Comment le Japon a-t-il pu devenir champion de destruction de la nature ? / Augustin Berque

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Révisé le 5/11/16.

Centre européen d’études japonaises d’Alsace, Colmar, 3-4 novembre 2016

Colloque international La nature au Japon à l’épreuve de l’homme

Comment le Japon, dans les années soixante, a-t-il pu devenir champion de destruction de la nature ? 1960 年代、高度成長期において、日本はいかにして 自然破壊のチャンピオンになりえたのか? par Augustin BERQUE berque@ehess.fr

Résumé – On rappelle d'abord la tradition d'amour de la nature qui caractérise le Japon, en soulignant ce qu'elle doit doublement au shintoïsme autochtone et à la veine poétique de l'érémitisme venue de Chine. On souligne également le rôle du haïku et de ses saisonniers (saijiki), qui sont de véritables grammaires de l'accord entre la société japonaise et la nature de l'archipel. Puis on rappelle les grandes lignes de la crise de l'environnement survenue pendant la Haute Croissance. Comment ce ravage systématique de la nature a-t-il été possible dans un pays riche d'une telle tradition ? On en cherche d'abord les raisons d'ordre socio-économique et politique (le système du seizaikan), pour ensuite en envisager les raisons d'ordre mésologique : la discordance ontologique et logique entre la nature trajective héritée de l'histoire et la nature objectifiée et instrumentalisée par le capitalisme moderne. 要 約 – 日本を特徴づけている自然への愛の伝統をまずは思い起こそう。そこでは、その伝統が 土着の神道と中国伝来の隠遁の詩的系譜とに負っていることが強調される。それと同様に、俳句 と歳時記との役割が強調される。それらは日本社会と日本列島の自然との間の協和の真正な文法 である。そして、高度成長期に発生した環境危機の大筋を辿ろう。いかにしてこの組織的な自然 破壊が自然への愛の伝統を豊かにもった国で可能であったのか。その理由は、まず、社会経済 的・政治的次元(政財官システム)に求められる。そのうえで、風土論的次元において検討され る。その次元で示される日本における自然破壊の理由は、歴史の中で引き継がれてきた通態的自 然と現代資本主義によって客体化・道具化された自然との間の存在論的・論理的不協和である。 Sommaire : § 1. Ce qu’était la nature avant Meiji ; § 2. La concrescence de la culture et de la nature dans le haïku ; § 3. Le système de la Haute Croissance ; § 4. La nature décosmisée ; § 5. La réaction des habitants ; § 5. Retrouvailles ? Voire...

§ 1. Ce qu’était la nature avant Meiji Tel qu’est formulé le thème de ce colloque, « La nature au Japon à l’épreuve de l’homme », il apparaît au premier abord typiquement dualiste : nous aurions d’un côté la nature en soi, purement naturelle, de l’autre l’humain en soi, un sujet dont la nature serait justement de s’opposer à cet objet-là, et de le soumettre à diverses épreuves qui le dénaturent. Ce schéma dualiste est occidental ipso facto, puisque que le dualisme moderne, apparu en Europe au XVIIe siècle, est constitutif de ce que j’appellerai ici le paradigme occidental moderne classique, en abrégé le POMC. C’est ce paradigme qui a permis la révolution scientifique moderne, et par suite la vision du monde et les techniques dont est issu le monde actuel. Il est emblématisé, du côté de la physique, par les figures de Galilée et de Newton, et du côté de la philosophie par celles de Bacon et de Descartes. Notons bien, dans ce sigle POMC, que « C » veut dire « classique ». En effet ce paradigme, en physique du moins, n’est plus valable depuis le siècle dernier. Il a été dépassé par la cosmologie einsteinienne et par la mécanique quantique, ce qui a permis de parler dès les années trente de « nouvel esprit scientifique » 1 . Dans ses principes fondamentaux, la physique d’aujourd’hui a dépassé le dualisme, comme l’avait précocement reconnu Heisenberg : « S’il est permis de parler de l’image de la nature selon les sciences exactes de notre temps, il faut entendre par là, plutôt que l’image de la nature, l’image de nos rapports avec la nature. (…) C’est avant tout le réseau des rapports entre l’homme et la nature qui est la visée de cette science. (…) La

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Gaston BACHELARD, Le nouvel esprit scientifique, Paris, PUF, 1934, 1968.


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science, cessant d’être le spectateur de la nature, se reconnaît elle-même comme partie des actions réciproques entre la nature et l’homme. La méthode scientifique, qui choisit, explique, ordonne, admet les limites qui lui sont imposées par le fait que l’emploi de la méthode transforme son objet, et que, par conséquent, la méthode ne peut plus se séparer de son objet »2.

Que la méthode ne puisse plus se séparer de l’objet, c’est bien là une corrélation qui outrepasse le dualisme. Dans la mesure où la modernité s’est définie par les effets de la révolution scientifique et de son paradigme dualiste, le constat de cette corrélation est un véritable dépassement de la modernité. Toutes les sciences aujourd’hui, qu’il s’agisse des sciences de la nature ou des humanités, sont sommées par la physique d’avoir à dépasser le POMC. Or le fait est que la vision de la nature qui domine le monde actuel en est encore loin. Elle reste largement celle du POMC, non seulement dans nos comportements et nos propos ordinaires, où perdure un fétiche nommé « la nature », mais y compris et même en particulier dans le domaine de l’écologie. Dans ce domaine-là, en effet, ne s’est pas encore imposée la révolution – l’homologue et la contemporaine du « nouvel esprit scientifique » dont parlait Bachelard – qu’a représentée l’avènement de la mésologie3 d’Uexküll (Umweltlehre)4 et de Watsuji (fûdoron). Le principe de la mésologie est en effet que la nature, concrètement, n’est jamais cet objet universel et abstrait, créé par le POMC, qu’Uexküll appelait Umgebung, i.e. « le donné environnemental », et Watsuji shizen kankyô, i.e. « l’environnement naturel » ; c’est toujours un certain milieu (Umwelt, fûdo)5, qui est fonction du sujet concerné (individuel ou collectif, et qu’il s’agisse d’une espèce ou d’une culture). Le milieu n’est donc jamais donné tel quel, mais, à partir de cette matière première qu’est l’environnement, s’élabore historiquement, évolutionnairement en corrélation avec l’élaboration (l’évolution) de ce sujet lui-même6. J’ai appelé trajection ce procès d’élaboration corrélative du sujet et de son milieu7. Son résultat est ce qu’Uexküll appelait le « contre-assemblage » (Gegengefüge) de l’animal et de son milieu (Umwelt), et Watsuji « médiance » (fûdosei), ce qu’il a défini comme « le moment structurel de l’existence humaine » (ningen sonzai no kôzô keiki). C’est cela justement que le POMC a coupé, ou plus exactement forclos (locked out), car la médiance ne peut pas être supprimée ; elle peut être déniée, bafouée, ignorée, mais elle reste structurellement constitutive de l’existence. C’est justement cette forclusion qui, sous l’influence du POMC, s’est produite au Japon au XXe siècle et plus particulièrement sous la Haute Croissance (kôdo seichô, 1955-1973) ; et c’est cela même qui a permis d’intituler ce colloque « La nature au Japon à l’épreuve de l’homme ». Or du point de vue de la médiance, c’est-à-dire en mésologie, il n’y a pas deux termes antagoniques, « la nature » et « l’homme », dont le premier serait « à l’épreuve » du second. Cette vue est abstraite. Dans un milieu concret, l’humain et la nature sont toujours fonction l’un de l’autre ; ils sont concrescents, c’est-à-dire qu’ils « croissent ensemble » (cum crescent). C’est dire que sous la Haute Croissance, où le milieu japonais a effectivement subi des transformations drastiques, les Japonais aussi se sont transformés. Ils sont toujours Japonais, mais ce ne sont plus les mêmes Japonais

