continua em direção à periferia, o processo é visível (agora também em vários pontos da Grande São Paulo): entre cada loteamento alcançado existe uma área ainda vazia9.

De toute évidence, la croissance économique de São Paulo se reflète dans le modèle physique de développement de la ville. Si les marchés fonciers et la spéculation immobilière ont joué un tel rôle dans la formation de la ville pauliste moderne et contemporaine, c’est - entre autres - par l’intermédiaire du transport individuel. Comme on a pu le voir précédemment, l’automobile a déterminé son propre modèle de ville, dont le trait central est la croissance horizontale illimitée. Or l’association d’une abondance de terres disponibles pour l’action spéculative avec l’absence d’une politique d’occupation des sols généra une « deseconomia urbana10 » de revers complexe. Elle fut créée à travers du potentiel, d’une promesse de mobilité et d’accessibilité, un cycle de subvention du système routier et la création de nouvelles frontières. La Lei de Zoneamento de 1972, sur le zonage et l’aménagement du territoire, a créé pour la première fois, comme son nom l’indique, un système de zonage, avec une définition des densités. Néanmoins, dés sa mise en pratique, la Loi de Zonage a eut de nombreux amendements : douze autres zones ont été créées et les existantes ont été modifiées. Cela signifie deux chose : le zonage a été modifié pour 9 trad. : « La spéculation immobilière (...) adopta une méthode, lui étant propre, pour découper le foncier de la ville. Cette méthode consista (et consiste toujours) en la chose suivante : la création d’un nouveau lotissement n’était jamais réalisé en continuité immédiate avec le précédent, déjà pourvu de services publics. Au contraire, entre le nouveau lotissement et le dernier déjà équipé, on laissait un terrain vide, sans le lotir. Une fois le nouveau lotissement achevé, la nouvelle ligne de bus serait nécessairement une continuation du dernier quartier équipé. Ainsi, une fois étendue, la ligne de bus passerait par l’étendue non lotie, lui apportant une valorisation immédiate. On y observe le même processus avec d’autres services publics : en desservant les terrains lotis les plus éloignés, les zones traversées sont les premières bénéficiaires d’améliorations publiques. De cette manière, s’ajoute à la valeur du terrain, directement et le plus souvent de manière anticipée, la plus-value publique. Encore aujourd’hui, à chaque fois qu’on l’on arrive sur un centre secondaire de la ville - de Santo Amaro à Penha, indistinctement - et qui s’étend en direction de la périphérie, le processus est visible (maintenant aussi dans de nombreux endroits du Grande São Paulo) : entre chaque lotissement achevé existe un terrain encore vide. » - CARDOSO, Fernando Henrique, CAMARGO, Candido P. Ferreira de, KOWARICK, Lúcio. Considerações sobre o desenvolvimento de São Paulo: cultura e participação (1973), pp. 9-10. 10 Le terme « deseconomia urbana » renvoie à la situation les « économies d’agglomération » génèrent plus d’inconvénients que d’avantages au sein de la métropole.


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Fig.4 :

Fonction sociale de la propriété. Prefeitura de São Paulo, 2014.


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être accommodant avec l’expansion du marché foncier et la législation a légitimé le statu quo tout en cherchant à réduire les impacts négatifs par le contrôle. On observe donc que la croissance des marchés fonciers l’emporte généralement sur les tentatives de planification de la ville et ce, sans compter le retard des pouvoirs publics. Lorsqu’il utilise l’expression « É o preço do progresso11 », Lúcio Kowarick souligne dans le même temps la croissance chaotique de la métropole pauliste mais aussi l’incapacité du pouvoir public à programmer des formes plus rationnelles d’occupation des sols. Enfin, l’expression fait transparaître un certain défaitisme, reflet de la fragilité des organisations populaires pour interférer dans les processus décisionnaires, qui confère une grande liberté d’action aux groupes privés. Ces caractéristiques entraînent parfois une confirmation implicite de l’action gouvernementale. En effet, lorsque celle suit les logiques d’occupation des sols créées par le secteur privé, les investissement publics se mettent alors au service de la dynamique de valorisation spéculative du système immobilier-constructeur. La croissance démographique combinée à la conservation de terrains dans l’attente d’un plus-value, conduit à des quartiers toujours plus distants et dépourvus d’infrastructures qui lui même entraîne l’appauvrissement de la qualité de vie des populations à plus faibles revenus. Ce modèle de pénurie infrastructurelle, déjà traité précédemment, engendre et est engendré par l’extrême différenciation de l’aire urbaine, qui à son tour induit une forte ségrégation spatiale suivant la différenciation des marchés fonciers. Lutter contre la spéculation immobilière effrénée équivaut à entraîner une réelle réduction des différences de prix du foncier dans l’agglomération urbaine et dans cet objectif, l’homogénéisation de l’accessibilité au sein de la région métropolitaine apparaît comme l’instrument le plus efficace pour y arriver. Le contrôle du développement et la planification urbaine ont été incapable de s’attaquer à ces problèmes et il y a un besoin urgent pour eux d’être reformulés à la lumière de ces besoins en accessibilité. Ainsi, dans le contexte de l’élaboration du Plano Diretor Estratégico do Municipio de São Paulo - Lei nº16.050, de 31 de julho de 2014 que nous allons étudier dans les pages qui suivent, la pression de mouvements sociaux comme le MTST ou Movimento dos Trablhadores sem Teto12 ont remis la question de la politique foncière au centre du débat en militant pour une meilleure accessibilité urbaine garante du droit à la ville. Au sein du PDE, 11 trad. : « C’est le prix du progrès » 12 Si leur objectif central est de proposer une résolution du problème du logement urbain au Brésil, c’est par l’occupation d’immeubles, le plus souvent abandonnés à la spéculation immobilière, que les sans-toit militent pour le droit au logement.


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Fig.5 :

Captures d’écran : Carrópolis. Vapor 324, 2014, 12 minutes.


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l’objectif de régulation foncière passe avant tout par la définition et le renforcement d’instrument de contrôle de la fonction sociale de la propriété13 afin d’inciter le « spéculateur » à utiliser son bien immobilier [fig.6], aussi bien que d’instaurer des mécanismes pour son application et leurs procédures tels que les outils de surveillance comme le listage de l’immobilier en jachère ou bien la définition d’un Coeficiente Básico = 1. À travers de dernier, les ressources imposables des projets immobiliers où sont construit plus d’une fois la surface du terrain sont investies dans le logements social, le transport et les équipements, afin de contrebalancer le phénomène de pénurie infrastructurelle qui sévit dans de nombreux quartiers. L’application d’un tel principe est d’autant plus nécessaire lorsque l’immobilier et le foncier situés dans des zones bien pourvues en infrastructures sont en jachère alors qu’augmente l’occupation des zones urbaines et naturelles vulnérables. Tous ces dispositifs montrent bien le changement de paradigme, réaction à la ville exclusive entièrement vouée aux marchées. • Un désir de transports collectifs Manifestations violentes contre la hausse de 7 % du prix des tickets de bus, de métro et de trains, grands projets de mobilité, promulgation du PDE, scandale de Petrobras, condamnation unanime de la voiture par la X Bienal de Arquitetura de São Paulo [fig.5] et son exposition-phare : Carrópolis14, sont autant d’événements récents à São Paulo qui esquissent un changement des mentalités, voire de paradigme où la nécessité de réduire le privilège de l’automobile se fait plus prégnante. Selon un sondage cité par Le Monde15 - qui se demande « Le vent serait-il en train de tourner à Sao Paulo ? » -, près de 70 % des automobilistes soutiennent l’initiative de création de nombreux « sites propres » lancée par la municipalité Haddad. Le rejet de l’automobile est également très prononcé chez les professionnels paulistes de l’urbanisme qui appellent à un volontarisme plus tranché de la part des pouvoirs publics. O automóvel só sairá das ruas com um investimento de peso no trans13 Pour le PDE, un bien immobilier, rural ou urbain, remplit sa fonction sociale quand il est utilisé en accord avec les nécessités collectives et non simplement avec l’intérêt de son propriétaire. Selon ce principe, les propriétés foncières urbaines doivent être affectées aux infrastructures, équipements et services publics mis à disposition, de manière à garantir, entre autres, le plein accès à la ville pour les communautés qui vivent dans des lotissements irréguliers et précaires. 14 du portugais carro, signifiant « voiture » et du grec ancien πόλις ou pólis, signifiant « cité » 15 BOURCIER, Nicolas. « São Paulo, monstre urbain cherche à enfinir avec le tout automobile » in Le Monde, 29 novembre 2013.


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Fig.6 : Évolution des travaux du metrô/CPTM prévus. Secretaria dos Transportes Metropolitanos de São Paulo, 2012.


103 porte público, para isso é preciso radicalizar16.

Dans ce contexte, les différentes initiatives semblent s’incrire dans une gestion de désajustements, selon les termes Pierre Muller : (...) la société sectorielle est menacée de désintégration si elle ne trouve pas en elle-même les moyens de gérer les antagonismes intersectoriels. (...) Pourquoi ce risque de désintégration ? Parce que chaque secteur, développant sa propre logique de reproduction, va ériger ses objectifs sectoriels (...) en fins ultimes. (...) Produits de la division du travail, les différents ensembles sectoriels sont la fois dépendants les uns des autres et antagonistes pour l’obtention de ressources rares. (...) C’est le paradoxe de l’incertitude : (...), les sociétés modernes qui maîtrisent infiniment mieux leur action sur le réel, voient leur dépendance s’accroître par rapport à leurs propres outils. L’incertitude maximale n’est pas générée aujourd’hui par des événements extérieurs mais par la mise en œuvre des moyens destinés à maîtriser l’environnement (...). Cela signifie que de nombreuses politiques publiques n’auront d’autre objet que la gestion des désajustements produits par d’autres politiques sectorielles (...)17.

