Les roues de l'infortune

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Pierrick Baudais et François Macquaire

les roues de l’infortune éalité r a L  : S E N N PSA RE ial c o s plan n u d’ rieur é t n i ’ l e d u c vé

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Les Éditions de Juillet


prĂŠface Par Pascal Pellan

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L

’automobile a traversé le xxe siècle à vive allure, embarquant avec elle, au passage, des décennies d’innovations et de révolutions technologiques. Les nouveaux matériaux en ont fait un véhicule plus sûr, plus léger, plus économe et donc moins polluant ; l’électronique et l’informatique en ont fait une voiture intelligente, les TIC (les technologies de l’information) un véritable espace de communication, Mais l’empreinte de l’automobile dépasse les seuls horizons techniques. Symbole d’une société industrielle conquérante, elle a suscité, à bien des égards, l’émergence de nouvelles puissances économiques régionales et accompagné une politique ambitieuse d’aménagement du territoire. L’implantation de Citroën sur le site de La Janais, en 1960, et la multitude d’entreprises partenaires qui se sont greffées dans son sillage, en sont une extraordinaire démonstration. Et pouvonsnous dire que la Bretagne ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui sans cette filière industrielle automobile, amorcée au plus fort d’une politique très volontariste d’aménagement du territoire et impulsée par le général de Gaulle qui marquera d’ailleurs de son prestige l’inauguration de cette usine. Certes l’Histoire de l’automobile de ces cinquante dernières années ne s’est pas faite sans heurts, sans restructurations ; l’angoisse, le doute mais aussi l’espérance ont jalonné la route de la filière automobile et ces sentiments se sont exacerbés au rythme de la globalisation et de la mondialisation du marché. L’usine de La Janais a été et est toujours au cœur de cette dramatique réalité et le grand mérite du beau travail de Pierrick Baudais et de François Macquaire est d’humaniser, au travers des témoignages émouvants, ces diverses mutations qui n’affectent pas seulement les cours de bourse mais aussi la vie des « gens ». À ce stade, des questions se posent, et elles sont bien posées dans le livre sur ce qu’il aurait fallu faire hier et ce qu’il faudrait faire demain . Je laisse le lecteur découvrir les différents points de vue développés par les auteurs et les experts interrogés, me contentant pour ma part de livrer une grille de lecture des événements actuels. Premièrement, depuis un quart de siècle, l’industrie automobile française, dans son ensemble, a su relever beaucoup de défis technologiques : le défi électronique et informatique, le défi de la sécurité, le défi écologique. À bien des égards, elle a été en avance sur ses concurrents et peut-être même, peuton dire, qu’elle a péché par excès. Dans cette course au progrès, La Janais a fait sa part de travail et il est justice de lui en porter témoignage. 3


De même, il semble nécessaire de dire que le site de La Janais ne s’est pas replié sur lui-même mais a été pour ses fournisseurs de rang 1 et de rang 2 un formidable diffuseur de technologies, de méthodes et d’organisation. Le réseau Performance 2010 a tiré toute la galaxie automobile bretonne vers le haut et vers des exigences de qualité qui ont manifestement facilité la diversification des entreprises soustraitantes vers d’autres marchés. Troisièmement, on ne comprend pas la situation présente si on ne met pas en perspective l’évolution du coût des véhicules au cours de ces dernières décennies. En valeur absolue, une voiture d’aujourd’hui, pourtant mieux équipée, est vendue moins chère qu’une voiture d’il y a 30 ans. D’incomparables réductions de coûts ont été imposées aux constructeurs, mais dans cette bataille des prix et de la compétitivité, force est de reconnaître que l’industrie française a concouru avec des handicaps de coûts particulièrement pénalisants. Cette situation n’a d’ailleurs pas seulement affecté les marques françaises mais l’ensemble des constructeurs historiques et des géants n’ont pas été épargnés par la révolution du marché automobile. Seule l’industrie allemande échappe encore à la règle mais il s’agit là d’une illustration supplémentaire de l’exception germanique. Maintenir une filière automobile forte dans notre pays, maintenir ou à tout le moins freiner les suppressions d’emplois s’inscrit, indépendamment de la notion de taille critique et de rapprochement avec d’autres constructeurs, dans une réflexion globale sur la compétitivité de l’industrie française et à cet égard, le Plan qui vient d’être adopté à la suite du rapport Gallois laisse espérer des retombées positives. Maintenir une filière automobile nécessite aussi de ne pas vouloir faire de cet indispensable objet le bouc émissaire d’un modèle de société et de ses excès. Certes l’automobile n’a peut-être pas été aussi vertueuse qu’il eût fallu ; mais elle a été plus responsable que d’aucuns s’attachent à dire et sans doute plus volontariste que d’autres secteurs. Et ce qui se profile demain, l’optimisation des moteurs thermiques et le développement des systèmes hybrides, la pile à combustible et bien sûr le véhicule électrique peuvent réconcilier la liberté offerte par ce moyen de transport avec les exigences écologiques. L’automobile n’est pas un handicap pour passer d’un ancien modèle économique à une société durable ; elle peut en être un facilitateur, ne serait-ce que pour rendre possible ce besoin de plus en plus fort de proximité. Tout le monde est à peu près d’accord pour dire que nous sommes en train de changer de monde. Mais ce n’est pas parce que c’est la fin d’un monde que c’est la 4


fin du monde. Comme le rappelait récemment Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, « vivre mieux demain est possible mais autrement », et dans cet autrement, il y a l’exigence pour l’automobile de se réinventer. Alors, dans ce contexte, quel avenir pour La Janais ? On serait tenté de dire qu’au regard de tout le chambardement attendu, rien n’est écrit d’avance et qu’il y a toujours une marge de manœuvre dont il faut pouvoir tirer le meilleur parti. Dans une France qui a peur du changement, la stratégie du pessimisme est souvent une tentation forte ; mais on serait tenté de dire que c’est trop facile d’être pessimiste, et en plus il est trop tard. En fait, il faut être courageux, au sens où le philosophe contemporain André Comte-Sponville le définit : « le courage ditil, c’est la lucidité pour tout ce qui ne dépend pas de nous et la volonté pour tout ce qui en dépend. » Oui, il faut être lucide pour savoir que dans ce secteur la compétition est impitoyable et que refuser de s’adapter, c’est signer son arrêt de mort. Oui, il faut être lucide aussi pour reconnaître que les restructurations même les mieux préparées et les plus financées, génèrent des frustrations et des déceptions qui fragilisent les individus, dans leur vie professionnelle et personnelle ; les moins chanceux ou les plus vulnérables en paient même le prix fort ! Oui il faut être volontaire et même audacieux pour donner au génie français et breton les moyens de s’exprimer en fertilisant toutes les initiatives et les savoirfaire qui permettront de réinventer une automobile, réconciliée avec l’idée que l’on se fait d’une société durable. En matière de transition énergétique, la Bretagne est en train de s’affirmer comme un territoire d’expérimentation et l’automobile peut être un moyen de fédérer tout ce potentiel d’initiatives et de recherches. Il faut souhaiter et espérer que La Janais reste la vitrine économique que l’on connaît ; ce serait en effet la preuve la plus éclatante que la Bretagne a bien réussi son entrée dans la Troisième révolution industrielle. Pascal Pellan, ancien directeur de la chambre des métiers et de l’artisanat des Côtes-d’Armor et l’un des fondateurs du Véhipôle à Ploufragan, à la fois pôle de formation automobile et vitrine du futur de l’automobile.

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introduction 7


«I

l faut une excellente tenue de route pour transporter pendant des années un grand homme sans le faire vaciller », entonnaient les publicitaires de la marque aux chevrons, au cours des années 1960. C’est un fait, la voiture des présidents de la République française fut le plus souvent une Citroën. Mais un seul d’entre eux est venu sur le site de La Janais, près de Rennes. Il s’agit du général de Gaulle. Le 10 septembre 1960, le président de la République se rend à bord de sa DS, à Chartres-de-Bretagne, pour visiter le chantier de l’usine Citroën. Mais rien ne se passe comme prévu : au moment où il appuie sur le bouton de mise en marche de la presse d’emboutissage, une coupure de courant se produit. « Cela n’est rien, je pense que cela marchera. Continuons ! », aurait alors relativisé le général. En réalité, tout fonctionne correctement et l’aventure débute réellement le 24 avril 1961 lorsque la première Citroën Ami 6 (une 3CV) sort des chaînes de l’usine. Suivront d’autres véhicules comme la Dyane et la GS. L’année 1976 marque un tournant dans l’histoire de l’usine. Le gouvernement demande à Peugeot de racheter Citroën pour éviter la faillite de son concurrent : PSA Peugeot Citroën voit le jour. Cette union donne naissance à la Visa produite à 560 866 exemplaires à Rennes.

La XM va, elle, marquer le début de la fabrication des véhicules haut de gamme à Rennes. C’est avec cette voiture que François Mitterrand quittera le palais de l’Elysée, en 1995, sous le regard de Jacques Chirac. Les publicitaires exploiteront là encore cet instant avec ce slogan : « Au moment des grands départs, il est bon de savoir que l’on peut compter sur sa voiture ». Au niveau social, la société entre de plein fouet dans les événements de mai 1968 avec un bruit avant-coureur : une gifle à Yannick Frémin ! Ce dernier a défrayé la chronique en 1967. À l’époque, ce secrétaire syndical CGT, à Citroën Rennes, avait demandé un bon de délégation pour participer à une réunion. Son chef avait refusé. Qu’importe ! Le syndicaliste avait tout de même quitté son poste. À son retour, il avait été sanctionné d’un avertissement. Le ton était alors monté au point que son responsable hiérarchique l’avait giflé. Yannick Frémin sera licencié. 8


C’est encore l’époque où la direction de PSA prend les choses en main et crée son propre syndicat : le Syndicat Indépendant des Salariés de Citroën, qui s’affilie à la Confédération française du travail (CFT). Ce groupement a pour objectif de lutter contre l’extrême gauche. À chaque époque, son histoire. Quarante-cinq ans plus tard, la CGT est devenue la première organisation syndicale à La Janais. 12 juillet 2012 : le président du directoire du groupe PSA, Philippe Varin, annonce que le groupe supprimera 8 000 postes et fermera le site d’Aulnay-sous-Bois, en 2014. « Je suis pleinement conscient du caractère douloureux ainsi que du choc et de l’émotion que cette annonce provoque dans l’entreprise et au-delà », déclare-t-il alors. Pour Rennes, ce sera 1 400 postes en moins. Le même homme affirmait à la fin de l’année 2012 : « Nous sommes en bonne voie pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés : réaliser 50 % de nos ventes hors d’Europe en 2015 et deux tiers à l’horizon 2020 ». Entre l’inauguration de l’usine par le général de Gaulle et le plan social 2013 (le troisième en six ans), un demi-siècle s’est écoulé. Une période relativement courte à l’échelle d’un être humain. Mais intensément longue au regard des technologies, de l’économie et des mentalités qui ont évolué. Ces changements ont-ils été trop brutaux ? Notre ancien monde industriel n’at-il pas su s’adapter, anticiper ? Ou est-ce l’argent-roi qui, seul, guide aujourd’hui nos économies ? Quelles que soient les réponses à ces questions d’ordre général, ce sont bien 1 400 femmes et hommes, salariés de PSA Rennes, qui s’apprêtent à quitter l’usine. Dans quelles conditions ? Dans quel contexte ? La crise économique explique-t-elle tout ? D’autres sont partis avant eux, mais que sont-ils devenus ? Cette entreprise qui était le fleuron industriel de la région bretonne, a-t-elle encore un avenir ? Dans ce livre, nous abordons chacune de ces questions et tentons d’apporter des réponses. Mais surtout, nous sommes allés à la rencontre de celles et ceux qui vivent ce plan social. Avec sincérité, ils relatent leurs inquiétudes, leur lassitude, leurs espoirs et leurs envies. Ces « volontaires » au départ, à qui on n’a pas demandé leur avis, le donnent dans cet ouvrage.

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Comment en est-on arrivé là ?

«O

n n’a jamais vu ça ! » Par deux fois, en juillet 2012, les salariés de PSA, à Chartres-de-Bretagne, ont débrayé. Par deux fois, les chaînes de production se sont arrêtées pour des raisons autres qu’un incident technique ou du chômage partiel. Des cadres aux ouvriers, le 26 juillet 2012, plus de 2 000 blouses grises(1) sont rassemblées devant les portiques métalliques pour scander leur inquiétude. On klaxonne, on écoute les leaders syndicaux, on crie des slogans : « Sans nous, pas de bagnoles ! » Ou encore « Un avenir pour La Janais ». « Les gens ont pris conscience que le pire pouvait leur arriver », résume Pierre Contesse de Force ouvrière. Et pourtant, dans cette enceinte automobile, l’événement est rare. Tellement inhabituel que plus personne ne semble se rappeler si de tels mouvements ont déjà eu lieu. Certains parlent de débrayages en 1982. Pour beaucoup, c’est une première. Ce qui est sûr, c’est que l’heure est grave. Le 12 juillet 2012, la direction de PSA a annoncé un nouveau plan de réorganisation. Autrement dit, de vastes suppressions de postes : 8 000 pour l’ensemble du groupe, assorties de deux décisions massues. La fermeture de l’usine d’Aulnay (Seine-SaintDenis) qui emploie 3 000 personnes. Et le dégraissage de l’usine de Rennes (officiellement située sur le territoire de Chartres-de-Bretagne), soit la suppression de 1 400 postes ! Pour les Rennais, le coup est rude… et rapproché. Le précédent plan de départs volontaires avait déjà vu s’en aller un peu plus de 1  750 salariés en 2009-2010. À cette époque, bon nombre s’imaginaient que le plus dur était passé, que c’était le « prix à payer » pour maintenir à flot cette usine vieille de 50 ans. D’autant que débutait alors la production d’un nouveau véhicule, la Peugeot 508. L’espoir fut de courte durée. 11


Effectifs de l'usine de Renn

Source :ferme dossier du comité À la fin de cette réorganisation, PSA La Janais (du nom d’une ancienne où a été construite l’actuelle usine) ne comptera plus que 4 000 salariés. Soit 2005 : 9700 salariés trois fois moins qu’en 2005, année où le constructeur employait un peu plus 2006 : 9231 de 12 000 personnes (intérimaires compris) à Chartres-de-Bretagne. En un peu 2007 : 8489 moins d’une décennie, ce fleuron de l’industrie bretonne aura donc perdu 66 % 2008 : 7677 de ses effectifs. Le chiffre absolu est encore plus vertigineux : 8 000 personnes 2009 : 6907 de moins, en seulement neuf années, c’est-à-dire l’équivalent de la ville de 2010 : 5796 Guingamp, dans les Côtes-d’Armor. Depuis 2006, les effectifs rennais ne 2011 : 5664 cessent de fondre.

Effectifs de l'usine de Rennes (hors intérimaires) Source : dossier duL’usine comité extraordinaire Quelle dégringolade ! fut central longtempsd'entreprise le premier employeur de Bretagne, du 12 juille rang qu’elle a aujourd’hui perdu au profit de France Telecom (Orange). Au début des années 2000, un responsable de Ouest-France résumait cette importance

Effectifs de l’usine de rennes (hors intérimaires) Source dossier du comité central d’entreprise extraordinaire du 12 juillet 2012 Années

5796

5664

6000

6907

7677

8489

8000

9231

9700

10000

2010

2011

Nombre de salariés

4000

2000

0

2005

2006

2007

2008 12

2009


par cette formule : « PSA, c’est un peu comme une ville où viennent travailler 10 000 personnes chaque jour. Et d’ordinaire, lorsqu’une ville compte 10 000 personnes, Ouest-France y installe une rédaction. » Les conséquences de cet effondrement des effectifs ne se limitent évidemment pas à PSA. Les équipementiers et sous-traitants du constructeur automobile trinquent aussi. À commencer par la première usine que Citroën implanta à Rennes, celle de la Barre-Thomas (BT), dans la toute nouvelle zone industrielle de la route de Lorient, en 1953. L’objectif était d’y produire des roulements à billes et des pièces en caoutchouc pour les 2 CV et autres DS. C’est l’une des premières décentralisations d’usine de la région parisienne vers la province. Pourquoi Rennes ? Les ouvriers ruraux bretons sont réputés paisibles et durs à la tâche. Pour cette usine, soixante ans plus tard, ce n’est plus de l’eau qui a coulé sous les ponts, mais un torrent. La Barre-Thomas n’appartient plus à PSA depuis 2000 et en moins de 15 ans, elle a connu trois propriétaires et autant de plans sociaux : l’Italien cf. Gomma, le fonds d’investissement américain Silver Point et récemment Cooper Standard. Des roulements à billes, elle n’en fabrique plus depuis belle lurette. Elle s’est adaptée et produit des joints d’étanchéité, des pièces anti-vibratoires pour les carrosseries et des tuyaux en caoutchouc pour la circulation des fluides (cette dernière production échouera finalement dans l’usine polonaise rachetée par la Barre-Thomas, au temps des dirigeants italiens). Mais la BT a un handicap congénital : son principal client est resté PSA à plus de 80 %. Alors qu’en 2001, ce site historique de Citroën, à Rennes, employait encore 3 000 personnes, il n’en comptait plus que 1 000 en 2012. Et bientôt 450… L’usine va déménager. La direction de Cooper prévoit en effet de réunir ses sites de Rennes et Vitré en un même lieu, à mi-chemin entre les deux : à Domagné. D’autres équipementiers et sous-traitants ont perdu beaucoup d’effectifs. Dans un rapport sur la filière automobile en Bretagne, publié en septembre  2012, la Banque de France rappelait que les usines de la Barre-Thomas et de La Janais comptaient 14 000 emplois, en 1978, qui eux-mêmes permettaient de faire vivre, directement ou indirectement, près de 100 000 personnes dans la région. Trente-deux ans plus tard, en 2010, la filière automobile en Bretagne ne représente plus « que »… 20 750 emplois. Conclusion des experts de la Banque de France : « Un constat s’impose si l’on regarde le poids des effectifs de la filière automobile Bretagne (13,1 % des 13


effectifs industriels de la Bretagne) en comparaison avec celui des industries alimentaires (environ 40 % des effectifs industriels bretons) : c’est une filière importante mais non prédominante dans le paysage industriel régional. » Citroën, le phare industriel breton, est devenu une filière de second rang. Inimaginable il y a encore peu. Aujourd’hui, la « ville » PSA vit à l’heure de l’exode. Comment en est-on arrivé à ce qui ressemble de plus en plus à une désertification industrielle, avec des salariés Peugeot-Citroën obligés de quitter l’usine pour trouver du travail ailleurs ? Le contexte économique fournit quelques explications. Mais pas toutes. Des décisions propres au groupe PSA expliquent aussi la situation actuelle du site de La Janais.

Un marché automobile européen saturé C’est la faute à la crise, entend-on, si Renault vend moins de voitures tout comme PSA. Et si les constructeurs automobiles européens tournent au ralenti… Bref, comme aurait pu le dire l’humoriste Fernand Raynaud : l’automobile, ça eût payé. Mais ça ne paie plus ! Paradoxe de la situation actuelle, il ne s’est jamais vendu autant de voitures à travers le monde. « Le marché automobile mondial croît quasiment sans interruption depuis plus de 15 ans », indique Emmanuel Sartorius, dans son rapport remis au gouvernement en septembre 2012. Même le contrecoup lié à la crise financière mondiale de 2008 a été rattrapé. Mieux encore, cette croissance devrait se poursuivre. Toujours en septembre 2012, le cabinet d’expertise Pwc estimait que la production mondiale de véhicules continuerait de progresser de 5,6 %, en moyenne, par an, jusqu’en 2018. Cette année-là, 108 millions de voitures pourraient être produites dans le monde, contre un peu moins de 75 millions en 2011. Avec des taux un peu inférieurs, Laurent Burelle, le président de Plastic Omnium, un sous-traitant, a confirmé plus récemment cette tendance. « Le marché automobile mondial va croître de 20 % dans les cinq prochaines années, passant de 80 à 96 millions de véhicules. La croissance moyenne sera donc de 4 % à 5 % par an. » Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si cette évolution concernait aussi l’Europe. Or, l’essentiel de cette progression est dû aux pays émergents, et notamment à la Chine. Et pour cause, c’est là-bas que 14


les voyants sont au vert. Le pouvoir d’achat d’une partie de la population augmente et toutes les familles sont encore loin de posséder une voiture. Les familles chinoises - et plus encore les indiennes - sont nettement moins équipées en voitures que les européennes ou les nord-américaines. Indépendamment des questions environnementales, les perspectives de progression en Asie sont évidemment alléchantes pour les constructeurs . Malheureusement, en Europe, le moteur ne ronronne plus autant. Il aurait même besoin d’une sérieuse révision. Alors qu’en 2012 la production mondiale de voitures particulières ne cessait de progresser (+50 % en Chine entre 2009 et 2012), en Europe, durant ce même laps de temps, la production a légèrement diminué. Ce recul est encore plus net dans les pays du sud de l’Europe : Espagne, Italie, Grèce, Portugal… Première difficulté, relève Emmanuel Sartorius, « le marché automobile mondial est désormais organisé en grandes zones qui tendent à l’autosuffisance : Europe, Asie, Amérique du Nord, Amérique latine ».

35 30 25

35,1

40

Millions de véhicules

Production mondiale par ZONE

20

0

6,9

13,5 8,3

11,3

14,7

11,9

7,7

8,8

7,5

5

10,4

10

13

15

1980 1990 2000 2012 Europe occidentale (France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Espagne…) Alena dont Canada, États-Unis et Mexique Asie-Océanie dont Chine, Corée du Sud, Inde, Japon

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Années


Autrement dit, les usines européennes ne doivent pas s’attendre à profiter de la croissance asiatique, si ce n’est à la marge. Mais les constructeurs de l’Union européenne peuvent-ils se contenter des ventes réalisées au sein de l’UE ? Les spécialistes qualifient le marché européen de « mature ». Les ménages sont déjà bien équipés en automobiles : 473 voitures pour mille habitants, une donnée stable depuis 2004. En France, un peu plus de 83 % des ménages disposaient d’une voiture en 2010, selon le Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA). Le marché européen, contrairement à ce qui se passe en Chine, est donc essentiellement un marché de renouvellement. Or, non seulement le « gâteau » se rétrécit, mais en plus, il faut couper de plus en plus de parts. Le traité de libre-échange conclu entre l’Union européenne et la Corée du Sud, entré en vigueur en juillet 2011, prévoit de faire disparaître la taxe de 10 % imposée par l’Europe sur les automobiles importées de Corée. Alors certes, les produits européens vendus dans ce pays d’Asie, seront également moins taxés. Mais la conséquence de cet accord est que les voitures des constructeurs coréens Hyundai et Kia deviennent plus attractives.

Production mondiale par constructeur Source CCFA Comité des constructeurs français d'automobiles (données 2010) Volkswagen

Hyundai-Kia

%

%

,9

Ford

7,5

10

9,5 %

General Motors

Toyota

%

6,5

11 %

Nissan

5,1 % 4,6 %

PSA

3,5

3,

1

%

Renault

38, 3

%

%

Fiat

Autres constructeurs

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Autre mauvaise nouvelle pour les constructeurs : en France, on roule de moins en moins et on renouvelle de moins en moins son véhicule. Selon le rapport Sartorius, la distance annuelle parcourue par un véhicule est passée de 14 000 km, en moyenne, en 2000, à 12 000 km en 2010. La durée de détention d’un véhicule, elle, augmente de deux mois tous les ans. Actuellement, la moitié du parc automobile a plus de dix ans. C’est d’une logique implacable : si les voitures roulent moins, elles s’usent moins… Enfin, difficulté supplémentaire pour l’Europe, sa démographie : sa population croît faiblement et vieillit de plus en plus. « La croissance de la population européenne dépendra pour une large part des migrations car, dans la plupart des pays, le maintien d’un équilibre entre naissances et décès demanderait une augmentation très importante de la fécondité. Si l’Europe se ferme aux migrations, sa population diminuera ». En termes de consommation, notamment, le constat n’incite guère à l’optimisme. Face à cette conjoncture, les constructeurs les plus pénalisés sont les généralistes : Fiat, Ford Europe, Opel, Renault et donc PSA. Ces constructeurs sont « pris en tenaille entre la concurrence allemande qui aborde les marchés par le haut de gamme, et la concurrence des PECO (pays d’Europe centrale et orientale), ainsi que de la Turquie, positionnés sur les petits modèles d’entrée de gamme », résume l’Association des collectivités sites d’industries automobiles (ACSIA). Les voitures se vendant moins en Europe, notamment en Europe de l’Ouest, les usines du Vieux Continent se retrouvent sous-utilisées. Pour être rentable, on considère qu’une usine doit produire au moins 75 % de sa capacité maximale. Or, selon une étude du cabinet AlixPartners, parue en juin 2013, près des deux tiers des usines européennes tournent en dessous de ce seuil. En France, en moyenne, il est de 63 % (similaire à la Russie, à l’Espagne et à la Turquie). C’est mieux en Allemagne et au Royaume-Uni (78 % chacun). C’est pire en Italie (46 %). La France, qui était le quatrième producteur automobile mondial, en 2000 (3,3 millions de véhicules assemblés), a chuté au onzième rang (1,9 million en 2012).