Werner HEISENBERG, La nature dans la physique contemporaine (Das Naturbild der heutigen Physik, 1955), Paris, Gallimard, 1962, p. 33-34. 3 Le mot a été introduit en 1848 par Charles Robin. Sur ce thème, v. Augustin BERQUE, La mésologie, pourquoi et pour quoi faire ?, Nanterre La Défense, Presses universitaires de Paris Ouest, 2014 ; ainsi qu’Écoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, 2000 (poche 2008). 4 Jakob von UEXKÜLL, Streifzüge durch die Umwelten von Tieren und Menschen (Incursions dans les milieux d’animaux et d’humains), Hambourg, Rowohlt, 1956 (1934). Il en existe deux traductions françaises : par Philippe Müller, Mondes animaux et monde humain, Paris, Denoël, 1965 ; et par Charles Martin-Fréville, Milieu animal et milieu humain, Paris, Payot & Rivages, 2010. NB : cette dernière traduction ne comprend pas la seconde partie de l’ouvrage, Bedeutungslehre (Théorie de la signification), qui a ouvert la porte à la biosémiotique. 5 WATSUJI Tetsurô, Fûdo. Ningengakuteki kôsatsu (Milieu. Étude de l’entrelien humain, Tokyo, Iwanami, 1935). Traduction par Augustin Berque Fûdo, le milieu humain, Paris, CNRS, 2011. 6 J’ai détaillé ce processus dans Poétique de la Terre. Histoire naturelle et histoire humaine, Paris, Belin, 2014. Il va sans dire que l’évolution est là considérée sous un autre angle que celui du néodarwinisme, qui est une affaire d’objets (ce qui justement n’existe pas pour le vivant, comme Uexküll l’a montré et prouvé expérimentalement). 7 Initialement dans Le Sauvage et l’artifice. Les Japonais devant la nature, Paris, Gallimard, 1986, 1997. 2


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qu’avant8 ; et, dans l’évolution de l’écoumène (l’ensemble des milieux humains), il en va de même de tous les peuples de la Terre. Qu’était-ce donc autrefois que « la nature » au Japon ? Et qu’était, corrélativement, la culture japonaise ? Un paradigme à peu près inverse à celui du POMC. Ce n’est pas un hasard si le philosophe qui a conceptualisé la médiance, Watsuji Tetsurô (1889-1960), était japonais. Certes, il avait été formé à la phénoménologie allemande, et il connaissait en particulier la phénoménologie herméneutique de Heidegger, laquelle lui a justement permis de définir la médiance comme « le moment structurel de l’existence humaine ». Il y a « moment structurel » (kôzô keiki) parce que l’existence est là conçue comme cette ek-sistence, cette ek-stase, cet Ausser-sichsein (être au dehors de soi) que détaille Être et temps ; à ceci près que Watsuji insiste sur son aspect spatial et social. La médiance en effet, ce n’est autre que le couplage dynamique (le « moment structurel ») de l’être individuel et du milieu collectif dans lequel cet être est « sorti au dehors de soi » (soto ni dete iru) – milieu qui, s’agissant de l’écoumène, n’est pas seulement un écosystème, mais un système éco-techno-symbolique. Or ce système éco-techno-symbolique, forclos par le POMC, la culture japonaise n’a cessé d’en élaborer la conscience au cours de son histoire. Avoir conceptualisé la médiance peut justement être considéré comme une expression moderne de cette prise de conscience historique. C’est une longue histoire, dont je ne mentionnerai ici que quelques repères9. Ce que l’on doit primordialement prendre en compte, c’est l’animisme shintô, lequel s’oppose radicalement à l’objectification mécaniciste de la nature qui caractérise le POMC. C’est ce terreau qui a nourri tout le reste ; cependant, l’animisme en soi est un phénomène trop répandu pour spécifier la prise de conscience en question. Celle-ci est une construction lettrée, qui a fertilisé et typé historiquement ce terreau par un double apport : celui du bouddhisme, venu de l’Inde par la Chine, et celui de l’érémitisme (inton), héritage chinois qui a profondément influencé la littérature et l’architecture japonaises10. Cette construction lettrée s’est précocement manifestée par des concepts, ou du moins par des formulations, qui préfigurent la médiance ; tel ce précepte : « confier aux choses le soin de dire ce que l’on éprouve » (mono ni yosete omoi wo nobu)11, qui apparaît comme catégorie dès la première anthologie poétique du Japon, le Man.yô-shû (milieu du VIIIe siècle). Des choses qui parlent à la place du sentiment humain ne peuvent pas être de simples objets ; elles sont trajectives, c’est-à-dire qu’elles participent de la subjectité (shutaisei) de notre être même. Ce principe gouvernera jusqu’à nos jours l’esthétique nippone. Plus que d’une simple métaphore, il s’agit là d’ouvrir son cœur aux phénomènes de la nature, qui dès lors pourront l’exprimer : le crépuscule sera la solitude, les feuilles mortes seront la décrépitude, etc. Le sentiment des saisons 12 y occupe une place privilégiée ; ce qui, un millénaire après le Man.yô-shû, finira par entraîner la codification des « mots de saison » (kigo) dans le haïku, comme nous le verrons plus loin, en passant par l’élaboration d’un véritable concept, « l’émouvance des choses (mono no aware) ». L’expression (ou d’autres voisines) se rencontre déjà dans la littérature de l’époque Heian (VIIIe-XIIe siècle), mais c’est Motoori Norinaga (1730-1801) qui en a été le penseur, dans la mouvance des « études nationales » (kokugaku) développées sous les Tokugawa par réaction contre le modèle néo-confucianiste que s’était donné le régime. Il s’agissait de retrouver l’authenticité (magokoro, le « cœur vrai ») qu’avait oblitérée cette chinoiserie (karagokoro , le « cœur chinois », mais aussi, par homophonie, « cœur vide »). Il s’agit bien d’un concept proprement nippon, qui est directement opposable au dualisme, et qui sous-tend toute l’esthétique japonaise ; en particulier celle du haïku. § 2. La concrescence de la culture et de la nature dans le haïku

C’est cette transformation corrélative que j’ai essayé d’analyser dans Le Japon. Gestion de l’espace et changement social, Paris, Flammarion, 1976. 9 Pour plus de détails, on pourra se référer à mon Le Sauvage et l’artifice, op. cit. et à sa bibliographie. 10 C’est ce que j’ai voulu montrer dans mon Histoire de l’habitat idéal, de l’Orient vers l’Occident, Paris, Le Félin, 2010, dont on pourra également utiliser la bibliographie. 11 寄物陳思 . 12 Kisetsukan 季節感 . Sur ce thème, KARAKI Junzô, Nihonjin no kokoro no rekishi (Histoire de la sensibilité nippone), Tokyo, Chikuma, 1976, 2 vol. ; sur lequel je me suis largement appuyé dans Le Sauvage et l’artifice, op. cit. 8


