Lee ufan ou l art du mi lieu

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Communication pour le séminaire d’Augustin Berque, EHESS, 26/2/2016

Lee Ufan ou l’art du" mi-lieu" Isabelle Charrier 0. Introduction Suite à la parution de la traduction en français des écrits sur l’art de Lee Ufan (L’Art de la résonance, Beaux-Arts de Paris éditions, 2013) et à l’exposition de l’artiste au château de Versailles de juin à novembre 2014, les œuvres de Lee Ufan sont plus largement connues par le public français et international et mieux comprises sous leur aspect philosophique et existentiel. Lee Ufan né en 1936 en Corée du Sud à Kyangnam s’est installé au Japon en 1956. Depuis il vit en permanence à Kamakura. Dans un premier temps, il a étudié la philosophie, puis est devenu un des artistes majeurs du groupe Mono-ha très actif au Japon à la fin des années 60 jusqu’au milieu des années 70. Un de ses premiers écrits publiés à ce moment-là, Deai o motomete 出会いをもとめて( A la recherche de la rencontre) avait été très remarqué : la relation par l’œuvre d’art entre le milieu « naturel » et « humain ». Ses sculptures se déclinent sur le thème de l’emprunt de la matière naturelle par excellence, la pierre, qu’il met en relation avec une autre matière, celle-là, façonnée par l’homme, la plaque de fer et qu’il met en scène dans divers lieux pour les donner à voir au regardeur . D’ailleurs elles portent souvent le titre de « Relatum ». Ses peintures, elles, se construisent à la manière d’un jeu de go dans lequel tous les traits du pinceau se posent en « résonance » (yohaku 余白) les uns par rapport aux autres sur l’espace vide , la toile blanche. Pour la communication dans le cadre du séminaire d’Augustin Berque sur


la mésologie, je me propose de mettre en lumière la notion complexe de « mi-lieu » dans l’œuvre de cet artiste. Philosophe de formation, Lee Ufan s’inspire entre autres de la notion nishidienne de « basho » 場所, de la notion « d’être-au-monde » de Heidegger, de la notion kantienne Ding an sich « la chose en soi »et du monde de « l’ambigüité »(aïmaïsa) 曖昧さ de Merleau-Ponty . De plus, il a une conscience aiguë de la position géographique de son lieu de naissance et d’habitation : l’Asie de l’Est. En même temps il retrouve le passé de ses ancêtres mongols qui traversaient le continent asiatique à cheval. De par sa notoriété artistique, il fait de fréquents voyages entre l’Est et l’Ouest d’où la mise en relief de la « différence » dans son observation de la nature. Arpentant les régions du monde à la recherche de pierres, il se rend compte qu’elles ne se ressemblent pas, qu’on y

retrouve des caractéristiques

régionales, climatiques comme Watsuji Tetsurô dans Fûdo 風土 « Le milieu humain » .(CNRS éditions, 2011). Ensuite, en tant qu’artiste, créateur, il critique d’emblée l’ego cartésien, ce moi impérialiste qui s’empare du monde. Il propose à l’opposé une expression « minimale » qui ne contrôle pas, en laissant l’extérieur se mouvoir dans l’œuvre au travers des interstices (sukima) 隙間. Enfin, de par son choix du Japon comme lieu de vie, il n’est plus considéré comme coréen par ses compatriotes, sa langue d’écriture étant le japonais, pourtant il reste considéré en fonction de son origine dans son pays d’adoption. Il se définit comme un être du « mi-lieu » (chûkan)中間 « entre » la Corée et le Japon. 1. L’organisation et le sens de l’œuvre picturale et sculpturale de Lee Ufan par rapport au concept de mi-lieu. Dans le contexte de la mésologie, le milieu selon Augustin Berque « n’est jamais ni totalement objectif ni totalement subjectif » et comporte à la fois « une dimension topique et une dimension chorétique ». (…) « Le milieu combine trajectivement ces deux dimensions ; proprement il est « entre » les lieux et les étendues, mi-lieu, mi-étendue.»(A. Berque, Le Sauvage et l’artifice, Le Seuil, 1986, 286-287) .


