Lee ufan ou l art du mi lieu

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Communication pour le sĂ©minaire d’Augustin Berque, EHESS, 26/2/2016

Lee Ufan ou l’art du" mi-lieu" Isabelle Charrier 0. Introduction Suite Ă  la parution de la traduction en français des Ă©crits sur l’art de Lee Ufan (L’Art de la rĂ©sonance, Beaux-Arts de Paris Ă©ditions, 2013) et Ă  l’exposition de l’artiste au chĂąteau de Versailles de juin Ă  novembre 2014, les Ɠuvres de Lee Ufan sont plus largement connues par le public français et international et mieux comprises sous leur aspect philosophique et existentiel. Lee Ufan nĂ© en 1936 en CorĂ©e du Sud Ă  Kyangnam s’est installĂ© au Japon en 1956. Depuis il vit en permanence Ă  Kamakura. Dans un premier temps, il a Ă©tudiĂ© la philosophie, puis est devenu un des artistes majeurs du groupe Mono-ha trĂšs actif au Japon Ă  la fin des annĂ©es 60 jusqu’au milieu des annĂ©es 70. Un de ses premiers Ă©crits publiĂ©s Ă  ce moment-lĂ , Deai o motomete ć‡șäŒšă„ă‚’ă‚‚ăšă‚ăŠ( A la recherche de la rencontre) avait Ă©tĂ© trĂšs remarquĂ© : la relation par l’Ɠuvre d’art entre le milieu « naturel » et « humain ». Ses sculptures se dĂ©clinent sur le thĂšme de l’emprunt de la matiĂšre naturelle par excellence, la pierre, qu’il met en relation avec une autre matiĂšre, celle-lĂ , façonnĂ©e par l’homme, la plaque de fer et qu’il met en scĂšne dans divers lieux pour les donner Ă  voir au regardeur . D’ailleurs elles portent souvent le titre de « Relatum ». Ses peintures, elles, se construisent Ă  la maniĂšre d’un jeu de go dans lequel tous les traits du pinceau se posent en « rĂ©sonance » (yohaku 䜙癜) les uns par rapport aux autres sur l’espace vide , la toile blanche. Pour la communication dans le cadre du sĂ©minaire d’Augustin Berque sur


la mĂ©sologie, je me propose de mettre en lumiĂšre la notion complexe de « mi-lieu » dans l’Ɠuvre de cet artiste. Philosophe de formation, Lee Ufan s’inspire entre autres de la notion nishidienne de « basho » ć Žæ‰€, de la notion « d’ĂȘtre-au-monde » de Heidegger, de la notion kantienne Ding an sich « la chose en soi »et du monde de « l’ambigĂŒitĂ© »(aĂŻmaĂŻsa) æ›–æ˜§ă• de Merleau-Ponty . De plus, il a une conscience aiguĂ« de la position gĂ©ographique de son lieu de naissance et d’habitation : l’Asie de l’Est. En mĂȘme temps il retrouve le passĂ© de ses ancĂȘtres mongols qui traversaient le continent asiatique Ă  cheval. De par sa notoriĂ©tĂ© artistique, il fait de frĂ©quents voyages entre l’Est et l’Ouest d’oĂč la mise en relief de la « diffĂ©rence » dans son observation de la nature. Arpentant les rĂ©gions du monde Ă  la recherche de pierres, il se rend compte qu’elles ne se ressemblent pas, qu’on y