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Dans la concrescence des milieux humains, les choses ne sont pas ce qu’en a fait l’u-topie (la négation du lieu) propre au sujet moderne, à savoir de simples objets, des en-soi posés là-devant dans l’étendue. Elles vont et croissent avec l’être du sujet lui-même. Cet aller-avec de la réalité, qui implique l’être dans son milieu par les sens, par l’action, par la pensée, par la parole, c’est ce qu’il a fallu dénier pour que cet être devienne le sujet moderne, et que, corrélativement, les choses deviennent sous son regard l’objet moderne, figé dans son arrêt-sur-objet. Tel a été le dualisme, et avec lui non seulement la révolution scientifique moderne, mais la modernité tout court : cela qu’a symbolisé la perspective linéaire, qui dans sa costruzione legittima plaça l’œil de l’observateur en dehors de la scène, pour la toiser à loisir comme d’un regard de nulle part – un regard abstrait, utopique. Ne la regrettons pas, cette « construction légitime », car elle a permis que nous existions tels que nous sommes devenus ; mais sachons du moins reconnaître qu’elle repose sur une fiction, car en réalité – concrètement – nous ne sommes pas en dehors de la scène. Nous sommes dedans13. Ce « dedans » – ce milieu où être il y a –, les diverses cultures n’en ont pas reconnu la concrescence au même degré14. Le cogito et son regard de nulle part l’ont forclose (locked out). Le Japon, au contraire, l’a érigée en règle fondamentale ; en particulier dans son genre littéraire le plus universellement connu, toujours massivement pratiqué par les Japonais eux-mêmes, voire jusqu’à l’étranger dans d’autres langues que le japonais : le haïku, lequel s’est codifié à peu près au moment où au contraire, à l’autre bout de l’Eurasie, le paradigme abstrait de la modernité s’imposait. Le trait le plus apparent du haïku, c’est bien entendu sa brièveté. C’est un poème court, formé de trois vers de 5, 7 et 5 pieds. Par principe, il « chante les phénomènes du monde naturel qui se produisent en fonction du cycle des saisons, de même que les phénomènes qui en dépendent dans le monde humain » 15. Bref, il chante le milieu nippon. Vaste sujet ! L’histoire y a mis de l’ordre, plus particulièrement à partir des œuvres d’Ihara Saikaku (1642-1693) et de Matsuo Bashô (1644-1694), et jusqu’à Masaoka Shiki (1867-1902). Au XXe siècle, le genre achève d’acquérir son allure actuelle, nonobstant de violentes controverses dans l’après-guerre, où le critique Kuwabara Takeo (1904-1988) l’attaqua pour son conformisme. Toujours est-il qu’au XXIe siècle, les Japonais continuent d’en être massivement amateurs. L’articulation majeure du haïku avec le milieu nippon, c’est l’obligation d’y introduire un « mot de saison », le kigo. Par exemple, dans ce haïku d’Ôshi16: 風鈴の ちひさき音の 下にゐる

Fûrin no chiisaki oto no shita ni iru

La clochette à vent17 au son qui tintinnabule on est là-dessous

le mot de saison est fûrin, la clochette à vent. Lesdits mots de saison sont inventoriés et classés dans des saisonniers, les saijiki, lesquels ont commencé à paraître au XVIIe siècle. Ils n’ont cessé depuis de s’étoffer. Selon André Delteil, le plus volumineux compte aujourd’hui quelque sept mille entrées. L’un des plus vendus, le saisonnier de poche d’Ôno Rinka18, en contient près de trois mille, chacune comportant une définition de quelques lignes, six ou sept exemples de haïkus tirés du patrimoine littéraire pour illustrer ce mot de saison, et des indications pour mieux apprécier ces poèmes ; soit près de six cents pages sur papier bible. L’introduction nous dit : Ces dernières années ont vu un boom des saisonniers. Quasi chaque année, il en paraît de nouveaux, disant comporter de quatre à cinq mille mots de saison, et qui se prévalent de cette abondance. Chacun ajoute nécessairement de nouveaux termes, reflétant l’évolution de notre mode de vie. Par exemple, la vogue de l’alpinisme entraîne la recherche de termes de la flore de montagne, de noms d’herbes ou d’oiseaux sauvages, lesquels entraînent la recherche des coutumes allant avec ces

Je résume ici abruptement un propos que j’ai argumenté et référencé plus en détail dans Écoumène, op. cit.. Je reprends ci-après quelques passages de Poétique de la Terre, op. cit., p. 133 sqq. 15 André DELTEIL, article Haiku dans A. BERQUE (dir.) Dictionnaire de la civilisation japonaise, Paris, Hazan, 1994, p. 231. 16 Je commente plus en détail ce haïku du point de vue de la question du sujet dans mon Poétique de la Terre, op. cit., p. 26 sqq. Je l’ai commenté d’un autre point de vue dans Le Sauvage et l’artifice, op. cit, p. 39. 17 Notons que le japonais fûrin (en hiragana ふうりん) compte quatre pieds, non pas deux. 18 ÔNO Rinka (dir.), Nyûmon saijiki (Saisonnier introductif), Tokyo, Kadokawa, 1994. 13 14


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phénomènes, et qui font partie de notre vie quotidienne. On ne peut pas arrêter ce mouvement. Il y a de bonnes raison pour qu’apparaissent de nouveaux mots de saison, et l’on doit reconnaître les compositions qui en comportent19.

On voit qu’il s’agit d’une coutume vivante, et qui évolue au même pas que la vie quotidienne des Japonais. Dans les saisonniers, il n’y a pas que des motifs traditionnels, comme la clochette à vent ! Par exemple, parmi les mots de saison recensés dans le volume « Hiver » du Nouveau grand saisonnier du Japon20, l’on trouvera p. 137 la motoneige – dite en japonais setsujôsha ou sunômôbiru (snowmobile), les deux étant reconnus comme mots de saison –, illustrée par le haïku suivant, de Wakaki Ichirô : 雪上車 丘のうねりの なりに馳す

Setsujôsha oka no uneri no nari ni hasu

À la motoneige de collines en vallons on y va à fond !