Dans le cas de Lee Ufan, ce concept se retrouve sous deux formes : celle qu’il donne à ses œuvres notamment ses sculptures et celle qui lui permet de se définir entre la Corée son pays natal et le Japon, entre l’Occident et l’Asie de l’est. Ainsi dans l’ouvrage « l’Art de la résonance », un des premiers chapitres est intitulé « l’être du milieu » 中間者. Il confie sa souffrance d’être à la fois rejeté par son pays d’origine, la Corée du Sud parce que considéré comme un déserteur d’une part, et un envahisseur d’autre part pour le pays où il vit depuis 1956. Enfin il n’accepte pas d’être classé dans le cadre de l’orientalisme lorsqu’il expose en Occident. C’est ainsi qu’il ne peut rester en place et passe sa vie à voyager d’autant plus qu’il possède un atelier à Paris depuis la fin des années 80. Cette vie d’ « être du milieu », si elle est frustrante puisqu’il se sent non reconnu et sans appartenance, lui donne un avantage celui d’avoir

acquis une « distance » qui lui permet

finalement d’être en

permanence « l’autre ». D’où sa conception de l’art en tant que créateur. Pour lui il s’agit de mettre en relation les choses 物 mono, d’être l’intermédiaire (baikai) 媒 介. Notamment ses sculptures consistent à installer en fonction du lieu in situ, le topos, 現場 genba une pierre naturelle qu’il est allé chercher dans la nature et une plaque de fer qu’il a choisie dans une usine sidérurgique. Le « Relatum », c’est la « rencontre » entre la pierre et la plaque de fer sur un lieu provisoire rinjô 臨場 qui devient la scène où se déroule l’événement « de la rencontre avec l’extérieur » gaibu to no deai no ba 外部との出会いの場 ». Qui est en présence ? Lee, le créateur est le médiateur entre les spectateurs et les choses présentes dans un lieu qui est ouvert. Ainsi ce n’est pas un hasard si Lee se réfère directement au philosophe Nishida Kitarô notamment à la « Logique du Lieu » dans le chapitre « Concept de lieu d’une œuvre » : « Donc le lieu n’est évidemment pas un endroit fixé. Il faut que la personne qui voit, l’individuel et le champ soient en corrélation. ». (Lee Ufan, l’Art de la résonance, 190). Au concept de milieu s’ajoute celui de médiateur, d’intermédiaire baikai 媒介.

Selon lui, le

corps, comme l’œuvre est l’intermédiaire entre l’extérieur et l’intérieur. « Je veux


que mes œuvres attirent l’attention en tant qu’intermédiaires entre l’intérieur et l’extérieur. » (idem , 58). Selon la définition d’A. Berque, la création de Lee Ufan concerne la « médiance » (A. Berque,165) Dans le cas de ses peintures, la relation est différente car il a conscience que contrairement à ses sculptures l’espace de la toile est fermé. Ainsi la relation établie avec l’espace de la toile concerne exclusivement le peintre. « Ma création picturale est une pratique solitaire. (…) L’événement qui se passe entre la toile et moi est proche d’un rite secret complètement clos » (idem 116 ). En effet, la peinture, objet enfermé dans une « coquille » établit son lieu de résidence à l’intérieur donc ne peut avoir de relation avec l’espace extérieur. Le va et vient entre l‘intérieur et l’extérieur se retrouve discontinu. Mais la main du peintre « zone de frontière entre l’extérieur et l’intérieur » (idem 69) réussit à créer ce mi-lieu intermédiaire physique entre l’artiste et le monde extérieur à savoir « l’œuvre »sakuhin 作品. 2. Relation entre l’érème et l’écoumène : L’intermédiaire entre l’extérieur et l’intérieur : du monde extérieur 外界 gaikai, de l’extérieur 外部 à l’intérieur 内部 naibu 2.1 Le monde extérieur Pour Lee Ufan, Le concept de mi-lieu est relié à deux entités qui se réunissent : l’extérieur et l’intérieur. La première est la plupart du temps définie par l‘expression le monde extérieur. En quoi consiste-t-il ? On peut penser à priori qu’il s’agit de tout ce qui est autour de nous : 周りの空間 ( mawari no kukan). Il joue un rôle dans ses sculptures puisque ses installations sont intégrées dans ce « monde extérieur ». Mais il évoque aussi la nature non touchée par l’homme représentée par les pierres empruntées qu’il expose systématiquement. A. Berque distingue l’érème, étendue non fréquentée par l’homme et l’écoumène étendue fréquentée par l’homme (A. Berque 165.) Lee Ufan évoque aussi l’univers 宇宙 ( uchû), la « grande nature »大きな自然,

la nature sauvage 野蛮 ( yaban)