retrouve des caractéristiques

rĂ©gionales, climatiques comme Watsuji TetsurĂŽ dans FĂ»do 鱹期 « Le milieu humain » .(CNRS Ă©ditions, 2011). Ensuite, en tant qu’artiste, crĂ©ateur, il critique d’emblĂ©e l’ego cartĂ©sien, ce moi impĂ©rialiste qui s’empare du monde. Il propose Ă  l’opposĂ© une expression « minimale » qui ne contrĂŽle pas, en laissant l’extĂ©rieur se mouvoir dans l’Ɠuvre au travers des interstices (sukima) 隙間. Enfin, de par son choix du Japon comme lieu de vie, il n’est plus considĂ©rĂ© comme corĂ©en par ses compatriotes, sa langue d’écriture Ă©tant le japonais, pourtant il reste considĂ©rĂ© en fonction de son origine dans son pays d’adoption. Il se dĂ©finit comme un ĂȘtre du « mi-lieu » (chĂ»kan)侭間 « entre » la CorĂ©e et le Japon. 1. L’organisation et le sens de l’Ɠuvre picturale et sculpturale de Lee Ufan par rapport au concept de mi-lieu. Dans le contexte de la mĂ©sologie, le milieu selon Augustin Berque « n’est jamais ni totalement objectif ni totalement subjectif » et comporte Ă  la fois « une dimension topique et une dimension chorĂ©tique ». (
) « Le milieu combine trajectivement ces deux dimensions ; proprement il est « entre » les lieux et les Ă©tendues, mi-lieu, mi-Ă©tendue.»(A. Berque, Le Sauvage et l’artifice, Le Seuil, 1986, 286-287) .


Dans le cas de Lee Ufan, ce concept se retrouve sous deux formes : celle qu’il donne Ă  ses Ɠuvres notamment ses sculptures et celle qui lui permet de se dĂ©finir entre la CorĂ©e son pays natal et le Japon, entre l’Occident et l’Asie de l’est. Ainsi dans l’ouvrage « l’Art de la rĂ©sonance », un des premiers chapitres est intitulĂ© « l’ĂȘtre du milieu » 䞭間者. Il confie sa souffrance d’ĂȘtre Ă  la fois rejetĂ© par son pays d’origine, la CorĂ©e du Sud parce que considĂ©rĂ© comme un dĂ©serteur d’une part, et un envahisseur d’autre part pour le pays oĂč il vit depuis 1956. Enfin il n’accepte pas d’ĂȘtre classĂ© dans le cadre de l’orientalisme lorsqu’il expose en Occident. C’est ainsi qu’il ne peut rester en place et passe sa vie Ă  voyager d’autant plus qu’il possĂšde un atelier Ă  Paris depuis la fin des annĂ©es 80. Cette vie d’ « ĂȘtre du milieu », si elle est frustrante puisqu’il se sent non reconnu et sans appartenance, lui donne un avantage celui d’avoir

acquis une « distance » qui lui permet

finalement d’ĂȘtre en

permanence « l’autre ». D’oĂč sa conception de l’art en tant que crĂ©ateur. Pour lui il s’agit de mettre en relation les choses 物 mono, d’ĂȘtre l’intermĂ©diaire (baikai) ćȘ’ 介. Notamment ses sculptures consistent Ă  installer en fonction du lieu in situ, le topos, çŸć Ž genba une pierre naturelle qu’il est allĂ© chercher dans la nature et une plaque de fer qu’il a choisie dans une usine sidĂ©rurgique. Le « Relatum », c’est la « rencontre » entre la pierre et la plaque de fer sur un lieu provisoire rinjĂŽ è‡šć Ž qui devient la scĂšne oĂč se dĂ©roule l’évĂ©nement « de la rencontre avec l’extĂ©rieur » gaibu to no deai no ba ć€–éƒšăšăźć‡șäŒšă„ăźć Ž ». Qui est en prĂ©sence ? Lee, le crĂ©ateur est le mĂ©diateur entre les spectateurs et les choses prĂ©sentes dans un lieu qui est ouvert. Ainsi ce n’est pas un hasard si Lee se rĂ©fĂšre directement au philosophe Nishida KitarĂŽ notamment Ă  la « Logique du Lieu » dans le chapitre « Concept de lieu d’une Ɠuvre » : « Donc le lieu n’est Ă©videmment pas un endroit fixĂ©. Il faut que la personne qui voit, l’individuel et le champ soient en corrĂ©lation. ». (Lee Ufan, l’Art de la rĂ©sonance, 190). Au concept de milieu s’ajoute celui de mĂ©diateur, d’intermĂ©diaire baikai ćȘ’介.

