Revu 1/2/10 Maison de la culture du Japon à Paris Table ronde internationale du 12 décembre 2009
Katô Shûichi, ou penser la diversité culturelle
Quelques mots de l’espace-temps nippon par Augustin BERQUE EHESS/CNRS berque@ehess.fr
Les philosophes ont tendance à penser au temps plutôt qu’à l’espace, ou du moins à le placer avant l’espace. C’est ce que fait aussi le titre du livre de Katô sensei, Le Temps et l’espace dans la culture japonaise 1. N’étant pas philosophe mais géographe, j’en parle dans l’ordre inverse, en m’autorisant de l’usage des physiciens qui, depuis Einstein, nous parlent de l’espace-temps. Cette chose-là, toutefois, est peu concernée par la culture. Que vous soyez savant ou analphabète, Croate ou Fidjien, vous vieillirez moins vite d’un facteur 22,4 – ni plus ni moins – si vous voyagez à 99,9% de la vitesse de la lumière. Cela a son intérêt, mais ici je parlerai de choses moins mesurables, parce que culturelles. Le culturel, en effet, ne se mesure pas. C’est qu’il est empreint de symboles – à commencer par des mots –, et que dans le symbolique, une chose est toujours en même temps autre chose : A est toujours en même temps non-A, le même est toujours tant soit peu l’autre, les choses sont toujours aussi des mots. Et allez donc mesurer quelque chose qui est en même temps autre chose ! En termes humains, donc, une seconde peut être un siècle, ce qui est gênant pour la mesure. En revanche, cela permet de belles et profondes formules philosophiques, tel ce « présent éternel » (eien no ima) qu’on trouve chez Dôgen (au XIIIe siècle) ou chez Nishida (au XX e siècle). La culture japonaise a en effet pour le présent un goût certain, et qui ne se dément pas. L’on parle même, comme le fait Katô sensei, de son présentéisme. Or cela n’est pas seulement une affaire de temps, mais aussi d’espace ; et c’est plutôt en termes d’espace que je vais en parler. Les sciences humaines, en France, utilisent souvent la formule « Moi, ici, maintenant ». Ce moi-ici-maintenant, c’est pour ainsi dire le repère fondamental de toute réflexion sur la réalité. C’est ce qu’on pose avant toute chose, et l’on pense volontiers que c’est universel. Ce point spatio-temporel, c’est ce qui permet la mise au point de tout le reste, qui se trouve ainsi placé devant ou derrière, avant ou après, etc. Et ce point, il est représenté par « Moi, je », qui commence par s’énoncer soimême : « Je pense, je suis, j’ai une belle auto, je vois la tour Eiffel, etc. ». Tout cela découle de l’existence de « Moi, je », qui vient avant toute autre chose. Or aborder la langue japonaise fait douter de cette universalité. Prenez par exemple ce haïku d’Oshi2 :
1
KATÔ Shûichi, Le Temps et l’espace dans la culture japonaise, Paris, CNRS Éditions, 2009.