Le haïku accueille ainsi indéfiniment la nouveauté, mais selon des règles strictes, et dont les repères de base ne sont autres que le cadre naturel du milieu nippon, avec le déroulement saisonnier des scènes de vie les plus diverses. Ce genre littéraire illustre, par dessus tout, la concrescence des mots, des temps, des choses et des actes dans ce milieu-là, qu’il met en ordre – qu’il cosmise – en le mettant en scène. Les saisonniers sont ainsi de merveilleux manuels d’apprentissage de la nature, comme des coutumes anciennes et nouvelles qui vont avec. Ce sont des grammaires de la concrescence, des chorégraphies de tout ce qui fait un milieu. Cet aller-avec, ils le règlent bien au delà des mots ; ce sont de véritables mésonomes – des codes du milieu, que les saisonniers recueillent comme le Grevisse recueille le bon usage de la langue française. Il s’agit effectivement d’une syntaxe, mais qui dépasse la langue seule. En cela, le haïku et les saisonniers participent d’une tendance générale de la culture japonaise : régler d’autant mieux l’extra-verbal que le verbal, en comparaison de la tradition gréco-latine, est peu exalté comme tel, à savoir comme langue plutôt que comme discours, dans l’abstraction du milieu concret. C’est le milieu lui-même qui est syntactisé, à l’inverse de ce qui s’est passé en Occident, où, par rapport au milieu où être il y a, l’autonomisation du logos déboucha dès le temps d’Aristote sur une logique formelle21. Et c’est en revanche la prégnance de cette grammaire du milieu qui justement permet au haïku d’être bref : le milieu allant de soi dans la concrescence des mots, des choses et de la chair, le verbal n’a pas besoin d’être prolixe. L’implicite suffit22. Dès l’aube de son histoire, le Japon ne se définissait-il pas comme le pays béni des dieux où il n’est pas besoin d’exalter les mots (kotoage senu kuni)23 ? C’est ici plutôt le comportement, la circonstance et le milieu que l’on norme ; d’où le développement de nombreuses syntaxes extra-linguistiques. Op. cit., p. 1. IIDA Ryûta et al. (dir.) Shin Nihon dai saijiki, Tokyo, Kôdansha, 5 vol. (Jour de l’an, printemps, été, automne, hiver), 1999-2000. 21 Sur cette autonomisation du logos par la pensée occidentale, et à l’inverse la saisie unitaire ( ῆ ) des phénomènes dans leur concrescence par la pensée orientale, v. YAMAUCHI Tokuryû, Rogosu to renma (Logos et lemme), Tokyo, Iwanami, 1974 – l’un des grands textes du XXe siècle, que je suis en train de traduire en français. À dire vrai, une logique concrète n’est justement pas une logique, mais une lemmique, prenant ensemble par syllemme (de sullambanein, cum-prehendere : prendre unitairement ce que le logos disjoint) les mots, les choses et la chair ; par exemple dans des synesthésies comme celle de la clochette à vent. On trouvera des éclaircissements sur cette lemmique dans Poétique de la Terre, op. cit. 22 Je rejoins ici ce jugement de Jacqueline PIGEOT, Questions de poétique japonaise, Paris, PUF, 1997, p. 7 : « On comprend mieux, alors, la vitalité et le succès du ‘poème court’. (…) si les ‘unités’ formelles de la littérature japonaise (comme le waka) sont brèves, ce n’est pas en raison de quelque goût pour la miniature, mais parce que ces unités n’ont pas l’indépendance de celles de la littérature occidentale (ballade, sonnet, etc.) ; elles sont interdépendantes et se définissent par leur relation avec d’autres éléments : autres poèmes, ou prose ». Comme on l’aura compris, ces « autres éléments » dépassent largement la seule littérature ; il s’agit bien de tout un milieu. 23 Man.yôshû, chant 3253-4, attribué à Kakinomoto no Hitomaro (actif au début du VIIe siècle). Les premiers vers disent : « Ashihara no mizuho no kuni wa kamu nagara kotoage senu kuni 葦原の瑞穂の国は神ながら言挙げせぬ国 », mot à mot « Le pays des roselières aux jeunes épis de riz est le pays où à la grâce des dieux l’on n’élève pas les mots », ce que l’on entend généralement comme : le Japon est si favorisé des dieux qu’il n’y a pas besoin de les prier. 19 20


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Ces syntaxes extra-linguistiques touchent à tous les domaines de la vie sociale, mais elles sont particulièrement élaborées dans les arts dits traditionnels, tel l’art des fleurs, et les arts martiaux, tel le karaté. On les appelle kata, mot dont le sens de base est : forme générale ou potentielle des formes singulières (sugata) ou effectives (katachi). Ces formes collectives canalisent les façons d’agir individuelles. Ce sont des matrices à la fois temporelles (ainsi particulièrement dans le karaté, où elles règlent des suites de gestes) et spatiales (ainsi particulièrement dans l’art des fleurs, où elles règlent des topologies entre éléments). À l’instar de la parole, en elles se touchent le génie individuel et la syntaxe commune : le kata permet, soutient et oriente l’expression personnelle, qui fait vivre le kata. C’est dans le moment structurel (le Strukturmoment) de ces deux dimensions : l’individuel et le collectif, que peut jaillir, ou ne pas jaillir, la création d’une œuvre. Ainsi particulièrement dans le haïku et son organisation sociale, laquelle encadre de nos jours, selon Delteil, plusieurs millions de personnes, dont un fort noyau regroupé autour de quelque huit cents revues spécialisées. Les haijin, ceux qui pratiquent le haïku, se réunissent au moins une fois par mois pour s’exprimer par un vote sur les œuvres présentées par leurs collègues, la règle imposant que l’on ne choisisse aucun verset dont on est soi-même l’auteur ; ce n’est qu’en dernier lieu qu’est dévoilée la paternité de chacun des versets. Le fait de la sélection ramène les auteurs au statut de lecteurs, phénomène propre à un art de groupe (za) où jouent des résonances qui dépassent souvent l’entendement du nouveau venu24.

C’est ainsi, à l’opposé de l’u-topie du cogito, que se cultive le milieu nippon, tendant à faire des Japonais cela même où ils sont : le Japon. Id fieri, ubi sunt : devenir cela, où ils sont25. § 3. Le système de la Haute Croissance Comment donc ce pays où, tout au long de l’histoire, et aujourd’hui encore, les habitants n’ont cessé de chanter les beautés de la nature et de faire preuve d’une sensibilité extraordinaire aux moindres variations de leur milieu, a-t-il pu devenir dans les années soixante le champ d’une destruction systématique de la nature26 ? Pourquoi les Japonais, si fiers de leur intimité amoureuse avec la nature et toujours si prompts à dénoncer l’aliénation des Occidentaux à cet égard, ont-ils à tel point saccagé leur patrimoine naturel qu’ils ont dû importer d’Occident les recettes, et jusqu’à l’idéologie, de la protection environnementale ? Le Japon se faisait même traiter à l’époque de « cobaye des nuisances » (kôgai no morumotto)… Résumons d’abord les raisons les plus évidentes pour lesquelles, sous la Haute Croissance (1955-1973), un tel ravage a pu s’effectuer. Il y eut à cela des facteurs généraux : la densité du peuplement et sa répartition (notamment sa concentration dans la mégalopole du Tôkaidô) ; l’intensité et la concentration des activités. Il y eut aussi des facteurs spécifiques : les modalités de l’industrialisation (l’accent mis sur les industries lourdes et les industries chimiques ; sur les économies d’échelle ; sur les économies d’agrégation et l’utilisation du littoral dans les fameux konbinâto) ; les modalités de l’urbanisation (aucun frein opposé à la croissance des plus grandes villes ; jusqu’en 1969, aucune loi permettant d’éviter l’étalement en tache d’huile ; retard des équipements urbains). Bref : la priorité accordée par le régime – la triade du seizaikan (politique/patronat/administration) gouvernée par le Jimintô (Parti Libéral-Démocrate) – aux équipements de production et de circulation par rapport aux équipements de cadre de vie et aux aménités. Essayons maintenant de cerner des facteurs plus proprement culturels. D’abord, comment un tel paradoxe était-il possible : la mutation de l’amour de la nature en destruction de la nature ? Il y avait effectivement paradoxe au niveau même du discours. Au plus fort de la crise de l’environnement (grosso modo, entre 1965 et 1975), que ce fût de la part des Japonais eux-mêmes ou de celle d’étrangers, l’on a vu coexister deux langages parfaitement inconciliables : d’une part la dénonciation des nuisances et de leurs causes techno-socio-économiques, d’autre part la veine, toujours nourrie, de la célébration éthico-esthétique du sentiment nippon de la nature. L’analyse DELTEIL, art. cit., p. 231. On aura compris que la présente approche, plutôt que des études littéraires, relève de l’étude des milieux : la mésologie. 26 Je reprends ci-après des passages de mon Le Sauvage et l’artifice, op. cit., p. 203 sqq. 24 25