Selon lui, le

corps, comme l’Ɠuvre est l’intermĂ©diaire entre l’extĂ©rieur et l’intĂ©rieur. « Je veux


que mes Ɠuvres attirent l’attention en tant qu’intermĂ©diaires entre l’intĂ©rieur et l’extĂ©rieur. » (idem , 58). Selon la dĂ©finition d’A. Berque, la crĂ©ation de Lee Ufan concerne la « mĂ©diance » (A. Berque,165) Dans le cas de ses peintures, la relation est diffĂ©rente car il a conscience que contrairement Ă  ses sculptures l’espace de la toile est fermĂ©. Ainsi la relation Ă©tablie avec l’espace de la toile concerne exclusivement le peintre. « Ma crĂ©ation picturale est une pratique solitaire. (
) L’évĂ©nement qui se passe entre la toile et moi est proche d’un rite secret complĂštement clos » (idem 116 ). En effet, la peinture, objet enfermĂ© dans une « coquille » Ă©tablit son lieu de rĂ©sidence Ă  l’intĂ©rieur donc ne peut avoir de relation avec l’espace extĂ©rieur. Le va et vient entre l‘intĂ©rieur et l’extĂ©rieur se retrouve discontinu. Mais la main du peintre « zone de frontiĂšre entre l’extĂ©rieur et l’intĂ©rieur » (idem 69) rĂ©ussit Ă  crĂ©er ce mi-lieu intermĂ©diaire physique entre l’artiste et le monde extĂ©rieur Ă  savoir « l’Ɠuvre »sakuhin äœœć“. 2. Relation entre l’érĂšme et l’écoumĂšne : L’intermĂ©diaire entre l’extĂ©rieur et l’intĂ©rieur : du monde extĂ©rieur ć€–ç•Œ gaikai, de l’extĂ©rieur ć€–éƒš Ă  l’intĂ©rieur 憅郹 naibu 2.1 Le monde extĂ©rieur Pour Lee Ufan, Le concept de mi-lieu est reliĂ© Ă  deux entitĂ©s qui se rĂ©unissent : l’extĂ©rieur et l’intĂ©rieur. La premiĂšre est la plupart du temps dĂ©finie par l‘expression le monde extĂ©rieur. En quoi consiste-t-il ? On peut penser Ă  priori qu’il s’agit de tout ce qui est autour de nous : 摹りぼç©ș間 ( mawari no kukan). Il joue un rĂŽle dans ses sculptures puisque ses installations sont intĂ©grĂ©es dans ce « monde extĂ©rieur ». Mais il Ă©voque aussi la nature non touchĂ©e par l’homme reprĂ©sentĂ©e par les pierres empruntĂ©es qu’il expose systĂ©matiquement. A. Berque distingue l’érĂšme, Ă©tendue non frĂ©quentĂ©e par l’homme et l’écoumĂšne Ă©tendue frĂ©quentĂ©e par l’homme (A. Berque 165.) Lee Ufan Ă©voque aussi l’univers 漇漙 ( uchĂ»), la « grande nature Â»ć€§ăăȘè‡Ș然,

la nature sauvage é‡Žè›ź ( yaban)


en insistant sur son altĂ©ritĂ© et son infinitude. « Le concept de nature est fondamentalement changeant, inconnu et extĂ©rieur. » affirme-t-il dans le chapitre intitulĂ© « Ce qu’est la nature ». Aller choisir des pierres qu’il installera dans ses futures installations est l’occasion pour lui de pĂ©rĂ©grinations frĂ©quentes Ă  travers le monde : « Chaque rĂ©gion a ses pierres. (
) Selon l’époque, ancienne ou rĂ©cente, la nature du terrain, les pierres varient. Elles ont des caractĂ©ristiques diffĂ©rentes en haute montagne, Ă  proximitĂ© des riviĂšres ou au bord de la mer. (
.) Mes Ɠuvres diffĂšrent selon la rĂ©gion oĂč j’expose. (
) Une autre question se pose Ă  savoir l’aspect rĂ©gional de la pierre. (
) En prendre conscience c’est par comparaison essayer de connaĂźtre les humains.»(idem 59) L’artiste est fascinĂ© par les diffĂ©rences selon le climat, la situation gĂ©ographique des territoires : fĂ»do 鱹期.