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Le groupe PSA obligé de rétrograder Ces dernières années, pour PSA, tout se passe comme si le groupe était embourbé dans le marché automobile européen. C’est son aire de jeu principale. Le constructeur y réalise la majorité de ses ventes. En 2012, 62 % des modèles produits par Peugeot-Citroën étaient commercialisés en Europe (Russie comprise) : près de 10 % en Amérique latine, à peine 12 % en Asie. À titre de comparaison, pour le groupe Volkswagen (données 2011), le vieux continent ne représente que 48 % des ventes et l’Asie… 32 %. La moitié des ventes perdues par PSA cette année-là est imputable à seulement trois pays européens : la France, l’Espagne et l’Italie. Dans ce contexte, nous l’avons vu, les usines européennes du groupe sont sousutilisées. Et ce, d’autant plus que le constructeur français produit des modèles très exposés à la concurrence. 70 % de sa production concernent des véhicules des segments B et C. Les constructeurs ont en effet pris l’habitude de cataloguer les véhicules par segment : A (mini-citadines), B (citadines polyvalentes : 208, C3), C (les compactes : 308, Renault Mégane 2), D (automobiles familiales : 508, C5), H1 et H2 (grandes routières et berlines de luxe). Sans oublier, en plus, la gamme des 4X4, crossover et SUV. Sur le segment B, le plus concurrentiel, PSA possède cinq usines en Europe : Aulnay, Mulhouse, Poissy, Madrid (Espagne) et Trnava (Slovaquie). Auparavant, elle en possédait davantage encore. Mais en 2006, le groupe décida de fermer l’usine britannique de Ryton et de supprimer une chaîne de production à Aulnay. Sur des segments identiques, Opel possède, lui, huit usines en Europe : trois en Allemagne, une en Pologne, une en Russie, une en Espagne et deux au Royaume-Uni. Bref, les places sont chères. D’où la conclusion du rapport Sartorius : « PSA, positionné sur des produits à faible marge, ne trouvera donc pas son salut dans une augmentation rapide du volume de ses ventes, sauf à regagner des parts de marché sur ses concurrents. » En attendant cet hypothétique rebond européen, la marque au lion, on le sait, a choisi de fermer l’usine d’Aulnay. Cela aurait pu être une autre. Celle de Madrid (Villaverde précisément) fut un temps dans le collimateur. Elle emploie 2 700 personnes et assemble principalement des 207. La direction de PSA a étudié ce scénario (avec d’autres). Mais pour elle, il est désormais trop 18


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tard pour envisager sérieusement de fermer le site espagnol. Il y a quelques années, le constructeur a en effet attribué à cette usine la production de son futur modèle, connu sous le nom de E3 (E cube). Il s’agira d’une voiture Citroën, du segment C, à un prix attractif. Elle devrait être commercialisée en 2014. À Citroën, on refuse de parler de véhicule low-cost. Frédéric Banzet, le directeur général de la marque, préfère évoquer une « voiture plus simple avec un design moderne et attractif », confie-t-il au site Auto-Addict. Pour PSA, il n’est donc pas question de faire marche arrière. La fermeture du site madrilène induirait « des coûts complémentaires importants », note le rapport Secafi, en 2012, réalisé pour le compte du comité central d’entreprise. Un retard d’au moins six mois de la commercialisation de E3 engendrerait une perte de 74 millions d’euros. Le groupe perdrait par ailleurs 23 millions d’aides espagnoles déjà versées. Enfin, les investissements qu’il faudrait alors mener à Aulnay seraient conséquents, alors qu’ils ont déjà été réalisés à Madrid. Pour autant, Emmanuel Sartorius semble amer : « On peut regretter qu’avant d’engager ces investissements à Madrid, PSA n’ait pas mené, sur l’avenir de ses sites industriels, une réflexion d’ensemble qui laisserait aujourd’hui davantage d’options… » Pour sortir le groupe du marasme européen, le PDG Philippe Varin mise sur l’international : principalement dans trois zones, la Chine, la Russie et l’Amérique latine. Et cette stratégie commence à porter ses fruits. En 2012, le groupe PSA a vendu 442 000 véhicules dans l’empire du Milieu, soit 9,2 % de plus qu’en 2011. Cette tendance s’est confirmée au début de l’année 2013 puisque le constructeur français y a écoulé 227 000 véhicules lors des six premiers mois, c’est-à-dire 33 % de plus qu’au cours du premier semestre 2012. En Amérique latine, les premiers résultats de 2013 s’annoncent prometteurs (+ 20 % de ventes de janvier à juin), après une année 2012, il est vrai, en retrait. Seul le marché russe affiche un recul de 20 % des ventes. Pour parvenir à ces résultats, PSA a multiplié les partenariats, notamment en Chine que le groupe affiche comme « l’une des zones prioritaires de développement ». Il a tout d’abord conclu une joint-venture (une coentreprise) avec le groupe chinois Dongfeng. Ensemble, ils possèdent trois usines de production en Chine. Le deuxième partenariat, plus récent, a été signé avec le constructeur chinois Chang’An. Deux autres usines de production y sont prévues. 20


Quant à l’Amérique latine, Peugeot-Citroën a programmé d’investir 240 millions d’euros par an, d’ici à 2015, dans son usine de Porto Real (Brésil) afin d’y doubler la capacité de production (95 700 véhicules produits en 2012 : 207, C3, C3 Picasso…) Avec ses nouvelles usines, le groupe français espère donc vendre toujours plus de voitures à l’étranger. En 2009, 32 % de ses véhicules étaient vendus en dehors de l’Europe. Cette part a été de 38 % en 2012. L’objectif annoncé est d’atteindre la moitié des ventes en dehors de l’Europe en 2015. Sur le papier, et de manière globale, la marque au lion pourrait donc reprendre du poil de la bête. Et ainsi faire oublier ses récents mauvais résultats : un résultat négatif de 1,5 milliard d’euros en 2012 et un chiffre d’affaires en baisse de 10 %. Deux bémols à ces perspectives encourageantes: premièrement, selon le rapport Sartorius, les positions du groupe PSA en Chine et en Amérique latine « sont encore trop faibles pour en escompter rapidement des résultats qui compenseraient durablement ses pertes en Europe ». Il y a encore moins de dix ans, le constructeur français s’était très peu développé dans les pays émergents. Un paradoxe, selon Emmanuel Sartorius, car Peugeot et Citroën « avaient posé un pied très tôt en Amérique latine et en Chine ». 21


Peugeot a commencé à assembler des véhicules au Brésil dès 1963 et le groupe PSA a fait ses premiers pas en Chine dès 1985, « mais sans y mettre vraiment les moyens […] Avec le recul, la direction de PSA semble avoir manqué d’ambition dans l’internationalisation du groupe », note l’ingénieur. Au cours de son histoire, le constructeur français a toujours été soucieux d’un objectif : préserver son indépendance et faire en sorte que la famille Peugeot demeure l’actionnaire majoritaire. Le rapport Sartorius rappelle ainsi que de 1999 à 2001, PSA a consacré d’importantes sommes à racheter des actions. Et ce, afin que les actionnaires historiques puissent remonter au capital du groupe. En un peu plus d’une décennie, le constructeur aura ainsi dépensé 3,082 milliards d’euros à de telles opérations « plutôt qu’au développement du groupe ». Durant cette même décennie, PSA a distribué 2,87 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires. Soit un total de près de six milliards d’euros consacrés au rachat d’actions et à la distribution de dividendes. Une partie de cette somme, au moins, n’aurait-elle pas été plus profitable au constructeur si elle avait été investie dans ses outils industriels ?

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Lors de la remise du rapport au gouvernement, en septembre 2012, la famille Peugeot – on s’en doute – n’avait guère apprécié que l’expert gouvernemental la stigmatise sur ce point. PSA avait alors dû rappeler qu’entre 1999 et 2011, il avait aussi investi 40 milliards d’euros dans ses usines, « dont les deux tiers en France ». Autre interrogation de l’expert : en voulant rester indépendant à tout prix et en s’opposant à des alliances plus larges avec d’autres constructeurs, PSA ne s’est-il pas coupé l’herbe sous le pied ? Jusqu’alors, le groupe a toujours préféré opter pour des partenariats très ciblés, sur des projets précis : des moteurs diesel avec Ford, des moteurs essence avec BMW, des véhicules utilitaires légers avec Fiat… Mais pour le rapport Sartorius, dans une industrie où les économies d’échelle comptent énormément, cette « politique d’alliances s’essouffle. PSA n’est plus que le huitième constructeur mondial (le quatrième en 1978) ». Deuxième bémol : la croissance espérée du groupe PSA en Amérique latine et en Chine, peut-elle vraiment profiter à ses usines françaises (et donc à ses  salariés) ? En partie seulement. Selon le rapport annuel des Douanes, en 2012, les exportations d’automobiles françaises ne sont pas au mieux : elles ont diminué de 5 %. Et cette tendance ne risque pas de s’inverser puisque, comme on l’a vu précédemment, PSA augmente ses capacités de production en Chine et au Brésil. À la fois pour produire à moindre coût, mais aussi pour mieux s’adapter aux spécificités de ces marchés. Peugeot assemble ainsi en Chine des 207 ou 308 tricorps (des berlines trois volumes) qu’on ne retrouve pas en France. L’industrie automobile telle qu’elle s’est développée au XXe siècle s’essouffle en Europe et retrouve de la vigueur dans les pays émergents. Mais pour combien de temps ? Comment produire plus pour les consommateurs chinois tout en préservant les usines (et donc les emplois) en France ? Quels modèles inventer pour les automobilistes de demain ? Faute de trouver rapidement des réponses, les salariés du secteur automobile risquent fort de continuer à en faire les frais…

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Visite guidée de l’usine Imaginez la superficie du site  : 240 hectares. Plus de 300 terrains de football. C’est plus vaste que la principauté de Monaco où, il est vrai, circulent bien d’autres véhicules que des Peugeot et Citroën. Et sur cette étendue, plus grande qu’un rocher, pas moins de 520 000 m2 d’ateliers ont été construits, soit l’équivalent de 68 terrains de foot. Pour le dire autrement, la première fois que vous pénétrez à l’intérieur de cette ville-usine, vous êtes un peu désorienté… Pour mettre une voiture sur roues, quatre étapes principales se distinguent : l’emboutissage, le ferrage, la peinture et le montage. L’emboutissage, c’est la première étape. Peut-être la plus impressionnante lorsqu’apparaissent ces immenses bobines de tôle et d’aluminium dans lesquelles vont être découpées toutes les pièces métalliques nécessaires à la constitution du châssis et de la carrosserie. Difficile d’imaginer que ces feuilles de métal, vingt-quatre heures plus tard,

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vont être transformées en voiture ultra-sophistiquée. Une fois découpée, la tôle (cette pièce s’appelle alors un flan) est emboutie : elle est déformée à souhait sous l’action de plusieurs presses successives. C’est là qu’apparaissent les portières, le plancher, les ailes… Le ferrage : cet atelier a presque été totalement automatisé au moment de la sortie de la XM. Les 4 000 à 5 000 points de soudure nécessaires à chaque véhicule sont réalisés par des robots à 98 %. Le ballet de ces machines, soulevant comme bon leur semble, avec une précision millimétrée, des pièces de plusieurs dizaines de kilos, rappelle l’une des attractions du Futuroscope, animée par la musique de Martin Solveig. Mais, à La Janais, point de sons électroniques. Le bruit n’incite pas à danser et certaines pinces à souder peuvent peser jusqu’à 30 kg. Les pièces en tôle sont assemblées pour constituer la « caisse en blanc », prête à être peinte.


La peinture : dans cet atelier, la propreté est une obsession. La température et l’hygrométrie du lieu sont sans cesse contrôlées pour garantir au véhicule un aspect irréprochable. La caisse reçoit d’abord une couche anticorrosion. Des cordons de mastic sont ensuite déposés afin d’assurer l’étanchéité. Puis le véhicule est recouvert d’une couche d’apprêt destinée à lutter contre le gravillonnage, avant que ne soit déposée la couche de laque qui donne à la voiture sa couleur définitive. Une voiture passe le tiers de son temps de fabrication dans l’atelier peinture, soit environ huit heures. Le montage : c’est là que sont assemblés les carrosseries, les moteurs et les pièces d’habillage. La chaîne est découpée en plusieurs zones. Quelques-unes sont automatisées (l’assemblage du moteur et des essieux : le coiffage), beaucoup sont encore manuelles. En bout de ligne, la voiture roule pour la première fois. Des contrôles

sont alors effectués sur des bancs de roulage et sur piste. Des bobines de métal aux premiers tours de roue, la fabrication aura duré 24 heures. Au début des années 1960, pour produire une AMI 6, il fallait 36 heures… Et demain ? Les futurs modèles assemblés à Rennes le seront sur une plate-forme plus compacte, nécessitant moins de pièces. Le process de peinture devrait aussi permettre de supprimer la couche d’apprêt. Au final, l’objectif visé par les dirigeants de PSA est qu’une voiture puisse être fabriquée à Rennes dans le temps « record » de… 18 heures. À ce rythme-là, on finira par commander sa voiture le matin sur Internet, pour venir la chercher le soir, en sortant du boulot…

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L’usine de Rennes a-t-elle visé trop haut ? Enfin, si La Janais se retrouve aussi mal en point, c’est aussi en raison de sa spécificité : elle est l’usine du groupe en Europe dédiée aux véhicules de la gamme supérieure et du haut de gamme. Cette spécialisation est relativement récente ; elle ne date que du début des années 2000. C’est Jean-Martin Folz, alors PDG de PSA, qui lance cette nouvelle politique industrielle. Désormais, chaque usine produit des véhicules qui sont issus d’une même plate-forme (un même soubassement). Pour Rennes, le lancement de cette nouvelle stratégie démarre avec la Citroën C5. L’objectif est de gagner en productivité et de réaliser des économies. « Nous souhaitons que les voitures Peugeot et Citroën soient construites sur des éléments communs, qui permettent à deux véhicules de partager la même plate-forme lorsqu’ils ont au moins 60 % de leurs coûts de production en commun », déclare JeanMartin Folz, en janvier 2001, à Ouest-France. Le PDG de PSA est confiant : « Les constructeurs considèrent qu’une usine tourne à 100 % de sa capacité quand elle fonctionne 16 heures par jour et 235 jours par an. Le site de Rennes en était très loin, à 65 % en 2000. Avec la C5, cela va changer », assure-t-il. À l’époque déjà, le changement, c’était maintenant. Un optimisme de courte durée, comme le montrera la suite des évènements… Dans le magazine Place publique, en janvier 2010, l’ancien ingénieur qualité de PSA, Louis Mercier, rappelait que la décision de spécialiser Rennes dans le haut de gamme avait été prise en fonction de deux critères. Le premier : « Notre situation excentrée en Europe ne nous permet pas de faire du moyen ou du bas de gamme eu égard aux coûts logistiques. » Autrement dit, les coûts de transport notamment étaient trop importants pour se consacrer uniquement aux petits modèles qui génèrent moins de marge financière. Deuxième critère : la bonne réputation dont a toujours joui La Janais. En 1998, un sondage interne demandé par Jean-Martin Folz, sur la performance des usines du groupe, « fait ressortir que l’usine de Rennes est celle où la culture qualité des opérateurs est de loin la plus élevée ». Dès le début des années 1980, les responsables de La Janais et de la BarreThomas s’intéressent aux méthodes de production des usines japonaises 26


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réputées pour n’avoir « ni contrôle ni rebut ». En 1981, quatorze ingénieurs de La Janais sont envoyés en observation dans les usines japonaises. Des groupes de qualité sont mis en place à Rennes. Rien ne doit être laissé au hasard pour satisfaire le client, y compris (et peut-être surtout) le client japonais. Louis Mercier rapporte une anecdote qui illustre bien cette exigence. En juillet 1989, il est envoyé au Japon pour superviser la qualité des véhicules PSA qui partaient au pays du Soleil-Levant. « En arrivant à Hiroshima, siège de notre importateur Mazda, les Japonais m’ont montré que les marquages obligatoires sur les véhicules (numéros de châssis, de moteur…) n’étaient pas lisibles, voire erronés. Dans nos usines, ces points nous paraissaient peu importants. Mais quand vous exportez, vous savez que c’est primordial », prend vite conscience l’ingénieur. À cette même période, un couac majeur va également faire prendre conscience aux dirigeants rennais qu’on ne badine pas avec la qualité. C’est le lancement manqué de la XM en 1989, une Citroën produite à Chartres-de-Bretagne. Les premiers modèles de cette remplaçante de la CX, pourtant élue voiture de l’année 1990, présentent des défauts de connectique. Les nombreuses pannes électriques se répandent comme une traînée de poudre parmi les automobilistes. Un ancien agent Citroën de l’agglomération rennaise se souvient du jour où le constructeur a présenté la XM aux concessionnaires et agents de la marque aux chevrons. « C’était à Lyon. Un certain nombre d’entre nous sommes repartis avec une XM. Malheureusement, plusieurs collègues sont restés en rade sur la route. Leur voiture neuve était tombée en panne. Moi, j’ai eu de la chance. Elle a bien roulé », raconte-t-il. Mais la mauvaise réputation était en marche… Ces problèmes seront réglés par la suite. Pour de nombreux concessionnaires, en 1994, la XM est devenue une voiture très fiable. Seulement voilà, ses débuts désastreux vont lui coller aux pneus et les ventes, elles, ne décolleront jamais. « Le lancement de la XM est venu nous montrer que l’enjeu était monté de plusieurs crans et qu’il nous fallait encore progresser », convient Louis Mercier dans la revue Place publique. Ce manque de qualité, c’est aussi, selon Gérard Glévarec, consultant automobile indépendant, l’une des explications à l’échec des constructeurs français dans le haut de gamme. « Du milieu des années 1990 à 2008, leurs discours consistaient à dire que le haut de gamme serait toujours produit en France. 28


Que le savoir-faire et la haute technologie ne seraient pas délocalisés. La vérité est que ces voitures françaises ont connu un creux de qualité qui a duré dix ans. Elles étaient souvent en panne. Or, les clients qui achetaient les grandes routières de Renault ou de PSA sont partis voir ailleurs, notamment du côté des marques allemandes. Et ils ne sont pas revenus. » L’ancien agent Citroën du pays de Rennes tempère toutefois cette analyse. Il y eut quelques réussites aussi : la Citroën Xantia, alors qu’au moment de son lancement la presse n’avait pourtant d’yeux que pour la Ford Mondeo ; plus récemment la 407, la C5. « Et puis ceux qui achètent une Mercedes ou une BMW, par snobisme ou je ne sais quoi, n’iront pas crier sur les toits qu’ils ont eu une panne avec… » Avec les modèles actuels, Gérard Glévarec tempère son propos, notamment

densité automobile par pays (comparaisons internationales) Sources CCFA Nombre de voitures et de véhicules utilitaires pour 1 000 habitants au 1er janvier Union européenne 27 pays Union européenne 15 pays à partir de 1995

1985

1995

2005

2010

380

473

525 577

552 587

12 nouveaux pays entrants

-

-

333

421

Allemagne

450

529

593

545

Belgique

363

463

531

562

Espagne

276

430

569

610

France

446

520

596

599

Italie

412

541

656

688

Royaume-Uni

379

474

567

570

Suède

400

445

507

525

Pologne

117

229

378

509

Turquie

27

65

111

142

Canada

559

562

584

619

Etats-Unis

708

759

819

814

Corée du sud

25

177

315

359

Japon

375

527

586

592

Argentine

173

167

182

222

Brésil

86

89

121

153

Chine

3

8

21

47

Inde

3

6

13

16

29


vis-à-vis de PSA. « Aujourd’hui, Peugeot et Citroën proposent une large gamme, innovante, fiable. Mais il leur faut rattraper le temps perdu. Et en plus, ils n’ont pas eu de chance. Ces nouveaux modèles sont arrivés avec la crise. » Malgré les ratés, l’usine n’a eu de cesse de vouloir s’améliorer sur ce chapitre, en exigeant la même qualité de ses fournisseurs et sous-traitants. Cette volonté s’est notamment traduite par la création de l’association des industriels de l’automobile, dans l’Ouest : Performance 2010. Avec le soutien du conseil régional, il a également été créé, en 2003, l’institut Maupertuis, un centre de recherche et développement dédié aux nouvelles technologies industrielles; et, en 2005, une plate-forme de soudure par laser : la technologie laser offrant plus de précision et permettant d’augmenter les cadences de soudage, tout en réduisant le volume de matière utilisée. Mais le choix de spécialiser l’usine rennaise dans le haut de gamme, il y a près de quinze ans, ne se révèle-t-il pas un handicap en pleine crise économique ? Les tarifs de la Peugeot 508, qui varient entre 24 000 € et 46 000 €, selon les modèles, n’en font évidemment pas une voiture populaire. Philippe Bonnin, le maire de Chartres-de-Bretagne, ne croit pas à une erreur de stratégie industrielle. Mais il aurait fallu remplir une condition : « Il fallait à tout prix pouvoir charger l’usine rennaise », autrement dit, lui assurer une production suffisante. Soit en parvenant à mieux vendre les modèles haut de gamme PSA, notamment face aux véhicules allemands. Ce que le constructeur n’est pas parvenu à faire. Soit en faisant assembler à La Janais davantage de modèles différents. « Or, le groupe PSA n’a jamais été capable de faire aboutir des partenariats qui auraient pu permettre de charger l’usine », déplore le maire. En dix ans, Peugeot aura vendu moins de 200 000 exemplaires de sa 607. Un volume inférieur à ce que peut produire l’usine rennaise en une seule année. Pour la Citroën C6, ce fut pire : moins de 24 000 exemplaires auront été vendus en sept ans ! En 2010, la petite chaîne d’assemblage réservée à ces beaux véhicules ne produisait déjà plus que deux C6 par jour… « Les tentatives du groupe sur le haut de gamme ont connu des résultats mitigés », conclut sobrement le rapport Sartorius. Aujourd’hui, l’usine n’assemble plus aucune 607 (dont la production s’est arrêtée en septembre 2010) ni aucune C6 (arrêt en décembre 2012). Le groupe n’a pas souhaité remplacer ces deux modèles. L’arrêt de la C6 marqua la fin 30


des limousines françaises. Renault avait déjà stoppé la production de sa Vel Satis à la fin de l’année 2009. Selon le journal La Tribune, il faudra attendre 2015 ou 2016 pour que PSA produise à nouveau une limousine. Ce sera dans la gamme DS (qui comprend déjà les DS3, DS4 et DS5). Mais cette production aurait lieu… en Chine. Quoi qu’il en soit, pour l’usine de La Janais, il ne reste plus que deux modèles à assembler, appartenant à la catégorie de la gamme moyenne supérieure : la Citroën C5 et la Peugeot 508. C’est peu… Si au moins Rennes produisait toutes les C5 du groupe, ce qui n’est pas le cas. L’usine chinoise de Wuhan en produit aussi pour l’Asie. Et sa version DS, la DS5, a été confiée à l’usine de Sochaux. Conséquence : la production de l’usine ne cesse de diminuer 120 668 voitures sont sorties des chaînes de La Janais en 2009, 116 457 en 2010. En 2011, avec le lancement de la Peugeot 508 et l’instauration temporaire d’une équipe de nuit, la production est remontée à 182 240 exemplaires. Elle retomba à 14 1 000 en 2012 et cette année 2013, elle devrait pour la première fois descendre en dessous des 100 000 véhicules. Soit à peine la moitié de la capacité annuelle de l’usine, pourtant ramenée à 200 000 véhicules en 2008. Lorsque l’usine fut créée, elle pouvait produire en théorie jusqu’à 400 000 voitures : un volume qu’elle n’atteindra jamais. Son record date de 2005 avec 340 000 exemplaires. D’où la question qui hante tous les salariés de PSA : que produira à l’avenir l’usine de La Janais ? C’est ce que nous aborderons dans un dernier chapitre.   En référence à la couleur des tenues de travail à PSA

(1)

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les principaux véhicules Produits à la janais Ami 6 et Ami 8. Avec l’Ami 6, Citroën étoffe sa gamme et propose un modèle entre la DS, grande routière, et la populaire 2 CV. C’est une trois chevaux fiscaux (602 cm3) et surtout sa lunette arrière inversée offre aux passagers arrière plus de place, contrairement à la 2 CV. L’Ami 6 fut produite à Rennes de 1961 à 1969. Puis sa remplaçante, l’Ami 8, de 1969 à 1978. Sa version break fut très prisée de la clientèle. 1 541 755 exemplaires de ces deux modèles furent produits à La Janais. La Dyane. Basée sur la 2 CV, elle est destinée à concurrencer la fameuse quatre chevaux de Renault, la 4L. Citroën en produisit 1,4  million d’exemplaires dont un peu plus de 373  000 à Chartres-de-Bretagne. Son nom provient des archives de la société Panhard que Citroën avait rachetée. Panhard avait déposé, à côté des marques «  Dyna  », « Dynavia » et autres « Dynamic », le nom « Dyane ». Il n’y aurait aucune 32

allusion, selon son concepteur, à la déesse romaine de la chasse… La GS et la GSA. Sur le podium de La Janais, elle se classe en deuxième position. Près de deux millions d’exemplaires (1,9 million) ont été produits à Rennes. Ce véhicule en trapèze, doté d’un avant évoquant la DS, fut élu voiture européenne de l’année en 1971. Ses qualités de confort et sa tenue de route ont séduit nombre d’automobilistes. Pourquoi ce nom de GS ? Parce que le G vient après le F… à la fin des années 1960, les ingénieurs de Citroën planchaient sur le projet F. Mais celui-ci, selon le site Passion Citroën, connut bien des déboires et le constructeur finit par abandonner le projet F pour le projet… G. La BX. Cette remplaçante de la GSA fut lancée au salon mondial de l’automobile, à Paris, en octobre 1982. C’est « la » voiture la plus produite à Rennes : 2,07 millions


d’  exemplaires de 1982 à 1994. Citroën la déclina en version sportive et la fit participer au championnat du monde des rallyes pour concurrencer l’Audi quattro. Ses performances ne sont guère restées dans les mémoires. En revanche, la BX peut se vanter d’avoir joué dans un James Bond, Dangereusement vôtre, avec Roger Moore. Dans le rôle du taxi… Pas de l’Aston Martin ! La Xantia. Elle remplaça la BX et fut produite à un peu plus d’un million d’exemplaires (1 080 891) à La Janais, entre 1993 et 2002. À sa sortie, sa ligne plus élégante fut saluée par la presse. Sa version sportive enregistra de nombreux succès  : cinq fois championne de France de rallycross avec le pilote Jean-Luc Pailler.

rennaises. Cette remplaçante de la ZX fut saluée pour son extrême confort. Et son break pour son coffre spacieux. La Peugeot 407. Inoubliable à Rennes. Et pour cause ! Ce fut la première voiture Peugeot à être produite à l’usine Citroën de La Janais. Une mini-révolution en interne… Mais il aura fallu près de 30 ans, après le rachat de Peugeot par Citroën, pour que pareil événement se produise. 862  400 exemplaires furent finalement produits à Rennes. L’usine vit défiler sur ses lignes d’assemblage bien d’autres modèles : les Citroën ZX, AX, quelques Méhari et 2 CV, la C5, C6, la Peugeot 407 coupé…

La Xsara. Elle fut produite de 1997 à 2004 (2006 pour sa version break) à la fois à Rennes et à Madrid. Un peu plus de 920  000 exemplaires sortirent des chaînes d’assemblage 33


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partir ou rester ? Un contexte estival pour une annonce glaçante

L

es vacances et les annonces de plans sociaux font souvent bon ménage. PSA ne dérogera pas à cette règle puisque, le 12 juillet 2012, la direction du Groupe annonce un plan global de 8 000 suppressions de postes en France : la fin de la production, dès 2013, à l’usine d’Aulnay (Seine-Saint-Denis), où travaillent plus de 3 000 salariés ; la suppression de 1 400 postes à Rennes et de 3 600 autres dans les autres établissements du groupe. Par ailleurs, avec le non-remplacement d’un certain nombre de départs en retraite en 2012, 2013 et 2014, ce sont au total un peu plus de 10 000 postes que le constructeur s’apprête à retirer de ses effectifs. Fin 2012, PSA employait un peu plus de 91 000 personnes en France et 202 000 à travers le monde. Le constructeur estime aussi pouvoir reclasser 1 500 personnes dans ses usines, « essentiellement à Poissy ». Le but officiel de ce plan est d’endiguer les pertes financières et d’ajuster les capacités de production à un marché européen en berne.