Véritable figure de prouve de ces nouvelles politiques publiques urbaines, le Plano Integrado de Transportes Urbanos para 2020 ou PITU 2020, conçu en 2009, et bien que resté à l’état de projet, englobait tous les modes de transport en se référant à l’ensemble de l’aire métropolitaine. Par l’expansion et l’interconnexion des principaux éléments du système de transport de masse [fig.6] au cours des vingt prochaines années, l’objectif de ce plan était de fournir un réseau largement étendu en mesure de devenir l’épine dorsale du système de transport public de la région métropolitaine et de contrebalancer le transport individuel. Ce système permettrait en particulier de couvrir les principales aires secondaires aux gigantesques extensions des régions de l’Est et du Nord, aujourd’hui faiblement connectées. Héritier, dans les grandes lignes, du PITU 2020, le PDE élargit la problématique du transport à celle de l’habitat et s’articule autour de deux objectifs : améliorer la mobilité urbaine et orienter la croissance de la ville à proximité du transport public afin d’inverser l’actuel modèle de mobilité, dans lequel l’usage de l’automobile individuel tient 16 trad. : « L’automobile sortira des rues uniquement par le biais de lourds investissement dans le transport public, pour cela une radicalisation est nécessaire. » - MIRANDA, Rosana Helena. « Transporte público e crescimento econômico » in Estado de São Paulo, 16 avril 2011. 17 MULLER, Pierre in Les politiques publiques. Paris : Presses Universitaires de France, 2011, 9ème édition. Que sais-je ?, p.8.


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Fig.7 : Améliorer la mobilité urbaine. Prefeitura de São Paulo, 2014.

Fig.8 :

Guider la croissance de la ville à proximité des transports publics. Prefeitura de São Paulo, 2014.


une place de premier plan. C’est-à-dire que, malgré le risque possible de duperie des « effets structurants » du transport public, la municipalité souhaite que A expansão das linhas do metrô deve se orientar como fator de indução de desenvolvimento e não apenas para atender demanda existente. Levar o transporte de alta capacidade para áreas densamente ocupadas onde certamente causará um impacto positivo na geração de empregos e desenvolvimento local18.

Le PDE traite la mobilité urbaine à partir de l’intégration et l’articulation entre les différents moyens de transport et de son accessibilité à toute la population. L’établissement de ressources minimales et permanentes permet d’augmenter le réseau et de qualifier le transport public et les moyens de transport non-motorisés (comme les déplacements en vélo ou à pied), moins polluants. Ensuite, la vocation du PDE est de mobiliser de nouveaux composants du système de mobilité urbaine (comme la logistique, la navigation fluviale ou encore le covoiturage) pour la structuration d’une matrice de déplacements plus complète [fig.7], efficace et équilibrée d’un point de vue environnemental. Pour se faire, des actions prioritaires son définies, telles que : l’implantation de nouveaux corridors d’autobus, de gares, de stations de correspondance et de connexions dans des aires stratégiques, la requalification du réseau existant, garantissant l’accessibilité aux personnes handicapées et à mobilité réduite, l’actualisation des formes d’exploitation, incluant l’application de nouvelles technologies, et l’adoption de solutions durables. Enfin, la mise en place d’un Plano Municipal de Mobilidade Urbana, dont l’élaboration participative permet d’examiner les conditions existantes, les actions d’amélioration et d’extension, la qualification et l’intégration des systèmes de transport, les mécanismes de contrôle, les primes aux actions de réduction de l’impact environnemental, etc. Pour réduire la nécessité de grands déplacements journaliers et rapprocher l’emploi et l’habitat, le PDE organise l’occupation de la ville à travers des axes de structuration de la transformation urbaine [fig.8], optimisant l’utilisation des sols dans les zones jouxtant le réseau de transport collectif de moyenne et haute capacité (métro, train, corridors de bus). Dans ces zones stratégiques, l’articulation entre mobilité 18 trad. : « L’expansion des lignes de métro doit s’orienter et œuvrer comme un facteur d’incitation au développement et non uniquement comme une réponse aux demandes existantes. Amener le transport de haute capacité aux zones densément peuplées aura probablement un impact positif dans la création d’emplois et pour le développement local. » - MIRANDA, Rosana Helena. « Transporte público e crescimento econômico » in Estado de São Paulo, 16 avril 2011.


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Fig.9 : Éléments structurants de la planification territoriale : macroáreas. Prefeitura de São Paulo, 2014.

Fig.10 : Aménagement paysager. Prefeitura de São Paulo, 2014.


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et développement urbain se fait par le biais d’instruments spécifiques dont le but est d’entraîner une densification constructive et habitationnelle le long de ces axes. La finalité de cette densification est de qualifier les centralités existantes et d’en stimuler la création de nouvelles. Par exemple, le Cota Parte Máxima de Terreno por Unidade19 qui définit un nombre minimal d’unités de logements à être construites en de nouveaux projets immobiliers le long de ces axes. Au vue de ce qui a été dit précédemment, et ce que semble avoir compris le PDE, c’est que l’enjeu principal, à São Paulo, est de garantir le fonctionnement de la machine métropolitaine dans tous ses différents secteurs [fig.9] pour lutter contre les pénuries infrastructurelles entretenues par le caractère palliatif du transport individuel motorisé face aux dysfonctionnement de la structure métropolitaine. Un des attraits de l’automobile dans une communauté dispersée et relativement sous-équipée, c’est qu’elle n’exige au fond que très peu d’aménagement, étant capable de rouler de façon acceptable sur toute surface raisonnablement dure et plate20.

Jusqu’à maintenant, l’expansion constante du territoire métropolitain est basée sur l’utilisation déséquilibrée de trois types de ressources essentielles : spatiales, économiques et énergétiques. Une utilisation déséquilibrée d’autant plus que l’on se trouve à chaque fois plus distant d’un motif pendulaire des déplacements qui prédomina durant la phase industrielle. C’est en partie pour cela, que ce modèle éprouve des difficultés à garantir une infrastructure supportant les fonctions vitales (mobilité et accessibilité) de la métropole. Or, cela a un coût social, spatial et environnemental. Dans ce contexte, dire que la folle course au transport individuel se paie au prix fort relève de l’euphémisme. Néanmoins, le caractère palliatif du transport individuel invite à une certaine prudence quant à la vision d’une métropole pauliste post-rodoviariste [fig.10]. Un véritable souci d’équité amènerait à ne pas traiter seulement les symptômes (le transport individuel), mais également les causes, et leurs interdépendances. Ce jeu complexe, est particulièrement visible dans l’histoire et le rôle qu’entretiennent les fleuves paulistes Tietê, Pinheiros et leurs avenues « marginais » avec le reste de la ville. Il montre à quel point le rodoviarisme, pour peu qu’il y ait congruence, possède une flexibilité rare pour agréger, séparer, reconnecter, substituer les figures urbaines. 19 trad. : « quote-part maximale de parcelle par unité » 20 BANHAM, Reyner in Los Angeles : l’architecture des quatre écologies (1971) . Marseille : Parenthèses, 2008, p. 68.


Fig.1 :

Photographies historiques du rio Tietê en 1926. Núcleo união pró-Tietê. Fundação SOS Mata Atlântica. Beth Kok - Solução Estúdio Girassol.


Tietê et Pinheiros

• Un rodoviarisime au service de la métropole Ce n’est pas par hasard, que l’image de couverture [fig.1] du blog pauliste Quando a cidade era mais gentil1 - signifant littéralement « Quand la ville était plus accueillante » - soit une photographie on ne peut plus pittoresque d’un plongeur effectuant un saut magistral dans le fleuve Tietê. Pas plus que ce même blog, qui se présente comme un site de « foto e memória de São Paulo2 », soit très présent dans les réseaux sociaux paulistes et enregistre plus de 10.000 visites mensuelles en moyenne. Certes marqué par la nostalgie et un passéisme certain d’un temps de la ville révolu où se côtoient architecture coloniale portugaise et tramways, entre autres, ce site montre un véritable engouement de la part des paulistes pour leur ville à une période - la plupart du temps préindustrielle - où l’on pouvait vivre différemment avec le nombre de possibilités que cette différence implique, comme nager dans le fleuve Tietê par exemple ce qui, pour des raisons sanitaires, est dorénavant très fortement déconseillé. En ce sens, le cas des fleuves paulistes Tietê et Pinheiros et de leurs avenues « marginais » est tout à fait caractéristique des changements d’usage qui font perdre les qualités premières des lieux. C’est en 1957, durant le mandat de Juscelino Kubistchek, soit en plein période du rodoviarisme triomphant que l’on inaugure le premier tronçon de l’avenue « marginal » Tietê : une voie express prévue pour connecter les principaux espaces verts paulistes et fonctionnant comme une ceinture périphérique enserrant l’aire urbanisée d’alors et qui deviendra le centre névralgique du transport routier dans l’État, le plus mouvementé, où les embouteillages sont de notoriété publique. Tout comme le Minhocão, c’est une figure de la mobilité à São Paulo et comme cette dernière, elle est encore loin de remplir correctement son rôle. En effet, jusqu’aux années 1960, tout le trafic routier passant par la capitale croisait nécessai1 https://quandoacidade.wordpress.com/ 2 trad. : « photographies et mémoires de São Paulo »

SÃO PAULO

Chapitre 7


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Fig.2 : São Paulo : état, macrométropole, métropole, municipalité, capitale. Réalisation personnelle.

Fig.3 : Les « marginais », lieux de convergence. Réalisation personnelle.