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rationnelle ne s’est guère aventurée à faire le lien entre ces deux aspects contradictoires de la même société. Comment donc expliquer cette attitude apparemment schizophrénique des Japonais envers la nature : l’exalter d’une part, la ravager de l’autre ? Le plus souvent, l’on se contentait de dénoncer l’incompatibilité de la civilisation technologique, inspirée de l’Occident, et de la culture japonaise profonde. Or cela n’expliquait rien : quelle que fût la filiation historique respective de ces deux dimensions de la même société, le fait est que les Japonais les vivaient en même temps. Ajouter que les Occidentaux se seraient souciés plus tôt de protéger leur environnement du fait même qu’ils l’auraient saccagé plus tôt, voilà qui sans doute était vrai du point de vue de l’histoire positiviste (antériorité de l’industrie en Europe, etc.), mais qui n’expliquait toujours pas l’ambivalence du comportement des Japonais eux-mêmes à l’époque. Plus près me semble-t-il du nœud de la question venaient les interprétations distinguant entre les différents modes de la pratique sociale. C’est ce que faisait par exemple Karaki Junzô vers le terme de sa grande étude sur l’histoire du sentiment de la nature au Japon27. Selon lui, la dimension économique, auparavant sertie dans un ensemble équilibré, s’était, avec la modernité à l’occidentale, développée au point d’entraîner « la ruine de la nature et celle du cœur humain »28. Dans cette perspective, l’acuité du problème de l’environnement au Japon se serait expliquée par la priorité, plus marquée qu’en Occident, dont y jouissait la croissance économique. Cependant, si cette interprétation avait le mérite d’insister sur la désagrégation culturelle (« la ruine du cœur humain ») corrélative de la dégradation de l’environnement, elle n’expliquait toujours pas pourquoi la même société avait pu à la fois hériter de son passé un sentiment de la nature aussi profond et aussi subtil, et d’autre part s’engager, à l’époque contemporaine, dans une voie de développement où le techno-économique le plus grossier – tel qu’illustré par le mégalomaniaque Nihon rettô kaizôron (Restructurer le Japon) de Tanaka Kakuei29 –, prévalait de manière si écrasante sur d’autres considérations malgré ses trop évidents méfaits écologiques et sociaux (affaire de Minamata, etc.). Devant une pareille réalité, devait-on s’interroger sur l’authenticité même du sentiment traditionnel de la nature ? C’est un peu ce que faisait Yamamoto Kenkichi, spécialiste s’il en fut de ce sentiment à travers le haïku, dans l’introduction de son classique Saishin haiku saijiki (Nouveau saisonnier du haïku)30, en soulignant le formalisme où l’expression de ce sentiment était trop souvent tombé : cette nature que l’on chantait si délicatement, ce ne serait que le produit d’une fiction, fignolée au long des siècles à l’écart de toute véritable pratique de l’environnement. Saitô Seiji31 commentait dans la même veine l’adage « le poète connaît les beaux sites sans avoir besoin de quitter sa chambre »32, qu’ont illustré des générations de versificateurs comme Shôtetsu, au XVe siècle. Effectivement, les stéréotypes abondent dans l’histoire du sentiment de la nature, peutêtre plus au Japon qu’ailleurs en raison des « syntaxes » dont je parle plus haut. Cependant, je ne crois pas qu’il suffise d’en dénoncer le formalisme, ni de souligner (comme le faisaient d’ailleurs tant Karaki que Saitô) que les grands poètes, comme Saigyô ou Bashô, ont rompu les stéréotypes et sont allés, eux, directement au contact de la nature. En effet, qu’on les appelle stéréotypes ou schèmes, aucune société ne se passe des cadres mentaux collectifs qui structurent la réalité perçue par chaque individu. C’est justement l’effet de la médiance, ce « moment structurel de l’existence humaine », qui combine nécessairement le collectif à l’individuel. Les façons de voir sociologisantes surestiment peut-être le rôle de ces matrices, l’individualisme méthodologique le sous-estime à coup sûr ; toujours est-il que ce conditionnement culturel intervient toujours dans la perception. Comme on l’a vu plus haut, toute réalité humaine est trajective : ce n’est jamais, tel quel, le donné brut de l’environnement (l’Umgebung), c’est l’élaboration, au fil de l’histoire, de ce Nihonjin no kokoro no rekishi (Histoire de la sensibilité nippone), Tokyo, Chikuma shobô, 1976, 2 vol. Shizen ya jinshin no kôhai, op. cit., vol. II, p. 298. 29 Tokyo, Nikkan Kôgyô Shinbunsha, 1972. 30 Saishin haiku saijiki, Tokyo, Bungei Shunju, 1977, 5 vol. 31 « Shizen no mikata » (La vision de la nature), dans Nihon wo shiru jiten (Pour connaître le Japon), Tokyo, Shakai Shisôsha, 1971, p. 833. 32 Kajin wa inagara ni shite meisho wo shiru. Cette expression renvoie à un peintre chinois de l’époque des Six Dynasties, Zong Bing (375-443), l’auteur du premier traité sur le paysage dans l’histoire humaine, qui devenu vieux, peignit diton sur les murs de sa chambre les paysages où il avait aimé randonner dans sa jeunesse. 27 28