L’annonce du premier constructeur automobile français provoque un choc. Dès le 17 juillet, les délégués syndicaux de  PSA sont reçus par le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg. Le 25 juillet, plus de 2 000 salariés manifestent à Paris, devant le siège social du groupe, pendant la tenue du comité central d’entreprise (CCE). Le même jour, un expert est nommé au comité central d’entreprise afin de connaître la véritable santé financière de l’entreprise, la stratégie du groupe et les conséquences sociales du plan. Le 11 décembre 2012, le rapport SECAFI est présenté à la direction et au CCE. Les experts du cabinet Secafi reprochent à PSA de ne « pas avoir pris la mesure des moyens nécessaires à la diversification géographique et à l’adaptation 35


aux comportements de consommation ». Toujours selon ce rapport, ce plan ferait « l’impasse sur des questions de portée stratégique, sur la réflexion sur les marques et leur positionnement et sur l’approfondissement de l’alliance avec GM. » À Aulnay, les syndicats SUD et CGT saisissent la juridiction civile afin de faire annuler le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) pour « insuffisances ». Mais ils sont déboutés par le tribunal de grande instance de Paris. Le 16 janvier 2013, le syndicat CGT met en place une grève afin de contester la fermeture de l’usine d’Aulnay. Les grévistes « se battent comme des lions » (cette mention figure sur leur badge) et décident finalement de cesser la grève le 14 mai 2013, au bout de quatre mois de lutte. Le conflit, très tendu entre grévistes et non grévistes, s’est soldé par un accord octroyant une somme de 19 700 € à chaque gréviste. Cette solution amiable bénéficiera à près de 200 personnes. Selon la direction, « cet accord prévoit notamment la reprise du travail pour tous (et) la levée par la CGT et par les salariés concernés de toute contestation sociale. À cet égard, la CGT renonce à la procédure d’appel engagée contre le plan de restructuration du groupe ». Ce que fait la CGT le 17 mai. Le 19 août, le syndicat majoritaire SIA réclame en justice que cette prime soit généralisée à tous les salariés, y compris les non grévistes. PSA y avait consenti, à condition que ces derniers présentent une promesse d’embauche ou la preuve d’une création d’entreprise. Cette condition n’avait pas été posée pour les grévistes. Le juge des référés rejettera la demande un mois plus tard. Le 18 mars 2013, l’ensemble des syndicats valide le PSE à l’exception de la CGT. Cette dernière avait, dès le mois de décembre 2012 fait une contreproposition, appelée le « plan B ». Le plan B de la CGT est une « contre-indication au plan Varin ». Il est axé sur trois volets. Financier : un apport de capital de 1,5 milliard d’euros de la famille Peugeot et de ses sociétés financières FFP et Peugeot Frères. Industriel : la CGT a demandé à SECAFI l’étude d’un scénario permettant la répartition des productions entre les sites. Social : moins de suppressions de postes, la création de nouveaux emplois sur les sites impactés, mais aussi sécuriser les transitions professionnelles et les fins de carrières.

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à Rennes : des indemnités alléchantes pour motiver les départs Dans cette situation de crise, à PSA, ce ne sont pas les accords qui manquent. Un accord pour « permettre aux salariés de réaliser un projet professionnel ou personnel » est conclu en novembre 2012. Il concerne principalement les salariés d’Aulnay-sous-Bois. Et un accord sur les dispositifs d’accompagnement complétant le PREC (plan de départs volontaires) et le PSE (plan de sauvegarde de l’emploi) est signé en février 2013. Seuls les spécialistes parviennent vraiment à s’y retrouver. À Rennes, le plan social prévoit la suppression 1 400 postes d’ici à la fin de l’année 2014, soit un poste sur quatre. Il est prévu de privilégier les départs volontaires. Les employés auront le choix entre plusieurs options : être muté dans une autre usine du groupe, ce qu’on appelle la mobilité interne (400 personnes) ; intégrer une des sociétés qui viendra s’implanter sur le site de La Janais dans le cadre de la réindustrialisation de l’usine (400) ou quitter définitivement PSA en ayant trouvé un autre employeur ou en ayant créé son entreprise, la mobilité externe (600). En revanche, si à la date du 31 décembre 2013, il n’est pas trouvé 1 400 salariés motivés par un départ, PSA procédera à des licenciements économiques. Quelques mois plus tôt, Philippe Varin, le président du directoire de PSA, s’était pourtant voulu rassurant, affirmant qu’il n’y aurait pas de « licenciements secs » et que personne ne serait « laissé au bord du chemin ». Si le terme licenciement sec ne correspond à aucune réalité juridique, il désigne habituellement ces licenciés partant sans indemnités supra-légales, c’est-à-dire sans un dédommagement qui s’ajoute aux indemnités légales ou conventionnelles. Mais l’expression, utilisée à escient par la direction, marque les esprits. En somme, mieux vaudrait un bon départ volontaire qu’un mauvais licenciement sec… L’accord comprend huit chapitres : Chapitre I : Calendrier prévisionnel des mesures de réduction des effectifs Chapitre II : Populations concernées par le PSE Chapitre III : Renforcement du rôle du Pôle de mobilité professionnelle Chapitre IV : Accompagnement de la mobilité interne en période de volontariat et en période de licenciement contraint 37


Chapitre V : Amélioration des dispositions relatives à la formation Chapitre VI : Amélioration des dispositifs d’accompagnement prévus par le projet de PSE Chapitre VII : Dispositifs complémentaires d’accompagnement vers l’emploi dans le cadre de reclassement externe pendant la phase de volontariat Chapitre VIII : Dispositions finales La plupart des salariés n’ont sans doute jamais eu connaissance de ce texte. Le seul et unique document qui leur est remis s’intitule « pôle mobilité professionnelle : dispositifs d’accompagnement des mobilités internes et externes ». Ce livret de huit pages fournit des exemples de départs, permettant aux salariés de se projeter dans le cadre d’une mutation, d’une création ou d’une reprise d’entreprise, ou d’un congé de reclassement. Au salarié de faire son « choix ». Quelques exemples. Un salarié vivant en couple avec deux enfants et acceptant d’être muté à Poissy, percevra une prime de mobilité (26 822 €), une prime d’installation (équivalent à trois mois de salaire et 1 863 € par enfant), une prime d’incitation (un mois de salaire) en cas de départ pendant la phase de volontariat. Et aura droit à différentes prestations : prise en charge du déménagement, des aides à la recherche d’emploi pour le conjoint… Le salarié trouvant un autre CDI ou un CDD d’au moins six mois, dans le bassin d’emploi rennais, perçoit une indemnité de départ qui peut varier de 39 200 € (10 ans d’ancienneté et un salaire brut mensuel de 1 800 €) à 63 500 € (20 ans d’ancienneté, salaire mensuel brut de 2 600 €). Le salarié créant ou reprenant une entreprise, peut bénéficier d’une formation liée à son projet et des conseils d’un cabinet spécialisé. Il recevra en outre une indemnité de départ de 45 000 € (15 ans d’ancienneté et un salaire mensuel brut de 1 900€) ou de près de 73 000 € (25 ans d’ancienneté, un salaire mensuel brut de 2 700 €). Mais une autre mesure intéresse nombre de salariés proches de la retraite : le congé senior. Celui-ci concerne les personnes qui percevront une retraite à taux plein dans un délai de 30 ou 36 mois (pour ceux pouvant justifier de 17 années de travail en équipe ou étant reconnu travailleur handicapé). La moyenne d’âge du personnel étant élevée à PSA, « plus de 500 personnes souhaiteraient partir ainsi », selon Force ouvrière. Durant ce congé senior, le « pré-retraité » perçoit 65 % de salaire brut (environ 38


80 % du salaire net), ainsi qu’une indemnité de départ : 10 800 € (ancienneté de 10 ans et un salaire mensuel brut de 2 000€) ; 52 600 € (ancienneté de 40 ans, salaire mensuel brut de 2 700 €). Autre avantage pour le salarié : durant la période du congé senior, les trimestres sont validés en vue de la retraite. Avantage également pour le gouvernement : « Durant cette période, ces personnes restent officiellement salariées de PSA. Elles ne vont donc pas gonfler les statistiques de Pôle emploi », observe un proche du dossier. Énumérées ainsi, les indemnités octroyées par PSA peuvent paraître conséquentes. Et il est vrai qu’en comparant avec d’autres plans sociaux, le constructeur automobile se montre relativement « généreux ». En ne mentionnant que ces seules sommes, on pourrait considérer que les salariés de PSA ne sont pas mis à la porte comme des malpropres. Mais ce serait oublier que quitter l’usine de la Janais, à 45 ans par exemple, même avec une prime de 30 000 € en poche, ne vous garantit pas un revenu ou un emploi pour les années à venir. Enfin, d’un point de vue économique, une question se pose : plutôt que de débourser de telles indemnités, PSA n’aurait-il pas intérêt à garder ses salariés en attendant des jours meilleurs ? Car supprimer des postes implique aussi un coût, au moins à court terme. Selon le rapport Secafi, « le départ contraint d’un salarié de PSA Rennes, dans le cadre du plan de sauvegarde de l’emploi, peut être estimé en moyenne à 70 000 € ». Si l’on rapporte ce montant aux 1 400 suppressions de postes, le plan social 2013 de la Janais coûterait à PSA 98 millions d’euros. À Aulnay, la facture est évidemment plus élevée. Toujours selon le rapport Secafi, la fermeture de l’usine représente « un coût cash global pour le groupe de 250 millions d’euros. Ainsi, hors cession immobilière, il ne contribue pas au redressement de la trésorerie du groupe avant le quatrième trimestre 2017 ». Autrement dit, en ne raisonnant qu’en termes financiers, les suppressions de postes seraient amorties en moins de cinq ans. Mais en termes humains, l’impact est évidemment plus vaste.

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le chômage chez psa : Comment ça marche ? Le code du travail permet aux sociétés d’avoir recours au chômage partiel lorsque la baisse d’activité est liée aux cas suivants : - la conjoncture économique - des difficultés d’approvisionnement en matières premières ou en énergie -   un sinistre ou des intempéries de caractère exceptionnel - la transformation, restructuration ou modernisation de l’entreprise - toute autre circonstance à caractère exceptionnel.

direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi), service de l’état, confirme que PSA a pu mettre en place des actions de formation durant ces périodes.

Qui paye ? Afin de faire face à ces périodes d’inactivité, le groupe PSA a négocié et signé deux types d’accords pour pouvoir instaurer le chômage partiel : l’un avec l’état ; l’autre avec les syndicats.

Source Article R 5 122-1 du code du travail

La crise du marché automobile européen permet donc à PSA de recourir au chômage partiel. Et force est de constater que depuis près de deux ans, Rennes, l’usine « bonne élève » de PSA, comme l’avait surnommée le quotidien Le Monde, ne parvient à vivre qu’en ayant recours au chômage partiel. Et ce, de plus en plus. En 2012, par exemple, les employés ont chômé 50 jours. Ils sont donc restés plus d’un mois chez eux. À moins qu’ils aient pu suivre une formation. La Direccte (la 40

Il a ainsi pu bénéficier de la procédure dite de l’APLD : l’activité partielle de longue durée. Ce dispositif de chômage partiel, complémentaire de l’allocation spécifique, a pour objectif de permettre une meilleure indemnisation des salariés, privés de travail durant une longue durée, mais aussi et surtout de maintenir leurs emplois. Les conventions signées avec le représentant de l’état qu’est la Direccte, sont en théorie renouvelables tous les trois mois, dans la limite maximale de


douze mois. En réalité, l’accord conclu avec l’état a permis à PSA de bénéficier de l’APLD durant plus de deux ans et demi. Le principe de l’APLD est le suivant. L’employeur verse au salarié une indemnité pour chaque heure non travaillée au titre du chômage partiel. Jusqu’au milieu de l’année 2013, cette indemnité était égale à 75 % de la rémunération horaire brute. Le salarié percevait donc un peu plus de 90 % de sa rémunération nette totale (qui ne tient toutefois pas compte des primes). Pour ce dernier, la perte financière est donc limitée. Au milieu de l’année 2013, ce pourcentage de 75 % a été ramené à 70 %. Cette diminution de 5 % équivaut à une baisse moyenne de 70 € pour chaque salarié. Cette indemnité de chômage partiel de longue durée est ensuite remboursée à l’employeur, à la fois par l’état et par l’Unedic (l’assurance-chômage). Selon un accord national interprofessionnel du 6  février 2012, il est prévu que l’Unedic rembourse

l’entreprise à hauteur de 2,90 € par heure non travaillée, et que l’état verse 4,84 € par heure (pour les entreprises d’au moins 250 salariés), et 4,33 € en deçà de ce seuil. Dans le cas de PSA, l’employeur percevra donc 7,74 € par salarié et par heure non travaillée. À titre de comparaison, le SMIC horaire brut a été fixé à 9,43 € à compter de janvier 2013, soit 7,39 € net. Précisons toutefois que ce dispositif de l’APLD est encadré par une notion de temps et d’indemnisation. La compensation de l’allocation spécifique par l’état est limitée à 1 000 heures par salarié et par an : ce qui représente tout de même un peu plus de 28 semaines chômées par ouvrier. Autre précision, en 2012, l’assurance chômage a affecté 80 millions d’euros supplémentaires au financement de l’activité partielle longue durée. Le groupe PSA n’a donc pas été le seul à bénéficier de ces remboursements. Le 22 juillet 2009, le groupe PSA a par ailleurs négocié et signé un accord avec 41


les six organisations syndicales (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FO et GSEA). Ce texte organise l’indemnisation et la formation durant les périodes de chômage partiel. Il fixe la rémunération garantie durant les jours chômés, assure le maintien dans l’emploi des salariés concernés et précise l’organisation de formations durant les  périodes d’inactivité. Et ce, pas uniquement pour le site de Rennes. L’accord APLD concerne aussi 14 établissements de PSA, dont Mulhouse, Poissy et Sochaux. Rappelons qu’à ce stade, parallèlement à l’APLD, le constructeur continuait d’actionner d’autres leviers pour adapter ses effectifs à ses besoins déclinants de production en France. Outre le chômage partiel, depuis 2009, la GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences), les plans de départs volontaires et le PSE (plan de sauvegarde de l’emploi) ont également permis à PSA de réduire ses effectifs. Mais revenons à l’accord signé avec les syndicats. Ce texte donne la possibilité aux salariés le souhaitant de porter leur 42

indemnisation à 100 % de leur salaire net, en utilisant des droits à congés. Ou en suivant des formations. Dans ce dernier cas, ce sont des mécanismes financiers, autres que l’allocation de chômage partiel, qui prennent le relais. Ces dispositions avaient été demandées à plusieurs reprises par les syndicats. Ce que rappelle l’accord.

Quelles sont ces formations ? L’entreprise souhaite mettre l’accent sur le « lean industriel », un système de production hérité de Toyota  : l’élimination de tout gaspillage en termes de transport, de stockage, de gestes inutiles… Les salariés qui veulent bénéficier de cette formation sont indemnisés à 100 % de leur salaire net, l’entreprise complétant l’indemnisation conventionnelle de chômage partiel par une allocation de formation. Dans ce cas, selon la Direccte, l’indemnité attribuée au salarié est financée pour moitié par PSA et pour moitié par l’état. Malgré tout, aussi avantageuse que soit


cette formule pour le salarié, elle ne peut être que limitée dans le temps, chaque formation ne durant que quelques jours. L’accord précisait encore que le recours au DIF (droit individuel à la formation) serait favorisé en 2009 et en 2010 et que l’entreprise faciliterait la mise à jour des passeports formation. Si PSA a mis un point d’honneur à former son personnel, il faut là encore noter que nombre de ces dispositifs ont souvent été financés (en partie ou en totalité) par l’état. Quoiqu’il en soit, aujourd’hui, un employé de PSA Rennes est assuré de percevoir près de 90 % de son salaire net, lorsqu’il se retrouve au chômage partiel. Or, ces jours d’inactivité sont de plus en plus fréquents : - 50 jours chômés en 2012 - près de 80 jours chômés de janvier à fin octobre 2013 En deux ans, le nombre de jours chômés a quasiment doublé. Et la facture s’est donc alourdie pour l’état. En juillet  2012, une intersyndicale estimait que 17 jours de chômage

collectif coûtait à la collectivité 6,7 millions d’euros. Si l’on rapporte ce calcul à 80 jours, le coût s’élève à la somme de 31,5 millions d’euros. Philippe Bonnin, le maire de Chartresde-Bretagne, évoque d’autres chiffres. Le financement du chômage partiel à PSA Rennes coûte « 10 millions d’euros à l’état par semestre ». Soit 20 millions d’euros par an. Pour quel résultat ? Si le système de l’APLD a effectivement permis de maintenir des emplois à l’usine PeugeotCitroën de Rennes ces trois dernières années, ce dispositif interpelle. Il se sera révélé efficace si le site breton continue d’exister et de produire des voitures. Mais si l’usine ferme, quelle aura été sa pertinence ? Autre interrogation  : ces aides au chômage partiel sont financées par l’état et donc par les impôts. En caricaturant quelque peu, on pourrait s’étonner que des salariés aient eu à payer, en partie (via leurs impôts), le maintien de leur emploi… 43


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tĂŠmoignages 45


Après son licenciement de Mitsubishi, « le cauchemar recommence » Valérie Ollivier, 46 ans, chef d’équipe

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a tuile. Bien plus que ça encore. La galère. En 2003, Valérie Ollivier est licenciée de l’entreprise Mitsubishi, à Étrelles, non loin de Vitré, après dix ans de bons et loyaux services. Deux ans plus tard, elle décroche un nouveau CDI à l’usine PSA de Chartres-de-Bretagne. Elle espérait alors ne jamais revivre pareil choc. Espoir douché. Depuis des mois, Valérie ne sait pas où elle sera en 2014. Pour quel employeur travaillera-t-elle ? Peut-être plus pour PSA. Ne pas savoir ce qu’elle fera à l’avenir l’inquiète, forcément. Mais ces longs mois d’incertitude à se demander si elle doit partir ou non, vers quel métier elle pourrait se tourner, dans quelles conditions… fatiguent plus encore. Penser aux lendemains sans être submergée par le doute, c’est l’exercice d’équilibriste auquel s’applique, depuis plus d’un an, cette célibataire de 46 ans. Valérie Ollivier, Dinannaise d’origine, est tombée dans le chaudron Citroën depuis qu’elle est toute petite. Ses parents ont eux aussi été employés à l’usine de La Janais. Sa mère a travaillé huit ans en câblerie et son père y a effectué une grande partie de sa carrière, notamment en tant que « RU » (on prononce les deux lettres) : responsable d’unité, autrement dit chef d’équipe. « À la maison, j’ai toujours entendu parler de La Janais », se souvient-elle. À l’époque, le site n’assemblait que des modèles Citroën : GS, BX… Pour ses premiers boulots d’été, c’est tout naturellement que Valérie se trouve embauchée un mois à l’usine, au titre « des enfants de collaborateurs ». Elle travaille aussi à la câblerie. « J’assemblais des faisceaux électriques. »

Son bac G1 en poche (secrétariat-comptabilité), elle effectue encore de l’intérim à PSA. « C’était en attendant de trouver autre chose… À l’époque, le site me paraissait très grand. Avec tout cet espace et tous ces salariés, je m’étais dit que c’était un endroit où il y avait des possibilités d’évoluer durant sa carrière. » Plus tard peut-être… Dans l’immédiat, Valérie Ollivier trace son propre sillon et cherche l’emploi qui lui convient. Elle occupe plusieurs postes. Neuf mois caissière à Paris. Petit retour en intérim à PSA, puis des CDD à Canon, à Liffré 46


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où sont notamment produites des cartouches d’encre, ainsi qu’au magasin La Farfouine, à Chantepie, que gère alors sa mère. « En 1992, j’ai finalement décroché un CDI à Mitsubishi, à Étrelles. J’y suis restée dix ans. » Elle commence sur la ligne de production des téléphones portables, puis devient technicienne qualité. Le travail lui plaît. La « Télécom vallée », surnom donné alors à la région vitréenne en raison de l’implantation de plusieurs sociétés de téléphones mobiles, y prospère plusieurs années. Mitsubishi va ainsi fournir des emplois à un peu plus de mille personnes à étrelles (intérimaires compris). Un effectif qui, vingt ans plus tard, laisse rêveur… En décembre 2001, les premiers signaux d’alerte apparaissent. « On entendait des bruits venus du Japon. Licenciements, fermeture, restructuration du groupe… On ne savait pas trop. La direction nous répondait : “ Ne vous inquiétez pas. C’est la presse… ”», se souvient Valérie. La nouvelle de la fermeture de l’usine tombe le 28 février 2002. Valérie cite encore la date par cœur. « Je l’ai appris à la télé. L’usine allait être délocalisée en Chine. » Mitsubishi Electrics venait d’annoncer qu’elle stoppait toute production de téléphones mobiles en Europe. Et de fait, fermait son unique usine d’Étrelles « dont la perte sur deux exercices serait de 775 millions d’euros », rapporte alors le journal Le Parisien. Les mois qui suivirent furent longs, tendus, pénibles. « La direction tentait de nous rassurer. On ne devait pas s’inquiéter. On allait retrouver du boulot et personne ne serait laissé sur le carreau », se souvient l’ex-Mitsubishi. C’est aussi le discours général des autorités et des élus. Critique vis-à-vis de l’industriel japonais. Rassurant vis-à-vis des contribuables et salariés. Claude Guéant, alors préfet de Bretagne, assure que l’État va « faire en sorte que Mitsubishi dédommage du sinistre social. C’est le premier impératif. Le plan complémentaire de l’État et des collectivités n’interviendra que lorsque nous connaîtrons celui de Mitsubishi. Nous allons nous battre pour cela ! », affirme-t-il. Ici ou là, on entend des « Remboursez ! » Dix ans plus tôt, pour s’installer à proximité du pays de la Roche-aux-Fées, élus et état s’étaient penchés sur le berceau de Mitsubishi qui avait perçu près de 1,70 million d’euros d’aides. Le député-maire de Vitré, Pierre Méhaignerie, tente lui aussi de fixer des perspectives. « Je pense que dans les trois ans, nous pouvons recréer sur ce site 800 à 1 000 emplois. La difficulté sera de trouver les emplois industriels et tertiaires qu’attendent les personnels. » 48


Mais sur l’instant, pour les salariés, l’horizon apparaît bouché. Un cabinet de reclassement est chargé d’aider les futurs licenciés à se former ou à retrouver un emploi. Il s’agit de la société Sodie, celle-là même qui intervient actuellement à PSA Rennes (1). Dans l’usine d’Étrelles, l’ambiance est tendue. Elle le restera jusqu’à la fermeture. « On se rendait au travail, mais puisqu’on nous foutait à la porte, on ne travaillait plus. La direction avait même envoyé un huissier pour le faire constater. Qu’avait-on à perdre ? », raconte Valérie. Cette dernière, qui avait appris à contrôler la qualité des téléphones portables, engage alors une formation de « technicienne qualité » d’une durée de six mois : trois mois de théorie, trois mois de stage à… PSA La Janais. Elle obtient son diplôme en avril 2004. « Je savais que la Peugeot 407 arrivait à Rennes. Et que l’usine allait peut-être embaucher. » Bingo ! Valérie commence par un premier CDD de deux mois et demi. Puis un deuxième. En cette même année, elle décroche enfin un nouveau contrat à durée indéterminée. Valérie a alors 38 ans. Le secteur automobile repart à la hausse. En 2005, le nombre de véhicules neufs immatriculés en France repasse au-dessus de la barre des deux millions. Il atteindra 2,3 millions en 2009. « Quand je suis embauchée, je me dis “ça y est !” Je pense alors que je vais pouvoir finir ma carrière à PSA. » La nouvelle salariée intègre l’équipe-projet liée à la Peugeot 407 et au coupé 407. Pour l’usine rennaise, il s’agit bien plus que de produire un nouveau modèle. C’est la première voiture de la marque Peugeot à sortir des chaînes de La Janais. Pour certains salariés qui n’ont connu que les chevrons, l’arrivée de la marque au lion provoque quelques grognements. « Pour quelques anciens, la première fois qu’ils ont dû enfiler les blouses avec le logo PSA, ce ne fut pas évident. Non pas qu’ils n’aimaient pas Peugeot. Mais ils étaient vraiment attachés à Citroën », se souvient Valérie. Forte de sa formation, elle passe responsable d’unité. Elle dirige une équipe de dix contrôleurs qualité. Une fois la voiture assemblée, « on vérifie ses fonctionnalités, son aspect. On roule un peu avec. Et l’on signale s’il y a un défaut », explique-t-elle. Là encore, le travail lui plaît. Mais avec les précédentes suppressions de postes (un peu plus de 1 800 en 2009-2010), elle se retrouve à « manager » jusqu’à 52 contrôleurs. Et puisqu’il y a moins de « RU » pour encadrer les salariés, Valérie est également moins touchée par le chômage partiel qui rythme à nouveau l’usine depuis 2012. « En fonction des postes, certains chôment quasiment une semaine sur deux ; d’autres une semaine sur quatre. » 49