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rement le centre même de São Paulo en l’absence de ceinture périphériques. En effet, toutes les nouvelles autoroutes pénétraient directement dans la ville et se superposaient au tissu urbain central, ce qui ne manqua pas créer des conflits de circulation d’autant plus exacerbé par la croissance des flux de véhicules. Une partie de la circulation régionale se déroulait le long des voies locales ou par des autoroutes à faible capacité qui, par leur nature, ne pouvaient contenir le mouvement intense généré par les municipalités les plus industrialisées. Les problèmes s’aggravèrent, en particulier au niveau de la liaison capitale-régions industrielles dont Osasco et Baixada Santista. La principale connexion entre São Paulo, le Grande ABC et le littoral se faisait par la rua Vergueiro et par la via Anchieta, toutes deux congestionnées en permanence et, par Osasco, exclusivement au moyen de routes locales comme l’avenida dos Autonomistas ou Corifeu de Azevedo Marques. Ces différents problèmes soulignèrent alors la nécessité de mettre en place une solution pour soulager le « centro expandido » et permettre une meilleure articulation entre les différentes échelles territoriales. Pour ces différentes raisons, il y eut vers la fin des années 1960, deux changements significatifs qui modifièrent profondément la structure viaire métropolitaine et le schéma de déplacements : les avenues « marginais » Tietê et Pinheiros devinrent la principale structure routière intégratrice de la métropole en même temps que s’inaugura, à l’ouest de la région, les 171 kilomètres initiaux de l’autoroute Castelo Branco. Avec l’achèvement du système des avenues « marginais », se créa une ceinture périphérique de première importance pour les déplacements dans la capitale et qui maintenant répond à une nouvelle logique en même temps qu’elle amplifie les possibilités de circulation dans le périmètre du « centro expandido ». Ainsi, les avenues « marginais » redéfinissent les flux de circulation en créant des alternatives de déplacements plus rapides pour relier plusieurs quartiers tout en formant l’axe de structuration viaire de la région métropolitaine. Les avenues « marginais » intensifièrent dés les années 1970, la décentralisation et l’expansion urbaine en direction de la périphérie suivant un modèle ségrégationniste, également favorisé par la redistribution des fonctions dans les zones extérieures au « centro expandido » et par la réglementation sur le zonage et l’occupation des sols. Du fait de leur différentes caractéristiques, les avenues « marginais » apparaissent comme la clé pour comprendre les problèmes et les solutions viaires relatives à la mobilité et l’accessibilité dans l’espace pauliste, en ce sens qu’elles incarnent le lieu de rencontre, de conver-


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Fig.4 : Plan du fleuve Tietê indiquant les limites des zones inondables. Prefeitura de São Paulo, 1929.

Fig.5 : Étude d’un plan général d’urbanisation des plaines du fleuve Tietê.. Francisco Prestes Maia, 1930.

Fig.6 : Aménagement du fleuve Tiête et de sa voie express. Prefeitura de São Paulo, 2014.


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gence [fig.3] entre la structure municipale, métropolitaine, macrométropolitaine et étatique, voire nationale comme le sous-entend Paulo Vieira de Souza, ex-directeur de la SEM DERSA - Desenvolvimento Rodoviário S.A. - lorsqu’il affirme : « O Brasil usa a Marginal Tietê3 ». C’est pour dire à quel point, elles jouent le rôle de liant entre les différentes échelles territoriales [fig.2]. Ce qui ne va pas sans poser de problèmes et ce qui explique leur saturation. • Tietê : une mainmise rodoviariste Comme nous avons pu le voir précédemment, la place des fleuves Tietê et Pinheiros mais surtout leurs plaines alluviales [fig.3] a toujours été centrale dans les différents plans rodoviaristes, en en faisant des lieux stratégiques - au-delà de leur évident avantage topographique - dans la consolidation de la métropole contemporaine, dépassant le simple cadre de la structuration viaire pour dépasser largement sur des questions de zonage et d’aménagement, comme le souligne, dès 1930, Prestes Maia lorsqu’il annonce que : Só as obras do Tietê e representam 50% delle: é a um tempo a drenagem e o saneamento definitivo das varzeas, o afastamento de catastrophes periodicas e dum espectaculo annual inconcebivel em qualquer capital civilizada, a conquista duma immensa area em pleno perimetro urbano, a creação de arruamentos e bairros modernos e espaçosos, o impulso á toda a margem direita até os contrafortes da serra, o preludio duma solução radical ao problema ferroviario (e, indirectamente, á transformação do Braz), a abertura duma faixa extensissima á circulação perimetral, a constituição de 40 kilometros de arterias de transito rapido, a localização de nucleos industriaes e, finalmente, a surto da navegação fluvial com todas a suas consequencias economicas. Vê-se com facilidade a alcance incalculavel do emprehendimento e porque a presente administração dedicou-lhe especial carinho4.

3 trad. : « Le Brésil tout entier utilise l’avenue “marginal” Tietê. » 4 trad. : « À eux seuls, les travaux sur le fleuve Tietê représentent déjà 50 % du Plano de Avenidas : c’est à la fois le drainage et l’assainissement définitif des plaines alluviales, la suppression de catastrophes périodiques et d’un spectacle annuel inconcevable dans n’importe quelle capitale civilisée, la conquête d’une immense zone en plein tissu urbain, la création de rues et de quartiers modernes et spatiaux, une impulsion urbaine sur toute la rive se déployant jusqu’aux contreforts des collines paulistes, le prélude d’une solution radicale au problème ferroviaire (et, indirectement, à la transformation de Braz), l’ouverture d’une très grande piste la circulation périphérique, la réalisation de 40 kilomètres d’artères de circulation rapide, l’emplacement de centres industriels et, finalement, le regain de la navigation fluviale avec toutes ses conséquences économiques. On voit facilement la portée incalculable d’un tel projet et pourquoi l’administration actuelle y consacre un soin particulier. » - MAIA, Francisco Prestes. Estudo de um plano de avenidas para a cidade de São Paulo (1930), p. X.


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Fig.7 : Simulation des nouvelles voies sur le tronรงon du Ponte das Bandeiras. DERSA, 2010.


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Effectivement, du Plano de Avenidas au PUB, les stratégies consacrées aux fleuves gravitent autour des mêmes enjeux. D’abord, elles sont prétextes à la consolidation de l’espace rodoviariste et industriel dans le cadre du plan de Prestes Maia [fig.4] à travers de longs et nombreux travaux et expropriations. Ensuite, dans le rapport de Robert Moses, les avenues « marginais » sont pensées pour intégrer l’Anel Viário Metropolitano, une rocade métropolitaine qui verra finalement le jour en 1991. Sans compter que leur aménagement promet des marchés importants et le profit conséquent aux entreprises proches de Rockfeller ainsi que pour la São Paulo Tramway, Light & Power Company qui se partageront leur urbanisation future [fig.5]. Enfin, dans le PUB, leur rôle rodoviariste est réaffirmé par le renforcement de leur position de « porte d’entrée dans l’urbain », en proposant l’implantation d’une gare routière. Ce qui explique aisément pourquoi elles ont été en chantier durant les 40 ans suivant le Plano de Avenidas pour être achevées en 1977. Plus tardivement, la flambé de la valeur des terrains centraux où sont établis les quartiers d’affaires incitèrent les promoteurs à chercher des nouvelles opportunités, près des avenues « marginais ». Comme bien souvent, les initiatives privées pour aménager ces zones apparaissent une fois les dépenses publiques en direction des restructurations routières et autres améliorations achevées. Preuve en est que c’est bien la qualité de leur emplacement additionnée aux terrains conquis aux plaines alluviales des fleuves qui favorisèrent la venue de nouveaux programmes nécessitant de grandes étendues et un accès facile comme les bureaux, les shopping centers, etc. • Une politique sectorielle poussée à l’extrême En 2009, on estime que les 49 kilomètres des voies longeant les deux rives du fleuve Tietê supportent 1,2 millions de trajets journaliers et occasionnent environ 30 % de la congestion totale de la métropole qui, par l’augmentation du parc automobile de 30 % tous les cinq ans, ne va pas aller en s’améliorant. Partant de constat, la DERSA entame, la même année, un projet d’élargissement dees avenues « marginal » Tietê afin de d’augmenter la fluidité du trafic (+ 35 % annoncés) pour mieux supporter les liaison nord, est et ouest et réduire la pollution. Pour ce faire, ils projettent sur 46 kilomètres, la construction de trois nouvelles voies de circulation, dans les deux sens et sur le terre-plein végétal central [fig.7], en plus des quatre nouveaux ponts et des trois nouveaux accès qui viennent s’ajouter aux sept voies existantes


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Fig.8 : Marginal Tietê : septembre 2007. Latinstock in GEROLLA, Giovanny. « À margem do rio » in aU : Arquitetura e Urbanismo, n°191, Février 2010, p. 46.


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Fig.9 : Marginal Tietê : novembre 2013. Paulo Whitaker/Reuters in BOURCIER, Nicolas. « São Paulo, monstre urbain cherche à enfinir avec le tout automobile » in Le Monde, 29 novembre 2013.


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(trois voies locales et quatre voies express). Ainsi, par son action de renforcement, cette opération s’inscrit dans la lignée des pratiques de planification rodoviaristes, favorisant en premier lieu le transport individuel (il y a seulement 50 lignes de bus qui transitent sur la « marginal », une proportion très faible face aux transports individuels y circulant) et les sociétés concessionnaires d’autoroutes (les travaux sur la « marginal » viabilisent les autoroutes auxquelles elles est connectée). En contrepartie du coût environnemental des 18,9 ha des sols qui vont être imperméabilisés, entraînant une diminution de la résilience des berges et une augmentation du risque d’inondation, la DERSA promet le « maior projeto de compensação ambiental já visto no Brasil5 » par la plantation de milliers d’arbres (pour compenser les 559 arbres supprimés) et un projet de parc linéaire sur les plaines alluviales du fleuve entraînant la suppression de poches d’habitats populaires. É uma visão perversa, de fora para dentro, é rodoviária, e não urbana. (...) Mas o mais perverso é que a compensação ambiental da Marginal Tietê é a remoção dos moradores do Jardim Pantanal, do Jardim Romano e de demais moradores para o projeto de parque. A compensação ambiental é remover moradores. Primeiro, é absurdo porque não compensa ambientalmente nada. (...) O parque não aumenta a área permeabilizada, (...)6.

