Révisé le 5/11/16.
Centre européen d’études japonaises d’Alsace, Colmar, 3-4 novembre 2016
Colloque international La nature au Japon à l’épreuve de l’homme
Comment le Japon, dans les années soixante, a-t-il pu devenir champion de destruction de la nature ? 1960 年代、高度成長期において、日本はいかにして 自然破壊のチャンピオンになりえたのか? par Augustin BERQUE berque@ehess.fr
Résumé – On rappelle d'abord la tradition d'amour de la nature qui caractérise le Japon, en soulignant ce qu'elle doit doublement au shintoïsme autochtone et à la veine poétique de l'érémitisme venue de Chine. On souligne également le rôle du haïku et de ses saisonniers (saijiki), qui sont de véritables grammaires de l'accord entre la société japonaise et la nature de l'archipel. Puis on rappelle les grandes lignes de la crise de l'environnement survenue pendant la Haute Croissance. Comment ce ravage systématique de la nature a-t-il été possible dans un pays riche d'une telle tradition ? On en cherche d'abord les raisons d'ordre socio-économique et politique (le système du seizaikan), pour ensuite en envisager les raisons d'ordre mésologique : la discordance ontologique et logique entre la nature trajective héritée de l'histoire et la nature objectifiée et instrumentalisée par le capitalisme moderne. 要 約 – 日本を特徴づけている自然への愛の伝統をまずは思い起こそう。そこでは、その伝統が 土着の神道と中国伝来の隠遁の詩的系譜とに負っていることが強調される。それと同様に、俳句 と歳時記との役割が強調される。それらは日本社会と日本列島の自然との間の協和の真正な文法 である。そして、高度成長期に発生した環境危機の大筋を辿ろう。いかにしてこの組織的な自然 破壊が自然への愛の伝統を豊かにもった国で可能であったのか。その理由は、まず、社会経済 的・政治的次元(政財官システム)に求められる。そのうえで、風土論的次元において検討され る。その次元で示される日本における自然破壊の理由は、歴史の中で引き継がれてきた通態的自 然と現代資本主義によって客体化・道具化された自然との間の存在論的・論理的不協和である。 Sommaire : § 1. Ce qu’était la nature avant Meiji ; § 2. La concrescence de la culture et de la nature dans le haïku ; § 3. Le système de la Haute Croissance ; § 4. La nature décosmisée ; § 5. La réaction des habitants ; § 5. Retrouvailles ? Voire...
§ 1. Ce qu’était la nature avant Meiji Tel qu’est formulé le thème de ce colloque, « La nature au Japon à l’épreuve de l’homme », il apparaît au premier abord typiquement dualiste : nous aurions d’un côté la nature en soi, purement naturelle, de l’autre l’humain en soi, un sujet dont la nature serait justement de s’opposer à cet objet-là, et de le soumettre à diverses épreuves qui le dénaturent. Ce schéma dualiste est occidental ipso facto, puisque que le dualisme moderne, apparu en Europe au XVIIe siècle, est constitutif de ce que j’appellerai ici le paradigme occidental moderne classique, en abrégé le POMC. C’est ce paradigme qui a permis la révolution scientifique moderne, et par suite la vision du monde et les techniques dont est issu le monde actuel. Il est emblématisé, du côté de la physique, par les figures de Galilée et de Newton, et du côté de la philosophie par celles de Bacon et de Descartes. Notons bien, dans ce sigle POMC, que « C » veut dire « classique ». En effet ce paradigme, en physique du moins, n’est plus valable depuis le siècle dernier. Il a été dépassé par la cosmologie einsteinienne et par la mécanique quantique, ce qui a permis de parler dès les années trente de « nouvel esprit scientifique » 1 . Dans ses principes fondamentaux, la physique d’aujourd’hui a dépassé le dualisme, comme l’avait précocement reconnu Heisenberg : « S’il est permis de parler de l’image de la nature selon les sciences exactes de notre temps, il faut entendre par là, plutôt que l’image de la nature, l’image de nos rapports avec la nature. (…) C’est avant tout le réseau des rapports entre l’homme et la nature qui est la visée de cette science. (…) La
1
Gaston BACHELARD, Le nouvel esprit scientifique, Paris, PUF, 1934, 1968.