Mais ce qui a surtout changé, c’est l’ambiance. Plus tendue au fur et à mesure que le plan de départs prend forme. « Il faut faire attention à ce que l’on dit. Certaines remarques qui, avant, seraient passées inaperçues, peuvent désormais déboucher sur un conflit. Le ton monte vite. » En tant que « RU », Valérie Ollivier est en première ligne. C’est elle qui fait face aux questions, au désarroi ou à la lassitude des femmes et des hommes qu’elle encadre. « Certains croient que je vais désigner ceux qui partiront… C’est difficile à supporter car je suis confrontée à l’inquiétude des gens, à laquelle s’ajoute ma propre inquiétude », résume-t-elle. La direction, consciente qu’elle a besoin de personnels encadrants solides pour faire aboutir son plan, a donc tenté d’amortir le choc lié aux départs. La lettre adressée à tout le personnel, vers la mi-mai, illustre parfaitement les précautions prises. Ce courrier remis individuellement à chaque salarié indiquait si ce dernier appartenait à des secteurs où des postes allaient être supprimés. Et si oui, combien de départs étaient attendus. « Le jour de la remise de la lettre, la direction nous a demandé d’être vigilants aux réactions des gens », de repérer, autant que possible, ceux qui pourraient « péter un plomb ». Pas de telles extrémités dans le service de Valérie. Mais elle se souvient encore de personnes « qui avaient les larmes aux yeux. Et pourtant, cette lettre, elles s’y attendaient… » Les encadrants, eux, avaient reçu ce courrier quelques jours auparavant pour qu’ils n’aient pas à encaisser la nouvelle en même temps que celle des autres salariés. L’inquiétude de Valérie se résume en deux chiffres : « Il y a 180 responsables d’unité dans l’usine. Quarante-quatre doivent partir. S’il y a 44 volontaires, je suis sauvée. Sinon… » S’il n’y a pas 44 chefs d’équipes à quitter La Janais d’ici à la fin décembre, ce seront les licenciements. Ce que la direction appelle les départs contraints. Le choix des salariés se fera alors en fonction de divers critères : le nombre d’enfants, un conjoint ou le célibat, l’âge, l’ancienneté dans l’entreprise, un éventuel endettement… Autrement dit, un salarié marié, avec trois enfants et 30 ans de boîte, a plus de chance de rester qu’une personne âgée de 25 ans, recrutée pour le récent lancement de Peugeot 508. Sur ces points, Valérie ne se fait pas d’illusions : « Je figure parmi les plus jeunes embauchés et je suis célibataire. » La première fois que nous rencontrons Valérie, en janvier 2013, elle souhaite rester mais, au cas où, commence à chercher une porte de sortie. Elle a déjà envisagé toutes les solutions, sans savoir encore vers laquelle s’orienter. Au sein 50


de PSA ? « Si on me propose d’aller à Sochaux, j’irai si c’est vraiment la dernière solution. » Dans une autre entreprise ? « Pourquoi pas l’agroalimentaire… On s’en fait tout un monde. » Changer de région ? « à la case mobilité, j’ai mis “oui mais”… » Pour y voir plus clair, la chef d’équipe a décidé d’entreprendre un bilan de compétences. Elle a repris son CV là où elle l’avait laissé après avoir été licenciée de Mitsubishi. « Ce n’est pas facile, c’est une remise en question. » Début juin, le brouillard s’est un peu dissipé sur son avenir. Elle a acquis une certitude. « Si je trouve un poste ailleurs, je pars, c’est sûr. Et si je ne pars pas dans le cadre de ce plan-là, je continuerai de chercher. Je n’ai plus l’impression que cette usine ait un avenir. » Oui mais voilà, partir pour faire quoi ? « Dans l’absolu, j’ai plein d’idées. Mais il faut rester réaliste. Je ne vais pas entamer une longue formation. À plus de 40 ans, il y a quand même des portes qui se ferment. » Une formation d’infirmière d’au moins trois ans, ce n’est plus pour elle. Pour le reste, elle ne sait pas encore. Ne chômant que très peu, elle n’a pas le temps de véritablement chercher. Pas l’énergie, peut-être aussi, de se lancer à corps perdu dans cette nouvelle épreuve. « Psychologiquement, c’est compliqué. Il faut se redire quelles sont ses qualités, quels sont ses défauts… » Valérie a aussi besoin de souffler, de ne pas toujours y penser. En juillet 2012, alors que le plan de départs allait être dévoilé, elle s’est dit : « Le cauchemar recommence ! J’ai passé de sales vacances. » Désormais, elle tente de se préserver, ne lit plus systématiquement les articles de presse qui sont publiés sur PSA Rennes. À son entourage, elle recommande de ne pas en parler. Elle n’a pas envie que les repas de famille ou entre amis tournent exclusivement autour de « ça ». « Pour me vider l’esprit, je vais dans les vide-greniers », sourit-elle. C’est aussi la réalité d’un plan social : le temps fixé par la direction ne correspond pas forcément au temps dont ont besoin les salariés pour partir. Dernière question : pensez-vous que l’usine de La Janais existera toujours dans dix ans ? « Je pense qu’elle va fermer. Il n’y en aura plus dans dix ans. Je ne suis même pas sûre que l’usine va produire une nouvelle voiture. Mais j’espère me tromper… »   au total, sur les 541 salariés qui ont été suivis par la cellule emploi-formation, 528 avaient retrouvé un emploi

(1)

stable en février 2004. Ces bons résultats ne tenaient toutefois pas compte, selon la CFDT, des 150 salariés en CDD et 350 intérimaires qui travaillaient encore dans l’usine d’Étrelles au moment de sa fermeture

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De l’automobile aux maisons en bois… Didier Perrin, 54 ans, technicien

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uitter l’usine, c’est parfois un sacré changement de vie. Pour le salarié, mais aussi pour l’ensemble de sa famille. Ce sera le cas pour Didier Perrin. Après 30 années passées à La Janais, il est prêt à franchir le pas et à tenter le rêve qu’il poursuit avec sa femme : ouvrir des gîtes en Bretagne. Mais avant de partir de PSA, espoir et lassitude se sont succédés au fil des semaines. « On est quatre dans le service. Les quatre postes sont supprimés. Le service ferme », résume Didier. Pour ce technicien, le plan de départs volontaires a des allures de « par ici la sortie ». À 54 ans, ce n’est pas vraiment ce qu’il avait prévu. « Je m’étais mis dans le crâne que j’allais rester à PSA jusqu’à ma retraite », admet-il. Avec ce nouveau plan de départs volontaires, la donne a changé. Il doit rebattre ses cartes. À la belote, on annoncerait qu’on vient changer d’atout. Et en cette année 2013, l’atout PSA vient d’être relégué au rang de simple carte. Didier est né à Paris en décembre 1959. Mais toute sa famille est ancrée en Bretagne. Sa mère, concierge dans la capitale, est originaire de Carentoir (Morbihan) ; son père, cuisinier, est de Bruc-sur-Aff (Ille-et-Vilaine). Et comme tout Breton parti voir, un jour, ce qu’il y avait de l’autre côté de l’horizon, ses parents sont revenus dans leur région. Didier avait 4 ans. Après un BTS « fabrication mécanique » passé au lycée Joliot-Curie, à Rennes, il multiplie les petits boulots (déménageur, charpentier), puis effectue son service militaire dans l’armée de l’air, à Saint-Jacques-de-la-Lande, près de Rennes, après trois mois de formation à Paris. « On a eu des cours de météorologie, de cartographie… C’était très intéressant. » Au retour de l’armée, il ne reste que deux mois au chômage. En mai 1983, il est embauché à PSA. Durant de longues années, il ne va pas travailler directement à la fabrication de voitures, mais pour une filiale du constructeur : PCI (Peugeot Citroën Industrie), à La Janais. « On concevait des machines pour différents secteurs de l’usine, mais pas seulement. Certaines permettaient d’installer les 52


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ficelles sur les calendriers; d’autres pliaient des emballages. On partait d’une feuille blanche et on mettait au point les machines de A à Z. On calculait la résistance des matériaux, on chiffrait… Je m’éclatais vraiment dans ce boulot. » Sur le plan familial, l’horizon est également sans nuages. Didier qui est un touche-à-tout, un curieux de nature et un écologiste de conviction, entreprend de construire sa propre maison en bois, dans la région de Guichen. « Je suis passionné de charpente, de construction. Quand j’étais petit, en face de chez mes parents, il y avait un charpentier-menuisier. J’étais tout le temps fourré chez lui. » Pour les travaux, il se fait aider de son beau-père, notamment pour charrier les mètres cubes de terre en trop, sur le terrain. En quelques mois, la maison est sur pied. Une ombre vient ternir ce tableau. Ses relations avec l’un de ses supérieurs hiérarchiques se dégradent. Il se sent harcelé. « Tous les jours, il me mettait la pression, me faisait des reproches. Je n’ai pas vu le coup venir », raconte Didier, qui finit par craquer et par changer de service. Après 16 ans à PCI, il quitte cette filiale et intègre l’usine de La Janais où il dessine désormais des faisceaux électriques. Avec son départ de PCI, c’est un peu de son insouciance et de ses premières années de bonheur qui s’envolent. Didier, qui jusqu’alors n’avait jamais pensé se syndiquer, finit par adhèrer à la CGT. Pourquoi la Confédération générale du travail ? « Je me suis tourné vers les plus offensifs, vers ceux qui faisaient le plus de rentre-dedans. En 2009, à PSA, on était encore très peu de techniciens à être syndiqués à la CGT », se souvient-il. Avec le temps, les regrets de Didier se sont atténués. Il sait aujourd’hui que, de toute manière, il n’aurait pas pu poursuivre longtemps à PCI. Cette branche a été maintenue. Mais son activité a été limitée aux besoins de PSA et réduite aux études. « La réalisation des machines a été confiée à des sous traitants-chinois et des pays de l’Est. » En 2009-2010, PSA annonce un premier plan de départs volontaires de la Janais : 1  750 postes vont être supprimés. Premières interrogations pour Didier et sa femme Françoise. Est-ce le bon moment pour partir ? « On y a pensé un peu. On a envie de se rapprocher de la mer. » Le couple a en fait un rêve en tête : ouvrir des gîtes dans le Morbihan, si possible dans les secteurs d’Erdeven, d’Auray. Beau projet, mais évidemment pas sans risque. D’abord, il faut trouver des bâtiments 54


suffisamment grands et pouvant être rénovés, dans un budget raisonnable. Ensuite, Françoise n’est pas disposée à lâcher son emploi pour un grand saut dans le vide. Elle est coordonnatrice d’un groupe scolaire à Saint-Jacques-de-la-Lande où elle gère une trentaine de personnes, principalement des ATSEM (agent territorial spécialisé des écoles maternelles). L’école accueille aussi quelques enfants handicapés. « Je suis employée par la mairie. J’adore ce que je fais », avoue-t-elle. « Elle a un bon poste et elle est montée à la force du poignet. Il lui serait sans doute difficile de trouver un poste équivalent ailleurs », convient Didier. Avec ce deuxième plan de départs volontaires, forcément, le projet des gîtes refait surface. Le couple en parle de nouveau. En mars 2013, lorsque nous rencontrons Didier pour la première fois, ce dernier n’a pas encore tranché s’il devait quitter PSA ou non. Plusieurs solutions s’offrent à lui. En théorie, même si son service ferme, il pourrait rester à l’usine de Chartres-de-Bretagne. Mais à une condition : qu’un salarié qui ne soit pas sur la liste des départs volontaires, s’en aille et que Didier le remplace. C’est ce que la direction appelle le principe « de substitution ». Le technicien n’écarte pas cette solution. En théorie toujours, il pourrait postuler dans une autre usine du groupe, à Sochaux par exemple. « Ah ça non ! On a trop envie de rester dans la région. La Bretagne, c’est vachement important », insiste-t-il. Membre d’une association bretonne, il s’intéresse beaucoup au chant gallo. Et un peu moins au chant franc-comtois… Enfin, il pourrait chercher un autre employeur. « À 54 ans ? J’ai déjà des collègues de 40 ans qui n’arrivent pas à trouver. » En ce mois de mars, le couple commence donc à chercher un peu plus activement des bâtisses à rénover dans le Morbihan, mais n’a pas encore arrêté de décision. « Un projet, ça se mûrit. Pour l’instant, je laisse la porte ouverte à tout. » Trois mois plus tard, en juin, Didier va mal. Il est en arrêt de travail pour deux semaines. Déprime. Conséquence d’un drame familial et de la situation à l’usine. « J’ai de nombreux collègues qui souffrent de ce qui se passe à l’usine. On observe quelques cas de dépression, d’alcoolisme et de tentatives de suicide. Et puis, il y a ce chômage partiel : trois semaines depuis la fin avril. Je suis à la maison toute la journée. Ce n’est quand même pas normal. Moi, je ne vis pas ça comme des congés. Le travail, c’est important. » Françoise, son épouse, confirme : « Il a beaucoup écouté les autres, beaucoup encaissé. » Cette fois, la décision de Didier semble prise. « Au début, je me disais que j’allais peut-être rester. Mais maintenant, c’est clair, je pars. » La lassitude de la situation actuelle pèse évidemment dans ce départ. Mais aussi 55


cette impression de plus en plus vivace que l’usine n’a plus d’avenir. Produirat-elle la X8, la remplaçante de la  C5 ? Didier n’en est pas sûr. « On nous l’annonçait en 2016. J’ai appris que certaines études intermédiaires n’étaient même pas lancées. Forcément, ce ne sera pas en 2016. » Dans ces conditions, le projet de gîtes dans le sud de la Bretagne devient chaque jour un peu plus présent. Le couple a commencé à repérer des bâtiments à rénover. Les travaux ne font pas peur à Didier. Et ce d’autant qu’il se verrait bien les réaliser avec l’un de ses trois enfants (le couple a trois garçons : des jumeaux de 23 ans et un de 26 ans), charpentier de métier et récemment licencié économique. « À deux, on peut tout remettre en état en un an. » Mais ce projet aurait une autre conséquence de taille. À terme, le couple vendrait son actuelle maison pour s’installer là où ils auraient aménagé les gîtes. « De toute façon, à plus ou moins longue échéance, on avait prévu de vendre cette maison pour vivre plus près de la mer », précise Didier. Françoise partage ce projet. Mais dans l’immédiat, elle ne quittera évidemment pas son emploi. C’est peu dire que le départ de son compagnon de PSA bouleverserait aussi son quotidien. « J’ai demandé à repasser à temps plein. Je n’avais pas envisagé ça. On arrive à un âge où l’on aurait pu profiter de la vie, être cool. Je n’ai pas l’impression qu’on aille vers cela. Quand je rentre le soir du travail, je suis rincée. J’aurais aussi aimé que la situation soit un peu plus calme à la maison. » En ce mois de juin, le couple n’a pas encore tranché . « On part un peu en Thaïlande. Ce n’est sans doute pas raisonnable. Mais on a franchement besoin de changer d’air… » Début août, l’envie de quitter La Janais se confirme. Après avoir pris des renseignements auprès de la cellule de reclassement, son projet de gîtes ne lui permet pas de bénéficier des aides liées au PSE (plan de sauvegarde de l’emploi). Qu’importe. Dans un premier temps, il envisage de créer une Scop (société coopérative et participative), avec son fils charpentier et un ami couvreur, pour construire des maisons écologiques en bois. Tout en cherchant de la pierre à rénover du côté d’Erdeven… Selon lui, quel est l’avenir de l’usine de La Janais ? « Je ne suis guère optimiste. Le jour où tous ces salariés vont partir, l’entreprise va perdre énormément de compétences. Pour apprendre certains métiers, à l’emboutissage par exemple, il faut du temps. Et s’il n’y a plus ces compétences… » 56


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Des milliers de nuits à veiller sur l’usine Joseph Amouriaux, 58 ans, électromécanicien

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u travailles encore dimanche  !  » Combien de fois Joseph Amouriaux a-t-il entendu cette remarque ? Cet électromécanicien de 58 ans vient de quitter l’usine de La Janais après y avoir effectué toute sa carrière professionnelle : 41 années dont 38 à travailler en « 3X8 », le matin, l’aprèsmidi, la nuit, y compris les week-ends et jours fériés. Et cette fois-ci, Joseph « en a sa claque ». « Je suis rentré à Citroën en août 1972. » Joseph Amouriaux avait 17 ans et venait d’obtenir son BEP d’électromécanicien. Dans sa famille, personne ne travaillait à La Janais. Son père était facteur et sa mère effectuait des ménages dans une maison de repos. Le jeune Joseph n’avait pas, non plus, projeté de postuler à Citroën dont l’usine était alors implantée depuis un peu plus de dix ans à Chartres-de-Bretagne. « J’avais envoyé quelques CV dans diverses entreprises du coin. Mais à cette époque, Citroën venait nous chercher directement à l’école, avec les dossiers d’embauche à remplir. » À 17 ans, Joseph n’avait pas encore le permis de conduire et résidait chez ses parents à Pléchâtel (canton de Bain-de-Bretagne, Ille-et-Vilaine). Citroën allant chercher et ramenant ses salariés par un système de navettes bien rodé, le jeune homme se laisse tenter. Après tout, si le travail à l’usine ne lui plaît pas, il pourra toujours partir. Comme le résume un de ses collègues, « à l’époque, tu te présentais à l’entrée d’une entreprise, et le lendemain tu étais embauché ». C’était en 1974, l’année du premier choc pétrolier. Les trois premiers mois, Joseph est posté sur la chaîne d’assemblage. « Tout le monde y passait. C’était une façon de voir si on tenait le coup. » Puis il bénéficie d’une formation de trois mois, avant d’être affecté au dépannage des engins à fourche. Le travail lui plaît, c’est mieux que la chaîne. Mais ses premiers pas dans le monde industriel sont aussi marqués par sa découverte du syndicalisme. Dès la fin de sa formation, il est convoqué dans un petit bureau. Un agent lui glisse un bulletin d’adhésion à la CSL, le syndicat maison d’alors. « Il était prérempli. J’ai refusé de signer. La réaction de mon 58


interlocuteur a été immédiate : “ Vous êtes un Rouge ! ”» Ni rouge, ni jaune. Le jeune embauché souhaite juste ne faire partie d’aucune chapelle. « Pendant longtemps, chaque mois, j’ai été convoqué par l’agent de secteur. Il voulait me faire signer à la CFT. » Mais Joseph reste ferme (1), prenant ainsi le risque que son avancement de carrière tourne au ralenti… À 19 ans, on lui propose de devancer son appel et de partir au service militaire. « On m’avait alors assuré que je retrouverais mon poste en rentrant. » Joseph accepte. Durant un an, il est envoyé dans l’est de la France, à Épinal, mais aussi en Allemagne de l’Ouest, à Landau (ville du sud-ouest de l’Allemagne, en Rhénanie-Palatinat). « J’étais dans les transmissions et il nous arrivait d’aller en manœuvre à la frontière avec l’Allemagne de l’Est. On écoutait ce qui pouvait se dire de l’autre côté du rideau de fer », sourit-il aujourd’hui. Retour à Citroën et première déception. Joseph ne peut réintégrer son précédent poste. « Tout avait changé. Celui qui m’avait fait la promesse, n’était plus là. On m’a alors dit : c’est la chaîne ou la centrale. » Joseph qui n’avait guère goûté le travail d’assemblage, opte pour la centrale. Au sein de l’usine, c’est un monde à part. Ce service veille, comme le lait sur le feu, sur toutes les installations qui fournissent de l’énergie et de l’eau au site 59


de La Janais : les chaudières à fuel lourd (aujourd’hui passées au gaz), la sousstation qui alimente en électricité la centaine de postes de transformation, les compresseurs, le chauffage, le système de production d’eau déminéralisée… Autant d’installations lourdes qui doivent être entretenues avec minutie pour éviter tout accident grave et toute interruption de la chaîne de production. Car les besoins en énergie sont importants. Lorsque l’usine tournait à plein régime, sa consommation d’électricité équivalait à celle d’une ville comme Saint-Malo. Pendant longtemps, la salle de contrôle, tapissée de manettes, d’écrans, de potentiomètres et de téléphones, a donné le tournis aux visiteurs qui ont pu s’y introduire. De cette salle, on pouvait avoir l’impression de piloter l’usine. Aujourd’hui, tout est informatisé et seuls quelques ordinateurs suffisent à remplacer la forêt d’écrans de contrôle. Plus fiable sans doute, le lieu a désormais perdu de sa magie. Mais ce travail plaît à Joseph. « Il n’y a pas de routine. Lorsqu’on prend son poste, on ne sait jamais ce qui vous attend : une fuite sur un robinet, sur une canalisation… Sans oublier tout le travail préventif et d’entretien des installations. » Les salariés de la centrale se rendent aux quatre coins du site. Ils connaissent ses dizaines d’hectares comme leur poche. « Il existe des plans pour nous aider. Mais il n’y en a pas pour tous les recoins de l’usine. Qui sait, par exemple, qu’il existe des galeries souterraines de 2 à 3 mètres de large et de 500 à 600 mètres de long.  L’absence de routine, Joseph le reconnaît, est aussi due au rythme en troishuit. Et plus particulièrement aux nuits. Au sein de ces immenses bâtiments industriels, on imagine volontiers un silence pesant, un vide stressant, propice à un bon scénario de film d’horreur, façon Shining de Stanley Kubrick. Joseph démystifie cette impression. « D’abord, l’environnement n’est pas silencieux. Les installations tournent 24 heures sur 24. Et puis, le soir, il y a toujours un peu de monde dans l’usine, notamment à l’emboutissage. Enfin, la nuit, l’ambiance est plus tranquille. On a moins de pression. Si on n’a pas de réparation à effectuer, on fait du préventif. On s’assure que tout fonctionne. » Mais il en convient : « Mieux vaut être occupé vers 3 ou 4 heures du matin. Sinon, gare au coup de barre. » Pour faire tourner la centrale, plusieurs équipes se relaient 365 jours par an, 24 heures sur 24. On appelle cela des quarts. Chaque quart était autrefois constitué de quatre personnes : le chef de quart, le chef de file (en raison des 60


rondes qu’il effectue), un électricien et un chauffeur-mécanicien de chaudière. Ces dernières années, à l’inverse des trois mousquetaires qui étaient au nombre de quatre, un quart n’est plus constitué que de trois personnes. « On dit effectivement qu’on fait le quart, un peu comme dans la marine, en raison de nos horaires. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si nombre d’anciens marins ont été employés à la centrale », note Joseph. Chaque quart veille donc sur les installations soit le matin (5 h 15-13 h 25), soit l’après-midi (13 h 15-21 h 25), soit la nuit (21 h 15-5 h 25). Auparavant, la rotation s’effectuait au rythme de sept matinées, deux jours de repos, sept nuits, puis huit après-midi réparties sur deux semaines. Depuis 2007, le rythme est désormais de deux matins, deux après-midi, deux nuits, puis quatre jours de repos. Combien de nuits Joseph a-t-il ainsi travaillé ? Il ne sait pas. Il n’a jamais compté. D’après son planning 2012 qu’il nous a fourni, l’électromécanicien aura été de service 74 nuits, soit l’équivalent de deux mois et demi. Si l’on rapporte cette proportion à ses 38 années passées en trois-huit , il aura vérifié les installations de l’usine un peu plus de 2 800 nuits, c’est à dire l’équivalent de 93 mois. Autrement dit, près de huit ans... Sans oublier mille week-ends de service. «Cela représente 19 années sans samedis, ni dimanches. Lorsqu’on voulait recevoir de la famille ou des amis, c’était vraiment compliqué. Quant à l’éventualité de faire partie d’un club ou d’une association, c’est quasiment impossible», soupire Joseph. Huit ans sans dormir la nuit. Comment est-ce possible ? Lorsqu’il est de matin, il se lève à 4 h 15 pour pouvoir embaucher une heure plus tard. « C’est le plus dur », selon Joseph qui reconnaît être un gros dormeur. En rentrant en début d’après-midi, il ne déroge donc pas à une sieste. « Mais je mets le réveil à sonner. Sinon, je dormirais facilement plus de trois heures », souritil. Lorsqu’il est de nuit, à son retour, il prend un petit-déjeuner et attend que sa femme se lève vers 6h30. Pour ne pas la réveiller une fois de plus. Puis il s’endort jusqu’à midi. « Dès qu’il se couche, il dort. N’importe où, n’importe quand », confirme Michelle, sa femme. Cette facilité à s’endormir, c’est peut-être ce qui a aidé Joseph à tenir durant 40 ans. « Beaucoup ont quitté la centrale au bout de quelques années. Tout le monde n’est pas volontaire pour effectuer de tels horaires. Dans le service, il y a eu du turn over », admet l’électromécanicien. 61


À la maison, la vie s’organise autour des trois-huit. « Chut… Papa dort », n’a cessé de répéter Michelle à ses deux enfants lorsque, le matin, ceux-ci se réveillaient et que leur père avait travaillé la nuit. Plus délicat, en revanche, de dire aux voisins de se taire… « Durant quelques années, on a habité dans un appartement en Zup-Sud, à Rennes. Quand je les entendais faire du bruit le matin ou passer l’aspirateur… », soupire encore son épouse, pourtant habituée aux horaires décalés. Son père œuvrait déjà en trois-huit aux Papeteries de Bretagne. Mais avec de tels horaires, la vie de couple et de famille a du mal à se régler comme une horloge suisse. Michelle, femme active, travaille, elle aussi. Elle fut d’abord vendeuse au magasin Soifilène, du mardi au samedi, de 9h à 19 heures. « Le week-end, avec Joseph, on communiquait par petits papiers qu’on collait sur le frigo. » Cette vie à se croiser, à jongler avec les horaires d’école des enfants, Michelle n’en veut pas. Un peu plus jeune que Joseph, elle a préféré arrêter son emploi durant dix ans « pour élever Arnaud et Marlène. À ma façon, je me suis aussi adaptée aux horaires de l’usine. Le week-end, c’était pesant. Joseph travaillait, et moi, j’étais souvent seule avec les enfants ». Les enfants étant devenus adultes - ils ont aujourd’hui 31 et 28 ans - elle travaille à nouveau, depuis vingt ans. Elle est ATSEM (agent territorial spécialisé en école maternelle). « Malgré tout, j’ai un trou de dix ans dans ma vie professionnelle. Si je veux une retraite à taux plein, il faut que je mette les bouchées doubles », analyse-t-elle, lucide. Ce qui n’a pas l’air de lui faire peur. Outre son emploi d’assistante scolaire, le week-end, sous un statut d’auto-entrepreneur, elle cuisine des crêpes, des confitures ou fait de la couture. « Je ne sais pas m’arrêter », convient-elle. À sa façon, Joseph non plus. Très bricoleur, il a déjà en tête quelques travaux de rénovation. Mais dans l’immédiat, ce qui le soulage vraiment, c’est de partir de l’usine. « J’en ai ras le bol. Ces horaires-là sont quand même pénibles. » Son travail, aussi, lui paraît moins attrayant. « Dès qu’on fait une intervention, il faut rédiger un rapport, justifier. Une fois par mois, il faut vérifier les standards, les procédures de contrôle… Moi, j’étais là pour bosser. » Joseph a adhéré au congé senior. Depuis le 1er août 2013, il ne travaille plus et est rémunéré 65 % de son salaire brut. Il sera officiellement en retraite le 1er août 2015. Pense-t-il que l’usine de La Janais a un avenir ? « à l’usine, tout le monde est conscient qu’elle risque de fermer. » : il adhérera finalement à la CFDT en 2000.

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le travail de nuit : Quelles conséquences sur le sommeil ? Travailler en trois-huit, et notamment la nuit, est-il néfaste pour le sommeil ? En 2005, dans la revue municipale de SaintJacques-de-la-Lande, l’un des médecins de PSA, à Chartres-de-Bretagne, répondait ceci : « Tous les indicateurs dont nous disposons permettent aujourd’hui de dire que le travail de nuit n’a pas d’impact sur la santé des travailleurs de nuit. Pourquoi ? Parce que ces derniers sont volontaires sur ces horaires nocturnes. Tous nous disent également que le travail de nuit est plutôt « cool » : la hiérarchie est moins pesante et pressante que le jour, les relations entre collègues sont plus détendues… Ils sont de surcroît mieux payés. » À l’époque, l’article avait fait bondir Joseph Amouriaux. Et pour cause. Plusieurs études scientifiques tendent à démontrer l’inverse. En 2010, selon le Dr Sophie-Maria Praz-Christinaz de l’Institut universitaire romand de santé au travail (Suisse), seuls « 10 % des travailleurs de nuit supportent bien le rythme de nuit », 70 % le tolèrent avec plus ou moins de difficultés et 20  % doivent impérativement changer de poste.

Selon elle, un travailleur de nuit perd en moyenne l’équivalent d’une à deux heures de sommeil par jour, soit trois à quatre nuits par mois. Il accumule ainsi « une dette de sommeil ». Les conséquences sont multiples. Risque d’endormissement (notamment sur la route au moment de rentrer de sa nuit de travail), épuisement chronique, anxiété, dépression, augmentation des hormones du stress qui induit des effets sur le rythme cardiaque, des mécanismes de compensation (tabagisme, compulsions alimentaires). Il y a peu, des chercheurs australiens ont montré que les personnes privées de sommeil avaient ainsi tendance à grignoter davantage, notamment des aliments sucrés. « Les travailleurs postés qui sont sévèrement restreints de sommeil peuvent avoir un risque d’obésité », concluent-ils. Le Dr Praz-Christinaz nuance toutefois. Selon les individus, les troubles peuvent être « tolérables » ou « plus graves, nécessitant une intervention rapide sur les conditions de travail ».