Certains, à l’instar de l’architecte-urbaniste pauliste Raquel Rolnik soulignent le caractère illusoire, voire mensonger de cette compensation. Ainsi, en février 2010, la revue brésilienne aU : Arquiteture e Urbanismo y consacre même un dossier avec le titre « Ampliação da Marginal Tietê: demanda real ou rodoviarismo requentado ?7 » en se demandant si l’on peut vraiment qualifier cette opération de politique publique au vue des investissements démesurés, des impacts environnementaux et des principaux bénéficiaires. Il parachève ainsi le mouvement de protestations initié un an plus tôt par l’IAB-SP - l’Instituto de Arquitetos do Brasil, Departamento de São Paulo - qui réaffirme, entre autres, le retard du Brésil vis-à-vis des questions urbaines et sociales en arguant que dans 5 trad. : « le plus grand projet de compensation environnemental jamais vu au Brésil » 6 trad. : « C’est une vision perverse, de l’extérieur vers l’intérieur, rodoviariste, et non urbaine. (...) Mais le plus pervers, c’est que la compensation ambientale de la “marginal” Tietê se réalise par l’expropriation des habitants des quartiers Jardim Pantanal, Jardim Romano et de beaucoup trop d’habitants pour ce projet de parc. La compensation environnementale est d’enlever les habitants. Premièrement, c’est absurde parce que ça ne compense environnementalement rien. (...) Le parc n’augmente pas la zone perméable, (...). - ROLNIK, Raquel in ANTUNES, Bianca. « Modelo esgotado : entrevista com Raquel Rolnik » in Política urbana : Ampliação da Marginal Tietê (2010, février). aU : Arquitetura e Urbanismo, n°191, p. 56. 7 trad. : « Élargissement de la “marginal” Tietê : demande réelle ou rodoviarisme réchauffé ? »


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les autres métropoles mondiales, les fleuves accueillent dorénavant des projets stimulant des connexions avec le piéton, et sont abordés comme des repères hydrographiques du territoire urbain. Mais ces mécontentements mettent surtout l’accent sur le caractère éphémère, dispendieux (le coût total prévu de 1,3 milliards de reais, soit 400 millions d’euros, dépasse alors déjà les 2 milliards de reais, soit 600 millions d’euros) et évidemment non durable, de cette opération. Sans parler du mépris de la DERSA pour le principe élémentaire de triple convergence qui fait que, selon l’assertion communément admise aux États-Unis, « you can’t build your way out of traffic congestion8 » à cause des convergences spatiale, modale et horaire qu’engendre toute opération infrastructurelle visant à augmenter la capacité routière. En effet, en plus d’entrer en contradiction avec le Plano Diretor sur la préservation des plaines alluviales des fleuves, cette opération conduite à un plus grande dépendance à l’automobile. L’augmentation de l’offre routière [fig.8] conduit à une augmentation de l’utilisation de la voiture [fig.9] et par conséquent à une diminution de l’usage des transports collectifs. Faute de demande, l’offre en transport en commun est forcée à la réduction. Les usagers sont des lors contraints d’utiliser la voiture et la congestion augmente. Une augmentation de la capacité d’une infrastructure peut donc conduire à une dégradation des conditions de circulation, ce que on appelle le paradoxe de Downs-Thomson. C’est exactement ce que dénonce l’IAB-SP lorsqu’il affirme que cette opération irréversible va reléguer « a maioria da população a condições precárias de transporte e mobilidade, com danos ambientais para todos os cidadãos9 ». • Un fleuve isolé de la ville ? Le cas des avenues « marginais » est tout à fait caractéristique de l’urbanisme pauliste et en même temps paradoxal : l’apparition de ces dernières est lié à l’adoption de l’urbanisme rodoviariste et, en donnant aux fleuves un caractère de pôle métropolitain routier, elles se sont substituées à eux ; elles les ont déconnectés du tissu urbain. C’est l’analyse cartographique qui est l’exemple le plus probant pour ce phénomène et tisse une belle métaphore : à partir d’une certaine échelle, les épaisseurs de lignes du réseau routier, et en particulier de la « marginal » Tietê atteignent une largeur critique qui vont les faire se superposer et 8 trad. : « il n’est pas possible de s’extraire de la congestion routière en augmentant la capacité de circulation » 9 trad. : « la majorité de la population à des conditions précaires de transport et de mobilité, avec des dommages environnementaux pour tous les citadins » in Manifesto dos professores da FAUUSP.


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Fig.10 : Captures d’Êcran : A Margem. Ozualdo Ribeiro Candeias, 1967, 96 minutes.


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cacher les lignes des fleuves ; c’est la présences des routes qui suggèrent les fleuves [fig.7]. Dans la réalité, c’est uniquement en empruntant les « marginais » que l’on prend conscience « dos rios escurecidos pelos esgotos que neles lançam detritos domésticos e industriais e cuja proximidade é revelada pela mau cheiro que deles se exala10 ». Pourtant, à l’origine, les fleuves paulistes jouaient un rôle structurant de frontières, naturelles et symboliques : un marqueur urbain qui faisant la jonction entre l’urbain et le rural, puis entre la villecentre et la banlieue. Le film d’Ozualdo Candeias intitulé « A Margem » traite particulièrement bien du caractère symbolique du fleuve et de son rôle tampon (aussi bien physique que social) entre la ville consolidée d’un côté et l’habitat informel de l’autre [fig.10], entre le nouveau (l’ordre moderne) et l’archaïque (l’ordre rural et la tradition sociale qui lui est attachée). Dans le film, s’ils peuvent apparaître à première vue comme un tremplin social, le fleuve et ses berges - margens - se définissent surtout comme un lieu d’accueil informel de tout un lot de personnages (allant d’une prostituée à des hippies) vivant en marge - margem - de la société pauliste. Par ce procédé, Ozualdo Candeias désigne le fleuve et ses berges comme sas de la ville, notamment dans le cadre de l’exode rural (le film a été tourné en 1967). Un rôle de sas qu’il joue encore en accueillant un nombre important d’habitats populaires, voire précaires et qui est d’autant plus important qu’il est rare en ville. En effet, les couches sociales les plus précaires sont habituellement reléguées dans la lointaine périphérie. Or, les avenues « marginais » en déconnectant les fleuves du tissu urbain, les font passer d’un espace-tampon à une enclave. • Vers une réappropriation métropolitaine et municipale Si les deux dynamiques urbaines les plus évidentes sur le territoire pauliste sont la dispersion fonctionnelle et la discontinuité territoriale, c’est en partie dû au rodoviarisme, dont elles sont l’expression actuelle. Face à ces phénomènes, la mobilité est une fonction urbaine primordiale par sa capacité à agréger et relier les secteurs urbains ségrégués socialement, dispersés du point de vue fonctionnel et discontinus du point de vue spatial. Ainsi, parce que le territoire pauliste est défini par les axes ferroviaires et autoroutiers convergeant vers la municipalité de São Paulo atteignent les avenues « marginais » des fleuves Tiête et Pinheiros et par les avenues qui composent le Minianel Viário et l’Anel 10 trad. : « des fleuves obscurcis par les égouts qui déversent dans ces derniers déchets domestiques et industriels en tout genre et dont la proximité est révélée par la puanteur qu’ils exhalent » - MEYER, Regina Maria Prosperi. São Paulo Metrópole (2004), p. 10.


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Fig.11 : Réorganiser les dynamiques métropolitaines. Prefeitura de São Paulo, 2014.

Fig.12 : Intégrer la dimension environnementale au développement urbain. Prefeitura de São Paulo, 2014.


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viário metropálitano, les fleuves Tietê et Pinheiros assument le rôle de pôles métropolitains. C’est-à-dire qu’ils articulent/intègrent tant bien que mal les différentes échelles du territoire pauliste. Cela explique pourquoi le processus de mutation urbaine - même si focalisé sur le « centro expandido » - s’intensifie au fur et à mesure de l’accroissement de l’accessibilité aux avenues « marginais ». Par conséquent, les fleuves ont un rôle extrêmement important à jouer afin de contenir la dispersion fonctionnelle et réduire la discontinuité territoriale. En ce sens, la Plano Diretor Estratégico de 2014, marque une avancée majeur en reconnaissant le secteur des franges fluviales (Tietê, Pinheiros et Tamenduateí) et ferroviaires comme des territoires centraux stratégiques pour le développement métropolitain. En effet, afin de mieux équilibrer le marché de l’emploi et du logement et articuler les pôles d’emploi situés dans les diverses municipalités qui composent la Região Metropolitana de São Paulo, il définit une Macroárea de Estruturação Metropolitana [fig.11]. Cette dernière a été sélectionnée parce qu’elle est déjà riche en infrastructures de transport (fluviales, ferroviaires et routières), concentre des espaces productifs en cours de transformation mais aussi beaucoup de terrains industriels sous-utilisés ou en friche. Le but est d’y implanter des projets de développement urbain dits Projetos de Intervenção Urbana afin de promouvoir les transformations urbaines, sociales, économique et environnementales nécessaires pour réorganiser les dynamiques métropolitaines. De plus, cette réappropriation des franges fluviales s’accompagne d’une expansion des zones de protection et de préservation environnementale à leurs espaces se traduisant par la création de parcs linéaires [fig.12] et autres espaces verts associés. Le système de voies navigables réalise le transport de marchandises et de passagers par les fleuves et les bassin hydrographiques, de manière à entraîner le développement urbain sur leurs berges. Malgré ces politiques encourageantes, certains risques persistent. Le Plano Diretor Estratégico n’a pas encore défini l’usage futur de ces franges. Sans être désignés comme ZEIS et sans axes structurants autour des infrastructures de transport, ces lieux stratégiques vont accueillir des projets urbains simplement soumis aux logiques des partenariats public-privé prévus pour cette zone. Or, ces derniers présupposent une certaine rentabilité des opérations qui excluent ou rendent difficile l’établissement de programmes peu ou prou rentables comme le logement social, les espaces publics, les aires destinées aux petits commerces, etc. Ce qui, en vue de l’histoire et des rôle successifs de ces lieux, pourrait être préjudiciable.


E veja que, a rigor, a-foto-da-favela-de-Paraisópolis (isso soa como um mantra incessante, um verso alexandrino em busca de uma rima que lhe dê repouso) não mostra exatamente como são as coisas. Nesse prédio com as piscinas não estão os mais ricos, que, por sua vez, não moram colados aos mais pobres, que, por sua vez, não são os moradores de Paraisópolis. O poder simbólico e didático da imagem prevalece, com sua gramática visual simples e direta. Há quem diga que é Photoshop, o que parece mais uma descrença no que a cena mostra do que na foto em si. O absurdo da imagem nos impõe uma sensação de derrota inaceitável: como deixamos que as coisas chegassem a esse ponto?

