Comment habiter la Terre à l’anthropocène ? / Augustin Berque

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Paru dans Olivier JEUDY, Yann NUSSAUME, Aliki-Myrto PERYSINAKI (dir.), Paysages urbains (parisiens) et risques climatiques , Paris, Archibooks+Sautereau éditeur, 2016, p. 26-33.

Journées d’étude Évolution du paysage parisien au prisme du risque climatique École nationale supérieure d’architecture de Paris-La Villette, 4-5 février 2016

Comment habiter la Terre à l’anthropocène ? Augustin Berque berque@ehess.fr

1. Des tours contre le dérèglement climatique ? Si j’ai bien compris le titre de ces journées d’étude, il s’agit de paysage urbain ; et si j’ai bien les yeux en face des trous, l’image qui introduit au programme de ces journées d’étude nous montre un Paris parsemé de tours géantes. Cela m’a immédiatement ramené un demi-siècle en arrière, en cette année 1967 où je commençais à enseigner à l’École des Beaux-Arts, quai Malaquais, côté architecture ; et plus particulièrement à un numéro spécial de la revue Paris Match (n° 951-952, juillet 1967), consacré au thème « Paris dans vingt ans ». Ce qui était concocté dans ces années-là pour Paris « à l’horizon 80 », c’étaient effectivement des tours. Et apparemment, ce qui est imaginé aujourd’hui pour « Paris smart city 2050 », ce sont également des tours. En 1967, le numéro de Paris Match en question annonçait fièrement : « Le général De Gaulle a étudié douze projets confidentiels. Les voici ». Et elles étaient là en effet, les maquettes des projets Arretche, Marot, Faugeron etc., légendées par la revue : « La Seine : de Grenelle à Bercy, elle coulera entre tours et jardins » (je n’avais pas remarqué à l’époque, mais je remarque aujourd’hui, qu’on allait donc faire couler la Seine d’aval en amont) ; « Ministères et sièges de sociétés, ces géants seront les monuments de la ville nouvelle » ; etc. Près d’un demi-siècle après le « plan Voisin » de Le Corbusier, l’idéal de ces architectes n’avait pas changé : moderniser Paris, ce serait y faire des tours. Et un demi-siècle plus tard encore, il est toujours le même : adapter Paris à l’anthropocène, ce sera y faire des tours. La seule évolution, c’est – comme sur la belle image de notre programme – que ces mêmes tours seront teintes en vert. Tout en m’inclinant devant l’imagination créatrice de ces architectes, je voudrais considérer la question du paysage urbain sous un autre angle. Sous cet angle-là, il s’agirait, comme l’indique le titre de mon exposé, de cadrer cette question dans le contexte de l’Anthropocène. Ce mot d’« anthropocène », comme vous le savez, a été proposé il y a seize ans, en février 2000, par un météorologue néerlandais, Paul Crutzen, titulaire du Nobel de chimie 1995 pour ses travaux sur la couche d’ozone. Il s’agissait par là de qualifier un ensemble de phénomènes, en particulier le dérèglement de l’homéostasie climatique de notre planète, sous l’effet de l’action humaine. Cela se passait à Cuernavaca, au Mexique, dans un colloque du Programme international Géosphère-Biosphère (l’IGPB d’après ses initiales anglaises), qui a été lancé en 1987 pour coordonner les recherches menées dans différents pays et à différentes échelles, du régional au planétaire, sur les interactions entre l’action humaine et les changements biologiques, chimiques et physiques du « système Terre ». Crutzen voulait dire que les effets de l’action humaine sont devenus tels que nous ne sommes plus dans la période de l’holocène – la plus récente de l’ère quaternaire –, mais entrés dans une période nouvelle, l’anthropocène. Le mot vient du grec anthropos, l’humain, et kainos, nouveau. L’idée, c’est que l’action humaine a désormais des effets d’une ampleur tellurique, géologiquement significative. Parmi ces effets, les deux plus graves sont la destruction de la biodiversité, qui fait aujourd’hui parler d’une « sixième grande extinction » de la vie sur Terre, et le dérèglement du climat terrestre, thème sous-jacent à celui du présent colloque. Il s’agit pour nous du « paysage parisien au prisme du risque climatique », mais bien entendu, cette question ne doit pas être abstraite du système Terre, car en matière de climat, la circulation de l’atmosphère à


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