Le face à face avec les pierres n’est pas toujours facile car elles sont

« opaques » non transparentes donc pleines de mystĂšre. « Pendant ces trente annĂ©es, j’ai arpentĂ© partout, sans fin, pour chercher des pierres. Je suis entrĂ© en contact visuellement avec d’innombrables rĂ©gions, 
 » En tant qu’extĂ©rieur, Lee Ufan ne se limite pas Ă  la nature vierge mais investit aussi la matiĂšre produite par l’homme. En effet, depuis les expositions du groupe Mono ha ă‚‚ăźæŽŸ dont Lee Ufan Ă©tait un des membres fondateurs avec le sculpteur Sekine Nobuo, les artistes prenaient et assemblaient des matĂ©riaux industriels, des objets quotidiens, des objets naturels sans les modifier. A part les pierres dont nous venons de parler, Lee Ufan a jetĂ© son dĂ©volu sur les plaques de fer. « C’est vraiment incroyable de visiter ces grandes usines mĂ©tallurgiques (
). Je me suis senti dominĂ© par la prĂ©sence de cette matiĂšre le fer dans la rĂ©alitĂ© de l’usine. » (idem122). Quelles sont les raisons de ce choix ? Tout d’abord c’est une matiĂšre façonnĂ©e par l’homme. Ensuite, dĂ©pourvue de fonctionnalitĂ© dans un premier temps, elle est neutre. De plus, elle s’inscrit dans un parcours vers quelque chose, Ă  mi-chemin. En effet, venant de la matiĂšre naturelle, le minerai de fer, elle est ambiguĂ« parce que destinĂ©e Ă  l’homme. Elle est donc le vĂ©ritable pendant de la pierre naturelle.


2.2 Naibu 憅郹 l’intĂ©rieur Lee Ufan n’explique pas clairement ce qu’il veut dire par intĂ©rieur. Par contre, il rejette systĂ©matiquement l’ « ego » cartĂ©sien.

« Il existe une théorie selon

laquelle le corps et les mains sont dĂ©pendants du moi, que tout appartient au sujet conscient appelĂ© moi. Comme en Occident, oĂč le concept du moi est poussĂ© Ă  l’extrĂȘme –à savoir l’ñme- oĂč Dieu est tout, on ne reconnaĂźt donc pas le monde extĂ©rieur. Le monde est crĂ©Ă© par une rĂ©alisation du moi Ă  l’infini. » (idem 69). Pour le concept du moi il utilise le mot 私 watakushi et pour le second il a recours Ă  l’expression è‡Șć·± jiko. A plusieurs reprises il s’attaque Ă  la conception cartĂ©sienne du sujet fondĂ©e sur la conscience en considĂ©rant qu’elle a abouti Ă  un contrĂŽle total du « sujet occidental » sur les cultures non occidentales via le colonialisme et qu’elle en est arrivĂ©e Ă  vouloir dominer la nature en lui refusant son altĂ©ritĂ©. La nature devient une « ressource » et un objet d’étude dĂ©diĂ©s Ă  l’homme. On retrouve dans ces positions un militant anti-colonialiste et Ă©cologiste. Il veut faire reconnaĂźtre la nature en tant qu’altĂ©ritĂ© ce qui implique Ă©videmment le respect qu’il faut lui tĂ©moigner car cette politique d’exploitation abusive est en train de se retourner contre l’humanitĂ©. Cette critique de la vision anthropocentrique,

sa dĂ©fense du « monde extĂ©rieur » pour ce qu’il est,

indĂ©pendamment de l’homme, sa conception mĂ©diante de l’homme et de la nature le rapprochent de la mĂ©sologie. En effet il met en valeur le va et vient entre l’extĂ©rieur et l’intĂ©rieur Ă  travers le corps humain qui « appartient au monde tout en m’appartenant » (idem 69). La notion d’intĂ©rieur prend une place trĂšs importante