Fig.1 : A foto da favela de Paraísopolis. Tuca Vieira, 2004. Et voir que, à la rigueur, a-foto-da-favela-de-Paraisópolis (cela sonne comme un mantra incessant, un vers alexandrin à la recherche d’une rime qui donnera le repos) ne montre pas exactement comment sont les choses. Dans cet immeuble avec piscines, ce ne sont pas les plus riches qui habitent collés aux plus pauvres, qui eux-mêmes n’habitent pas à Paraísopolis. Certains disent que c’est du Photoshop, ce qui ressemble plus à une incrédulité dans la scène que dans la photo elle-même. Le pouvoir symbolique et didactique de cette image prévaut, avec sa grammaire visuelle simple et directe. L’absurde dans cette image nous impose une sensation d’échec inacceptable : comment pouvons-nous laisser les choses se faire à ce point ?


Rodoviarchitecture, formes et enjeuxh • Des formes urbaines et architecturales qui perdurent En cinq siècles, São Paulo a fait de son gigantisme sa force et sa bizarrerie. Point de passage pour ceux qui désirent brasser des affaires, ville à l’intense activité culturelle, São Paulo a tout de la cité antitouristique : une jungle, des embouteillages, des anneaux autoroutiers ; un centreville voué au commerce de proximité, vidé de ses camelots et employés dès la nuit tombée. São Paulo est une ville « à l’américaine », avec ses shopping centers, ses quartiers résidentiels, ses poches de misère. Elle est pourtant fascinante, contrepoint énergétique des langueurs hédonistes de Rio de Janeiro, l’ancienne capitale du Brésil1.

Ce que souligne ce court passage, ce sont les figures urbaines les plus marquantes de São Paulo, leur unique articulation, et plus généralement, des figures qu’on retrouve dans les grandes métropoles contemporaines des pays en voie de développement parce que la métropolisation y a pris une tournure toute particulière. Ce qui est tout à fait caractéristique, c’est la manière dont les problèmes urbains accumulés de la « métropole moderne », surtout durant la période de renforcement industriel, sont à l’aune d’une phase de coexistence avec les exigences et les pressions d’une nouvelle étape de développement métropolitain. Cela engendre un scénario dans lequel l’inadéquation, voire le conflit entre une organisation devenant obsolète - la « métropole moderne » associée à la phase industrielle - et celle s’installant actuellement - la « métropole contemporaine » associée à la phase post-industrielle - est extrêmement prononcée. Dans le cas de la métropole pauliste, à l’organisation socio-spatiale centre-périphérie (avec ses « municípios-dormitórios » et ses « bairros periféricos ») engendrée par la période d’industrialisation fordiste et le rodoviarisme, s’ajoute un nouveau motif urbain dans lequel s’imbriquent et/ou se superposent la précarité et la modernisation [fig.1]. Ces contradictions urbaines créent alors un conflit d’intérêt pour toute 1 2006.

MORTAIGNE, Véronique. « São Paulo, mégalopole du luxe kitsch » in Le Monde, 3 février

SÃO PAULO

Conclusion


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Fig.2 : Conjunto Nacional - Coupe transversale. Arquivo pessoal David Libeskind, 1954.

Fig.3 :

Conjunto Nacional - Maquette publicitaire. Arquivo pessoal David Libeskind, 1954.


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intervention publique. En effet, la modernisation stratégiques, imposée par les impératifs de la mondialisation s’oppose, voire concurrence l’ensemble des mesures d’améliorations urbaines attendues par les habitants vis-à-vis de leur cadre quotidien : comment justifier la demande d’installation d’infrastructures TIC face à l’insuffisance de fonctions urbaines minimales à côté ? La coexistence de ces deux modèles d’urbanisation contraires - où l’un « modernisé », consiste en une restructuration productive, et l’autre « précaire », est un vestige du territoire produit durant l’industrialisation - épuise l’espace métropolitain où les demandes sociales s’accumulent. Ce caractère double de la métropole, entre richesse ostentatoire et pauvreté démunie, est tellement important qu’il amène certaines urbanistes pauliste à parler de « construção da cidade sobre a cidade2 », de « double développement » bien que d’autres, à l’instar de l’urbaniste Deák Csaba, affirment que chaque partie de cette dite « dualité » n’est rien d’autre que le résultat d’un même et unique processus de reproduction sociale. En faisant passer la région d’une prédominance industrielle à un centre financier, commercial et tertiaire majeur, les différentes politiques économiques paulistes exacerbent in fine la coexistence, la friction des ces deux urbanismes, dont les effets se manifestèrent rapidement. Par exemple, le nombre d’habitants des favelas doubla pour dépasser deux millions de personnes vivant une difficile simultanéité avec les quartiers d’affaires modernes se multipliant à la même période. Des « quartiers nobles » actualisés qui définissent de nouveaux axes de centralité tertaire et commerciale comme l’avenida Paulista, l’avenida Brigadeiro Faria Lima ou encore l’avenida Engenheiro Luís Carlos Berrini et s’incarnent architecturalement autour de la figure du shopping center et de son corrélatif dans le domaine du logement : le « condomínio fechado ». Principalement construites dans les années 1970, ces figures installèrent de manière pérenne de nouvelles manières d’habiter et de consommer rendues possibles par la politique rodoviariste en vigueur pour s’adapter à cette nouvelle proximité, voire promiscuité entre îlots riches et zones dégradées. Une promiscuité qui engendre un nouveau paysage urbain représenté par a multiplicação de lugares de paisagem homogênea, criados pela conjugação dos mesmos equipamentos comerciais distribuídos em rede ; a rotinização do uso do helicóptero ; os usos alternativos dos antigos galpões industriais ; a proliferação das iluminadas cabinas de segurança que bloqueiam passagens e controlam o acesso a espaços residenciais 2

trad. : « construction de la ville sur la ville »


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Fig.4 :

Chaos sur Echo Park. Reyner Banham, 1971.

Fig.5 :

Vues partielles de l’avenida Aricanduva. Regina Maria Prosperi Meyer, 2004.


129 insulados em relação ás ruas que os cercam ; (...)3.

• Des shopping centers... Inauguré en 1958, le Conjunto Nacional [fig.3] est considéré comme le premier shopping center d’Amérique Latine. Dessiné par David Libeskind et construit à l’époque de l’Avenida Paulista des grands hôtels particuliers, le complexe fut un des instigateurs de la transformation de la demeure des barons du café en le plus important centre financier du Brésil. Il s’agit d’une bande de 80 mètres de hauteur - avec appartements d’habitations et bureaux - prenant appui sur un socle commerciale horizontale qui occupe la totalité du bloc, couvrant l’espace public sur ses quatre flancs et dont la pièce maîtresse est une rampe central elliptique couverte par un dôme géodésique de grande dimension [fig.2]. Par son architecture, le Conjunto Nacional prescrit une reformulation foncière des centres financiers et commerciaux de la ville en remplaçant la fragmentation en parcelles étroites et triviales par le bloc entier comme unité minimale d’occupation. Ainsi, ce bâtiment multifonctionnel - complexe tant par son programme que par son échelle - peut être appréhendé comme le manifeste d’une nouvelle gamme de bâtiments paulistes, oscillant entre architecture et intervention urbaine. En effet, la typologie adoptée par le Conjunto Nacional apparaît non seulement comme une solution formelle, mais aussi comme un équipement qui stimule et catalyse son environnement urbain. Il n’est ni autonome, ni centré sur lui-même mais cherche à s’ouvrir sur l’espace public - en proposant une continuité intérieure de ses espaces par la création de rues intérieures, reliées à quatre rues latérales, qui se croisent sur une place centrale dotée de rampes, d’escalators et d’ascenseurs -, à densifier rationnellement son occupation en hauteur, et à offrir des espaces et des équipements collectifs - comme des établissements commerciaux, des cabines téléphoniques publics, des guichets automatiques, des cafés et des bancs pour se détendre. Certains voient dans cette œuvre, la cristallisation d’une pensée dominante, à ce moment là, dans un environnement urbain qui se modernise. Fernando Viégas, fondateur de l’agence UNA Arquitetos avance, à propos de David Libeskind, que « provavelmente, um arquiteto com 26 anos só conseguiria conceber um projeto desta qualidade 3 trad. : « la multiplication des lieux de paysages homogènes, conséquences de la conjugaison des mêmes équipements commerciaux répartis en réseau ; la démocratisation de l’usage de l’hélicoptère ; les usages alternatifs des anciens hangars industriels ; la prolifération des guichets de sécurité qui bloquent le passage et contrôlent l’accès des espaces résidentiels isolés vis à vis du milieu urbain environnant ; (...). » - MEYER, Regina Maria Prosperi. São Paulo Metrópole (2004), p. 10.


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Fig.6 :

Bourbon Shopping Pompéia. romerio.jr. Panoramio, 2008.

se estivesse interpretando um desejo coletivo4 ». Un désir collectif qui se met en scène avec ostentation, moderniste sans pour autant renier la rue ni la mixité fonctionnelle, tant pour le piéton que pour la voiture. D’abord, son socle commercial comprend des parkings enterrés correspondant à 2/3 du volume émergé. Ensuite, ses longues façades linéaires possèdent un caractère quasiment cinétique vis-à-vis des flux le long de l’avenida Paulista tout en étant rythmée par une suite de visuels d’enseignes commerciales destinée à l’automobiliste. Bien que faciles, les similitudes avec les dispositifs de l’autopia [fig.4-5] confirment encore une fois l’influence nord-américaine et incarnent la cession définitive de la ville à sa classe moyenne motorisée émergente. Par son architecture, le Conjunto Nacional préfigure à la fois la typologie du « condomínio fechado » et celle du shopping center, figures architecturales déjà largement répandues et qui ont acquis une énorme visibilité, légitimité dans l’espace urbain pauliste tout en ayant considérablement évolué au fil du temps. Son leg principal s’inscrit dans la perpétuation d’une différenciation avec l’environnement immédiat, 4 trad. : « un architecte de 26 ans ne parviendrait probablement à concevoir un projet de cette qualité qu’en interprétant un désir collectif »