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« donné » abstrait en un milieu concret (une Umwelt, un fûdo). Rien de plus artificiel et de plus théorique que d’imaginer « l’homme » (?) en dehors de ce milieu éco-techno-symbolique, donc nécessairement social. La question n’était donc pas tant de savoir si le sentiment traditionnel de la nature des Japonais était plus ou moins formel (il l’était sans doute plus que moins) ; elle était que les formes sous lesquelles s’exprimait ce sentiment guidaient nécessairement le sentiment de la nature de tout Japonais ; que ces formes, par leur développement, leur minutie et leur actualité, nourrissaient nécessairement en tout Japonais un vif amour de la nature – que cette nature fût sélectionnée, voire fétichisée en « lieux renommés (meisho), cela n’entre pas en ligne de compte, car toute culture n’a jamais qu’une vision sélective de ce qui est pour elle « la nature », tout court – ; et que néanmoins, ces mêmes Japonais dévastaient leur environnement naturel comme s’ils ne le percevaient pas, comme s’ils ne l’aimaient pas. La société, certes, se compose d’éléments aux intérêts divers. De très nombreuses études d’inspiration marxiste ou gauchisante, à propos de la crise socio-écologique, i.e. mésologique où a fini par s’embourber la Haute Croissance, ont montré que la classe capitaliste de la société japonaise avait tendu à détourner à son seul profit le patrimoine écologique de la nation33. Le mot même de kôgai (« nuisance publique ») contenait cette dénonciation. De tel aristocrate de jadis, calligraphiant un poème au clair de la lune d’automne tandis que ses reîtres faisaient rentrer l’impôt en riz à coups de trique, à tel grand patron du Keidanren, s’essayant à peu près au même poème tandis que les enfants de Kawasaki s’étouffaient dans les fumées de ses usines34, n’était-ce vraiment que la logique du profit et de l’exploitation sociale qui jouait dans les problèmes de l’environnement ? Sans doute l’accaparement du patrimoine écologique par le capital était-il une réalité trop évidente pour être ignorée ; la logique sociale de cet accaparement aussi35. Et pourtant, cet approfondissement nécessaire de la question ne faisait que la déplacer. L’exploitation sociale étant, par des voies et à des degrés différents, une réalité du Japon (ou de tout autre pays) dans le passé comme sous la Haute Croissance, autant la tenir pour un invariant ; restait donc à savoir pourquoi une même société avait pu déjuger aussi grossièrement et manifestement cette option fondamentale de sa propre culture : l’amour de la nature… § 4. La nature décosmisée Une même culture pouvait-elle, en quelques décennies, changer totalement de référent ? Et destituer la nature de son rôle de compagne du cœur humain pour la rabaisser à celui de simple externalité dans l’espace du capital ? Si une telle hypothèse était vraie, elle signifiait que le Japon, après Meiji et surtout après 1945, s’était acculturé à l’Occident jusqu’au cœur – jusqu’au foyer cosmogénétique où s’instaure le regard humain sur le monde, dans la médiance même de l’être. Sans sous-estimer les multiples et profondes influences que le POMC a exercées sur la société japonaise, je ne crois pas que cette hypothèse soit la bonne ; ni du reste son décalque : l’hypothèse qui eût consisté à dire que les sociétés technologiques doivent nécessairement converger vers un même comportement vis-à-vis de la nature ; car, en l’affaire, la nature en question eût été définie dans les seuls termes du POMC, c’est-à-dire comme un objet – ce donné censément universel qu’est « l’environnement » (l’Umgebung). Or la nature n’est jamais ce donné brut, c’est toujours un milieu, une Umwelt, un fûdo ; et le milieu nippon, par définition, n’est réductible à aucun autre. Si la civilisation industrielle, au Japon comme partout ailleurs, a fourni à l’humanité des moyens décuplés d’agir sur l’environnement, je ne crois pas que cette montée en puissance ait pu fondamentalement changer la médiance nippone, le contre-assemblage (Gegengefüge) des Japonais avec la nature de l’archipel nippon. Du reste, le Japon n’a pas appris de l’Occident que des techniques plus efficaces ; il en a retenu aussi de nombreuses valeurs, parmi lesquelles de nombreuses façons d’aimer et de protéger la nature, même s’il les a, comme il est normal, traduites en termes proprement japonais, par exemple dans ses parcs nationaux36. Je m’en suis largement fait l’écho dans Le Japon. Gestion de l’espace…, op. cit. Allusion à « l’asthme de Kawasaki », l’une des grandes affaires de pollution de la Haute Croissance. 35 S’il était un pays auquel pouvait justement s’appliquer l’analyse d’Alain LIPIETZ dans Le Capital et son espace (Paris, Maspéro, 1977), c’était bien le Japon de la Haute Croissance. 36 Comme le montre Leila CHAKROUN dans son master Conception of nature underlying Japan’s natural parks, Université de Lausanne, Faculté des géosciences et de l’environnement, 2015. 33 34


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S’il est en effet un domaine où la greffe des modèles occidentaux avait pris au Japon, c’était bien la vision romantique (au sens large) de la nature, comme entre autres en avait témoigné la vogue rapide de l’alpinisme. Rien là d’étonnant : tout prédisposait la culture japonaise à accueillir favorablement ces nouvelles façons d’apprécier la nature, pour en enrichir les siennes propres. En ce domaine, par conséquent, l’Occident avait enseigné au Japon à aimer la nature encore davantage, plutôt que le contraire. On pouvait ainsi très bien concevoir que les mouvements modernes de protection de l’environnement, de préservation des paysages, etc., eussent dû connaître très tôt une grande efficacité au Japon ; or cela n’a pas été le cas, fort loin de là. Paradoxe alors, ici encore ? Émettons une hypothèse : ce serait dans la logique même de la naturalité japonaise, c’està-dire dans la médiance nippone, qu’il faudrait chercher les causes profondes, ou indirectes, de la spectaculaire dégradation écologique et paysagère du Japon sous la Haute Croissance. Ce seraient ces causes profondes qui auraient permis aux causes apparentes , ou directes, de jouer au point où celles-ci l’ont fait. Quelles pouvaient donc être ces causes profondes ? Le facteur central gît au cœur même de l’argument qu’invoquaient régulièrement les nippologies (nihonjinron) 37 : cette « harmonie » (chôwa) vers laquelle la culture japonaise aurait tendu dans son rapport à la nature. Cette harmonie, les nippologies l’opposaient à la fois à la domination de l’homme sur la nature (l’option du POMC), et à la soumission de l’homme devant la nature (ici, à la suite de Watsuji, les nippologies parlaient souvent de l’Inde). Du point de vue mésologique, rien là de surprenant : Uexküll a expérimentalement prouvé que, l’environnement serait-il pessimal, le milieu est toujours optimal pour l’espèce concernée. Cela n’est autre que le contre-assemblage, la médiance de l’être avec le milieu qui lui est propre. Platon, sans le savoir, exprimait déjà cette médiance lorsqu’il conclut le Timée par cette phrase au premier abord surprenante : « très grand, très bon, très beau et très parfait (megistos kai aristos kallistos te kai teleôtatos), le monde (kosmos) est né : c’est le ciel (ouranos), qui est un et seul de sa race ». Effectivement, l’être n’a jamais qu’une Umwelt (kosmos), qui est pour lui l’Univers (ouranos). Il n’en a pas d’autre, et ce milieu, pour lui, ne peut qu’être optimal, puisqu’il participe de son être même… C’était bien cette médiance qui jouait lorsque les Japonais, sous la Haute Croissance, invoquaient naïvement la générosité même de la nature de leur archipel pour expliquer que « l’homme » s’en fût exagérément remis à elle du soin de réparer les dégâts qu’il commettait, du soin de réparer avec indulgence ses propres erreurs ; en d’autres termes, pour expliquer que la société (la culture) se fût dispensée de réguler intrinsèquement son propre fonctionnement, attendant pour ce faire que la nature intervînt, qu’elle jouât son rôle traditionnel de partenaire, ou de contrepoint (Kontrapunkt), comme eût dit Uexküll. Mais comment le milieu (le fûdo) aurait-il pu continuer à jouer ce rôle de fidèle partenaire, alors qu’il avait été décosmisé en une simple externalité dans l’espace du capital ? La médiance nippone se trouvait complètement décalée par rapport à cette réalité-là ; témoin cet éditorial de l’Asahi du 13 avril 1970, que Karaki citait en le reprenant totalement à son compte 38 : « Peut-être bien que le Japon, au fond, a été trop généreusement doté par la nature (shizen ni megumare sugita). Nous nous en sommes prévalus (sore ni amaete) pour la martyriser. Mais nous n’en avons plus le droit. La nature du Japon, et avec elle sa compassion, est en effet à bout (sono ninjô to tomo ni, arehateyô to shite iru) ». Attribuer à la nature du « sentiment humain » (ninjô), trait d’animisme s’il en fut ! Mais aussi, expression directe de la médiance de toute réalité dans l’écoumène. Devant un tel éditorial, un lecteur du Monde ou du Times n’aurait sans doute pu que sourire : personnifier ainsi la nature, n’était-ce pas soit de l’enfantillage, soit de la primitivité ? En quoi ledit lecteur aurait eu grand tort : d’une part, à l’opposé de toute affectation, cet éditorial traduisait sincèrement une crise profonde de l’identité japonaise ; d’autre part, quant à la primitivité, le Japon venait alors de dépasser le PNB de l’Allemagne et s’engageait à fond dans des options technologiques de pointe, avec la modernité que l’on sait. Cet éditorial disait des choses ineffables dans le langage du POMC : il disait que la nature et la culture sont une, et toutes deux humaines ! Plus exactement, toutes deux trajectives, donc unitaires, puisque ek-sistant d’une même trajection, celle d’un milieu humain.