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« Ma famille n’a pas compris que j’aille travailler à la chaîne » Christine Mou Mohamed, 40 ans, agent de production

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ans la famille, on sait d’où on vient. On sait que rien n’est jamais acquis. Mon regard sur ce qui se passe actuellement est forcément un peu différent. » Christine Mou Mohamed a été embauchée il y a dix ans à PSA, à la chaîne. Après avoir quitté son pays d’origine, après avoir baroudé chez différents employeurs, elle pensait être tombée dans une entreprise avec « des possibilités d’évolution ». Depuis, elle voit partir les salariés les uns après les autres. Elle est devenue déléguée syndicale, un poste où elle se sent utile. Et si elle doit quitter l’usine, elle s’efforce de penser que ce peut être l’occasion, aussi, de nouvelles opportunités. « J’ai quitté le Vietnam lorsque j’avais trois ans », raconte Christine Mou Mohamed qui est née à Ho Chi Minh Ville (Saïgon), dans le sud du pays. Ses grands-parents étant d’origine indienne, elle suit sa famille à quelques milliers de kilomètres de là, en Inde. « Mes parents espéraient y trouver une vie meilleure. Malheureusement, ce ne fut pas du tout le cas. Ils ne tombèrent sur aucun eldorado. » Christine restera cinq ans dans le sud de l’Inde où elle fut scolarisée dans une école française tenue par des religieuses  catholiques. « Le frère de ma mère était déjà venu en France. Il y a vu l’opportunité d’un avenir plus radieux pour la famille, car en Inde, c’était la misère. » Christine arrive en France à l’âge de 8 ans, en 1981, alors que la récente élection de François Mitterrand a fait naître beaucoup d’espoirs pour une majorité de Français. Sa famille (au sens vietnamien du terme, c’est-à-dire avec les oncles, les tantes et les cousins) s’installe dans la banlieue parisienne, à Garges-lès-Gonesse (Vald’Oise). Tous n’arrivent pas en même temps, mais progressivement. Chaque nouvel arrivant économisant pour faire venir le reste de la famille. « À un moment donné, nous vivions à cinq couples, avec enfants, dans un appartement qui ne disposait que de trois chambres. Heureusement, cette promiscuité n’a pas duré longtemps. Quand chaque famille a pu devenir autonome, papa nous a rejoints. Il est arrivé le dernier. J’avais alors 64


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10 ans.  Pendant son absence, c’est mon frère aîné qui faisait office de chef de famille. » Les débuts sont difficiles. Les parents de Christine ne parlent pas français. Ils parviennent malgré tout à dénicher un emploi de manutentionnaires à l’aéroport de Roissy. Christine, ses quatre frères et sa petite sœur suivent, eux, une scolarité ponctuée de bons résultats. « On a tous obtenu un diplôme, ne serait-ce que le bac », insiste-t-elle. Pour Christine, ce furent un bac tertiaire G3 et un BTS « force de vente ». Et que ce soit à l’école ou à la maison, mieux valait bosser… « Ma famille et mon frère aîné notamment ont tout fait pour que nous réussissions. Mais mon frère s’est parfois comporté comme un tyran avec nous. Aujourd’hui, je me rends compte de ce que je lui dois », apprécie-t-elle. Suit une série d’employeurs. D’abord, dans une entreprise de fournitures de bureau, en région parisienne. C’est là qu’elle y rencontrera son premier compagnon avec qui elle aura deux enfants. Ce dernier étant muté dans une grande surface de l’agglomération rennaise, elle le suit et débarque en Bretagne en 1997. Là, elle travaille dans le secteur immobilier où elle s’occupe de locations et effectue de la prospection téléphonique auprès de propriétaires. Elle y restera deux ans et demi. Elle enchaîne avec une société spécialisée dans le matériel médical auprès des particuliers et professionnels. « J’étais responsable du point de vente. Je commandais les fournitures, je faisais de la gestion de clients. Mais j’aspirais à un travail avec plus de contacts, plus de relationnel. » Christine va débarquer à PSA en 2003. D’abord comme intérimaire. Puis elle va être « définitivement » embauchée en janvier 2004. L’usine a alors besoin de main-d’œuvre pour produire la nouvelle Peugeot 407. Les postes recherchés concernent principalement la ligne d’assemblage. La jeune femme qui rêvait d’un emploi avec davantage de relations humaines hésite. « Ma famille n’a pas compris que j’aille travailler à la chaîne. Ils avaient d’autres espoirs et me disaient : qu’est-ce que tu vas faire à PSA ? Ce n’est pas ta place. » Christine, elle, se projette dans l’avenir. « J’étais impressionnée par l’immensité du site, tous ces robots. J’avais la sensation d’une entreprise très bien organisée, avec des possibilités d’évolution. » Elle ne le cache pas 66


non plus. Le salaire à PSA était meilleur que dans ses précédents postes. « Certaines primes, comme celle de doublage, permettent d’augmenter sa paie. Parfois, jusqu’à 350 € de plus par mois. La convention collective de la métallurgie est plus favorable que celle des prestations de services. » Sans oublier le comité d’entreprise de PSA, lui aussi plus avantageux que dans bien d’autres sociétés. Christine débute donc à la chaîne. Elle est opératrice en sous-caisse. Autrement dit, les voitures défilent au-dessus d’elle. « Je mettais en place les écrans thermiques (1). On serrait aussi les suspensions. On disposait environ de deux minutes par véhicule. Actuellement, le temps de cycle s’est encore réduit. » En cas de difficulté, l’opérateur a la possibilité d’alerter un autre salarié, appelé moniteur. Ce dernier vient alors prêter main-forte. La chaîne n’est arrêtée qu’en dernier recours. Chaque moniteur vient ainsi en renfort à un groupe de cinq ou six opérateurs. Christine a travaillé en sous-caisse durant deux ans et demi, soit avec l’équipe du matin (5 h 39 – 13 heures), soit avec celle d’après-midi (13 heures – 20 h 21). Durant les 7 h 21 en poste, les opérateurs n’ont droit qu’à trois pauses : une première de cinq minutes ; une deuxième de onze minutes et une troisième de cinq minutes à nouveau. Et pas question de traînasser. La chaîne n’attend pas. Un ancien opérateur résume ainsi le temps imparti : « Vous n’avez pas le temps d’aller fumer une cigarette et de vous rendre aux toilettes ensuite. C’est l’un ou l’autre. Il faut choisir. » Christine confirme : « Il y a souvent une file d’attente à la machine à café. La pause se fait donc souvent sur place ou sur les aires de repos prévues pour cela. » Sur la chaîne, l’opératrice va être affectée à d’autres postes. Durant un an et demi, elle va travailler au niveau des coffres. « Vous êtes assise dedans, penchée d’un côté ou de l’autre pour fixer les garnitures. » Elle sera aussi chargée de connecter les branchements des autoradios. Mais ces différents emplois vont lui occasionner des problèmes de santé, au dos et aux cervicales principalement, qui vont se traduire par deux lumbagos. En 2012, le médecin du travail considère qu’elle n’est plus apte à effectuer certains postes de la chaîne. Récemment, elle a été positionnée au niveau de la zone moteur : elle approvisionne les opérateurs en pièces (les filtres à particules par exemple), en les apportant au bord de la ligne. 67


Ainsi va la chaîne : mécanique, ponctuelle, quasi imperturbable. Elle avance au pas cadencé et donne le rythme. Une fois qu’elle est lancée, c’est aux femmes et aux hommes de s’adapter à sa fréquence et d’être forts comme un « chaîne ». Mais où sont passés les rêves de Christine ? Aurait-elle abandonné son envie d’un travail avec plus d’échanges humains ? Paradoxalement, elle a trouvé sa voie en suivant la ligne d’assemblage. En entrant à PSA, elle s’est trouvé un autre centre d’intérêt : le syndicalisme. « Là, je m’épanouis vraiment. Répondre aux interrogations des salariés, et Dieu sait qu’il y en a beaucoup en ce moment, défendre l’injustice, cela me plaît », explique celle qui est désormais membre du comité d’entreprise et de la commission « égalité, diversité professionnelle ». Adhérente à la CFDT, elle espère aussi participer aux prochaines élections professionnelles, au sein de l’usine, en 2014. Pour ce syndicat, l’enjeu est de taille. N’ayant pas obtenu 10 % des voix lors des dernières élections, il ne figure pas parmi les syndicats représentatifs à  PSA  Rennes (2). Christine espère mais ne se sent pas à l’abri de devoir quitter l’usine pour autant. S’il n’y a pas suffisamment de départs volontaires à la fin décembre 2013, « je serai certainement sur la liste des licenciés. Je figure parmi les plus jeunes embauchées ». En tant que déléguée syndicale, elle bénéficie toutefois du statut de travailleur protégé. Protégé ? Pour licencier un représentant syndical, la direction doit obtenir l’accord de l’inspecteur du travail : ce dernier vérifie notamment si le licenciement remet en cause (ou non) la représentativité du syndicat, au sein de l’entreprise. Par expérience, celle qui a quitté son pays il y a plus de 30 ans, préfère envisager le pire. Lorsque nous la rencontrons pour la première fois, l’opératrice sait qu’elle peut toujours compter sur un autre emploi. Son frère aîné qui vit en Chine, lui a proposé de l’embaucher. Il travaille dans l’import-export de matériel de climatisation pour les pays d’Amérique du sud. Mais lorsque nous la retrouvons, en juin, elle précise : « Si vraiment, je n’avais pas le choix, j’irais là-bas évidemment. Nous en avons parlé avec mon actuel compagnon. Nous sommes prêts à bouger. Mais notre envie première est de rester en France. » Son compagnon est également délégué CFDT et travaille, lui aussi, à La Janais. S’il est peu probable que tous les deux perdent leur emploi en même temps, l’idée de créer leur propre activité commence aussi à trotter dans leur tête. Car 68


qui sait ce qu’il adviendra de l’usine dans cinq ou dix ans ? « J’essaie de voir le bon côté des choses. Toute nouvelle expérience est riche d’enseignements. C’est peut-être ma croyance dans le bouddhisme qui m’aide à réagir ainsi. Et mon parcours. Le problème, en France, est qu’il existe très peu de passerelles pour passer d’un métier à un autre. » À 40 ans, Christine n’a en somme qu’une certitude. PSA ne sera sûrement pas son dernier employeur… Selon elle, quel est l’avenir de l’usine PSA ? « Tout à l’air de se dérouler comme à l’usine d’Aulnay que le groupe va fermer. Là-bas, ils sont passés de deux lignes de production à une. Puis à la fermeture. À Rennes, à partir de l’automne, une ligne continuera à produire 46 véhicules par heure. Mais l’autre descendra à 23 véhicules/heure… Du coup, des rumeurs d’un nouveau plan social circulent. »   Plaque qui protège les éléments sensibles de la voiture des sources de chaleur que représentent le

(1)

moteur ou le pot d’échappement.   La CGT, le SIA, FO et la CGC pour les cadres sont dits représentatifs, c’est-à-dire qu’ils peuvent

(2)

négocier des accords avec la direction. Lors des élections professionnelles de 2010, la CFDT avait obtenu 7,7 % des voix.

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Sur la chaîne de montage, il fait des rêves de cinéma Jean-Michel Panaget, 44 ans, opérateur

P

artir de PSA ? Oui, mais pour faire quoi ? La question est cruciale lorsque vous n’avez pas de formation initiale, et que le métier que vous exercez ne se trouve plus dans la région. Jean-Michel Panaget, depuis près de dix ans à la chaîne, s’interroge.

Depuis qu’il a été embauché à l’usine PSA de Chartres-de-Bretagne, en 2004 (il avait auparavant travaillé en tant qu’intérimaire à La Janais), Jean-Michel Panaget vit au rythme de la chaîne. Quand il est de matin, il débute invariablement à 5 h 39. Son réveil, infatigable, sonne systématiquement une heure et demie avant, vers 4 heures « Il me faut ça pour me réveiller, me doucher. Et puis le bus pour me rendre au travail passe vers 5 heures .» Sa journée de travail dure alors jusqu’à 13 heures. Quand il est d’après-midi, il franchit un peu avant 13 heures les portillons métalliques à l’entrée de l’usine, pour les repasser à 20 h 21. Soit précisément 7 h 21 par jour. Un rythme immuable, réglé comme un défilé du 14 juillet… À la chaîne, les véhicules défilent devant chaque opérateur : des C5 ou 508, des berlines, des breaks, des diesels, des moteurs hybrides… Pour chacun d’entre eux, chacun connaît sa tâche. Sur les C5, « je branche un boîtier électronique ou j’installe un faisceau électrique. Parfois des crochets destinés aux bagages ». Sur les Peugeot 508, « je pose un tapis arrière anti-bruit et parfois une agrafe sous le volant. Sur toutes les voitures, je vérifie l’airbag », détaille Jean-Michel. L’opérateur dispose de moins de deux minutes par modèle. S’il repère un défaut, s’il n’a pas le temps d’accomplir sa tâche avant l’arrivée du véhicule suivant, ou s’il a besoin d’un coup de main, il tire sur une cordelette appelée andon (« lanterne » en japonais). Cette dernière déclenche un système d’alerte ; le procédé est inspiré des usines Toyota. « Un moniteur vient alors nous voir et nous aide. » Tout est organisé pour que la chaîne ne s’arrête pas. Mais un grain de sable est toujours possible en amont : « Si un robot au ferrage tombe en panne, s’il y a un problème à l’atelier de peinture ou avec la pelle à tarte. » La pelle à tarte ? « C’est-à-dire lorsque la voiture est soulevée, après avoir été équipée du moteur, pour changer de ligne. » Mais Jean-Michel en convient. Les incidents ne sont pas légion et, 70


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durant sept heures, « cela ne s’arrête pas. On prend les pièces qui sont apportées le long de la ligne. On se retourne vers la voiture. On se positionne et il faut aller vite. » Alors, certes, il y a les pauses. Aussi certaines, elles aussi, que Noël un 25 décembre. Lorsque Jean-Michel est de matin, la première tombe à 7 h 39 et dure onze minutes, puis suivent celles de 9 h 45 et de 11 h 30, de cinq minutes chacune. Un paradoxe : même pendant la pause, il faut aller vite. « Pour fumer, c’est assez loin. Il faut traverser toutes les lignes. Le temps d’aller et de revenir, tu ne fumes pas la cigarette en entier. Pour le café, on a notre dosette sur place. Là aussi, le temps de faire l’aller-retour jusqu’à la machine, il te reste à peine deux minutes pour le boire. » Après dix ans de chaîne, Jean-Michel se dit « cassé physiquement ». Lorsque nous le rencontrons en juin, il est en arrêt de travail. « J’ai eu des problèmes au dos. Cette fois, ce sont les rotules.» Il appréhende de reprendre. Pour limiter les problèmes physiques, et pour gagner en efficacité, la direction a pourtant mis en place le « lean ». Une méthode d’organisation dont l’objectif est d’éviter tout geste inutile. Mais un rapport confidentiel de la société Secafi en pointe les effets pervers. « Chez PSA, par exemple, les opérateurs évitaient, dans le cadre de cette organisation, de faire les quelques pas qui séparaient la chaîne de montage des bacs à pièces détachées. À présent, ils ont seulement à se tourner pour prendre les pièces. Sur le papier, c’est un effort de moins. Mais l’analyse du travail a montré qu’en réalité, ces quelques pas pouvaient être autant de micro-temps de pause pour les articulations des bras et du dos. Éliminer tout ce qui n’a pas de valeur ajoutée pour le client final (gestes ou mètres carrés, par exemple), peut malheureusement conduire à éliminer ce qui a une valeur ajoutée pour la santé », peut-on lire dans le rapport. Avec ses problèmes de santé, forcément, Jean-Michel songe sérieusement à quitter l’usine. Mais pour faire quoi ? Se former et chercher un emploi dans le bâtiment ? Dans l’agroalimentaire ? « Avec mes problèmes au dos et aux jambes, ce sera compliqué. Et puis des boulots physiques, je n’en veux plus », tranche-t-il. À 44 ans, sans formation initiale, ce célibataire a pourtant pratiqué plusieurs métiers. Il a travaillé dans une sellerie où il aménageait l’intérieur des véhicules, puis pour une entreprise spécialisée dans les banquettes de bars. Il a aussi été employé dans une entreprise de nettoyage. « Je vidais et je nettoyais les poubelles d’immeubles. Je débouchais les vide-ordures. » Il aimerait autant ne pas recommencer. 72


Alors quoi ? Les postes liés à la réindustrialisation du site de La Janais ? Pourquoi pas… Mais au début de l’été 2013, une seule entreprise avait officiellement annoncé son installation : la SNCF. Elle y implantera un atelier destiné à rénover les rames TGV du Grand Ouest. Problème : cette activité n’est prévue pour durer qu’entre trois et cinq ans. Or, durant ce laps de temps, le personnel retenu « sera toujours salarié de PSA. Et non de la SNCF. C’est du prêt de main-d’œuvre. À l’issue de ces trois ou cinq ans, officiellement, ce personnel réintégrera PSA », explique Pierre Contesse, de Force ouvrière. Avec l’incertitude de savoir ce qu’il adviendra alors de l’usine d’ici à 2018… Malgré cela, mi-juin, il y avait déjà 170 candidatures pour 80 postes disponibles dans le futur atelier de la SNCF. Tout ça, Jean-Michel le sait. Il a également entendu parler de l’implantation d’autres entreprises sur le site de La Janais. Il verra bien… L’homme ne semble pas abattu. Mais désabusé. Il n’est pas né avec une cuillère d’argent dans la bouche, mais il ne s’en plaint pas. Issu d’un milieu modeste - sa mère était femme de ménage - il dit n’avoir vu son père que deux fois dans sa vie. Il résume toute sa jeunesse en quelques mots. L’habitude de ne pas s’y attarder. Il y a pourtant un sujet qui le fait encore rêver : le cinéma. À l’évocation de Martin Scorsese, de Michael Mann, le sourire revient. Dans son appartement du Blosne, à Rennes, les DVD s’empilent sous la télé. Il a adoré le film La môme avec Marion Cotillard. Seven, avec Brad Pitt et Morgan Freeman, « est un des meilleurs films que j’ai jamais vus ». Côté français, il est fan de Gérard Lanvin et de l’acteurréalisateur Olivier Marchal. « C’est un ancien policier. Dans ses films de flics, on sent qu’il connaît son sujet. » Et quand il parle de la 508 sur laquelle il travaille tous les jours à Chartres-de-Bretagne, c’est pour faire ce commentaire : « Vous avez vu ? On la voit dans les séries françaises… » Dans l’absolu, si tout était encore possible, Jean-Michel aimerait travailler dans ce milieu. Un rêve ? Peut-être… Mais un rêve qui lui tient chaud. En août, à la veille de reprendre le travail, ce quadragénaire ne savait toujours pas s’il devait quitter PSA ou pas. Et surtout vers quel métier il pourrait se tourner… Selon lui, quel est l’avenir de l’usine ? « On nous annonce une nouvelle voiture en 2016-2017. Mais va-t-on vraiment continuer à produire la C5 durant trois ans encore ? Tout à l’air de se dérouler comme à Aulnay… »

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« J’ai quitté La Janais en une matinée » Alain Teffaine, 51 ans, conducteur moyen installation (CMI)

«J

e sortais de l’armée. Mon patron avait fait faillite. Il fallait bien que je trouve un boulot. » Alain Teffaine, électricien de métier, est embauché en juin 1982 à PSA, en tant que simple opérateur de chaîne. À cette époque, il y avait encore 13 000 salariés au sein de l’usine rennaise. Son arrivée coïncide avec l’assemblage de la Citroën BX mais aussi avec la mise en place de la robotique. L’emboutissage et les soudures sont désormais effectués par des machines : les postes les plus pénibles sont remplacés par des postes plus qualifiés. En l’espace de 31 ans d’activité, Alain, ce touche-à-tout, a occupé différents postes. « J’ai quasiment tout fait à PSA. Les faisceaux électriques sur les BX ; quatre ans au poste d’essai sur la XM, cariste au bâtiment 27, magasinier cariste ; à l’emboutissage pendant deux ans et conducteur moyen installation (CMI) ». C’est le dernier poste qu’il occupera au sein de l’usine. Pour cela, il aura été formé durant sept semaines. « J’ai appris à dépanner, à changer les mises de soudure, à mettre la ligne en route et à l’éteindre ». Alain travaille au sein de l’atelier de ferrage. Constitué d’îlots robotisés, cet atelier permet de regrouper les éléments qui vont constituer la carrosserie du véhicule. Des machines assemblent jusqu’à 430 éléments de carrosserie qui seront ensuite soudés par 800 robots. Jusqu’à 4 500 points de soudure peuvent ainsi être réalisés sur une seule voiture. À l’issue de cette transformation, la caisse en blanc est dirigée vers l’atelier de peinture. Telle une partition de musique, tout le ferrage est donc orchestré de manière extrêmement minutieuse même si, ici, les « musiciens » jouent plutôt de la grosse caisse que du hautbois. Le bruit est l’une des difficultés de cet atelier. « Chez PSA, il y a plus de cent îlots. Chaque îlot de robots correspond à une ligne de montage. Il y a 10 îlots par ligne. Sur mon îlot, on s’occupe des 74


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panneaux de côté. On pose les renforts, les intérieurs et les doublures des ailes arrière », précise Alain. Au ferrage, « on change de travail toutes les semaines afin de se répartir les postes les plus pénibles.  En général, on est prévenu du changement une semaine avant. Mais parfois le jour même ». En théorie, le code du travail impose à l’employeur de prévenir son salarié sept jours avant tout changement d’horaire, sauf accord contraire. Mais en cette année 2013, Alain Teffaine vit surtout au rythme d’une production déclinante. « Avant, on arrivait à produire 215 panneaux par jour et par équipe. Pour la 508, on n’a parfois produit que 240 à 250 panneaux avec trois équipes. Et quand je suis parti, on ne faisait plus que 90 panneaux par jour, sur la C5. » Le nombre de panneaux de côté a été divisé par trois. Le travail se réduisant comme une peau de chagrin, le chômage partiel est revenu à tour de bras. Ces périodes, Alain a tenté de les prendre avec résignation. Et de s’en accommoder. « On alternait les périodes de chômage partiel, applicable à toute l’usine, et celles de chômage tournant : on faisait tourner les gens sur la ligne de montage car on était trop nombreux. Pour le chômage tournant, on était informé le vendredi pour le lundi. Cela durait une semaine. Mais tu ne devais pas partir de chez toi car il fallait rester disponible ». Côté rémunération, Alain perçoit alors 92 % de son salaire. Mais le manque à gagner est malgré tout plus important qu’il n’y paraît. « En fait, on ne touche pas toutes les primes d’équipes, de transport… Au total, je perdais environ 250 € net par mois ». Alain a donc décidé de réagir. Adhérent à la CFTC, il se renseigne sur plan de départs en cours et fait ses calculs. Tout va alors aller très vite « J’ai décidé de chercher du travail. J’ai contacté plusieurs entreprises. J’ai déposé des CV dès janvier et février 2013 ». S’il ne sait pas encore ce qu’il va faire, il est sûr de ne pas vouloir rester à PSA. Une rencontre va tout changer. Alain croise un ancien collègue qui a quitté l’usine quatre ans plus tôt, dans le cadre du plan 2009. Ce dernier est devenu pizzaïolo ambulant, se déplaçant de commune en commune avec sa fourgonnette toute équipée. Or, en 2013, celui-ci vend son affaire pour ouvrir 76


un restaurant. « Je connaissais bien cet ancien collègue car j’allais acheter mes pizzas tous les dimanches soirs chez lui. Je me suis dit : “Pourquoi pas moi ?’’ Je lui ai demandé de m’envoyer son bilan et j’ai présenté mon projet le lundi matin à Citroën. » Aussitôt dit, aussitôt fait. Dès le lundi, il obtient un rendez-vous avec un responsable des ressources humaines de l’usine et avec le cabinet Sodie, chargé du reclassement. Et voici la suite : « Le lundi matin, j’arrive au boulot. Je demande à mon chef de prendre un rendez-vous avec la cellule “mobilité emploi’’. Il était 8 h 30 et il m’a dit : “ tu as rendez-vous vers 10 h.’’ Un DRH me reçoit tout seul. Je lui montre le bilan financier de mon ancien collègue. Il me dit : “ Il est bon ! ” Il a ensuite pris rendez-vous avec Sodie en urgence. Et à 13 h, c’était fini. Ce responsable m’a assuré que je pouvais partir. Il m’a fait signer un document et a prévenu mon chef que je ne revenais pas ». « J’ai pu partir aussi vite car on m’a autorisé à prendre mes vacances et mes journées de récupération sur le champ. J’ai alors accepté le congé de reclassement. Ils ont aussitôt appelé un maître crêpier à Maure-de-Bretagne où j’ai pu suivre ensuite un stage. » Ça se passe comme ça chez PSA. L’envie d’Alain de tenter sa chance ailleurs s’est concrétisée en une matinée. Pas une heure de plus. Et sans analyse poussée de son projet. Sur le coup, le futur restaurateur ambulant a éprouvé une « libération ». Quelques jours après son départ, Alain est retourné au cabinet Sodie. « On a finalisé le dossier, le bilan financier. Ils m’ont expliqué toutes les aides auxquelles j’avais droit. J’y suis retourné une nouvelle fois le 26 août pour le plan prévisionnel de ma future activité. Ils me l’ont donné. Et ce fut tout. C’est à moi ensuite d’aller voir un comptable, la chambre de commerce, le tribunal de commerce, la banque, l’assurance… » Fin juillet, Alain Teffaine a donc effectué un stage de 15 jours chez un maître crêpier (coût de la formation 1 200 €). En septembre, ce fut un stage de gestion obligatoire, via la CCI. Au final, l’ancien conducteur reconnaît que tout est allé très vite. Trop peutêtre. À l’instar d’autres collègues, il n’a pas vraiment saisi la manière dont avait été calculée son indemnité. « PSA nous a remis une plaquette d’information 77


par le biais de notre chef. Personne n’a rien compris. Elle évoquait des salaires à 2 500 €. Mais personne autour de moi n’avait un tel salaire. On m’a remis un papier et on m’a dit que je toucherai 62 000 €. Mais on ne m’a pas expliqué le calcul, ni quels étaient les salaires pris en compte. Je dois encore recevoir 3 000 € si l’entreprise existe toujours au bout d’un an. Je ne sais pas si Sodie va me rappeler. » Sur l’instant, la somme peut paraître importante. Mais créer son entreprise, aussi petite soit-elle, engendre des frais qui se chiffrent rapidement en milliers d’euros. Alain Teffaine le savait en se lançant dans ce projet. Il a pu le vérifier. Il s’est aménagé un laboratoire, a acheté un camion, a financé un stage de gestion, le Kbis, une chambre froide, une machine à faire la pâte… « Aujourd’hui, il me reste moins de 25 000 € », relativise-t-il. Le nouveau pizzaïolo ne regrette pas sa décision. Il vend désormais ses pizzas à Miniac-sous-Bécherel, Quévert, Irodouër, Quédillac… Il voulait partir, quitter une usine pour laquelle il pressent encore de sombres jours. Mais il n’aurait jamais imaginé que ce fut aussi « rapide ». Lui qui avait imaginé être davantage soutenu lors de sa création d’entreprise, est resté sur sa faim. Il pensait que le cabinet Sodie allait l’aider à remplir divers documents. « En fait, à la cellule de reclassement, on m’a dit d’effectuer telle et telle démarche, d’aller là et là. Et puis au revoir ! » Malgré tout, Alain reste heureux d’avoir entamé une nouvelle carrière. Mais le futur pizzaïolo gardera toujours un petit goût amer en bouche. « On nous a dit que l’usine coûtait trop cher, que le transport des véhicules vers d’autres pays coûtait trop cher et qu’il valait mieux les faire construire à l’étranger. » Après plus de 30 ans d’ancienneté, difficile à digérer…

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que sont-ils devenus ?