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soit par les dimensions de l’objet architectural - en témoigne le slogan de shopping Aricanduva : « Gigante como São Paulo5 » -, soit par la place accordée à un individualisme croissant et sa mise en scène, parfois par la prévalence du transport individuel, - comme le démontrent les rampes d’accès du shopping Bourbon [fig.6]. En se consolidant, ces figures passèrent de l’ouverture sur la sphère publique à son rejet, c’est-à-dire l’opposé même de l’idée initialement prônée par le Conjunto Nacional : une logique où la volonté même de distinction, voire d’auto-exclusion se substitue à la simple idée de visibilité par l’événement architectural. Ces nouvelles enclaves urbaines se justifient par une culture de la peur et de la violence issue de la coexistence des deux temps de la métropolisation qui font se superposer précarité et modernité. Les conséquences de cette tension génèrent un inconfort dans l’utilisation des espaces publiques, qui souvent sont vus avec méfiance et sont progressivement désertés. D’autant plus que dans biens des endroits, les dispositifs mis en place pour « organiser » cette coexistence, à savoir caméras, vigiles installés sur les trottoirs, barrières physiques - intimident le passant, restreignent la circulation, suppriment tout intérêt à profiter de ces espaces et participent donc à ce mouvement de rejet. Par la volonté de se soustraire de l’urbain, shopping centers et « condomínios fechados » s’assimilent dés lors à des fragments de terrains présentant de grandes discontinuités avec leurs alentours, parce qu’ils sont structurés dans le souci de reproduire une version complète et autonome de l’environnement urbain. La mixité fonctionnelle toujours présente et prônée afin de concentrer en un même lieu les fonctions primaires quotidiennes de la société corrobore cette volonté totalisante. Ainsi, même si le shopping center apparaît comme le lieu de prédilection, le complément des « condomínios » pour les activités de consommation et de loisir, ces dernières sont également présentes dans les « condomínios » eux-mêmes sous la forme d’équipements mutualisés et exclusifs aux habitants. • ... aux « condomínios fechados » Comme esquissée précédemment, la sécurité est une préoccupation toujours plus présente dans le villes brésiliennes - des régions métropolitaines au sein même des villes moyenne ou de petite taille. Ce problème structurel, dont les origines sont de nature socio-économiques trouve son expression la plus poussée dans l’implantation de « condomínios » dits « fechados » parce que l’accès y est contrôlé. Cet arti5

trad. : « Gigantesque, à l’image de São Paulo »


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Fig.7 :

Façade & implantation du condomínio Le Premier Ibirapuera Parc. EZTEC Empreendimentos e Participações S/A.


fice trouvé par la classe moyenne pour contourner cette réalité engendre une ville composée de parcelles « emmurées », véritables enclaves qui empêchent la mobilité urbaine et incitent à la ségrégation sociale. Au sein de ce dispositif, l’espace produit et les relations sociales existantes sont marqués par des processus simultanés de hiérarchisation, homogénéisation et de fragmentation. Os condomínios fechados são uma rea­ção à insegurança urbana, embrulhados em discursos de bairros ecológicos ou bairros-clubes. Quando dentro das cidades, eles criam ilhas de convivência controlada, que privatizam e rompem o tecido urbano, e impedem o contato cotidiano com a diversidade social, econômica e cultural, própria das cidades6.

Dans les « condomínios fechados », pour valoriser le bien immobilier à vendre, les promoteurs ont généralement recours à l’architecture traditionnelle d’autres pays, européens le plus souvent. Ainsi, on observe la tendance à choisir des noms français (et l’imaginaire de luxe qui leur est corrélé) pour un nombre de plus en plus important de projets immobiliers [fig.7]. Au-delà d’une simple mise en œuvre fantasque et tape-àl’œil - par l’étalage de matériaux nobles et de solutions architectoniques exceptionnelles vis-à-vis des constructions alentours - cette logique renforce la différenciation de ces lieux vis-à-vis de l’environnement urbain dans lequel ils s’insèrent. Par une reproduction spatiale sans références locales, apparaissent simultanément la négation de l’espace comme produit historique et la diffusion de valeurs priorisant l’extravagance. O projeto apresenta uma fachada em estilo arquitetônico contemporâneo e marcante, valorizado por diferentes relevos e materiais de acabamentos, frisos decorativos, apliques e revestimento em cerâmica, harmoniosamente dispostos, formando um conjunto de cores discretas. Amplas varandas e embasamento tratado com riqueza de detalhes garantem a grandiosidade de um empreendimento que reflete modernidade e sofisticação7. 6 trad. : « Les “condomínios fechados” sont une réaction à l’insécurité urbain, emballée dans des discours de quartiers écologiques ou d’associatons de quartiers. Au sein des villes, ils créent des îlots de sociabilité contrôlée, qui privatisent et brisent le tissu urbain, et empêchent le contact quotidien avec la diversité sociale, économique et culturelle, propre aux villes. » - DUARTE, Fábio in GEROLLA, Giovanny. « Fate e Opinião : Condomínios fechados são o futuro das cidades no interior do Brasil? » (2011, mars). aU : Arquitetura e Urbanismo, n°204. 7 trad. : « Le projet présente une façade dans un style architectural contemporain et marquant, valorisé par des jeux de volume et des matériaux de finition, des frises décoratives, des appliques et revêtements en céramique, harmonieusement disposés, formant un ensemble de couleurs discrètes. D’amples terrasses et un soubassement traité avec une grande richesse du détail garantissent la grandeur d’un projet qui reflète modernité et sophistication. » - Itamar Berezin Arquitetura. « Projeto Arquitetônico » in EZTEC. Folder Le Premier Ibirapuera Parc (2009), p. 24.


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Fig.8 :

Captures d’écran : Riviera de Santa Cristina XIII. Momentum. Youtube, 2013, 3mn59.


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Par ces dispositifs, le discours de la violence et de la préoccupation du bien-être porte en lui des valeurs liées au consumérisme, à l’intention de ségrégation sociale et au désir d’obtenir ou de maintenir un certain prestige au sein de la société. L’intimité du groupe social s’obtient alors par l’exclusivité et la sécurisation qui définissant le rapport entre ces lieux, la ville extérieure et les groupes sociaux qui la composent. Dans ce but, la privatisation réaffirme la décision auto-excluante de la couche sociale aisée. Viver de uma maneira mais tranquila, planejada e em perfeita harmonia com a natureza. Com muito requinte, sofisticação, privacidade e segurança sempre voltados para o seu bem-estar e de sua família8.

Au Brésil, les formes architecturales et urbaines incarnant la recherche d’un entre-soi protecteur par les classes supérieures suivent majoritairement deux mécanismes. Le premier cas de figure les voit, dans la ville dense, se soustraire de leur environnement urbain immédiat en formant des enclaves que l’on qualifiera ici de « condomínios fechados » intra-urbains, et qui sont en général de l’ordre de la parcelle, voire du macrolot. Le deuxième cas de figure les voit se soustraire géographiquement des « zones de cohabitation » en s’éloignant vers l’interior pauliste pour former également des « condomínios fechados » mais cette fois à l’échelle de quartiers résidentiels entiers, voire de petites villes [fig.8]. Un modèle que certain qualifient d’anti-urbanisme. Quando nos municípios adjacentes aos grandes centros, são como parasitas: seus moradores pagam o IPTU das cidades periféricas, mas não as vivem, pois seus filhos vão à escola na cidade-polo, onde também fazem compras e trabalham. O plano diretor é o instrumento legal para impedir esse tipo de ocupação urbana9.

Si le premier cas de figure résulte de la métropolisation et de la formation de grands centres urbains, le deuxième cas de figure est rendu possible par une constante et incontrôlée dispersion spatiale des activités, 8 trad. : « Vivre d’une manière plus tranquille, planifiée et en parfaite harmonie avec la nature. Avec du goût, de la sophistication, de l’intimité et de la sécurité et ce, en mettant toujours l’accent sur votre bien-être et celui de votre famille. » - Ibidem, p. 4. 9 trad. : « Au sein des des municipalités adjacentes aux grandes centres urbains, ils [les “condomínios fechados”] apparaissent commes des parasites : leurs résidents paient des impôts fonciers dits IPTU - Imposto Predial Territorial Urbano - dans les villes périphériques, mais n’y vivent pas, parce que leurs enfants vont à l’école située dans la métropole, où ils consomment et travaillent également. Le Plano Diretor apparaît comme l’instrument juridique adapté pour empêcher ce type d’occupation urbaine. » - DUARTE, Fábio in GEROLLA, Giovanny. « Fate e Opinião : Condomínios fechados são o futuro das cidades no interior do Brasil? » (2011, mars). aU : Arquitetura e Urbanismo, n°204.


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tant économiques que sociales, sur tout le territoire métropolitain. Cette situation souligne à quel point, en termes de planification urbaine, le pouvoir public est à la traîne des logements privés. Ainsi, au-delà des conséquences négatives en termes de perspectives sociopolitiques et environnementales, ces nouvelles formes apparaissent comme l’incarnation d’un nouvel ordre urbain - combinant nouveau modèle productif et nouvelle culture urbaine - emporté par la dilatation d’un territoire discontinu où se diluent les formes urbaines conventionnelles. Ces mécanismes justifient alors l’ampleur du phénomène dans les villes de l’interior pauliste où il est d’autant plus croissant qu’il est récent, notamment pour profiter des aménités environnementales, comme par exemple sur les bords des bassins hydrographiques [fig.8]. Dans ce contexte, le transport individuel n’apparaît pas seulement comme le support d’un entre-soi sélectif et protecteur - au travers d’une mobilité facilitée - mais aussi - et c’est là sa particularité locale - comme le garant de la continuité d’un espace-temps protégé. En effet, tant la voiture, les shopping centers que les « condomínios fechados » participent à une congruence où ils s’étoffent, passant du statut de symbole de modernité à celui d’abri fondant sa pensée sur un principe d’incompatibilité. Ce nouveau rôle justifie l’omniprésence de l’automobile au-delà d’une simple hypermobilité contrainte. Prises ensembles, propriété et voiture individuelle soulèvent dans le « condomínio fechado » la problématique de l’accès où elles apparaissent comme un ticket d’accès à la tranquillité, à un entre-soi produit et vendu sous le signe de la sécurisation et de la privatisation, pour reprendre les termes de Jacques Donzelot dans son article La ville à trois vitesses: relégation, périurbanisation, gentrification. • São Paulo, la souterraine Hoje isso não acontece. As garagens não entram no cálculo. A gente costuma dizer que em São Paulo existe uma cidade e meia. Há meia cidade nos subsolos, formada só por garagens10.