car le « je » n’est

absolument pas absent dans ses écrits au contraire. Cependant il se rapproche plus de la vision bouddhiste ou taoïste. Il se réfÚre à de nombreuses reprises à la notion

de ä»–ćŠ›æœŹéĄ˜ Tarikihongan. Invoquer le nom de Bouddha permet

d’accĂ©der Ă  l’éveil. Il Ă©voque aussi cette entitĂ© du souffle ki ou chi 気 Ă  travers notamment le premier canon de Xie He : « Ainsi la surface d’aprĂšs les termes de


la peinture de l’Asie de l’est devient–elle une peinture oĂč la rĂ©sonance des souffles donne la vie et le mouvement. »(idem 92). Il cherche Ă  minimiser le plus possible le rĂŽle de l’ego : Volontairement « pieds et poings liĂ©s », le minimalisme est sa source principale. Pour lui, l’art « contemporain » est une libĂ©ration du soi pour aller Ă  la rencontre du monde extĂ©rieur d’oĂč sa grande diffĂ©rence avec l’art « moderne » dans lequel au contraire, les Ɠuvres reflĂštent exclusivement l’expression de « l’ ego » au dĂ©triment du monde extĂ©rieur. Ainsi les Ɠuvres de Lee Ufan ne revendiquent aucunement l’expression d’un « ego » mais au contraire synthĂ©tisent la rencontre du monde extĂ©rieur humain et naturel dans un topos choisi par lui. 3. L’Art en mi-lieu 3.1 L’exposition au chĂąteau de Versailles 2014 RĂ©cemment il est devenu trĂšs connu en France aprĂšs son exposition personnelle au chĂąteau de Versailles du 17 juin au 2 novembre 2014. Contrairement aux autres artistes qui y ont exposĂ©, aucune polĂ©mique n’a fait la une de la presse car Lee Ufan a de loin prĂ©fĂ©rĂ© les jardins Ă  l’intĂ©rieur du chĂąteau oĂč seule « le Mur de coton »faisait face Ă  l’escalier de la Reine. Il s’est consacrĂ© Ă  la rencontre avec le crĂ©ateur du parc de Versailles d’oĂč son hommage Ă  AndrĂ© Le NĂŽtre : une tombe Ă  l’air libre dans laquelle il a installĂ© une pierre posĂ©e sur une plaque de fer. Au fond se dĂ©tache le Bosquet des Bains d’Apollon rĂ©alisĂ© par Hubert Robert.


Tombe, Hommage Ă  AndrĂ© Le NĂŽtre, 2014, Parc de Versailles 1 L’Arche , 2014, Parc de Versailles Une des Ɠuvres majeures de cet ensemble est la fameuse Arche formĂ©e d’un arc en acier tenu par deux pierres de chaque cĂŽtĂ©. L’édification a Ă©tĂ© une vĂ©ritable performance Ă  cause d’ une grande tempĂȘte qui sĂ©vissait le jour de l’installation. Pour le sculpteur cette « Arche » correspond Ă  un souvenir d’un arc en ciel lorsqu’il Ă©tait enfant. 2 Relatum : L’ombre des Ă©toiles Parc de Versailles 2014 Un jardin de pierres dans lequel l’artiste joue sur l’ombre : celle qui est naturelle et celle qu’il a fabriquĂ©e. Il a Ă©tĂ© placĂ© Ă  l’écart du parcours du chĂąteau. Il fait vivre aux visiteurs une autre alternative de mĂ©ditation que le jardin Ă  la française.


