Éloge du tétralemme par Augustin Berque
Pour s’acclimater à la Terre, le Petit Prince était en train d’apprendre les langues, la logique et les algorithmes. Sortant de la station Passy, le métro venait de s’engager sur le viaduc au-dessus de la Seine. On voyait des péniches, l’allée aux Cygnes et la tour Eiffel. - C’est beau, dit le Petit Prince. おじさん、どうして上空鉄即地下鉄なの (Warum heißt diese Luftbahn ‘U-Bahn’) ? - Pourquoi le chemin de fer souterrain est aérien ? C’est l’effet du tétralemme, mon enfant. Tu vois, 1. le métro est souterrain ; 2. le métro est aérien ; 3. le métro n’est ni souterrain ni aérien ; 4. le métro est souterrain et aérien. C’est ce que les mésologues appellent « la logique du mais-aussi », et les tenants du Madhyamika « la coproduction conditionnée ». - Ah bon, dit le Petit Prince, mais ça fait beaucoup de choses à retenir, et on a déjà presque passé la Seine ! Tu pourrais me résumer ton histoire par un algorithme ? - D’accord, dit le Loup. Et se jetant sur le Petit Prince, il le digéra sur le champ, car le métro venait d’atteindre la vitesse de la lumière. Puis, repu, il fredonna cette cantilène : Au tétralemme échapperont Les étudiants munis d’un Bic, Les grands-mères en pique-nique, Les accros des barbituriques, Et quant aux autres, nous verrons. Moralité : Quand on vous parle de logique, sortez vos rouges chaperons ! (Extrait des Contes de Palaiseau, c. 2011)