Ce texte est encore inédit. A ne pas citer sans l’accord de l’auteur : aburg@ehess.fr André Burguière, Quand la biologie entre dans l’histoire. Le numéro spécial des Annales intitulé Histoire biologique et société, publié en 1969, suscita chez les historiens des réactions diamétralement opposées ( 1 ): plutôt hostile, Albert Soboul estima que la revue, en abordant ce type de questions, sortait du domaine de l’histoire; enthousiaste, Georges Duby affirma que la revue n’avait jamais étendu aussi loin le territoire de l’historien et l’horizon de la réflexion historique. L’un et l’autre collaborateurs des Annales, ces deux historiens ont entretenu avec la revue des rapports différents: des rapports plus distants et parfois conflictuels pour l’historien des Sans-culottes parisiens; des rapports étroits chez le grand médiéviste dont l’oeuvre imposante et diverse a suivi longtemps, dans l’évolution de ses thèmes de recherche, le même itinéraire que la revue. Mais il est significatif que ces deux réactions opposées soulèvent la même question: celle des limites du domaine de l’histoire. L’intérêt de l’histoire du corps et en particulier du corps malade que je souhaite évoquer maintenant est d’installer la réflexion historique sur les marges ou plutôt les frontières de l’historicité. L’enjeu n’est pas, comme semble le craindre Albert Soboul, de quitter le mouvement des accomplissements humains, porteurs d’un sens global induit, d’une volonté inconsciente sinon d’une véritable intentionnalité, pour l’invariance et le déterminisme des mécanismes biologiques. Il s’agit d’analyser dans leur complexité les interactions entre le mouvement des sociétés et celui du milieu naturel ( biologique mais aussi climatique ) qui nous permettent de penser l’appropriation du monde biologique par le monde social. D’Angeville ressuscité. Ce numéro spécial, au demeurant, s’est imposé de lui-même. Il ne répondait pas à une commande de la rédaction, soucieuse de faire dialoguer le raisonnement biologique et le raisonnement historique qui s’étaient crus longtemps incompatibles. Il a eu pour point de départ l’arrivée spontanée à la revue de plusieurs manuscrits qui tentaient un tel dialogue. Cet afflux n’était pas dû au hasard. Il traduisait une nouvelle conjoncture intellectuelle qu’il fallait saisir et amplifier par une confrontation plus large afin d’en faire ressortir les implications théoriques. Ces nouvelles tendances sont étroitement liées à l’essor de l’histoire sérielle dans le domaine de la démographie par l’exploitation des sources de l’état civil ancien ou des recensements et par l’exploitation des données qui ont trait aux caractéristiques physiques et culturelles des populations. Depuis quelques années, le Centre de recherches historiques de la VI° section de l’EPHE, s’était lancé, sous l’impulsion de E. Le Roy Ladurie, dans une enquête ambitieuse sur l’Anthropologie de la France. ( 2 ) L’enquête se veut anthropologique au sens ancien et français du terme, dans la tradition de l’école de Broca et de la société d’anthropologie de Paris. Ce courant poursuit dans le dernier tiers du XIX° siècle l’étude statistique et typologique (centrée sur le concept de race) des caractères physiques des populations qui fait ressortir le poids des facteurs biologiques dans les comportements des individus et l’organisation des sociétés ( 3 ). Elle se veut aussi anthropologique au sens anglais de l’anthropologie sociale que Claude Lévi-Strauss a adopté et qu’il a popularisé en