1LĂą€™Arche, 2014,ParcdeVersailles


2Relatum : l’ombre des Ă©toiles, Parc du chĂąteau de Versailles, 2014

3 Relatum, dialogue X


On retrouve le thĂšme central de l’Ɠuvre de Lee Ufan dont nous avons parlĂ© Ă  savoir la rencontre de la pierre naturelle et de la plaque de fer, posĂ©e Ă  mĂȘme le sol ou en position verticale. Les pierres empruntent le chemin du visiteur. Celui-ci est tĂ©moin du dialoque secret qui s’établit entre les pierres

4 Quatre cÎtés du messager

3.2 Le musĂ©e Lee Ufan Ă  Naoshima L’üle de Naoshima situĂ©e sur la mer intĂ©rieure du Japon au large d’Okayama, est un musĂ©e Ă  ciel ouvert dĂ©diĂ© Ă  l’art contemporain. Les constructions abritant les Ɠuvres d’artistes contemporains de tous les pays ont Ă©tĂ© conçues par l’architecte Ando Tadao. Le premier musĂ©e, la fondation Benesse, est consacrĂ© Ă  l’art et la nature. L’architecte japonais dont la caractĂ©ristique est d’adapter le bĂątiment qu’il construit Ă  l’environnement a particuliĂšrement excellĂ© car il devait aussi accueillir et accompagner les Ɠuvres des artistes qui constituent la collection des deux musĂ©es. Le musĂ©e Lee Ufan est la rencontre des deux crĂ©ateurs, Ando Tadao et Lee Ufan : Les murs de bĂ©ton aux tons de gris poli et les passages Ă©troits secrets de l’architecte ouvrent un espace aux « Relatum » de l’artiste corĂ©en qui se mĂ©tamorphosent au grĂ© des ombres changeantes en fonction de l’heure du jour. Le


travail pictural de l’artiste est exposĂ© dans des salles rĂ©servĂ©es Ă  cet effet oĂč le plancher de bois est en rĂ©sonance avec les cimaises grises. Ses peintures d’un seul trait gris se dĂ©clinent dans leur puretĂ© minimale.

Lee Ufan comme Ando Tadao cherche Ă  intĂ©grer dans le paysage les Ɠuvres et les bĂątiments de maniĂšre Ă  laisser agir les traces des ombres et des rayons lumineux.


Relatum Signal 2005. 3.3 Lee Ufan et Mono ha « Ai-je crĂ©Ă© Mono ha ou mono ha m’a-t-il crĂ©Ă© ? » (
) Vouloir ressaisir en tant que champ les rapports entre l’homme et le monde, et tenter de se focaliser sur des Ɠuvres en dĂ©passant la thĂ©orie du sujet, me semble ĂȘtre un Ă©vĂ©nement dans le monde pictural de l’art contemporain. » (idem 251) Entre 1968 et 1970, le groupe Monoha contemporain de Arte Povera en Italie, de Support Surface en France et de Earthwork aux Etats-Unis, a Ă©tĂ© actif au Japon. Il Ă©tait constituĂ© principalement de Sekine Nobuo, Lee Ufan, Enokura Koji, Koshimizu Susumu, Yoshida KatsurĂŽ, Suga Kisho. Monoha « consistait Ă  faire vivre divers Ă©lĂ©ments dans les rapports qu’il entretiennent entre eux. « Le but n’était pas de crĂ©er un objet mais de mettre en scĂšne un Ă©vĂ©nement conduisant Ă  la dĂ©s-objectivation des choses par l’intermĂ©diaire d’une action physique. » (idem, 142) Une des premiĂšres Ɠuvres que Lee Ufan a exposĂ©e dans ce groupe consiste en une plaque de verre sur laquelle il a posĂ© une pierre. Le verre s’est brisĂ© en plusieurs morceaux sous le choc.


« Si un verre sur lequel on pose une pierre se brise, c’est un pur hasard. C’est Ă©vident. Cependant lorsque ce phĂ©nomĂšne survient Ă  la suite de l’intervention d’un artiste qui n’y met pas de force, les spectateurs ne voient rien d’autre qu’un accident. Qu’un artiste veuille briser une plaque de verre n’est pas non plus intĂ©ressant et mĂȘme est aussi ennuyeux que si cela provenait d’un accident fortuit, sans son intervention. Quelque chose doit s’accomplir par le rapport de tension exercĂ© entre l’artiste, le verre et la pierre. Quand le choc se produit en Ă©tant imprĂ©gnĂ© de cette relation triangulaire alors ce verre devient pour la premiĂšre fois une Ɠuvre. » (idem ,272) C’est cette « relation triangulaire » entre la pierre, le verre par l’intermĂ©diaire de l’artiste qui constitue l’Ɠuvre. La pĂ©riode de Monoha pour Lee Ufan est fondatrice car c’est Ă  ce moment lĂ  qu’il invente sa notion de relatum : rencontre de deux matĂ©riaux naturels et façonnĂ©s par l’homme mise en scĂšne dans un lieu .