En effet, il suffit de regarder les annonces immobilières, comme celle du projet Le Premier Ibirapuera Parc, cité précédemment où « cada apartamento possui 3 a 6 vagas11 », pour se rendre compte de l’ampleur du phé10 trad. : « Aujourd’hui, ça ne se passe pas comme ça. Les garages n’entrent pas dans le calcul. On a pour coutume de dire que dans São Paulo, il existe une ville et demi. La moitié de la ville existe dans les sous-sols, uniquement composés de garages. » - ROLNIK, Raquel in BEDINELLI, Talita. « O Novo Plano Diretor » in El País - Política, 03/07/2014. 11 trad. : « chaque appartement comprend 3 à 6 places de parking »


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Fig.9 :

Imposition des places de stationnement. Prefeitura de São Paulo, 2014.

nomène. Cette propension aux garages s’explique en partie par le modèle de verticalisation et sa typologie correspondante, qui prédominent depuis la Lei de Zoneamento de 1972 et qui a stimulé la construction de grands appartements et leurs garages corrélés, dans des édifices isolés au sein de leur parcelle, avec leur propres « clubes », piscines, espaces zen, etc. En conséquence, cette densification n’augmenta pas la population aux endroits où il y eut verticalisation, mais augmenta seulement le nombre de voitures parce qu’elle stimulait indirectement la construction de garages tout en affaiblissant la relation entre espaces publics et privés. De plus, s’opère une substitution de certains espaces urbains en devenir au travers de stationnements improvisés sur des parcelles en friches, attendant leurs nouvelles affectations. Dans ce contexte, le recours à la voiture et au garage est d’autant plus légitimé (il relèverait presque de l’injonction) que les transports collectifs sont encore faiblement représentés ou pas assez efficaces. Ainsi, dans l’est pauliste - où l’on retrouve cette cohabitation entre urbanisme précaire et modernisé -, à cause d’une densité trop faible d’équipements, le transport individuel est obligatoire quand on en a les moyens. Dans ces zones de coexistence,


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la possession d’une voiture renforce alors la distinction/hiérarchisation entre les résidents d’un urbanisme précaire - voués à l’immobilité - et ceux d’un urbanisme modernisé. Because of the difficulty of moving through the city, the middle- and upper-class residents are totally dependent on the automobile. ‘We do not have a life in the neighborhood because we cannot walk to the nearest bakery’, he says. This situation was even more extreme when Hirsch’s four children went to college in different parts of the city. ‘At that time, we had six cars. In addition to our three places in the garage, we rented one extra place and left two cars on the street’, he remembers. ‘Luxury? I understand it as a necessity, due to the characteristics of the neighborhood’, he adds12.

Pour remédier aux conséquences de ce motif vertical et souterrain, la municipalité, à travers le nouveau Plano Diretor Estratégico, inhibe dans les zones jouxtant les axes de transport collectif la construction de ces appartements gigantesques, et instaure des limites maximales de places/ garages non calculables, c’est-à-dire qui ne seront pas considérés comme de la surface construite. Dans les faits, c’est une place de parking par logement et, dans le cas des ensembles non résidentiels, une place tous les 70 m² de surface calculable [fig.9]. La faiblesse du dispositif réside dans le fait que les places additionnelles pourront être construites, sans limites, mais seront lourdement taxées. Ce qui revient à dire que les constructeurs devront payer plus pour faire plus de garages. • Vers un retour du modèle culturaliste Face à cet état de fait et à un legs moderniste omniprésent, s’observe depuis le début des années 2000 un changement de paradigme même s’il est régulièrement contrarié, et de fait s’installe lentement, tant culturellement que politiquement. Incarné par un retour vers les transports collectifs - comme nous l’avons précédemment évoqué avec les différents PITU -, ce paradigme marque, de manière plus générale, la transition d’un simple « droit du sol » vers un « droit à la ville ». 12 trad. : « En raison de la difficulté de se déplacer en ville, les classes moyennes et supérieures sont totalement dépendantes de la voiture. “Nous n’avons pas de vie dans le voisinage parce que nous ne pouvons pas marcher jusqu’à la boulangerie la plus proche”, dit-il. Cette situation était encore plus extrême au moment où les quatre enfants de Hirsch allaient dans différentes universités aux quatre coins de la ville. “À cette époque, nous avions six voitures. En plus de nos trois places de stationnement dans le garage, nous en louions une supplémentaire et en laissions deux dans la rue”, se souvient-il. “Un luxe ? Je vois plutôt cela comme une nécessité, en raison des attributs du quartier”, ajoute-t-il. » in « Vox paulistanos 5 : the curse of unplanned growth : traffic and transport » in SEADE, UN-Habitat. Cities & citizen series, bridging the urban divide - Study 1 - São Paulo: A Tale of Two Cities (2010), pp.28-29).


Fig.10 : Qualifier la vie urbaine des quartiers. Prefeitura de São Paulo, 2014.

Face à cet objectif, le Plano Diretor Estratégico do Municipio de São Paulo - Lei nº 16.050, de 31 de julho de 2014, marque un tournant décisif, voire un revirement dans la planification urbaine pauliste, délaissant le modèle progressiste - comme le sous-entend la devise nationale brésilienne « Ordem e progresso13 » - qui a fait son temps, pour s’orienter vers un modèle culturaliste assumé. Ainsi, l’action centrale du PDE est de rectifier les errements de la Lei de Zoneamento de 1972 et de la métropole duale par la définition de limites maximales de hauteur et de densification du bâti dans les cœurs de quartiers [fig.10] afin de préserver la vie urbaine de ces derniers et leurs spécificités locales, tout en contenant la verticalisation diffuse. Ensuite, pour promouvoir une meilleure qualité de vie, rompre avec une historique concentration des équipements publics dans les zones les plus valorisées de la ville et rendre effectifs les droits sociaux de l’ensemble de la population, il prévoit des actions prioritaires pour l’implantation et la qualification d’un Sistema de Equipamentos Urbanos e Sociais d’éducation, de santé, de sport, de culture, d’assistance sociale, de provisions et de sécurité alimentaire. D’autre part, la vocation de limiter l’emmurement des parcelles pour les projets de grande envergure répond à une volonté nouvelle de la part de la municipalité qui veut lutter, 13

trad. : « Ordre et progrès »


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voire en finir avec la fracture spatiale engendrée par les « condomínios fechados » et favoriser les projets bien insérés dans le tissu urbain. Ensuite, le PDE se donne pour autre objectif de promouvoir des espaces publics « humanizados14 », c’est-à-dire dynamiques et équilibrés par un idéal de mixité fonctionnelle érigé comme stratégie urbaine de premier plan où l’on retrouve en référence sous-jacente le mantra du cercle vertueux du mélange des fonctions et du rôle social essentiel de la rue prôné par Jane Jacobs. Au moyen d’incitations urbains et fiscales, de concepts de « fruição pública15 » ou de « fachadas ativas16 » et de la revalorisation des trottoirs, l’objectif est d’effectuer un rapprochement entre logements, commerces, services et équipements. La « fruição pública » correspond à la partie du rez-de-chaussée ouverte à la circulation piétonne pour le développement d’activités sociales, culturelles et économique, qui augmente l’offre en espaces publics favorisant les rencontres. Quant à la « fachada ativa », occupée par des commerces, des services ou équipements donnant directement sur rue, elle a pour but de redynamiser l’espace public par le contact des rez-de-chaussée des bâtiments avec divers usages de proximité comme les boulangeries, les pharmacies ou les crèches. Pour stimuler son application, les usages non résidentiels ne compteront plus comme de la surface construite, bénéficiant de taxes revues à la baisse et pourront représenter jusqu’à 50 % de la surface de la parcelle s’ils donnent directement sur le trottoir. Côté mixité sociale, il met en place le Cota de Solidarie17 dade , un une mécanisme de contrepartie à la construction de grands projets immobiliers (supérieurs à 20.000 m² de surfaces construites) obligeant ces derniers à affecter 10 % de leur surface à la production logements sociaux - en portugais dans le texte, Habitação de Interesse Social ou HIS. Ces derniers peuvent être implantées sur leur propre terrain, sur des terrains bien localisés ou en payant une redevance au FUNDURB - Fundo de Desenvolvimento Urbano do Distrito Federal, chargé, à hauteur de 30 % de ses fonds, de la production foncière des ZEIS - Zonas Especiais de Interesse Social. Enfin, on retrouve en politique de fond un regain de pouvoir des citadins paulistes - mais lesquels ?! - à travers la mise en place de méthodes participatives de conception. C’est le cas pour le Plano Municipal de Habitação18 qui définit une politique de l’habitat de la municipalité à partir des analyses du déficit de logements, des disponi14 15 16 17 18

trad. : « humanisés » trad. : « friction publique » trad. : « façades actives » trad. : « quota de solidarité » équivalent brésilien du PLH - Programme local de l’habitat en France