en insistant sur son altérité et son infinitude. « Le concept de nature est fondamentalement changeant, inconnu et extérieur. » affirme-t-il dans le chapitre intitulé « Ce qu’est la nature ». Aller choisir des pierres qu’il installera dans ses futures installations est l’occasion pour lui de pérégrinations fréquentes à travers le monde : « Chaque région a ses pierres. (…) Selon l’époque, ancienne ou récente, la nature du terrain, les pierres varient. Elles ont des caractéristiques différentes en haute montagne, à proximité des rivières ou au bord de la mer. (….) Mes œuvres diffèrent selon la région où j’expose. (…) Une autre question se pose à savoir l’aspect régional de la pierre. (…) En prendre conscience c’est par comparaison essayer de connaître les humains.»(idem 59) L’artiste est fasciné par les différences selon le climat, la situation géographique des territoires : fûdo 風土.

Le face à face avec les pierres n’est pas toujours facile car elles sont

« opaques » non transparentes donc pleines de mystère. « Pendant ces trente années, j’ai arpenté partout, sans fin, pour chercher des pierres. Je suis entré en contact visuellement avec d’innombrables régions, … » En tant qu’extérieur, Lee Ufan ne se limite pas à la nature vierge mais investit aussi la matière produite par l’homme. En effet, depuis les expositions du groupe Mono ha もの派 dont Lee Ufan était un des membres fondateurs avec le sculpteur Sekine Nobuo, les artistes prenaient et assemblaient des matériaux industriels, des objets quotidiens, des objets naturels sans les modifier. A part les pierres dont nous venons de parler, Lee Ufan a jeté son dévolu sur les plaques de fer. « C’est vraiment incroyable de visiter ces grandes usines métallurgiques (…). Je me suis senti dominé par la présence de cette matière le fer dans la réalité de l’usine. » (idem122). Quelles sont les raisons de ce choix ? Tout d’abord c’est une matière façonnée par l’homme. Ensuite, dépourvue de fonctionnalité dans un premier temps, elle est neutre. De plus, elle s’inscrit dans un parcours vers quelque chose, à mi-chemin. En effet, venant de la matière naturelle, le minerai de fer, elle est ambiguë parce que destinée à l’homme. Elle est donc le véritable pendant de la pierre naturelle.


2.2 Naibu 内部 l’intérieur Lee Ufan n’explique pas clairement ce qu’il veut dire par intérieur. Par contre, il rejette systématiquement l’ « ego » cartésien.

« Il existe une théorie selon

laquelle le corps et les mains sont dépendants du moi, que tout appartient au sujet conscient appelé moi. Comme en Occident, où le concept du moi est poussé à l’extrême –à savoir l’âme- où Dieu est tout, on ne reconnaît donc pas le monde extérieur. Le monde est créé par une réalisation du moi à l’infini. » (idem 69). Pour le concept du moi il utilise le mot 私 watakushi et pour le second il a recours à l’expression 自己 jiko. A plusieurs reprises il s’attaque à la conception cartésienne du sujet fondée sur la conscience en considérant qu’elle a abouti à un contrôle total du « sujet occidental » sur les cultures non occidentales via le colonialisme et qu’elle en est arrivée à vouloir dominer la nature en lui refusant son altérité. La nature devient une « ressource » et un objet d’étude dédiés à l’homme. On retrouve dans ces positions un militant anti-colonialiste et écologiste. Il veut faire reconnaître la nature en tant qu’altérité ce qui implique évidemment le respect qu’il faut lui témoigner car cette politique d’exploitation abusive est en train de se retourner contre l’humanité. Cette critique de la vision anthropocentrique,

sa défense du « monde extérieur » pour ce qu’il est,

indépendamment de l’homme, sa conception médiante de l’homme et de la nature le rapprochent de la mésologie. En effet il met en valeur le va et vient entre l’extérieur et l’intérieur à travers le corps humain qui « appartient au monde tout en m’appartenant » (idem 69). La notion d’intérieur prend une place très importante

car le « je » n’est

absolument pas absent dans ses écrits au contraire. Cependant il se rapproche plus de la vision bouddhiste ou taoïste. Il se réfère à de nombreuses reprises à la notion

de 他力本願 Tarikihongan. Invoquer le nom de Bouddha permet

d’accéder à l’éveil. Il évoque aussi cette entité du souffle ki ou chi 気 à travers notamment le premier canon de Xie He : « Ainsi la surface d’après les termes de