Phenomen and perception B (Relatum)1969 3.4L’Ɠuvre picturale de Lee Ufan L’Ɠuvre picturale de Lee Ufan a un parcours parallĂšle et indĂ©pendant de sa sculpture. Elle comporte quatre pĂ©riodes, tout en Ă©tant fondĂ©e sur le trait unique du pinceau. Dans les annĂ©es 7O, sa sĂ©rie From point, est marquĂ©e par la discontinuitĂ© de points qui s’effacent au fur et Ă  mesure. Dans les annĂ©es 80, la sĂ©rie From Line, est constituĂ©e d’un ensemble de lignes verticales parallĂšles qui s’estompent au fur et Ă  mesure de la quantitĂ© de peinture imbibĂ©e dans le pinceau. Ensuite dans From wind, ces lignes finissent par devenir autonomes en se dĂ©plaçant au grĂ© du mouvement de l’air. Enfin Ă  partir des annĂ©es 2000, les sĂ©ries Dialogues sont constituĂ©es de traits uniques oĂč le gris, couleur neutre par excellence joue avec l’espace vide de la toile. Chaque trait contient une Ă©paisseur Ă©tant le rĂ©sultat de couches superposĂ©es au fur et Ă  mesure. Il entre en rĂ©sonance avec l’espace vide.


From Point colle et pigments minĂƠraux sur toile, Iwaki City museum, Japan


From line, 1974, colle pigments minĂ©raux sur toile, musĂ©e d’art moderne de Tokyo


Dialogue Exposition galerie Kamel Mennour 2014

4. L’art de la rĂ©sonance äœ™ç™œăźèŠžèĄ“ yohaku no geijutsu Pour conclure, nous allons nous focaliser sur l’esthĂ©tique proprement dite de Lee Ufan. Tout en abordant l’art sous un aspect « mĂ©sologique », tous ses efforts notamment dans son rapport avec le geste crĂ©atif se concentrent sur la sonoritĂ© rĂ©sultant de la rĂ©sonance. Il emploie le mot 䜙癜 yohaku qui pourrait ĂȘtre traduit en fait par « marge » puisque selon la dĂ©finition du dictionnaire, il s’agit de la partie qui reste blanche autour d’une page. Mais aprĂšs discussion avec l’auteur, il a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© de le traduire par « rĂ©sonance » pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’artiste refuse le principe de centralitĂ© qui est sous-entendu dans le mot marge. La partie blanche est au bord de la page. En rĂ©alitĂ©, cette partie blanche, grĂące Ă  la mĂ©taphore musicale que Lee Ufan inclut, a


une portĂ©e capitale dans l’acte crĂ©atif : elle reprĂ©sente la partie non touchĂ©e par le peintre en tant que rĂ©sonance sans laquelle les traits couchĂ©s sur la toile n’existeraient pas en tant qu’altĂ©ritĂ©. Ainsi il explique qu’avec le battement du tambour se produit une rĂ©sonance dans l’espace alentour. « L’espace de la rĂ©sonance, c’est l’espace de la vibration avec le tambour. » (idem 19). L’art de la rĂ©sonance ce sont les traits peints et l’espace non peint qui les rĂ©percute. Son systĂšme esthĂ©tique reflĂšte sa conception de l’humain par rapport Ă  la nature : il n’existe que grĂące Ă  la nature en tant qu’altĂ©ritĂ© et dans une relation de mĂ©diance : une rencontre infinie I.C.


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