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bilités foncières pour la production de logements, ainsi que des coûts et ressources des interventions, afin d’élaborer des programmes et des stratégies priorisant la gestion des situations les plus urgentes, comme l’implantation dans les zones à risque, le droit au logement pour les populations à faible revenus, la rénovation, régularisation et urbanisation des zones précaires. On les retrouve également dans l’élaboration des Planos Regionais das Subprefeituras, dont l’objet est l’articulation locale des politiques sectorielles du logement, de la mobilité, de la santé, de l’éducation, de la culture, de l’environnement et du social, par la définition, entre autres, de zones prioritaires pour le développement de projets locaux. En somme, la définition de ces nouveaux instruments de planification et de projet urbain à l’échelle locale, formulés conjointement avec les communautés annonçent l’émergence d’un urbanisme participatif pauliste. • Rodoviarisme, suite et fin ? Avec des objectifs clairement orientés vers une plus grande mixité fonctionnelle et l’émergence d’une mixité sociale encore timide, la prise en compte des enjeux du développement durable, l’augmentation et l’amélioration des transports collectifs, l’ébauche d’un urbanisme participatif, la légitimité nouvellement gagnée du piéton dans la ville ainsi qu’une meilleure articulation des politiques sectorielles (avec la naissance d’équivalents paulistes au PDU et au PLH français), la planification pauliste va globalement dans le sens d’une « attrition de l’automobile » pour reprendre le concept de Jane Jacobs dans son ouvrage Déclin et survie des grandes villes américaines publié en 1961. Néanmoins, malgré le désir de construire une ville plurielle et plus équilibré, São Paulo doit absolument éviter de foncer tête baissée vers un urbanisme malthusien et faire les mêmes erreurs que l’on retrouve dans l’exemple français de la loi SRU19 de 2000 dont on lit d’ailleurs en filigrane les mêmes intentions. Cela serait une erreur que - sous prétexte d’un développement durable évidemment nécessaire - d’explorer uniquement la voie de la ville « compacte » et de tomber dans la nostalgie du modèle de la ville européenne dense, ce qui est discutable dans le contexte brésilien. En restreignant la production foncière en périphérie, les politiques urbaines accroîtraient la pénurie foncière entraînant une limitation du rythme de la construction provoquant la hausse des prix fonciers et immobiliers déjà très élevés. La prise de distance du legs moderniste au sein de la 19

Loi relative à la Solidarité et au Renouvellement Urbains


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métropole pauliste, si elle semble - finalement ! - judicieuse, ne doit pas s’apparenter à un rejet pur et simple de ses formes - et à l’adoption inconditionnelle de la ville durable et de ses avatars - modes de déplacements doux, augmentation de la densité, amélioration des transports collectifs. Évidemment, São Paulo, plus que toute autre ville doit faire face à ces enjeux, mais les aménagements cités précédemment même s’ils sont hautement nécessaires, ne doivent ni tomber dans un marketing urbain orienté uniquement vers la classe créative - à l’exemple des « ciclovias20 » qui, à l’échelle des problèmes de la métropole entière, apparaissent comme un épiphénomène -, ni masquer les carences infrastructurelles en périphérie qui ne bénéficient pas d’une telle médiatisation. Quant à l’amélioration et l’augmentation du transport collectif, également indispensable, ne saurait à elle-seule résoudre les problèmes de ségrégation spatiale (on en revient à l’idée de congruence), mais doit être accompagnée d’un aménagement territorial fort, tranché, rapprochant, harmonisant et polarisant les marchés de l’emploi avec les marchés de l’habitat, tout en créant plus de solidarités au sein du territoire et ce, dans une plus grande continuité politique. E finalmente, os projetos estratégicos para o desenvolvimento da cidade não podem ser encarados como posse de uma gestão temporária, há que se criar uma nova visão de estado onde as grandes questões urbanas tenham continuidade técnica e administrativa e sejam cumulativas nas soluções dos problemas21 .

C’est là que le bât blesse : le PDE ne s’inscrit pas de manière suffisamment forte dans l’échelle métropolitaine, l’échelle pertinente pour traiter les différentes dynamiques urbaines - contradictoires ou non - secouant les territoires paulistes. Une échelle métropolitaine où la voiture joue toujours un rôle extrêmement structurant et a encore un rôle à jouer, ne l’affligeons pas de tous les maux ! Si elle a rendu le centre de São Paulo complètement saturé et doit être fortement encadrée, elle demeure pour des millions de pauliste une réalité incontournable et vitale. Reste alors - comme le suggère François Ascher - de rationaliser l’étalement urbain pour le rendre durable. Étant donné l’ampleur du symbole, on peut imaginer que la voiture électrique ait de beaux jours devant elle au Brésil. En dernier lieu, il apparaît crucial pour la métropole pauliste non

20 trad. : « pistes cyclables » 21 trad. : « Et finalement, les projets stratégiques pour le développement de la ville ne peuvent pas être appréhendés comme l’objet d’une gestion temporaire, il faut qu’il se crée une nouvelle vision étatique où les grandes questions urbaines aient une continuité technique et administratives et soient cumulatives dans la résolution des problèmes. » - MIRANDA, Rosana Helena. Transporte público e crescimento econômico (2011).


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Fig.11 : No Minhocão. Renata Santoniero. Flickr, 2011.

Fig.12 : Manifestant avec pancartes « fora Dilma » sur l’avenida Paulista. Michel Filho, O Globo, 2015.


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pas de remplacer, mais de retourner le paradigme existant : São Paulo ne doit pas, comme par le passé, subir une métropolisation assujettie au rodoviarisme mais inventer un rodoviarisme au service d’une métropole durable et solidaire. Et de le faire en trouvant en elle-même des solutions propres à ses différents atouts géographiques, économiques, culturels et sociaux pour se détacher finalement de la trop fortes influences urbaines européennes et nord-américaines. L’exemple de l’avenir incertain du Minhocão qui, en attendant un décision politique qui tranchera entre sa démolition et sa réhabilitation, alterne jours voués à la circulation pédestre [fig.11] et jours de circulation, lance des pistes de réflexion intéressantes tout en offrant des ambiances urbaines tout à fait étonnantes. O fotógrafo que quiser retratar São Paulo não terá à sua disposição os cartões-postais que tantas capitais brasileiras são pródigas em oferecer a cada passo. Cada objeto de sua atenção haverá de destacar-se de um ambiente desordenado e hostil: como se muitos bens culturais, relíquias históricas ou simples recantos pitorescos sobrevivessem, a exemplo de seus cidadãos, num permanente estado de sítio. Tornar tudo útil, não perder tempo, fazer dos seus problemas e inviabilidades motivo de orgulho e de proveito: nada mais paulistano, nada mais pragmático do que isto22.

Il reste que les brésiliens ont un lien extrêmement fort, ambigu, dorénavant tumultueux avec le rodoviarisme dans sa forme la plus large. À l’image de l’affaire qui a éclaté en mars 2014, quand une opération policière, baptisée Lava Jato (signifiant littéralement « lavage rapide », ou plus simplement « karcher»), et a révélé au grand jour un vaste système de corruption au sein du géant pétrolier Petrobras (diminutif de Petróleo Brasileiro S.A). Les enquêteurs ont découvert un système généralisé de pots-de-vin - versés à des hauts cadres de l’entreprise ou des hommes politiques du Partido dos Trabalhadores ou PT, parti de la présidente brésilienne Dilma Roussef - depuis une dizaine d’années par les principales entreprises de construction du pays - première économie d’Amérique latine - à des responsables de la compagnie pétrolière, en échange de contrats juteux, c’est-à-dire systématiquement surfacturés. Les gigantesques manifestations actuelles [fig.12] et le recul de Dilma Roussef dans l’opinion publique ne peut qu’augurer de profonds changements... 22 trad. : « Le photographe qui voudrait dépeindre São Paulo n’a pas à sa disposition les cartes-postales que tant de capitales brésiliennes sont riches au moindre pas. Tout objet de son attention devra se démarquer d’un environnement désordonné et hostile : comme si de nombreux atouts culturels, reliques historiques ou simples recoins survivaient, à l’image de ses citoyens, dans un état de siège permanent. (...) Rendre utile tout ce qui est possible, ne pas perdre de temps, faire des ses problèmes et ses instabilités une source de fierté et de profit : rien n’est plus pauliste, plus pragmatique que tout ceci. » - COELHO, Marcel. As Cidades do Brasil: São Paulo. São Paulo : Publifolha : São Paulo, 2005.



Annexe cartographies paulistes


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Fig.7 : Processus de restauration par Illustrator. RĂŠalisation personnelle.


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Fig.8 : Processus de restauration par Photoshop. RĂŠalisation personnelle.



Bibliographie pour la route


158

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Table

São Paulo objectif rodoviarisme

Introduction Vestige moderne

5 6

Chapitre 1 Le rodoviarisme est-il un humanisme ?

16

Chapitre 2 L’urbanisme selon Prestes Maia

30

Chapitre 3 Les voies express de Robert Moses

48

Chapitre 4 Nouvelles polarités du PUB

60

Chapitre 5 PMDI & PDDI, la métropole régulée

72

Chapitre 6 Le palimpseste des transports

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Chapitre 7 Tietê et Pinheiros

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Conclusion Rodoviarchitecture : formes et enjeux

??

Bibliographie pour la route

7

Annexe cartographies paulistes

8




ensapm

VILLES ARCHITECTURES ET TERRITOIRES

São Paulo : objectif rodoviarisme

Illustrations, bibliographie.

Xavier Seurre

« Gouverner, c’est ouvrir des autoroutes ! » affirme Washington Luís, , en ce début du XXe siècle, alors qu’il est préfet de la ville de São Paulo. Par cette simple phrase, il résume à lui seul l’état d’esprit pionnier, conquérant du rodoviarisme, cette « politique de la route », fruit d’un processus historique faisant d’elle un modèle d’urbanisme prédominant dans la tradition pauliste. Depuis plus d’un siècle, l’option rodoviariste à tracé le chemin de la modernité et du progrès au Brésil. Historiquement et en intensité, São Paulo reste l’exemple le plus éloquent de cette épopée et lui doit en partie son fait métropolitain. Il explique entre autres pourquoi São Paulo est structurée autour du transport routier, selon une expansion horizontale illimitée. Pourtant, si à l’époque une préoccupation excessive pour le système routier pauliste semblait avant-gardiste, elle apparaît dorénavant pour certains comme anachronique, parce que trop sectorielle. Elle négligerait en conséquence une planification plus globale de la ville, qui aurait permis de mieux répondre aux demandes sociales, économiques et environnementales. Pourtant, dans la réalité, l’imbrication du rodoviarisme dans les différents marchés urbains est complexe et nous invite à l’aborder avec subtilité. Dans ce contexte, quelle est l’étendue de son action ? Avant tout, il s’agit de le démystifier, de dépasser une simpliste causalité linéaire entre le rodoviarisme et la structure urbaine pauliste. L’objet de cet ouvrage n’est plus alors d’isoler la « variable rodoviariste » mais de l’étudier dans l’épaisseur politique, économique et sociale de São Paulo ; de parler de ses processus d’agrégations, de synergies et d’interdépendances.


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