la peinture de l’Asie de l’est devient–elle une peinture où la résonance des souffles donne la vie et le mouvement. »(idem 92). Il cherche à minimiser le plus possible le rôle de l’ego : Volontairement « pieds et poings liés », le minimalisme est sa source principale. Pour lui, l’art « contemporain » est une libération du soi pour aller à la rencontre du monde extérieur d’où sa grande différence avec l’art « moderne » dans lequel au contraire, les œuvres reflètent exclusivement l’expression de « l’ ego » au détriment du monde extérieur. Ainsi les œuvres de Lee Ufan ne revendiquent aucunement l’expression d’un « ego » mais au contraire synthétisent la rencontre du monde extérieur humain et naturel dans un topos choisi par lui. 3. L’Art en mi-lieu 3.1 L’exposition au château de Versailles 2014 Récemment il est devenu très connu en France après son exposition personnelle au château de Versailles du 17 juin au 2 novembre 2014. Contrairement aux autres artistes qui y ont exposé, aucune polémique n’a fait la une de la presse car Lee Ufan a de loin préféré les jardins à l’intérieur du château où seule « le Mur de coton »faisait face à l’escalier de la Reine. Il s’est consacré à la rencontre avec le créateur du parc de Versailles d’où son hommage à André Le Nôtre : une tombe à l’air libre dans laquelle il a installé une pierre posée sur une plaque de fer. Au fond se détache le Bosquet des Bains d’Apollon réalisé par Hubert Robert.


Tombe, Hommage à André Le Nôtre, 2014, Parc de Versailles 1 L’Arche , 2014, Parc de Versailles Une des œuvres majeures de cet ensemble est la fameuse Arche formée d’un arc en acier tenu par deux pierres de chaque côté. L’édification a été une véritable performance à cause d’ une grande tempête qui sévissait le jour de l’installation. Pour le sculpteur cette « Arche » correspond à un souvenir d’un arc en ciel lorsqu’il était enfant. 2 Relatum : L’ombre des étoiles Parc de Versailles 2014 Un jardin de pierres dans lequel l’artiste joue sur l’ombre : celle qui est naturelle et celle qu’il a fabriquée. Il a été placé à l’écart du parcours du château. Il fait vivre aux visiteurs une autre alternative de méditation que le jardin à la française.


1L’Arche, 2014,ParcdeVersailles


2Relatum : l’ombre des étoiles, Parc du château de Versailles, 2014

3 Relatum, dialogue X


On retrouve le thème central de l’œuvre de Lee Ufan dont nous avons parlé à savoir la rencontre de la pierre naturelle et de la plaque de fer, posée à même le sol ou en position verticale. Les pierres empruntent le chemin du visiteur. Celui-ci est témoin du dialoque secret qui s’établit entre les pierres

4 Quatre côtés du messager

3.2 Le musée Lee Ufan à Naoshima L’île de Naoshima située sur la mer intérieure du Japon au large d’Okayama, est un musée à ciel ouvert dédié à l’art contemporain. Les constructions abritant les œuvres d’artistes contemporains de tous les pays ont été conçues par l’architecte Ando Tadao. Le premier musée, la fondation Benesse, est consacré à l’art et la nature. L’architecte japonais dont la caractéristique est d’adapter le bâtiment qu’il construit à l’environnement a particulièrement excellé car il devait aussi accueillir et accompagner les œuvres des artistes qui constituent la collection des deux musées. Le musée Lee Ufan est la rencontre des deux créateurs, Ando Tadao et Lee Ufan : Les murs de béton aux tons de gris poli et les passages étroits secrets de l’architecte ouvrent un espace aux « Relatum » de l’artiste coréen qui se métamorphosent au gré des ombres changeantes en fonction de l’heure du jour. Le


travail pictural de l’artiste est exposé dans des salles réservées à cet effet où le plancher de bois est en résonance avec les cimaises grises. Ses peintures d’un seul trait gris se déclinent dans leur pureté minimale.

Lee Ufan comme Ando Tadao cherche à intégrer dans le paysage les œuvres et les bâtiments de manière à laisser agir les traces des ombres et des rayons lumineux.