E

t après ? Après avoir franchi les grilles de l’usine une dernière fois, que se passe-t-il ? Que deviennent ces ex-PSA, partis par choix ou par lassitude ? Cette autre réalité des plans sociaux est plus diffuse, plus difficile à quantifier. Quelques ex-collègues gardent contact. Pas tous. Qui sait vraiment ce qu’ils sont devenus ? Il n’y a plus de suivi, plus de statistiques. Quatre ans après le plan 2009, qui peut dire si tous ont retrouvé un emploi ? Jean-Luc Perrard, l’actuel directeur de l’usine de La Janais, admet qu’il ne sait pas. « On suit un peu plus longtemps les gens qui ont créé ou repris une entreprise. Il y a un suivi durant les premiers mois de leur activité. Pour les autres, non… On a pris des précautions en amont. On s’est assuré, avant qu’ils ne partent, que leur projet professionnel était viable. Après nous n’avons pas de nouvelles, sauf s’ils en donnent. » Ils ne sont plus salariés de PSA et ce n’est plus son « job ». Sa responsabilité, répète-t-il, est de faire en sorte que les gens partent dans les meilleures conditions possibles : en ayant retrouvé un emploi ou en étant suffisamment formés pour en décrocher un nouveau.

Mais les salariés sont-ils toujours bien préparés à partir ? En 2007-2008, dans l’usine cousine de La Janais, à la Barre-Thomas, 309 postes ont été supprimés. Deux cent neuf d’entre eux ont adhéré à la cellule de reclassement. Durant un an, deux cabinets ont aidé ces salariés à retrouver un travail ou une formation. Pour quels résultats ? Officiellement, en avril 2010, 113 personnes étaient « en situation d’emploi ». 54 % auraient donc retrouvé un travail ? Pas aussi simple. Selon la CGT, seules 50 personnes avaient réussi à obtenir un CDI. « Cela ne fait qu’un quart des licenciés », se désolait Sylvain Selon, le délégué 81


CGT. Les autres avaient créé leur entreprise (huit), étaient devenus assistantes maternelles (sept) ou avaient décroché un CDD de plus ou moins de six mois (quarante-huit). Quant à ceux qui n’étaient pas « en situation d’emploi », 96 tout de même, ils étaient en formation, en recherche d’emploi, en arrêt maladie ou en congé maternité. Alors que sont devenus les 1 800 salariés de PSA partis en 2009-2010 ? Pour commencer, un petit retour en arrière…

En 2007, plus de volontaires que prévu Dès le début des années 2000, PSA met en place une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Cet accord permet d’adapter les effectifs de l’entreprise (mais aussi les compétences des salariés) en fonction de l’évolution de son secteur d’activité ou des choix stratégiques du groupe. Il s‘agit d’un accord d’entreprise signé par les partenaires sociaux : les syndicats représentatifs d’un côté et l’employeur de l’autre. Cette nouvelle manière de gérer les départs des salariés permet à PSA de réduire son sureffectif et, en théorie, d’éviter des plans sociaux brutaux. En 2007, la direction de PSA estimait le sureffectif à 4 800 salariés en France. Cette année-là, le groupe va décider de compléter (ou d’accélérer ?) la GPEC par un accord PREC : un « plan de redéploiement des emplois et des compétences ». Sous cette dénomination se cache, en fait, un plan de départs volontaires. Légalement, le terme PREC, directement attaché au groupe PSA, n’est prévu par aucun texte. Il s’agit d’une trouvaille. L’objectif reste de baisser les charges du groupe en réduisant sa masse salariale. À une période où le groupe inaugure des sites de production au Brésil, en République tchèque, Slovaquie ou en Russie, il réduit ses effectifs en France. Huit sites de production (Aulnay, Mandeure (scooters), Mulhouse, Poissy, Rennes, Sevelnord, Sochaux, Vesoul) sont visés par la réorganisation de 2007. GPEC, PREC, restructuration… On ne parle déjà plus de plan social ou de licenciements. Le vocabulaire change. Pas les effets. 82


Effectifs du groupe PSA (2007)

250 000

200 000

Nombre de salariés

Source Freyssenet

150 000

100 000

50 000

Années

0

1976

1986

1996

2006

2012

Dans le monde En France

Entre 1986 et 2012, les effectifs ont baissé de 30 % en France et augmenté de 19 % dans le monde. Depuis plusieurs années déjà, l’avenir du constructeur se dessine de plus en plus en dehors du territoire national. PSA adapte donc ses effectifs en conséquence. Le plan 2007 et ceux qui suivront en sont une illustration. Dans l’Hexagone, la préface de l’accord conclu le 2 avril 2007 précise les modalités du plan : « Le dispositif d’adaptation des effectifs et d’accompagnement social retenu consiste à ne pas remplacer les départs en retraite et les départs volontaires 83


et, en conséquence, d’aider les salariés qui souhaitent effectuer une mobilité interne ou externe. Il s’agit des personnes qui ont le plus de chances de réussir une reconversion professionnelle ou un projet personnel. » Pour que ce plan réussisse et pour ne pas avoir à recourir à des licenciements, il est donc impératif qu’il y ait des volontaires ! Et pour cela, la direction doit convaincre les salariés qu’il vaut mieux quitter l’entreprise avant qu’ils ne se fassent quitter. Si PSA supprime des postes, il tient à y mettre les formes… En 2007, l’objectif est donc de réduire les effectifs de 4 800 personnes en France. Pour y parvenir, le groupe met en place : - des cellules emploi-mobilité régionales (Rennes a la sienne) - des incitations financières sont proposées aux salariés volontaires pour quitter l’entreprise - des aides à la mobilité à l’intérieur du groupe. Les « volontaires » sont aidés dans leurs démarches pour trouver un nouvel emploi, créer une entreprise ou pour entamer une formation. Mais « en aucun cas ce dispositif ne s’adresse à des salariés qui souhaiteraient bénéficier des assurances chômage », précise le dispositif. Il est donc mis en place, sur le site de Rennes, tout un programme d’informations : plaquettes, connexions Intranet et des cellules de mobilité. Des agents y renseignent les salariés sur les indemnités possibles, leur présentent les entreprises de la région qui recrutent, les aident à constituer un dossier pour obtenir une formation… Sur le papier, au moins, nombre d’efforts sont déployés pour que les volontaires « ne restent pas sur le bord de la route ». Et cela fonctionne. Pour la direction, le plan 2007 est un véritable succès. Selon le directeur des ressources humaines (DRH) du groupe d’alors, JeanLuc Vergne, « force est de constater que les mesures mises en place par le groupe ont suscité une forte adhésion. L’objectif initial de 4 800 départs a été dépassé. Ceci s’explique par la qualité du dialogue social dans l’entreprise, les innovations développées et l’engagement de la direction, qui ont permis de mener ces adaptations rapidement et de façon responsable. » À lire le DRH, on pourrait presque croire que les salariés ont quitté PSA la fleur au fusil. Ils auraient admis que le constructeur ne pouvait les employer plus 84


longtemps et auraient apprécié à leur juste valeur les aides accordées par le groupe. Mais le DRH aurait aussi pu s’étonner qu’il y ait autant de salariés à vouloir partir. Sur la manière dont ils percevaient l’avenir de PSA (et donc le leur au sein du groupe), cela en disait déjà long. À Rennes, dans le cadre de ce plan, 435 personnes vont quitter l’usine. Mais le plan 2007 n’est qu’une première étape. D’autres vont suivre en 2009 et 2013. Sous d’autres appellations. En 2013, il s’agit d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Face à ce jargon, localement, peu de salariés y retrouvent leur latin. Inquiets, ils constatent l’érosion des effectifs. Jean-Paul Béthermin, un adhérent CFTC, se souvient de cet enchaînement de plans. « Avec la C5, C6, la 407 et la 407 coupé, le site de PSA de Rennes a produit jusqu’à 200 000 véhicules par an. En 2005, il y avait quatre équipes pour trois lignes de production. En 2007, j’ai donc connu mon premier plan. Aujourd’hui, il n’y a plus qu’une ligne de production. » À chaque dirigeant son plan : 1995-2007 : l’ère FOLZ se solde par une réussite puisque que l’homme réussit à hisser le groupe automobile en perte de vitesse au deuxième rang européen 2007-2009 : l’ère Streiff. Le dirigeant est remercié par la famille Peugeot. On lui reproche son management trop actif. 2009/… : l’ère VARIN se traduira par une baisse sans précédent des effectifs en France, un début de reconquête du marché européen et le début d’une véritable stratégie internationale. Mais quelles que soient les politiques menées, depuis six ans, le constat reste le même : chaque fin de plan en annonce un autre. De ce fait, le plan de l’année 2009 va s’inscrire dans la continuité du plan 2007.

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2009-2010 : il y a encore des volontaires Malgré le plan de 2007, dès janvier 2008, la direction de PSA considère qu’il y a encore trop de salariés à l’usine de Rennes. En ce début d’année 2008, le sureffectif est estimé à environ 2 300 personnes « au regard de son nouveau dimensionnement ». En 2008-2009, PSA investit en effet 50 millions d’euros pour réduire la capacité de production de l’usine qui passe de 400 000 véhicules par an à un peu plus de 200 000. Pour cela, là où il y avait trois lignes de montage, PSA n’en installe plus qu’une et demie. Une ligne principale capable de produire 46 véhicules par heure et une mini-ligne, pour le haut de gamme (la C6 par exemple), qui tournera à deux véhicules/heure. La performance et la survie du site sont, diton à l’époque, à ce prix. De janvier 2009 à mars 2010, la direction lance donc un nouveau plan de redéploiement des emplois et des compétences (PREC). Cette fois, ce sont 1 750 postes qui doivent être supprimés, à nouveau dans le cadre d’un plan de départs volontaires. Mais pourquoi ce choix du volontariat et non pas celui des licenciements économiques ? Me Claude Larzul, avocat rennais à la Cour, spécialisé en droit social, a son idée sur la question. « Pour mettre fin aux relations de travail et réduire le nombre de salariés avec le minimum d’incidences financières, l’imagination des entreprises a toujours été fertile. Intérim, contrats à durée déterminée, ruptures conventionnelles, plans de départs volontaires, plan de redéploiement des emplois et des compétences, et j’en oublie, tous les moyens sont bons pour éviter le vilain mot de licenciement. » Les départs volontaires présentent en effet d’indéniables avantages. D’abord, un PREC risque moins d’être contesté devant les tribunaux. À cette même période, deux syndicats, la CGT et la CFTC, demandent à la justice d’annuler le plan de sauvegarde de l’emploi mis en place à l’usine rennaise de la BarreThomas : 309 postes avaient été supprimés entre mai 2007 et avril 2008. Selon eux, le propriétaire d’alors, le fonds d’investissement américain Silver Point, n’avait pas suffisamment aidé les salariés licenciés. Les indemnités de licenciement se limitaient à ce que prévoyait la convention collective. « Rien de plus ! Le budget global de formation était de 30 000 €. 86


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Soit, en moyenne, moins de 100 € par salarié. Comment voulez-vous former des gens à un autre métier avec une somme si dérisoire ? », avait plaidé Me Larzul, devant le tribunal de grande instance de Rennes. L’aide à la formation fut, en fait, de 2000 € par salarié, si l’on se réfère aux personnes qui en ont réellement bénéficié, et non à la totalité des ouvriers partis, avait tenté de relativiser l’avocat de Silver Point. Mais par deux fois, le TGI de Rennes et la Cour d’appel ont donné raison aux deux syndicats. Les deux juridictions annulèrent le plan social. Au final, les licenciés ne furent pas réintégrés, mais ils purent obtenir des indemnités plus importantes. Autre avantage d’un plan de départs volontaires. Il n’est pas soumis aux mêmes obligations qu’un plan de sauvegarde de l’emploi. En théorie, aucun congé de reclassement n’est nécessaire, contrairement à un PSE. Ce fut la décision de la Cour de cassation du 26 octobre 2010. Dans le cadre d’un plan de départs volontaires à Renault, en septembre-octobre 2008, la CGT réclamait les mêmes droits que lors de licenciements économiques. La plus haute juridiction française lui a donné tort, estimant que tout licenciement ayant été exclu par l’entreprise pour atteindre la suppression de 4 000 emplois, aucun plan de reclassement n’était nécessaire. En 2009, une nouvelle fois donc, PSA fait appel aux volontaires. Et bien qu’elle n’y soit pas obligée, elle assortit ce plan d’une aide au reclassement. Or, une nouvelle fois, les résultats vont dépasser les objectifs. Près de 1 800 personnes quittèrent définitivement La Janais. Durant ce plan, 1 203 personnes ont été accompagnées par le cabinet de reclassement Sodie. « Ceux qui n’ont pas demandé à être suivis (soit environ 600 personnes), avaient souvent déjà retrouvé un emploi », indique-t-on à PSA. En fait, sur ces 600 personnes, il y eut aussi 151 départs en retraite et 168 mutations dans d’autres usines du groupe. Les 1 203 personnes ont, elles, été épaulées durant six à neuf mois. Combien ont retrouvé un emploi à l’issue de cette période ? Le résultat n’est guère encourageant : 78 d’entre elles avaient signé un CDI ou un CDD de plus de six mois. Soit 6 % des volontaires au départ. 88


Dans le détail, la situation mérite toutefois d’être nuancée. Près de 850 « partants » avaient 56 ans et plus. Avec une prime de départ qui a parfois dépassé 30 000 €, beaucoup ont pu patienter jusqu’à la retraite. Mais pas tous, la législation sur les retraites ayant changé entre temps. « Pour quelques-uns d’entre eux, il manquait entre 8 et 14 mois d’activité pour pouvoir toucher une retraite à taux plein. Et à l’issue de leur congé de reclassement, non seulement ils n’avaient pas retrouvé de travail, mais ils n’avaient plus de droits Assedic non plus », se souvient un cadre. 360 personnes de moins de 56 ans ont également été suivies par la cellule de reclassement. « Une solution a été trouvée pour 87 % d’entre elles. C’est une des particularités du plan 2009-2010. Beaucoup de personnes sont parties pour créer ou reprendre une entreprise. Ce sont des gens qui avaient cette idée en tête depuis longtemps et qui là se sont dit “ pourquoi pas ? ”», observe-t-on à PSA. 163 personnes exactement ont créé ou repris une société. Des hommes à 85 %. Des commerces à 60 % : bar-tabac, presse, PMU… 27 % d’entre eux se sont lancés dans des entreprises de services aux particuliers (lire l’exemple d’Alain Lerat ci-dessous). Au moment d’expliquer pourquoi ils faisaient ce choix, beaucoup ont répondu qu’ils créaient ainsi leur propre emploi. Quelques-uns aussi voulaient être « leur propre patron ». En septembre 2013, après plus de quatre ans d’existence, selon les données du cabinet Sodie, « 80 % de ces nouveaux chefs d’entreprise étaient toujours en activité. Ce qui est plutôt une bonne nouvelle, sachant qu’après cinq années d’existence, environ 50 % des nouvelles sociétés survivent », rappelle-t-on à PSA. Quant aux autres qui ont trouvé une solution, 72 ont suivi une formation qualifiante (susceptible de déboucher sur un emploi) et 78 ont donc signé un contrat CDI ou un CDD de plus de six mois : en tant qu’ambulancier, chauffeur ou dans le secteur du bâtiment. Quarante-sept personnes sont donc restées sans solution et sont allées gonfler les rangs de Pôle emploi. En résumé, près de 1 600 des 1  800 départs volontaires avaient une solution certaine fin 2010. Ils avaient pu prendre leur retraite ou l’attendre patiemment, retrouver un employeur ou créer leur entreprise. Soit 88 % des volontaires. 89


Alain Lerat : la nuit, il peut enfin dormir « Je suis parti de PSA en juillet 2009, après 37 ans à l’usine. » Alain Lerat a préféré quitter La Janais avant sa retraite, à 55 ans. Il a profité du plan de départs volontaires de 2009-2010. La direction voulait supprimer 1 750 postes à Chartresde-Bretagne. Il a sauté sur l’occasion. « J’en avais marre », lâche-t-il encore, quatre ans après avoir mis les voiles. Originaire du Morbihan, cet électromécanicien de formation aura passé la quasi totalité de sa carrière à la Centrale : l’unité de production et de distribution de l’usine en fluides et en énergie. C’est elle qui fournit le chauffage, l’eau potable et tout le gaz nécessaire aux machines. « C’est simple. Si la Centrale ne fonctionne pas, toute l’usine s’arrête. » C’est clair comme une carrosserie bien briquée. Mais Alain Lerat n’a pas souvenir qu’une telle panne soit arrivée. « Je me rappelle d’un transformateur électrique qui avait lâché. Il avait aussitôt fallu le remplacer. On avait travaillé toute la nuit. C’est le plus gros pépin que j’ai connu », se remémore-t-il. Au bout du compte, l’électromécanicien admet avoir « passé du bon temps ». Y compris lorsqu’il accepta de prendre des responsabilités syndicales à la CFDT. Il fut délégué du personnel et membre du comité d’hygiène et de sécurité (CHSCT) durant près de huit ans. « Cela ne m’a jamais posé de problèmes. Mais quand je suis rentré dans l’usine en 1972, ce n’était pas aussi simple d’être encarté. Soit vous apparteniez au syndicat-maison (la CFT qui devint la CSL en 1977 puis le Syndicat indépendant de l’automobile à partir de 2002). Soit c’était plus compliqué pour vous. Dans les années 70, il ne fallait pas prendre un tract de la CGT devant un membre de la direction. Vous étiez tout de suite catalogué comme “ rouge ” et convoqué dans le bureau de la direction », se souvient Alain Lerat. être adhérent à la CSL, « c’était une sorte de passeport. Pour espérer une rallonge sur le salaire ou une promotion, il fallait absolument l’avoir », complète Michel Bourdon, le représentant CGT. Lentement, à partir de 1981 et l’élection de François Mitterrand, le climat social va évoluer pour aboutir, en septembre 2010, à une petite « révolution » interne. Pour la première fois, la CGT est arrivée en tête des suffrages aux élections professionnelles avec 34,7 % des voix, devant le SIA (31,9 %). Le Syndicat indépendant de l’automobile semble avoir saisi l’air du temps. Il a opéré une mutation ces dernières années. Résultat, en septembre 2012, ses troupes sont 90


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allées manifester à Paris avec les autres syndicats pour protester contre le nouveau plan de suppressions de postes. « Il y a dix ans, c’était inimaginable. Aujourd’hui, je suis fier de dire qu’on est un syndicat pur et dur. C’est vrai qu’on privilégie le dialogue et la négociation, mais on n’est pas des bénis oui-oui », affirmait Pascal Steinbach du SIA, début 2013, à France 3 Bretagne. Toute cette évolution, Alain Lerat l’a vécue et appréciée. Mais il restait une chose qu’il ne supportait plus : ses horaires. Trente-cinq ans en trois-huit. Quantité de nuits à travailler de 21 h à 5 h 15. Quantité de week-ends à être de service. « à chaque fois qu’il y avait un repas de famille, ce n’était pas possible. Ou en tout cas très compliqué. » Quantité de matins à se lever à 4 h pour être à son poste une heure plus tard. « C’était le plus dur… le matin… se lever. » À ses débuts, le service était encore plus pesant. « Lorsqu’on était de week-end, on travaillait douze heures le samedi et douze heures le dimanche. À l’époque, il y avait quatre équipes de quatre hommes qui se relayaient. Par la suite, on est passé à cinq puis six équipes. » En 2009, la direction lance donc son nouveau plan de suppressions de postes. À la Centrale, cela se traduit par une équipe de moins et un salarié de moins par équipe. « Au lieu de six équipes de quatre, on passait à cinq équipes de trois. Et du coup, on devait à nouveau travailler davantage de week-ends dans l’année : 13 de plus ! C’est là que j’ai décidé de partir », explique Alain Lerat. Pour cet homme qui avait commencé à travailler à 18 ans, il ne restait pourtant que cinq années de bons et loyaux services à effectuer avant la retraite. Mais le ras-le-bol l’a emporté. Bricoleur et débrouillard, l’électromécanicien qui, avec son épouse, possède une maison aux environs de Rennes, décide de s’installer à son compte. Et de se lancer dans le service à la personne. Son objectif : proposer de menus travaux aux personnes âgées ou aux couples propriétaires d’une maison. Notamment de tondre leur pelouse et de tailler leurs haies et arbustes. « Beaucoup de personnes âgées vivent seules dans des habitations avec jardin, sans pouvoir s’en occuper. Idem pour les couples qui n’ont pas toujours le temps d’entretenir leur terrain », explique-t-il. L’idée n’est pas mauvaise et a priori peu risquée. Avec son ancienneté, Alain Lerat a pu quitter PSA « avec une bonne prime ». Avant de démarrer son activité, il avait sept mois devant lui pour peaufiner son projet : « J’étais alors payé à 95 % de mon salaire. J’en ai profité pour suivre une formation informatique : j’ai appris à me 92


servir des logiciels Word et Excel. » Il peut également compter sur un emprunt de 15 000 €, à taux zéro, consenti par PSA, pour s’acheter le véhicule Citroën Berlingo nécessaire à sa future activité. Enfin, il est épaulé par le cabinet de reclassement Sodie avec qui il effectue une étude de marché. L’investissement s’arrête là. L’ex-salarié de PSA n’a besoin d’aucun emprunt bancaire. Il n’a pas de matériel de jardinage à acheter. Il en possède déjà et peut à l’occasion travailler avec les propres outils de ses clients. Il n’aura pas de stocks à gérer. Mais reste le plus difficile : se faire connaître. Le nouvel entrepreneur fait imprimer des tracts qu’il distribue dans les environs, ainsi que dans la région de Ploërmel d’où il est originaire et où il connaît encore de nombreuses personnes. Le bouche à oreille peut rapidement constituer sa meilleure publicité. Mais le cabinet Sodie le met en garde. Malgré le peu d’investissement initial, « l’EURL (entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée) de M. Lerat est une petite société. Il dégagera peu de chiffre d’affaires au bout d’une année, à peine 23 000 € (…) La société ne devrait pas tirer de bénéfice d’exploitation la première année, sauf si le chiffre d’affaires est supérieur aux prévisions. Les années suivantes seront également très tendues », prévoit l’étude de marché. Pour autant, Sodie a bien compris les motivations de l’ex-salarié et ajoute : « M. Lerat est conscient de cette situation mais il sait qu’il va y gagner en qualité de vie (...) Il a parfaitement pris note de sa perte de pouvoir d’achat. Il souhaite vivre différemment aujourd’hui et a intégré tous les éléments financiers. » Au final, Alain Lerat aura « tenu quatre ans. Je pensais que cela pouvait marcher. Mais c’est une activité saisonnière. Ce n’est pas viable. On ne peut pas gagner sa vie avec cela uniquement. » L’homme est un peu déçu mais pas abattu. Financièrement, il n’y a pas laissé de plumes. « J’ai pu risquer cette entreprise car ma maison était payée, que mes deux enfants avaient du travail et que mon épouse avait un emploi. Et puis, grâce à cette activité, j’ai continué à cotiser à une caisse de retraite », préciset-il. En attendant de pouvoir la prendre – ce sera en 2014 - il fait valoir ses derniers droits Assedic. Depuis 2009, Alain Lerat ne se sera pas enrichi. « Mais je ne regrette rien », assuret-il. Depuis cinq ans, il peut enfin dormir la nuit…

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Loïc Lemarchand : « Tous les cinq ans, je change » Le premier contact de Loïc Lemarchand avec le secteur automobile fut l’usine de la Barre-Thomas, à Rennes. « Là-bas, j’étais responsable d’une ligne. Mais j’étais intérimaire. Je travaillais beaucoup. À cette époque, il y avait encore du boulot ». Il effectuait du mandrinage. Il devait produire des durites destinées aux voitures, avant de les déposer dans des autoclaves (sortes de grosses marmites). « On était trempé du matin au soir. C’était vachement physique. Je suis le dernier intérimaire à être resté, puis je suis allé à Eternit », un fabricant de matériaux pour toitures et façades. Assez rapidement, il va revenir à PSA par la grande porte. En effet, le conducteur de ligne a été remarqué et apprécié à la Barre-Thomas. « Mon travail avait été très bien noté par la boîte d’intérim. Au moment du lancement de la 407, en 2004, PSA cherchait des gens motivés. Etant donné que j’avais déjà travaillé près de quatre ans à la Barre-Thomas, j’ai été embauché. » Etonnant parcours. À cette période, ce charcutier de formation avait voulu tourner la page des métiers de bouche. « Envie de faire autre chose.  De voir comment cela se passait dans d’autres milieux. J’aime bien bouger. » La suite de sa carrière le confirmera. À PSA, il suit une formation de tôlier et obtient haut la main son diplôme. « Comme que je suis sorti premier de ma formation, j’ai pu choisir mon poste et l’équipe dans laquelle je voulais être affecté. J’ai choisi la nuit ». Le travail ne lui fait pas peur. C’est peu de l’écrire. Car s’il choisit le travail nocturne, c’est qu’à cette période, il construit lui-même sa maison. « J’avais ainsi mes journées de libre et de plus longs week-ends. » 2009, arrive le plan de départs volontaires. Loïc a moins de cinq ans d’ancienneté à PSA mais estime que c’est peut-être le bon moment pour partir. « Je n‘avais que 36 ans. Mais tous les quatre ou cinq ans, j’aime bien faire autre chose. Je me suis dit pourquoi ne pas sauter sur l’occasion. » Crise ou pas, le tôlier n’a pas froid aux yeux. Il prend le parti de tout quitter et décide de s’installer pizzaïolo ambulant. Il se lance dans les démarches : plan de financement, étude de marché… « À PSA, on avait eu des réunions pour nous expliquer ce qui allait se passer en cas de départ. Pour partir, il fallait juste faire une demande et avoir un projet sérieux. » 94


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Banco ! Loïc Lemarchand entame la procédure liée aux départs volontaires. Il rencontre les membres des ressources humaines puis le cabinet de reclassement : « On va les voir. Ils étudient vos documents, discutent un peu avec vous, font des calculs pour voir si votre projet tient la route. En réalité, il n’y a pas trop de calculs. C’est oui pour tout le monde. Il fallait que les gens partent. Donc celui qui avait un projet, il pouvait s’en aller ». Après son départ, les nouvelles du cabinet de reclassement ou de PSA se font rares. « Personne ne m’a jamais contacté. Il y a beaucoup de discours pour nous faire partir. Mais après… Je n’attendais rien de ce point de vue-là. Il faut être lucide. ». L’ancien salarié a tout de même reçu un courrier de PSA quelque temps plus tard. « C’était pour acheter une voiture… » Avec sa pizzeria ambulante, Loïc a circulé six jours sur sept dans des communes, entre les Côtes-d’Armor et l’Ille-et-Vilaine. Dans un premier temps, pour mettre toutes les chances de son côté, il a même pris un second emploi. « Je livrais des journaux le matin en attendant de me faire ma clientèle. Ce second travail a duré dix mois. » Il le reconnaît. Le plan social lui a permis de « sauter le pas. J’ai perçu une bonne indemnité. Je suis content de ce que j’ai eu. Dans d’autres sociétés, c’est souvent moins ». Et d’ajouter : « Le temps que j’ai passé à l’usine m’a bien plu. J’ai apprécié le travail en tôlerie. Citroën, c’est un monde à part. J’y garde de bons souvenirs. » Quatre ans après son départ, Loïc ne regrette donc pas sa décision. Il n’a pas non plus le sentiment de devoir quelque chose à PSA. « Je suis parti. Cela les arrangeait. Je ne leur dois rien. Ils ne me doivent rien », estime-t-il. Aujourd’hui, Loïc s’est encore lancé dans un nouveau projet. Plus proche celuilà de ce qu’il faisait auparavant. Il a cédé son affaire, sa pizzeria ambulante. Sa femme et lui viennent de reprendre un restaurant à Evran, dans les Côtesd’Armor, avec des chambres d’hôtes. Et trois salariés. Pour Loïc, la roue a finalement tourné dans le bon sens.