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On en trouvera un florilège dans Le Sauvage et l’artifice, op. cit. Karaki, op. cit. p. 180.


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Et ipso facto, cet éditorial disait aussi que la culture japonaise était désemparée, puisqu’elle avait perdu sa partenaire de toujours dans la trajection qui l’avait constituée elle-même au cours de l’histoire. Elle était décosmisée : son monde (kosmos) était brisé. § 5. La réaction des habitants Ce qui a mis fin à la Haute Croissance, ce n’est pas tant la conjoncture économique (en particulier la crise du pétrole de 1973 et ses suites) que la rébellion des Japonais eux-mêmes devant les méfaits de ce système39. Ce fut ce que l’on appela le « mouvement habitant » (jûmin undô), lequel devait au début des années soixante-dix aboutir aux « quatre grands procès de nuisance » (yon dai kôgai saiban) : les affaires de Minamata, Toyama (itai-itai), Yokkaichi et Niigata (minamata bis). Du jugement sur l’affaire itai-itai (juin 1971) à celui sur l’affaire de Minamata (mars 1973), ceux-ci donnèrent raison aux plaignants. Ces jugements n’ont pas seulement créé un premier cadre jurisprudentiel en matière de nuisances (kôgai), où les règles existantes étaient outrageusement inefficaces ; c’est leur effet moral qui prend date dans l’histoire du Japon. En effet, pour la première fois dans l’histoire de cette « société en hauteur » (tate shakai)40, dont la hiérarchie était l’attribut conditionnel, le droit et le tort se trouvaient définis institutionnellement au rebours exact de l’ordre en place : au lieu de descendre du sommet vers les habitants, le droit remontait des habitants vers le sommet du système (le seizaikan, i.e. la collusion milieux politiques/patronat/administration). Bien entendu, le sceau de la Justice ne faisait là qu’entériner une tendance mûrie au cours de la Haute Croissance et fondée diffusément sur des valeurs implicites, universelles (vie, santé) ou traditionnelles (les solidarités locales) – des valeurs trop implicites, justement : de là à faire s’exprimer une motivation, et plus encore un droit, il fallait un choc. Il est remarquable, et spécifique de l’ordre nippon, que ce choc ne soit pas né de réalités pourtant brutales, et présentes à tous via les médias, mais de décisions institutionnelles. Le Japon, de société la plus indulgente aux méfaits de l’économisme, y devenait dès lors l’une des plus allergiques… Effectivement, à partir de 1975 environ, la grande affaire devint ce que l’on qualifia d’un terme importé : amenity, la qualité de la vie. Or avant que le mouvement habitant ne s’insurgeât devant les ravages que subissait le cadre de vie, et ne bloquât ainsi, de facto, la démesure du capital – le maître à penser du patronat, Matsushita Kônosuke, ne préconisait-il pas au début des années soixante-dix d’araser les montagnes pour doubler les plaines, en supprimant notamment la méditerranée japonaise, Setouchi ? –, aucun frein de nature interne n’avait retenu les responsables de cette évolution, à savoir la collusion Jimintô/zaikai (PLD/milieux d’affaires). Bien au contraire, l’ouvrage que Tanaka Kakuei publia juste avant son accession à la charge de Premier Ministre en 1972, Restructurer le Japon 41 , véritable chant du cygne de l’idéologie officielle de forte croissance, proposait de faire bien davantage et encore plus vite que ce qui avait été fait jusqu’alors. Tanaka ne voyait-il donc pas les maux que provoquait cette politique ? Certainement si ; mais, loin de la mettre en cause, il entendait régler la question en accentuant cette même politique, et ce au nom de cela même qu’elle détruisait : le cadre de vie... L’on peut conclure au cynisme, mais ce serait sans doute faux, en tout cas partiel. Il est plus probable que Tanaka pariait sur la croissance parce que celle-ci allait de soi. Elle allait de soi au sens propre : régulièrement, tous les plans précédents avaient été dépassés ! Or ce genre d’attitude – entériner une force qui va, parce qu’elle va – procède directement de la notion même de nature dans la tradition japonaise, qui l’a exprimée par un terme hérité du taoïsme : shizen (cn ziran), lu plutôt jinen dans le bouddhisme, et développé en onozukara shikari en lecture kun : « de soi-même ainsi ». Cette notion implique en effet une forte prégnance du social dans le naturel, autrement dit la trajectivité d’un certain milieu, lequel ne saurait être cet universel objectal qu’est devenue la nature dans le POMC. Shizen, plus encore jinen, et à plus forte raison onozukara shikari, concrètement, c’était la médiance même du milieu nippon. C’était le Japon. Et en l’occurrence, c’était précisément l’accaparement de la nature par le capital, au nom même, soidisant, du « de-soi-même-ainsi ». Dans une inversion quasi surréaliste, le régime s’arrogeait ainsi le Je reprends ici des passages de mon Japon. Gestion de l’espace…, op. cit. p. 305 sqq. L’expression est de NAKANE Chie, Tate shakai no ningen kankei (Les rapports humains dans la société verticale), Tokyo, Kôdansha gendai shinsho, 1966. 41 Nihon rettô kaizôron, op. cit. 39 40