Relatum Signal 2005. 3.3 Lee Ufan et Mono ha « Ai-je créé Mono ha ou mono ha m’a-t-il créé ? » (…) Vouloir ressaisir en tant que champ les rapports entre l’homme et le monde, et tenter de se focaliser sur des œuvres en dépassant la théorie du sujet, me semble être un événement dans le monde pictural de l’art contemporain. » (idem 251) Entre 1968 et 1970, le groupe Monoha contemporain de Arte Povera en Italie, de Support Surface en France et de Earthwork aux Etats-Unis, a été actif au Japon. Il était constitué principalement de Sekine Nobuo, Lee Ufan, Enokura Koji, Koshimizu Susumu, Yoshida Katsurô, Suga Kisho. Monoha « consistait à faire vivre divers éléments dans les rapports qu’il entretiennent entre eux. « Le but n’était pas de créer un objet mais de mettre en scène un événement conduisant à la dés-objectivation des choses par l’intermédiaire d’une action physique. » (idem, 142) Une des premières œuvres que Lee Ufan a exposée dans ce groupe consiste en une plaque de verre sur laquelle il a posé une pierre. Le verre s’est brisé en plusieurs morceaux sous le choc.


« Si un verre sur lequel on pose une pierre se brise, c’est un pur hasard. C’est évident. Cependant lorsque ce phénomène survient à la suite de l’intervention d’un artiste qui n’y met pas de force, les spectateurs ne voient rien d’autre qu’un accident. Qu’un artiste veuille briser une plaque de verre n’est pas non plus intéressant et même est aussi ennuyeux que si cela provenait d’un accident fortuit, sans son intervention. Quelque chose doit s’accomplir par le rapport de tension exercé entre l’artiste, le verre et la pierre. Quand le choc se produit en étant imprégné de cette relation triangulaire alors ce verre devient pour la première fois une œuvre. » (idem ,272) C’est cette « relation triangulaire » entre la pierre, le verre par l’intermédiaire de l’artiste qui constitue l’œuvre. La période de Monoha pour Lee Ufan est fondatrice car c’est à ce moment là qu’il invente sa notion de relatum : rencontre de deux matériaux naturels et façonnés par l’homme mise en scène dans un lieu .


Phenomen and perception B (Relatum)1969 3.4L’œuvre picturale de Lee Ufan L’œuvre picturale de Lee Ufan a un parcours parallèle et indépendant de sa sculpture. Elle comporte quatre périodes, tout en étant fondée sur le trait unique du pinceau. Dans les années 7O, sa série From point, est marquée par la discontinuité de points qui s’effacent au fur et à mesure. Dans les années 80, la série From Line, est constituée d’un ensemble de lignes verticales parallèles qui s’estompent au fur et à mesure de la quantité de peinture imbibée dans le pinceau. Ensuite dans From wind, ces lignes finissent par devenir autonomes en se déplaçant au gré du mouvement de l’air. Enfin à partir des années 2000, les séries Dialogues sont constituées de traits uniques où le gris, couleur neutre par excellence joue avec l’espace vide de la toile. Chaque trait contient une épaisseur étant le résultat de couches superposées au fur et à mesure. Il entre en résonance avec l’espace vide.


From Point colle et pigments minĂŠraux sur toile, Iwaki City museum, Japan


From line, 1974, colle pigments minéraux sur toile, musée d’art moderne de Tokyo


Dialogue Exposition galerie Kamel Mennour 2014

4. L’art de la résonance 余白の芸術 yohaku no geijutsu Pour conclure, nous allons nous focaliser sur l’esthétique proprement dite de Lee Ufan. Tout en abordant l’art sous un aspect « mésologique », tous ses efforts notamment dans son rapport avec le geste créatif se concentrent sur la sonorité résultant de la résonance. Il emploie le mot 余白 yohaku qui pourrait être traduit en fait par « marge » puisque selon la définition du dictionnaire, il s’agit de la partie qui reste blanche autour d’une page. Mais après discussion avec l’auteur, il a été décidé de le traduire par « résonance » pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’artiste refuse le principe de centralité qui est sous-entendu dans le mot marge. La partie blanche est au bord de la page. En réalité, cette partie blanche, grâce à la métaphore musicale que Lee Ufan inclut, a


une portée capitale dans l’acte créatif : elle représente la partie non touchée par le peintre en tant que résonance sans laquelle les traits couchés sur la toile n’existeraient pas en tant qu’altérité. Ainsi il explique qu’avec le battement du tambour se produit une résonance dans l’espace alentour. « L’espace de la résonance, c’est l’espace de la vibration avec le tambour. » (idem 19). L’art de la résonance ce sont les traits peints et l’espace non peint qui les répercute. Son système esthétique reflète sa conception de l’humain par rapport à la nature : il n’existe que grâce à la nature en tant qu’altérité et dans une relation de médiance : une rencontre infinie I.C.


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