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Frédéric Besnard : la campagne lui manque Vue de Bretagne, Poissy, ville d’environ 38 000 habitants, située dans le département des Yvelines, ne fait pas nécessairement rêver. On aurait d’ailleurs du mal à l’associer à une spécialité, un monument ou un personnage. Cambrai possède ses bêtises ; Limoges sa porcelaine ; Paimpol ses cocos… Mais Poissy ? La ville, ancienne cité royale, a pourtant vu naître l’un des plus fameux rois de France : Louis IX, plus connu sous le nom de Saint-Louis. D’autres femmes et hommes célèbres y ont habité : les peintres Nicolas Poussin et Claude Monet, l’écrivain Honoré de Balzac. Plus récemment, la chanteuse Catherine Lara y naquit. Sans oublier, pour les mélomanes avertis, Karen Cheryl qui y vécut durant son enfance… Plus prosaïquement, c’est le travail qui amena Frédéric Besnard, Breton de naissance, dans cette agglomération de la région parisienne, marquée par l’automobile. Au cours du XXe siècle se succédèrent les marques Grégoire, Ford, Simca, Chrysler, Talbot et désormais PSA qui y possède son pôle tertiaire et une usine.

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Frédéric Besnard a été embauché à l’usine PSA de Chartres-de-Bretagne en mars 2004. C’est-à-dire comme beaucoup des derniers embauchés, avec la production de la 407. Il débute comme cariste, puis devient moniteur de ligne. « Je gérais une équipe de cinq à six personnes sur la ligne de montage et j’étais chargé de m’assurer que les véhicules sortaient de ma zone avec la qualité requise. » En 2009, lorsque la direction annonce qu’elle veut supprimer 1 750 postes, ce célibataire accepte d’effectuer des remplacements à l’usine d’Aulnay. « Une semaine sur deux, je partais le dimanche matin ou en fin d’après-midi et je rentrais le samedi matin. J’ai d’abord logé à l’hôtel puis j’ai intégré une colocation. C’était beaucoup de fatigue. Mais financièrement, c’était intéressant : on était défrayé. » À cette époque, Frédéric Besnard ne pense pas encore quitter La Janais. Mais il a bien envie de goûter à un autre métier au sein du groupe. Et le fait savoir. PSA lui propose alors un marché clé en main : « On m’a annoncé qu’un poste de gestionnaire de comptes était disponible à Poissy. Mais uniquement dans le cadre d’une mutation définitive. J’ai réfléchi. J’avais l’impression que la crise allait encore durer à La Janais. Le fait d’être célibataire me facilitait la tâche. J’ai donc accepté. »

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Lorsque nous avions rencontré Frédéric pour la première fois, en décembre  2009, environ deux mois après son arrivée à Poissy, il affirmait ne pas avoir de regrets. Nous l’avons recontacté près de quatre ans plus tard, en avril 2013. Il avait raison. À Chartres-de-Bretagne, la crise a encore duré. Loin des lignes de montage, il ne voit plus défiler des voitures, mais des colonnes de chiffres. Il est gestionnaire de comptes de fournisseurs. « En clair, je paie les fournisseurs. Je dispose d’un portefeuille de plusieurs milliers de fournisseurs. C’est un métier très prenant. Car quand les fournisseurs nous appellent, c’est pour être payés… » Seulement voilà, si Frédéric reconnaît avoir un « très bon » poste, ce Breton ne s’acclimate pas à la région parisienne. Lui, le natif de Montfort-sur-Meu (Ille-etVilaine) : la plus grosse ville du canton avec 6 500 habitants où résidèrent aussi quelques personnalités dont Louis-Ferdinand Céline. Mais où, a priori, Karen Cheryl ne chanta pas. « J’ai toujours habité à la campagne. C’est l’endroit où j’ai grandi. J’ai envie de quitter la région parisienne et de me rapprocher de ma famille », confesse-t-il. Au point de songer à quitter PSA, puisqu’un retour à La Janais semble exclu ? « C’est une piste de réflexion. Dans ces cas-là, on pèse toujours la colonne des pour et celle des contre… » Dans l’immédiat, Frédéric n’a pas encore choisi de partir.

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Ils ont quitté Rennes, mais pas PSA Des salariés comme Frédéric Besnard, il y en eut d’autres. En 2009-2010, 168  personnes ont accepté d’être mutées définitivement dans une autre usine du groupe. Pour convaincre ces salariés, PSA a notamment distribué des plaquettes citant des exemples de mobilité interne. Sur ce document, Vincent, 34 ans, affirme avoir apprécié la franchise de sa hiérarchie : « J’ai ainsi pu préparer mon changement d’orientation avec sérénité (…) » Pour Jérôme, 28 ans, « mon gestionnaire de personnel a pris en compte mon engagement en tant que sapeur-pompier volontaire. Un poste d’agent de prévention et de sécurité m’a été proposé. » Isabelle : « Avec le recul, je dirais à ceux qui n’osent pas bouger, qu’il ne faut pas hésiter à se lancer. On apprend à se remettre en cause, à créer de nouveaux liens, c’est toujours positif ! » Enfin Mohammed renchérit : « J’ai apprécié la disponibilité et la patience dont ont fait preuve mes collègues et responsables hiérarchiques. De mon côté, je me suis retroussé les manches pour y arriver ! » À la lecture de ces témoignages, on serait tenté de conclure que le bonheur est dans le PREC… Sans doute existe-t-il nombre de mutations réussies. Les exemples cités ci-dessus évoquent des salariés qui ont déménagé de Rennes à Aulnay, de Rennes à Vesoul, d’Aulnay à Poissy ou encore de Mulhouse à Sochaux. Leurs salaires mensuels se situent entre 2 000 et 2 500€. Mais après coup, on ne peut s’empêcher d’être étonné que des postes aient été proposés à l’usine d’Aulnay. Le groupe avait-il déjà envisagé sa fermeture ? Officiellement non puisqu’il niera vouloir fermer ce site parisien jusqu’en 2012. Selon nos informations, les salariés rennais ayant rejoint Aulnay furent rares. Les syndicats n’en connaissent pas le nombre. Certains délégués pensent qu’il y en eut deux. Ce qui est sûr, c’est qu’il y en eut au moins une. Elle s’appelle Vicky Dilo. En 2009, elle avait quitté Rennes pour Aulnay avec une prime alléchante : 34 000 € plus 9 000 € d’aides pour s’installer en  région  parisienne.

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En changeant d’usine, elle changeait aussi de poste et voyait son salaire progresser de 100 € par mois. Elle quittait la chaîne pour devenir contrôleur qualité. « Quand j’ai vu les moyens que la direction mettait en place pour nous faire venir à Aulnay, je me suis dit : “pourquoi fermeraient-ils Aulnay ?”», confie-t-elle en juillet 2012 à France 3 Bretagne. Trois ans plus tard, la néo-Aulnaysienne doit déchanter. « Pourquoi ont-ils proposé des postes de reclassement à Aulnay, s’ils avaient l’intention de la fermer ? Je suis persuadée, aujourd’hui, qu’en 2009, la direction avait programmé de fermer cette usine. En 2009, moi, je voulais bouger, voir autre chose. Mais s’il n’y avait pas eu cette proposition à Aulnay, j’aurais choisi Poissy. Et aujourd’hui, j’aurais toujours mon emploi. » écœurée, la jeune femme n’a pas cherché à être mutée dans un autre site de PSA. Elle a été licenciée en juin 2013. Revenue en Bretagne, elle envisage de travailler à nouveau dans la restauration, son précédent métier, ou d’entamer une formation d’assistante commerciale.

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quel avenir pour l’usine ?

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n mai 2011, alors que l’usine de La Janais s’apprêtait à fêter ses 50 ans, Jean-Marie Dailland, directeur du site, se voyait poser la question suivante : fêtera-t-on les 60 ans de l’usine en 2021 ? Sa réponse fut catégorique : « Ah oui, c’est clair ! » (1)

Deux ans et demi plus tard, fin 2013, il n’est pas sûr que ce même dirigeant soit aussi convaincu. En tout cas, à Chartres-de-Bretagne, plus personne ne se hasarderait à une telle affirmation. Les plus optimistes espèrent qu’il y aura toujours une usine PSA à Chartres-de-Bretagne, mais ils pressentent que l’effectif sera moindre. Les plus pessimistes, dont les rangs gonflent de mois en mois, sont persuadés que le constructeur a d’ores et déjà projeté de fermer La Janais. L’avenir immédiat de l’usine, c’est donc l’actuel plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) qui prévoit la suppression de 1 400 postes : 400 départs dans le cadre de mutations au sein du groupe ; 400 départs liés à la réindustrialisation du site et 600 « reclassements externes », c’est-à-dire des départs définitifs.

Les bons comptes ne font plus les Ami 6 Sur le papier, ce plan social est limpide. Dans les faits, l’objectif de 1 400 départs est beaucoup plus aléatoire. Prenons l’exemple des « mobilités internes » : la direction souhaite que 400 salariés rennais acceptent d’être mutés dans d’autres sites du groupe. Une centaine de postes est disponible en région parisienne à Poissy (C3, DS3, 208) ; 200 à Mulhouse où est produite la Peugeot 2008. Au total, selon Jean-Luc Perrard, l’actuel directeur de l’usine à Rennes, le constructeur proposait, mi-2013, 1 700 postes en France. « Les postes existent. Ils sont là, sur la table », insiste-t-il. Ce dirigeant, arrivé il y a deux ans à Rennes, veut croire que les 400 mutations seront possibles. Il rappelle que, par le passé, jusqu’à 900 salariés rennais sont 103


allés travailler à Aulnay ou à Poissy. Seulement voilà, ce personnel était alors mis à la disposition des usines parisiennes, et non muté. « Cette diaspora fonctionne effectivement tant qu’il y a un élastique qui ramène la personne à Rennes. Là, avec ce plan, il est vrai qu’on propose de couper l’élastique », convient le dirigeant. Pour autant, la direction ne renonce pas et use de tous les arguments. PSA offre des aides pour le déménagement, pour le conjoint afin qu’il puisse trouver un nouvel emploi. « À Mulhouse, les 200 postes sont réservés aux Rennais. Il ne faut pas oublier non plus que nous sommes à PSA : les gens ne partent pas avec rien. Nous ne sommes pas des sauvages », assure le directeur. Là où il aurait tendance à être moins conciliant, c’est vis-à-vis des cadres réticents à bouger… « Je peux comprendre les hésitations d’un ouvrier né dans la région. Mais un cadre, lui, a une clause de mobilité dans son contrat. Historiquement, il y a eu à Rennes une fréquence de lancement de nouveaux véhicules supérieure aux autres sites. Certains ont alors pris racine… Attention, je ne dis pas que tous les cadres doivent partir. À nous de faire preuve d’un peu de pédagogie », indique-t-il.

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En clair, si davantage de cadres pouvaient montrer l’exemple et se rendre à Poissy ou ailleurs, la direction apprécierait le geste… À la CFDT, on doute que les 400 mutations soient atteintes. « Tous ceux qui souhaitaient être affectés dans une autre usine, ces dernières années, ont eu l’occasion de le faire. S’il y a 200 mutations, ce sera déjà beaucoup », estimait le syndicat en septembre 2013. Autre dossier délicat : celui de la réindustrialisation. Là encore, en théorie d’ici à la fin 2013, PSA espère que de nouvelles entreprises s’installeront sur son site et qu’elles embaucheront 400 de ses salariés. Problème : en septembre, les projets concrets n’étaient pas légion. La SNCF a confirmé qu’elle recrutera 80 personnes pour rénover ses rames TGV du Grand Ouest. Ces salariés ne seront pas embauchés par le transporteur ferroviaire, mais détachés durant une période de trois à cinq ans. Ensuite, ils seront réaffectés à PSA. Deux autres entreprises seraient prêtes à venir sur le site de La Janais : une société de BTP et une autre spécialisée dans la construction de logements à partir de conteneurs. « À elles deux, elles recruteraient 40 personnes. Avec la SNCF, cela ferait donc 120 personnes recrutées pour l’instant. On est loin des 400 », s’agace Laurent Valy de la CFDT. Et ce, d’autant plus que nombre d’entre elles « gagneraient autour du Smic, c’est-à-dire moins qu’à l’usine ». Alors, un fiasco cette réindustrialisation ? Au moment où ce livre paraît, il est trop tôt pour tirer un bilan. « Ce qui est sûr, c’est qu’il faut des emplois pour tout le monde. Peut-être aurons-nous une grosse implantation. Mais si dix entreprises, recrutant 20 personnes chacune, viennent s’installer, cela fait 200 emplois, et cela me va aussi », insiste le directeur, Jean-Luc Perrard. En coulisses, on évoque un industriel américain de l’agroalimentaire qui pourrait venir s’implanter à Chartres-de-Bretagne afin de produire de la poudre de lait. On parle de 600 emplois, peut-être 1 000 d’ici à 2019. « Si ce projet se concrétise, ce serait le jackpot », commente, prudent malgré tout, Pierre Contesse de FO. Le nom du géant américain General Mills, qui a pris le contrôle de Yoplait en 2011, a un temps circulé. Mais ce dernier dément. « Nos sites industriels sont installés au cœur de régions agricoles clés pour l’approvisionnement en matière 105


première : nous avons une usine à Arras (Pas-de-Calais) qui produit pour 77 pays dans le monde, et une usine à Labatut (Landes) qui produit pour de nombreux pays d’Europe. Nos deux marques concernées, Géant Vert et Häagen-Dazs, ont d’ailleurs été certifiées « Origine France » grâce à ces deux sites. Par conséquent, nous n’avons aucun projet à Rennes », indique la direction. PSA a chargé le cabinet BPI de prospecter les candidats. Peugeot-Citroën ayant désormais besoin de moins de place à La Janais, 40 hectares de foncier sont disponibles dont quatre bâtiments industriels et six bâtiments tertiaires. Pour mener à bien la réindustrialisation, le constructeur n’est pas seul. Les services de l’état, les collectivités territoriales (Région, Département, Rennes métropole, la ville de Chartres-de-Bretagne) et différents organismes économiques s’activent pour dénicher ces nouveaux employeurs. Le plus vite possible… Tout le paradoxe de cette réindustrialisation réside en effet dans le temps. Si l’opération réussit, c’est-à-dire si 400 emplois (ou plus) finissent par voir le jour à La Janais, les actuels salariés de PSA auront quitté l’usine depuis plusieurs mois, sinon plusieurs années. En attendant, et au cours de ce dernier trimestre 2013, la question qui agite tous les salariés tient donc à un nombre : y aura-t-il 1 400 personnes à vouloir partir « volontairement » de l’usine d’ici au 31 décembre ? Si ce n’est pas le cas, les départs volontaires feront place aux licenciements économiques. Et les premières notifications auraient alors lieu début avril 2014. Ni la direction, ni les syndicats, ni les premiers concernés - les salariés - ne souhaitent en arriver là. L’ambiance se crisperait encore un peu plus. Pour éviter pareille échéance, deux forums de l’emploi ont été organisés à l’intérieur de l’usine : les entreprises qui recrutent, viennent y proposer leurs postes et recueillir des CV. « Lors de la première journée, 660 CV ont été déposés : de l’ouvrier au cadre. Lorsqu’il y avait un forum, les années précédentes, les salariés venaient se renseigner. Là, ils sont directement venus avec leur CV à la main », observe Pierre Contesse qui ne sait s’il faut s’en réjouir ou s’en inquiéter. Pour autant, en septembre, personne n’était en mesure de dire si l’objectif de la direction serait atteint. Dans son rapport, dès novembre 2012, Emmanuel Sartorius se demandait si, à Rennes, on n’était pas « proche des limites du 106


volontariat » : il y a déjà eu 2 222 départs de 2007 à 2009. Jean-Luc Perrard, le directeur, lui, avait encore bon espoir. De février à juillet 2013, plus de 1 500 personnes étaient venues se renseigner au pôle de mobilité. « C’est plutôt bon signe », estimait-il alors. Mais après l’été, les syndicats étaient moins optimistes. Fin août, seuls 538 départs avaient été enregistrés. Chacun avait en tête les mots du président du directoire de PSA, Philippe Varin, en juillet 2012 : « Nous avons pris l’engagement qu’il n’y aurait pas de licenciements secs.  Chaque employé aura une solution à son problème d’emploi. » Qu’en sera-t-il vraiment ? Quant au gouvernement, par la voix du président de la République qui n’acceptait pas, le 14 juillet 2012, « ce plan en l’état », ou par la voix du ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, qui avait critiqué la stratégie de la famille Peugeot, il semble s’être résigné aux mesures telles qu’elles avaient été annoncées par PSA dès juillet 2012. « PSA a trop tardé, a dissimulé, et la conséquence maintenant est qu’on est obligé de prendre des mesures de redressement (…) On n’a pas trouvé d’autres solutions », admettait Arnaud Montebourg au micro de RTL, en février 2013. À La Janais, les mois passent, loin des déclarations parisiennes. Personne ne sait si les suppressions de postes prendront la forme de départs volontaires ou de licenciements économiques. « C’est une question de vocabulaire »,

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lâche, dépité, un ouvrier. Beaucoup continuent néanmoins d’espérer qu’ils ne figureront pas dans « la charrette ». Sous couvert d’anonymat, un cadre de l’entreprise assure qu’un certain nombre de salariés n’osaient pas venir au pôle de mobilité par peur d’être catalogués « sur le départ » ou de figurer sur l’éventuelle liste des licenciés. « Un salarié qui avait fini par franchir le pas, s’est exclamé : “ ça y est : je suis fiché ! ” à ce moment-là, un autre qui se trouvait là, s’est mis à rigoler. Il lui a répondu : “Moi, cela fait cinq fois que je viens, et je ne suis toujours pas viré”», rapporte ce cadre. C’est sans doute vrai. Venir se renseigner au pôle mobilité ne précipite pas son départ de l’usine, pas plus que de parler de ses obsèques ne fait mourir. Mais, franchement, demander à des salariés de partir volontairement sous peine d’être éventuellement licenciés, relève du choix cornélien… Ce serait un peu comme proposer à une personne s’apprêtant à s’engager sur une route désertique, de choisir entre partir à pied ou monter à bord d’une voiture qui n’aurait plus de carburant… Le directeur en convient : « Individuellement, l’inquiétude est grande. C’est vrai. Mais nous avons la volonté de conserver le meilleur climat possible. Les gens restent impliqués dans leur travail. Les indicateurs de qualité que nous avons restent bons », assure-t-il. Méthode Coué ? Les données enregistrées

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par la direction sont sans doute bonnes. Mais tous les témoignages que nous avons recueillis font état d’une ambiance pesante. Car, au-delà de l’actuel plan social, l’horizon apparaît toujours bouché…

Que produira la Janais de 2014 à 2016 ? Et après ce plan ? Une nouvelle voiture est annoncée : la X8, la remplaçante de la C5. Puis peut-être dans la foulée la R8, la remplaçante de la 508 (nous y reviendrons). Ce premier nouveau véhicule n’étant pas attendu avant 2017, que produira La Janais durant les trois prochaines années (2014, 2015 et 2016) ? Les mêmes modèles qu’actuellement : la C5 et la 508. Certes, la Peugeot 508 va être « restylée ». Mais ce relookage générera-t-il beaucoup plus de volume pour autant ? On peut en douter. Dans le volet 2 du rapport Secafi, établi à la demande du comité central d’entreprise, le cabinet d’audit avançait les estimations suivantes en novembre 2012. Misant sur un lancement de la X8 fin 2016, et donc une année pleine en 2017, il prévoyait une production de 134 000 véhicules à Rennes en 2013, 125 000 en 2014, 110 000 en 2015 et 2016, et un rebond en 2017 et 2018 avec 180 000 véhicules assemblés pour chacune de ces deux années. « Le site de Rennes doit donc faire face à une situation conjoncturelle de sous-charge jusqu’au second semestre 2016, avant de retrouver des volumes stables de 180 000 véhicules par an. » Et ce même cabinet de prévoir qu’avec cette montée en charge, les effectifs de La Janais devraient alors augmenter de… 360 postes. Malheureusement pour Rennes, ces prévisions établies en 2012 se révèlent d’ores et déjà surévaluées. En 2013, ce ne sont pas 134 000 véhicules qui auront été produits, mais moins de 100 000 (probablement autour de 90 000). D’ici à l’arrivée du nouveau véhicule, l’usine rennaise n’aura d’autre choix que de courber le dos. Pendant trois ans, « on va faire feu de tout bois. On prêtera du personnel à d’autres sites du groupe. Il y aura du chômage partiel et la réindustrialisation aura progressé », assure la direction de PSA. Rien de bien rassurant en somme… À moins que… À moins que le marché automobile européen ne reparte à la hausse. C’est en tout cas ce que pensent et espèrent les grands patrons de l’automobile. Début septembre 2013, au salon de l’automobile de Francfort, Alain Mulally, le PDG de Ford, a estimé que « sur le Vieux Continent, l’industrie 109


automobile pourrait avoir quasiment atteint un point bas ». Autrement dit, la reprise des ventes serait en vue. Même optimisme de rigueur pour le patron de Renault, Carlos Ghosn. Le secteur automobile, en Europe, « devrait voir le bout du tunnel. Après cinq années de baisse, il va renouer avec la croissance », prévoit-il. À PSA, Philippe Varin n’était pas en reste. Après tout, si les concurrents risquent de mieux se porter, lui aussi ! « Je prévois que le groupe enregistrera une hausse de part de marché au dernier trimestre grâce aux nouveautés que nous lançons », a-t-il expliqué. Et parmi les nouveautés, il y a notamment la nouvelle Peugeot 308 compacte. Ce modèle dopera-t-il à nouveau le constructeur français comme avait pu le faire la 205 dans les années 1980 ? L’année 2014 le dira… Ce qui est certain, en revanche, c’est que ce nouveau modèle, fabriqué à Sochaux, ne profitera pas à l’usine rennaise. L’idée a pourtant été évaluée par le constructeur. Celui-ci s’est demandé s’il ne serait pas possible, en attendant la X8, de trouver des productions complémentaires pour son site breton. La direction a ainsi étudié la possibilité de rapatrier à Rennes une partie de cette future production programmée à Sochaux. Soit un modèle d’une gamme inférieure à ceux produits habituellement à Rennes. La Janais aurait ainsi récupéré un peu plus de 22 000 véhicules à assembler en 2014, 52 000 en 2015 et près de 35 000 en 2016. Seulement voilà, selon la direction, la production de la 308 à Rennes aurait entraîné un surcoût d’exploitation de 917 € par véhicule : acheminement des pièces ferrées, achat de pièces, transport… Autre scénario étudié par la direction : rapatrier une partie de la production du B78 (le C4 Picasso 2) de Vigo (Espagne) à Rennes : près de 90 000 exemplaires en trois ans. Là encore, pour les mêmes raisons, le surcoût aurait été de 1 038 € par véhicule. Conclusion du rapport Secafi : « Ces deux scénarios ressortent avec un surcoût d’exploitation largement supérieur à celui du chômage partiel pour PSA. » Triste constat : le chômage partiel coûtera moins cher à PSA que de faire assembler des véhicules supplémentaires à Chartres-de-Bretagne… Pourtant, l’idée de produire des voitures qui ne seraient pas du haut de gamme, à La Janais, revient régulièrement sur le devant de l’actualité. En février 2010, l’économiste Bernard Jullien, directeur du Gerpisa, réseau international de recherche sur l’industrie automobile, dans une interview à Ouest-France, 110


reconnaissait que « si le positionnement de Rennes et sa région devait rester le haut de gamme, l’usine aurait beaucoup à craindre ». Depuis plus longtemps encore, la CGT alerte sur « la dangerosité, pour l’avenir du site, à ne produire que de tels véhicules ». La direction de PSA a-t-elle fini par entendre ces craintes ? En octobre 2010, lors de la venue de Philippe Varin à Rennes, pour la présentation de la 508, il est question que le site produise une nouvelle plate-forme de véhicules qui servirait de base à d’autres véhicules que ceux de la gamme supérieure. C’est déjà ce qu’avait annoncé en interne, lors d’une visite à Rennes, Guillaume Faury, le directeur technique du groupe PSA : « Il faut réussir l’implantation de la BVH2’ sur le site de Rennes ». C’est le nom donné à cette plate-forme qui doit permettre de réaliser des voitures de moyen de gamme. En mai 2011, Jean-Marie Dailland, le directeur de La Janais, confirme cette hypothèse de travail : l’usine fabriquera « une nouvelle base de véhicules. Elle permettra de continuer à produire des modèles de moyenne et haute gamme. Mais aussi de produire des véhicules distinctifs de type premium (exemple : DS3, DS4, DS5), dans des catégories inférieures… » La direction entrouvrait la porte. La perspective de volumes plus importants se profilait à Rennes. 111


Depuis ? Rien ou presque. Dans son rapport, en septembre 2012, Emmanuel Sartorius notait que le projet de plate-forme était « gelé dans l’attente des résultats des groupes de travail, dans le cadre de son alliance avec General Motors ». En juin 2013, dans les colonnes du quotidien Le Monde, un consultant automobile faisait également part de ses incertitudes : « PSA a modifié sa plate-forme BVH2, qui sera utilisée pour des véhicules de segment C (moyen de gamme) et étirée au segment D (haut de gamme). Cela n’est pas satisfaisant en matière de conduite. La solution serait de partager la plate-forme de segment D d’Opel ». Et pendant ce temps, à Rennes, « on attend toujours les investissements liés à la nouvelle plate-forme BVH2’. Il n’y a toujours rien de concret », se désolait Laurent Valy de la CFDT, en septembre 2013. Or, c’est sur cette nouvelle plateforme que doit être assemblé le nouveau véhicule attribué à Rennes…

X8, R8 : Rennes ne vois-tu rien venir ? En tout état de cause, il y a fort à parier que d’ici à l’arrivée du nouveau véhicule X8 (la remplaçante de la C5), les salariés rennais devront se contenter de la C5 vieillissante et de la 508 plutôt destinée aux flottes d’entreprises ou aux catégories socioprofessionnelles supérieures, les CSP+. Mais au fait, quand arrivera cette fameuse X8 ? En octobre 2010, Philippe Varin, le président du directoire de PSA, annonçait qu’elle serait assemblée à Rennes à compter de 2014-2015. « Des équipes seront à l’œuvre dès 2012, sur place, pour ce nouveau projet », indiquait-il alors. Depuis, le projet a pris du retard. En cette période de crise, et surtout en raison de l’alliance avec General Motors, il a été retardé d’au moins deux années. Dans son rapport de novembre 2012, le cabinet Secafi évoquait un lancement à la fin de l’année 2016. En septembre 2013, plusieurs syndicats penchaient plutôt pour le deuxième semestre 2017. Qu’en sera-t-il exactement ? Chaque prolongation renforce en tout cas l’incertitude qui plane autour de l’avenir du site. Certains en viennent même à se demander si le véhicule annoncé ne serait pas un mirage. « Ce lancement aura lieu. C’est Philippe Varin, lui-même, qui l’a annoncé. Je ne peux pas dire mieux. Vous noterez aussi que rarement un lancement n’a été annoncé aussi longtemps à l’avance », insiste Jean-Luc Perrard, le directeur du site, laissant sous-entendre que le groupe ne ménage pas ses efforts pour rassurer les Rennais. 112


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Pierre Contesse, de Force ouvrière, ne semble pas douter que la future X8 sera fabriquée à Rennes. Peu lui importe d’ailleurs le modèle. « Que ce soit la X8, la X9 ou un autre nom, je n’en ai rien à faire. Ce qui est important, ce sont les volumes de production. Si l’on produit 120 000 exemplaires par an ou 20 000, ce n’est pas la même histoire. Pour maintenir notre usine au niveau actuel, il est nécessaire qu’on puisse produire 120 000 exemplaires », insiste-t-il. Sur ce point, le directeur du site reste prudent et n’avance aucun chiffre : « Tout dépendra du marché », élude-t-il. Tout dépendra aussi du ou des sites de production. Rennes sera-t-il le seul site d’assemblage de la future C5, au moins pour l’Europe ? À cette question, en octobre 2012, Denis Martin, le directeur industriel de PSA, et ancien directeur du site de La Janais, répondait par l’affirmative. Il précisait même le futur rythme de production : 46 véhicules/heure, ce qui correspond globalement à la capacité actuelle de la ligne de montage. « PSA prend, là, une décision importante pour le site de Rennes dans un contexte de crise profonde et structurelle de l’automobile », précisait-il dans une interview à Ouest-France. Mais selon la CFDT, au final, Rennes n’héritera pas forcément de la plus grosse part du gâteau : « La berline pourrait être produite en Chine pour ensuite être vendue en Europe de l’Ouest. L’usine de La Janais ne conserverait que le SUV. Autrement dit, cela ne concernerait que de petits volumes ».