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droit d’inculquer l’amour de la nature à la nation qu’il en dépouillait. Tel ce texte que la préfecture de Kagoshima fit circuler pour soutenir le projet de mégalo-combinat de la baie de Shibushi, à Kyûshû. Ledit projet comportait la suppression pure et simple, par comblement, d’un site littoral assez remarquable pour qu’une partie en eût été classée. Or dans le texte figurait la recommandation suivante : « S’efforcer d’ores et déjà de faire mieux prendre conscience, à chaque habitant du département, que la nature vaut d’être protégée (shizen hogo no kachi ishiki wo takameru) »42… En somme, le pouvoir mettait en œuvre une logique étrange – une logique du soku 即, où détruire la nature n’était autre que la protéger, shizen hakai soku shizen hogo… Or cette logique étrange, elle gît au cœur de la notion même de shizen 自然, dans le 自 (soi) de laquelle se confondent le soi de la nature elle-même et le soi de tout acteur humain, en l’occurrence le pouvoir, se donnant libre cours de soi-même ainsi, onozu kara shikari. Cette ambivalence de 自 est manifeste dans un poème de Tao Yuanming, où celui-ci se félicite d’avoir quitté la ville (le monde de l’artifice), et où l’on peut lire 久在樊籠裏 復得返自然

Jiu zai fanlongli Fu de fan ziran

Longtemps resté en cage À nouveau j’ai pu retourner à la/ma nature43

Retourner à la campagne, c’était pour le poète « retourner à la/ma nature » (fan ziran), dans l’accord du comportement individuel et du cours naturel des choses ; et de même, pour le seizaikan, construire le mégalo-combinat prévu à Shibushi, autrement dit servir l’intérêt à court terme du capital en détruisant la nature, ce n’était autre qu’œuvrer pour la protection de l’environnement… Un tel détournement ne pouvait être corrigé que par une insurrection de la base écologique et sociale ; c’est ce qu’a été le rôle historique du mouvement habitant. § 6. Retrouvailles ? Voire… Depuis ce retournement, près d’un demi-siècle a passé. Du point de vue écologique, la situation s’est considérablement améliorée. La qualité environnementale est beaucoup plus soigneusement prise en compte qu’elle ne l’était du temps de la Haute Croissance. Or qu’en est-il du point de vue mésologique ? Les Japonais ont-ils réassumé leur fûdo ? Voire. Ils ignorent pour la plupart les thèses de Watsuji. Fûdo reste un classique, mais il est généralement incompris de ses lecteurs, qui n’y voient qu’une justification du déterminisme environnemental – cela justement que Fûdo récuse dès les premières lignes –, et le mot même de fûdo 風土 (milieu) est aujourd’hui entendu fûdo フード (food) par beaucoup de jeunes. Le milieu nippon continue de se décosmiser, ce que le sociologue Miura Atsushi a joliment exprimé dans le titre d’un livre à succès, Fasuto-fûdoka suru Nippon (Le fûdo devient macdo)44. Certes on ne parle plus, comme sous la Haute Croissance, du couple infernal « désertification-congestion » (kaso-kamitsu), parce que la qualité de la vie s’est beaucoup améliorée dans les grandes villes, mais la désertification de pans entiers du territoire ne fait que s’aggraver. Là, le foyer même de la médiance nippone menace de s’éteindre. Effectivement, la réappropriation du territoire par les habitants eux-mêmes, que symbolisèrent les quatre grands procès de nuisance, ne s’est pas accompagnée d’une réassomption du milieu dans sa logique propre. Dans le système éco-techno-symbolique qu’est tout milieu humain, le symbolique a ici fait défaut, ou plus exactement n’a pas trouvé son juste rôle de contrepoint. C’est pourtant cela qu’on aurait pu attendre de la redécouverte philosophique de l’école de Kyôto, dans les années soixante-dix et quatre-vingt, et plus particulièrement de la « logique du lieu » (basho no ronri) de Nishida, son maître à penser ; mais en fait, Nishida n’avait fait que culbuter le principe de la logique aristotélicienne (l’identité du sujet S, autrement dit de la substance) en son énantiomère, l’identité du prédicat P, qu’il a en outre absolutisé en tant que

Cité par TSURU Shigeto dans Kankyô-chô shizenhogokyoku henshû, Nashonaru torasuto e no michi, Tokyo, Gyôsei, 1982, p. 29. 43 Extrait de Je retourne habiter à la campagne, p. 96 dans MATSUEDA Shigeo et WADA Takeshi, Tô Enmei zenshû (Œuvres complètes de Tao Yuanming), Tokyo, Iwanami bunko, 1990, vol. 1 p. 96. 44 Tokyo, Yôsensha, 2004. 42


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néant absolu45. Or absolutiser le prédicat (ce que l’on dit des choses), c’est le principe du mythe ; c’est ce même principe qui est affirmé au début de l’évangile selon saint Jean, où il est dit que la Parole (i.e. P, le prédicat) est Dieu (i.e. S, le sujet ou la substance absolus). En somme, exactement l’inverse de la science moderne classique, celle du POMC, qui présumait absolutiser l’objet (i.e. S, le sujet logique, la chose dont il s’agit) en forclosant (locking out) abstraitement l’interprétation qui fait qu’en réalité (concrètement), l’objet S n’existe jamais pour nous qu’en tant que quelque chose (als etwas, comme dirait Heidegger), c'est-à-dire en fonction d’un certain prédicat. On sait ce qu’il en est résulté : le « dépassement de la modernité » (kindai no chôkoku) invoqué par l’école de Kyôto s’est achevé par un bond mystique en absolutisation du régime en place, la tennôcratie, assimilée au néant absolu46. Par cette absolutisation du prédicat, l’école de Kyôto, ainsi que, me semble-t-il, son regain actuel, est ainsi passée à côté de la méso-logique (la logique du milieu), c’est-à-dire la logique de la trajection de S en tant que P qui, entre l’absolutisation de S et l’absolutisation de P, fait la réalité concrète des milieux humains – en l’occurrence la réalité du fûdo, qui est aussi la réalité du ma et celle de l’aida, i.e. la réalité de l’espace-temps nippon47. Toutefois, c’est bien la pensée de Nishida, en particulier par sa mise en évidence de la prédicativité du monde historique (P), qui, en mésologie du moins, aura permis de concevoir logiquement cette trajection (la saisie de S en tant que P) qui, dans tous les milieux, produit la réalité des choses (S/P, S als P, S soku 即 P)48 ; et cela me permet de croire que le Japon, dépassant cette fois-ci réellement la modernité du POMC au lieu seulement de la culbuter en son énantiomère, saura tôt ou tard mettre en œuvre une authentique médiance, où se répondraient à nouveau la nature des choses et la nature humaine. Palaiseau, 24 octobre 2016.

Je résume ici abruptement une argumentation que j’ai développée dans « La logique du lieu dépasse-t-elle la modernité ? », p. 41-52, et « Du prédicat sans base : entre mundus et baburu, la modernité », p. 53-62 dans Livia MONNET (dir.) Approches critiques de la pensée japonaise au XXe siècle, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 2002. 46 À ce sujet, v. Augustin BERQUE (dir.) Logique du lieu et dépassement de la modernité, Bruxelles, Ousia, 2000, 2 vol. 47 C’est ce que j’ai essayé de montrer dans les articles Fûdo et Ma, p. 127 sqq. et 294 sqq. dans Philippe BONNIN et al. (dir.), Vocabulaire de la spatialité japonaise, Paris, CNRS, 2014. 48 Dans les milieux vivants en général, cet en-tant-que (als, 即) correspond à ce qu’Uexküll appelait Ton, et ce qu’il appelait Tönung (tonation) correspond à la trajection. Sur ce point, v. Poétique de la Terre, op. cit. , p. 114. 45


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