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Mi-septembre 2013, Michel Bourdon de la CGT confirmait : « On peut mettre un mouchoir sur la X8. Elle sera produite en Chine ». Bref, si à Rennes on parle de la X8 depuis plus de trois ans, beaucoup de questions demeurent. Or, certaines réponses dépendront des projets nés de l’alliance entre PSA et General Motors. Cette dernière « va avoir des conséquences importantes sur le devenir de PSA, sur le choix d’attribution des modèles et le niveau de productivité », indiquait, lucide, le Conseil de développement économique et social du pays et de l’agglomération de Rennes (Codespar), dans sa note de conjoncture en juillet 2013. Depuis l’annonce de cette alliance, en février 2012, de multiples rumeurs ont circulé. En juin dernier, selon l’agence de presse Reuters, la famille Peugeot aurait été prête à céder le contrôle de PSA à General Motors qui détient déjà 7 % du capital du constructeur français. Le lendemain, GM démentait la rumeur, affirmant que le groupe américain « n’injectera pas de fonds supplémentaires pour l’instant ». Pour Gérard Glévarec, consultant automobile indépendant, si GM devait accroître sa participation dans le capital de PSA, « ce serait terrible. Pour l’instant, quoi qu’on en dise, on peut faire confiance à l’éthique de la famille Peugeot pour continuer à produire des voitures en France ». Celui-ci en veut pour preuve les récentes données du CCFA (Comité des constructeurs français d’automobiles). En 2012, PSA a produit trois fois plus de véhicules dans l’hexagone que Renault (respectivement 1,23 million et 444 682). Mais l’inquiétude demeure. « Aujourd’hui, si on additionne les usines de PSA et d’Opel en Europe, par rapport aux productions actuelles, il y en a trop », s’inquiète Pierre Contesse de FO. « Les Allemands ont la mécanique et la technologie dans le sang. Ils ne lâcheront rien. Il ne faut vraiment pas que le capital échappe à la famille Peugeot », renchérit Gérard Glévarec. Autre rumeur : en août 2012, c’est le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine zeitung, qui croyait savoir que la DS5, produite à Sochaux, et la 508, produite à Rennes, seraient à l’avenir assemblées sur le site phare d’Opel (filiale de GM) à Rüsselsheim, en Allemagne. Grosse frayeur à Rennes. Il n’en sera rien finalement. Du moins a priori… Les deux constructeurs ont mis en place des groupes de travail pour préciser leurs projets communs. Outre des achats de composants en commun, l’alliance va également 115


permettre de réaliser des économies en matière de recherche et développement (R&D). « L’objectif annoncé de l’alliance avec GM, en ce qui concerne la R&D, est de faire autant en dépensant moins », confirme le rapport Secafi. Ces deux seuls axes devraient permettre à PSA de dégager 750 millions d’euros d’économies d’ici à 2017. Concernant les modèles, les deux constructeurs ont dévoilé début 2013 deux projets communs. Les remplaçants des monospaces Zafira d’Opel et 3008 de Peugeot seront produits sur une même plate-forme baptisée EMP2. Le deuxième projet concerne les marques Opel-Vauxhall et Citroën : là encore, il y aura une plate-forme commune pour remplacer le Meriva et le C3 Picasso. PSA et la filiale européenne de GM, Opel, réfléchissent également à la manière de rentabiliser leur alliance en Amérique latine. Enfin, un autre projet concerne directement l’usine de Rennes : trois nouveaux modèles devraient être assemblés sur une même plate-forme, avec quelques éléments identiques. Il s’agira de la X8 (la remplaçante de la C5), de la 508 II (nom de code R8) et de la remplaçante de l’Opel Insignia. Alors verra-t-on un jour des véhicules Opel fabriqués à Rennes ? À la suite du salon automobile de Francfort, en septembre 2013, le journal Les Échos indiquait que « la production de véhicules PSA par Opel et de véhicules Opel par PSA est fortement pressentie. “ La production croisée est à l’étude, ça fait partie du cœur du dialogue au sein de l’alliance, précise Denis Martin, directeur industriel de PSA. C’est une très bonne chose. Nous avons beaucoup appris en produisant conjointement des véhicules avec Toyota, il n’y a pas de raison que nous ne puissions pas faire la même chose avec Opel et GM ”».

L’avenir : il y a de l’électricité dans l’aiR Et si l’avenir de La Janais passait par la voiture électrique ? La question est posée depuis plusieurs années déjà. L’enjeu pourrait être de taille. Selon plusieurs analystes, à l’horizon 2025, les véhicules décarbonés (qui émettent moins de 60 g de CO2 par kilomètre : tout électrique, hybride…) pourraient représenter en Europe près d’un véhicule sur trois. En France, cette production nouvelle pourrait générer 15 milliards d’euros en 2030. Alléchant… Dans cette optique, Jean-Yves Le Drian, alors président du conseil régional de Bretagne, avait créé en 2009 un groupe de travail européen sur les mutations de l’industrie automobile, auquel ont participé plusieurs régions du Vieux Continent. « Des voix commencent à s’exprimer pour demander que 116


l’Europe fasse un choix technologique clair pour l’électrique et concentre ses moyens sur cette technologie », écrivait-il, en 2010, dans la revue Place publique, tout en appelant à un « New deal automobile européen ». Près de quatre ans plus tard, les avancées sont minces. Certes, Vincent Bolloré en implantant ses Blue Car via le service Autolib, à Paris, contribue à leur démocratisation. Mais les obstacles au développement de l’électrique – c’est-à-dire à son acquisition par des particuliers - sont encore nombreux. Des interrogations demeurent sur la fiabilité et la durée de vie des batteries. Le réseau des bornes de recharge reste insuffisant. L’autonomie affichée par la plupart des modèles électriques n’excède pas 150 km au mieux… Sans parler de l’énergie qui, en France du moins, est à 75 % d’origine nucléaire. Jusqu’à quel point peut-on parler de véhicule propre ? Néanmoins, l’idée que La Janais puisse produire de tels véhicules circule régulièrement. En 2009, des élus ont rêvé que l’usine rennaise puisse produire les Blue Car de Vincent Bolloré. Et si elles étaient « fabriquées en Bretagne ? », s’interrogeait le maire de Quimper, Bernard Poignant, au moment de l’inauguration de l’usine de batteries du groupe Bolloré à ErguéGabéric (Finistère). Des contacts entre PSA et Bolloré ont même eu lieu pour envisager un tel projet. En vain. 117


Dès mars 2010, Vincent Bolloré temporisait : « Ce n’est pas d’actualité », affirmait-il. En septembre 2013, ce rêve s’est définitivement envolé. C’est avec Renault que l’entrepreneur breton poursuivra finalement le développement de ses voitures électriques. PSA et La Janais sont-ils passés à côté d’une production complémentaire ? La direction de PSA n’a-t-elle pas cru à la technologie développée par Vincent Bolloré ? Des batteries dites « lithium métal polymère », différentes de la plupart des autres constructeurs. Ou Renault, qui a développé une véritable gamme de voitures électriques, s’est-il montré plus convaincant ? Pour le site rennais, c’est un espoir de plus qui s’envole. L’usine conserve pourtant un atout. Elle a su s’adapter en produisant la 508 hybride (dieselélectrique). Un bémol cependant, la majorité des modèles électriques proposés sont de petits véhicules, ce qui ne correspond pas aux voitures actuellement assemblées par les ouvriers rennais. Pour autant, l’idée d’un véhicule électrique reste possible. Du moins en théorie. PSA travaille depuis plusieurs années pour proposer son propre modèle électrique, la BB1. Celui-ci avait été présenté dès 2009, au salon automobile de Francfort, le stand PSA ayant alors été visité par la chancelière allemande, Angela Merkel. Un concept-car très original inspiré du scooter : une voiture de

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2,50 m d’une capacité de quatre personnes ; des moteurs situés dans les roues et un guidon à la place du volant… Mais sa commercialisation ne semble pas encore avoir été décidée. Ni son éventuel lieu de production… Dans sa note de conjoncture de juillet 2013, le Codespar (le Conseil de développement économique du pays de Rennes) ne semble guère croire en cette opportunité. « Le poids des véhicules verts reste marginal dans le total des ventes, avec une part de marché de seulement 1,4 %. Au regard de la situation de PSA Peugeot Citroën, ce marché représentet-il une piste de développement porteuse pour le groupe ? Le groupe estil prêt à investir la filière de la mobilité décarbonée qui dépasse la simple production de véhicules électriques ? », s’interroge-t-il.

Fermeture de la Janais : le scénario qui est dans toutes les têtes Il y a encore peu, l’idée que l’usine de Chartres-de-Bretagne puisse fermer définitivement était taboue. Fermer une usine qui a marqué l’essor industriel de la Bretagne, qui a fourni des dizaines de milliers d’emplois à des générations de Bretons et qui, symboliquement, fut inaugurée par le général de Gaulle… était tout simplement IM-PEN-SABLE. Pouvait-on imaginer amputer la région d’un de ses poumons économiques ? La seule évocation de cette hypothèse faisait déjà tousser. En juin  2007, dans un rapport intitulé «  La filière automobile rennaise à l’horizon 2020 », le Codespar élabore pourtant ce scénario parmi trois autres. Premier scénario : l’usine rennaise a renforcé sa spécialisation dans les véhicules haut de gamme. Les voitures assemblées à La Janais sont « d’une qualité irréprochable et livrées rapidement ». Possible, mais à une condition selon le Conseil économique rennais : « Les deux marques Peugeot et Citroën sont devenues prestigieuses et se sont forgé en Europe une image de marque ». Plus de six ans après ce rapport, il n’est pas sûr que La Janais en prenne le chemin. Si nombre d’interlocuteurs que nous avons rencontrés, estiment que la gamme PSA est désormais « innovante et remarquable », elle ne concurrence pas encore les marques allemandes pour sérieusement envisager ce scénario. Du moins dans l’immédiat… Deuxième scénario : les véhicules assemblés à Rennes sont acheminés aux quatre coins du monde. L’usine « s’approvisionne massivement auprès d’unités de fabrication situées dans des pays à bas coût de production ». 119


Pour cela, PSA s’est allié avec un autre constructeur présent sur les marchés japonais et nord-américains. Et les liens logistiques entre le bassin rennais et les ports de Saint-Nazaire et du Havre se sont fortement développés. Laurent Valy, de la CFDT, ne semble pas non plus croire à ce scénario. « Aujourd’hui, la direction nous parle beaucoup de coût du travail, ne seraitce qu’en nous comparant avec les autres usines européennes du groupe. Une heure de travail d’un ouvrier à Vigo, en Espagne, revient à moins de 22 €. À moins de 11 € à Mangualde, au Portugal, et à environ 35 € à Rennes. » Le troisième scénario est appelé « la transition douce ». PSA ne produit plus de véhicules haut de gamme à Rennes. Il a réorganisé ses usines au niveau mondial. Désormais, La Janais se contente d’assembler des voitures innovantes, mais en petites séries. PSA fait également beaucoup moins appel à des fournisseurs régionaux (en 2010 et 2011, l’usine se fournissait, entre autres sous-traitants, auprès de 50 entreprises situées dans un rayon de moins de 100 km autour de Chartres-de-Bretagne). Ces entreprises se seraient donc adaptées et auraient réussi à s’appuyer sur les acquis de l’automobile pour se tourner vers d’autres marchés : activités maritimes, éco-industries, domotique, traçabilité (technologie RFID…). À n’en pas douter, ce serait le scénario du « moindre mal ». Le bassin rennais serait moins dépendant de la filière automobile. Mais une telle évolution nécessiterait certainement un peu de temps… Dernier scénario, la fermeture. Voici ce qu’écrivait le Codespar il y a plus de six ans : « Pour sauvegarder son positionnement de grand constructeur, le groupe PSA s’allie avec un autre constructeur. La nouvelle alliance est à la recherche de synergies et de rationalisation de l’outil industriel. Elle décide de regrouper la plate-forme des gammes supérieures du nouveau groupe. Cet arbitrage qui se fonde sur les avantages relatifs entre deux sites du groupe est défavorable au site rennais. » Cela ne vous rappelle rien ? Et si c’était le cas avec Opel ? Avec le constructeur chinois Dongfeng que PSA courtise également ? Conclusion du Codespar : si la Bretagne veut préserver sa filière automobile, il faudra que la région devienne plus accessible encore. Selon le conseil économique, à terme, plus de 60 % des pièces qui composeront une voiture assemblée à La Janais proviendront de pays où le coût de la main-d’œuvre est bas : « Ce qui implique d’améliorer l’ensemble de la chaîne logistique, qu’il 120


s’agisse des flux de marchandises, financiers et d’informations », préconise le Conseil économique rennais. Plus de six ans après ce rapport, le pessimisme - ou du moins une certaine fatalité sur l’avenir du site semble avoir gagné du terrain. Et les discours de la direction ne semblent rien y changer. « Nous avons ici à Rennes un capital humain, des compétences », martèle Jean-Luc Perrard, le directeur de l’usine. « Nous croyons en Rennes et nous lui dessinons un avenir au-delà de 2020 », affirmait le directeur industriel du groupe, Denis Martin, en octobre 2012, dans une interview à Ouest-France. Seulement voilà, comme le rappelle Emmanuel Sartorius dans son rapport, le fait que la direction ait répété jusqu’au début 2012 que l’arrêt de la production à Aulnay n’était pas d’actualité, « a laissé des traces ». Philippe Bonnin, le maire de Chartres-de-Bretagne, est certainement l’un des plus ardents défenseurs de l’usine. Il a lancé en 2013 une pétition « pour la défense de notre industrie automobile départementale ». Elle avait recueilli plus de 4 500 signatures en septembre. Car outre les emplois, l’usine rapporte à la ville de substantielles recettes : 4,6 millions d’euros, en 2011, la moitié de ses recettes cette année-là. En juin 2013, à une question sur l’avenir des 121


véhicules haut de gamme à La Janais, il répondait dans un demi-soupir : « il n’y a plus que les naïfs qui y croient encore… » Outre le contexte économique actuel, ce qui inquiète l’élu chartrain, c’est le peu d’investissements réalisés par le groupe dans l’usine. Entre 2008 et 2010, PSA a, certes, investi dans l’usine rennaise. Mais c’était essentiellement pour réduire sa capacité de production, la ramenant de 400 000 véhicules par an à un peu plus de 200 000. « Concrètement, cela fait dix ans que le groupe n’a pas réellement investi à La Janais. Le dernier investissement conséquent remonte à 2002, au niveau de l’emboutissage », rappelle le maire. Même constat de la part de Michel Bourdon, le leader de la section CGT : « Il n’y a pas eu beaucoup de travaux pendant la traditionnelle fermeture de l’usine, cet été (2013). C’est étonnant pour un site qui doit en principe produire un nouveau véhicule. » Alors l’avenir ? Les syndicats évitent de parler de fermeture. « Dans dix ans, il y aura toujours un logo PSA devant le site. Mais nous ne serons peutêtre plus 4 000… Que produira-t-on ? Et surtout à combien d’exemplaires ? Que ressortira-t-il de l’alliance avec General Motors ? Je pense que tant que la famille Peugeot est aux commandes, c’est malgré tout un gage de stabilité », répond Pierre Contesse, de Force ouvrière.

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Laurent Valy, de la CFDT, est moins optimiste : « On se dirige vers une fermeture. L’actuel plan social n’est pas encore terminé, qu’on entend déjà parler de mille nouvelles suppressions de postes. Il ne resterait plus que 3 000 personnes à La Janais. C’est-à-dire comme à Aulnay… » De son côté, Michel Bourdon, pour la CGT, se refuse d’envisager le pire. Et ce, même si les signaux actuels ne sont guère favorables. « Il se dit que l’usine de Rennes pourrait produire des voitures du segment C, une gamme en dessous de ce que nous produisons actuellement, et de type crossover. Un peu comme le Renault Capture. Avec cette nouvelle gamme de véhicules, La Janais pourrait de nouveau espérer », estime-t-il. De son côté, Philippe Bonnin, au travers de l’association Acsia (qui regroupe des villes, agglomérations, départements et régions abritant une usine automobile), proposait, en juin 2012, que les constructeurs français basent leur développement, non pas sur le haut de gamme, mais sur les modèles qui font leur force : les segments B et C, c’est-à-dire des véhicules de type 208, 308, 3008, C4… Acsia conseillait de s’inspirer du succès obtenu par Renault, il y a quelques années, avec le Scenic. Selon l’association, cette gamme de voitures, si elle est innovante, diversifiée, toujours plus propre, peut garantir de belles perspectives aux marques françaises et par voie de conséquence le maintien des usines sur le sol français : « Le centrage sur les segments phares du marché français demeure à nos yeux la clé des succès français ». L’idée du «made in France» bien avant le ministre Arnaud Montebourg, en quelque sorte… L’usine de La Janais est-elle à la croisée des chemins ou a-t-elle déjà amorcé son déclin ? Après plus de 50 ans d’existence, à l’instar de certains demandeurs d’emploi quinquagénaires, est-elle déjà trop vieille ?   interview parue dans Ouest-France 21 au 22 mai 2011

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conclusion 124


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E

t demain ? Difficile d’esquisser à quoi ressemblera La Janais dans dix ans. L’usine produira-t-elle toujours des voitures ? Impossible de répondre à cette question. Trop d’incertitudes planent au-dessus du site industriel quinquagénaire. L’une des plus importantes concerne sans doute son partenariat avec Opel (General Motors). Rennes en profitera-t-elle au point de produire des voitures allemandes ? À une période où les véhicules «made in Germany» font figure de premiers de la classe, cette perspective aurait des allures de revanche, les voitures françaises ayant si longtemps été décriées. C’est l’hypothèse optimiste. Une autre, plus brutale, est celle de la fermeture. Les deux constructeurs, ayant dressé la liste de leurs moyens de production en Europe, constateraient qu’ils sont en surcapacité. Quels sites, dans ce cas-là, seraient sacrifiés ? Une deuxième incertitude repose sur les transformations qui attendent les véhicules de demain. À quoi ressembleront-ils ? Avec quelle énergie avanceront-ils ? Quel sera notre rapport à la voiture ? Sera-t-elle devenue un simple objet de transport ou véhiculera-t-elle encore des envies de liberté, d’évasion et affichera-t-elle nos signes extérieurs de richesse ? Dans nos agglomérations de plus en plus denses, quelle place lui réservera-t-on ? La voiture électrique n’a pas encore gagné le cœur des particuliers. En un sens, tant mieux. Si tous les automobilistes roulaient à l’électricité, la production actuelle d’électricité ne suffirait pas à alimenter les batteries. Mais il est cocasse d’observer que dans ce monde où les technologies avancent à grande vitesse – en 1984, la Fiat Uno, équipée d’un cendrier coulissant et d’un tableau de bord éclairé par une seule ampoule (une première !), était élue voiture de l’année – la voiture électrique a, elle, longtemps fait du surplace. Qui se souvient qu’en 1899, la Jamais contente, une voiture électrique avec 750 kg de batteries, avait atteint 105 km/h… Face à ces incertitudes de poids, le présent apparaît d’autant moins stable. Fin septembre, Philippe Varin, le commandant du vaisseau PSA, a bien tenté de rassurer. Le constructeur français continuera de produire un million de véhicules en France, en 2016. D’ici à trois ans, il s’est engagé à ne fermer aucune autre usine dans l’Hexagone. Trois ans de répit, mais après ? Sans véhicule nouveau, dans quelles conditions peuvent se dérouler ces trois années 126


à Rennes ? Pour un nouveau modèle, La Janais devra attendre au moins 2017. Très probablement, contrairement à ce que la direction avait annoncé, ce ne sera pas la remplaçante de la C5. Celle-ci sera produite en Chine. Et si la future C5 n’est plus produite à Rennes, la future 508 qui sera assemblée sur la même plate-forme, risque elle aussi de quitter la Bretagne. Malgré tout, PSA indique qu’il veut continuer à produire à La Janais entre 100 000 et 150 000 véhicules par an. L’écart est grand : 50 000 exemplaires de plus ou de moins, ce sont des centaines d’emplois en plus ou en moins… Le tableau est sombre mais il existe pourtant une lueur d’espoir. PSA se dit prêt à investir, à La Janais, dans la production d’une plate-forme sur laquelle seraient assemblés des véhicules de milieu de gamme. Autrement dit, des voitures du type C4, qui se vendent, et donc se produisent, en plus grand nombre. « Si l’engagement est tenu, nous approuvons totalement le président du directoire, M. Varin (…) Cette intention jugée indispensable par tous, est attendue depuis 2008 », espèrent Jean-Louis Tourenne, le président du conseil général d’Ille-et-Vilaine, et Philippe Bonnin, le maire de Chartresde-Bretagne, dans un courrier commun, en octobre 2013. Leur appel, déjà maintes fois répété, sera-t-il entendu ? La direction de PSA sera-t-elle bientôt en mesure d’indiquer des projets clairs pour l’usine ? L’incertitude dure et devient chaque mois de plus en plus difficile à vivre pour les salariés.

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© les Éditions de Juillet, 2013 © Richard Volante pour les photographies © Pierrick Baudais et François Macquaire pour les textes Tous droits réservés, reproduction interdite


Remerciements à Valérie Ollivier, Didier Perrin, Joseph Amouriaux, Jean-Michel Panaget, Christine Mou Mohamed, Alain Teffaine, Alain Lerat, Loïc Lemarchand, Frédéric Besnard et Vicky Dilo pour leurs témoignages. à Jean-François Miniac, Franck Don, Gilles Mathel, Myriam Louapré, Jean-Paul Bethermin, Loïc Pottier, Jean Noel, Anne-Françoise Jullo, Jean Richard, Didier Havart, Thierry Kolodjiezek, Eric Jendraszak, Claude Larzul, Alain Coquart, Céline Houdou, Yannick Dubois, Martine Beucher et au syndicat CFTC d’Ille-etVilaine pour leur soutien et leur disponibilité. De Francois Macquaire, à Claude. De Pierrick Baudais, à Laurence, sa compagne.

Les Éditions de Juillet bénéficient de l’aide à l’édition de la Région Bretagne et de la Ville de Rennes.


Juillet 2012, la direction de PSA annonce un vaste plan de suppressions de postes en France : 8 000 dont 1 400 concernent l’usine de Chartres-deBretagne. Près d’un an et demi plus tard, de nombreux salariés ne savent toujours pas s’ils seront employés par le constructeur automobile dans les prochains mois. Comment vivent-ils ces semaines d’incertitude ? Comment leurs familles s’adaptent à la situation ? Après 10, 20 ou 30 ans d’ancienneté, comment se prépare-t-on à quitter son emploi ? Dans ce livre, tout au long de l’année 2013, plusieurs salariés ont accepté de relater leurs craintes, leurs envies, leur métier et leur vie de tous les jours. D’autres relatent ce qu’ils sont devenus depuis qu’ils ont quitté l’usine, en 2009-2010, années durant lesquelles 1 800 postes avaient déjà été supprimés. Et après eux, quel sort attend les 4 000 salariés qui continueront d’assembler des voitures à La Janais ? L’usine risque-t-elle de fermer comme celle d’Aulnay ou peut-elle espérer de nouveaux modèles à construire ? Les auteurs apportent des éléments de réponse.

Pierrick Baudais est journaliste à Ouest-France. Il a suivi durant plusieurs années l’actualité économique du bassin de Rennes. François Macquaire est juriste du travail à la CFTC.



15, rue de la Buhotière - 35136 Saint-Jacques-de-la-Lande www.editionsdejuillet.com Maquette & numérisation : Claire Gissot / Studio Bigot - www.studiobigot.fr Crédits photographiques : Richard Volante

Achevé d’imprimer sur les presses de Chat Noir Impressions Editeur : 978-2-36510 - ISBN : 978-2-36510-019-9 - Quatrième trimestre 2013


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